03/03/2016
KR'TNT ! ¤ 271 : DADDY LONG LEGS / LANGSTON HUGHES / JOSEPHINE BAKER
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 271
A ROCKLIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
03 / 03 / 2016
DADDY LONG LEGS
LANGSTON HUGHES
JOSEPHINE BAKER
25 – 02 - 2016
EVREUX ( 27 ) / L'ABORDAGE
DADDY LONG LEGS
Oh Daddy-o I don't wanna go to the basement
Daddy et ses deux copains de Daddy Long legs forment un trio de hot blues-trade à l’ancienne, dans la veine de ce que firent les mighthy Red Devils en leur temps. Daddy souffle dans son harmo et chante comme un mineur des Appalaches. Eux aussi adeptes de Saint-Guy, ses deux copains excellent à mener le bal des petits culs blancs. Affublé d’un casque de cheveux noirs de jais et de lunettes noires, le petit Murat affiche une dégaine de rock-star à la Thunders, alliant le geste à l’attitude. On ne voit que lui sur les pochettes des trois albums. Le troisième larron s’appelle Josh Styles, et comme l’indique fièrement son nom, il bat le beurre aux maracas avec un certain style. En fait, ces trois prétendants au trône affichent un goût prononcé pour la pire des pétaudière, celle qui se négocie au shuffle d’harmo et au beat frénétique, dans la tradition des vieux honky-tonk des années de braise. Nos trois amis réactualisent une théorie affirmant qu’il n’est nul besoin de colonnes Marshall pour souffler le toit d’une salle de spectacle. Daddy fait son Little Walter de la Saint-Jean, il re-démultiplie des apocalypses qu’on croyait indémultipliables. C’est là le secret de la force américaine : ses réservoirs. On y trouvera toujours un nouveau recordman de ceci ou de cela. Chez l’Américain, le surpassement de tout s’inscrit dans les gènes. Ça fait deux siècles que les Américains éprouvent le besoin constant de prouver au monde entier qu’ils sont les meilleurs en tout. Mais en 1964, les Beatles leur ont prouvé le contraire, sans le faire exprès, ou presque. Un an plus tard, Bob Dylan se dévoua pour laver cet affront. Oh, des gens comme Doug Sahm, David Crosby ou encore Link Wray auraient pu laver l’affront si les gros labels avaient misé sur eux, mais leur choix s’était porté Bobby le veinard.
Les perspectives historiques donnent souvent le vertige aussi est-il bon de pouvoir revenir à des choses simples, comme par exemple les trois albums de Daddy Long legs.
La presse a fini par leur tailler une petite réputation de puristes, mais une écoute attentive des trois albums vous montrera que ça va un peu plus loin que cette vision étriquée. Il y a chez Daddy Long Legs une âme, comme chez les Blues Goblins, par exemple, ou encore chez les North Mississippi Allstars. Mais dans le cas des Allstars, c’est une évidence car Cody et Luther Dickinson héritent d’un pactole qui vaut tout l’or du monde. En effet, Daddy Dickinson naviguait au même niveau que Sam Phillips et Rick Hall, pour n’en citer que deux.
«Evil Eye On You» est sorti en 2012. Quand Norton sort l’album d’un nouveau groupe, petit conseil, prêtez l’oreille, car Billy et Miriam ont du flair. Daddy attaque avec un «Death Train Blues» qui annonce parfaitement la couleur. Ça jute d’harmo et Daddy fait son Wolf dévoyé, comme s’il était possible de dévoyer Wolf. Eh bien oui. En prime, Daddy bat tous les records établis par Little Walter et Jerry Boogie McCain. Franchement, nos trois amis vont très vite. Ils filent ventre à terre, comme Hopalong Cassidy. Ils enchaînent avec «I Feel So Electric», gros boogie-blues chargé de sens et de son, bourré d’harmo à la démesure. Daddy chante comme un black de cabane de planches branlantes, avec l’énergie de celui qui de toute façon n’a rien à perdre, puisqu’il n’a rien. Il se pourrait fort bien que Daddy ait saisi l’esprit du blues, cette vision d’un néant auquel la misère donne un visage humain, et la vague perception de la forme la plus épouvantable de la négation de l’humain : l’esclavage. Mis à part la mort, il n’existe pas de pire forme du néant que l’esclavage. Y penser intensément et tenter d’en saisir l’horreur peut aussi donner le vertige.
Daddy n’en continue pas moins de chanter au guttural éraillé. On le sent gorgé d’énergie. Il fait même une reprise du «You’ll Be Mine» de Wolf. Joli choix. Avec «Sittin’ Shotgun», on voit bien que ça ferraille comme chez les vieux durs des sous-bois du Missouri, là où grouillent les contrebandiers de cigarettes et de moonshine. On tombe ensuite sur une surprise de taille : une reprise du «Comin’ After Me» des Groovies ! Daddy livre là une admirable vision du mythe groovy. Ils font aussi une solide reprise du «Thirty Days» du grand Chuck, mais elle n’est quand même pas aussi pure que celle de Dave Edmunds. Daddy joue la carte de l’énergétique, c’est dopé à l’harmo et bien soutenu au beat. Et ils bouclent avec un beau clin d’œil à Wolf, un «Evil Eye» sacrément menaçant.
On monte d’un cran avec un second album produit par Matt Verta-Ray, «Blood From A Stone». Ils attaquent avec une jolie petite fournaise d’harmo, «Long John’s Jump». On sent chez nos trois amis un goût prononcé pour la frénésie. Il nous refont le coup du Big Foot Chester. Ils tapent ensuite dans l’énorme «Big Road Blues» de Tommy Johnson, chez qui Alan Wilson de Canned Heat était allé déterrer «Going Up The Country». Murat joue admirablement le riff remontant et ça sonne comme du Leadbelly. Avec «Heart To Heart», ils frisent le bon garage. Ils sortent là un cut vénéneux à souhait, bien emmené au riffing à la Keef et ça s’emballe pour le final. Voilà de quoi estomaquer l’asthmatique. Les malheureux tapent ensuite dans une chanson de bagnards noirs, et c’est peut-être leur première erreur. «Chains A Rattlin’» n’est pas une amusette - I’ll break these chains/ Yeah I’ll break these chains - Il ne faut pas jouer avec ça, les gars, car les nègres qu’on envoyait au bagne atteignaient réellement le fond de l’horreur : ces fils d’esclaves se retrouvaient enchaînés à vie pour creuser les routes de l’homme blanc. Là, on ne rigole plus. Ces chansons qu’on peut entendre sur des compiles bien connues sont celles que ces malheureux chantaient pour se donner le courage de travailler une terre honnie, sous l’œil sanglant de gardiens armés. Plus rien à voir avec Norton et les paillettes du rock’n’roll. C’est un peu comme si on transformait la Shoah du grand Jacques Lanzman en opéra rock, avec Tina Turner dans le rôle de la conductrice du train qui arrive en Pologne. Non.
On revient aux choses plus urbaines avec «New York City», un boogie emmené ventre à terre. Ça sonne comme du Leadbelly punkoïde. Ils attaquent la face B en Bo motion avec «Snake Juice» - Oh Bo ! C’est joué aux maracas. Quel son, les amis ! Murat se dédouane. Plus loin, on tombe sur un «Take It Home» magnifique de tenue et tartiné au chant d’investigation. C’est même sévèrement tatapoumé. Daddy y place ses vieux plans gospel, histoire de chauffer la paroisse. Et derrière, l’aimable Josh maracasse la baraque avec style. Vrrrrrrrooooammm ! «Motorcycle Madness» part à l’harmo. Quelle fête pour les sens ! Ils bouclent cet album bourré de bonnes vertus avec un «Catch You On Down The Trail» joué au vieux blues de railroad.
Leur troisième album vient de sortir. «Rides Tonight» est un album live. On y retrouve les morceaux des deux premiers albums. Kim Fowley fait une courte introduction et Daddy embarque son «Long John’s Jump» pour Cythère. «I Feel Electric» qui suit est noyé d’harmo et de coups de bottleneck. Sur scène, ce trio doit donner sa pleine mesure, car leur son dégouline de blues et bon guttural. Franchement, à les entendre, on se croirait transporté dans un bastringue de Clarksdale. Josh Styles frappe dur sur son bon bass-drum. Ah l’animal ! Ils font un beau «Witch Hunt» digne des bivouacs des Appalaches, au temps où la frontière traversait encore les montagnes.
On retrouve avec la bave aux lèvres le fabuleux «Motorcycle Madness» emmené à bon train d’accords et Daddy-o le chauffe au guttural de circonstance. On les sent classiques jusqu’au bout des ongles. En face B, ils tapent une belle version de «Bourgeois Blues», standard génial de LeadBelly sur lequel Tav Falco se faisait les dents voici trente ans. C’est Josh Styles qui embarque avec style «Shakin’ Up». Ce gros beat dévastateur relève de l’enthousiasme le plus pur. Et revoilà le «Big Road Blues» de Tommy Johnson, monté à l’escalier, cut idéal pour boucler une affaire. Ils le jouent à la grande brassée et le set se termine avec un volcanique «Death Train Blues» chauffé aux flammes d’un enfer certain. Oh non, ce n’est pas une vue de l’esprit, car nos trois amis flirtent vraiment avec le diable.
Et pouf, les voilà sur scène au bon vieil Abordage, juste avant Lord Jim. On s’attendait à une pétaudière, mais c’est encore beyond the beyond, comme dirait Miriam Linna quand elle évoque Suicide en 1976. Quand Daddy Long legs débarque sur scène, attendez-vous au pire, c’est-à-dire au mieux de ce qu’on peut espérer d’un trio de blues maniacs. Dès l’ouverture du bal, ils chauffent à blanc. C’est une image, mais c’est à peu près la seule qui puisse décrire la réalité de leur pouvoir. Cette grande perche de Daddy-O souffle comme un démon dans son harmo, jambes écartées, et il nous rappelle le vieux cirque de Magic Dick dans le J. Geils Band, alors que de l’autre côté, le petit Murat s’adonne à son jeu préféré, le titubage de Doll désarticulée avec ce faux air à la Thunders qui en dit long sur ses racines. Au moins on sait de quoi il s’est nourri quand il était petit. Il pousse même le bouchon assez loin, puisqu’il reprend les petites moues de Johnny Thunders, celles que copiait aussi Steve Jones à l’âge d’or des Pistols. Au milieu de tout ça, déguisé en hippie, l’ami Styles frappe son fût comme un sourd. Il fait sa powerhouse et par la verdeur de sa frappe, il évoque le souvenir d’une autre powerhouse, Simon King.
Powerful, c’est le mot qui pourrait qualifier les Daddy Long Legs. Le point le plus chaud du set est cette version définitive de «Big Road Blues» hantée par un riff descendant qui rappelle celui du fabuleux «Drunken Spree» de Skip James, repris par les Blues Goblins sur un album anthologique. Les versions de Wolf sont elles aussi imparables, le «Moanin’ At Midnight» du début et le «Evil Eye» de la fin qui, sans avoir le poids du pathos wolfien, transmettent tout de même des remugles de bonne menace - aw-aw-aw-aw - Et c’est maracassé à bras raccourcis - ouh-ouh-ouh-ouh - «Death Train Blues» redit toute l’énergie de la culture américaine et cette fuite éperdue à travers les plaines sans fin, ils en font une version incroyablement beefheartienne, roulée dans le gosier et râlée à travers les époques et les modes, complètement effervescente, pulsée à outrance, au cœur du mythe le plus vivant du blues : le train lancé à toute vapeur, ce train que James Carr appelle le train de la liberté. Sur scène, les Daddy renouent avec l’explosivité du Magic Band de l’époque «Sure ‘Nuff ‘N Yes I Do» et cette aisance qu’avaient les hommes du Captain à tirer l’overdrive du blues pour le projeter dans une sauvagerie toujours inégalée. Pour finir, Daddy-o a sorti sa moto de sa poche et s’est mis à souffler le bruit d’un passage de vitesse sur une Harley lancée à toute blinde. Peut-on espérer plus beau cadeau d’adieu que cette version infernale de «Motorcycle Madness» ?
Signé : Cazengler, dodgy long log
Daddy Long Legs. L’Abordage. Évreux (27). 25 février 2016
Daddy Long Legs. Evil Eye On You. Norton Records 2012
Daddy Long Legs. Blood from A Stone. Norton Records 2014
Daddy Long Legs. Rides Tonight. Norton Records 2015
Sur l’illusse, de gauche à droite : Brian Hurd, Murat Aktürk et Josh Styles
LANGSTON HUGHES
L'INGENU DE HARLEM
( La découverte / 2003 )
Remets-moi, non, pas Johnny Kidd, Tony Marlow s'en est déjà chargé, mais Johnny B. Goode de Chuck Berry. Non ! pas l'originale de Chucky aux doigts d'or, la version des Chaussettes Noires, magistralement adaptée sous le titre d'Eddy Sois Bon. Oui je sais elle est déjantée et elle casse tous les canards à trois pattes qui s'envolent à tire d'ailes dès que l'aiguille du tourne-disques aborde son sillon. Un véritable classique du rock français, n'y a que Billy Brillantine qui ait le courage de la reprendre, mais je ne suis pas en train d'écrire un topo sur l'histoire du rock national. Non j'évoque simplement la parenté entre deux personnages célèbres, le dénommé Johnny B. Goode et le renommé Jesse B. Simple. Homéophonétiquement parlant, pour les amerloques, le premier se prononce Johnny Be Good et le second Just Be Simple. S'il peut sembler évident qu'il vaudrait mieux être bon ( et même très bon ) si l'on désire embrasser le métier de guitariste de rock, l'injonction Just B. Simple qui se traduit par, tiens-toi tranquille, reste à ta place, exige des explications plus étendues. Je n'en ai jamais entendu parler, mais je me demande si la formelle corrélation patronymique de l'appellation des deux héros est uniquement due au hasard. Chuck Berry a longtemps éprouvé un certain ressentiment envers la façon dont il a été traité durant sa carrière en tant qu'artiste noir. Il ne serait pas étonnant que le titre Johnny B. Goode lui ait été plus ou moins consciemment inspiré par un personnage de papier créé dès 1943 dans les colonnes de plusieurs périodiques noirs américains par Langston Hughes dont nous avons à plusieurs fois évoqué l'œuvre dans KR'TNT ! ( voir livraisons 21 et 261 ).
