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18/01/2017

KR'TNT ! ¤ 312 : LEMMY KILMISTER / BARNY AND THE RHYTM ALL STARS / TAQWACORE - PUNK MUSULMAN / JOHNNY HALLYDAY / ELVIS PRESLEY

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 312

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

19 / 01 / 2017

LEMMY KILMISTER

BARNY AND THE RHYTHM ALL STARS

TAQWACORE - PUNK MUSULMAN

JOHNNY HALLYDAY / ELVIS PRESLEY /

Lemmy some news

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Miracle, nous avons des nouvelles de Lemmy qu’on croyait disparu. Disparu ? Ha ha ha ! Il suffit d’ouvrir ce petit punky paper anglais qui s’appelle Vive le Rock pour refaire un bout de chemin en compagnie du meilleur des hommes. Fast Eddie Clarke se souvient des premières fois où il vit Lemmy à Kensington Market. Incroyable ! Il s’en souvient comme si c’était hier.

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Kensington Market ? Il fallait descendre à High Street Kensington et remonter jusqu’au 49, et là, on entrait au paradis, mais un paradis sur trois étages. On allait tous acheter nos boots à talons clairs et nos vestes en velours peau de pêche là-bas. Fantastique endroit, propice aux rencontres. C’est l’époque où Londres est la capitale de l’empire glam et où on n’écoute plus que les Dolls, Silverhead et Transformer.
Eddie connaît déjà Phil Taylor.
— Oh Eddie !
— Hey Phil, comment ça va-t-y ?
— Impec ! Dis-moi, mec, tu m’avais pas dit que t’avais une pelle ?
— Ben oui !
— Tu tombes à pic, mec, figure-toi que je cherche un guitareux !
— Ah bon ?
— Ben oui, on a enregistré un album avec Lem et Larry Wallis mais Larry a mis trop de guitares en re-re et si on veut jouer ça sur scène, ben faudra une deuxième pelle !
— Ben dis donc !
Phil étant Phil, les choses ne se déroulent pas comme prévu. Eddie débarque à la répète et chope Lemmy :
— Hey Lem, on m’a dit de venir passer une audition pour la deuxième pelle !
— Non, sans blague !
Eddie se retrouve donc roadie. Il doit s’occuper de trimballer et d’installer la batterie de Phil et l’ampli de Lem. Mais il est content, car il est avec des gens du même monde : cheveux longs, blousons de cuir. À cette époque, c’est ainsi qu’on choisit son camp. Eddie est incapable de dissimuler sa fierté. Et en même temps, il en rigole encore :
— On est des hors-la-loi, on a les cheveux longs et on fume de la dope !
Voilà, c’est pas compliqué de jouer dans Motörhead.
Les flicards de Notting Hill connaissent bien Lemmy. Ils prennent un malin plaisir à le coincer régulièrement avec des familiarités du genre Hi Lem ! Eddie nomme les ennuis avec la loi des run-ins with the law. Motörhead les collectionne. Celui dont Eddie est le plus fier est celui qui s’est produit en Finlande ! Ah quelle rigolade ! C’est le plan classique, ils jouent dans un festival et détruisent tout le matériel. Les flics les arrêtent et les envoient au ballon pendant trois jours. Mais c’est un ballon finlandais construit au milieu de nulle part et personne ne parle anglais. Ils sont six, Lemmy, Phil et Eddie, plus trois road crew. Pendant 36 heures, on les enferme dans des cages individuelles et ils commencent à flipper pour de bon. Puis on les met ensemble. Phil claque des dents :
— Oh la la, Ed, tu sais pas c’qui était écrit au plafond de ma cellule ?
— Ben non !
— Avec son briquet, un mec avait écrit qu’ils peuvent t’enfermer là-dedans pendant 17 jours sans procès !
— Ben shit !
— Y vont jamais nous r’lâcher !
— Won’t they ?
Comme il fait nuit 24 h sur 24, impossible de savoir l’heure qu’il est.
Le manager de Motörhead s’appelle Zorro. Il arrive au galop dans la nuit finlandaise pour les délivrer. Il explique aux flics finlandais que Motörhead est un groupe à succès en Angleterre et qu’il doit passer à Top Of The Pops, ce qui est bien sûr un gros tas de bullshit. Les flics réclament du blé pour payer les dégâts, alors Zorro doit leur donner les 3500 $ de cachet du groupe. Parfait, ça couvre les dégâts et les frais d’hébergement. La police raccompagne la fine équipe de Pieds Nickelés jusqu’à l’avion. On les fait asseoir dans leurs sièges et on leur enlève les menottes. Ouf ! Dès que ces abrutis sont descendus de l’avion, toute la bande se met à faire la fête. Vive la liberté ! Mort aux vaches ! Ça picole à tout va, ça chante, ça danse et ça gueule, jusqu’au moment où le fucking pilote fait irruption dans la travée centrale :
— Si vous n’arrêtez pas immédiatement de faire les cons et de gueuler, j’avertis la police de Gatwick qui viendra vous cueillir !
— Hooola bijou, du calme !
Meanwhile back in London...
Slim Jim Phantom aime bien Lemmy, lui aussi. Il le connaît depuis l’été 80.
— C’est sans doute Pete Farndon ou Crazy Charlie qui nous a présentés, je ne me souviens plus très bien, j’ai la mémoire qui flanche. On a causé de rockabilly, on a fait plein de parties de machines à sous et on est allés boire des coups dans un pub de Gloucester Road, puis après on est allés dans un after-hour du genre Funny Farm. Quand le soleil s’est levé, on est allés chez Lem écouter plein de disques. Pas de question de dormir, avec un mec comme Lem.
Slim Jim ricane comme un vieux capitaine de flibuste.
— Avec Lem, chaque nuit était techniquement une wild night. Avec le temps, les nuits sont devenues un peu plus sereines mais elles sont quand même restées assez wild. Lem se comporte toujours de la même façon, rien ne change. Quand j’ai arrêté de faire le con et de passer mes nuits à faire la fête, notre amitié est restée intacte. C’est un sacré test, pas vrai ?
Quand Lem s’installe à Los Angeles, Slim Jim et lui sont voisins. Le hasard fait parfois bien les choses. L’arrière de l’immeuble où vit Slim Jim sur Doheny Drive fait face à l’immeuble où vit Lem sur Harratt Street. Ils sont à deux pas de Sunset Strip. Lemmy est un peu comme Slim Jim, il déteste le froid. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne roule pas en moto.
En guise de rideau, Lem a accroché un drapeau de pirate à sa fenêtre et quand Slim Jim descend promener son chien et qu’il passe sous sa fenêtre, il appelle Lem et ils discutent le bout de gras. Lem le fait souvent monter et ils regardent ensemble quelques conneries à la télé. Lem adore regarder la chaîne d’histoire ou la série Law & Order.
— Quand j’arrive chez Lem, je reste toujours beaucoup plus longtemps que prévu. J’adore ce mec, franchement. Je ne crois pas qu’on puisse voir un jour débarquer un nouveau Lem, car celui-là est le fruit d’une combinaison très spéciale : l’après-guerre en Angleterre, le rock’n’roll des pionniers, le british beat et les seventies londoniennes. Il est vraiment le fruit de ce mélange unique au monde. En plus, c’est un cat généreux et smart enveloppé dans une douille en acier.
Lem et Slim Jim ont monté un trio de rock’n’roll avec Danny B. Harvey, le fameux Headcat. Comme Slim Jim, Danny connaît Lem depuis 1980. À l’époque, Danny jouait dans Levi Dexter & the Ripchords, un combo de revival rockab. Lem venait les voir jouer au Dingwalls.
— J’ai appris à jouer «Motorhead Baby» de Johnny Guitar Watson pour le dédicacer à Lem, chaque fois qu’il venait nous voir. Lem est un vrai fan de rock’n’roll. On l’a vu aux premiers concerts des Stray Cats à Londres, à la même époque.
Danny est parfaitement incapable de maîtriser son admiration pour Lem :
— Il a une cervelle incroyable ! Il retient tout qu’il voit, tout ce qu’il entend et tout ce qu’il lit. Tout, tout, tout ! Il connaît des tonnes de paroles de chansons. Il connaît des tonnes d’accords et de lignes de basse, il sait exactement quand le tambourin va arriver, ce que va faire le batteur. Sa passion pour le rock’n’roll est restée celle d’un gosse, complètement pure et innocente. Quand la fille de Jerry Lee nous a présentés Lem et moi à son père en 2010, Lem lui a serré la pince et m’a gueulé dans l’oreille : «C’est le fucking killer !». Lem était en transe.
Danny adore se retrouver en studio avec Lem, ils jouent du vieux rock’n’roll et sifflent des tas de Jack & Cokes. Ils passent leur temps à jouer, à siffler des verres et à rigoler comme des bossus.
— Quand j’ai commencé à jouer dans un groupe, j’avais 13 ans et on reprenait des morceaux de Hawkwind. Je savais que Lem était leur bassman. C’est dingue de penser qu’on a fini par jouer ensemble. Eh oui, ça fait 16 ans qu’on fait Headcat avec Slim Jim et Lem. Ça fait un sacré bout de temps, pas vrai ? Mais le plus important, c’est que je suis extrêmement fier d’être devenu son pote. Il me paraît essentiel de rappeler que Lem est le plus honnête homme qu’il m’ait été donné de rencontrer. Il n’est jamais tombé dans les pièges du star-sytem. Chez lui, aucune trace d’égocentrisme, de goût pour les drames ni de complexe de supériorité. Lem est un mec qui a toujours su garder la tête sur les épaules. Figure-toi que le Lem de 2015, c’est exactement le même que celui de 1980, il est assis au bar, il fait un jeu vidéo, entouré de potes à lui, pas de garde corps, et quand un fan vient le saluer, tu verrais sa gueule ! Il est ravi !


Signé : Cazengler, Lemmiteux.


We are Motörhead. Vive le Rock #41. 2016/2017

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13 / 01 / 2017TROYES
LE 3B
BARNY AND THE RYTHM ALL STARS

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Cette fois-ci, ça devient sérieux. Les amis tentent de m'en dissuader. Funestes prédictions et avertissements funèbres ne cessent de pleuvoir. Pardon de neiger. A gros flocons. Jusqu'à des copains de copains qui m'adressent des messages alarmants. A les écouter la capitale de l'Aube sera dès ce vendredi soir ensevelie sous les névés. Je consulte les cartes météo avec le regard acéré de Surcouf matant désespérément l'horizon marin en vue d'un navire battant le pavillon anglois. D'après mes relevés, rien de grave à condition d'être de retour avant quatre heures du matin. Je consulte la teuf-teuf qui en rigole. Me révèle que sur les parkings ses congénères la surnomment le brise-glace de la Baltique. Alors pas d'hésitation, cap sur Troyes au plus vite.
Me voici au coeur de la forteresse locale du rockabilly. Pas mal de monde déjà. Mais comme disait Alphonse de Lamartine quand il manque l'orchestre les concerts de rock sont dépeuplés. Béatrice nous rassure. Sont sur l'autoroute du côté de Paris. N'y a plus qu'à patienter. Pas trop longtemps, car les voici et les Barny installent au plus vite leur barnum, ce qui permet d'assister au sound-check. Ne sont pas du genre approximatifs, point de tâtonnements à l'aveugle, en trois mini reprises vous sortent un son d'une limpidité absolue. La perfection existe donc en ce bas monde. Voudraient entamer le concert illico, mais Béatrice la patronne insiste pour qu'ils se restaurent d'abord. Pas de problème. Le bar et la sono qui diffuse de petites merveilles de la discographie rockab combleront sans difficulté notre attente. D'autant plus que les trois amuse-gueules de la balance laissent augurer un menu roboratif.

LA CLASSE ET LA CLAQUE


N'ont pas commencé depuis trente secondes que Barny s'est déjà jeté à genoux. Donne le ton, pas le temps de folâtrer en chemin. Dix minutes plus tard c'est une corde de sa rythmique qui a rendu l'âme, si vous croyez que cela ait ralenti la chevauchée, tant pis pour vous. Mais avant de parler de Barny attardons-nous sur les trois autres mousquetaires. Pas des perdreaux de l'année, étaient déjà avec Carl, et maintenant sont derrière le fils.

