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26/05/2021

KR'TNT ! 512 : TROGGS / EDGAR BROUGHTON BAND / IDLES / PAIGE ANDERSON & THE FEARLESS KIN / ROCKAMBOLESQUES XXXV

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 512

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

27 / 05 / 2021

 

TROGGS / EDGAR BROUGHTON BAND / IDLES

PAIGE ANDERSON

AND THE FEARLESS KIN

ROCKAMBOLESQUES

TEXTES + PHOTOS :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Sex & Troggs & rock’n’roll

 

Ah tiens, maintenant les bassistes s’autobiotent ? Celui-là s’appelle Pete Staples et il fut le bassman des Troggs. Ceux qui ont une mémoire d’éléphant se souviennent de son nom. Mais les gens pour la plupart ne se souviennent que du nom de Reg Presley et éventuellement de celui de Chris Britton qui à l’époque où il avait encore des cheveux pouvait rivaliser de frangisme avec Brian Jones.

Bon alors attention, Wild Thing - A Rocky Road n’est pas un classique littéraire. Pete Staples écrit un peu avec les pieds mais c’est peut-être ça qui fait le charme de son book. Ça nous repose des grands auteurs. C’est une sorte de bouffée d’air frais qu’on peut lire au printemps, histoire de rester en osmose avec le cosmos. Très important, l’osmose. Le problème aujourd’hui, c’est que l’osmose a subi une transformation radicale, comme si elle avait changé de sexe. On n’entre plus en osmose avec le cosmos mais en osmose avec la médiocrité. Alors merci Pete Staples de nous tirer de ce mauvais pas et de nous ramener aux Troggs.

Le book étant léger (180 pages), il s’avale d’un trait. Pete Staples nous raconte dans le détail la vie quotidienne des kids d’Andover, un bled paumé situé à 40 km au-dessus de Southampton, dans le Sud de l’Angleterre. Mais comme dans tous les bleds paumés d’Angleterre, les kids écoutent la radio et montent des groupes. Deux groupes d’Andover entrent en rivalité : les Emeralds dans lesquels Ronnie Bullis bat le beurre et les Ten Feet Five dans lesquels jouent Pete Staples et Chris Britton. C’est Ginger Mansfield, le lead guitar des ex-Emeralds qui embauche Reg Ball on bass et qui raconte comment est arrivé le nom des Troggs : une nuit sur l’A30, ils roulent en van et ramassent deux auto-stoppeuses. Les filles sont guillerettes, et voyant les amplis et les instruments, demandent comment s’appelle le groupe qui à ce moment-là n’a plus de nom. Alors elles proposent the Grotty Troggs à cause de l’ambiance caverneuse et ça passe mal, fuck off we’re not grotty et pouf, ils virent les deux filles. Mais ils gardent le nom de Troggs - Apparently it’s a short for trogglodyte - Les Troggs commencent à tourner et leur réputation grossit assez vite, un nommé Stan Phillips finance leur matériel et les met en contact avec Larry Page, l’ex-manager des Kinks, qui cherche de nouveaux poulains à plumer. C’est là que Ginger Mansfield quitte les Troggs qui du coup se retrouvent à deux : Reg Ball et Ronnie Bullis. Il leur faut un guitariste et un chanteur. De leur côté les Ten Feet Five se déplument, Pete Staples et Chris Britton se retrouvent eux aussi le bec dans l’eau. Et c’est là que se fait la fusion. Reg Ball passe au chant, Pete Staples prend la basse, Chris Britton gratte ses poux et Ronnie Bullis bat le beurre. Mais il faut aller à Londres, car en 1965, c’est là que se joue le destin du monde.

Larry Page va littéralement façonner les Troggs. Page fait ce que font tous les affairistes londoniens à l’époque, Mickie Most, Don Arden, Simon Napier-Bell et tous les autres, il flaire le jack-pot et prépare ses poulains comme des sportifs. Page monte Page One Records avec Dick James, le music publisher des Beatles. Page est donc à la fois manager et label des Troggs. Il empoche tout. Les Troggs n’ont pas grand chose à proposer, juste une pop song qui s’appelle «Lost Girl». Ils l’enregistrent à Londres et bien sûr, le single floppe. Alors Page fait ce que font tous les affairistes londoniens à l’époque : il va faire du shopping en Amérique. Il emmène son directeur musical Colin Fretcher et ils rencontrent Chip Taylor, un auteur renommé qui justement vient de pondre un truc qui s’appelle «Wild Thing», déjà enregistré en 1965 par les Wild Ones et qui n’a pas marché. Snarfff, snarfff, Page flaire le hit et de retour à Londres, il le file aux Troggs qui retroussent leurs manches. Gros boulot les gars, trois accords, La, Ré, Mi et le solo d’ocarina. Ils entrent en studio sur Regent Street et enregistrent deux trucs en trois quarts d’heure : «Wild Thing» et «With A Girl Like You». Une fois les deux cuts enregistrés, les Troggs rangent leur matériel dans leur van pour rentrer à Andover. Ils sont assez fatalistes et savent qu’ils doivent reprendre leurs boulots respectifs : Reg et Ronnie sur des chantiers de bâtiment, Pete comme électricien et Chris comme arpète dans un atelier de litho. Larry Page leur dit au revoir. On reste en contact, les gars, ne vous inquiétez pas ! Ouais c’est ça.

Larry Page grenouille sec dans le milieu et «Wild Thing» sort sur Fontana, le label des Pretties. Et soudain tout explose : en 1966, «Wild Thing» is number one in America et «With A Girl Like You» number one in the UK, at the same time précise Pete Staples avec un sourire malicieux. Et il ajoute qu’alors tout s’est accéléré - Things started to move very quickly - Les expressions de Pete Staples sont d’une justesse qui n’a d’égale que la simplicité de leur formulation. Il écrit comme s’il racontait l’histoire accoudé au bar, devant une pinte. C’est là très précisément que Larry Page façonne l’image médiatique des Troggs, soucieux de la façon dont ils vont apparaître dans la presse et à la télé. D’abord les pseudos, il rebaptise Reg Ball Reg Presley et Ronnie Bullis Ronnie Bond, puis il les envoie acheter leurs fameux striped suits chez Take 6, sur Carnaby Street, des costards couleur crème avec des rayures bleues et jaunes, oui, ceux qu’on voit sur les pochettes. Puis c’est le bal maudit des tournées. Les Troggs ne ramassent que 35 £ par semaine. Ils ne sont pas complètement cons et se disent qu’il y a un problème. Où passe le blé ? Ils en glissent un mot à leur protecteur d’Andover, Stan Phillips qui lui aussi soupçonne Larry Page et Dick James de se goinfrer sur le dos des Troggs. D’ailleurs Phillips surnomme Page et James Hookum and Crookum. Ah la rigolade ! Le problème c’est qu’Hookum and Crookum contrôlent tous les revenus des Troggs : ventes de disques et recettes de concerts - They had complete control over everything we earned and recorded - C’est là que les Troggs décident de casser leur contrat.

Au temps de leur gloire, les Troggs font une tournée avec les Walker Brothers et Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch. Les Troggs s’entendent bien avec John Maus et Gary Leeds, mais Scott Walker voyage à part et boit de l’eau de Vichy. Il passe pour un frimeur, mais on leur explique qu’il est en réalité très timide et très réservé. Dommage que Pete Staples ne s’étende pas sur les détails de cette tournée qui fut certainement historique.

Lorsqu’ils sont en tournée aux États-Unis, Marty Machat rentre en contact avec eux. Machat est un avocat de renom qui représente Phil Spector, Sam Cooke et les Stones. Il veut proposer un contrat aux Troggs. Lorsqu’ils entrent dans la pièce, il trouvent Machat les pieds sur son bureau. Il porte des cow-boy boots et un holster avec un vrai gun. Il leur propose de casser leur contrat et de les prendre sous son aile. Mais les Troggs ont la trouille de ce genre de mec et Stan Phillips les fait sortir du pays en douce, car évidemment, Machat les cherche partout. Les Troggs rentrent à Andover en bateau. Du pur Rouletabille !

Paru en 1966, From Nowhere porte un autre nom aux États-Unis : Wild Thing. C’est en gros la même pochette, avec une track-list différente, va savoir pourquoi. Quand on tient cet album dans les pattes, c’est un peu comme si on tenait le Swinging London, you make my heart sing/ You make everything groovy. Dès leur premier album, les Troggs atteignaient leur sommet. Bien sûr, les compos de Reg n’étaient pas aussi brillantes que celle de Chip Taylor, mais elles ne manquaient pas de charme, et Chris Britton ne ratait pas une occasion de passer un solo de fuzz guitar, comme dans l’excellent «From Home». Les Troggs veillaient alors à bien rester dans leur son trogglo. Mais ils dérapaient parfois dans la petite pop, comme avec «Hi Hi Hazel». C’est dingue ce qu’on a pu détester cette B-side d’EP à l’époque, une époque où forcément on attendait des miracles des Troggs. «Lost Girl» tenait bien la route, frénétique, avec son chant rampant, ses idées de son et Chris Britton y passait l’un de ces fulgurants killer solos flash dont il allait se faire une spécialité et devenir du même coup l’un de nos guitaristes préférés. Ils attaquaient leur bal de B avec cet excellent hit de Reg, «With A Girl Like You» et tout allait bien, l’oriflamme des Silver Sixties claquait au vent. En fait, Reg composait quasiment tout, comme encore ce «Our Love Will Still Be There» assez accrocheur. Ils tapaient plus loin «Your Love» au heavy gaga et on croyait entendre les Kinks de «You Really Got Me». Ils finissaient en apothéose avec l’un des sommets de l’art gaga et du proto-punk, l’imparable «I Want You». Même ambiance que «Wild Thing» mais en plus menaçant. Pur jus de proto-punk. Reg chante ça à la petite délinquance boutonneuse et le grand Chris Britton fait son entrée en lice, grand claqueur de killer solos flash devant l’éternel. S’il faut emmener un cut des Troggs sur l’île déserte, c’est «I Want You». Britton atteint à la perfection immanente.

Paru la même année, leur deuxième album s’appelle Trogglodynamite. Joli nom. On y trouve deux modèles du proto-punk : «I Can Only Give You Everything» et «I Want You To Come Into My Life». C’est le summum du fuzz system, les Them avaient testé le premier mais les Troggs tapent en plein dans le mille du gaga boom. Reg & Brit, Brit & Reg, ils sont la figure de proue du fuzz system britannique. «I Want You To Come Into My Life» ouvre le bal de la B et c’est à nouveau le vrai truc, ce que les Anglais appellent the real deal. Reg chante ça à l’insistance patentée, la la la, avec du regain d’intérêt plein la bouche en fin de couplet, cause it blows my mind ! On aime bien cet album car les Troggs adressent un beau clin d’œil à Bo avec «Mona», mais ce n’est pas Reg qui chante. On note aussi que Pete Staples ne figure pas sur la pochette. Mauvais cadre ? Va savoir. C’est là sur cet album que Reg commence à déconner avec sa petite pop inepte («Oh No» et «No 10 Downing Street»). Ah si les Troggs n’existaient pas, il faudrait les inventer ! Leur version de «Little Queenie» n’est pas bonne.

On se souvient de Cellophane comme d’une atroce déception. Ramené de Londres comme un trophée, la première écoute se solda par un moment de stupeur. Cellophane faillit bien passer par la fenêtre, mais heureusement, il n’y avait pas de fenêtre dans cette cave. À la réécoute et en creusant un peu, on trouvait du cro-magnon dans «Too Much Of A Good Thing», un cut darky et donc troggy. Reg tentait de sauver les meubles du bal d’A avec «All Of The Time», in the nasal way, à grands renforts d’échos de «With A Girl Like You». En B, ils tentaient de reprendre le contrôle de l’Angleterre avec «Her Emotion». Reg y sortait pour l’occasion son plus beau snarl et Chris Britton ses plus beaux nah nah nah, mais ça ne marche pas à tous les coups. À défaut d’être psychédélique, «When Will The Rain Come» était assez psychologique. Les Troggs tentaient le diable, mais le diable se refusait à eux, et donc cet album se refusait à nous, comme une fiancée frigide. On trouvait au bout le la B leur dernier grand hit des sixties, «Love Is All Around».

En 1968, les Troggs sont en perte de vitesse. Ils survivent dans les charts avec «Love Is All Around». Reg compose un «Little Girl» qui peine à grimper, et après c’est fini. Plus de hits. Tout va désormais reposer sur les recettes de concerts.

Par contre, les labels ne perdent pas le Nord, et on voit apparaître en 1968 Love Is All Around, un pressage américain sur Fontana. Incompréhensible. En fait, c’est une sorte de compile qui rassemble des merveilles dispersées sur les 45 tours, comme par exemple l’excellent «Gonna Make You», pur jus de Diddley beat, la petite pop raffinée d’«Anyway That You Want Me» et en B, l’autre monster smash des Troggs, «I Can’t Control Myself», ooooh no, l’hymne des wild kids du CEG Lemière, le bah bah bah bah bah bah qu’on scandait sur le perron avant de rentrer en classe. On se régalait aussi de «Give It To Me (All Your Love)», pure trogglodynamite et de «66 54321» et son claqué de basse derrière le snarl de Reg.

Comme l’indique son nom, Mixed Bag paru sur le Page One de Larry Page est un drôle de mélange. Ça va du pire au meilleur, le meilleur étant «Heads Or Tails» (ça cogne dans la mad psyché et du coup ça inespère), le pire étant «Say Darlin’» (où Chris Britton se prend pour un auteur, mais c’est pas beau, les Troggs singent Max la Menace et sont d’un ridicule qui en dit long sur leur manque de vision). Dommage, car ils font une belle ouverture de bal d’A avec «Surprise Surprise», un vieux run-up trogglodyte. Reg chante comme le roi des bricklayers d’Andover. On retrouve le troggly-trogglah dans «Purple Shades», ils jouent bien leur carte, c’est très spécial et cette espèce de freakbeat sert principalement à faire dresser l’oreille. Le pauvre Peter Staples apporte sa contribution avec «Marbles & Some Gum», mais son comedy act n’est pas beau. Ils ouvrent leur bal de B avec la petite pop d’«Hip Hip Hooray». Alors Reg sort son petit sucre de sa braguette de bricklayer, mais même quand il déconne et qu’il sonne comme Gérard Lenormand, lah nah nah, on l’adore quand même. Il fait le même genre de daube mais Gawd c’est les Troggs ! Lah nah nah, vas-y mon vieux Reginald, prends nous bien pour des cons. C’est avec «We Waited For Someone» qu’on retrouve le heavy drive des Trogglos. Aw, c’est plutôt heavy in the mortar, on retrouve ce mélange capiteux de petite pop stupide et de heavy trogglo tartiné à la truelle. C’est un mélange unique en Angleterre et Larry Page les fait sonner, for sure !

Comme Larry Page voit les ventes chuter, il incite Ronnie, Reg et Chris à enregistrer des albums solo. Pour Pete, c’est la fin des haricots. Mais il n’est pas au bout de ses surprises : un jour il est convoqué à une réunion chez Larry Page, sur Oxford Street. Ils y vont tous les quatre. À côté de Page se tient un conseiller qui prend la parole pour s’adresser à Pete : «Pete, the boys don’t want you in the group anymore.» Pete est scié. Bouche ouverte. Speechless, précise-t-il. Non seulement il ne s’y attendait pas, mais il ne comprend pas que ses vieux potos puissent le virer comme un chien. Les autres bien sûr ne disent rien. Le coup était préparé d’avance. Le pauvre Pete n’aura l’explication que quatre ans plus tard, quand un certain Mr Stark, le comptable des Troggs, qui continue à le voir chaque année pour l’audit des comptes, lui raconte que pendant qu’il était en voyage de noces, ses trois copains ont fait entrer en studio un certain Tony Murray pour jouer sur l’album Mixed Bag. Tony Murray jouait dans Vanity Fair, un groupe dont s’occupait aussi Larry Page. C’est là que le sort de Pete fut scellé, dans son dos, sans rien lui dire. C’est par Mr Stark que Pete apprend que Chris Britton a lui aussi quitté le groupe en 1972 pour aller monter un bar au Portugal. Et comme le dit si bien Pete, le groupe avait perdu en même temps deux de ses membres originaux et un son unique. Bon alors après tout ça, la suite de l’histoire des Troggs va prendre une nouvelle tournure.

On les retrouve en 1975 sur la fameux label de Larry Page, Penny Farthing, avec un album sans titre, The Troggs. Pourquoi fameux, au fait ? Parce que c’est sur Penny Farthing qu’est sorti le premier single des Hammersmith Gorillas, «You Really Got Me». The Troggs est un pur album de covers, certaines sont réussies, d’autres pas. Parmi les réussites, on trouve «I Got Love If You Want It», «Satisfaction» (joué à la heavyness avec un Reg au poil qui ramène tout son bazar des cavernes, le snarl, le snif et le schnouf), et en B, «Peggy Sue» (version bien teigneuse, Reg est excellent dans son rôle de Reg en rogne) et «Memphis Tennessee» (on sent bien que Reg aime le rock). Par contre ils font une version trogglodyte de «Good Vibrations», Reg chante ça à la rampante insidieuse et il ose y passer un solo d’ocarina. Ils font aussi une version punkoïde de «No Particular To Go». Reg continue de faire son proto-punk, longtemps après que les poètes aient disparu. On entend Peter Green faire des merveilles à l’acou sur «Summertime», et bon an mal an, l’album se tient plutôt bien.

L’année suivante, The Troggs Tapes paraît aussi sur Penny Farthing. À ne pas confondre avec l’autres Troggs Tapes qui est l’album des conversations. C’est maintenant Richard Moore qui joue de la guitare et il fait des merveilles sur «Down South To Georgia». Back to the basics avec «Gonna Make You», ce vieux shoot de Diddley beat. Vraiment impeccable, all mine. Colin Fletcher et Richaed Moore jouent tous les deux comme des cakes. Comme membres originaux, il ne reste plus que Reg et Ronnie dans les Troggs de 1976. Ils font un joli coup de trogglo sound sous le boisseau avec «We Rode Through The Night», et une balle basse s’en vient rôder au devant du mix. En B, ils reviennent à ce curieux mélange de trogglo et de sucre avec «Supergirl». Moore chante cette petite pop et Ronnie Bond chante le «Rolling Stone» qui arrive un peu plus loin. Les guitares restent délicieusement présentes et la basse vient lécher le cul du cut qui adore ça. Ils terminent avec une belle cover de «Walking The Dog». Reg ramène toute sa hargne trogglo, c’est bien en place, ils sifflent au coin des rues et Reg n’a jamais été aussi à l’aise dans son rôle de délinquant/bricklayer d’Andover.

En 1981, année de l’élection de François Mitterrand, les Troggs débarquent chez New Rose avec Black Bottom. Ils piquent une jolie petite crise de proto-punk avec «Strange Movies». Belle descente aux enfers du trogglo sound, Reg sait y faire, il reste dans l’esprit du ooooh noo de Can’t Control Myself. Avec «Bass For My Birthday», ils se tapent une jolie partie de chœurs trogglo, avec, comme on dit, un accent à couper au couteau. Puis ils virent glam avec «Little Pretty Thing», mais c’est du glam trogglo avec les accords de Marc Bolan. C’est très amusant et très réussi. En B, Reg s’en va faire du Cockney Rebel avec «I Don’t», il perd son côté trogglo et c’est moins rigolo. Puis il se fait une entorse à la cervelle en composant «Widge You», le plus numb des rocks trogglo. On note au passage que Chris Britton est de retour parmi les siens.

Leur deuxième album New Rose paraît huit ans plus tard et s’appelle Au, symbole chimique de l’or. Au dos, Chris Britton a bonne mine, mais Reg est un peu bouffi. Ils refont une version de «Strange Movies» et le vieux Reg ahane pour avoir du foin. Ils continuent leur besogne de recyclage avec «I Can’t Control Myself» et en B, avec «Wild Thing», «Walking The Dog», «Love Is All Around» et «With A Girl Like You». Du coup, l’album nous met mal à l’aise, car on voit bien que les Troggs n’ont plus rien dans la culotte. Ils sauvent leur destin avec «Maximum Overdrive», un big shoot de guitar slinging des cavernes. Chris Britton sait partir à point nommé, comme dirait Jean de La Fontaine.

L’histoire des Troggs s’achève en 1992 avec Athens Andover, un album mi-figue mi-raisin. En fait c’est un coup monté par Larry Page qu’on voit au dos avec les Troggs et qui sur la pochette intérieure raconte l’histoire du projet. Ce n’est pas l’Athens de la Grèce mais celle de la Georgia, aux États-Unis. Larry Page avait remarqué que REM reprenait «Love Is All Around» sur scène et il s’est dit que ce serait bien de rapprocher les deux groupes. Les Troggs sont donc allés enregistrer à Athens, Georgia, avec REM (sauf le chanteur). Quelle drôle d’idée ! Comment le plus provincial des groupes anglais peut-il espérer trouver chaussure à son pied dans ce genre de partenariat ? C’est absurde. L’album s’en ressent. Comme on le craignait, ils font du poppy des popettes. REM n’a jamais trempé dans le proto-punk. Si Larry Page avait contacté Blue Cheer ou les Stooges, on comprendrait mieux, mais REM ! Une fois de plus, c’est Chris Britton qui sauve les meubles sur des cuts comme «Turned Into Love». Reg fait ce qu’il peut, mais la teneur compositale est extrêmement faible. On perd complètement la trogglo. Il faut attendre la B pour trouver un peu de viande avec «I’m In Control», un cut signé Peter Holsapple. Reg est content quand on lui donne une bonne chanson à moudre, il peut alors retrouver sa vieille rogne. Mais il rechute aussitôt après avec «Don’t You Know», petite pop sucrée très sixties, comme si le romantisme n’allait pas bien aux cro-magnons. Reg nous fait le coup du joli chant du cygne trogglo avec «What’s Your Game» et ils terminent d’une façon éblouissante avec «Hot Stuff» qui n’est celui des Stones, mais une compo de Larry Page. Chris Britton claque ses merveilleux power chords comme en 1965 et Reg rampe dans la caverne. Ils sont géniaux quand ils sont dans leur élément.

Autant le dire franchement, les Troggs étaient avant toute chose LE groupe des grands singles. On trouve sur Repertoire un triple CD, The Singles A & Bs, qui en rassemble la quasi-intégralité et ce petit objet fait plus de dégâts que n’en firent les deux bombes atomiques américaines. Larry Page ne se gourait pas en inventant le mot Trogglodynamite. Par sa densité, ce triple CD balaye tous les albums des Troggs. «Lost Girl» sonne comme une apparition de la Vierge, «Wild Thing» reste intemporel, «From Home» est tiré à quatre épingles et «With A Girl Like You» n’a rien perdu de son aura mythique. «I Want You» revient nous sonner les cloches, ah comme on vénère cette mélasse gluante d’I can’t stand alone on my own, chaque note là-dedans est parfaite, tout le proto-punk anglais se trouve dans ce solo claqué avec une violence irréelle. Alors bien sûr on se gargarise une fois de plus d’«I Can’t Control Myself», you got me so that/ My nerves/ Are... breaking, vas-y, bats-moi ça ! C’est impossible. Et puis ça repart en mode Diddley beat, baby, avec «Gonna Make You», all mine. S’ensuit un «When Will The Rain Come», assez invasif, culte à 100%, pur jus de psyché anglais. Ils font aussi l’«Evil Woman» que fait Spooky Tooth sur Spooky Two. Alors là bravo ! Sur le disk 2, «Jingle Jangle» va te ramener dans Carnaby Street vite fait. Le souffle du temps passé... Ah comme c’est déjà loin. La nostalgie te pince comme un crabe. Et puis il y a ces hits proto-punk monstrueux qui ne sont même pas sur les albums, et c’est surtout pour ça qu’il faut rapatrier cette mini-box. Premier exemple avec «Lover» - Make me understand - Quelle allure ! C’est violemment bon, en plein dans cet esprit purement british du proto-punk, les Troggs savent créer les conditions, c’est gratté dans la douleur et chanté à l’insidieuse menaçante, celle qui te fout la trouille. On reste dans le heavy trogglodynamisme avec «Come Now», because you’re mine, c’est d’une rare violence dégueulasse, avec une basse qui pouette dans le gras du son. Quel groupe fascinant ! Ils développent des puissances insoupçonnables. Tiens encore un truc qui va te faire tomber de ta chaise : «Feels Like A Woman», heavy blast de proto-punk des enfers trogglo, joué au stomp avec des claqués de disto, et toujours cette morve infâme de move me but now you’re driving me wild, l’ambiance est sous la braise, t’as qu’à voir. On retrouve plus loin l’incroyable «Strange Movies», d’une violence inespérée, et cette violence inespérée, c’est la grandeur des Troggs, Reg ahane la bite à l’air, il est éperdu de délinquance, la violence flirte avec le génie, le cut est ravagé par la faucheuse des Troggs. On retrouve à la suite les covers baroques de 1975, «Good Vibrations», «Summertime», «Satisfaction» (bien gratté au sec de trogglo), «Memphis Tennessee» (just perfect) et l’infernal «Peggy Sue». Ça patine un peu sur le disk 3, même si «Gonna Make You» rallume le flambeau du Diddley beat, même si «Get You Tonight» développe une énorme énergie trogglo avec sa guitare en liberté, même si «Just A Little Too Much» en bouche un coin avec son killer solo flash et l’imparabilité de sa haute voltige, même si «Fast Train» reste d’une vigueur exemplaire et «Every Little Thing» d’une candeur toxique. La pop de Reg quand elle est bien foutue n’est pas à prendre à la légère. Tout se termine avec d’incroyables singles solo de Reg, comme par exemple sa version de «Wichita Lineman». Reg se tape un coup de Jimmy Webb. Il est magique avec sa truelle. Quel mélange ! Reg est un vieux gamin qui aime les bonbons. Avec «Young & Beautiful», il continue de charcler son vieux rock trogglo, c’est excellent. Reg la joue serré. Et ça continue avec «‘S Down To You Marianne». Quel immense privilège que de pouvoir écouter ces singles ! Et ça se termine avec «Hey Little Girl». La voix de Reg reste l’une des plus distinctives du Swinging London. On est fier d’avoir adoré ce vieux bricklayer et sa petite pop de mains calleuses.

Et comme c’est l’usage, l’arnaque dont furent victimes les Troggs a fini dans les pattes d’un juge qui en 1985, leur accorda la somme royale de 70 000 £ en guise de dédommagement. Mais Dick James cassa sa pipe au moment du verdict et les Troggs durent encore poireauter un an avant de palper les billets. Mais attention, tout le monde n’a pas palpé pareil. Reg a emplâtré 43 000 £, 11 000 £ sont allés aux avocats et les trois autres ont récupéré un peu moins de 5 000 £ chacun. Pete Staples demanda alors à Reg de faire un effort en souvenir du bon vieux temps. Ah bah non, Reg n’a pas voulu partager. Va te faire cuire un œuf. Bienvenue au royaume magique des Troggs !

Signé : Cazengler, Trogg de bique

Troggs. From Nowhere. Fontana 1966

Troggs. Trogglodynamite. Fontana 1966

Troggs. Cellophane. Page One 1967

Troggs. Love Is All Around. Fontana 1968

Troggs. Mixed Bag. Page One 1968

Troggs. The Troggs. Penny Farthing 1975

Troggs. The Troggs Tapes. Penny Farthing 1976

Troggs. Black Bottom. New Rose Records 1981

Troggs. Au. New Rose Records 1989

Troggs. Athens Andover. Essential 1992

Troggs. The Singles A & Bs. Repertoire

Pete Staples. Wild Thing. A Rocky Road. New Haven Publishing Ltd 2017

 

EDGAR DU NORD

Voici cinquante ans, the Edgar Broughton Band enflamma quelques imaginaires, notamment ceux d’une poignée de lycéens affamés de proto-punk. Rien qu’à voir les frères Broughton en photo, on frétillait comme des gardons. Avec Third World War, les Pretties et les Deviants, ils étaient le fer de lance de la délivrance, l’emblème de la pouille, l’apanage du freakout des alpages. Ils n’avaient même pas besoin de chanter pour devenir légendaires, on se donnait à eux corps et âmes, comme des folles en chaleur. Mais dès qu’ils drop-outaient leur Beefheart Blues, on entrait en osmose avec des syncopes subliminales, pas besoin de fumer ta fucking résine de cour de récré, les frères Broughton t’amenaient le pandémonium sur un plateau - Out Demons out - Ils trimballaient une réputation d’anars à l’Anglaise, working-class des Midlands, hairy triumvirate, les deux frères Broughton accompagnés du copain d’enfance Arthur Grant à la basse étaient de tous les coups, notamment les free festivals organisés par les Hell’s Angels. Ils entrèrent aussi en contact avec la Fraction Armée Rouge, lors d’une tournée en Allemagne.

Mojo leur octroie princièrement six pages, mais pas la couve, qui revient à Robert Smith. Smith vend mieux, on connaît la chanson. Dans la double d’ouverture, ils posent tous les quatre avec Victor Unitt, un guitariste qu’ils partageaient avec les Pretties. C’est Vic qu’on entend dans Parachute. Adrian Boot plonge dans les racines de frères Broughton et déterre histoires marrantes. Dans le HLM de Warwick où ils ont grandi, tout le monde gueulait, ça politisait à outrance, avec un dad socialiste et une mum activiste communiste qui organisait des coups, ah les veinards, et c’est pas fini, car chez les Broughton, c’était table ouverte, tous les kids de l’immeuble traînaient dans l’appart, a kind of club for kids, et dad collectionnait les disques de blues. Jusqu’au jour où il ramène à la maison deux 78 tours de Little Richard - Listen to these, boys ! - Et pouf c’est parti pour les super-veinards. Des parents coco qui écoutent Little Richard, ça fait rêver. Et ça change la mise. Steve Broughton raconte que ce jour-là, son père s’est mis à danser en secouant ses cheveux. Charles Perrault n’aurait pu imaginer plan plus féérique.

À dix ans, Edgar reçoit un ukulele pour son annive. Et quand son frère Steve demande deux ans plus tard un truc un peu plus bruyant qu’un ukulele, ses parents lui offrent une caisse claire d’occase. Pas étonnant qu’ils finissent par monter un groupe. Edgar écrit même des chansons, t’as qu’à voir. Tony And The Talons deviennent The Edgar Broughton Band, avec mum & dad en road crew et c’est là où leur histoire devient géniale. Dad Broughton s’occupe de la batterie et du light show, mum conduit le van et s’occupe du booking. Elle n’a qu’un seul regret : d’être née trop tôt, car elle aurait voulu jouer dans le groupe - I should have been with you lot.

Le groupe commence par taper des covers de Wolf, mais Edgar se dit très influencé par ce qu’il entend chez John Peel, notamment John Fahey et Captain Beefheart - Lumpy dirty blues and surreal lyrics. I liked the madness - Comme quoi, les bonnes influences, ça ne pardonne pas. Mais aussi les Fugs de Tenderness Junction qui sont la source d’Out Demons Out. On s’en souvient, les Fugs avaient entrepris de chanter Out Demons Out devant le Pentagone pour le faire léviter et débarrasser l’Amérique de ce chancre étatique.

Quand ils s’installent à Londres, Edgar, Steve et Arthur choisissent bien évidemment Ladbroke Grove. Ils signent avec Blackhill Enterprises, l’agence de Peter Jenner qui s’occupe déjà du Pink Flyod. C’est lui Jenner qui les envoie chez Harvest. Quand l’Edgar Broughton Band commence à jouer à Londres, ils attirent aussitôt les Hell’s Angels, qui vont suivre tous leurs concerts, et même en organiser. Okay les gars, disent mum and dad, mais vous déposez les armes avant. Un service d’ordre, oui, mais sans baston.

La copie de Wasa Wasa qui est ici vient du Rock On stall de Soho Market. Le gros vendeur bourru qui devait être Roger Armstrong nous reprenait lorsqu’on prononçait mal le nom de Broughton. No, disait-il, Brrrooohhh. Dénicher la pochette à la chandelle de Wasa Wasa fut l’un de ces grands moments magiques que Rock On vous permettait de vivre. Sur le stall on côtoyait des Teds en edwardian drapesuit bleu clair, chemise à jabot, des bagues plein des doigts et des pompadours oh so flashy. Wow comme ces mecs savaient s’habiller ! Les Teds des early seventies avaient quelque chose de spectaculaire, au cœur de Londres. Certains pouvaient rivaliser de beauté avec Vince Taylor. Wasa Wasa n’a rien à voir avec les London Teds, mais si on y réfléchit cinq minutes, on finit par comprendre que ce n’est pas un hasard si tout est concentré au même endroit : Broughton, Rock On, les London Teds et les singles Sun : on est au cœur du noyau magique de l’Underground, et tous les gens qui sont là viennent s’approvisionner au même endroit. Wasa Wasa c’est la même chose qu’un single Sun, un Graal. L’objet d’une quête. Rentré au bercail, c’est encore pire : dès «Death Of An Electric Citizen», on entre en religion. Edgar fait son Beefheart qui est déjà ici une sorte de dieu païen. Edgar et les deux autres s’ancrent dans la réalité de leur son. Arthur Grant gratte son bassmatic avec une maladresse qui fend le cœur. C’est dingue ce qu’on a pu adorer ces trois pouilleux. Avec «Why Can’t Somebody Love Me», ils élevaient le proto-punk au rang d’art majeur. Edgar grattait ses poux et chantait à l’arrache de cro-magnon. Comme chez Wolf, le diable et tous ses démons rôdaient dans l’ombre d’«Evil». Sur ce premier album, Arthur était très présent dans le son. Sur le «Cryin’» d’ouverture du bal de B, il bassmatiquait à l’anglaise, classique et bavard à la fois, multipliant les figures de style sur la hauteur du manche, il descendait et remontait en rythmant ses syncopes. Et puis avec «Love In the Rain», le géant Victor Broughton s’adressait à l’océan du haut d’un rocher de Guernesey. Fan-tas-tique shouter !

Leur deuxième album nommé Sing Brother Sing était plus expérimental. Edgar nous embarquait pour Cythère dès «There’s No Vibration But Wait». Seuls les Anglais pouvaient bricoler un groove aussi ensorcelant - Negative/ negative/ Negative - Puis ils recréaient l’apanage du proto-punk avec «Momma’s Reward», un cut abrasif et définitif, beefheartien en diable, qui les projetait au sommet d’un art si ingrat. Et puis en B, on voyait Edgar chanter «Old Gopher» par dessus les toits de la vieille Angleterre, claquant à la revoyure un solo juteux maintenu en balancement. C’est le groove des ours. Ou le groove patibulaire, si tu préfères.

Et puis les choses allaient commencer à se détériorer. On attendait monts et merveilles de leur troisième album sans titre paru l’année suivante et qu’on appelle aussi l’album de la barbaque, à cause des quartiers de viande accrochés sur la pochette. Le son évolue avec Victor Unitt qui a rejoint le trio. Back to the proto-punk avec «The Birth» : âpreté du chant et beat tribal, avec Art en contre-bas de la caverne. C’est vrai qu’avec Victor dans le son, ils sont à l’abri du besoin. Ils adorent la heavyness, comme le montre encore «Don’t I Even Know Which Day It Is». Victor ramène son son spacey dans la soupe aux choux. C’est en B que se joue le destin de la barbaque, et ce dès «House Of Turnabout» bien secoué des castagnettes. C’est lardé de beat, ils sonnent comme une vraie fratrie des cavernes. Ils rééditent l’exploit du Negative/Negative avec «Manhatter» et Victor transperce le cœur du mystère d’un solo de désaille pure. Ils partent en dérive orbito-groovytale. Et puis avec «Getting Hard», Edgar montre qu’il peut rivaliser de puissance avec le James Brown d’«It’s A Man’s Man’s World». Ce fantastique mélopif est plein de revienzy.

Mais la tournure que prennent les choses ne plait pas aux frères Broughton. Peter Jenner est trop showbiz pour eux. En plus, ils aimeraient bien aller jouer aux États-Unis mais Jenner n’a pas les contacts. Alors ils arrêtent les frais et vont chez World Wide Artists, un agence qui s’occupe de Sabbath, de Stray, des Groundhogs... et des Hollywood Brats. Mais les frères Broughton comprennent très vite qu’ils font une énorme connerie, car l’agence est gérée par le mob londonien. C’est le célèbre Wilf Pine dont parle Andrew Matheson dans ses mémoires qui fait office de bodyguard et de producteur.

C’est donc pendant la sombre période World Wide qu’ils enregistrent In Side Out. On y retrouve un peu de proto-punk («I Got Mad»), way back to the cro-magnon protocole. Même chose avec «The Rake» : back to the big Brrrrohhh sound. On les voit ramer comme des galériens pour remonter la pente dans «Gone Blue», mais ce n’est pas simple. Ils ramènent pourtant du son, mais on est loin de Wasa Wasa. Ils font autre chose, ils compensent, comme tous les has-been. Et puis soudain le miracle se produit avec «If It’s Not You». Ils savent allumer la gueule d’un cut, pas de problème. Ils renouent avec le balancement du big Brrrohhh System, ce ressac antique que les autres groupes anglais n’ont pas, Edgar ressort sa voix incroyablement abrasive dans le balancement du groove, Victor Unitt joue dans la couenne du son, il larde le lard de Brrrohh, c’est une pulsation antique et païenne à la fois, du heavy growl, sombre et caverneux. Edgar mélange Beefheart et Wolf, c’est un véritable coup de génie, et derrière, les autres font I wanna go home...

Dans la foulée, ils enregistrent l’excellent Oora, un Harvest qui s’arrache aujourd’hui à prix d’or. Edgar et ses amis virent plus prog, comme le montre l’«Hurricane Man» d’ouverture de bal d’A, mais on sent des tendances considérables et sur le tard, Vic Unitt pique une crise mémorable. Ce mec est capable de coups d’éclat sans précédent, alors qu’Edgar se contente de maintenir les sens en éveil. Comme entrée en matière, c’est très convenable. Cet album pourrait bien être celui de Vic car il devient fascinant dans «Eviction». Il ne joue que des notes très pertinentes et Edgar fait son Beefheart. On se régale. Vic fait encore des siennes dans «Roccococooler», en jouant des arpèges à la surface d’une nappe de fuzz. Tout est délicieusement étrange sur cet album et c’est exactement ce qu’on attend des Broughton Bros. Ils sont capables de belle pop, comme le montre «Oh You Crazy Boy», une belle pop qui se laisse désirer, primitive et victorienne à la fois. Edgar ramène sa niaque dans «Things On My Mind» et revient à la pop pour «Exhibition From A New Museum». Pop, oui, mais quelle allure ! Edgar drive son monde avec classe, et derrière les filles font pah pah pah, et pas n’importe quelles filles puisqu’il s’agit de Doris Troy et de Madeline Bell. C’est en B que se dénoue l’énigme d’Oora, avec cette suite impérieuse en quatre temps, «Face From A Window/Pretty/Hi-Jack Boogie/Slow Down» : back to the Unitt System, c’est plein d’esprit avec du Broughton en veux-tu en voilà. High energy ! Leur Hi-Jack est du pur proto-punk de Ladbroke Grove, cette fantastique clameur des cavernes et ça dégringole dans le Slow Down, ah il faut écouter ces mecs, car ils sont tellement puissants. Oora, on se souviendra de toa.

Les Broughton finissent par se débarrasser de World Wide en les poursuivant devant un tribunal et retrouvent leur indépendance.

