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07/07/2016

KR'TNT ! ¤ 289 : KAREN DALTON / NICO'ZZ BAND / CRASHBIRDS / BOB DYLAN / JAMES BALDWIN

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

, Karen Dalton, Nico'ZZ Band, Crashbirds, Bob Dylan, James Baldwin,

LIVRAISON 289

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

07 / 07 / 2016

KAREN DALTON / NICO'ZZ BAND / CRASHBIRDS

BOB DYLAN / JAMES BALDWIN

LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 10 - 05 - 2016


SE SOUVENIR DE KAREN DALTON

CONFERENCE
DE
PIERRE LEMARCHAND

TAGADA TAGADA VOILA LA DALTON

Le mec a l’allure d’un étudiant en sociologie, trente ans, quarante kilos habillé, brun, petite queue de cheval, barbe, chemise passée sur un jean indéfinissable, filet de voix douce. Du genre qui ne ferait pas de mal à une mouche, et encore moins à un moustique. Dans les années soixante-dix, on l’aurait certainement traité de hippie. Peace my friend. Il accueille ses amis dans la grande salle du 106 en leur faisant la bise. Il va donner une conférence, tout seul, face aux immenses gradins. Ses amis lui demandent : «Ça va ? Pas trop tendu ?». Il avoue juste un peu de stress. C’est vrai qu’il n’a rien d’un tribun. On s’inquiète pour lui. On parierait même qu’il va bégayer et parler d’une voix blanche. Se trouver dominé par un public installé en hauteur, ce doit être déjà très spécial, mais vouloir évoquer la mémoire d’un personnage comme Karen Dalton, c’est une façon de donner le bâton pour se faire battre.

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Il s’appelle Pierre Lemarchand. Il vient du publier une bio de Karen Dalton au Camion Blanc, «Se Souvenir Des Montagnes».
Ce micro-événement dérisoire résulte de deux formes de courage : celui d’un auteur qui mène l’enquête pour redonner vie au souvenir d’un personnage infiniment romantique, au sens où le fut Johnny Thunders, via l’héro, et celui d’un éditeur qui continue envers et contre tout à publier des ouvrages qui ne se vendront pas, mais qui auront le mérite d’exister. Dernier exemple en date, les Hellacopters. Bravo !
L’auteur attaque sa conférence avec la projection d’une petite vidéo artisanale. Il veut que le public «passe par mon point de départ». Ce court film de quatre minutes fut tourné par des journalistes français et inclus dans un docu plus important consacré à la contre-culture. On voit Karen Dalton se promener dans les bois du Colorado et chanter un blues avec la voix de Billie Holiday. On note au passage qu’il lui manque des dents. Rien qu’avec ces quatre minutes, l’auteur a conquis son public. Personne ne peut rester insensible à ce chant de sirène surgi du passé.

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Il mène sa conférence avec une sorte de feu sacré. On le sent possédé par son sujet, et en même temps, on sent poindre le côté rasoir de l’amateur de folk. Il évoque longuement le versant bucolique de la vie de Karen, les années passées au Colorado, les jours heureux, les cabanes de mineurs et petite cerise sur le gâteau, il se complaît à lire de généreux extraits de son livre. Sa prose coule comme l’eau fraîche d’une rivière à travers la vallée du bonheur. Il est tellement possédé par son sujet qu’il prête des pensées à Karen Dalton. Exercice périlleux dès lors qu’on se trouve dans le pré carré de la bio. Le jeu consiste à ne pas mordre le trait. Il existe des terrains de jeux où c’est possible, comme par exemple la fiction. Mais pas la bio.
On craint le pire. Karen Dalton n’a rien de la folkeuse bon chic bon genre. Il faut attendre l’évocation du retour de Karen à New York pour renouer avec la réalité de la légende. Il semble que l’auteur ait du mal à évoquer l’héro car il n’en parle que tardivement, comme s’il était obligé de le faire. Oui, Karen Dalton est une junkie à la new-yorkaise et ses meilleurs amis aussi : Tim Hardin, rentré du Viet Nam avec l’héro, et Fred Neil, junkie notoire. C’est une grande banalité dans le milieu artistique new-yorkais et dans ce qu’on appelle la bohème des années 50/60/70. Comme le rappelle Martin Rev dans une interview, à cette époque, tous les new-yorkais prennent de la dope. New York est alors redevenue la capitale artistique du monde. La ville bouillonne d’énergie et de créativité 24 heures sur 24.

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( BOB DYLAN / KAREN DALTON / FRED NEIL )


De la même façon que Fred Neil, Karen Dalton semble vouloir fuir les feux de la rampe. Comme Fred, elle préfère jouer dans des petits clubs et rester au contact des gens. Il existe des enregistrements plus ou moins officiels de Karen Dalton sur scène. Ce sont des documents un peu âpres, pour ne pas dire insupportables. Le conférencier en fait écouter deux ou trois extraits, au risque d’écrouler tout ce qu’il avait patiemment élaboré. Ces extraits mal enregistrés sont de véritables tue-l’amour.

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Karen Dalton finira par accepter d’enregistrer en 1969 un premier album, le fabuleux «It’s So Hard To Tell Who’s Going To Love You The Best». Pierre Lemarchand en passe un titre, une reprise du «Little Bit Of Rain» de Fred Neil (qu’on trouve sur son album «Bleecker & MacDougal»), et d’une certaine façon, il sauve sa conférence en donnant une réelle crédibilité artistique à son héroïne : hit imparable et interprétation bouleversante. Et là, on entre dans un monde, un vrai. Avec une jolie profondeur de champ, comme dirait Jo le photographe. Bienvenue dans la romance new-yorkaise, dans cette poésie urbaine de la nuit hantée par les fantômes de Bird et de Miles Davis.
C’est en effet «Little Bit Of Rain» qui ouvre le bal de cet album devenu culte. Karen Dalton chante à la manière de Bessie Smith, avec une voix de traîne profondément languide. Aucune chanteuse ne va aussi loin qu’elle dans le style papier mâché. Elle récidive dans «Sweet Substitute», avec une extraordinaire vibration de voix fêlée, avec une résonance de black de bar de jazz, car c’est suivi par l’immense Harvey Brooks à la basse. Karen Dalton chante au plus profond du feeling organique, dans l’esprit fantomatique qui caractérisait si bien les dérives vocales de Billie Holiday et de Bessie Smith. Lorsqu’elle entre dans «Ribbon Bow», sa voix semble à l’abandon. Elle chante la partance de la désespérance avec une voix d’angle biaisé. Elle rend le chant complètement immobile, comme suspendu. On reste dans la profondeur du désespoir avec «I Love More Than Words Can Say», un hit signé Eddie Floyd et Booker T. Jones. Elle chante à la Billie, c’est merveilleusement tremblé et sensible. C’est là que ça se joue, chez Billie. Karen finit par exercer une espèce de fascination. Elle tape dans le blues du style when the sun goes down avec «In The Evening». Retour aux années antérieures, à l’âge d’or du jazz de bar et puis elle revient à son copain Fred Neil avec l’excellent «Blues On The Ceiling». Quelle envoûteuse ! - I’ll never get out of this blues again - Harvey Brooks l’accompagne à la stand-up. Même shoot que Billie, c’est du blues de smack. Comme le raconte Etta James, Billie s’envoyait toujours un double shoot d’héro avec un grand verre de gin. Avec «It Hurts Me Too», on a certainement l’un des blues les plus purs de l’histoire du blues, et le plus beau cut de Karen Dalton, car la qualité de sa douleur dépasse les bornes. Elle tape dans son autre copain, Tim Hardin, avec «How Did The Feeling Feel To You». C’est jazzé à l’orée du bois. Elle distille le smack de l’aube et de l’espérance. Elle incarne tout ce monde à merveille et elle finit avec un vieux coup de LeadBelly, «Down In The Street» qu’elle pend à bras le corps.

 

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Michael Lang venait d’amasser dollars et notoriété avec son festival de Woodstock et en 1970 il décida de fonder un label, Just Sunshine Records. Il demanda à Harvey Brooks de s’occuper de Karen qu’il voulait absolument sur son label. Un an plus tard paraissait «In My Own Time», un album encore plus culte que le précédent, pour au moins trois raisons, à commencer par ce chef-d’œuvre qu’est «Something On Your Mind», chanté à la patate chaude. Karen explose ses syllabes au groove des collines du Midwest. Elle atteint une sorte de démesure de la beauté formelle. Son chant fait tout le mucus argenté de sa légende. C’est d’une rare puissance et comme filtré au violon. The hippest chick on the set, disait d’elle Peter Stampfel des Holy Modal Rounders. L’autre énormité de cet album, c’est la reprise du fameux hit Tamla «How Sweet It Is (To Be Loved By You)». Elle se livre à une incroyable dévoration du groove. On assiste en effet à la prestation d’une mante religieuse qui dévore Tamla après la copulation, mais elle dévore Tamla de l’intérieur. Encore de la pure magie avec «Are You Leaving For The Country». Sa mère était Cherokee mais son père devait être un ange irlandais, car il se produit avec cette chanson quelque chose d’unique dans l’histoire de la musique américaine. Oh mais ce n’est pas fini ! Karen fait aussi une monstrueuse reprise du «When A Man Loves A Woman» de Percy Sledge. On appelle ça une cover extrapolatoire. Elle chante comme Donald qui se pincerait le nez s’il en avait un. C’est atrocement bon. Elle est dessus. Elle ne se répand pas comme le grand Percy, non, elle va au contraire chercher le fin du fin de la pure désespérance. Elle chante ça à l’extrême pointe du feeling indien, comme savait aussi si bien le faire Buffy Sainte-Marie. Elle tape ensuite un «In My Own Dream» au groove de voix éveillée et revient à son cher papier mâché. Elle lâche du ting de everyting exceptionnel. Si on aime la musique des mots, c’est elle qu’il faut écouter. En plus, c’est groové derrière jusqu’à l’os du genou, au pur beat de jazz motion et battu à la ramasse fatidique. «Katie Cruel» fait partie des chansons qui fascinent Nick Cave. Karen chante ça à la voix perdue et s’accompagne au banjo famélique. Et puis on se régalera aussi de «Take Me». Elle fait vibrer les accents de sa voix dans une nuit d’encre. Cette femme est belle et même beaucoup trop belle. C’est à l’entendre qu’on comprend qu’elle était devenue inaccessible.

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Signé : Cazengler, daltonien

Conférence «Se Souvenir de Karen Dalton». Pierre Lemarchand. Le 106. Rouen (76). 10 mai 2016
Karen Dalton. It’s So Hard To Tell Who’s Going To Love You The Best. Capitol Records 1969
Karen Dalton. It’s My Own Time. Just Sunshine Records 1971

SEZANNE / 02 - 07 - 2016

NICO'ZZ BAND



Pas besoin de rechercher désespérément Sézanne. C'est tout droit, quarante kilomètres de Provins, n'y ai jamais posé les talons de mes two-tones shoes pour la simple et bonne raison que je n'en porte point, mais aussi parce les ronces noires du destin qui gouverne ma vie ne m'y ont jamais appelé. Mais ce soir, je suis motivé, la faute à Pascal Seher - l'homme qui photographie systématiquement tous les évènements musicaux de la bonne ville de Troyes, qui la veille y a vu le Nico'ZZ Band, les couvre d'éloges et affirme qu'ils seront ce samedi soir en terre champenoise, à Suzanne.

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La teuf-teuf bougonne, vient d'enfiler en ligne droite deux kilomètres de maisons basses aux façades grisâtres, lorsque une barrière métallique au milieu de la chaussée interdit toute progression. Virage d'équerre à quatre-vingt dix degrés, nulle crainte, les anges nous protègent - bien que nous nous préparions à écouter la musique du Diable - nous ont réservés une place de stationnement face au porche de l'Eglise.
Place de la République, pavée, devant la maison de Dieu dans sa froide robe de pierres, vous ne manquerez pas d'admirer les ogives un peu décrépites de la façade, levez les yeux pour atteindre les quarante deux mètres de la tour mastoc qui la limite d'un côté, en face la maison des Hommes, le café à la vaste terrasse et aux alcools chauds comme des caresses verlainiennes qui vous attend. La scène est au bas de l'Eglise, un parvis de chaises plastique en demi-cercle s'offre à vos postérieurs.
Peu de monde - le foot à la télé - mais le peuple du blues est là, je ne parle pas de la dizaine de connaisseurs mais de ces familles massées aux premiers rangs et qui arborent les stigmates des vies difficiles sur leurs traits. Les méfaits du libéralisme libéral sont lisibles à visages découverts, une minorité invisible de riches qui s'engraissent et une pauvreté qui s'étend. Il est temps que l'on recommence à brûler les châteaux.

NICO'ZZ BLUES BAND

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Neuf heures pile. Le blues band monte sur scène. Formation de base : au centre Arnaud Lesniczek derrière sa batterie, à droite Pascal Dumont qui ceint sa basse électrique, à gauche devant le micro Nico le bootle neck frémissant. Et c'est parti pour presque deux heures de bonheur. Slide grave Nico, un guitariste habité. Surfe sur le blues. Chante, une voix claire et puissante, rien à voir avec la carte postale des larynx enfumés et rongés d'alcool de contrebande des vieux bluesmen assis sur la véranda délabrée dans l'étouffante moiteur du Delta. Ce n'est pas que Nico ne connaît pas ses classiques. Les a assimilés mais les a teintés d'un bleu bien à lui, qui lui appartient. A lui et à sa guitare. Un style qui part de BB King mais qui s'en émancipe dès la première note, la même attaque, mais point de séparation avec la suivante, point de ce vide qui l'isole pour qu'on l'entende gémir à satiété, un long glissé qu'il enchaîne tout de suite, point d'interruption, mais pas de saturation non plus, Nico n'entasse pas, ne donne pas dans le vrac, ne déverse pas le camion benne, il fusèle la fluidité. Les notes se suivent et ne se ressemblent pas, les assouplit les arque comme un dos de panthère qui s'étire les pattes en avant, le cul en hauteur, les yeux étincelants du bonheur de la cruauté de la vie. Impossible de détacher son regard de ses mains, l'on en vient presque à regretter quand il mord les cordes, quand il descend faire un tour dans le public, non ce qui nous sidère, c'est la posture, légèrement arquée, les mains au bas du manche, toute sa chair concentrée, toute cette fièvre focalisée sur son rapport avec le corps de sa solid body, une épure érotique d'une gestuelle retenue mais tendue dans le jet spermicide de cette guitare qui miaule, couine, halète, se déchire et désespère de toute satisfaction extatique apothéosiléthale. Le blues comme le balancement acharné de ces vagues infinies qui moutonnent sur des milliers de kilomètres avant de s'écraser sur une grève sableuse, image marine de l'agonie des blue-notes qui descendent les cercueils de nos illusions dans les fosses communes de nos désespérances. Le blues telle une berceuse, cette Meuse endormeuse dont les vers réguliers et répétitifs d'un Péguy scandent à merveille l'inaltérable balancement de ces flots que le trident de Poseidon lance à l'assaut de nos soubassements vitaux. Le blues ébranle les falaises de nos existences, le blues grignote notre vie. Chaque blues écouté est une cigarette de nicotine qui oblitère dix minutes de notre présence au monde. C'est tout cela que raconte la guitare de Nico. Cette désespération ultime, ce regard vitreux des morts sur la transparence évanouie des spectacles extérieurs. Une petite bise froide parcourt la place, les moustiques nous obligent à nous engoncer dans nos vêtements à caparaçonner nos mains dans nos poches, à entrer encore plus profondément en nous-même, le blues est une lame d'acier bleu qui s'enfonce dans nos entrailles, en douceur et en profondeur. Et ce sont les sorciers à la Nico'ZZ Band qui nous font aimer cela.

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Réveillez-vous, sortez de vous mêmes, pauvres escargots humains recroquevillés dans le calcaire de vos coquilles. N'y a pas que le blues dans la vie. Nico'ZZ Blues Band va interpréter ses compos. Du funk à fond. Après le frigidaire mental du blues le calorifère de sa déclinaison tribale. Le funk ce sont les relents africains du blues. On ne joue plus du tam-tam chaque instrument est une percussion. Fêtes du corps, sueurs de sexes. Par deux fois le Band reviendra au funk mais le blues reprendra ses droits, ses doigts sur la guitare.

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Nico est un solitaire de la guitare, mais il n'est pas seul. Possède deux compagnons - pas des accompagnateurs - qui lui pavent l'enfer du blues de leur meilleures contributions. Arnaud à la frappe, en même temps sourde et explosive. Puissante mais qui jamais ne se met devant, tout en restant prépondérant dans la stabilité de la chevauchée commune. Je sais que certains suivront le concert sur ces baguettes incandescentes, et ils n'auront pas tort. J'eusse aimé que la base de Pascal fût un tantinet plus fort. Manquait à mon avis d'un brin de résonance pour goûter parfaitement les arceaux, les arcs-boutants et les contreforts qu'il édifia tout le long de la soirée. Un travail d'une précision absolue qui aurait demandé quelques décibels de plus car quel doigté, quel rythme, quel swing, lorsque ses deux acolytes restaient, rarement, silencieux, et que ses seules interventions étaient en même temps la marque de la brisure rythmique et la continuité intrinsèque de ce qui se jouait juste avant la coupure dans l'impact du morceau.
Un très beau concert. Folie froide du blues entrecoupé de hot stuff funk. Je vous l'affirme ces musicos ne sont pas des demi-sels. Ont tenu emprisonné le public, l'ont fait manger dans leurs mains de magiciens. L'ont captivé, l'ont fasciné, l'ont ravi. L'ont autant plongé dans leur solitude existentielle que dans leur appartenance collective à l'espèce humaine.
Suis reparti comblé.


Damie Chad

NO MERCY / CRASHBIRDS


HARD JOB / HE DRINKS LIKE A FISH / BOOGIE NIGHT / STEAMROLLER / ROLLIN' THE SOUTH / NO MERCY / NEON BAR / SPANISH BLUES / + MONEY ( electric version).

DELPHINE VIANE : vocals & guitare / PIERRE LEHOULIER : Lead Guitar & drum / 2013 /

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Parfois j'ai des humeurs de galopin, je me hisse dans les frondaisons pour pécho les oeufs dans les nids des oiseaux. C'est ainsi, les rockers sont cruels et sans pitié. Justement l'ovoïde ( un spécimen bizarre, le jaune est sur la coquille ) tout mince ( ce que l'on appelle un oeuf sur le plat ) sur lequel je viens de faire main basse, s'intitule NO MERCY, c'est écrit dessus en gros caractères dans un carré rouge. Y a un avion à gueule de requin lamentablement scratché sur un arbre et les deux corbacs qui contemplent le désastre avec un air hypocrite d'intellectuel atterré. Lorsque Delphine Viane a appris que j'allais le chroniquer, l'a poussé des cris d'orfraie - mais c'est un vieux truc ! Nulle crainte damoiselle odontocète, l'ornithologue distingué Corneille nous l'a appris : aux rocks bien pondus, la valeur n'attend pas le nombre des années.
Hard Job, porte bien son nom, le boulot je le leur laisse, je reconnais que c'est du dur de dur, du rock de rock, cadencé à la Steppenwolf et Miss Delphine qui aboie pour rameuter toute la horde. Un appel irrésistible, brisez les barreaux de vos cages et filez droit dans la fournaise du rock and roll. C'est là où vous serez le mieux.
He drinks like a fish, un truc torride qui donne vous soif illico,vous déconseillerez l'écoute aux anonymes de la ligue des gosiers coincés. L'abus d'alcool de rock est dangereux pour votre santé. Mentale cela s'entend, un morceau qui débloque. Le chant de Delphine est celui de la grande tentatrice. Tétez, tétez mes frères à cette dive bouteille, à cette fiole rabelaisienne du sang du seigneur. Et vous ne nagerez plus en eau trouble.
Boogie Night, chez les Crashbirds la nuit n'est pas faite pour dormir. Genre d'oiseaux nyctalopes à s'agiter dans les branches. Frappent sur les cordes de leurs guitares comme des piverts fous. Quant à Delphine faut le reconnaître : ce n'est pas le chant mélancolique du rossignol, vous réveille le patelin en trois goualantes et le Pierre vous sort des ces notes suraiguës à transpercer les tympans des sourds. Quand le boogie bouge the nigth is not light, comme l'écrivit Shakespeare dans Hamlet, juste avant la scène du meurtre de Polonius.
Steamroller, Encore un truc qui balance, mais à la manière des rouleaux compresseurs, écrase tout devant et aplanit tout derrière, Pierre prend un plaisir sadique à appuyer sur votre carcasse et Delphine aide à la manoeuvre en haussant la voix afin de le guider tout en couvrant le bruit de la machine. A la fin du morceau vous vous sentez comme une descente de lit, et le pire c'est que cet état nouveau ne vous déplaît pas.
Rollin' To The South doit aimer le Sud Delphine, ou le détester. En tout cas ça vous la met dans un de ces états. Garez-vous sur le côté et laissez passer. Pas le moment de la contrarier. Avec les guitares qui conduisent à cimetière ouvert, faut se méfier.
No Mercy, ne venez pas vous plaindre. Vous ont avertis. Pas de pitié, le rock and roll c'est pas pour les demi-portions de vache qui sanglote au moindre coup de catastrockphe. En plus, Delphine hurle qu'elle vient de perdre son contrôle, et vous êtes de ces imbéciles qui n'ont pas d'abri atomique au fond du jardin. Vous êtes cuits. Cuit-cuit croassent les Crashbirds.
Néon Bar, vous vous croyez sauvés puisque vous apercevez la lumière clignotante du bar. N'auriez pas dû rentrer, l'atmosphère est pesante et le whisky a un goût de pisse chaude de cheval fiévreux. Vous en ressortez vivant mais vous ne l'avez pas fait exprès.
Spanih Blues, les zoziaux tricotent à l'espagnole, entrecroisent les guitares comme les banderilles plantées sur le dos du taureau, c'est doux et rose comme la longue ceinture de soie que le torero enroule autour de sa taille. Jusque-là tout va bien, vous vous dîtes que vous parviendrez à survivre, Delphine en profite pour entonner un thrène funèbre, une espèce de flamenco-cherokee qui vous fout les jetons, et puis ils repartent dans un fandangrock de mauvais augure. N'est-ce pas l'annonce insidieuse de votre mise à mort?
+ Money, électric version : se moquent du monde, l'on avait compris que n'était pas de la flûte de Pan. Ou alors panique, l'on pousse le bouton rouge de l'electric chair sur laquelle vous êtes complaisamment assis ! Lehoulier secoue le cocotier, mais vous savez, dès que vous agitez deux billets de dix euros, les filles se transforment en tigresse rugissante. Delphine rugit et vous déchiquette en petits morceaux et pour finir Lehoulier balaie les restes à grands coups réguliers de riffs ravageurs.