Jesse B. Simple est le héros de moultes nouvelles écrites durant une vingtaine d'années par Langston Hughes. Réunies en volume sous le titre de Best of Simple en 1961, elles exercèrent durant les vingt ans que durèrent leurs parutions en journaux et revues une énorme influence sur la prise de conscience de la population des USA sur les méfaits de la politique ségrégationniste du pays. Jesse B Simple n'est pas un super héros, ni un futur bienfaiteur de l'humanité. Un gars parmi des milliers d'autres. A la vie étriquée, loue une chambre à la semaine, touche une minuscule salaire pour un boulot inintéressant, refuse de payer le divorce de sa femme qui l'a mis dehors, connaît tous les rades du quartiers, passe son temps à discutailler dans les bars. Un brave gars, qui accueille un cousin lointain, qui est amoureux de Joyce, ce qui ne l'empêche pas de fricoter avec les Zarita de passage. Un américain comme tant d'autres qui cumule deux handicaps. Deux véritables boulets, deux stigmates d'infamie dont la conjugaison ne s'additionne pas mais se surmultiplie.
Fait partie des pauvres et des nègres. Coloured People. Marqué à vif, au fer noir sur le visage. S'est tiré de la Virginie où la vie lui était devenue insupportable, A vite déchanté du Nord, certes il ne risque pas le lynchage à chaque coin de bois, certes la jimcrowisation de la société n'est pas aussi terrible que dans le Sud, mais en fin de compte, le noir est quand même la dernière roue du carrosse. Logements insalubres, boulots pénibles, payes indécentes et vexations journalières sont réservés aux noirs. Face à tant d'injustices, Jesse ne possède qu'une arme émoussée : sa parole qu'il dégaine après avoir bu quelques bières. N'est ni un beau parleur, ni un philosophe – confond Aristote avec Harry Stott – mais il sait se raconter et mettre en scène sa vie perdue sans rien omettre de ses propres défauts ni de ses contradictions intimes.
La communauté noire s'est reconnue dans sa figure. N'est pas un virtuose du beau langage, mais ses mots font cible et mouche. Il touche là où ça fait mal, met le doigt sur les plaies ouvertes. Avec ce livre Langston Hughes a accompagné la prise de conscience noire qui fomenta le mouvement des droits civiques. C'est que Simple n'épargne personne, les blancs bien sûr, mais même ceux qui sont du côté des noirs. La théorie et les grands principes moraux sont nécessaires mais totalement insuffisants. La réalité du vécu exige une urgence que les beaux discours éludent. Mais il réserve aussi bon nombre de flèches envers les noirs. N'éprouve aucune sympathie envers la minorité qui s'enrichit dans le crime ( alcool, drogue, prostitution ). En veut à mort aux élites noires – écrivains, musiciens, chanteurs, petites bourgeoisie commerçante, intellectuels, professeurs, et même politiciens – qui prônent une intégration douce, au prix d'une lente amélioration, pratiquement individu par individu. Chacun doit y mettre du sien, ce qui sous-entend que les noirs n'ont que ce qu'ils méritent. Bien joli, mais au train où vont les choses, faudra attendre quelques siècles... Simple a l'impression qu'un noir qui parvient par ses mérites personnels à emprunter l'ascenseur social se détache insensiblement de ses frères de misère. Se blanchissent de l'intérieur même si les retours de bâton sont nombreux...
Cela lui semble une trahison. Les noirs n'ont pas à singer les blancs. Doivent triompher en s'imposant par leurs propres particularités. Le jazz, le be-bop, le blues, la musique noire doit être l'épine dorsale de la reconnaissance des noirs. L'on sent poindre dans le discours de Simple toutes ces idées de fierté noire qui seront synthétisées dans le slogan des Black Panters : I'm black, I'm proud !
La vie de Jesse est à l'image de la prise de conscience noire : quitte une vie un tantinet chaotique pour atteindre à une stabilité maritale, qui ne le comble pas en entier. La vie dissolue de sa cousine Minnie ne lui déplaît pas tant que cela. Vit peut-être même par procuration au travers d'elle... Lui qui a décroché de l'alcool pour gagner Joyce, y revient tout de même, plus de murge cataleptique, mais un penchant quelque peu hédoniste... L'on sent que chez Simple le retour au conservationnisme religieux n'est pas à l'ordre du jour. Nous sommes encore à une époque où les masses populaires mondiales entrevoient dans leur horizon une libération de tous les carcans moraux et de tous les préjugés sociaux. Le dernier chapitre ne se nomme-t-il pas : Jazz, Jive, and Jam !
Faut prêter l'oreille à l'écriture de Langston Hughes, dans ces petites nouvelles c'est le blues qui joue en sourdine, un peu comme le piano de Memphis Slim en contre-chant.
Damie Chad.
PS : la traduction est de F-J Roy et a été établie en 2003. Perso je tique un peu sur le titre français, voltairien en diable, mais qui me semble très éloigné de la culture américaine. J'eusse préféré Crème d'Harlem qui d'après moi correspond mieux à l'original : Best of Simple.
JOSEPHINE BAKER
LYNN HANEY
( Ed : JC Lattès / 1982 )
Très beau livre qui retrace la carrière de Joséphine Baker mais qui surtout dresse de l'artiste un portrait intérieur émouvant. Un parfait complément à notre précédente livraison 123 du 20 / 12 / 12.
LE PETIT CHAPERON NOIR
Joséphine Baker la petite négresse ignorante propulsée en plein Paris dont en moins d'une année elle devient la reine incontestée ! Tout ce qu'il faut pour un début de conte de fée. La faim, le froid, le père qui quitte le navire en perdition et la fillette têtue comme une mule qui se trémousse dans tous les sens, dans tous les coins, qui préfère rire que pleurer. Parvient à saisir sa chance : embauchée comme girl dans la revue Harlem Shuffle, un spectacle qui déclencha la Renaissance de Harlem que nous évoquions déjà dans notre chronique 261 consacrée à Langston Hughes. Girl en fin de file, la plus près du rideau, celle qui joue les utilités, le bouche-trou de service. Pour se faire remarquer elle n'arrête pas de faire le pitre afin d'attirer les regards.
La stratégie de la bouffonne s'avèrera gagnante par ricochet. Sera retenue avec une soixantaine d'autres – parmi eux Sid Bechett – pour une revue à l'Alcazar. Paris ! Ragtime, charleston, grimaces, chorégraphies délirantes, agilité déconcertante, elle remporte la mise : elle sera la Reine de la Revue et très vite de Paris. Possède son arme noire secrète, sa nudité, qu'elle dévoile sans fausse pudeur, sourire lippu extasié et plastique impeccable.
Elle tombe à pic. Je n'oserais dire à poil. L'Europe a décidé d'oublier le cauchemar des années de guerre. La vie reprend ses droits. Effervescence de paillettes et plaisirs. Une décennie prodigieuse ouvre ses portes. Le vieux monde chancelle. Paris est la ville lumière, capitale des arts. Musique, littérature, peinture, c'est le grand chamboulement. L'art moderne culbute les anciennes lois d'airain du classicisme représentatif. L'on a besoin d'un sang neuf, ardent, vif, innocent, sauvage, d'un rouge sombre, d'un noir luisant, régénérateur.
Mais le cadavre de l'ancien monde remue encore. Subsiste la tradition des ballerines d'opéra ( les petits rats que d'un coup de queue l'on métamorphose en souris ) que les fils des meilleures ascendances aristocratiques élisent pour maîtresse. Les temps ont toutefois changé les minets délaissent les entrechats, préfèrent les danses plus canailles. Noceurs de haut vol et rejetons des fortunes bourgeoises se joignent à cette farandole débridée des corps qui exultent.
De quoi tournebouler la tête de la moindre mignarde, Joséphine qui sait à peine écrire ne s'en laisse pas conter. Le cul brûlant mais la tête froide. Métamorphose de la Cendrillon en reine du bal et du royaume. Des princes de sang se bousculent pour lui offrir chaussures d'or et parures d'argent. Elle n'a pas vingt ans qu'elle ordonne, qu'elle commande, qu'elle règne... En trois saisons elle est au plus haut de la vague et met tout le monde au régime.
L'histoire devrait se terminer là. Une croisière au paradis, et bye-bye ! Trois petits tours et la marionnette chocolatée devrait être remisée dans la malle aux joyeux souvenirs. Back in the USA ! À remâcher dans sa tête une gloire dont le souvenir s'effilocherait chaque jour davantage...
I WILL SURVIVE !
Il n'en fut rien. La belle de scène s'était habituée aux dorures de sa nouvelle existence : grande maison, robes de haute couture, diamants, ribambelles d'amants ( de préférence à longue queue ), et même un guépard chic et choc. Trouve l'amour, se marie avec Willy, danseur mondain pour cougars dégriffées. L'on subodore une âme de mac qui aurait flairé la bonne aubaine. Ne parviendra pas à la faire renoncer aux plaisirs de la chair et aventures galantes, mais dirigera sa carrière de main de maître. Pas le genre à tuer la poule noire aux oeufs d'or. Organisera des tournées aux quatre coins du monde. Lui fera prendre des leçons de danse, de diction, de chant, de maintien, elle a l'instinct, il lui donne le métier.
Ce professionnalisme ajouté à son suc sauvage lui permettra de traverser les années trente sans trop de mal. Elle est revenue aux USA mais son pays de cœur est désormais la France. Lorsque la deuxième guerre mondiale éclate elle entre très vite en résistance. Envoyée en Afrique du Nord elle rendra d'éminents services : sa célébrité, son entregent, sa fausse naïveté naturelle lui permettent de côtoyer de nombreux diplomates et fonctionnaires ennemis. L'on ne se méfie jamais assez des jolies femmes.
Lui reste encore trente ans à vivre. A quarante-cinq bougies, elle ne peut prétendre à la fougue de ses débuts mais elle n'arrêtera jamais. Galas, tournées, spectacles - notamment à Paris où encore une fois elle triomphe – elle gagne toujours de mirifiques sommes d'argent qu'elle investit et engloutit en Dordogne dans le château des Milandes. Incapable d'avoir des enfants, elle en adoptera jusqu'à onze, de toutes les couleurs. Un coeur d'or qui lui coûtera cher.
Les dernières années seront les plus difficiles. Dispendieuse, elle sera obligée de revendre sa propriété... Saura sortir de scène en beauté, à Bobino, s'effondre au lendemain d'une soirée encore une fois triomphale et s'éteint victime d'une attaque cérébrale après deux jours de coma le 12 avril 1975, à l'âge canonique de soixante-neuf printemps.
UNE FIGURE
L'on mesure mal de nos jours l'importance de Joséphine Baker. L'on ne retient d'elle que le glamour et le strass, la plume dans le cul, les seins et le reste offerts aux yeux de tous. Une femen avant l'heure. Fut en partie victime de la concupiscence de riches messieurs, mais aussi un fabuleux catalyseur de la liberté sexuelle féminine. Ne revendiqua rien mais s'arrogea le droit d'user de son corps à sa propre satiété. Vaudeville, sexe et rock and roll, au sens étymologique de cette expression. Fut ce l'on pourrait appeler une féministe incandescente. Pas de théorie. Des actes. Sexe et tête.
On l'ignore souvent – c'est moins affriolant – mais lors de sa tournée aux USA, en 1937, elle refuse de loger dans les hôtels qui n'accueillent les nègres qu'à la condition expresse qu'ils entrent et sortent par la porte de derrière et se gardent de ne pas se mêler avec la clientèle blanche. Rien ne l'arrêtera, ni les scandales, ni les entrées en force, ni les déclarations publiques fracassantes qui lui vaudront une campagne de presse désastreuse, notamment de la part des élites blanches avancées qui en théorie sont contre la ségrégation mais qui pensent que dans la pratique rien ne sert de se précipiter...
En 1963, elle fera spécialement le voyage pour soutenir et participer à la célèbre marche pour l'égalité des droits civiques de Martin Luther King. Contrairement à bien des artistes d'aujourd'hui qui gardent leur langue dans leur poche de peur de choquer le public, Joséphine l'ouvrait toute grande. Pour proférer d'énormes bêtises mais aussi proclamer ses quatre vérités – celles qui ne sont pas bonnes à dire – à la face du monde.
L'était pétrie de ses contradictions, libre dans sa tête, et prisonnière de ses propres limites. Comme tout un chacun, mais avec une excessivité rarement partagée. Egoïste et d'une générosité extrême. Panier percé et attentive aux pauvres. Ni courtisane, ni indépendante. Ni dame patronnesse, ni coincée du cul.
N'était pas la chanteuse de blues qu'elle aurait voulu être – sa voix manquait de puissance, sa filiation artistique serait plutôt à rechercher dans le vaudeville – mais elle fut la panthère noire, celle dont on retrouve la trace émerveillée dans les oeuvres des plus grands poètes de son pays comme Langston Hughes et E. E. Cummings. A quelle plus haute gloire pouvait-elle atteindre ?
Damie Chad.
09:20 | Lien permanent | Commentaires (0)
22/02/2016
KR'TNT ! ¤ 270 : KEITH RICHARDS OVERDOSE / HOWLIN' JAWS / NELSON CARRERA + SCOUNDRELS / YANN THE CORRUP TED / JAKE CALYPSO / LES ENNUIS COMMENCENT / NAKHT / FALLEN EIGHT
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25 / 02 / 2016
KEITH RICHARDS OVERDOSE
NELSON CARRERA & THE SCOUDRELS
YANN THE CORRUP TED / JAKE CALYPSO
LES ENNUIS COMMENCENT / NAKHT
FALLEN EIGHT / HOWLIN' JAWS
04 / 12 / 2015
L'ESCALE / LE HAVRE ( 76 )
KEITH RICHARDS OVERDOSE
UNE BONNE DOSE DE KEITH
RICHARDS OVERDOSE
Ça remonte au temps où Born Bad se trouvait encore rue Keller. Deux choses vous mettaient en transe : le mur des nouveautés et bien sûr les bacs à thèmes : garage, surf, soul, punk, blues et rockabilly. On y piochait un mélange de nouveautés pointues et d’occases de rêve à 13 euros. Born Bad était pour ceux qui avaient fréquenté Rock On à Londres la suite logique. Et pendant qu’on farfouillait dans les bacs, Iwan passait des disques. Il passait bien sûr des trucs intéressants et les oreilles des lapins blancs se dressaient. Franchement, il régnait dans cette boutique une ambiance idéale. Pour les petits rockers de banlieue, c’était tout simplement la caverne d’Ali-Baba.