Sur la pochette de Bandages, on voit la terre enveloppée dans des pansements. Vic n’est plus là et ça s’entend. Un certain John Thomas le remplace. Pour le reste qu’on se rassure, les quatre Broughton Band sont toujours aussi barbus et chevelus. Mais l’album s’annonce mal, avec ce «Get A Rise» privé de toute crédibilité. C’est un gospel de pouilleux que chante Lei Aloah Mei. Puis on les voit faire du bucolique ridicule («Speak Down The Wires»), du chant des baleines («The Whale») et il faut attendre «Love Gang» pour retrouver enfin la caverne. Edgar retrouve enfin sa démesure de cro-magnon, le heavy power, l’outrance de la prestance poilue, c’est réconfortant, mais triste en même temps, car tout l’album devrait sonner ainsi. Ils repartent aussitôt après en mode petite pop décalée, on croirait entendre les Three Dog Night, et leurs tentatives folk-pop sont absolument désastreuses. C’est incompréhensible, de la part de gens aussi doués. Ça bascule dans l’hippie-doom avec «Fruhling Flowers», on perd l’Edgar anar, ils font n’importe quoi et ça se termine en eau de boudin avec «I Want To Lie».

En 1979, on avait laissé tomber l’Edgar Broughton Band. Ce n’est que bien plus tard, en croisant Parlez vous English? dans un bac que la curiosité l’emporta sur l’avarice. Quelle ne fut pas notre surprise de voir ce groupe jadis si caverneux faire de la petite pop ! Pourtant, les deux photos, celle du dos et celle de l’intérieur du gatefold, nous montrent un Broughton Band barbu, chevelu et en cuir noir, c’est-à-dire fidèle à sa réputation. Peter Tolson (orthographié Tolsen) a remplacé Victor Unitt. Il faut se souvenir qu’il existe un lien très fort entre les Pretties et l’Edgar Broughton Band : ils se prêtent leurs guitaristes. Victor Unitt joue sur Parachute et Peter Tolson sur les trois albums Swan Song des Pretties. Le seul cut sauvable du bal d’A s’appelle «Megaglamster» et c’est en B qu’on voit le proto-punk refaire son apparition avec «Revelations One». Mais il arrive après la bataille, alors appelons ça du dada des cavernes. Ils bafouent ces lois de la raison que le cœur ignore. On croirait entendre Pere Ubu, les gars ! Ils font avec «Rentasong» une espèce de boogie rock élastique, presque rockab et retrouvent enfin des couleurs avec «Young Boys», typique du rock des Pretties à la même époque : assez classique mais pertinent, sans doute le cut le plus intéressant de cet album étrange. Ils terminent avec «All I Want To Be», un balladif de romantica un peu larmoyant, with you. De toute évidence, il veut être avec elle.

Il faut être sacrément fan pour aller écouter ce Superchip paru en 1982. L’Edgar Broughton Band des années 80 ? Ils n’échappent pas à la règle de la prod pourrie, même si Edgar ramène son singalong beefheartien dans la java de «Metal Sunday». C’est assez convaincu d’avance, mais il y a deux problèmes : un, on entend des chœurs festifs à la Queen et des synthés, et deux, ils ont tous les trois le cheveux courts et le menton rasé. Ils ressemblent à des garçons coiffeurs. On voit Edgar barrer en vrille à la fin de «We Only Fade Away», puis se fourvoyer dans des horreurs cucul la praline («Outrageous Behaviour»). Il tâtent même de la décadence avec «Nighthogs». Ils ramènent du son dans «Innocent Birthday», le cut est bizarre mais l’intention prévaut. Ils chantent «Pratfall» à plusieurs pour un résultat admirable et terminent en beauté avec une merveille titrée «Goodbye Ancient Homeland», et là oui, ils renouent avec une espèce de pop jouissive digne des grands jukes, alors on les salue pour ce joli rebondissement.

Les fans de Brrroohhh ont tous fait main basse sur ce Keep Them Freaks A Rollin’. Live At Abbey Road 1969 paru en 2004. On y entend des choses qui ne sont pas sur les albums comme par exemple cette version stupéfiante de «Smokestack Lightning». Ce démon d’Edgar en a les moyens, pas de problème, il a tout ce qu’il faut à la cave. Il fait son Wolf dans la nuit, sans répit, il gratte tout le saint-frusquin sur sa Strato, c’est un vrai gars du weird. Il tient dix minutes et vire un peu glam. Ils reprennent aussi l’excellent «Refugee» tiré de Sing Brother Sing. Un peu funèbre, mais bon, c’est Bro. Il fait son gospel des cavernes, il ramène tout le groove de la mort qui rôde. S’ensuit un hommage à Beefheart avec «Dropout Boogie». Edgar barbouille le mythe de gras, il le fait plus au chant qu’à la guitare, c’est dire son degré d’implication. Back to the proto-punk avec «Momma’s Reward». Il n’existe rien de plus proto-punk sur cette terre que cette énormité rampante. Toute la folie du genre est là, c’est heavy et provoquant à la fois. Il chante à la chaudière ardente avec du solo de gras double. Et ça se termine avec l’imparable «Out Demons Out», qui ne figure sur aucun album, c’est seulement un single sous une pochette rouge. Belle intro tribale et Edgar lance son gospel batch de doo dada doo alrite. Les fidèles claquent des mains et reprennent l’incantation en chœur. Jusqu’au moment où la machine Broughton se met en route, c’est l’infernal power des cavernes, et Edgar balance son gras double, il descend dans l’arène à la note sanglante, on voit bien qu’ils sont dépassés par leur grandeur.

Il existe une autre compile marrante de la BBC, Demons At The Beeb. On y trouve une version bien dégringolée de «Why Can’t Somebody Love Me», c’est même une avalanche de proto-punk, Edgar éructe au son cru, il gueule dans la plaine comme un Attila qui aurait perdu son armée. Il se situe à l’apogée de la purée, il brûle tous les ponts et claque du solo exacerbé, et derrière lui, cette bête de Grant joue un bassmatic de Gévaudan. Belle version malveillante de «Call Me A Liar» un peu plus loin et retour au big biz avec «The Rake». Ils sont là pour fendre des crânes alors ils fendent des crânes. C’est une atroce démonstration de force. Avec «I Get Mad», ils vont sur l’essentiel. C’est le réflexe des loups et c’est exactement ce qu’on entend, une meute qui fonce sur sa proie. Et bien sûr, on retrouve l’excellent «Out Demons Out» que Steve bat à la diable. Dommage que la version soit flinguée par le chant de la pluie qu’entonnèrent les hippies à Woodstock. C’est n’importe quoi.

Tous les ceusses qui n’ont pas vu l’Edgar Broughton Band sur scène ont de la chance : hormis YouTube, il existe deux DVD dans le commerce, l’un qui remonte à leurs débuts et l’autre qui nous les montre en 2006, en fin de parcours. Le premier qui n’a pas de titre remonte donc aux early seventies, c’est filmé en Allemagne, avec toute l’efficacité colorimétrique du Beat Club, mais ces abrutis collent des paroles sur les visages pendant «American Soldier Boy». Avec ses yeux au ciel, Steve Broughton ressemble au Christ et Art porte une croix de Malte. Ils commencent à chauffer avec «Love In The Rain», Edgar joue à la sature extrême et Steve bat à coups redoublés, comme Carmine Appice. C’est le sommet du lard fumé. Ils sont l’un des plus puissants power trios de l’époque, d’autant qu’Edgar chante face à l’océan. Dans ses pattes, la Strato a l’air d’un jouet. Il joue à la tripe fumante, il craque ses coques de notes comme des noix. Ils adressent un gros clin d’œil au Captain avec un shoot de «Dropout Boogie» puis Edgar chausse ses lunettes noires pour ramoner le heavy boogie de «Silver Needle». C’est une bonheur pour l’œil que de voir Edgar claquer son solo de distorse exacerbé. Ces trois mecs tiennent leur rang caverneux. Victor Unitt rejoint le trio sur scène pour «Poppy». Edgar est habillé en judoka. Bon enfin bref.

Le Live At Rockpalast vaut aussi le déplacement. Le groupe s’est reformé et étoffé avec Luke, le fils d’Edgar, aux keys, et Andrew Taylor à la guitare. Bon les trois cro-magnons ont rasé leurs barbes et pris un sacré coup de vieux, but after all, ce sont les Broughton. Ils jouent des cuts de toutes les époques et ça devient sérieux avec «The Moth» tiré de Sing Brother Sing. Edgar installe l’ambiance et ça continue avec «Why Can’t Somebody Love Me». Edgar retrouve sa grandeur d’antan. Le vieux cro-magnon sait encore pulser un killer solo. Back to the proto-punk avec l’imparable «Momma’s Reward» - Rock a bit now ! - Edgar le bouffe tout cru - croutch croutch - c’est infesté de solos rampants, il chante à la caverneuse abasourdie. Il introduit «American Boy Soldier» en déclarant que Blair est un fucking bastard. Comme beaucoup d’Anglais, Edgar a voté pour lui car il avait fait des promesses à la classe ouvrière, et tout le monde s’est fait baiser la gueule. On ne baise pas la gueule d’Egar Broughton, fucking bastard. Puis le DVD prend feu avec «Love In The Rain» - from the very beginning of Wasa Wasa, as a three piece, précise-t-il, prononçant Wasa Wasa wassa wassa - Ils retrouvent tous les trois la vieille niaque des cavernes et c’est dingue comme ce groupe pouvait être bon. C’est tendu à se rompre, Edgar chante at the top of his lungs, il redevient hugolien et tout bascule dans un freakout de tiguili et de cymbalum. Extraordinaire véracité de la rocaille. Ils font une version modernisée d’«Out Demons Out», on y entend les accords boogie de Spirit In The Sky et Andrew Taylor, qui joue sur une Strato bleue, vire carrément Hendrixien. Mais ce n’est pas tout : on trouve un seul bonus, une interview dans le backstage, après le concert. Edgar crache encore à la gueule de Blair et dit que le biz est worse than ever. Mais il est fier de son proto-punk et du tout ce qu’ils ont accompli tous les trois, so far, ajoute Steve. C’est extrêmement émouvant. Art ne dit pas un mot. Ces mecs sont des héros du rock anglais et ils ne la ramènent pas. Pas la moindre petite trace de frime. On espère que les autres en prendront de la graine.

La fin de l’article de Mojo est assez marrante. À 73 ans, Edgar admet qu’il n’a plus assez de jus pour relancer le groupe. Il indique en outre que Steve a des problèmes de dos, et donc il ne peut pas jouer plus d’une demi-heure. Quant à Arthur, son arthrose rend le bassmatic quasiment impossible. Alors il leur écrit une lettre à tous les deux pour leur dire qu’il n’a pas quitté le groupe et qu’ils ne sont pas virés non plus, mais en même temps, il avoue qu’il ne va pas chercher à réparer cette vieille machine. C’est un clin d’œil à sa jeunesse : quand sa mère piquait une crise, elle cassait tout dans la cuisine et Edgar passait le restant de la nuit à réparer ce qui pouvait l’être.

Signé : Cazengler, Edgar Proto-prout

Edgar Broughton Band. Wasa Wasa. Harvest 1969

Edgar Broughton Band. Sing Brother Sing. Harvest 1970

Edgar Broughton Band. The Edgar Broughton Band. Harvest 1971

Edgar Broughton Band. In Side Out. Harvest 1972

Edgar Broughton Band. Oora. Harvest 1973

Edgar Broughton Band. Bandages. NEMS 1975

Edgar Broughton Band. Parlez vous English? Babylon 1979

Edgar Broughton Band. Superchip. Telex Records & Tapes 1982

Edgar Broughton Band. Demons At The Beeb. Hux Records 2000

Edgar Broughton Band. Keep Them Freaks A Rollin’. Live At Abbey Road 1969. Harvest 2004

Edgar Broughton Band. DVD Voiceprint

Edgar Broughton Band. Live At Rockpalast. DVD MIG 2018

Adrian Boot : Super Freaks. Mojo # 328 - March 2021

 

 

L’avenir du rock - Idles des jeunes - Part Two

 

C’est tout bêtement parce qu’on a eu la chance de voir les Idles sur scène qu’on les prend au sérieux. Leur mélange de punk power, de mad frenzy, d’ultra-présence et d’ambition compositale fait d’eux l’une des nouvelles locomotives du rock anglais. Avec une telle locomotion, l’avenir de rock a encore de beaux jours devant lui. C’est même trop beau pour être vrai. Oh bien sûr, on pourrait objecter qu’ils ne font aucun effort de look et qu’ils ne sont sexy que vu d’avion, que Joe Talbot n’est pas aussi beau que Lux Interior et que Mark Bowen ne joue pas comme Johnny Thunders, mais les Idles ont un truc que n’ont pas les autres : le power de l’absolue brutalité. Sur scène, ils développent l’énergie d’une machine de guerre moyenâgeuse, telle qu’on peut en voir dans les bons films de reconstitution historique, ces tours qu’on fait avancer à la force des bras, avec des roues qui grincent horriblement et qui, pour les défenseurs qui les voient approcher des remparts, signifient une mort prochaine. Car les lourdes trappes vont s’abattre sur les créneaux et les tours vont vomir des nuées de diables armés de haches de combat. Prier Dieu ne servira plus à rien.

Les Idles réussissent là où les groupes de hardcore ont échoué : le power de l’absolue brutalité n’a strictement rien à voir avec la violence décervelée du hardcore qui, faut-il vraiment le rappeler, reste un épiphénomène purement américain, l’expression d’un rock de gens qui ne vont pas bien. Les Idles s’élancent à la conquête des remparts, mais ces remparts sont ceux de notre imaginaire, et même si on résiste un moment en disant, non, c’est pas mon son, c’est trop post-punk, non ça mord le trait, ça sort du cadre, c’est bon pour les cochons, on finit par se faire avoir. Car ces mecs sont brillants et puissants. On ne compte pas beaucoup de groupes capables d’être à la fois brillants et puissants.

Ça tombe bien, leur troisième album vient de paraître. Il s’appelle Ultra Mono. Comme pour les précédents, le graphiste a opté pour un visuel énigmatique : un mec reçoit un gros ballon rose en pleine gueule, mais ça n’est rien en comparaison du visuel qui se trouve au dos : une armoire montée sur une double rangée de simili-parpaings. Comme il le fait sur scène, Joe Talbot nous harangue avec un petit texte élégiaque en forme de déclaration d’intention - We will rock hard and work honestly. Ultra Mono is joy’s engine and it goes - et il ajoute ça qui est pas mal : «It is meant to fill you with the violence, love and the rhythm of now. You are now. You are all.» Dommage qu’il ait oublié Brothers & Sisters. Et pouf, premier shoot d’Idles blast avec «War». Il lance son Watch out comme un cri de guerre. L’effet est immédiat. C’est un peu comme si tu mettais les doigts dans la prise. C’est d’une brutalité incommensurable, shhh shhh, tu es balayé par des vents de génie sonique, ils te jettent dans le mur, c’est un son tellement gonflé à l’extrême que les veines s’enturluttent au coin du cou, ils gravent leur son dans les falaises de marbre, c’est bien de cela dont il s’agit, d’un shoot pour toutes les éternités, même celles auxquelles tu ne penseras jamais. Avec «Mr Motivator», ils cherchent la petite bête du repeat after me. Ils cherchent surtout le passage vers les plaines sauvages, et pouf, ils te remontent les bretelles, ils dégagent du Lavoisier à l’anglaise, voilà, c’est ça, l’Angleterre, ça casse du fuck off au coin du brick lane, et là, alors là oui, ils sont out of their minds, ils laissent traîner leur blow et des solos de fookin’ Sadie, ça pue la sueur et le beat des reins, et soudain des frelons attaquent le convoi. C’est la première fois qu’on voit un son se faire violer. On entend parfois des basses métalliques sur cet album, de quoi rebuter les fans des Stooges et des Dolls, mais si on surmonte ce petit écueil, c’est un monde qui s’offre, il s’y passe de vrais trucs du genre satisfaction garanteed, une belle shoute d’Anxiety, ces mecs travaillent la vérole du trou de Bigorre, leur menu fretin fredonne dans les annales de la fistule. Ils se payent le luxe d’un beat des forges du Creusot avec «Kill Them With Kindness». C’est leur façon de gérer leur trop-plein de power. Ils développent des locomotives - Kindness - avec cette énergie des reins qu’on aime tant, mais vraiment tant, vas-y, percute-moi la bulbette, baby, c’est fait pour. Voilà donc le nouvel apanage des alpages, le feu dans la plaine, la forge devenue folle, c’est ramoné à la savoyarde. Cet album est une aventure, il est donc destiné aux esprits aventureux. Voilà l’archétype du cut bien entraîné, «Model Village», les courroies s’auto-claquent dans les carters, c’est puissant, mais d’une puissance qui te réapprend le sens du mot. Joe Talbot joue avec son Village, ce mec chante bien et derrière crépite le brasero des deux guitares, avec en prime une section rythmique qui ravage tous les rivages, cet album a les atours sexy d’une bombe atomique. Ils nous plongent avec «Ne Touche Pas Moi» dans cette espèce de furie incertaine dont on parle à mots couverts, un rock physique qu’on aborde avec précaution, peut-être parce qu’il sent la sueur et les mauvais tatouages. Mais leur énergie est purement sexuelle, au sens de la régénérescence de la terre, comme si Georges Rouquier filmait un champ de bites en rut au printemps du Rouergue. Bon, c’est vrai, il faut entrer dans chaque cut, c’est du boulot, tu n’écoutes pas les Idles comme ça, au coin du bar, entre deux bavasseries qui ne servent à rien. Non, il faut fournir un petit effort et entrer dans leur monde ingrat. Tout n’est pas bon, mais ce qui est bon indique bien la direction, celle de l’avenir du rock et avec les Idles, cette direction est un vrai boulevard, ces dingoïdes d’Idles s’y jettent comme on se jette dans une balance, sans talent ni qualité, avec ta sueur, tes tatouages et tes réflexes de survie, tu te jettes avec eux dans la vieille balance du rock, et tu vois ces mecs créer leur monde, et si tu avais un chapeau tu pourrais le lever et dire : «Chapeau !». Ces mecs ne reculent devant aucune âpreté. Avec «Reigns», ils labourent leur champ à l’aube avec des mains gercées, la bête qui peine, l’outil usé, la terre austère, ce post-punk de la poste que détestait tant Gildas, fuck Millet !, mais il faut de l’énergie pour labourer un chant gelé avec une lame de charrue usée, alors comme ces mangeurs de patates que peignit jadis Vincent Van Gogh, ils tapent du poing sur la table, et quand on voit la violence du coup, on se dit qu’il vaut mieux que ce soit sur la table que dans sa gueule. Dans Vive le Rock, Duncan Clark ne parle pas de post-punk mais d’anthemic brand of rough and jarring post-punk, mais la formule est encore trop réductrice, car les Idles vont bien au-delà des genres.

Mark Bowen rappelle dans l’interview que l’album fut torché en deux semaines et mixé en six mois, avec un mastering clandestin à cause du lockdown in Los Angeles. Ultra Mono parce qu’ils jouent tous la même chose - Ultra Mono, which means Idles distilled down to its most singular form - Notons au passage que les explosions qui émaillent les cuts sont identiques à celles qu’ils génèrent sur scène. Chez les Idles, c’est l’envie d’en découdre à plate couture qui prédomine à chaque instant. Ils ont tellement de teigne qu’ils se grattent la nuit en dormant.

Signé : Cazengler, l’idlo du village

Idles. Ultra Mono. Partisan Records 2020

Kill Them With Kindness. Vive Le Rock # 78 - 2020

 

PAIGE ANDERSON

AND THE FEARLESS KIN

 

Ceux-là j'ai grandi avec eux. Non ce n'est pas tout-à-fait exact, c'est juste le contraire, ce sont eux qui ont grandi avec moi. Surtout avec leurs parents d'ailleurs. Je les ai croisés il y a longtemps un peu par hasard. J'ignorais jusqu'à leur existence. C'était en octobre 2009, à défaut de posséder le coffret Bear Family Life like poetry ( titre merveilleux, c'est ainsi que chacun de nous devrait vivre sa vie ) de Lefty Frizzel je farfouillais sur You Tube à la recherche de ses morceaux, selon mon habitude je naviguais, c'est ainsi que l'on fait des découvertes, en suivant les artistes ( nombreux ) qui ont repris ses titres, jusqu'à ce jour de 2009 où juste après avoir visionné pour la trente-sept mille huit cent quarante deuxième fois la version Long Black Veil de Johnny Cash et Joni Mitchell ( l'incomparable ) au bas de l'écran s'est affiché un titre qui me semblait de la même veine mélodramatique que Long Black Veil, jugez-en par par vous-mêmes, You'll never leave Harlan alive de Darell Scott, séduit par les assonances j'ai cliqué, une belle ballade country, j'imaginais une histoire de cowboys, style Les bras en croix à la Hallyday, mais non une chanson sociale sans espoir, l'ouest terne des mines de charbon, les fatidiques raisins de la misère, j'écoutais lorsque je remarquais le même titre crédité à Anderson Family Bluegrass, trois gaminos sur fond d'un beau paysage agreste, un coin d'Amérique où vous n'avez jamais mis les pieds mais que vous reconnaissez comme l'Arcadie de Poussin.

YOU 'LL NEVER LEAVE HARLAN ALIVE

( Août 2009 )

C'est la grande sœur qui chante, les deux petits se contentent de sourire, pratiquement a cappella, égrenant quelques notes sur sa guitare, la complainte n'est pas facile, aucun effet dramatique, longue, monocorde et monotone, l'on ne peut compter que sur l'intensité que l'on accorde aux vocables, les minots soutiennent la grande sur le refrain, après quoi le boy égrène de sa mandoline une pluie de gouttelettes de nostalgie, elle chante toujours et vous avez peur pour elle, la route est interminable, et elle est seule, mais elle persévère, maintenant la sœurette se saisit de son violon qu'elle tenait serrée dans ses bras contre son cœur comme une poupée, l'on passe les arches du pont qui traverse les contrées de la désolation, la revoici dans le silence, à voix nue, elle n'est plus chanteuse, mais une récitante titubante dans une tragédie grecque, l'émotion vous saisit, tous au refrain, et l'on passe le deuxième pont celui de la tristesse, elle chantonne et moane, le violon pleure, elle pose les mots avec délicatesse comme si elle poussait des cris, et c'est la fin. ( Août 2009 )

Ce n'est pas l'interprétation du siècle, mais celle de l'éternel présent, cet instant miraculeux durant lequel il ne se passe rien mais où quelque chose a lieu. Difficile de ne pas succomber sous leur charme et à remonter tous les épisodes précédents et à guetter les nouveaux. Trop jeune pour avoir connu les aventures de la Carter Family, j'avais trouvé une espèce de produit de substitution, la mythologie c'est très bien, la lire, l'entendre raconter ce n'est pas mal, mais y assister en direct c'est encore mieux... Je ne savais pas où cela me mènerait et je ne le sais pas encore même si j'ai l'impression d'être arrivé au bout de la piste... Mais reprenons au début !

THE ANDERSON FAMILY BLUEGRASS

Au début, Papa et Maman, ils résident à Grass Valley ( Californie ), ont planté quatre petites graines qui ont donné quatre beaux enfants blonds comme les blés. Mark le père né dans une famille de musiciens, émigra du Vernon en Californie, pratiqua plusieurs instruments, lorsque sa fille Paige s'empara de sa guitare il passa au banjo. L'était pilote d'hélicoptère lorsqu'il rencontra Christy originaire d'Arizona, son mari l'initia au bluegrass et elle se mit à la contrebasse en 2005. Le conte de fées traditionnel se poursuit à la virgule près, les enfants se succèdent et à l'instar de leurs parents, ils choisissent leur instrument préféré ce qui ne les empêche pas d'en pratiquer d'autres, Paige naît en 1994, Aimee en 1996, Ethan en 1999 et la petite dernière Daisy en 2001.

Chez les Anderson, l'on vous jette à l'eau avant que vous sachiez nager, il existe une flopée de vidéos sur lesquelles l'on peut voir Daisy grandir. Sur la première, doit avoir trois quatre ans, elle ne fait rien, elle est debout sur scène, devant, toute la famille resserrée sur quatre mètres carrés, et en avant la musique, elle se contente d'être-là, toute belle – les trois filles Anderson peuvent dire merci à leur mère – toute simple, le dernier poussin de la couvée et l'on sent qu'elle n'est en rien le vilain petit canard. Sur les vidéos suivantes, elle vous époustoufle, que peut faire ce bout de chou au milieu de ses frères et sœurs, elle n'a même pas un instrument en main. Que voulez-vous qu'elle fît ? Qu'elle chantât ! Alors elle se glisse au micro, l'on s'attend à un miaulement de chaton malade, ben non, elle gonfle sa voix qui gronde et vous mène le groupe tambour battant.

L'Anderson Family Bluegrass sortira son premier EP éponyme en juin 2008, un split EP cinq titres dont trois de Chuck Ragan en février 2011, et son premier album Live from Grass Valley en juin 2011.

Les gamins se débrouillent, alors les parents n'insistent pas, ils laissent la bride sur le cou à leurs poulains, ils réapparaissent de temps en temps mais ils s'effacent, et bientôt l'Anderson Family Bluegrass laisse la place à Paige Anderson et l'intrépide nichée :

PAIGE ANDERSON

AND THE FEARLESS KIN

Paige est l'aînée, elle tient les rôles conjoints du centurion et du porte enseigne de la Légion pendant les batailles, en même temps au premier rang et le point de ralliement, quoi qu'il se passe elle est là, imperturbable, un aspect grande sœur responsable à qui l'on peut faire confiance, simplicité et beauté, puis sa voix très légèrement voilée, avec cette infime once de nasillement qui lui confère un air d'authenticité indéniable, un jeu de guitare ensorcelant, un tantinet monotone mais une fois que l'on s'est laissé happé par sa rythmique vous naviguez entre les musiques répétitives de l'Inde et les compositions enjouées de la Renaissance, Aimee est son fidèle lieutenant, son violon prend la relève, elle a aussi un beau brin de voix et le petit frère Ethan– un petit garçon sage, l'on devine que sa mère le tient à l'œil, qu'elle a veillé à la correction de sa coiffure – entre ses deux grandes sœurs il ne la ramène pas trop, mais on sent qu'il met un point d'honneur à ne jamais faillir, à chacune de ses interventions quel que soit son instrument il y met tout son punch. Daisy ne chante plus, elle a trouvé son instrument, le dobro, guitare à résonateur qu'elle joue assise et quelle tient à plat, une écolière, rêvasse un peu entre deux interventions, perd peu à peu son air de petite fille studieuse, les années passant elle acquiert une extrême vivacité, parfois on a un peu peur pour ces quatre gosses, paraissent un peu minuscules sur une scène et le public pas très motivé, mais ils assurent, et toujours entre eux cette complicité respectueuse, ce désir inné de ne pas tirer la couverture à soi. Tantôt tout à leur instrument ou chantant à une ou plusieurs voix.

Entre 2005 et 2013, ce ne sont pas les progrès évidents de ces gamins qui nous émeuvent, c'est la vie qui s'écoule, l'enfance et l'adolescence qui passent et s'enfuient et pour les deux aînées la jeunesse qui pointe le bout de son nez... descendons l'éphéméride...

WILD RABBIT

( 2012 )

Premier EP six titres composés par Paige. La rencontre de Chuck Ragan, une espèce de touche-à-tout qui s'est exercé à tous les styles de la musique populaire américaine du gospel au punk, a été décisive, il a donné à Paige l'élan qui lui a permis de grandir de ne plus être ni l'enfant exceptionnellement douée de la famille, ni la monitrice en chef de la couvée, et de devenir ce qu'elle se devait d'être.

La pochette reste fidèle à l'esprit des vidéos, Daisy n'est plus là, ce qui ne l'empêchera pas de s'adjoindre aux trois aînés lors de leurs prestations scéniques, paysage pleine nature agreste, Paige au centre tout devant, Aimee et Ethan un peu en retrait, un topic country des plus purs. Le titre de l'EP sera à mettre en correspondance avec celui de l'album qui suivra. L'avant-dernier morceau nous aide à en décrypter le sens, le temps fuit tel un lapin blanc qui court sans fin.

Hourglass : l'on est surpris, certes par ces trois voix unies qui surgissent mais surtout par la tonalité sombre de ce premier marteau, le sablier de la vie qui s'écoule n'est pas un thème joyeux, la voix de Paige s'étire sur les mots comme si elle voulait retenir le temps qui passe même si la rythmique est relativement alerte, la fin s'éparpille en notes de guitare qui palpitent puis s'éteignent... Ballad of the red rivers : duo avec Chuck Ragan, une ballade des plus classiques, l'amour est parti comme la rivière qui s'enfuit, l'on ne sait trop pourquoi mais c'est la loi des choses et des êtres vivants, si les voix de Paige et de Chuck se répondent dans leur solitude, il en est de même dans le dialogue qui s'instaure entre le long violon d'Aimee et la guitare mourante de Paige, se mêlent et se séparent tour à tour, s'approchent exhalent leur plainte, ne sont plus qu'un même cri de souffrance et puis se désunissent dans l'impermanence de ces instants de vie emportés par un flux irrésistible. Hollow bones of white swans : autant dans le morceau précédent Paige avait adopté une voix harmonieuse autant ici l'on retrouve sa manière si particulière de monter très haut et de laisser le silence s'établir entre deux mots pour reprendre de l'altitude au suivant, le morceau est superbe, ces notes basses égrenées par Ethan, la lenteur du rythme et le violon d'Aimee qui grince et s'envole telle une vielle à roue qui tourne dans le néant du monde, tout concourt à faire de ce titre un chef-d'œuvre. Follow me to the south : inhabituel un harmonica celui d'Homer Wills – on devinera comment il est venu souffler son shuffle diabolique quand on aura appris qu'il est un habitant de Grass Valley - s'adjuge la première place, encore une face inconnue des possibilités vocales de Paige, celle de se fondre dans une orchestration galopante et de mener le bal des ardents, un country qui flirte méchamment avec le blues, Ethan se fend d'un solo majeur qui nous aide à comprendre comment au début du vingtième siècle la guitare est parvenue à prendre non sans difficulté la place de la mandoline, l'on remarque aussi combien le jeu de guitare de Paige ressemble à son chant, dans cette façon de laisser un maximum d'espace entre deux vibrations. Wild Rabbit : inro mandoline agreste, le chant est beaucoup plus joyeux que les lyrics, Paige mène la ronde à une vitesse folle, la course échevelée se calme sur le pont, mais la ronde infernale reprend aussi rapide, le temps s'enfuit-il plus vite que prévu, sans doute est-il plus sage à l'instigation des poëtes du seizième siècle de ne pas laisser échapper le bonheur qui passe à portée de main. Where did you go : méditation dépouillée, Aimee en sourdine, Paige a composé ce morceau après avoir vu lors d'un concert une personne s'effondrer, pleurs de la mandoline d'Ethan, Paige chante le mystère et l'incompréhension, d'être vivante alors que sur la mystérieuse rive d'en face erre la mort.

L'on ne s'attend pas une telle gravité chez une toute jeune fille, Paige a dix-sept ans lorsqu'elle l'enregistre.

LONG BLACK VEIL

( vidéo Février 2013 )

Depuis l'enregistrement de la vidéo You'll never live Harlan alive en 2009 les année ont passée, celle-ci date de 2013, apparemment rien n'a changé, l'on a gardé un décor similaire, posent devant un arbre à chandelier, une nature à ravir William Thoreau et Jean-Jacques Rousseau, nos quatre enfants ont grandi. Paige a maintenant dix-neuf ans et Daisy douze années à son compteur. Ce ne sont plus des inconnus, Paige est devenue la représentante officielle de la nouvelle génération bluegrass, elle est sponsorisée par les guitares Schenk, ses vidéos de démonstration sont à écouter, ne cherche pas à vous en mettre plein la vue, tape direct au cœur, elle compose attirée par les sujets dramatiques ( par exemple Where did you go ? ), le groupe écume les festivals bluegrass, aussi fragile qu'un coquelicot perdu dans l'océan illimité d'un champ de blé, une île de beauté dans la tourmente indifférenciée de la monotonie utilitariste du monde.

Le crin-crin d'Aimée ouvre le bal funèbre - Long Black Veil n'est pas une chanson particulièrement joyeuse, des mémoires d'outre-tombe ultra romantiques - l'orange vif du sweat d'Aimee et le bleu plus soutenu du chemisier de Paige focalisent les regards, la caméra enserre maintenant les deux jeunes filles, Paige est à la rythmique aussitôt qu'elle entrouvre les lèvres l'on oublie l'accompagnement, un chant très roots, sans aucune fioriture, l'on dirait qu'elle impose la voix pour que saigne encore davantage votre âme à l'inverse de ceux qui se servent de leurs mains pour atténuer les souffrances, elle chante à cru, les mots comme des flèches qui ne ratent pas leurs cibles, malgré ses blonds cheveux qui torrentisent sur son buste, elle évoque avec ses pommettes avancées de squaw quelque chose de primordial, de sauvage, d'indien, magnifiquement belle, fière et souveraine. Rien pour cajoler l'auditeur, elle déroule son vocal dans sa plus grande simplicité, les mots tombent comme des cailloux, ils étincellent tels des silex, l'on aurait envie de les noter sous forme de neumes médiévaux pour leur attribuer non pas une place sur une portée mais pour les qualifier selon la force de leur impact dans le déploiement récitatif. Ne fait même pas l'effort d'un silence pour mettre en exergue l'arrivée du refrain, Aimee l'a rejoint au chant mais elle reste dans l'ombre du vocal de sa grande sœur, Ethan qui harmonise le morceau des notes profondes de sa contrebasse apporte l'ourlet de son timbre, chuchotant pratiquement en catimini, le choral se tait, les notes suavement aigrelettes du résonateur de Daisy prennent le relais, marchent sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller davantage le cadavre qui raconte son histoire, même si le temps n'est plus aux regrets, l'amour est une flamme éteinte qui brûle encore les chairs vives, maintenant Aimee et Paige chantent à l'unisson, l'une répand le baume de la douceur et l'autre enfonce des couteaux cruels, Aimee tient son violon pointé vers nous comme si elle s'appliquait un poignard sur la gorge, s'en exhalent deux longs oriflammes de tristesse qui ondoient dans le vent amer du recueillement, dernier adieu, répété deux fois, les yeux fermés de Paige, une tombe aeurescente qu'elle entrouvre à volonté, luminescence d'une éclaircie de sourire passager. Une dernière fois la voix de Paige surgit des abysses et tout rentre dans l'ordre du silence avec ce mouvement des chats qui se couchent en rond sur eux-mêmes pour mourir. Bouleversant.

STELLA JANE

( Vidéo Red Chair Records / Avril 2013 )

Une nouvelle vidéo, doit y en avoir une bonne centaine facilement accessible, celle-ci suit de quelques mois Long black veil, nous la choisissons parce qu'elle s'inclut dans la logique démonstrative des deux précédentes, le même genre de décor, un bosquet idyllique - ici l'on a privilégié un chemin quelque peu sableux pour correspondre au deuxième titre Desert Whahes – ces bois sacrés que l'on retrouve dans les toiles des peintres de la Renaissance, preuve que les intuitions de la culture populaire rejoignent les représentations de la culture dite savante, elle-même dépendante de l'apport antique.

Cette vidéo est partagée en deux parties, l'interprétation de la chanson proprement dite suivie de l'interview de Paige Anderson entrecoupée d'extraits du second morceau, Paige présente son groupe et se raconte un peu. Un clip promotionnel. Le titre Stella Jane se retrouvera sur l'album en préparation qui sortira à la fin de l'année suivante. Ethan a poussé, présente le profil d'un adolescent monté en graine, Aimee a pris de l'assurance elle est devenue ce que dans l'ancien temps l'on nommait une vraie jeune fille, la caméra se focalise surtout sur Paige, fini la longue chevelure blonde à la Iseult, l'est remplacée par une queue de cheval, un justaucorps mauve dévoile ses bras nus, une poinçon couleur d'améthyste, marque le lobe de son oreille, ce changement total de look lui confère l'allure d'une jeune femme moderne, à l'aise dans sa peau, prête à imposer au monde l'épanouissement de son talent, les gros plans, et de ses mains, de son visage trahissent sa virtuosité instrumentale et l'implication êtrale de son chant.

FOXES IN JUNE

( Sortie décembre 2014 )

L'album sort en décembre, sa concrétisation est le résultat de deux ans d'effort. Il n'aura pas la diffusion escomptée. Une pochette moins innocente et naïve qu'elle peut apparaître. Le goupil est un animal discret, mais c'est au mois de juin que l'on peut l'entendre glapir, c'est la saison des amours. Paige atteint ses vingt ans, elle n'est plus une enfant, ni une frêle jeune fille...

Rebel's run : une merveille d'équilibre, l'on ne sait par quel bout prendre ce morceau, quel progrès depuis White Rabbit, Aimee aussi a grandi, le violon est partout même quand il ne joue pas serait-on tenté d'affirmer, c'est elle qui bâtit la structure transparente, la guitare de Paige n'a jamais encore atteint une telle rondeur, chaque note acquiert l'étendue et la force d'un riff, le vocal trotte et glisse, colle si parfaitement à l'instrumentation qu'il semblerait que c'est la voix qui tire l'archet et l'exhausse en avant, allègre et funèbre en même temps. Appeal to heaven : changement de climat, un chant de stress, des notes éperdues, une voix qui monte et descend telle une aile d'ange cassée, cris de violons violents, et l'on reprend un ton en-dessous, une rythmique qui rase la terre, l'on est loin du bluegrass et de toute autre chose, juste une urgence vers on ne sait quoi au juste, très musical et en même temps si proche de noise, car ce n'est pas le bruit qui fait le noise mais les icebergs des tensions intérieures qui se fracassent les uns contre les autres. Fièvres et tourments. Foxes in june : retour au calme, à quelque chose de plus classique, à une voix qui chante et conte, des chœurs de sirènes qui vous emportent sur des nuages de rêve, l'âme d'Aimee qui festonne dans son violon, Paige vous prend par la main et vous mène jusqu'au bout du chemin, tout semble facile, même si l'on traverse le marécage des hésitations, et c'est le violon d'Aimee qui imite le vocal de Paige, pour vous contraindre à avancer. La voix de Paige en profite pour devenir tumulte. Greed and lust : sonorités moyenâgeuses, avez-vous déjà entrevu à quoi peut penser la dame à la licorne devant son harmonium, Paige vous révèle l'agitation de l'attente qui la tente, sa voix est de soufre, de rêve et de sel, Aime pointe son archet telle la corne de la licorne unicorne, rythmique oppressante, parfois il vaudrait mieux ne pas savoir ce que l'on cache au fond de soi. Sink or swim : notes claires et paroles incisives, un morceau en montagnes russes, la nostalgie des feux de camp, very bluegrass, et des concrétions d'angoisses comme des boules de frousse qui vous obstruent la gorge, l'on croit céder au vertige intérieur, se laisser couler et l'on reprend pied l'on ne sait pas trop comment ni pourquoi, very darkgrass. Montées de lave. Lumière d'Aimee. Beautiful poisons : chanson douce et noire, une guitare et deux voix, et le violon s'enflamme au silex des souvenirs, Paige sur la crête du bonheur, la musique se perd et se tait, comment avec si peu de moyens peut-on produire de tels désordres, plus on avance dans l'album chaque morceau se couvre de chausse-trappes, l'on ne sait plus où mettre l'oreille, labyrinthe sonore sans équivalent. To the home : enfin une direction claire, nette et précise, une belle sonorité et des voix à l'unisson, est-ce que c'est parce que c'est si simple et sans ambiguïté que le morceau est si court. Stella Jane : introduction apaisée suivie de bercements de violon, mais la voix de Paige n'a jamais été si ironique, elle conte l'histoire de Stella Jane et lui adresse la parole peut-être parce qu'elle lui ressemble comme son double d'ombre, ce qui explique pourquoi le violon d'Aimee est si tendre. Flying rocks : le picking de Paige et les aurores boréales d'Aimee, n'est-ce pas suffisant pour s'envoler, tomber et repartir encore plus haut. Le morceau le plus lumineux de l'album. Se jouent des difficultés. Enable : cette fin d'album s'éclaire, parfois le violon se traîne et la voix cahote, les difficultés s'entassent mais le refrain les écarte, l'énergie intérieure est de retour, optimisme tous azimuts. Paige chante comme le hérault qui va au-devant de l'ennemi pour lui déclarer la guerre. Entraînant et victorieux. Les deux sœurs au taquet. Sonoran moonrise : guitare venue d'ailleurs, d'Inde ou de Chine, une musique savante, pour fêter le lever de la lune, car c'est l'heure où les renards appellent, moins de deux minutes pour s'apercevoir que Paige toute seule tient le monde entre ses doigts et les cordes de sa guitare.