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Claude Placet, grande taille mais talent encore plus grand. La guitare, la fait sonner méchant. A peine intervient-il que vos oreilles prennent la dégelée, l'est le Portos de la portée, l'a le style conquérant de celui qui à raison ne doute jamais, à sa gauche plus réservé, Renaud Lens, la sombre retenue d'Athos, genre de gars

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qui ne cherche pas la noise mais évitez de passer trop près de lui, quand il se fâche il ne vous lâche plus, ce soir c'est la contrebasse qui prend, la pauvre, il la slappe à mort, un trois-ponts de quatre-vingt dix canons qui tire des bordées sans interruption, à chaque coup qu'il assène c'est comme si vous concassiez à la pelleteuse mille stravidarius d'un seul coup, on le verra peu ce soir, car la haute silhouette de Claude le cache, mais n'ayez crainte c'est Pedro Pena, le gars pas du tout à la peine, l'est aussi retors et perfide qu'Aramis, vous ne savez jamais où il va vous mener, à la baguette, le genre de gars qui allie l'éblouissance de l'efficacité et les circonvolutions de l'invention. Bref trois cadors. Dorés sur tranche. Mais ce n'est pas tout. Non, ce n'est pas encore Barny. Ce sont les trois mêmes. Vous les ai présentés séparément. Une vue de l'esprit. Une abstraction stupide. Possèdent cette terrible carte biseautée qui a elle toute seule vaut une collection d'as dans la manche. Tout simple. Tout bête. Comment les autres musicos n'y ont-ils pas encore pensé ? Ne suffit pas d'être les meilleurs. Faut jouer ensemble. Et les All Stars du rythme, ils ne s'en privent pas. Une mécanique de précision. Enchaînent les plans à une vitesse folle, ont dû recevoir une formation spéciale, un entraînement pour devenir le premier combo de rockabilly destiné à être catapulté dans l'espace. Imparables. Invincibles. Si j'étais Barny, je n'aurais jamais osé. Les aurais laissé bosser tout seuls. D'ailleurs c'est ce qu'il fait au début du deuxième set. Et nous avons droit à un instrumental à déraciner les chênes. Une de ces fricassées qui vous rompt les os à coups de hachoirs non réfrigérés. Désolé de le rappeler, je ne ne suis pas Barny. J'aimerais bien mais ceci est une problématique peu intéressante.

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Donc Barny dans la cage aux fauves. Tout jeune. Normalement devrait s'enfuir en courant. Mais non, ce n'est pas qu'il est aussi à l'aise que vous lorsque vous caressez un mignonitou petitou chatounou sur le canapé du salon, l'est comme un tigre altéré de sang dans la jungle sans merci. Faut le voir, il crache le vocal comme s'il voulait vous transpercer de ses dents, l'est partout à la fois, devant le micro, ou alors il danse entre ses trois congénères, le fou furieux descendu dans la fosse aux serpents, et sa guitare, certes il la déglingue à coups de griffes mais surtout il s'en sert comme d'un drapeau, l'est le porte-enseigne du rockabilly, le centurion qui tenait l'enseigne totémique de la légion en première ligne pour mieux exciter la convoitise des ennemis. L'a tout compris. D'instinct. Transmission paternelle et génie personnel. Les trois fous furieux ils jouent ensemble, non c'est une erreur de perceptive, style le bâton plongé dans l'eau qui vous semble brisé, sont quatre ensemble. Quel savoir-faire ! Ou plutôt de l'intuition. Le rockabilly de nos mousquetaires, c'est du sauvage. Pas le genre de mayonnaise avachie qui coule péniblement du tube, plutôt ces éruptions spermatiques de cachalots en rut. Quand c'est parti, vous n'avez plus le temps de réfléchir, z'avez intérêt à avoir branché le pilotage automatique, vous vous n'intervenez que pour appuyer sur l'accélérateur, et ensuite comme à la parade, attention les trois escogriffes vous préparent un alunissage sans douceur sur la face cachée de la lune, pas de problème, le capitaine Barny accentue la dérive de son équipage d'un haussement de guitare sur la gauche et vous avez l'impression que le monde s'écroule, pas le temps de larmoyer sur cette apocalypse, Captain' Barny vous induit le même haussement d'épaule, mais sur la droite cette fois, pour vous signifier le crash mooning sur la face brillante.

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Guitare oriflamme portée à bout de bras au coeur ardent de la mêlée. Ils ont leur titres à la Young and Wild – tout un programme – ou alors ils piquent dans le répertoire des outlaws du rockabilly de Johnny Horton à Charlie Feathers. Mais l'on s'en moque. Ne vous laissent pas le temps de batifoler dans les arguties. Ce n'est pas qu'ils se débarrassent des morceaux comme vous éparpillez les moineaux d'un revers de la main irrité, au contraire ne bâclent pas le travail. Quand ils en tiennent un ne le laissent pas repartir sans en avoir exploiter toutes les facettes, chacun vous le triture à sa manière, chacun s'en donne à coeur joie, n'ont pas besoin d'une demi-heure, huit secondes chacun, mais à tour de rôle, vous l'assomment à la doubble bass, vous l'électrocutent à la lead, vos l'estabousillent à la batterie, mettent du coeur à l'ouvrage, et pour finir Barny vous l'éviscère avec les dents. Ah ! les chacals, vous émiettent le vieux rockab des familles sans sourciller. Le Barny est plus que pressé. Tellement que parfois il plaque sa guitare et continue au micro, pour jeter sa hargne encore plus fort. S'avance dans le public et tout le monde hurle comme une meute de loup à qui on offrirait la lune sur un plateau.

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Ne vous font pas le paquet cadeau les Barny and The Rythm All Stars, vous refilent le poison directement en pleine main, vous bombardent au napalm et vous saupoudrent à l'agent orange. Du bop de fou. Frappez le sol du pied. A en faire surgir le spectre de la désolation. Barny et ses acolytes vous démantibulent le rockab, vous l'explosent et vous l'atomisent, pour qu'il retombe sur vous, un ravage diluvien, plus beau, plus dur, plus fort, plus électrique. Deux set, de toute beauté. Pas des plus longs. Mais une dose de cheval de course à chaque fois. A vous renverser. A vous moudre les os. Du métier mais pas de tricherie. Une aisance qui transcende tout. Barny se jette à terre dans le dernier stomp de l'enfer. Tombe lourdement, mais se relève sans baragouiner et mène la danse endiablée jusqu'au bout. D'abord le rockabilly. Ensuite sa petite personne. Le plus bel hommage qu'il pouvait rendre à Carl qui s'est runaway in the sky. Plus qu'un concert. Une démonstration sans concession de ce à quoi un concert doit ressembler.


Damie Chad.

P.S. : retour sans problème. Les radiations émises ont empêché la neige de tomber.

( Photos : noir et blanc : FB : Sergio Kazh
couleur : FB : Béatrice Berlot )

PUNK YOU

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Regarde ce que je t'ai trouvé ! J'adore les filles qui m'offrent des cadeaux. C'est un DVD sur le punk. Il m'a tout de même coûté un euro cinquante. Elle ne veut pas que la rembourse aussi en plus de lui dire merci ! J'inspecte l'objet, la silhouette d'une mosquée qui se profile au dos de la couverture, par Sheitan, du punk musulman ! Je connaissais ce bouquin paru chez Camion Blanc sur le rock à Téhéran, mais là j'avoue mon ignorance, apparemment cela se passe aux USA. Pour l'Iran-Rock j'avais visionné quelques vidéos, pas de quoi sauter au plafond. Résultat final moins que médiocre, mais abstenons-nous de critiquer, faire du rock sous la pression des Mollahs et dans le viseur de leur police politique, je ne sais pas si j'en aurais le courage. Bref, je ne demande qu'à voir. Car il s'agit d'un film. Et en plus on ne se moque pas du client, rempli de bonus, arrêtons de bavasser, ouvrons notre computer.

PUNK YOU

THE TAQWACORES

Réalisé par EYAD ZAHRA

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Ne peut rien vous dire sur Eyad Zahra d'origine syrienne ce film sorti en 2007 est apparemment son plus célèbre fait d'arme. Pas le genre d'artefact filmique destiné à révolutionner l'art cinématographique... Zahra l'avoue dans une interview, n'était pas un grand fan du punk lorsqu'il s'est décidé à le réaliser, par contre l'on comprend que sa relation personnelle à l'islam a dû le motiver fortement. Le sujet est assez simple, un étudiant bon élève, d'origine arabo-musulmane, s'en vient louer une chambre en ville – nous sommes à Buffalo dans l'Etat de New York – afin de fuir l'ambiance un peu trop libre du campus universitaire. Mauvais choix, se retrouve en pleine communauté punk !
Rien à voir avec les ambiances débridées des squats parisiens des années quatre-vingt. Nous sommes au milieu de déchirés. On boit, on fume, on shite, on jure, mais grattez le perfecto clouté et la réalité est beaucoup plus contrastée. Nous ne sommes pas en présence de révoltés mais d'écartés. Certes ce sont eux qui ont fait le grand écart, qui se sont séparés de la Communauté des Croyants, mais ils souffrent de ce rejet. Essayent d'assumer les contradictions. Mener une vie dissolue tout en respectant les commandements du Coran. Pas évident. L'une ne quitte jamais sa burqa tout en professant un féminisme outrancier, l'autre arbore une magnifique crête. Ne sont pas tous à l'unisson. L'un ne supporte pas les impuretés de ses camarades et les autres s'adonnent à de théoriques dérives interprétatives du message du prophète... L'on comprend leur problématique, sont rongés par la mauvaise conscience, aspirent à vivre comme les jeunes américains de leur âge mais se heurtent à tous les interdits de leur religion qui leur ont été inculqués durant leur enfance et leur prime adolescence. Ne tournent pas leurs désirs vers une seule Mecque, à un niveau intime sont polarisés par l'Orient du sexe qu'ils ont du mal à pratiquer, et culturellement par l'Eldorado mythique de la Californie où sévissent des groupes punks musulmans. L'herbe est toujours plus verte ailleurs. Puisqu'ils ne peuvent aller à la montagne, ils décident de la faire venir, en organisant un festival punk dans leur maison...

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Quatre groupes punk californiens débarquent au domicile. Sont à leur image. Mais avec des options davantage cristallisées. Trois d'entre eux sont idéologiquement des plus virulents, mais le quatrième habillé tout de blanc professe un islam rigoriste. Préfèreront passer la nuit à se geler dans le bus que dans cette maison remplie de filles... La soirée suivante sera démentielle, groupes à fond, musiques sauvages, paroles au bord du sacrilège, public exalté, dansant et sautant partout, miss Burqa qui s'offre une fellation aux yeux de tous, en tout bien tout honneur puisqu'elle ne quitte pas sa noire tenue, excitation et frénésie à leur comble, trop de contradictions, bagarre générale, un mort. Notre étudiant sage qui s'est quelque peu dévergondé fait ses cartons pour rentrer dans sa très croyante famille. Clap de fin.
Résultat des opérations, ce n'est pas gagné d'avance. Le film laisse une impression bizarre. O. K. pour l'aspect punky-festif, mais ce qui ressort avant tout de toutes ces images c'est la prégnance de l'Islam sur les actes, les idées et le comportement de cette jeunesse. Ne parviennent pas à couper le cordon. Restent prisonnier de leur éducation, tout cela ressemble à une révolte d'adolescent, un mauvais passage, mais les bons fils qui ne prient plus que du bout des ablutions, et les petites filles coquines qui auront préservé leur hymen, tout ce petit monde a toutes les chances de réintégrer la normalité musulmane...

THE TAQWACORES
MICHAEL MUHAMMAD KNIGHT

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Après le film, le documentaire qui relate la naissance historiale de ce mouvement punk musulman aux Etats-Unis. Etrangement la musique n'est pas au départ de cette aventure. Tout débute par le livre Taqwacore – disponible en français aux éditions Babel – écrit par Michael Muhammad Knight. Le film de Eyad Zarah n'est que l'adaptation de son roman. Le document tourne autour de sa personne. Il est jeune, il est beau, il est ouvert, il est sympathique, il est intelligent, il est intellectuellement honnête, il ne cache rien. Il possède toutes les qualités. Mais je le trouve terriblement inquiétant.
Le film raconte l'histoire du livre. Nous avons droit dans les surplus à une lecture publique du roman, il est facile de s'apercevoir que certains dialogues sont des extraits pratiquement repris tel quels du bouquin. Fut reçu et lu par une fraction de la jeunesse arabo-musulmane américaine qui entrant en relation épistolaire avec l'auteur fut très surprise d'apprendre qu'il s'agissait d'une fiction. La déception fut de courte durée. Puisque cela n'existait pas, il suffisait de le créer, et des groupes de punk Taqwacore se formèrent illico. Michael Knight n'hésita pas à les rejoindre pour une mémorable tournée en bus au travers des Etats-Unis à la rencontre d'un public qui fut au rendez-vous.

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Musicalement l'islam-punk prôné par des groupes comme Dead Buthos ou Vote Hezbollah, se révéla être un mélange explosif de style Rude Boy, Oï, Skin, Riot Grrrls, avec tout de même peut-être, inidentifiable à l'oreille mais agissant comme le plus savoureux des répulsifs, une écorce de Straight Edge. Le rythme est rapide mais le son n'est pas amplifié à outrance et ce sont surtout les paroles qui sont explosives, revendiquent le droit de boire, de fumer, de baiser, la liberté d'expression et n'hésitent pas à dresser des portraits peu orthodoxes du prophète car tout le monde le sait, Mahomet était un punk dégénéré. Sex Pistols revisités en Anarchie dans le Califat. Cela nous fait rire, mais il faut le replacer dans le rigorisme intransigeant des Communautés musulmanes pour en goûter le sel et l'audace. Ce qui est sûr à voir les images des concerts c'est que la jeunesse musulmane – garçons et filles mêlés - apprécie.
Michael Muhammad Knight se raconte. Fils d'un suprématiste blanc et d'une mère pakistanaise qui s'enfuit de son mari ultra-violent avec son marmot de deux ans. Adolescent mal dans sa peau, Michael se convertit à l'Islam, et à dix-sept ans il fera un séjour de deux années au Pakistan pour approfondir sa foi. Mais le résultat obtenu ne fut pas celui escompté. Les rigueurs de l'Islam le dégoûtèrent. L'écriture de Taqwacore procède de cette déception. Mouvement de révolte et recherche d'un islam hardcore. Taqwa signifie extase, un peu ce que l'ésotérisme appelle la voie de la main gauche. La recherche de dieu au travers de l'ivresse dionysiaque. Dieu n'est-il pas le désir et le plaisir suprêmes ? Il n'est pas interdit de ressentir des relents de soufisme dans cette théologie no border. L'islam est traversé d'une foule de positions interprétatives divergentes. Une manière très ambigüe aussi de poser le problème autrement : plus islam que moi tu meurs.

