Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/11/2016

KR'TNT ! ¤ 302 : FU MANCHU / HOWLIN' JAWS / TONY TRUANT ET LES GRYS -GRYS / DU ROCK'N'ROLL

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

A20000LETTRINE.gif

LIVRAISON 302

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

10 / 11 / 2016

FU MANCHU / HOWLIN' JAWS

TONY TRUANT ET LES GRYS-GRYS

DU ROCK'N'ROLL

LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 04 - 10 - 2016
FU MANCHU

Fu Manchu n'est pas manchot

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,

Fu Manchu ? Voilà un groupe coupé en deux. On a l’avant et l’après Eddie Glass.
Eddie Glass appartient à cette caste des Guitar Gods, ces gens capables donner une vraie identité à un groupe. Non seulement Eddie Glass a inventé Fu Manchu (puis Nebula), mais il se pourrait bien qu’il ait aussi inventé le stoner, qui, lorsqu’il est inspiré, s’inscrit dans une lignée qui remonte à Leigh Stephens, et donc Blue Cheer, et à John Du Caan, celle d’un heavy heavy heavy blues rock. Le Graal des seventies. Le graas des seventies, devrait-on plutôt dire.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


Les deux premiers albums de Fu Manchu sont des classiques imparables. Dès, No One Rides For Free paru en 1994, Eddie Glass brisait la glass. Il fondait même toute la banquise avec ce cut génial qu’est «Time To Fly» - I’m gone bye bye I’m gone - pas de meilleure introduction au monde magique du stoner de dieu. S’ensuit un «Ojo Rojo» gavé de son comme une oie ou un âne, on ne sait plus, en tous les cas Eddie lâche son paquet de mélasse et ça splashe. C’est l’un des plus gros dépoteurs d’Amérique. Il continue de faire son festival de la vasouille du gras double dans «Show And Shine». It’s rainin’ cats and dogs, oh oui, ça pleut à verse. Encore une belle bouse d’heavyness avec «Mega Bumpers». Quand Eddie rôde dans les parages, on ne rigole plus. En B, on renoue avec le heavy doom de stoner glassique grâce à «Superbird». Eddie nettoie tout ça à la wha-wha. Ce mec est tellement bon que tous les cuts finissent par sonner comme des classiques. Le «Snakebellies» qui referme la marche sonne comme une fondue stoner à la Belle Hélène. C’est du son tellement gras qu’il finit par couler. Eddie attaque par tous les côtés à la fois. Quel carnage ! Il faut l’entendre tortiller ses tortillettes, ramoner ses gammes, dépoter ses bronzes, il fait tout ça en même temps, en plein cœur des fumées et des odeurs du grand œuvre libératoire.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


Le festival se poursuit dans l’excellent Daredevil, avec sa pochette ornée d’un buggy en plein saut de dune, comme celui de Steve McQueen dans L’Affaire Thomas Crown. Tous les ingrédients du stoner accourent au rendez-vous de «Trapeze Freak» : le gras double, le chant angelino, la lourdeur pathologique et la fumée spirituelle. Eddie amène «Tilt» au gimmick vicelard - Feeling so fine - et le groupe cède au vertige du garage. Eddie s’amuse ensuite à concasser «Gathering Speed». C’est gagné d’avance. Ils fondent le chaos avec un étrange sang froid. Tout le heavy rock des seventies est là. Quel album ! Il faut aussi les entendre swinguer la tourbe dans «Coyote Duster» et faire vomir le pauvre «Travel Agent». Si on veut voir un cut dégueuler du son, c’est là. Et si on apprécie le beat ralenti du bulbe, on se régalera de «Sleestak». Mais la vraie heavyness se trouve de l’autre côté, avec deux cuts faramineux, «Egor» et «Wurkin’», surjoués dans le riffing, ramollis dans le caoutchouc, coulants comme un gros Brie oublié sur une terrasse, à Marrakech. Eddie le diable se faufile comme un serpent dans toutes cette matière de son liquide. Il attaque enfin «Push Button Magic» au riff de Neanderthal. C’est d’une puissance qui dépasse le rock. Eddie n’en finit plus de surjouer le surjeu.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


Fin de l’âge d’or Fu Manchu avec In Search Of. Quasiment tout est bon là-dedans. C’est Eddie qui régale. Avec «Missing Link», on nage dans la crème au beurre du bonheur, dans une mousse de gras qui colle parfaitement à l’idée qu’on se fait du heavy rock. On assiste à une belle déroute de l’armée du rock dans une Bérézina de bouillasse sonique. Voilà ce que développe l’infernal Eddie. Il fait de cet album un épouvantable classique. Avec «Asphalt Risin’», il s’attaque directement à la saturation du son. Il n’en finit plus de grimper sur la brèche, il lâche sa purée cosmique à jets continus. Quel troupier ! Le carnage se poursuit avec «Cyclone Launch», broyé d’entrée. Eddie l’écrabouille. Il atteint la cime du stoner californien. Les autres aèrent avec des passages joués à la cloche du père fouettard. Eddie rôde comme un loup affamé, long, fin et baveux, il joue dans son ombre et plombe l’histoire du rock avant de partir en solo de wha-wha. C’est tout simplement exceptionnel. Back to the heavyness of it all avec «The Falcon Has Landed». Avec Eddie, ce groupe devient imparable. Scott Hill chante sur la marche lente du beat et au cœur de l’infernabilité des choses, notre héros Eddie part en solo de rêve. On le retrouve sur «Seahag» en éclaireur franc-tireur overdosé. C’est comme s’il épaulait un vieux fusil à bison et que le son sortait liquide au bout du canon. Ils bouclent cet album à fumerolles avec un «Supershooter» bardé d’accords wha-whateux. Eddie joue comme un forcené. Il part en solo sans prévenir et s’en va consterner la postérité qui n’avait rien demandé à personne.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


On entre dans l’après-Eddie Glass avec The Action Is Go. Le petit Bob Balch le remplace. On trouve quand même deux belles énormités sur cet album : «Hogwash» et «Grendel Snowman». Là on ne rigole plus, car Hogwash se montre digne des grands hits de Monster Magnet, avec son brouet baveux et les solos gras de Bob la bête qui filent à l’échappatoire. S’ensuit un Grendel monté sur un pur heavy groove de stoner et visité par un solo baveux, le merveilleux son de blues-rock dont l’amateur stonerisé jusqu’à l’os du genou est si friand. Ce sont là deux classiques indomptables. D’autres cuts sont devenus des classiques de Fu Manchu, mais ils banalisent un peu plus le stoner qui est un genre difficile. Exemple avec «Evil Eye» qui sonne comme la grosse Bertha et qui ne laissera pas de trace dans l’histoire. Côté mise en place, c’est parfait, mais il manque l’étincelle fatale. Bob Balch prend un solo complètement à la ramasse dans le cut suivant, «Unrethane». Il a l’art et la manière, et tout le son du groupe repose sur lui, désormais. Il sait se montrer entreprenant, surtout lorsqu’il écrase sa cry-baby d’un coup de talon rageur. Dans le morceau titre, c’est Brad Davis le bassman qui emporte le challenge, même si Bob graisse bien les choses. Ils ont tout bon, le son, l’esprit. Quelle équipe de Stormers du Stoner ! Leur principal atout reste le son. Encore un classique avec «Guardrail», joli brouet de boogie down et ils tapent «Anodizer» au gras double ralenti, avec des petites dynamiques internes. Tout l’art du stoner y passe, même les effets d’hypnose à la petite semaine. Ils savent flatter les oreilles blue-cheerisées, comme on le constate à l’écoute de «Strolling Astronomer» et dans «Saturn III», Bob Balch se couronne roi du solo liquide, vous savez, celui qui s’écoule comme une rivière de miel à travers la vallée des plaisirs.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


L’amateur de stoner trouvera sa dose sur (Godzilla’s) Eating Dust, surtout avec «Godzilla», ses histoires de subway train et ses solos tortillards. Belle louche de purée. Belle descente aux enfers du son. Le pauvre Scott Hill tente de freiner - There’s no stop now ! - Trop tard. Voilà un beau spécimen de heavyness - Go Go Godzilla ! - Autre belle tranche de stoner : «Eatin’ Dust», qui fait l’ouverture du bal. Bob se venge sur Eddie, il joue plus fort que lui. Il sort un son qui cogne dans le pulsatif. Oui, il pousse le son dans ses retranchements, ce qui n’est jamais bon pour sa santé. Il joue si dru que ça devient immoral. Et ça continue avec «Shift Kicker», tout est poussé à douze sur les potards des nanards. Ils n’ont qu’une seule loi : saturer le son jusqu’à lui faire rendre gorge. Ils le saturent jusqu’à la nausée. Ça grouille de gelées vertes de son et Bob file ventre à terre dans la mélasse. Ils attaquent «Mongoose» à la cloche et au sableur, comme chez Slade et chez Ike - Look inside this glory ride - Ils jouent la carte de l’hyper-catégorique avec the mongoose guys et ça se met à exploser pour de bon. Ils savent faire monter une sauce et Bob revient inlassablement gratter son riff. Il joue carrément des clameurs de riffs incendiaires. On voit des couches se superposer. Puis ils explosent le pauvre «Pigeon Toe» contre le mur du son. Ils sont complètement tarés de jouer aussi fort. Mais bon, ils aiment bien ça. Au moins pendant qu’ils s’amusent, ils ne font pas de bêtises.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


C’est donc cette équipe qu’on voit débarquer au 106 par un beau soir d’automne. Comme tous les californiens d’un certain âge, Scott Hill affiche un look de mec bien conservé. Il chante jambes écartées, en dessous du micro, comme Lemmy.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,

Il tient bien son rôle de leader et gratte une belle guitare transparente, avec la niaque d’un gamin de quinze ans. Forcément, pour un mec qui a passé la cinquantaine, ça impressionne. Scott Hill se comporte comme tous les mecs qui traversent les décennies à la tête d’un groupe : en vaillant guerrier, sûr de sa force et de son art.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,

Même si Eddie Glass s’est barré, Scott Hill continue d’y croire dur comme fer. Il s’appuie sur un son et douze albums dont les quatre premiers sont devenus légendaires. Fu Manchu attire un public spécifique : les fans de stoner. Ni metal ni punk, c’est encore autre chose. Mais la fibre du fan est la même, au fond. On voit des mecs au premier rang chanter toutes les paroles en chœur avec Scott Hill, comme lors du set des UK Subs, quand un mec chantait tout avec Charlie Harper.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,

Le petit Bob Balch s’est laissé pousser les cheveux et avec sa barbe, il traîne un bon look de freak californien. Il sort un beau son gras sur sa Les Paul et c’est toujours un régal que de voir cocoter les grands guitaristes américains. On sent que Scott Hill fatigue, il prend un peu de temps entre chaque cut pour se reconstituer. Il faut savoir que le job de chanteur guitariste dans un groupe n’est pas de tout repos.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,

Avec une discographie comme la leur, c’est un jeu d’enfant que de monter une set-lit. Ils ont largement de quoi faire sauter une sainte-barbe. C’est un peu comme Motörhead, les Vibrators ou Chuck Berry, ils n’ont que des classiques à proposer, mais pour ce concert, ils jouent tout l’album King Of The Road, avec un pic de tension au moment de «Blue Tile Fever». What an album, dirait un lapin blanc britannique.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


On note au passage que les Fu Manchu ont un faible pour les voitures. C’est pour ça qu’on les retrouve sur les pochettes des albums. Pour King of The Road, ils ont choisi une file de Fords Transit. Et on trouve quatre énormités bien dodues dans ce disque. «Over The Edge», joué au heavy riffing, aux placards de distorse et chanté à la Sabbath. Ces mecs là ne veulent pas se casser la tête : du gros riff de barré sur le Marshall stack en stock et hop, c’est parti. C’est sans surprise et ça roule sous la peau du son. Bob passe un solo dans le cambouis - The more we see the more we know - Et ça vire au solo de surface à la Ron Asheton. Ils battent le morceau titre en brèche et se ressourcent dans la fosse à vidange. Ils chantent ça à deux niveaux et flirtent avec le garage. Résultat plutôt dévastateur. Bob attaque «Hotdoggin’» au heavy et on croit entendre la voix d’Ozzy dans l’écho. Quel bel hommage. Puis ils montent «Freedom Of Choice» au beat des enfers de Dante, mais pas le Dante à la con des poèmes, on est ici dans le stoner du cornu, et Scott Hill chante comme un Anglais, c’est saturé de son et soloté à la bonne bourre. Avec le fumeux «Boogie Van», ils créent une fois de plus l’illusion. Ils grouillent d’idées et raffolent d’aventures. On se régale aussi de «Blue Tile Fever» monté sur un heavy beat pointé à la cloche. Ils connaissent toutes les ficelles. C’est un peu comme s’ils n’avaient plus rien à apprendre. Et nous non plus.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


Comme on l’a vu, ce groupe est excellent sur scène. Ce que confirme l’album Go For It Live. Ça blaste dès «Laser Blast», stomp de stoner stoned, complètement allumé aux gimmicks hendrixiens. C’est Bob qui fait tout le boulot. Il double le chant avec sa guitare. Il joue même le pyromane. C’est un teigneux qui ne recule devant aucun excès. Et pouf, ils enchaînent avec le gros «Asphalt Risin’». Bob navigue à la surface du temps. Tout l’intérêt de Fu Manchu se trouve désormais dans le harcèlement sonique de Bob. Ils s’amuse à pulvériser tous les cadres, tous les formats. Il ouvre le bal de «Mongoose» et le noie de son. Et ça continue comme ça sur deux disques, car c’est un double ! La version de «Boogie Van» vire à l’apoplectique. Bob passe un heavy riffing de rêve sur «Ojo Rojo», miracle stoner d’efficacité définitive, cocoté en diable. Et la version de «King Of The Road» sonne comme un hit de Steppenwolf, avec sa belle épaisseur riffique. Puissant et visité, bien excité par le cocotage. Sur le disk 2, on trouve une superbe version de «Hang On» martelée comme un chemin de croix, puis un «Wurkin’» joué au groove de stoner - an old song - Bob le tartine de saindoux. Ils se montrent une fois de plus totémiques. Et on retrouve la belle pulsasivité oblongue de «California Crossing». Ça file très vite sous le vent. Ces gens-là ne font pas semblant. Ça pue le soleil de Californie, les gens bien nourris et les peaux hâlées. Ils vont vite. Puis Bob nous graisse la patte d’«Over The Edge» et il refait le show avec ses solos. Véritable assommoir que ce «Regal Begel» bardé de son, incendié de la plaine, wha-whaté jusqu’à la moelle des os. Et ça culmine avec «Godzilla» qu’on voit marcher sur la ville. On entend des clameurs extraordinaires, c’est le hit de Fu Manchu. On retrouve aussi le fameux «Weird Beard» d’allure fatale. Les falaises de marbre s’écroulent dans le lagon argenté.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


On trouvera encore du bon matraqué du cortex dans California Crossing paru en 2001, avec un beau pick-up rouge sur la pochette. On y retrouve ce cher «Mongoose» joué à la cloche de bois. Pour l’amateur de stoner, c’est du gâteau. Bob nous barde le morceau titre d’une belle palanquée d’accords fourrés au chocolat, puis il visite le cut avec un solo aérien et s’octroie une petite crise universaliste au passage, histoire de lâcher quelques clameurs. Joli cut que ce «Wiz Kid» claqué aux petits accords efflanqués. Scott Hill refait son Ozzy. On reste dans le haut de gamme, c’est même assez affolant de nothing yet. Tout aussi énorme, voici «Ampin’», hanté par le fantôme de la heavyness. On a l’impression qu’ils avancent mètre à mètre, comme dans un combat de rue à Stalingrad. Mais Bob passe un solo gras qui nettoie tout. De toute manière, le gras règne sans partage sur tous ces morceaux. Le mot maigre ne fait pas partie de leur vocabulaire. Ces gens-là ont une certaine forme de savoir-vivre. Ils terminent l’album avec un «The Wasteoid» trop heavy pour être honnête. Aucun espoir de maigrir un jour. Le cut s’enfonce dans le saindoux.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


Désolé, mais Start The Machine est encore un disque énorme. Pour six raisons précises. Un, «Written In Stone» qui starte la machine et qui se grave aussitôt dans le marbre. Comme à son habitude, Bob gratte comme un dératé et part en virée wha-wha. Ils ont de l’énergie à revendre, c’est sûr ! Deux, «I Can’t Hear You», ce qui semble logique, vu le bruit qu’ils font, mais Bob joue un solo au chalumeau perceur de coffre. Trois, «Understand», monté sur un stomp de stoner. On croirait du glam. Quatre, «Make Them Believe», heavyness de la meilleure augure. On peut même parler de génie, dans ce cas. Ils se couronnent pour l’occasion rois du stoner à la cathédrale de Reims. Et Bob arrose tout ça d’un beau solo liquide. Cinq, «Open Your Eyes», qui n’est pas celui des Nazz. Ces mecs-là ne voudront jamais enterrer la hache de guerre. Tout ce qui les intéresse, c’est de s’énerver. Leur cut va vite, c’est de l’ultra-blast. Six, «I Wanna Be», stompé aux drums, une belle façon de tirer sa révérence.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


On sent une petite baisse de régime dans We Must Obey paru en 2007. Oh bien sûr, on retrouve le flic floc de l’épaisseur, les solos déflagratoires, mais tout ça finit par ronronner. Le hit du disk s’appelle «Land Of The Giants», riffé comme il se doit d’entrée de jeu, malin et malsain. Presque garage en eaux sales, car tempéré au heavy shuffle. Bob joue en suspension de notes congestionnées et ça vire en terminal de non-retour. Quelle monstruosité ! On a aussi une petite heavyness de derrière les fagots du désert avec «Let Me Out». Bob y passe un fascinant solo qui court comme le furet dans le canyon éclairé par la lune. On sent parfois que le son se muscle encore, comme c’est le cas à l’écoute de «Hung Out To Dry». Comme s’ils visaient une sorte de démesure de la heavyness. Bob nous roule tout ça dans sa farine bien grasse. Quand il attaque un solo, il fait toujours penser à l’aigle royal qui fond sur sa proie. «Shake It Loose» sonne comme du Motörhead, mais en plus sur-pressé, dans le high energy blasting de blow-outisme patenté. Les Américains savent cultiver la démesure.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


Signs Of Infinite Power est un album chargé à ras-bord de stoner apocalyptique et de beat obsessionnel. Pas de hit ici, mais du Sabbath cosmique épais à souhait et ralenti dans les virages («Steel Beast Defeated»), du Fu Manchu détaché de la terre et perdu dans le nulle part de groupes qui ne servent plus à rien («Against The Crowd»), du glam stomp qui fait illusion un court instant («Webfoot Witch Hat»), du riff broyeur chauffé au bec benzène («Eyes X10»), du no brain at all, du stoner sans horizon («One Step Too Far»). Bob tire son épingle du jeu dans le morceau titre. Sans lui, on crèverait d’ennui.

,Fu Manchu, Howlin'Jaws + Olympic Café, Tony truant et les Grys - Grys,


Dernier album en date, voici Gigantoid, avec sa belle pochette surréaliste. Nos amis attaquent avec un «Dimension Shifter» tendu et sauvage comme l’étalon du même nom. Encore une fois, toutes les ficelles du stoner accourent au rendez-vous. Même le break est plus lourd que le plomb. Dans «Invaders On My back», Bob prend un killer solo. Pas facile de remplacer un gars comme Eddie Glass, pas vrai Bob ? Quand on écoute «Radio Source Sagittarius», on se dit que les voies du stoner sont souvent impénétrables. Elles suivent en effet les méandres d’un fleuve qui se perd dans le continent. On dresse l’oreille en B à cause d’«Evolution Machine». Nos amis chargent comme la brigade légère sous le feu des artilleurs russes. Sans peur et dans reproche, et comme d’usage, Bob fait des miracles avec sa confiture de fraise. Puis il remonte bien les bretelles de «Triplanetary». Brad en profite pour faire un beau numéro de basse. Il passe même devant dans le mix. On voit qu’il adore gratter ses cordes. Et ça se termine avec «The Last Question», un cut monté sur une lourde progression riffique, légèrement retardée par des semelles de plomb. Mais c’est leur truc. Ils raffolent des semelles de plomb. Avez-vous déjà essayé de marcher avec des semelles de plomb ? C’est pas facile. Eux, ils adorent ça. Ils adorent traîner dans ces lumières crépusculaires, dans ce paysage de planètes tombées du ciel comme des dés d’une table de jeu. Ils contemplent ce joyeux capharnaüm et savent au plus profond d’eux-mêmes qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard.