Un très bel album, trop moderne pour satisfaire un public bluegrass traditionnel cantonné entre les standards mille fois répétés, et un public rock, ou simplement jeune, inaccoutumé à cette instrumentation pour ainsi dire périmée. Sur d'anciens cordages Paige Anderson a créé des chants nouveaux et de nouvelles ambiances, si étrangement décalés que ceux qui les auront écoutés n'en auront pas compris la portée inouïe. Une artiste au sens noble du mot, qui possède une sensibilité et un monde intérieur qui n'appartiennent qu'à elle.

YOSEMITE MUSIC FESTIVAL ( 2015 )

Californie, à la hauteur de Sacramento, un peu en dessous, dans la Sierra Nevada, d'ailleurs l'état du Nevada n'est pas loin, Yosemite est un de ces parcs nationaux dont les Américains sont si fiers, idéal si vous aimez la nature et la montagne, la cité la plus proche se nomme Mariposa, dépasse tout juste les deux mille habitants, connue pour son environnement et son parc d'attractions, c'est là que nous retrouvons les Fearless Kin. Sur scène. Mois de juillet. Chaleur écrasante. Les gens se sont réfugiés à l'ombre des arbres. Pas la grande foule, mais le public est attentif.

Le petit Ethan s'est étendu, ce grand gaillard culmine à deux têtes au-dessus des autres, Daisy a presque rattrapé ses deux sœurs, se bouche toujours l'oreille quand elle chante avec elles, Ethan toujours attentif sur sa contrebasse, Daisy résonateur retenu à plat par sa bandoulière mais debout, Paige n'est plus seule, Aimee fait jeu égal avec elle, l'on avait remarqué sa présence dans l'enregistrement de Foxes in June, elle en apporte la preuve, elle a perdu sa retenue qui la caractérisait les années précédentes, seconde souvent sa soeur au micro, une voix plus unie et son violon n'est plus un contrepoint, joue pour ainsi dire pour lui, sur sa propre ligne mélodique ce qui donne beaucoup plus d'épaisseur et de poids à l'ensemble, Paige égale à elle-même, sa voix magnifique dompte la mer des mots, monte comme une vague et puis s'abaisse aussitôt suivie de la suivante qui enfle, terriblement à l'aise Paige, mène le jeu avec une facilité déconcertante, autant dire que la formation filoche grand vent...

Doit y avoir quatre vidéos ( deux passages ) mais je n'en ai vu que trois, cette prestation me semble l'acmé du groupe.

ROAD TO PAIGE

Le groupe continue à tourner, l'on peut le suivre sur son facebook Fearless Kin, 2015 et 2016 semblent bien remplies, ( superbes photos, que l'Amérique est un beau pays ! ) en 2017 ne reste plus que Paige et Aimee, et tout s'arrête au mois de mai sans explication. Faudra attendre deux ans, le 25 novembre 2019, pour que Paige donne des nouvelles. Oui elle est la seule de la famille à poursuivre la route, les autres ont d'autres occupations, Anderson Family Bluegrass et Paige Anderson & The Fearless Kin appartiennent au passé, des moments inoubliables.

Elle le dit à mots couverts, mais ça n'a pas été toujours facile pour elle... En 2018 elle a effectué une tournée ( USA, Canada, Allemagne ) avec le groupe Family of the Year dans lequel elle tenait la basse. La même année on la retrouve sur scène avec Z Berg and Friends, dans un style beaucoup plus pop, même si Berg et elle interprètent une de ses chansons l'on aimerait que ce soit Paige qui mène la barque... Mais elle annonce une nouvelle importante : elle vient de monter un nouveau groupe Foxymoore avec Davia Pratschner, Sam Gallagher aux drums, Drew Beck à la guitare, Ian Shipp à la basse et donne rendez-vous sur le FB Foxymoore. Le FB Foxymoore débute le 25 novembre 2019 et se termine sans préavis le 7 mai 2020... Paige et Davia si l'on en croit l'iconographie semblent en être les figures de proue, il est vrai qu'elles sont ravissantes.

Lorsque l'on accède sur son Instagram, les photos témoignent que Paige est heureuse, qu'elle s'adonne à la moto, qu'elle joue du banjo, qu'elle profite simplement de la vie... le 16 mars 2021 Paige ouvre un nouveau FB Two Runner en l'honneur de son nouveau band et annonce la sortie imminente de son nouveau disque depuis six ans, un single, Burn It To The Ground, la vidéo est sur You tube...

BURN IT TO THE GROUND

( TWO RUNNER )

( Paige Anderson / Emilie Rose / Sam Gallagher / Brew Beck )

Question angoissante, est-ce du bluegrass ? non c'est du Paige Anderson, et c'est beaucoup mieux. Un morceau qui explique toutes ces années de silence, à mots découverts sans rien livrer d'intime, la voici en robe blanche d'innocence revendiquée, la beauté de la nature, autour d'elle est à couper le souffle mais elle n'est que l'écrin de la perle la plus pure, la plus translucide, la plus lucide. Paige a grandi, elle garde en elle la luminosité de l'enfance, les notes de son banjo roulent telles les eaux claires qui descendent des montagnes, une musique qui semble naître d'elle-même telle la route de l'existence toujours renaissante à chaque tour de roue qui dessine ce chemin qui ne mène nulle part hormis en nous-même.

L'on n'attend plus qu'un CD !

Un dernier mot avant de quitter Paige, lorsque j'ai commencé cette chronique, je ne savais pas qu'elle venait de sortir ce morceau. Certains parleront de hasard, je peux le penser mais je n'y crois pas. J'évoquerais plutôt les mystérieuses correspondances poétiques chères à Charles Baudelaire.

Damie Chad.

 

XXXV

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

146

Chacun a fini de donner sa recette de la crêpe au Nutella, je suis sûr que les lecteurs préfèreraient que j'interrompe ici le récit de cette terrible aventure afin que je leur livrasse in-extenso les préférences secrètes de nos personnages, mais non, d'abord la marque Nutella a refusé de nous sponsoriser, ensuite je me permettrais de faire remarquer que l'heure est grave, que le rock'n'roll court de graves dangers et que si nous échouons je ne donne pas cher de sa survie, en plus Vince et Brunette ont à nous présenter des documents de la plus haute importance. Ecoutons-les.

Vince a pris la parole d'une voix grave :

    • Cette longue enquête menée par le SSR a connu bien des vicissitudes...

    • Excuse-moi Vince, le coupe Le Chef, juste le temps d'allumer un Coronado, je sens que nous allons vers des révélations extraordinaires, oui Vince u as raison, nous avons vécu de multiples péripéties, toutefois il y a comme un hiatus entre les différentes séquences de nos investigations, les pièces du puzzle ont du mal à s'imbriquer les unes dans les autres, je résume...

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Chers lecteurs, c'est à mon tour de couper la parole au Chef, si vous tenez vraiment à écouter le topo du Chef, je vous conseillerai plutôt de relire les 34 épisodes précédents. Ah, j'oubliais, la semaine dernière nous nous sommes quittés alors que je ressentais comme un chatouillement à la hauteur de ma fesse gauche, j'étais en effet resté debout alors que tous les autres avaient trouvé place en de confortables fauteuils autour d'une grande table, mais le Chef ayant décidé qu'il était de mon ressort de '' conduire'' le porte-avions, il était donc de mon devoir de parer promptement à toute éventualité. Nous avons reçu près de cents lettres de lecteurs à l'intelligence, osons l'adjectif primesautière pour la qualifier, qui se gaussaient de moi et même de l'ensemble du personnel du SSR, sous prétexte que c'était simplement mon téléphone portable qui vibrait dans la poche-arrière de mon jean ! Il est sûr que chacun juge du monde depuis son poste d'observation. Il n'est pas étonnant qu'un lecteur engoncé dans sa médiocre existence de citoyen lambda, et qui n'a comme échappée et dérivatif que la lecture hebdomadaire des épisodes des Rockambolesques, en vienne à énoncer des suppositions qui correspondent à sa misérable quotidien, c'est en effet, pour les hommes unidimensionnels ainsi que les surnomme le philosophe Marcuse, un événement exceptionnel lorsqu'ils ressentent sur la gauche de leur postérieur une sensation anormale, et ils en repèrent très vite le coupable, leur téléphone qu'ils avaient glissé dans leur poche sans y penser.

C'est déjà oublier qu'un agent secret, surtout s'il est du SR, ne possède pas de portable, précaution élémentaire qui permet d'éviter d'être tracé ! Et surtout comment expliqueraient-ils maintenant qu'une deuxième sensation de gêne se manifeste sur ma fesse droite, alors que non seulement je n'ai pas de portable, mais qu'en plus, ou plutôt qu'en moins, je ne possède pas de deuxième poche arrière !

Dans tous les cas, un agent secret, surtout s'il est du SSR, se doit de trouver la solution adéquate à toute problématique nouvelle. Principe de base que je me dépêchai d'appliquer. Un bon point toutefois pour le lecteur qui a pensé que d'un geste malencontreux le Chef avait mis le feu à mon pantalon avec son Coronado. Que le lecteur retienne bien cet axiome : le Chef ne fait jamais de geste malencontreux.

Je sens que l'impatience grimpe dans notre lectorat, je me hâte donc de vous dévoiler la manière par laquelle j'ai mis fin à ce profond mystère qui défie l'intelligence humaine. J'ai agi selon la méthode césarienne, la fameuse devise Veni, vidi, vici – je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu, que j'ai adaptée aux circonstances présentes : je me suis retourné, j'ai constaté, j'ai réparé. Molossito debout sur ses pattes arrières me grattait la fesse gauche, à droite c'était Molossa qui me poussait de son museau. Non, avec ce qu'ils avaient dévoré ce matin à l'hôtel et dans la voiture, ils ne réclamaient pas leur pitance. Quand je pense que c'est grâce à mes vastes connaissances de la psychologie canine que nous avons pu terminer promptement cette affaire, en toute modestie j'avoue que je n'en suis pas peu fier.

Les chiens aiment à fureter, pendant que Vince et Brunette présentaient les documents ultra-secrets, ils avaient exploré la pièce de commandement, mais ils avaient remarqué les consoles aux boutons clignotants, et avaient envie de les regarder de près, hélas elles étaient trop hautes... Je compris aussitôt, pour satisfaire leur curiosité je les soulevai et les posai avec prudence sur les tableaux de commandement, ne touchez à rien, et soyez sages. Ils acquiescèrent de la tête.

148

Brunette était en train de conclure :

    • Ces documents sont authentiques, ils émanent du Chef de l'Etat en personne et ont été rédigés par ses collaborateurs les plus proches. Maintenant nous savons :

1° : Le Président est entré en contact avec les extra-terrestres

2° : Il leur a permis d'implanter des usines à Réplicants sur le territoire national

3° : En échange de quoi ceux-ci étaient chargés de le débarrasser définitivement du SSR

Il y eut un silence dans la salle. Le Chef en profita pour allumer un Coronado... Nous étions suspendus à ses lèvres...

149

    • Agent Chad, dans tout ce fouillis de manomètres, auriez-vous repéré une connexion internet et une imprimante ?

    • Oui Chef, ici !

    • Bien Brunette, puisque vous êtes journaliste vous devez connaître quelques confrères et quelques médias qui se feront un plaisir de diffuser illico ces précieux documents.

Déjà Brunette pianotait sur le clavier...

    • C'est égal, murmura Vince j'aimerais bien voir la mine du Président quand il apprendra la nouvelle de sa destitution !

    • Facile, répondit le Chef, il nous a nargués en nous apprenant qu'il partait pour la Côte d'Azur, Agent Chad, veuillez mener notre Porte-Avions direction toute, Fort de Brégançon !

150

J'ai honte, je suis confus, j'espère que mes adorables lectrices ne m'en voudront pas, mais je n'ai pas réussi à accomplir l'ordre du Chef, j'ai fait de mon mieux, je me suis précipité vers le micro et j'ai hurlé : Direction Fort de Brégançon ! Bien monsieur, tout de suite, m'a-t-on répondu et une trentaine de secondes plus tard, nous y sommes, cinq sur cinq monsieur !

L'on n'est jamais arrivé devant le Fort de Brégançon, je n'y suis pour rien, Molossa et Molossito ont commencé une course-poursuite entres les cadrans et les boutons, ils ont dû en pousser un, celui qu'il ne fallait pas, trente secondes plus tard une voix résonna : missile Tomahawk envoyé, objectif atteint, pas de survivant !

151

Le Chef prit le temps de rallumer un Coronado, nous ne nous attardâmes pas, nous regagnâmes fissa le yacht d'Hector qui nous déposa subrepticement dans le port de Sète. Le porte-avions se dépêcha de piquer vers le large. Etrangement nous ne fûmes pas inquiétés, le Président avait pactisé avait l'ennemi... Sa disparition brutale, l'on parla d'une explosion de la chaudière à gaz, arrangeait beaucoup de monde. Des élections furent organisées et un nouveau président fut élu. Lorsque nous vîmes son visage apparaître à la TV, nous étions seuls au service, les parents de Charlotte et Charline leur avaient interdit de continuer à nous fréquenter, Vince et Brunette menaient avec opiniâtreté leur enquête sur la disparition d'Eddie Crescendo, depuis leur panière Molossito et Molossa dressèrent les oreilles pour écouter le Chef :

    • Agent Chad, croyez-en ma vieille expérience, celui-ci ne me paraît pas mieux que le précédent, ne perdons pas de temps à regarder cette stupide émission, le rock'n'roll a besoin de nous, il est temps que j'allume un Coronado...

Fin de l'épisode.

19/05/2021

KR'TNT ! 511 : LLOYD PRICE / YARDBIRDS / TEMPLES / CRASHBIRDS / JARS /BLACK INK STAIN / DRAIN / SUNAMI / JOAN BAEZ / ROCKAMBOLESQUES XXXIV

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 511

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

20 / 05 / 2021

 

LLOYD PRICE / YARDBIRDS 

TEMPLES / CRASHBIRDS  

JARS / BLACK INK STAIN

DRAIN / SUNAMI / JOAN BAEZ

ROCKAMBOLESQUES

TEXTES + PHOTOS : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Lloyd Price n’a pas de prix

 

Voici venu le moment de rendre hommage au grand Lloyd Price qui vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois d’ébène. L’idéal avant d’aller écouter ses albums serait de lire son autobiographie, car il s’y passe des choses étonnantes. L’ouvrage s’appelle Sumdumhonky, ce qui signifie some dumb honky, l’honky étant l’homme blanc dégénéré, évidemment. Lloyd Price qu’il faut considérer comme l’un des pionniers du rock («Lawdy Miss Clawdy», c’est lui) est un homme en colère. Son petit livre est un violent pamphlet contre le racisme des blancs du Sud, et plus particulièrement ceux de Kenner, une bourgade du Sud de la Louisiane, proche de la Nouvelle Orleans, où a grandi le petit Price. Comme le fait Willie Dixon dans son autobio, Lloyd Price dénonce la barbarie des blancs, mais avec encore plus de virulence. Il commence par expliquer que dans les années trente et quarante, les noirs n’étaient rien du tout (the black people were nothing) aux yeux des habitants de Kenner. Et il s’empresse d’ajouter : «Non, ce n’est pas ça, ils pensaient que les noirs étaient encore moins que rien. Ils pensaient que les chiens étaient au dessus des gens de couleur.» Et ça va très loin, la haine du blanc pour le nègre. Lloyd Price explique que sa mère avait toujours peur de perdre l’un de ses enfants - Quand on sortait de la maison, elle craignait qu’on ne revienne pas. Il se passait des choses étranges dans le Sud et si l’un de nous ne rentrait pas, ça voulait dire qu’il ne rentrerait jamais - En grandissant, le petit Price s’étonne de voir les noirs considérer les blancs comme des gens bien, et si l’on écoutait parler les blancs, les noirs étaient tous bêtes. Lloyd Price va se demander toute sa vie comment les gens de son peuple ont pu gober un truc pareil. La peur, tout simplement la peur. Le noir avait tellement peur du blanc qu’il le respectait, comme on respecte un prédateur dont on a peur. Le Shérif de Kenner était un vrai Américain qui expliquait à l’église que le bon nègre était un nègre mort. Il appliquait aux nègres le traitement moral que les générations précédentes avaient appliqué aux Indiens. Lloyd Price essaie de ramener le débat sur le terrain de la moralité et se demande s’il existe des blancs qui éprouvent de la honte pour les traitements infligés aux gens de couleur, pour cette peur sociologique dans laquelle les sumdumhonkys du Sud ont plongé des générations de noirs. Les gens imaginent que la ségrégation était la limite, mais Lloyd Price s’empresse d’ajouter qu’elle n’était que le commencement. «Le blanc ne peut pas mesurer les dommages causés par l’humiliation dans le corps et dans l’esprit. Quand on est insulté au point de se sentir comme une bouteille de champagne secouée en plein soleil. Un homme noir d’âge mur ne pouvait pas répondre aux insultes d’un gamin blanc, ou s’asseoir dans un endroit public pour manger sans être insulté.» Mais il ajoute que les noirs ont réussi à survivre, et son raisonnement va loin, car il considère que les noirs ont énormément contribué au développement de l’Amérique mais apparemment, ça compte pour du beurre. Il termine ainsi son réquisitoire : «Avant de conclure, je souhaite vous faire part de mes deux plus grandes sources de confusion. Un, je pensais qu’on était si maltraités dans ce pays par le blanc, et de façon tellement impardonnable que j’en arrivais à la conclusion que le blanc était le diable. Deux, le blanc prêchait tellement ces conneries de paradis et d’enfer que nous avions tous peur du moindre de ses mots, et quand le tonnerre de l’orage grondait, c’était encore pire. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que la mort est la mort, quelle que soit la façon dont elle survient, et bien que le blanc n’ait rien à voir avec la façon dont on meurt, il a tout de même réussi à nous faire craindre la mort en nous prédisant les flammes de l’enfer. Alors oui, le blanc est le roi du marketing, il sait vendre ses idées, il faut avoir des couilles pour aller dire à un crétin qu’il va aller rôtir en enfer s’il n’obéit pas aux ordres. J’en était arrivé à la conclusion que le blanc était le pire cauchemar de l’homme noir. Jusqu’à ce que j’aille en Afrique.»

Eh oui, à une époque de sa vie, Lloyd Price veut renouer avec ses racines et il se paye un voyage au Nigeria. Ça commence mal, car il se fait racketter à l’aéroport par les militaires. Il doit verser le dash, c’est-à-dire 500 $, ou c’est la mise en quarantaine. Quand il s’aperçoit qu’il se fait baiser par des Brothers, il a envie de retrouver l’esclavagiste qui a kidnappé sa famille et de le remercier de les avoir aidés à quitter ce pays de fous. Lloyd Price est tellement outré par le comportement des Nigérians qu’il se dit prêt à serrer dans ses bras les trafiquants d’esclaves. Et s’il y avait eu un vaisseau négrier en partance pour les Amériques, il aurait été le premier à bord, histoire d’échapper aux griffes du service d’immigration nigérian - These niggers made Ol’ Jake look like an angel (Ol’ Jake était le flic de Kenner qui descendait un nègre pour un oui pour un non) - Mais il n’est pas au bout de ses surprises ! En traversant Lagos à bord d’un taxi, il voit les noirs chier dans la rue devant tout le monde, même les femmes. Et ce n’est pas fini. Il arrive à l’hôtel, une sorte de Hilton nigérian : pas d’eau au robinet et pas de courant électrique. La réalité africaine l’oblige à réfléchir.

Avec tout ça, la musique passe au second plan. Si on cherche des infos sur les tournées dans les années cinquante, ou le Birdland que Lloyd Price racheta à New York pour y organiser des concerts, ce n’est pas dans ce livre qu’on les trouvera. Il évoque rapidement Dave Bartholomew qui fut à la Nouvelle Orleans le chasseur de talents engagé par Art Rupe, boss de Specialty Records. Bartholomew découvre Lloyd Price dans la boutique de sa mère alors qu’il jouait «Lawdy Miss Clawdy» sur un petit piano. Le petit Price rappelle qu’en 1952, il était devenu le heart and soul du new Beat in New Orleans - They say I was the first black teenage idol and Shirley Temple was the white one - Quand Lloyd Price doit partir à l’armée, Art Rupe lui demande s’il connaît une autre poule aux œufs d’or. Alors Lloyd lui glisse le nom d’un petit mec qui se débrouille pas mal, Little Richard - I shot myself in the foot when Art Rupe found Richard - Deux ans plus tard, Lloyd est libéré de l’armée, mais Little Richard a pris sa place chez Specialty. It was over for me. Philosophe, Lloyd ajoute : «That was fine, he was a real talent and every loss is some gain.» (Pas de problème, il avait un talent fou. Un gagnant pour un perdant).

Avant d’entrer dans l’univers passionnant du grand Lloyd Price, il est essentiel de savoir qu’il appartient à la génération d’avant la Soul, celle du jump et des big bands. Mais comme Pricey a un don pour la pop, il devient très vite moderne et donc célèbre. Ses deux premiers albums paraissent en 1959 et contiennent tous les hits qui vont le rendre célèbre dans le monde entier : «Personality» (groove de vieille souche de swing, walk ! Talk ! Charm ! Smell ! Il swingue son I’ll be a fool for you comme un cake), «Stagger Lee» (co-écrit avec Archibald), «Lawdy Miss Clawdy» (chanté dans l’art de la matière). Il est aussi essentiel de préciser qu’on est avec ces deux albums au cœur du New Orleans sound. Pricey propose une version spectaculaire d’«I Only Have Eyes For You», orchestrée à outrance. Il faut le voir épouser cette orchestration alerte et vive. Sur la pochette de Mr Personality, il porte un smoking rouge et les mecs de sa section de cuivres des vestes blanches. On le voit photographié au dos en compagnie de son producteur Don Costa. On trouve aussi sur cet album un «I’m Gonna Get Married» à forte personnalité, bien foutu, avec des clameurs de chœurs extraordinaires. Pricey impose un style à la force du poignet, ce qui est tout à son honneur quand on sait d’où il vient. Diable, comme il a eu raison d’écrire son livre ! Il tâte aussi de la calypso comme le montre «Poppa Shun» et il termine avec «I Want You To Know», une heavy Soul de haut rang qui deviendra la marque de fabrique de James Brown. The Exciting Lloyd Price est aussi du pur jus de New Orleans, avec une pochette dynamique à la Little Richard : Pricey en polo rouge, les bras en croix sur fond jaune et au dos, on le retrouve sanglé dans l’un de ces gros pantalons qui remontaient très haut au dessus des hanches. C’est un album de jump de jive impénitent, une pétaudière à l’ancienne. On retrouve des relents de «Personality» dans «You Need Love» et de «Stagger Lee» dans «Oh Oh Oh», mais c’est normal. Pricey enfonce son clou avec notre bénédiction. Il chante son «Foggy Day» au groove de jazz in London town.

Il sort trois albums en 1960, Mr Personality’s 15 Hits, Mr Personality Sings The Blues et The Fantastic Lloyd Price. Il faut voir la classe de Pricey sur les pochettes, notamment celle du premier des trois. Comme son nom l’indique, Mr Personality’s 15 Hits est un best of où on retrouve tous les hits pré-cités, notamment «You Need Love», bardé de chœurs qui restent des merveilles de fraîcheur, des valeurs sûres, avec en plus un solo de sax à la Lee Allen. Alors wow ! On retrouve aussi l’excellent «I’m Gonna Get Married». Pricey s’arrange toujours pour ramener un son et des compos intéressants. Ce Get Married est une petite merveille de black pop d’époque. Même ses slowahs comme «Just Because» ont des angles modernes. Pricey crée son monde et se donne les coudées franches avec cet excellent «Lawdy Miss Clawdy» qu’on est toujours ravi de croiser. «Stagger Lee» restera l’un des plus beaux brins de rock de l’histoire du rock, et c’est signé Pricey.

Quand on voit la pochette de Mr Personality Sings The Blues, on s’émerveille : les gens savaient faire des pochettes à l’époque. Pricey lève les yeux au ciel et porte une belle veste à carreaux, une chemise blanche et une petite cravate noire. Ça c’est du portrait ! Sur cet album, Pricey ne fait pas du blues au sens où on l’entend ordinairement, il chante le blues des années 50, celui de Percy Mayfield («Please Send Me Someone To Love») et du jive de big band. Son «Sitting There & Rocking» s’assoit sur des hautes nappes de violons - My baby left town last nite/ And I just got the blues today - et il tente plus loin le coup du heavy blues avec «Feeling Lowdown» - Feelin’ lowdown/ Just messin’ around with the blues.

Par contre, la pochette de The Fantastic Lloyd Price ne le met pas à son avantage. Pricey porte la banane et sourit de ses trente-deux dents, mais le photographe doit être un brin raciste car la pose évoque celle d’un chimpanzé, alors que Pricey est plutôt un très bel homme. Disons qu’avec ce portrait, le côté africain prend le pas sur l’afro-américain et cette manie qu’avaient les blacks dans les années 50 de vouloir se blanchir en s’aplatissant les cheveux et en s’habillant comme des courtiers d’assurances. Au dos de la pochette, on trouve un portrait nettement plus avantageux de Pricey en veste de smoking, nœud pap et souriant comme le tombeur de ces dames. Côté son, pas de surprise. Pricey fait du Cole Porter, du jump de big banditisme bien rebondi aux nappes de cuivres, avec des solos de sax dans le corps du texte. C’est toujours l’avant-Soul de Whiterspoon et de Brook Benton. Tous ces blackos font leurs armes dans le jump. Il faut le voir chanter «Because Of You». Il n’a pas vraiment de voix, juste un style et un sens du show. Il a su saisir sa chance au bon moment. Dans «Undecided», il propose du real good jive bien balancé - So what you’re gonna do ? - Globalement, il propose du cabaretier bien foutu et sacrément orchestré. Ces artistes avaient alors derrière eux tout l’or du monde. Son «In A Shanty In Old Shanty Town» d’ouverture de bal de B se veut suprême et ça l’est. Big Broadway sound ! Pricey n’a aucun effort à fournir, ça swingue tout seul. Son ‘Great Orchestra’ fait tout le boulot. Il termine avec un «Five Foot Two» admirable de coochie-coochie-coo d’if anybody see my girl !

Avec Cookin’, la pochette s’enhardit. Joli shoot de modernité avec un Pricey explosé de rire sur une chaise anglaise, le tout sur un joli fond bleu primaire. L’esthétique frise celle des pochettes d’EPs de Little Richard, même sens de l’exubérance et des tons primaires. Dommage que l’album soit un peu faible. Il y tape une version swinguy de «Summertime» et fait son Cole Porter avec «Is You Is Or Is You Ain’t My Baby». Il y jive dans les grandes largeurs. C’est un fast drive d’upright qui amène «Deed I Do». Fantastique jive de jazz ! Ça ne traîne pas avec Pricey, il faut voir ces mecs derrière souffler dans leurs trompettes. On voit aussi Pricey enrouler «Since I Fell For You» dans ses gros bras noirs pour danser le mambo. Mais la B ne veut rien savoir : elle refuse d’obtempérer, même si «I’ll Always Be In Love With You» sonne comme du Percy Mayfield. Il boucle avec «Rainbow Joe», un shoot de calypso très orchestré et battu à la cymbale claire.

Sur Sings The Million Sellers paru l’année suivante se nichent deux merveilles : «Once In A While» et «C’est Si Bon». Avec Once, Pricey fait autant de ravages que Liza. C’est mélodiquement parfait. Puis il se prend pour Sacha Distel avec «C’est Si Bon». Il chante d’autres standards du type «Save The Last Dance For Me», «Corrina Corrina» et «Spanish Harlem». On retrouve la pétaudière de la Nouvelle Orleans dans «Ain’t That Just Like A Woman». C’est le son qu’avait Little Richard à ses débuts. Pricey passe le «Shop Around» de Smokey à la casserole. Ça swingue au big banditisme avec une pincée de Trinitad. Pricey adore le son des îles. Encore un gros numéro de jump avec «The Hoochie Coochie Coo» et voilà le travail.

Bon prince, Pricey donne la parole à son orchestre avec This Is My Band. Ouverture du bal d’A avec le part 1 et le part 2 de «Trouble». On entend rarement des jives aussi fiévreux. Quelle fabuleuse tension rythmique derrière le sax ! Le bassman rôde dans le son comme un démon dans les ténèbres. En B, on retrouve avec «Pan Setta» l’excellent drive de rythmique derrière les solos d’orgue et les nappes de cuivre. Ces mecs ont des pieds ailés. «No Limit» vaut pour un bel instro d’anticipation envoyé aux gémonies.

Pricey revient en force en 1963 avec Misty et une pochette superbe. Le voilà une fois de plus explosé de rire dans un fauteuil de bureau. Il va tout se suite se plonger dans l’excellence du Broadway shuffle avec «On The Sunny Side Of The Street». Il chante ça à la revancharde avec un gusto stupéfiant. Nouveau coup de Jarnac avec le retour d’un «Trouble» monté sur un shuffle de stand-up. Wow, le drive dévore l’instro tout cru ! D’autres belles surprises cueillent le curieux au menton en B, à commencer par le morceau titre, fabuleux shake de big jive et de too much in love. C’est excellent car extrêmement joué et surtout très chanté. Pricey sait honorer sa muse. Encore du swing antique avec «Tennessee Waltz» relayé aux chœurs de gospel batch. Il fait aussi un «Pistol Packin’ Mama», une version cha cha cha de bonne guerre, avec des chœurs rétro.

Il se pourrait bien que le meilleur album de Pricey soit ce Now paru en 1969 sur son propre label, Lloyd Price’s Turntable. C’est un album énorme et sans concession qui démarre avec «Bad Conditions», un funky strut politicard qui dénonce les conditions de vie des blacks aux États-Unis - Uh We’re living in baaaad/ Conditions - L’énorme bassmatic rentre dans le lard du baaaad conditions. Il passe ensuite à une belle cover de «Light My Fire» et swingue le fire en profondeur. Pricey a du power et les chœurs sont redoutables. Il revient à son cher carribean sound avec «Feeling Good» et comme Wicky Picky, il s’attaque à la reine des pommes, le vieux «Hey Jude» des Beatles, et se tape une belle crise de hurlette en fin de cut. Oh mais ce n’est pas fini ! Il enchaîne trois merveilleuses covers en B, à commencer par «For One In My Life», cette grosse poissecaille qui semble orchestrée en sourdine, rehaussée d’un fouetté de fûts assez jazzy. Ce démon de Pricey chante ça au mieux des possibilités. Il revient à son cher swing avec un «I Understand» porté par un big bassmatic au devant du mix et ça continue avec une version de «Phoenix» très différente de celle d’Isaac. Il faut dire que ses covers sont toutes très inspirées. Il bénéficie en outre d’une prod de rêve, comme le montre encore un «Don’t Talk To Me» chargé de basse et de chœurs, de percus et de cuivres. Wow, Pricey swingue ça comme un crack.

L’autre big album de Pricey n’est autre que To The Roots And Back, paru en 1972 et sur lequel il réactualise tous ses vieux hits. On le voit danser sur la pochette et le dos propose quatre petits snap-shots de Pricey sur scène. Il est alors un big back man moustachu, avec un look à la Wilson Pickett. Il fait pas mal de heavy funk en A , mais c’est en B que tout explose avec une version sidérante de «Lawdy Miss Clawdy». Son remake funky passe comme une lettre à la poste. Que de son ! Il modernise tous ses vieux coucous. On le croirait à Muscle Shoals avec «Lady Luck». Il barde aussi son vieux «Stagger Lee» de son. Voilà une version savamment cuivrée. On se croirait chez Stax tellement ça sonne bien. Il groove merveilleusement son vieux «Personality» et ça devient une sorte de groove des jours heureux, avec ces chœurs de filles délurées. Extraordinaire retournement de situation ! Pricey redevient un Soul Brother de rang princier, il navigue à la pointe du progrès et il a les compos, alors c’est du gâteau ! C’est une version dont on se souviendra. Il termine avec un «Where Were You On Our Wedding Day» chargé d’accents de calypso, l’un de ses péchés mignons.

Finalement, Pricey finit par aller comme tout le monde à Muscle Shoals enregistrer Music-Music, un album mi-figue mi-raisin, qui paraît en 1978, sous une pochette un peu ratée. Dommage, car la vraie pochette est au dos : on y voit un Pricey en afro et en tunique blanche sourire comme un roi africain. Il est comme beaucoup de Soul Brothers à cette époque dans sa période Marvin Gaye : il mise sur les nappes de violons. Il s’engage résolument dans la voie d’une Soul orchestrée et ça lui va plutôt bien, sauf que les compos ne sont pas au rendez-vous. Il essaie de ramener de la belle aventure en B avec «You Brought It On Yourself» et sort le grand jeu pour illuminer l’art de la matière dans «Uphill Peace Of Mind», mais bon.

Le voilà en trois pièces blanc sur la pochette de The Nominee. Le morceau titre est un groove urbain dont il n’a pas à rougir. Pricey reste superbe de décontraction. Mais le reste de l’A n’accroche pas. Pricey propose un son trop passe-partout, un brin diskö-pop, sans aucune incidence sur l’avenir de l’humanité. Il tente de sauver l’album en B avec «I Found Love In You», une espèce de soft-diskö de 1978, mais la loi du marché ne tolère pas les albums ratés.

Signé : Cazengler, Lloyd pisse

Lloyd Price. Disparu le 3 mai 2021

Lloyd Price. Mr Personality. ABC-Paramount 1959

Lloyd Price. The Exciting Lloyd Price. ABC-Paramount 1959

Lloyd Price. Mr Personality 15 Big Hits. ABC-Paramount 1960

Lloyd Price. Mr Personality Sings The Blues. ABC-Paramount 1960

Lloyd Price. The Fantastic Lloyd Price. ABC-Paramount 1960

Lloyd Price. Cookin’. ABC-Paramount 1961

Lloyd Price. Sings The Million Sellers. ABC-Paramount 1961

Lloyd Price. This Is My Band. Double-L Records 1963

Lloyd Price. Misty. Double-L Records 1963

Lloyd Price. Now. Lloyd Price’s Turntable 1969

Lloyd Price. To The Roots And Back. GSF Records 1972

Lloyd Price. Misty. UpFront Records 1974

Lloyd Price. Music-Music. LPG Records 1976

Lloyd Price. The Nominee. Olde World Records 1978

Lloyd Price. Sumdumhonky. Cool Titles 2015

 

 

Du Yardbirds dans les épinards

- Part One

 

Par chance, il existe pas mal de bons books sur les Yardbirds : The Band That Launched Eric Clapton, Jeff Beck And Jimmy Page d’Alan Clayson et The Ultimate Rave-Up de Greg Russo. On verra ça dans un Part Two. Mick Wall en rajoute une louche avec l’un de ces fastueux panoramiques dont il a le secret dans Classic Rock. Il commence par rappeler que sans Yardbirds, pas de Led Zep. Tintin. En fin stratège, Wall attaque par la fin de l’histoire des Yardbirds, qui se situe en mars 1968, quelques jours avant la mort de Martin Luther King. Les Yardbirds jouent leur dernier concert à New York. Keith Relf et Jim McCarty n’en peuvent plus, trop de pression. Les gens du management ne leur permettent pas de faire un break : ils craignent que le public n’oublie le groupe. So play every night. Pfff. Ras le cul. Keith Relf et Jim McCarty songent depuis un moment à quitter le groupe pour partir sur autre chose. Chris Dreja et Jimmy Page ne sont pas au courant. Une chose est sûre, ils veulent continuer. C’est ce fameux dernier concert à l’Anderson Theatre qu’on peut entendre sur l’excellent Yardbirds 68 récemment publié par Jimmy Page.

Le coffret Yardbirds ‘68 vaut soixante euros. Quelle méchante arnaque ! Pour ce prix, on nous propose le concert de l’Anderson Theatre et un ramassis de démos. Sur scène, les Yardbirds commencent bien évidemment avec «Train Kept A Rollin’» et enchaînent avec «You’re A Better Man Than I Am». Jimmy Page sort sa Tele pour l’occasion et taille du psyché blast all over the rainbow. Il peut jouer à l’infini et les attaques de Keith Relf sont des modèles du genre. Les Yardbirds avaient la chance de pouvoir aligner une série de hits imparables. «Heart Full Of Sound» sonne comme l’emblème du psyché anglais. Jimmy Page l’amène sur un plateau d’argent. Il joue ça si sharp. Et puis voilà le pot-aux-roses : «Dazed And Confused» qui annonce si bien Led Zep. Tout est déjà là, sauf Robert Plant. Le pauvre Keith ne sait pas qu’il va disparaître, balayé par Robert Plant. Mais le son est là, au complet, avec toutes les transitions de notes titubantes, exactement le même déballage de talalalala. Jimmy Page a même l’air de jouer de l’archet. On retrouve aussi le violent redémarrage qui fit la grandeur du Led Zep 1. Chris Dreja bombarde bien sa basse. Il mise sur la présence. Avec «Over Under Sideways Down», les Yardbirds s’arrogent la couronne du British beat, c’est même l’un des grands hymnes universels. Jimmy Page le taille sur mesure et Chris Dreja sort un bassmatic rusé comme un renard du désert. On ne peut parler que de génie flamboyant. On pourrait dire la même chose de «Shape Of Things», bien sûr. Keith Relf redevient l’espace de deux minutes le roi du monde. Et si on aime Jimmy Page, alors on se régale avec «I’m A Man». Le disk 2 propose comme on l’a dit des chutes de sessions. Idéal pour un professionnel comme Jimmy page. Il fait des étincelles dès «Avron Knows». On a là une jolie toupie de psyché britannique jouée à ras du sol. Jimmy Page gratte «Knowing That I’m Losing You» à l’acou édentée. On sent le groupe abandonné de Dieu. Ce disque confirme le sentiment d’arnaque : on avait raison de se méfier, «Taking A Hold On Me» est une démo minable. En fait ce coffret fait partie d’une nouvelle vague d’arnaques, on n’avait encore jamais vu l’industrie musicale bluffer autant : vendre un live soixante euros, accompagné d’un livret vide de contenu et d’un mauvais ramassis de démos. La seule démo sauvable pourrait bien être l’excellent «Drinking Muddy Water» joué au fever de Delta blues. Keith Relf y sonne comme the tight white ass of it all. On sauvera également «Avron’s Eyes», car Jimmy Page y joue à la mortadelle du petit cheval blanc. Il joue son va-tout en direct, pas d’intermédiaire, pas de Keith dans les parages, Little Jimmy joue full blown. C’est très impressionnant. On ne se lasse pas facilement d’un mec comme lui. Ce sera d’ailleurs tout le problème de Led Zep.

