26/11/2014
KR'TNT ! ¤ 211. BUBBLEGUM SCREW / ROUGH BOYS / BLACK RAVEN / WHIRLWIND / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / VOIX DU BLUES
KR'TNT ! ¤ 211
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
27 / 11 / 2014
BUBBLEGUM SCREW / ROUGH BOYS / BLACK RAVEN / WHIRLWIND / L'ARAIGNEE AU PLAFOND ET SA FANFARE MAGIQUE / VOIX DU BLUES ( II ) |
17 – 10 – 14 / L'ESCALE / LE HAVRE ( 76 )
BUBBLEGUM SCREW
LE CRAN DES SCREW
Pour jouer devant une salle quasiment vide, il faut un sacré cran. Bubblegum Screw n’en manquait pas, ce soir-là, au Havre. Ils débarquaient de Londres avec un brillant set de glam-punk pour se retrouver à l’affiche de l’Escale. À force de soigner sa programmation, ce bar tabac de zone industrielle finit par non seulement se tailler une belle réputation, mais aussi par redorer le blason du Havre qui fut au temps jadis la ville la plus rock de France. C’est donc un petit bar privé de moyens qui fait désormais le boulot des gros ensembles empêtrés dans leurs problèmes de rentabilité et d’équilibrages de comptes.
Tant pis pour tous ceux qui n’ont pas pu assister au set de Bubblebum Screw. Rien n’est plus excitant qu’un bon groupe de glam-punk. Comme les DeRellas, Kevin K et ce qui reste des Vibrators, les Anglais de Bubblebum Screw brandissent bien haut et avec fierté l’étendard d’un genre enfanté par les Dolls et relayé un peu plus tard par les Dead Boys. Le glam-punk allie une imagerie de peaux de léopard, de regards soulignés au khôl, de peaux tatouées, de chevelures désordonnées, de ceinturons à clous, de platform boots avec une idée de son bien gras, de beat grandiose et de chœurs d’artichauts. Parmi les groupes qui ont le mieux illustré la légende dorée du glam-punk, on peut citer D-Generation, Silverhead, les Dogs d’Amour, les Hollywood Brats, les Richmond Sluts, les Sirens et les DeRellas.
Le chanteur de Bubblegum Screw s’appelle Mark Thorn. Par on ne sait quel hasard bio-éthique de la génétique moléculaire, il ressemble de façon troublante à David Johansen. Pire encore, il a une telle présence scénique qu’il évoque à la fois le Jagger de 1965 - par sa corpulence d’ablette frétillante et sa façon de se déhancher frénétiquement - et l’Iggy de 1969 - dans sa façon de trépigner et d’arroser de sa sueur l’unique rangée de spectateurs pétrifiés. Ce mec a une classe qui dépasse sérieusement l’entendement. On voit rarement un type gesticuler avec autant de hargne glammy sur une scène. Il est tellement surexcité et dévoré par tous les vilains démons du rock qu’il martyrise le peu d’ustensiles laissés à sa disposition, à savoir un micro, un câble de micro et un pied de micro. Il saute, il se cabre, il hennit, il frétille, il stompe, il ahane et il s’ébroue. Il fait tout ça très bien, dans le feu de l’action, mais ce qu’il fait le mieux, c’est chanter. Il a le même genre d’ampleur scénique et d’énergie que David Johansen. Il ne dispose pas du même registre vocal, c’est sûr, mais sa voix tient admirablement le choc et il sait se placer au dessus du chaos des guitares. Il est à la fois dollsien, stoogien et stonien. Franchement on se demande pourquoi ce mec n’est pas déjà en couverture des magazines de rock anglais. On croise rarement des glamsters de cet acabit. Sur scène, il ne porte qu’un gilet en peau de léopard, un jean ultra-moulant qui a bien vécu et des boots de parfait sleazer.
Mark Thorn est entouré d’une équipe pour le moins hétéroclite. On sent que le line-up du groupe a subi des transformations pour assurer la petite tournée française. Le bassman Zuni qu’on voit sur les pochettes et les photos officielles du groupe est remplacé par un jeune bassman italien au look estudiantin. Un second guitariste, blond et poupin, occupe la droite de la scène. Les deux autres gaillards sont des membres permanents de Bubblegum Screw : le drummer Seb Frey et le guitariste Zach Rembrandt. L’un et l’autre renvoient à des imageries bien précises du jeu des Sept Familles. Avec son look de petite chouette effarouchée, Seb Frey évoque Topper Headon. C’est le même genre de personnage, un gamin des rues sorti d’un roman de Dickens, l’un de ces gamins aux petits yeux ronds et aux cheveux de paille qu’on ne voit qu’en Angleterre et qu’on surnomme charitablement the carrots. Seb Frey a une peau incroyablement blanche et un immense tatouage inachevé dans le dos. Un tatoueur amateur avait certainement dû commencer à lui piquer le dessin d’une croix sur la toute la hauteur et toute la largeur du dos. Il semblait même que cette croix était en flammes à moins qu’il ne se fût agi d’un trait d’encre pour le moins mal assuré. Mais quel batteur ! Quand on parle des légendaires batteurs à l’anglaise, on cite généralement les noms de Paul Cook, de Rat Scabies ou de Topper Headon, justement. Seb Frey est tout cela à la fois, mais à ras des pâquerettes, avec une pauvre petite batterie qui tient mal et des pieds de cymbales qui se baladent au gré du vent. Il faut voir ce mec faire la loco et jouer les power-house, puis taper les dynamiques des transitions en désynchronisant ses bras. Pas de chichis à la mormoille ni de petits roulements sophistiqués. Si vous voulez voir un vrai batteur à l’Anglaise, allez voir jouer Seb Frey. Par son style, il renvoie aussi directement à Jerry Shirley qui pulsait les grooves dans le dos de Steve Marriott, au temps béni d’Humble Pie. Hey Oh ! Le rêve du rock qu’on aime tient toujours la route. Ce batteur peut faire à lui seul le régal des amateurs de rock bien joué. Et