Signé : Cazengler, Fou manchot


Fu Manchu. Le 106. Rouen (76). 4 octobre 2016
Fu Manchu. No One Rides For Free. Bong Load Records 1994
Fu Manchu. Daredevil. Bong Load Records 1995
Fu Manchu. In Search Of. Mammoth Records 1996
Fu Manchu. The Action Is Go. Mammoth Records 1997
Fu Manchu. (Godzilla’s) Eating Dust. Man’s Ruin records 1999
Fu Manchu. King Of The Road. Mammoth Records 1999
Fu Manchu. California Crossing. Mammoth Records 2001
Fu Manchu. Go For It Live. Steamhammer 2003
Fu Manchu. Start The Machine. DRT Entertainment 2004
Fu Manchu. We Must Obey. Century Media 2007
Fu Manchu. Signs Of Infinite Power. Century Media 2009
Fu Manchu. Gigantoid. At The Dojo Records 2014
De gauche à droite sur l’illusse : Brad Davis, Scott Hill, Bob Balch et Scott Reeder.

GAZON MAUDIT

Je vérifiais le résultat de ma dernière invention. Ma modestie dût-elle en souffrir je devais convenir que la réussite s'avérait totale. Devant moi s'étendait une étendue de terre battue. Enfin ! Après des années d'efforts opiniâtres et de recherches incessantes j'avais réussi. Pas une herbe, pas un brin, même pas un cône de taupe ! Demain, ne me resterait plus qu'à déposer le brevet du produit. Une graine nouvelle, enrichie au napalm et à l'agent Orange. Vous épandez à pleines mains sur la surface incriminée et vous êtes tranquille – garantie pour deux millénaires – grâce à mon Gazon Attila, plus rien ne repoussera. Le moindre papillon qui s'en viendrait à voleter au-dessus de la zone tombe mort au deuxième battement d'ailes. J'avoue que le simple dégoût de passer toutes les semaines la tondeuse dans le jardin était la prosaïque raison qui m'avait motivé. Mais à la réflexion, je m'apercevais que j'avais mis au point l'arme écologique absolue. Désormais les paysans détenaient la possibilité de bloquer le développement des néfastes semences Monsanto. De facto inopérantes.
Donc disais-je je contemplais avec la satisfaction du devoir accompli les deux mille mètres carrés de pelouse avégétalisée lorsque un bruit inopportun me tira de ma méditation. Sacrebleu ! un hélicoptère frappé d'une cocarde tricolore abordait les premières manoeuvres d'atterrissage. Même pas le temps de rentrer à la maison pour m'emparer de mon bazooka ( oui, je dors toujours avec un bazooka sous l'oreiller, l'on n'est jamais trop prudent ) que j'étais entouré d'un groupe de commandos.
«  Messieurs, vous faites erreur, ceci n'est pas l'aéroport militaire, mais une parcelle privée entretenue avec le célèbre Gazon Attila.
 - Vous êtes bien, le sieur Damie Chad, ancien agent du SSR, Services Secrets du Rock and roll !
 - Oui je...
 - Parfait on vous embarque. Direction l'Elysée, ne rouspétez pas, le Président vous demande, c'est urgent »
Bref trois quarts d'heure plus tard le Puma me déposait dans la cour d'honneur du Palais Présidentiel.
Je montai en courant les degrés du perron Elyséen et me précipitai vers les grandes portes. En passant je crachai sur le gendarme en faction – que voulez-vous tout le monde déteste la police – un chambellan me héla : «  Arrêtez vos facéties. Dépêchez-vous, le Président est dans son bureau, deuxième porte à droite, au fond du couloir. »
C'était la grande réunion de crise, des ministres apeurés qui compulsaient frénétiquement leurs dossiers, des généraux chamarrés comme des arbres de Noël aux visages tendus, des larbins qui déroulaient une carte du monde sur le mur, et des soubrettes toute mignonnettes qui couraient dans tous les coins, visiblement à la recherche de quelque chose. Personne ne mouftait. Le Président n'était pas content, ne s'adressait en personne en particulier mais chacun se sentait visé par son ire vindicative :
«  Bordel de dieu de putain de merde, où l'ai-je encore mise, trouvez-la tout de suite, je vais vous les dégommer ces japs de merde, me faire ça à moi, c'est une insulte à la France, c'est...
 - Monsieur le Président, je l'ai retrouvée, elle était sous le porte-parapluie ! »
L'était toute fière la jouvencelle, mais sans un regard le Président lui arracha la valise des mains et la déposa devant lui. Il s'éclaircit la gorge et prit un air grave :
«  Messieurs, vous assistez à l'écriture de l'Histoire, dans dix secondes j'appuie sur le bouton et je raye le Japon de la carte. Je ne veux aucun survivant, cette sale race de rastaquouères jaunâtres n'aura même plus le plaisir de se rappeler d'Hiroshima. Je compte jusqu'à dix et hop je les envoie au paradis. Un, deux, trois...
 - Hum, hum ( c'était le toussotement nerveux du plus décoré des généraux ) certes le geste a du panache, mais ne règle en rien l'affaire, Monsieur le Président !
 - Comment cela, expliquez-vous, maison close cacapouïque ! c'est à croire que je suis entouré d'incapables !
 - Si vous envoyez les bombinettes, ils seront eux aussi victimes de notre action. Vous imaginez les rires des ruskofs et des amerloques ? Vont se moquer de nous pendant dix ans !
 - Lupanar de fientes d'autruches, je n'y avais pas pensé, et vous avez raison. Que faire, que me proposez-vous alors ? »
Il y eut un silence de mort. Une minute qui dura un siècle. Je ne comprenais rien, et me faisais tout petit dans mon coin.
«  Tant pis. Ne pas agir serait pire. Sûr que les Popovs et les Ricains se moqueront, mais les Chinetoques ne seront pas fâchés que je raye leur ennemi héréditaire de la terre. Stratégiquement, c'est jouable. Bon je continue, quatre, cinq, six – l'était content de sa leçon de géopolitique le prés, prit le temps de poser son sourire béat sur l'assistance – mais qui êtes-vous là dans votre coin ? Ne seriez-vous-pas un espion, qu'on me le fusille tout de suite, sept, huit, neuf...
 - Hum, hum ! Monsieur le Président, c'est le spécialiste du Rock'n'roll que vous aviez demandé. Monsieur Damie Chad, expert es rock'n'roll, me semble être l'homme de la situation. Sans doute pourrions-nous lui accorder deux minutes pour qu'il nous donne son avis. C'est un ancien du SSR, peut-être serait-il à même de débrouiller l'affaire sans que nous parvenions à la toute extrémité de votre décompte, Monsieur le Président ?
 - Pour vous servir, Monsieur le Président, mais quel est le problème ? Pourrait-on me mettre au courant ?
 - Hum, hum, afin de rééquilibrer en notre faveur la balance commerciale entre nos deux pays, nous avons entrepris une action de séduction envers le Japon. Nous leur avons envoyé nos orchestres philharmoniques les plus renommés, nous leur avons prêté des collection entières du Musée du Louvre, sans résultat. A croire que les japonais sont insensibles au rayonnement culturel de la France !
 - C'était une erreur -explosa le Président - ces vermines de Japs sont des sauvages. Qu'attendions-nous de bouffeurs de poissons crus ? C'est alors que nous est venue une idée mirifique. A ces sauvages, l'on a bazardé de la musique de sauvages. Et hop, nous leur avons expédié les Howlin' Jaws. Jamais entendu parler mais la fille de la concierge nous avait assuré qu'il n'y avait pas plus « friteux » sur la région parisienne. Le résultat ne s'est pas fait attendre au bout de trois concerts, ces satanés japs nous ont commandé deux porte-avions et trois escadrilles de Rafales.
 - Monsieur le Président, je ne saisis pas le problème. Apparemment vos espérances les plus folles ne sont-elles pas comblées ?
 - Plus que vous ne croyez, hier ils ont encore passé commande de deux Frégates et de trois sous-marins. Mais ce matin, nous ont prévenu qu'ils ne nous rendraient jamais les musiciens. Sont trop bons qu'ils disent ! Doivent produire une musique de marteaux piqueurs et croyez-moi, si cela ne tenait qu'à moi, je les leur laisserai sans problème. Mais vous entrevoyez la honte internationale : trois jeunes français retenus en otage par le Japon. Déshonneur gaulois ! Je vous laisse trois heures pour débrouiller la situation. Après quoi je compte jusqu'à dix et fin du japitre ! Deux bons coups d'une même pierre, on se débarrassera des Japs et de trois jeunes sauvageons qui ne savent plus quoi faire pour casser les oreilles de leurs concitoyens ! »

Trois heures plus tard.

«  Mission Ippon Nippon accomplie, Monsieur le Président, les Howlin'Jaws rentreront en France à l'heure prévue. La négociation a été rude. Mais depuis la tournée de Gene Vincent au pays du Soleil Levant en 1959, le SSR a toujours gardé des relations amicales avec les services secrets japonais. Je vous passe les détails. Les discussions furent âpres. La France s'en tire bien, les Japs respecteront leurs commandes, ont même demandé en plus dix mille tonne de graines de Gazon Attila qu'ils veulent répandre sur la région dévastée de Fukushima, juste pour arrêter au sol les radiations nucléaires. Par contre, léger bémol, en contre-partie avant de monter dans l'avion les Howlin'Jaws devront donner un concert supplémentaire. Comme ils sont contents de revoir leur famille, ils vous invitent samedi soir à leur concert à l'Olympic Café, à Paris. Seraient très honorés de votre présence, Monsieur le Président.
 - Parce que vous croyez que j'ai envie de me faire crever les tympans ! Pas question !
 - Monsieur le Président, si je puis me permettre, leur déception sera immense...
 - On leur dira que j'ai une réunion importante, un sommet secret des chefs d'état de l'hémisphère sud. Et puis tiens, une deuxième bonne idée, c'est vous-même en personne qui irez leur présenter mes regrets personnels. Je compte sur vous pour emballer le morceau. Et avant de partir, passez au ministère de l'Agriculture, sont intéressés par le Gazon Attila.
 - Mes respects, Monsieur le Président
 - Tâchez de survivre samedi soir. Nous avons intercepté une dépêche de la CIA, selon leurs agents, les Howlin Jaws sont une calamité rock and roll ! »

Voilà pourquoi ce samedi, j'arrêtai la teuf-teuf, rue Léon, devant l'Olympic Café.

OLYMPIC CAFE / PARIS ( 18°) / 04 – 11 – 16


HOWLIN'JAWS
TONY TRUANT & LES GRYS GRYS

Vaste café l'Olympic, tout en longueur, le sol carrelé avec ces mini carreaux à la mode à la fin des années soixante. Ce n'est que la partir émergée de l'iceberg, au sous-sol se trouve la salle des concerts, front de scène assez large, bar au bas des escaliers dans le fond, loges pour les artistes et fumoir attenant sur la gauche. Personne, j'en profite pour assister à la balance des Howlin'. Le son est plus que bon, fort, très fort, mais pas du tout assourdissant, un miracle d'équilibre. Ce sera ainsi tout le long du concert. Peu de monde mais comme très souvent à Paris, lorsque les lumières s'éteignent la salle se remplit dans votre dos sans que vous en rendiez compte.


HOWLIN'JAWS

fu manchu,howlin'jaws + olympic café,tony truant et les grys - grys


Les Howlin' sont sur scène. Paraissent plus grands qu'avant. Une illusion psychologique. N'ont pas aspergé de trente centimètres en trois mois. Ont mûri, ont pris confiance en eux. Faut dire que les évènements s'enchaînent. Une tournée au Japon, une résidence au China Club, une tournée en Belgique et en Allemagne en décembre, l'on sent que c'est bien parti. Le groupe a pris conscience de sa valeur, ne jouent pas du rock'n'roll, comprennent qu'ils jouent leur rock'n'roll. Nuance infime lorsque ce sont les mots qui tentent de la décrire mais qui fait toute la différence lorsqu'un groupe la met en pratique.
Trois sur scène. Djivan derrière son micro girafe, Baptiste à la batterie, Lucas à la guitare. C'est ainsi que ça se passe. Les Howlin' ont résolu l'épineuse triangularisation du trio rock. Ne s'agit plus de plancher sur la sacro-sainte règle des trois unités. Le rock est un transfert d'énergie. Z'ont compris la manoeuvre. D'où ils viennent et où ils vont. Sans oublier le point de passage. C'est cette articulation-là que l'on retrouve systématiquement dans tous les morceaux des Jaws. Les Howlin' c'est la radicalité du rockabilly représentée par Djivan et l'effulgence british opérée par Lucas. Cela vous saute à la gueule dès le premier morceau. Cuttin Out, les tripes à l'air tout de suite. Ne pas perdre de temps dans le swing, directement dans le stomp, Djivan aligne les notes, crescendo, à la suite, c'est la continuité qui crée la ligne mélodique dont on se fout comme une guigne ; à l'autre bout Lucas fait exactement le contraire, les notes il les propulse, une à une, ou plutôt deux à deux, mais jamais à la suite, les lâche par à-coups, le temps d'une ouverture, d'un renversement, d'une brisure. Traduit cela magnifiquement dans son corps. Se fend en deux, une espèce de dérèglement subit d'un centre de gravité que l'on pourrait qualifier de cubiste. Un écartèlement qui fuse du dedans, pour éclater au-dehors. Se cambre, les nerfs tendus, la guitare projetée en avant et les bras en allant qui bougent comme la gueule d'un squale affamé. Musique violente. La mélodie inaudible s'inscrit dans le silence des ruptures. Baptiste hérite peut-être de la tâche la plus lourde. Ses deux acolytes s'expriment sans paraître se soucier de leur concordance. Sont sûrs d'eux pour la simple raison qu'ils savent que c'est Baptiste qui recolle les morceaux de la porcelaine. C'est lui qui leur permet de rester libres. Quoi qu'ils fassent, quelle que soient leurs volitions, lui il amalgame. Fomente l'alliage. Interpénètre les deux métaux que les cordiers martèlent sur leur instrument et c'est lui le batteur qui produit le son de base qui englobe le tout. Le quatrième élément, c'est le chant. Djivan ne chante plus, il joue de sa voix comme d'un quatrième violon. La pose comme une section de trompettes que l'on mixe sur une bande.
The Urge, Oh Well ! King of the surf, Stranger, les Howlin' ont traversé la Manche. Un son de plus en plus anglais. Ceux des premiers temps, quand Animals et Yardbirds avaient entrepris de faire sonner leurs instruments comme jamais auparavant. Un truc tout simple, vous voulez une guitare alors jouez comme s'il n'y avait que vous dans le combo. Ne vous souciez pas des copains, feront de même avec leurs propres bécanes. Un parti-pris qui vous densifie la musique à l'extrême, en contrepartie vous êtes bien obligé de faire méchamment gaffe à ce que démantibulent vos flamboyants si vous voulez en placer une de temps en temps. Une stratégie qui vous prouve que le mieux est l'ami du bien. Un objectif : produire un son. Car le son c'est le groupe. C'est ainsi que Beck, Page, et Mickie Most ont modulé et modelé le rock. Les Jaws effectuent une telle montée en puissance, parce que partis de l'extrémisme rockabilly ils redécouvrent l'esthétique bluesique des anglais.

fu manchu,howlin'jaws + olympic café,tony truant et les grys - grys


Un morceau en français, fallait bien un zeste de couleur locale pour les Japonais, alors ils leur ont offert un vieux truc du patrimoine : le Oui je m'en vais de Jaky Delmone. Petit chanteur du début des années soixante. Sympathique. Réservé aux nostalgiques un peu pointus abonnés à Jukebox Magazine. A l'époque en France, les bons guitaristes se comptaient sur les cordes d'une basse. Jackie Delmone, ce n'était pas le démon. Maintenant filez un canasson à un bon cavalier et vous verrez le différence. Les Jaws vous le transforment en surf de la mort sur les plus hautes lames de Californie.
N'y a pas que moi qui apprécie les Jaws, le public s'est rapproché et ça tangue plutôt bien. You got to Lose, That's All Right, Tough Love, Snake your Hips clôturent le concert. Les Jaws changent un peu de braquet, un peu moins brutal et davantage de séquences instrumentales, juste pour montrer ce qu'ils savent faire. Un régal. Terminent sur une ovation.

TONY TRUANT & LES GRYS GRYS

fu manchu,howlin'jaws + olympic café,tony truant et les grys - grys


On ne présente plus Tony Truant, une légende du rock français, successivement guitariste des Dogs et des Wampas. Un visage qui accuse l'âge mais une sveltesse de gamin. Une chevelure qui lui tombe sur les épaules, bouclée et crénelée comme la tour de Nesle. Sait ce qu'il veut : des guitares à fond de train et rien d'autre. Doucement et sûrement n'est point sa devise. Professe une dernière fantaisie. Chante en français. Exclusivement en french language. Faut un peu de temps pour s'y accoutumer. L'on a davantage l'habitude de yaourter en un anglais qui se bouffe les mots que de découper la vaste amplitude palatale des sonorités latines de l'articulation des syllabes françaises. Tous Egaux devant l'Asticot, Vérole et Dose de Cheval, permettent d'ajuster les tympans. L'est malin Tony Truant lance le morceau sur un train d'enfer et puis pas fou il laisse l'orchestre se débrouiller pour assurer la route. Lui, dès qu'il se plante devant le micro il passe en rythmique et allez les petits jeunes, c'est le moment de foncer tête baissée. N'a pas tort parce qu'il n'a pas choisi les derniers des bras cassés pour l'accompagner. Les Grys Grys seront les rois du show.

fu manchu,howlin'jaws + olympic café,tony truant et les grys - grys


Un truc qui m'a sauté aux yeux dès les trente premières secondes. Le bassiste ne sait pas jouer de la basse. Vingt minutes plus tard Tony confirmera, deuxième soir qu'il joue de la basse. Inutile de crier au scandale. Ce n'est pas un bassiste. C'est beaucoup mieux. Un guitariste. Un soliste. Donc  ce soir nous aurons trois guitares, une avec le son légèrement plus grave, mais sans plus. Nous avons droit à un véloce aux doigts particulièrement agiles.
Ensuite il y a un harmoniciste. Sur les deux premiers morceaux il s'est comporté comme un harmoniciste. On ne lui en aurait pas demandé davantage. L'a bien ressorti son harmo trois ou quatre fois, pour tirer un riff durant une quinzaine de secondes, mais après bye-bye s'en détournera sans regret. Son truc à lui, c'est les maracas. Une, deux, trois ou cinq, qu'importe pourvu qu'il puisse les agiter frénétiquement, on le devine heureux. Enfin presque. L'a tout un tas de percus dont il use sans discrétion, plus une washboard, plus un tambourin. Quand il a épuisé sa collection il squatte une des cymbales de son batteur. Vous ne comprenez pas, trois guitares lancées à fond, un bat-man imperturbable qui cogne comme un forcené, Tony qui apostrophe le micro, comment peut-il espérer que des grésillements de pépins de calebasse puissent atteindre l'oreille des spectateurs ? Je vous affirme qu'on les entend. Très bien. C'est qu'il dépense une énergie incroyable. Incapable de rester en place. Saute partout. Bondit si haut, pour un peu il s'écraserait la tête contre le ourdi et la vision d'un gars, le crâne éclaté , les cheveux ensanglantés, restant collé au plafond nous apparaît comme une possibilité des plus logiques. Inéluctable.

fu manchu,howlin'jaws + olympic café,tony truant et les grys - grys


Vous n'y échapperez pas. Le troisième guitariste. Pardon : Le Guitariste. Porte un badge qui annonce la couleur : Flamin'Groovies. Tout un programme. La traversée du Jordan en aircraft. Pas une once de frime. Tout en concentration. Maintenant prêtez l'oreille. Si ça turbine à deux mille quatre cent tours à l'heure, c'est grâce à lui. L'a l'air de ne pas s'agiter. Les autres posent la première pierre et lui il finit la baraque de B à Z. Peuvent courir devant, lui il termine ce qu'ils ont débuté et laissé en plan pour aller plus loin. Et comme la stratégie de Tony est très simple. Rock and roll à fond les manettes, le morceau le plus lent est toujours le précédent, au fur et à mesure que le concert se déroule, son jeu prend de plus en plus d'ampleur. Les autres lui laissent à chaque fois davantage de boulot, et lui comble les trous avec une extraordinaire virtuosité. Après la version hyper speedée de Trop de Classe pour le Voisinage... Le Too Much Class... des Dogs, c'est carrément la chienlit riffique, c'est lui qui dresse la Tour Eiffel, à coups de trompes terminator. S'avance de guingois et darde le manche de sa guitare sur le public qui exulte. Un grand.
Faut dire que ça transbahute de tous les côtés. L'ambiance ressemble à un concert métal, ça houle de bâbord et de tribord, les corps s'entremêlent et se frottent avec violence, ça sent la bière renversée et la sueur de filles, l'on patauge dans le whisky et l'on essaie de surnager dans ce tohu-bohu festif. Règne une chaleur d'enfer. L'harmoniciste se vide un grand verre d'eau sur la tête, et un spectateur se précipite à ses pieds, pour allongé de tout son long, laper à même le parquet le liquide désaltérant. Tony remercie l'assistance, ne sait pas quoi dire, et comme il ne sait que jouer du rock and roll il relance la cadence. Vieux Canards, Dypsomanie, Zaza... les titres se suivent et se ressemblent dans leur folie furieuse. Lucas des Howlin' ne quitte pas des yeux le guitariste et hurle de joie, lorsque celui-ci lui ressort un de ses propres plans, deux notes qui font le grand écart aussi meurtrières que la botte de Nevers.
Maman n'aime pas ma Musique de Dick Rivers, et c'est la fin sur Merci... Mais ils ne parviendront pas à quitter la scène. Trop de désirs palpables émanent de la foule qui s'écrase sur le bord de l'estrade. Reprennent le taureau furieux par les cornes pour un ultime morceau.

