09/11/2016
KR'TNT ! ¤ 302 : FU MANCHU / HOWLIN' JAWS / TONY TRUANT ET LES GRYS -GRYS / DU ROCK'N'ROLL
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 302
A ROCKLIT PRODUCTION
10 / 11 / 2016
FU MANCHU / HOWLIN' JAWS TONY TRUANT ET LES GRYS-GRYS DU ROCK'N'ROLL |
LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 04 - 10 - 2016
FU MANCHU
Fu Manchu n'est pas manchot
Fu Manchu ? Voilà un groupe coupé en deux. On a l’avant et l’après Eddie Glass.
Eddie Glass appartient à cette caste des Guitar Gods, ces gens capables donner une vraie identité à un groupe. Non seulement Eddie Glass a inventé Fu Manchu (puis Nebula), mais il se pourrait bien qu’il ait aussi inventé le stoner, qui, lorsqu’il est inspiré, s’inscrit dans une lignée qui remonte à Leigh Stephens, et donc Blue Cheer, et à John Du Caan, celle d’un heavy heavy heavy blues rock. Le Graal des seventies. Le graas des seventies, devrait-on plutôt dire.
Les deux premiers albums de Fu Manchu sont des classiques imparables. Dès, No One Rides For Free paru en 1994, Eddie Glass brisait la glass. Il fondait même toute la banquise avec ce cut génial qu’est «Time To Fly» - I’m gone bye bye I’m gone - pas de meilleure introduction au monde magique du stoner de dieu. S’ensuit un «Ojo Rojo» gavé de son comme une oie ou un âne, on ne sait plus, en tous les cas Eddie lâche son paquet de mélasse et ça splashe. C’est l’un des plus gros dépoteurs d’Amérique. Il continue de faire son festival de la vasouille du gras double dans «Show And Shine». It’s rainin’ cats and dogs, oh oui, ça pleut à verse. Encore une belle bouse d’heavyness avec «Mega Bumpers». Quand Eddie rôde dans les parages, on ne rigole plus. En B, on renoue avec le heavy doom de stoner glassique grâce à «Superbird». Eddie nettoie tout ça à la wha-wha. Ce mec est tellement bon que tous les cuts finissent par sonner comme des classiques. Le «Snakebellies» qui referme la marche sonne comme une fondue stoner à la Belle Hélène. C’est du son tellement gras qu’il finit par couler. Eddie attaque par tous les côtés à la fois. Quel carnage ! Il faut l’entendre tortiller ses tortillettes, ramoner ses gammes, dépoter ses bronzes, il fait tout ça en même temps, en plein cœur des fumées et des odeurs du grand œuvre libératoire.
Le festival se poursuit dans l’excellent Daredevil, avec sa pochette ornée d’un buggy en plein saut de dune, comme celui de Steve McQueen dans L’Affaire Thomas Crown. Tous les ingrédients du stoner accourent au rendez-vous de «Trapeze Freak» : le gras double, le chant angelino, la lourdeur pathologique et la fumée spirituelle. Eddie amène «Tilt» au gimmick vicelard - Feeling so fine - et le groupe cède au vertige du garage. Eddie s’amuse ensuite à concasser «Gathering Speed». C’est gagné d’avance. Ils fondent le chaos avec un étrange sang froid. Tout le heavy rock des seventies est là. Quel album ! Il faut aussi les entendre swinguer la tourbe dans «Coyote Duster» et faire vomir le pauvre «Travel Agent». Si on veut voir un cut dégueuler du son, c’est là. Et si on apprécie le beat ralenti du bulbe, on se régalera de «Sleestak». Mais la vraie heavyness se trouve de l’autre côté, avec deux cuts faramineux, «Egor» et «Wurkin’», surjoués dans le riffing, ramollis dans le caoutchouc, coulants comme un gros Brie oublié sur une terrasse, à Marrakech. Eddie le diable se faufile comme un serpent dans toutes cette matière de son liquide. Il attaque enfin «Push Button Magic» au riff de Neanderthal. C’est d’une puissance qui dépasse le rock. Eddie n’en finit plus de surjouer le surjeu.
Fin de l’âge d’or Fu Manchu avec In Search Of. Quasiment tout est bon là-dedans. C’est Eddie qui régale. Avec «Missing Link», on nage dans la crème au beurre du bonheur, dans une mousse de gras qui colle parfaitement à l’idée qu’on se fait du heavy rock. On assiste à une belle déroute de l’armée du rock dans une Bérézina de bouillasse sonique. Voilà ce que développe l’infernal Eddie. Il fait de cet album un épouvantable classique. Avec «Asphalt Risin’», il s’attaque directement à la saturation du son. Il n’en finit plus de grimper sur la brèche, il lâche sa purée cosmique à jets continus. Quel troupier ! Le carnage se poursuit avec «Cyclone Launch», broyé d’entrée. Eddie l’écrabouille. Il atteint la cime du stoner californien. Les autres aèrent avec des passages joués à la cloche du père fouettard. Eddie rôde comme un loup affamé, long, fin et baveux, il joue dans son ombre et plombe l’histoire du rock avant de partir en solo de wha-wha. C’est tout simplement exceptionnel. Back to the heavyness of it all avec «The Falcon Has Landed». Avec Eddie, ce groupe devient imparable. Scott Hill chante sur la marche lente du beat et au cœur de l’infernabilité des choses, notre héros Eddie part en solo de rêve. On le retrouve sur «Seahag» en éclaireur franc-tireur overdosé. C’est comme s’il épaulait un vieux fusil à bison et que le son sortait liquide au bout du canon. Ils bouclent cet album à fumerolles avec un «Supershooter» bardé d’accords wha-whateux. Eddie joue comme un forcené. Il part en solo sans prévenir et s’en va consterner la postérité qui n’avait rien demandé à personne.
On entre dans l’après-Eddie Glass avec The Action Is Go. Le petit Bob Balch le remplace. On trouve quand même deux belles énormités sur cet album : «Hogwash» et «Grendel Snowman». Là on ne rigole plus, car Hogwash se montre digne des grands hits de Monster Magnet, avec son brouet baveux et les solos gras de Bob la bête qui filent à l’échappatoire. S’ensuit un Grendel monté sur un pur heavy groove de stoner et visité par un solo baveux, le merveilleux son de blues-rock dont l’amateur stonerisé jusqu’à l’os du genou est si friand. Ce sont là deux classiques indomptables. D’autres cuts sont devenus des classiques de Fu Manchu, mais ils banalisent un peu plus le stoner qui est un genre difficile. Exemple avec «Evil Eye» qui sonne comme la grosse Bertha et qui ne laissera pas de trace dans l’histoire. Côté mise en place, c’est parfait, mais il manque l’étincelle fatale. Bob Balch prend un solo complètement à la ramasse dans le cut suivant, «Unrethane». Il a l’art et la manière, et tout le son du groupe repose sur lui, désormais. Il sait se montrer entreprenant, surtout lorsqu’il écrase sa cry-baby d’un coup de talon rageur. Dans le morceau titre, c’est Brad Davis le bassman qui emporte le challenge, même si Bob graisse bien les choses. Ils ont tout bon, le son, l’esprit. Quelle équipe de Stormers du Stoner ! Leur principal atout reste le son. Encore un classique avec «Guardrail», joli brouet de boogie down et ils tapent «Anodizer» au gras double ralenti, avec des petites dynamiques internes. Tout l’art du stoner y passe, même les effets d’hypnose à la petite semaine. Ils savent flatter les oreilles blue-cheerisées, comme on le constate à l’écoute de «Strolling Astronomer» et dans «Saturn III», Bob Balch se couronne roi du solo liquide, vous savez, celui qui s’écoule comme une rivière de miel à travers la vallée des plaisirs.