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La première mamelle du Taqwacore c'est la provocation. Je refuse le discours des imans, je suis mon propre iman, je fais ce que je veux. Personne ne me dit ce que je dois faire. Allez vous faire foutre. Michael Knight et ses sbires n'hésitent pas à se présenter en concert dans un immense congrès musulman des plus orthodoxes. Parole provocantes, chanteuse lesbienne qui harangue le public composé de jeunes filles sous voile et foulard qui reprennent les paroles en choeur. Se feront expulser... Ne sont pas les premiers musulmans américains qui ont élevé la voix, les voici donc à Detroit et à Harlem sur les traces de Malcom X et d'Elijah Mohammad et peut-être encore plus de Wallace Fard Muhammad le créateur de la Nation Of Islam que certains prenaient pour une incarnation du prophète si ce n'est pour Allah en personne... L'islam punk américain retrouve ainsi une inscription historiale des plus traditionnelles qui recoupe la lutte de libération des minorités opprimées...

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Le deuxième pis de la vache, c'est l'islam. Avec ses compagnons de route musicale, les Kominas, Michael Knight retournent au Pakistan. S'aperçoivent vite que leurs concerts ne drainent que la minorité de la jeunesse issue des hautes familles friquées. Parviendront tout de même à donner une prestation publique qui attirera une assistance beaucoup plus populaire. Mais l'important se passe sur un autre plan. Le Pakistan est un pays de cocagne. Shit et beuh à consommer sans modération. L'excès entraîne la saturation. Le corps a ses limites, l'esprit aspire à un autre état. Michael Knight revient sur ses pas. Rend visite à la mosquée de ses dix-sept ans. L'on sent que s'opère dans sa tête un retour à un désir de spiritualité. L'islam ne laisse pas s'échapper ses fidèles comme cela... Le DVD n'en dit pas plus. Mais les livres qu'il a publiés depuis cette date le confirment.

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S'est senti proche du mouvement des Five Percenters issus d'une scission de la Nation of Islam, apparus en 1964, une espèce de secte de revendication de la supériorité de l'Homme Noir qui dispense un enseignement basé sur un alphabet mathématique suprême qui a beaucoup influencé l'écriture des chanteurs hip hop. Ajoutez un voyage à la Mecque, l'utilisation de drogues, tout cela dans le but de concilier la tradition de l'Islam avec une vision beaucoup plus libératoire... Une mission impossible. L'anarchisme islamique nous semble une notion aussi antithétique que l'anarchisme chrétien. Certes vous pouvez le concevoir comme un escalier qui permet d'accéder à la liberté humaine. Mais n'en reste pas moins que l'escalator qui permet de s'éloigner de Dieu... aide toiut aussi mécaniquement aussi à y remonter. La sortie de secours qui vous autorise à courir vous abriter au moindre pépin. La religion est ce qui vous relie à Dieu. Sympa, vous vous sentez privilégié par cette union directe avec ce qui fait de mieux dans le monde. Dans le même temps, la religion est ce qui vous lie, vous attache, vous ligote comme un rôti qui ne va pas tarder à être mis au four en vue d'une assujettissante ingurgitation. Un punk qui se respecte commence par clouer le christ sur sa croix et par égorger le prophète. Au passage il en profite pour faire du boudin avec le bouddha et passer l'élohim au hachoir. I'm the god's serialkiller. Un chien sans son maître reste un chien. Mais un maître sans son chien n'est plus un chien. Choisissez lequel des deux vous voulez noyer. Ne venez pas vous plaindre après s'il vous mord ou s'il vous siffle, assumez ! Epargnez-nous aussi l'hypocrisie larmoyante de vos regrets.

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Mais à la réflexion le punk musulman n'est-il pas une attitude sacrément, terriblement et pleinement punk ? Punk à cent pour cent. A la manière de la croix gammée sur le blouson de Sid Vicious ou de cette étoile de David qu'arbore ce punk musulman dans le film. Ou alors une contre-façon monothéique de l'athéisme ? Je vous laisse seuls juges. Prenez vos responsabilité. Vous êtes grands. Débrouillez-vous. Rompez vos chaînes ou passez-les autour de votre cou. Cela vous regarde. Agissez à votre guise. N'attendez de moi, aucun conseil. Think it by yourself. C'est ainsi que débutent les plus grandes sagesses,  les plus extravagantes folies, et les pire bêtises...


Damie Chad.

*


J'adore les petits marché de province. Parmi les stands de fruits et légumes se cache fréquemment un bouquiniste ou un marchand de disques. Sur Lambesc, je bisque, des étals de vêtements à gogo – les filles en sont gaga – des marchands de chaussures qui marchent à côté de leurs pompes, des gâteaux et des jouets pour les gosses, et rien pour moi qui ai conservé mon âme d'enfant ! L'injustice gouverne le monde. Pas entièrement, un revendeur de DVD d'occase. L'air jovial et sympa. Non les classiques du cinéma, ce n'est pas mon genre, moi c'est plutôt le rock'n'roll, fait la grimace, me présente Genesis, non il n'est pas bien riche, farfouille un peu dans son stock, l'on en profite pour discuter un max, l'est de la vieille école, a vu pas mal de concerts dans les années soixante, mais le voici pris d'une illumination subite, ah! Oui j'ai un truc que vous ne trouverez nulle part, un film de Reichenback, sur Johnny. Saperlipopette, ne ment pas, voilà des années que je n'aie aperçu le susdit boîtier.

 

FRANCOIS REICHENBACH

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L'est passé à l'as de pique, le pauvre François. Façon de parler car il était l'illustre rejeton d'un famille plus que nantie. L'a quitté notre planète depuis bientôt un quart de siècle. Mais l'est aussi passé à l'as tout court. Lui qui fut une sommité en son temps a disparu des mémoires. N'accusons point nos contemporains, c'est en grande partie de sa faute. L'a partagé le lot des précurseurs. S'est intéressé sérieusement à des sujets qui sont devenus maintenant des tartes à la crème, du style les prisons aux Etats-Unis ou les rues de New York. A l'époque tout nouveau, tout beau. Ce genre de parti-pris conférait du respect. La caméra au poing en prise directe sur la réalité de la modernité. Il ne dénonçait pas, il lui suffisait de montrer. Mais s'est fourvoyé en des attitudes étranges. Ce fou de peinture et de musique classique, Rubinstein, Yehudi Menuhin était un esprit ouvert. S'intéressait aussi à la chanson populaire, Edith Piaf ce qui est pardonnable, Jean Cocteau lui-même donnait l'exemple, descendit d'un cran en s'attardant sur les jazzmen et déçut son monde en avouant des passions coupables pour les yé-yé et les chanteurs de rock'n'roll. Et pas qu'un peu. Pas pour honorer une commande lucrative. Caméra au poing, gâchait consciencieusement des kilomètres de pellicule. Le gars archivait méthodiquement. A l'époque il a vu et filmé pratiquement tout le monde, les anglais, les amerloques et les petits franzosen. A mon humble connaissance tout cela a disparu. Doit croupir et moisir dans des cartons. Ne reste que les sorties officielles, Sylvie Vartan, Vince Taylor et ce Johnny Hallyday sorti en 1971.

J'AI TOUT DONNE
JOHNNY HALLYDAY

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Johnny au meilleur de sa carrière. Le deuxième envol. En gros au milieu de sa décennie majeure 65-75. On ne devrait pas le dire mais en regardant l'on prend un sacré coup de poing de vieux dans la gueule. Tout le monde. Sauf Johnny. L'est tout beau. A l'acmé de la vie. Aborde la trentaine. Cheveux longs, blondeur, minceur du corps l'a tout pour plaire et séduire. Au passage l'on reconnaît des têtes connues, Rolling, Tommy Brown, Micky Jones, des pointures du rock français. Beaucoup de scène. Ce que la bête a toujours su faire de mieux. Une quarantaine de titres qui défilent, ce qui est un peu râlant, car nous n'avons droit qu'à des extraits, le montage habile n'esquive pas la sensation du pot-pourri. Vous laisse sur votre faim à chaque fois.
Séquence voyage aux Etats-Unis. Johnny parle. Des propos peu renversants. L'Amérique c'est sa vie. Les cow-boys, les bottes, les jeans, les indiens, les voitures, la moto. Ne nous livre que des évidences. En plus, il n'est guère bavard, notre Jojo. Plutôt du genre solitaire à ruminer ses rêves, en solitaire. Séquence émotion : téléphone avec Sylvie à David resté en France. Plutôt maladroit. J'espère que tu es sage. Original ! Pas très rock'n'roll !

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Promenons-nous dans les back stages, beaucoup plus intéressant, l'adrénaline qui monte avant de rentrer en scène. Les changements de costumes entre deux morceaux, chaque geste autour de lui manifestement au point au centimètre près, la logistique est d'une précision effrayante, une mécanique parfaitement huilée. Fin de concert, Johnny couché par terre sans force, à bout, exténué, les traits crispés, livide, et puis le sourire qui réapparaît peu à peu, l'énergie qui renaît, le sourire amusé qui point sur sa face, l'animal a repris du poil de la bête. Séquence filles à l'hôtel. La caméra reste pudique et n'insiste pas. Quelques demoiselles qui montent et dévalent des escaliers sans bruit. Voilà, c'était Johnny. Plus rien à voir. Le titre n'est pas mensonger, Johnny a tout donné. Pas de tricherie. Mais le rocker c'est comme les jolies filles, ne peut vous offrir que ce qu'il a.

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Au risque de décevoir les amateurs de Johnny je me dois de remettre les pendules à l'heure. La beauté du film ne tient pas à Johnny. En 1971, ce genre d'opus était rare. Aujourd'hui vous avez des centaines de DVD d'à peu près tous les chanteurs des soixante dernières années en circulation sur le net. Des officiels, des pirates, des rushes de particuliers. A l'époque les yeux étaient focalisés sur Johnny. Mais Reichenbach était trop intelligent pour ne pas regarder le phénomène avec un peu de distanciation. Johnny l'a toujours compris. Depuis un demi-siècle il le répète à chaque interview et à chaque concert. Lui n'existe que par son public. Reichenbach ne s'y trompe pas, les plus belles séquences sont celles où il tourne la caméra vers la foule des fans. Des milliers de jeunes, au bord du delirium tremens et en même temps très respectueux. La limousine ou le camion qui se fraie un chemin entre une haie d'honneur difficilement contenue par des policiers bon enfant, ça passe au centimètre près, mais ça ne casse pas. Il serait facile de submerger le véhicule, roule au pas, mais arrive sans encombre au pied de la scène ou parvient sans problème à franchir le le portail salvateur.
Le concert en lui-même. Le jeu du chat et la souris. Les filles qui montent sur scène pour embrasser l'idole. Les plus chanceuses s'enroulent autour de Johnny, se transforment en boas constricteurs, sont comme des sangsues, des ventouses, des pieuvres vampiriques, ne veulent plus le quitter. Faut trois costauds pour les détacher. Imperturbable Johnny ne lâche pas son micro et continue de chanter sans désemparer. Des garçons aussi, davantage de retenue virile, une petite tape sur l'épaule du chanteur leur suffit. Pour avoir assisté moi-même en 1972 à une semblable prestation je peux confirmer que le film n'en rajoute pas. J'ai vu de mes yeux dix fois pire, et n'ai jamais  depuis assisté à une telle folie dans aucun des concerts auxquels j'ai participé depuis.

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Ce sont-là les fans les plus exaltés. Certes, mais dans le reste de la salle, c'est encore plus troublant. Ça hurle, ça crie, ça gesticule, ça interpelle, ça tangue, mais ce n'est pas cela qui attire le regard. Ce sont les visages. Illuminés, transfigurés, on peut parler de ravissement au sens extatique et mystique de ce mot. Une expression de bonheur ineffable. Ne sont pas possédés. Sont dépossédés, donnent l'impression d'être sortis d'eux-mêmes, arrachés de la bulle chloroformique et de l'égotiste prison du Moi, sont en train de vivre une espèce d'émigration grégaire, un voyage collectif en astral. Ne vont pas loin, restent tout près d'eux-mêmes mais ils ont fait le pas décisif de la sortie hors de leur espace mental. N'en sont même pas conscients, la transe les a boostés de leurs corps comme le tire-bouchon qui arrache le bouchon du goulot de la bouteille.