Mick Wall ne tarit pas d’éloges sur ce groupe qui fait partie des pionniers de la scène anglaise - The Yardbirds had always been fantastically flash, inscrutably cool, fabulously out of reach - Et il continue de brouter le mythe à coups de wild hair-down kickers-off parties for the wilfully far-out, the fashionably fuck you. Et il ajoute qu’ils n’étaient pas des Mods traditionnels, they weren’t poncey Mods, but they dressed to the nines, part King’s Road part Haight-Ashbury. Lemmy dit que le line-up avec Jeff Beck était intouchable. Il ressentira la même chose en découvrant le MC5 - They just attacked you. En France, on dirait de manière plus triviale : ils vous sautaient à la gueule.

Montés par Keith Relf et Paul Samwell-Smith, le groupe tire son nom de Charlie ‘Yardbird’ Parker et ne joue que du trié sur le volet : Wolf, Muddy Waters, Bo Diddley, Elmore James - Strictly high-quality underground purist R&B - C’est pour ça que Clapton se rapproche d’eux, il se dit lui aussi puriste. Giorgio Gomelsky devient leur manager et là attention aux yeux ! C’est comme dit Mick Wall un mover-and-shaker qui gère des clubs, qui écrit des chansons, qui fait des films, qui produit des disques - Whatever you needed, Giorgio could get it. Fast - Il n’y a pas de hasard, Balthazar, les histoires des grands groupes passent toutes par l’étape de la conjonction surnaturelle. Pas de Yardbirds sans Giorgio, ni de Stones sans Andrew, ni d’Elvis sans Sam, ni de Who sans Shel. C’est Giorgio qui tient le Crawdaddy Club et qui manage les Rolling Stones, des Stones qui profitent d’un voyage de Giorgio en Suisse pour l’enterrement de son père, pour signer avec Andrew Loog Oldham qu’ils trouvent plus adapté à leur tough attitude. Quand Giorgio revient et qu’il voit le travail, il demande à son assistant Hamish Grimes de trouver un groupe pour remplacer les Stones. Ce sont les Yardbirds. Giorgio les envoie tourner pendant 18 mois avec Sonny Boy Williamson, qui est comme chacun sait le beau-frère de Wolf. Sonny Boy trimballe un mallette en croco dans laquelle il range ses harmos et une bouteille de whisky, un plan que va pomper Keith Relf. Sonny Boy ne pense pas grand bien des Yardbirds - This British band over there and they wanted to play the blues so bad... and they really did play them so bad - Qu’importe, Giorgio sort un live en pleine Yardbirdmania, le fameux Sonny Boy Williamson & the Yardbirds. Mais les albums de puristes n’intéressent que les puristes et donc assez peu de gens.

On se demande bien pourquoi cet album qui s’appelle Five Live Yardbirds vaut aussi cher aujourd’hui. C’est loin d’être l’album du siècle. Celui qui tire le mieux son épingle du jeu n’est pas celui qu’on croit : ni Keith, et encore moins Clapton. Non la star des early Yardbirds n’est autre que Paul Samwell-Smith et son rumble de basse, grand dévoreur devant l’éternel. Le rave-up c’est lui, avec Jim McCarty. Il faut l’entendre dévorer «Respectable» et redégringoler dans le son de «Smokestack Lightning». C’est une façon de jouer assez unique, un façon d’allumer la gueule de la conjoncture qu’on retrouva aussi chez Chas Chandler et chez les Pretties de l’époque Vivian Prince. Samwell-Smith monte encore en puissance en B avec le «Pretty Girl» de Bo. Le rave-up n’est pas une légende, c’est une réalité. On le voit aussi rôder dans le son de «Louise». Il est en mouvement permanent et swingue comme un dingue. La pauvre Keith n’a pas de voix, ça s’entend sur «I’m A Man», mais derrière lui Samwell-Smith bouffe le Man, croutch croutch, c’est le roi des rythmiques infernales. Samwell-Smith ? L’un des meilleurs bassistes anglais, pas de doute.

C’est là où Giorgio sort de sa manche un gros coup de Jarnac. Il chope un truc écrit par un certain Graham Gouldman juste avant qu’on ne le propose aux Beatles : «For Your Love». Giorgio sait que c’est un hit. Clapton n’aime pas ce truc qu’il traite de ‘pop crap’ et quitte le groupe. Ouf ! - In an age of art for art’s sake, blues-precious Clapton just didn’t fit in - Giorgio avait vu juste : «For Your Love» parade en tête des charts anglais et américains. C’est le 21 years old maverick Jeff Beck qui va remplacer Clapton. Pourtant, ça commence mal. Beck n’aime pas les Yardbirds et c’est réciproque - They didn’t say hi or anything - Jeff Beck pense que les autres sont dépités parce que Clapton s’est barré avec le son du groupe. Mais Jeff Beck va rallumer le brasier et focaliser l’attention sur lui. Pendant un an, Jeff Beck blaste le son des Yardbirds, hit after hit - each more rule-bending than the last - Oui, Jeff Beck défie toutes les lois. Comme Keef, il a intégré Chucky Chuckah, Bo Diddley et Buddy Guy dans son jeu, mais aussi Freddie King, Galloping Cliff Gallup et Scotty Moore.

Puis le groupe commence à en avoir marre des idées lunatiques de Giorgio. En plus, les comptes ne sont pas clairs. Viré. Les Yardbirds signent avec Simon Napier-Bell, recommandé par Rosie, la fiancée de Paul Samwell-Smith. Napier-Bell commence par re-négocier le contrat des Yardbirds et Keith peut enfin s’acheter une baraque en banlieue Ouest de Londres.

Précisons toutefois que Jeff Beck n’était pas le premier choix du groupe qui préférait Jimmy Page, mais celui-ci déclina l’offre, pas parce qu’il était comme Clapton un blues-purist, mais tout simplement parce qu’il était d’un niveau beaucoup trop élevé pour un groupe comme les Yardbirds - He was out of their league - En 1964, Little Jimmy Page avait déjà accompagné toute la crème de la crème du gratin dauphinois, Shirley Bassey, Dave Berry, les Them, les Kinks, les Who, Lulu, on en passe et des meilleurs. À ses yeux, les Yardbirds ne sont que des one-hit wonders. Mais c’est lui qui leur recommande Jeff Beck - One of those cats on the fringes - Un individualiste. Ses groupes were built for speed, not for comfort - Ce mec aimait la vitesse, non le ronron. Trois semaines plus tard, Jeff Beck est en studio avec les Yardbirds pour enregistrer un nouveau hit intemporel, «Heart Full Of Soul», une autre compo de Graham Gouldman. Avec Jeff Beck, the Yardbirds are at the peak of their powers, aux plans commercial et artistique, pop and rock-tastically. De hit en hit, ils en arrivent au fameux «Shape Of Things», the most exotic sounding single of 1966. On dit même que c’est le premier single psychédélique.

Paru en 1965, For Your Love est un album hybride, avec le cul entre deux chaises : Clapton joue sur la plupart des cuts et Jeff Beck sur des trucs bien wild comme «I’m Not Talking», cette belle cover de Mose Allsion. Alors là oui ! Quel punch ! Un vrai coup de Beck. Il rentre dans le lard du cut avec sa Tele. Pour l’époque, il est rudement dégourdi. Il joue aussi sur «I Ain’t Done Wrong». Dès que c’est Beck, ça vit, il faut le savoir. On a là une compo de Keith bien sentie. Le troisième Beck cut est le dernier, «My Girl Sloopy», vieux sloopy de hang on. Keith groove son sloopy au cul du camion. C’est sûr que Beck doit s’emmerder dans cette histoire. Il attend de pouvoir partir en vrille. Alors et le reste ? C’est du Clapton coincé et quand on n’aime pas particulièrement Clapton, c’est compliqué. Sur «I Ain’t Got You», il est assez atroce avec son solo segmenté. Les Yardbirds sont encore dans une phase d’apprentissage à la mormoille. Le professeur Clapton leur apprend le blues. C’est nul. Keith nous sauve l’«I Wish You Would» de Billy Boy Arnold en B, il est même assez monstrueux avec son harmo, oh-oh yeah, on croit entendre Charles Bronson in hell. Pur jus de rave-up. Ils font aussi un coup d’éclat avec «A Certain Girl», ce vieux rumble de swinging London. On aime bien voir les Yardlirds devenir wild, comme c’est le cas ici.

Sorti lui aussi en 1965, Having A Rave Up With The Yardbirds reste un album trop typé d’époque. La B est un gros live cousu de fil blanc. On y trouve une série de classiques de type «Smokestack Lightning» et «I’m A Man», qui dénotent une magistrale volonté d’en découdre, mais avec le temps va tout s’en va. C’est donc en A que se nichent les points forts de l’album, «You’re A Better Man Than I» (enregistré chez Sam Phillips à Memphis) et «Heartfull Of Soul», fantastiques tranches de psyché palpitantes. On assiste à de lentes montées des phénomènes. On pourrait parler en termes d’achèvement Becky, tellement il joue en sous-main, avec une sorte de prestance longiligne. C’est avec ces deux hits que leur belle musicalité arrive à une sorte de maturité. Ils visent l’excellence psychédélique en devenir. «Evil Hearted You» reste et restera du typical Swinging London Sound, plein de you try to put me down et la reprise du «Train Kept A Rollin’» sent bon le Beck. Quelle ultra-présence ! Jeff Beck était alors le maestro des épopées électriques. Même si l’album est considéré comme un coup d’Epic - a grab bag of previoulsy released material - il est aussi the most influential album des Yardbirds, celui qui a lancé des vocations aussi bien chez les groupes de hard que chez les groupes de psyché américains. L’album restitue bien le côté expérimental qui rendait les Yardbirds uniques en 1965.

S’il fallait hisser un album des Yardbirds sur le podium, ce serait sans doute Roger The Engineer. L’album grouille en effet de beaux hits, à commencer par l’impérissable «Over Under Sideways Down». The big Beck is on the run. La belle fluidité du son se marie bien avec le bassmatic de Paul Samwell-Smith. On est là dans la perfection du Swinging London, auréolée de belles poussées de fièvre. Ces diables de Yardbirds savent finir dans la tension maximaliste. Ils adressent un beau clin d’œil à Elmore James avec «The Nazz Are Blue» et en B, Beck passe au jazz avec «Jeff’s Boogie». Il joue son Boogie à la violente pompe de Django. Ils reviennent à l’évanescence psychédélique avec «He’s Always There», bel exercice d’anticipation emblématique joué au suspense des grillons. Ça bruisse délicieusement dans le smog londonien. Tiens, encore deux hits en fin de B : «What Do You Want», embarqué à la fantastique énergie. On croirait entendre l’effervescence débridée de Moby Grape ! Même élan vital. Grosses influences américaines, en tous les cas. Et puis «Psycho Daisies», authentique rave-up des Yardbirds, boogie endiablé qui sonne comme un classique avec une jolie fin de non-recevoir. Jeff Beck amène énormément de son. Ils conservent aussi leurs accointances avec le british r’n’b à travers «Lost Women», monté sur le petit riff riquiqui de Paul Samwell-Smith. Joli son caoutchouteux ! Et Keith Relf nous shake ça si sec ! Mais le vrai hit de l’album pourrait bien être «I Can’t Make Your Way», étrange cut de pop élégiaque et terriblement enchantée. On tombe sous le charme de cette admirable tension bon enfant que Jeff Beck tisonne au long cours. Il est à noter que Roger est le premier album de compos originales et surtout un chef d’œuvre de joyful experimentation. Roger arrive juste avant Sergent Pepper, juste avant Hendrix, juste avant Blonde On Blonde, Pet Sounds, Aftermath et le premier Velvet. Voilà pourquoi les Yardbirds étaient uniques. Ils étaient l’un des groupes les plus intéressants de leur génération.

Pendant ce temps, Jimmy Page croule sous les demandes de sessions et commence à loucher sur le succès des Yardbirds. Au moment où Paul Samwell-Smith quitte le groupe, il propose de venir donner un coup de main, d’autant que les Yardbirds paniquent en raison du nerver-ending touring schedule qui suit la sortie de Roger The Engineer. Jimmy Page ne rejoint pas les Yardbirds pour une question de blé, parce qu’il gagne en une semaine beaucoup plus que ce gagnent les Yardbirds en un mois, mais tout simplement parce qu’il rêve de jouer SA musique. À force de jouer de la rythmique pour les autres en session, il sent qu’il régresse en tant que guitariste. Quand il joue pour la première fois avec les Yardbirds au Marquee, il joue de la basse. Puis en août 1966, il participe à une première tourne américaine avec les Yardbirds. Chris Dreja passe à la basse et Jimmy Page retrouve sa chère guitare. C’est la première twin-solo guitar line britannique. Les Yardbirds deviennent the most incendiary group on the planet. Pour Chris Dreja, l’arrivée de Jimmy Page dynamise le groupe : «It definitively gave the band a kick in the arse.» Pas aussi weighty (chargé de son) que Cream, pas aussi laddish (glimmer twins) que les Stones, mais certainement plus mordants que les Beatles qui d’ailleurs sont sur le point d’arrêter les tournées. Dreja rigole aussi à propos de son retour à la basse : «Jimmy Page est tellement mauvais à la basse que j’ai dû prendre sa place.» Comme en plus Dreja a joué de la rythmique avec les trois cocos, Mick Wall lui demande lequel des trois cocos il préférait - Clapton was a bluesman. Jeff Beck was a bloody genius, wasn’t he ? But I loved to play with Jimmy Page. He was full of energy. Go go go ! And I liked that. He was very positive. Still is today - C’est un bel hommage à un géant. Jimmy Page et Chris Dreja rencontrent plein de gens pendant cette tournée américaine et ils se régalent de ces rencontres et des histoires qu’on leur raconte. Par contre, Keith Relf broie du noir et boit comme un trou. Pour lui, l’âge d’or des Yardbirds, c’est avec Clapton. Il préférait le temps des clubs à Londres et des concerts de blues au Marquee et au Crawdaddy. La nouvelle mouture ne lui convient pas. Et soudain, c’est Jeff Beck qui craque. Il ne supporte plus les tournées. Il décide de rester à Hollywood pendant un Dick Clark Tour. En fait, Jeff Beck tombe amoureux d’une actrice nommée Mary Hughes. Le groupe repart en tournée à quatre et Jeff Beck rejoindra les Yardbirds pour la tournée de septembre 66 en Angleterre. Dernier coup de Jarnac : «Stroll On» sur scène, filmé par Antonioni - Beck, solemn, threatening, Page, smiley, cool, noooo problem - On le voit bien sûr exploser a cheap old thirty-five-dollars japanese model. La force des Yardbirds réside dans ces two huge personalities, même s’il y a trop de son. Jimmy Page : «It was a bit much sometimes !» L’axe Beck-Page pouvait surmonter les Stones, pour lesquels ils ouvraient lors de cette tournée anglaise - McCarty recalls the Beck-Page axis at its best one night outgunning the Stones - Hélas, la seule trace qui reste de cet axis Beck-Page, c’est «Stroll On», qu’on retrouve sur la bande son de Blow Up. Et le single «Happening Ten Years Time Ago» que Mick Wall qualifie de ground-zero 70s rock - If you’re looking for the real rock roots of Led Zeppelin and every other out-there band that came helter-skelter in their wake, this is the definitive place to start.

Comme Jeff Beck dispose d’un ego sur-dimentionné, il joue fort, ce qui pose des problèmes à Keith Relf sur scène. Le power de Jeff Beck va même l’effacer. En fait, Jeff Beck ne supporte pas les crises d’asthme de Keith sur scène : «Yeah, l’ampli avait cramé, ma guitare était désaccordée et Keith toussait sur scène. Il utilisait un spray pour son asthme et en plein solo de blues, j’entendais les sssss sssss sssss de son spray, c’était insupportable, j’en pouvais plus alors je pétais la guitare.»

C’est pendant la tournée américaine suivante que Jeff Beck craque et quitte le groupe - Full-on nervous breakdown - Il est épuisé, et en mauvaise santé, il combine les inflammations, amygdales et bite. Il jette l’éponge. Les Yardbirds se retrouvent à quatre.

Lorsqu’ils font un point avec Napier-Bell sur l’état des finances, les Yardbirds tombent encore sur un os : Napier-Bell sort une feuille de papier et se livre à un étrange tour de mathématiques. Après trois mois de tournées incessantes, les Yardbirds se retrouvent chacun avec 200 £. Napier-Bell rend son tablier et transfère tout le biz chez Mickie Most, qui compte parmi ses clients Donovan, les Animals et les Herman’s Hermits.

Little Games est le seul album enregistré avec Jimmy Page. Bon inutile de tourner autour du pot : ce n’est pas le meilleur album des Yardbirds. Loin de là. Le seul cut qui pourrait éventuellement sauver l’album, c’est «No Excess Baggage», en B, joliment pulsé par Chris Dreja et le batteur McCarthy. Quand on regarde la photo du groupe au dos de la pochette, on voit que Keith Relf ressemble étrangement à Brian Jones. Avec sa fantastique partie de bassmatic, ce cut vaut pour le hit du disk. Mais le reste de la B est d’une grande faiblesse. On passe aussi à travers des cuts comme «White Summer». C’est le grand problème des Yardbirds : dès que Beck n’est pas là, les cuts manquent d’épaisseur. À la différence des Pretties, des Kinks et des Who, les Yardbirds restent très lisses. «Tinker Tailor Soldier Sailer» sonne comme de la petite pop psyché, mais la petite crise d’effervescence s’éteint bêtement au bout de deux minutes. Ils tentent de retrouver le feu psyché de «Heart Full Of Soul» avec «Glimpses», mais ça ne peut pas marcher, car Jeff Beck n’est plus là. Quant au reste, mieux vaut oublier. Jimmy page explique que l’album est pourri parce que tout est du one take et de toute façon, Mickie Most ne croit qu’aux singles, pas aux albums. Devenu le producteur des Yardbirds, il se dit fervent partisan d’un son plus commercial. Sans doute est-ce la première fois qu’il flingue un groupe. C’est d’autant plus dommage qu’un an plus tard, il va produire les deux albums du Jeff Beck B-Group. C’est à n’y rien comprendre.

Il engage Peter Grant pour veiller sur les Yardbirds. Bien sûr Jimmy Page trouve en Peter Grant un allié de poids. Mais pour Keith Relf et Jim McCarty, suivre Jimmy Page dans une nouvelle direction musicale est tout simplement au-delà de leurs forces.

Et après ? Jimmy Page fait table rase et reconstitue son équipe pour lancer Led Zep, Chris Dreja devient photographe à succès, Keith Relf et Jim McCarty montent the gentle Renaissance et vont gentiment disparaître dans les ténèbres.

Justement, le book de David French tombe à pic : Heart Full Of Soul raconte l’histoire de Keith Relf. C’est un petit book sans prétention, mais qui a le mérite de jeter un éclairage sur la personnalité du pauvre petit Keith. Au Richmond Jazz & Blues Festival, Keith s’évanouit sur scène. On l’embarque à l’hosto et les médecins ne donnent pas cher de sa vie. Il a un poumon crevé. Mais il s’en sort et recommence à chanter. Le poumon crevé entre même dans la légende. Sur scène il chante avec son inhalateur et inspire une certaine pitié aux gens. En fait, David French a condensé une montagne de témoignages pour brosser le meilleur portrait possible du pauvre Keith. C’est vrai qu’il n’a jamais été un grand chanteur, au sens où on l’entend quand on parle de Lennon ou de Jag. Il n’a pas de force dans la voix. Les gens qualifiaient sa voix de plaintive, même parfois de sinistre. Mais c’est parce qu’il a ce handicap qu’il en rajoute. Il compense par une énorme présence scénique. Bien que chanteur d’un groupe en vogue, le pauvre Keith n’a pas les épaules d’une rock star. Il est d’un caractère renfermé, introspectif, d’une timidité maladive, idéaliste et incapable de supporter la pression du music biz. Il ne fait pas partie de l’in-crowd. Il vit à l’écart. Napier-Bell le traite d’énigme. Et là ça devient passionnant, car Keith l’asthmatique aime tellement la musique qu’il chante qu’il parvient à surmonter son aversion pour le music biz. Par chance, ce sont les guitaristes successifs des Yardbirds qui focalisent l’attention des journalistes. Côté musique, Keith adore le Modern jazz Quartet, Brian Auger, Burt Bacharach et Dylan.

Pour supporter l’ennui des tournées américaines, Keith boit comme un trou. Et l’alcool le rend con, mais personne ne vient à son aide. Il vit un peu le même genre de cauchemar que Brian Jones. Napier-Bell : «C’était un type charmant, il portait la même veste en daim chaque jour, même s’il s’était vomi dessus la veille. Il chantait avec énergie, jouait très bien de l’harmo, il semblait un peu introverti, il buvait comme un trou. Keith faisait parfois partie de la bande, mais il pouvait aussi rester très distant.» Jeff Beck le qualifie de manic depressive. Il ne l’aime pas beaucoup, en fait. Il reproche aussi à Keith de lire le magazine Guns And Ammo et de vouloir tuer tout le monde.

French parle bien des Yardbirds. Il rappelle qu’à la différence des Beatles et des Stones, les Yardbirds ne disposaient pas des personnalités hors normes, ni même l’ambition, la confiance et the love of the game que requiert le métier de rock star. Les Yardbirds ont aussi influencé énormément de groupes, French cite les Groupies, les Misunderstood, les Count Five, Litter. Beaucoup de groupes ont repris «I’m A Man», le MC5, les Stooges, le Chocolate Watchband, les Buckinghams, les Sonics et Q65. Comme les Stones, les Yardbirds débarquent aux États-Unis et fascinent les millions de kids. Mais ça ne marche pas à tous les coups : le Dave Clark Five passe comme une lettre à la poste, mais pas les Kinks. Lors de leur première tournée américaine, avec Giorgio au volant, les Yardbirds vivent des épisodes extraordinaires, notamment à Hollywood où Kim Fowley organise pour eux a house party. Il fait venir toutes les gloires locales, les Byrds, Peter & Gordon, Jackie DeShannon, Phil Spector et Danny Hutton. C’est le lancement officiel des Yardbirds en Californie. C’est aussi l’idée de Giorgio d’aller enregistrer un cut chez Sam Phillips à Memphis. Ils l’attendent devant la porte et quand Uncle Sam arrive, Giorgio va le trouver pour lui expliquer la raison de sa présence. Uncle Sam l’envoie chier - I don’t deal with limeys - Mais quand Giorgio lui met sous le nez 600 $, Uncle Sam accepte d’ouvrir le studio. Les Yardbirds enregistrent «You’re A Better Man Than I». Giorgio : «I got the drum sound I was looking for.» Comme l’attente est longue, Keith picole et quand il doit chanter «Train Kept A Rolling», il n’a plus de voix, ce qui met Uncle Sam hors de lui. Il dit à Giorgio que le groupe est bon mais il faut virer le chanteur - You gotta get rid of that singer - Mais en réalité, les Yardbirds n’ont jamais sonné aussi bien que lors de cette session à Memphis. Jeff Beck ne garde pas un bon souvenir de cet épisode, car il a vu Uncle Sam insulter Keith - J’ai immédiatement pris sa défense. Je haïssais Sam Phillips. Je ne comprenais pas son animosité. Peut-être qu’on lui a fait peur avec notre son, comme si on avait été les Sex Pistols - Quand ils débarquent à Phoenix Arizona, les Yardbirds partagent l’affiche avec les Spiders, un groupe local tellement fanatique qu’ils vont s’appeler the Nazz, en référence à «The Nazz Is Blue» - Ne pas confondre avec le groupe de Todd Rundgren - Les Spider/Nazz sont les futurs Alice Cooper, d’ailleurs obligés de changer de nom à cause du Nazz de Todd.

Finalement les Yardbirds s’épuisent avec ces tournées. Jeff Beck est malade, Keith boit comme un trou et Paul Samwell-Smith n’attend plus que l’occasion de se barrer. En 1967, Beck is gone, ainsi que la magie et les hits. Puis quand Mickie Most les reprend en main et leur impose d’enregistrer «Ten Little Indians», c’est la fin des haricots. Les drogues entrent en plus dans la danse. Keith prend tout ce qu’on lui donne. Ils vont réussir à faire sept tournées américaines. C’est maintenant McCarty qui tombe dans les pommes. C’est là que Keith et lui pensent à se recycler dans un genre musical plus paisible. Ils écoutent Simon & Garfunkel... Jimmy Page est horriblement déçu quand il apprend que Keith et McCarty jettent l’éponge : «J’étais déçu car les morceaux qu’on développait étaient vraiment bons. Les concerts se passaient bien et le public nous appréciait. Ça marchait bien, même si on devenait plus ésotériques et underground. On était en plein dans l’air du temps. On aurait pu faire un très bel album. Mais peut-être en avaient-ils assez.»

Bon alors si on écoute le coffret Live At The BBC Revisited, c’est à cause de David French. Il recommande ce coffret et un autre, Live And Rare, paru lui aussi sur Repertoire en 2019. Au total, ça vous coûte un billet de 100, mais on ne perd jamais son temps à réécouter les Yardbirds. Le premier coffret couvre les années 64 à 68. Pour mémoire, Jimmy Page rejoint le groupe en juin 1966 et Jeff Beck le quitte en novembre de la même année. Jusqu’en 1968, ils jouent donc à quatre. Les enregistrements de la BBC sont réputés pour leur qualité. On pense notamment au BBC sessions du Jimi Hendrix Experience, des Mary Chain ou encore celles des Only Ones. Celles des Yardbirds tapent dans le mille. On sent le son du groupe changer du tout au tout après le départ de Clapton en 65. Ça sent bon le Beck. Il y a une dynamique. Ouf, le groupe respire. Beck amène de la vie et du sharp. Et quoi qu’on en dise, Keith Relf s’en sort bien avec «I Ain’t Got You». Il est dessus. Les Yardbirds sont capables d’explosions collatérales. C’est assez unique dans l’histoire du British Beat. Beck allume «I’m Not Talking» et ça a de l’allure. Beck claque ses notes et ramène de la petite folie intrinsèque. C’est Paul Samwell-Smith qui vole le show dans «Spoonful». Il sort un drive explosif. Et avec «Heart Full Of Soul», ils commencent à sérieusement friser le génie. Beck claque sa chique, and I know, et part en solo vainqueur. Il est le London guitar God, the real deal. Sur le disk 2, on retrouve pas mal de vieux plans du style «I’m A Man» et le psyscho London beat de «Still I’m Sad». Keith Relf se vautre avec «Smokestack Lightning», le pauvre, il n’a pas la voix pour ça. Il est bien meilleur dans «You’re A Better Man Than I», magnifique machine psychédélique. Autant il se plante sur tous les classiques (Smokestack, «Dust My Blues»), autant il est bon sur le Yardbirds sound, comme «Shapes Of Things». Là, Keith Relf peut arrondir les angles. C’est sur le disk 3 qu’on retrouve ce qui est sans doute leur plus beau hit, «Over Under Sideways Down», version assez demented avec le mad drive de Paul Samwell-Smith, toute l’énergie vient de lui, ça crève les yeux. On trouve aussi deux versions de «The Sun Is Shining» - The sun is shining/ But it’s rainin’ in my heart - Il faut noter l’élégance du jeu. Beck fait ce qu’il veut dans «Jeff’s Boogie», il est bel et bien le meilleur guitar slinger d’Angleterre, il multiplie les figures de style et dans la deuxième version, il joue carrément le jazz manouche. Il est à l’aise dans toutes les configurations. Puis on les voit se vautrer avec «Little Games», même si on sent le souffle du Led Zep à venir. Ils ont plus de son que sur l’album studio, mais la compo n’est pas à la hauteur. Ils rendent un superbe hommage à Dylan avec «Most Likely You Go Your Way (And I’ll Go Mine)», et là Keith Relf fait ce qu’il veut, car sa voix va. La deuxième version est même assez monstrueuse. La période de l’album Little Games n’est pas bonne et il faut attendre la fin du disk 3 pour retrouver la terre ferme : «Dazed & Confused» annonce la couleur. C’est du Led Zep, mais le pauvre Keith Relf n’a pas la voix pour ça. La version est très belle. Mais Robert Plant en fera le chef d’œuvre que l’on sait.

Il faut un peu de temps pour digérer le box Live And Rare : quatre CDs plus un DVD avec du footage qui, nous dit French, n’est pas en ligne. La box est bien documentée et les infos précises. Rien qu’avec le disk 1, on est gavé comme une oie : ça démarre avec une session de juin 66. Les Yardbirds sont cinq, Jeff Beck on guitar et Jimmy Page on bass. C’est Page qui rafle la mise avec son drive de basse demented dans «Train Kept A Rollin’» et «Shape Of Things». Il est all over. McCarty bat ça à la vie à la mort. Mais si on doit emmener un cut, un seul, sur l’île déserte, c’est la version d’«Over Under Sideways Down» qui suit. On y voit Page rentrer dans la gueule du groove. Genius ! Pendant trois minutes, les Yardbirds sont les rois du monde. What a bass drive ! Page démolit tout sur son passage, on croirait entendre Ronnie Wood dans le Jeff Beck Group, mais à la puissance mille. Ces trois cuts sont capitaux car il existe très peu de choses enregistrées avec cette formation. Très vite, Page va reprendre la guitare et Chris Dreja va passer à la basse. Bon alors après on retombe dans le Yardbirds sound classique avec Samwell-smith on bass. Quand arrive une autre version live de «Train Kept A Rollin’», Samwell-Smith reprend son rôle de locomotive. On tombe un peu plus loin sur une version d’«Happening Ten Years Time Ago» enregistrée en 66 avec Page & Beck on guitars et John Paul Jones on bass. Nous voilà de nouveau au cœur des riches heures du Duc de Berry. L’espace d’un cut, les Yardbirds redeviennent le plus puissant rock-band d’Angleterre. En fin de disk, on tombe sur les solo cuts de Keith et notamment «Knowing» avec Jimmy page on bass. Le disk 2 concerne l’année 1967 et donc la formation classique Keith/McCarty/Dreja/Page. Il se pourrait bien que Dreja vole le show à son tour car on le voit foncer dans le tas dès «Happening Ten Years Time Ago». Page fait bien son Beck, il claque tout ce qu’il peut. Toutes ces versions ont quelque chose de fascinant car on entend un groupe extraordinairement en place. Les Yardbirds tournent comme une horloge. Dans les interviews, Jimmy Page disait qu’il était vraiment content du groupe. Encore une version explosive d’«Over Under Sideways Down» que Dreja fait ronfler. Dans «Heart Full Of Soul» et «You’re A Better Man Than I», Page joue comme un dieu. Rien à voir avec Led Zep. Il sait ramener un vent de folie quand il faut. Les versions se succèdent au gré des sessions. On entend Page enclencher un «Heart Full Of Soul» au pire incendiaire en 1967 en France et ce coffret devient une vraie bénédiction. Live, les Yardbirds ont mille plus fois d’énergie qu’en studio. Ce disk 2 se termine avec une version d’«Over Under Sideways Down» encore plus explosive que les précédentes, Dreja is on fire, Page in the move, Keith is hot, McCarty is big au beurre et ça explose pour de vrai, rien à voir avec la version studio, on ne sait pas que les Yardbirds étaient à ce point capables de folie Méricourt. Méricourt toujours, bien sûr. Avec le disk 3, on arrive en 1968, et ça fait évidemment double emploi avec le Yardbirds 68 que Jimmy Page vient d’éditer. Dans «My Baby», Page ramène du son qui ne sert à rien. On sent un léger essoufflement. Page rallume la chaudière avec «Think About It» et Chris Dreja fait son John Paul Jones dans la première mouture de «Dazed And Confused». On tombe sur une série de cuts enregistrés dans cette émission jadis mythique, Bouton Rouge. Dreja refait son Samwell-Smith dans Train. Ils sont marrants. Quant au disk 4, il reprend les enregistrement de la BBC et fait donc double emploi avec l’autre box Repertoire, mais bon, c’est pas si grave. On ne se lasse pas d’écouter des mecs comme Jeff Beck. Sur la version d’«I’m A Man» enregistrée en août 1964, ce n’est pas Keith qui chante mais un certain Mick O’Neil. On entend des belles envolées de Samwell-Smith dans la version de «Respectable». Il peut être vertigineux. Fin de la période Clapton en mars 65 avec l’arrivée de Jeff Beck sur «I’m Not Talkin». Il joue avec une réelle violence. Il explose un peu plus loin le vieux «Spoonful». Cette version vaut tout l’or du Rhin. C’est d’une classe sans équivalence à Valence. Beck nous la claque sec et net, épaulé par le beat rebondi du géant caoutchouteux Samwell-Smith. Beck est à nouveau on fire dans «I’m Not Talking», vieux standard inutile mais joué dans les règles du Beck. Il pèse de tout son poids dans les Yardbirds. Avec «For Your Love», il touche de nouveau à l’imparabilité des choses de la vie. C’est comme de conduire une Guiletta sous acide : magic carpet ride. Beck ramène des crocs à tout va et c’est avec sa reprise de «The Stumble» qu’il emmène les Yardbirds au firmament. Laisse tomber Mayall. C’est cette version qu’il faut écouter, Beck remonte les bretelles du vieux cut de Freddie King et derrière lui, ça joue. Eh bé oui, c’est les Yardbirds ! Ça se termine avec les deux versions de «Beck’s Boogie» présentes elles aussi dans le box BBC. Beck est LE guitariste anglais par excellence, on ne se lasse pas de l’entendre jouer, il fait de la haute voltige, à la fois lumineux et ultra-moderne, il sait claquer une pompe et rester dans le rave-up.

Avec le DVD que Repertoire a glissé dans sa box, la fête continue et c’est très intéressant de voir Keith en 1964 chanter «Louise». Il a une certaine classe. On ne dirait pas qu’il est asthmatique. Ah les journalistes, il faut toujours qu’ils exagèrent ! Clapton joue sur une Tele. Parfaitement à l’aise, Keith alterne ses parties chant et ses coups d’harmo. Ils sont incroyablement crédibles, comme l’étaient tous ces groupes anglais en 64. Puis avec Train en 66, on assiste à un coup de rave-up, Beck fait son sale punk sur Les Paul, il harnache un heavy rumble, Samwell-Smith joue au pouce. Il refont Train en France en 66, habillés en blanc et cette fois Jimmy Page est au bassmatic. Ils enchaînent avec Over Under et là Page fout le souk dans la médina avec son drive de basse demented. C’est certainement l’attaque de bassmatic la plus violente de l’histoire du rock, hey, les Yardbirds font les chœurs, hey ! et Page descend au bas du manche pour exploser les ovaires de l’Over. En 67, Page passe à la Tele, ils jouent Shapes en Allemagne. Keith a le cheveu court, mais une belle présence. Il est essentiel de voir ce footage fou pour mesurer la grandeur des Yardbirds. Ils refont l’Over Under, et chaque fois on frétille. Une autre séquence nous montre les Yardbirds en France en plein air en 67. Page porte sa veste trois-quarts brodée. Keith contourne les obstacles du chant pour éviter de forcer sa voix, il évite les montées sur Better Man, il ne grimpe pas, il opte pour l’effet judicieux. L’Over Under reste le meilleur rave-up des Yardbirds. Tout ça se termine avec Bouton Rouge en 68. Page en jabot, Keith porte une petite moustache blonde, ils jouent Dazed, notes psyché, Tele peinte, c’est dingue comme ce son a pu nous marquer. Avec les Yardbirds, Jimmy Page fut plus sauvage qu’il ne le fut jamais avec Led Zep.

Keith n’a que 25 ans quand il quitte les Yardbirds, épuisé par cinq années de tournées. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Fini le kid souriant des Clapton days. Son but est de retrouver le calme et il monte Renaissance avec Jim McCarty, sa sœur Jane et Paul Cennamo, ex-Herd, devenu session man virtuose. Ils embauchent John Hawken des Nashville Teens. Keith joue de la guitare. Ils font une musique beaucoup trop ésotérique pour leur époque et se grillent auprès des fans des Yardbirds. Mais Keith dit que les kids ont vieilli, puisqu’un groupe de vieux comme Jethro Tull peut avoir du succès. Il cite en outre comme nouvelles influences Fairport Convention, Joni Mitchell, Tim Buckey et Tim Hardin, d’où le son de Renaissance. Leur premier album s’appelle tout bêtement Renaissance et sort sur Island en 1969. On s’épate de la pochette. Elle s’orne d’une toile d’un certain Claude Génisson, The Downfall of Icarus, mais on s’épate moins de la musique elle-même, très prog. En fait ce sont les surdoués du groupe qui mènent le bal, dès «King & Queens», ils s’élancent dans un délire prog ambitieux joué à l’Andalousie méritoire. Ils sont extrêmement déterminés. Cennamo et McCarty fournissent le pulsatif. Toute trace de la pyschedelia des Yardbirds a disparu. On entend Keith claquer sa wah dans «Innocence», il essaye de redresser la barre, c’est un bon gars, il ne baisse pas les bras. Mais Hawken et Cennamo volent le show. Who needs prog ? Certainement pas nous. On voit Cennamo se fondre dans la toile d’«Island» et là ça devient énorme, ils montent en pression harmonique avec un Keith à l’unisson du saucisson. En fait ces mecs s’amusent, comme tous les musiciens de prog. Cennamo vient comme un page se greffer à la florentine sur la cuisse d’un prélude de clavecin et Hawken emmène l’assaut final, «Bullet» qui dure 11 minutes. Sérieux client que ce Hawken, qu’on retrouvera d’ailleurs dans Third World War. Il mène bien sa barquette. On imagine la gueule des fans des Yardbirds. «Bullet» passe assez vite en mode groove à la Doctor John, Ils font du Splinters, ils sont capables de belles échappées belles, mais comme dans toutes les histoires de prog, ça dégénère, ça devient oblique, bruitiste, pas motivé, un brin d’avoine de tue l’amour toujours. Cennamo fait ses gammes et on finit par se sucer l’os du genou, tellement on s’ennuie. Renaissance aurait pu s’appeler Miscarriage. Et des stridence algorythmiques renvoient l’audimat dans l’hors du temps, à l’image de l’Icarus de Claude Génisson.

Enregistré en 1971, Illusion est un album surprenant. Pour ce deuxième album, Renaissance opte pour une pop libre. Dès «Love Goes On», on les sent libres de leurs choix et de leurs dynamiques. Jane chante comme elle a envie de chanter, n’allez pas les importuner en leur disant ce qu’ils doivent faire. Et puis avec une telle section rythmique, ils sont à l’abri du besoin. On sent chez eux une certaine paix intérieure, même si ça passe par la voie de la prog. Ils proposent avec «Love Is All» une petite pop à prétention hymnique, mais c’est solide, ça dure trois minutes et donc l’oreille gère ça bien. Ils passent d’un genre à l’autre sans prévenir et dans «Face Of Yesterday», on voit Louis Cennamo suivre à la note la mélodie piano. C’est assez puissant. Le plus marrant c’est qu’il s’agit d’une compo de Jim McCarty. Jane chante ça comme si elle chantait du Michel Legrand. Incroyable que cet album soit passé à l’as car il est très beau, très digne, Jane chante superbement, John Hawken pianote comme un dieu et Cennamo suit la mélodie à la trace. Pure merveille. Puis avec «Past Orbits Of Dust», ils s’engagent résolument dans la prog. Ils développent des choses extravagantes. C’est la vision de Keith, elle est bonne. Rien à voir avec le prétendu folk dont parlent tous les critiques qui n’ont pas écouté l’album. Cennamo swingue les transitions, il devient un bassmatiqueur fantasmagorique, Jane est portée par la vague. Keith joue les parties de guitare sur le drive de Cennamo, c’est plein de tact d’attack, Cennamo se révèle toujours plus brillant, alors Keith joue des accords à la reculade et l’ensemble éberlue pour de bon. Jane revient sur le groove et l’album prend une dimension irréelle. McCarty bat ça jazz, Cennamo groove comme un dieu du Péloponèse, on a là une sorte de prog parfait, certainement l’une des plus belles échappées belles du rock anglais. Leur délire de prog évolutif dure 14 minutes.