L’amateur de stoner trouvera sa dose sur (Godzilla’s) Eating Dust, surtout avec «Godzilla», ses histoires de subway train et ses solos tortillards. Belle louche de purée. Belle descente aux enfers du son. Le pauvre Scott Hill tente de freiner - There’s no stop now ! - Trop tard. Voilà un beau spécimen de heavyness - Go Go Godzilla ! - Autre belle tranche de stoner : «Eatin’ Dust», qui fait l’ouverture du bal. Bob se venge sur Eddie, il joue plus fort que lui. Il sort un son qui cogne dans le pulsatif. Oui, il pousse le son dans ses retranchements, ce qui n’est jamais bon pour sa santé. Il joue si dru que ça devient immoral. Et ça continue avec «Shift Kicker», tout est poussé à douze sur les potards des nanards. Ils n’ont qu’une seule loi : saturer le son jusqu’à lui faire rendre gorge. Ils le saturent jusqu’à la nausée. Ça grouille de gelées vertes de son et Bob file ventre à terre dans la mélasse. Ils attaquent «Mongoose» à la cloche et au sableur, comme chez Slade et chez Ike - Look inside this glory ride - Ils jouent la carte de l’hyper-catégorique avec the mongoose guys et ça se met à exploser pour de bon. Ils savent faire monter une sauce et Bob revient inlassablement gratter son riff. Il joue carrément des clameurs de riffs incendiaires. On voit des couches se superposer. Puis ils explosent le pauvre «Pigeon Toe» contre le mur du son. Ils sont complètement tarés de jouer aussi fort. Mais bon, ils aiment bien ça. Au moins pendant qu’ils s’amusent, ils ne font pas de bêtises.
C’est donc cette équipe qu’on voit débarquer au 106 par un beau soir d’automne. Comme tous les californiens d’un certain âge, Scott Hill affiche un look de mec bien conservé. Il chante jambes écartées, en dessous du micro, comme Lemmy.
Il tient bien son rôle de leader et gratte une belle guitare transparente, avec la niaque d’un gamin de quinze ans. Forcément, pour un mec qui a passé la cinquantaine, ça impressionne. Scott Hill se comporte comme tous les mecs qui traversent les décennies à la tête d’un groupe : en vaillant guerrier, sûr de sa force et de son art.
Même si Eddie Glass s’est barré, Scott Hill continue d’y croire dur comme fer. Il s’appuie sur un son et douze albums dont les quatre premiers sont devenus légendaires. Fu Manchu attire un public spécifique : les fans de stoner. Ni metal ni punk, c’est encore autre chose. Mais la fibre du fan est la même, au fond. On voit des mecs au premier rang chanter toutes les paroles en chœur avec Scott Hill, comme lors du set des UK Subs, quand un mec chantait tout avec Charlie Harper.
Le petit Bob Balch s’est laissé pousser les cheveux et avec sa barbe, il traîne un bon look de freak californien. Il sort un beau son gras sur sa Les Paul et c’est toujours un régal que de voir cocoter les grands guitaristes américains. On sent que Scott Hill fatigue, il prend un peu de temps entre chaque cut pour se reconstituer. Il faut savoir que le job de chanteur guitariste dans un groupe n’est pas de tout repos.
Avec une discographie comme la leur, c’est un jeu d’enfant que de monter une set-lit. Ils ont largement de quoi faire sauter une sainte-barbe. C’est un peu comme Motörhead, les Vibrators ou Chuck Berry, ils n’ont que des classiques à proposer, mais pour ce concert, ils jouent tout l’album King Of The Road, avec un pic de tension au moment de «Blue Tile Fever». What an album, dirait un lapin blanc britannique.
On note au passage que les Fu Manchu ont un faible pour les voitures. C’est pour ça qu’on les retrouve sur les pochettes des albums. Pour King of The Road, ils ont choisi une file de Fords Transit. Et on trouve quatre énormités bien dodues dans ce disque. «Over The Edge», joué au heavy riffing, aux placards de distorse et chanté à la Sabbath. Ces mecs là ne veulent pas se casser la tête : du gros riff de barré sur le Marshall stack en stock et hop, c’est parti. C’est sans surprise et ça roule sous la peau du son. Bob passe un solo dans le cambouis - The more we see the more we know - Et ça vire au solo de surface à la Ron Asheton. Ils battent le morceau titre en brèche et se ressourcent dans la fosse à vidange. Ils chantent ça à deux niveaux et flirtent avec le garage. Résultat plutôt dévastateur. Bob attaque «Hotdoggin’» au heavy et on croit entendre la voix d’Ozzy dans l’écho. Quel bel hommage. Puis ils montent «Freedom Of Choice» au beat des enfers de Dante, mais pas le Dante à la con des poèmes, on est ici dans le stoner du cornu, et Scott Hill chante comme un Anglais, c’est saturé de son et soloté à la bonne bourre. Avec le fumeux «Boogie Van», ils créent une fois de plus l’illusion. Ils grouillent d’idées et raffolent d’aventures. On se régale aussi de «Blue Tile Fever» monté sur un heavy beat pointé à la cloche. Ils connaissent toutes les ficelles. C’est un peu comme s’ils n’avaient plus rien à apprendre. Et nous non plus.