En plus ils ont engendré ce monstre sonique tous seuls, enregistrement : composition : Crashbirds, mixage  : Crashbirds, production : Crashbirds. Directement du producteur au consommateur. Mais attention ce n'est pas du bio pour les amateurs de sous-développement durable, produit hautement toxique. Superbe, vais en commander une dizaine d'exemplaires et demander au toubib de les utiliser pour remplacer les disques de ma colonne vertébrale. Faut toujours joindre l'utile à l'agréable. En plus la pierre lehoulière, c'est inusable.


Damie chad.

BOB DYLAN
UNE BIOGRAPHIE

FRANCOIS BON


( Albin Michel / 2007 )

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Je ne suis pas un fou furieux de Dylan. L'ai davantage entendu à la radio et chez les copains qu'écouté religieusement durant des nuits et des nuits enfumées. Mais le bonhomme a du talent, je le reconnais. Sait écrire. Mais dans ma tête souffre d'une tare rédhibitoire. Lui attribue l'étiquette infamante de folkleux. Ce n'est pas que je n'aime pas le folk. C'est son public qui m'insupporte. Des petits-bourgeois qui ont déboulé dans le monde du rock, comme si avant eux il n'y avait eu rien d'autre. Son côté révolutionnaire, j'adopte la guitare électrique m'a toujours fait rire. Comme si l'on n'avait attendu que lui. Et les imbéciles qui criaient au miracle comme la poule qui découvre un oeuf à la coque. Vous rendez-vous compte, l'avait emprunté l'instrument de ces sombres brutes de rockers. Quel sacrilège, quelle audace ! Shame et scandale dans la Family comme le chantait Sacha Distel.
Par contre j'aime bien François Bon. Généralement il sait de quoi il parle. Quand il écrit, il ne cherche pas à tout dire, l'exhaustivité est un puits sans fond. Plus vous cherchez, plus vous tartinez. Lui, il essaie plutôt de nous faire partager une vision. Pas un mysticisme à la William Buttler Yeats, mais sa compréhension phénoménologique du sujet qu'il observe. Etudie l'implantation de son objet selon ses rampantes racines généalogiques d'occupation des sols existentiels. Dans KR'TNT ! 43 du 09 / 03 / 2011 nous avions beaucoup apprécié son regard sur les Stones, ne se laisse pas flouer par les paillettes du star-system, garde son calme, clame son admiration sans en être dupe.

UN ROCKER

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Indéniable dans jeunesse Dylan était un rocker. Lui aurait été difficile d'être autre chose. Dans son trou perdu de Duluth, à l'extrême nord du Minnesota, tout près du Canada, un adolescent ne pouvait entrevoir qu'une porte fantasmagorique de sortie, le rock and roll. Ce n'était pas que le jeune Zimmerman fût particulièrement malheureux. L'était même un privilégié : ses parents d'origine juive et modeste tenaient un magasin d'appareils ménager, ce qui lui permit de posséder une télévision avant tout le monde, plus tard il eut sa moto et puis sa voiture. Ses premières amours musicales le porteront vers vers ce country pré-elvisien d'Hank Snow et Hank Williams. Un très beau départ pour un futur rocker qui s'ignore. Fut comme ses millions d'adolescents traumatisés à vie par l'apparition d'Elvis Presley. Enregistre sur un disque souple Be Bop A Lula de Gene Vincent, eut la chance d'assister à un concert de Buddy Holly, et déchaîna les foudres du directeur de son lycée en interprétant le Tutti Frutti de Little Richard aux paroles non expurgées. Car il fit partie de quelques groupes locaux et s'il commença par gratouiller sur une mauvaise acoustique il passa au bout de quelques mois à l'électrique, et s'acharna durant des jours et des jours pour progresser. L'équivalent de son bac en poche, il taffa quelques temps à Fargo où il eut la chance d'être embauché par l'orchestre de Bobby Vee - qui prit la place de Buddy Holly après le crash. Mais il fut remercié au bout de deux concerts pour incompétence... Ne s'en vanta pas et partit s'inscrire à l'université de Minneapolis.

BLUES AND FOLK


N'y a pas que le rock dans la vie, le blues existe aussi. Dylan en aura la révélation en écoutant Big Bill Bronzy. C'est ce chemin-là qui le dirigera insensiblement vers le folk. Ne fréquente que rarement les cours, mais c'est en cette période qu'il commence à se déniaiser. Pas le corps - c'est fait depuis longtemps - la tête, il lit, il écoute, il apprend. Il discute mais rumine beaucoup aussi. Possède des facultés d'imitation et d'assimilation, il emmagasine, n'explique pas aux autres ce qu'il veut, garçon pensif et refermé qui n'en poursuit pas moins un but que personne ne connaît. L'a racheté une acoustique, s'entraîne beaucoup, n'est pas le plus adroit, mais un des plus persévérants. Cheveux hirsutes, tenue négligée, il ne se soigne pas, n'a pas le temps, fait des découvertes essentielles, lit les poètes de la beat generation, est aux aguets de toutes les nouveautés. Vit dans le milieu folk, on le trouve un peu pesant, le gars que l'on héberge trop souvent, qui fréquente les clubs et les cafés dans le seul but de passer en avant-première des chanteurs confirmés, et qui n'est pas assez bon.

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Ecoute Leadbelly, reprend ses chansons et celles de Mississippi John Hurt, est subjugué par l'autobiographie de Woody Guthrie ( voir KR'TNT ! 105 du 05 / 07 / 2012 ), en apprend par coeur tous les morceaux, côtoie Jesse Fuller un blueman noir dont il copie sans vergogne le rythme et l'harmonica autour du cou, assiste à un concert d'Odetta et un autre de Pete Seeger, compagnon de galère de Woody, et enfin une chance extraordinaire : l'attrape une belle pneumonie, qui lui casse définitivement la voix. N'a plus qu'un rêve : New York.
The big apple : janvier 1961, neige, froid et dèche sèche. Chante l'après-midi dans les cafés au chapeau, accompagne Fred Neil sur scène, à l'harmonica, et la rencontre d'Izzy Youg qui tient une boutique d'objets folk plus ou moins d'occasion s'avèrera cruciale. C'est là que Dylan demande au culot à la grande vedette folk Dave Van Rock s'il peut chanter avant son tour de chant au Gaslight, la boîte qui compte. Deviendra un intime du couple Van Rock, les deux hommes s'entraident, discutent, jouent ensemble. Dylan s'élève dans le monde du folk.
Ira visiter Guthrie à l'hôpital. Comme bien d'autres apprentis folkleux, mais les autres ne sont pas devenus Dylan. C'est un adoubement. Une manière de quitter le blues pour rentrer dans la mythographie américaine blanche. L'histoire de l'Amérique, de ce pays parti de rien, de cette immense aventure collective de destins individuels. Guthrie s'est beaucoup inspiré du lot immémorial des chansons populaires, les a retranscrites et adaptées à son temps, les grèves, les luttes sociales. Dylan reprend Guthrie mais il comprend qu'il ne suffit pas d'ingurgiter les chansons du maître, faut les recracher à sa sauce. Autour de Guthrie Dylan rencontre ceux qui tiennent entre leur main le devenir du folk, organisateurs de concerts, éditeurs de musiques, représentants de labels, des personnalités prestigieuses, Alan Lomax, Ramblin Jack Elliott, Paul Clayton, Pete Seeger... Des appuis qui lui permettront de passer au Gerdes le club plus huppé de Mike Porco, en première partie de John Lee Hooker...

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Rencontre le couple Farina, John écrivain et amateur des pionniers qui lui soufflera l'idée d'écrire ses propres textes et qui s'est improvisé musicien et agent de sa femme Carolyn Hester pour qui il décroche un contrat d'enregistrement pour Columbia. Pour se démarquer de la grande chanteuse folk Joan Baez, Farina a l'idée d'un retour de teinte country blues. Dylan tiendra l'harmonica. C'est durant ses répétitions qu'un jour se pointe John Hammond, l'homme à qui la musique américaine doit beaucoup de Billie Hollyday à Bruce Springteen... et vlang ! John Hammond, producteur chez Columbia, en ce mois de septembre 61, signe Bob Dylan, guitare, harmo, talkin' boy improvisé, quinze chansons enregistrées en six heures, on en retiendra douze, un Bukka White, un Blind lemon Jefferson, un Curtis Jones - indéniable influence country blues - et des traditionnels, dont The House of the rising sun à l'arrangement piqué à Dave Von Rank.

METAMORPHOSES

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( Bob Dylan / Suze Rotolo / Dave Von Rank )


Immobilité et changement. Ne se passe pas grand-chose dans le public. La carrière de notre chanteur est au point mort. Mais Dylan agrandit le chant des expériences. C'est aini généralement que l'on perd son innocence. Suze Rotolo est rentrée dans sa vie. N'y restera que deux ans avec une grosse éclipse. N'est pas du genre à devenir bobonne au pot au feu. N'a que dix sept ans mais elle bouscule son amant. Lui ouvre des portes qu'il n'avait pas eu l'opportunité de pousser jusqu'à lors. Lui met le nez dans le maelström des combats pour les Droits civiques et d'un autre côté lui apprend qu'à côté de la chanson populaire, il existe aussi des arts moins immédiats. Lui révèle le monde des peintres, de la littérature, de la Culture avec un grand C. Dylan absorbe les leçons, mais cela ne nourrit pas son homme. Signe avec avec Grossman, lui aussi producteur chez Columbia. C'est un carnassier. Belle lurette qu'il a découvert la révélation qu'auront les Stones dans les mois suivants. L'on touche plus d'argent sur les droits - paroles et musique - que sur l' interprétation. Dylan pige vite. Grossman lui installe un piano dans un bureau et notre impétrant travaillera pendant dix-huit mois à pondre des chansons. Grossman possède l'oiseau rare, sa poule aux oeufs d'or, et Dylan découvre les secrets de l'écriture. Comprend qu'il faut raconter une histoire qui colle au vécu des gens - justement la crise de Cuba et la peur de la bombe atomique obsède les foules - c'est l'air du temps, mettez-y des personnages fantomatiques dans lesquels chacun peut se reconnaître et enchâssez le tout dans un filet de mots troués qui laissent filer le sens dans toutes les directions et qui tombent sur vous et vous emprisonnent comme une nasse. Pour le titre rajoutez une formule forgée à l'enclume, et c'est gagné. Pour la musique Dylan se sert dans le fonds commun, ou chez les amis, maltraite les harmonies, désarticule les structures, fait du neuf avec du vieux. Peter Paul and May - signés par Grossman - pulvérisent le hit parade avec Blowin in the wind, la mécanique Grossman est lancée...

REBEL WITH A DOUBLE CAUSE


Deux rencontres importantes cette année 1963. Amour et poésie. Une femme, un homme. Joan Baez, a love story. Joanie est une star. Une folk star dont les disques se vendent par millions et dont les concerts attirent les foules. Non seulement Dylan fera ses premières parties mais c'est elle qui l'imposera au public en lui demandant d'arrêter de discuter et d'écouter. Avec Joanie Dylan accède à une audience qui n'est plus celle du minuscule milieu des folkleux purs et durs. Joan Baez est aussi une militante des droits civiques, il participera avec elle à la marche devant la Maison Blanche. Certains des meneurs politiques noirs grinceront quelque peu des dents, il leur semble que la carrière de ces chanteurs blancs a davantage bénéficié de leur participation au mouvement qu'ils n'ont apporté à la cause noire...

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Le deuxième disque de Bob Freeweelin' ( 1963 ) marche bien mieux que le premier qui n'avait pas atteint les cinq mille exemplaires l'année de son lancement. Mais c'est le troisième The Times Tey Are A-Changing ( 1964 ) paru peu de temps après le précédent qui assoit sa renommée. Toute la nomenklatura folk se retrouve au festival de Newport où elle fait un triomphe. Les textes de Dylan se teintent d'un engagement politique certain, mais ce sont les discussions avec Alan Ginsberg qui atomiseront l'écriture de Dylan. Ne s'agit pas de composer des chansonnettes mais d'écrire de la poésie. Abandonner l'art mineur de la chansonnette pour la grande littérature. Bretch, Withman, Villon, Rimbaud, Ginsberg permet à Dylan de mieux entrevoir et intégrer les enjeux vertigineux de l'écriture poétique.

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CHANGEMENTS ELECTRIQUES

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Des rencontres dont les conséquences seront déterminantes. Lors d'une virée en voiture on the road au travers des States - l'on en profitera pour s'initier aux bonbons préférés de Johnny Cash - Dylan est frappé par l'énergie électrique de I Want To Hold Your Hand des Beatles. A l'arrière de la voiture il compose Mister Tambourine Man qui sera interprété par les Byrds, des oyseaux qui squattent les fils électriques du renouveau du rock... A Newport où il passe en vedette le public n'accroche guère à ses nouveaux titres qui se retrouveront sur Another Side od Bob Dylan ( 164 ). Dylan semble se dépolitiser. Son écriture s'éloigne des canons du folk. Mais l'en est un qui le défend farouchement. Johnny Cash qui offre une prestation électrique. Comme il est catalogué country, cela passe tout seul. Voilà une série de coïncidences qui donneraient à réfléchir à n'importe qui. Du coup Bobby s'achète une stratocaster... Le quatrième album n'est guère prisé par le public.

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Mais le cinquième - électricité à tous les étages - Bring It All Back Home ( 1965 ) sera un succès. Mot trop faible. C'est avec lui que Dylan rentre dans la légende. Petit folkleux devient rock and roll star. L'atteint à une aura que seuls partagent les Stones et les Beatles. Visite l'Europe, le lecteur se rapportera à l'autobiographie de Marianne Faithfull pour prendre le pouls de l'atmosphère. C'est en Angleterre qu'il écrit les premières moutures de Like a Rolling Stone.

LA RUPTURE ELECTRIQUE


Le morceau sera enregistré de retour aux States. Mike Bloomfield est à la guitare. N'a pas été choisi au hasard. L'a accompagné Muddy Waters, Howlin' Wolf, Little Walter, mais ce n'est pas cela qui intéresse Dylan. A Londres il a congédié Eric Clapton qui joue trop blues, au travers de Bloomfield Dylan recherche l'esprit ramblin' blues, magnifiquement incarné par Robert Jonhson, ne s'agit pas de jouer le blues, faut avant tout incarner sa propre légende au fur et à mesure qu'on la vit. Life like poetry comme avait dit Lefty Frizzell.
L'on en arrive au meurtre des pères. Alan Lomax, Pete Seeger et John Hoffman, les têtes charismatiques et organisatrices de Newport. Redoutent la trahison du fils. Qui passera le Rubicon de l'électricité. Le hasard d'un orage bouscule l'ordre des passages, ce sera après le Paul Butterfiefd Blues Band où joue Bloomield. Je-m'en-foutisme provocatif de Dylan ? Puisque le matos est sur place, autant jouer électrique. Fera trois morceaux qui déchaînent la haine du public. Lorsqu'il descend de scène Johnny Cash sauve la situation, lui passe une acoustique et le renvoie d'autorité sur l'estrade pour deux morceaux. Le folk ne se remettra jamais de cette coupure épistémo-électrique. Durant des années Dylan encourra durant ses concerts les remontrances houleuses de la composante puriste d'un public qui lui reprochera sa commerciale trahison.

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La poursuite de l'enregistrement de Highway 61 revisited - l'autoroute qui descend de Duluth à la New Orleans - en passant par un croisement où un certain Robert Johnson aurait rencontré the Devil in person - se poursuivra dans la même veine que la session de Like a Rolling Stones, Bloomfield à la guitare, Al Kooper à l'orgue, plus un invité surprise pour les overdubs de guitare Charlie McCoy- venu pour l'occasion tout droit de Nashville - qui ne touchera pas à son harmonica mais qui donnera une démonstration de vibraphone. Lorsque l'on est doué en tout...
Pour son groupe de scène Dylan choisit un guitariste qu'il a déjà rencontré Robbie Roberston qui finira par faire embaucher son groupe The Hawks. Les amateurs de rock and roll auront reconnu le combo de Ronnie Hawkins. Bientôt seront rebaptisés The Band. Resteront jusqu'en 1974 avec Dylan. Seront présent sur les mythiques enregistrements des Basement Tapes dont l'intégralité vient enfin d'être livrée après presque un demi-siècle d'attente à l'avide curiosité des fans ces dernières semaines...

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En attendant les concerts s'enchaînent. Durant deux mois Miky Jones - le batteur de Johnny Hallyday - remplace Levon Helm qui ne supporte plus les sifflets du public. De passage à Nashville, Dylan enregistre avec Charlie McCoy et Kenny Buttrey ce qui deviendra Blonde on Blonde, le premier double album de l'histoire du rock ( 1966 )... Hawaï, Australie, Suède, Angleterre, France où le concert déconcerte... la visite à Hughes Aufray chamboulera la perception germinative du rock en France... l'infernale tournée n'en finit plus... Ouf enfin le repos dans sa propriété à Woodstock pas très loin de là où habite Albert Grossman dont l'épouse Sally est la copine de Sara, la femme de Bob.

LA COUPURE EXISTENTIELLE


Accident de moto ? Plutôt l'incident qui fournit l'opportunité du break, rester à la maison, se déprendre des produits, préparer la venue du deuxième enfant, et enregistrer avec le Band ces fameux basement's tapes qui sont des maquettes que Grossman propose à la vente à divers artistes. Grossman qui gagne davantage d'argent que Dylan sur les droits de l'ensemble de ses créations. Le contrat brûle entre les deux hommes...

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La signature ( substantiellement revue à la hausse ) est renouvelée avec Columbia. Dylan produit John Wesley Hardin, enregistré en trois courtes sessions entre octobre et novembre 1967, le disque est dépouillé, pratiquement Dylan et sa voix. J'y ai toujours vu à une analogie avec le Nebraska de Springteen mais cela n'engage que moi... Dylan se lance dans la peinture...

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Nashville Skyline ( 1969 ) ne sera pas un chef-d'oeuvre, Self Portrait ( 1970 ) déçoit lourdement, Dylan a quitté sa propriété de Woodstock, sa prestation au festival de Wight aura été médiocre, sans plus... Achète une maison, manière de se se ressourcer, à Greenwich Village, s'en enfuira deux ans plus tard.

DERNIERE MUE

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New Morning ( 1970 ) sonnera le réveil de la bête. La bande originale de Pat Garrett and Billy the Kid ( 1973 ) offre Knockin' on the Heaven's Door, un chef d'oeuvre. Planet Wawes ( 1974 ) enregistré en studio avec le Band contiendra For Ever Young inspiré de John Keats.