Un jour, alors que je sortais des bacs des beaux pressages américains de Dick Dale et toute une série d’occases des Chesterfield Kings, j’entendis un truc encore plus terrible que ce qu’on entendait habituellement, du garage-punk, mais avec un son sourd auquel nous n’étions pas habitués. Direction le comptoir.
— C’est qui qu’on entend ?
Il montre la pochette, avec la photo en noir et blanc. Je n’en reviens pas !
— Keith Richards Overdose ? Ça alors ! Le vieux Keef il a de l’humour !
— Mais non, c’est pas Keef, c’est des Marseillais !
— Quoi ? Des Français avec un son pareil ?
— Oui des anciens Hatepinks !
— Fantastique ! Il est à vendre ?
— T’as de la chance, il en reste un...
L’album est solide, c’est le moins qu’on puisse dire ! Les Marseillais naviguent au même niveau que leurs compatriotes les Cowboys, dans les couches de son plein et dans le bon bal des influences. Ils nous happent dès «Rocking At The House Of Blue Lights» avec un punk-rock sourd et torride, bombasté à la vieille mode. On retrouve ce sourdisme de son dans «Chain Reaction Honey», et ça vire crampsy sans prévenir, avec une basse qui mène le binz par le bout du nez. C’est un excellent disque d’attaque frontale, comme le confirme «Hot Blood». On pense à l’album des Loyalties, perdu dans le fog de l’underground anglais - Hot blood I love you so ! - On reste dans la belle attaque avec «Skinny Jeans», torché à la belle énergie des ouh et des ah ! Le rock des KRO est d’une incroyable solidité. On retrouve chez eux toute la belle niaque des Cowboys From Outerspace. Cet album est vraiment excitant, bardé de gros climats pathogènes et d’excès d’oh yeah ! «Never Been Good With Math» est joué à l’excès de jus Gun Club/Gallon Drunk et noyé au plus profond des pires torpeurs atmosphériques. De l’autre côté, on trouve une reprise bien enlevée de «Hippy Hippy Shake» puis un stupéfiant «Walking The Frog», punkoïde au possible - Oh c’mon ! - C’est une vraie fournaise ! Les Overdoses pataugent dans l’excellence de la démence et ils font monter la mayo des c’mon jusqu’à l’apothéose. Avec «Try This», on se croirait chez les Who de «Live At Leeds» ! Ils nous plaquent carrément les accords de «Substitute» ! Encore une fameuse pétaudière avec «Scatman» et ils referment la marche avec un faramineux «1234 & Again» chanté au bon boogaloo et terrible de présence indigène.
Les années passent et voilà que se produit un petit événement. Oh, ça ne fera pas la une des journaux, mais c’est un petit événement quand même. D’autant plus important qu’il est double. On apprend en effet la réouverture de l’Escale, un bon bar rock du Havre avec au programme nos amis marseillais. Il n’en faut pas davantage pour renouer avec ce vieux sentiment d’excitation qu’on éprouve chaque fois qu’un bon concert est annoncé. Le boss de l’Escale a refait sa salle à neuf et c’est presque devenu luxueux. Endroit idéal pour un groupe garage comme Keith Richards Overdose. Et petite cerise sur le gâteau, la salle est pleine.
Sur scène, les Marseillais offrent un surprenant mélange de stonesy et de garage-punk, le tout bien soutenu au beat. Avec son maillot rayé et son ancre de marine tatouée sur le bras, le chanteur renvoie à l’univers visuel des Dolls, d’autant qu’il joue sur une grosse White Falcon, comme jadis Sylvain Sylvain. Le parallèle avec les Dolls est flagrant, et on repense à cette assurance qu’affichaient Sylvain et Johnny Thunders, lorsqu’ils plaquaient leurs accords en tordant leurs bouches, eh oui, ils savaient au plus profond d’eux-mêmes (deep inside their hearts) qu’ils jouaient dans le meilleur groupe de rock du monde, à l’époque. On retrouve la trace de cette assurance chez le Marseillais, car il semble véritablement possédé lorsqu’il claque ses accords en hurlant ses refrains. Ce mec est un pur rock’n’roll animal, un porteur de flambeau, l’héritier d’une lignée de puristes qui remonte aux Dolls et aux early Stones.
Ce mec sait ruisseler comme Little Richard et montrer son cul comme Iggy Stooge. Il peut faire le con sur scène, sauter dans le public, il a derrière lui une section rythmique infaillible et un transfuge des mighty Holy Curse en support guitaristique. Leur objectif semble se limiter à offrir un bon set de rock aux Havrais, ce qui est en soi le plus louable des objectifs. C’est aussi l’occasion de vérifier une fois de plus que l’avenir du rock se trouve dans les bars, plutôt que dans les stades.
Le deuxième album des Marseillais vient de paraître sur Closer, avec une pochette ornée du Jolly Rodger des junkies : un crâne et deux seringues croisées en guise de tibias. Joli titre : «Kryptonite Is Alright». Ils attaquent avec «If I Was You», ce slow super frotteur qui fit des ravages pendant le set du Havre. On pense bien sûr au slow super-frotteur des Oblivians. L’ensemble de l’album est très rock’n’roll. La plupart des cuts sont montés sur des structures classiques, mais si on ne retrouve pas le son du premier album, on croise au coin du bois la belle tension qui faisait son charme. Ils ornent «Ton Punk Rock De Vieille» d’un beau solo suspensif et bouclent la face avec «Fifteen Sixteen», amené au parti-pris de stonesy et doté d’un beau background dollsy. Ce cut inspiré vaut pour le hit du disque, d’autant qu’on sent battre sous la peau le pouls des Dolls. De l’autre côté se niche un fantastique balladif intitulé «So You Say You Lost Your Baby» et on tombe plus loin sur l’excellent «Hold Me Tony», nerveux et bien goulu. On voit bien qu’ils cherchent leur voie sans trop se casser la tête. Ils bouclent avec un «Worse Things I Could Do To You» servi sur un plateau par l’intro de basse du grand Nasser. Ce cut fit lui aussi quelques ravages lors du set, car il fonctionne à l’insidieuse.
Signé : Cazengler, aux verres dose
Keith Richards Overdose. L’Escale. Le Havre (76). 4 décembre 2015
Keith Richards Overdose. ST. Scanner Records 2011
Keith Richards Overdose. Krytonite Is Alright. Closer Records 2015
19 – 02 – 2016
ROCK'N'BOAT
LA PATACHE / PONT DE L'ALMA
HOWLIN' JAWS /
NELSON CARRERA & THE SCOUNDRELS
YANN THE CORRUPTED
JAKE CALYPSO
Finissons de faire les zouaves, dare-dare au Pont de l'Alma, pour prendre à l'abordage La Patache à l'attache le long du quai. D'abord franchir la muraille de Chine des touristes made in Hong Kong qui rejoignent leur car, ensuite s'engouffrer au galop dans le navire amiral du rockabilly. Pas le temps de le parcourir jusqu'à la poupe pour saluer amis et connaissances que Bernard Soufflet l'organisateur de l'évènement présente déjà les Howlin' Jaws. Comme un rocker normalement constitué ne rate jamais un gig des Howlin' je me faufile au premier rang. Non sans difficulté, car il y a du monde.
HOWLIN'JAWS
Même si vous ne les connaissez pas, je vous donne le truc pour les reconnaître. Sont le seul groupe du monde à arborer fièrement une casquette à hélice – allusion hélicoïdale à la structure de l'ADN, ou apparition du complexe de l'hélicoptère à ajouter aux analyses freudiennes ? : les savants n'ont pas encore résolu le problème – sur la tête. Le grand sur votre droite, incliné sur sa contrebasse c'est Djivan, he's the one in his red blue-jean, au fond au milieu, baguette à la main, non ce n'est pas le chef d'orchestre, c'est la batteur Mathieu qui ne croit qu'en ce sur quoi il cogne ( dur ). Enfin the last but not the least, c'est Lucas (grave) penché sur son instrument, l'esquire exquis de la squier guitar. Avant de lâcher les fauves, je vous explique le comportement de ces félins. Comptez dix minutes de déchaînement absolu. Vous êtes en train de sortir votre portable de la poche pour alerter les autorités, lorsque tout se calme, comme par magie. Silence absolu. Apparemment nos lascars ont quelque chose de plus important à faire. C'est au choix. Ou Djivan, ou Lucas. Il tire son peigne de sa poche arrière et entreprend de lisser ses cheveux en arrière. Ne poussent pas le vice jusqu'à se regarder dans une glace, et c'est brusquement reparti pour un quart d'heure de pur bonheur. Pour ceux qui aiment le grabuge au mètre cube.
Quatre groupes, alors autant mettre la barre au plus haut tout de suite. Les Howlin' détestent les gradations lentes. Appliquent un principe des plus simples, en dix secondes vous devez être au maximum. Ensuite, toujours en rajouter. Ne jamais baisser en intensité. Pour bien montrer qui ils sont, ils tapent en majorité dans leur répertoire original. Ils sont les Howlin, aux dents longues, et le public ne manque pas de mordre à l'hameçon.
Djivan est au chant et Mathieu au tambour. Lucas est partout. Les deux acolytes lui fournissent la toile, écrue, épaisse, une véritable voile de clipper taillée pour les vents d'orage, et c'est Lucas qui dessine dessus les têtes de mort et les sabres d'abordage. Pirate au long cours qui ne fait pas de prisonnier. N'est à l'aise que dans les combats rapprochés. Bondit sur le devant de la scène et vous tire quelques boulets juste dans la soute à munitions pour vous faire sauter le caisson. C'est un retors, vous a toujours l'intervention de trop, celle qui vous fait chavirer de joie, la lame du poignard qui pénètre droit dans votre coeur sans crier gare. Et Djivan qui ricane des chants de matelots à vous glacer d'horreur l'âme de Baudelaire. Derrière Mathieu crashe boume et hue comme un forcené. Impulse le rythme, droit à la lame, ne pas faiblir, ne pas mollir, lorsque l'on a déchaîné la tempête faut assumer. Et il assomme à tour de bras. Djivan déchire the big mamamita – elle va mourir mais il s'en soucie comme de son premier radeau.
Revoilà Lucas, on ne l'avait pas oublié avec ces notes qui nous déchirent le cerveau sans pitié, ce gars il est dangereux, il vous trépane jusqu'au bulbe rachidien et vous l'applaudissez des deux mains comme un zombie stupide. Les Howlin n'ont pas cassé la baraque, ils ont réduit les planches en poudre. Et plus ils vous dézinguent plus la masse des spectateurs s'appesantit sur le devant de la scène.
Difficile de rêver mieux comme entrée en matière. C'est comme pour Le Vaisseau Fantôme de Wagner l'on risque de ne se souvenir que du prélude. Les Jaws nous ont pulvérisés. Un set d'une intensité incroyable. Sans bla-bla, sans chiquet, trois musiciens et leur musique. Le problème pour les hypothétiques lecteurs qui n'aimeraient pas, c'est qu'ils ne jouent que du rock and roll. Vous n'êtes pas obligés d'apprécier. Ni d'être parfaits. Evidemment les Howlin' Jaws, eux ils sont parfaits. Tant pis pour vous, tant mieux pour eux.
Quand ils ont quitté la scène il y avait de quoi écrire un livre rien qu'à décrire les yeux brillants d'adrénaline de l'assistance stupéfaite et ravie.
NELSON CARRERA
AND THE SCOUNDRELS
Pas évident de passer après une telle tornade. Les Howlin' c'est du rockag électrifié à mort comme une chaise dans un pénitencier américain, Nelson Carrera c'est le hillbilly des collines, agreste et rural. Faut être un sorcier pour de telles transitions. Pas le genre de défi qui peut apeurer Nelson. Mais ce n'est pas aux renards que vous apprenez à voler les poules. Les Scoundrels ne sont pas des demi-sels. Des pros : Jorge le Taiseux qui ne regarde que sa contrebasse, faut entendre comme il l'a fait chanter, Pascal l'Efficace aux drums et à la barbichette, inutile de se retourner vers lui, vous suivrait jusqu'en enfer, et Raphaël à la gâchette facile. Un coup d'oeil de Nelson et c'est parti pour la chevauchée sans pitié. Vous vouliez savoir ce que c'est qu'une guitare électrique, Raph vous fait la démonstration. N'allez pas vous plaindre à votre mère après. Il sera trop tard. D'autant plus que Nelson sur sa rythmique il vous mène les frères Jesse James à l'attaque de la banque sans état d'âme.
En plus Nelson, il a une arme même pas secrète, une voix d'or. C'est presque trop facile. Enrageant, vous pouvez toujours essayer devant le lavabo. S'en sert comme un brigand pour fracturer la porte de votre sensibilité. Cinq titres à tout berzingue pour montrer ce dont les Scoundrels sont capables et puis l'on part vers la campagne country, les contreforts des Appalaches, le rock d'avant le rock. Un enchantement. Nous tient sous le charme, Nelson, ne nous lâchera plus. Les titres défilent sous les acclamations, un hommage à Carl des Rhythm All Stars, qui nous manque. Charlie Feathers, Johnny Horton, les grands noms, la discographie idéale, interprétée par un combo de rêve. Ne savez plus où donner de la tête, Jorge qui résonne, Pascal qui façonne, Raph qui cisèle et Nelson qui module tout en expédiant le tout sur une rythmique d'enfer. C'est en cela que réside le mystère, une pêche d'enfer et une voix qui explore les moindres sinuosités de la nostalgie. Nelson sous sa couronne de cheveux blancs est le barde du hillbilly, nous administre une leçon de bel canto rockab. Après lui pouvez aller vous rhabiller. C'est du cousu d'or fin. De la belle ouvrage rehaussée de la pourpre incendiaire de la guitare de Raph.
Chante longtemps sous les vivats du public. On s'y laisserait prendre, l'on passerait toute la soirée avec. Mais Bernard Soufflet regarde sa montre. C'en est fini de cette oasis de fraîcheur dans ce monde de brute. Nelson et son band de malandrins ont une fois de plus réussi leur coup. Une douceur enlevée, une tendresse enfiévrée, et hop, ils sont déjà repartis. Mais ils emportent tout ce que vous avez de meilleur en vous. Un rêve d'Amérique que vous ne referez jamais tout seul avec une même intensité. Faudra attendre que Nelson Carrera et ses boys repassent près de chez vous.