Comme on l’a vu, ce groupe est excellent sur scène. Ce que confirme l’album Go For It Live. Ça blaste dès «Laser Blast», stomp de stoner stoned, complètement allumé aux gimmicks hendrixiens. C’est Bob qui fait tout le boulot. Il double le chant avec sa guitare. Il joue même le pyromane. C’est un teigneux qui ne recule devant aucun excès. Et pouf, ils enchaînent avec le gros «Asphalt Risin’». Bob navigue à la surface du temps. Tout l’intérêt de Fu Manchu se trouve désormais dans le harcèlement sonique de Bob. Ils s’amuse à pulvériser tous les cadres, tous les formats. Il ouvre le bal de «Mongoose» et le noie de son. Et ça continue comme ça sur deux disques, car c’est un double ! La version de «Boogie Van» vire à l’apoplectique. Bob passe un heavy riffing de rêve sur «Ojo Rojo», miracle stoner d’efficacité définitive, cocoté en diable. Et la version de «King Of The Road» sonne comme un hit de Steppenwolf, avec sa belle épaisseur riffique. Puissant et visité, bien excité par le cocotage. Sur le disk 2, on trouve une superbe version de «Hang On» martelée comme un chemin de croix, puis un «Wurkin’» joué au groove de stoner - an old song - Bob le tartine de saindoux. Ils se montrent une fois de plus totémiques. Et on retrouve la belle pulsasivité oblongue de «California Crossing». Ça file très vite sous le vent. Ces gens-là ne font pas semblant. Ça pue le soleil de Californie, les gens bien nourris et les peaux hâlées. Ils vont vite. Puis Bob nous graisse la patte d’«Over The Edge» et il refait le show avec ses solos. Véritable assommoir que ce «Regal Begel» bardé de son, incendié de la plaine, wha-whaté jusqu’à la moelle des os. Et ça culmine avec «Godzilla» qu’on voit marcher sur la ville. On entend des clameurs extraordinaires, c’est le hit de Fu Manchu. On retrouve aussi le fameux «Weird Beard» d’allure fatale. Les falaises de marbre s’écroulent dans le lagon argenté.
On trouvera encore du bon matraqué du cortex dans California Crossing paru en 2001, avec un beau pick-up rouge sur la pochette. On y retrouve ce cher «Mongoose» joué à la cloche de bois. Pour l’amateur de stoner, c’est du gâteau. Bob nous barde le morceau titre d’une belle palanquée d’accords fourrés au chocolat, puis il visite le cut avec un solo aérien et s’octroie une petite crise universaliste au passage, histoire de lâcher quelques clameurs. Joli cut que ce «Wiz Kid» claqué aux petits accords efflanqués. Scott Hill refait son Ozzy. On reste dans le haut de gamme, c’est même assez affolant de nothing yet. Tout aussi énorme, voici «Ampin’», hanté par le fantôme de la heavyness. On a l’impression qu’ils avancent mètre à mètre, comme dans un combat de rue à Stalingrad. Mais Bob passe un solo gras qui nettoie tout. De toute manière, le gras règne sans partage sur tous ces morceaux. Le mot maigre ne fait pas partie de leur vocabulaire. Ces gens-là ont une certaine forme de savoir-vivre. Ils terminent l’album avec un «The Wasteoid» trop heavy pour être honnête. Aucun espoir de maigrir un jour. Le cut s’enfonce dans le saindoux.
Désolé, mais Start The Machine est encore un disque énorme. Pour six raisons précises. Un, «Written In Stone» qui starte la machine et qui se grave aussitôt dans le marbre. Comme à son habitude, Bob gratte comme un dératé et part en virée wha-wha. Ils ont de l’énergie à revendre, c’est sûr ! Deux, «I Can’t Hear You», ce qui semble logique, vu le bruit qu’ils font, mais Bob joue un solo au chalumeau perceur de coffre. Trois, «Understand», monté sur un stomp de stoner. On croirait du glam. Quatre, «Make Them Believe», heavyness de la meilleure augure. On peut même parler de génie, dans ce cas. Ils se couronnent pour l’occasion rois du stoner à la cathédrale de Reims. Et Bob arrose tout ça d’un beau solo liquide. Cinq, «Open Your Eyes», qui n’est pas celui des Nazz. Ces mecs-là ne voudront jamais enterrer la hache de guerre. Tout ce qui les intéresse, c’est de s’énerver. Leur cut va vite, c’est de l’ultra-blast. Six, «I Wanna Be», stompé aux drums, une belle façon de tirer sa révérence.
On sent une petite baisse de régime dans We Must Obey paru en 2007. Oh bien sûr, on retrouve le flic floc de l’épaisseur, les solos déflagratoires, mais tout ça finit par ronronner. Le hit du disk s’appelle «Land Of The Giants», riffé comme il se doit d’entrée de jeu, malin et malsain. Presque garage en eaux sales, car tempéré au heavy shuffle. Bob joue en suspension de notes congestionnées et ça vire en terminal de non-retour. Quelle monstruosité ! On a aussi une petite heavyness de derrière les fagots du désert avec «Let Me Out». Bob y passe un fascinant solo qui court comme le furet dans le canyon éclairé par la lune. On sent parfois que le son se muscle encore, comme c’est le cas à l’écoute de «Hung Out To Dry». Comme s’ils visaient une sorte de démesure de la heavyness. Bob nous roule tout ça dans sa farine bien grasse. Quand il attaque un solo, il fait toujours penser à l’aigle royal qui fond sur sa proie. «Shake It Loose» sonne comme du Motörhead, mais en plus sur-pressé, dans le high energy blasting de blow-outisme patenté. Les Américains savent cultiver la démesure.
Signs Of Infinite Power est un album chargé à ras-bord de stoner apocalyptique et de beat obsessionnel. Pas de hit ici, mais du Sabbath cosmique épais à souhait et ralenti dans les virages («Steel Beast Defeated»), du Fu Manchu détaché de la terre et perdu dans le nulle part de groupes qui ne servent plus à rien («Against The Crowd»), du glam stomp qui fait illusion un court instant («Webfoot Witch Hat»), du riff broyeur chauffé au bec benzène («Eyes X10»), du no brain at all, du stoner sans horizon («One Step Too Far»). Bob tire son épingle du jeu dans le morceau titre. Sans lui, on crèverait d’ennui.
Dernier album en date, voici Gigantoid, avec sa belle pochette surréaliste. Nos amis attaquent avec un «Dimension Shifter» tendu et sauvage comme l’étalon du même nom. Encore une fois, toutes les ficelles du stoner accourent au rendez-vous. Même le break est plus lourd que le plomb. Dans «Invaders On My back», Bob prend un killer solo. Pas facile de remplacer un gars comme Eddie Glass, pas vrai Bob ? Quand on écoute «Radio Source Sagittarius», on se dit que les voies du stoner sont souvent impénétrables. Elles suivent en effet les méandres d’un fleuve qui se perd dans le continent. On dresse l’oreille en B à cause d’«Evolution Machine». Nos amis chargent comme la brigade légère sous le feu des artilleurs russes. Sans peur et dans reproche, et comme d’usage, Bob fait des miracles avec sa confiture de fraise. Puis il remonte bien les bretelles de «Triplanetary». Brad en profite pour faire un beau numéro de basse. Il passe même devant dans le mix. On voit qu’il adore gratter ses cordes. Et ça se termine avec «The Last Question», un cut monté sur une lourde progression riffique, légèrement retardée par des semelles de plomb. Mais c’est leur truc. Ils raffolent des semelles de plomb. Avez-vous déjà essayé de marcher avec des semelles de plomb ? C’est pas facile. Eux, ils adorent ça. Ils adorent traîner dans ces lumières crépusculaires, dans ce paysage de planètes tombées du ciel comme des dés d’une table de jeu. Ils contemplent ce joyeux capharnaüm et savent au plus profond d’eux-mêmes qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard.