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Et le dieu-Johnny dans tout ça ? En parle très bien. Non il ne voit rien, il a vu trop de visages en dix ans de carrière pour qu'il puisse se souvenir de l'un d'eux en particulier. Sont comme des monades de Leibnitz interchangeables mais humaines. S'agitent en tout sens, des particules chauffées lancées dans une sarabande endiablée... Lui c'est le contraire. S'il ne voit rien, c'est qu'il possède ses gestes d'auto-défense et de survie. S'enferme en lui-même. Descend au plus profond d'une solitude glaciale. Il est le moteur immobile qui déchaîne la ronde folle des atomes. En ressort brisé. Signe les autographes à la chaîne, sans regarder. Ce n'est pas du mépris. Simplement la lassitude de celui qui revient de loin et qui a tout donné. Pour les autres, pour les fans, et peut-être encore plus pour lui. Atteint le plus profond de lui-même. Le point ultime où le phénix termine le processus d'auto-destruction qui le retranche définitivement du monde, le moment où la braise devient cendre, tout est consommé mais en ce même instant point l'originel envol de cette fabuleuse résurrection, ce principe d'incandescence maximale que parfois l'on nomme rock'n'roll.


Damie Chad.

DANS LA PEAU D'ELVIS
ISABELLE BONNET et RENAUD SAINT-CRICQ

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Joli petit-format carré édité par le Parisien / Aujourd'hui. Mais ça date d'hier. Et de toujours. Le King est immortel. Mais il est mort. Il y a trente ans. Le bouquin est paru en 2007. Ce n'est pas grave. L'a ressuscité, l'est partout. Des morts-vivants, d'une nouvelle race. On les appelle les sosies. Ont leur jour de fête à Memphis. Nous en avons plein en France. Surtout dans le Nord. Au pays des  ch'tis. Le rock est une musique populaire. De prolétaires. Et rien n'est pire que l'humour auto-satisfait du petit-bourgeois confit en sa vaniteuse médiocrité. L'est facile d'en rigoler. Eux les clones ils assument. En toute simplicité. Pas évident d'écrire dessus. D'ailleurs nos deux deux auteurs n'en pondent pas un roman. Esquissent de rapides portraits, des crayonnés aurait dit Stéphane Mallarmé. Ont privilégié la photo, qui déborde sur la deuxième page. Dix-huit Elvis sur sur leurs dix-huit canapés. Faut trouver le ton juste. Eviter la méchanceté, le précis de sociologie aussi. L'histoire est toujours la même. Elvis leur est tombé dessus. Souvent quand ils étaient tout petits. Ne s'en sont jamais relevés. N'ont pas vraiment choisi. L'occasion, celle qui fait le larron. Les circonstances qui vous poussent aux fesses. Lorsque la vie quotidienne ne vaut rien, Elvis se révèle être l'ultime refuge. La porte de sortie. La bouée de sauvetage. Quelques prestations par ci par là, ça vous met du beurre dans les épinards, parfois ça paie le loyer, Chris Agullo en vit.

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Sont des incarnations subsidiaires. Tout le temps dans leur tête et parfois sur scène. Certains ne vont guère plus loin que leur entourage immédiat. D'autres jamment régulièrement. Quelques uns procèdent par tournées. Ne faut pas rêver. Prennent leur pied sur scène, mais ne sont pas dupes du public. Quelquefois il se passe vraiment quelque chose. La nostalgie étreint le coeur des spectateurs. Mais ils ne doutent pas que l'assistance dans sa majorité s'en foute. Eux aussi. Vivent leur passion. Imaginez un christ masochiste qui trimballerait sa croix avec lui tous les week end parce qu'au fond le fait qu'on le cloue sur le bois lui procure un plaisir à nul autre pareil. Eux aussi ils traînent leur matériel. Perruque, maquillage, costumes. Ceux qui se prévalent d'une penderie pleine, qui se vantent de pouvoir couvrir toutes les époques du King, ceux qui les cousent eux-mêmes, ceux qui n'hésitent pas à lâcher trois mille euros pour une défroque commandée aux Etats-Unis, et ceux qui se contentent du rudimentaire déguisement fourni au vulgus pecum pour les festivités carnavalesques. L'habit ne fait pas le moine. Pour la voix, ils ne s'en vantent guère, deux ou trois insistent sur leur baryton, mais la plupart y vont à l'arrache, à l'énergie. Pour la musique, c'est internet qui fournit les play-back.
Sont des décalés. En ont pleinement conscience. Le mot rock revient plus d'une fois. Prononcé avec gourmandise. L'excuse suprême. Un peu collectionneurs, un peu fétichistes. Certains connaissent des milliers de détails de la vie du King, mais dans l'ensemble ce ne sont pas ce que l'on appelle des connaisseurs. Phantasment beaucoup. La réussite du King et leur propre vie. Mais pas en tant que deux réalités séparées. Opèrent le grand mix. Les proportions varient mais ils sont et eux-mêmes et un peu beaucoup Elvis à la folie. Mais leur Elvis à eux. Ce serait facile de jouer aux pim-pam-poum avec leur trombine. L'on sent une fragilité. Une fêlure. Isabelle Bonnet et Renaud Saint-Cricq la dévoilent. Sans ostentation. Ils ont le sourire et l'écriture pudiques. Journalistes de métier. Ne sont pas là pour déformer, salir ou louanger. Savent informer sans être infâmes. Trouvent le ton juste. La plume qui gratte mais qui n'envenime pas. Derrière ces Elvis, il y a des êtres humains, tout comme eux. Avec leurs grandeurs et leurs valeurs dérisoires si semblables à eux deux, et à nous tous. Se mettre dans la peau d'Elvis équivaut aussi à se déshabiller en public. Je est-il un autre comme l'affirmait Rimbaud ? Ce sont toujours les autres qui nous perdent. Nous ressemblons trop à nos rêves pour nous moquer de ceux des autres. De toutes les manières ils ne sont pas Elvis, ils sont Christian Gill, Eryl Prayer, Freddy Ley, Davy, Franck Danyel, Rick Cavan, Chris Agullo, Jessy Morgan, Marc Davisley, Teddy Boy, Chris Burlow, Phillipe Dubois, Jean-Marie Thomas, Richard Plonski, Jess Wade, Bill Looking, Wally, Tino Valentino. Respectez-les, ils ont le courage d'être ce que vous ne serez jamais. Même Julien Doré qui a écrit la préface a compris.


Damie Chad.

 

11/01/2017

KR'TNT ! ¤ 311 : OTIS SHOW / HOT CHICKENS / GILLES DALBIS / TONY SHERIDAN + BEATLES / WOODSTOCK / POPPY Z BRITE

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 311

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

12 / 01 / 2016

OTIS SHOW ( MUDIBU + OTIS REDDING )

HOT CHICKENS / GILLES DALBIS /

TONY SHERIDAN + BEATLES / WOODSTOCK

POPPY Z BRITTE

L'Otis show est bien loti

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On se doutait bien que ces Anglais allaient faire un carton. Jeunes, sapés sur leur trente-et-un, orgue Hammond, section de cuivres, jazzbass et petite cerise sur le gâteau, un jeune chanteur black investi d’une sacrée mission : rallumer la flamme d’Otis. Quelle équipe et quel bon choix !

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Bon choix de la part de l’organisateur qui les a repérés dans un club londonien, et bon choix de leur part, puisque le répertoire d’Otis compte quand même parmi les plus prestigieux de l’histoire de la Soul américaine. Le jeune chanteur black s’appelle Mudibu et il vient du Burundi. Il fait le show, pas de problème.

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Ce mec est visité par la grâce : sa façon de danser, sa façon de poser sa voix, sa prestance naturelle, tout est absolument parfait. On a en plus de vraies chansons, des tubes complètement imparables, depuis «Mr Pitiful» jusqu’à «Fa Fa Fa» en passant par «Satisfaction», une reprise fantastique d’«A Change Is Gonna Come» et le grandiose final, l’immense «Try A Little Tenderness», l’un des hits les plus parfaits du XXe siècle. Ce sont eux qui bouclent les festivités du samedi au Vintage Weekender et Mudibu n’en finit plus d’exhorter le public a danser avec lui.

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On voit rarement des sets d’une telle intensité. On pense bien sûr au set exceptionnel que donne encore Vigon au Méridien. Ou encore à Lee Fields, cette espèce de bombe atomique à deux pattes.

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Voilà donc l’occasion rêvée de revisiter l’œuvre d’Otis. Le seul reproche qu’on pouvait lui adresser était sans doute d’être trop parfait, et trop collant dans ses slows frotteurs. Mais il reste néanmoins un géant de la Soul, au même titre que Wilson Pickett, Solomon Burke et Clarence Carter. De son vivant, le pauvre Otis n’a eu le temps de sortir que six albums, tous enregistrés chez Stax avec les surdoués habituels, Steve Cropper, Donald Duck Dunn, Al Jackson, Booker T. Jones et le trompettiste Wayne Jackson qui vient de mourir, Isaac Hayes, Charles Packy Axton, le fils d’Estelle Axton, co-fondatrice de Stax avec Jim Stewart, en gros, les musiciens qui ont le plus contribué à rendre la Soul légendaire.

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Pain In My Heart est le premier album d’Otis paru en 1964. Deux hits s’y nichent : «I Need Your Lovin’» et «Security». Need Your Lovin’ sonne comme un boogie de soul, Otis le chauffe à coups de wow wow wow. Comme il est le seul sur terre à savoir chauffer ainsi un gros popotin, il se rend indispensable. C’est comme si on assistait à une procession de gros culs blacks sous la lune, mais quelle rigolade. Avec «Security», Otis fait danser la planète entière. Il gère sa soul avec une classe infernale, avec un délié qui en impose férocement. On aurait tendance à confondre «Security» avec le «Stupidity» de Solomon Burke. Otis le soul master ne lâche rien, il relance à coups de one more time. Il tape dans d’autres classiques, comme par exemple «Lucille» de Little Richard. Ne touche pas à ça, malheureux ! Il transforme «Louie Louie» en soul garage et le mambotte à la botte. Et puis, il met en route ce qui va devenir son fonds de commerce : le balladif chanté à l’éplorée. «These Arms Of Mine» est cousu de fil blanc comme neige et «Something Worrying Me» semble tiré à quatre épingles : Otis le chante à la continence de la suffisance.

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On trouve un gros standard de r’n’b sur The Great Otis Redding Sings Soul Ballads paru l’année suivante : «Here In Your Heart». On se demande ce qu’il fout là, car l’album est essentiellement rempli de balladifs. Otis en profite pour gotta-gotter comme une bête. Mais pas mal de balladifs restent d’une pénibilité sans nom, comme par exemple «Chained And Bound» ou encore «For Your Precious Love» qui ouvre le bal de la B. On dirait qu’il passe son temps à pleurnicher. On a envie de lui dire : fuck, Otis, redresse-toi au lieu de te morfondre dans tes cuts à la con qui ne sont pas dignes d’un Soulman qui se respecte. Mais il insiste et «Come To Me» rampe comme une limace atroce. Heureusement, «Mr Pitiful» sauve l’honneur de cet album. La légende dit qu’on surnommait Otis Mr Pitiful à cause de son côté pleurnichard et Steve Cropper eut l’idée d’en faire une chanson. Duck Dunn y joue une bassline historique. Quel fabuleux backslider !

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Paru la même année, Otis Blue est ans doute son album le plus connu. En tous les cas, on y retrouve trois de ses hits fondamentaux, à commencer par le fameux «Respect» que va reprendre Aretha. «Respect» est encore une pierre blanche dans la gueule de Dieu. Quelle merveille pulsatrice ! Ça hey-hey-heyte et ça grouille d’évolutions intestines. En B, il claque le beignet de «Shake». Otis adore ça, il jerke dans le foutraque de Stax. C’est d’une vitalité exceptionnelle. Et puis on trouve plus loin sa brillante version de «Satisfaction» dont Mudibu va se régaler sur la scène du Vintage. Otis l’explose et derrière, les mecs de Stax la chauffent à blanc. On trouve très peu de choses au-dessus d’un truc pareil. C’est tendu et cuivré à l’extrême. Et quand Otis s’énerve, c’est dingue ce qu’il est bon. Attention, ce disque réserve d’autres surprises extraordinaires, comme cette version de «Rock Me Baby» jouée au meilleur blues-rock de Memphis. Otis la chauffe à la criarde du marché de Naples, keep on rocking babe ! Encore un fantastique hommage à Sam Cooke avec une version de «Change Is Gonna Come». Otis la travaille au corps, c’est un teigneux. On sent sa vigueur prisonnière du petit costume serré en tergal. Ce n’est pas fini, car il tape aussi une version de rêve du «My Girl» de Smokey. Otis la travaille à la criarde plaintive et suintante, c’est spécial, âcre et hot, hip et apte. Il s’agit là sans nul doute de son meilleur album.