à gauche de la scène se tient Zach Rembrandt, un guitariste qui a opté pour la bête à cornes, c’est-à-dire la Gibson SG et qui semble sortir tout droit d’un cauchemar gothique imaginé par Robert Smith. Il est vêtu de noir et de gris foncé. Il porte un T-shirt Sisters Of Mercy, histoire de bien marquer son territoire. Des mèches d’un intense noir corbeau encadrent un visage émacié et le reste de sa chevelure est ramassé en un petit chignon improbable, ce qui lui dégage la nuque et lui élance le profil vers l’avant. Il souligne abondamment son regard clair au khôl. Il porte pas mal de bagues et de bracelets en argent. Son jean noir délavé est passé dans des grosses combat boots noires qui revoient à la saga héroïque de New Model Army. Il est typique de l’ancienne faune goth anglaise, mais là encore, quel guitariste ! Il joue en contrepoint du blondinet planté de l’autre côté de la scène et il place des solos et des phrasés le plus souvent scintillants. Ce mec travaille une sorte d’alchimie du son qui finit par porter de sacrés fruits. On se fait littéralement harponner par leurs compos qui dans le meilleur des cas sonnent comme des classiques des Dolls. Ils renouent avec l’esprit boogie dégingandé à fière allure. Ils savent stomper quand il le faut et calmer le jeu en touillant des mid-tempos d’ambition démesurée. Dans ce contexte, c’est assez gonflé de leur part. Car non seulement ils jouent pour un public réduit à portion congrue, mais en plus, ils alignent des compos qui en bouchent un coin. Ne cherchez à reconnaître d’éventuelles reprises : il n’y en a pas. Ils ne jouent que leurs morceaux. Et comme ils jouent deux sets de trois quarts d’heure avec un rappel de trois titres, on en conclura qu’ils disposent de l’essentiel : un vrai répertoire.
Jouons aux devinettes. Si les Dolls démarraient aujourd’hui, en 2014, auraient-ils le même succès qu’en 1972 ? (On peut se poser la question autrement : qui aujourd’hui s’intéresse au glam-punk ?) Toute cette école du rock n’est-elle pas tombée en désuétude ? Qui va acheter l’album de Bubblegum Screw ?
Le simple fait qu’un tel groupe existe encore relève du miracle. Le groupe est bon. Ils ont un vrai son, une extraordinaire présence scénique et un album qui nous aurait tous fait baver en 1972. C’est un groupe qui aurait facilement rempli la Salle Franklin ou l’Exo 7 à une autre époque. Mais aujourd’hui, on assiste à un étrange phénomène de désintéressement carabiné. Bientôt, il y aura plus de monde sur scène que dans la salle. Comme si l’authenticité foutait la trouille au gens. Comme si les gens préféraient aller téléramer paisiblement dans les salles subventionnées. Comme si les grandes surfaces lobotomiseuses et les magazines qui vivent de la branchouillerie leur bordaient le chemin. Du coup, les Screw pourraient presque passer pour des héros de la résistance face à la progression constante d’une hégémonie de la médiocrité rampante.
Leur album s’appelle «Filthy Rich Lolitas». C’est un beau clin d’œil à Nabokov, comme on le constate à l’écoute de «Lolita». Voilà une petite compo censée ramper dans culottes des amateurs, une apologie de la nymphette, et Zach Rembrandt joue un solo qui scintille admirablement dans un écho que Seb Frey tatapoume d’heavy sludge. Autre clin d’œil magistral avec «Tura Satana». Comme les Dustaphonics, Mark Thorn et ses amis rendent un hommage fulgurant à la grande Burlesque Queen - Dressed to kill ! Dressed to kill ! - sur fond de boogie-rock chauffé à blanc. L’hommage le plus spectaculaire de cet album est celui qu’ils rendent aux Stooges, «Play Some Fucking Stooges». Compo extrêmement inspirée de Zach Rembrandt qui a bricolé son texte en recyclant les paroles les Stooges que nous connaissons tous par cœur - So messed up when she is there/ In my room rock action’s near/ I burn myself on her record sleeve/ And I’m face to face to that guillotine - Il reprend même les passages d’accords stoogiens connus comme le loup blanc - Aw c’mon - et du coup l’album devient excitant. On l’écoute avec gourmandise. «Second Class Citizen» se hisse en croupe d’un beau beat de Seb Frey et ils concoctent l’une de ces fabuleuses montées en température qui font la grandeur de leur set sur scène. Seb Frey bat comme un beau diable. «I Wanna Fuck You So Much It Hurts Me» est aussi monté sur un grand appareillage de riffage rentre-dedans - Fuck you, Fuck you ! - Ils abusent de la liberté de parole accordée depuis peu par la reine des fourmis. Leur «Cannibal Girl» vaut aussi le détour car on y retrouve la grande énergie du rock à guitares. Ils vont même assez loin dans l’extravagance et la débauche énergétique. Leurs deux grands hits sont «Glam Rock Doll» et «Rock And Roll Dream». En tous les cas, ce sont les deux cuts qui percutent en concert. My little glam rock girl ! - Il s’agit là d’une fantastique introduction du beat entre les cuisses du boogie glam et c’est aussitôt embarqué à train d’enfer. Seb Frey joue net et sec. Ce mec sait battre punk, mais punk anglais. Et derrière ça braille - See you next rock’n’roll ! - Justement, voilà «Rock And Roll Dream», ficelé au beat bass drum de stomp et à l’envolée. Il faut voir comme c’est fameusement claqué aux accords de grattage. Ils deviennent monstrueux - You better watch out for the rock’n’roll dream/ You don’t have to stay if you don’t like what you hear - Ça sonne comme un hit, c’est embarqué aux chœurs et relancé par l’infernal gimmickage de Zach Rembrandt. Bon, on va se débrouiller avec ça.