BILAN


Chaude soirée ! Les Grys Grys sont à mettre dans le collimateur. Viennent d'Alès faudra les voir en tant que groupe à part entière. Avec un peu de chance cet été dans le Sud. M'ont plus impressionné que Tony Truant lui-même. Qui n'est pourtant pas né de la dernière pluie. Quant aux Howlin' Jaws, ce sont eux les authentiques rois de la soirée. Tony ressert une vieille recette, un potage qui ne manque pas de saveur, mais les Howlin' sont en recherche, ils essaient de faire progresser le rock, sont en train de faire péter les vieux cadres, et cela ça n'a pas de prix.


Damie Chad.

 

( PS : Les photos ne correspondent pas çà la soirée )

DU ROCK'N'ROLL

I : ETAT DES LIEUX


Three Stars est le titre d'un morceau d'Eddie Cochran qu'il enregistra au lendemain de l'accident d'avion qui coûta la vie à Buddy Holly, Big Bopper et Ritchie Valens, en 1959 voici près de soixante ans. Le rock n'en est pas mort pour autant, certains diront qu'il a même atteint un âge respectable. C'est ce qui pouvait lui arriver de pire.

fu manchu,howlin'jaws + olympic café,tony truant et les grys - grys

Difficile à admettre mais le rock n'est plus ce qu'il a été. S'est pourtant bien battu. L'a été durement touché, envoyé à terre, enterré même, mais il s'est relevé et est reparti à l'attaque comme si de rien n'était. 1956, 1964, 1977, dates symbole qui ne veulent rien dire mais qui signifient toutefois quelque chose. La génération des pionniers, l'anabase invasive anglaise, la révolte punk. Je vous en offre deux lectures. L'establishment amerloque qui parvient à juguler la trombe de cette jeunesse dévoyée qui n'eut rien de pire à faire qu'à adopter les us et coutumes des nègres... La vague britannique submergeant tout, souveraine, hégémonique, colonisant le monde entier finissant par distiller un ennui profond. Super groupes, musiciens cultes, trop parfaits, trop brillants, trop lisses, tournent en rond, lassent le public qui aspire à des nourritures davantage roboratives. L'éclosion punk. Un feu de paille, et de colère, mais qui remet les pendules à l'heure tout en arrêtant définitivement l'horloge.

Fifties, sixties, seventies, le compte à rebours est commencé. Pouvez aussi comparer ces différentes étapes à celles de la Révolution Française, le Tiers-état qui secoue le cocotier, le triomphe de la République, la Conjuration des Egaux, et puis patatras, l'on passe à une autre séquence historiale. C'est à ce moment que ça se gâte pour le rock'n'roll. Depuis les eigthies l'on patauge dans le Directoire dilatoire et l'on n'est jamais parvenu aux fastes victoriaux de l'Empire...

Oui je sais, le grunge, le hard, le garage, la musique industrielle, le noise, la teckno, le métal... Beaucoup de rock a coulé sous les ponts depuis... N'empêche que le rock'n'roll donne l'impression de se mordre la queue. L'engendre des sous-genres, des voies sans issue, qui vous éloignent plus qu'elles ne vous rapprochent du sujet. Comble d'ironie, le bâtard du blues se bâtardise. S'acoquine avec les musiques du monde, les uns exaltent ces mélanges séminaux les autres déplorent ce parasitisme variétoche. Le rock se termine comme le jazz. En eau de boudin. A épuisé toutes ses possibilités, est incapable de se renouveler, s'en va se servir dans les grandes surfaces démagogiques, lui qui ne fréquentait que les boutiques hyper spécialisées. Le carnivore électrique change de régime, broute à tous les râteliers.

II : SURVIVANCE


Mais tout cela n'empêche pas Nicolas que la Commune n'est pas morte. Le rock'n'roll survit. Cryptes, vieille garde et nouvelles franges. Devient une musique de ruche. Qui vrombit de mille insectes. Génération rockabilly, elle meurt mais ne se rend pas, pas encore en vue du cimetière mais se rapproche de la retraite. Vieux briscards du blues électrique. Font le pont entre la précédente et la suivante. Hordes métalliques, qui se renouvellent sans cesse à partir du terreau lycéen.

Le rock est partout, concerts dans les caves, les lieux spécialisés, les cafés, les bars, les festivals, les clubs de bikers, les petites structures municipales... Minoritaire mais actif. Porté à bout de bras par des associations, des blogues, des labels, des groupes. Une fourmilière chaotique qui reçoit bien des coups de pied mais qui reconstruit sans cesse des galeries où déposer ses larves. Ce n'est pas la grande invasion des termites qui s'apprêtent à ronger définitivement les poutres maîtresses de nos sociétés coercitives, mais un abcès de fixation purulent insensibles aux antiseptiques dont on le parfume régulièrement.

III : CONTRADICTIONS

fu manchu,howlin'jaws + olympic café,tony truant et les grys - grys


Subsiste toutefois un malaise. Les gouffres lovecraftiens qui renferment les Grands Anciens ne deviennent vraiment palpitants que lorsqu'ils laissent échapper quelques vapeurs méphitiques qui s'en viennent mettre le monde en grand danger. Certes la défaite est assurée mais dans les livres et les films les scénarios doivent naviguer entre deux écueils : la mort du héros, et tout aussi mortel, le triomphe définitif de ce même héros. Dans les deux cas, la poule aux œufs d'or est trucidée.

C'est identique pour les fans de rock. Fierté de faire partie de la légion des damnés, de s'adonner à un culte réservé à une élite, ultra-minoritaire mais ô combien exaltante. L'esprit des catacombes transfigure votre existence. Bien beau de former la minorité active, de fomenter la conjuration de Catalina, mais au bout du compte surgit la désagréable impression de s'être bâti une niche égotiste de survie écologique sans trop d'avenir. Nous avons creusé le trou, mais ce n'est pas nous qui avons vissé le couvercle dessus. L'on aimerait des lendemains qui chantent, l'on se contente des petits matins blêmes de la survivance.

L'on se raconte les vieilles légendes, Elvis foudroyant l'Amérique après une seule apparition télévisée, l'arrogance des Rolling Stones fédérant le mal-être de toute une génération, les Sex Pistols qui se jouent des médias, Led Zeppelin qui impose sa loi au showbizz... Grandiose ! Si Victor Hugo revenait il rajouterait quelques épisodes à la Légende des Siècles... Z'oui ! Zûrement ! Mais ne regardons pas trop derrière les belles images. Le rock a longtemps fonctionné comme les fusées à deux étages. Croyez ce que je dis, mais ne cherchez pas à savoir comment je le fais. Assis sur des gros tas de billets de banque. Derrière moi, il y a des majors, des entreprises qui font la course au profit, des actionnaires aux griffes acérées. Le rock n'aime pas le système mais le Système s'est dépêché d'adopter ces orphelins auto-proclamés. De la bonne zique par devant, et du gros fric sur les côtés. Jeunes gens en colère, chantez les frustrations mais entassons les millions. Suffit de présenter l'addition aux fans qui se feront un honneur de payer cash vos royales galettes.

Tout poison possède son antidote. En rock, cela s'appelle le Do It Yourself. Ecrivez vos paroles, enregistrez chez vous, ou chez des amis, vendez vos disques à la fin des concerts, faites votre pub sur internet, avec les moyens modernes induits par les nouvelles technologies, les réseaux sociaux, et un peu d'imagination, tout devient possible. Pour pas cher.
Pour pas loin aussi. Certes le monde a évolué. Fut un temps où vous étiez enfermé dans une cage. Vous avez maintenant la possibilité de créer votre zoo à ciel ouvert. Voire de résider dans une vaste réserve naturelle. C'est vous qui gérez les entrées et la réception des charters de touristes. Ne vous en prenez qu'à vous-même si vous ne vous y retrouvez pas. Appliquez vos idées philosophiques. Permettez-vous les petits prix, le chapeau de la contribution participative ou volontaire et même la gratuité absolue. Vous êtes libres. Dans l'espace délimité que nous avons eu la magnanimité de vous laisser. Si vous voulez pâturer hors des clôtures, vous changez de braquet. Ne venez pas vous plaindre si bientôt vous plafonnez. Dans vos revenus. Ou vous roulez en Deux-chevaux ou en Porsche. Ce ne sont pas les mêmes carrosseries. Ni les mêmes performances. La loi du marché. Nous n'y pouvons rien. Circulez, il n'y a plus rien à voir.

III : LAMARTINIENNES MEDITATIONS

fu manchu,howlin'jaws + olympic café,tony truant et les grys - grys


Le fan de rock est ainsi. Tel Ulysse entre Charybde et Scylla. A première vue des monstres pas si méchants que cela. Si vous choisissez le tourbillon, il vous refile une pêche extraordinaire vous avez l'impression de diriger votre destin, de mener votre barque à votre convenance. Pas d'intermédiaire entre le groupe et le fan. Principal danger : les eaux stagnantes de la dérive centripétique, vous vous engloutissez doucement au fond de l'abîme. Vous ramez à contre- courant mais vous accéderez un moment ou l'autre à l'épuisement... Ou alors vous abordez la crique accueillante du rivage. Vous plantez vos graines. Récoltes abondantes. Vous engraissez. Votre profil s'épaissit. Les chiens de la mer vous engraissent à chaque morsure. Vous brisez les miroirs pour pouvoir vous y regarder sans trop de risques. Mutation de votre métabolisme.

Fut un temps idyllique où l'hypertrophie du succès des groupes réjouissait les fans. La machine à fric vous pompait votre argent mais vous refilait des jetons de présence. Pas en espèces sonnantes et trébuchantes. Mieux que ça. En abstraction fiduciaire. Améliorait votre propre représentation hologrammique. L'idole se nourrissait du fan, et le fan de l'idole. L'artiste empochait the money et l'admirateur l'érigeait en totem propitiatoire dans son jardin intérieur. Pensait gagner au change. La valeur n'est-elle pas supérieure au vil métal ?

Une espèce d'alchimie d'un genre nouveau. La musique-rock se transformait en Rock-Culture Un partage à parts égales puisque communautaire. Elaboration d'une nouvelle attitude philosophique devant l'existence. Un regroupement de tribus bigarrées aux mœurs et coutumes divergentes mais en dernier ressort fédérées par ce vent énergétique propulsé par le rock and roll. Entre les Hells Angels et les Hippies la distance n'était pas plus grande que les modes de vie des différents peuplements des natives auxquels les colons furent confrontés sur le sol américain. Eux aussi perdirent les guerres indiennes. Comme nous. Sont parqués dans les réserves mais en contre-partie peuplent nos imaginaires.

La rock-culture est devenue un phantasme culturel. Le fan se répète à l'infini les scènes légendaires du film, qu'il ait ou non - cela dépend de son âge - participé à son tournage. Entre l'attitude et l'authenticité, souvent vous ne trouverez que l'épaisseur d'un billet de banque. Mais ceci est un autre problème. L'Homme se distingue des autres espèces animales par le fait qu'il produit des artefacts iconiques - non pas tellement des objets de terre, de bronze ou de titane - mais des représentations mentales qui s'immiscent entre lui et son rapport à la réalité de la nature.

Par corollaire nous pouvons affirmer que nos conduites sont soumises à l'emprise de notre milieu organisationnel social. Le rock and roll n'est qu'une réaction musicale et attituduelle – ce qui signifie contre-réaction instinctive et donc philosophique ( car la conceptualisation philosophique n'est que l'appréhension intellectuelle d'un mouvement de rejet ou d'attirance non encore raisonné devant une situation donnée ) - à un milieu évolutif jugé par trop contraignant.

Nombreux sont ceux qui s'étonnent du fanatisme des rockers. Avoir fait du rock and roll l'un ( souvent ce mot prend ici le sens d'unique ) des azimuts essentiels de sa vie étonne. Much ado about nothing, comme dit Shakespeare. Beaucoup de bruit pour rien. La traduction française évoque mieux le volume sonore incriminé ! En concluent que le rocker est un être sectaire. N'ont pas tout à fait tort. Ni tout à fait raison. L'est aussi, pour suivre une terminologie qu'adorent les sociologues et nos décideurs politiques, un indicateur. Le jour où cette balise n'émettra plus de signal, vous pourrez commencer à vous inquiéter.

Ce ne sera pas simplement qu'une génération aura été enfouie dans les froids caveaux ou réduits en cendre dans les brûlants incinérateurs des cimetières. Ce sera la deuxième extinction des monstres dinosauriques. Les manifestations sociétales de ces individus traduisaient l'imminence de l'émergence d'une société libérale d'esclaves satisfaits de leur servile condition. Et même s'ils n'y trouvent aucune satisfaction – I can't get no - ce sera trop tard. Cauchemar générationnel ? Le rock n'est-il qu'une forme parmi tant d'autres de rébellion métaphysique et infrapolitique ? Danger Zone.


Damie Chad.

 

 

01/11/2013

KR'TNT ! ¤ 161. ENDLESS BOOGIE / VIGON / FRENCH SIXTIES / CHRONIQUES VULVEUSES

 

KR'TNT ! ¤ 161

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

A ROCK LIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

25 / 04 / 2013

Endless Boogie / Vigon / French sixties /

Jean-Pierre Leloir + Johnny Hallyday / Chroniques Vulveuses

AU 106 / ROUEN / 18 – 10 – 2013

ON NE TIENT PAS

LES ENDLESS BOOGIE EN LAISSE

 

a1113dessin.gif

Paul Major et son cosmic boogie band faisaient halte à Rouen, par ce beau soir d'octobre irisé de nuées boréales. Après un souper composé d'une omelette aux champignons mexicains, d'un space cake, le tout largement arrosé de mezcal d'Oaxaca, nous nous dirigeâmes vers le Saucisse Céleste pour y accueillir les maîtres trippeurs.

 

a1110photo1.jpg

Ils apparurent sur scène un par un, comme sur la scène d'un petit théâtre de banlieue où l'on donne Kantor. Paul Major émergea des brumes artificielles et léger comme un fantôme, il alla brancher sa Gibson Les Paul Sunburst. Une longue chevelure encadrait son visage taillé à la serpe et noyait dans l'ombre ses yeux mi-clos. Il portait un T-shirt informel, un jean anonyme et des boots épuisées. Mark Ohe arriva quelques minutes plus tard. Il se pencha devant sa tête d'ampli et alluma son cosmic smartphone pour afficher la photo de ses réglages d'ampli qu'il reproduisit minutieusement. Par son allure sportive et décontractée, il banalisait les brumes. Harry Druzd arriva ensuite pour effectuer d'ultimes réglages sur sa drum-machine. Rien qu'à voir la taille de ses bras, on comprenait qu'il cognait dur. Son pas souple était celui d'un pisteur navajo et on sentait chez lui une sorte de familiarité avec la violence. Puis Jesper Eklow vint brancher une Dan Amstrong transparente, identique à celle que tient Cyril Jordan sur la pochette de l'album «Teenage Head». Une casquette de base-ball noire enserrait sa tignasse grise. Quelques minutes plus tard, Paul Major grogna comme un ogre dans le micro pour établir le contact avec le public et claqua un accord pour donner le départ d'un effarant cosmic trip. Franchement, de mémoire de trippeur, on n'avait pas vu une chose pareille depuis les très anciennes odyssées stroboscopiques d'Hawkwind. Aussitôt le premier morceau, on rejoignait les anneaux laiteux d'une lointaine dimension. Paul Major allongeait sans fin son boogie, jouait ses gammes en la, pendant que Jesper Eklow riffait sur sa guitare métabolique. Ils pulsaient un flux stompé bien linéaire qui finissait par générer l'hypnotisme tantrique grâce auquel on se détache du monde réel. Ils laissaient fermenter leur fracas boogie pendant une demi-heure et libéraient petit à petit des effluves d'énergies insoupçonnées. Ils jouèrent quatre morceaux dont le faramineux «General Admission» qui se trouve sur leur troisième album («Long Island»). Jesper Eklow charpentait cette monstruosité avec un riff purement stoogien et il embarquait son équipe et tous les voyageurs présents dans la salle vers des galaxies inconnues, au cœur du chaos. Jesper Eklow dégageait exactement la même puissance que celle dégagée jadis par Dave Brock et Lemmy, lorsqu'ils rivalisaient de violence sonique avec Dikmik et Del Dettmar occupés à persécuter leurs oscillateurs.

Le premier album des Endless Boogie s'appelle «Focus Level». Joli titre. En gros, ça peut vouloir dire niveau d'attention. Comme les deux albums suivants, la version vinyle se présente sous la forme d'un double album, avec onze titres répartis sur les quatre faces. «Smoking Figs In The Yard» donne le ton de l'œuvre. Ils démarrent avec un gros boogie inspiré, une belle bête qui fait le dos rond, grrrr, un son plein qui joue son va-tout et des gimmicks perlés qui relancent constamment la machine. Paul Major vire au Johnny Winter, pour le meilleur et pour le pire, sauf que c'est pour le meilleur. Jesper Eklow balance des coups de wha-wha là-dedans comme d'autres jettent des pelletées de charbon dans la gueule béante d'une chaudière de paquebot.

 

A1107DISCPARC.jpg

En l'écoutant, on a clairement l'impression que ce boogie-rock est vivant et qu'il bouge, comme bouge la charogne de Baudelaire. Tout y est rond, cocky à souhait. Break et ça repart sur les vieux sentiers de la gloire avec une énergie purement stoogienne. Ça chante comme ça dégueule, ça beefheartise dans le pâté punk, now c'moooon ! On retrouve l'énergie des grands boogie-bands américains comme Lynyrd Skynyrd, mais avec un gros suppositoire de speed enfoncé dans le cul. Un tel son et la beefhearterie adjaçante, tout cela sur fond de boogie ôte-toi-de-mon-chemin, c'est tout simplement inespéré. L'énergie bouillonne dans les veines de ce morceau. Voilà enfin des gens qui ont tout compris.

Ce n'est que le premier d'une série de onze titres. Les autres sont aussi inspirés. Bien sûr, il faut savoir apprécier le boogie. Ces gens-là s'inspirent directement de John Lee Hooker et redonnent vie à son esprit, par une sorte de tour de passe-passe shamanique.