Le problème, c’est que Renaissance se trouve embarqué dans les tournées américaines comme au temps des Yardbirds et ça ne pardonne pas. Le premier à craquer, c’est McCarty. Paul Cennamo : «Je pense que c’est revenu trop tôt pour eux, après le stress des tournées avec les Yardbirds. Avec Renaissance, ils voulaient faire quelque chose de plus paisible, mais le music business n’est pas paisible et ça ne pouvait pas fonctionner.»

Après avoir quitté Renaissance, Keith fait un bout de chemin avec Medecine Head et s’installe à la campagne, in Staffordshire. Il s’achète une basse et joue avec John Fiddler. Ils enregistrent ensemble Dark Side Of The Moon, le troisième album de Medecine Head au studio Olympic. John Fiddler profite de la parenthèse pour indiquer que le Pink Floyd leur a pompé le titre. Un batteur nommé John Davies vient muscler le son. On sent bien que John Fiddler court après l’inspiration. Cet album propose une succession de cuts assez insignifiants. On éprouve une immense tristesse pour John Fiddler qui semble retourner au néant dont il est issu. On retrouve des accents d’«I’m The Walrus» dans «You And Me», mais les cuts suivants font l’effet d’une douche froide. John Fiddler enchaîne des balades mélancoliques. On sent qu’il n’y croit plus. Il semble abandonné des dieux. Il est épaulé par Keith Relf, loser notoire. John Fiddler entame avec cet album une période de déclin tragique.

En 1974, Keith n’a que 31 ans et sa carrière semble terminée. Il a quitté les Yardbirds, puis Renaissance, puis Medecine Head, et il se retrouve dans la dèche. No new money coming in. Quand sa femme April le quitte, emmenant leurs enfants pour aller vivre à Brighton, Keith commence à sérieusement rôtir en enfer.

Puis un jour Louis Cennamo qui jouait dans Renaissance avec lui l’appelle et lui propose de monter un groupe avec Martin Pugh - Oh do you fancy coming to the States and starting a band? - Aller aux States, c’était un crazy plan to crack the big time. Eh oui, c’est Armageddon. Ça tombe bien, ils ont un contact chez A&M Records. Ils proposent à Ainsley Dumbar le job de batteur mais il vient de signer avec Journey. Il leur recommande Bobby Caldwell, l’immense batteur qui joua avec Johnny Winter et Captain Beyond. Dee Anthony accepte de les manager. Anthony est le spécialiste des groupes anglais qui veulent breaker l’Amérique : Humble Pie, Joe Cocker, Jethro Tull et King Crimson, c’est lui. Mais il y a vite des problèmes dans Armageddon, des problèmes de santé et des problèmes de dope. Le groupe se fracture, d’un côté Keith et Cennamo, de l’autre, Pugh et Caldwell.

Armageddon est un big album. Ils passent des mois à répéter pour une tournée qui n’aura jamais lieu. Paru en 1975, l’album s’est noyé dans la masse. Martin Pugh y joue le rôle d’un sorcier du son. On sent la très grosse équipe de surdoués. Sur la pochette, on les voit allongés dans les gravats, mais ils se comportent comme des princes du prog. Pugh plugs it ! Il vrille des torsades définitives dans «Buzzard». Il joue son va-tout, il enfile ses prises de guerre, par derrière et par devant. Il y a quelque chose d’indiciblement barbare dans son jeu. Keith Relf chante comme un hippie. Fini le temps des Yardbirds. Il navigue au long cours, comme s’il suivait la mode. Avec «Paths & Planes & Future Gains», Martin Pugh nous réveille à la cocotte. Il profite de ce groove demented pour ramener toute sa viande. Il fait la loi dans ce cut et part en virée abominable. Il fait le show. On le retrouve en B dans «Last Stand Before», une sorte de rumble de rêve. Pugh joue en embuscade. Puis Armageddon nous propose un long cut intitulé «Basking In The White Of The Midnight Sun» et découpé en quatre épisodes. C’est ce prog bien musclé qu’on détestait tant à l’époque. Pendant que Bobby Caldwell bat ça sec et net, Pugh part en traître et balance quelques retours de manivelle. Il joue en force et Bobby frappe comme un sourd, alors ça prend une drôle d’allure. On les voit piquer une crise et s’emballer avec Basking. Keith rime nights avec rights et Pugh joue des accords liquides. Il se paye aussi une belle partie de wah dévastatrice, il surjoue son riffing et bat tous les records d’insistance. Et ça explose avec la reprise de Basking. On entend même des clameurs d’éléphants, Pugh joue comme un dératé, ça frise le funk et le génie rétributif.

Bien qu’il ait de l’asthme, Keith fume deux paquets de Senior Service cigarettes sans filtre par jour. Il n’arrive même plus à monter les escaliers. Il a une crise, direction l’hosto et on lui annone la bonne nouvelle : il a chopé un emphysème. Bon, il ressort avec son emphysème et rentre chez lui. Et puis un jour, il branche sa gratte, mais pas avec une prise, il enfonce les deux fils dans la prise et pouf, court jus, raide mort. On le retrouve écroulé au sol avec sa guitare.

Pour lui rendre un dernier hommage, Repertoire sortait en 2020 une petite compile fourre-tout intitulée All The Falling Angels (Solo Recordings & Collaborations 1965-1976). L’objet se destine bien évidemment aux die-hard fans des Yardbirds prêts à tout écouter, y compris Renaissance. On peut y entendre les singles qu’enregistra Keith en solo, alors qu’il était encore dans les Yardbirds. «Mr Zero» n’a pas grand intérêt, mais «Knowing» impressionne au plus haut point. Keith est servi comme un prince, avec une belle pop de swinging London. On croise aussi pas mal de démos foireuses comme celle de «Glimpses» et il faut attendre «Shining Where The Sun Has Been» pour retrouver la terre ferme, car voilà un cut assez pur, plein d’écho et gratté dans l’azur marmoréen. Pour un asthmatique, Keith s’en sort plutôt bien. Tiens voilà un balladif d’excellence de la traînasse : «Love Mum & Dad», co-écrit avec McCarty. Haut niveau, brillant laid-back, ils sortent un son fantastique. Encore une surprise de taille avec «Together Now». Keith chante vraiment bien. On s’émeut encore à l’écoute de «Line Of Least Resistance», une belle pièce de psychedelia. Mais après, ça se gâte at the gate of dawn. Keith compose des choses ambitieuses qui n’obtempèrent pas et soudain arrive la surprise : «I’d Love To Love You Till Tomorrow», une belle pop tendue vers l’avenir comme une bite au printemps, mais Keith qui n’aime pas la gloire fait tout pour que ça reste ordinaire. Dernier coup d’éclat avec le morceau titre, beau comme tout et joué au feeling pur, violons et basse, «All The Falling Angels» crève l’écran. Il aurait dû appeler ça «All The Electrocuted Angels».

Signé : Cazengler, Yardburne

Yardbirds. Five Live Yardbirds. Columbia 1964

Yardbirds. For Your Love. Epic 1965

Yardbirds. Having A Rave Up With The Yardbirds. Epic 1965

Yardbirds. Roger The Engineer. Columbia 1966

Yardbirds. Little Games. Epic 1967

Yardbirds. Yardbirds ‘68. JimmyPage.com 2017

Yardbirds. Live At The BBC Revisited. Repertoire Records 2019

Yardbirds. Live And Rare. Repertoire Records 2019

Armageddon. Armageddon. A&M Records 1975

Medecine Head. Dark Side Of The Moon.

Keith Relf. All The Falling Angels. (Solo Recordings & Collaborations 1965-1976) Repertoire Records 2020

Renaissance. Renaissance. Island Records 1969

Renaissance. Illusion. Island Records 1971

Mick Wall : Shapers of things. Classic Rock #245 - February 2018

David French. Heart Full Of Soul: Keith Relf Of The Yardbirds. McFarland & Co Inc 2020

 

L’avenir du rock

Dans l’air du Temples

 

Temples, c’est encore une histoire de buzz. Chacun sait que l’avenir du rock ne se nourrit que de buzz. Comme les gros singes, il va chercher le buzz dans les branches des arbres. Grâce à Frédéric Rossif, on a vu l’avenir du rock se régaler en se léchant les doigts, buzz buzz buzz.

Ce buzz-ci tient bien ses promesses car Sun Structures paru en 2013 fut un excellent premier album, et ce dès «Shelter Song». On s’épatait du pointu des guitares et le son éclatait non pas au Sénégal avec sa copine de cheval mais dans le bel écho du temps. Et pourtant, ces trois Anglais semblaient avoir trop de répondant. Ce beau psyché paraissait louche, comme si les Temples exhibaient ces deux mamelles que sont les chœurs parfaits et la belle ampleur. Petit à petit, «Shelter Song» tournait à la bénédiction, ça sonnait comme une tempête sous le vent et leur bouquet garni de chœurs donnait le vertige. Nous sachant conquis, ils enchaînaient avec le morceau titre, une belle aubaine de mad psychedelia. Ils traversaient un océan stroboscopique. Par contre, «Keep In The Dark» sonnait comme un hit extraordinairement pop, agité par une fantastique pression de stomp. Ils semblaient disposer de tout le son du temple. Nous n’étions pas au bout de nos surprises car on découvrait à la suite un «Move With The Seasons» plus lent, mais terriblement évolutif. Ça sortait du bois au détour d’un couplet, cette petite pop posait son cul dans la légende des siècles, elle semblait vouloir s’inscrire dans l’élongation psychédélique avancée, elle paraissait à la fois surélevée et infinie, d’obédience quasi-évangélique, comme surchargée de Spector Sound. Ils stompaient ensuite «Colours To Life» et battaient bien des records d’ampleur. On avait donc là un album gorgé de big sound entreprenant. Ils s’inscrivaient encore dans le lard de la matière avec «Test Of Time» et jouaient «Sad Dance» aux heavy chords de bonne taille. Ces mecs brillaient dans l’univers comme des étoiles. Anglais jusqu’au bout des ongles, ces trois Temples étaient beaucoup plus qu’un buzz. C’est d’ailleurs le fameux Shindig! 50 qui les mit au firmament des Shindigers, en compagnie de 49 autres albums monumentaux.

Leur deuxième album s’appelle Volcano. Ils vont plus sur les machines avec leur volcano. Pour un groupe à vocation psyché, c’est une faute. Le chanteur fait son biz de soft comme il peut, mais le son est un tue-l’amour. Trop de machines, laisse tomber la pluie, affreux connard. Jamais les Heads ni les Vibravoids ne se seraient permis un tel écart de conduite. James Bagshaw se prend pour Bowie avec «Oh The Saviour», mais avec un son inepte. Pourra-t-on jamais lui pardonner cette incurie ? Retour au big sound avec «Born Into The Sunset», mais les vagues de synthé ruinent tous leurs efforts. Les Temples sont à la merci des machines. C’est incroyable comme un groupe peut se couler en faisant les mauvais choix de son. Bagshaw chante «Open Air» d’une voix de femme, sur le beat de «Lust For Life». Étrange conglomérat. C’est pourtant le gros cut de l’album. Puis ils font de la pop spectaculaire avec «In My Pocket» alors qu’on ne s’y attend pas. Il faut saluer le retour des belles dynamiques. Bizarrement, l’album redevient intéressant à mesure qu’on avance. Ils claquent un bon climat dans «Celebration», des vagues salées viennent lécher les falaises de marbre qui adorent qu’on vienne les lécher. Vas-y lèche-moi, font-elles avec des soupirs. Ils finissent par regagner des suffrages à Suffragette City. Quel album surprenant ! Autant Bagshaw déplaît au départ, autant il rafle la mise avec des trucs comme «Mystery Of Pop». Il fait du glam à la petite semaine avec «Roman God-like Man». Bagshaw vole le show, il a de la suite dans les idées, c’est vraiment le moins qu’il puisse faire. Forcément, un titre comme «Roman God-like Man» ne peut être que glam. Il termine avec un vieux shoot de n’importe quoi qui s’intitule «Strange Or Be Forgotten». Enfin, si ça l’amuse, c’est le principal. Aussi surprenant que ça puisse paraître, on voit Bagshaw partir en mode heavy pop de heavy prod et c’est plutôt balèze.

Et puis tout rentre dans l’ordre avec leur troisième album, l’exemplaire Hot Motion. C’est un album de belle pop conquérante, très rundgrenien, chargé d’explosions de son, très travaillé dans les layers, très reposé sur ses lauriers, à l’image du morceau titre. On se fout des paroles, ces mecs sont là pour le son, et plus précisément le wall of sound. «You’re Either On Something» sonne comme un double rebondissement de pop extralucide. C’est l’un des meilleurs sons qui se puise imaginer ici bas, une incroyable perclusion d’extraballe, Bagshaw chante au sucre candy, il est surnaturel d’anamorphisme, sa pop éclate en épaisses volutes déflagratoires. On se croirait chez les Raevonettes. Par endroits, il peut même sonner comme Bolan. Ce disque est produit pour vaincre. Ils attaquent «The Howl» au gras du bide et flirtent avec un glam mal défini, puis ils reviennent à la foire à la saucisse avec un «Context» tellement bardé de son qu’il en devient génial. Encore un cut très puissant avec «The Beam». C’est sur-saturé de prod et de bonnes intentions. Ils sonnent comme des fantômes prodigieux dans «Not Quite The Sam», une pop d’arbalète, une pop de pas de cadeau, chargé de son comme une mule berbère dans les cols du Haut Atlas. Tiens, encore une grosse escalope de pop avec «It’s All Coming Out». On peut même dire qu’elle écrase tout sur son passage. Les Temples font de l’évolutif, ils visent une sorte de démesure et claquent tous les beignets un par un. Leur Coming Out est souligné à l’orgue et aux guitares dévorantes. Nous voilà dans les temps modernes des Temples. Retour à Bolan avec «Stop Down». C’est glammy à souhait, Bagshaw dévoile enfin son jeu. Les Temples battent à leur façon bien des records. Ils bouclent cet album mirobolé du bulbique avec «Monuments». Il n’existe rien de plus function at the junction. Bagshaw chante l’absolu pop power. Les Temples savent enclencher des dynamiques et c’est exactement ce qu’on attend d’un groupe : la science de l’enclenchement. On se souviendra de cet album comme d’un album bardé de son et du meilleur.

Ne te fais pas de souci pour l’avenir du rock.

Ah autre chose : début mars 2020, juste après le set des Lords Of Altamont, nous papotions dans le grand hall. Il planait déjà comme une menace dans l’air et à un moment, Nathalie déclara : «J’espère qu’ils ne vont pas nous supprimer le concert des Temples !». Les Temples devaient jouer le 20 mars 2020 et bien sûr, le concert fut annulé, en même temps que notre liberté de circulation. On ne remerciera jamais assez la Gestapo de nous avoir permis de survivre à l’épidémie de peste noire. Histoire de se vautrer un peu plus dans l’abjection, on irait même jusqu’à rouler une pelle à la Gestapo pour la remercier de cet acte de bienveillance.

Signé : Cazengler, carotte du Temple

Temples. Sun Structures. Heavenly 2014

Temples. Volcano. Heavenly 2016

Temples. Hot Motion. ATO Records 2019

 

*

Etrange, les oisillons ne font plus de bruit. Doivent être malades. Qui s'en plaindrait ? Personne. La Bretagne respire. Nous ont envoyé un message. Un seul mot. Silence. Nous n'y avons pas trop cru, l'était accompagné d'une photo de la dernière moto pétaradante de Pierre. Mais il ne faut pas voir le mal partout, après tout peut-être ont-ils eu une illumination mystique et ont-ils décidé de rentrer dans les ordres, la bécane pour filer au monastère le plus proche, au plus vite. A vrai dire on les aurait plutôt vus s'enfoncer dans les désordres, genre Attila, là où les Crashbirds passent, les oreilles ne repoussent pas, et les bonnes gens trépassent... Il s'avère que nos pressentiment étaient bons. Z'ont encore fomenté un nouveau clip !

SILENCE

CRASHBIRDS

( Clip / You tube / Mai 2021 )

Première image, avant même que ça démarre, idyllique, paradisiaque, écologique. Soleil, herbe type english lawn, s'il n'avait pas sa guitare vous confondriez Pierre et sa chemise à carreaux ( pas un seul de cassé ) avec un gentleman-farmer vaquant dans sa propriété de trois cents hectares, quant à Delphine dans le drapeau rouge de sa veste à carreaux, elle éblouit, une star de cinéma dans une scène culte. Si je m'écoutais oubliant mon plus strict devoir de chrockniqueur je resterais là à rêver au bonheur perdu de l'Humanité. Est-il vraiment nécessaire de lancer le clip, l'injonction SILENCE ne s'étale-t-elle pas en grosses capitales amarantes en haut, à droite.

Pour être franc, connaissant mes volatiles, je me méfie, mes sens sont aux aguets, je ne me suis pas laissé endormir par les deux gâteries que les zoziaux nous tendent. Premièrement, un départ harmonieux, deux belles sonorités de guitares entrecroisées, à cette opération de séduction instrumentale je reste de marbre, alors pour la deuxième entourloupe ils tapent après le sucré dans ce que vous avez de plus sacré ( non ce n'est pas votre carte d'électeur ), ils ne respectent rien, vous traquent dans votre enfance, devant vos yeux émerveillés se dresse brusquement un castelet de guignol, tout blanc avec son rideau rouge encadré de ses colonnes ( imitation ordre dorique Grèce Antique ), du coup vous vous imaginez tout petit sur les genoux de votre douce mamanou, une bouffée émotionnante vous submerge, votre attention se relâche et c'est pourtant dans ces deux secondes de plongée en vous-même que se profile la menace. Elle porte un nom, je ne l'ai pas inventé, il est sur le générique. Comme toute menace qui se respecte, elle s'appelle Max.

J'ai déjà à maintes reprises qualifié la barbichette de Pierre de méphistophélesque, voici la preuve que mes adjectifs ne sont jamais gratuits, de derrière le théâtre surgit un gros matou roux ( la couleur des flammes de l'enfer ) il traverse d'un bond la moitié de l'écran et disparaît au plus vite. Maintenant nous en sommes sûrs, le pire est certain. Pourquoi croyiez-vous qu'ils cachent leur regard derrière des lunettes aussi noires que leurs âmes damnées.

Aiguisez votre sagacité, commence maintenant une séquence assez longue que l'on pourrait qualifier de subluminante, ou de manipulation mentale. Le jeu consiste à vous préparer, à vous amener à accepter en toute bonne foi le message honteux et immoral qui vous sera délivré par la suite. Apparemment ce n'est pas très grave, la musique est bonne, Pierre et Delphine esquissent d'élégants mouvements, et lorsque retentit la cloche à vache vous vous imaginez qu'un paisible ruminant ne va pas tarder à entrer dans le champ de la caméra pour paître l'appétissante pelouse. Ici tout n'est que beauté, rythme et volupté d'écoute.

Le rideau du guignol s'ouvre et apparaissent les marionnettes. Pas vraiment des personnages, des figures découpées dans du carton. De simples amusements ! Non, il est nécessaire de savoir déchiffrer les symboles. Une visite à la ferme, poule, oie, canard, coq, de quoi raviver et ravir votre âme d'enfant, notez toutefois que ces volatiles sont de couleur blanches alors que dans toute leur iconographie nos deux crashbirds se dessinent sous forme de corbeaux noirs au sourire sardonique... voudraient-ils insinuer dans nos esprits qu'ils sont blancs comme la neige ! Tiens l'on quitte la basse-cour, voici le mouton innocent, que disons-nous, l'agneau pascal blanc comme la colombe de la paix qui se charge de toutes nos méchancetés et de tous nos péchés. C'est ici qu'il faut penser à la notion de réversibilité des symboles, certes le mouton est un animal pacifique mais il représente aussi l'imbécile heureux qui se laisse tondre et mener à l'abattoir en toute quiétude.

Et la seconde suivante, tombe le couperet de la guillotine, ou plus exactement on aimerait que tombât le couperet de la guillotine, cette image poétique pour marquer la brutalité de l'apparition, car ce sont deux têtes de la haute cour qui apparaissent. Des gens bien connus de tous, qui ont été élus présidents de la République, s'agitent et gesticulent, seront rejoints par un troisième larron ( sans doute pour une partie de poker menteur ), la musique se fait plus violente et pour que vous compreniez mieux le message c'est la tête de Delphine qui entre dans le théâtre qui leur intime l'ordre de cesser de claironner leurs discours, '' Shut up '' hurle-t-elle en anglais ce qu'en bon français l'on pourrait traduire vu la vigueur de l'intonation par '' Ferme ton claque-merde ! ''.

Bon Dieu, seigneurs tout-puissants, si le rock devient politique, où tout cela va-t-il nous mener. Si les gens ne croient plus au mensonge des médias, s'ils se mettent à penser qu'un bon coup de balai, un monumental kick out the jam, s'avère nécessaire pour en finir avec ce théâtre d'ombres... et ces maudits volatiles qui en rajoutent ! Imaginez qu'au lieu de se plaindre la populace finisse par se révolter, quel scandale !

En plus c'est bien fait, du bon boulot, z'ont raison d'être contents d'eux et de se prélasser sur leurs transats – un musique qui tranche sec, un vocal de pasionaria, de belles prises de vue, des trucages dus à Rattila Picture, une réussite esthétique, ils vont faire un malheur !

Vous avez raison, Monsieur le Président !

Damie Chad.

 

 

JARS

Un petit single de Jars en attendant mieux, un morceau non utilisé issu des séquences du dernier album Jars III paru en décembre 2020, et un remix. Une pochette un peu différente – l'artwork est de Nikita Rozin - certes le fond noir et le trait blanc du dessin sont préservés mais inversés, la symbolique de la rose épineuse et de l'aigle éployé laisse place à ce que nous nous amuserons à définir comme appartenant à l'esthétique du réalisme soviétique, un jeune homme en équilibre sur son skateboard, bien propre sur lui, une bouteille à la main, attaché-case dans l'autre, que signifie-t-elle ? Que tout mode de vie tant soit peu en rupture identitaire finit par être récupéré par le système marchand ou que la gangrène des comportements déviants tend à lézarder les sociétés sclérosées...

Anton Obrazeena / Pavel / Misha.

Le meilleur des festivals : ne vous leurrez pas le meilleur des festivals ce n'est pas le Hellfest ou toute autre festivité concertique dont tout le monde rêve depuis d'un an, serait-il réduit à la seule prestation d'un unique groupe inconnu au fond d'un bar paumé dans les steppes sibériennes, non toute autre chose : un de ces rêves interdits que l'ordre et la morale réprouvent, ce geste gratuit qui vous traverse l'esprit et que vous n'oserez jamais réaliser par manque d'aplomb et de courage, celui de Jars est des plus simples et des plus percutants puisqu'il s'agit de filer un grand coup de poing sur la gueule d'un flic, hélas notre héros ne s'en sent pas capable, un autre le fera à sa place, c'est ainsi que l'on vit ses désirs les plus fous par procuration, est-ce là l'explication à la fan-attitude rock'n'rollienne, ne nous perdons pas une discussion oiseuse, écoutons : grêlons lourds sur toit de tôle suivis d'averses sans fin de grésil, batterie obstinante, hennissements de doigts sur les cordes chuintantes, des élans successifs qui n'éclatent pas, poursuite d'un rêve inassouvi, rejeté, repris, jamais assumé, désir clignotant qui ne sait pas vers où se tourner, et c'est l'éclatement des frustrations accumulées depuis l'enfance qui déchaînent le vocal, vomissement de haine froide, final en grande pompe une silhouette se détache sur le rougeoiement d'un soleil noir, c'est le crépuscule du héros qui a failli à sa mission, qui se retrouve au pied du mur intérieur qu'il n'a pas franchi. Moscow doesn't believe in tears : remix de Frailtyline ( une fan anglaise qui n'a rien rajouté aux sons de l'original ) : difficile de reconnaître le morceau original ( voir in Kr'tnt ! 493 du 14 / 01 / 2021 ) qui dépasse les dix minutes et celui-ci ne parvient pas à dépasser les trois minutes, plus qu'un remix j'évoquerais plutôt le concept cinématographique de montage, évidemment ici sonore, une espèce d'alignements d'échantillons, un peu comme quand vous disposez sur la table de la cuisine tous les ingrédients dont vous allez vous servir pour préparer votre plat, tout est là mais il manque l'essentiel, les premières secondes sont les plus réussies, cette monstrueuse clinquaillerie de cymbales, homard retiré de l'aquarium qui se débat pour ne pas être ébouillanté vivant et mangé à la sauce armoricaine sont magnifiques, mais ensuite c'est la cuisson rythmique à feu doux, certes vaseuse et funèbre, il manque aussi le soufre ardent du vocal.

Damie Chad.

 

INCIDENTS

BLACK INK STAIN

( P.O.G.O RECORDS / ATYPEEK MUSIC

ARAKI RECORDS / DAY OFF RECORDS )

( Avril 2021 )

Incidents, incidents, ils y vont fort si l'on en juge par la pochette, ce serait plutôt incendie, ne subsiste pas grand-chose du bâtiment, juste la structure noyée dans un océan de flammes, une charpente noircie, pas de souci à se faire, dans un quart d'heure il ne restera plus rien, rien que des cendres, d'ailleurs ils ont omis les couleurs rougeoyantes et rutilantes, n'ont gardé que noir, gris, et blanc, genre faire-part de deuil imagé pour vos illusions au cas où vous seriez du genre optimiste qui assimilez la musique à un agréable passe-temps. Inutile de leur chercher noise, ils font du noise.

Trois de Clermont-Ferrand : Fab : guitare, vocal / Jean : basse, backing voices / Ugo : batterie.

Slice of pain : un motif sonore, et un ouistiti qui sautille en contrepoint, le genre de truc qui ne fait pas particulièrement peur, mais très vite vous vous apercevez qu'ils ont décidé de s'en prendre spécialement à vous, d'abord le volume sonore en hausse, là on ne moufte pas, quelque part c'est la règle du jeu, mais ils reviennent vous titiller le système nerveux l'air de rien, une espèce de triptyque fondamental qu'ils épicent et martèlent à chaque fois sous un nouveau déguisement tintamarresque, jusque là ce n'est pas grave, vous encaissez, et vling ils rajoutent le malheur de l'œil crevé exprès pour vous pousser dans vos retranchements, le vocal de Fab vous mord les talons à pleines dents, et tout se dérègle en un long tortillis qui finit en générique de film d'horreur, juste pour faire monter l'adrénaline avant l'invasion des araignées géantes, magnifiques hurlements de fin du monde. I see you dead : le genre de déclaration d'amour que vous aimez, ils envoient la sauce au sang sans faiblir, sont partis pour vous saigner de belle façon, le Fab vous hurle toute la haine du monde dans vos oreilles, et tout compte fait vous trouvez ça beau, alors ils ralentissent le tempo pour que vous preniez compte du peu de temps qu'il vous reste à vivre, Ugo tonne à la batterie, la guitare lance des éclairs et à la basse Jean se sert de la lymphe qui coule de votre corps pour cirer le plancher. Sans façon : vibrations cordiques, manœuvres au sifflet, quelques coups d'enclumes et la catastrophe déambule vers vous, sans se presser, une espèce de papier calque géant qui se colle à vous et appuie de plus en plus fort, des tubulures surgissent du néant et tournent leur tentacules vers votre chair ensanglantée, rigoles de sang, fontaines de jouvence mortelle. Non merci, sans façon. STO2 : entrée rock, brûlante et au laminoir, la voix de Fab rageuse et aplatie, vous avertit mais avec cette masse sonore qui tombe sur vous, c'est trop tard, la batterie riffe à coups de riffles, tout s'emmêle le son n'a plus de sens, vous souhaiteriez que l'urgence s'arrête mais la pression augmente, tout semble s'éloigner, c'est pour mieux revenir mon enfant, et vous voici cassé et concassé, tassé et entassé, désordre moral et perfidie insane. STO de sinistre mémoire. Stuck : cordes de basse à vous pendre, l'air brûlant d'une guitare qui danse le scalp de votre chevelure piétinée et souillée de crachats blafards, c'est mal parti, donnent l'impression de jeter tout le son comme un sous-marin touché-coulé qui se défait de ses torpilles pour détruire en un dernier feu d'artifice le monde et l'emporter avec lui au fond des abysses. Touché-collé. Pont des goules : un endroit certainement charmant, mais cette musique poisseuse vous détrompe et vous détrempe le cerveau à l'acide, le Fab devrait s'abstenir de son vocal racloir parfaitement désagréable, lui-même ne le supporte pas, il se met à crier sans rémission et derrière l'armada déboule sur vous, vous pensez que c'est la fin qui approche, pas du tout, prennent leur temps avec cette batterie spongieuse et ces cymbales cliquetantes, et vlang, une dernière tournée, le coup de l'étrier avec le cheval qui piaffe de bonheur sur le tapis de votre chair charpie. Frozen stance : surimi vivant de basse surgelée, le poëte Fab vous décapite ses octosyllabes à la manière d'un cyclope qui recrache la tête des olives humaines qu'il est en train de croquer, un morceau qui fait froid dans le dos. Alors ils en rajoutent des tonnes pour vous réchauffer. Déversent du décibel avec sadisme et cruauté. Froideur absolue. S.O.M.A. : rien qu'à entendre l'intro vous somatisez grave, ils inaugurent une plaque tectonique d'un nouveau genre, Fab qui vitupère dans les creux des ondulations et la masse sonore qui appuie de toutes ses forces dans les pleins. Je vous plains. Tiens déjà terminé. Hélas, c'était une fosse fin, ça recommence mais ce coup-ci c'est plus inquiétant, tapent dans le registre de l'angoisse. N'ayez pas peur, le pire était à venir. Finition apocalyptique de toute beauté. Derniers coups de merlin sur de tubéreuses protéiformes caverneuses un enchantement.

Bruiteux et musical en même temps. Pas un seul morceau faiblard qui plombe l'ambiance. Ces Incidents qui forment le premier album de Black Ink Stain revêtent d'une tache noire l'innocence perdue des jours à venir.

Damie Chad.

*

Voici quinze jours nous étions en Californie. Pas exactement à San Francisco en 1966, un tout petit plus bas à San José, de nos jours, nous restons dans la même mouvance avec des groupes comme Gulch, Sunami et Drain, sur lequel nous nous attardons en cette livraison. Ne sont pas tous seuls, sont entourés d'un public qui ressemble à leur musique, brutale et sans chichi. Du hardcore sans exclusive, mâtiné de sonorités metal, punk, grind, trash, straigh edge, noise et tout ce qui fait du bruit. Du core à core.

 

CALIFORNIA CURSED

DRAIN

( Avril 2020 )

Premier album du groupe, l'a été précédé les deux années précédentes de morceaux qui se retrouvent sur l'opus. A première vue une pochette passe-partout mais qui n'arrive nulle part. Votre conditionnement scolaire déclenche la touche, l'aurore aux doigts de rose avec les palmiers de l'île paradisiaque au loin, mais cette mer couleur de sang séché n'est pas vraiment engageante, les cumulus dans le ciel présentent la forme caractéristique des étrons et les ailerons de requins ne sont en rien engageants. Des planches de surfers dégarnis de leurs occupants sous-entendent que nos sélachimorphes ont l'estomac bien rempli. Pour vous en convaincre sur la plage aux détritus visez la cage thoracique. California dream is over. Inutile de sortir votre mouchoir, ce tableau désolant ressemble trop à une vignette de comix pour ne pas vous arracher un sourire. Ce n'est pas parce que notre monde n'est pas beau qu'il est nécessaire de sombrer dans le désespoir le plus noir. Arrêtez de vous plaindre, apprenez à jouir de la vie.

Sam Ciaramitaro : vocals / Cody Chavez : guitar / Justin Rhodes : basse / Tim Flegal : drums.

Feel the pressure : mouettes plaintives et vagues déferlantes, borborygmes glouglouteurs siphon de WC géant, l'on monte les étages soniques, crashs de cymbales scandent le départ d'une batterie épileptique qui pousse en avant le godet monstrueux de la basse et le halètement saccadé du moteur de la guitare, drumerie en action, vocals enfoncés dans la gorge, enfin expulsés, cris de haines et affirmation de soi, revendications différentielles, la guitare de Chavez se déchire sur les barbelés électrifiés de la bienséance comportementale, court-circuit incendiaire, toujours ces cymbales qui cinglent l'œsophage, déchaînement monstrueux qui débouche sur Hyper vigilance : Drain fonctionne comme le Led Zeppelin du pauvre, pas le temps d'artitiser et de funambuliser, ici, c'est plus fort et plus vite, l'on ne cherche pas le speed mais la cassure qui se bouscule vers une autre cassure, l'on tire scud sur scud mais la trajectoire n'est pas prise en compte, juste l'impact, car pour aller loin il ne suffit pas d'aller vite mais de raccourcir la route, trivial poursuite entre vocal et batterie, le premier pousse le deuxième, et le second pressure le premier, course en sac explosif sur terrain miné, avec dégagement monstrueux en fin de partie. Sick one : pas tout à fait l'on est déjà dans le morceau suivant, après l'état paranoïaque précédent, l'on accélère le processus ne plus se soucier de soi, éliminer les autres, tuer le mal à la racine, hymne à la destruction pure, quand vous êtes malade éradiquez la maladie, tirez sur tout ce qui bouge. Servez-vous du rock comme d'un hachoir mécanique. Army of one : démarrage en flèche de feu, vocal les doigts dans la prise, batterie démente et les guitares qui construisent des talus de riffs aussi vite qu'elles les détruisent, joie émulsifiante, seul contre tous, seul contre l'univers, le rock comme un miroir auto-glorificateur, perversité narcissique de l'adolescence parvenue à l'âge adulte, le rythme se ralentit pour laisser s'exprimer le déluge glossolalique, éclats de guitares agités tels des oriflammes victorieux, et l'emphase du délire reprend le dessus pour le seul plaisir égotiste d'atteindre à la jouissance phatique de sa propre unicité, lancée à la face du monde telle une grenade assourdissante. Character fraud : trop c'est trop, retour du bâton, auto-flagellation accusatrice, ô insensé qui crois que je ne suis pas toi, remarquez ce n'est pas le genre d'acte restrictif qui amène Drain au calme de la réflexion, peut-être ce morceau est-il plus violent que les précédents, au niveau vocal certainement, cette espèce de mea culpa est encore plus agressif que les cinq premiers assauts. Hollister daydreamer : ce n'est qu'un rêve de guitare fluide, très vite la guitare brûle de toutes ses larmes, pas de panique, cela ne dure qu'une minute. White coat syndrome : Drain draine le mal et la folie, vous applique des compresses d'acide sur vos plaies intérieures, la batterie comme le supplice de la roue se joue de vous, les guitares compriment vos cauchemars, vous êtes fait comme un rat, tumultueuses décharges radiographiques, terrible révélation, la société malgré votre rock chalumeau est plus forte que vous. The process of weeding out : la momie se relève de la table d'opération, elle a arraché ses bandelettes, elle est revenue du pays de la mort, vivante, elle hurle, elle exulte de rage, chaque mot est une bombe, la batterie bombarde sans retenue, basse hurlante et attaque de guitare en piqué, Drain n'est pas venu pour apporter la paix de l'âme mais le triomphe de la volonté de puissance. Bad Faith : profession de foi, la mauvaise, l'anarchiste, la stirnérienne, vivre uniquement pour soi et selon soi, la voix s'étrangle, la langue est devenue serpent à deux têtes, le jardin des délices s'équalise en l'éden des supplices. Riffs à la mitraillette, la batterie assénée en coups de batte à base ball, vous n'aimiez pas le rock, désormais vous le détesterez. California cursed : le morceau du retour, c'est ainsi que se terminent tous les bons disques de rock, at home, comme l'escargot dans sa coquille, comme la flamme dans la poudre, au cas où vous n'auriez pas compris, après deux minutes de speed ultra compressé, vous avez droit à dix secondes de country. Passé à la moulinette.

L'ensemble ne dépasse pas les vingt-deux minutes – ne confondons pas quantité et déperdition d'énergie - quelques secondes supplémentaires et ils arrivaient à vingt-trois, le chiffre de l'Eris, la déesse du kaos.

Le dernier morceau existe aussi en vidéo-officielle. Le hardcore de Drain s'écoute très bien avec des images. Leurs disques sont colorées et ils soignent leur merchandising. Si vous voulez en savoir plus se reporter sur YT par exemple sur les 12 minutes de la vidéo : Drain 02 : 02 / 08 / 2020 enregistré lors de la prestation du groupe au LDB Fest. Il y en a d'autres plus virulentes. Le public est essentiellement composé de garçons... Un peu brutal diront les filles. Z'oui mais un véritable public rock. N'ont pas inventé le hardcore californien mais en sont les dignes héritiers. Fun, Fun, Fun, comme disaient nos ancêtres les Beach Boys voici un demi-siècle. Mais il est nécessaire de savoir s'adapter, aujourd'hui les vagues sont plus hautes et les requins ne sont plus exclusivement dans l'écume et les flots azurés... Faut bien que les gamins s'amusent, surtout quand les temps tournent à l'aigre...

Damie Chad.

 

Tout vient à point pour qui sait attendre. Donc voici l'autre moitié, pas du ciel, plutôt de l'enfer, plus prosaïquement la face B du split que Sunami a partagé avec Gulch voir notre chronique sur Gulch dans notre avant-dernière livraison509.

SPLIT

SUNAMI / GULCH

( 2021 / Triple B Records )

Ce n'est pas un hasard si Sunami et Gulch se sont retrouvés sur ce disque. Sunami est constitué de membres provenant de Drain, Gulch, Hand of God et Lead Dream, ces quatre groupes faisant partie de la scène hardcore californienne actuelle. Si Josef Alfonso est le shouter boy de Sunami, il passe beaucoup de monde derrière le micro lors des trois EP produits par le groupe. Davantage une réunion de copains qu'un véritable projet. Ces deux titres n'étaient pas particulièrement prévus, mais le public n'avait pas oublié les deux premières tranches de pain d'épice au piment de Cayenne.

Step up : une avoinée de haine comme on les aime, se sont mis à trois pour le vocal et ça s'entend, la batterie sonne la charge mais lors de l'attaque des tranchées à la baïonnette les guitares attendent que les voix se soient tues pour lancer l'assaut perforatif. Die slow : crève lentement que tu aies le temps de souffrir, les musicos te passent le rouleau compresseur sur le corps pour que tu aies la possibilité de réfléchir sur ton triste sort, pas de chant, des imprécations théâtrales, mais quand la colère se déchaine, vous comprenez que les avertissements préparatoires n'étaient pas de vaines promesses.

Damie Chad.