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Dans les années qui suivent Dylan donne l'impression de courir après sa jeunesse enfuie, lui qui ne parvient pas à être à l'aise dans sa condition d'adulte responsable. Se sépare de Sara. L'est une sorte de clochard peut-être céleste mais sûrement millionnaire. S'achète des maisons, enregistre des disques Blood on the Track ( 1975 ) que certains tiennent pour un chef-doeuvre et d'autres pour une oeuvre sans chef... Desire ( 1976 ) et son violon resteront pour certains le dernier disque de Dylan qui compte réellement. Entre les deux albums ce sera la Rolling Thunder Rewiew, une tournée dans laquelle Dylan se lance sur la piste perdue de Woody Guthrie, mais il ne retrouvera jamais le chemin, même s'il suit une sente parallèle.
La suite ( jusqu'en 2006, date de la parution de son livre ) François Bon la parcourt en grands bonds de kangourou géant, trente pages pour presque trente années... Dylan s'y montre fidèle à lui-même, parfois claquemuré dans son orgueil, tantôt donnant le change du boy scout attentionné à ses proches, jamais satisfait de lui-même.

PORTRAIT PSYCHOLOGIQUE


Doté d'un sale caractère, un caractériel mais un taiseux, qui n'en fait qu'à sa tête, un autiste de la communication, le succès lui aura donné un tel ascendant et un si fort pouvoir sur son entourage et ses intimes dont il abuse. Ne vous adresse la parole que si cela lui chante, vous délaisse du jour au lendemain, sans préavis, vraisemblablement sa manière à lui de se démarquer de l'idolâtrie dont il est victime. Ne fait que ce qu'il veut. Perçoit trop l'hypocrisie des relations humaines - la sienne et celle des autres - pour ne pas la fuir. A beaucoup appris des autres, mais il refuse de leur en être redevable. Craint par-dessus tout de s'inféoder à un tiers. A tel point que l'on pourrait lui reprocher un certain manque d'empathie envers ses proches et ses collaborateurs. Essaie ainsi de préserver sa liberté d'agir et de penser. Une conduite de manipulateur discret. Le genre de gars qu'il vaut mieux laisser dans son coin. N'en sera pas malheureux, se débrouillera pour arriver à ses fins. Cette armature intellectuelle ne lui aura pas mal réussi.

Damie Chad.



JAMES BALDWIN
L'EVIDENCE DES CHOSES
QU'ON NE DIT PAS


BENOÎT DEPARDIEU

( Coll : Voix Américaines / BELIN / 2004 )

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Voulu en savoir plus sur ce James Baldin rencontré la semaine dernière dans notre chronique sur Nina Simone. Ai tapé d'instinct dans cette courte biographie de 126 pages écrite par Benoît Depardieu au Havre, la cité rock par excellence. Les grands chapitres de la vie de Baldwin y sont parfaitement résumés mais notre teacher a surtout cherché à analyser le cheminement de la pensée de Baldwin telle qu'il l'a actée en son existence.
James Baldwin a souffert de trois tares congénitales. Dès le premier jour de sa naissance. Un bâtard de sa mère reconnu par le pasteur David Baldwin, un nègre ce qui est un handicap rédhibitoire dans l'Amérique blanche, et fraise de bite sur le tableau un sale pédéraste. Tout pour ne pas plaire.

 

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Elevé dans la religion chrétienne par un père nourricier adoptif sévère et puritain. Le jeune Baldwin sera horrifié et fasciné par le personnage paternel. Lui aussi voudra devenir pasteur. Commencera à prêcher dès l'âge de quinze ans. Abandonnera à dix-sept. Toute sa vie il restera un redoutable harangueur. Sait exposer ses idées, les mettre en scène, les développer, les coucher sur papier, les rendre accessibles au plus grand nombre. Ses Essais polémiques lui assureront une audience respectée et recherchée par les intellectuels blancs et progressistes.
Mais le christianisme lui insufflera une marque terrifiante : la notion de culpabilité. Auto-culpabilité envers ce père adoptif qu'il n'aime pas comme il faudrait. Les conséquences en seront complexes et séminales. Au sens strict de ce mot. Est-on un Homme dès la naissance ou le devient-on ? Naît-on homosexuel ou les circonstances adjacentes nous induisent-elles à adopter un tel choix ? Vaste question à laquelle l'actualité inciterait sans doute à répondre tout en tenant compte des nouvelles théories du genre. Est-ce un démarquage vis-à-vis du modèle paternel ou le moyen de ne pas se couper totalement de la figure par trop imposante du Père qui feront que James Baldwin revendiquera haut et fort son homosexualité ? La pédérastie est-elle le signe que l'on peut tuer le père mais qu'il est impossible de jouir physiquement hors d'un rapport sexuel pleinement viril en tant que rappel incessant, tache indélébile, du meurtre initial et fondateur de sa propre liberté ?

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Dans un premier temps Baldwin essaiera d'esquiver le problème en élisant des pères de substitution - le plus célèbre d'entre eux sera Richard Wrigth, l'auteur de Black Boy - dont il s'affranchira sans regret. Le plus important n'est pas là. James Baldwin appliquera ce noeud quasi oedipien à l'analyse des rapports blancs / noirs. Si les blancs continuent à exercer une domination raciale et économique sur les noirs explique-t-il, c'est pour essayer d'effacer la souillure originelle et symbolique du premier esclave tué par un homme blanc. Nous ne sommes pas loin du mythe du meurtre de Caïn et Abel, mais Baldwin préfère s'en référer à une autre scène biblique : le drame de Cham fils de Noé de couleur noire dont la descendance fut maudite parce que son fils avait contemplé la nudité de son grand-père endormi et s'en était moqué. La peur du blanc provient de la confrontation de son petit zizi riquiqui avec le dur et long membre turgescent du noir. Le blanc ne supporte pas qu'un jour le noir s'en vienne baiser sa femme et que celle-ci y prenne un plaisir bestial de femelle enfin totalement satisfaite. Lors des séances de lynchage les hommes noirs ne sont pas seulement pendus, subissent aussi une émasculation qui en dit long sur les frayeurs de leurs bourreaux. Cette coupure irrémédiable entre le noir et le blanc disparaîtra le jour où les deux frères de couleurs différentes viendront à se considérer avant tout comme des êtres humains...
Cette fin supposée peut apparaître un peu fleur bleue. James Baldwin n'a guère envie d'attendre que le miracle de l'amour humain se réalise. L'est pressé : tout, et tout de suite. Veut bien manifester dans le calme et demander sans violence la pleine application des Droits Civiques aux côtés de Martin Luther King. Mais peu à peu, devant les assassinats répétés d'enfants noirs, il s'en démarquera, se rapprochera des positions des Black Panters et de Stokely Carmichael, et se sent de plus en plus en accord avec certaines des positions de Malcom X, il comprend l'idée d'une séparation radicale des deux communautés, mais détestant toute forme de monothéisme vecteur d'intégrisme, il refuse l'adoption de l'Islam pour en finir une bonne fois pour toutes avec la religion christologique des anciens maîtres. Baldwin ne se convertira point. Se détachera même des mouvements contestataires noirs, blessé d'être mis de côté par ses frères de combat pour son homosexualité. Ne suffit pas de prendre les armes, il faut aussi faire le nettoyage à l'intérieur de son cerveau...

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Ne se sentant plus en sécurité aux Etats-Unis à cause de ses prises de position révolutionnaires, craignant d'être assassiné, en 1970, Baldwin s'installera en France jusqu'à sa mort en 1987. Reste son oeuvre ( romans, poésie, essais, théâtre ) que nous présenterons à notre gré dans de futures livraisons de KR'TNT et sur laquelle Benoît Depardieu se penche avec finesse. Penseur et activiste, il n'est pas étonnant que la figure de James Baldwin soit de nos jours un tant soit peu occultée. Il n'y a de hasard. Seulement des rencontres. Souvent des sens interdits.


Damie Chad,

 

29/06/2016

KR'TNT ! ¤ 288 : RONNIE SPECTOR / LEE FIELDS / HELLEFTY / CRASHBIRDS / NINA SIMONE / LEROI JONES / ZINES

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 288

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

30 / 06 / 2016

RONNIE SPECTOR / LEE FIELDS

HELLLEFTY / CRASHBIRDS

NINA SIMONE / LEROY JONES / ZINES

NEW MORNING / PARIS X / 22 - 06 - 2016
RONNIE SPECTOR

RONNIE BIRD

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Avant de s’appeler Ronnie Spector, elle s’appelait Veronica Bennett. Elle tenait sa couleur de peau d’un joli métissage : père irlandais et mère métisse d’indien Cherokee et de noir, comme Jim Hendrix. Elle chantait dans les Ronettes avec sa grande sœur Estelle et une cousine nommée Nedra Talley. Elles habitaient toutes les trois Spanish Harlem et adoraient Frankie Lymon. Veronica passait ses journées à la fenêtre de sa chambre à regarder les filles de Spanish Harlem déambuler avec des grosses coiffures et des clopes au bec. « I loved that tough look ». Oui, Veronica aimait beaucoup ce look des filles de la rue. Et puis un beau jour la vie des Ronettes vie bascula dans le rêve : Phil Spector les prit sous son aile pour les transformer en pop stars.
Avec Phil les choses ne traînaient pas. Il lui fallait des tubes, et vite fait. Il voulait aussi des nuées de maçons pour bâtir le plus gros wall of sound du monde. C’mon ! Il savait où trouver des collègues pour l’aider à composer des tubes. Il allait taper aux portes des petits bureaux du Brill Building où besognaient les auteurs compositeurs salariés :
— Salut Cynthia, salut Barry ! Alors, et si on composait un petit hit planétaire pour mes nouvelles protégées ? Ça vous dit ?
— Chouette idée, Philou ! Tiens, regarde, il pleut ! On pourrait faire un truc sympa sur la pluie, pas vrai ?
Et Cynthia Weil se met à pianoter une mélodie effarante.
— Tatata, walking in the rain... Tatata, pas mal, hein, Philou ?
— Ouais, c’est pas mal, Cynthia, mais monte un peu à l’octave, là, pour embarquer ton thème, oui là, tatataaaaaaa, aw fuck, quelle mayotte, ma cocotte ! Fuck shit up, on va encore défoncer la rondelle palpitante du Billboard ! Il finira par marcher comme un cowboy, le Billboard, si on continue comme ça, les enfants, ha ha ha ! Quelle merveille ! Rejoue-le, Cynthia ! Tatataaaaaaa, walking in the rain ! Veronica et les deux autres vont nous chanter ça aux petits oignons, vous allez voir !
Une chose est bien certaine : quand on écoute « Walking In The Rain », on frémit. C’est tout simplement dégoulinant de génie, mais un génie particulier, car attentif au global comme au moindre détail. Quant à ce jerk royal, « (The Best Part) Of Breaking Up », on le danse à l’Égyptienne, avec les poignets cassés. On sent les flux du River Deep. On sent le morceau destiné à traverser les siècles. Dans 2 000 ans, on dansera encore ce jerk royal des Ronettes. Et la fin démente, c’mon baby, fut reprise par Brian Wilson.

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Phil file vers un autre bureau :
— Salut Ellie, salut Jeff ! Vous avez un moment ? On pourrait peut-être composer un petit hit pour mes chouchoutes de Spanish Harlem ?
— Oh, toi Philou, on sent que t’es amoureux...
— Hey Ellie, ne vas pas si vite ! Une chose que mon grand-père m’a apprise est qu’il ne faut jamais brûler les étapes, right ? Bon, alors, qu’avons-nous comme idée, chers tourtereaux ?
— I wonder...
— Ah pas mal, Jeff, c’est un titre ?
— Yeah, man !
— Alors, Ellie, pianote-nous l’un de ces petits jives dont tu as le secret....
— Écoute un peu ça, Philou ! Plonk plonk plonk !
— Aw ! Tremedous ! Quelle profondeur ! Vas-y monte-nous ça à l’octave ! I wondeeeeeer ! Pas mal ! Encore un coup de Trafalgar en perspective, hein ? Quelle belle mélodie qualitative ! Ça va leur jerker la paillasse ! T’aurais pas autre chose, Ellie ? Allez, arrête de faire ta mijaurée, tu as bien une idée de riff dynamiteur en tête...
— J’ai ça, Philou, écoute... Dessus, il faudrait des paroles du genre be/ my ba/ by, tu vois, bien ponctuées sur les accords, plonk plonk plonk, tu peux nous écrire des paroles, mon petit Jeff chéri ?
— Ouais ma poulette, attends, be my/ Baby/ Be my little baby/ Say you’ll be my darling/ Be my baby now/ Oh, oh, oh, oh !
— Bon Jeff tu ne t’es pas foulé sur ce coup-là, mais ça suffira. Merci Ellie pour ce nouveau coup de génie. Franchement, je ne sais pas ce qu’on deviendrait sans toi...
« Be My Baby » incarne le génie productiviste de Phil Spector à l’état le plus pur. Et le génie composital d’Ellie Greenwich à l’état le plus torride. Comme résultat de la combinaison des deux, on obtient le démarrage de refrain le plus foudroyant de l’histoire du rock. Fallait-il que Phil et Ellie soient géniaux pour nous servir une telle merveille ! Brian Wilson conduisait sa voiture lorsqu’il l’entendit pour la première fois à la radio. Il fut tellement frappé par la puissance de ce hit qu’il perdit le contrôle de son véhicule.
— Tu vas peut-être penser que j’exagère, Ellie, mais il me semble deviner au pétillement de ton regard que tu as encore une idée en tête.
— On ne peut rien te cacher, Philou. J’ai effectivement un truc qui me gratte l’ovule depuis un moment. Ça donne quelque chose comme ça... Plonk plonk plonk. Là-dessus, il faudrait chanter quelque chose du genre, Ba/ By/ I love/ You... Tu vois, Jeff chéri ?
— Ah oui, je le sens bien, mmmmm... On pourrait essayer ça... Come on baby/ Oh-ee baby/ Baby I love only you !
— Jeff, fais attention, tu pourrais te faire une entorse au cerveau, si tu fais trop d’efforts... Bon, on va mettre nos trois biquettes en studio demain matin et orchestrer ce nouveau hit greenwichien comme il se doit ! Merci de votre collaboration, mes amis !
« Baby I Love You » bénéficie d’une attaque démente. C’est l’archétype du couplet pop secoué aux tambourins. On est sidéré par l’extraordinaire classe de l’inventivité de Phil Spector et d’Ellie Greenwich. Et le refrain vaut aussi pour un archétype surnaturel. Il n’est pas surprenant que Joey Ramone soit devenu FOU de cette chanson.

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Quand le premier album des Ronettes est arrivé en Europe, ce fut une déflagration atomique, mais au sens positif de la chose. On trouve aujourd’hui un autre album des Ronettes qui s’appelle « Volume 2 » et qui propose un sacré lot de petites merveilles du même acabit. Phil Spector composait des choses avec Harry Nillson, comme par exemple ce « There I Sit » intrigant car sous le vent et accompagné par des marteaux piqueurs. On trouve aussi une autre merveille signée Phil Spector, Cynthia Weil & Barry Mann, « (I’m A) Woman In Love », qui décolle à un moment, uniquement pour tétaniser les esprits. Retour d’Ellie avec « I Wish I Never Saw The Sunshine », une machine à jerker d’un éclat invraisemblable et qui explose à la face du monde. Aujourd’hui, on ne voit plus des montées comme celle-là dans les hits pop.
Phil et Ronnie se sont mariés, puis Ronnie s’est plainte de Phil. De 1968 à 1972, elle a vécu comme séquestrée dans leur belle villa d’Hollywood : barreaux aux fenêtres, clôture électrifiée, chiens de garde - All he wanted me to do was stay at home and sing Born To Be Together to him every night - Elle s’évada et divorça.
Et là, elle a commencé à en baver. Elle s’asseyait sur une réputation, mais elle n’avait plus que sa voix. Toute la magie d’antan s’était envolée. Pfffff, plus rien. Ce sont des gens comme John Lennon, Joey Ramone et Amy Whinehouse qui imitait son maquillage et sa coiffure qui l’aidèrent à revenir dans l’actualité.

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En 1980, elle essaya d’enregistrer un album de rock new-yorkais, le fameux « Siren », mais ce fut douloureux, et pour elle et pour nous. Elle avait pourtant rassemblé une grosse équipe, Cheetah Chrome des Dead Boys à la guitare, Billy « Wrath » des Heartbreakers à la basse et d’autres gens avec un bon curriculum, mais les morceaux restaient d’une affligeante banalité. Elle attaquait pourtant avec « Here Today Gone Tomorrow » des Ramones. Elle enchaînait avec « Darlin’ », une sorte de petit hit bien balancé et solidement interprété, mais on était loin des fastes d’antan. Elle allait même chercher le « Anyway That You Want Me » de Chip Taylor popularisé par les Troggs, mais encore une fois, le jus céleste faisait gravement défaut. Phil en aurait fait un chef-d’œuvre, c’est évident. Elle sortait de cette aventure malheureuse avec « Happy Birthday Rock’n’Roll », l’occasion pour elle de tripatouiller la nostalgie et d’envoyer des extraits de « Be My Baby ».

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Quelques années plus tard, elle réapparût avec un album encore plus médiocre, « Unfinished Business ». Elle tentait désespérément de retrouver la veine du Brill, mais ça ne marchait pas, car elle tombait dans tous les pièges de la prod des années 80. C’était carrément de l’abattage. Le disque était tellement mauvais que le disquaire qui le vendait me l’offrit. Le seul morceau sauvable de ce disque était celui qui se nichait en fin de face B, « Good Love Is Hard To Find », une petite pièce de r’n’b aux allures de good time music qui accroche bien car très vivace.

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En 2006, Ronnie fit une espèce de come-back avec l’album « The Last Of The Rock Stars » et une palanquée d’invités : Joey Ramone, Keef, Nick Zinner des Yeah Yeah Yeah, les Greenhornes, les Raveonettes, Daniel Rey et quelques autres personnalités. « Work On Fine » sonnait comme un morceau de légende. Dans cette fabuleuse reprise d’Ike Turner, Keef donnait la réplique à Ronnie - yes darling - Ils en faisaient une merveille de groovitude. L’autre grosse pièce de cet album était « Hey Sah Lo Ney », une reprise de Mickey Lee Lane popularisée par les Detroit Cobras sous un autre nom, « Hey Sailor ». Avec sa version, Ronnie s’en sortait avec tous les honneurs. « Ode To LA » était une tentative désespérée de revenir au temps béni du Brill. Sune Rose Wagner des Raveonettes s’était cru autorisé à singer Phil Spector et Ellie Greenwich en proposant une pop-song aventureuse et en la produisant avec les pompes d’antan. Mais ça ne marchait pas. Pourquoi ? Tout simplement parce que Phil Spector est un génie, alors que Sune Rose Wagner n’est qu’un Danois. On retrouvait aussi sur cet album une nouvelle mouture du « Here Today Gone Tomorrow » des Ramones, épaulée par des backings chancelants qui lui donnaient une allure extraordinaire. Ronnie savait que Joey était dingue des Ronettes, alors Ronnie est devenue dingue des Ramones, ce qui semblait logique. Elle soignait tout particulièrement la petite montée de fin de cut. Sur d’autres morceaux, on entendait Daniel Rey jouer de la guitare, et pour tous les amateurs de gros rock new-yorkais, c’était un plaisir que de le retrouver au coin du bois.
Et puis soudain, nous voilà tous rendus en 2016 ! Il s’est écoulé 52 ans depuis l’irruption des Ronettes dans les hit-parades. Ronnie revient dans l’actualité avec un nouvel album et un concert au New Morning. Que peut-on espérer de mieux dans nos misérables existences ?

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L’album s’appelle « English Heart », et comme son nom l’indique, c’est un album de reprises de hits anglais. Ronnie explique qu’elle est restée nostalgique de sa première tournée en Angleterre, alors elle tape dans « Because » des Dave Clark Five - Bekos ! Bekos ! - Elle y va avec toute la fougue de sa jeunesse perdue. Elle tape bien sûr dans les Stones qu’elle a bien connus avec « I’d Much Rather Be With The Girls » - une compo d’Andrew & Keef. Elle en fait un racket, transformant les girls en boys. Encore plus gonflé : sa version de « Tired Of Waiting » des Kinks, mais la voix ne colle pas, c’est trop putassier. Et ça continue avec les Zombies (« Tell Her No »), les Beatles (« I’ll Follow The Sun » - ce vieux b-side d’EP qu’on finissait par adorer), Sandie Shaw (« Girls Don’t Come »), et puis cette surprenante reprise d’« How Can You Mend A Broken Heart » des Bee Gees dont elle fait une version incroyablement osée, nappée d’orgue et pulsée au Spanish Harlem beat. Ronnie se prend au jeu et elle enchante sa nostalgie.

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Oui, car désormais, tout cela n’est plus qu’une histoire de nostalgie. Voir arriver Ronnie sur scène, c’est voir arriver la fin d’une époque magique. Elle incarne ça aussi bien que les stars de son âge encore en activité. Elle dégage un truc que ne dégageront plus les nouveaux prétendants au trône. Il faut désormais accepter que ce chapitre de l’histoire du rock se referme. Et d’ailleurs, notre propre chapitre, c’est-à-dire celui des gens qui ont grandi avec, va se refermer avec. Voilà, ça se termine, mais au moins ça se termine en beauté.