YANN THE CORRUP TED
Attention l'on change de scène. L'on est dans le gang des outlaws. Chevauchée dans les rangs des rebelles. Le devant de la scène est squatté par un bataillon de teds. Texas est à la basse, placide, l'en a vu d'autres, le fiston a intérêt à assurer à la guitare. Jacky Lee et son incroyable dégaine – c'est fou comme ses favoris en lames de faux qui se rapprochent de ses lèvres lui confèrent une terrible dignité - attend les dernières accordailles de la balance, ne sera jamais parfaitement établie, la voix de Yann étant trop souvent reculée par rapport à sa guitare. Dommage car le set fut infernal.
Du début à la fin. Facile à résumer, une rythmique de fer. Intangible. Avec un crescendo irrésistible. Morceau après morceau. Ce n'est pas que l'on joue obligatoirement plus fort, c'est que l'on confère davantage d'intensité à chaque fois. Musique très physique avec une terrible implication personnelle. A la moitié du set, les fans n'y tiennent plus et montent danser sur scène. Chacun s'approprie le morceau, le mime, de la voix et du corps, d'une guitare imaginaire.
Yann a cherché l'efficacité. Maximum de classiques beaucoup de Flyin' Saucers et de Charlie Feathers. Tout le monde connaît les titres et se laisse dériver et hypnotiser par le tempo d'acier. Trois infatigables. Sont pour le développement durable mais pas pour économiser l'énergie. Texas file les lignes de basse comme s'il pêchait au gros. Pas des truites vagabondes. Du cachalot bagarreur. Mes yeux sont rivés sur les doigts de Yan qui scandent le rythme sur des cordes fines et coupantes comme des noeuds coulants. Jacky Lee est fascinant. En mouvement perpétuel. L'abat des coups tranchants comme des cognées de bûcheron sur l'entaille des arbres. Pas d'écho, pas de rebond, pas de volume ouaté, sec comme une branche d'arbre qui casse d'un bruit net sous votre pied. Ou le déclic d'un piège à loup sur votre jambe. A la fin du set, l'est un signe qui ne trompe pas, fait jouer ses poignets pour en chasser la rigidité robotique. Une frappe d'une vigueur étonnante. Chaque coup retentissant dans sa propre solitude sonore sans jamais mordre sur le suivant ou le précédent. Un mouvement d'horlogerie pour une cadence inexorable.
Auront droit à un rappel, exigé par le public. On ne pouvait pas les laisser comme cela. Nous aurons droit à un Train Kept A Rollin démentiel. Perso j'ai une préférence pour leur interprétation de Born To Be A Rolling Stone de Gene Vincent, un titre rarement choisi dont ils ont bousculé avec bonheur l'orchestration. Finissent dans un charivari festif des plus agréables. Ont réussi à corrompre le public. L'est vrai que les rochers, quand on leur propose du rock qui dévaste le périmètre de leur entendement, ont l'âme vénale. Drapés dans leur enthousiasme les Teds sont toujours les Teds. Egaux à eux-mêmes. Ne déçoivent pas. Sont vivants.
JAKE CALYPSO
L'est attendu comme le messie. Pas celui qui marche sur l'eau, celui qui bondit de rock en rock sur les rochers qui affleurent. Thierry révèle sa nature méticuleuse, range son boîtier à lunettes dans son sac, vérifie sa monnaie dans la poche du pantalon, vous le regardez et vous vous dites, on en a encore pour une demi-heure. Guillaume ramasse sa contrebasse, Christophe passe sa bandoulière, Hervé trifouille sa guitare. Prend subitement deux décisions lourdes de conséquence. D'abord il enlève sa veste jaune pour arborer une chemise d'un rouge-orangé à faire hurler de joie les photographes, puis d'un geste large il jette au fond de la scène le fil et le scotch qui relie sa guitare à l'ampli. Prend la parole et résume la situation d'une phrase lapidaire à la Jules César dans La Guerre des Gaules. « Pas de jack, pas de répétition, pas de balance ! ».
Retenez-les. Trop tard c'est parti. Christophe Gillet plante les premières banderilles, se propulse en avant à chaque riff, le pied catapulté en hauteur comme à la savate. Sous sa casquette plate Guillaume maltraite son encombrant, et Loison à qui il ne faut pas en promettre se met à glousser au micro comme une pintade quand le goupil se faufile dans le poulailler. La salle chavire et caquette comme la fameuse poule d'Henri IV que l'on viendrait chercher pour la glisser dans le pot idoine. Thierry bat la démesure du fou tranquillou dans un mouchoir de poche. Le mec qui ne s'affole jamais. Dans le tintamarre qui va suivre, se contentera d'esquisser de temps en temps un sourire sardonique. Il est l'oeil de l'ouragan. Le moteur immobile de la roue folle du karma humain qui tourne à toute vitesse. Loison se mue en Shiva, le dieu aux mille bras. S'est débarrassé de sa bandoulière, tient sa cithare acoustique coincée comme une oiselle sous son aisselle, ce qui lui donne une belle prestance à la Elvis. Ce qui tombe à pic, puisqu'il est en train de revisiter son dernier CD, downtown à Memphis qu'il a enregistré avec son band dans les studios Sun. Un truc que je ne comprendrai jamais, comment fait-il ce diable d'homme, cet agité du bocal, pour vous restituer le son dans sa pureté absolue ! Bien sûr, l'a son gilet de sauvetage, le Chris qui vous turlupine tout ce que vous voulez sur sa guitare. Tout en étant atteint d'une tarentulite aigüe. Avec Guillaume plié de rire en deux, tel un Ganesh facétieux, sur son engin – sans pour autant pédaler dans la choucroute d'un quart de ton – moi j'aurais comme un doute. Mais non Loison, c'est en même temps la pureté foncière du rockab et l'Actor's Studio. Vous en donne le maximum pour le prix minimum. Eloge de la gratuité de la folie. Romantisme débridé et échevelé. Grogne, ronce, babatise et attise sans cesse le public. Ne sont plus seulement quatre mousquetaires sur scène, le régiment du public les suit et les précède. Deux cents gosiers chantent en choeur avec Loison. A chacun son petit délire, perso je suis en train de jouer des tablas sur la contrebasse de Guillaume quand ma voisine me tire par la manche pour me passer un demi-verre de bière éventée. What is it ? Je ne suis pas celui pour qui vous me prenez ! Mais non, elle vient de déboucher une bouteille de Sky et je suis désigné pour passer à Jake sans jack un graal de Jack, ce nectar suprême des Dieux. C'est que Loison, il faut le ravitailler en plein vol, l'est d'ailleurs en train de voler au travers de la salle sur le bout de nos bras. D'autres se vautrent sur la scène, certains caressent le visage d'Hervé maintenant gisant sur le dos, ça hurle de tous les côtés, des excités inventent de nouvelles danses, Loison refait un petit tour à vol d'oiseau, revient en courant, glisse sur une flaque de bière et emporte au sol une danseuse, un flip flap arrière à vous briser la colonne vertébrale dont Noureev n'a jamais osé rêver. Au sourire ravi de cette cavalière si rapidement jetée à terre, l'on pourrait parler de choc amoureux.
Mais Hervé est déjà sur scène – au-dessus des eaux de la Seine – chante le désespoir du blues – un blues de peaux rouges criards et ravagés à l'eau de feu - en faisant le poirier sur la batterie de Thierry qui n'est pas ému pour une demi-cacahouète par cette pirouette. Jette sa chemise dans la foule, s'enfuit en coulisses. Mais on ne stoppe un pandémonium aussi facilement qu'un go-fast sur une autoroute. Il se fait tard. Bernard Soufflet octroie un rappel, tout de suite transformé en trois morceaux par Mister Loison. Je préfère ne pas vous raconter, vous m'en voudriez toute la vie de n'avoir pas été là. Bref, un set de folie. Merci à nos quatre héros.
RETOUR
L'on s'éclipse à toute vitesse. Comment l'on a regagné la Teuf-teuf à l'autre bout de Paris, sans métro, je vous le conterai un autre jour. Mais la journée a été tellement bonne que l'on n'a pas ressenti cela comme une galère. En plus j'ai ramené, un petit vingt-cinq centimètres inédit de Gene Vincent qui vient juste de sortir; tra-la-la-la-lère !
Damie Chad.
( Photos fb des artistes : Sergio Photostock / Rey Fonzareli / Olvier Navet )
LES ENNUIS COMMENCENT
LOVE-O-RAMA
FLIGHT OF THE TAIKONAUTS GUITAR / THE FRENCH PLAYBOYS MOTORCYCLE BOYS / DON'T TELL ME YOUR TROUBLES / MARWINE TAGADA / JOHNNY'S DEAD / WHEN ELVIS WAS THE KING / 2000 YEARS FROM HOME / I ATE MY BURGER ( TWO DAYS LATER ) / THE GODSPELL ACCORDING TO A. A. NEWCOMBE / TEENAGE QUEEN / OFF THE BUNCH / SOLLACARO 2:45 PM
Atomic Ben : Vocal, guitar / Gus Psycho Picasso : double bass / HUGO SLIM KIDD : Drums / Arno Cole Hicks : guitars /
Benislav Bridgen : organ piano / Jezebel Rock : Arrangements
Methanol Production / Buzz Buzz Records
Fly of The Taikonauts Guitar fanfares de guitares, apachien ou appalachien ? Un rumble des familles dirions-nous pour mettre tout le monde d'accord, oui ça sonne plus américain qu'anglais, mais voyez-vous c'est la poule aux oeufs d'or française qui nous a pondu cette petite merveille. The French Playboys Motorcycle Boys après la poulette made in France ceux qui portent un aigle sur le dos, cavalerie de chevaux d'acier, c'est Ben qui chevauche en tête, super girl sur le porte-bagage, bagarres et cavalcades à foison, c'est chromé comme un aileron de Triumph, la route des légendes, l'autoroute de la mythologie rock, Don't Tell Me Your Trouble conseil d'un ami à l'ami, ne dépose pas tes valises de problèmes dans mon living-room, j'en ai des malles pleines, les nanas deviennent merveilleuses dès qu'elles se sont enfuies, alors écoute ce camaïeu musical, cet entremêlement de batterie ponctuée de guitares et la voix de Ben qui sautille sur les obstacles, y a trop de bon rock and roll dans le monde pour s'ennuyer dans la vie. Marwine tagada elle est sucrée comme une fraise tagada arrosée de sucre candy, la petite Marwine, avec ses sourires de crocodile vous la croqueriez sans rémission. Les Ennuis vous présentent la poussinette idéale, le rêve dont on dreame toutes les nuits et dont vous vous interdisez la cueillette, avec des chœurs féminins à vous conduire tout droit en enfer. Ne craigniez rien, à peine avalée vous en dégustez dix autres aussi sweetest dans le paquet de la vie, suffit de remettre dix fois de suite la piste 4. Attention terriblement addictif. Johnny's Dead changement de climat, l'est des êtres plus inquiétants que Marwine, le rythme obsédant du morceau, vous incite à la plus grande des prudences, attention l'Amitié est encore plus dangereux que l'Amour. Johnny le zombie n'est pas le copain idéal, mais l'est irrésistible comme tous les bad boys. Une version des Bras en Croix de Johnny mis au goût du jour dans le retour des morts-vivants. Le malheur c'est tout comme pour Marwine, vous allez y revenir au moins vingt fois de suite pour en goûter tout l'humour noir. Attention le noir prédomine. Et ces notes éthérées de strato comme un avion qui se perd dans le brouillard... When Elvis Was The King quand Elvis s'insinue dans votre âme et friture tout votre feedback. Le rock est une drogue destructrice, façonne votre pensée et dicte vos déviances. Jeune et jolie, mais déjà en mode survivance. Parce qu'Elvis est le roi. Et que personne ne peut rien y faire. L'est des cauchemars dont on refuse de sortir, l'on y est trop bien. Chant phantomatique de Ben qui vous atomise. 2000 Years From Home quand la réalité est trop lourde à porter vaut mieux sauter dans le fuselage de l'orgue et s'enfuir à l'autre bout de l'univers. Avec les Stones en trip dans le cockpit, l'on est sûr de ne pas s'ennuyer. I Ate My Burger ( Two Days Later ) retour sur terre, attention c'est encore plus terrible qu'un voyage dans l'espace, les fins de soirée sont parfois dures à achever, surtout au petit matin, quand on a sniffé filles, rock and roll et cocaïne dans les intraveineuses de la rage de vivre. Difficile de retrouver son assiette. Et même de retrouver son burger dans son assiette. The Godspell according to A. A. Newcombe le même sujet que le précédent, mais en plus sombre. Un massacre. Ne plus survivre dans la mythologie mais dans la réalité de la vie. Pouvez prier Jésus et tous les diables de l'enfer, les filles s'éloignent... Teenage Queen le réel perdu, vous revivez votre vie en kaléidoscope avec les titres de Gene Vincent en bande son. Une fois ouvert le livre de la nostalgie rock ne se referme jamais. Rêve de vampire qui éprouve une folle envie de fraises tagadas. Off The Bunch reprise de la course en tête. Soyons clair, dans la tête du perdant. Magnifique si vous voulez, mais ne vaut mieux pas donner un titre au tableau en peau de chagrin. Portrait de Dorian très gris sombre. Spellacaro 2: 45 PM instrumental sous-titré Death in the afternoon. Tout un programme. Tout le programme. Quand vous abattez l'as de pique au poker menteur de la vie, faites attention que ce ne soit pas le Johnny Ace.
Waouh ! C'est des français qui ont fait un truc de ce calibre ? Se foutent de notre gueule : chantent en anglais mais prennent soin de glisser le mot french dans les lyrics. De tous les disques rock parus en France, c'est vraisemblablement celui qui s'inscrit le mieux dans l'imaginaire rock national. Lisez les notes de la pochette si vous voulez confirmation.