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Encore un très bel album avec The Soul Album paru l’année suivante. Le pauvre Otis ne figure toujours pas sur la pochette. On y met des femmes à sa place. Si on aime le r’n’b gros popotin, alors on est gâté avec «It’s Growing». Ça se danse à sec, sur le beat. Otis épouse bien le serpent de la légende et son ami Steve gratte ça aux accords bien clairs. Quand on écoute «Nobody Knows You», on comprend à quoi sert Otis : à rapprocher les couples désireux d’être rapprochés. Otis incarne mieux que personne la fabuleuse frotterie des sixties, un temps où les ventres se frottaient dans la pénombre des caves surchauffées, pour le bonheur de tous. Otis a vraiment servi à ça, à rendre les ventres heureux. Les esprits, c’est autre chose. Mais il faut bien commencer par le commencement, n’est-il pas vrai ? Et ça continue en B avec «Good To Me». Comme Otis ne porte que des pantalons serrés, il est vite en émoi. Il sait que chez Stax, le beat gonfle dans l’air chaud. Mais ça ne l’empêche nullement d’en rajouter. Bel hommage à Slim Harpo avec une sulfureuse version de «Scratch My Back». C’est d’une sensualité extraordinaire. Du pur sexe - You know what to do ! - Il enchaîne avec un fantastique «Treat Me Right», joué au vieux boogie stomp de juke. C’est un hit, et pas des plus connus, hélas. Otis le ponctue comme un dieu. Il est dessus, il faut voir avec quelle hargne. Otis est un amour. On l’adore.

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Il apparaît enfin sur la pochette de The Otis Redding Dictionary Of Soul paru la même année, mais déguisé en prof. Il a l’air d’un clown. Mais l’album n’est pas clownesque, loin de là. «Try A Little Tenderness» se trouve sur cet album, ce qui à l’époque justifiait largement l’emplette. Ce cut légendaire est une sorte d’apothéose de la Soul des sixties. C’est l’universalisme absolu. C’est là que s’exprime le génie d’Otis et ça part à la baguette d’Al Jackson, en bord de caisse. Otis semble joyeux, il mouille bien les syllabes de sa quête, on sent l’homme déterminé et les MGs se mettent en route, alors ça grimpe très vite en température, squeeze her, et Otis devient violent, un sale punk, you gotta too et ça explose, gotta gotta nah anh nah ! Après ça il ne reste plus qu’une seule chose à faire : aller se coucher. Oh, on peut quand même écouter sa belle version de «Day Tripper». Il en fait quelque chose d’infernal, il found out, c’est un monstre, un véritable démon des enfers de la Soul. Quelle leçon ! C’est «Fa Fa Fa Fa (Sad Song)» qui ouvre le bal de cet album et le cut sonne bien sûr comme un classique. Otis règne sans partage sur l’empire du popotin. Avec «I’m Sick Y’all», il passe au heavy groove et monte comme la marée. Il devient inexorable. Otis est vraiment un phénomène à part, une sorte de force tranquille, comme Wendy Rene. En B, il tape un fabuleux heavy blues, «Hawg For You». C’est une façon d’échapper aux deux diktats, celui du slow baveux et celui du beat gros popotin. Otis se révèle un bluesman extraordinaire. C’est là qu’il monte dans l’estime de ses fans, en surgissant là où on l’attend pas. Belle fin de non recevoir avec «Love Have Mercy», un autre hit de r’n’b. Otis remplit le dancefloor quand il veut. C’est un conquérant, un ami fidèle, un homme chaleureux, le meilleur des hommes.

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En 1967, il enregistre King & Queen avec Carla Thomas. Alors attention, car une fois de plus, c’est un album indispensable. Il s’agit là d’un des albums les plus sensuels de l’histoire de la Soul. Ils attaquent avec une version torride de «Knock On Wood». Duck Dunn joue en bas de son manche pendant qu’Otis ta-ta-tate et que Carla fait sa chaudasse de voix fêlée. C’est absolument terrifiant de sensualité. Ils retapent dans le mille avec une version magique de «Tramp». Otis et Carla dansent le jerk et se frottent contre le pied de micro. Ils tapent ensuite dans l’intapable, c’est-à-dire «Tell It Like It Is» d’Aaron Neville, le slow super-frotteur par excellence. Otis en bave car il est serré dans son pantalon. Et Carla n’arrange rien, car elle sort sa meilleure voix de nympho. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Avec «Lovey Dovey», ils se tapent un bon blast de r’n’b. C’est inespéré, les voilà tous les deux lancés dans le meilleur beat popotin du monde. Encore un hit de juke en B avec «It Take Two». Carla l’attaque sans détour. Elle adore jerker dans sa mini-jupe, elle connaît les mecs de Stax, ils assurent bien et Otis ramène sa fraise très vite, dégoulinant de sueur. Ils rendent hommage à Sam Cooke avec une version hot de «Bring It On Home To Me». Tout sur cet album est prodigieusement inspiré. Ils terminent avec «Ooh Carla Ooh Otis», monté une fois encore au beat popotin, mais il s’agit là du meilleur beat de l’histoire du popotin. Ils sont tous les deux en émoi, Carla fait sa mijaurée, ça trompette dans tous les coins et Otis revient, tous instincts devant. Ce mec génère du sexe, c’est de sa faute.
Après la disparition tragique d’Otis en 1967, Steve Cropper prendra l’initiative de publier cinq albums posthumes et un live, histoire d’alimenter la légende d’Otis.

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Rien de tel qu’un album live pour restituer la ferveur d’Otis. Live In Europe est du même niveau que le tribute show de Roubaix : un brouet d’excellence. Et pouf Otis démarre avec une version explosive de «Respect», bien cisaillée par le popotin de la rythmique. Les trompettes sonnent la charge, ça sent la peau noire dégoulinante de sueur, l’énergie vitale du grand peuple noir. C’est chaque fois une révélation divine, une douche écossaise, un choc d’élixir parégorique, un don du ciel, un coup du sort, une dégelée de pâté en gelée et Otis gotta-gotte comme un dingue. Ça repart de plus belle avec «Can’t Turn You Loose», encore plus popotiné du coccyx, c’est même une véritable pulsation du bas-ventre, Otis lâche sa purée à jets continus, il enfonce ses clous de giroffle dans le gigot du mythe de la Soul du Sud, c’est tendu à l’extrême, en vertu d’une science experte de l’hypertension, voilà le wild Stax System à l’œuvre, rien d’aussi hot que ce hit de hutte. Comme Mudibu, Otis reprend «My Girl» avec un immense respect et opère un beautiful retour sur le hey hey hey que tout le monde attend au virage. Retour à la barbarie avec «Shake». Exploser, c’est son truc, Otis ne vivait que pour ça. Et en B, une nouvelle déflagration se produit avec «Satisfaction», évidemment, l’hommage du peuple noir aux Stones, c’est d’une violence incroyable, celle d’un nègre qui se débat dans les chaînes de la soute, même chose avec «Day Tripper», Otis envoie les Beatles danser au paradis de la Soul, et là, on perd tous les repères, Otis explose tout, il dévore le hit d’une seule bouchée, c’est l’ogre noir shakespearien par excellence, le nègre rendu fou par la peur et qui creuse le bois des soutes avec ses dents pour s’évader du vaisseau négrier, Otis shake les chains avec l’énergie de la survie, il suit le mot d’ordre de Malcolm X : la violence est la seule réponse à la violence des blancs. Et puis on finit par tomber sur Tenderness. Otis est épuisé, bien sûr, et pourtant il va réussir à provoquer un dernier orgasme dans les pantalons des petits blancs dégénérés. Otis le géant s’élève doucement sur le fil mélodique d’une belle relation amoureuse, celle d’une homme noir pour une femme noire. Il chaloupe sa tenderness avec une grâce animale. Il entre en territoire humide avec l’aisance du bassin, il sait manœuvrer dans la baie humide d’une femme offerte. Voilà bien la plus belle chanson d’amour physique de tous les temps, et le tempo monte comme dans la réalité, il lime et elle s’émeut, la température monte encore et le public claque des mains, le plaisir arrive, il attend sa compagne, c’mon, gotta-gotta nah nah nah, tenderness yeah yeah, il lui tient les cheveux et il semble que le bonheur explose dans un bouquet final de yeah yeah. S’il faut écouter une version de Tenderness, c’est celle-ci.

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Son plus grand hit, sorti sur l’album du même nom, The Dock Of The Bay, fut donc un hit posthume. Pas de chance. Pauvre Otis. Quand on pense au blé que les Thénardiers du disque ont pu se faire sur son dos ! Pour cet album, Steve Cropper a rassemblé des fonds de tiroirs pour le moins extraordinaires, comme cette version magistrale de «Don’t Mess With Cupid». Seul Otis sait marteler le r’n’b avec autant de violence. On a là la meilleure Soul du temps d’avant. Otis semblait même un peu trop doué. On se régalera aussi de «Let Me Come On Home», un fantastique groove du Deep South, joué aux guitares infectueuses. C’est une exception otissienne - Girl I love you honey - L’immense Otis recherchait la modernité, mais avec une vraie chaleur de ton. Et quand on écoute Sittin’, on pense évidemment à Blowfly qui avait transformé ce hit planétaire en Shittin’. En B se niche la version studio de «Tramp», ce vieux classique de Salut les Copains, cette émission de radio qu’on écoutait religieusement dans les années soixante. Encore un coup de maître avec «The Huckle Buck», joué à la good time music du Deep South. Otis y refait son numéro de popotin. Et il termine avec un «Ole Man Trouble» dégoulinant de feeling et gluant de cuivres.

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On reste dans la veine posthume avec The Immortal Otis Redding paru aussi en 1968. Nous voilà de retour dans l’Otisserie de la Reine Pédauque. Le hit de cet album pourrait bien être «Hard To Handle», un r’n’b sauvage à la Otis. Il rappe bien son texte. Encore un joli classique avec «The Happy Song», chanté à la glotte fêlée. Bien qu’il soit mort et enterré, Otis reste un modèle du genre. Mais l’album propose surtout des balladifs plaintifs. Otis les chante à la sueur de son front. Comme Sisyphe, il pousse son rocher sur la pente d’une montagne. Avec ce disque, on sent une très nette baise d’intensité.

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En 1968, l’Otisserie de la Reine Pédauque tournait à plein régime. In Person At The Whisky A Go Go se présentait comme une nouvelle invitation au voyage. Comment le fan de base pouvait-il résister à ça ? On y retrouvait de belles versions de «Can’t Turn You Loose», «Mr Pitiful», «Satisfaction», et c’est là où les charognards du disque sont malins, on trouvait en B une version de «Papa’s Got A Brand New Bag» qui n’existait pas sur les autres disques et qui à elle seule justifiait l’emplette. Otis y piétine les plate-bandes du grand James Brown. En a-t-il les moyens ? Quel en est l’intérêt ? Force est d’admettre que Mr Dynamite fait ça bien mieux. Otis s’épuise, il ne tient pas la distance, il got-it got-itte comme un dératé, mais ça ne va pas. Un sax vole à son secours. Ne touche pas à ça, malheureux !

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L’année suivante paraît Love Man. Encore un album qui vaut le détour pour un titre en particulier : «Look At That Girl». Il s’agit là d’une sorte de mambo, une pièce de Soul magique. Otis la chauffe à l’énergie pure. Il redevient l’espace de trois minutes le géant de la légende, celui qui fascina tant Janis Joplin. En fait ce disque regorge de merveilles, à commencer par l’«I’m A Changed Man» d’ouverture, un beau groove tapageur. On y retrouve l’Otis impérial et combatif qu’on a tant admiré. Il finit son cut en insistant lourdement sur les nah nah nah, comme il sait si bien le faire. Tout aussi attachant, voici «(Your Love Has Lifted Me) Higher And Higher», softé à la basse alerte, dansant et plein d’avenir. Cette fois, la basse donne la respiration. Oh il faut aussi écouter le morceau titre qui est un fabuleux hit de juke - I’m a love man/ Call me a love man - Otis avait une qualité de Soul qui lui était propre. Le «Groovin’ Time» qui ouvre le bal de la B concasse bien le beat. On retrouve cette Soul ramassée sur elle-même, qui est un peu la marque de fabrique d’Otis. Encore du r’n’b de haute volée avec «Got To Get Myself Together» cuivré de frais. Otis nous ramène au cœur de l’empire de la Soul avec ce hit teigneux. Et puis avec «A Lover’s Question», on comprend qu’Otis ait voulu se battre jusqu’au bout. Il recherchait la clé de la Soul la plus frénétique et il y mettait toute son énergie.

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Sur Tell The Truth, vous trouverez un autre coup de génie intitulé «I Got The Will», pris à l’angle d’une pop de Soul. Otis travaille toujours à la dure, mais cette fois, il le fait en mélodie. Il trouve enfin le moyen de sortir du popotin. D’autres très beaux cuts guettent l’imprudent visiteur, comme par exemple «Demonstration». Otis n’y cherche ni l’éclat ni l’esclandre, il veut juste gotta-gotter la mama. Avec «Out Of Sight», il tortille sa petite Soul des enfers. Otis ne renonce jamais et le côté rampant du cut vient de la petite guitare infectueuse de Steve Cropper. Puis il commence à s’énerver avec «Give Away None Of My Love». Il revient à sa chère vieille âpreté, puis il passe au boogie joyeux pour «Wholesale Love». Il vise l’unisson de la Soul à trompettes. Voilà encore un cut passionnant. On sent le chercheur à l’action. Otis sentait qu’il devait trouver une voie pour évoluer. Ce disque ressemble à un laboratoire. Et les résultats de ses recherches étaient réellement prometteurs. On n’ose même pas imaginer ce que des mecs comme lui ou comme Jimi Hendrix auraient produit s’ils avaient pu continuer à vivre. En B, on tombe sur un «Little Time» surchauffé et tenace, vraie perle de petite Soul exacerbée. Otis est comme ce boxeur qui ne veut pas se coucher, il va se battre jusqu’à la mort. Avec «Swinging On A String», il lutte jusqu’à son dernier souffle.