Signé : Cazengler, Fou manchot
Fu Manchu. Le 106. Rouen (76). 4 octobre 2016
Fu Manchu. No One Rides For Free. Bong Load Records 1994
Fu Manchu. Daredevil. Bong Load Records 1995
Fu Manchu. In Search Of. Mammoth Records 1996
Fu Manchu. The Action Is Go. Mammoth Records 1997
Fu Manchu. (Godzilla’s) Eating Dust. Man’s Ruin records 1999
Fu Manchu. King Of The Road. Mammoth Records 1999
Fu Manchu. California Crossing. Mammoth Records 2001
Fu Manchu. Go For It Live. Steamhammer 2003
Fu Manchu. Start The Machine. DRT Entertainment 2004
Fu Manchu. We Must Obey. Century Media 2007
Fu Manchu. Signs Of Infinite Power. Century Media 2009
Fu Manchu. Gigantoid. At The Dojo Records 2014
De gauche à droite sur l’illusse : Brad Davis, Scott Hill, Bob Balch et Scott Reeder.
GAZON MAUDIT
Je vérifiais le résultat de ma dernière invention. Ma modestie dût-elle en souffrir je devais convenir que la réussite s'avérait totale. Devant moi s'étendait une étendue de terre battue. Enfin ! Après des années d'efforts opiniâtres et de recherches incessantes j'avais réussi. Pas une herbe, pas un brin, même pas un cône de taupe ! Demain, ne me resterait plus qu'à déposer le brevet du produit. Une graine nouvelle, enrichie au napalm et à l'agent Orange. Vous épandez à pleines mains sur la surface incriminée et vous êtes tranquille – garantie pour deux millénaires – grâce à mon Gazon Attila, plus rien ne repoussera. Le moindre papillon qui s'en viendrait à voleter au-dessus de la zone tombe mort au deuxième battement d'ailes. J'avoue que le simple dégoût de passer toutes les semaines la tondeuse dans le jardin était la prosaïque raison qui m'avait motivé. Mais à la réflexion, je m'apercevais que j'avais mis au point l'arme écologique absolue. Désormais les paysans détenaient la possibilité de bloquer le développement des néfastes semences Monsanto. De facto inopérantes.
Donc disais-je je contemplais avec la satisfaction du devoir accompli les deux mille mètres carrés de pelouse avégétalisée lorsque un bruit inopportun me tira de ma méditation. Sacrebleu ! un hélicoptère frappé d'une cocarde tricolore abordait les premières manoeuvres d'atterrissage. Même pas le temps de rentrer à la maison pour m'emparer de mon bazooka ( oui, je dors toujours avec un bazooka sous l'oreiller, l'on n'est jamais trop prudent ) que j'étais entouré d'un groupe de commandos.
« Messieurs, vous faites erreur, ceci n'est pas l'aéroport militaire, mais une parcelle privée entretenue avec le célèbre Gazon Attila.
- Vous êtes bien, le sieur Damie Chad, ancien agent du SSR, Services Secrets du Rock and roll !
- Oui je...
- Parfait on vous embarque. Direction l'Elysée, ne rouspétez pas, le Président vous demande, c'est urgent »
Bref trois quarts d'heure plus tard le Puma me déposait dans la cour d'honneur du Palais Présidentiel.
Je montai en courant les degrés du perron Elyséen et me précipitai vers les grandes portes. En passant je crachai sur le gendarme en faction – que voulez-vous tout le monde déteste la police – un chambellan me héla : « Arrêtez vos facéties. Dépêchez-vous, le Président est dans son bureau, deuxième porte à droite, au fond du couloir. »
C'était la grande réunion de crise, des ministres apeurés qui compulsaient frénétiquement leurs dossiers, des généraux chamarrés comme des arbres de Noël aux visages tendus, des larbins qui déroulaient une carte du monde sur le mur, et des soubrettes toute mignonnettes qui couraient dans tous les coins, visiblement à la recherche de quelque chose. Personne ne mouftait. Le Président n'était pas content, ne s'adressait en personne en particulier mais chacun se sentait visé par son ire vindicative :
« Bordel de dieu de putain de merde, où l'ai-je encore mise, trouvez-la tout de suite, je vais vous les dégommer ces japs de merde, me faire ça à moi, c'est une insulte à la France, c'est...
- Monsieur le Président, je l'ai retrouvée, elle était sous le porte-parapluie ! »
L'était toute fière la jouvencelle, mais sans un regard le Président lui arracha la valise des mains et la déposa devant lui. Il s'éclaircit la gorge et prit un air grave :
« Messieurs, vous assistez à l'écriture de l'Histoire, dans dix secondes j'appuie sur le bouton et je raye le Japon de la carte. Je ne veux aucun survivant, cette sale race de rastaquouères jaunâtres n'aura même plus le plaisir de se rappeler d'Hiroshima. Je compte jusqu'à dix et hop je les envoie au paradis. Un, deux, trois...
- Hum, hum ( c'était le toussotement nerveux du plus décoré des généraux ) certes le geste a du panache, mais ne règle en rien l'affaire, Monsieur le Président !
- Comment cela, expliquez-vous, maison close cacapouïque ! c'est à croire que je suis entouré d'incapables !
- Si vous envoyez les bombinettes, ils seront eux aussi victimes de notre action. Vous imaginez les rires des ruskofs et des amerloques ? Vont se moquer de nous pendant dix ans !
- Lupanar de fientes d'autruches, je n'y avais pas pensé, et vous avez raison. Que faire, que me proposez-vous alors ? »
Il y eut un silence de mort. Une minute qui dura un siècle. Je ne comprenais rien, et me faisais tout petit dans mon coin.
« Tant pis. Ne pas agir serait pire. Sûr que les Popovs et les Ricains se moqueront, mais les Chinetoques ne seront pas fâchés que je raye leur ennemi héréditaire de la terre. Stratégiquement, c'est jouable. Bon je continue, quatre, cinq, six – l'était content de sa leçon de géopolitique le prés, prit le temps de poser son sourire béat sur l'assistance – mais qui êtes-vous là dans votre coin ? Ne seriez-vous-pas un espion, qu'on me le fusille tout de suite, sept, huit, neuf...
- Hum, hum ! Monsieur le Président, c'est le spécialiste du Rock'n'roll que vous aviez demandé. Monsieur Damie Chad, expert es rock'n'roll, me semble être l'homme de la situation. Sans doute pourrions-nous lui accorder deux minutes pour qu'il nous donne son avis. C'est un ancien du SSR, peut-être serait-il à même de débrouiller l'affaire sans que nous parvenions à la toute extrémité de votre décompte, Monsieur le Président ?
- Pour vous servir, Monsieur le Président, mais quel est le problème ? Pourrait-on me mettre au courant ?
- Hum, hum, afin de rééquilibrer en notre faveur la balance commerciale entre nos deux pays, nous avons entrepris une action de séduction envers le Japon. Nous leur avons envoyé nos orchestres philharmoniques les plus renommés, nous leur avons prêté des collection entières du Musée du Louvre, sans résultat. A croire que les japonais sont insensibles au rayonnement culturel de la France !