A se procurer d'urgence si vous êtes fan de rock an roll. Même si en fait c'est un disque de blues, le disque de blues, le plus déchirant éclos sur le terreau national. Bourré d'humour dynamite, une production des plus soignées, des musicos au summum de leur art et un chanteur époustouflant. Tout en finesse. Mais en prime, tout ce que l'on ne dit pas, tout ce que l'on tait par pudeur, pour ne pas ennuyer les voisins, ce désespoir qui vous saisit à la gorge lorsque vous passez la frontière du mi-temps de la vie, la pente du déclin. La pochette annonce la couleur : couleur bleu-gris du soir qui descend. Le renard de l'existence vous subtilise toujours le fromage de la vie, à vous le corbeau déplumé même si vous possédez le plus beau love-O-ramage du pays...
Musicalement c'est une merveille. Un groupe de mambo-rockabilly qui ne court plus après les vieilles lunes de l'adoration perpétuelle, mais qui tient par-dessus tout à se démarquer du troupeau de la meute suiveuse par son aspect créateur. Les seuls vrais loups encore sauvages sont les solitaires.
Citez-moi cinq disques français qui atteignent à ce niveau, et je vous remercierai. Perso, je n'en connais que trois. Commencez par quérir et chérir celui-ci.
Damie Chad.
NAKHT / ARTEFACT
INTERLUDE / ARTEFACT / OUR DESTINY / NEW BREATH / FALLEN LIFE
Danny : Vocals / Chris : guitar / Alexis : Guitar / Clément : bass / Damien : drums
Désolée la terre. Astre mort. Ecrasée par l'immensité spatiale des nues. Avec au centre d'un anneau saturnien trop parfait pour ne pas être inquiétant, l'apparition de l'oeuf germinatif planétaire culminant selon les contreforts d'une mastaba pyramidale rudimentaire. Presque un visage en croissant de lune renversé en filigrane. Taisez-vous, une oreille runique nous écoute. Avons-nous jamais été seuls depuis l'extinction génocidaires des terribles lézards. Très belle pochette du premier EP de Nakht.
Interlude destruction finale. Juste le commencement d'un autre cycle. Des voix éparses agonisantes dans la poussière du bruit. Et une autre qui émerge de sa toute férocité barbare. La musique comme une fin de règne, le bruit comme la fureur d'un monde nouveau émergeant. L'on ne brise pas la coquille du magma stellaire sans tuer les derniers hommelettes que nous sommes. Juste un interlude. Artefact la suite de l'histoire de la bête qui nage dans le fétus humain. Mais c'est nous qui sommes le produit de cette gestation germinative. Nous croyions être de êtres vivants, nous ne sommes que des constructions aléatoires du vivant cellulaire. La coupure du triangle et les grognements du cochon qui nous dévore de l'intérieur. Nous sommes la crotte du cosmos. La merde puante des dieux. Enfoncez-vous cela dans le crâne à coups de pelles avant de creuser la tombe de vos illusions. Crash final. Our Destiny s'annonce mal, l'oracle n'est pas très optimiste nous promet tous les malheurs de l'univers cosmique. Nous sommes les résidus du bidet intergalactique. Assomption finale dans les vertiges de la brutalité. New Breath une respiration brontausaurique. Hosannah sur les cistres et les encensoirs comme disait Mallarmé. Je vous apporte la bonne nouvelle. Tout va mal et rien n'ira pour le mieux. L'horizon s'éclaircit. Pas la peine non plus d'entreprendre la danse votive du feu primordial. Le soleil n'est pas mort. Il n'a jamais existé. C'est ce que l'on appelle l'espoir. Fallen Life la vie nous est tombée dessus comme la nielle dans un champ de blé, comme la mort sur un cimetière. Les voix se sont tues à jamais. Plus de plaintes, plus de de menaces. Nous avons triomphé. Nous sommes devenus un oubli objectal. Tous les objectifs sont atteints.
Musique de cataclysme. Crépuscule des hommes. Nakht frappe fort. Lot de consolation sur le disque : Le scarabée hexagrammique de l'immortalité, le triomphe des insectes. Quinze minutes pour apprendre à survivre en devenant insectivore. Le secret des Dieux en barres chaucolocaustées empoisonnées. Prémonition de la catastrophe à venir. Guerre du feu nucléaire posthistorique. Oreilles fragiles s'abstenir.
N'a qu'à acheter. Nakht.
Damie Chad.
FALLEN EIGHT / RISE & GROW
REBORN / COME FROM THE SKY / FINAL SHOT / BREATH OF THE AGE / LIGHT / WORST NIGHTMARE
Clem : vocals / Medy : lead guitar / Joffrey : bass / Florian : guitar / JP : drum
Pochette comme une main tendue au néant. Parmi le chaos des étoiles la rosée se dépose sur la fleur miraculeuse. Poussez et croissez. Ainsi parle Fallen Eight. Sur le volet intérieur, l'effigie des apôtres de la bonne nouvelle. Celle de la germination aristotélicienne qui assure les mystères de l'advenue de l'Être. Taisent l'autre côté du décor, la corruption de toute rose en son déclin.
Reborn cri primal de l'enfant qui vient de naître. Rassurez-vous si l'avenir s'annonce radieux, l'accouchement s'est mal passé. L'enfant en porte les stigmates de la plus grande des violences. Parfois l'amour engendre des monstres. Fallen Eight c'est un peu wagnérien, la voix qui hurle que tout est beau et les leitmotives des orages désirés qui hantent la musique. Come From The Sky tout ce qui tombe du ciel n'est pas obligatoirement bon. L'est des bébés dragons qui deviennent insupportables dès qu'ils grandissent. Tout est dans la façon d'entrevoir les choses. L'explosion atomique à moitié réussie ou à moitié ratée. Dans les deux cas, c'est volontairement catastrophique. Final Shot parfois il ne faut pas hésiter. Faut tuer le chien avant que sa morsure ne vous enrage. Une seule balle suffit. Mais débat de conscience en votre âme corrodée par les illusions des prophéties ambigües. Musique pressante et oppressante. Dialogue partitif de guitares. Les voix se sont tues. Mélodies du bonheur empoisonnées. Breath Of The Ages déferlement des âges anciens dans votre âme vous aboyez comme un chien sous la lune louvienne et solitaire. Sans doute y a-t-il quelque chose à dire, mais encore faut-il savoir quoi. Crier ne suffirait-il pas ? Fallen Eight s'emballe. Hurlements et tambours de la colère. Restez seul avec votre solitude. Vous ne pourrez jamais être en plus mauvaise compagnie. Light La lumière est au bout du chemin comme la terreur au bout de la nuit. La clarté n'est que l'envers de l'obscurité. La distance entre les deux est millimétrique. Un pas sur le côté et la lumière vous aveugle, la nuit reposera votre vue. C'est ainsi que les aveugles deviennent voyant. Inversion des valeurs ? Worst Nightmare le pire est toujours certain. Mais c'est sur le fumier de la décomposition qu'éclosent les plus belles fleurs. Un monde pétri de brutalité décompositoire engendre le plus doux des parfums. Fallen Eight emprunte la voie sèche, celle qui allie la plus véloce des rapidités à la plus grande efficacité. La grande déferlante du limon régénérateur.
Une voix magnifique, les orgues de la tendresse et la philharmonique de la rébellion. Théâtralité extrême du choc émotionnel. Servie sur le coussin rugueux d'une orchestration sans défaut. Beauté parfaite. Roses carnivores aux épines acérées et cancéreuses. A cueillir sans retenue.
Damie Chad.
17/02/2016
KR'TNT ! ¤ 269 : CHICKEN DIAMOND / NAKHT / BEAST / FALLEN EIGHT / LES ENNUIS COMMENCENT / MUTANTISME
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 269
A ROCKLIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
18 / 02 / 2016
CHICKEN DIAMOND / NAKHT / BEAST
FALLEN EIGHT / LES ENNUIS COMMENCENT
MUTANTISME
06 / 02 / 2016
L'ABORDAGE / EVREUX ( 27 )
CHICKEN DIAMOND
CHICKEN DIAMOND IS THE GIRLS'BEST FRIEND
— Quoi ? Y l’habite où ?
— Thionville...
— C’est où ça, Thionville ?
— Bah j’en sais rien. Jamais entendu parler d’ce bled.
— Mais où t’as chopé l’info ?
— Dans Dig It. Y font un reportage sur les one-man bands. Y disent que Chicken Diamond y l’est de Thionville.
— Avec le son qu’y l’a, j’aurais juré qu’y v’nait de Memphis, ou de l’Indiana comme Left Lane Crouiser.
— On a déjà eu l’même coup avec Petit Vodo. Y l’aurait pu faire illusion. Mais sur scène, comme y parlait en français, ça redev’nait d’la France profonde.
— Ouais, mais d’la bonne ! Son hommage à Skip James m’avait bien bluffé !
— T’as vu, les trois albums de Chicken Diamond, y sont sortis sur Beast, chez le petit mec de Rennes. Pas mal hein ?
— Tu l’as dit, bouffi ! Ce mec a bon goût ! Y ne sort que des bonnes galettes. Y suit des groupes comme Chicken Snake et Hipbone Slim, tu vois un peu l’délire ? Heureusement qu’y l’est là pour sortir les albums de Chicken Diamond ! Lui, on devrait le décorer pour services rendus à la nation ! Pour une fois qu’un petit label indépendant ne sort pas de la daube, y faut en profiter.
— T’as raison, le premier album de Chicken Diamond y l’est fantastique !
— C’est une bombe, mec, Chicken y sonne comme Elmo Williams sur «Damn Old Sin» ! Y reprend les vieux accords démentoïdes du vieil Elmo avec un son bien âpre et y chante comme un voyou avec de la bave aux lèvres. Tu sais quoi ? Y remodernise le blues, comme RL Burnside l’avait fait en son temps. Y l’est d’ssus, monté sur le dos du blues, comme le lapin sur la lapine, pour la niquer, y l’a tout pigé, le blues y coule dans ses veines. En plus y l’a le génie du son ! Et derrière ça, t’as «Factory Smoke» ! Ah la claque ! Y joue ça au dégueulis sur un beat tribal de pédale de grosse caisse, c’est dingue comme y l’est bon, y freine, y remet de l’huile dans les vieux riffs rouillés et y repart ! T’as déjà vu ça ?
— Non.
— Et avec «Power Of The Ancient People», y bat tous les records de primitivisme ! Y sonne comme une tribu du Congo. Je te jure que ce mec est visité par les esprits, comme Wolf. Tiens puisqu’on parle de Wolf, t’as «Bones». Y prend ça au guttural de l’arrache maximaliste. Y l’est comme Freddy J IV de Left Lane Crouiser, y s’en va chercher le meilleur guttural des cavernes, car c’est là que se niche toute la sainte colère du blues. Mais le pire de tout ça, c’est sa version de «Sister Ray». Personne n’avait osé toucher à ça depuis le Velvet. Ben voilà, c’est fait. Chicken y tape sa reprise au tambourin et y réussit à exploser l’inexplosable. T’as vu comme y s’y colle ? Y n’en finit plus d’emboutir le vieux cul ridé de Lou Reed. Y le retapisse avec une hargne à peine concevable. Et en face B, y tape même dans les Cramps, avec sa reprise de «Teenage Werewolf». C’est un exploit sportif, mec. Y repasse les Cramps à la moulinette de Wolf, c’est comme si y l’embarquait les Cramps dans les bois, en pleine nuit, pour leur flanquer la trouille de leur vie. T’as qu’à voir... Et son solo à la fin de «Civilized» ! Du pur trash ! J’adore aussi son «Come Home», car c’est du groove de cro-magnon, une abomination caractérisée. On croirait entendre un gros black échappé de la taule d’Angola !
— T’as pas l’impression que les deux autres albums y sont moins denses ?
— Ah non... Ce n’est pas vraiment ça. T’as des gros trucs sur «II», comme «Disappear» qu’y chante avec une voix de grognard tuberculeux sur un vieux coup de tatapoum. Y sort un riff un peu anglais et du liant avantageux. Y reste bien dans l’esprit de premier album. Ce mec a du talent, y l’est plein de vitalité, d’énergie et de jus. «Gold Rush», c’est pareil, y joue ça au riff borgne de bord du fleuve. Y gratte l’os du riff et y rajoute des paquets de viande, comme ça, sshhhblarf ! sshhhbliirf ! sshhhbluuurf ! C’est un sacré réinventeur du blues des cabanes. C’est ce genre de mec qu’y faut suivre à la trace. Y règne sur l’empire du riff, tu piges ?
— Ouais.
— Y l’est encore plus énervé quand y fait son «Spitting In Your Face», tu vois un peu le travail, ça veut dire qu’y va te cracher dans ta gueule d’abruti. Y rigole pas, le thionvillais. Y l’est capable de piquer des crises. Y lâche des morves infâmes de solo. Je te le dis, ce mec y doit être bon pour l’asile. Y doit bien aimer Wolf parce qu’y prend son «Leaving In The Morning» avec une sorte de volonté wolfienne. Si tu veux mon avis, y l’a un goût très prononcé pour le crépuscule et la menace. Y l’a tout bien pigé. On voit rarement ça chez les mecs qui font du blues aujourd’hui. La plupart, y se contentent de singer BB King ou Albert King ou Freddy King ou Earl King ou King Kong, tu vois un peu le désastre ? Si tu veux bâiller aux corneilles, t’as qu’à écouter les nouveaux virtuoses du blues. Là mon pote, tu vas te faire chier comme un rat mort, comme disait Choron. Alors que lui, Chicken, y joue le vrai blues, y l’est dans l’esprit du blues qui est celui de la modernité. Le dernier cut de «II» est dément. Avec «High Low Blues», y fait son Wolf agonisant et ça marche - Sometimes I feel so low/ Feels like a walking dead - C’est le blues le plus désespérant que j’ai jamais entendu. Encore plus désespérant que Robert Pete Williams.
— Ah ouais !
— J’aime bien la pochette de son troisième dixe. C’est un vieux bar à putes, tu sais comme dans la rue Saint-Denis. Qu’est-ce qu’on s’est bien poilé dans ces vieux rades. Heureusement qu’on avait de la thune, parce que les putes elles ont tout le temps soif !
— Ah t’as raison !
— Ces salopes nous mettaient sur la paille, mais on rigolait bien. Tu vois, je te disais que Chicken y sonnait comme Wolf sur certains cuts, et là, sur le troisième dixe, y sonne comme Beefheart sur un cut qui s’appelle «Cotton Field». Alors tu vas me dire que Beefheart y chantait comme Wolf, c’est pas tout à fait faux, mais c’est pas non plus exact. Beefheart y l’admirait Wolf, ça tout le monde le sait, mais y f’sait son truc à lui, avec un autre son. Tu t’rappelles de «Bat Chain Puller» ?