Signé : Cazengler, Babineur Screw
Bubblegum Screw. L’Escale. Le Havre (76). 17 octobre 2014
Bubblegum Screw. Filthy Rich Lolitas. 2014
De gauche à droite sur l’illustration : Mark Thorn et Zach Rembrandt
TOURY / 22 – 11 – 14
OLD TEDS ROCK'N'ROLL
ROCKIN RHYTHM PARTY 2
ROUGH BOYS / BLACK RAVEN
WHIRLWIND
La teuf-teuf mobile a une sale mine. L'est clair qu'elle penche du côté par où elle va tomber. Comment trouver un réparateur qui voudrait bien la redresser un samedi à en toute fin d'après-midi ! Pas possible de parcourir les deux heures trente de route en son état. C'est mon concert qui tombe à l'eau ! Elle y met du sien. Au garage elle vous a un air si malheureux de chien battu qu'après avoir décrété qu'il a d'abord trois bagnoles à terminer le mécano la prend en pitié et la fait passer devant tout le monde. J'essaie d'expliquer aux trois gus qui attendent en me jetant des regards assassins que dans la vie rien n'est plus sacré qu'un concert de rock and roll, mais je n'ai pas l'impression de les persuader.
Une heure plus tard, retapée à neuf, la teuf-teuf toute fringante galope sur le bitume. Jusqu'à Pithiviers c'est sans problème. C'est pour après que je m'inquiète, Toury a l'air d'un patelin perdu au fin-fond de la campagne, mais dans l'Eure sont des mecs un peu tatillons, ils n'aiment pas que vous arriviez en retard aux concerts de rock, vous ne pouvez aborder le plus incertain des croisements ou le plus misérable des rond-points sans que le nom et la direction de Toury ne soient signalées, trois fois de suite.
Pour la Salle des Fêtes tournez à gauche dès que vous voyez l'église, m'ont conseillé deux ravissantes jeunes touroises. Je vous fais grâce de la description de la bicoque du bon dieu avec ces deux chapiteaux soutenues par des colonnes germinées, paraît que tous les rois de France ont défilé là-dedans, en commençant par Dagobert, non pas le chien du Club des Cinq mais celui qui mettait sa culotte à l'envers. Etait-il un pervers sodomite ? Je vous laisse approfondir ce point controversé de l'histoire nationale. Gardez-vous de conclure hâtivement en tranchant dans le vif du sujet.
Le bourg est endormi, mais les trois bistrotiers profitent de l'aubaine, les estaminets sont restés ouverts et débordent de partout assaillis par des légions de cuir noir. Les teddies sont fidèles au rendez-vous et sont venus en nombre. La salle des fêtes très grande pour une commune qui n'atteint pas le millier d'habitants sera remplie sans difficulté ce qui augure d'une ambiance chaude et électrique. Petite restauration, un stand fringues et deux de disques. Le 25 cm d'un concert inédit de Vince Taylor m'échappe chez l'un mais je récupère un super 45 tours live de Gene Vincent en Suisse. La fête peut commencer.
ROUGH BOYS
Rudes garçons. Deux générations de Teddies sur la scène. Deux juniors mais à tout senior honneur d'abord. Avec sa drap jacket à parements mauves, ses larges favoris et sa mine respectable de notable de province, il a le physique de ces Doctors des westerns des années cinquante qu'il était plus facile de dégoter à la table des joueurs de poker du saloon central qu'en consultation dans son cabinet. Les jeunes premiers ont intérêt à se méfier de cet habile toubib, vous collera plus facilement une balle entre les deux yeux qu'une piqûre dans le gras des fesses. Ne sont que trois, instinctivement vous portez votre regard sur Jackie le lead guitar. J'ai fait comme vous, mais au bout de trois minutes je me suis aperçu qu'à l'autre bout de la scène l'on avait affaire à un parfait docteur Hyde de la basse électrique. Ne se met pas en avant, si ce n'est de temps en temps un sourire sardonique un peu fugitif qui éclaire sa face. Juste pour nous signaler qu'il prend un pied pas possible à balancer ses bouts de gras. Du lourd glissant. Ca passe tout seul, pourriez ne pas vous en apercevoir, tellement c'est fluide. Ne marque pas le rythme, laisse le boulot aux deux jeunots – qui font cela très bien – lui son truc c'est de s'incorporer à la masse rythmique apportée par ses deux acolytes. Ni vu, ni connu, je t'embrouille, mine de rien c'est moi qui porte le tout sur le bout de mes doigts. Vous entassez les parpaings et moi par derrière je glisse le ciment. Maître du jeu. Retirez-le, et les couleurs s'estompent. L'est comme le chef ultime des triades chinoises. Vous, vous n'avez à faire qu'avec les tueurs chargés de concourir manu militari à la bonne marche de l'organisation, mais l'Ombre Jaune, le cerveau démoniaque qui coordonne les manigances les plus sauvages, vous le rencontrez tous les jours en train de promener son chien dans la rue, et vous ne vous doutez pas de la puissance effective de ce personnage si discret. J'exagère un peu parce que ces coulées de basse dune sobriété lyrique vous chatouilleront agréablement les oreilles pour peu que vous soyez connaisseur ou attentif.