Signé : Cazengler, Otiste

Otis Show. Vintage Weekender. Roubaix (59). 12 novembre 2016
Otis Redding. Pain In My Heart. ATCO Records 1964
Otis Redding. The Great otis Redding Sings Soul Ballads. Volt 1965
Otis Redding. Otis Blue. Volt 1965
Otis Redding. The Soul Album. Volt 1966
Otis Redding. The Otis Redding Dictionary Of Soul. Volt 1966
Otis Redding & Carla Thomas. King & Queen. Stax 1967
Otis Redding. Live In Europe. Volt 1967
Otis Redding. The Dock Of The Bay. Volt 1967
Otis Redding. The Immortal Otis Redding. ATCO Records 1968
Otis Redding. In Person At The Whisky A Go Go. ATCO Records 1968
Otis Redding. Love Man. ATCO Records 1969
Otis Redding. Tell The Truth. ATCO Records 1970

TROYES / 06 – 01 – 2017
LE 3B
HOT CHICKENS

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Pas question d'attendre que les poulets vous tombent tout rôtis dans la bouche. Mais il y a la grande offensive verglacée du Général Hiver prévue pour la nuit du retour par le communiqué d'alerte de la Météo Nationale. Brr and Grr ! Vision d'horreur de la teuf-teuf- mobile dérapant sur la route verglacée... J'étudie les prévisions avec soin, la route entre Provins et Troyes devrait être libre de toute froidure jusqu'au petit matin. Ce qui s'appelle jouer avec le feu. Bon, la dernière glaciation remontant à huit milliers d'années, l'on peut raisonnablement escompter que la suivante attendra bien un jour de plus. Mais il est des exigences impérieuses qui font fi des plus élémentaires et prudentiales conduites. Voici un mois que j'ai décidé de profiter du concert des Hot Chickens dans la bonne ville de Troyes pour ramener à la maison la réédition de CD Play Gene, avec la version de Bird Doggin'. Pourrait pleuvoir des icebergs que j'irais quand même.
Ce ne sont pas de sinistres et stupides prédictions météoriales qui seraient capables d'arrêter un rocker ! En plus, non d'une chaussette d'archiduchesse, chaussée aussi sèche que la vieille mue d'un crotale gisant depuis vingt ans dans le sable aride de la Vallée de la Mort ! La foule des grands jours au 3 B, plein comme un oeuf de crocodile. Toute cette noble assistance a eu raison de se déplacer car foutredieu et foutrevierge ( jurons préférés des moins cénobites ) quel concert !

FIRST SMACK

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Gene à l'honneur ! I flipped et cette sale Race with the Devil, d'entrée de jeu, Christophe Gillet qui agite le damier de son sweat-shirt pour mettre le feu aux poudres, Thierry Sellier en chemise hawaï-aï-aïe qui se livre à des dérapages incontrôlés sur sa batterie et Hervé dans sa veste saumon rose bondissant dans les torrents qui encrasse le moteur de la contrebasse, le public répond au quart de tour, mais pas la mécanique qui n'en peut déjà plus après deux morceaux, Loison change la bougie du micro, rien à voir, la panne serait-elle sérieuse, la salle rit aussi jaune qu'un taxi new-yorkais, pas d'affolement, pas la peine d'en péter un, c'est le câble le coupable qui nous accable. Ordre et méthode, Hervé tire de derrière les amplis un imbroglio de fils et le secoue vertement pour en tirer le cordon salvateur qui consent à la refaire circuler la dive électricité sans laquelle le rocker recule d'un cran dans l'histoire de l'évolution des espèces en redevenant un misérable folkleux.

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Skinny Jim et Jenny Jenny, pur jus cochranesque, Hervé module les nodules timbriques, la grosse voix, et la méchante, la vicieuse et la menaçante, la tragique et la clownique, un festival en deux fois trois minutes, le rock des pionniers réside dans l'intonation, Shakespeare drames et comédies en cent vingt secondes, du grand art, pas à la portée de tout le monde, faut d'abord capter l'esprit pour le restituer, surtout si à côté de vous, vous avez un Christophe

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Gillet qui profite de la moindre de vos respirations pour envoyer une giclée de guitare, juste pour vous pousser dans vos retranchements.

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Ce soir Thierry est facétieux, joue au cat qui se lave les oreilles avec sa patte, lui c'est avec la baguette qu'il fait mine de se peigner d'un geste ample et emphatique, pourquoi ne pas prendre le chemin le plus long puisque au final il arrive pile poil à la seconde pour baisser la barrière du passage à niveau juste à temps pour vous éviter d'être happé par le rapide de 10 h 15 en partance pour Lubbock. Rave on, de Buddy Holly, ce n'est pas de la rave have dans le potager du rock and roll, plutôt de la mauvaise herbe qui moutonne dans votre gorge, impossible d'entendre cette pépite, de Sonny West à l'origine, sans avoir envie de faire les choeurs par derrière, et toute la salle pousse des aums dignes d'anachorètes bouddhistes en transe vocale, je ne vais pas vous faire toute la set-list, d'abord vous la connaissez tellement que vous ne vous en souvenez plus, bien sûr Les Hot Chickens y joignent quelques compositions originales comme ce Downtown Memphis, je préfère voir et écouter.

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Hervé qui jette sa veste, Hervé qui se vautre par terre, couché sur sa contrebasse, puis dessous – je vous en prie éloignez les enfants qu'ils n'assistent pas ce sexpectale – Christophe qui hurle le contrechant dans le micro, et puis se plante devant et vous envoie de ces soli style commandos de la mort qui vous détruisent les dernières parties de votre cerveau en marche et Thierry par derrière qui transforme sa grosse caisse en kolossal Bertha et qui vous arrose méchamment ( mais fort systématiquement ) d'obus dans le seul but d'effondrer vos cartilages et désamorcer les canaux par lequel passe votre influx nerveux.

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Il y a un problème avec les Hot Chickens. C'est qu'ils ne savent pas mettre un terme aux ouragans qu'ils ont déclenchés. En une heure, ils vous ont donné la correction que vous méritez. Normalement l'arbitre devrait arrêter le combat. Mais ce diable de combo vous a transformé en victimes consentante. Vous file le double dessert, le plateau à fromages, le café, le digestif, la triple remorque et la petite gâterie finale. Et évidemment comme les enfants mal-élevés, gâtés et pourris jusqu'à l'os à moelle que êtes, vous trouvez cela normal, et  tout à fait évident qu'Hervé vous propose de boire un verre parce qu'ils vont recommencer dans un quart d'heure.

SECOND SMACK

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Finies les choses sérieuses. Serait temps de passe au crazy roll. Jusqu'à maintenant nous n'avons eu droit qu'à une innocente partie sur les plages de la baie de Baïes. Premières scènes insouciantes et souriantes. Soleil, amour et beauté. Nous abordons la deuxième partie du scénario. L'éruption du Vésuve, la mort de Pompéi, filmée en gros plans, la panique dans les rues, la foule qui hurle rattrapée par les torrents de lave sans pitié qui s'enroulent autour des corps comme des serpents de feu. Petit problème dans le casting, le volcan cruel ce sont les Chickens fous, et les figurants anonymes destinés à vous tordre de douleur c'est vous. La contrebasse d'Hervé a disparu, l'a récupéré une simple guitare qu'il tient comme une hache d'abordage. Tout à l'heure l'a déjà sorti ses harmonicas, mais le show débute d'abord par trois secousses telluriques, coup sur coup séquence Gene Vincent – Hervé totalement fou qui nous offre un Rocky Road Blues dévastateur, en position arquée, les yeux levés vers le ciel, la jambe passée par-dessus le micro – séquence Johnny Burnette – juste le temps que Christophe Gillet nous montre tout ce que nous ne saurons jamais faire avec une guitare - séquence Little Richard – Thierry Sellier nous dévoile un de ces secrets, baoum ! un coup de marteau je marque le temps, facile, c'est après ou plutôt exactement dans la même frappe, je drope vers le haut et j'insuffle l'énergie nécessaire pour que le rebond passe entre les poteaux, plus difficile.

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Qui a eu dans le public l'idée géniale de réclamer un Bo Diddley, je ne sais pas, mais là le genre de proposition que le Hot ne saurait refuser, Thierry nous donne le tempo sauvage style lourdeur africaine d'un troupeau de rhinoféroces qui fonce sur vous et vous piétine allègrement just for fun, Christophe vous ménage de ces breaks de guitare façon dentition de tigre qui se referme sur votre jambe ( la droite ), mais vous n'avez que faire de ces innocentes bestioles, vous êtes une tribu de pygmées en transe au fond de la forêt équatoriale qui reprend en choeur la parole sacrée et envoutante du grand sorcier, Hey Bo Didley, un chant primitif pour aiguiser la colère des éléphants. Et puis au loin, retentit les douces fragrances d'un harmonica, oui c'est dans le public, et Hervé lui donne le micro et c'est parti pour un safari sauvage à la Animals.

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Jusque là tout va bien. Vous ne savez plus très bien qui vous êtes mais vous avez encore la sensation d'être vivant. C'est sur True Fine Mama que votre monde bascule. Hervé se déleste de sa basse, nous fait un looping arrière sur la grosse caisse, avec les jambes en l'air et dont il ressort tout fier et ensanglanté, l'est devenu sorcier vaudou, nous fait répéter après lui des mantras diaboliques qui empêchent l'oxygénation de votre cervelle. Plus vite, plus fort, plus rapide tu meurs, et nous voici transformés en morts vivants, personne ne sait plus ce qu'il fait, ça danse par devant, ça ondule contre les murs, et ça hurle par derrière. Stop clap de fin. Plus d'une heure de folie collective. La récréation est terminée. C'est alors que surgit le mur d'incompréhension. Pas un mot, pas un cri. Tout le monde immobile en plein milieu d'un mouvement brutalement interrompu. Les Hot Chikens eux-mêmes ne comprennent plus. Subitement ils se rendent compte qu'ils ont cessé de jouer. Quelqu'un a arrêté l'appareil de projection. Serait-ce la fin du monde ? Le film coupé en plein épisode. Trop tôt, bien trop tôt. Trop bête. Et alors la machine se remet en branle pour une bonne demi-heure de folie. Vous reprendrez bien un peu d'épilepsie ? Elvis, Jerry Lou et Duduche impérial qui s'adjuge le micro pour That's All Righ Mama.

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Un petit country issu de Father and Sons, d'Hervé dédié à ses petits-enfants pour redescendre sur terre et rentrer doucement dans notre chair d'être humain, nous anges déchus, mauvais mâles et femelles charnelles, qui étions si haut dans le ciel du rock and roll, poussés au cul par les rafales cinglantes de Mister Gillet, tamponnés par les bordées de mitraille de Mister Sellier, marchant sous l'égide des imprécations gospelliques de Mister Loison, presque arrivés aux portes du paradis.


Damie Chad.

P. S. : Retour route sèche.

( Photos : FB Christophe Banjac et Béatrice Berlot )


HOT CHICKENS
PLAY GENE


RACE WITH THE DEVIL / LOTTA LOVIN / BLUES STAY AWAY FROM ME / SAY MAMA / I FLIPPED / HOLD ME, HUG ME, ROCK ME / TEENAGE PARTNER / BLUE JEAN BOP / AIN'T THAT TOO MUCH / BABY BLUE / CRAZY LEGS / I'M GOING HOME / + STILL BOP ( 2002 ) + AIN'T THAT TOO MUCH ( 2012 ) / + RIGHT NOW / BIRD DOGGIN' / ROCKY ROAD BLUES / I'VE GOT MY EYES ON YOU / ( 15 / 11 / 2016 ).

15 / 11 / 2016 : Hervé Loison : chant / Christophe Gillet : guitare / Thierry Sellier : batterie / Fabice Mailly : Harmonica / Hubert Letombe : Basse + son

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Longtemps j'me suis pieuté pas très tard. Va falloir attendre les gars j'ai décidé de réécrire à ma manière La Recherche du Temps Perdu du petit Marcel. Huit mille pages, vous parlez d'un boulot ! Ah ! vous jugez ma tentative condamnée d'avance à l'échec et me conseillez-vous d'arrêter au plus vite. Vous avez peut-être raison, je reviens à mon projet de chronique initial. Remarquez que c'est un peu le même genre de tentative prométhéenne, des fous furieux qui décident de donner leur version de quelques morceaux de Gene Vincent, il n'en manque pas. Le cristal sauvage de la voix de Gene, la guitare galopante de Cliff Gallup et les glissendi de Dickie Harrell, faut oser. C'est comme l'intro d'Albertine disparue, difficile de proposer et de proser aussi bien. Nous ne parlons pas de mieux. Pour Gene, prenons par exemple Crazy Legs de Jeff Beck à la guitare et Mike Sanchez au guitare, z'ont tout fait pour la reproduction à l'identique, pourtant voici plus de deux mille ans que les philosophes grecs nous avaient prévenus, le Même n'est qu'une incertaine figure mouvante de l'Autre projetée sur le mur de nos cavernes mentales. Alors si vous jugez ce disque à son modèle inspiratif vous risquez d'être déçus.
N'empêche que les Hot Chickens, doivent en être assez fiers, puisqu'ils rééditent. En rajoutent même une demi-ration pour vous faire comprendre qu'ils ne regrettent rien. En plus sont des récidivistes, n'avaient pas terminé leur opus qu'aussi sec ils avaient recommencé avec Johnny Burnette et Little Richard. Des gars qui n'hésitent pas à repeindre les statues vénérées de leurs idoles à leurs couleurs. Bonheur par qui le scandale arrive, est-il écrit dans l'Evangile du Diable. Pas besoin de s'agenouiller pour témoigner son respect hommagial. Alexandre le Grand n'a-t-il pas fait élever des colonnes pour borner et marquer son avancée sur les traces de Dionysos ?