- C'était une erreur -explosa le Président - ces vermines de Japs sont des sauvages. Qu'attendions-nous de bouffeurs de poissons crus ? C'est alors que nous est venue une idée mirifique. A ces sauvages, l'on a bazardé de la musique de sauvages. Et hop, nous leur avons expédié les Howlin' Jaws. Jamais entendu parler mais la fille de la concierge nous avait assuré qu'il n'y avait pas plus « friteux » sur la région parisienne. Le résultat ne s'est pas fait attendre au bout de trois concerts, ces satanés japs nous ont commandé deux porte-avions et trois escadrilles de Rafales.
- Monsieur le Président, je ne saisis pas le problème. Apparemment vos espérances les plus folles ne sont-elles pas comblées ?
- Plus que vous ne croyez, hier ils ont encore passé commande de deux Frégates et de trois sous-marins. Mais ce matin, nous ont prévenu qu'ils ne nous rendraient jamais les musiciens. Sont trop bons qu'ils disent ! Doivent produire une musique de marteaux piqueurs et croyez-moi, si cela ne tenait qu'à moi, je les leur laisserai sans problème. Mais vous entrevoyez la honte internationale : trois jeunes français retenus en otage par le Japon. Déshonneur gaulois ! Je vous laisse trois heures pour débrouiller la situation. Après quoi je compte jusqu'à dix et fin du japitre ! Deux bons coups d'une même pierre, on se débarrassera des Japs et de trois jeunes sauvageons qui ne savent plus quoi faire pour casser les oreilles de leurs concitoyens ! »
Trois heures plus tard.
« Mission Ippon Nippon accomplie, Monsieur le Président, les Howlin'Jaws rentreront en France à l'heure prévue. La négociation a été rude. Mais depuis la tournée de Gene Vincent au pays du Soleil Levant en 1959, le SSR a toujours gardé des relations amicales avec les services secrets japonais. Je vous passe les détails. Les discussions furent âpres. La France s'en tire bien, les Japs respecteront leurs commandes, ont même demandé en plus dix mille tonne de graines de Gazon Attila qu'ils veulent répandre sur la région dévastée de Fukushima, juste pour arrêter au sol les radiations nucléaires. Par contre, léger bémol, en contre-partie avant de monter dans l'avion les Howlin'Jaws devront donner un concert supplémentaire. Comme ils sont contents de revoir leur famille, ils vous invitent samedi soir à leur concert à l'Olympic Café, à Paris. Seraient très honorés de votre présence, Monsieur le Président.
- Parce que vous croyez que j'ai envie de me faire crever les tympans ! Pas question !
- Monsieur le Président, si je puis me permettre, leur déception sera immense...
- On leur dira que j'ai une réunion importante, un sommet secret des chefs d'état de l'hémisphère sud. Et puis tiens, une deuxième bonne idée, c'est vous-même en personne qui irez leur présenter mes regrets personnels. Je compte sur vous pour emballer le morceau. Et avant de partir, passez au ministère de l'Agriculture, sont intéressés par le Gazon Attila.
- Mes respects, Monsieur le Président
- Tâchez de survivre samedi soir. Nous avons intercepté une dépêche de la CIA, selon leurs agents, les Howlin Jaws sont une calamité rock and roll ! »
Voilà pourquoi ce samedi, j'arrêtai la teuf-teuf, rue Léon, devant l'Olympic Café.
OLYMPIC CAFE / PARIS ( 18°) / 04 – 11 – 16
HOWLIN'JAWS
TONY TRUANT & LES GRYS GRYS
Vaste café l'Olympic, tout en longueur, le sol carrelé avec ces mini carreaux à la mode à la fin des années soixante. Ce n'est que la partir émergée de l'iceberg, au sous-sol se trouve la salle des concerts, front de scène assez large, bar au bas des escaliers dans le fond, loges pour les artistes et fumoir attenant sur la gauche. Personne, j'en profite pour assister à la balance des Howlin'. Le son est plus que bon, fort, très fort, mais pas du tout assourdissant, un miracle d'équilibre. Ce sera ainsi tout le long du concert. Peu de monde mais comme très souvent à Paris, lorsque les lumières s'éteignent la salle se remplit dans votre dos sans que vous en rendiez compte.
HOWLIN'JAWS
Les Howlin' sont sur scène. Paraissent plus grands qu'avant. Une illusion psychologique. N'ont pas aspergé de trente centimètres en trois mois. Ont mûri, ont pris confiance en eux. Faut dire que les évènements s'enchaînent. Une tournée au Japon, une résidence au China Club, une tournée en Belgique et en Allemagne en décembre, l'on sent que c'est bien parti. Le groupe a pris conscience de sa valeur, ne jouent pas du rock'n'roll, comprennent qu'ils jouent leur rock'n'roll. Nuance infime lorsque ce sont les mots qui tentent de la décrire mais qui fait toute la différence lorsqu'un groupe la met en pratique.
Trois sur scène. Djivan derrière son micro girafe, Baptiste à la batterie, Lucas à la guitare. C'est ainsi que ça se passe. Les Howlin' ont résolu l'épineuse triangularisation du trio rock. Ne s'agit plus de plancher sur la sacro-sainte règle des trois unités. Le rock est un transfert d'énergie. Z'ont compris la manoeuvre. D'où ils viennent et où ils vont. Sans oublier le point de passage. C'est cette articulation-là que l'on retrouve systématiquement dans tous les morceaux des Jaws. Les Howlin' c'est la radicalité du rockabilly représentée par Djivan et l'effulgence british opérée par Lucas. Cela vous saute à la gueule dès le premier morceau. Cuttin Out, les tripes à l'air tout de suite. Ne pas perdre de temps dans le swing, directement dans le stomp, Djivan aligne les notes, crescendo, à la suite, c'est la continuité qui crée la ligne mélodique dont on se fout comme une guigne ; à l'autre bout Lucas fait exactement le contraire, les notes il les propulse, une à une, ou plutôt deux à deux, mais jamais à la suite, les lâche par à-coups, le temps d'une ouverture, d'un renversement, d'une brisure. Traduit cela magnifiquement dans son corps. Se fend en deux, une espèce de dérèglement subit d'un centre de gravité que l'on pourrait qualifier de cubiste. Un écartèlement qui fuse du dedans, pour éclater au-dehors. Se cambre, les nerfs tendus, la guitare projetée en avant et les bras en allant qui bougent comme la gueule d'un squale affamé. Musique violente. La mélodie inaudible s'inscrit dans le silence des ruptures. Baptiste hérite peut-être de la tâche la plus lourde. Ses deux acolytes s'expriment sans paraître se soucier de leur concordance. Sont sûrs d'eux pour la simple raison qu'ils savent que c'est Baptiste qui recolle les morceaux de la porcelaine. C'est lui qui leur permet de rester libres. Quoi qu'ils fassent, quelle que soient leurs volitions, lui il amalgame. Fomente l'alliage. Interpénètre les deux métaux que les cordiers martèlent sur leur instrument et c'est lui le batteur qui produit le son de base qui englobe le tout. Le quatrième élément, c'est le chant. Djivan ne chante plus, il joue de sa voix comme d'un quatrième violon. La pose comme une section de trompettes que l'on mixe sur une bande.