Maintenant attention. L'histoire du calife qui veut prendre la place du calice, je ne vais pas vous la raconter. Surtout parce que ces trois-là s'entendent comme des larrons en foire. C'est Jackie, les dents aussi longues qu'une corde de sa Gretsch. Sans cesse sur la brèche. Au four et au moulin. Dans le bureau d'études et sur le chantier. Fromage et dessert. Vocal et guitare. Pour le café, c'est non. Même pas en supplément. Les deux copains apprécieraient quinze secondes de répit entre les morceaux, qui pour laisser tomber sa jaquette, qui pour avaler une gorgée, pas le temps, repart aussitôt en trombe. Sa majesté le rock n'attend pas. Le Jackie, l'en veut, l'en prend, l'en donne. Les titres se suivent et se ressemblent un peu. La saccade très particulière des rythmiques teddies – c'est à prendre ou à laisser, c'est l'élément et l'aliment de base, c'est là-dessus que chacun pose les broderies de sa voix ou les inflexions de son instrument – est impitoyable, où vous parvenez à imprimer votre propre marque, votre propre style, ou vous n'êtes qu'une copie des Rhythm Rockers de Crazy Cavan, la caravane folle qui passe imperturbable sans s'arrêter dans les landes de l'imaginaire Teddy Boy. Sur les premiers morceaux j'ai eu peur que l'on n'aille pas bien loin, mais Jackie a su passer en force, progressivement l'a accéléré la cadence infernale et a réussi le miracle de changer l'eau de la monotonie en l'ivresse joyeuse du vin. Vocal, guitare. Guitare, vocal, un peu frustrant pour un guitariste. Pour les solo vous repasserez demain. Le jeu consiste à établir la transition. La voix surgit à fond de train, cède la place avant de s'étouffer à la guitare qui en quelque sorte instrumentalise le rythme, le temps de repasser le pattern rythmique aux amygdales. C'est sur ses courts passages d'aboutement – pas du tout un espace libre et ouvert à toutes démonstrations talentueuses sans filet de protection – que le guitariste, malgré le lourd cahier de charges prédéfinies à l'avance, doit se démarquer et imposer son sceau. Et ma foi, malgré sa course folle en accélération continue, Jackie révèlera son talent. L'a compris que la vitesse n'est rien n'est rien si elle n'est pas couplée à l'énergie et il parviendra à se servir de la première comme un démultiplicateur de condensation synergique. Les derniers morceaux et notamment le rappel crépitant d'électricité seront foudroyants.
Non je ne l'ai pas oublié. Le troisième homme. Yann à la batterie. Contraste parfait ave Jackie qui est parti pour le derby d'Exon. Lui ce serait plutôt la reprise de dressage. Moins spectaculaire, mais tout aussi diablement efficace. Exige des nerfs à toute épreuve et une dextérité de tailleur de diamant. D'abord faut suivre la locomotive, pas question que le tender reste en arrière. Comment fait-il ? Mystère, je ne peux pas vous expliquer ? Avec sa frappe simili-flegmatique. Je n'en sais rien. L'est toujours là. La tortue qui galope plus vite que le lièvre, c'est lui. On le croit perdu dans le wagon de queue – celui que les bandidos ont détaché et garé sur une voie de garage – mais non il attend tranquillement que le rapide arrive au poste d'aiguillage suivant pour monter dedans. Entre temps il a récupéré le sac à lingots car il frappe lourd. La montée en puissance de Jackie il n'y est pas pour rien. Pousse même un peu. Trois mots lancés à Jackie entre deux morceaux, appuyés d'un grand sourire complice, et du coup le Jack vous lâche un riff que l'on dirait joué à la tronçonneuse, du genre tu Yann à qu'as assurer le back-ground de la pétrolette, et relax Yann augmente sa dose de frappe au millimètre près, pourrait faire mieux, mais se contente de suivre, il ne précède pas, il accompagne. Pour la commande suivante, le colis sera livré à l'heure pile. Sacré boulot qui nécessite une super écoute de l'autre et une confiance réciproque entre les deux musicos.
Rough Boys nous a séduits. Pas vraiment un groupe, plutôt une bandes de garçons où chacun vient avec ses billes que l'on met en commun et la partie commence surtout avec une terrible envie de jouer. Ne vous étonnez pas si la transmutation alchimique s'est réalisée. Ouvraient pour deux légendes du rockab, et une fois la fête entièrement terminée, à tête reposée l'on se rend compte qu'ils n'ont pas été le maillon faible de la soirée. Loin de là.
BLACK RAVEN
Il y a un moment qu'ils sont à la sono en train de signer des pochettes et des photos. Tous trois dans leur drap jacket beige. Sur scène l'on peut admirer l'étui de la guitare de Julian. Une simple caisse noire marquée de grosses capitales blanches : BLACK RAVEN. 1 ST DIVISION ROCK AND ROLL COMMANDO. Le genre de promesse qui rend les fou de Rock and Roll, joyeux. Perso, il fut un temps où je ne pouvais me coucher sans avoir une vingtaine de fois à la file visionné sur You Tube, une reprise live de leur Bird Doggin', le titre d'Al Casey si magnifiquement interprété par Gene Vincent. Comme leur nom ne l'indique pas Black Raven vient d'Allemagne. Possède une aura internationale, en vingt ans d'existence ils ont joué un peu partout dans le monde. Mais ce soir, les trois grands gaillards sont à Toury, et impatiemment attendus.
Julian à droite, guitare bleue et gilet bleu, Tornsten à gauche, basse bleue et gilet bleu, Jens au centre sur la batterie communautaire, pas une perle mais une Pearl, gilet bleu. Le Corbeau Noir affiche un look de mésange bleue. A l'aise, le visage fendu d'un grand sourire, le sombre volatile n'est pas celui qui hante le poème d'Edgar Poe ! Nos oiseleurs ne sont pas des adeptes d'un rock torturé. Gaité et insouciance sixties sont à l'ordre du jour. Mais dès les premières notes l'on sent que l'on n'est pas là pour rigoler, non plus. Un son splendide, clair comme de l'eau de rock mais d'une merveilleuse puissance. Inutile de se précipiter, vous aurez tout le temps d'admirer, quatre morceaux à la suite, enchaînés sans une seconde d'arrêt, le temps que l'on puisse tâter la marchandise, du premier choix, un Honey Hush de Big Joe Turner en ouverture et le I Can Tell de Johnny Kidd le pirate en clôture. Quelques mots et tout de suite c'est le test de certification. Le morceau inimitable des Shadows. Hank Marvin lui a donné sa formé idéale. Au sens platonicien du terme. Le truc casse-gueule par excellence. Ou vous copiez et cela n'a aucun intérêt. Ou vous vous démarquez. Et là vous prenez le plus grand des risques. Celui du ridicule. Pas bête le Jens à la batterie, nous lance une intro plus tribale à la Ubangi Stomp, tandis que Tornsten se pose une bouteille d'eau sur la tête dans le but d'imiter la gravité d'un chef indien au chef surmonté de sa plume, et vlan Julian égrène les premières notes, galop sauvage de première classe. Une véritable démonstration. Il est des faux Vermeer aussi fascinant que les vrais.