Race with the Devil : plus près du mal vous ne trouvez pas, la descente cordique qui taille des marches dans les falaises de marbre et Loison qui exige des pizzicati au burin. Lotta Lovin : Le combo à fond et Hervé qui contient la charge pour mieux lancer l'attaque au grand galop. Attention les gars, c'est moi qui commande. Blues Stay Away from Me : pas de chance le blues n'écoute pas, le suit à la trace, lui colle à la peau. Comment transformer une chansonnette en truc poisseux. Zut, disait Moaravagine, en claudiquant sur une merde de chien, j'ai marché sur la face de dieu. Une petite vérole des plus sympathiques. Say Mama : un de ces titres que nous frenchies adorons plus que tous les autres peuples du monde. Les Chickens vous l'enlèvent comme les hussards la redoute de Borodino. I Flipped : Encore un truc nauséeux, genre cancer qui vous ronge le larynx, ce qui vous oblige à vous arracher des morceaux d'oesophage, juste pour survivre. Merci de l'ordonnance doctor Gene. Hervé chante comme un grand. Hold me, Hug me, Rock me : une interprétation somme toute pré-sixties en ses quinze premières secondes, ensuite c'est le charivari, vocal, guitares et choeurs lèvent les guiboles au plus haut comme les filles du Moulin Rouge. Pour stopper la prise on a certainement dû les arrêter à la chevrotine. Teenage Partner : adorable ballade post-nubile mais la petite garce s'est barrée, la chasse s'organise, la batterie entonne le chant de la nostalgie à coups de merlin. Blue Jean Bop : encore une romance à l'eau de rose en ces débuts, rassurez-vous les Hot n'ont pas oublié de rajouter les épines au bouquet. Plus ça pique et plus ça entre, plus c'est bon. Ain't that too Much : vachard, un régal vocal, ça monte et ça descend comme sur le grand huit de la mort, interminable, ne ressemble en rien à la version de Gene mais la plus proche de toute celles entendues à ce jour. Baby Blue : un must, le premier morceau de hard rock jamais enregistré, Hervé et ses Hot vous le déclinent comme à la scène, une espèce d'offertoire religieux païen, un hymne sacré qu'ils assènent comme le grand Thor sa philosophie à coups de marteau. Crazy Legs : une guirlande de guitares, la voix n'est qu'un jeu pour mettre le combo, qui ne rate pas l'occasion, en valeur. La plus géniale partie de jambes en l'air de l'histoire du rock and roll. I'm going Home : encore une des sucreries préférées des froggies. Précédé d'un brouillonnement de guitare qui bondit comme un isard qui dévale une montagne de rocher en rocher et Hervé qui saute sans parachute pour lui montrer le chemin. Still Bop : un original qui s'amuse à recopier le style du maître, ses tics et ses manières, et qui pour les paroles jongle avec les titres. Bien enlevé, ne jure en rien avec tout ce qui précède. Ain't That too Much : on prend la même et l'on ne recommence pas. C'est bon comme une barbe à papa à l'acide. En plus, une pointe de colorant interdit à la vente. Right Now : à toute vitesse la voix qui file, l'orchestre qui s'enfile dans la trouée et les choeurs qui surfilent le patchwork, en dix ans la voix d'Hervé en gagné en taquine flexibilité. Bird Doggin' : la moiteur des nuits vides et solitaires. Très beaux éclats d'harmonica, la basse qui gronde et la guitare qui strille, le genre de titre que l'on ne surpasse pas, Hervé suit Gene à la trace. Ne s'en écarte pas. Hommagial. Rocky Road Blues : tout le contraire, Hervé hoquette et le band pulse à mort. L'on mise sur la rapidité. Avec une affinité country plus marquée. Une réussite. I've Got my Eyes on You : une esthétique de la légèreté. La voix qui survole et l'accompagnement qui dévale, mais dans le pont l'orchestre alourdit la mise en rase-mottes pour définitivement s'envoler sous l'impulsion d'Hervé.

A écouter sans fin.

Damie Chad.

POEME POUR GILLES DALBIS


PATRICK GEFFROY YORFREG

( CONCERT à BEDARIEUX ( 34 )
EXPOSITION CLAUDE ABAD )

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Il avance comme un chat autour de ces peaux de métal , et c'est un tigre de feu qui sort de son tambour ....
Il trempe ses doigts dans de l'eau bénite et son corps tout entier épouse une rivière ...
Dans son filet : des poissons harpes , des gongs soleils , une armée de guerriers Mayas ,
un Dieu cristal, des étoiles qui dansent , des pétales de tessons de bouteilles aux sons de stalagmites ,
une caravelle aux quatre mâts ;
Pint , pinta , macatumta , ticata toum ta ticata toum tacata dimi toum mitacatoumta ...
il ferme les yeux :
Anaconda royal , et glisse dans l'impossible voie , la voie royale, celle du sacre de l'improviste ....
On ouvre les portes du palais, ivre de matière sonore ...
il danse une Forlane à la vitesse de nos cœurs...
la fiancée du cymbalier en ombre sur le mur du centre d'art contemporain de Bédarieux ...
Son âme cathédrale rêve d'antique toccatas ....
ouvre un paradis de feu dans l'espace blanc d'une ville d'Occitanie,
lumière, lumière d'or , nos corps se tortillent , se dandinent, se tordent , s'élastiquent ,
se perdent, s'arc-boutent comme ils peuvent...et pourtant, et pourtant , rien
ne bouge dans le désert des barbares ,d'un bord à l'autre rien ne bouge , que la cascade timbalique
du haut de ses baguettes océane...
Car tout bouge au- dedans de soi , au- devant de vous , à la vie qui commence , caravelle au départ ,
en route vers le sublime , l'inouï , l'improbable , à l'extrême du monde de l'extrême-occident ,
à l'extrême limite de la gesticulation spasmodique de la main sur le fût :
syllabes de silences , hiéroglyphes de pattes d'oiseau dans la nuit fiévreuse de l'hiver...
Parfums d'éternité ...
IL offre une corbeille de fruits au royaume des oiseaux de nuit car il ignore le vertige des hauteurs ...
il est le vertige au ventre tambour .
A ces coups de gongs les montagnes noires de l'Espinouse reculent.

Partrick Geffroy Yorfreg ( Mars 2011 )

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Magicien des temps modernes le percussionniste Gilles Dalbis montre la voie, la seule, celle qui lui ressemble . Il chante le monde à l'instant même qu'il le découvre, et le monde tremble et danse avec lui pour sa plus grande joie. Compositeur et concertiste, né en 1953 à Montpellier, Gilles Dalbis joue sa musique, et se consacre à la musique improvisée. Voir FB de l'artiste.


*


N'en ai pas fini avec mes aventures mirapiciennes. Ce coup-ci la scène se passe encore sur le marché du lundi, mais devant le camion du Gibus. La conversation est enflammée. Les passants s'en mêlent et rajoutent leurs kilos de sel. Le sujet est grave, Grandeur et Misère des Rolling Stones, tout cela devant un coffret de cinq 33 tours des Pierres qui roulent. Final repartirai avec un CD des Beatles. La vie est injuste. Mais c'était cela ou un trente-trois de Burt Blanca. Je ne sais pourquoi mais chaque fois que je chine à Mirepoix, tombe toujours sur des gravures de Burt. Devait y avoir un sacré fan-club dans le coin dans les années 60 !
Revenons-en à nos scarabées. Pas une pièce rare. Une réédition, des Editions Atlas ! La discographie du pauvre. Je spécifie, pas exactement nos plus célèbres coléoptères mais cela a été si souvent présenté comme le premier enregistrement des Beatles, en fait se contentaient d'accompagner Tony Sheridan.

 

TONY SHERIDAN ET LES BEATLES

 

WHY ( CAN'T YOU LOVE ME AGAIN ) / CRY FOR A SHADOW / LET'S DANCE / YA YA / WHAT'D I SAY / RUBY BABY / TAKE OUT SOME INDURANCE / SWEET GEORGIA BROWN

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Ce n'est pas la première fois que les Beatles entraient en studio. Avaient déjà mis quinze morceaux en boîte lors de leur audition chez Decca le premier janvier 1962. Un coup pour rien, Brian Epstein ne parviendra pas à fléchir le refus de la maison de disques. Le groupe retourne à Hambourg, reprendre la galère des soirées interminables à jouer dans les clubs. Faute de grives l'on se contente de merles, la deuxième opportunité s'avère moins appétissante : sont choisis en tant que backin'group sous le nom de Beat Brothers par Tony Sheridan. Les enregistrements commenceront le 24 mai 1962. Beaucoup de flou sur l'attribution des pistes instrumentales enregistrées exactement par nos quatre compères, attention Ringo n'a pas encore remplacé Peter Best, prudemment Atlas reprend les titres du cd Charly, intitulé Tony Sheridan and the Beatles – Hambourg 1961. Il existe aussi quelques titres de Sheridan et des Beatles sur scène au Top Ten.

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Sheridan est un des derniers pionniers du rock anglais. Fut submergé par la beatlemania. Fallut attendre sa mort en 2013 pour que Rock'n'Folk lui consacrât un bel article hommagial. A Hambourg l'était aussi reconnu pour sa dextérité de guitariste. Ironiquement sa gloire repose aujourd'hui sur ce groupe qui l'accompagna. Y avait aussi un saxo et un pianiste. La postérité est parfois cruelle. D'autant plus que ce qui ressort de ces huit titres ce n'est pas la folle originalité de l'accompagnement des Beatles – l'instrumental Cry for a Shadow démontre une telle maladresse par rapport à l'aisance  des Shadows si malencontreusement évoqués - mais l'énergie déployée par Tony Sheridan. J'omets évidemment Why, une de ces bluettes typiquement fifty- chansonnettes. Certes Sheridan n'a pas le phrasé rock instinctivement américain d'un Cliff Richard mais il possède cette manière de lancer le morceau en trombe, cette façon si impétueuse de donner à chaque reprise du vocal ce coup de trampoline ascendant dont Lennon a su s'inspirer. A cette différence près que Lennon apprendra vite à flexibiliser son flow, comprenant que parfois il vaut mieux écraser la voix que chercher le passage en force à la Sheridan comme dans Ruby Baby. Tony réussit le mieux quand il essaie d'imiter le timbre Elvis sur Take Out Some Insane. Lui manque cette flexibilité harmonique que les Fab Four auront emprunté à Buddy Holly. Quant à sa version de Sweet Georgia Brown malgré son piano mi-boogie-mi-Jerry Lou, elle est l'exemple parfait de tout ce qui manque à un rock and roll qui aurait oublié ses racines noires. En juin de la même année, dans les studios d'EMI les Beatles essayaient de trouver du nouveau sur Love Me Do. Garderont tout de même le style de cette attaque vocale sheridanienne sur un tempo instrumental enlevé. Pour dépasser le maître, faut d'abord reconnaître et emprunter les meilleurs éléments de son savoir-faire.

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Damie Chad.

 

HÔTEL WOODSTOCK
ELLIOT TIBER


( Editions Alphée / Jean-Paul Bertrand - 2009 )

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Ça m'a rappelé Plom-Plom. Ne cherchez pas, vous ne connaissez pas. L'était facile à trouver Plom Plom, au Café de la Poste, devant le comptoir. L'avait de la descente. C'était la moindre de ses qualités. Un taciturne. Prolo et plâtrier. Rien à voir avec l'intello du coin. Mais quand l'occasion s'y prêtait – une omelette aux champignons des prés cueillis sur la pelouse du terrain de foot municipal et une bouteille de vieux Bourgogne – il déployait une verve d'écrivain. Savait raconter, un peu à la manière de Swift et de Sterne, desquels il ignorait jusqu'à l'existence. Puisait ses anecdotes dans sa propre vie. Les sortait toute crues. Mais avec ce léger décalage, cette position oblique, cet infinitésimal soupçon d'exagération qui vous transmue les lourdeurs du réalisme socialiste en épopée burlesque. La Marine Nationale aurait dû l'embaucher pour remplir les coursives de ses navires de volontaires exaltés. L'avait ses classiques dont on ne se lassait jamais et qu'il répétait complaisamment avec ses minuscules variantes aussi acides que tout le sel de la mer. Pendant que le porte-avions fendait fièrement les flots tumultueux des Océans, Plom Plom fumait les cigares du capitaine à même la cabine du Pacha, autre classique, son plus grand fait d'arme, le déclenchement de l'alerte nucléaire nationale pour avoir par une innocente inadvertance bousculé l'orientation des antennes radars et radio du bâtiment subitement privé de ses précieuses esgourdes...