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Un seul concert de Ronnie Spector suffit à recréer cette magie perdue, à laquelle nous fûmes tant attachés et qui d’une certaine façon nous a façonnés, en nous protégeant de la médiocrité. Quand on écoutait les hits de Phil Spector ou de Brian Wilson, on ne pouvait pas s’intéresser à la variété française. Et Ronnie Spector sur scène, ça ne trompe pas. Elle apparaît toute de noir vêtue, silhouette impeccable, rayonnante, d’évidence ravie de l’accueil des Parisiens.

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Elle crée aussitôt de l’émotion et paf, elle envoie « Baby I Love You » histoire de nous sonner un peu les cloches. Et tout le set sera placé sous le signe de l’émotion, car encore une fois, Ronnie tape au point le plus sensible de l’histoire du rock. Elle est accompagnée par trois délicieuses choristes et un backing-band irréprochable. Elle commente toutes ses chansons et le public boit ses paroles.

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Elle quitte la scène pendant une version torride de « What’d I Say » et revient pour envoyer au firmament un « Walking In The Rain » qui n’a pas pris une ride. Bien sûr, ce n’est pas le wall of sound, mais par sa seule présence et par son charisme, Ronnie se situe bien au-delà de toutes les attentes. Elle incarne tout simplement la grande pop américaine. Elle a exactement le même genre de classe et de stature que Martha Reeves ou Mavis Staples. Et voilà qu’elle balance une version un peu funky de « You Can’t Put Your Arms Round A Memory » et quitte la scène en plein dans l’apothéose de « Be My Baby ». Au premier rang, on voit des mâchoires se décrocher. Rappel ? Pas rappel ? Si, rappel ! Elle fait un retour triomphant pour rendre hommage aux guys - A little dating with John - avec « I’ll Follow The Sun » qui passe mille fois mieux sur scène que sur son dernier album et puis c’est l’explosion atomique avec « I Can Hear Music », l’un des hits pop les plus ravageurs de l’âge d’or.

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La petite métisse de Spanish Harlem mérite bien sa place dans l’Olympe des temps modernes, parmi les vivants et les morts, les dieux ailés et les dieux cornus.

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Signé : Cazengler, un Spector des travaux finis


Ronnie Spector. Le New Morning. Paris Xe. 22 juin 2016
Ronettes. Presenting The Fabulous Ronettes Featuring Veronica. Phillies Records 1964
Ronettes. Volume 2. Phillies Records 2010
Ronnie Spector. Siren. Polish Records 1980
Ronnie Spector. Unfinished Business. Columbia 1987
Ronnie Spector. The Last Of The Rock Stars. High Coin 2006
Ronnie Spector. English Heart. Caroline Records 2016
Ronnie Spector. Nobody’s Baby. Lois Wilson. Mojo #256. March 2015



LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 12 - 05 - 2016


LEE FIELDS

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BATTLE FIELDS


— Morris ?
— Yeah Morris Levy speaking !
— James à l’appareil... James Brown...
— Ooooh Mister Dynamiiiite ! Que me vaut l’honneur ?
— Un petit service à te demander... Oh pas grand chose...
— Dis toujours...
— Figure-toi qu’un fucking nabot nommé Lee Fields me fait de l’ombre.
— Quel genre d’ombre ?
— En studio, et puis aussi sur scène. Certains journalistes commencent à insinuer qu’il est bien meilleur que moi...
— T’as vérifié ?
— Ben oui, mec ! Tu me pends pour une bille ou quoi ? Bootsy m’a ramené un disque du nabot. Son truc s’appelle «Dreaming Big Time». Je vis ça comme un affront mortel, Morris.
— Bon, je vois... Tu attends quoi de moi exactement ?
— Ben que tu règles le problème !
— Réglé comment ? Une balle dans chaque rotule ou l’éradication ?
— Même avec des béquilles, il serait encore capable de danser comme un funkster de la planète Mars. Non, il faut l’éradiquer, Morris, c’est plus sûr !
— Okay, James. J’envoie une équipe. Ça tombe bien, ils sont dans mon bureau, et ils se frottent déjà les mains. Mes associés ritals adorent casser du nègre, ha ha ha !
— Merci Morris, que Dieu te garde !
— Attends attends, on a oublié un petit détail...
— Quoi ?
— J’ai des frais, James ! Tu sais bien que je ne travaille jamais à l’œil ! Que penses-tu d’un petit pourcentage de 30 sur tes ventes de disques ?
— Heiiiiiiiiin ? Mais tu veux me mettre sur la paille, fucking jew !
— Fais gaffe à ce que tu dis, James !
— Mais 30% sur mes ventes, c’est des milliards de dollars, Morris !
— Bon alors 25, mais c’est mon dernier prix !
— Mais t’es malade !
— Encore un mot de travers et j’appelle ton copain Lee Fields pour lui faire part de notre conversation...
Il y a un grand blanc au bout du fil. Puis James reprend :
— Dac pour 25, mais je veux que ça soit réglé dans les 24 heures !
— Tu peux compter sur ton pote Momo ! Demain à la même heure, Lee Fields aura disparu sans laisser de traces...

Le lendemain soir, les deux gorilles de Morris Levy rentrent au bercail. Ils affichent tous les deux une mine fermée. Ils s’assoient sans dire un mot dans la banquette. Morris sort une bouteille de scotch du mini-bar et trois verres remplis de glaçons.
— Ça s’est bien passé les gars ?
— ...
— D’habitude vous êtes plus loquaces...
— ...
— Un problème ?
— Vas-y Lucky, raconte ça à Morris...
Le regard de Lucky reste noyé dans l’ombre du petit chapeau à la Sinatra.
— Bon, Morris, faut pas prendre la mouche. Ça s’est pas passé comme prévu...
— Quoi ?
— Attends, t’énerve pas.
— Vous n’avez pas fait le boulot ?
— Laisse-moi t’expliquer...
— Vas-y, je t’écoute...
— Bon, on est arrivés comme prévu, avec la tronçonneuse et les pelles dans le coffre. On est entrés chez lui par derrière. Carmine avait vissé son silencieux. Le fucking nabot était dans son salon. Il dansait devant la télé. Il a dû entendre le parquet craquer. Il s’est retourné, il nous a vus et il s’est mis à faire des pas de danse. Carmine a essayé de le buter, mais ce fucking nabot était vif comme l’éclair ! Il m’a sauté dessus, m’a mis un coup de karaté dans la pomme d’Adam et il a désarmé Carmine d’un coup qui aurait pu lui casser le bras. Ensuite, il nous a attachés tous les deux sur des chaises et il nous a obligés à écouter l’un de ses disques, «It’s Hard To Go Back After Loving You»...
— Et alors, bande d’imbéciles ?
— Le disque est sacrément bon, Morris ! Carmine et moi, on est devenus fans, ahhh mama mia !
— Vous vous foutez de ma gueule, j’espère...
— Sur la Vierge Maria, je te jure que ce disque est bon, Morris !
— Non, les gars, ça suffit, je trouve que votre blague a assez duré...
— Mais Morris, c’est pas une blague...
Une chape de silence tombe sur le bureau. Lucky reprend son monologue d’une voix encore plus grave :
— Tu devrais écouter un cut qui s’appelle «You Got Another Thought», c’est un boogie slow de rêve que tu peux danser avec une petite pépée bien roulée, tu vois ce que je veux dire ? Et puis t’as «A Sacred Man Can’t Gamble», un vieux funk amené à coups d’oh yeah et avec de grands airs ! Derrière Lee, t’as un mec qui fait des yeah quand il faut. Ahhhhh Morris, c’est fantastico ! C’est monté comme un coup de génie, Morris ! C’est pulsé et suivi à la trace par le poto d’oh yeah ! C’est un cut qui va te rendre dingo, Morris, tu peux me croire ! Et ça continue avec «All Up In It» ! Encore du jive de funk comme on n’en voit plus. Ce fucking nabot chante au sommet d’une dégueulade de soul de charme, c’est du James Brown sur-vitaminé ! Et sur ce disque t’as encore un truc de fou qui s’appelle «Freak On The Dance Floor», un cut de dance de rang royal. Là tu peux danser the night away et lever un freak-out dont t’as pas idée...
L’autre gorille demande la parole :
— Sans vouloir t’offenser, Morris, j’ai craqué moi aussi pour le fucking nabot. J’ai payé deux dollars «Let’s Talk It Over», la réédition de son premier album paru en 1979. Tu vois, c’est pas cher... Figure-toi que là-dessus, tu as deux hits de funk planétaires : «Wanna Dance» et «She’s A Lovemaker». Lee shake son booty comme James Brown, il est foutrement sexué - Let me see you move ! - Quant à Lovemaker, quelle pétaudière, mama mia ! Lee pulse comme un piccolo diabolo ! L’élève dépasse le maestro, yeaahhhh ! Dans les bonus, tu tomberas sur «Fought For Survival», fantastique machine de guerre funky et ça continue avec un «Funky Screw» à la Jaaaames Brown qui boote le popotino de cœur de funk. Par la wha-wah et son ample saxitude, «The Bull Is Coming» va te renvoyer au géant Isaac, tellement c’est joué à la classe pépérito.
À moitié en transe, Lucky reprend la parole sans la demander :
— T’as un autre album de dingo, Morris, c’est «Coming To Tear The Roof Down» ! Va directement sur le morceau titre et bham ! Lee te chante ce truc d’une voix verte et ça vire funk énoooorrrrmito, c’est un embrouillage du diabolo, il t’embarque dans l’enfer du funk et t’as aussi «Talk Is Cheap», monté sur des power-chords funky ! Il faut que tu voies comment le fucking nabot s’accroche au beat, ces mecs jouent avec leurs tripes, c’est le cut de la dernière extrémité ! Et t’as encore du funk avec «Nasty Sexy Dance», joué aux percus sèches, ça te saute à la gueule, Morris ! Oh le son ! Et avec «Let Me Be The One», le fucking nabot enfonce son beat à coups de talon dans le cul des annales ! Tu te relèveras la nuit pour écouter ce disque ! Tu as aussi «I Won’t Tell Nobody» joué à la cloche funky. C’est du stomp de funk, on n’a encore jamais vu ça !
Blanc comme un linge, Morris donne un violent coup de poing sur son bureau :
— Bon, ça suffit ! Je vous laisse la vie sauve, je ne mets pas de contrats sur vos têtes, mais vous quittez immédiatement la ville ! Je ne veux plus jamais revoir vos têtes de bibards !

Chaque fois que la situation se complique au-delà du raisonnable, Morris Levy prend conseil auprès de son ami Vito Genovese, expert en matière de résolution d’équations. Ils se retrouvent dans la salle du fond d’un petit restaurant de Little Italy. Morris lui raconte dans le détail l’épisode précédent. Vito pose sa fourchette et plonge un regard humide de compassion dans celui de Morris :
— Ah oui, je comprends, mon petit Morris... Délicat, très délicat... Pour récupérer quelques milliards de dollars, tu commets l’erreur de céder au caprice de James Brown. Maintenant, si tu veux sauver la face, tu vas être obligé de le descendre. Délicat, très délicat...
— Pourquoi dis-tu que c’est délicat ?
— Mais voyons, rompiscatole, tu ne sais donc pas que je suis fan de James Brown ?
— Tu te fous de ma gueule, j’espère...
— Sur la Vierge Maria, je te jure que non, Morris !
— Non, Vito, ça suffit, je trouve que ta blague a assez duré !
— Mais Morris, c’est pas une blague... Si tu touches un seul cheveu de la tête de James Brown, je demanderai à Benny Eggs de t’emmener faire une promenade du côté des docks, tu vois ce que je veux dire ?
— Bon, ça va comme ça, Vito, ne te mets pas en rogne ! Dis-moi plutôt comment je peux sauver la face dans cette putain d’histoire !
— Délicat, très délicat... Tu es baisé, Morris...
— Que veux-tu dire ?
— Ce que je viens de dire. Tu es baisé...
— Ça veut dire quoi en clair ?
— C’est toi qui dois disparaître.
— Tu te fous de ma gueule, j’espère...
Vito s’essuie la bouche avec la grande serviette à carreaux.
— Un chef de famille ne doit pas commettre d’erreur, tu comprends, Morrilito, ça rejaillit sur les autres familles... Nous devons tous veiller à rester immaculés, comme la Vierge Maria...
Et Vito se signe.
Un ange passe. Morris en profite pour sortir son Beretta - Bahmmm ! Une balle entre les deux yeux de son ami Vito ! Les deux hommes qui montaient la garde à la porte de la petite salle entrent en trombe, les armes à la main :
— Ça va chef ? Oh mince, vous avez descendu Don Genovese !
— Mais non, abruti ! Le coup est parti tout seul ! C’est un accident ! Fais courir le bruit immédiatement, sinon, on va encore avoir une guerre des gangs sur les bras. Ce n’est plus de mon âge !

Morris croit avoir réglé le problème, mais il se trompe. Vito avait raison, le problème reste entier. Impossible de sauver la face. Et sans conseiller avisé, un chef de famille perd l’initiative, c’est-à-dire l’avantage.
Morris sait qu’il va devoir se tirer une balle dans la tête. Mais il veut quand même comprendre comment il a pu se faire baiser par un fucking nabot. Le seul moyen de comprendre, c’est d’écouter ses disques. Alors, il envoie un de ses hommes acheter les albums de Lee Fields chez le disquaire du coin de la rue.

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Il commence par écouter l’album «Problems». Dès l’intro du morceau titre chauffé à blanc, Morris tombe de sa chaise. Lee Fields fait du pur James Brown, il sonne comme un petit délinquant black et derrière lui, ça rampe dans l’ambiance mortelle de la mortadelle, oh yeah, il est dessus, il est dedans, il sort le meilleur groove rampant du mondo bizarro, il chauffe ça au pas de danse, les mains à plat, all the time ! Et ça continue avec «The Right Thing», pur jus de funk africain, claqué aux percus. Lee entre là-dedans comme un cake, à la chaudarde de yeahhhh de James et c’est fan-tas-tique, claqué aux guitares et tututé à la basse. Il a tout. Lee est un géant du funk business, il sort de terre pour éclater au grand jour, c’est complètement démentoïde - You turn me on ! - Il refait son James Brown dans «Bad Trip» et il passe au funk définitif avec «I Don’t Know When I’m Going». Il gueule comme un Mister Dynamite survolté, c’est un vrai feu d’artifice funk. S’ensuit un cut de clap nommé «Clap Your Hands» qui palpite dans l’effarance de l’excellence. Et puis voilà que tombe du ciel un hit universel : «Honey Dove» - Oh baby love - un mélopif extraordinaire à la Barry White. Lee revient à James Brown avec «I’m The Man» et termine cet album fabuleux avec une pièce de soul somptueuse, «You Made A New Man Out Of Me». Lee ne raisonne qu’en termes de firmament. Morris n’en revient pas. Il est hagard, comme frappé de stupeur.

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Il retrouve l’excellent «Honey Dove» sur «My World», un album plus soul, c’est vrai, mais Lee ne fait que de la soul dévastatrice - My baby love - C’est imparable, il chante «Honey Dove» au timbre jaune et ardent. Il est hanté par la soul et visité par les démons du spirit. C’est d’une infernale beauté factuelle. L’autre hit de l’album s’appelle «My World Is Empty», soul dense et pas dense comme l’ouate du paradis et l’étoupe du canon, merveilleuse exaction longitudinale d’accès immédiat. Des alizés portent les chœurs et le son coconute. Et puis il faut entendre la ligne de basse qui traverse «Ladies». Filigrane ensorcelant. Voilà encore un chef-d’œuvre de soul moderne.

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Fébrilement, Morris sort «Treacherous» de sa pochette et pouf, il retombe sur un coup de génie intitulé «We’re Here To Turn It Off», un funk tribal exceptionnel, une pulsion de la forêt profonde. Quel radicalisme ! Morris n’en revient pas. C’est du funk africain, Lee mène le bal des sorciers, il va plus loin que les autres compères et il éclate de rire au cœur du shuffle. Avec «At The End Of The Day», Lee tape dans la groovitude de James et de Marvin. Il est enragé, il ne lâche rien. Morris commence à comprendre. Ce fucking nabot de Lee Fields dispose d’un tempérament exceptionnel. Il fait du funk statique avec «Dance Like You’re Naked» et ça sonne comme le meilleur funk de la planète funk. Morris comprend que James Brown ait pu trembler pour sa couronne. D’autant que Lee embraye sur «I Want You So Bad», une pièce de soul coulante qu’il tartine au plus chaud de l’intimité organique. Lee se fait merveilleusement insistant, il chante ça à la percée fatale, il révèle un côté persuasif exceptionnel, il finit toujours par l’emporter.

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Morris ressort la bouteille du mini-bar et boit directement au goulot. Il sent qu’il devient fiévreux. Il sort «Faithfull Man» de sa pochette et écoute le morceau titre, une sorte de plaidoyer soul d’un homme noir fasciné par le James Brown d’«It’s A Man Man’s World». Admirabilis ! Lee prend sa soul au chant ardent, avec une stupéfiante présence, il est dans l’ultra-brownisation des choses. En B, il chante «Wish You Were Here» en vrai screamer de plaintif intrusif. Il force les vulves à la hussarde. Et oh surprise, voilà qu’il tape dans la stonesy en reprenant «Moonlight Mile». C’est quasiment le hit de l’album tellement il chante ça bien. Il enchaîne avec un chef-d’œuvre de deep soul, «It’s All Over (But The Cryin’)» - It’s been three long years/ Since I Lost my mind - Lee est un fantastique installateur de pathos, il pressurise son froti, c’est à pleurer tellement c’est intense. Lee n’enregistre que des disques très denses, qui ne s’écoutent pas comme ça, en cinq minutes. Morris comprend que Lee Fields appartient à la caste des immenses artistes. Ce fucking nabot boucle sa B avec «Walk On Thru That Door». Il travaille tous ses cuts avec plusieurs spécialistes et chante une soul hyper travaillée avec un souci constant d’exploser la légende, il recherche le coin du bois, l’impossible renversement des conjonctions, il re-pétrit la vieille soul avec l’ardeur d’un petit artisan épuisé de ne plus croire en rien et pourtant il pétrit son pétrin, il pète ses ouates et revendique ses bretelles de Soul Brother number ce qu’on veut.

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Morris tombe alors sur un autre «Faithfull Man». Oh, ce sont les versions instrumentales des morceaux qu’il vient d’écouter ! Le hit de Lee qui donne son titre à l’album fonctionne très bien en instro, avec sa petite contre-mélodie incisive et sa bassline en quinconce. Du coup, «I Still Got It» instro passe aussi comme une lettre à la poste. C’est amené comme un groove d’anticipation. Les Expressions vont bon train. Pour des petits blancs, ils s’en sortent plutôt bien. Mais tout n’est hélas pas du même niveau. La bassline sauve un cut comme «Still Hanging On» et de l’autre côté, ils tapent le «Moonlight Mile» des Stones à l’instro, ce qui n’est pas forcément une bonne idée. Morris retrouve l’aspect ensorcelant de la soul du fucking nabot dans «It’s All Over (But The Crying)». Ces instros valent pourtant le détour, car tout est soigné, très travaillé et admirablement arrangé.

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Morris finit son tour d’horizon avec l’album «Emma Jean». Le fucking nabot attaque «Just Can’t Win» à la voix fêlée. Il tape dans le groove des géants de la terre. Sa voix ne trompe pas. Il chante la meilleure soul qui se puisse concevoir aujourd’hui. Il tape dans l’universalisme, dans un abîme de son qui embrasse l’osmose du cosmos. Morris écoute ensuite «Standing By Your Side», une sorte de r’n’b à l’ancienne orchestré par devant dans le mix. C’est de la démence baveuse pure et dure. Morris assiste à une hallucinante progression du son sous-jacent, une merveille de dosage, c’est pulsé dans la jugulaire du cut, Ce Lee Fields est un vrai démon, se dit Morris, l’écho du beat bat devant et le solo éclate sa grappe. Le beat rebondit et les cuivres l’endorment. Lee Fields allume tous les feux. Il tape aussi dans la soul de winner avec «It Still Gets Me Down» - When I see you around - Lee ne lâche jamais la rampe. Il chante à fond de deep. Il enchaîne avec un «Talk To Somebody» à la James Brown. Il sort à la fois la même attaque et la même voix, en tout seigneur tout honneur. Il tient son groove par les cornes. Il joue le funk de l’abdo. Ce mec a du génie, Morris finit par l’admettre. Ce fucking nabot a une vision claire de son art, ce qui n’est pas le cas de Morris.
Le moment est venu d’en finir. Morris comprend très bien qu’il ne pouvait pas faire le poids face à Lee Fields. Il arme son Beretta et enfonce le canon dans sa bouche. Bhammm !

Morris Levy a commis deux erreurs coup sur coup : sous-estimer un personnage comme Lee Fields et bien pire, rater le concert de Lee au 106.

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Pourtant, quand il arrive sur scène, on s’interroge. Lee Fields n’a rien du Soul Brother habituel. Il avance vers le micro en se dandinant, avec une bouille de gamin vissée sur un corps de petit pépère. Comme ses musiciens l’ont annoncé comme au temps des revues, le public l’acclame. Il porte l’une de ces vestes brillantes ornementées comme seuls osent en porter B.B. King et Little Milton.