Tapent ensuite dans leur propre disco. Ne le disent pas mais il faut bien se rendre compte que des titres comme No Way To Stop Me ou Ships Without Harbour s'immiscent sans problème dans les classiques du genre. La séquence comme la précédente se termine par un instrumental. Mais le Raven sort le grand jeu, Le Lac des Cygnes de Tchaïkosky à la guitare électrique. Ne sont pas les premiers à le faire, reprennent le Riot at the Swan Lake des Cougars, c'est un peu le complexe du musicien rock qui veut prouver qu'il est aussi bon qu'un galérien du London Symphony Orchestra, hélas les rockers ne savent pas se tenir, ça finit toujours à l'éruption strombolienne. Et le Black Raven nous passe le tout à la moulinette.
A la demande générale d'un fan, Black Raven nous offre son Bird Doggin' qui me laisse un peu sur ma faim. Certes par instants Julian reproduit à la perfection la voix de Gene mais pas plus que Torsten qui nous livre des lignes de basses extra plates, il ne se donne pas la peine de tirer sa guitare vers le suraigu. L'on a envie de noter au stylo rouge Peut mieux faire sur la copie. Revisitent le Tulane de Chuck Berry, le Break up de Charlie Rich, et entre autres pépites le Jeanni Jeannie Jeannie d'Eddie Cochran couplé au Ain't That Too Much de Gégene sur lequel l'absence d'harmonica est criante.
Final impressionnant, la scène est envahie de danseurs, un curieux mélange de teds d'âge déjà suranné et de lolitas qui se déchaînent sur le I Fought The Law de Bobby Fuller Four et le Hate Off To Larry de Del Shannon. En dernier morceau, ce sera une longue version de Carol, riffée à mort. Franc succès. Un beau son, un savoir-faire indubitable. Un très bon concert. Mais j'aurais aimé que le Black Raven aille au moins deux ou trois fois sur l'épaule gauche d'Odin afin de nous prophétiser un peu l'avenir du rock.
WHIRLWIND
Ils ont mis le gamin à la stature imposante derrière. Pas pour le cacher. Même si on le voit mal. Plutôt contre le mur contre lequel vous êtes acculés lorsque vous livrez le combat ultime. Ce n'est pas leur dernier concert. Ce n'est pas le premier non plus. Whirlwind est un groupe légendaire. L'était déjà là au milieu des années 70, a beaucoup fait pour la renaissance d'un rock violent et testotéroné, certains de ses membres participeront à l'explosion punk. Le combo a connu pas mal d'allées et venues, aujourd'hui il ne reste plus que deux des membres originaux, Chris Emo et Nick Lewis. Mais Whirlwind est aujourd'hui sur la route et leur set possèdera la fureur des combats de gladiateurs dans les arènes romaines.
Les trois guitares alignées, de face. Regard attiré par la Gretsch de Nick Dadd, dès les deux premiers couplets de Hang Loose, l'on comprend que l'on affaire à un chanteur de talent. La salle en ronronne de surprise. Mais l'attention se déplace vers Chris Emo. Pour un peu on le confondrait avec le lead guitar, mais il adopte de ses postures jambes écartées au maximum, rythmique impétueuse, dégaine de forban qui n'a pas froid aux yeux lors des abordages. Pas le temps de s'attarder, faut juste réaliser que ça se passe surtout sur la télécaster de Mick Lewis. Époustouflant. Étourdissant. Ne trempe pas des boudoirs dans le café Mister Lewis, tête rasée mais les doigts pleins de plans dévastateurs. Chaque morceau comme une embûche à déjouer. Donne des solutions là où il n' y a pas de problème. Un jeu réfléchi, j'irais même jusqu'à dire hyper intellectualisé. Concentration maximum. Le dos légèrement voûté. En semble presque étranger au reste du groupe. Mais c'est lui qui dessine l'ossature et qui fournit la chair. Rouage essentiel. La pièce maîtresse. La clef de la charpente.
Teenage Boogie, Shotgun Wedding, la salle exulte. Ca danse et ça se trémousse un peu partout. Derrière James Bell sonne les cloches à toute volée sue sa batterie. Le gamin a une poigne de fer. Ne leur manque pas de respect mais il les pousse littéralement au cul. Avec un tel boucan par derrière si vous voulez que le son de votre guitare n'apparaisse pas comme un filet électrique maigrelet, faut vous débrouiller pour être à la hauteur de cette ampleur du beat qui vous pousse et vous propulse en avant. Dans les batailles antiques c'était la pression des derniers rangs sur la première ligne qui forçait la victoire. Idem pour Whirlwind. Peut-être une légère faiblesse en milieu de set, sur des titres comme Summertime et Love Machine, mais Baby Blue rétablit définitivement la situation. La puissance du blues, la force du rock and roll et le régal des guitares.
Ensuite c'est un peu le délire. Commence à se faire tard mais contrairement à bien des concerts rockab lorsque survient le dernier groupe, la salle est encore pleine et personne ne serait assez cinglé pour dédaigner un tel festin de rois. Même que ce serait plutôt le banquet des quatre empereurs. N'en peuvent plus mais les demandes de rappels fusent. Ne refusent pas, on les sent surpris et heureux d'une telle ferveur. A l'avant-dernier morceau du rappel Mick Lewis lève la main de ses cordes. Trois gouttes de sang tombent sur le plancher. Mais une seule suffirait pour teindre la mer du rock à sa couleur.
La scène est remplie, impossible de sortir. Alors pour obtenir leur droit au repos plus que mérité ils nous promettent un dernier titre de Gene Vincent. Vu le nombre de blousons qui dans la salle s'orne du nom du Sreamin' Kid, ils ont trouvé leur sésame de sortie. Ce sera donc une version ultra-speed électrique de l'hymne du rock and roll qui clôturera ce concert pharamineux.