— Ouais.
— Ben c’est ce son-là. Chicken y reprend le son du Magic Band pour faire son cat cat oh catton fields et son bloody ca-catton, c’est exactement ce beat-là. Alors du coup, Chicken y devient un héros. Tu te rends compte, t’as un mec qui sonne comme Wolf et Beefheart, comme Elmo Williams et RL Burnside, qui reprend les Cramps et Sister Ray. Que veux-tu de plus ?
— Ah bah rien !
— Y tape même une version du «Maggie’s Farm» de Dylan ! Là, y frôle le génie. Y fait du dylanex des cavernes. Y l’est complètement enragé. Y bave. Ah la trogne ! Y dégage une drôle d’odeur. T’aimerais pas être sa femme. Au lit ça doit être terrible. Putain, qu’est-ce qu’il pue ! Pire que le clochard du Pont de Levallois, tu te rappelles, on pouvait pas dormir à côté tellement y puait. Mais y chante ça comme un dieu - Ain’t gonna work for Maggie’s farm no mooooooore ! Et son «Motorcycle» ! Mais c’est encore pire que du Motörhead ! Y joue dans la purée de l’échappement. Ce mec, je vais te dire, c’est un trogglodyte qui dynamite tout, les riffs et le beat, y touille tout ça dans son jus. C’est pas compliqué, j’aime tous les cuts de cet album, à commencer par «Undercover». Y bat ça à la sourde. Y tombe dans les abîmes de chaos, un peu comme les Chrome Cranks, mais lui y l’est tout seul, alors t’as qu’à voir. Y ressort aussi le coup du serpent avec «(Don’t Wanna Be A) Reptile». Y monte ça sur un riff régurgité. Y cherche toujours la niaque maximale. C’est lui le lion des cavernes, le Tounga des temps modernes, c’est un Chicken de choc, un diable en diamant, y joue le blues fatal, c’est un irrécupérable de basse-fosse, un violent quidam. Y l’enfonce toutes les portes ouvertes, mais quelle classe !
Nos deux amis se retrouvent quelques mois plus tard.
— Ben dis toi, on t’a pas vu l’aut’ soir à l’Abordage ?
— Ah parce que c’est rouvert ?
— Ben oui pomme de terre ! Et tu sais qui c’est qu’on a vu à l’Abordage ?
— Ben non...
— Chicken Diamond !
— Ah bah dis donc !
— Assis sur son tabouret, en première partie d’une soirée Beast.
— Ah bon ? Y avait qui comme groupes après lui ?
— Ah ça ma poule, me rappelle plus. Mais Chicken y m’a bien s’coué la paillasse, ah l’enfoiré ! C’est encore pire que sur ses dixes ! Tu verrais le son qu’y sort sur sa vieille pelle, c’est un garage-band à lui tout seul. Ah les autres, y z'ont encore des progrès à faire quand tu vois un lascar comme Chicken avec sa guitare. Y l’est complètement dans son délire de raw blues primitif, tu verrais la perfection de son tempo, ses cuisses sont toujours pile à l’heure sur le beat, c’est pas comme chez le pauv’ Hasil Adkins où y a toujours une sorte de décalage, lui c’est du trash-garage suisse, y l’est infernal de précision et de puissance. Y dégage autant qu’une locomotive à vapeur, et en plus y gueule tellement dans son micro qu’y l’envoie des tas de postillons voltiger dans la lumière des spots. C’est du psychédélisme de cabane. Chicken y fait pas dans la dentelle, y n’cherche pas à faire frétiller les érudits universitaires du blues de pacotille, non, y cherche plutôt à hypnotiser les serpents du désert, t’as pas idée comme y l’est balèze !
— Ah bah non...
— Les gens n’ont pas encore bien pigé que Chicken c’est le descendant de Wolf. Mais ça viendra. En attendant, ce mec ne la ramène pas. Y l’est d’une humilité qui en impose. Y l’a du mal à chauffer la salle, mais sa musique est si bonne qu’y ne viendrait à l’idée de personne de lui faire un reproche. Y l’a deux grattes sur scène, l’électrique, une vieille demi-caisse, et une acoustique qui a elle aussi bien vécu. Figure-toi qu’y sort aussi un son terrible avec son acou. Comme quoi hein ?
— Ah bah oui !
— Et tu sais comment y l’a bouclé son set ?
— Non...
— Avec deux coups de Trafalgar, poto ! D’abord une version démeeeeente de «Ghost On The Highway» du Gun Club ! On aurait dû se prosterner, car y cherchait forcément à communiquer avec le fantôme de Jeffrey Lee Pierce ! C’est la meilleure version qu’on a entendu depuis des lustres et des lustres ! Terrible ! Et y l’a enchaîné ça avec «Sister Ray». Alors là, on tombe dans l’au-delà du taillage de bavette, on frise le saint, on bascule dans le barbare sacré, on atteint les sommets du Kilimanjaro du culte. Là, on peut dire que Chiken y l’a défoncé les annales de la postérité, et la pauvre, je te garantis qu’aujourd’hui elle a encore du mal à marcher. Et tu sais quoi ?
— Non...
— Ben y vient d’sortir son quatrième album !
— Ah bon ?
— Y s’appelle, tiens-toi bien, «The Night Has A Thousand Eyes» ! C’est là d’ssus qu’on r’trouve la version de «Ghost On The Highway». Tu veux que j’t dise un truc ? C’est vraiment inspiré par les trous d’nez ! Y joue ça au blast, y l’arrache le foie de Jeffrey Lee et y l’explose le highway ! Y l’explose le Gun et le Club, tout te saute à la gueule, on dirait qu’y chante avec la voix pleine de terreur ! Fais gaffe si tu chopes le dixe, tu vas tomber d’ta chaise. Ça rue dans les brancards dès «Cursed Blood», y tape de tous ses pieds dans ses petites caisses de one-man band, on dirait qu’y sont dix, c’est une brute atroce et y chante à la glotte en sang, et comme un Screamin’ Jay tuberculeux, y s’en va dégueuler dans des cimetières, c’est au-delà du boogie-blues et du boogaloo, ce mec est complètement hanté par l’esprit de blues. Si t’écoutes «Castle In The Desert», tu verras des feux s’allumer au loin et tu verras le cut basculer dans une sorte de démence. Ouais poto, ça bat tout le stoner, avec sa brutalité, Chiken y met tout le rock par terre. Y gueule comme un crucifié, you’re fuckin’ me baby, y fait du guttural d’antho à Toto. Ce mec y l’a du génie, et tu sais qu’est-ce qu’y vient rajouter dans cette horreur ?
— Ben non...
— Un solo glou-glou. Et ça continue avec «Speed Demon», tu vas voir, y l’est complètement baisé ce mec, y chante tout au maximum de la barbarie d’Attila. Y va trop loin, c’est du Monster Magnet chanté par le Sonics. Tous les couvercles sautent. Et y s’en va gueuler des trucs du genre «Hey look at the sky» ! Attends, c’est pas fini !
— Mais j’ai rendez-vous chez l’merlan !
— Y a encore un truc fabuleux sur le dixe, c’est «Slow Wave Sleep». On dirait le blues de la fatalité. Y prend ça d’en haut, avec des coups de réverb, on dirait qu’y joue le beat dont on a toujours rêvé et y gueule just follow me down, alors tu parles qu’on le follow ! Et si t’aimes bien l’hypno, alors tu vas te pourlécher les babines avec «Could Have Done So Much Better». Y fait gicler son frichti, y malaxe bien ses ambiances, ce mec a du génie, y sort encore un cut complètement explosé de son et de hargne baveuse, on dirait même qu’y l’en tartine tous les murs de la piaule quand t’écoute ça !
— Wow c’est super. Mais là faut qu’j’y aille !
— Dac. Prends soin de toi, poto ! Et souviens-toi, You’e a ghost on the highway, Your gesture is meaningless !
— Ah bah oui !
Signé : Cazengler, Chicken rôti
Chicken Diamond. L’Abordage. Évreux (27). 6 février 2016
Chicken Diamond. Chicken Diamond. Beast Records 2011
Chicken Diamond. II. Beast Records 2012
Chicken Diamond. My Name Is Charlie Chicken Diamond. Beast Records 2014
Chicken Diamond. The Night Has A Thousand Eyes. Beast Records 2015
OPERATION FOUDRES
« Comment Damie la patrie est en danger et toi tu dors ! » Mon ami le Commissaire tire sans préavis les couvertures dévoilant au passage les attributs de ma virilité, qui ma foi quoique au repos n'en sont pas moins d'une taille impressionnante. Me lance mon perfecto et un magnum de sky : « Tiens prends cet en-cas pour petit déjeuner et écoute les nouvelles : je quitte la police officielle, désormais je fais partie des Groupes Mobiles d'Interventions Sécuritaires, regarde – l'agite triomphalement une feuille de papier A4 – signée de la main même de notre premier ministre bien-aimé ! Pleins pouvoirs et réquisitions à volonté ! L'on ne peut pas rêver mieux ! Allez dépêche !»
Sur le trottoir je pousse un cri d'horreur. Une dizaine de sagouins virevoltent autour de la Teuf-Teuf ! « T'as vu ! J'ai fait installer un obusier sur le toit – un vieux canon de char tigre récupéré sur les Allemands en 1945, le dernier cri de la technologie, et booster légèrement le moteur, tout cela pendant que Monsieur Damie Chad dormait dans son lit comme une pelure de pomme de terre au fond d'une poubelle ! Ne reste pas là les bras ballants, fous-toi au volant, c'est urgent ! »
« Z'on va z'où ? » Le Commissaire fulmine : « Pas le temps de poser des questions. Tu enfiles la bretelle d'autoroute, oui celle-là, à contre-sens, accélère un peu, l'on est à peine à 180 km / h ! ». Le Commissaire semble heureux, il allume un gros cigare, et tapote le tableau de bord en chantonnant la Marseillaise. Au fond c'est un bon bougre, s'amuse à faire quelques ronds de fumée et me met au parfum : « La France a besoin de toi, Damie, dans six heures faut un rapport, signé de ma main, – ultra-secret, confidentiel – en six exemplaires, sur le bureau du Premier Ministre. N'y a que toi pour me torcher le truc, en si peu de temps. Que veux-tu, je suis un homme d'Action moi, pas le temps de me dépatouiller avec la conjugaison du subjonctif imparfait. Mais qu'est-ce que c'est cet abruti ? »
Un bus scolaire nous ayant vu arriver à contre-sens a freiné un peu top brutalement. S'est mis en travers de la route et bloque la circulation. Le Commissaire monte dans la tourelle et tire deux obus droit au but sur le bus qui s'enflamme et se désintègre. Quinze secondes plus tard l'a repris sa place et m'explique : « Vois-tu Damie, apparemment c'est un crime, une quarantaine de gamins rayés de la carte scolaire en un tour de main. Je ne vais pas te faire le chapelet des commentaires circonvolutifs des journaleux habituels qui ont pour mission de faire passer la pilule au gros peuple stupide : le soulagement des parents enfin débarrassés de leurs insupportables marmots, les économies réalisées par l'Etat pour leur éducation, non l'heure n'est plus aux jérémiades : le pays est en guerre Damie, quarante chiards éliminés d'un coup, mais si on laisse faire en quelques mois la France sera devenue la Syrie. Tu imagines les villes détruites, les écoles bombardées, les hôpitaux pris pour cible, les populations errantes sur la route, essayant vainement de gagner la Turquie. Un cauchemar, Damie. Tourne à gauche, ne t'inquiète pas pour la vieille dame sur le passage clouté, les enfants hériteront plus vite. Mais désormais avec l'Etat d'Urgence nous intervenons sans perdre de temps. Freine, on est arrivés. Non, non, pas de constat, le basané que tu viens d'écraser, mille chances contre une que ce soit un terroriste. Je suis certain qu'il préparait son coup. Tu vois, à peine sur les lieux de l'action, et déjà Les Ennuis Commencent.
( Quelques indiscrétions nous ayant permis de nous procurer, sur le bureau même du Premier Ministre, un des six exemplaires ultra-secrets de nos agents nationaux en mission, nous avons la fierté de le présenter à nos fidèles lecteurs, in-extenso et en avant-première, avant qu'il ne s'étale demain matin à la une de tous nos quotidiens. Toutefois afin de lever toutes les ambiguïtés sur les soi-disant douteuses accointances de notre chroniqueur avec les forces sécuritaires de la nation, le lecteur se rapportera aux livraisons 177 du 20 / 02 / 14 et 235 DU 14 / 05 / 15 )
13 / 02 / 2016
LES FOUDRES / PARIS ( 20° )
LES ENNUIS COMMENCENT
Pluie et vent. Brrrr ! on s'engouffre dans les Foudres sans froufrou ! Patou et Eric – venus spécialement de Toulouse – il y a des gens qui courent après les Ennuis - bien au chaud derrière leur chope de bière rigolent comme des bossus quand je m'ébroue, je les foudroie du regard et en jette un autre circulaire sur les alentours. Première malédiction, le café est long et étroit comme le corridor secret qui mène à la tombe de Toutankhamon. Deuxième malédiction, aucun groupe de rock à l'horizon. Troisième malédiction, ne sont inquiets ni le patron, ni les garçons, sont de l'Aveyron. Sont même fiers d'eux, ont dégagé trois mètres carrés dans le recoin de la porte d'entrée en empilant tables et banquettes le long du mur.
Sourire aux lèvres et mine réjouie les Ennuis arrivent. Sont tout nu. Demoiselles ne regrettez pas votre absence, je signifie simplement que nous avons les musicos en chair et en os, mais pas encore le camion avec le matos. Qu'importe nous vivons un grand moment d'émotion : la moitié des consommateurs se lèvent pour venir les saluer, c'est l'heure exquise des bises et des retrouvailles comme au soir des épousailles.