 

IMMUABLE JOAN

MARIE DESJARDINS

( Le Mag / Profession SpectacleMai 2021 )

En règle générale quand on parle d'un chanteur ou d'un musicien on l'aborde par ses productions musicales. Suffit de se laisser mener de disque en disque, de concert en concert, etc... Facile de choisir le bon fil : le déroulé de sa carrière. Je ne dis pas que c'est du tout cuit, mais au moins vous savez où vous mettez les pieds. Mais parfois derrière l'artiste on cherche l'homme. Ou la femme. Entre le fan les yeux fermés qui ne se pose pas question, qui gobe l'œuf et la poule d'une même mouvement et celui davantage sourcilleux qui s'interroge pour savoir si tel ou telle correspond à ses propres catégories d'analyse, la distance peut se révéler prodigieuse... Pour prendre un exemple personnel, j'adore l'album Craveman de Ted Nugent et pourtant ses prises de position politiques me rebutent au plus haut point même si je pense qu'il existe une certaine logique corrélative entre la violence de sa musique et ses brutales assertions idéologiques. Lorsque l'on aborde ce genre de sujet l'on est vite confronté à ses propres nœuds gordiens, et souvent se refuse à notre disposition l'épée d'Alexandre pour trancher dans le vif de nos contradictions, bref nous manquons de courage pour nous affronter à nos intimités et nos inimitiés viscérales, nos choix instinctifs et nos préférences innées... qui sont au fondement de notre personnalité sociale et de notre idiosyncrasie individuelle.

Donc Marie Desjardins et Joan. Pas Jett. Baez. Bien sûr que Marie Desjardins apprécie hautement Joan Baez. C'est une grande chanteuse, une grande interprète me corrigerait-elle avec raison aussitôt. Une voix de tourterelle d'une limpidité absolue. Quiconque peut lui en préférer une ou plusieurs autres, là n'est pas la question. Joan est aussi ce qu'en notre doux pays de France l'on nomme une chanteuse engagée. Comprendre selon nos critères nationaux, à gauche. Pour rester sur le sol américain, elle participa aux marches civiques ( lutte des noirs ) et aux manifestations anti-Vietnam ( contre la guerre impérialiste ). Genre d'endroits où elle ne risquait pas de rencontrer Ted Nugent ! Aujourd'hui Joan Baez aborde fièrement ses quatre-vingts ans. Le temps a passé, elle n'a rien renié de ses engagements, elle ne s'est pas excusée, elle reste fidèle à ses prises de position, relisez l'adjectif ( vraiment ) qualificatif que lui décerne Marie Desjardins dans le titre de la chronique, Immuable Joan Baez. L'on a assisté pendant ces quarante dernières années, parmi nos dirigeants politiques, pour ne citer qu'eux, tant de retournements de vestes et de grotesques palinodies que l'on ne peut que s'incliner devant tant de constance.

Mais il y a plus. Marie Desjardins nous le rappelle. On y pense moins, ou plutôt on en parle moins. Nous l'avons noté dans la chronique ( in Kr'tnt ! 221 du 05 / 12 / 2015 ) de ses mémoires Et une voix pour chanter, Joan Baez a eu le courage intellectuel et physique de mettre ses actes en accord avec ses idées. Contre la guerre du Vietnam, elle ne se contente pas de défiler et des signer des pétitions qui vous donnent bonne conscience, citoyenne américaine en opposition à son gouvernement, elle se rend au Vietnam pour témoigner, sous les bombes, des destructions et des victimes perpétrées par les avions de son pays. Une femme courageuse. Devant laquelle l'on ne peut que s'incliner.

Tout cela Marie Desjardins le raconte. Elle n'omet pas non plus les aspects moins plaisants de la chanteuse. C'est Joan Baez en personne qui l'énonce calmement face à la caméra. La douce Joan avoue qu'elle a parfois privilégié sa carrière à ses enfants. L'on n'est pas surpris, elle n'est pas la seule dans ce cas, l'on passe l'éponge, la rançon de la gloire, l'attrait de la célébrité... Il y a plus grave. Elle aurait pu le taire. Mais elle le dit. Elle a demandé à sa petite sœur Mimi ( Farina ) Baez de mettre sa carrière en veilleuse, ayant peur qu'elle lui fasse de l'ombre... Pas très beau, du coup avec cet aveu la part d'ombre de Joan se teinte d'une trouble opacité...

Apparemment ici je m'éloigne des points soulevés par la chronique de Marie Desjardins qui n'évoque en rien d'une manière précise ce morceau de Joan Baez, The night they drove old Dixie Down qui est mon préféré de sa discographie ( je ne la connais pas en son intégralité ). La version qu'elle en offre me semble supérieure à celle de son créateur Robbie Roberston avec son groupe The Band. Elle est même meilleure que celle qu'en donnera Johnny Cash. Nos deux artistes la déclament d'une manière un peu pompeuse ou funèbre. Cela se comprend, le morceau évoque la disparition du vieux Sud. Pas du tout passéiste ou triomphaliste. Ne s'inscrit pas dans un registre de parti-pris politicien revanchard, simplement la guerre vue du côté des petites gens. Joan Baez y insuffle un souffle et une vivacité qui manquent à nos deux compères. Le sujet est empreint d'émotion et de tristesse, mais pour notre folkleuse de l'Est progressiste – elle n'hésite pas à modifier le texte pour en gommer des aspects qu'elle juge trop outranciers - la défaite du Sud réactionnaire, malgré toutes les souffrances subies par sa population, est quelque part un pas en avant de l'Humanité, l'abolition de l'esclavage est un progrès...

Tout ce qui précède pour en revenir au texte de Marie Desjardins. Un nouveau personnage vient d'entrer en scène. The Band aura été le groupe de scène de Bob Dylan. Des vieux briscards qui précédemment accompagnaient Ronnie Hawkins, mais avec Dylan nous rentrons dans la grande histoire du folk, celle de ses années triomphales, celle à laquelle Dylan portera un coup fatal en commettant le sacrilège d'électrifier le folk. Un véritable éléphant dans un magasin de porcelaine le Bobby, non seulement il pactise musicalement avec l'ennemi héréditaire : le rock'n'roll, mais de surcroît il brise le cœur amoureux de Joan.

Joan aura du mal à s'en remettre. Marie Desjardins prend fait et cause pour elle. Quel ingrat c'est elle qui lui a ouvert les portes du succès. Sans elle, il serait resté un petit gratteux anonyme. Solidarité féminine ! Certes Dylan s'est peut-être montré quelque peu inélégant dans les modalités de la rupture, nous voulons bien le croire, mais le mal était beaucoup plus profond. En-dehors de toute affinités électives entre deux êtres, il existe aussi des failles de séparations souterraines. Elles sont politiques et idéologiques. Ce qui sépare Dylan et Joan c'est ce qui différencie l'esprit de rébellion de l'esprit révolutionnaire. La révolte de Dylan relève de l'individu, celle de Joan s'inscrit dans un processus sociétal. C'est le ''moi contre presque tous'' qui s'oppose au '' moi avec les autres '' .

Marie Desjardins transcrit cela selon un autre registre : idéologiquement Joan était trop pure, Dylan beaucoup plus prudent. L'une sans concession, l'autre prêt à pactiser. Préfère jouer sa carte en solitaire que devenir la caution morale des autres. Si doué que l'on soit l'on ne devient pas Dylan tout seul, l'arrive un jour où la maison de disques vous propose le deal : coco on met le paquet sur toi – pub, presse, radio, TV, réseaux - mais en retour tu suis les conseils et tu fais ce que l'on te dit...

Marie Desjardins nous prend un contre-exemple, Sixto Rodriguez qui ne fera pas la carrière qu'il se devait dans le showbizz, elle se dépêche d'ajouter que Dylan n'y est pour rien, mais lorsque le disque de Rodriguez sort en 1970 Dylan est déjà une légende, nos deux auteurs-interprètes ne jouent pas dans la même catégorie, reconnaissons que Sixto est prêt à faire moins de concessions que Dylan... Si les circonstances avaient été autres de quels opus aurait accouché Sixto Rodriguez. Nous n'en savons rien. La vie est remplie d'injustices destinales.

Nous n'y pouvons rien, chacun de nous est victime des autres et de lui-même. Le Christ lui-même n'a pas échappé à cette règle de fer... C'est à Lui que Marie Desjardins se rapporte pour terminer son article, en vieux mécréant nous dirons que s'il était un homme il n'a pas fait mieux que nous, et que s'il était un dieu, il n'a rien fait. En plus il n'a jamais mieux chanté que Joan Baez et il n'a jamais mieux écrit que Marie Desjardins. Sinon cela se saurait !

Un bel article qui vous oblige à réfléchir et à méditer sur les implications de vos actes sur vous-même et sur les autres.

Damie Chad.

 

XXXIV

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

139

Même pas le temps de respirer que le téléphone sonna une nouvelle fois. C'étaient les filles, Charlotte et Charlène s'ennuyaient chez leurs parents, est-ce que par hasard nous pourrions les emmener en weekend, au bord de la mer par exemple.

    • Au bord de la mer oui, en weekend anticipé, départ ce soir à vingt heures, rendez-vous au pied de la Tour Eiffel !

Le Chef reposait tout juste le bigophone que la sonnerie se fit entendre une fois de plus, c'était Vince, la voix angoissée :

    • Il faut se voir au plus vite, avec Brunette nous avons mis la main sur des documents importants, je monte à Paris, je prends le train ce soir !

    • Inutile, on descend sur Cannes, on sera au Majestic, à 10 heures on t'attend !

    • Parfait, mais faites attention, les nouvelles que j'apporte ne sont pas bonnes.

140

Je ne devrais pas le dire mais l'on a roulé, non pas à tombeau ouvert mais à fosse commune épidémique géante, bref le matin à six heures piles j'arrêtai la Lamborghini devant l'entrée du Palace. Nous étions attendus. L'ensemble du personnel nous fit une haie d'honneur, des grooms se précipitèrent pour se charger des deux valises du Chef, durent se mettre à trois pour la malle à Coronado. A peine le Chef eût-il sorti un Coronado de sa poche que trois majordomes se disputaient pour lui offrir du feu, tandis qu'un quatrième se tenait à sa portée un cendrier à la main. Les filles se virent offrir une bague en diamant, mais les plus heureux furent Molossa et Molossito chacun trônant sur un magnifique coussin de soie précautionneusement portés par deux maîtres d'hôtel empourprés de confusion d'avoir à transporter deux si illustres canidés. Le directeur du palace s'excusait :

    • Nous avons eu peu de temps pour refaire les décorations, néanmoins toutes les salles ont été en votre relooké rock'n'roll, des photos de Gene Vincent et d'Eddie Cochran ornent toutes les chambres, mais peut-être désireriez-vous petit-déjeuner à moins que vous ne préférassiez an american hot brunch...

141

La porte du royal penthouse judicieusement rebaptisé Heartbreak Hôtel, s'ouvrit à dix heures tapantes, deux chasseurs s'effacèrent après les avoir annoncés pour laisser passer Vince et Brunette, nous n'eûmes même pas le temps de les embrasser, qu'un autre visiteur fut introduit, il se présenta de lui-même :

    • Mon nom ne vous dira rien, appelez-moi Hector, je viens vous apporter le cadeau de mon maître, si vous voulez vous donner la peine et il tendit au Chef une simple enveloppe !

Le Chef la déchira et apparut un mince bristol bleu qu'il lut à haute voix : '' Ceci est le cadeau promis, suivez Hector, il se fera un plaisir de vous le remettre. Un conseil d'ami prenez une petite laine ou un blazer. Je vous souhaite une bonne journée.''

142

Une énorme voiture ( télévision grand écran, bar et cuisine aménagée dans laquelle nos canidés ne tardèrent pas à se partager un rôti de porc aussi volumineux qu'eux ) nous attendait devant l'hôtel, le chauffeur se dirigea vers le port, et s'arrêta au bout d'un quai, juste devant un splendide yacht.

    • Super bateau, super cadeau ! s'écrièrent les filles

Hector eut l'air vexé :

    • C'est mal connaître mon maître que de croire qu'il offrirait une barcasse de troisième ordre à ses invités. Ce rafiot nous emmènera au cadeau proprement dit, couvrez-vous le temps fraîchit.

143

Les filles pariaient pour une île paradisiaque mais la surprise fut kolossale. Une brume épaisse s'était levée, le yacht se dirigeait vers le large, une véritable purée de poix, nous n'y voyions pas à trois pas, les moteurs de notre embarcation stoppèrent brusquement, nous ne distinguions rien, nous fûmes surpris lorsque Hector nous conduisit à bâbord devant un escalier métallique sorti de nulle part qu'il nous conseilla d'emprunter sans peur, je resterai avec le yacht pas très loin, si vous avez besoin de quelque chose faites signe.

Les filles poussaient des petits cris, mais lorsque nous fûmes arrivés tout en haut, un rayon de soleil troua la brume révélant la nature du cadeau : un porte-avions !

144

Le commandant nous attendait : '' Bienvenu sur l'Impérieux, ce porte-avions vous appartient, moi-même et l'équipage que j'ai l'honneur de commander sommes à votre disposition, je vous conduis au poste de commandement. Je suppose que vous n'y connaissez pas grand-chose, je resterai auprès de vous pour vous seconder.

    • Pas besoin dit le Chef, l'agent Chad est un pilote émérite, quant à moi, je pense que le maniement d'un tel engin demande moins d'expérience, de tact et de subtilité que l'allumage d'un Coronado, nous nous débrouillerons très bien tout seuls !

145

Je le reconnais, c'est un peu plus complexe qu'un tableau de bord de Lamborghini, des cadrans à aiguilles partout, une multitude boutons de toutes les couleurs qui clignotent sans discontinuer, des écrans qui affichent des données incompréhensibles, au bout de dix minutes je parviens à comprendre qu'il suffisait que je donne les ordres directionnels à voix haute dans le micro rouge pour qu'ils soient aussitôt exécutés dans une pièce attenante.

Enfin seuls, Vince est soulagé, il prend la parole :

    • Avec Brunette nous n'avons pas perdu notre temps, nous avons échafaudé une hypothèse relativement simple : si Eddie Crescendo a disparu il devait savoir qu'il courait un danger, il n'était pas une tête brûlée, sans doute a-t-il pris la précaution de laisser des documents quelque part !

    • Nous les avons découverts, le coupa Brunette, dans l'appartement de sa mère, que nous avions fouillé ensemble, rappelez-vous son cadavre dans le hall d'entrée, nous étions alors obnubilé par les boîte à sucres... Nous avons brisé les scellés posés par la police et avons recommencé les recherches, nous cherchions un gros dossier, c'était simplement trois feuilles A4 pliées en deux dans le cahier de cuisine de la pauvre maman posé sur le buffet... une chance extraordinaire, j'aurais pu ne pas les voir, c'est en vérifiant par gourmandise la recette des crêpes au nutella que j'y suis tombé pile dessus, incroyable figurez-vous que Mme Crescendo ajoutait de la crème fraîche dans la pâte chocolatée !

    • Personnellement je verse directement dans la crêpière les fragments d'une robe de Coronado, ainsi j'obtiens une saveur inimitable mais cela ne serait rien si auparavant je...

Hélas, aujourd'hui que je rédige mes mémoires je suis dans l'incapacité totale de vous révéler à quelle opération préliminaire se livre le Chef pour réussir ses crêpes au nutella car depuis un moment j'éprouvais une gêne inexplicable au niveau de ma fesse gauche et je concentrai toute mon attention sur cet étrange phénomène...

A suivre...

12/05/2021

KR'TNT ! 510 : WALTER LURE / CAPTAIN SENSIBLE / FONTAINES D. C. / EDDIE COCHRAN + GENE VINCENT / ROCKAMBOLESQUES XXXIII

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 510

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

13 / 05 / 2021

 

WALTER LURE / CAPTAIN SENSIBLE / FONTAINES D.C.

EDDIE COCHRAN + GENE VINCENT

ROCKAMBOLESQUES XXXIII

TEXTES + PHOTOS : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Lure a de l’allure - Part Two

 

Les fans des Heartbreakers ont une sacrée veine : après le Nina Book (In Cold Blood) et le Weiss book (Stranded in the Jungle: Jerry Nolan’s Wild Ride - A Tale Of Drugs, Fashion, The New York Dolls, And Punk Rock), voici le Walter book : To Hell And Back. My Life in Johnny Thunders’ Heartbreakers. Le timing ne pouvait pas être plus parfait : Walter Lure fit paraître son autobio juste avant de casser sa pipe en bois. L’étonnant de cette histoire est que le premier tirage fut vite épuisé et donc il fallut attendre un retirage pour pouvoir le rapatrier. Ça montre bien que les Heartbreakers restent d’actualité, même s’ils sont maintenant tous morts, comme le sont les Ramones.

Qu’ils n’aient enregistré qu’un seul album est sans doute ce qu’on apprécie le plus chez les mighty Heartbreakers. Un one shot, privilège qu’ils partagent avec les Pistols. Deux albums qui d’ailleurs vont tout seuls sur l’île déserte. On ne saura jamais si Johnny Thunders savait ce qu’il faisait en s’arrêtant avec LAMF, mais il plaît aux fans de l’imaginer. Ça nourrit son charisme post-mortem qui en a bien besoin. Comme celle de Jimbo, l’histoire de Johnny Thunders est vérolée par le journalisme. Dans les deux cas, le public a fini par perdre de vue l’essentiel qui était la dimension artistique. Jimbo et Johnny Thunders furent tous les deux de magnifiques artistes et si LAMF reste l’un des plus beaux albums de rock jamais enregistrés, ce n’est pas un hasard, mon cher Balthazar.

On peut dire que le junky business a fait couler beaucoup d’encre. Johnny Thunders ne ratait aucune occasion d’alimenter le moulin d’Alphonse Daudet, ah tu veux du junk, tiens voilà du junk ! Dans son book, Walter Lure en tartine des pages entières. Comme Hell, il parle admirablement bien du junk. Ça fait partie de cette prodigieuse aventure. Walter entre dans le vif du sujet dès la page 3 : il vient d’être engagé dans la première mouture des Heartbreakers et il doit subir un rite d’initiation : on lui coupe les cheveux et on lui fait un shoot d’héro - Jerry held the needle, Dee Dee did the cooking, and I just rolled my sleeve and stretched my arm as Jerry tied it off - Welcome in Hearbreakland, Walter ! Il va d’ailleurs très vite participer aux routines - First we’d met up with Dee Dee, Willy DeVille and various other friends and then we’d head off to score.

Oui Dee Dee Ramone traîne avec les Heartbreakers car en fait il rêve de jouer dans le groupe. Mais Richard Hell joue déjà de la basse et donc la place est prise. De toute façon, il n’était pas selon Walter un Heartbreaker. D’autres gens postuleront pour un job dans les Heartbreakers, des gens comme John Felice, Jonathan Paley et Chris Stein, ou encore Rat Scabies après le départ de Jerry Nolan, mais il n’y aura pas ou peu d’élus.

À la différence des récits pré-cités (auxquels on peut rajouter celui de Sylvain Sylvain), le Walter book met le paquet sur le sexe. Notre ami Walter n’y va pas de main morte. C’est à qui baisera le plus, et pas que des gonzesses. Ils n’arrêtent pas. Les commères du villages vont adorer toutes ces anecdotes londoniennes, Walter fait entrer dans la danse leur manager Leee Black Childers et Gail Higgins, la road manageuse du groupe, c’est Sodome et Gomorrhe every night, ça baise à qui mieux mieux et Walter le fucker n’est pas le dernier à ramener des pretty boys dans son plumard. Mais ça, on le savait depuis que Marc avait lâché en rigolant : «Quoi tu ne savais pas que Walter était pédé comme un phoque ?». Toujours adoré cette expression. L’absolu de son manque d’élégance lui confère une stature d’éternité. Mais au fond, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Ce soir-là au Bataclan, Walter Lure était beau comme un dieu, avec sa chemise à pois et sa Les Paul. Il jouait en plus dans le meilleur groupe de rock de tous les temps. Sex & drugs & rock’r’roll ? Disons que ça décore l’histoire du groupe comme une guirlande décore un sapin de Noël.

Dans les premières pages, Walter cite ses influences et c’est très intéressant : il s’amourache du «Do You Love Me» des Contours et des trucs de Phil Spector - A lot of the Phil Spector things were terrific - Puis quand il entend les Stones, il sent qu’il est baisé - The first time I heard them I was sold for life - Puis arrivent dans son giron les Pretty Things, Dylan, les Kinks, les Zombies, the Who, the lot. Puis il commence à aller voir des tas de concerts, le Jeff Beck Group, Humble Pie, il est au Fillmore le soir où ils enregistrent Rocking The Fillmore. Il adore Chicken Shack et Fleetwood Mac, les Yardbirds, Procol avec Robin Trower, Ten Years After, puis Led Zep juste avant le premier album. Il voit aussi Jimi Hendrix, mais ce n’est pas son son. Et à tous les concerts, il voit ce kid. Comme lui, il est toujours dans les premiers rangs. Ils se connaissent de vue. C’est le futur Johnny Thunders. Il a déjà beaucoup d’allure. Quand plus tard Walter découvre les Dolls sur scène, il n’en revient pas d’y voir le kid à la guitare - Quelqu’un me dit qu’il s’appelle Johnny Thunders. Ça semblait logique qu’il s’appelle comme ça, vu le look qu’il avait et vu la façon dont il jouait. What else could it have been ? - Eh oui, Walter a la chance de choper les débuts des Dolls, et là il devient aussi intarissable qu’avec les histoires de cul - Les Dolls furent les grandmothers of punk rock, d’une certaine façon, car ils prouvaient qu’on pouvait monter sur scène sans savoir jouer aussi bien que Jimmy Page ou fucking Yes, et qu’on pouvait démarrer un groupe, devenir populaire et faire plaisir aux gens - Selon lui, ce sont les Dolls qui ont tout créé. Avant les Dolls nous dit Walter there was no New York scene - Il y avait le Brill Building, et quelques clubs de jazz et de folk dans le Village, mais en matière de rock club scene ou de street sound, il n’y avait rien. Juste des groupes locaux qui jouaient leur truc - Walter nous dit aussi qu’il voyait Steven Tyler aux concerts des Dolls, au moment où Aerosmith démarrait. Pareil pour Kiss. Ils venaient tout pomper. D’ailleurs, c’est Johnny qui présente Ace Frehley à Walter lors d’un festival au CBGB - Le mec le plus laid que j’aie jamais rencontré, il avait la peau grêlée, on aurait dit une assiette de céréales avec des raisins, il avait les cheveux filandreux et il marchait comme un singe et je me disais, God what a fucking monster, et Johnny m’a dit : ‘Je veux te présenter Ace Frehley’ - Puis Walter voit les Dolls se désintégrer sur scène, avec Killer Kane et son serious drinking problem, in and out of the hospital, Jerry et Johnny n’allaient pas bien non plus, surtout Johnny he’s become something of a major league smackhead - Je suis allé voir les Dolls au Little Hippodrome début mars et almost half of the band was out of action. Leur roadie Peter Jordan jouait de la basse et Spider le batteur de Pure Hell remplaçait Jerry.

Grâce à Walter, on se rapproche une fois de plus de ce mec tellement attachant qu’est Johnny Thunders. C’est un autre regard, plus le regard d’un admirateur que d’un bon pote. Walter insiste pour dire ce qu’on savait déjà, que Johnny Thunders n’est pas un technical guitarist - in love with chords and progressions, notes and solos - but he was unique. Personne ne sonnait comme Johnny, même ceux qui essayaient vraiment de l’imiter. Jerry appelait ça le son des dinosaures qui hurlent dans la jungle and he was correct - Walter trouvait ce son excitant - Pas de pédales d’effets, no stomp boxes or other devices. Johnny never used them. Everything you heard was just Johnny. Ses solos, c’était la même chose. Ils étaient si simples, but they stood out - Walter observe les deux cocos, Jerry & Johnny et ça donne des pages remarquables d’insight. Un Johnny qui soigne son image, les gens qui attendent de le voir fucked-up, constantly shooting up, so he did please them. It was an ego thing. D’un autre côté Jerry était un hypocondriaque, and the worst kind. Il n’avait absolument aucune volonté. Il was a lethal combination - La nature de la relation entre Jerry et Johnny est un élément essentiel de l’histoire des Dolls et des Heartbreakers. Walter voit ça comme a father-son type of things. Jerry est un peu plus vieux et il a surtout la patate facile. Quand à l’époque des Dolls Johnny prenait du speed et qu’il devenait incontrôlable, les autres Dolls demandaient à Jerry de l’emmener dans un coin pour le calmer. Okay, viens par là, pif paf et Johnny se calmait - Two or three punches and Johnny would be good for the next few months - Walter se marre car au temps des Heartbreakers, Jerry n’avait même pas besoin de frapper, il se contentait de poser la question : «Johnny do you want a punch in the head?», et Johnny filait droit.

Walter observe un autre truc chez Johnny : la constance. Johnny allait jouer les mêmes chansons de la même façon toute sa vie. He would never change. Le reste ne l’intéresse pas. Pour lui, Billy et Jerry, ça leur suffit de jouer dans un groupe et d’en vivre. Le futur, ils s’en branlent complètement. Leur seule ambition was getting high, s’envoyer en l’air. Walter détecte aussi chez Johnny un flair, une sorte d’instinct qui lui permet de faire le tri dans les gens. L’un des épisodes les plus désarmants de l’histoire de Johnny Thunders est sans doute celui de son mariage dans le Queens. Walter n’est pas invité à la cérémonie mais seulement à la fête qui a lieu dans un gymnase délabré du quartier. Johnny vient d’épouser Julie, et Steve des Senders est son témoin. Forcément quand ils arrivent au gymnase ils sont déjà stoned. Ils ont vomi dans la limousine qui les ramenait de l’église. En entrant, Johnny titube en jurant comme un cocher. Pas d’orchestre dans la salle, juste un petit tourne-disques. Des gens dansent mais ce ne sont pas ceux du mariage qui sont tous trop défoncés pour danser. Ça dure un bon moment et des gens commencent à partir. Alors Walter s’en va aussi. C’est un mariage de pauvres - It was simply poverty-stricken.

En dehors du cul, Walter a d’autres fixations : les gogues. Il décrit à un moment les gogues de Woodstok, il pousse la porte d’une cabine et voit une montagne de merdasse, il se demande comment ont fait les gens pour aller chier au sommet d’une telle montagne. Mais ça n’est rien à côté du CBGB que le NME appelle a toilet. Walter nous décrit la petite scène et à côté la cuisine infestée de rats et de cafards. Un peu plus tard, ils virent la cuisine et font une loge. Les gogues se trouvent en bas des marches et là Walter se régale - Les gogues étaient l’endroit le plus dégueulasse qu’on pouvait voir. Les murs du men’s room étaient couverts de graffitis, de trucs qui pendouillaient et de longues traînées de merdasse. Les deux ou trois urinoirs ne fonctionnaient pas, mais ça n’empêchait pas les gens de pisser dedans et ça débordait. Si tu voulais chier un coup, il n’y avait pas de porte au stall et tout le monde te regardait. En plus il n’y avait pas de papier pour se torcher - Les réalités du rock’n’roll way of life sont parfois crues, mais c’est ce qui fait leur charme. Walter indique qu’il fallait mieux aller au ladies’ room pour se faire un fix ou tirer un coup. C’est d’ailleurs l’endroit favori de Johnny Thunders : ses plans sexe se déroulent généralement dans les gogues et ils sont souvent gratinés. Walter en décrit un ou deux, mais on trouve aussi dans Some Weird Sin, le book où Alvin Gibbs raconte sa tournée mondiale avec Iggy.

Walter revient aussi sur le grand schisme des Heartbreakers : Richard Hell d’un côté, Johnny Thunders de l’autre. Pour Walter, Hell était surtout un amateur de poésie - À ses yeux, nous étions des musiciens et lui était un artiste, un génie and maybe he was - Walter a raison d’avoir un doute, en tous les cas, c’est savamment exprimé. Puis sur cène, ça dégénère. Johnny Thunders lève les yeux au ciel quand Hell prend le chant et quand Johnny chante, ça n’intéresse pas Hell. Et puis Hell décrète un jour qu’il va chanter tout le set - From now on, I’m singing the set. Johnny sings two of the songs, and Walter shuts up - Johnny n’écoute même pas, il sort de la pièce, suivi de Jerry puis de Walter. C’est là que les Heartbreakers engagent Billy Rath.

Ils s’entendent tout de suite très bien avec Billy Rath. On se souvient de lui au Bataclan. Il portait un petit bandage blanc taché de sang sur le bras et jouait sur une basse Burns. Walter s’entend bien avec lui, tout au long de la folle virée des Heartbreakers. Mais la fin de l’histoire est moins glorieuse. Après la fin du groupe, il serait resté en Angleterre puis serait devenu pasteur dans l’Ohio. Walter le revoit à New York en 2009 ou 2010. Il avait chopé le Sida et une hépatite, et perdu une jambe dans un accident de bagnole - His body was breaking down. He was a fucking mess - Mais Walter est content de le revoir. Billy lui propose alors de remonter un groupe. Walter décline la proposition. À cette époque, il bosse à Wall Street et il joue un peu dans les Waldos. Un an ou deux plus tard, il est à Londres, il joue au Purple Turtle de Camden et Billy réapparaît. Un ‘entrepreneur’ avait lancé un projet avec Billy et Steve Dior. Walter les voit arriver tous les trois dans le backstage, l’entrepreneur en blouson de cuir, Billy et Steve Dior - Billy was fucking wrecked. Il avait pris du poids, il avait perdu toutes ses dents et on l’avait habillé comme un pirate. Quand il parlait, on aurait dit qu’il avait un gros problème avec sa cervelle. En deux ans, il avait vieilli de vingt ans. Mais la situation allait encore empirer. L’entrepreneur suggéra que Billy monte sur scène avec moi pour «Chinese Rocks». Ce qu’il fit, mais il ne savait plus le jouer. It was a mess - Walter conclut ce terrible chapitre en rappelant que Billy est mort en 2014.

Richard Gottehrer, un producteur de renom qui venait de monter Sire Records avec Seymour Stein s’intéressait de près aux Heartbreakers. Il commença par leur proposer d’accompagner Robert Gordon qu’il était en train de lancer. Il était même question que Gordon devienne le chanteur du groupe, un idée qui plaisait bien à Jerry, fan d’Elvis, comme Gordon. Mais les trois autres n’étaient pas chauds et c’est donc resté à l’état de rumeur. Il n’empêche, Gottehrer veut les signer sur Sire et au moment où ils vont accepter, ils reçoivent le coup de fil de McLaren.

L’autre grand thème du book c’est Londres. Les Heartbreakers y débarquent en 1977, invités par Malcolm McLaren à participer à l’Anarchy Tour. Plus tard, Walter et les autres vont découvrir que McLaren avait d’abord fait cette proposition aux Dollettes, le groupe post-Dolls de David Johansen, mais il avait refusé - So we were at least his second choice and possibly the third - Les Heartbreakers débarquent le jour où éclate le scandale du Grundy TV show. Walter et les autres ne comprennent pas que des écarts de langage puissent provoquer un tel tollé dans la presse. Les Heartbreakers vont rester dix-huit mois en Angleterre, le temps de conquérir l’Europe et d’enregistrer leur fameux album. Walter se plaint essentiellement de la bouffe. Il remarque aussi que les Anglais ne prennent pas les mêmes drogues. Ceux qui prennent de l’héro ne se piquent pas : snort ou smoke, which is probably healthier, but we weren’t interested - Walter évoque la needle culture in New York. Autrement, les Anglais tapent dans le speed, l’acid et le hash. Dans le bus de l’Anarchy Tour, Walter voit les Clash fumer des spliffs, ce qui faisait bien marrer les Heartbreakers - Fuck we haven’t done those drugs in years - Billy Rath qui est un speed freak y retrouve son compte. Il deviendra d’ailleurs un proche de Motörhead.

Walter se régale avec les groupes anglais : quand il voit les Damned, il ne comprend pas qu’on puisse se déguiser en vampire. Mais il aime bien les mecs du groupe - They were nice enough guys - Et bien sûr les Damned se font virer de l’Anarchy Tour. Walter donne pas mal de détails sur cette tournée entrée dans l’histoire. On se régale, on est là pour ça. Par contre, le truc qu’il ne supporte pas, c’est le gobbing. Sur scène, ils sont bombardés de mollards - Standing on stage, under hot lights, with this tubercular green shit all over your clothes, all over your guitar - Il raconte le manche et les doigts gluants. Il doit changer ses cordes tous les soirs - Tu devais jouer les yeux et la bouche fermés, et tourner la tête pour respirer. On craignait plus que tout de recevoir un mollard dans l’œil ou dans la bouche et quand je devais chanter, j’étais terrifié, car je recevais des mollards dans la bouche, down your throat. Which happened. A lot - Walter se marre quand il voit les Buzzcoks et surtout Pete Shelley avec sa guitare sciée en deux. Shelley avait bloqué ses volumes sur 10 et Devoto devait hurler pour pouvoir chanter - The music was awful but it was so fucking funny - À Londres, les Heartbreakers sortent toutes les nuits et rencontrent énormément de gens. Walter évoque une Marianne Faithfull fascinée par le punk, il rencontre aussi Chrissie Hynde bien avant les Pretenders, accompagnée de Judy Nylon et Patti Paladin, il traîne au Roxy où règne la débauche punk, pareil, il se passe des trucs pas terribles dans les gogues, Walter dit à demi-mots que Sid Vicious s’y fait enfiler, enfin tous ces trucs-là ne nous regardent pas. Gail Higgins et Leee Black Childers occupent une maison de trois étages à Islington et partent en chasse de chair fraîche tous les soirs - The pair of them lived like vampires - Ils sont tous les deux de très vieux amis de Johnny. Leee a un faible pour les jeunes rockabs londoniens - It was like Babylon on Thames - C’est là, à Babylon, que Walter avoue qu’il est bi. Mais à l’époque ça ne pose aucun problème, ça fait partie du mouvement punk. Walter est donc aux premières loges, il voit la scène punk se développer, les Hearbreakers sont potes avec les Pistols, les Clash. Surtout avec les Banshees, car Nils Stevenson leur manager fait partie du cercle rapproché des Heartbreakers. Les Banshees sont leur support band of choice. D’ailleurs Walter qui ne perd pas une occasion de se marrer nous relate un échange qui eut lieu un soir entre Siouxie et Johnny. Elle lui dit qu’il aurait dût jouer beaucoup plus sur ses knobs (ses boutons de volume) et le street kid Johnny lui rétorque : «I’d like to play with your knobs», and Siouxie just froze. She was So insulted. Walter indique aussi que son groupe punk anglais préféré était les Slits.

Les Hearbreakers finissent par signer avec Track Records, le label de Chris Stamp et Kit Lambert. Bien sûr, aucun des quatre Heartbreakers ne participe aux négociations. C’est Leee qui s’en charge. Track, ça plaît bien à Johnny et à Walter, à cause des Who, d’Arthur Brown, de Jimi Hendrix et de John’s Children, pour la première époque, puis Thunderclap Newman, Marsha Hunt et Golden Earring pour la deuxième. Mais les gens disent que Lambert and Stamp are too crazy. Et Walter confirme : «Kit Lambert certainly was. A total drunken queen, he was completely out of it.» Walter le voit tout le temps rigoler, et sa rigolade devient contagieuse. Avec lui tout le monde se marre. Track impose Speedy Keen comme producteur. On ne demande pas leur avis aux Heartbreakers. Johnny arrive souvent en retard aux sessions. Son record est de cinq heures. Speedy Keen garde son calme, nous dit Walter. Dans le studio, il y a tout ce qu’il faut, heaps of amphetamines, Rémy Martin and coke. Walter découvre que Speedy est un peu comme Johnny - He was a wild guy. I don’t think he was never out of it but sometimes by the end of the night he’d have a little bit of loop on - Ah comme c’est joliment dit. Un Français dirait qu’il perdait les pédales, mais Walter parle d’un little bit of loop on. Et puis on connaît la suite de l’histoire, Jerry n’est pas content du son de l’album. Il remixe tellement que le son est de plus en plus pourri. Johnny se marre : «All he did was bring the drums up in the mix.» Puis Jerry s’en prend à tout le monde, les studios, le producteur, le label, et pour finir Leee et même les Heartbreakers. Mais Track veut sortir l’album avant les fêtes et Jerry peut gueuler et menacer, ça ne changera rien. L’album sort le 3 octobre. Trois jours plus tard, Jerry quitte les Heartbreakers. C’est là que Rat Scabies auditionne. Mais il n’est pas un Heartbreaker, comme Walter l’a déjà dit.

Il revient bien sûr sur les raisons de «l’échec» : la présence d’un drunken Kit Lambert au mastering, l’inexpérience de l’ingé-son Danny Secunda (le frère de Tony), les remix de Jerry dans le dos du groupe après qu’ils aient tous approuvé le master. De leur côté, les critiques rejettent la responsabilité sur Speedy Keen. Quel cirque ! Et après tout le monde ramène son petit grain de sel, c’est à qui fera du qui mieux mieux d’expert à la mormoille, oh j’ai acheté de mix machin, oh il faut écouter le mix truc. C’est presque une insulte à la mémoire des Heartbreakers. Walter dit qu’il aime bien l’album. Rappelons pour mémoire qu’en 77, on s’en goinfrait tous comme des porcs, alors laisse tomber tes mix à la mormoille. Et puis en pleine tournée de promo, Track dépose le bilan et les Heartbreakers se retrouvent sans support. We were on our own. Walter tient cependant à apporter une précision importante : même si LAMF est un excellent album, il ne restitue pas le power des Heartbreakers - LAMF didn’t EVEN begin to approximate what we sounded like. At their best, on their night, in the moment and on the edge, the Heartbreakers really could break hearts. Every component in its right place, every riff nailed down and solo locked tight, every lyric defiant, every hair in place, the Heartbreakers remain the greatest band I have ever seeen, heard, or dreamed of.

Avec le départ de Jerry, les choses deviennent insolubles. Au Bataclan, on a vu Terry Chimes à sa place. Mais les Heartbreakers ne parviennent pas à trouver un remplaçant permanent. C’est impossible - His drumming was totally instinctual and incredible. He never even had to practice, he was just a natural - Et Walter nous brosse un portrait hallucinant de Jerry : «Il avait des valeurs personnelles de très haut niveau, mais se haïssait de ne pouvoir y conformer sa conduite. Au fond de lui, il haïssait les drogues et les junkies. Il crevait d’envie d’avoir une petite amie qui fut vierge. Au fond de lui, il était raciste et homophobe. Il cultivait toutes les phobies et toutes les obsessions de la classe moyenne de droite. Mais il ne parvenait pas non plus à s’y conformer. Il n’arrivait même pas à être antisémite, car sa copine était juive.» Et plus loin, Walter en rajoute et c’est hilarant : «Comme il ne faisait plus partie du groupe, il ne tarissait plus d’opinions à son propos. Même s’il se plaignait encore du mix, il ne s’en prenait plus à Track. Pourquoi ? Parce que le nouveau groupe qu’il venait de monter avec Steve Dior, the Idols, allait enregistrer des démos pour Track.»

Puis Walter apprend que Johnny qui est resté à Londres entame une carrière solo. Walter pense qu’il a encore besoin des Heartbreakers, mais il se trompe. Les choses vont se défaire toutes seules. Walter et Billy reviennent à Londres, mais Johnny ne les appelle pas. Et eux ne font aucun effort pour le voir. Walter et Billy avaient ramené Spider, le batteur noir de Pure Hell pour redémarrer les Heartbreakers, mais Johnny est passé à autre chose. Il ne reformera les Heartbreakers de temps en temps que pour se faire un billet.