Une intro hypnotique et des gargouillis beefheartiens lancent «The Manly Vibe». Si vous cherchez le groupe de rock du XXIe siècle, c'est Endless Boogie. Chacun de leurs morceaux sonne comme un classique, avec une intro massive, une montée en température et des grognements de bête sauvage. Le monstre se prélasse dans la bauge. Ils nous font tout simplement une resucée de «Sister Ray», mais vautrée dans la paille. On tombe rarement sur des disques d'une telle densité. Quand on écoute «Focus Level» pour la première fois, ça provoque un vrai choc. «Gimme The Awsome» est du pur jus seventies vaudou, un genre qui n'existait pas vraiment, sauf peut-être chez Doctor John. La chose se veut répétitive, conforme aux théories de Steve Reich. Back to the raw bone ! C'est tellement puissant qu'on paye pour voir. Le gerbeux «Executive Focus» n'en finit pas et «Bad River» renvoie à la fois à Captain Beefheart et à John Lee Hooker, avec une atmosphère plus moyenâgeuse, étrange et culbutante. Un véritable marécage. Pas besoin d'aller faire un tour en Louisiane. Comme son nom l'indique, «Steak Rock» est plus viandu, bien farci de notes de basse et de wha-wha, et articulé sur un gimmick de guitare dégingandé. C'est un pur cas d'hypnose caractérielle. Les Endless Boogie sont les rois de la transe. Ils piétinent allégrement les plates-bandes de Can et des autres pionniers de l'hypnotisme carabiné, comme Hawkwind, les Spacemen Three ou les Dragontears.

Personne ne peut résister à une horreur brûlante comme «Move Back». C'est du garage vénéneux extrêmement convainquant. Ils cultivent la déflagration, ils sont passés maîtres dans l'art d'insuffler des reptations sous-cutanées. On trouve dans ce morceau toutes sortes de choses extravagantes : un déluge de feu séculaire, du riffage pandémique, des solos stoogiens dégoulinants de fluides malsains et du gros beat en gelée à la mode de Caen.

Plus généralement, chaque morceau des Endless Boogie est une petit objet musical baroque qu'on pourrait presque considérer comme une expérience initiatique de fête foraine à deux sous. On l'a pour presque rien, on la teste en s'amusant bien et puis après on passe à autre chose.

 «Jamming With Top Dollar» mérite une petite explication. Top Dollar est le surnom de Paul Major. Ils ont d'ailleurs tous des surnoms, sauf le batteur Harry Druzd. On surnomme Jesper Eklow The Governor et Mark Ohe Memories From Reno. Dans le Magic Band, Captain Beefheart aussi avait attribué un surnom à chacun des musiciens. «Jamming With Top Dollar» renvoie directement à Canned Heat et au boogie à l'état le plus pur. La chose est bourrée de belles lignes de basse bien grasses et chantée bien sale. Top Dollar hurle comme un damné. Le boogie devient incontrôlable. Ils transfigurent le genre. C'est exactement ce qu'on ressentait en les voyant jouer sur scène. Leur véritable talent, c'est la transcendance.

Leur technique consiste à lancer des couplets d'apparence inoffensive puis ils mettent le feu au poulailler. Alors, ils dévorent tout, les poules en feu, le renard et les flammes. Paul Major est un grand fakir.

Le dernier morceau de cet album vivace s'appelle «Coming Down The Stairs». C'est du full blown boogie qu'ils overblowent comme des malades. Le morceau avance comme un rouleau compresseur. Somptueux et dévastateur. On sent le souffle d'une énergie démentielle et on ira encore piocher dans la caisse à surenchère pour taxer ce disque d'inégalable.

En l'espace de trois disques et de quelques concerts en Europe, Paul Major a réussi à créer l'événement, une sorte de mini-mythe basé sur le son, l'étrangeté, son look et la longueur des morceaux. C'est principalement ce qu'on demande aux musiciens de rock : qu'ils nous fassent rêver, qu'ils créent un univers dans lequel on puisse aller les rejoindre. C'est une vieille obsession qui remonte à l'adolescence : se protéger du monde des adultes. Pour ça, il existait un moyen radical : le rock. On s'y mettait à l'abri. Les adultes n'y avaient pas accès. 

 

 

A1108FULLHEADBOOGIE.jpg

Leur second album s'appelle «Full House Head». Quand on demande à Paul Major pourquoi on trouve cette photo de femme sans tête sur la pochette de l'album, il répond en rigolant qu'il ne sait pas. L'image sort d'un magazine de mode, c'est tout ce qu'il pouvait en dire. On se retrouve en gros avec le même genre d'ambiance que sur le premier album : huit longs morceaux répartis sur quatre faces, tous très atmosphériques et visant la transe. «Empty Eye» qui ouvre le bal est reptilien en diable. Paul Major chante ça avec une violence d'Ostrogoth et on sent la lente montée d'une marée fatale. En dix minutes, on se retrouve plongé dans le même bain.

«Top Dollar Speaks His Mind» pourrait bien devenir un morceau d'anthologie. On y entend Top Dollar piquer une crise. La colère lui va comme un gant. La machine se met en route mécaniquement. Cette fois, il nous fait un numéro à la Kim Fowley (I'm Baaaad), avec des régurgitations. Comme tous les autres morceaux, celui-ci est monté sur un principe implacable et garni de zones nébuleuses grassement wha-whatées. Retour aux Stooges avec «Mighty Fine Pie», bardé de gros accords sourds issus des ténèbres du passé. On retrouve dans tous les morceaux cette énergie dévorante qui fait le charme des Endless Boogie. Ils savent aussi taper dans le heavy blues. La preuve ? «Pack Your Bags», heavy blues des enfers impeccablement baveux et très hendrixien dans le groove. Puis Paul Major rend hommage au «Dropout Boogie» de Captain Beefheart dans «New Pair Of Shoes».

«Long Island» vient juste de sortir. Avec cet album, vous ferez de sacrées économies : plus  besoin d'acheter les albums de stoner et de groupes comme Atomic Bitchwax, Monster Magnet, Fu Manchu, Nebula, plus besoin des fucking Desert Sessions ni des disques de tous les autres heavy bone-crunchers. Paul Major et ses amis produisent une synthèse parfaite de tout le boogie stoner jamais imaginé dans l'univers.

 

 

A1109DISC3SPECTRE.jpg

Une sorte de monstre fantasmatique orne la pochette de «Long Island». Lors d'une halte en Norvège, Jesper Eklow est tombé par hasard sur ce tableau intitulé «Skogstroll», datant de 1906. Il n'en revenait pas : «Mais c'est Paul !» Effectivement, quand on regarde bien le troll, on voit Paul Major. L'album est la suite logique des deux premiers : aucune originalité, mais une sacrée maîtrise de monture. L'ordinaire finit par produire de l'extra-ordinaire. «Taking Out The Trash» est une sacrée pièce de boogie blast bien bardée d'accords, et piquée d'accents beefheartiens - day on me - sur la fin. Et puis on retrouve cette monstruosité qu'est «General Admission» sur la face 4, balayée par des vents d'Ouest chargés de wha-wah. C'est une hallucinante tourmente chargée de clameurs de perdition. Ils sont le MC5 par le riff, les Stooges par la wha-wha, la barbarie par le growl et l'avenir de l'humanité par la sainte ardeur.  

Alors évidemment, ce groupe atypique génère une sorte de buzz dans le Clochemerle musical. C'est une bonne chose. Pour une fois, on retrouve dans le rond du projecteur des gens qui en valent vraiment la peine.

Paul Major est un collectionneur de disques chevronné, comme l'était d'ailleurs Bob Hite de Canned Heat (il collectionnait les 78 tours de blues - la partie visible de l'iceberg apparaît sous la forme de compiles parues dans la série «Doctor Boogie Presents» - deux volumes parus - «Rareties From The Bob Hite Vaults» et «Bob's Traces - Nuggets From Bob's Barn»). Depuis quatre décennies, Paul Major fouille dans les bacs et les caisses de vinyles d'occasion à la recherche d'albums loufoques et surprenants. Il fait partie des gens qu'on appelle les diggers, en souvenir des gold-diggers de la grande Ruée Vers l'Or qui ravagea l'Ouest des États-Unis à la fin du XIXe siècle. Comme tous les diggers, il se fie parfois aux pochettes et donc à son flair. Un visuel incongru mène parfois à un disque intéressant. C'est une véritable loterie : on perd ou on gagne. Mais quand on gagne, ça peut rapporter gros, comme on dit aujourd'hui. C'est le pari que font les nouveaux diggers professionnels : «Investis un euro sur une foire à tout, Bob, il peut t'en rapporter deux cents si tu as le client pour te racheter la pièce que tu viens de chiner !» Du coup, on assiste à une nouvelle ruée vers l'or. Avant que le soleil ne se lève, les diggers grimpent à bord de leurs chariots et foncent à travers les plaines, de foire à tout en foire à tout, jusqu'à ce que les chevaux s'écroulent, épuisés et couverts d'écume blanche. Tous les villages de France et de Navarre organisent des foires à tout. Les foires à tout prolifèrent. On ne parle plus que des foires à tout. Que fais-tu demain ? Oh, je vais à la foire à tout ! Les pauvres y trouvent de paires de chaussures et de la vaisselle à un euro et les gosses y revendent leurs jouets pour en acheter d'autres. On dit même que ces foires sont devenues le passe-temps favori des Français de la douce France, du doux pays de mon enfance. Les diggers attachent leurs chevaux à l'entrée du village et se jettent dans les allées. Ils avancent d'un pas rapide. Il faut prendre de vitesse les autres diggers dont on flaire l'odeur dans les parages. Les diggers balaient tous les étalages du regard. Rien n'échappe à leur sagacité. Ils repèrent des cartons rangés sous les tables. Ils farfouillent dans les petits étalages d'objets misérables à la recherche de la pépite qui va leur rapporter quelques billets bien craquants. Comme le fut le ruée vers l'or en Californie, cette ruée de diggers échappe à tout contrôle et à toute forme de rationalité. D'autant que les prix flambent sur le net. L'argus devient fou, lui aussi. On voit la cote de certains albums grimper, de semaine en semaine, et ça n'en finit plus de jeter de l'huile sur le feu. «Ah tu voulais une copie du 'Bulletproof' de Hard Stuff , Bob ? Il fallait te décider quand elle valait encore trente euros. Tiens regarde, le pressage anglais, y vient de passer à quatre-vingt. Fais gaffe, Bob, la semaine prochaine, il passera le cap des cent ! Tu ferais mieux de te décider vite fait !» Écœuré, Bob répond que beaucoup de gens n'ont même pas ça pour manger dans le mois et qu'on trouve le disque sur CD à moins de dix euros sur Amazon. «Ah mais non ! C'est pas du tout la même chose, Bob ! Tu sais bien qu'il vaut mieux écouter un pressage original !» Bob ne répond pas. Il observe le visage de son ami et fait l'impossible pour masquer sa compassion. 

Les personnages de Tex Avery avaient des dollars à la place des rétines. Les nouveaux diggers ont les yeux qui clignotent comme des machines à sous. Gling glong ! Quand les deux poires apparaissent, gling glong, c'est qu'ils viennent de payer un euro un Blue Note très recherché. Ce n'est plus teenage lust mais digging lust. Ainsi vont les choses. On s'éloigne du point de départ qui est la musique. Mais peu importe, au fond. Seul compte le bonheur du digger qui vient d'arracher sa pépite du petit tas de déchets. Il lève les bras au ciel, brandit sa trouvaille à bout de bras comme s'il voulait prendre Dieu à témoin et se met à arpenter l'allée, criant à toutes et à tous qu'il est devenu riche et qu'il va de ce pas aller fêter ça au saloon. Il y entre fièrement, donne un violent coup de poing sur le bar et interpelle le barman : «Hola Ténardier ! Sors-moi ton meilleur whisky et remplis-moi tout les verres posés sur le bar à ras-bord ! C'est ma tournée !»

 

a1111photo2.jpg

Paul Major avoue humblement qu'il a toujours connu cette fièvre du vinyle rare, une pathologie que tous les amateurs de vinyles d'occasion connaissent bien. Tout le monde sait aussi que les ressources sont aussi inépuisables qu'elle l'étaient voici trente ans, lorsqu'on fouillait frénétiquement les bacs des second-hand shops à Londres. Une vie ne suffit pas à explorer l'extraordinaire labyrinthe de la culture rock. Plus on creuse et plus on trouve à creuser. C'est la raison pour laquelle on continue de hanter les conventions du disque et les boutiques de certains disquaires, car on brûle toujours de la même fièvre. Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé. Brûle encore, même trop, même mal.  

Petit à petit, Paul Major est entré en contact avec des collectionneurs basés dans le monde entier, ce qui lui permet de troquer des copies rarissimes ou de faire rentrer un très gros billet pour financer les imprévus. Comme il aime à le rappeler, avant Internet, il n'y avait rien ou presque. Les collectionneurs devaient se débrouiller avec des listes de dealers et des adresses postales. Dans les années soixante-dix, on pouvait s'offrir les pressages américains des Standells, des Yellow Pages, de Savage Revolution ou de Bohemian Vendetta en misant sur la auction list de Bomp. On trouvait aussi les albums du Thirteen Floor sur International Artists en allant tout simplement chez Music Action, Carrefour de l'Odéon. Ce n'était pas très compliqué, au fond. Et à Londres, on trouvait tout ce qu'on voulait chez Rock On et dans les second-hand shops de Golborne Road. On se débrouillait très bien avec les moyens du bord. Il est vrai qu'avec Internet, on se débrouille encore mieux, parce que l'accès aux disques recherchés se fait dans l'immédiat, ce qui dénature un peu le plaisir de la recherche. Quelques clics et un numéro de carte bleue suffisent. Pour les vrais collectionneurs, Internet est devenu l'outil indispensable, et on pourrait même dire l'outil rêvé. Pour les autres, c'est la porte ouverte à toutes sortes de dérives.

 

a1112photo3.jpg

Dans une interview, Paul Major indique qu'un album de Kenneth Higney intitulé «Attic Demonstration» fut l'une de ses plus belles trouvailles. Et comme tous les collectionneurs chevronnés, il cite en vrac des noms de groupes dont on n'a jamais entendu parler. Comme Lux Interior et Greg Shaw le faisaient de leur vivant, Paul Major continue de rechercher inlassablement les disques rares et insolites et il ne semble vivre que pour le bonheur de la trouvaille. Et comme Lux Interior, il parvient à canaliser sa passion, son énergie et son immense culture pour la réinjecter dans un groupe, histoire de donner un sens à sa passion. Endless Boogie, c'est la même chose que les Cramps. Ou que les Panthers Burns. Bob Hite jouait dans Canned Heat parce qu'il était dingue de blues. Paul Major fonctionne exactement de la même façon que Tav Falco, Lux Interior ou Bob Hite. Quand on aime la musique à ce point, on finit fatalement par se retrouver dans un groupe. C'est la seule finalité possible. Sinon, à quoi bon collectionner les disques ? Au contact de personnages comme Paul Major, les choses reprennent tout leur sens.  

Pour avoir pu discuter de Captain Beefheart et d'Edgar Broughton avec lui après le concert, je peux vous affirmer que ce personnage est un véritable héros, un pur rock'n'roll animal, digne des plus grands et de ceux dont il tire son inspiration. À 58 ans, il ne rêve plus de succès, on s'en doute bien. Il ne monte sur scène que pour jouer le full blown boogie avec ses amis.

Signé : Cazengler, gaga de boogie

Endless Boogie. Au 106, Rouen. 18 octobre 2013

Endless Boogie. Focus Level. No Quarter 2008

Endless Boogie. Full House Head. No Quarter 2010

Endless Boogie. Long Island. No Quarter 2013

PARIS / 19 -10 – 2013 / AU MERIDIEN

VICON SORT DE SES CONDS

 

a1125logoméridien.jpg

Pour voir Vigon sur scène, l'idéal c'est encore d'aller au Méridien de la Porte Maillot. Au rez-de-chaussée de l'hôtel se trouve le club Lionel Hampton, un endroit chicos dans lequel se produisent pas mal de grosses pointures. Il n'y a pas si longtemps, on pouvait s'installer confortablement à quelques mètres de Screamin' Jay Hawkins ou de Ike Turner et les dévorer des yeux pendant deux heures tout en sirotant ces merveilleux cocktails exotiques qui montent directement au cerveau. Vigon, c'est exactement du même niveau que Ike Turner et Screamin' Jay. Il est tellement auréolé de légende qu'on s'interroge : pourquoi si peu de gens viennent le voir se produire sur scène, alors que d'atroces connards remplissent les grandes salles de la capitale ? 

a1118vigon63.jpg

Ce mec est depuis 1965 l'un des deux géants du rock français (l'autre étant bien sûr Ronnie Bird). Quand on voit Vigon chanter sur scène, on comprend tout. C'est un pur, un type hanté par ses héros. Quand on le voit remuer la tête indépendamment des épaules, on sent la présence du fantôme de Ray Charles en lui. Le fait qu'il porte des lunettes noires ne fait qu'aiguiser ce sentiment. La façon dont il bouge le buste et dont il ramène le micro à portée de voix nous renvoie directement à Jaaaaaames Brown. Il fait une version tellement démente du divin «I Feel Good» qu'on sent nettement la présence du fantôme de Mister Dynamite. Oui, Vigon est bon à ce point. Il incarne l'esprit de tous ses héros disparus. Ça crève les yeux. Il y a du Otis en lui, du Ike Turner - il fait le baryton ikien sur une fiévreuse reprise de «Proud Mary» - du Little Richard, quand il screame «Bamalama Bamaloo - baby», l'un de ses vieux chevaux de bataille. Ils sont douze sur scène. L'orchestre comprend une section de cuivres complète avec saxophones et trompettes, deux mecs aux claviers, un fabuleux batteur, un guitariste qui joue le funk de Stax, un boute-en-train saxophoniste-guitariste qui présente les morceaux et qui chauffe le public. Et en prime, un mec qui souffle les basses dans un soubassophone, cette espèce de gros tuba qu'on voit dans les fanfares et qui est en fait une basse à vent. Vigon pilote cette énorme machine, comme s'il pilotait une formule 1, et il donne de violentes impulsions en dansant entre les couplets. Il a complètement intériorisé la magie du r'n'b. Son corps la contient toute entière. On voit bien que son corps obéit aux lois disloqueuses du funk. Il entre à l'intérieur de lui-même pour puiser dans cette lumière blanche et libère les vieilles énergies qui ont révolutionné le monde musical des sixties. En observant Vigon, on réalise qu'il fait ça pour de vrai. On réalise qu'il est hanté pour de bon. Il n'est pas dans la représentation. Il chante dans le club d'un grand hôtel, c'est vrai, mais il ne pense qu'à Jaaaaames Brown quand il attaque «I Feel Good», il puise dans la perception qu'il a de Mister Dynamite depuis cinquante ans pour trouver le ton exact, le ton juste. Il puise et c'est exactement ce qu'on voit, quelqu'un de présent mais qui est totalement ailleurs, en lui, habité par autre chose. Il ne pense qu'à chanter aussi bien que son héros, à pousser le bon cri au bon moment, à réussir l'attaque du couplet avec le même chien - 'nd I feel nice/ lik' sugar 'd spice. Vigon est comme Jeffrey Lee Pierce. S'il tient un micro sur une scène, devant un public, c'est uniquement pour invoquer les esprits. Tout le reste n'est qu'intendance. Il envoie des classiques comme «Knock On Wood» et «Hold On I'm Coming» rivaliser de verdeur et d'authenticité avec les originaux. Il nous gratifie d'une version irréelle de «My Girl», vertigineuse de feeling et de justesse - I've got sunshine/ On a cloudy day - l'un des morceaux les plus difficiles à chanter et que se réservaient quelques rares géants du calibre de Steve Marriott ou de Jim Reid. Sa reprise de «I'll Go Crazy» tient du miracle, pulsée par un shuffle de basse à vent et de cuivres. On se mord la lèvre pour ne pas crier au génie, tellement c'est gorgé de menace et de pulsions primitives. Il rappelle qu'«Harlem Shuffle» fut le morceau fétiche qui lui permit de remporter le tremplin du Golf Drouot. Et hop, il nous envoie une version de rêve, montée sur un groove impeccable. Par contre, aucune trace de Wilson Pickett, dans son set. Plus de Mustang ni de Sally, comme au bon vieux temps.