C'est alors que les ennuis commencent : sont des gars consciencieux, ont vidé la camionnette et déposé tout leur barda dans l'espace dévolu au concert. C'est bien, mais il ne reste plus de place pour les musiciens. Le jeu des quinze cubes à ranger dans une boîte qui n'en contient que dix. Ne sont pas obtus du ciboulot, en dix minutes ils trouvent l'astuce. Ne reste plus qu'à jouer au tangram musical : si tu te mets là, le manche de ta guitare me cisaille le slibard. Parviennent à se caser, tous les quatre, une précision d'horlogers suisses. Reste encore à rajouter le portemanteau inondé d'imperméables qui cache la vue aux spectateurs massés le long du comptoir, aussi serrés que les brebis pantelantes du Grand Troupeau de Giono.
C'est l'heure des décisions décisives. Celles qui transforment Austerlitz en victoire, seront brèves et efficaces. Pas de balance. Et la promesse qui n'engage que ceux qui y croient : on ne va pas jouer trop fort. C'est parti mon kiki, c'est bien ça mon kaka, et rien ne sera perdu mon kuku !
DOUCEMENT LES BASSES
J'allais oublier de les présenter ! Commençons par celui qui n'est pas là. Le Gus Tattoo, avec son nom vous devinez que le gars est chamarré comme un arbre de Noël, de la plante des pieds au sommet du crâne. Vous ne pouvez pas ne pas le remarquer. Même son absence clignote. Les filles adoraient se selfier avec lui. L'en rajoutait des tonnes, en surplus de ses peintures de guerre indélébiles se promenait toujours accompagné de sa contrebasse grand format Louis XVIII, des fois que ces dames ne l'auraient pas remarqué. N'est plus là. Officiellement il a ouvert un échoppe de tatouage à Decazeville. Et pourquoi pas un magasin de frigidaires au pôle Sud ? Non, ils l'ont viré, étaient trop jaloux. Remarquez celui qu'ils ont pris, ils n'auraient pas dû. Un mec qui a toutes les qualités, belle gueule de rocker, belle dégaine de rocker, belle basse rouge de rocker, belle copine de rocker, et je ne parle pas du pompon, le plus beau des prénoms de rocker : Vinz. Y a vraiment des gars sur qui les fées se sont penchés sur leur berceau.
GUITAR MAN
KLX est coincé entre le comptoir et un amoncellement de tables. C'est pour le protéger. Atomic Ben nous apprendra qu'il attend un bébé. Depuis pas longtemps, ça ne se voit pas encore. M'énerve, de temps en temps il caresse légèrement sa guitare, l'air de rien, bouge à peine la dernière phalange de son petit doigt et il vous libère des riffs d'acier barbelés à vous arracher les yeux. Genre Bruce Lee qui de deux seules manchettes vous empile une muraille de cadavres autour de lui.
BATMAN KID
L'homme qui bat. Il n'est pas chauve mais il ne sourit pas. Il frappe. That's the Kid !Le garnement de la troupe. Mène le reste du troupeau à la baguette. Un, deux, trois c'est parti, vous a des breaks d'enfer, et vous mène au galop dans le coeur de la bataille, là où aboie la mitraille. L'a le tempo méticuleux, et puis ces finitudes surprenantes. Vous êtes encore au milieu du temps, qu'il a pris un raccourci et vous attend au tournant le sourire en coin. Pas le temps de dire fou ! Qu'il est déjà reparti.
ATOMIQUE BIEN
Quand je pense que la moitié de la planète tremble de peur à l'idée des réactions atomiques dans les centrales nucléaires. Encore une fausse rumeur d'écologistes. Atomic Ben est la preuve vivante qu'il ne faut pas se fier aux racontars propagés par les ondes médiatiques. Ce qui est vrai dans l'histoire c'est qu'il vous désintègre en trois secondes. Incidemment il joue de la guitare – plutôt très bien d'ailleurs, mais ce n'est pas le principal – l'est le faire-valoir, le bonimenteur, un ton de crockquemitaine, le crockmentateur numéro un du rock. Allie le ton solennel des Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand au cruel persifflage de Voltaire. Un alliage contre-nature qui décape le cerveau en un tour de bouche.
KILLIN' SET
Débutent par un instrumental à la Tchaïkoski – celui qui vous casse les noisettes – mais en plus rock. Suivi d'un petit Elvis, juste pour vous montrer qu'ils ont le vice dans la peau. En plus ils ont le son. Le bon. Celui du rock. Un quart de lourdeur stonienne, un quart de strato appachienne, un quart de déjante crampique et un quart des ennuis qui ne s'arrêtent jamais. Rockez à feu violent, rollez au wok, dégustez chaud, brûlant. Ensuite ce sont les sept merveilles du monde, que dis-je les soixante-quatre positions soniques du Kama-Sutra rock, deux Stones, dont un Under My Thumb à vous casser le pied, a Soviet Bomb qui n'a rien d'un pétard mouillé, un Come On si farci que l'on hésite pour savoir s'il penche vers Keith ou du côté de Chuck, un plagiat revendiqué haut et fort de la Belle Saison des Dogs, puis plus tard une reprise en hommage à Dominique Laboubée, toute la nostalgie du rock livrée clef en main en trois minutes... un Don't Tell Me Your troubles ( voir chronique nouveau disque à la prochaine livraison ) de Don Gibson... Attention, les titres ce n'est rien, les reprises comme les originaux, tout dépend de la manière dont on les distribue. Pour deux personnes aux oreilles fragiles qui s'enfuient précipitamment, l'en est rentré une cinquantaine d'autres. S'agglutinent dans le corridor de la mort, mais à leurs trognes illuminées, ne semblent pas traumatisés par leur sort. C'est que Les Ennuis Commencent, c'est le sortilège, avec quatre fois rien – j'exagère, car ce sont de sacrés lascars, ils vous redonnent vie au rock and roll, vous le ressuscitent en trois riffs et quatre battements, plus le vocal de Ben, appuyé de passion et d'ironie, l'authenticité et le détachement si étroitement emmêlés qu'il retisse la toile de nos imaginaires déchirés. Du beau monde dans l'assistance, Jezebel, Jean-Emile Hanona le premier batteur de Trust, très discret. Plus des inconnus à l'attitude trop rock pour être des anonymes. Un public à l'unisson du groupe qui crée une atmosphère de complicité quasi-palpable. L'on remonte très loin dans le temps, à cette époque où le rock se célébrait dans les marges irradiantes. Encore trois morceaux – merci patron ! - et il est temps de mettre un terme à ces deux heures d'incandescence. Avec les passants arrêtés en pleine rue, scotchés devant les larges baies du café, souriant sous la pluie battante.
S'en suivront deux heures de discussion et de ripailles le long du comptoir...
CONCLUSION
En apparence un groupe de factieux qu'il conviendrait d'éliminer au plus vite. Cependant une évolution est en vue : le sieur Atomic Ben, 48 dust my broom au compteur ( c'est ainsi, sous cette appellation étrangère, que les rockers désignent ce que nous nommons beaucoup plus prosaïquement « balais » ) a déclaré, certes au milieu de propos fort équivoques, à la salle réjouie, que l'âge venant « il se sentait de plus en plus de droite ». Nous ne savons s'il s'agissait d'ironie. Toutefois, l'approbation populaire au gouvernement est actuellement si faible que nous avons décidé de comptabiliser ces paroles comme les marques d'un soutien indéfectible à votre action.
En d'autres termes : tout Valls bien ! Les Ennuis Commencent.
Commissaire Labavure.
Responsable des
Groupes Mobiles d'Interventions Sécuritaires
( Les photos sont de Pat et Eric )
L'EMPREINTE / SAVIGNY-LE-TEMPLE
NAKHT / BEAST
FALLEN EIGHT
L'Empreinte de Savigny. Architecture d'un goût douteux, façade de grosses plaques colorées vertes, oranges, rouges, bleues. Le concepteur a dû penser que ça faisait jeune, et la municipalité que ce n'était pas trop cher. Par contre ils l'ont nichée à deux cents mètres du RER, excellente idée pour ceux qui ne possèdent pas de sémillante teuf-teuf mobile toujours prête à courir les routes dès que le mot magique rock and roll est prononcé. Ne boudons pas notre plaisir : trois bons groupes pour zéro centimes d'euro, difficile de trouver moins cher sur le marché. Comme par hasard – à croire que, contrairement aux lois sacro-saintes du libéralisme ambiant, c'est l'offre qui crée la demande - toute une jeunesse se presse devant l'établissement pour l'ouverture des portes à vingt heures tapantes.
Petite déconvenue, nous n'avons pas droit à la grande salle, nous y avons vu ( rappelez-vous KR'TNT ! 243 du 08 / 07 / 15 ) au mois de mai dernier Barabbas et Klaustrophobia. D'ailleurs, avant qu'il ne soit trop tard je déconseille vivement aux lecteurs claustrophobes de s'abstenir de poursuivre la lecture de cette kronic. Toute la soirée, la densité au mètre carré sera égale à celle d'un trou noir intergalactique qui aurait été compressé par César. Compacté, mais vibrionnant.
NAKHT
Nous avions assisté à leur première apparition publique le 11 octobre 2014 ( voir KR'TNT ! 205 ), à Chartrettes, nous avaient impressionnés, ils avaient gagné le tremplin, et pourtant ils n'étaient pas confrontés à des demi-portions... Les voici donc, deux ans après. J'avoue que cela me taraudait de les revoir. Ne sont plus que cinq, l'un des deux chanteurs, Thug n'est plus là. Sur le moment, je regrette, mais mes inquiétudes se révèleront vite vaines. A la première seconde.
C'est cela Nakht. La puissance paralysante en action. Une force venue d'ailleurs. Le monolithe de 2001 Odyssée de l'Espace qui se pose parmi nous. La terre tremble sur ses assises et le monde entre en maelström. Deux guitares, Chris et Alexis, une basse, Clément, une batterie, Damien, ne font pas de la musique. Produisent de la matière. Du sable sonore, friable et irritant. Une pâte granuleuse sèche et brûlante. Prenez-la dans dans la main et elle s'écoule imperturbablement comme le sablier de la mort. Elle est le désert en fusion, et les lointains inaccessibles. Pas de mélodie, pas de rythme, simplement le feu qui dévore et la flamme qui consume. Et là-dessus Danny pose sa voix. Mettez le pied sur la queue du serpent et vous entendrez. L'organe bifide d'un mutant, un reptile qui dresse sa tête sur la pierre des pyramides, une reptation étrangère à notre galaxie, une fissure en mouvement qui dévoile des abîmes sans fond.
Le venin de la folie s'est instillé dans les âmes. Space rolls dévastateurs, des colonies de fourmi noires comme attisées par une haine écarlate s'enlacent les unes aux autres, se dénouent, s'encastrent et rebondissent contre les murs, sans fin. Nakht libère les énergies rouges des sangs résiduels qui d'habitude stagnent dans les vaisseaux de notre corps. L'aboiement d'Anubis réveillent les morts. Les zombies que nous sommes se projettent en une spirale involutive qui nous ramène à l'état primordial, grouillement collectif du foetus germinatif originel. Nous sommes le cri, le vent, la tempête, et atteignons à l'insouciance des dieux immortels.
Nakht s'égosille et invoque les forces telluriques des cauchemars. C'est la voix du prédicant qui soulève les éléments et déclenche les catastrophes. Cinq guerriers mais un seul être, un golem de nuisance, un insecte gigantesque, un scarabée monstrueux aux élytres de roches, aux antennes d'orichalque, un crissement gigantesque qui vous emplit de terreur et de joie. L'indicible est de retour, nous ne possédons pas de mots pour décrire cette pluie fécale, cette excrémentation cérébrale surgie du néant qui s'impose et nous engloutit en sa mouvance phonique. Nakht c'est l'horreur absolue et sa face cachée, l'extase hébétante. Nakht vous permet d'atteindre à la sensation d'éternité. Musique même pas inhumaine. D'une temporalité interdite aux frêles êtres humains que nous sommes.
Nakht acte fractal. Ca n'akhtrrive pas qu'aux autres, suffit de les voir en concert pour en être persuadé.
BEAST
Groupe local. Tous issus de Seine & Marne. J'espère qu'aucun décideur local ne récupèrera l'idée et ne s'en serve de bande-son pour inciter les Entreprises à venir s'installer dans notre département. J'imagine les vues de la Forêt de Fontainebleau avec les rugissements de Beast par-dessus. Vont nous prendre pour les dernières tribus sauvages de l'ère paléolithique, nous cataloguerons d'aurignaciens inférieurs. Plus tout à fait des bêtes, mais pas encore des hommes modernes...
Après Nakht, l'on ne pouvait pas mettre du 36 fillette. Alors on a libéré la bête, the Beast. Rien qu'à la balance l'on comprend que ça va être du gros cœur de taureau saignant qui bat encore soixante-douze heures après avoir été arraché de la poitrine de l'animal vivant. Pour que le public ne s'impatiente pas, laissent fulgurer comme par négligence, quelques demi-accords de guitare. Trois secondes au maximum, genre rhinocéros échappé du cirque qui déboule dans la messe du dimanche matin.
Beast c'est du hard, hardcore banlieue, pour être précis, tenue de scène style équipement de footballeur, casquette de rappeur pour Cédric le chanteur. Admirez les biceps de Rémi le guitariste, assez larges pour y repeindre le plafond de la Chapelle Sixtine, s'est modestement contenté d'un tatouage monstrueux. N'ont pas de drum-machine, proposent mieux, un drum-Maxime, grand blond, cheveux longs, les toms très bas, pour le moment, fait ses exercices d'assouplissements, pivote sur lui-même, baguettes en main. On le sent pressé de commencer.
C'est parti sous une monstrueuse ovation. Z'avez un peu l'impression que le mur du son vient de s'écraser sur vous. Mais au micro Cédric prend les travaux de déblaiement en mains. C'est quoi cet amalgame d'être humains en mouvements, fini de jouer aux autos-tamponneuses, c'était bon pour les années soixante, nouvelle attraction, amusons-nous au punching-bulldozers, rien ne vaut l'action de groupes, la saine émulation d'équipes qui se fracassent les unes sur les autres, ce qui n'exclut pas les fantaisies particulières comme les adeptes du trapèze volant sur la fragile tubulure qui supporte les ligths...
Cédric sirène de requin enroué, pas l'inoffensive roussette des restaurants de bord de mer, le squale des profondeurs, le tueur des eaux froides, le glouton des surfers, les dents de la mort. Subite. Beast ne fait pas dans la dentelle, rideaux de sons, basse de Robin plus noire que la vie, guitare de Rémi road-movie à la tronçonneuse sanglante et Maxime qui forge l'épée du désastre sur ses cymbales. Je ne citerai que le titre des derniers morceaux – car toute parole peut être retenue contre vous – Like A Blood, Supporters, 77 HC ( vous ne risquez pas de confondre avec HEC ).