The Urge, Oh Well ! King of the surf, Stranger, les Howlin' ont traversé la Manche. Un son de plus en plus anglais. Ceux des premiers temps, quand Animals et Yardbirds avaient entrepris de faire sonner leurs instruments comme jamais auparavant. Un truc tout simple, vous voulez une guitare alors jouez comme s'il n'y avait que vous dans le combo. Ne vous souciez pas des copains, feront de même avec leurs propres bécanes. Un parti-pris qui vous densifie la musique à l'extrême, en contrepartie vous êtes bien obligé de faire méchamment gaffe à ce que démantibulent vos flamboyants si vous voulez en placer une de temps en temps. Une stratégie qui vous prouve que le mieux est l'ami du bien. Un objectif : produire un son. Car le son c'est le groupe. C'est ainsi que Beck, Page, et Mickie Most ont modulé et modelé le rock. Les Jaws effectuent une telle montée en puissance, parce que partis de l'extrémisme rockabilly ils redécouvrent l'esthétique bluesique des anglais.
Un morceau en français, fallait bien un zeste de couleur locale pour les Japonais, alors ils leur ont offert un vieux truc du patrimoine : le Oui je m'en vais de Jaky Delmone. Petit chanteur du début des années soixante. Sympathique. Réservé aux nostalgiques un peu pointus abonnés à Jukebox Magazine. A l'époque en France, les bons guitaristes se comptaient sur les cordes d'une basse. Jackie Delmone, ce n'était pas le démon. Maintenant filez un canasson à un bon cavalier et vous verrez le différence. Les Jaws vous le transforment en surf de la mort sur les plus hautes lames de Californie.
N'y a pas que moi qui apprécie les Jaws, le public s'est rapproché et ça tangue plutôt bien. You got to Lose, That's All Right, Tough Love, Snake your Hips clôturent le concert. Les Jaws changent un peu de braquet, un peu moins brutal et davantage de séquences instrumentales, juste pour montrer ce qu'ils savent faire. Un régal. Terminent sur une ovation.
TONY TRUANT & LES GRYS GRYS
On ne présente plus Tony Truant, une légende du rock français, successivement guitariste des Dogs et des Wampas. Un visage qui accuse l'âge mais une sveltesse de gamin. Une chevelure qui lui tombe sur les épaules, bouclée et crénelée comme la tour de Nesle. Sait ce qu'il veut : des guitares à fond de train et rien d'autre. Doucement et sûrement n'est point sa devise. Professe une dernière fantaisie. Chante en français. Exclusivement en french language. Faut un peu de temps pour s'y accoutumer. L'on a davantage l'habitude de yaourter en un anglais qui se bouffe les mots que de découper la vaste amplitude palatale des sonorités latines de l'articulation des syllabes françaises. Tous Egaux devant l'Asticot, Vérole et Dose de Cheval, permettent d'ajuster les tympans. L'est malin Tony Truant lance le morceau sur un train d'enfer et puis pas fou il laisse l'orchestre se débrouiller pour assurer la route. Lui, dès qu'il se plante devant le micro il passe en rythmique et allez les petits jeunes, c'est le moment de foncer tête baissée. N'a pas tort parce qu'il n'a pas choisi les derniers des bras cassés pour l'accompagner. Les Grys Grys seront les rois du show.
Un truc qui m'a sauté aux yeux dès les trente premières secondes. Le bassiste ne sait pas jouer de la basse. Vingt minutes plus tard Tony confirmera, deuxième soir qu'il joue de la basse. Inutile de crier au scandale. Ce n'est pas un bassiste. C'est beaucoup mieux. Un guitariste. Un soliste. Donc ce soir nous aurons trois guitares, une avec le son légèrement plus grave, mais sans plus. Nous avons droit à un véloce aux doigts particulièrement agiles.
Ensuite il y a un harmoniciste. Sur les deux premiers morceaux il s'est comporté comme un harmoniciste. On ne lui en aurait pas demandé davantage. L'a bien ressorti son harmo trois ou quatre fois, pour tirer un riff durant une quinzaine de secondes, mais après bye-bye s'en détournera sans regret. Son truc à lui, c'est les maracas. Une, deux, trois ou cinq, qu'importe pourvu qu'il puisse les agiter frénétiquement, on le devine heureux. Enfin presque. L'a tout un tas de percus dont il use sans discrétion, plus une washboard, plus un tambourin. Quand il a épuisé sa collection il squatte une des cymbales de son batteur. Vous ne comprenez pas, trois guitares lancées à fond, un bat-man imperturbable qui cogne comme un forcené, Tony qui apostrophe le micro, comment peut-il espérer que des grésillements de pépins de calebasse puissent atteindre l'oreille des spectateurs ? Je vous affirme qu'on les entend. Très bien. C'est qu'il dépense une énergie incroyable. Incapable de rester en place. Saute partout. Bondit si haut, pour un peu il s'écraserait la tête contre le ourdi et la vision d'un gars, le crâne éclaté , les cheveux ensanglantés, restant collé au plafond nous apparaît comme une possibilité des plus logiques. Inéluctable.
Vous n'y échapperez pas. Le troisième guitariste. Pardon : Le Guitariste. Porte un badge qui annonce la couleur : Flamin'Groovies. Tout un programme. La traversée du Jordan en aircraft. Pas une once de frime. Tout en concentration. Maintenant prêtez l'oreille. Si ça turbine à deux mille quatre cent tours à l'heure, c'est grâce à lui. L'a l'air de ne pas s'agiter. Les autres posent la première pierre et lui il finit la baraque de B à Z. Peuvent courir devant, lui il termine ce qu'ils ont débuté et laissé en plan pour aller plus loin. Et comme la stratégie de Tony est très simple. Rock and roll à fond les manettes, le morceau le plus lent est toujours le précédent, au fur et à mesure que le concert se déroule, son jeu prend de plus en plus d'ampleur. Les autres lui laissent à chaque fois davantage de boulot, et lui comble les trous avec une extraordinaire virtuosité. Après la version hyper speedée de Trop de Classe pour le Voisinage... Le Too Much Class... des Dogs, c'est carrément la chienlit riffique, c'est lui qui dresse la Tour Eiffel, à coups de trompes terminator. S'avance de guingois et darde le manche de sa guitare sur le public qui exulte. Un grand.