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Il attaque avec un «All I Need» terriblement bien senti. En performer accompli, il chauffe la salle aussitôt. Il alterne les gros raids de deep soul avec les virées funky et il ahurit littéralement un public peu habitué à ce genre d’exactions. Il passe rapidement du statut de petit bonhomme à celui d’immense artiste. Il screame sur des crises de cuivres, il double les délires de guitare de cris d’alarme, il virevolte, mime James Brown pour que les choses soient bien claires, il reste en contact permanent avec son public.

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On assiste à l’éclatante victoire d’un grand artiste noir. Lee Fields établit une fois de plus l’immense supériorité funky du peuple noir. Il jette toute sa vie dans la balance.

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Il ne fait pas un show, il EST le show, il est le funk à deux pattes et la voix d’un art majeur. Comme les autres Soul Brothers, Lee Fields incarne le black is beautiful hérité des sixties et lui redonne du punch. Il finit avec l’excellentissime «Faithfull Man» et revient vêtu d’un petit gilet rouge à la James Brown pour un knock-out final, l’interplanétaire «Honey Dove». Oh yeah, baby love nous berce le cœur de langueurs monotones, et il tire sans fin sur l’élastique de sa chanson magique.

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Signé : Cazengler, Lee Vide

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Lee Fields. Le 106. Rouen (76). 12 mai 2016

 

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Lee Fields. Coming To Tear The Roof Down. Ace Records 1983

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Lee Fields. It’s Hard To Go Back After Loving You. Avanti Records 1997
Lee Fields. Problems. Soul Fire 2002
Lee Fields. My World. Truth & Soul 2009
Lee Fields. Treacherous. BDA Records 2011
Lee Fields. Faithfull Man. Truth & Soul 2012
Lee Fields. Faithfull Man. Instrumentals. Truth & Soul 2012

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Lee Fields. Let’s Talk It Over. Truth & Soul 2013
Lee Fields. Emma Jean. Truth & Soul 2014

 

FÊTE DE LA MUSIQUE
PROVINS / 21 – 06 – 2016


HELLEFTY

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Premier concert depuis un mois. Pas question d'arpenter toute la ville, trop fatigant pour mon état encore vacillant. Je scrute le programme avec soin. Je déniche la perle rare. Les autres, je les ai déjà vus, ou alors mon flair de rocker subodore au mieux des groupes de reprises approximatives. Je sais, je suis injuste mais quand on veut privilégier son chien de l'enfer... Bref ce sera Hellefty, métal, ou rien.
Dix heures quarante cinq, je suis pile au rendez-vous. Renaud Bernal et son band entament leur dernier morceau. Se dépêchent de ranger leur matériel. N'ont pas fini que déjà Hellefty extirpe son matos de leurs trois bagnoles garées devant l'Eglise et l'entasse au pied de l'estrade. Musiciens et amis jouent aux roadies, et bientôt l'on entend une espèce de grondement à faire trembler les murs de la maison divine. Non ce n'est pas le diable, c'est le guitariste qui règle son ampli.
C'est à ce même moment que dans la lumière de la lampe qui éclaire le stand de la régie son j'aperçois les premiers moustiques. Aussi petits que des moucherons avec une étrange manière de se laisser tomber mollement vers le sol. Cinq minutes plus tard, faut se rendre à l'évidence, ce sont de minuscules gouttes d'eau qui ne mouillent même pas. Helllefty est en place, batterie, guitare, basse, n'y a plus qu'à jouer. Petit problème, l'espèce de rosée inefficace se transforme tout à coup en drache serrée... La sécurité surgit, on attend cinq minutes et si ça continue, on arrête tout. Because eau et électricité... Pas de bâche protectrice au-dessus des musiciens. Merci la mairie.
Dix minutes plus tard. Le concert est tombé à l'eau. La pluie se fait insistante. Faut démonter et remplir les voitures à toute vitesse. La place se vide. Ne reste plus que Vincent le batteur dégoûté et mon immodeste personne toute aussi dépitée qui taillent le bout de gras durant un quart d'heure. Ironie du sort : la pluie s'arrête de tomber...
Sont du coin, gîtent dans le triangle Provins-Nangis-Melun, donc on les reverra. Un CD quatre titres devrait sortir bientôt. Sur leur FB, l'on peut écouter de belles choses bien en place. Affaire à suivre.
Je rentre à la maison. Ce ne fut pas Hellefty. Ce fut rien.
Damie Chad.


SOGNOLLES EN MONTOIS
SALLE POLYVALENTE - 25 / 06 / 2016


CRASHBIRDS

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Les rockers c'est comme les scientifiques fous qui recommencent illico leur expérience alors que le premier essai a rayé de la carte la moitié de l'agglomération. Ma précédente tentative de reprise de concert ayant lamentablement échoué ( voir article ci-dessus ), je réitère quatre jours après.
Sognolles en Montois. C'est sur les hauteurs de la Brie. Comptez douze centimètres au-dessus du niveau de la plaine. Un village perdu. Ce n'est pas plus mal : les ornithologues sont tous d'accord pour affirmer que les piafs de passage aiment à faire étape dans des lieux retirés. D'ailleurs quand vous avez déniché la salle polyvalente vous garez la voiture au plus vite sur le parking car vingt mètres plus loin le goudron s'achève, la route s'arrête dans le pré à quinze mètres du tronc vénérable d'un orme à la ramure imposante.
Les animaux possèdent un sens prémonitoire. Les Crashbirds se sont installés devant la façade de la salle des fêtes. Ne tombera pas une goutte ce soir. Ambiance champêtre, des enfants qui courent partout, des tables et des bancs alignés sur l'herbe, et une chaîne alimentaire qui distribue barquettes de frites et brochettes sur barbecue à des prix défiant toutes les grandes surfaces du département. Toute la population du village est rassemblée pour les festivités.
Situation idyllique. Je tiens toutefois à avertir les lecteurs charmés par cette paisible description. Certes les Crashbirds sont des oiseaux magnifiques, la houppette sous le menton du mâle et la teinte rousse de sa compagne sont ravissants, mais avant d'aménager un abri dans votre jardin, n'oubliez pas que ces passereaux sont d'infatigables jacasseurs. Pire que des cigognes qui claquettent du bec sur la cheminée. Font un bruit inimaginable. Plus question pour vous d'écouter les informations à la télé. Pour ceux qui veulent en savoir davantage, Charles Darwin dans son bestseller La Sélection des Espèces vous explique comment les gentils petits oisillons volants ont été une tentative désespérée d'adaptation des dinosaures pour échapper à leur disparition. Bref du sang de reptile coule dans le moindre volatile sur son arbre perché comme dans une fable de Jean de La Fontaine. Les Crashbirds sont donc les héritiers de ces sales serpents qui grouillaient dans les eaux boueuses du delta. Old snake dirty blues !

REPTATIONS


Si vous ne me croyez pas, suffit d'écouter l'avant-concert, ces trente secondes durant lesquelles Pierre se cale sur son tabouret. Delphine en profite pour s'éclaircir la voix. Exactement comme si vous aviez marché par mégarde sur la queue d'un crotale. Vous imaginez le mécontentement de la bébête dérangée dans sa sieste. Une traînée mortelle d'écailles qui se dresse vers le ciel. Un bruissement métallique de roquette qui s'amplifie sans trêve, un ruban d'acier étincelant qui vibre de mille résonances, un sabre de cavalerie qui s'élève dans les airs avant de vous trancher la tête. Reprenez vos esprits, ce n'était que quelques innocentes vocalises. Déchirez aussi l'image mentale suscitée par la contemplation de leur superbe logo, ces deux petits zoziaux blottis l'un contre l'autre, on dirait qu'ils ont mis des lunettes d'aviateurs pour se protéger des impitoyables frimas de l'hiver. Les pauvres, ils n'ont que ça pour se couvrir ! En vérité ce sont deux pilotes de guerre aguerris qui étudient leur prochain objectif. C'est vous, attaque imparable en piqué. Vous faites partie, à votre corps consentant, des victimes rocklatérales.

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Inutile de fuir. A droite vous avez la guitare électro-acoustique de Delphine. L'en émane comme de flexibles feuilles métalliques qui vous giflent à coups redoublés. N'ai jamais entendu une guitare claquer avec tant de punch, l'on dirait un laminoir. A gauche Pierre, plus classique une Gibson - électrique cela va de soi - mais beaucoup plus perfide. Delphine c'est clair et net, du rentre dedans, Pierre c'est plus traître, vous y mettez l'oreille - celle du connaisseur - et hop vous êtes happé jusqu'aux doigts de pieds. Vous emporte dans un labyrinthe, joue au minotaure, surgit toujours par la galerie où vous ne l'attendiez pas. Tricote salement, une maille à l'endroit et hop une frette à l'envers. Un jeu subtil et inventif. Pourrait s'arrêter là, nous serions contents. Mais non l'est comme le dieu Janus qui regarde des deux côtés. Finesse d'un côté, brutalité de l'autre. Nous assène le coup du bûcheron. Avec le pied. Pas du 36 fillette de ballerine anémique. Qu'il abat impitoyablement sur son caisson électrique. Une boîte à bruit qu'il a concoctée lui-même, juste pour vous prendre la tête. Une rythmique impitoyable. Vous avait prévenu, c'est écrit en grosse lettres sur la toile tendue derrière lui, dirty rock'n'blues. Pour marcher dans les marécages du stomp-bayou l'est nécessaire de chausser de gros godillots. C'est plus prudent pour les morsures d'alligators que vous essayez de hacher à la machette.

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Comme vous êtes encore empêtré dans les machistes stéréotypes de la féminité vous tournez votre regard vers Delphine à la recherche d'un peu de douceur réconfortante. L'est belle comme la description de Velléda dans les Martyrs de Chateaubriand, toute élancée, toute droite, toute blanche, drapée dans la rousse auréole de sa chevelure, imparable, qui va son chemin, rayonnante et insensible, elle chante le blues électrique. Un voix d'airain. Claire mais qui ne tire pas vers les aigus, grave mais jamais sombre, infatigable, enchaîne les morceaux sans faillir. A peine une gorgée de bière de temps à autre, le temps que Pierre talque ses mains. Un timbre ensorcelant. Les autochtones qui assistent au spectacle ne sont pas spécialement des amateurs de dirty blues, mais les conversations se sont tues et aux applaudissements nourris et variés l'on sent que les gens ont compris qu'il se passait quelque chose. Certes ce n'est que la vieille fascination reptilienne du blues qui refait surface. Car Crashbird crache le blues comme le serpent son venin. Vous inocule la torpeur mythique du Sud et la violence flamboyante des villes électriques. Une jambe dans la terre arable du blues et l'autre dans la sauvagerie du rock and roll.

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Le breuvage est servi avec le sourire de Delphine entrecoupé de l'humour auto-sarcastique de Pierre. Pas de péroraison, mais des réparties hâtives pour très vite repartir dans leur pilonnage intensif. Jouent leurs compositions, plus quelques rares reprises, par exemple un Under My Thumb - comment Pierre s'y prend-il pour assurer à lui tout seul le balancement rythmique si particulier des Pierres Qui Roulent, l'on dirait qu'il y a trois guitares, tandis que Delphine déchaîne un ouragan vocal qui emporte tout.



ENVOL

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Se sont arrêtés au bout d'une heure trente. La nuit est tombée. Une fraîcheur piquante vous assaille l'épiderme. Promettent un deuxième set d'une demie-heure, nous administreront le double. Durant le court entracte le public se jette sur les CD et les T-shirts, avec un tel logo, pourraient créer toute une ligne de vêtements et une centaine de magasins franchisés sur tout l'hexagone.

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C'est reparti. Comme en quatorze, avec l'attaque des tranchées à la baïonnette. Je ne pensais pas qu'ils pourraient faire mieux que la splendeur du premier set. Je reconnais mon erreur. Repartent sur les chapeaux de roue. Des chansons d'amour et de haine. Une reprise vitriolée de Because The Night et puis de ces duos de guitares infinis et époustouflants. Delphine délaisse le micro et se rapproche de Pierre, et l'on a droit à ces chevauchées fantastiques sans fin jusqu'au bout de l'horizon du rock. Faut entendre l'approbation admirative de l'assistance à la fin de chaque morceau. Un séjour dans le jardin des délices, avec pension complète. Tout ce que vous désirez au plus profond de vous-même vous est donné. Plus les suppléments qui vont avec. Est-ce du blues ? Est-ce du rock ? C'est avant tout de la sale bonne musique. Un régal. Un must. Un déluge bienfaisant d'énergie qui revigore nos âmes de pêcheurs en eaux troubles d'un Mississippi en crue, assoiffées de tumultueuse beauté rock and rollienne. Ce soir Crashbirds a rompu les digues.


Damie Chad.


P.S. 1 : cette fois, ce fut tout.
P.S. 2 : J'oubliais les quatre gendarmes dans leur fourgonnette attirés par le bruit. Police partout, justice nulle part. Sont vite repartis. Apparemment la maréchaussée ne goûte guère le rock and roll. Ce n'est pas grave : personne n'aime la police.
P.S. 3 : ce n'était peut-être pas exactement un orme. Mais je confirme, c'était bien un arbre.


( Photos FB : Fredo la lune )

 

NINA SIMONE, ROMAN
GILLES LEROY

( Folio 5371)

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Nous avertit dès le titre, Gilles Leroy. Le sujet c'est bien Nina Simone. Mais un roman. Pas une biographie. Mais l'est difficile de romancer sans biographiser. Certes se contente des dernières années de l'existence de la Diva. La déchéance d'une étoile qui s'effondre sur elle-même, c'est plus vendeur qu'une réussite zénithale. Les lecteurs sont des pleureurs. Compatissent facilement. Peut-être parce que leur cursus à eux se révèle assez pâlichon dans son ensemble. Heureusement il y a les dialogues et les monologues intérieurs qui permettent de remonter le temps et de raconter tout ce qui s'est passé avant.
Pour les dates et les titres des morceaux, prière de vous reporter à la discographie. Tout au plus une dizaine d'entre eux seront évoqués dans le livre. Pour la véracité historiale, à vous de démêler le vrai du faux, une note en fin de volume nous indique que les principaux personnages – hormis ceux relatifs à l'enfance - sont des fictions. Le projet de Gilles Leroy est tout autre que l'atteinte d'une congruence effective avec la réalité. Ce qu'il essaie de retranscrire c'est le portrait intime de son héroïne. Tente de saisir comment ça marchait dans la tête de Nina.

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Fut diagnostiquée bipolaire. Un mot médical qui dit tout et n'importe quoi. Les psy sont comme les géologues qui se placent devant la (in)jointure californienne des plaques continento-tectoniques et qui déclarent doctement que vous êtes devant la faille de San Andreas. Nous le savions déjà. Nous, ce qui nous intéresse c'est de savoir si notre espèce présente des similitudes avec l'extinction des dinosaures. Bref, dans une histoire, il faut chercher les lézards. Avez-vous remarqué que dès que l'on s'approche de près ou de loin du blues, les écailleux font leur apparition ?
Premier brontosaure : dans la psyché de la petite Eunice Kathleen Waymon née en 1933. Sait à peine parler que déjà elle sait jouer du piano. Pour ses parent noirs et pieux, c'est un don de Dieu qu'il est interdit de laisser perdre. Et la minette est condamnée au clavier plusieurs heures par jour. L'aimerait jouer à la poupée, la pauvre baby doll, et courir avec ses copines dans le jardin. Boulot. Boulot. Boulot. En plus, de gentilles dames blanches aux porte-feuilles aussi remplis d'or que leur coeur lui offrent de sérieuses leçons de piano hebdomadaires. Puis le pensionnat dans une école avec section de musique. Un rêve. Et un enfer. Ce qui ne vous tue pas, vous blesse tout de même sérieusement.

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Deuxième tyranosus rex : met un peu de temps pour l'apercevoir. La prise de conscience n'en sera que plus dure. Vit dans un monde ségrégatif. Oh, à Tryon ( Caroline du Nord ) ce n'est pas le KKK qui règne, les blancs et les noirs se saluent très poliment dans la rue. Pas d'insultes. L'on se côtoie mais l'on ne se mélange pas. Premier coup de couteau. A treize ans lors de son premier concert dans sa ville natale, un couple de blancs arrivés en retard fait un scandale car deux places de devant sont occupées par les deux seuls noirs de l'assistance. Eunice refuse de jouer si ses géniteurs doivent quitter leurs chaises. Désormais un mur de verre transparent isolera ses parents de la communauté blanche dont les membres se détournent sur leur passage.
Troisième Galliminus ( très maximus ) : crise économique. Le père perd ses emplois. En tombe malade. La mère qui ne travaillait pas est obligée d'accepter les ménages, l'était une acharnée de l'Eglise, sera bonne chez les blancs riches. Nina est née après la déconfiture familiale, mais les stigmates s'imprimeront en elle. Etrange, ce constat selon lequel les noirs sont plus durement touchés par la dépression que les blancs.

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Quatrième albertosaurus : méchante morsure. Joue mieux que tous les quatre cents concurrents du concours d'entrée de l'Institut Curtis mais elle ne fera pas partie des admissibles. Induit vite pourquoi. L'était la seule postulante de couleur à se présenter.
Cinquième spinosaurus. L'autre soir, je dinais chez une copine. L'avait mis un double CD de succès de Nina en fond de conversation. Genre de crime à ne pas commettre. Trente-six morceaux et pas un seul à jeter. Trente six merveilles. Trente six chandelles ! Vous auriez eu envie de baiser la trace de ses talons aiguilles. De Nina, pas de la copine, suivez un peu, bon dieu ! Jugement erroné. De la gnognotte. Juste bon pour la cagnotte. Pour Nina, ce n'était que de la sous-musique. De la variétoche. Son truc à elle, c'était Chopin, Beethoven, Debussy. Le reste roupie de sansonnet. Pipi de canari. De l'alimentaire. N'aimera jamais qu'on la compare à Billie Holyday. Ce n'est pas qu'elle ne l'aime pas, elle reprendra plusieurs de ses morceaux. Leurs parcours s'inscrivent dans deux cultures différentes. Billie de la négritude afro-américaine du jazz, et Nina de la musique classique européenne. Choc des origines. Cherchez l'erreur.

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La ménagerie est terminée. Pas facile de vivre avec ces amicales bébêtes qui farfouillent dans votre cerveau. Causent beaucoup de dommages mais elles présentent parfois des avantages. La revanche du pauvre. La vengeance de la négresse. L'argent qui coule à flots, qui permet d'acheter superbes villas et robes de reine. La reconnaissance des fans, l'adulation des foules, les applaudissements, les articles laudateurs, n'est plus noire, n'est même pas blanche, l'est une Artiste fêtée par le monde entier.
Mais la gloire est frivole comme dit Aznavour ( celui-là vous ne l'attendiez pas ) et si vous regardez d'un peu trop près vous ne tarderez pas à voir les craquelures sur la peinture dorée du tableau. S'est faite méchamment arnaquée en signant ses contrats, la jeune Nina. L'ardoise se compte en millions de dollars. Devinez la couleur des patrons de labels ? Vous avez raison, mais il y a eu aussi des noirs n'ont pas toujours été clean, non plus.

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Du coup elle deviendra une acharnée des Droits Civiques. Donne des représentations au profit de la lutte. Participe à des meetings et à des marches interdites par la police. Notamment avec Langston Hughes, celui-la on le retrouve toujours du bon côté des barricades et James Baldwin, celui-ci il ne vaut pas mieux que le précédent. Pire que Joan Baez, Nina n'est pas pacifiste, juge la violence nécessaire à l'obtention de la justice. Des positions qui ne vous donnent pas que des amis. N'est plus très bien vue aux Snakes comme elle appelait les States. Ne vous étonnez pas si elle s'en va vivre en Afrique, et en ses dernières dix années de par chez nous.
Courir le monde fatigue. L'âge impose sa loi. Nina boit un peu trop et grossit trop et pas qu'un peu. S'arrête et doit reprendre ses tournées pour assurer les fins de mois. Se bat contre le cancer. Gilles Leroy nous rappelle qu'elle n'est pas toute blanche. Sait être cruelle avec son entourage. L'est rongée par ses défaites et ses remords. Ses maris qui n'ont pas été de tendres roucouleurs – mais elle aimait les armoires à glace plutôt viriles - sa fille qu'elle n'appelle jamais. Se repent de ses faiblesses, se laisse manipuler trop facilement, peut-être même qu'elle aime cela, et qu'elle le désire. Le sado-masochisme se niche avant tout dans vos contradictions les plus secrètes, les plus destructrices, celles sur qui votre personnalité s'est bâtie.