a1123affiche.jpg

En juillet 2004, Vigon participait à une sorte de festival historique. L'Olympia présentait le retour des pionniers du rock français avec une affiche des plus alléchantes : les Pirates, Billy Bridge et les Mustangs, Joey et les Showmen, Vigon et des tas d'autres qui, quarante ans après leur heure de gloire, paraissaient toujours prêts à en découdre. Nous n'étions là que pour Vigon, dont on avait un peu perdu la trace. Son impresario croisé dans la file d'attente éclaira nos lanternes en nous expliquant que Vigon s'était replié pendant vingt ans chez lui, à Casablanca, qu'il avait chanté tous les soirs dans un cabaret et mené la grande vie. Mais il était de retour à Paris et on pouvait le voir jouer tous les soirs dans un club situé à deux pas de l'endroit où nous faisions la queue : l'American Dream. Et pouf, il nous refila un flyer.

a1120bestof.jpg

Ce soir-là, l'Olympia était plein comme un œuf. Moyenne d'âge : soixante-dix ans. Il nous fallut un temps d'adaptation assez long. On se retrouvait mêlé à une stupéfiante concentration de ventripoteurs à cheveux blancs et de vieillardes accrochées comme des algues aux souvenirs de leurs quinze ans. On réalisait brutalement que le rock des origines avait pris un sacré coup de vieux, au point qu'on se posait de drôles de questions, du genre : et si les artistes revenus du passé étaient encore plus racornis que le public ?

a1124angenoir.jpg

Le grand rideau rouge s'ouvrit à vingt heures trente tapantes. Ce furent les Soquettes Blanches qui ouvrirent le bal avec des reprises des Chaussettes Noires, évidemment. «Dactylo Rock» et d'autres classiques de Schmoll - qui n'était encore à cette époque que Claude Moine - réveillaient des souvenirs lointains. On nous annonça ensuite les Pirates. Waouh ! Mais non, car il fallut déchanter. Ce fut le premier mauvais gag de la soirée. Un mec à cheveux gris habillé en noir se pointa tout seul et chanta deux ou trois rocks balloches à la mormoille. Puis ce fut le tour de Claudine Coppin. Personne n'avait jamais entendu parler d'elle et on comprenait pourquoi : une gosse femme blonde ventrue et massive comme un tonneau vint se dandiner devant nos yeux ronds de stupeur. Sortait-elle de l'imagination du Professeur Choron ? Le spectacle d'une grosse femme vulgaire arpentant la scène en chantant faux un truc inepte qui datait de l'époque où elle avait passé son bac, c'était du pur Choron. Avant de replonger dans les abîmes de l'oubli, elle signala au public qu'elle était suivie depuis trente-six ans par un hôpital de banlieue. Les Bourgeois de Calais fournirent ensuite une prestation de bonne facture. Sosie de Darry Cowl, le chanteur anglais Jeff Parker se pavana sur la scène en veste de smoking blanc - type ambassadeur au Kenya ou joueur professionnel à Macao - et il embarqua le public avec lui grâce à une reprise du pimpant «Forty Days» de Cliff Richard. Mais les choses basculèrent ensuite dans l'horreur. Jeff Parker annonça un morceau du nouveau disque des Bourgeois de Calais : «Jamais». Il s'agissait d'un disco-funk absolument désastreux. Ils réussirent à tétaniser l'Olympia. On espérait se shooter à la légende en venant assister à ce spectacle et ça tournait à la plaisanterie de mauvais goût.

a1138laplaya.jpg

Un mec des Champions arriva directement du Japon pour nous jouer des instrus lagoyesques. On croyait rêver. Il nous rejoua son tube du début des années soixante, «Playa», gros classique entré dans l'inconscient collectif. Puis les Mustangs se radinèrent dans leurs costards roses, mais sans Billy Bridge qui avait disparu. Un petit jeune le remplaçait au pied levé. Les Mustangs régalèrent les amateurs d'un joli medley d'instrus connus comme le loup blanc et coiffèrent leur set d'une version de «Madison» drôlement verte. Burt Blanca surgit des limbes du passé pour essayer de mettre le feu aux poudres. Petit et trapu, belge et vivace, le cheveu étrangement fourni pour un mec de son âge, il emporta l'adhésion du public à la force du poignet. Il bougeait, il allait, il venait, il ponctuait ses couplets de gimmicks de guitares bien incisifs, il essayait laborieusement d'imiter Jimi Hendrix, la guitare sur la nuque, il remuait des montagnes, il déménageait avec «J'déménage». Ce mec poilant et virulent nous redonnait du poil de la bête. On sentait bien que Burt Blanca avait conservé toute sa foi dans le rock'n'roll. Les vétérans des sixties présents ce soir-là dans la salle allaient reparler longtemps de la patate belge de Burt Blanca. Le gros truc arriva enfin avec Joey & the Showmen. Ils eurent du mal à se mettre en route, mais quand Joey s'y mit, ce fut comme un réveil en fanfare ! Quel guitariste ! Il démarra avec «Carol», en détachant l'intro sur deux accords. Joey avait un son énorme, avec sa strato noire et blanche. Il jouait avec une virulence peu courante. Ce mec avait lui aussi le rock dans la peau, c'était la faute à Ringo, le rock était son vice, c'était la faute à Elvis. Ce fut une version de «Carol» à tomber par terre. Joey bougeait bien, il était très physique dans son attaque au chant. Il enchaîna avec «Great Balls Of Fire», nouvelle performance brûlante à cause de ses incursions de guitare incendiaires. Rappelons que les trois quarante-cinq tours de Johnny avec Joey & the Showmen - «Les Rocks Les Plus Terribles» - comptent parmi les fleurons du rock français de cette époque. Ce qui fait le charme de ces trois EPs, c'est le panache électrique de Joey & the Showmen. Et en voyant Joey sur scène quarante ans plus tard, on comprenait le pourquoi du comment. Joey avait un peu une tête d'Yves Robert, avec ses moustaches. Il portait une chemise blanche au col grand ouvert et un pantalon noir. Pas d'effets vestimentaires. Tout le show reposait sur sa technique de guitare virulente et son étonnante modernité. Il fit monter un nommé Patrick sur scène pour une reprise de «Escuse-moi Partner». Malgré ses muscles et son cuir noir, le Patrick en question était mauvais, mais Joey doublait le chant de chorus épouvantablement bons et construits sur des mélodies inversées qui auraient épaté Jimmy Page. Il termina son set avec une version instrumentale de «Memphis» qui scia les connaisseurs. Les gros porcs de la régie tirèrent le rideau en plein cinquième morceau.

a1119vigonbethune.jpg

À l'entracte, des centaines de grabataires se ruèrent vers le bar. Ce fut un effarant spectacle. Reprise avec un combo ridiculement désuet, Mystery of Sound, qui nous pompa l'air avec des reprises des Shadows. Les Fantômes arrivèrent pour dire qu'il joueraient comme des fantômes, c'est-à-dire qu'on ne les vit pas. Le batteur jouait du jazz ailleurs et le bassiste était mort, c'était donc un vrai fantôme. Exit les Fantômes. Eux au moins, il essayaient d'être cohérents. Leur prestation éclair fut bien plus kitsch que celle des Pirates. Puis se radina sur scène le playboy de service, Mike Shannon, qui, apparemment, était dans les Chats Sauvages. Sa prestation fut typiquement sixties-variète-chanson de charme. Évidemment, les vieilles des alentours connaissaient les paroles par cœur. Celui qui lui succéda sur scène avait perdu sa banane en route. C'était assez embêtant pour Jacky Gordon, puisqu'il se prenait pour Jerry Lee. Sans mèches ni banane, la chose se révélait périlleuse. Avec un courage insensé, il s'escrima sur son clavier comme un beau diable, mais il lui manquait l'essentiel.

Ce fut ENFIN le tour de Vigon, pour lequel on s'était déplacés. Il arriva sur scène, tout de cuir noir vêtu. Il était plus que jamais ce diable marocain qui nous avait embrasé l'imagination au temps jadis et qui n'avait jamais connu la gloire qu'il méritait en tant qu'authentique soulman. Il balança trois énormes classiques du rhythm'n' blues coup sur coup : «Midnight Hour», «Hold On I'm Coming» et «Knock On Wood». Vigon était trop bon, presque miraculeux. Le jour et la nuit avec le reste du spectacle. Il incarna ce soir-là Wilson Pickett, Sam and Dave et Eddie Flyod, puis James Brown avec une version complètement allumée de l'explosif «I Feel Good». Vigon vitupérait. Vigon virait au vert. L'immense rocker marocain de nos rêveries adolescentes chauffa les fesses du firmament. Et je crois même qu'avec seulement quatre morceaux, il défonça la rondelle des annales et sauva la soirée du désastre.

a1115endofvigon.jpg

Sortait en 2008 un curieux disque compilatoire intitulé «The End Of Vigon», un album avec une face lente et une face rapide, comme l'étaient ceux de la collection des Formidable Rhythm'n'Blues jadis conçue par Atlantic. La pochette était celle d'un EP de Vigon : on le voit de profil, assis au sol, au sommet d'un escalier public, sur fond de ciel bleu. Il porte un pull orange et un pantalon noir. God, comme il est jeune. Même si on n'aime pas les morceaux lents, il faut faire l'effort d'écouter la face lente. Vigon y est vertigineux de génie soul. Son animalité ressort mieux dans les slows super-frotteurs que dans les jerks torrides, comme chez Otis, d'ailleurs. Son timbre est d'une justesse remarquable et il prend toute son ampleur dans les morceaux lents comme «It's All Over» et «Dreams». Ce sont de vraies merveilles à climats animées par des montées en puissance absolument fabuleuses, des coulures de kitsch qui scintillent comme des diamants. Tous les amateurs de soul devraient écouter ce disque extraordinaire. Il faut entendre Vigon hurler les dernières phrases de «Dreams» dans la plus pure tradition des grands soulmen de Detroit ou de Memphis. Vigon se racle la gorge avec une aménité qui pourrait subjuguer si nous n'étions pas nés de la dernière pluie. Il pousse des petits cris suspects et finit en hurlant comme un singe de Bali. Il est effarant de penser qu'on ne le prend pas au sérieux en France, alors qu'il est l'égal absolu de Wilson Pickett, de Percy Sledge, de James Brown et d'Eddie Flyod. C'est quelque chose, non ? Il dispose exactement du même registre, de la même classe, de la même énergie et du même génie d'interprétation. La face A est tellement haut de gamme qu'on devine ce qui se passer ensuite : la face B va exploser comme un volcan.

a1121pollution.jpg

Boum ! Et même badaboum ! Il entre directement dans la cour des grands avec «Pollution», un funk infectueux monté sur un beat toxico. Comment fait-il pour tenir cette chose en laisse ? Dieu seul le sait. Avec ce funk tendu, Vigon se montre l'égal de George Clinton. Il y a quelque chose de terriblement organique là-dedans. «Pollution» tient l'auditeur par les hanches. A-t-on déjà entendu funk plus jouissif ? Non, évidemment. Le bougre embraye sur «Harlem Shuffle». Il est dessus. Aucun doute. Il fait grimper la température. Il noie les paroles de ce classique dans la chaleur de son âme avant de les recracher pour que les trompettes les emportent au ciel, puis il calme le jeu - yeah yeah. Pure magie noire. On assiste à une remontée des trompettes et Vigon crie dans la nuit de Harlem - Aaaah Aaaah - On danse au fond de la salle sur cette prodigieuse fournaise de juke-box. Encore une fois, on ne comprend pas que ce demi-dieu marocain soit resté dans l'ombre. Il est beaucoup trop bon. Ça dépasse les normes. Vigon paye le prix fort, enfermé dans la légende comme le moucheron enveloppé vivant dans le cocon de fil tissé par l'araignée.

a1122vigonatco.jpg

Il tape ensuite dans le premier classicus cubitus de Sam & Dave, «You Don't Know Like I Know». Encore un joyau de la couronne qu'il emmène au pas, sans forcer le destin et qu'il chauffe à blanc, juste pour rigoler. God, comme ce mec est doué. Vigon ne craint pas le danger, car il tape dans des morceaux déjà parfaits, pour lesquels aucune valeur ajoutée n'est envisageable. Et pourtant, il réussit à leur redonner vie et soigne tellement son interprétation qu'il réussit chaque fois un miracle. Son talent fou le rend crédible. «Baby Your Time Is My Time» est plus groovy et plus orchestré. Pièce magnifique d'urbanité. «Ma chère Épiphanie, ce morceau te percera le cœur», disait le Comte de Lautréamont à sa carafe en cristal. Franchement, Vigon fait partie de ceux qui ne prennent pas les gens pour des cons en leur faisant croire qu'ils ont du talent. Lui en a, et à revendre. Fabuleux héros. Il reprend ensuite «The Spoiler» l'unique morceau d'Eddie Purrell enregistré chez Stax et composé par Donald Duck Dunn (après la parution du single, Eddie disparut. Personne n'entendit plus jamais parler de lui). Sur Stax, c'était déjà une vraie bombe. Un cinglant winner. Vigon prend à bras le corps cette monstruosité noyée d'orgue dès l'intro, cueillie aux cuivres et balancée dans la stratosphère. C'est un jerk mortel, de la race de ceux qui ont disparu avec Stax. Comme Eddie, Vigon y va - I'm a spoiler, ouuh - Monstrueux ! Do the spoil ! Comme Eddie avant lui, Vigon joue son va-tout. C'mon C'mon. Vigon entraîne son orchestre dans la course folle. Ce disque ressemble tout à coup à une bénédiction. C'est quasiment un coup à devenir mystique et à aller se recueillir au pied de la statue de Sainte-Cécile, la patronne des soulmen d'Occident. L'oreille en chou-fleur d'un banlieusard devenu provincial pouvait-elle rêver meilleur destin ?

Vigon va conclure son affaire avec un «Woo Woo Song» d'apparence inoffensive, mais la magie ne viendra pas au rendez-vous. On ressentira une certaine tristesse. On pressentira même  une fin prochaine. Le morceau ira son train jusqu'à la sortie des artistes et Vigon le suivra, la tête baissée, résigné, et il s'enfoncera dans l'ombre où son nom finira par se perdre aussi. 

Signé : Cazengler, le vigoné de service.

Vigon & the Dominoes. Le Méridien. 19 octobre 2013

Vigon. The End Of Vigon. Barclay 2008

FRANCOIS JOUFFA - JACQUES BARSAMIAN

GENERATION JOHNNY

LES IDOLES DES ANNEES SOIXANTE

( GRÜND / 2010 )

 

a1129rectobbook.jpg

Pas la première fois que nous rencontrons François Jouffa et Jacques Barsamian dans KR’TNT. Les deux compères, des vieux de la vieille qui ont vécu l’éclosion du rock en France en ses tout débuts, se retrouvent périodiquement pour traiter d’un pan de son histoire protéiforme. Comme la plupart de ceux qui ont connu ces époques lointaines leur cœur est resté accroché à ces années que l’émerveillement auroral et la nostalgie de cet âge d’intégrité qu’est l’adolescence recouvrent d’une indestructible patine légendaire.

Johnny en tête d’affiche, mais il existe aujourd’hui tant de livres publiés sur le personnage que l’intérêt du lecteur se portera avant tout sur tous les seconds couteaux que son apparition aura suscités. Reste encore à délimiter les années soixante. Géographiquement Jouffa et Barsamian ne s’embarrassent pas de mille précautions. Nous sommes en France et nous ne nous éloignerons pas de ses rivages. Si vous ne savez pas qui sont Elvis Presley ou les Beatles, à vous de parfaire votre culture par des lectures complémentaires, citeront leurs noms sans plus d’explications. Historiquement, c’est déjà plus difficile. La France s’est énormément transformée durant cette décennie fabuleuse. Mettront le curseur entre 1958 - arrivée du Général De Gaulle au pouvoir - et 1968 année évènementielle par excellence, sans s’interdire de déborder allègrement des deux côtés de ces dates significatives mais peu fatidiques.

LE GOÛT DU PUBLIC

A musique populaire, public populaire. Les mouvements minoritaires, les chapelles groupusculaires ne seront évoquées ici que si elles parviennent à faire basculer les goûts d’une large fraction de la population. Ce livre n’est pas une contre-histoire du rock and roll, il suit le curseur majoritaire dans ses déplacements les plus gravitationnels. Tous ceux qui n’essaient point d’échapper à la force obscure du grégaire goût des masses silencieuses à ruminer la nourriture distribuée sans chercher à voir si ailleurs l’herbe est plus verte trouveront ici pâture à leur dévotion.

a1130verso.jpg

Près de trois cents artistes évoqués, en gros tout ce qui est passé sur les antennes radio. Pour les marges qui n’ont pas eu accès à un minimum de diffusion sur les ondes, rien. L’on reste parfois sur sa faim, l’on aimerait bien savoir la suite de l’aventure pour ceux qui se sont retrouvés à la case départ de l’anonymat plus vite que souhaité.

FIFTIES RATEES

La France est passée à côté des fifties. En ces temps-là l’Amérique est au-delà des préoccupations quotidiennes. La droite est très conservatrice et la gauche dominée par le Parti Communiste est en guerre froide culturelle envers ces satanées yankees dès les années trente. L’on aime le jazz, l’on aime le swing, l’on aime cette musique de nègres exploités par les méchants amerloques, mais à la française, aveuglément. Le jazz est du côté du bien, en toute logique Elvis ses rouflaquettes et son rock épileptique se retrouvent classés dans le camp du mal.

Faut regarder les photos du groupe surréaliste, tous engoncés dans leurs costumes et ficelés par leur cravate, pour comprendre comment tout ce qui bouge, tout ce qui s’inscrit dans des stratégies de ruptures sociétales et artistiques a été annexé par la frange la plus intellectuelle mais aussi très embourgeoisée de la jeunesse française… Faudra le pressentiment de la guerre, son éclatement et son lot de privations pour que quelques cohortes estudiantines arborent un véritable look séparatif. Les zazous ne feront pas de petits par chez nous. Ce sont les prolétaires anglais qui récupèreront leur manière de s’habiller qu’ils requalifieront d’Edwardienne.

Le premier chapitre court de Charles Trenet à Gilbert Bécaud. Sans oublier Jacques Brel et Sacha Distel. L’idéologie gauloise du savoir-faire national et de l’humour gras est en place. Celle qui sera magnifiée à la puissance dix par Boris Vian. Plus on est stérilement stupide, plus on se sent intelligent. L’on écrit de la chansonnette et l’on se croit détenteur d‘un esprit de finesse sans égal. Vian disparaîtra an 1959, la jeunesse des années soixante ne le regrettera pas, la génération étudiante des années 70 le remettra à la mode. Ces jeunes gens qui prennent le train de la pop music en marche décrèteront, sans avoir jamais rien entendu d’autre que ce que leur propose ( chichement ) les média, que tout ce qui existait avant eux n’avait aucune valeur… Nous ne reviendrons pas pour l’avoir souvent dénoncée dans nos colonnes sur la navrante galéjade du soi-disant premier disque de rock français d’Henry Cording, concoctée par le trio des pitres pitoyables Vian- Legrand-Salvador.

a1132claudepiron.jpg

Claude Piron a bien la prescience que le rock and roll c’est autre chose que de l’amusement rythmé, mais il ne convaincra jamais sa maison de disques Ducretet Thomson du sérieux de la chose. En fait un Gabriel Dalar, un Richard Anthony ne sont pas branchés sur les pionniers, ils sautent dans le train au bon moment mais se trompent de wagon, entre Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent et Johnny Ray, Paul Anka, les Kalin Twins il ya toute la différence qui existe entre la folie et le romantisme à l’eau de rose. Quant à Danyel Gérard qui met sur le même pied d’égalité Elvis et Bécaud, l’on ne peut pas dire qu’il avait une idée bien claire de l’essence du rock and roll. Modérons toutefois nos critiques, Boris Vian avait l’œil, tournait comme un vautour autour des têtes nouvelles, leur refilait de ses propres chansons prenant ainsi bien soin de castrer la concurrence avant qu’elle ne déplie ses ailes loin de lui. Devait pas être facile non plus, vu le peu d’informations et de documents qui devaient traverser l’Atlantique en ces temps préhistoriques, de pousser l’analyse très loin. D’ailleurs ce n’est pas le disque qui sera le vecteur d’accès au rock and roll pour la véritable première vague de nos rockers nationaux, mais le cinéma. D’abord par l’entremise du western, ensuite grâce aux films de James Dean et d’Elvis Presley ( merci, mon colonel ! ).

a1131dalar.jpg

PLACE A PART

Si le rock a éclaté en France c’est un peu parce que Johnny n’a pas emprunté le canal historique de la jazzriété française. Provenait d’autre part. Un enfant de la balle, abandonné par ses parents, récupéré par sa cousine Desta et son mari Lee, artistes de music hall et de cabaret… pour lui le chemin est tout tracé, sera un artiste qui bouffera de la vache enragée pour survivre… Ne va pas souvent à l’école mais fait déjà ses petits numéros sur scènes, habillé en cowboy, chantant Brassens et Aznavour jusqu’au jour où il rencontre Presley dans un cinéma. A quinze ans il sait ce qu’il veut devenir : chanteur de rock.

a1133discjohnny.jpg

Mais un chanteur de rock sans public c’est un peu comme Néron sans son aula neronia, ce fan club qui le suivait pour applaudir l’Empereur à chacune de ses représentations, Johnny aura son noyau de supporters fervents qui lui permettront de remporter ses premières victoires auprès d’un public récalcitrant. N’y a pas alors beaucoup d’endroits en région parisienne où la jeunesse puisse se divertir sans se faire rappeler à l’ordre à la première incartade. Vous refais pas non plus la saga du Golf ( j’attends de remettre dans mon barda la main sur le bouquin d’Henri Leproux pour vous en causer plus longuement ), d’autant plus que du Golf émergera Hallyday mais aussi quelques unes des têtes les plus importantes de la génération Yé-yé.