RETOUR
Quelques mots échangés avec des Southerners qui m'apprend qu'ils avaient fait la première partie de Whilrwind en 1979, 1980 au Gibus à Paris et il est temps de s'enfoncer dans la nuit noire des jours gris.
Damie Chad
( Photos sur le FB des artistes et de Nadine Rockab & de Viviphoto ).
MOUSSEAUX-LèS-BRAY / SALLE DES FÊTES /
23 / 11 / 2014
L'ARAIGNEE AU PLAFOND
ET SA FANFARE MAGIQUE
Mousseaux-Lès-Bray, morne plaine. Je ne vous conseille pas d'y louer un gîte rural pour les vacances de Noël. A moins que vous ne soyez un aspirant à la déprime généralisée. Oui mais ce soir à dix-sept heures, L'Araignée Au Plafond donne un concert à la salle des fêtes du village. L'on débarque pile à l'heure pour les premières notes. La salle est longue, étroite et pas bien grande. Bondée de monde. L'on comprend pourquoi. Sur notre gauche, une rangée de tables porte encore les stigmates du festin qui vient de s'achever.
L'Araignée Au Plafond les lecteurs de KR'TNT connaissent depuis notre kronic 195 du 26 / 06 / 14 de la Fête de la Musique à Provins. Souvenez-vous ce groupe avec le père, la mère, le fils, l'ami du fils et la talentueuse Mildred au chant. Sont tous là. Mais la famille araignée s'est considérablement agrandie depuis le printemps dernier. Pire que la multiplication des petits pains. Neuf nouveaux membres, un, deux, trois, quatre trompettes, les ont collées, faute de place, contre le mur, un, deux, trois, quatre saxophones du plus gros au plus petit, les ont mis devant les trompettes, et à angle droit décalqués sur le mur, deux énormes congas avec le congassiste pour les fesser du plat de ses mains sans arrêt. Vous pouvez compter sur les doigts, quatorze, en tout !
Une section de cuivres à faire pâlir de jalousie l'écurie Stax au grand complet. Fanfare magique mon oeil, fanfare tonitruante serait plus exact. Un boucan d'enfer, une flopée de miel sonore envahit l'espace, de la puissance mais bigrement harmonieuse. C'est un ouragan qui s'échappe des douze tuyaux de cuivre, grandes orgues métallisées. Ajoutez-y les congas et la batterie, et vous aurez une idée de la masse phonique qui sort de ce pandémonium. L'on connaissait La Malédiction des Rockers d'Albert et sa Fanfare Poliorcétique, va falloir y ajouter La Bénédiction Orphéonique des Araignées du Plafond.
Juste un petit problème. Soufflent comme les fous de Jéricho dès que Mildred prend le micro et couvrent ses parties vocales. Pas assez puisque l'on parvient à discerner dans le fracas le timbre si particulier de sa voix, mais trop pour saisir les paroles. Par contre se taisent tous ou la mettent salement en sourdine lorsque elle se saisit de sa flûte traversière et nous emmène promener en de subtils et étranges paysages de légendes d'héroic-fantaisie. A peine en a-t-elle terminé qu'ils reprennent leur mélodieux tapage. Ne s'agit pas d'un octet de sauvages qui soufflent à tire-larigot dès que l'envie les tenaille. Papa araignée leur a écrit les partoches et les arrangements. C'est du fait maison. Sont capables d'imiter les Bar Kays comme la fanfare de la Piste aux Etoiles, par contre point d'orchestration jazzy swing, travaillent surtout sur l'ampleur de la fluidité des masses sonores qui vous enveloppent et vous procurent comme un massage musical contradictoirement relaxant et revigorant.
Mais que se passe-t-il ? La moitié de la salle se lève comme un seul homme et s'enfuit par la porte d'entrée. Plus on est de folles plus on s'amuse, ont dû penser les aragnes, elles ont invité toutes les amies gales des village d'alentour et l'on se retrouve bientôt avec un vingtaine de souffleurs supplémentaires, trompettes, sax, trombones à coulisse, tubas, je dois en oublier quelques uns et tout ce beau monde cornaqué par le chef de la section de cuivres des Plafonnés se lancent dans l'interprétation de deux pièces. Trente-cinq personnes, presque aussi nombreux que le Philharmonique de Berlin, mais dix fois plus bruyant. Personne ne s'en plaint, c'est sûrement une nouvelle thérapie à théoriser car vu les applaudissements ils ont conquis les coeurs et rasséréné le moral automnal des populations locales.
Une folle soirée d'amusement et de gaité, originale, surprenante et empreinte de saveurs sucrées au goût opiacé. Je jure de ne plus jamais tuer les araignées qui s'aventureraient sur le plafond de mon salon. A une seule condition, que la prochaine fois Mildred ait un micro digne de ce nom.
Damie Chad.
( photos sur le FB des artistes, ne corresponde,t pas au concert )
LES VOIX DU MISSISSIPPI (II)
LES RACINES DU BLUES
LES FILMS DE
WILLIAM FERRIS
( PAPAGUEDE / Novembre 2013 )
1
Alors les narvalos, vous refermez le bouquin et vous croyez en avoir fini. Funeste erreur, vous avez laissé la cerise du gâteau et le lait du coco. Sur la troisième de couve, y'a une poche plastique. Transparente, le DVD à l'intérieur crève les yeux. Vous êtes du genre à rater un éléphant dans un couloir, et à ne pas voir le Mississippi dans le delta. Faut-i que vous soyez bêtes parce que dessus sont gravés sept films de William Ferris.
Je reconnais que ce ne sont pas des super-productions à gros budget. Pour l'un d'entre eux, le générique est une succession d'affiches avec les titres écrits aux feutres. De la couleur mais aussi du noir et blanc. Mettez vos sonotones sur le 11 car ce sont des pellicules qui s'écoutent autant qu'elles se regardent. Mais avant de nous préoccuper de la bande-son, l'on va zieuter les décors. Naturels. Rien de recréé en tout beau, flambant neuf dans les studios.