Faut dire que ça transbahute de tous les côtés. L'ambiance ressemble à un concert métal, ça houle de bâbord et de tribord, les corps s'entremêlent et se frottent avec violence, ça sent la bière renversée et la sueur de filles, l'on patauge dans le whisky et l'on essaie de surnager dans ce tohu-bohu festif. Règne une chaleur d'enfer. L'harmoniciste se vide un grand verre d'eau sur la tête, et un spectateur se précipite à ses pieds, pour allongé de tout son long, laper à même le parquet le liquide désaltérant. Tony remercie l'assistance, ne sait pas quoi dire, et comme il ne sait que jouer du rock and roll il relance la cadence. Vieux Canards, Dypsomanie, Zaza... les titres se suivent et se ressemblent dans leur folie furieuse. Lucas des Howlin' ne quitte pas des yeux le guitariste et hurle de joie, lorsque celui-ci lui ressort un de ses propres plans, deux notes qui font le grand écart aussi meurtrières que la botte de Nevers.
Maman n'aime pas ma Musique de Dick Rivers, et c'est la fin sur Merci... Mais ils ne parviendront pas à quitter la scène. Trop de désirs palpables émanent de la foule qui s'écrase sur le bord de l'estrade. Reprennent le taureau furieux par les cornes pour un ultime morceau.
BILAN
Chaude soirée ! Les Grys Grys sont à mettre dans le collimateur. Viennent d'Alès faudra les voir en tant que groupe à part entière. Avec un peu de chance cet été dans le Sud. M'ont plus impressionné que Tony Truant lui-même. Qui n'est pourtant pas né de la dernière pluie. Quant aux Howlin' Jaws, ce sont eux les authentiques rois de la soirée. Tony ressert une vieille recette, un potage qui ne manque pas de saveur, mais les Howlin' sont en recherche, ils essaient de faire progresser le rock, sont en train de faire péter les vieux cadres, et cela ça n'a pas de prix.
Damie Chad.
( PS : Les photos ne correspondent pas çà la soirée )
DU ROCK'N'ROLL
I : ETAT DES LIEUX
Three Stars est le titre d'un morceau d'Eddie Cochran qu'il enregistra au lendemain de l'accident d'avion qui coûta la vie à Buddy Holly, Big Bopper et Ritchie Valens, en 1959 voici près de soixante ans. Le rock n'en est pas mort pour autant, certains diront qu'il a même atteint un âge respectable. C'est ce qui pouvait lui arriver de pire.
Difficile à admettre mais le rock n'est plus ce qu'il a été. S'est pourtant bien battu. L'a été durement touché, envoyé à terre, enterré même, mais il s'est relevé et est reparti à l'attaque comme si de rien n'était. 1956, 1964, 1977, dates symbole qui ne veulent rien dire mais qui signifient toutefois quelque chose. La génération des pionniers, l'anabase invasive anglaise, la révolte punk. Je vous en offre deux lectures. L'establishment amerloque qui parvient à juguler la trombe de cette jeunesse dévoyée qui n'eut rien de pire à faire qu'à adopter les us et coutumes des nègres... La vague britannique submergeant tout, souveraine, hégémonique, colonisant le monde entier finissant par distiller un ennui profond. Super groupes, musiciens cultes, trop parfaits, trop brillants, trop lisses, tournent en rond, lassent le public qui aspire à des nourritures davantage roboratives. L'éclosion punk. Un feu de paille, et de colère, mais qui remet les pendules à l'heure tout en arrêtant définitivement l'horloge.
Fifties, sixties, seventies, le compte à rebours est commencé. Pouvez aussi comparer ces différentes étapes à celles de la Révolution Française, le Tiers-état qui secoue le cocotier, le triomphe de la République, la Conjuration des Egaux, et puis patatras, l'on passe à une autre séquence historiale. C'est à ce moment que ça se gâte pour le rock'n'roll. Depuis les eigthies l'on patauge dans le Directoire dilatoire et l'on n'est jamais parvenu aux fastes victoriaux de l'Empire...
Oui je sais, le grunge, le hard, le garage, la musique industrielle, le noise, la teckno, le métal... Beaucoup de rock a coulé sous les ponts depuis... N'empêche que le rock'n'roll donne l'impression de se mordre la queue. L'engendre des sous-genres, des voies sans issue, qui vous éloignent plus qu'elles ne vous rapprochent du sujet. Comble d'ironie, le bâtard du blues se bâtardise. S'acoquine avec les musiques du monde, les uns exaltent ces mélanges séminaux les autres déplorent ce parasitisme variétoche. Le rock se termine comme le jazz. En eau de boudin. A épuisé toutes ses possibilités, est incapable de se renouveler, s'en va se servir dans les grandes surfaces démagogiques, lui qui ne fréquentait que les boutiques hyper spécialisées. Le carnivore électrique change de régime, broute à tous les râteliers.
II : SURVIVANCE
Mais tout cela n'empêche pas Nicolas que la Commune n'est pas morte. Le rock'n'roll survit. Cryptes, vieille garde et nouvelles franges. Devient une musique de ruche. Qui vrombit de mille insectes. Génération rockabilly, elle meurt mais ne se rend pas, pas encore en vue du cimetière mais se rapproche de la retraite. Vieux briscards du blues électrique. Font le pont entre la précédente et la suivante. Hordes métalliques, qui se renouvellent sans cesse à partir du terreau lycéen.
Le rock est partout, concerts dans les caves, les lieux spécialisés, les cafés, les bars, les festivals, les clubs de bikers, les petites structures municipales... Minoritaire mais actif. Porté à bout de bras par des associations, des blogues, des labels, des groupes. Une fourmilière chaotique qui reçoit bien des coups de pied mais qui reconstruit sans cesse des galeries où déposer ses larves. Ce n'est pas la grande invasion des termites qui s'apprêtent à ronger définitivement les poutres maîtresses de nos sociétés coercitives, mais un abcès de fixation purulent insensibles aux antiseptiques dont on le parfume régulièrement.
III : CONTRADICTIONS
Subsiste toutefois un malaise. Les gouffres lovecraftiens qui renferment les Grands Anciens ne deviennent vraiment palpitants que lorsqu'ils laissent échapper quelques vapeurs méphitiques qui s'en viennent mettre le monde en grand danger. Certes la défaite est assurée mais dans les livres et les films les scénarios doivent naviguer entre deux écueils : la mort du héros, et tout aussi mortel, le triomphe définitif de ce même héros. Dans les deux cas, la poule aux œufs d'or est trucidée.
C'est identique pour les fans de rock. Fierté de faire partie de la légion des damnés, de s'adonner à un culte réservé à une élite, ultra-minoritaire mais ô combien exaltante. L'esprit des catacombes transfigure votre existence. Bien beau de former la minorité active, de fomenter la conjuration de Catalina, mais au bout du compte surgit la désagréable impression de s'être bâti une niche égotiste de survie écologique sans trop d'avenir. Nous avons creusé le trou, mais ce n'est pas nous qui avons vissé le couvercle dessus. L'on aimerait des lendemains qui chantent, l'on se contente des petits matins blêmes de la survivance.