GENERATION YE-YE

Car si Johnny réussira à s’imposer ce n’est pas le rock qui sortira gagnant de la bataille. Va y perdre trop de plumes dans les pugilats. Le yé-yé empochera la mise. Le rock français déboule trop tôt et trop tard. Dès 1959, la pendule du rock est arrêté aux Etats-Unis, les deux derniers rockers encore en activité, Vincent et Cochran s’en viennent travailler en Europe. En Angleterre les maisons de disques ont eu le temps d’amadouer les poulains les plus sauvages, Cliff Richard, Billy Fury, Marty Wilde se laissent manœuvrer par Larry Parnes et leurs maisons de disques et enregistrent un flot de romances sucrées… Les Beatles eux-mêmes seront obligés d’attendre des temps meilleurs au Star Club de Hambourg. En France il n’y aura pas d’échappatoire de recours, le rock restera prisonniers entre les quatre murs de l’hexagone et suivra le principe de déperdition de l‘énergie en vase clos. L’introduction de ferments étrangers telle les tournées de Gene Vincent ou la venue de Vince Taylor chez Barclay ne confirmeront pas leurs exemplaires promesses. Taylor sera même victimisé par ce vice congénital de la mentalité nationale en son immense majorité rétive au rock and roll.

a1134vincetaylor.jpg

PREMIERE VAGUE

Cela n’avait pourtant pas trop mal commencé. En quelques mois, suite à la folie déclenchée par les Chaussettes Noires et les Chats Sauvages, des milliers de groupes éclosent sur notre territoire. Hélas, la quantité n’a jamais été synonyme de qualité. Du jour au lendemain des milliers de jeunes gens s’improvisent chanteurs ou guitaristes de rock. Ne savent évidemment ni chanter, ni jouer. Ce n’est pas le plus grave. Après tout nombre de groupes punks n’étaient guère plus performants en leurs débuts. Techniquement parlant, oui. Mais dans la tête les jeunes anglais de 1976 possédaient des centaines de plans rock entendus à la radio, regardés à la télé, stockés dans des milliers de vinyls, facile de faire du rock dans ces conditions. Nos condisciples mangeurs de grenouilles ne pouvaient puiser qu’en de maigres bagages. Beaucoup n’avaient qu’une idée toute approximative des arcanes de cette musique du diable. A part quelques disques de Presley, et souvent pas les enregistrements Sun mais ceux déjà altérés de chez RCA, et les disques de Cliff Richard qui connut une récupération parallèle à celle d’Elvis, fallait être un sacré fouineur dans nos provinces pour s’allaiter aux bonnes crèmeries.

a1135fingers.jpg

Difficile de chanter du rock en français, comme par hasard les trois premiers furent les trois meilleurs, même si rien ne laissait prévoir comment les voix d’Hallyday, de Mitchell et de Rivers allaient se bonifier avec l’âge, et le travail. Alors dans les groupes rock l’on tourna la difficulté en l’évitant. Ce fut la revanche du musicos sur le lead singer, ce mec qui s’appuie sur les copains qui s’escriment sur leurs instruments derrière lui et dont il prend un malin plaisir à couper les plus beaux effets en beuglant dessus tel un veau appelant sa mère pour téter. En plus c’est lui qui emballe les filles à la fin du set. Supprimer le problème et il n’y aura plus de problème. Les Englishes ont trouvé la solution : prenez Cliff Richard et les Shadows et les minettes se pâment pour Cliff. Laissez Cliff à la maison et malgré ses lunettes de myope Hank Marvin vous a tout de suite une gueule d’Apache de cinéma. N’y a pas photo non plus sur le produit, des mecs qui chantent y en a toujours eu, même sous les hommes préhistoriques, mais un son de guitare électrique, ça c’était la nouveauté absolue, le bruit que l’on avait encore jamais ouï par ici, le symbole du rock. Les Fingers, les Mustangs, les Champions, retiennent l’oreille des connaisseurs.

a1137mustangs.jpg

Danny Boy ( autrement dit Claude Piron ) et ses Pénitents, Vic Laurens et ses Vautours, Danny Logan et les Pirates ne donneront l’illusion que quelques mois. Chanteurs sympathiques mais qui n’ont pas la carrure et qui surtout seront incapables d’imaginer une autre voie que celle qu’ils ont empruntée d’instinct et d’une manière assez irréfléchie emportés par l’ivresse du moment. Les musiciens n’étaient pas plus doués que leurs maîtres chanteurs. En studio l’on fait appel à des vieux du jazz qui savent au moins tenir un rythme sans décrocher toutes les dix secondes. Misère et petitesse du rock français à ses débuts !

a1141vicvautours.jpg

Laissez-les jouer et les yé-yés reconnaîtront les leur. Lorsque le reflux arriva les plus mauvais rentrèrent chez eux la guitare entre les jambes, les meilleurs se retrouvèrent derrière nos trois grands rockers nationaux qui n’hésitèrent pas aussi à piocher ailleurs, dans les Play Boys de Vince Taylor par exemple, et puis comme il faut manger tous les jours l’on finit par exemple par accompagner Claude François… Par un juste retour de manivelle beaucoup de musiciens de la deuxième vague des groupes français des années soixante dix provenaient des orchestres de nos chanteurs de variétés où ils pantouflaient et s’ennuyaient…

LES YE-YES

Mais à force de parler des problèmes de nos rockers, vais oublier de vous causer du principal contenu du bouquin. Les rockers ne furent qu’une minorité, pas plus de dix pour cent, et souvent des personnages pathétiques à la Moustique qui reçut l’adoubement de Little Richard et de Gene Vincent, ou à la Rocky Volcano, un peu moins perdu, un peu plus profiteur, mais tous deux des marginaux qui ne surent rentrer dans le système du showbiz. Des amateurs de rock, mais surtout des amateurs tout court avec ce que ce terme peut contenir de mépris.

a1142volcano.jpg

Ce sont les bosseurs à la Claude François - toujours à l’affût des modes middle of the road venues d’Amérique - ou des clones à la Sheila obéissants à leurs producteurs pygmalions qui finirent par s’implanter dans le consensus mou du bon goût franchouillard… Jouffa et Barsamian ne portent guère de jugement de valeur - du moins font-ils l’effort de se l’interdire - s’en tiennent au fait mais l’articulation de leurs chapitres aide à comprendre comment l’on est arrivé à une telle catastrophe. Des Ronnie Bird, des Noël Deschamps, des Vigon, des Gille Nau, des Herbert Léonard, sont impitoyablement rejetés par le système ou pire parfois édulcorés et même châtrés. Ou ils se taisent, ou ils se soumettent.

a1143ronniebird.jpg

Johnny parvient à surnager. Y laisse parfois son authenticité rock, enfile un costume pour passer à l’Olympia, part bidasse à l’armée, se déguise en hippie, chante San Francisco au risque de perdre toute crédibilité rock auprès des blousons noirs et de ses premiers fans, mais franchit avec plus ou moins de pertes, tous les barrages que le système lui oppose…

a1136noel.jpg

Entre temps l’on amuse le public avec de faux débats, Johnny contre Antoine, tout est bon pour l’éloigner du rock and roll. Après Adamo par trop vieillot, l’on profile des vedettes un peu plus charismatiques à la Polnareff et à la Julien Clerc et les années soixante sont déjà terminées. Mais chassez le rock par la grande porte il rentrera par le vasistas de chiottes. Si la première génération des années soixante a été décimée, une frange du public, certes minoritaire mais agissante, qui a gagné en maturité et en connaissances se branche désormais directement sur ce qui se fait aux States et dans le Royaume-Uni.

Les retombées d’un tel mouvement seront catastrophiques pour la génération rock des années soixante-dix, tout ce qui sera produit en France sera automatiquement suspect. Le rock français souffrira d’une taxe rédhibitoire, les groupes et les chanteurs ne trouveront jamais ces noyaux primordiaux de fans qui permettent à un groupe de progresser et de s’installer dans leurs propres musiques.

Cette Génération Johnny fourmille de renseignements divers. Qui parmi les lecteurs de KR’TNT a par exemple entendu parler d’une chanteuse comme Eileen ? Ne vous suicidez pas de honte et de désespoir, ce n’est pas la Janis Martin de nos contrées ( toutefois vous pouvez trouver Mickey Baker sur un de ses disques ). Le phénomène rock national ( très délayé ) est tout de même analysé avec soin, notamment sa propagation sur les ondes radio. Un livre précis et précieux pour mieux comprendre l’infortune du rock français.

Damie Chad.

JOHNNY SIXTIES PAR LELOIR

( présenté par Gilles VerlanT )

FETJAIME / OCTOBRE 2009

 

a1145book.jpg

C'est cela la vie, à peine êtes-vous mort que l'on vous fout au pilon. Sic transit gloria mundi. L'ai trouvé à deux euros cinquante, grand format, relié avec jaquette bristol, belles repros noir et couleur chez Noz, la grande surface des petits pauvres ). Neuf, ça vous en coûtait trente pour le mettre sous votre sapin de Noël. J'en connais plein qui déclareront qu'ils préfèreraient brûler leur conifère – ce qui s'appelle mettre le feu - si par mégarde ils trouvaient un livre consacré à Hallyday dessous.

Oui, mais c'est du Jean-Pierre Leloir. L'a cassé sa pipe à presque quatre-vingt berges en décembre 2010. Un vide dans le paysage de la photo-rock. L'était là depuis les tout débuts, et l'en est passé du beau monde dans ses focales. Du moins bon aussi. S'en explique à mots couverts dans son bouquin. Faut manger tous les jours. Encore que tout le monde ne picore pas les mêmes gourmandises dans son assiette.

 

a1147leloir.jpg

Peu de textes. Mais en stéréo. D'abord Leloir qui expose ses souvenirs sur ses prises de vue. Suivi d'une séquence Repères dans laquelle Gilles Verlant ( encore un, parti un peu trop vite ) situe – je n'ose pas dire plus objectivement – historiquement ( en toute simplicité, le point sur la carrière de Johnny ) l'évènement couvert par l'envoyé spécial.

 

a1149affichealhabra.jpg

L'a déjà pas mal bourlingué dans les backstages Jean-Pierre Leloir lorsque l'envie le prend de se rendre à L'Alhambra à la première de Raymond Devos. Pas pour le comique troupier, mais pour la première partie. L'on en parle de plus en plus de ce jeune blanc-bec. N'est pas en service commandé pour Jazz Magazine, simplement le désir de juger par lui-même du phénomène. C'est que le rock n'est pas en odeur de sainteté dans les milieux du jazz français. Nous ne reviendrons pas sur la lucrative hostilité manifestée par le tandem Vian-Salvador à l'encontre de cette musique de sous-développés musicaux.

 

a1146jazz.jpg

Ce soir-là, Leloir fit montre d'indépendance et d'esprit de liberté. Peut se le permettre, son carnet de chasse parle pour lui, a déjà photographié tous les géants du jazz de Louis Armstrong à Billie Hollyday... Sur place, il ressent en quelques minutes que Johnny Hallyday n'est pas seul, que derrière lui c'est toute une génération douée d'un incommensurable appétit de vivre qui se presse. Stupidement, l'on espère qu'en abattant l'arbre, on mettra aussi la forêt qu'il cache en coupes réglées. Et le gamin s'en tire mieux que bien. Le subjugue par son courage. Tient tête à la cohue. La provoque même. Par inconscience peut-être. Ou porté par l'esprit messianique des anges exterminateurs.

Ensuite c'est l'engrenage, la montée en flèche de la carrière de Johnny occasionnera de multiples reportages. Puisque l'homme a déjà vu la bête et qu'il en est revenu vivant, autant l'envoyer à lui. Salut Les Copains, Paris Match, Rock & Folk – il fait partie de l'équipe fondatrice – le délèguent auprès de l'idole. S'en suivra une amitié, quelquefois en pointillés, mais durable.

La connivence s'arrêtera aux débuts des années soixante dix. Le métier se professionnalise. Entendez par là, que l'on cherche à tirer un maximum d'une soirée. Tu fais deux ou trois photos et tu files à l'autre bout de Paris couvrir truc machin chose qui donne une représentation... De l'autre côté, le staff des artistes tient à tout contrôler, l'on parque les photographes en un seul endroit, ils ont droit à quinze minutes et après basta. Finie la belle époque où l'on promenait son appareil un peu partout, devant, derrière, sur les côtés, en totale liberté.

Jean-Pierre Leloir s'en va voir ailleurs, sans haine ni rancune. Témoigne tout au long de ses commentaires d'un profond respect pour Johnny Hallyday. Possède son éthique. Dans la mesure du possible, il ne photographie que les artistes qu'il aime. Déteste aussi travailler pour la gloire, on le sent attentif à ses droits.

 

a1144hendrix.jpg

Par une étrange bourrade du destin Jean-Pierre Leloir qui a côtoyé les stars du jazz et du rock – d'Ella Fitzgerald à Jimmi Hendrix - est surtout connu du grand public pour la photo qui réunissait Brel, Ferré et Brassens sur la couve du N° 25 de Rock & Folk, un truc vraiment pas rock and roll selon ma très sectaire opinion.

Je préfère – et de loin – m'attarder sur les photos de Johnny Sixties. Font un peu mal au coeur, découvrir Hallyday si jeune alors que l'on voit sa gueule de septuagénaire un peu partout autour de nous. Ah ! Les ravages du temps. Moral dans les chaussettes noires du désespoir. Sommes-nous tous inclinés sur un tel naufrage ! Pas moi ! Pas moi !

 

a1148train.jpg

Pour ceux qui comme moi était tout mineau aux débuts de la carrière d'Hallyday, c'est un peu comme regarder un album de photographies de familles. On les connaît par coeur, toutes, ou des similaires, en ces époques Johnny était un vrai caméléon, changeait de look comme de chemise, tous les trois mois il réapparaissait sous une autre forme. Le dieu Protée. Rien que la teinte des cheveux, un nuancier à rendre fou les maîtres de la peinture de la Renaissance. Jean-Pierre Leloir réussit à gommer ces incessants changements car il emploie très souvent le blanc et le noir. Pour les photos studio, le fond du cliché est si sombre qu'il parvient toujours à affadir les couleurs les plus crues.

Le livre ne déroge pas à son titre, Johnny est la vedette. Pour les photos de scène lorsque l'on a la chance d'apercevoir un musicien, c'est bien parce que Leloir ne pouvait pas l'abstraire de son champ de vision ! La plus belle selon moi, issue de la série qui a servi à la pochette de son sixième trente-trois tours Halleluyah, Johnny descendant d'un vieux train, prise en Allemagne, mais qui trimballe toute la mythologie des hobos américains. De la belle ouvrage. Mais en réalité, je préfère celle de L'Olympia ( 19 septembre 1961 ) Johnny penché sur le micro, dans une superbe pose, à la Gene Vincent.

Damie Chad.

PEREGRINATIONS D'UN ROCKER

Vendredi soir, 25 octobre, malade comme un chien je renonce à me rendre au concert de Philipe Fessard et Thierry Lecoz au Saint-Sauveur à Ballainvilliers. La mort dans l'âme... Samedi après-midi, 26 ( je vois que vous savez compter sur les doigts ) octobre la forme revenant je me précipite sur Rockarocky, et là devant mes yeux émerveillés, je dois avouer que les Dieux du rock'n'roll m'envoient un super lot de consolation, quatre concerts accessibles pour la teuf-teuf, ne reste plus qu'à faire le choix. Cornélien.

Les Hoop's à Chavin dans l'Indre, un peu loin tout de même, mais j'aime bien les Hoop's, les Alley Cats au Saint Vincent à Saint Maximin, un groupe que je ne connais pas dans un café qui nous reçoit comme des rois, alléchant, toutefois faut se taper la traversée de Paris, tiens en pleine campagne dans un coin perdu de l'Yonne, aux Bordes, les Ol' Bry que je n'ai pas vus depuis longtemps, plus les Cosh Boys des Ritals, et UB Dolls, super ! un groupe de filles, je savoure déjà, mais non je vois les scènes de jalousie à la maison, les reproches perfides et les basses insinuations, évitons les psychodrames. Attention ! les Atomic Cats à Vity le François. Un gang de sauvages, m'étais promis de les revoir après leurs quatre titres chez Rocker's Kulture, mais ces Dijonnais se cantonnent très souvent aux alentours de la ville de Dijon chère à Aloysius Bertrand et les voici qu'ils poussent leur graine de moutarde dans le sud du nord, faut récompenser leurs efforts, bingo, c'est là que j'y go.

La teuf-teuf ronronne de plaisir. Nuit noire mais elle pourrait y aller les phares fermés. Facile depuis la maison, c'est 107 kilomètres tout droit, sans dévier d'un pouce, un vrai vol d'oiseau. Dans Vitry, encore tout droit, vous suivez le panneau «  Centre Ville » puisque ça se situe au centre du centre ville. Place de la Halle. De quoi haleter de plaisir car vous pourriez mettre le château de Versailles, sous le chapiteau de bois.

 

a1126cladagpub.jpg

Claddagh Club, l'ai déjà repéré, la terrasse est illuminée et une trentaine de jeunes squattent devant. Malédiction, ils refusent du monde ! Non, la horde s'éclipse je ne sais où, la porte est grande ouverte. J'entre, je me précipite, je longe le bar, l'orchestre doit être au fond. Pas la trace de la moindre de la contrebasse à tête de mort de Hugo Garcia, doit y avoir une cave au sous-sol, j'interroge le patron derrière le comptoir «  Les Atomic Cats, c'est ici, mais c'était hier vendredi ! » Je frémis, je suis au bord de la rupture cardiaque, mais la voix compatissante d'une jeune femme à mes côtés ( le gauche ) vient faire écho à la mienne : «  Nous sommes deux, moi aussi je croyais que c'était aujourd'hui ! ». Nous voici frère et soeur de misère unis par un destin mauvais. Nous nous racontons nos concerts passé, ce qui fait du bien. Le patron en profite pour me passer un tract sur les concerts du mois de Novembre, un par semaine et du beau monde, notamment Jamie Clarke's Perfect qui officia dans les Pogues...

Plus tard à la maison je m'endors heureux, moins idiot que je ne l'ai cru un moment, sur Rockarocky le concert était bien indiqué pour le samedi 26 

*

Mercredi matin, 30 octobre, m'excitais tout seul sur la notion de rebel rock et m'incitais à grapher un petit topo sur le sujet, tout en flemmardant ostensiblement sur le canapé, un CD de Muddy Waters à fond les ballons, tout compte fait il y en a de plus malheureux que moi me disais-je, ce n'est pas la chienne qui ronflait comme une escadrille de spitfires au décollage à côté de moi, qui s'apprêtait à me contredire. La vie d'un rocker présente parfois quelques avantages.

C'est plus tard, devant mon assiette que la mauvaise conscience m'est venue. Les infos à la radio, Jeanne Moreau – pas spécialement une idole du rock – lisait une lettre Nadejda Tolokonnikova. Inconnue au bataillon me direz-vous. Mais non, vous connaissez, c'est l'ancienne fondatrice du groupe punk les Pussy Riot. Sûr, niveau musical elles sont à douze octaves au-dessous des Sex Pistols, mais question provocation à mille coudées au-dessus. Ont entonné une prière punk ( demandant à dieu la non-réélection de Poutine ) dans la cathédrale du Saint Sauveur. Qui n'a rien fait pour les sauver. Condamnées à deux ans de prison, dans un camp de travail. Sainte Russie Orthodoxale au doux parfum de fachisme !