Tout en force et rien en douceur. Car qui aime bien châtie bien. Public maso qui en redemande. Est-ce un concert ? Non, monsieur le Préfet, c'est une folie collective. L'Empreinte de Savigny-Le-Temple transformée en deliriumdrome. L'on soupçonne une épidémie due à un énorme moustique que nos spécialistes dénomment Beast. Aucun antidote répertorié pour annihiler les effets de sa morsure. - Mais alors nous sommes foutus ? - Jusqu'au trou du cul, Monsieur le Préfet, sauf votre respect, bien entendu.
FALLEN EIGHT
Je n'aime guère me livrer à des actes de dénonciation, mais quand c'est trop, c'est trop. Je donne donc le nom du coupable. Fallen Eight, c'est eux qui ont tout manigancé. Z'ont même donné un nom de code : The Fallen Eight : Release Party, juste pour fêter la sortie de leur premier CD, Rise & Grow, auraient pu faire leur tambouille avec leurs copines dans leurs deux pièces cuisine sans embêter le peuple, mais non, ils ont invité deux groupes de tueurs ( ils appellent cela des amis ) et rassemblé plus de deux cents fans dans une pièce qui peut au grand maximum en accueillir une soixantaine.
Fallen Eight, vu le 02 octobre 2015 ( KR'TNT ! 250 ) aux Dix-huit Marches. ( Qui doivent fermer, en effet l'escalier politiquement incorrect est une passe impossible à franchir pour les handicapés. Interdiction logique, que j'approuve, car elle nous force donc à éliminer tous les riches actionnaires de la planète puisque les pauvres chômeurs sont incapables d'atteindre leur niveau de vie. ) Avaient ouvert la soirée et nous avaient délivré un métal furieux mais néanmoins mélodique, une incitation aux régressions internes dans le réservoir cauchemardesque de notre psyché brisée.
Dès qu'ils ont posé les pieds sur scène, l'ambiance difficilement descriptible jusqu'à lors, est devenue totalement... indescriptible. Sont attendus comme les sept plaies sur l'Egypte. Tout le concert ne sera qu'une immense et énorme clameur poussée par le public, du début à la fin. Doivent être beaux car toutes les filles se bousculent pour squatter les places devant.
Passer après la destructivité de Nakht et la bestialité de Beast est une véritable gageure. Possèdent leur huit de pique. Un chanteur, Clem, look androgyne, fine moustache blonde, chemise à gros carreaux rouges et noirs, une voix à cracher du verre et à graver des arabesques sur les verres en cristal de Tante Agathe, une élégance et un charisme innés, une présence folle, attire les yeux de toute l'assistance, une gestuelle de félin, ne reste pas en place, tout à l'heure au milieu de la foule vociférante, debout sur une caisse, vocal imperturbable mais le sourire complice en coin de lèvres. A l'opposé tout au fond, vous trouverez JP, souvent cachés par les guitares, mais il abat, sur ses caisses, un boulot phénoménal. Infatigable, terminera torse nu, ruisselant de sueur, tel un antique athlète grec oint d'huile luisante se préparant pour la pancrace. Florian et sa barbe de sapeur est à la basse. Elément décisif du groupe, à chaque fin de séquence il frappe du pied sur la scène et Fallen Eight repart de plus belle, tel un léopard qui se jette sur sa proie. Et puis Medy et Florian tissent des mélodies d'acier aux guitares. Le secret de Fallen Eight réside en ces tricotées de cordes savamment maîtrisées, ne perdent jamais le nord, chargent à mort, mais en groupe, compacts.
Ce soir Fallen Eight nous emporte dans un tourbillon de phantasmes oniriques, voyage aux pays où l'on n'arrive jamais, avec escale à Cythère et croisière sur la nef des fous. Last One, Worst Nighmare, Reborn, les titres parlent d'eux-mêmes. Les deux guitaristes sont emportés sur les mains des fans et se perdent au fond de la salle, hystérie collective, faudra deux rappels, deux Final Shots cataleptiques pour que les morts-vivants déchaînés que nous sommes acceptent de rentrer dans le cercueil de leur train-train habituel.
MORE
Non je l'ai pas oublié, s'appelle Athur, Clem lui a passé le micro sur un morceau. Encore un hurleur du fond des bois vampiriques, possède aussi un groupe : From A Broken Stereo, l'ai mis en zone rouge, dans le collimateur, faudra provoquer l'occasion d'un concert pour entendre le prince Arthur de plus près.
Vingt-trois heures quarante, la teuf-teuf démarre, quelle soirée, quelle pêche, quel enthousiasme, quelle jeunesse ! Il y a soixante ans que cela dure, le rock and roll a la vie dure !
Damie Chad.
P. S. : On en reparlera la semaine prochaine, j'ai ramené le CD de Nakht et celui de Fallen Eight. Deux groupes à suivre.
Les photos sont sur les FB des artistes, elles sont signées Alek Garbowski qui couvre Beast ( is the best ) et les copains.
MUTANTISME : PATCH 1.2
NIKOLA AKILEUS / ZAÄK ARANDI / ARCHILUX / NICOLAS BAUDOIUN / BEURKLAID / VOLODYMYR /BILYK / SERGE CASSINI / PATRICE CAZELLES / ALEXIS CHOPLAIN / g.cl4renko / COLLECTIS M.A. / FRANCK OSLO DEAUVILLE / MARINE DEBILLY / SEBASTIAN DICENAIRE / JME GUGGINO / MARC HERNANDEZ / HYPSIS / LESALA / LWO / MERYL MARCHETTI / AURELIEN MARION / NORA NEKO / OXYJENNY / SEE REAL / MATHIAS RICHARD / OLIVIER DE SAGAZAN / XAVIER SERRANO / CHRISTOPHE SIEBERT / YANNICK TORLINI / ANNABELLE VERHAEGHE / OLIVIER WARZAVSKA
( CAMERAS ANIMALES / Février 2016 )
Caméras Animales. Tout un programme. C'est comme si vous regardez le monde depuis l'œil d'un varan. Question de perspectives. Le maître d'œuvre de cette maison d'éditions s'appelle Mathias Richard, écrivain, poète, performeur. Plusieurs cordes emmêlées à son arc car parfois chez les êtres humains – espèce en voie de disparition – la création s'auto-produit réseaunablement. D'où le saut qualitatif qui s'opéra en 2011, lorsque parut Le Manifeste Mutantiste ( 1. 1. ). Cinq ans plus tard, voici donc ce Mutantisme : patch 1. 2.
Faut le dire, ces derniers temps la poésie et la littérature ronronnaient. Je ne parle pas de cette hypertrophie éditoriale d'écrits massifiés destinés au grand public, mais de cette auto-consécration thurifériale et mortifère de leur passé. Je n'en donnerai que deux exemples : la débauche célébrative en 1991 du centenaire de la mort de Rimbaud et tout présentement les cérémonies en l'honneur des cent ans de la naissance de Dada. Les temps ont changé : fut une époque où seuls les moutons de Panurge avaient droit à l'honorable couronne de lauriers marquant l'appartenance au cheptel des bêtes d'abattoir, aujourd'hui l'allégeance du citoyen au Système a atteint à un tel degré d'épuisement que l'on récupère avant tout... les irrécupérables.
C'est que voyez-vous le monde a changé. En trente ans, la civilisation a mis des bottes de sept lieues. Pour nous pauvres mortels il ne s'agit pas de se répandre en jérémiades. Ce n'est pas que c'était mieux avant. Ce n'est pas que ce sera pire demain. C'est exactement maintenant qu'il faut nous rendre compte qu'il ne suffit pas de changer de fusil d'épaule. C'est notre épaule qu'il nous est nécessaire de métamorphoser. Nous faut muter. Le monde n'est pas en crise, il est en train de se transformer, l'est comme les atomes de Leucippe et de Démocrite. Court plus vite que nous et nous avons intérêt à piquer un bon sprint si l'on veut rattraper le retard que l'on a pris. La passe est difficile. L'accélération est foudroyante et nous ne sommes pas habitués à supporter un tel rythme. Etrangement pour une fois le danger ne vient pas de nos congénères. Jusqu'à maintenant c'était pépère : l'on s'étripait mutuellement joyeusement. Aujourd'hui nous sommes confrontés à une nouvelle race d'envahisseurs. Nous avons joué aux apprentis sorciers et nous avons perdu. Heidegger nous avait avertis : la bombe atomique a été déclenchée par le poème de Parménide. L'était loin de compte le grand Martin, l'existe encore pire que le neutron qui se désarticule. Ce sont de petites bêtes inoffensives, vous ne sursautez même pas lorsque leurs noms résonnent à vos oreilles : machinisme, robotique, informatique, cybernétique, ordinateurs. Pour le moment sont encore dociles. Mille fois plus que votre chien qui aboie pour sa promenade. Mais elles sont comme le dieu de la bible : elles vous fabriquent à leur ressemblance, elles vous modélisent. C'est un défi. Qui ne vous est pas claironné dans les oreilles. Mais qui agit comme le chaos rampant de Lovecraft, s'insinuent partout, ne se sont pas encore emparées de la citadelle de votre cerveau, mais s'infiltrent habilement, souterrainement dans vos habitus, dans vos comportements, vous déprogramment petit à petit de votre humanité et vous reprogramment à leur façon. Une invasion comportementale qui tend à vous modifier.
Z'avez intérêt à vous manier le brain storming si vous désirez ne point être englués dans la toile de l'araignée. N'espérez pas rester ce que vous êtes. L'antique Humanitas est périmée. Deux solutions, ou les machines vous changent ou c'est vous qui changez les machines. Mais pour ce faire, bougez-vous, en autre termes construisez-vous une nouvelle nature : abandonnez le rêve de la créature éternelle, encore un peu perfectible, mais pas très loin de sa réalisation totale. Rien ne sert de détruire la machine, elles ont déjà concassé l'Homme même si vous ne vous en êtes pas aperçu.
Ou vous n'êtes plus, ou vous êtes des apprentis mutants. Ou les poubelles de l'Histoire ou la radieuse aurore. Pas d'alternative. Devant un tableau si réalisto-pessimiste, je vous sens inquiets. Vous voudriez bien tenter la grande mutation, mais vous ne savez comment faire. La solution est à portée de votre main : dans Mutantisme : patch 1. 2. Bonne lecture.
L'existe deux sorte de machines. Celle qui vous permet de battre les oeufs, c'est un mixer, juste un exemple parmi des milliers d'appareils plus ou moins sophistiqués. Et celle qui a présidé à leur conception intellectuelle. C'est le langage. L'est unique. Peut aussi se décliner sous forme de sons ( plus ou moins mélodieux ), de pictogrammes ( plus ou moins élaborés ) de volumes objectaux ( plus ou moins difformes ). Mais le langage c'est avant tout les mots qui véhiculent la pensée. Le problème c'est que depuis des millénaires nous avions totalement apprivoisé le langage. S'est mis à notre service, nous a aidé en tout et même à fignoler notre environnement machinique, qui est en train doucement mais sûrement de prendre le pas sur nous, c'est-à-dire de devenir le maître du langage. Un peu comme si ce chien amadoué à force de caresses et de croquettes, qui dort sur le canapé, commençait à régner en maître dans notre appartement.
Les mots d'ordre du mutantisme sont clairs : il nous reprendre barre sur le langage, sous toutes ses formes, écritures, musicales, picturales, et même machiniques. Ce volume riche d'une trentaine de contributions nous enseigne les rudiments d'une stratégie qui se veut opératoire. Les premiers mutants, les éveilleurs, opèreront par la force des choses dans la sphère artistique. Ne pas détruire les machines, mais pervertir leur fonctionnement. Telle est la stratégie. Ce n'est pas la machine qu'il faut changer, mais notre rapport au langage, l'utiliser autrement afin que la machine soit infestée par notre nouvelle manière de penser. Agir comme un virus, car il s'agit de faire en sorte que ce soient les machines qui produisent selon nos nouveaux schèmes de penser, tout en participant à la création de notre nouvelle pensée. Nous mutons, mais la machine aussi doit suivre notre mutation.
Tout ce qui précède pour le niveau théorique. Reste à nous pencher sur les mises en pratiques concrètes. C'est-là que vous vous apercevez du retard accumulé. Les mutantistes proposent beaucoup, mais les dadaïstes, les lettristes, les bruitistes, les situationnistes et tous les autristes ont déjà défriché le chemin, ont établi les principes d'une autre circulation du sens. N'est plus question d'exposer, de dire, de démontrer, mais de créer les courts-circuits qui font émerger le sens par l'interruption même du sens. Notons que nous sommes dans des propositions qui recoupent quelque peu les propositions des Appelistes groupés autour de la revue Tiqqun. Ce qui est assez logique puisque Tiqqun procède en partie de la démarche situationniste.
Certes le rocker de base peut se sentir un peu perdu et se demander où toute cette intellectualité le mènera. La lecture de notre Kronic de Lipstick Traces de Greil Marcus ( in KR'TNT ! 136 DU 21 / 03 / 2012 ) qui retrace la généalogie secrète qui court de Dada aux Sex Pistols ne pourra qu'aider à faire comprendre que souvent l'apparition d'un phénomène quelconque est acté par de multiples et insoupçonnables influences... D'autres part, l'invasion de l'électropop dans le monde du rock ne pourra que générer des réflexions instructives. Le Système possède des capacités de récupération phénoménales même si ce Patch 1. 2 tout attentionné à vous aiguiller vers despropositions destructionnelles ne s'attarde guère sur le phagocytage sans cesse possible des modes de rébellion anti-Système.
Ce livre est urticant. Vous pousse dans vos retranchements, il s'attache davantage à contourner le Système qu'à le détruire. Ce qui ne nous rend pas plus fort, nous tuera un jour ou l'autre. Ce Mutantisme : patch 1.2 ne serait-il pas l'annonce de notre prochaine disparition ? A lire et à méditer. Et à mettre en oeuvre.
Damie Chad.
( PS : Photo de Mathias Richard, nous ne pouvons que conseiller aux lecteurs curieux d'explorer les sites net du mutantisme et de ses signataires )
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