Walter rentre à New York et prend un job de trader. Mais il continue de se shooter - I’d be running out at lunchtime to buy drugs - À New York, c’est facile, on en trouve partout. Il rappelle aussi qu’à Wall Street, à cette époque, tout le monde prend de la coke. Il y a même une gonzesse dans son bureau qui est une grosse dealeuse de coke - Coke was everywhere, and pot and hash as well - Il raconte que les fêtes au bureau étaient bien trash, avec des gens qui faisaient la queue devant les toilettes pour aller se faire un rail - All these Fortune 500 companies, the entire work force, lined up to shoot or snort some coke - C’est d’ailleurs ce que montre Scorsese dans The Wolf Of Wall Street. Dope all over the biz. Une réalité.

Dans l’épilogue, Walter évoque le dernier concert des Heartbreakers à New York en novembre 1990, avec Tony Cairo des Waldos on bass et Jerry on drums. Six mois plus tard, Johnny était mort. Walter n’a pas d’avis sur le mystère qui entoure sa mort - All I can say is that I don’t know. Je n’avais plus de nouvelles de Johnny depuis 6 mois. Je ne savais même pas qu’il était à la Nouvelle Orléans - Et il ajoute un peu plus loin : «Par contre, je sais que ses trente-huit ans de vie sur terre avaient mis son corps à rude épreuve, et qu’il ne s’occupait pas de sa santé. Je sais aussi que pendant dix-sept ans j’ai redouté ce coup de fil m’annonçant sa mort. Ça n’enlève rien au choc que j’ai ressenti en apprenant la nouvelle, mais au moins, je sais que je n’aurai plus à redouter ce coup de fil.»

Il évoque ensuite les fameux concerts du quarantième anniversaire de LAMF qui eurent lieu dans un club du Bowery, à New York, avec Wayne Kramer, Jesse Malin, Clem Burke, Cheetah Chrome et d’autres gens. Il existe d’ailleurs un album et un DVD : les concerts furent enregistrés et filmés. Il est recommandé de voir le DVD car l’album ne donne aucune information sur qui fait quoi. Comme le système marche bien, Jesse Malin propose à Walter de continuer avec d’autres gens et hop, Walter nous sort les noms de Mike Ness, de Billy Joe Armstrong, de Glen Matlock et même de Steve Jones. Mais apparemment c’est resté à l’état de projet.

Pour conclure, Walter redit sa joie d’avoir fait partie des Heartbreakers, un groupe qu’il situe à juste titre dans la catégorie des shooting-star types of artists who blaze so brightly but briefly, et il cite les noms de Pistols et des Dolls, bien entendu. Et il boucle ainsi : «Je crois que si on avait eu plus de succès, on serait morts plus tôt, étant donné nos penchants à l’époque. La raison pour laquelle j’ai survécu tient au fait que j’ai dû reprendre un job, ce que n’ont pas fait Johnny, Billy et Jerry. Johnny n’a jamais travaillé un seul jour de sa vie. Ce fut une belle aventure, but it comes with one hell of a price.»

Une jour que nous causions d’eux, je fis l’éloge du concert des Heartbreakers au Bataclan, allant jusqu’à dire qu’aucun show n’avait jamais égalé celui-là, à quoi Marc Z répondit en rigolant qu’on lui avait plusieurs fois dit la même chose. Curieusement, Marc n’est pas cité dans le Walter book. Octavio et Henri Paul le sont plusieurs fois. Et donc pour pallier à ce déficit citatoire, nous lui rendrons hommage en lui dédiant ce texte.

Signé : Cazengler, Walter Plure

Walter Lure. To Hell And Back. My Life in Johnny Thunders’ Heartbreakers. Backbeat 2020

 

He said Captain I said Wot

 

Mojo se démocratise : le Mojo Interview habituellement réservé aux célébrités reçoit cette fois ce vieux branleur de Captain Sensible qui jadis nettoyait les gogues at Croydon’s Fairfield Halls. D’ailleurs, la première chose qu’il fait dans le gros chapô, c’est de se vanter d’être sixty-fuckin’-six years young et d’affirmer qu’il n’est jamais devenu adulte. Puis il rappelle que son père l’a baptisé Raymond parce qu’il bossait comme portier dans un club de strip-tease à Soho, Raymond’s Revue Bar. Avec Captain Fun, c’est la rigolade assurée. À l’école, le jeune Ray n’a qu’une seule ambition : devenir biker. Jusqu’au jour où il entend «See Emily Play» à la radio. Il change de vocation mais il n’oublie jamais de rappeler qu’il n’est pas très intelligent - I’m a bit of a bluffer, really, I can’t do the really clever stiff - Quand il était ado, ses copains et lui prenaient du LSD et chouraient une bagnole pour descendre voir la mer à Brighton. Sans le LSD il serait dit-il devenu un football hooligan. Il avoue humblement tout devoir au LSD et notamment la découverte de Soft Machine and Egg, people like that. C’est l’époque où il bosse at Fairfield Halls avec Rat - I cleaned the toilets et Rat cleaned the floors - C’est Rat qui va un jour passer une audition à Londres. Ray voit Rat rentrer à Croydon avec les cheveux taillés courts. Wot ! C’est pas possible ! Aucune fille ne regarde un mec à cheveux courts en 1976, mais Rat s’est coupé les cheveux pour l’audition et il a rencontré un mec nommé Brian James. C’est la révélation ! Rat prédit même l’avènement d’une révolution. Wot ? Pas question pour Ray du cul de se faire couper les cheveux. Puis il rencontre Brian chez lui à Kilburn. Il a déjà toutes les chansons, «New Rose», «Fan Club». Pour Ray du cul, c’est du Chuck Berry on speed. À son tour, il voit Brian comme un visionnaire. Il ajoute qu’à Londres cette année-là, il y en avait d’autres - Not me, but Tony James, Malcolm McLaren, a couple of Pistols, Mick Jones. They knew what was coming - Et pouf, les Damned entament leur wild ride - I wasn’t the best looking bloke in the world and not the greatest musician but that if I did something diabolical on-stage it would be me who had his picture in the press and not Brian or Dave. And I liked that - Puis tout s’arrête brutalement lorsque Brian quitte le groupe. Captain Tutu reconnaît que ce n’était pas facile pour Brian de côtoyer des fous - Me and Rat were fucking horrible. A couple of menaces - Partout où ils vont, ils sèment le chaos, les gens ont peur du couple Capt/Rat qui se spécialise dans l’arrosage au ketchup, à la moutarde, à la bière et, quand ils y ont accès, aux extincteurs.

Lorsque les Damned post-Brian James se retrouvent en studio pour Machine Gun Etiquette, Capt explique que les choses se passent beaucoup mieux que prévu - There was a lot of booze and whisky around - Algy Ward est le bassman des Damned et Captain Crazy indique qu’il joue la bassline de «Love Song» avec une pièce de monnaie. Mais Algy est hors de contrôle et Rat lui demande de se calmer, sinon, on sort dans la rue pour régler ça. Wot ? Tu ne parles pas comme ça à Algy Ward. Tu veux sortir ? Alors viens mon con joli. Ils sortent, pif paf, et adieu Algy. Paul Gray le remplace sur le Black Album. Aux yeux de Captain Marvel, Paul et Algy sont les meilleurs bassmen des Damend - I’m third. Or even fourth.

Il est heureux le brave Captain à cette époque car il est payé pour jouer de la guitare et la bière est gratuite. Pour lui, c’est quand même mieux que de nettoyer les gogues. Il se fout même de savoir que les Clash sont en Amérique avec CBS derrière eux. Rien à cirer de la célébrité. Captain Flush ne pense qu’au fun. Il vit encore chez mum and dad quand un jour mum lui dit : «Your mate, Roley or Boley, he’s died in a car crash!». Captain Rex est fan de Bolan surtout depuis la tournée des Damned avec lui en 1977 et la nouvelle de sa mort le choque tellement qu’il s’enferme dans sa piaule. Il écrit une chanson pour calmer son chagrin : «Smash It Up» - As in smash the car up. It’s quite a sad piece of music, a deep little piece - Quand il signe son contrat solo, A&M lui file une avance et lui demande un hit. Il rentre chez mum and dad à Croydon et sort «Happy Talk» de dad’s collection - Happy Talk was their tune if you like - Tony Mansfield produit et ça devient un hit. Captain Happy parle de Mansfield en termes de genius. Puis il rencontre la backing singer Rachel Bor. Mais il ne peut plus mener les deux carrières de front, la solo et celle des Damned. Surmené, il tombe dans les pommes. C’est là qu’il doit faire un choix : ça sera la solo - So I chose the career that was making money - Jusqu’au moment où une huge tax bill lui tombe dessus et il se retrouve dans la dèche. Comment il s’en sort ? En faisant de la pub avec Wot pour Wotsits. Et pouf, il s’achète une baraque à la campagne. Et Dave finit par proposer à Captain Luck de reformer les Damned dans les années 90, mais ceci est une autre histoire. Nous y reviendrons.

Dans le Mojo Interview, Captain Wreck torpille le film de Wes Orshoski, Don’t You Wish That We Were Dead, car ça tourne trop autour des règlements de comptes. Mais nous dit Captain Oï, c’est pareil dans tous les groupes et il ajoute en rigolant que les Damned auraient mieux fait de se tuer en avion après leur premier album, comme ça au moins les choses seraient plus simples. Il n’est pas tendre non plus avec Tony Visconti qu’il appelle Mr Tony Visconti, le producteur du dernier album des Damned, Evil Spirits. Et puis arrive le sujet brûlant : la reformation du line-up originel des Damned et là Captain Marvel fait merveille. Il pense qu’il était important de le faire avant que l’un des quatre compères ait cassé sa vieille pipe en bois - il emploie une autre expression : before one of us kicks the bucket - et il s’enflamme sur la grandeur de l’original line-up : «No one else sounded like that. Il was very powerfull» - et il a raison. Rien de plus powerfull que les early Damned. En bon fouteur de merde, le Mojoman ramène Captain Hook sur un sujet de discorde : Dave et Rat auraient paraît-il racheté le catalogue Stiff des Damned, d’où la rancœur de Ray à l’égard de Rat. La réponse ne se fait pas attendre : «Non. Il faut avancer. Le comportement de mes collègues est un autre sujet. J’ai 66 balais et tout ça date d’il y a longtemps. J’étais alors un parfait connard - a complete arsehole - je dois bien l’admettre, an absolute liability, comme le sont mes chers collègues d’ailleurs. Ce ne sont pas des saints. Je ne dis rien de plus que ce que je dis.» Bon ils annoncent les concerts de reformation et soudain, la peste ravage le pays. The curse of the Damned !, s’exclame Captain Plague.

Comme déjà dit, on reviendra sur l’histoire des Damned une autre fois. Puisque Captain Solo est à l’honneur avec ce Mojo Interview penchons-nous si vous le voulez bien sur son extraordinaire carrière solo. En 1982, on le retrouve dans une chaloupe du Titanic. C’est la pochette de Women And Captains First. On y trouve le célèbre «Wot» et sa bassline, cette délicieuse mécanique qui sous-tend le cut de bout en bout et que tous les bassmen du monde se sont amusés à rejouer. Mais avec «Nice Cup Of Tea», Captain Sink se met à sonner exactement comme son idole Syd Barrett, mais avec une pointe de cockney en prime. Il boucle l’A avec le merveilleux «Happy Talk» qui fut aussi un hit et en B, il tape dans le jazz New Orleans pour nous trousser une joli coup de «Nobody’s Sweetheart». Quel sens aigu de la décadence ! Il revient à la pop avec l’excellent «The Man Who’s Gotten Everything». Des chœurs de filles juteuses jazzent le groove, comme elles jazzaient «Les Films de Guerre» de l’early Sanseverino. Ah ce Captain Fracasse, quel fantaisiste de choc ! On gagne énormément à le connaître. Un homme admirable à bien des égards. Son cut sonne exactement comme un truc en plume dans le cul, doux et beau. Qu’on ne vienne pas nous raconter qu’il a fait des mauvais albums dans les années quatre-vingt. Il boucle avec l’excellent «Croydon» et nous rappelle à son bon souvenir - In Los Angeles/ I’m still dreamin’ of ya Croydon !

Pour l’album suivant, The Power Of Love, il se fait tirer le portrait et affiche un look de jeune premier hollywoodien. L’album est ravagé par la mauvaise prod des années quatre-vingt et il faut attendre d’entrer sur la B pour tomber sur l’excellentissime «Glad It’s All Over» et ses Submarines/ In the harbour/ Incognito/ Submarines/ Of your dreams/ Not mine, et là, on se voit contraint de parler de génie. L’autre gros cut de l’album est le morceau titre. Il en fait une pop joliment pulsative. Captain Orlock profite de l’occasion pour renouer avec les énergies telluriques des Carpathes. Les vieux jus bouillonnent dans ses artères parcheminées. Fantastique personnage.

Revolution Now est un double album paru en 1989. Captain Furax y propose quelques éclats pop comme «A Riot On Eastbourne Pier». Il tape dans la fibre de l’Angleterre profonde - All these crazy people - et se plaît à incendier sa fin de cut. Captain Hellfire sait bricoler de la bonne pop anglaise, on le savait depuis Machine Gun. On trouve en B un beau «Wake Up» pop-punk sautillard. Captain Biz revient aux sources de son fonds de commerce, à savoir une certaine vision du punk-rock anglais qui passe par la pop. En C, il fait une sacrée reprise du hit des Equals, «I Get So Excited». Il part en mode diskö-pop et opère un violent retour au beat des Equals, avec toute l’énergie dont il est capable. C’est battu à la folie, l’esprit du cut veut ça et Captain Mad l’a bien compris. Baby Baby ! Quelle explosion ! «The Kamikaze Millionaire» souffre du mal de prod des années quatre-vingt, mais sous le festif croustille la braise d’un Anglais dans la force de l’âge, rempli de cette culture pop typiquement insulaire. C’est même de la pop endiablée, pas si éloignée que ça de la joie du dance-floor. Captain Bonzaï a bien le droit de s’amuser, après tout. Sa pop reste droite et bien gaulée. Il adore surtout faire le con.

Tiens voilà encore un classic album : The Universe of Geoffrey Brown paru en 1993. Dès «Holiday In My Heart», on sent la magnifique pop d’élancement somptueux. Captain Bifsteak œuvre pour la renommé de la pop anglaise, c’est évident. Il fait de la prog, mais soutenu par une clameur de chœurs galactiques. Sa compagne Rachel Bor joue du violoncelle à l’élancé du pont, tout reste extrêmement magique dans le monde coloré du grand Captain Achab. Il fait de «Come On Geoffrey Brown» une sorte de petit opéra à la Odgen des Small Faces, ou si vous préférez, à la Tommy des Who, mais c’est embarqué à l’énergie diabolique. Captain Prag tape dans la prog avec l’énergie des Damned, mais démultipliée. C’est extrêmement ambitieux. Et il atteint une fois de plus au pur génie avec «Getting To Me», claqué à la magie de la pop anglaise. C’est lui the lad of the mob, the beast of it all, il va taper dans la magie de pop anglaise comme d’autres vont siffler une pinte au pub. Encore de la pop explosive avec «Street Of Shame», extraordinaire débauche d’énergie pop. Captain Tagada chevauche son dragon en rigolant comme un bossu. On a là un fabuleux hit d’antan, terriblement volontaire et indiqué. Même quand il fait de la pop, on entend les Damned, de là à conclure qu’après le départ de Brian James, Captain fait les Damned, c’est un pas qu’on laisse à d’autres le soin de franchir. Il donne un énorme coup pied dans la fourmilière du pop punk avec «The Message», il rallume la chaudière et ça explose. Captain Conan sait donner de la voix, tout est conjugué à l’innovante innervée. Il termine cet album épique avec un «Universe Of Geoffrey Brown» monté sur le riff de «Baba O’Riley». Quel fabuleux Zélig, il fouine partout, il entre dans le lard de la grande pop anglaise et crée un monde de son et de guitares exubérantes.

Il faut avoir écouté au moins une fois dans sa vie le Live At The Milky Way du bon Captain Hook, car c’est un album spectaculairement bon. On y voit ce démon exploser tous ses hits un par un, accompagné de Paul Gray. Il smashe «Smash It Up» et se fout de la gueule de David Sylvian, puis «Back To School». Captain Flash monte au créneau comme nul autre en Angleterre. Il le fait avec une sorte de classe d’aristocrate dégénéré, puis il raconte son histoire dans «Come On Geoffrey Brown». Ce live prend ensuite une allure mythique avec «Happy Talk». Il sait parfaitement bien embarquer un hit pour Cythère et il enchaîne avec «The Kamikaze Millionaire», fantastique pop d’époque. Ce mec n’en finit plus d’aligner les combinaisons gagnantes. On se prosterne devant une telle aura. Et voilà qu’il tape dans «Love Song», le hit absolu - Just for you - Captain Sparrow n’en finit plus de danser avec le génie, et paf, il enchaîne avec «Neat Neat Neat» - Especially for Cliff Richard and David Sylvian - Tout le génie des Damned remonte à la surface, c’est intenable, joué à l’ultimate bouillonnante. Que peut-il faire de plus ? Taper «New Rose», par exemple, alors il y va, mais avec l’énergie du diable. On a là une épouvantable version, c’est de la macédoine de légende, Captain Wild se jette à corps perdu dans la bataille - I can feel inside of me - Il explose la vieille Rose. Et il passe à «Wot», que Paul Gray prend au bassmatic, mais il ne se contente pas de le jouer, il le dévaste, il en fait une version post-punk démente, avec des chœurs qui défient toute concurrence. Ça ne s’arrête pas là. Captain Nemo tape ensuite dans ses racines avec une monstrueuse version de «Looking At You» du MC5 - When it happens - et il oh-no-notte, il l’explose et passe les solos endiablés de Wayne Kramer. Il termine ce live affolant avec une version d’«Hey Joe» purement hendrixienne, bardée de move de groove originel, presque supérieure en tout, complètement explosive, et il boucle enfin avec l’imparable «Glad It’s All Over» qui sonne comme l’hymne national de l’underground britannique.

Paru en 1995, Meathead fait partie des disques hautement recommandables. Il s’agit d’un double album bourré à craquer d’exercices de styles tous plus effarants les uns que les autres. On le voit dès «Sally Blue Shoes», Captain Flint a toujours l’air de dominer la situation. Il propose de la pop à synthés mais avec une autorité qui tue les mouches. Ce mec a du cran et des idées bien arrêtées, alors les choses deviennent vite captivantes. Il attaque «Rough Justice» aux spoutnicks et au punkyrama. Il s’appuie de toute évidence sur de solides antécédents. Même si c’est battu au diable Vauvert, ça vire un peu pop. Quel étrange mélange de crédibilité punkoïde et putasserie pop ! Il a le cul entre deux chaises. Notre bon Captain Wave doit adorer l’instabilité. Il reste dans la belle pop anglaise avec «The Love Policeman». C’est son argument définitif, semble-t-il. Il tâte une fois de plus de la pop magique et bien intentionnée. Il tape plus loin dans l’expérimental psychédélique avec un «Zarbo Nebula» en quatre parties. Cette comédie condamne l’album à l’underground. Il bombarde le Part 2 d’attaques de wah, il voyage dans son univers et franchement, c’est excellent. Il bute le cosmos dans le Part 3 et dans le part 4 il demande : Can I have your attention please ? Et ça vire hypno ! On est entre de bonnes mains. Captain Morgan nous invite au voyage et il se met à jouer les dingos sur ce bon beat hypno - Right can I have your attention ? - Puis il passe à «Freedom» et lance un hey now welcome to the zoo. Ça se politise à outrance - Be a beggar/ Be a conman/ be a mugger/ be a whore - Il revient à la pop du paradis avec «Pasties». La pop reste bel et bien son apanage. Il crée l’illusion. Oh qui dira la modernité du Captain Haddock ? Il est comme Swamp Dogg, intarissable de son et d’idées de son. Il prend «Love Thing» au rock seventies et développe un fantastique espace de prog voyageur. Il explose son univers à coups de solotage. Ce disque est celui d’un fantastique aventurier. Ray Burns n’est autre que Lord Jim, mais sans pathos. Le disk 2 est encore plus spectaculaire. Il revient à la pop magique dès «Aliens Of The Lord» qu’il chante down the bingo avec de fiers accents cockney aux entournures. Il faut lui reconnaître une belle ampleur catégorielle. Prière de ne pas enfermer Captain Blackbeard dans les Damned. Il prend «Space Shuttle» à l’instro de choc et ça s’étend loin à l’horizon, c’est noyé de son, plein d’aventures et de wah system. Il ne vit que pour l’enchantement psychédélique. Il faut prendre ce mec très au sérieux. Ses solos de wah sont d’une rare férocité. Il affûte ses attaques et s’en va gicler dans l’azur immémorial. Encore une merveille avec le morceau titre. Il entre dans le vif du sujet après une intro déconnante. Quand on l’entend passer ses puissants accords, on comprend qu’il a écouté des bons disques quand il était jeune. C’est puissamment drivé. Il crée des petits mondes à coups de spatio-temporalités extraordinaires. Il adore l’espace, comme on le constate une fois de plus à l’écoute d’«Honeymoon In Acapulco». Captain Sensible n’est autre que Major Tom. Il s’amuse tout seul. Personne n’ira le suivre sur six minutes de spatio-temporalité à la dérive coïtale, mais ce n’est pas grave. Back to the magic pop avec «Can You Hear Me». Il lâche toutes ses troupes dans cette nouvelle merveille effrontée et distanciée. C’est même claqué du soubassement des carters de boîte et admirable de rectitude longitudinale. Ça se termine avec du solo à la MC5 et il faut entendre Paul Grey claquer ses notes de bas de manche ! Quelle fabuleuse énergie translucide ! Il repart pour 15 minutes de trip avec «Business Trip To Saturn». Bienvenue à bord de ce fantastique voyage à destination de Saturne ! Captain Trip est heureux de nous accueillir à bord, nous autres fans introvertis de Syd Barrett. Set the controls for the heart of Saturn ! On traverse une première galaxie chargé de son. Les cœurs battent la chamade et le beat s’accélère. On traverse des paysages extravagants et solides. Captain Wah wahte comme un beau diable. Il traite aussi «Inventing The Wheel» à la wah sauvage. Il travaille sa pop au corps, il devient complètement dingue avec sa pédale. Il viole toutes les conventions. Il revient à sa vieille pop avec «The Last Train». C’est plein d’effets vengeurs. Il sait saquer la gourde d’une casse de typographe ! Voilà encore un fabuleux cut atmosphérique traversé par l’un de ces solos rageurs dont Pasteur ne serait jamais venu à bout. On se fend bien la gueule à écouter «Festival Radio Jingles» et Rachel Bor chante ensuite une autre merveille intitulée «We Are The Aliens». Captain Dada passe à la dada jam avec «Stabilizer jam». Des machines se parlent avec des réflexes de perroquets du Zoo de Zanzibar. Il ramène des riffs de punk et fait du pur dada. Bienvenue chez le Picabia du punkyrama. Il finit cet album héroïque avec «Plastic Arcade». Il sonne comme un héros, le héros qu’on a envie d’entendre en Angleterre. Il ramène toute l’énergie des Pistols, mais sans ressentiment. Derrière, Paul Gray fait le con. Voilà encore du génie pop à l’Anglaise.

Tout est diaboliquement bon sur Mad Cow & Englishmen. Ça part en trombe avec «While Wrecking The Car», hit de car crash pop qui sonne comme un hymne. Il n’existe décidément rien d’aussi déterminant que cette façon d’illuminer l’univers. On ne peut que vénérer cet immense artiste. Il revient à sa chère pop-punk avec «Bob’s Brown Nose». Eh oui, on sent nettement l’empreinte des Damned. Captain Pop opte ici pour un ton délicieusement cassant. Sa pop se veut atmosphérique, lourde de sens et ambitieuse. Les chœurs relèvent de la magie pure. Écoute bien les albums de Captain Sensible, car ce sont des œuvres incroyablement solides. Avec «The Stately Heroes Of England», il part en mode beatlemania de voix arrières, style Magical Mystery Tour. Extraordinaire ambiance ! Pop d’écran de soie. Puis il brise ses chaînes avec «Smashing The Chains», nouvel exercice de pop fantastique. Il faut voir de quelle façon il amène son «Mr Brown’s Exploding Wallet» : pur jus de pop anglaise. Captain Fury défie les géants du genre. Fantastique et complètement extraverti, nice and sleezy. Monty Oxy Moron fait déjà partie de l’aventure. Et on le sait, Captain Fingers joue de la guitare comme un dieu. Il salue les végans dans «Mr Farther» et revient à la power pop avec «The Letters Love Past» - Big Ferrari engine like a lion’s roar/ I can buy me anything/ And I’m spending more and more - Il raconte qu’il a gagné à la loterie et il renoue avec le génie pop dans «One Little Wonder», mais tout est si bien foutu sur cet album, lyrics, ton, thèmes, son, que les bras nous en tombent.

On retrouve tous les hauts faits de Captain High sur le Best Of qui s’appelle Sensible Lifetime. Comme on l’a vu, cet énergumène est parfaitement capable de se suffire à lui-même. Il fait les Damned tout seul, quand il veut, où il veut et selon ses termes. On retrouve le «Revolution Now» joué aux machines, mais on y retrouve aussi son sens aigu du beat violent et de l’avance rapide. Figure aussi sur Lifetime cette version violente de «Smash It Up» et le fameux «Happy Talk» gratté aux accords hendrixiens. C’est l’un de ses hits les plus explosifs. Captain America sait mener la danse. C’est un peu comme s’il ramenait la cavalerie. Son plus beau hit restera bien sûr «Glad It’s All Over», avec son sentimentalisme sensible, l’explosion du son et les submarines in the harbour. Quant à «Sporting Life», c’est allumé d’entrée, voilà un petit chef-d’œuvre de pop musclée. On retrouve aussi sur ce Best Of son hit le plus connu, «Wot», ramoné par cette gigantesque bassline dont on a déjà dit le plus grand bien.

Captain Sensible reprend du service dans les Damned en 1997, mais ça ne l’empêche pas de monter des side-projects, comme par exemple Sonny Vincent & His Rat Race Choir ou The Sensible Gray Cells avec ses vieux potes Paul Gray et Marty Love, the Johnny Moped drummer. On ne sait comment s’y prend ce brave Captain Move, mais il s’arrange toujours pour sonner de façon contemporaine et vitale plutôt qu’anachronique et maniérée. C’est son truc, la botte de Captain Nevers. Dans une interview pour Vive Le Rock, il dit toujours adorer ses premières amours, Ray Davies, Burt Bacharach et les Small Faces. Et il s’emballe : Piper At The Gates Of Dawn, Pet Sounds, Butterfly, Sgt. Pepper ! C’est ce qu’on entend sur Get Back Into The World, leur deuxième album paru en 2020. Captain Psychout y offre un véritable festin de freakout, notamment dans «So Long», pur chef-d’œuvre de belle déglingue. Avec «Sell Her Spark», il entre dans le vif du sujet, il ramène sa wild guitar et crée du flux, mais pas n’importe quel flux, du flux de flush. L’autre hot shot de l’album s’appelle «I Married A Monster». Captain Fracasse y joue des gimmicks de gaga-punk et Paul Gray rôde dans le son comme un furet, c’est somptueux et stupéfiant à la fois, ils envoient tout le drive de crazy beat qu’on peut espérer, c’est bien meilleur que les Damned. Il va plus loin sur une pop plus évolutive («Stupid Dictators»), il sait jouer sur plusieurs tableaux. C’est Paul Gray qui vole le show dans «A Little Prick», il joue ça au drive dévorant. Ça sent bon l’osmose de la comatose. Big album, c’est évident. Et puis avec «What’s The Point With Andrew», Captain Wrath règle ses comptes. Il s’en prend au Prince et à la famille royale. Il n’en peut plus de cette famille royale qui se fait aider financièrement par le gouvernement. Dans l’interview à Vive Le Rock, Paul Gray dit que the whole lot of them devrait être aboli et envoyé au Job Center. Et Captain Anger ajoute qu’il n’a jamais pu les supporter, car on les présentait comme des modèles au peuple britannique, et c’était dit-il loin d’être le cas. Puis ils se payent une fantastique virée dans la mad psychedelia avec «Fine Fairweather Friend» et «Another World». Captain Shankar y fait sonner sa guitare comme un sitar, il cite Alpha Centauri et ça devient très bizarre, très embringué. Beaucoup trop embringué.

C’est très instructif d’écouter Captain Sans Peur et Sans Reproche jouer dans le Rat Race Choir de Sonny Vincent. En 1997 paraissait Pure Filth, un album chargé de relents stoogy. Pas étonnant, puisque le batteur n’est autre que Scott Asheton. Sonny Vincent est un mec qui chante à la bonne absolution. Il n’existe pas sur cette terre une aussi belle brochette de crumbies que le Rat Race Choir. Cheetah Crhome complète le panorama. Ils misent sur le syndrome du super-groupe. Avec «Always A Catch», ils rendent un fier hommage aux Stooges. Captain Sens Dessus Sens Dessous monte bien au créneau. Sonny Vincent chante comme il peut, bon c’est sûr qu’il n’est pas Iggy. En fait c’est Captain Sans Scrupules qui fait les Stooges tout seul dans son coin, comme un gros raton laveur dans sa cage. C’est rigolo car il devient ridicule, on est mort de rire. Le Rat Race Choir reste dans les Stooges pour «Life To Life», puis bizarrement tout bascule dans le punk’s not dead pas très beau. On entend Captain Sans Souci rouler sa bosse sur le gaga-punk de «Cinematic Suicide». C’est franchement pas jojo mais comme le Captain est con comme un manche, il fait ce qu’on lui dit de faire. Gratte ton bassmatic, Capt ! On avance ! Ils sont assez marrants car il n’y a aucune compo sur cet album, juste du gaga-punk d’étable, bête à manger du foin, avec un Captain Sans Retour qui ramone ses gammes comme un âne, et derrière, Scott Asheton bat son vieux beurre . L’aventure s’achève avec un «War Party» amené aux accords stoogy. C’est mal chanté, Sonny Vincent se prend pour Jeffrey Lee Pierce mais son «War Party» n’est pas «Death Party». Ça se fond néanmoins dans le groove et Captain Sans Dec ramène le drive que joua Noel Redding dans «Hey Joe».

Signé : Cazengler, Captain Sempiternel

Captain Sensible. Women And Captains First. A&M Records 1982

Captain Sensible. The Power Of Love. A&M Records 1983

Captain Sensible. Revolution Now. Deltic Records 1989

Captain Sensible. The Universe of Geoffrey Brown. Humbug 1993

Captain Sensible. Live At The Milky Way. Humbug 1994

Captain Sensible. Meathead. Humbug 1995

Captain Sensible. Mad Cow & Englishmen. Scratch Records 1996

Captain Sensible. The Best Of. Sensible Lifestyles. Cleopatra 1987

The Sensible Grey Cells. Get Back Into The World. Damaged Goods 2020

Sonny Vincent & His Rat Race Choir. Pure Filth. Safety Pin Records 1997

Pat Gilbert : The Mojo interview. Mojo # 329 – April 2021

 

L’avenir du rock - Fontaines de jouvence

 

Alors comment se porte l’avenir du rock ? À son chevet, les médecins ne cachent pas leur inquiétude. Comme d’habitude, ils racontent n’importe quoi. Ça le fait marrer, l’avenir du rock. De toute façon, il n’aime pas les médecins. Il les soupçonne de bosser pour le compte des gros labos impérialistes et de refourguer aux gens des tas de médocs qui ne servent à rien. Pouah !, fait l’avenir du rock, fuck it ! Leurs médocs, ils peuvent aller se les carrer où je pense ! Up the arse, les médocs !

L’avenir du rock fera comme il a toujours fait depuis soixante ans, il va se dépatouiller tout seul. Pas question de tremper dans leurs combines. Pas question d’alimenter leur petit biz à la mormoille. L’avenir du rock a bien raison de ne pas se faire de mouron, car il ne s’est jamais porté aussi bien. Eh oui, les gars, voilà que la presse anglaise nous sort en 2018 un buzz de derrière les fagots de Tin Pan Alley, comme elle sait si bien le faire : Fontaines D.C., un groupe de kids irlandais littéralement tombé du ciel, c’est-à-dire sorti de nulle part. Et pour une fois, le buzz repose sur du solide, sur un vrai son, une vraie voix et de vraies compos. The boys are back in town, comme le disait si joliment Phil Lynott. Dans 150 ans, les historiens du rock qualifieront certainement Fontaines D.C. de plus gros buzz des années 20.

Leur premier album s’appelle Dogrel et sa pochette déroute un peu. L’ambiance graphique se veut résolument post-punk. Photo de cirque et typo hasardeuse, on ne sait pas trop quoi penser, alors on écoute «Big» et là, bonne surprise, le petit chanteur qui s’appelle Grian Chatten part en mode Irish cockney déjanté. C’est assez bien amené, avec un beau big beat. Ils vont fonctionner ainsi tout le long de Dogrel, en forçant l’admiration. Si tu aimes le son pour le son, alors cet album est pour toi. C’est essentiellement un album de son qu’il faut écouter dans de bonnes condition, bien sûr, pas sur un smartphone. Les petites Fontaines ont beaucoup de son et des bons micros. Ils savent pulser un beat, bon d’accord, ils font du post-punk, mais on sent chez un eux un goût prononcé pour la démesure, mais une démesure vois-tu qui met en appétit. Ils optent pour une formule disons éculée, pour rester poli, mais ça fait partie du boulot que de savoir l’accepter telle quelle. Ah si on se laissait un peu aller, on irait jusqu’à dire qu’aujourd’hui tout n’est plus que formules éculées, alors ne nous privons pas du plaisir de voir des petites Fontaines naviguer sur des eaux mille fois éculées de la Britpop d’Adorable. Pour montrer qu’ils ont de bons réflexes, ils embarquent «Hurricane Laughter» à la basse fuzz, alors forcément ça sent bon la resucée, ils jouent cependant leur Hurricane avec la dignité du dernier souffle. La basse surgit derrière l’épaule d’Orion. Avec cet Hurricane, ils nous font du pur Fall. C’est tout de même incroyable que ces petites Fontaines soient devenues si populaires avec du pseudo-Fall et du simili-Adorable. Mais ils y mettent tellement le paquet que ça fonctionne au-delà des espérances les plus rances. Ils font aussi du son aussi sec qu’un saucisson sec avec «The Lotts». Reconnaissons néanmoins que les arrangements de cordes sont superbes. C’est d’ailleurs le contraste qui intrigue. Les strings et le mal aimable ne font généralement pas bon ménage. Ils continuent d’exacerber l’ingratitude du son avec «Chequeless Reckless», le petit chanteur ramène son Irish cockney et on assiste à une belle montée de la tension du son, all across the nation, et là, pouf, ils se tapent une belle embardée en forme de gros solo trash, puis le cut s’en va cavaler dans la nuit, what’s really going on ?, et on finit par le perdre de vue. Mais ça n’est pas tout : voilà qu’ils ramènent les accords de «Gloria», de la frenzy et de l’Irish cockney dans «Boys In The Better Land» - Put the boys in the better land - C’est scandé à l’excellence des petites Fontaines, ils sont dans leur transe irlandaise, ça parle de spirit, et quel spirit ! Grian Chatten drive bien son boys in a better land, et avec ce solo trash à la clé, ça devient une sorte d’énormité. De fait, on touche à l’inespérabilité des choses. Comme ces pauvres gens qui jadis gagnaient leurs sous un par un, les petites Fontaines gagnent leurs fans un par un.

Ils récidivent deux ans plus tard avec A Hero’s Death et une pochette encore plus déroutante que la première. La statue est moche mais on s’en fout car voilà un very big album, même s’il met un certain temps à convaincre les cons vaincus. Pourquoi ? Parce que ça démarre sur des tempos bien connus des fans de Joy Division. On est dans cette ambiance un peu lourdingue, pas décidée à sourire. On est dans le sans surprise. Aujourd’hui, les groupes conquièrent le monde avec du sans surprise. Évidemment, c’est très produit. Il faut voir comment la batterie résonne dans le son. Un vrai prodige technique. Voit-on le bout du tunnel, c’est-à-dire de l’intérêt ? Le dark du deep atmopsherix finit toujours par révéler sa beauté. «Love Is The Main Thing» semble tendu de velours noir. On voit que les racines post-punk remontent dans la gorge de «Televised Mind». Ils cultivent admirablement la délectation morose. Malgré les poins bas comme «A Weird Dream», l’album reste d’un bon niveau, c’est très étrange. Ils peuvent même se montrer agaçants. Ils ressortent les petits accords atmosphériques de la Britpop dans «You Said», on a déjà entendu ça mille fois. «Oh Such A Thing» passerait bien pour un balladif en trompe-l’œil, mais coco n’a qu’un œil, comme chacun sait. Les petites Fontaines nous font du gros bingo de gaga, une merveille d’enculerie balladive qu’on aura du mal à leur pardonner. Mais soudain tout s’éclaire car voici venu le temps des énormités, à commencer par le morceau titre destiné aux amateurs d’Irish post-punk, mais chanté avec tout le brio de la bravado. The boys are really back in town, c’est excellent, on sent le cut qui ne veut pas courber l’échine, life ain’t always empty, et ça devient vite stupéfiant, typiquement le cut qu’on réécoute plusieurs fois tellement il éclate au firmament. Ils travaillent sur des grains exceptionnels et ça monte droit au cerveau, même à jeun, ce mec claque son chant au coin des couplets et revient au leitmotiv, life ain’t always empty ! Ils effarent les phares ! Ils montent au somment de la regalia. Ils emblasonnent l’excelsior. Ils enchaînent avec un «Living In America» tout aussi puissant, ces mecs sont comme les Idles, on ne sait pas d’où ça sort, mais ça sort, et quand ça sort, ça sort. Il jaillit un son vainqueur des petites Fontaines, leur America est une horreur de heavy groove. Et pouf, voilà «I Was Not Born» ! Ils finissent par avoir les gens à l’usure, ils défoncent la rondelle des annales avec leur beat élastique, ils disposent d’une vitalité extravagante, oui, c’est un son qui force l’admiration, mais l’admiration ferme sa gueule car elle sait bien au fond d’elle-même qu’elle est faite pour être forcée. On suivrait ces incroyables caméléons jusqu’en enfer. Ils sont passionnants. On peut vraiment compter sur eux.

Signé : Cazengler, Fonteigne d’ici

Fontaines D.C. Dogrel. Partisan Records 2018

Fontaines D.C. A Hero’s Death. Partisan Records 2020

 

Vous avais promis Sunami, une grosse coupure fibrique m'a privé d'internet... vous refile deux anciennes chroniques la première parue voici dix ans sur la livraison 41 du 23 / 02 /2011 et la deuxième sur la livraison 36 du 20 / 01 / 2011. Le tsunami sera là la semaine prochaine...

THREE STEPS TO HEAVEN

THE EDDY COCHRAN STORY

BOBBY COCHRAN with SUSAN VAN HECKE

LEONARD CORPORATION. 2003.

Deux Cochran pour le prix d'un. L'oncle et le neveu. Tous les fans de Cochran connaissent cette vieille coupure de presse – que l'on retrouve partout – vantant les mérites du petit neveu d'Eddie, reprenant à quatorze ans la succession de son oncle... Ca pue un peu le truc de journaliste prêt à tout pour obtenir un gros titre et deux colonnes en cinquième page...