 

a1127pussyriot.jpg

La Tolokonniko va pas fort. Réduite – comme ses compagnes de travail forcé – en esclavage. Seize heures de couture par jour, hygiène plus que réduite, mal nourrie – j'en passe mais que des pires - elle dénonce avant tout le système de brimades incessantes qui détruit toute solidarité entre les prisonnières. Plus à craindre des consoeurs qui s'auto-érigent en chiennes de garde que de l'Administration Centrale. Si vous voulez des détails, vous trouverez sans difficulté sur le Net.

Ainsi, il y a encore des pays où le rock est porteur de provocation et de rébellion ! Nouvelle à la fois alarmante et réjouissante. Mais qui bouscule nos existences encroûtées dans le confort de nos fausses libertés !

*

 

a1128baker.jpg

Puisque je suis en veine de confidence, l'autre jour, je ne donne pas la date exacte pour que l'on ne me reconnaisse pas, la honte de ma vie. Commotion en zieutant le dernier numéro de Jukeboxe Magazine, Sheila et ses couettes en couverture en pleine page, le premier mouvement c'est de ne pas l'acheter, oui mais à l'intérieur Tony Marlow ( qu'il soit maudit jusqu'à la cent soixante-dix-septième génération ) nous offre cinq pages sur la carrière de Mickey Baker, plus une analyse de son jeu de guitare. Irremplaçable. Mickey Baker que l'on entend derrière Screamin' Jay Hawkins, derrière Wynonnie Harris, derrière Ronnie Bird, et qui s'en est venu vivre et mourir en France dans un quasi-incognito, lui un maillon essentiel dans l'invention de la guitare rock. Bref j'ai payé, et je suis parti, l'air de rien en rampant jusqu'à la teuf-teuf mobile.

Damie Chad.

CHRONIQUES VULVEUSES

HUITIEME EPISODE

Résumé de l'épisode précédent : L'agent Damie Chad 009891 du SSRR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) est envoyé de toute urgence en Ariège afin d'enquêter sur l'inquiétante entreprise terroriste de déstabilisation psycho-culturelle surnommée La Conjuration Vulvaire. Tous les faits rapportés dans cette oeuvre à enrobage littéraire affirmé sont tirés de la réalité la plus triste, les documents officiels de la justice et des gendarmes sont là pour en apporter la preuve définitive.

29

Le Proc s'était trahi. Avec Molossa nous ne marchions pas au hasard, nous nous dirigions droit vers la grotte. L'avait dit un mot de trop. Boscope. Le boss 008 se prenait pour un cador, et pourtant par un excès de forfanterie l'avait indiqué le chemin. Simple analyse lacanienne, les vocables que nous employons disent ce que nous voulons taire. Faut savoir les écouter.

Je ne savais pas encore où exactement chercher, mais il suffisait de fureter pour trouver la piste. Le truc de la lettre volée d'Edgar Poe, que vous cherchez partout et qui est juste devant vous. L'avait dit troboscope avec sa trombine d'enfoiré, fallait fouiner autour pour mettre la main dessus. Or à vingt mètres du troboscope, qu'y avait-il ? Les locaux d'accueil de la grotte ! Voilà qui méritait une petite visite.

On s'est approchés sans bruit du parallélépipède en béton. Silence absolu. L'on aurait entendu une chauve-souris voler. L'on n'en était plus qu'à une dizaine de mètres lorsque Molossa émit tout en sourdine un grognement d'alerte. Je compris aussitôt. Quelqu'un nous avait précédé. Se promenait à l'intérieur, facile de le repérer, n'avait pas réfléchi à sa lampe électrique. Par les baies vitrées l'on apercevait son halo qui se déplaçait lentement. On s'est collés fissa contre le mur et j'ai risqué un oeil par une baie vitrée.

30

Diable ! Enfer et damnation ! La nuit des zombies ! Ou des vampires ! Je vous laisse le choix. Ne suis pas peureux de nature, mais là j'ai failli faire directo dans mon froc. Imaginez une masse blanchâtre, informe, d'où s'exhalait un épais nuages de vapeurs, avec à ses pieds une longue boîte oblongue en laquelle ma raison fut forcée de reconnaître un cercueil !

Fuir ! Là-bas fuir, je sais que des oiseaux sont ivres, mais non, un agent du SSRR n'a pas peur, l'a déjà vu la scène avec Sreamin Jay Hawkins, alors à l'attaque ! Un plan d'une audacieuse témérité s'échafaudait dans ma tête.

«  Molossa devant la porte, tu aboies, le fantôme sort, et moi en couverture à trente mètres, je l'abats d'une seule balle entre les deux yeux, si cet agrégat gélatineux en possède. Exécution immédiate ! »

31

Nous neutralisâmes notre objectif, mais pas tout à fait comme prévu. Molossa campée sur ses quatre pattes émit une volée d'aboiements dignes de Cerbère. La porte s'ouvrit lentement, prudemment, la chose ne passa que la main, une véritable main de momie, serrée dans des bandelettes sanglantes, j'attendais qu'elle fasse un pas de plus pour tirer... elle resta en suspens deux interminables secondes et...

« Entre Molossa ! Arrête ce boucan, l'on va se faire repérer, mais va d'abord chercher ton maître, j'ai besoin de lui ! »

Je l'aurai reconnue entre mille, la voix du Chef, the real big boss man ! Je lui tombai dans les bras en pleurant :

«  Chef ! Chef ! Vous ici ! Comme je suis heureux, je vous croyais mort !

    • Agent Chad, apprenez que les chefs sont immortels. Je reconnais qu'ils ont failli m'avoir. Quand ils sont venus liquider le service, ils m'ont tiré une rafale de mitraillette dans le dos. Aucun organe vital atteint. J'ai fait le mort, z'étaient tellement pressés que quand ils m'ont bazardé dans le linceul, et puis dans le cercueil, et puis dans la tombe, ils ne se sont même pas aperçus que j'étais vivant. Dès que je les ai entendus partir, je me suis dépêché de sortir de mon trou et suis venu te rejoindre au plus vite.

    • Mais Chef, comment avez-vous fait pour ouvrir votre cercueil ?

    • Me méfiais. Sentais que l'affaire n'était pas franche du collier. Dans ma poche intérieure, j'ai toujours un Coronado N° 5. La forme du cigare, l'odeur du cigare, la couleur du cigare, mais en fait un tournevis-percuteur qui ouvre n'importe quelle boîte. L'enfance de l'art, toujours un coup d'avance sur l'ennemi. Retenez bien ce principe Chad, il vous sauvera la vie.

    • Oui Chef, mais pourquoi restez-vous enveloppé dans votre linceul ?

    • Tenue idéale de camouflage, avec ça sur le dos, vous êtes blanc comme la neige. M'ont même laissé passer gratuitement aux péages d'autoroute. En plus ça me rappelle la robe de mariée de ma femme.

    • Chef ! Vous êtes un véritable romantique ! Mais le cercueil ?

    • Agent Chad, nous émargeons au budget de l'Etat, je refuse de gaspiller l'argent du contribuable. Désormais, je m'en sers comme valise. Idéal pour avoir son pyjama et sa brosse à dents à portée de la main, j'y ai adapté des roulettes et un système de télé-guidage à distance. Je le dirige sans peine avec mon boitier électronique dans la poche. Mais arrêtons de bavarder. Inutile de s'attarder ici, j'ai tout fouillé, les preuves que nous cherchons ne sont pas là. Que me proposez-vous agent Chad ?

    • Je pense qu'il serait temps d'avoir un petit entretien avec ce fameux Claudius de Cap Blanc, Chef.

    • Excellente idée. En route. »

32

Comme toujours le Chef avait raison. Personne n'est venu nous embêter. Nous n'avons rencontré qu'un groupe d'une trentaine de fêtards. Se sont tus dès qu'ils nous ont vu. L'on devait pourtant avoir une drôle d'allure, le Chef devant drapé dans son linceul et couvert de pansements sanglants, moi derrière mon Uzi qui dépassait de ma poche gauche et le Glock de ma poche droite, Molossa entre nous deux placidement assise sur le cercueil à roulettes qui se déplaçait tout seul. Des gens polis qui ne se sont même pas permis une remarque déplacée. De quoi vous réconcilier avec l'Humanité.

FIN DU HUITIEME EPISODE

 

11/10/2012

KR'TNT ! ¤ 113. ELVIS PRESLEY.

 

KR'TNT ! ¤ 113

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

11 / 10 / 2012

 

 

ELVIS

 

UN PHENOMENE AMERICAIN

 

 

ALBERT GOLDMAN

 

 

( 528 pp. Robert Laffont. 1982 )

 

aa1.jpg

 

Traduit de l’américain par Yvonne Baudry, Frédéric Develay et Michelle Garène. Trois traducteurs, c’est que le bouquin est une somme, grand format, petits caractères et un demi-millier de pages. Les petits frenchies n’ont pas hésité une demi-seconde : l’émotion soulevée par la disparition du King avait été en nos contrées nationales bien plus profonde que l’on aurait pu raisonnablement le prévoir, l’on s’est donc jeté sur cette biographie made in USA d’une telle ampleur qu’elle en semblait définitive.

 

 

En Amérique c’était un peu le même topo. Elvis était mort depuis à peine cinq années lorsque le livre est paru. Si vous le commencez par les deux dernières pages, à voir la liste des remerciements à toutes les personnes de l’entourage de Presley qui se sont pliées de bonne grâce aux joies de l’interview, vous ne pouvez que vous incliner devant le sérieux du projet.

 

 

ALBERT GOLDMAN

 

aa2.jpg

 

Si vous tenez à rester sur une bonne impression ne vous aventurez pas plus loin. C’est qu’il y a un hic. Un sacré hic, même. Un léger détail si l’on préfère, que je vous résume en quelques mots : Albert Goldman n’aime pas Elvis Presley. Soyons conciliant : ne pourrait-on pas voir en ce manque d’empathie générale envers l’idole comme un signe, une espèce de garantie d’objectivité ? Il s’est écrit tant de niaiseries laudatives sur Elvis qu’un peu de dégonflage de la baudruche presleysienne ne saurait faire de mal.

 

 

Certainement. Mais c’est un peu comme le chapeau du magicien qui n’arrête pas de vomir des lapins blancs. Albert Goldman n’aime pas non plus le rock and roll. Un peu gênant quand on se penche sur la vie d’un des plus grands pionniers de cette musique. Si vous vous attendez à des aperçus fulgurants sur le topo vous risquez d’être déçu, Albert Goldman a des idées précises sur le genre de zique qui nous intéresse au plus haut point : courant musical régressif qui résulte d’un acoquinement de mauvais jazz avec de la pop idiote.

 

aa3.jpg

 

Faisons-nous l’avocat du diable : après tout Elvis n’a pas enregistré que du rock and roll ! Mais là où Albert Goldman nous déçoit c’est lorsqu’il crache sans retenue son mépris sur ces pauvres rustres des collines dont Elvis n’est que le triste représentant. Albert Goldman n’aime pas les pauvres. Qu’un pauvre gars issu des franges les plus basses de la société américaine ait atteint en quelques mois une gloire irréfragable auprès de ses concitoyens et soit devenu l’icône mondiale de sa génération, insupporte le minuscule animalcule universitaire qu’est Albert Goldman.

 

 

Cas typique de jalousie et de ressentiment du médiocre de service face à un phénomène d’éblouissance absolue qui le dépasse, l’écrase et le maintient dans l’ombre de sa propre ineptie. Albert Goldman nous rassure très vite sur ses véritables buts : il n’a jamais voulu écrire la vie d’Elvis, il nous promet, en toutes lettres, d’anéantir le mythe Presley.

 

 

ANTI-PRESLEY

 

aa5.jpg

 

Pauvre Elvis, accusé de tous ses crimes. Même de ceux qu’il n’a pas commis. Ainsi le touriste qui s’en vient à Tupelo, visiter la baraque de planches où Elvis naquit, a droit à une couche de peinture et à une machine à coudre qui ne sont pas d’origine. Pour la simple raison que Gladys était trop pauvre pour s’offrir une Singer et Vernon trop fainéant pour prendre le pinceau. Ces gens-là étaient de simples misérables, Elvis n’est pas né de la cuisse de Jupiter, acceptez la terrible évidence des faits cruels !

 

 

Au début des années soixante Elvis s’entiche d’ésotérisme. Lit et annote plusieurs dizaines d‘ouvrages spécialisés. Albert Goldman ne rate pas l’occasion de se moquer de cet autodidacte qui ingurgite un innommable fatras de bêtises. Ne pouvait-il pas comme tout le monde se bien conduire en choisissant une religion sérieuse comme le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme, voire le bouddhisme ?

 

aa4.jpg

 

Alors qu’il génère un chiffre d’affaire de sept millions de dollars par an, Elvis claque son argent en bêtises. Ne dépense-t-il pas 16 000 billets verts en une seule nuit pour aller chercher en avion privé quelques centaines de sandwichs à l’autre bout du pays, juste pour un petit en-cas avec les copains ! Il a en plus la redoutable manie d’offrir des super bagnoles à ses petites copines, en fait il gaspille sans compter. Scandale des scandales, il mourra sans s’être constitué un portefeuilles d’actions ! Comment peut-on être si riche sans partager les valeurs fondamentales de l’accumulation capitalistique ? Millionnaire, Elvis se comporte comme un stupide prolo qui, pour une java ( pardon, un rock and roll ) d’enfer, laisse toute sa paye de la semaine sur le comptoir du premier troquet.

 

aa6.jpg

 

Incompatibilité de classe entre Elvis et Albert. Désolé mais nous sommes du côté d’Elvis même si le personnage n’est pas souvent aussi flamboyant que sa légende le laisserait supposer, même si nous devons reconnaître que les flèches empoisonnées tirées par notre auteur ne sont pas toujours imméritées.

 

 

ELVIS, AVANT ELVIS

 

 

Comment Elvis est-il devenu Elvis ? L’on a mille fois raconté comment Gladys a chouchouté son fils unique ( puisque rescapé de son jumeau ) et préféré, mais il y a de par le monde des millions de mères qui adorent leur garçon sans que celui-ci devienne chanteur de renommée internationale pour autant. Comme quoi la psychanalyse à deux balles n’explique pas tout.

 

aa9.jpg

 

Elvis ne fut pas un ado difficile. Pas la moindre trace de révolte chez lui. Se sape comme les blackos du coin, mais tous les jeunes de son milieu social font itou à la même époque. Franchement de mauvais goût, couleurs aussi criardes que celles qui accompagnent les livraisons de KR’TNT. Cherche à se démarquer des autres sans trop savoir qui il est lui-même. Un solitaire, timide et renfermé, qui fraye peu avec les élèves de sa classe. A confiance en sa bonne étoile mais se trompe sur le chemin qu’elle lui indique.

 

 

La musique n’est pas sa priorité. Rêve de devenir… acteur de cinéma. De James Dean à Humphrey Bogart le choix est vaste, secrètement il louche plutôt sur les latin lovers à la Rudolph Valentino… significativement plus tard il teindra ses cheveux blonds en noir aile de corbeau. L’aryienne blondeur des WASP ne le tente guère. L’on peut même dire qu’il a profité de son succès de chanteur pour forcer les portes des studios californiens.

 

aa8.jpg

 

Y a perdu son âme. C’est une manière de voir communément partagée aujourd’hui quand on visionne l’impressionnante série de navets qu’il a tournés. Mais il y a aussi gagné sa popularité. Avant le ciné Elvis est un simple chanteur, voitures, maisons, jolies filles, mais tout cela n’aurait eu qu’un temps. Seuls les amateurs de rockabilly rechercheraient ses précieuses galettes de nos jours. Qui se soucie encore de Charlie Rich ? L’étoile filante que fut la carrière de Gene Vincent aux States est assez éloquente. Eddie Cochran qui possédait un physique bien plus avantageux que son ami de diable boiteux n’avait qu’un désir : obtenir un premier rôle dans un film à succès. Si la mort ne l’en avait empêché que serait devenue sa production discographique ? Vaut peut-être mieux ne pas y penser.

 

 

OUI, MON COLON !

 

aa9.jpg

 

C’est le moment d’introduire le fameux colonel. L’âme damnée d’Elvis. Encore un que Goldman ne peut pas piffrer. Difficilement défendable. Mais il analyse très bien ce qui a réuni les deux twin towers du business. A sa manière le Colonel Parker est un outlaw qui vit sur le fil du rasoir. Venu de l’autre pays du fromage, rentré illégalement aux USA il n’est ni plus ni moins qu’un sans-papier qui a réussi, mais qui a tout intérêt à ce que l’administration ne vienne pas mettre son nez dans ses… papiers. Respecte les règlements, n’a pas de fausse comptabilité, et paie ses impôts au centime près. Ce qui ne l’empêche pas de prendre une part exorbitante dans les bénéfices de son association avec Elvis. Cinquante, cinquante, mais les frais pour le chanteur et les décisions pour l’imprésario.

 

aa24.jpg

 

On l’a présenté comme un requin, mais il est surtout un crocodile débonnaire. Dur en affaires mais des plus conciliants sur la signature des contrats. Ne mise pas sur le long terme. Pourvu qu’il ait assez de liquide à verser sur les tables des casinos notre homme est heureux. Encore un qui solde tous ses avoirs et qui ne boursicote pas. L’aurait pu gagner dix fois plus, mais il s’en fout, comme il n’a pas d’enfants il n’a aucun héritier pour lequel il serait important de mettre de l’argent de côté. Le Colonel Parker aime le fric pire qu'un avare, mais c’est pour le dépenser au casino le jeu. Sachez apprécier les nuances. Un flambeur qui n’a besoin que d’allumettes.

 

aa12.jpg

 

Feu de paille et illusion. Parker ne sort pas d’une prestigieuse école de commerce. Son job c’est la foire, le parc d’attraction, le cirque. Un parfait émule de Barnum. N’y a pas fait fortune mais a appris à faire cracher les imbéciles heureux au bassinet. Dès qu’il a pu mettre la main sur sa poulette presleysienne aux œufs d‘or, n’a pas tenté de la transformer en autruche. S’est contenté de ce qu’il avait et de ce qu’il savait faire. L’a cassé la baraque avec, mais ne s’est pas risqué au trapèze volant. Celui qui ramasse le fric et les morceaux, c’est le Monsieur Loyal qui reste au bas de la piste, celui qui bonimente et qui embobine son monde.

 

aa18.jpg

 

Certes c’est Parker qui a tendu les filets de protection autour d’Elvis. Mais il est facile de charger la mule. RCA n’a pas plus su se débrouiller avec Elvis que Capitol avec Gene. Hormis les toutes premières séances sur lesquelles l’hillbilly cat menait la danse, très vite on corseta sa créativité avec une équipe de ringards qui s’y connaissait plus en variétoche grand public qu’en pure rock and roll. A la fin Elvis se contentait de poser sa voix en quatrième vitesse sur des bandes pré-enregistrées qui étaient par la suite arrangées sans que le King daignât y jeter ne serait-ce qu’une oreille distraite. Fallut le sursaut du milieu des années soixante pour que Presley redescendît dans l’arène avec la réussite que l’on sait.

 

 

ROCK’N’ROLL

 

aa10.jpg

 

Comment et pourquoi Presley a-t-il inventé le rock and roll ? Réponse obligatoire : en entrant dans le studio Sun. L’on peut chipoter : c’était dans l’air, la preuve c’est Sam Philips qui lui file l’adresse de ses musiciens de séance. Et le miracle a lieu. Le feu de la plaine n’attendait que l’étincelle. Ne cherchez pas à enlever sa couronne au roi. Avant Elvis, il y eut Bill Haley - et d’autres ne serait-ce que sur les disques Sun déjà sortis - mais Bill Haley procède d’autre chose - je ne vais pas dire de Tin Pan Alley pour la beauté du jeu de mot, mais il y a quelques brins de cela : Bill Haley c’est de la musique de danse, survitaminée à l’énergie atomique, mais l’on reste encore dans l’entertainement, le produit nouveau et révolutionnaire, mais ciblé. Sans étude de marché mais l’oreille encore aux aguets des dancings, du divertissement de masse.