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L'en vient à s'auto-culpabiliser. A-t-elle vraiment si bien joué qu'elle l'a pensé au concours Curtis ? N'était-elle pas un peu faiblarde sur son interprétation de Chopin ? Le doute la ronge. Le racisme ce n'est pas seulement les horreurs de l'esclavage ou les humiliations de la ségrégation. Beaucoup plus insidieux. L'Homme Noir en arrive à perdre confiance en lui-même. Peut-être n'est-il pas égal à l'Homme Blanc. A croire que dans ces deux appellations ce n'est pas le dénominateur commun homminal qui prime. Mais la suite adjectivale. L'un plus beau, plus brillant que l'autre. Symptomatiquement, elle aime que ses amants noirs aient la peau plus claire que la sienne. Elle déteste ses lèvres trop lippues.
Vous croyez être capable de juger et d'analyser en toute objectivité, en toute sérénité la profondeur de la faille qui est en vous. Mais vous y êtes déjà dedans. Jusqu'au cou. Comme dans la merde. Et vous glissez sans fin, le long de la paroi. Et lorsque vous aurez enfin atteint le fond, que vous pourriez donner le coup de pied qui vous permettra de remonter... C'est trop tard. C'est que vous êtes déjà mort.

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L'on meurt toujours de quelque chose. Mais l'agonie est plus dure à vivre quand l'on n'a pas unifié ses contradictions.
Un beau livre.


Damie Chad.


P.S. : Nina Simone, roman est le dernier tome de la triologie de Gilles Leroy consacrée à trois figures féminines américaines. Le personnade de Zelda Fitzgerald qui apparaît dans ce troisième volet est l'héroïne du premier volume intitulé Alabama Song

 

LE PEUPLE DU BLUES


LEROI JONES


( Folio 3003 / 2015 )

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Beaucoup de choses à dire sur ce livre qui est un classique de la littérature américaine consacré au blues. Fut édité en 1963. En gros avant la naissance des Rolling Stones. Ce qui signifie pour les jeunes européens des années soixante avant que le blues ne nous fût révélé. Première constatation : où sont nos idoles ? LeRoi Jones ignore le Delta. Charley Patton, Son House, Robert Johnson, et toutes les autres grandes figures fondatrices et mythique du blues ne sont même pas cités. Le Chicago blues est traité avec la même désinvolture, le nom de Muddy Waters apparaît une fois dans une courte énumération un peu comme si je nommais à l'emporte pièce Jean-Claude Annoux dans une histoire du Yé-Yé français. Moi petite frenchie grenouillette très estomaquée ! Apparemment nous ne partageons pas les mêmes idoles.

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Deuxième étonnement : s'appelle le peuple du blues, mais devrait être sous-titré le peuple du jazz. Cette réflexion sans animosité. Le parti-pris de LeRoi Jones explique cependant en partie l'étrange découpage opéré par Mike Evans dans son livre Le Blues, un Siècle d'Histoire en Images que nous avons chroniqué dernièrement ( voir KR'TNT ! 286 du 16 / 06 / 2016 ). Nous ne voyons le blues que par le prisme d'un de ses aboutissements, le rock and roll, que nous privilégions au-delà de toute objectivité. Lunettes déformantes. Jones écrit son histoire du blues en la collant de très près à sa branche, pour lui, maîtresse : le jazz.

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Et pourtant Jones ne parle que du blues. Emploie le mot systématiquement pratiquement à chaque page. Cause de musique - car quel que soit le bout par lequel vous le prenez le sujet vous l'impose – mais ne l'étudie pas sous son aspect purement musical. Emploie le terme sans le définir comme phénomène d'évidence. Le décortique selon un point de vue que nous qualifierons de marxo-sociologique. Un sous-marxisme clandestin jamais appelé par son nom. Chat échaudé craint l'eau froide : LeRoy Jones a été dénoncé comme communiste et rétrogradé de son grade de sergent durant son armée... Donc l'en reste à une analyse des rapports de classes, jamais entrevus en tant que stratégie de lutte de classes révolutionnaire, mais en tant que conséquences sur la psyché de la population noire.
Ne s'attarde guère sur l'esclavage en tant que tel. Cite les hollers comme première affirmation d'une identité personnelle mais préfère se pencher sur les divisions qui très vite s'instaurent dans la communauté. Ceux qui travaillent aux champs et ceux qui servent à la maison. Les domestiques qui vivent dans un contact étroit avec les maîtres abandonneront très vite leurs racines africaines pour adopter celle de l'american way of life. Coupent les ponts avec leurs anciens dieux et adoptent la religion chrétienne. Quelques uns d'entre eux embrasseront l'état de pasteur. Ce sont eux qui évangéliseront leurs frères soumis aux tâches les plus dures. L'embryon d'une bourgeoisie noire est ensemencée dès les primes décennies de la servitude. A cette mince couche de «  mieux-nantis » s'agglomèreront les affranchis qui deviennent artisans et qui petit à petit se constituent un pécule – peut-on déjà parler d'un capital ? - qui les pose au-dessus de leurs frères de sang.

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De sang, mais pas de peau. C'est notamment à partir de la Nouvelle-Orléans que va s'installer cet étrange camaïeu psycho-social qui va fragmenter le peuple noir. Tous ne sont pas aussi noirs. D'une ethnie à l'autre la mélanine n'est pas la même. La pigmentation est inégalitaire. Certains sont plus foncés que d'autres. Les amours ancillaires des maîtres n'ont pas atténué les différences. Dans le troupeau, les moutons noirs sont les plus nombreux. L'on peut parler d'une sélection raciale qui s'opèrera lentement mais sûrement : les plus noirs resteront les plus pauvres, les plus clairs entreprendront de monter l'échelle de la réussite économique. Jones pousse très loin cette logique : toute une fraction de noirs veulent singer les blancs. De véritables caméléons. Pour eux, l'assimilation totale avec les blancs est la condition sine qua non de l'intégration. Rejettent toutes accointances avec leurs origines, renieront très tôt le blues comme signe et rappel injurieux de leurs anciennes conditions d'esclaves. Il n'est de pire aveugles que ceux qui ne veulent pas voir. Cette façon d'agir se perpétue encore aujourd'hui, souvenons-nous des produits détergents employés par Michael Jackson pour se blanchir l'épiderme, et le peu de souci qu'a manifesté le président Obama envers ses électeurs de couleur... L'argent n'a pas d'odeur mais il lave le plus blanc...

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Les premiers bluesmen, furent des blueswomen. Jones indique bien l'origine rurale du blues mais n'en fournit aucune description. Qui ? Quand ? Comment ? Pas un mot. Plus que le blues des villes ces femelles du blues représentent un blues plus policé, qui tire sa culture d'un circuit économique que l'on peut déjà qualifier d'entertainement. Théorie du sandwich, une couche de beurre blanc, une rondelle de boudin noir et l'on recommence. Les blancs ont imité les nègres qui ont imité les blancs qui les imitaient, les blancs ont apporté les capitaux, les noirs les ont imités à leur tour et tutti quanti jusqu'à la création de l'industrie du showbiz...

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Les noirs détenaient la pulsation primordiale. Les blancs se sont vite aperçus de leur manque. Ne se sont pas découragés. Ont copié. Ce n'est pas un hasard du calendrier qui a fait que le premier enregistrement de jazz soit dû à un groupe de blancs. Les noirs créent. Les blancs récupèrent. Edulcorent aussi. L'art brut ne plaît pas aux masses. N'achètent que des musiques doucereuses. Du rythme, mais pas de folie. Du swing mais pas du rumble. Les nègres peuvent s'agiter tant qu'ils veulent, l'industrie du disque, des spectacles et les médias sont principalement propriétés et priorité des blancs. S'instaure une course sans fin. Les premiers partis sont vite rattrapés. Le jazz est aux mains des blancs : ce sont leurs artistes qui seront avantagés et qui ramasseront le plus de blé. Les uns stompent et marnent dans leur coin, les autres pompent et paradent dans les vitrines de la célébrité. Les grands orchestres sont des concepts européens, un peu de noir rehausse le blanc. Embaucher un ou deux solistes nègres, exécuteront leur numéro comme les enfants font les pitres devant leurs parents attendris.

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Il y a des résistants. Des big bands naîtront les blues shouters et puis les combos de rhythm and blues, cette musique de sauvages que la bourgeoisie noire refuse d'écouter. Charlie Parker et quelques camarades saccagent le jazz et inventent le Be-Bop. Tollé général. Très vite lui succèdera le cool. Jazz mentholé pour blancs qui ne supportent pas les brusqueries de ce jazz nouveau un peu trop vert crû. De toutes les manières, que ce soit Be- Bop ou Cool, les blancs en font une mode, et mettent l'accent sur les musiciens de leur race. Du coup LeRoy Jones en vient à considérer le rock and roll – cette musique de petits blancs – comme beaucoup plus subversive que le jazz des années cinquante. Ce rock que l'on traite de bruit nauséabond produit par d'incultes sauvageons ! Les mêmes condamnations qui servirent à qualifier le blues et les novateurs du jazz en leur temps. Ne passe pas sous silence non plus, ces mouvements de revival des formes anciennes qui furent tant décriées en leur époque. Trente ans après, leurs forces subversives et sémentales font partie du paysage culturel. Ont perdu leurs facultés urticantes. Rentrent dans l'ordre normal de l'évolution rassurante des choses qui se sont tant usées qu'elles sont devenues anodines et dignes de toute louange muséographique.

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Le livre se termine avec les poussées riffiques de John Coltrane et l'apparition de ce qui deviendra le free jazz. Passe très vite sur ce qui sera un des grands centres d'intérêt de l'existence de l'auteur : la beat Generation. Nous sommes en 1963, ignore totalement les mouvements de contestation de la jeunesse universitaire blanche et les gémissements du renouveau folk, consacre un paragraphe à la compréhension qu'il éprouve pour tout ce mouvement noir qui à l'instar de Malcom X se convertit à l'Islam - lui-même prendra le nom d'Amiri Bakara - comme pour marquer que la conciliation blancs /noirs s'est faite attendre trop longtemps, que les enfants rejetés finissent un jour par couper les ponts, qu'il est temps de marquer une coupure franche et nette, cassante, entre les deux communautés. Le Black Panter Party n'oubliera pas de lire cet ouvrage qui relate avec une très grande précision les stratégies d'asservissement et de domination que les blancs ont élaborées durant trois siècles pour contrer les avancées successives de la cause noire. Récupération culturelle, divisions économiques et manipulations psycho-sociales qui marchent de pair avec des processus d' auto-fragmentations autant dues à une individuation petite-bourgeoise de survie animale qu'à une occultation des conjonctions de classe. Un livre qu'il faut lire en se rappelant que ce n'est pas uniquement le peuple du blues mais les pauvres de tous pays qui furent et qui restent soumis à de tels champs de force. Une analyse que l'on peut qualifier de révolutionnaire. Et d'utilité directe.


Damie Chad.

 

ZINES - #VFLC // Episode 1

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Episode 1. Mais c'est le deuxième morceau ( voir KR'TNT ! 273 du 17 / 03 / 16. ) Pas de vidéo cette fois. Bande son seule. Inutile de mettre de la gaze sur le coup, le poing suffit. Zines, z'ont su passer l'obstacle sans se recopier, voire pire se renier. Le deuxième oxer est le plus dangereux. Trop souvent l'on crache tout son venin à la première morsure, et ne reste plus de poison pour la suite.
Chut ça commence. Du violon. Oui du violon ! Sur du rap ! Larmoyant et déchirant. Générique d'un film sentimental. L'on se croirait dans une boîte avec un crin-crin tsigane qui vient pleurer dans votre oreille. Les notes éparses dignes d'un piano-bar accentuent l'impression. Voix mélodieuse d'une égérie, glapissement de gamin, et braoum ! Vous prenez direct sur la gueule. La paire de claques qui fait mal et vous envoie à terre sans que vous ayez le temps de reprendre vos esprits. Maintenant faut réaliser. La séquence est sur deux plans. Les plaintes du violon langoureux qui reviennent comme les rimes souterraines d'un poème, et les voix marquent la rythmique sans concession. Parfois vous avez comme des écrasements de musique, des effondrements de claviers, qui semblent s'enfoncer dans leurs propres ornières, qui ruissellent et forment comme un contre-chant de bande-son mélodramatique. Le flot n'attend pas. Imperturbable. Sans arrêt. Ni regret. Mais ne vous fiez pas à l'ambiance.
Zines règle ses comptes. Des voix de scalpel. Mettent les pendules du rap à l'heure. La leur. Ne suffit pas d'avancer les aiguilles pour être devant. Y-a tellement de faiseurs et d'envieux qui vous tournent autour. En sens contraire. Deux ados, le dos au mur de la réalité. Le rêve s'effondre comme un décor de carton-pâte qui prend l'eau. Il est temps de clarifier et de poser les limites. Tracent les bandes blanches du terrain de foot, de la terre des fous. Une lame de couteau, un cutter menaçant, qui découpent le contour des faux-frères et des remplaçants du banc de touche. Du banc des souches immobiles. L'on ne peut être fidèle qu'envers sa tribu. Seule manière de ne pas se trahir soi-même. Zines démontre que l'univers loin d'être en constante expansion est en perpétuel rétrécissement.
Crise de croissance. Plus vous grandissez, plus le monde premier des illusions se rapetisse. C'est ainsi que l'on gagne en maturité. Que les voix s'affirment. Ne se cachent plus derrière les images. Crachent sur la laideur des êtres. Point de désespérance. Reste une ultime tour d'attaque. L'orgueil adolescent sûr d'avoir emprunté le bon chemin. Celui qui fonce droit devant. Zines nous sert un rap qui mord. Mais il est des blessures qui vous réveillent de vos torpeurs et qui vous font un bien fou. Elles vous rendent davantage conscients et vous obligent à vous reposer les bonnes questions. Celles d'une certaine honnêteté intellectuelle.
Ce deuxième morceau de Zines est séduisant. Ces deux jeunes garçons ont des idées originales. Parviennent à se renouveler et à nous surprendre tout en restant dans le droit fil d'une démarche artistique dont ils assument tous les enjeux. A suivre.


Damie Chad

 

22/06/2016

KR'TNT ! ¤ 287 : ROLCALLBLOG / FAT WHITE FAMILY / JACKETS / DEATH IN KITTY / LE HAVRE CITE ROCK / ROADRUNNERS / HUBERT SELBY Jr / AMERICA

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 287

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

23 / 06 / 2016

 

ROCKCALLBLOG / FAT WHITE FAMILY / JACKETS

DEATH IN KITTY / LE HAVRE CITE ROCK / ROADRUNNERS

HUBERT SELBY JUNIOR / AMERICA

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APPEL ROLLCALLBLOG


Nous relayons ici l'appel à l'aide de Rolcallblog. Blogspot.com. Nous espérons que nos lecteurs sauront se mobiliser. Rappelons que le blog d'Alain Mallaret, consacré au rock and roll, au country et au blues était une source de documentation ( photos, archives, actualités, films, chroniques, concerts, disques, revues, liens avec d'autres blogs pharamineux, etc... ) inégalée en ce bas-monde. Une véritable somme culturelle. Le nombre de consultations provenant des USA m'a toujours étonné. A croire que chez eux ils n'ont point d'équivalent.
Réfléchissons aussi à la fragilité des supports offerts par internet. Nous permettent une large diffusion à moindre coût, mais sont d'une volatilité extrême. N'importe qui ( ennemis personnels, hypocondriaques divers, services secrets et étatiques ) peut s'en emparer et les détruire. Gardons des doubles. N'oublions jamais que nos stratégies de communication sont mortelles et facilement destructibles.
Bonjour,
Face au vol de son adresse gmail et à l'éradication sauvage du blog "Roll Call", Google ne propose à Alain Mallaret qu'une solution et un unique interlocuteur : un service robotisé !!!! (*) qui délivre une série de questions imposées qui appellent des réponses balisées genre QCM. Cette méthode est sensée le faire reconnaître comme authentique gestionnaire du blog. Chaque réponse est suivie à chaque fois d'un nouveau questionnaire identique en tous points au précédent et force est de constater que le système tourne en rond. Toujours pas de "Roll Call".
Alain nous propose d'envoyer tous à Google un courrier en s'inspirant de mon texte ci-dessous. Une lettre en français à destination du siège parisien et, pour appuyer la requête, le même courrier en anglais (traduit par Google traduction si nécessaire !) auprès de la maison mère en Californie (adresses ci-dessous).

Ce courriel pourrait peut-être débloquer une situation ubuesque et est probablement l'ultime possibilité pour que "Roll Call" réapparaisse. 8 ans de travail et des milliers d'informations/documents nous ont été confisqués sans avertissement et sans considération. Vous pouvez écrire ou ne pas le faire mais sachez que ces blogs peuvent disparaîtres du jour au lendemain sans avertissement sur simple décision de Google. N' hésitez pas a relayer cette info sur vos pages Facebook, blogs, correspondants.
Grand merci d'avance.


Alain.

Voici un modèle de courrier qui peut être expédié pour essayer de sauver les meubles :
Le but de cette lettre est d'essayer d'attester que Monsieur Alain Mallaret, est le véritable propriétaire d'une adresse courriel alanfortyseven@gmail.com, qui lui a été volée, ainsi que son mot de passe et son carnet d'adresses, début mai 2016.
À la suite de ce vol pour lequel il a déposé plainte auprès de la gendarmerie, nous avons vu son blog rollcallblogspot.com supprimé sans aucune explication, de même la dizaine d'autres blogs qui en dépendent, ainsi que toutes les photos stockées chez Picasa.
J'adresse ce même jour cette lettre à l'agence française et sa traduction en anglais à votre maison mère aux États-Unis.

Plusieurs autres courriers de contributeurs et visiteurs de ce blog, tous très déçus, voire en colère, de le savoir supprimé devraient vous être adressés. Alain Mallaret a passé 8 années à le gérer bénévolement, sans aucune aide financière ni support publicitaire, sans aucun but commercial avec pour seul but de partager des informations, sur un seul et unique sujet, la musique d'essence américaine qui plus est! Nous considérons être propriétaires de ce blog qui vous a été confié et vous demandons de nous le restituer.
Dans l'espoir que ce courrier soit pris en considération avec l'attention particulière qu'il mérite, veuillez agréer, Madame, Monsieur, l'expression de mes respectueux sentiments.
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Google, 8 Rue de Londres, 75009 Paris
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Google Inc., 1600 Amphitheatre Parkway, Mountain View, CA 94043, États-Unis

LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 20 – 05 - 2016
FAT WHITE FAMILY

FAT WHITE FAMILY STONE

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Alors ? Arnaque ou bon buzz ? On les présentait à une époque comme les nouveaux Fall. On apprend à se méfier des buzz. Souvent, les gens racontent n’importe quoi pour se rendre intéressants. Un bon exemple de buzz : le buzz autour de Razorlight dans la presse anglaise il y a dix ans suivi d’un concert tragique au Nouveau Casino.
Il existe deux moyens de tirer une telle affaire au clair : écouter les disques et voir le groupe sur scène. Si on commence par les disques, le problème est vite réglé.

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Leur premier album s’appelle «Champagne Holocaust». Une homme à tête de porc orne la pochette. Il brandit une faucille et un marteau. Les Fat White Family seraient donc les nouveaux Clash ? On se marre à l’avance. Déjà que les Clash frôlaient le ridicule avec leur pseudo engagement politique... On glisse le disque dans le lecteur et on coiffe précautionneusement le casque. Commencent alors à défiler des cuts tous plus insipides les uns que les autres. Il faut attendre «Wild American Prairie» pour trouver un peu de viande. En effet, ça sonne comme the Fall. Mais les autres morceaux semblent complètement dépareillés. Ces mecs n’ont pas de son bien défini. Ils travaillent semble-t-il sur la diversité, à l’image de la vie. Ils se veulent résolument inclassables. Pas question pour eux d’aller s’enfermer dans une petite boîte. Leur bordel ambiant est leur façon d’affirmer une certaine forme de liberté. On trouve un deuxième disque dans la pochette. Ils attaquent avec un «Wet Hot Beef» joué à l’hypno d’une grosse basse métallique. Clin d’œil à Can. La seule vraie chanson digne de ce nom qu’on trouvera sur ce disque s’appelle «Bomb Disneyland». Attention à l’extraordinaire attaque ! Ils finissent en piqué. Ces mecs veulent juste montrer qu’ils sont capables d’exploser. Mais oui, ils explosent ! Ils sortent là un vrai beat de destruction massive.