L'on se raconte les vieilles légendes, Elvis foudroyant l'Amérique après une seule apparition télévisée, l'arrogance des Rolling Stones fédérant le mal-être de toute une génération, les Sex Pistols qui se jouent des médias, Led Zeppelin qui impose sa loi au showbizz... Grandiose ! Si Victor Hugo revenait il rajouterait quelques épisodes à la Légende des Siècles... Z'oui ! Zûrement ! Mais ne regardons pas trop derrière les belles images. Le rock a longtemps fonctionné comme les fusées à deux étages. Croyez ce que je dis, mais ne cherchez pas à savoir comment je le fais. Assis sur des gros tas de billets de banque. Derrière moi, il y a des majors, des entreprises qui font la course au profit, des actionnaires aux griffes acérées. Le rock n'aime pas le système mais le Système s'est dépêché d'adopter ces orphelins auto-proclamés. De la bonne zique par devant, et du gros fric sur les côtés. Jeunes gens en colère, chantez les frustrations mais entassons les millions. Suffit de présenter l'addition aux fans qui se feront un honneur de payer cash vos royales galettes.
Tout poison possède son antidote. En rock, cela s'appelle le Do It Yourself. Ecrivez vos paroles, enregistrez chez vous, ou chez des amis, vendez vos disques à la fin des concerts, faites votre pub sur internet, avec les moyens modernes induits par les nouvelles technologies, les réseaux sociaux, et un peu d'imagination, tout devient possible. Pour pas cher.
Pour pas loin aussi. Certes le monde a évolué. Fut un temps où vous étiez enfermé dans une cage. Vous avez maintenant la possibilité de créer votre zoo à ciel ouvert. Voire de résider dans une vaste réserve naturelle. C'est vous qui gérez les entrées et la réception des charters de touristes. Ne vous en prenez qu'à vous-même si vous ne vous y retrouvez pas. Appliquez vos idées philosophiques. Permettez-vous les petits prix, le chapeau de la contribution participative ou volontaire et même la gratuité absolue. Vous êtes libres. Dans l'espace délimité que nous avons eu la magnanimité de vous laisser. Si vous voulez pâturer hors des clôtures, vous changez de braquet. Ne venez pas vous plaindre si bientôt vous plafonnez. Dans vos revenus. Ou vous roulez en Deux-chevaux ou en Porsche. Ce ne sont pas les mêmes carrosseries. Ni les mêmes performances. La loi du marché. Nous n'y pouvons rien. Circulez, il n'y a plus rien à voir.
III : LAMARTINIENNES MEDITATIONS
Le fan de rock est ainsi. Tel Ulysse entre Charybde et Scylla. A première vue des monstres pas si méchants que cela. Si vous choisissez le tourbillon, il vous refile une pêche extraordinaire vous avez l'impression de diriger votre destin, de mener votre barque à votre convenance. Pas d'intermédiaire entre le groupe et le fan. Principal danger : les eaux stagnantes de la dérive centripétique, vous vous engloutissez doucement au fond de l'abîme. Vous ramez à contre- courant mais vous accéderez un moment ou l'autre à l'épuisement... Ou alors vous abordez la crique accueillante du rivage. Vous plantez vos graines. Récoltes abondantes. Vous engraissez. Votre profil s'épaissit. Les chiens de la mer vous engraissent à chaque morsure. Vous brisez les miroirs pour pouvoir vous y regarder sans trop de risques. Mutation de votre métabolisme.
Fut un temps idyllique où l'hypertrophie du succès des groupes réjouissait les fans. La machine à fric vous pompait votre argent mais vous refilait des jetons de présence. Pas en espèces sonnantes et trébuchantes. Mieux que ça. En abstraction fiduciaire. Améliorait votre propre représentation hologrammique. L'idole se nourrissait du fan, et le fan de l'idole. L'artiste empochait the money et l'admirateur l'érigeait en totem propitiatoire dans son jardin intérieur. Pensait gagner au change. La valeur n'est-elle pas supérieure au vil métal ?
Une espèce d'alchimie d'un genre nouveau. La musique-rock se transformait en Rock-Culture Un partage à parts égales puisque communautaire. Elaboration d'une nouvelle attitude philosophique devant l'existence. Un regroupement de tribus bigarrées aux mœurs et coutumes divergentes mais en dernier ressort fédérées par ce vent énergétique propulsé par le rock and roll. Entre les Hells Angels et les Hippies la distance n'était pas plus grande que les modes de vie des différents peuplements des natives auxquels les colons furent confrontés sur le sol américain. Eux aussi perdirent les guerres indiennes. Comme nous. Sont parqués dans les réserves mais en contre-partie peuplent nos imaginaires.
La rock-culture est devenue un phantasme culturel. Le fan se répète à l'infini les scènes légendaires du film, qu'il ait ou non - cela dépend de son âge - participé à son tournage. Entre l'attitude et l'authenticité, souvent vous ne trouverez que l'épaisseur d'un billet de banque. Mais ceci est un autre problème. L'Homme se distingue des autres espèces animales par le fait qu'il produit des artefacts iconiques - non pas tellement des objets de terre, de bronze ou de titane - mais des représentations mentales qui s'immiscent entre lui et son rapport à la réalité de la nature.
Par corollaire nous pouvons affirmer que nos conduites sont soumises à l'emprise de notre milieu organisationnel social. Le rock and roll n'est qu'une réaction musicale et attituduelle – ce qui signifie contre-réaction instinctive et donc philosophique ( car la conceptualisation philosophique n'est que l'appréhension intellectuelle d'un mouvement de rejet ou d'attirance non encore raisonné devant une situation donnée ) - à un milieu évolutif jugé par trop contraignant.
Nombreux sont ceux qui s'étonnent du fanatisme des rockers. Avoir fait du rock and roll l'un ( souvent ce mot prend ici le sens d'unique ) des azimuts essentiels de sa vie étonne. Much ado about nothing, comme dit Shakespeare. Beaucoup de bruit pour rien. La traduction française évoque mieux le volume sonore incriminé ! En concluent que le rocker est un être sectaire. N'ont pas tout à fait tort. Ni tout à fait raison. L'est aussi, pour suivre une terminologie qu'adorent les sociologues et nos décideurs politiques, un indicateur. Le jour où cette balise n'émettra plus de signal, vous pourrez commencer à vous inquiéter.
Ce ne sera pas simplement qu'une génération aura été enfouie dans les froids caveaux ou réduits en cendre dans les brûlants incinérateurs des cimetières. Ce sera la deuxième extinction des monstres dinosauriques. Les manifestations sociétales de ces individus traduisaient l'imminence de l'émergence d'une société libérale d'esclaves satisfaits de leur servile condition. Et même s'ils n'y trouvent aucune satisfaction – I can't get no - ce sera trop tard. Cauchemar générationnel ? Le rock n'est-il qu'une forme parmi tant d'autres de rébellion métaphysique et infrapolitique ? Danger Zone.
Damie Chad.
16:20 Publié dans ROCK'N'ROLL | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : fu manchu, howlin'jaws + olympic café, tony truant et les grys - grys
Commentaires
bravo !
Écrit par : martin jérôme | 14/11/2016
Les commentaires sont fermés.