 

aa21.jpg

 

L’on a déjà décrit à satiété les techniques d’enregistrement de Sam Philips, la fameuse réverb obtenue à partir de deux magnétos décalés d’une fraction de seconde. Obtention d’un écho phénoménal. Mais écho de quoi ? Suffit de savoir entendre : la tristesse mélancolique de tous les paumés de l’Ouest sauvage dans Blue Moon, que ce soit la plainte nostalgique de l’Indien qui voit son monde annihilé par l’homme blanc, ou les derniers desesperados de l’ultime horde sauvage vaincus par la modernité d’une civilisation déjà technologique. Mais aussi l’angoisse de ce Mystery Train qui fonce dans la nuit des déclassés à la recherche des portes du paradis perdu à jamais, ou la joie tonitruante de l’adolescence triomphante et iconoclaste dans That’s alright Mama… mais où Elvis a-t-il eu connaissance de tout cela ? N’y a que Rimbaud au même âge qui a eu une telle intuition. A la différence près qu’Arthur a été beaucoup plus conscient de la valeur innovante de sa production que le jeune Elvis.

 

 

RACINES NOIRES

 

aa13.jpg

 

Elvis a résolu la quadrature du cercle. Un blanc qui chantait comme un noir. N’est pas allé traîner le soir dans les bordels et les tripots Beale Street. Ce n’est pas parce qu’il résidait à Memphis que l’on - flic et famille - aurait laissé un jeune blanc s’encanailler la nuit dans l’artère du mal. Encore une fois, il a fait comme tous les ados à la peau blanchâtre de son époque, a branché la radio sur les fréquences noires. Un pot - pour ne pas dire une peau - terrible, les disk jokeys qui sévissent sur W.D.I.A ne sont pas n’importe qui : B. B. King et Rufus Thomas. Ecriront à eux deux toute une partie de l’histoire du blues et du rhythm and blues, passent en majorité les artistes noirs mais n’hésitent pas à programmer des morceaux bien balancés joués par les blancs.

 

aa23.jpg

 

Qui font la tronche. Pas les chanteurs, les propriétaires d’émetteurs que la jeunesse a désertés. L’on sait que l’argent n’a pas d’odeur, mais il n’a apparemment pas non plus de couleur. Pour récupérer leur public naturel qui leur échappait, les radios blanches se voient contraintes, la mort dans l’âme - comprenez dans le portefeuille - à programmer des artistes de couleur. W. H. B. Q. remporte la mise avec Dewey Phillips qui dès la nuit venue glapit au micro tel un alligator en rut et ne passe que des faces de chanteurs noirs. Fera une exception pour une galette spéciale que lui apporte Sam Phillips qui jusqu’à lors n’avait enregistré que des noirs… inutile de raconter la suite.

 

 

PLUS PRES DE TOI MON DIEU

 

 

Il s’en est fallu de peu que ça se passe autrement. Elvis écoute du blues à la radio, du rural, de l’urbain, du chicagoan et même du rhythm and blues, mais ce n’est pas ce qu’il préfère. Si vous pariez sur le country, vous avez perdu. Elvis ne louche pas vers le Great Ole Opry. Ce qu’il aime, ce sont les groupes de gospel noir. Joué par des blancs. A seize ans, Elvis devient un aficionado des sings, ces concerts de quatuors qui font fureur à Memphis. Imaginez les jeux de voix, ces entremêlement de timbres de baryton et de ténor, ces reprises de basse, ces accélérations fulgurantes, ces ralentissements hypnotiques… Où croyez-vous qu’Elvis a appris à chanter, à placer sa voix, à minauder ses couplets, à gronder comme l’orage, à planer comme l’oiseau dans le vent ? Il adorera les Blackwoods et idolâtrera Jake Hess le soliste des Statemen… Comme il n’est pas bête, il ira écouter les originaux les groupes noirs comme les Soul Tirers , les Harmonizing Four, les Swan Silverstones et les chanteuses comme Clara Ward et Rosetta Tharpe. Sam Cook, Little Richard, Ray Charles et Bobby Blue Bland auront les mêmes modèles.

 

aa15.jpg

 

Le jour où l’on propose à Elvis de rentrer dans les Blackwoods, il vient juste de signer chez Sam Phillips… le rock and roll l’a échappé belle ! N’empêche que dans les racines de la musique du diable l’on a un peu trop tendance à passer sous silence l’influence des chants religieux.

 

 

LA SAINTE TRINITE : SEX

 

 

A tout seigneur tout honneur. Après sa sainteté rock and roll nous nous intéresserons à Little Elvis. C’est ainsi que le King surnommait affectueusement son appendice caudal. L’on a attribué à Elvis des centaines de maîtresse. C’est bien connu, l’on ne prête qu’aux riches. Albert Goldman est atterré. La sexualité du King lui reste - si j’ose dire - en travers de la gorge. Chaude.

 

aa16.jpg

 

Pourtant Elvis est un enfant sage. L’a dû profiter des premières tournées pour se dessaler mais de retour à la maison à Memphis, le King n’a pas le profil du tombeur de ces dames. Les femmes l’attirent peu. Comprenez moi, en bon puritain méthodiste et en parfait gentleman du Sud il professe un goût immodéré pour les jeunes vierges. N’est pas ce que l’on peut appeler un queutard fou. Ses plus belles soirées il les passe dans sa chambre avec trois copines de quatorze ans ( ne m’importunez pas avec de la moraline pédophiphobe bien pensante, peux vous refiler l’adresse de ma grand-mère si vous préférez ) à blablater sans fin jusqu’au petit matin entre quelques petits bécots de rien du tout. Elles sont raccompagnées en voiture chez elles à l’aube, en tout bien, tout honneur.

 

 

Vous parle pas du déchaînement d'Albert Goldman. Surtout qu’à Los Angeles, lors du tournage de ses films, le King et ses boys organisent des parties fines un peu plus croustillantes avec de jeunes demoiselles majeures ( rassurez-vous ! ). Elvis a les moyens de vivre ses phantasmes. En général il adore que ses fiancées gardent leur culotte pendant ses ébats. Goldman qui s’étrangle d’indignation nous sort - à défaut de son phallus - la grosse artillerie freudienne : toutes des salopes sauf ma mère que j’essaie tout de même de baiser en les utilisant comme des clones de substitution. Lui viendrait pas à l’idée que toute sexualité est à vivre entre deux terribles points de tension : le désir du besoin de l’autre et le dégoût de la perte de soi.

 

aa20.jpg

 

Ce qui est sûr et qui remet les pendules du voyeurisme à l’heure c’est que les deux dernières fiancées officielles d’Elvis, Linda Thompson qui resta cinq ans avec lui, et Ginger Alden qui le découvrit mort, témoignèrent de par leur dire et leur comportement que l’homme Elvis malgré ses énormes faiblesses avait su les subjuguer.

 

 

LA SAINTE TRINITE : DRUGS

 

aa14.jpg

 

Enfant, Elvis souffrait déjà d’insomnies. L’on imagine la suite avec la pression accumulée, la fatigue et le surmenage… Le King ne se considèrera jamais comme un drogué. Juste un malade. Qui ingurgite des centaines de pilules par semaine. Avale des doses que peu de junkies professionnels seraient capables de supporter. Son entourage s’émeut, jusqu’à la parution quelques mois avant sa mort du célèbre Elvis, What Happened ? de deux de ses gardes du corps vexés d‘avoir été renvoyés un peu trop cavalièrement, la fameuse maffia de Memphis.

 

 

Préfère ne pas vous causer du plaisir que prend Goldman à insister sur cet aspect des dernières années de Presley. Elvis le bouffi, Elvis le bouffon, de l’acharnement thérapeutique. Aucune compassion. De la jubilation à le décrire à l’état de loque humaine, à salir une image tout en se faisant de l’argent dessus.

 

 

LA SAINTE TRINITE : ROCK’N’ROLL

 

aa22.jpg

 

Albert Goldman ne s’en est pas aperçu, mais il joue le rôle de Tata Léone que vous avez fait poser au bas de la Grande Pyramide, lors de vos dernières vacances en Egypte, afin que vos amis puissent se faire une idée de la hauteur du monument. Plus notre père la morale gesticule au pied de la statue dans l’espoir d’attirer notre attention sur les boursoufflures de l’artiste, plus il met en évidence la démesure du personnage d’Elvis. Voulait nous effrayer en nous montrant un monstre, mais il nous permet d’entrevoir la beauté d’une créature chimérique issue de tous les rêves que nous n’avons jamais osés transposer dans la réalité. Ô insensé, qui crois que nous ne sommes pas Elvis ! Elvis est un mythe, un être collectif, qui nous appartient et nous dépasse de toutes nos minuscules immensités assemblées. Quand Albert Golman, lance sa petite crotte puante, il ne fait qu’agrandir la statue qui l’écrase.

 

aa17.jpg

 

Elvis est mort sur son trône. Sur les chiottes. Le plus grand pied de nez qu’il ait pu faire à la postérité. Rappel ultime de l’infinie solitude de tout être humain. Un geste sacrément rock and roll quand on y pense.

 

 

Damie Chad

 

 

PS : nous avons laissé certains aspects de la vie d’Elvis dans l’ombre sciemment, notamment tout ce qui touche à l’incorporation et à Prescilla puisque nous aborderons ces thèmes à l’occasion de futures lectures. De même nous n’avons soufflé mot de certaines analyses du personnage du jeune Presley opérées par Albert Goldman, nous les commenterons lorsque nous reparlerons du mouvement punk.

 

 

 

 

 

LE KING ET MOI. PIERRE EFRATAS.

 

Lefrancq. 1997.

 

 

Patronné par Radio Nostalgie. A première vue c'est beaucoup moins partial qu' Albert Goldman. Mais l'on peut se poser des questions. C'est un livre de commande. Pierre Efratas est surtout connu pour ses ouvrages de fantasy. Belge d'origine il est très attaché au terroir normand. Son succès le plus connu reste à ce jour la biographie romancée de Rollon, duc de Normandie. Comme la dure profession d'écrivain ne nourrit pas toujours son homme ( au demeurant sympathique ) il a dû de temps en temps pour boucler des fins de mois, que l'on imagine difficiles, se charger de traductions et de compilations plus ou moins hâtives.

 

aa26.jpg

 

Je ne saurais dire s'il aime Presley. J'ai l'impression – mais peut-être me trompé-je – que le King n'est pas au centre de ses préoccupations. L'a fait comme il a pu pour bicher le bouquin : tout un tas de citations, bien mis en évidence pour tirer à la ligne : une bio officielle fournie par Graceland, une liste des films en très grosses lettres, une discographie de tous les morceaux enregistrés par Elvis, classés par ordre alphabétiques – c'eût été plus intéressant selon la chronologie des sessions – des réflexions sur les destins croisés de John Kennedy et de James Dean, une longue étude sociologique sur l'état de la jeunesse américaine après la Second World War, une autre un peu moins habituelle sur la corrélation que l'on se doit d'établir entre le succès mondial du roi du rock et la puissance économique dominatrice des Etats-Unis de 1954 à 1974.

 

 

Pas de quoi remplir le bouquin, même en rajoutant un petit dico sur les idées recues. Une idée normande pompée sur le célèbre dictionnaire de l'ermite du Croiset, mais n'est pas Flaubert qui veut et au bout de trois pages, notre auteur n'a strictement plus rien à dire. Comme il n'est pas tout à fait idiot, il a tout de même compris que puisqu'il était incapable de terminer le travail, autant le refiler à un autre. Et même si possible à plusieurs autres ! Lumineuse étincelle en son cerveau fatigué : il se transforme en journaliste et ira recueillir les paroles des spécialistes – en divers domaines – d'Elvis. Je suis comme Johnny prêt à mettre ma main au feu, je doute qu'il ait été présent à toutes les interviewes. L'éditeur a dû envoyer des stagiaires, ou alors le téléphone a dû beaucoup servir...

 

aa25.jpg

 

Le livre sent la frite. Comprenez qu'il vise un peu un public belge, plus flamand que francophone, pour nous pauvres petits français, les célébrités interrogées dans leur grande majorité ne nous sont guère connues. Ou alors on fait semblant de ne pas habiter le même pays, par exemple lorque Francis Lalane déclare qu'il se sent prêt à jouer le rôle d'Elvis dans une comédie musicale.

 

 

Si vous vous attendiez à des révélations trépitandes, vous serez déçus. Que de banalités échangées. Vide intersidéral des relations humaines. L'on se contente de phrases mille fois répétées. Le dictionnaire des idées reçues il se trouve dans tous ces commentaires maintes fois ressassés ! Parfois l'interwiew tourne court. Avec les questions en gras et les blancs pour les mettre en valeur, on parvient à étirer la sauce, mais quelle indigence !

 

 

Saluons Dick Rivers, fidèle au King et qui n'en démord pas. Nous apprend qu'avec les Chats il refusait d'interpréter la moindre chanson du hillbilly Cat. Trop sacré pour lui. Revient sur sa rencontre en 1969 lorsqu'il commet l'imper de ne pas refiler à Elvis sa ceinture que celui-ci avait trouvé belle... Johnny et Eddy n'ont pas pris la peine de répondre aux demandes d'Efratas, sentaient venir le coup fourré !

 

aa11.jpg

 

Par contre la contribution des deux fans transis, Françoise Gheysen et Jacques Thil, qui ont rencontré Elvis à Las Vegas est plus que passionnante. Jacques Thil n'hésite pas à donner vingt-trois clichés personnels du King pris à Las Vegas en 1973. De ces premières kodachromes des années soixante-dix qui au bout de vingt ans ont commencé à perdre leurs couleurs, bonjour la camelote, mais Elvis y est magnifique, pas du tout star, sans frime très simple, fragile même.

 

 

Le livre comporte d'autres documents, des photos, des lettres du Colonel adressées à des fan clubs européens, un long passage sur l'Elvis Presley Internationnal Appreciation Society... De tout ce fatras se dégage tout de même un portrait assez émouvant de l'artiste. Pas obligatoirement le rocker, car ceux qui ont vécu le surgissement d'Elvis en 54- 56 sont très rares en Europe. De même la période 57-58 nous est parvenue avec deux ans de retard quand Elvis était déjà sous les drapeaux en Allemagne. Elvis touchera et trouvera un nouveau public à partir du NBC show. Les blousons noirs de la grande époque se sont évaporés ou se focalisent sur Gene Vincent. Elvis touche un peu à tout, country, variété et retour à ses premières amours : le gospel. C'est cet Elvis-là dont ils ont suivi la carrière que la plupart des protagonistes du livre préfèrent évoquer. Le côté rebelle, ils l'abordent doucement, jamais plus violent que Love me tender. Peut-être ont-ils raison, Elvis s'est – on peut l'imaginer - senti plus à l'aise dans une musique en accord avec ses inquiétudes spirituelles.

 

 

Près de quinze ans se sont écoulés depuis la parution de ce livre qui n'ont fait que confirmer ce que Pierre Efratas tente de théoriser : le mystère de la longévité du mythe d'Elvis. Car le Roi règne encore.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

 

CONCERT ROCK AU CAMAC

 

aa27.jpg

 

Il y a des jours où le destin vous en veut. Samedi 6 octobre : c'était écrit au feutre rouge sur l'agenda : pas de concert, soirée familiale. Mais voici qu'au moment du dessert une voix chère s'élève : «  Si tu pouvais m'emmener au Camac ce soir, ce serait bien. Je dois y rencontrer une artiste péruvienne. » . Pour le Camac vous aurez la gentillesse de vous reporter sur notre livraison 78 du 22 / 12 / 11 consacré à Frank Ténot. Moi les artistes contempourris et leurs oeuvres d'art souvent très peu performantes je m'en méfie, ce n'est pas mon verre de Téquila, en plus le Pérou je n'ai rien contre, mais je n'ai rien pour non plus. J'ai regardé la fenêtre avec la pluie qui giflait méchamment les carreaux, c'est alors qu'est venu l'argument massue : «  En plus ce soir, il y a un groupe de rock qui joue gratuitement ! ».

 

 

Exactement le genre de promesse à laquelle je ne saurais résister. C'est comme si vous racontiez au grand méchant loup de Tex Avery que le petit chaperon rouge se promène dans les bois en monokini. Bref quinze minutes ne s'étaient pas écoulées que la teuf-teuf mobile fonçait à travers des trombes d'eau diluviennes, dans un noir d'encre que les phares ne parvenaient pas à percer... Cent quatre-vingt-dix sept secondes plus tard nous pénétrions dans le charmant village – son jardin botanique fermé, sa centrale nucléaire en activité ouverte - de Marnay, et stoppions pile-poil face à l'entrée du Centre d'Art Content pour rien.

 

 

Mauvaise nouvelle, vu la pluie mouillante, le concert n'aura pas lieu dans la cour de l'ancienne ferme rénovée en Centre d'Art Comptant pour rien, mais dans une salle au premier étage, deux fois grandes comme ma chambre à coucher. Mais pour contenir trente personnes frigorifiées serrées comme un plant de radis elle se révèlera amplement suffisante. Pas le genre de truc à me faire peur. Moi je suis prêt à regarder un groupe de rock dans une semi-boîte de sardines, si nécessaire.

 

aa28.jpg

 

L'on attend les musiciens. Micros, guitares, batterie, mes yeux tombent sur le nom du groupe, mon cerveau n'a même pas le temps de décoder l'information que les applaudissements polis fusent autour de moi. Mais oui bon dieu, c'est bien vrai, ce sont eux ! Par les mille pompons de Fantômette, le piège aux dents d'acier tranchantes et empoisonnées se referme sur moi. Mais oui, ce sont bien eux, deux filles et trois garçons ! Mais non, ce n'est pas le Club des Cinq puisqu'il n'y a pas de chien – c'est dommage d'ailleurs, on aurait préféré – vous avez reconnu, vous avez deviné, le groupe régional ( attention c'est chez les voisins de Champagne-Ardennes, sans être chauvin en Ile de France l'on a mille fois mieux ) qui monte, in persons – Triveni !

 

 

Je m'attendais pas à les revoir sitôt – pire que la malédiction du chacal de Béthune - le KR'TNTreader se rafraîchira la mémoire en parcourant le compte-rendu du festival de la Saulsotte du 01 / 09 / 12 paru dans notre 110 ° livraison du 20 septembre... Sont pourtant comme moi les zigues pâteux de Triveni, pas très contents. N'ont pas joué une note qu'ils commencent à se plaindre. Figurez-vous qu'en début d'après-midi, la foule du centre commercial Edouard Lesombre de Romilly, se contentait d'écouter le début des chansons et de partir faire leur courses sans attendre la fin des morceaux. Ont même poussé le vice jusqu'à ne pas les applaudir...

 

aa29.jpg

 

Nos petits-bourgeois n'en reviennent pas. Comme le peuple est mal élevé et dépourvu de toute sensibilité artistique ! Sont sûrs qu'ils vont rencontrer ici un public choisi, de véritables esthètes capables d'apprécier à sa juste valeur leur indéniable talent. Et vlan ! Ils reprennent à l'identique leur répertoire de La Saulsotte. Dans ce petit espace, avec un son réduit, Triveni sonne comme ( pas du tout metallic ) KYO, plus gentille ma fille estimera que ça ressemble à du Louise Attaque. C'est sûr que lorsque l'on écoute Louise Attaque on est sûr qu'un autre rock est possible, mais du côté de Triveni ça n'attaque pas beaucoup. Variété-Folk, si vous tenez à une étiquette. Vers la fin vont quand même essayer de nous démontrer qu'ils peuvent sonner aussi méchants qu'un groupe de rock. Simon le guitariste nous joue son petit guitar-héros, je touche les grosses cordes du haut pour avoir du son, je touche les deux fines cordes du bas pour créer un contraste, je retouche les deux grosses cordes du haut, admirez comme je suis un virtuose, manque de peau ou de do, le voici qu'il se plante misérablement, obligé de tout arrêter – « vous voyez que ce n'est pas du play-back ! » – hélas oui, c'est justement là le problème – et il reprend courageusement son interprétation se contentant de grattouiller sans jamais les quitter, les deux cordes du milieu... Z'évidemment z'ont plu au public, manifestement étranger au monde du rock... Faut pas trop en demander aux bobos...

 

 

L'est plus que temps de rentrer à la maison. Il eût été plus malin de rester au chaud à écouter un petit Vince Taylor de derrière les fagots !

 

 

Damie Chad.