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Leur deuxième album s’appelle «Songs For Mothers». La pochette se moque de celle d’un album des Black Keys, «Brothers». Ils attaquent par une espèce de pop intéressante, «Whitest Boy On The Beach». Mais cette pop ne sert à rien, puisqu’elle ne se raccroche à rien. Ils prennent un malin plaisir à s’éloigner de tout. Ils se veulent comiques et peu concernés par les chapelles. «Satisfied» se retrouve monté sur un beat envoûté qui s’envoûte de lui-même. Ils recherchent un son, avec un chant en retrait. On soupçonne une volonté hypno, mais au fond on ne sait pas. «Duce» ressemble à une chanson païenne de l’ancien temps, oui, c’est une immanence de l’antiquité, profondément baroque et insondable. Voilà encore un son étrange et météorique, pesant et monté sur un beat absolument inconnu au bataillon. Avec «Hits Hits Hits», ils inventent un nouveau genre : le groove ramollo, le groove de broc, avec des guitares de Tahiti et de la vieille boîte à rythme. Ils brouillent un peu les pistes. Aucun accès n’est possible. La scène anglaise se tire une balle dans la bouche. Retour à du Kraftwerk à la con avec «Tinfoil Deathstar». Ils lancent ça dans la nuit, et ça vire hypno, on ne sait pas pourquoi. Voilà enfin un groupe qui ne sert à rien.

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Si on cède à la curiosité, c’est d’abord parce qu’elle fait partie des vilains défauts, comme la tentation à laquelle Oscar Wilde nous conseillait de céder. Et pouf, retour au 106 pour un concert des Fat White Family. Avant le concert, on les voit circuler dans le grand hall, avec leurs dégaines de branleurs des faubourgs. Le chanteur déambule, accompagné de son roadie punk. Il appartient à cette nouvelle génération de groupes anglais qui se foutent éperdument du look et des fringues, des coupes de cheveux et des mythes. Ce mec est assez laid, il parle fort, il ne se peigne pas et son profil d’aigle renvoie un peu à celui d’un Jazz Coleman mâtiné de Dupontel, mais en mille fois plus ingrat. Son allure entretient merveilleusement bien les mauvais a-prioris.

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On retrouve la tête de cochon, la faucille et le marteau du premier album sur le rideau de scène. Le groupe se fait longuement attendre. Idéal pour le public français ronchon qui adore protester. On se dit : tant mieux, ils ne vont jamais venir. Le groupe s’est en effet spécialisé dans les coups de Jarnac et soigne sa réputation d’incontrôlabilité. Il faut même s’attendre à prendre des coups si on est au premier rang. Ils débarquent enfin sur scène.

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Il y a eu du changement de personnel. Un petit japonais joue de la basse. Le guitariste a l’air complètement défoncé. Ce mec qui doit peser vingt-cinq kilos habillé porte des fringues trop petites. Il n’y a que les Anglais qui osent monter comme ça sur scène, avec un feu de plancher de dix centimètres. Il passe un temps infini à essayer de régler sa guitare et à réclamer du son à la technique d’une voix incroyablement décadente. Mais c’est le petit Japonais qui envoie la sauce avec un drive de basse terrible.

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Ils démarrent avec ce cut hypno qui passe si mal sur le disque, «Tinfoil Deathstar» et soudain, ça prend des proportions extravagantes, car le groupe sature la salle de son. Ça frise même la démesure et ce chanteur qu’on regardait un peu de travers prend des allures de bête de scène. Il s’appelle Lias Saudi. Le son qu’ils sortent sur scène n’a absolument rien à voir avec leurs deux disques foireux. Voilà l’explication du buzz : l’incroyable présence scénique. De cut en cut, ils font monter la pression. Le chanteur siffle des grandes 8 de bière et se retrouve rapidement torse nu.

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La comparaison avec Jazz Coleman prend soudain tout son sens. Ce mec est franchement spectaculaire, il peut screamer comme un démon et les autres n’en finissent plus de soutenir le meilleur beat d’Angleterre. Le set tourne à la bonne surprise, et c’est même une révélation. Ce qu’ils jouent n’est pas franchement du rock anglais à guitares, mais du rock atmosphérique extrêmement bien foutu et souvent hypnotique. Des cuts comme «Whitest Boy On The Beach» et «Raining In Yer Mouth» passent comme des lettres à la poste. Lorsque le guitariste Saul Adamczewski refait un peu surface, il se met à intervenir de manière fulgurante. Il calme le jeu pour préparer la tempête de «Satisfy» - I’m so easy to satisfy - et le set atteint des proportions gargantuesques.

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Ils ne font pas les choses à moitié. Lias Saudi se fond dans le carnage sonique comme le faisaient avant lui tous les géants de la scène, Iggy, Lux, il chante à la tripe et dégouline se sueur, il siffle ses 8 et balance ses boîtes dans le public. Il n’en finit plus de screamer et d’alimenter la démesure. On sent qu’il va finir à poil, mais non, ils abrègent le set et quittent la scène. Pas de rappel.

 

Signé : Cazengler, fat white finally


Fat White Family. Le 106. Rouen (76). 20 mai 2016
Fat White Family. Champagne Holocaust. Trashmouth Records 2013
Fat White Family. Songs For Your Mothers. Without Consent 2016

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BOURGES / 07 – 05 - 2016
WILD AND CRAZY COSMIC TRIP FESTIVAL

THE JACKETS

LA QUÊTE DES JACKETS

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Jackie et ses Jackets devraient bientôt atteindre les sommets de la gloire underground. Trois ans après leur premier raid au Cosmic trip, le trio suisse revient secouer les puces de Bourges.

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Ça se passe dans la Jungle Room, tant mieux, plus petite salle, son plus ramassé. On les retrouve tous les trois, bien rassemblés autour du drumbeater lanceur de cuts Chris Rosales, Américain expatrié en Suisse, qui fut un temps le batteur du bon Reverend Beat Man. Ça part en garage blast, avec une Jackie en forme. Incroyablement légère et vivace, elle danse en grattant sa petite guitare jaune. Elle ne porte que du noir et des grandes lunettes noires, elle passe ses accords avec une classe insolente et l’ami Samuel monte au créneau pour les chœurs. Ah quelle équipe ! C’est un régal pour l’amateur de garage. Lorsqu’elle retire ses lunettes noires, on découvre son maquillage Alice Cooper, elle en joue, fixe des gens dans le public entassé au pied de la petite scène.

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Le trio joue un petit garage féroce, bien en place, ils incarnent l’avenir du genre, ils soignent bien leur virulence et ne laissent pas la température baisser d’un seul degré. C’est claqué du beignet, rondement mené, sans frime, sans filler, ça baigne dans le pur jus. Jackie monte parfois sa voix comme une sorte de Siouxie éperdue mais elle met tellement de jus dans son blast qu’elle balaie tous les soupçons. On attend le moment fatidique : elle tombe enfin sur le dos et passe un solo les pattes en l’air.

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Pur garage sauvage ! Magnifico ! Elle met la petite salle en transe. Le public adore ça. Les Jackets ont tout bon. Ils savent rester classiques, mais avec une certaine fulgurance.

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Ils s’appuient désormais sur un beau parcours discographique. Leur troisième album vient de sortir sur le beau label du Reverend Beat-Man, Voodoo Rhythm. Bien beau rond noir que ce «Shadows Od Sound». Dès «Don’t Turn Yourself In», on voit que Jackie chante à l’insidieuse. Elle remplit bien son garage de sale petite fuzz, aussi râpeuse qu’un mur de briques à Manchester. Rien de tel pour redorer le vieux blason du garage. Question son, elle est comme Thee Headcoatees voici vingt ans, elle a tout compris. Il faut appuyer sur le bouton d’acné pour faire gicler le pus. C’est comme ça que ça marche depuis la nuit des temps. On retrouve sa belle dynamique fuzzy dans «At The Go Go». Elle dessine une belle dimension garagiste et ses élans moites se frottent aux résurgences. Admirable de perversité. Encore une belle pièce encrassée de fuzz avec «Keep Yourself Alive», mais elle chante parfois d’une voix un peu trop docte, à l’Allemande, pourrait-on dire, une voix de timbre froid un peu hautain, même si la pure jute de fuzz lui coule malicieusement entre les doigts. En B, ça chauffe avec des trucs comme «Wheels Of Time», un jerk qu’elle monte en épingle. On rêve de la revoir en chair en os se rouler par terre pour prendre un solo. Elle trouve enfin sa voix sans «You Better», elle y va cette fois au feeling et paf, on prend une giclée de fuzz dans l’œil, c’est toujours ce qui arrive quand on s’occupe de ce qui ne nous regarde pas. Elle mène son bal de la dérive, fait des brrrrr et part en vrille, mais de manière splendide. C’est avec une certaine fermeté qu’elle dit à un mec «Hands Off Me», sur un mid tempo bardé d’avantages. Elle sait placer un solo, la garce. Elle termine avec l’excellent morceau titre et chante avec de faux airs de Grace Slick, ou de qui on voudra, après tout on s’en fout, seule compte sa présence scénique car elle finit toujours par imposer sa loi d’airain (et non des reins, comme on serait tenté de l’insinuer).

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L’album précédent s’appelait «Way Out» et on y trouvait quelques belles énormités fumantes, comme par exemple «Freak Out». Elle tire ça à bout de bras, car c’est du garage gros popotin, bien lesté de basse. Jackie screame plutôt bien et elle semble à l’aise dans le gros boogaloo - freak out is the only way out - S’ensuivent quelques cuts très moyens qui font douter les pèlerins et puis soudain, la machine semble se remettre en route avec «You Said». On y sent bien la partence de la véhémence et l’exégèse de la paragenèse. Oui, car voilà un bel entraînement de garage fuzz digne des meilleurs jukes du lac Léman. Même chose avec «Hang Up» qui est roulé dans la farine d’un gros riff de fuzz. C’est exactement le même principe que l’«I Can Only Give You Everything» des Them, c’est la fuzz qui commande, bien crade et bien lancinante. En B, on tombe sur un «In My Mind» bien sautillé à l’accord et tapé au petit riff insistant. Mais ce qui fait le charme du cut, c’est le petit filet de bave fuzz qui coule et qui sert de solo. Fameux ! Ils semblent rendre hommage aux Seeds avec «Oh Baby» car on y entend les petits accords légers bien connus des Seedomaniaques. Tiens, encore un perle avec «Falling Girl», fantastiquement balancé aux couplets de chœurs d’artiche. Voilà encore un cut incroyablement bien senti. Elle s’entend bien avec son équipe. Le dernier cut vaut largement le détour. Dans «Last Chance», elle fait sa folle, sa fauve, sa reine du garage et ça s’emballe pour de vrai. On a là un gros classique chanté à la liberté de ton et elle finit à la clé d’apothéose, sous le soleil d’un Satan qui n’est pas JC Satan.

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Il se pourrait bien que leur premier album, «Stuck Inside» soit le meilleur des trois. Jackie y tape une solide reprise du mythique «Demolition Girl» des Saints. Elle jette tout son dévolu dans la balance, elle fait montre d’un sacré courage, car elle tape vraiment dans l’intapable - That’s what I say ! - On trouve sur ce disque trois beaux classiques garage, à commencer par «Get Back With You», impérieux, joué dans le riffing traditionnel avec des chœurs masculins bien sentis. On reste dans le garage d’accords baveux de sang et de larmes avec «Traitor». C’est là que naît leur extraordinaire santé de balistique cabalistique, cette fantastique exhalaison riffique qui va les caractériser. Jackie prend un solo en franc-tireur et elle remonte à la note de gamme pour créer la lueur d’incendie. Les Jackets sont déjà terriblement bons - I can’t stand it no more yeah yeah yeah - Et puis voilà «Escape», bardé d’accords exponentiels. Jackie entre à la fine fleur d’excellence, elle cherche le Graal du gras et transforme le riff en or comme un Pic de la Mirandole des temps modernes. Quel sens du solide et de la transmute ! Elle explose le garage c’mon avec des brrrr de lippe ! fab fab fabulous ! D’autres cuts titillent bien l’oreille, comme par exemple «Running», gratté à l’os, raw to the bone, belle passade de ryhtmalama et de yeah yeah yeah, c’est nerveux, excitant, ah la bourrique, elle sait partir en solo garage éclair, exactement comme Wild Billy Childish, c’est fin, viandu, tapé derrière par l’infernal Chris Rosales - Get outta my way ! - Elle est dessus et maintient une tension vocale impressionnante. Elle enchaîne ça avec un «Got NoTime» digne des Standells, oui, car ces sont les accords de «Good Guys Don’t Wear White». Encore une merveille avec «Out Of My Head» et sa violence déterminée. Elle travaille à l’escarmouche et c’est battu à la soudarde, sans pitié. Voilà bien un cut guerroyé à l’axe et gratté mauvais.

Signé : Cazengler, jacquête spirituelle


Jackets. Wild And Crazy Cosmic Trip Festival. Bourges. 7 mai 2016
Jackets. Stuck Inside. Subversiv Records 2009
Jackets. Way Out. Sound Flat Records 2012
Jackets. Shadows Of Sound. Voodoo Rhythm Records 2015

 

DEATH IN KITTY

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Vous avez de la chance, sur KR'TNT l'on parle de tous, même de ceux que l'on ne connaît pas. Mais le bouche à oreille fait mouche. Un coup de téléphone venant d'Embrun – non, ce n'est pas situé au bord de la mer mais au pied des Alpes - de ma fille : «  J'ai vu Death in Kitty, je ne suis arrivée que pour les trois derniers morceaux, fais-leur un article, ils le méritent. »
Trois filles et un garçon. Un peu le good boy kidnappé par un gang de bad girls, mais l'a l'air de se débrouiller pour survivre. Du moins aux dernières nouvelles, il n'était pas encore mort. Deux lycéennes, Petri Rawn ( guitare ), Fannity Pie – or Dash – à la basse, depuis 2014, plus tard rejointes par Princess Eboueuse au micro et El Bourissimo, drummer. Vous avez douze minutes de leur premier concert sur You Tube, à Guillester, au Central. Du métal, manque un peu d'amplification sonore, les morceaux sont un peu trop construits sur un même schéma – car attention les Death In Kitty ont cet avantage de composer – mais l'ensemble tient la route et vous n'avez pas envie de vous arrêter en chemin. Des guitares et une voix mélodique - ce qui ne signifie pas rose bonbon mélodieuse - mais qui de temps en temps sait growler comme un pitbull à qui vous essayez de reprendre votre main malencontreusement égarée entre ses mâchoires. Vous trouvez aussi des enregistrements studios, un Bless You qui vous fait du bien, un Go To Sleep bien en place et mon préféré Second Flowering en acoustique auquel vous n'aurez rien à reprocher. Princess Eboueuse se lance dans une jolie performance. Je ne sais pourquoi, elle m'a rappelé certains vocaux de Joni Mitchell – connaît-elle seulement ? - cette manière de prendre sa respiration entre les mots pour leur donner plus de force.
Définissent leur style dans une trop rapide interview en direct sur DICI TV comme du glam-metal. Z'ont été parmi les gagnants des Laureats Class Rock – région PACA – 2016. Que dire de plus ? Que Fannity Pie semble un peu obnubilée par les guitares ce qui prouve que cette jeune fille est une passionnée. Or le rock sans passion c'est comme un verre sans bourbon. En plus, parfois elle porte un haut-de-forme, un look qui vous Slashe menu. Death In Kitty : méfiez-vous des petits chats qui se font les griffes dans vos yeux. En grandissant ils deviennent des tigres altérés de rock.

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Promis, l'on gardera un oeil sur eux.


Damie Chad.

( Photo : Paul Gertz )

 

LE HAVRE CITE ROCK
NEVER CRY FOR THE PAST

( Doc télé : Diffusé le Lundi 13 / 06 / 2016
à 23 H 40 sur FR3 )

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Je regarde rarement la télé. Pour une bonne raison. Je n'en ai point. J'ai fait une exception, non je n'ai pas acheté un poste, me suis aperçu qu'ils diffusaient le reportage Le Havre – Cité Rock en streamin' pour cinq jours. Un peu maigre quand on sait que France-Culture met à disposition ces émissions en broadcast pour 1000 jours. Pas tout à fait les Mille et une Nuits, mais presque. Bref cinquante deux minutes ( c'est le format ) consacré aux glorieuses années rock du Havre.

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Merveilleux et frustrant. Merveilleux pour tout ce que l'on entend, nombreux extraits de groupes live, en pleine action, ça ruisselle de guitares, de fougues et de foudre. Frustrant parce qu'au bout de trente secondes l'on passe à autre chose. Ne vous tirez pas une balle dans la tête de désespoir, en cherchant sur le net vous retrouverez pas mal de pépites in-extenso. C'est construit sur le modèle de la cuisine chinoise qui mélange les douceurs du palais et les aigreurs de l'estomac. Une face qu'ils étaient beaux et vindicatifs quand ils étaient jeunes, et le revers de la médaille, les cendres après la braise, les survivants qui racontent, qui font le point. Sagesse, amertume, regrets and no regrets, orgueil.
Plantons le décor. Des ruines. Le Havre, rasé par les bombardements alliés durant la guerre. Une cité au passé aboli, qui connaîtra les dividendes et les affres de la reconstruction. Renaissance et recherche d'une identité. Des usines, et des installations portuaires qui nécessitent une forte population ouvrière. Français de souche et prolos étrangers. Cas emblématique Little Bob ( l'est déjà petit mais pas encore Bob le grand ) dont le père est venu d'Italie chercher du boulot. Un monde dur, violent, fier, qui vous burine davantage le caractère   que les écumes salées de la Manche. Au début des années soixante-dix, la jeunesse locale possède encore un avenir. L'usine. Ses éléments les plus conscients n'en profitent guère. Les inconscients, quand on pense que l'absence de futur s'inscrira dès le milieu de la décennie en lettres de menace sur le fronton des pochettes punk. Sont focalisés par autre chose : innommable. Un produit d'importation hautement toxique : le rock and roll.
Le Havre n'est pas Paris. Pas question de suivre ces groupes parisiens de la nouvelle vague qui au début des eighties se compromettent dans un rock moderne insipide qui flirte avec la pop-musack. Au Havre, l'on est résolument rock. L'on a des modèles, les Stooges et Iggy Pop, MC 5 et consorts, l'on est au diapason de la vague renouveau rhythm and blues / rock and roll du pub rock britannique, des vieilles et bonnes médicamentations de Dr Feelgood. Guitares en avant, électricité crépitante, batteries à fond de train et chanteur qui mouille le perfecto. Une formule infaillible. Le secret – connu comme le loup blanc – du rock and roll. Mais c'est comme le saut à l'élastique. N'importe qui comprend le principe, mais peu de monde se presse au portillon pour se jeter du haut de la Tour de Montparnasse.

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Mais au Havre, va y avoir un monde fou pour le saut de l'ange. Little Bob Story – un peu l'arbre géant qui cache les autres séquoias, les Bad Brains, les Croaks, les Dirty Kids, les Roadrunners, les Fixed up... pas du tout des seconds couteaux. Des groupes qui possèdent un public, qui peuvent se prévaloir d'avoir donné entre six cents et quinze cents concerts, en France, en Angleterre, en Europe et jusqu'aux Etats Unis et en Australie. Une épopée oublié aujourd'hui, et inscrite dans la colonne pertes et profits par les médias français. Une véritable conjuration du silence. Et pourtant ils faisaient un bruit pas possible. Inutile de réveiller le monstre d'une jeunesse française turbulente dans les seventies mais assagie et presque endormie par la suite.
Faut être juste. C'est de leur faute. Z'ont fait le buzz mais n'ont pas su accepter les compromissions nécessaires : s'obstinent à chanter dans cet idiome incompréhensible qu'est l'anglais, ne sont pas du genre à arrondir les angles, ont l'outrecuidance d'imposer leur répertoire quand on leur offre un passage télé... Qu'ils restent dans leur village gaulois d'arriérés. C'est-là où ils se trouvent le mieux. Pas envie de se perdre dans la capitale. Ces autonomes ont une âme d'autochtone. Préfèrent la camionnette pourrie et les galères qui roulent avec. S'en moquent. S'en foutent. Vivent une jeunesse merveilleuse. Une quinzaine d'années plus tard les séquelles de cette vie de soutiers du rock and roll se feront sentir. La fatigue engendre l'animosité, les combos implosent de l'intérieur. Et à l'opposé de soeur Anne sur la plus haute tour de leurs illusions, fatigués de ne rien voir venir, ils baissent la garde.
Ne les accablez pas. Les individus ne sont pas seuls en cause. La France entre dans la modernité libérale. L'ère de la dés-industrialisation commence ses méfaits. Le Havre licencie ses ouvriers. Les quartiers perdent leur fierté ouvrière, la lèpre d'une pauvreté insidieuse étend ses tentacules. Toute une jeunesse naïve ( pour ne pas dire stupide ) se précipite dans les filets de de cette société de services et de pressurisation des salaires en laquelle ils croient voir leur future émancipation...

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N'empêche que les groupes du Havre ont écrit une des pages les plus glorieuses de l'histoire du rock français. C'est Little Bob qui tire la leçon de toutes ces années de grands débordements, nous chante la plaintive complainte de Never Cry For The Past. Rock And Roll attitude jusque sous les décombres.
Documentaire mais pas documenteur.


Damie Chad.