Un demi-siècle plus tard il faut se rendre à l'évidence, le journaleux de service avait le nez fin. Bobby Cochran, existe, il suffit d'ouvrir le livre pour le rencontrer. Lourd héritage ou transmission héréditaire ? A vous de juger. Mais avant d'avancer, avisons les fans qui voudraient connaître un peu mieux Eddie Cochran : c'est par ce bouquin – hélas non traduit en français – qu'il leur faut commencer. Les deux autres ouvrages que nous avons chroniqués sur Cochran, le Rock'n'roll Revolutionaries de John Collis et le Don't forget me de Darrel Higham, fourmillent de précisions muséographiques, dates, enregistrements, labels, orchestres, studios, tournées, mais si désirez rentrez en contact non pas seulement avec le travail de l'artiste mais sentir l'épaisseur humaine de l'individu que fut Eddie c'est bien sur cette relation de Bobby Cochran que vous devez vous ruer.

Ce n'est pas tant parce que Bobby a connu et côtoyé Eddie – en réalité pas autant qu'on le souhaiterait puisque il était dans sa dixième année lorsque son oncle disparut – mais parce que le livre est écrit d'un lieu privilégié, que tout autre biographe serait incapable d'atteindre, depuis l'intérieur de la famille Cochran. La chair et le sang des Cochran, comme il se plaît à le dire, et qu'il a pu en quelque sorte durant toute sa vie remonter les traces de son oncle, comme avec un laisser-passer back-stage qui lui a permis d'ouvrir toutes les portes, surtout celles que l'on referme soigneusement derrière soi, car l'on n'a pas envie que n'importe qui vienne mettre son nez dans l'envers du décor.

Sanglantes furent les Pâques de la famille Cochran, ce 17 avril 1960, l'idole de Bobby a fait faux bond. Le grand frère adorable, la figure de proue, l'orgueil de la Cochran Family, ne reviendra plus apporter joie, bonheur, rires et bêtises dans la vie de Bobby. Au soir de ce jour des Parques funestes le petit garçon qui se couche dans son lit se fait le serment de devenir comme son idole pour qu'il ne meure pas tout à fait, pour que son passage en cette vallée de larmes ne soit pas comme une étoile filante dont le souvenir flamboyant ne dure qu'un instant dans la mémoire des hommes.

C'est Dad, le père de Bobby qui lui enseignera deux années plus tard les premiers rudiments de la guitare. Sur une des deux vieilles caisses délabrées que le père avait récupérées dans une caisse promise à la démolition. Dad n'est pas un virtuose, mais il connaît les premiers accords ceux-là mêmes qu'il avait enseignés à Eddie une dizaine d'années auparavant... L'essentiel, ensuite il suffit de travailler. D'arrache main. Ce que fera le petit Bobby, jusqu'à devenir, selon un critique, un des douze plus grands guitaristes du pays, mais nous y reviendrons. Laissons-le se lancer à la poursuite de Chet Atkins.

Un sacré bonhomme ce Dad. Pour que vous le situiez mieux, sachez que c'est lui qui a composé le poème inscrit sur la plaque funéraire d'Eddie. Un drôle de truc qui m'a toujours fait penser à l'Annabel Lee de Poe, «  les anges pas à moitié si heureux au ciel ». Je doute fort que le paternel de Bobby ait eu les connaissances littéraires de Poe. Le milieu social n'incline pas à une telle opportunité. Mais de l'esprit torturé de Poe, Dad a sans aucun doute partagé bien des tourments.

Le sang des Cochran est vicié à la base. L'alcool y abonde. Dad boit, plus de raison. Au-delà de toute raison. Pour parvenir à ce point absolu où les rêves de gloire se mélangent en la sordide réalité des déchéances existentielles. Durant deux ans il ouvrira un studio dans lequel Eddie aimait à le rencontrer, mais les affaires ne seront jamais bonnes et il se résoudra à le fermer. Cet homme qui a fait mille boulots, qui a traversé la grande dépression des années trente, n'aura même pas conscience du rêve américain qu'il aura trimballé toute sa vie avec lui. Difficile à vivre, violent, coureur de jupons, il fit le malheur de sa femme qui finit par partir et de sa famille qui n'en pouvait plus.

A quinze ans Bobby sera recueilli par la mère de sa petite amie qui l'hébergera et ira jusqu'à lui payer sa première vraie guitare alors que les amours adolescentes de ce futur gendre et de sa fille adorée se sont très vite muées en une simple et franche camaraderie... Mais le Dad de Bobby c'est l'est aussi l'autre Dad, celui d'Eddie qui n'apparaît pratiquement jamais dans les remembrances de Bobby, mais dont la personnalité est comme un double fantômal de celle de son père et comme mangée par celle de son épouse, Granny qui semble le véritable chef de famille alors qu'elle n'est que la poule protectrice de son petit Eddie chéri et préféré. Celle que la réussite d'Eddie investira de la puissance tribunicienne de la famille qui ne fera que s'accentuer après la mort de son mari survenue quelques mois après celle d'Eddie.

Ainsi Granny jusqu'à sa mort reprochera à Bobby de s'être lancé sur les traces d'Eddie pour récupérer la réputation de son oncle. En fait, elle avait surtout peur de tout ce qui pouvait faire de l'ombre à la postérité d'Eddie.

La famille Cochran est un peu méditerranéenne quoique le modèle en soit un peu universel. Les hommes commandent mais les femmes règnent. Elles se sacrifient mais ramènent à tout moment leur grain de sel. Les mâles vont au boulot – quand ils en trouvent – mais ils préfèrent s'adonner à de plus viriles occupations, la boisson et la chasse. Eddie ne déroge pas à la loi. Son amour des armes est connu. L'on peut encore admirer sa collection de couteaux et de fusils. Ce que l'on sait moins, ce sont les règles de la chasse à courre qu'il pratiquait. Quatre bonshommes bourrés à fond de train dans leur voiture faisant feu sur tous les lapins qui par malheur croisent leur route. Beaufs en goguette qui n'hésitent pas à abattre froidement et à bout portant une vache qui passait par là. Aventures picaresques : voyage des pieds nickelés au bout de la nuit...

Bobby nous le rappelle : la Bible affirme que le péché des pères retombe sur les enfants. Une des raisons du froid qui s'établira entre Eddie Cochran et Jerry Capehart qui combine le rôle de producteur et d'imprésario sera la trop grande dépendance d'Eddie à l'alcool. De même pour la fameuse tournée anglaise avec Gene Vincent dont on essaie toujours de nous refaire le coup du dieu noir et de l'ange blond, Bobby Cochran nous décrit un Cochran de plus en plus porté sur la soulographie. Il avance des excuses et des explications : un pays pluvieux et très froid, une cuisine catastrophique, des centaines de kilomètres en des trains insupportables, et l'absence de Granny qui pèse lourd dans le coeur d'Eddie, mais il emploie à plusieurs fois le mot fatal d'alcoolisme qu'il rattache à mots couverts à un atavisme familial... Mauvais sang ne saurait mentir.

Au contraire de Darrel Higham, Bobby ne laisse planer aucun doute sur l'abstinence sexuelle de notre rock star qu'il nous décrit comme toujours prêt à enfiler dans toutes les positions (in)autorisées la moindre créature féminine qui passe près de lui. Nous apprenons que les ébats de notre chaud lapin auraient laissé sur les rivages britannique – tout comme sur les rives australiennes – une progéniture qui se fit connaître ( mais non reconnaître ) une vingtaine d'années plus tard auprès de la famille...

Reste le cas Sharon. Bobby Cochran n'élude pas le problème : il ne nous la présente pas toujours sur son meilleur jour. Eddie se serait-il marié avec elle ? Sans doute que non et peut-être que oui, mais en ce cas ils auraient selon son analyse très vite divorcés. Il rappelle que dans les hôtels où ils descendaient Eddie faisait tout pour qu'elle ait sa chambre à un autre étage que la sienne... Sharon était-elle une amoureuse intéressée ? Et Eddie un amoureux intéressant ? J'ose pronostiquer qu'Eddie avait surtout besoin de Sharon lorsqu'elle n'était pas là, mais qu'il était moins en manque de son absence physique que de sa présence dans sa tête. J'entrevois le lien qui l'attachait à Sharon comme un substitut à la personnalité maternelle. Sharon Sheeley était douée d'une forte personnalité et d'un grand appétit de vivre, cela attirait Eddie mais lui faisait peur. Eddie jouait au chat et à la souris avec Sharon Sheeley – je t'attrape et je lève la patte pour la rabattre dare-dare et caetera - non pas pour s'amuser de sa force de séduction mais parce qu'il savait que la petite souris était capable de croquer le gros matou.

De Cochran, Bobby fait le tour. Nous apprenons ce que nous ignorions comme ce que savions déjà ou avions deviné. Comme la présence du conseil de famille, n'oublions pas qu'Eddie était mineur, qui ne prit peut-être pas toujours les bonnes décisions quant au profilage de sa carrière cinématographique. Pour Granny rien n'était trop beau pour Eddie, mais le mieux étant parfois l'ennemi du bien, il vaut mieux se contenter d'une enchère basse que de brûler les étapes.... Lorsque l'on pense à la dérive filmique d'Elvis, qui sait si Alice Cochran n'aurait pas préservé son rejeton du pire...

Liberty n'a pas eu une très intelligente attitude quant au soutien de sa vedette censée rivaliser avec le RCA Presley. Waronker, le PDG, regardait le rock par le petit bout de la lorgnette. La compagnie a gardé dans ses frigos des perles qui auraient aidé à établir d'Eddie comme le renouveau et la continuité du rock'n'roll américain, elle préférait le pousser à enregistrer des bluettes qui le classaient comme un des suiveurs d'Elvis, non pas la pente du pelvis pervers mais le côté crooner encroûté...

Dans la moindre friandise à minettes-teens, le génie d'Eddie parvenait à coller un truc surprenant qui aujourd'hui encore attire et retient l'oreille. La touche du génie en quelque sorte, mais cette espère de surenchère propre aux musiciens de studio consciencieux qui consiste à sauver coûte que coûte la moindre séance possédait son défaut : trop sûr de son talent Eddie ne voyait pas la nécessité d'écrire de nouveaux morceaux puisqu'il était capable de transcender n'importe quel matériau à sa disposition. Sur ce point Jerry Capehart allait à l'encontre de la paresse de son protégé.

Nous touchons-là à une faiblesse – qui fut aussi sa force en le sens où elle est restée très longtemps une œuvre collective - de toute la musique populaire américaine : la reprise incessante d'un patrimoine d'une telle richesse et d'une telle ampleur que l'on trouve toujours un vieux, ou même récent, morceau à recycler. Ce sont les Stones et les Beatles poussés par de basses considérations matérielles de droits à payer qui comprendront que les interprètes avaient tout à gagner à devenir compositeurs...

Puisque l'on parle des englishes autant signaler les pages dans lesquelles Bobby Cochran apporte les preuves de l'admiration sans borne que professaient les Beatles mais aussi les Stones, pour l'œuvre d'Eddie Cochran.

En 1968, Bobby Cochran a la chance de passer avec son groupe en première partie des Yardbirds. A son étonnement Jeff Beck arrive à résoudre avec une grande facilité sur la caisse pleine de sa Fender des passes que lui-même n'obtient qu'avec une très profonde concentration sur la creux caisson de sa Gretch... Bobby se hâtera d'acquérir une fender... Passage symbolique de témoin, le rock évolue... plus tard par un juste retour de manche il sera témoin en compagnie de Sharon Sheeley de la grande admiration de Jimmi Hendrix et de Jeff Beck pour le jeu de guitare d'Eddie Cochran...

Bobby deviendra un des guitaristes d'un de mes groupes fétiches, Steppenwolf un des fondateurs du hard rock et auteur de l'hymne culte de tous les rockers, l' indétrônable Born to be wild... Bobby continuera sa route notamment avec les Flying Burrito Brothers, Leon Russel et quelques autres du même acabit...

Mais le destin va de nouveau frapper à sa porte. De nombreux fans d'Eddie l'ignorent mais le 17 avril 1999 Bree Cochran, la fille de Bobby, périt dans un accident d'automobile, touchée à la tête à l'âge de 21 ans, just like Eddie... La suite du chapitre consacré à l'évocation de Bree fait froid dans le dos. Le chagrin d'un père, des mots simples et poignants qui serrent le cœur. L'on a envie de refermer le livre et de sortir sur la pointe des pieds, pour ne pas déranger et endosser le rôle du voyeur, mais Bobbie continue ses synchronicités... quelques mois après la disparition de Bree, Rita sa femme se trouve bloquée dans un encombrement... une jeune fille de 19 ans vient d'être victime d'un accident de la circulation... Rita écrit un mot de consolation aux parents de cette jeune morte dont le sort lui rappelle trop sa Bree chérie... le père téléphone pour remercier... au cours de la conversation, il annonce qu'il lui reste une fille née... un 17 avril et que sa fille morte se prénommait... Cochran...

Un dernier mot pour finir, Bree Cochran avait elle aussi des relations difficiles avec l'alcool...

Le sang des Cochran.

Damie Chad.

ON EDDIE'S GRAVE...

 

Heavenly music filled the air

That very tragic day.

Something seemed to be be missing tho'

So I heard the creator say :

«  We need a master guitarist and singer

I know of but one alone.

His name is Eddie Cochran

I think I'll call him home.

 

I know the folks on earth won't mind,

For they will understand

That the Lord loves perfection,

Now we'll have a perfect band. »

 

So as we go through life; now we know :

That perfection is our goal,

And we strive for this

So when we are called,

We'll feel free to go.

 

SUR LA TOMBE D'EDDIE...

 

Une paradisiaque musique emplissait l'air

En ce jour si tragique.

Quelque chose semblait te manquer à Toi,

Aussi ai-je entendu le créateur :

«  Nous avons besoin d'un maître guitariste et d'un chanteur

Je n'en connais pas à part un seul.

Il se nomme Eddie Cochran

Je pense que je l'appellerai dans ma maison.

 

Je sais que les gens sur la terre ne seront pas d'accord

Pourtant ils comprendront

Que le Seigneur aime la perfection,

Et dès lors nous aurons un orchestre parfait. »

 

Ainsi cheminons-nous le long de notre vie; désormais nous savons :

Que la perfection est notre but,

Et nous nous efforçons d'atteindre à celle-ci

Pour que, lorsque nous serons appelés

Nous nous sentions libres de partir.

 

ROCK'N'ROLL REVOLUTIONARIES

GENE VINCENT AND EDDIE COCHRAN

JOHN COLLIS

( 230 pp. VIRGIN BOOKS. 2004 )

 

Longtemps que je voulais lire ce bouquin. L'ai toujours vu stigmatisé comme un livre à thèse : comprendre trop partial ou exprimant davantage les idées de l'auteur que la réalité des faits. Il est vrai que le titre claque comme une bannière politique. Rock'n'roll Revolutionnaries, John Collis ne serait-il pas une taupe trotskiste, avec ces englishes intellos il faut se méfier !

Rangeons les drapeaux rouges dans la profondeur de nos poches. Cette biographie croisée d'Eddie Cochran et de Gene Vincent n'est en rien une analyse marxiste de l'apparition de deux purs héros issus du peuple en lutte contre la rapacité des multinationales qui s'engraissent sur la sueur des forçats chanteurs.... Le terme même n'est jamais repris dans le texte... Le lecteur rectifiera de lui-même, il ne s'agit pas d'une rock'n'roll révolution mais d'une rock'n'roll révélation.

Avant le soixantième millésime les anglais avaient été gâtés : Bill Halley, Buddy Holly et Jerry Lee Lewis étaient déjà venus prêcher la bonne parole rock, mais ce ne furent que feux de paille trop vite éteints, à peine arrivés, déjà repartis. Avec Cochran et Vincent l'on atteignit un paroxisme orgasmique. La tournée des deux compères eut le temps d'ensemencer le pays : de janvier à avril 1960... quatre mois qui ont révolutionné le rock anglais, car il faut être juste nos deux ostrogoths n'ont pas débarqué en terra incognita, une scène rock existait déjà depuis plusieurs années en Angleterre... d'ailleurs nos américains furent du début à la fin accompagnés par des musiciens autochtones qui s'en tirèrent plutôt bien. Ils en retirèrent même quelques leçons qui permit au rock national de brûler les étapes et de faire en quelques années jeu égal avec le grand-frère américain.

Cette tournée fut le big bang initial du rock british et marqua tellement les esprits que cinquante ans après ( donc l'année dernière, en 2010 ) une tournée hommagiale regroupant plusieurs combos accomplit une espèce de pèlerinage musical reconstitutif du charivari originel. Pour ne pas cuver notre dépit dans notre coin, nous petits français donnâmes les 19 et 20 novembre deux soirées du même acabit regroupant les Virginians, Erwin Travis et Thierry Lecoz. Nous vous en reparlerons. Mais revenons à nos lions.

Sautez allègrement le premier chapitre : certes l'intitulé est alléchant : La marche des Teddy boys. C'est un cours pour lycéen du genre : situation socio-écomique du monde occidental pour la période allant de la fin de la guerre à la fin des années cinquante. Merci monsieur le professeur, ouf ! L'école est finie !

Dépêchez-vous de tourner la page suivante, car à partir de là, tout n'est que bruit et fureur, la tragédie démarre sur les chapeaux de roue. Ce ne sont pas des conquérants qui foulent le sol de la perfide Albion en ce froid matin de janvier, plutôt des transfuges, des travailleurs émigrés qui s'en viennent voir si l'herbe des célèbres lawns est bien plus verte que celle de leur native grande prairie. Tous deux sont en panne : la carrière de Gene est au point mort, il est déjà un hasbeen de première catégorie, quant à Eddie, plus jeune, si tout n'est pas encore joué, sa maison de disques le verrait mieux en jeune premier de la chanson romantique pour petites filles sages qu'en rocker pur et dur...

L'on connaît la suite : le public était en quelque sorte acquis d'avance mais il ne s'attendait pas à une telle furie. Ce n'était pas un spectacle que délivraient les deux boys mais un nouvel art de vivre décliné d'une manière plus enthousiasmante par Eddie, plus tragique chez Gene.

Vincent et Cochran. Ne tournons pas autour du pot. La question se pose : des deux quel est le meilleur ? John Collis ne l'élude pas. Il ne nous fait pas le coup de l'amitié indéfectible que rien ne pouvait détruire. Trop facile. Si la fatalité n'avait pas endeuillé la fin de la tournée qui oserait prétendre que Gene et Eddie seraient restés comme des frères dans les années qui suivirent ? Parfois les films se terminent trop bien au bon moment.

Parfois l'amitié est une question de survie. Tout dépend des circonstances extérieures. Et intérieures. Car chacun de nous transportons avec nous nos propres fêlures. Pour Eddie, elle porte un nom que l'on n'attendrait pas : le mal du pays. Au fur et à mesure que les jours passent, que la fatigue s'accroît, que la monotonie s'installe, Eddie prend certainement conscience de ce qu'il est. Pour sûr il adore la scène, les applaudissements, les cris des filles, les sifflets, toutes ces marques de ferveur dopent et dynamisent son égo. Mais point trop n'en faut. Ou alors l'idéal serait de rentrer toutes les fins de semaine à la maison. Sa maman lui manque. Sa chambre, sa guitare, deux ou trois copains qui viennent discuter à la table familiale, Eddie est un jeune garçon tout compte fait plutôt sage.

N'en faisons pas un retraité avant l'heure, non plus. A toute heure sa gratte le démange. Dans le tumulte de la scène et le tohu-bohu de la tournée, Eddie se cherche et se trouve. On stage, yes OK ! mais dans le corral du studio c'est là que réside la liberté de création. En lui tout est encore en gestation, il a déjà donné quelques chef-d'oeuvres mais tout cela n'est rien comparé à ce qui bouillonne en lui. Cette impatience artistique inassouvie mêlée au sentiment d'instabilité généré par les déplacements incessants se transforme parfois en angoisse. L'on a parlé de prescience de sa mort qu'il aurait manifesté plusieurs fois au cours de son séjour anglais. John Collis remet en cause les témoignages. Que ne ferait-on pas pour attirer ne serait-ce que quelques minutes les projecteurs de la gloire sur notre petite personne. Toutes les occasionnes ne sont-elles pas bonnes ? Les plus dramatiques permettent de mieux frapper les esprits.

Il est vrai que Cochran accompagnait ses autographes de la formule « Don't forget me » a posteriori très prophétique, qu'il a été extrêmement marqué par la disparition de Buddy Holly et de Ritchie Valens, mais pour notre part nous voyons en ces faits non pas seulement l'expression d'une peur panique de la mort mais la prise de conscience que le tourbillon existentiel jubilatoire qu'il était en train de vivre le coupait de ce pour quoi il était venu sur cette terre : la musique. Cochran était en train de se rendre compte que cette harassante tournée anglaise l'éloignait de ce qu'il considérait comme l'essentiel de sa vie d'artiste : la création.

Tout cela était sans doute encore diffus dans la tête d'Eddie. Il savait aussi savourer les bons côtés de son statut de rockstar. John Collis ne le précise pas, mais moi aussi je me doute de la manière dont devaient se terminer ses parties de strip poker organisées avec de jeunes filles consentantes dans ses chambres d'hôtel... Un jour la grande forme je m'amuse comme un fou, un jour la grosse déprime mais qu'est-ce que je fous ici ? Pas besoin d'être docteur pour pronostiquer un début de dépression, et une conduite un peu erratique... quel besoin d'inviter Sharon Sheeley à le rejoindre alors qu'il possédait tout un cheptel à portée de sa couche ! La pauvre Sharon s'est crue l'Elue de coeur, sans doute n'était-elle que la maman de substitution. L'on fuit les fatigantes brebis et l'on se jette dans la gueule de la louve... Il n'y a pas que Gene Vincent dans l'entourage d'Eddie qui se moquaient des prétentions de Sharon...

Puisque l'on parle du loup, venons-en à la bête noire de l'attelage. Le cas n'est peut-être pas plus compliqué. Mais il est plus grave. Sans le passage par la case taxi, l'on devine que Cochran, une fois rentré at home, aurait effectué le bon choix, lune de miel + rupture avec Sharon, sortie contre vents et marée d'un disque 100 % guitare, mise en boîtes de quelques futurs standards... la voie était tracée, il suffisait de suivre les pointillés... Mais pour Vincent le découpage était déjà fait. L'homme avait séparé sa vie en deux morceaux : face A, la scène, face B, la scène.

Non ce n'est pas une erreur de frappe. Dans les mathématiques Vincentiennes A = B et B = A, et tout le reste est égal à zéro. Dans la série je prends le live mais je ne retiens rien de la life, Vincent est sans équivalent. A la vie comme sous les spotlights je suis toujours sur scène. Ce n'est pas tout à fait le même rôle. Devant un micro je suis le roi des fous, à la maison, je suis le fou du roi. Idole d'un côté, idiot de l'autre. L'on ne guérit pas de la schizophrénie, à l'extrême limite vous pouvez donner le change. Tout dépend de quel côté vous regardez le profil de la lune, pas de chance, avec Vincent c'est toujours sombre.

Un garçon sympathique, gentil, timide, poli, peu bavard. Les premiers anglais qui l'aperçoivent le trouvent falot. Toute sa vie Jack Good se vantera d'avoir été le premier à accoutrer Vincent d'un cuir noir. C'est un peu comme si vous alliez ouvrir la porte de la cage du crocodile qui sommeille et que vous soyez fier de l'avoir réveillé. Ce n'est pas de votre faute, vous pensiez que les gros lézards mangeaient uniquement des mouches. Bref Vincent vous lui donneriez le rock'n'roll sans confession. Le problème c'est qu'il l'a ingurgité depuis longtemps. Toute la partition. De A à Z, et que quand il va vous la jouer, ce n'est pas en sourdine. Vincent, un ange, trois paires de culottes dans sa valise et une auto-miniature en surplus. Un véritable enfant. Quoi de plus innocent ? Rien, à part qu'il a souvent les mains pleines d'une arme. Parfois à feu. Parfois blanche. Mais dans les deux cas, ça chauffe drôlement et vous n'y voyez que du noir. Et attention, ce n'est pas un sketch à la Alfred Jarry, avec Vincent c'est toujours un drame. D'ailleurs, ça finira par la mort. La sienne.

Mais nous n'en sommes pas si loin. Le livre est structuré comme un roman moderne. La tournée anglaise. Flashback pour les deux chapitres suivants : d'abord Vincent aux States, ensuite Cochran aux States, puis Eddie après le 17 avril, et l'on termine sur Vincent après la même fatidique date.

Vincent aux States c'est l'histoire d'un envol vite foudroyé. Vite fourvoyé. Vincent ne prend pas la bonne route. Il prend la route. Be bop a lula n'est pas à son zénith qu'il part en tournée. Un rocker se doit de chanter devant son public. Pas de minauder devant les caméras de TV. Arpentera les USA de long en large, fatiguera ses musiciens qui rentreront vite à la maison, en recrutera d'autres aussi bons mais qui finiront par démissionner. Pour les contrats, les papiers et les dollars, ça ne l'intéressera pas trop. Ne fera pas assez gaffe. Se retrouvera dans des histoires d'avocats. Pour le fric, d'autres se chargeront de le trouver. Gene Chaotic Vincent. Après moi, le rock'n'roll. Le déluge c'est ici et maintenant et tout de suite. C'est un gamin. Qui a mal grandi, avec une guibole accidentée. Et qui refuse de se soigner. Il faudrait une amputation, il pose un morceau de sparadrap, il connaît le remède, se trouve en vente libre dans tous les stores de quartier : un coca-cola de jouvence. Les indiens la surnommaient l'eau de feu et assuraient qu'elle rendait fou. La panacée miraculeuse. Selon Vincent. Vous pouvez l'accompagner de petites pilules de votre choix. Plus besoin de perfusion à l'hôpital si vous optez pour une alcoolisation chronique. Il a un côté très américain. Armes et alcool en vente libre. Mais c'est un rebelle : n'a pas encore compris que le business est indexé sur le prix du dollar. C'est un homme floué qui foule le sol de la perfide Albion. Il a semé les graines du rock aux quatre vents, mais n'a pas fait gaffe aux corbeaux qui ont bouffé la récolte pendant qu'il chantait. La morale n'est pas respectée : c'est la fourmi travailleuse qui se fait plumer comme le stupide dindon de la farce. Essayez de garder votre équilibre psychologique avec de telles colères au coeur. Vincent est une bombe humaine en devenir, il marche au bord de l'abîme, mais la peur est derrière lui. Celui qui a tout perdu possède un immense avantage sur ses commensaux : il ne peut plus perdre.

Cochran aux States. Aujourd'hui l'on en aurait fait un surdoué de la guitare. On l'aurait envoyé dans une école spécialisée où on lui aurait fait subir la grande aseptisation. Dans les années cinquante l'on vous laissait vous débrouiller tout seul. Do it yourself ! A quinze ans il commence à être reconnu, il a tellement bidouillé le son qu'il a sa place dans le studio à côté de chez lui. C'est un bosseur. Mais pas comme une brute. Il réfléchit, il se pose des problèmes – comme beaucoup – mais il les résout -comme personne. A dix-sept ans il est déjà une figure d'autorité. Pas la grosse tête, le gars toujours prêt à rendre service, à vous montrer comment ça marche et à brancher sa guitare pour vous accompagner. Enthousiaste et pas méprisant. Serviable et efficace. Distribue ses idées sans compter, a real good guy. Sympathique, généreux, talentueux. Tout pour lui, intelligent et beau garçon.

Pour la beauté nous n'insisterons pas. Collis non plus : se contente de noter qu'Eddie aurait aimé être appelé pour un film qui se passerait de ses talents de chansonnier. Une subtile manière de se démarquer d'Elvis tout en poursuivant un chemin assez parallèle ? L'on n'est pas dans l'imaginaire de notre postulant acteur : rêvait-il d'une bluette sentimentale, d'un western dont il était grand amateur ? Question sans réponse. Qui est mort ne verra pas.

Mais pour Collis, une chose est sûre. Cochran n'aurait jamais joué d'instinct, il aurait intellectualisé son approche. Comme sur scène. La différence entre Cochran et Vincent ? Inquantifiable. Ils n'habitent pas au même étage, l'un est un instinctif et l'autre un réflexif. C'est vraisemblablement en cela que résidait l'étrange alchimie de leur amitié. Aucun n'empiétait sur le territoire de l'autre. Le dynamisme de Cochran et la sauvagerie de Vincent proviennent de deux sources différentes. Deux tempéraments isolés. L'un peut être au plus haut et l'autre au plus bas. Qu'importe l'un relèvera l'autre et l'autre lui rendra la pareille la fois suivante.

Sur scène Cochran assure la fin de la première partie et Vincent la fin de la seconde. Il en a été décidé ainsi au moment de la préparation de la tournée. Il semblerait qu'au fur et à mesure que la tournée avance que le set d'Eddie remporterait plus de succès que celui de Gene. Encore que les goûts du plus grand nombre ne correspondent obligatoirement à la meilleure des estimations ! De plus les témoignages que Collis a pu collecter insistent pour la plupart sur la qualité du show de Vincent. Quoi qu'il en soit l'on susurre que Gene devrait s'effacer devant Eddie qui refuse sans ambiguïté. En fait, chacun a trop besoin de l'autre pour mettre en danger leur commune entente. Sans jeu de mot, ils se serviront à tour de rôle de nurse et de béquille.

Mais au-delà de ces explications psychologiques, il est un autre aspect beaucoup plus rock. Musicalement Cochran est le chef d'orchestre, la valeur sûre dont même Vincent ne saurait remettre les conseils en question, mais pour tout le reste, pour le côté borderline -walk on the wild side, Vincent est l'initiateur. Si Cochran respecte les coups de folie de son alter-ego c'est qu'il a compris que Gene réagit toujours d'après des situations difficiles qu'il a traversées dans un passé agité. Il y a une part de grande sagesse dans l'ouragan de la folie. Très étrangement beaucoup de ceux que Gene a pu exaspérer, voire profondément blesser, par son comportement erratique, avouent ne pas lui en vouloir et le comprendre. Certes les témoignages collationnés par Collis sont parfois postérieurs de plusieurs dizaines d'années aux faits incriminés, le temps est un grand guérisseur qui aplanit bien des aspérités mais ce qui est étonnant c'est que l'on ne trouve trace d'aucune pitié ou mépris envers le créateur de Lotta lovin'. Il est un point de fuite vers lequel tous les interviewes se rencontrent : l'immense artiste que fut Vincent.

L'après 17 avril pour Cochran est bancal. Collis énumère les rééditions de ses disques, insiste avec raison sur l'énorme travail archéologique réalisé par le label Rockstar, rappelle les reprises de ces morceaux des Blue Cheer à Sid Vicious en passant par les Who. La renaissance rockab des années 80 est trop légèrement évoquée : Matchbox a droit à quelques paragraphes mais les Stray cats sont occultés. Préférences et allergies personnelles de l'auteur ?

Reste l'épilogue Vincent. La vie de Cochran se trouvant de fait enchâssée dans celle de Vincent, comme un reliquaire d'or pur qui renfermerait le coeur du chevalier invincible. C'est ici que le livre culmine dans une horrifique plénitude. Les dix dernières années de l'existence de Gene Vincent sont une apothéose déliquescente. Le sublime s'y mélange au grotesque. Vincent atteint à une grandeur skakespearienne, deux tragédies pour le prix d'une, Hamlett et le Roi Lear dans la même assomption vers la plus profonde déréliction. Tout y est plus accentué, nous abordons les montagnes russes de l'existence rock'n'roll. Déchéance charnelle et hauteurs métaphysiques. Vincent s'enfonce en lui-même, il ne noie pas son chagrin dans l'alcool, c'est l'alcool qui sombre dans le tonneau des Danaïdes de son mal-être.

Sur scène, pratiquement jusqu'au bout – et il n'arrêtera jamais de tourner – il est toujours le flamboyant universel. Il peut donner quelques concerts pathétiques, mais dans la série, il y en a toujours un ou deux qui emportent la mise. La fin est horrible, abandonné de tous et lâché par son corps. Il souffre d'asthme, parfois du sang coule de sa bouche et il se dégage une discrète odeur de charogne de sa jambe blessée, mais il reste debout, vaincu mais pas soumis. Il est de très fortes lignes dans lesquelles Collis analyse les belles images du documentaire de la BBC tourné en 1969. John Collis parle de la sérénité qui émane du visage de Vincent. Un homme revenu de tout, qui a jaugé le néant de l'ingratitude humaine, sans illusion et sans regret sur lui-même. Un Rimbaud de retour de sa saison en enfer mais qui n'en tire aucune gloriole. Une illumination bouddhique par la voie de gauche. Un homme qui a payé cash tout ce qu'il n'avait jamais acheté, mais qui reste fier du chemin accompli. Pour parodier Mallarmé, car la parodie est aussi l'arme cachée de la rock attitude, nous dirons que quand l'ombre menaça de la fatale loi son vieux rock'n'rêve, désir et mal de ses vertèbres, affligé de périr sous les plafonds funèbres, il a ployé son aile indubitable en lui. Répétons-le Gene Vincent est un des plus grands personnages de son siècle. La silhouette emblématique des rêves qui n'ont pas fui. Cygne Noir. Devant la sordide réalité du monde.

Damie Chad.

PS :Très beau livre, d'un anglais assez difficile pour les petits lecteurs de mon acabit. Les connaisseurs y retrouveront sinon in extenso du moins largement exposés des témoignages originaux dont le lecteur français ne connaît la plupart du temps que de brefs fragments, voire de lapidaires citations. Un très bel hommage à Gene and Eddie.

 

XXXIII

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

133

J'ouvris la porte avec la plus grande précaution. Apparemment rien n'avait changé, rien n'avait bougé, Molossito se précipita vers le bureau et debout sur ses pattes de derrière indiqua en gémissant qu'il était pressé de regagner le tiroir à Coronado dans lequel il avait l'habitude de se s'allonger pour de petites siestes réparatrices.

    • Quel chien intelligent, rayonnait le Chef, non seulement il a depuis longtemps compris que le bonheur réside là où se trouve le Coronado, mais en plus il vient de nous indiquer que le local a été visité avec soin, normalement ses coussinets auraient dû laisser quelques empreintes sur la poussière accumulée pendant notre absence, or le plancher est vierge de toute trace, nos visiteurs ont tenu à passer le balai avant de partir, nous avons affaire à de véritables hommes d'honneur !

    • Ou de simples femmes de ménage, Chef, je pense que les envoyés spéciaux de l'homme à deux mains, doivent manier plus souvent la sulfateuse que le plumeau !

    • Je ne suis pas loin de partager vos appréhensions, agent Chad, la meilleure défense étant l'attaque, il me semble qu'au lieu de jouer au chat ( Ouah ! grogna Molossa ) et à la souris ( Miaou ! s'amusa Molossito ) il serait temps d'avoir une explication définitive le plus vite possible, partageons-nous les préparatifs, dégottez-nous une voiture potable, pendant ce temps je m'occuperai des armes et des Coronado.

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Quelques heures plus tard je remontais les escaliers en sifflotant, j'étais assez content de moi, j'avais récupéré une Lamborghini que j'avais fait repeindre en orange fluo, j'avais dû insister pour que l'on me change les plaques d'immatriculation qui maintenant n'offraient plus à l'avant comme à l'arrière, que les trois lettres SSR, ne fallait surtout pas que lorsque nous arriverions devant l'homme à deux mains il puisse hésiter ne serait-ce qu'une fraction de secondes sur notre identité.

Lorsque j'ouvris la porte, les chiens couraient partout excités comme des puces, par quels mystérieux canaux avaient-ils compris que l'Aventure recommençait, le Chef refermait placidement deux énormes valises, j'eus du mal à soulever celle à Coronado, c'est à ce moment que le téléphone sonna et que le Chef décrocha. Sans doute n'aurait-il pas dû, mais c'est ainsi.

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    • Allo ! - la voix était sèche et brève, l'on sentait quelqu'un qui avait l'habitude de commander, ou plutôt d'être obéi avant même d'avoir commandé – vous êtes bien un représentant du SSR ?

    • Le Chef en personne ! Vous ne pouvez pas mieux tomber.

    • Je viens d'apprendre que les premiers 45 tours d'Elvis Presley étaient des soixante-dix-huit tours, est-ce vrai ?

    • Présentée ainsi la vérité la plus vraie, il n'est pas le seul dans ce cas, il...

    • Je les veux !

    • Lesquels ?

    • Tous !

    • Tous les 78 tours parus depuis...

    • Non pas tous, uniquement ceux des rockers et des petits chanteurs de rockabilly.

    • Cela fait beaucoup...

    • Ne vous préoccupez pas de cela, une ligne de crédit illimité est ouverte sur le compte du SSR depuis trente secondes, je vous rappelle demain matin !

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Même les chiens avaient arrêté de faire les fous. Pas de temps à perdre maugréa le Chef, nous avons mieux à faire, mais par acquis de conscience il ouvrit l'ordinateur. C'était incroyable le compte bancaire du SSR ne comportait qu'une ligne : crédit illimité, en lettres capitales rouges. Par téléphone le directeur confirma, le secret bancaire lui interdisait de nous communiquer le nom du généreux donateur, une personnalité bien connue du gotha financier ajouta-t-il. La nouvelle demandait réflexion. A bien y réfléchir depuis le temps que nous bataillions contre lui l'homme à deux mains pouvait attendre. Ce n'est pas que nous aimions l'argent mais le Chef caressait depuis longtemps le projet d'ouvrir Le Musée du Coronado, et moi-même je savais que je ne pourrais terminer les Mémoires d'un Génie Supérieur de l'Humanité que sur une île déserte perdue au milieu du Pacifique entouré de quelques servantes attentionnées...

L'agent Cat Zengler contacté au plus vite était davantage circonspect, mais quand le lendemain notre mystérieux commanditaire nous contacta pour savoir si nous acceptions sa proposition, nous lui posâmes une seule condition, qu'une ligne de crédit illimité soit affecté à notre tête chercheuse, pour couvrir les faux frais, le Cat changea totalement d'avis et se mit en quête du Graal 78 ainsi qu'il dénomma l'opération. En huit jours, sur les sites d'enchères il rafla tout ce qui de près ou de loin ressemblait à un soixante-dix-huit tours de rock'n'roll.

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En quinze jours l'affaire fut pliée. Le téléphone sonna une dernière fois :

    • Merveilleux, je viens de recevoir votre envoi, tout y est, c'est parfait ! Je vous laisse vos lignes de crédit illimité jusqu'à la fin de l'année, profitez-en bien !

    • C'est très gentil à vous, nous ne savons...

    • Ah oui, j'allais oublier, j'ai un petit cadeau pour vous, il sera chez vous dans deux ou trois jours !

    • Nous guetterons la boîte à lettres avec impatience !

    • J'ai dit un cadeau, pas une bricole !

    • Le facteur nous le montera à l'étage !

    • Ah ! Ah ! Les facteurs français doivent être très forts alors !

    • Alors nous nous contenterons d'attendre sagement !

    • Hélas non, messieurs, je suis immensément riche mais trop pauvre pour vous l'expédier à Paris, il sera livré dans la bonne ville de Cannes, je vous ai réservé le plus beau palace de la ville en entier pour tout le mois, pour vous deux et vos deux chiens. Au revoir.

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Le Chef n'avait pas reposé le téléphone qu'il sonna aussitôt. Nous reconnûmes aussitôt la voix.

    • Bonjour mes amis, je pensais recevoir votre visite ces jours-ci, vous ai attendu en vain. Vous me décevez ( le cigare du Chef laissa échapper un nuage noir comme une menace de mort ) enfin tant pis, j'espère vous voir à mon retour, pour le moment je pars en vacances sur la Côte d'azur, que voulez-vous même un homme à deux mains a besoin de repos !

A suivre...