A tout seigneur tout honneur. Le dieu Mississippi. On le traverse par deux fois sur un pont branlant. Pour les show-boats à roue à aubes, ce n'est pas le coin. On n'est pas à la New-Orleans ici, mais dans la campagne perdue. Pas de touristes en goguette dans les arrière-plan. C'est qu'il n'y a pas grand-chose à voir dans les alentours. A part la misère. Quant au Mississippi, bouge pas de son lit, semble immobile, sage comme une image. Vous pouvez arrêter When The Levee Break de Led Zeppelin. Vous vous trompez d'époque pour l'accompagnement musical, même si les films ont été tournés autour de 1975. Dites-vous que pour ce qui va suivre, le pachyderme broute vraiment trop d'électricité.
La caméra file tout droit chez les noirs. Non ce n'est pas une reconstitution de l'habitat mérovingien au Musée du Moyen-Âge de Cluny. Ce sont de vraies maisons, non je me suis laissé emporté par une bouffée de lyrisme intempestif, disons de véritables cabanes, excusez-moi de simples clapiers à lapins construits de bric et de broc dans les arrières-cours des fermes. D'avant la guerre. Celle de 1870. En France, on possède la même chose, ces vieilles bergeries fermées et abandonnées de tous – même les hippies n'en n'ont pas voulu - depuis soixante-dix ans en zone de moyenne montagne. Mais là nous sommes aux USA, au pays des gratte-ciels et de la démocratie. A l'intérieur, les planchers ne sont pas cirés, et la vaisselle un peu dépareillée. Je n'insiste pas, je ne vous fais pas de dessin, c'est parfait pour y tourner une scène des Misérables. Celle de Cosette chez les Thénardier. Faut être juste et honnête. Dieu n'est pas mieux loti. Les chromos à la Cryin' In The Chapel, c'est joli et romantique, personnellement si j'étais le petit Jésus, je refuserai de me rendre dans leur soi-disant lieux sacrés, préfèrerait encore une HLM dans la Cité des 4000 à La Courneuve. Suis pas bégueule, mais vu ma fonction je prierais pour que l'on m'octroie un minimum de confort.
Pour en finir avec le jugement de dieu comme l'écrivait Arthur le mômô, je ne résiste pas à vous raconter un épisode de ma vie personnelle. Une petite dizaine d'années en arrière, dans un festival de théâtre tout près de Provins. Un gros trou de la programmation en milieu d'après-midi. Pas la moindre petite pièce à se mettre sous la dent. L'orga avait fait dans l'originalité, rien entre 14 et 17 heures, mais une surprise à 15h 30 sur la scène centrale : un récital de gospel ! J'y suis allé à reculons. Tous ces blacks en aube blanches qui chantaient avec des yeux extasiés levés vers le ciel des psaumes liturgiques interminables j'ai failli y perdre mon âme. D'ennui. Je ne m'attarde pas sur le prêche dominical au milieu de l'office, du genre prenez exemple sur Jésus en vous aimant les uns les autres, bref en sortant de là les trois-quarts de l'assistance étaient prêts à se convertir à l'athéisme. Tout cela pour expliquer combien j'ai hésité avant de visionner les scènes religieuses.
Je vous rassure. De la démence pure. Non, vous n'êtes pas dans un spectacle de Jake Calypso quand il voyage d'un bout à l'autre de la scène sur les mains des spectateurs, mais question ambiance ça y ressemble. D'abord le pasteur. Si votre voisin se met à gueuler aussi fort que lui je vous excuserai de prévenir police-secours. Les asiles ont bien été construits pour les fous furieux. Le problème, c'est que c'est très vite communicatif, les grosses mamas piquent des crises d'hystérie, les paralytiques se lèvent de leur fauteuil roulant, ça hurle, ça crie, ça s'hynoptise de tous les côtés, pire que la ménagerie du cirque Pinder. Un effroyable bordel. Z'ont pas compris le père Eddy, ils mettent du boogie-woogie dans leur prière sans attendre le soir. Un dernier conseil, si vous voulez faire comme le prêtre le coup de l'imposition des mains à votre nouvelle copine, par pitié il est inutile de l'assommer en la projetant sauvagement par terre. Souvenez-vous que dieu est amour. Récapitulons : vous venez de recevoir vos premiers rudiments de wild gospel, parfois aussi appelé psycho-spiritual.
Passons aux choses sérieuses. Le blues. Bien sûr vous avez droit à B. B. King. Plus un jeune homme, mais enfin quarante ans de moins qu'aujourd'hui. Ca se remarque, nous donne d'ailleurs une remarquable interprétation de The Thrill is Gone. Joue comme Clapton ne l'a jamais encore fait. La force brute du blues. Sans fioritures. Mais c'est après que ça devient plus intéressant, l'on descend chez les soutiers du blues. Ce n'est pas qu'ils sont moins bons que John Lee Hooker, c'est que la célébrité les a un peu oubliés. Pour les amplis et les grattes vous trouverez mille fois mieux sur les puces de Clignancourt ou les brocs de province. Ne vous précipitez pas, c'est le guitariste qui fait la guitare et pas l'inverse. Tout est une question de blue feeling. Apparemment, c'est facile à attraper, suffit de n'avoir plus de fric ou que votre nana vous plante. Les deux ensemble, c'est encore mieux. C'est ce qu'ils expliquent tous. Rajoutent quand même les heures de travail obligatoire sous le soleil brûlant et une vie de privation réduite à sa plus simple expression.