INSTANT TROUBLE 

ROADRUNNERS


Boucherie Production / 1993


I'M WATCHIN' YOU / SATURATION POINT / CONTORTIONS / BAGS UNDER YOUR EYES / BULLDOG / EYE OF THE CYCLONE / BEAT AROUD THE BEACH / COUNT ME OUT / DON'T WAKE ME UP / LUCKY FIND / DON'T LOOK DOWN

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Depuis quelque temps rôde sur le net – enfin pour ceux qui fréquentent les mauvais lieux - la photo d'une bande de patibulaires pistoleros mexicains méchamment armés. Ah oui ! Les Roadrunners, une sacrée réputation, faudra que j'écoute un jour. Mais vous savez les bonnes résolutions, ça s'envole comme les hirondelles à la première bise d'automne. Attendez je vous la refais, un peu moins poétique, un peu plus rock and roll : comme les vautours à la première puanteur de cadavre portée par les vents du désert et du désir. Mais après avoir visionné le docu Never Cry For The Past, l'envie s'est faite pressante. J'avais déjà mis de côté la bande son de leur avant-dernier album – z'en avaient tout de même aligné une demi-douzaine entre 1987 et 1995 – que j'avais piquée en toute impunité sur leur FB. Suis comme ça moi, me constitue des réserves de concentré de pemmican à haute dose de nitroglycérine en prévision des futures glaciations. Capitaine tout est paré ! C'est bon matelot. Première torpille babord, feu !
I'm watchin' You : Accrochez-vous au mur. Ca commence tout doux, vous filent en passant deux uppercuts sur le museau et c'est parti jusqu'au bout de l'enfer. Une voix qui appuie là où ça fait mal, et une guitare du diable qui souligne les vertèbres fêlées, zone calme détendez-vous mais méfiez-vous, peu de chance que ça dure. Qu'est-ce que je vous disais ? Surtout qu'ils ont un batteur expert en roulements.
Saturation Point : Pas de temps à perdre avec des intro romantiques l'on file tout de suite à quarante noeuds, pas de panique le vent et la mer vous poussent. Enlevé mais très musical tout de même.
Contortions : Un peu la même chose que le précédent. L'on adore ces instants où la voix se pose et où la batterie fait un break de brick pirate. Pas d'abordage tout de même. C'est dommage on aurait aimé un peu de sang. Méchamment au point. Morceau qui doit dézinguer sur scène.
Bags Under Your Eyes : ces gars-là sont pressés. Cris d'indiens autour du poteau de torture. Non c'était le final du morceau précédent. De toutes les façons ces sauvages ont changé d'avis, ont décidé de vous faire cuire à feu doux dans une grosse marmite de cannibale. Vous vous réveillez en sursaut, quel cauchemar pernicieux ! Arrêtez de vous balader dans les ballades. Ils sortent toujours des marécages, les Mescaléros. Portez des lunettes noires pour cacher vos cernes et vos incertitudes flageolantes. Poison à diffusion lente.
Eye of the cyclone : ouf ! on retrouve le bon beat fortune carrée qui écrase tout. L'on doit naviguer près des perfides falaises d'Albion, car ça sonne méchamment british. Ces hooliganss vous refilent toujours de la marchandise de qualité. Vous pouvez importer sans problème. Vous adouberont même de l'estampille de la reine ( fascist pig ) pour vous remercier.
Bulldog : Ne s'arrêtent plus, on dirait qu'ils font une course entre eux, à celui qui franchira le premier la ligne d''arrivée. Faut voir comment ils ne négocient pas les virages. Jamais dans les décors mais du corps à corps. L'on en profite pour admirer la couve, très beau carton Diddley.
Beat Around the Beach : Drum martial, promesse de guerre. Une dirsto de guitare à vous nouer les tripes en noeud de serpents. Les plages sont parfois dangereuses.
Count Me Out : On dirait que la batterie klaxonne et que derrière les guitares  grondent. Chaque fois que la voix s'arrête vous avez droit à un pont instrufractal aussi douloureux qu'un passage en caisse quand vos amis se sont barrés en vous laissant l'addition à régler.
Don't Wake Me Up : Avec le boucan qu'ils font, ce n'est pas la peine de vouloir dormir. Vous avez plutôt envie d'entrer dans la farandole des riffs et de vous laisser emporter dans une sarabande méphistophélesque.
Lucky find : un peu de calme dans ce monde de brutes. Une petite ballade country appuyée d'harmonica, avec les anges qui volent autour de vous, cela n'a jamais fait de mal. Surtout à un agonisant à qui le cerveau compatissant envoie de belles images pour lui faciliter le passage de l'autre côté.
Don't Look Down : ce n'était qu'un rêve, un havre de paix illusoire. Tous en choeur au vocal et pas de fausses notes rien que de ces glissandis de guitare qui se fichent comme autant de piquants de porc-épic dans votre chair saignante.
Tiens un bonus sur la bande : I'm watchin You qui repasse avec une intro un plus guillerrette style sale gamin de huit ans qui vous tire la langue après vous avoir craché dessus. Un truc qui énerve. Je ne sais pas trop pourquoi.

Du bon. Font un peu penser au Flamin' Groovies deuxième manière. Et en même temps ont des attaques qu'un groupe de métal hardcore ne renierait pas. A fond, mais jamais destroy. Superbe cohésion. Si vous en voulez d'autres, tapez sur You Tube, toute une couvée de titres est gardée bien au chaud. Le groupe s'est arrêté lorsque le chanteur François Pandolfi a décidé de faire une carrière en solo, sous le nom de Frandol. Peut-être pas le bon choix, mais cela le regarde. France, terre des arts et marâtre du rock and roll.


Damie Chad.

LAST EXIT TO BROOKLYN
HUBERT SELBY Jr

( Livre de Poche 3624 / 1975 )

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La honte ! Des années qu'il erre sur les étagères et jamais l'envie fulgurante de m'y jeter dedans. Plus d'un quart de siècle que les amis me disent qu'au lieu de reluquer l'oeuvre érotique de Pierre Louÿs pour la quatorzième fois je ferais mieux de lire mon Selby, l'un des chefs-d'oeuvre de la littérature contemporaine, d'une force égale à Au-dessous du Volcan de Malcom Lowry qu'ils ajoutaient. Z'avez pas tort. L'ai dévoré d'une seule traite. Certes l'on y avale moins de téquila au paragraphe que le personnage du Consul ( en eaux troubles ) de l'auteur de Plus Sombre Que la Tombe Où Repose Mon Ami, mais je vous avertis l'ambiance est encore plus éruptive. Pas pour rien que la chaste et prude England lui ait intenté un procès en obscénité. L'on est toutefois déçu de ce que les Italiens pourtant renommés comme des chauds lapins l'ait carrément interdit de traduction. En France l'on a profité de Mai 68 pour le sortir. En plus pour ne pas faillir à notre réputation de Don Juan, nous en avons donné une deuxième traduction en 2014.

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D'abord ce qui choque : le style. Normal pas de grand roman sans nouveau procédé d'écriture. Six chapitres, six blocs monolithiques qui forment une falaise abrupte. Escalade difficile. Pas de saillies où s'accrocher. Les dialogues dépourvus de toute ponctuation afférente sont mêlés au linéaire du récit. Point de belle phrases. Malgré l'opulence naturelle de la prose française, l'on ressent le génie incisif, et la concrétude quasi-monosyllabique et agglutinante de la langue vernaculaire américaine. Point de dispersion. A chaque situation sa charge sémantique et segmentique répétée autant de fois qu'elle se représente. Les mêmes mots, les mêmes expressions pour les mêmes gestes, les mêmes actions. Pour l'intrigue ne cherchez pas le résumé sur le net. Il n'y en a pas. Six parties indépendantes avec quelques personnages qui reviennent de temps en temps, mais vous pourriez les lire dans le désordre comme des nouvelles.
Si vous voulez un équivalent national, faut imaginer un mix de Céline qui allierait le tronçonnage des vocables de Rigodon avec le contenu de Mort à Crédit. Evidemment vous enlevez tous les points de suspension si chers à Ferdinand. A une différence près, le vécu américain n'a rien à voir avec le quotidien franchouillard. Changez d'échelle. En Amérique tout est plus grand. Même l'infiniment petit. Ce qui tombe bien puisque nous sommes chez les petits. Pas du tout chez nos petites gens, ces pauvres emplis de dignité.

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Marx parlerait de lumpen-prolétariat, et les chrétiens de gauche d'âmes égarées. Au dix-neuvième siècle l'on aurait dit la lie de la société. Mais Selby, lui il cause des gens de Brooklyn. Rien à voir avec les ambiances bourgeoisement calfeutrées de Gens de Dublin de Joyce. Sérigraphie des basses couches de Brooklyn dans les années cinquante. Le roman est paru aux USA en 1964. Une espèce de ces carottes géologiques et révélatrices que réalisent les prospecteurs de pétrole. A part que Selby, ce n'est pas de l'or noir qu'il recherche. Mais de la merde. L'en trouve beaucoup d'ailleurs. Quant à la carotte facile de savoir ce que vous allez en faire. Foutez-vous là dans le cul et n'emmerdez plus le monde.
Non, je ne suis pas grossier. N'ai rien trouvé de mieux comme introduction au sujet. Vous aligne la suite : culs, cons, bites, putes, pédés, sexe, money, violences, alcools, drogues, bagarres, meurtres, morts, survies. Ne vous inquiétez pas il y a pire : stupidité. Racisme. Les héros ne sont pas folichons : refusent de travailler, volent et vivent des allocations d'état, correspondent au portrait type du chômeur tracé par nos hommes de droite. Trompent leurs femmes. Trompent leurs mecs. Restent au lit, envoient l'épouse au turbin – et nos ligues de vertu féministes dussent-elles pousser des cris d'horreur – ils refusent de faire la vaisselle. Ne s'occupent pas des enfants. Ce qui n'est pas très grave puisque les mères agissent de même. Les fils ne valent pas mieux que les pères. Se tatanent dans les bacs à sable depuis qu'ils sont en âge de marcher et une fois adolescents rentrent dans les gangs pour le plaisir de jouer aux hooligans avec la bande de l'immeuble d'en face. C'est la police qui ramasse les corps étendus à terre. Boulot ingrat, z'ont des compensations, des lots de consolation, le droit et le devoir de matraquer avec une vigoureuse joie brutale les crânes des grévistes.
White trash people. Mais plus haut dans la hiérarchie sociale, chez les patrons d'usine et le staff des organisations syndicales, ce n'est pas plus brillant : manigances, hypocrisie, pouvoir. Chez Selby, l'homme est un requin pour l'homme. Ce qui le différencie des animaux c'est qu'il est incapable d'un minimum de tendresse et d'amour. Le semblable n'existe pas, uniquement des prédateurs. La loi du plus fort est rigoureuse : l'on ne s'attaque au plus faible que si l'on est en nombre suffisant : deux, trois, dix, vingt, trente... C'est ainsi que la vie devient vivable. Et la mort mortelle. Du cul, du con et de la bite. N'oublient pas la musique : prédilection pour le saxophone de Charlie Parker. Vous voyez bien que vous commencez à les apprécier, malgré leurs défauts. Ont des goûts de prince.
Un livre impitoyable. Le miroir dans lequel vous refusez de vous regarder. Pas de désir: des pulsions. Cerveau reptilien. Très rock and roll.


Damie Chad.

L'AMERIQUE DE MARK TWAIN
BERNARD DE VOTO


( Seghers / Coll : Vent d'Ouest / 1960 )
( Publié en 1932 aux USA )

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Parfois l'on commet des erreurs. Je farfouille chez Gérard, my favorite bouquiniste ( L'Ivre Livre – Foix 09 ). Kesaco ? De Voto ? N'ai jamais voté pour lui. Poche. Pas Cher. Je prends. Le lirai plus tard, quand je serai plus vieux. Et puis par un après-midi pluvieux, suis tombé dedans. J'aurais dû me méfier. Seghers – celui de l'ancien temps – c'est du sérieux. Plus tard je m'apercevrai qu'ils avaient toute une collection sur l'histoire de l'Amérique aux titres attirants. Idem pour ce parfait inconnu de De Voto. L'est né en 1897 et décédé en 1955. Lorsque l'on pense que Robert Johnson naquit en 1911 et Elvis the Evil en 1935, l'on se dit que ce gars-là l'était proche des débuts. Historien réputé de l'histoire des origines de l'Amérique, spécialiste de Mark Twain et du Far-West. Haut-le-corps en ouvrant le bouquin, quatre cents pages composées en caractères si petits qu'ils nécessitent l'achat d'un télescope interplanétaire. J'ai failli le refermer, c'était trop tard, happé par un tourbillon fabuleux, saisi au collet par la tumultueuse apparition d'un monde disparu, celui des pionniers, celui de la frontière, celui de la grouillante gestation des Etats-Unis.

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Drôle de manière d'écrire une biographie. En l'occurrence celle de Mark Twain. Le personnage principal n'apparaît que rarement. Le héros du livre ce n'est pas Mark Twain, mais l'Amérique. Un peu comme si l'on dressait votre portrait en racontant la France d'aujourd'hui : ses richesses vendues aux multinationales, ses élites corrompues et ses manifestations attaquées par la police... Pas sûr que vous vous y retrouveriez. Z'avez intérêt à ce que votre existence soit le reflet de tout cela, sinon votre égotiste unicité risque de passer à l'as. De pique, comme dirait Mötorhead.

 

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Mark Twain entre en scène vraiment au huitième chapitre. N'en parle pas avant, l'évoque en creux. Ce qui compte ce n'est pas le gamin qui vit à Hannibal, c'est ce qui lui saute aux yeux, la nature, la forêt et les gens qui crèchent dans le même village, et puis le fleuve. Le Missouri. Entre 1835 et 1845, va en passer du monde. Nous sommes dans ces territoires mouvants qui jouxtent la frontière. Sam Clemens s'en met plein les yeux. Et de Voto plein les pages. Nous décrit le fourmillement des passants. Les chasseurs, les trappeurs, les aventuriers, les mormons, les illuminés, les pisteurs, les anglais, les marins, les esclaves, les voleurs d'esclaves, les pirates, les charriots... Et même ceux qui s'arrêtent en si bon chemin. Les perdants, les épuisés, qui n'ont plus d'énergie, plus rien, on les appelle les squatters, se fixent sur des bouts de terre improductifs que personne ne revendique. Deviendront les nids à misère, les oeufs cassés, les laissés pour compte du déploiement capitalistique en développement exponentiel dans les décennies suivantes. Ceux-là exceptés c'est défilé incessant. Une interminable file de chenilles processionnaires. Ne les lâche pas d'une semelle. Nous les suivons pas à pas, au travers des forêts, sur les pentes des montagnes qui remontent vers le Canada, jusqu'en Californie, au travers des territoires indiens. A vingt ans Sam Clemens ne résistera pas à la tentation, devient ouvrier typographe, pilote un vapeur sur le fleuve, puis journaliste, s'enrôle dans les rangers sudistes dès les débuts de la guerre de Sécession, pousse vers l'Ouest, épouse la cause nordiste qui correspond mieux à ses idées, s'improvise chercheur d'or, est nommé directeur de journal, et acquiert une célébrité locale de rédacteur d'articles à Virginia City dans le Nevada.

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Son inspiration, il la tire de son vécu. Ne dites pas que votre vocation d'écrivain est ratée, que jamais le monde picaresque que Twain a eu sous les yeux ne frappera vos pupilles. Contentez-vous de visionner les westerns américains. Car ce que de Voto nous décrit vous le retrouvez facilement dans les films du genre, mais les plus gores, les plus violents, les plus sadiques. Pas de pitié. Pas de prisonnier. Les personnages mythiques de Davy Crockett à Kitt Carson et d'autres beaucoup moins fréquentables. Vous ne connaissez pas John A. Murrell ? Tant mieux cela prouve que vous êtes encore vivant. Un pirate de terre ferme et de navires dépouillés, commandant d'une troupe de plusieurs milliers de complices. L'était comme Attila, sous ses pas l'herbe des outlaws repoussait comme du chiendent, le terrible William Quantrill dont les colonnes infernales de jayhawkers faisaient la loi au Kansas était en quelque sorte son fils spirituel...

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Inutile de jouer les pleureuses. C'était un monde dur, injuste, cruel et brutal. Mais sur la frontière on en riait. On s'amusait de tout. Le moral était au beau fixe. Vous trucidiez celui qui vous embêtait d'une balle entre les deux yeux ou si vous n'étiez pas un tireur d'élite d'un coup de couteau dans le dos. Y avait aussi des jeux récréatifs amusants : vous donniez une pièce d'un dollar à un parieur qui vous refilait un coq. Si vous arriviez à arracher d'un seul coup les pattes de la bestiole, vous emportiez le gallinacé et la pièce. Si vous ratiez, vous repartiez les mains vides. De Voto a d'autres poulaillers à fouetter. Tous les écrivains qui avant lui ont décrit les gars de la frontière comme des puritains coincés de là où vous savez. N'y avait pas beaucoup de femmes, mais les orgies avec les indiennes les remplaçaient avantageusement. Sans compter ces dames de petite vertu mais au grands coeur qui pour quelques dollars vous laissaient visiter leurs dessous. On fréquentait aussi les théâtres, je ne résiste à recopier ce passage : «  Les costauds à la peau tannée se penchaient en avant, tendus par l'effort qu'ils faisaient pour saisir ce rêve aussi ténu qu'un fil de vierge. Enfin Adah Menken dénudait son corps mémorable, à l'exception d'un lambeau de gaze légère qui restait accroché là en manière d'excuse, et, attachée à l'étalon sauvage de Tartarie, elle était emportée, toute blanche, s'offrant au viol et promettant l'orgasme dans les hauteurs des cintres. » Ne vous précipitez pas, du premier choix inaccessible aux bourses vides...

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Intellectuellement c'était itou. L'on préférait rire que bramer comme un cerf privé de rut. Journalistes, plumitifs, écrivaillons rivalisaient. C'était à qui ferait rire en premier le lecteur. Tout était bon. Accusations, calomnies, dénigrements, insinuations, attention les duels n'étaient pas rares, avec un lecteur, avec un confrère... Mais la mode était au rire. Mark Twain se définissait comme un humoriste. Un humour pas très fin, qui nous passe à côté mais à l'époque, tout le monde s'esclaffait à la première saillie. Suffisait de dire «  Mire ce qu'elle a au bas du dos, c'est aussi gros que le Colorado » et vos auditeurs se roulaient de rire par terre pendant trois heures.
En fait ce que nous raconte Bernard De Voto, c'est la naissance du burlesque en tant qu'art premier de la frontière. Dans l'entremêlement des nations et des origines qui s'entrecroisaient, noirs et blancs se volaient chansons et musique. Chacun les adoptait à sa mouture et tout de suite après l'on reprenait, on la reconstruisait à sa manière et c'était reparti pour un tour. Dans les théâtres souvent mal éclairés les artistes faisaient de la surenchère, l'on se teignait le visage en blanc pour attirer les regards. White faces et black faces ont une commune origine.

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A trente ans Mark Twain quitte l'Ouest. L'a confiance en ses capacités et en sa plume. Emigre à l'Est vers la capitale de la culture, Boston. Ses écrits sentent la vie et les coteries littéraires sont obligées d'accepter son talent évident. Est reconnu en tant qu'écrivain mais les femmes lui mèneront la vie dure. Non pas d'histoire de coeur ou de cul à rebondissements. Nous sommes dans dans la haute société. Ces dames très chrétiennes trouvent qu'il sent un peu trop le sauvage. Dit tout haut ce qu'il pense et ses propos sur la religion sentent le fagot. Son relativisme prudent ne serait-il pas le prudent camouflage de son athéisme ? Nos grandes dames de haute tenue ont remplacé leurs deux seins de chair ferme par les flasques mamelles de la dévotion et de la tempérance. Font régner une chape de plomb sur les maris et les fils. De Voto esquisse une explication : les femmes se vengent du viol qu'elles ont subi durant leur nuit de noces. Font payer, par cette castration que nous qualifierons de victorienne, à la population mâle familiale, le rêve brisé des jeunes filles chastes et pures qu'elles ont cru rester toute leur vie.
Dans les cent dernières pages De Voto analyse l'oeuvre de l'auteur des Aventures de Tom Sawyer et celles d'Huckleberry Finn en la comparant à celles de ses contemporains. Nous quittons alors l'Amérique des pionniers pour entrer dans une étude littéraire des plus classiques au bord de laquelle nous nous arrêterons.
Désolé de quitter Bertrand de Voto, mais nos pistes se séparent ici. L'est l'homme qui a vu les hommes qui ont tué l'ours. En effet il a côtoyé des témoins qui ont directement connu certains des personnages qu'il évoque dans la première partie de son livre. De loin, la plus enthousiasmante. Le creuset de la naissance de la musique populaire américaine.


Damie Chad.

PS : ah ! j'oubliais pour donner des cauchemars ou des idées ( sait-on jamais ? ) à tous les amateurs et musiciens de rockabilly, cette terrible histoire ( légendaire je vous rassure, mais aussi noire que le corbeau immémorial d'Edgar Poe ) du contrebassiste qui avait caché le cadavre de son épouse et de ses deux enfants qu'il avait assassinés dans les flancs de sa big mama.

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