Des scènes extraordinaires, la guitare par dessus l'épaule chez le barbier pendant que le garçon se prend pour Chaplin dans Le Dictateur en astiquant son cuir avec son rasoir. Ce n'est pas du Brahms, c'est du blues. Mais il y a encore plus rudimentairement authentique. La guitare à un fil. Filmé. Avec la notice de montage. J'avais bien essayé chez moi sur la corde à linge, mais le résultat ne fut guère probant. Je vous donne la recette. Pour le fil de fer fixé verticalement par deux clous sur le mur de la maison, vous prenez le fil de fer qui retient les pailles des classiques balais de sorcière. Ensuite vous pincez votre corde avec vos doigts. Evidemment, c'est nul. Vous manque l'astuce qui suce le blues de Prusse. Gros bêtas ! ce n'est pas le fil qui chante, mais la pierre que vous glissez tout en bas, entre le mur, la pointe et le fil. Le truc qui a dû rendre fou Jean-Luc Tudou ( lire son Chicago, Terre Promise de la Guitare Slide, chroniqué in KR'TNT ! 199 du 04 / 09 / 14 ).
Pour le balai salopégé, pas de panique. Rien ne se perd dans la nature. C'est le moment de récupérer le manche et de sortir le Dust My Broom de Robert Johnson de sa pochette. Bande de petits saligauds, laissez vos allusions salaces au vestiaire. Attention à vue de nez ça paraît simple. Je présuppose que le maniement doit demander quelques entraînements intensifs. Première règle : on ne frappe pas le plancher avec le manche à balai pour suivre et marquer le rythme. Deuxième règle : on frotte les lattes en appuyant fortement, sur une trentaine de centimètres, tout en le tirant vers vous. Et puis on soulève, on repart en avant et on recommence. Troisième règle : je ne l'ai pas comprise. Je sais que vous êtes intellectuellement capable de la formuler en toute logique, et même de la résoudre.
Je vous laisse à vos expérimentations. Un ultime conseil : ne rayez pas trop le parquet de la salle à manger. Comme pour les gamins : tu regardes avec les yeux, mais surtout tu n'y touches pas.
2
Tout lu, tout vu – peut-être même tout nu dans la salle de bain, et vous croyez en avoir définitivement fini. Objection, votre honneur, reprenez le bouquin, par le début, non, n'allez pas si loin, reprenez à la première page de garde, ni la marron, ni la verte, mais la bleue, c'est un CD de vingt-deux morceaux, du beau monde, jugez-en par cous-mêmes :
JOE POPPA ROCK / SONNY BOY WILLIAMS / LOVEY WILLIAMS / CHAPMAN FAMILY + FANNY BELL CHAPMAN / DETENUS DU CAMP B DE PERCHMAN / SOUTHLANDS HUMMING BIRDS / MARY GORDON / JAMES SON FORD THOMAS / LEE KIZART / JASPER LOVE / SCOTT DUNBAR / ARTHUR LEE WILLIAMS / NAPOLEON STREICKLAND / OTAH TURNER / REVEREND ISAAC THOMAS.
Soyons franc, le CD n'a pas l'impact du DVD. Un peu trop de prêche gospel – tiens voici mon anti-christianisme naturel qui revient au galop – qui sans la force des images perd tout son sel. L'on pressent les dérives artistes, les harmonies vocales, tous ces enjolivements qui expliquent pourquoi la variétoche est elle aussi la fille bâtarde et adultérine du gospel. De même la plupart des blues - enregistrés en live – souffrent de l'absence de l'environnement dans lequel ils ont été chantés. Notre oreille est un peu trop habituée aux productions modernes dans lequel le son est toujours léché, réfléchi et soigné, même ( et surtout ) si l'on veut donner une impression de pris sur le vif, sans avoir touché à un seul bouton de la console. Vous objecterez que les premiers blues enregistrés dans les années trente dans les chambres d'hôtel ne bénéficièrent d'aucun ingénieur du son digne de ce nom, du moins tel que nous l'entendons aujourd'hui et qu'il en émane une vigueur indéniable. L'est sûr qu'en repassant plusieurs fois certaines pistes, notre tympan s'accoutume à ces guitares nues au son si grêle. Et bientôt l'on discerne la ferveur lyrique dans les timbres veloutées des voix retenues, ainsi ce Going Down To The Station de Sony Boy Williams. Lorsque le chant devient plus rocailleux, l'en paraît plus frustre, se rapprochant des racines mythiques de la fin du 19 ° siècle dont nous ignorons tout. Un blues rugueux, pratiquement un country blues de gars qui n'auraient jamais quitté leur campagne pour la ville ou qui en sont revenus horrifiés, jurant de ne plus jamais y retourner. Faut penser qu'en ces mêmes années où le micro de William Ferris recueillait les témoignages de ces bluesmen qui étaient restés immergés dans leur communauté et qui apparaissent comme des survivants et des perpétuateurs dépassés d'un âge d'or qui n'existe plus et dont ils sont les derniers vestiges, le blues se transformait d'une manière radicale. Changeait de couleur. Prenait sous l'égide d'un Canned Heat, d'un Johnny Winter, d'un Mike Blomfield, une teinte bleue électrique dont il ne s'est jamais débarrassé jusqu'à aujourd'hui. Un Lavey Williams reprend Mystery Train, comme si l'histoire du Blues s'était arrêtée sur le seuil du studio Sun... et Napoleon Strickland joue du fifre sur une rythmique indienne comme si les Sioux n'avaient pas encore été chassés de leurs territoires de chasse ancestraux. Quant à Scott Dunbar il nous psalmodie en se marrant – car lorsque la fin du bon vieux temps s'effiloche , vaut mieux en rire qu'en pleurer - la berceuse aigre-douce de l'oiseau bleu comme s'il voulait nous endormir pour toujours. Ne soyez pas triste, aux dernières nouvelles le piaf souffreteux n'était qu'un des avatars du phénix. Le blues renaît toujours des cendres des foyers en train de s'éteindre et agoniser.
Damie Chad.
Dernier rappel : n'oubliez pas le livret qui accompagne Ces voix du Mississippi. 32 pages de bibliographie, de discographie et de filmographie. De quoi meubler vos longues soirées d'hiver.
22:03 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
J'apprécie vraiment votre blog , je me permet donc de mettre un lien vers le mien , je suis serrurier paris http://serrurierparis-infos.fr/serrurier-a-paris/
Écrit par : invité | 02/12/2014
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