Idem pour Elliot Tiber. Je ne peux confirmer ses dires, réécrit sûrement l'histoire à son avantage, donne sa version des évènements que les principaux protagonistes ne confirment pas. Mais l'on s'en moque. Ne se prévaut nulle part d'une prétention d'historien. Nous conte sa vision à lui. D'une manière fort joliment troussée. Ce sont les plumes du croupion de l'autruche qui attirent le regard. S'est fait aider par Tom Monte. Célèbre aux Etats-Unis, le gars qui a pondu moult bouquins, juste pour vous apprendre à adopter la positive attitude celle qui vous permet d'éviter le cancer du sein ( ceci pour les dames ) ou du colon ( cela pour les messieurs ) avec tout le baratin écologique à la mode. L'en a vendu des millions, preuve qu'il savait s'y prendre pour entourlouper la crédulité des jeunes cadres dynamiques de l'american way of life.

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Pour la partie strictement musicale du festival de Woodstock, je serais vite traité de plagiaire si je vous dressais la liste des artistes venus pousser la chansonnette sur la vaste scène. C'est qu'Elliot Tiber se contente de recopier le programme. Une demi-page, pas plus. Il y a bien quatre paragraphes sur la prestation de Richie Havens, mais il apparaît clairement pour qui l'a visionné qu'il a commenté les images du film et non rapporté le témoignage personnel de sa participation à l'évènement. De fait dans son bouquin il ne parle exclusivement que de lui. Pas du tout parce qu'il serait atteint d'une melonite aigüe, mais en tant que représentant lambda de sa génération, d'une époque. Aujourd'hui disparue. Point parce que cinquante ans se sont presque écoulés depuis mais parce que les mentalités ont changé. Pensez que la génération Woodstock qui aujourd'hui tourne autour de ses soixante-dix balais est la même qui a voté en masse pour Donald Trump... Rebelle un jour, mais pas toujours. Z'ont perdu leurs cheveux et leurs idées longues...


Elliot Tiber se raconte. L'est né en 1935 – la même année qu'Elvis Preslay et Gene Vincent. Dans une famille pauvre et juive, le père qui se crève au boulot et la mère dominatrice, très peu maternelle, rongée par une stupidité sans faille et une cupidité sans scrupule. Un portrait peu flatteur qui vire à la caricature. Ecrivez cela de nos jours et vous êtes immédiatement traité d'antisémite. En plus, Tibert aggrave son cas, ne manifeste aucun respect pour l'aspect religieux de la judéité. Dénonce l'hypocrisie de la religion sans complexe. La famille acquiert un motel dans la région de Béthel à cent trente kilomètres de New York, un coup de tête de la marâtre qui vire au désastre financier.
Mais Elliot à d'autres chats à fouetter. A commencer par lui-même. Son orientation sexuelle – l'initiation débute très tôt dès l'enfance dans les salles noires des cinémas – se précise, adepte d'une sexualité fortement teintée de masochisme. Homosexuelle, pour rajouter une deuxième couche. Une vie en marge qu'il cache à ses géniteurs. Comprend très vite son intérêt : bien travailler à l'école pour fuir son milieu étouffant. Y parvient, non sans difficulté. Devient artiste, décorateur d'intérieur, professeur d'art, vit à New York, rencontre Tennessee Williams, Truman Capote, Marlon Brando, Rock Hudson, tous pédés comme des phoques, comme des milliers d'autres anonymes, qui se cachent, qui baisent en tapimini, qui subissent injures et insultes quotidiennes, qui sont la proie des flics. N'hésite pas à comparer la situation des homosexuels à celle des noirs. Des parias, des citoyens de seconde zone.

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Apparition d'un personnage que nous avons croisé dans le Just Kids de Patti Smith. L'en dresse un portrait très différent, n'est plus ce jeune homme ultra-sensible des mémoires de la chanteuse, John Mapplethorpe est le photographe célèbre celui par qui le scandale arrive, ses photos trash sur les relations sexuelles des gays scandalisent et ouvrent de force les yeux de ceux qui refusent de voir. Mâle dominant qui soumet ses partenaires à de fortes émotions. Tibert théorise quelque peu cette violence des rapports, il la décrit comme une transcription libératoire des années passées à se cacher, à raser les murs, à faire profil bas pour ne pas se faire remarquer.

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Woodstock oui, mais la fête commence par un autre événement auquel il assure avoir participé. L'intervention de la police dans la discothèque du Stonewall le 28 juin 1969. Mais cette fois les homos ne s'enfuient pas la queue entre les jambes, attaquent les flics, renversent leurs voitures en entonnant le slogan Gay Power ! Une chaude soirée, désormais rien ne sera plus comme avant, le carcan de l'hypocrisie sociale et puritaine prend un sacré coup dans l'aile.
La vie d'Elliot Tribert possède sa face cachée. Régulièrement le week end il rend visite à ses parents, les affaires marchent mal, le bon fils investit ses gains dans le motel à fonds perdu. Fait feu de tout bois, rajoute des chambres, creuse une piscine, un gouffre sans fond. Les pèquenauds du coin le nomment à la tête de ce qui chez nous s'appelle la Chambre du Commerce. L'on compte sur lui pour re-dynamiser les activités locales. L'en profite pour s'octroyer un permis pour son festival culturel qui n'attire personne à part une famélique troupe de théâtre et la demi-douzaine de groupes de rock locaux qui ne drainent aucun public...
C'est là que tout va basculer. Lorsqu'il apprend en lisant le journal que le Festival de Woodstock à quatre-vingt kilomètres de son bled se voit privé de son autorisation légale par une municipalité soucieuse de son électorat, le déclic se fait dans son esprit. Lui, il possède dans sa poche une véritable autorisation en bonne et due forme. Le quinze juillet 1969, il passe un coup de téléphone, très vite suivi par l'atterrissage d'un hélicoptère sur le terrain du motel...

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Trois jours de paix, d'amour et de musique. Et un mois de préparation. Au prix fort. Nous sommes dans les coulisses organisationnelles. Le motel criblé de dettes abrite jusqu'à cinq cents personnes. La fortune familiale est assurée. Mais ce n'est pas le plus important. Certes les organisateurs ne sont pas des philanthropes. Le rapport sur investissement sera fabuleux. Mais Elliott voit pour la première fois de près la puissance de l'argent. Michael Lang et son staff savent frapper aux bonnes portes et le dollar en liasse fait taire bien des oppositions...
Très vite des centaines puis des milliers de jeunes gens affluent, Woodstock ce n'est pas trois jours, mais un mois entier de fête incessante. Situation explosive, un rien suffirait à déclencher un mouvement de foule incontrôlable. Sont réunis des gens de toutes provenances, géographiques, ethniques, sociales, culturelles, mais rien se passe, si ce n'est cette idéologie à l'eau de rose de l'amour universel qui se répand sous ses formes les plus agréables, nudité, sexualité libre, shit et LSD en libre circulation. Les mauvais esprits dépités d'avoir raté évoqueront un baisodrome de cinq cent mille personnes à ciel ouvert. Plus doctement les sociologues parleront de libération des moeurs.

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Elliot Tiber dresse son propre bilan. Sa mère égale à elle-même – jusqu'au jour de sa mort - qui entasse les billets tout en maudissant en son fort intérieur toute cette vermine de hippies si peu respectueuse des commandements de la Thora, son père qui prend un super pied à se retrouver au milieu de ce tohu-bohu organisationnel, les plus belles heures de sa vie, et la fierté de posséder un fils dont il accepte désormais l'homosexualité qui fut l'élément déclencheur du séisme... Woodstock aura permis à Tiber de se transformer intérieurement, de s'accepter pleinement et de s'imposer sereinement aux autres. L'est devenu un être libre dans sa tête. A acquis cette force tranquille que seule permet la réalisation de sa propre autonomie sur laquelle elle repose. Trouvera un compagnon, écrira des livres, voyagera, donnera des cours à l'université, participera à l'élaboration d'un film à succès, publiera en 2007 ce bouquin sous le titre de Taking Woodstock... une vie bien remplie dans cette vallée de joie qui se terminera voici peu, le trois août 2016.


Damie Chad.

SELF MADE MAN
POPPY Z BRITTE


( Editions Au Diable Vauvert / 2008 )

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Z'ont un beau catalogue Au Diable Vauvert – la littérature en marge – l'est sûr que lorsque l'on se place sous l'égide de Gérard de Nerval, il est conseillé d'assurer un minimum – et puis il y a cette dernière nouvelle Elvis, Un Destin Grêle, comment voulez-vous qu'un amateur de rock and roll ne fasse l'acquisition d'un tel bouquin ! Un truc étrange, qui n'apprend rien sur le King. Une carrière parcourue à grands traits des premiers enregistrements chez Sun Records aux derniers concerts de l'obèse poussif qu'il était devenu. Un destin toutefois fabuleux, alors pourquoi le définir en tant que grêle ? Soyez plus attentif. L'est question d'une transsubstantiation. Non pas celle du Christ en hosties farineuses. Celle du python albinos entrevu dans le magasin à fringues zazoutesques de Beale Street. Dont la blancheur se retrouvera dans cette étrange matière blanchâtre qui occupait tout l'intérieur de l'intestin grêle du gars de Tupelo. Elvis victime d'une constipation ingestive métaphorique. Mais pas de beurre de cacahouète comme on s'y attendrait en toute logique. Une thèse étrange. Pas évidente à comprendre. Mais ce qui est le plus troublant dans cette proposition létale c'est la manière dont Poppy Z Britte nous la présente. Comme une évidence. Ne prend même pas la peine d'expliciter la signification du symbole. Le rebelle serait-il devenu un serpent qui ne piquait plus pour avoir trop renoncé à mordre ? Je vous laisse à vos méditations.


Ce premier paragraphe pour le rock. Remarquez, il y en a une seconde dans le recueil. Aborde le problème de la survie lorsque vous êtes au summum de votre carrière. Membre d'un des groupes de rock les plus prestigieux de la planète. Les Stones ont déjà résolu cette problématique. Mais pour les Kydds l'est question de ce que les imbéciles définiront comme une possession vampirique, alors qu'il s'agit en réalité d'une simple transmigration des âmes. Le christianisme évoque cela en parlant de la résurrection onanisante du Christ.


Oui mais pour le sexe faut être au moins deux pour que cela ne devienne point par trop monotone. Poppy Z. Brite, comme chacun de nous possède ses préférences. Est attirée par les graciles corps des jeunes asiatiques. Homosexuels, cela va de soi. Mais il ne faut pas s'arrêter aux apparences. Les doux visages, les fines musculatures, c'est bien beau, mais en amour ce qui compte c'est la beauté intérieure de la personne. Mais quand vous ouvrez – souvent très brutalement – n'y a que la viande rouge à voir. La profession de boucher serait-elle celle qui permet le plus d'ouvertures sur des débouchés inquiétants ? Pas pour tout le monde.


Les premiers écrits de Poppy Z Brite parus dans la dernière décennie du siècle précédent scandalisèrent l'Amérique. Pas pour les horreurs qu'elle racontait. Cela faisait des années que les vampires, les serial killers, les antropophagistes amoureux, et autres pervers libidineux, batifolaient gaiement dans la littérature et les séries télévisées américaines. Le sang, le sexe, les drogues, le rock and roll, les déviances diverses, font partie du décor habituel des normalités d'outre-atlantique. Otez les oripeaux générationels mi-goth / mi-grunge de notre écrivaine et vous vous retrouvez en territoire gore des mieux connus.
Mais Poppy Z Brite apporta sa petite musique personnelle. Amorale. N'était pas du côté du mal. Surtout pas du côté du bien. L'était dans le mal. Le méchant criminel, elle vous le décrivait du dedans. Vous racontait sa démarche phantasmatico-individuelle qui présidait à ses errements prédateurs. Se livrait à ce Balzac appelait des Etudes Psychologiques. Les assassins sont parmi nous, fonctionnent comme ceci, comme cela. N'y peuvent rien, c'est ainsi. Sont comme vous, comme moi. Doués de leur propre sensibilité. Aussi naturel que le chat qui dépiaute les souris. Pas de quoi en faire un drame. Ni des traités de psychanalyse avancée. Plutôt des romans ou des nouvelles. Simplement parce que c'est plus flashy. Sade vous en raconte autant que papa Freud, mais avec le son et l'image en couleur en plus. Le poids des mots et le choc des images mentales. Suprématie de la littérature par rapport à l'écriture théorique à prétention scientifique.

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Ne confondez pas le travail des spécialistes et des universitaires avec les rituels opératoires des sectes gnostiques qui se jouaient de la messe très chrétienne en la transformant en sacrifices foutriques et spermatiques. De saines lectures qui vous donnent tout de suite le goût de l'autre et du coeur à l'ouvrage. D'ailleurs Poppy Z Brite en personne a mis ses idées en pratique. A défaut de changer d'enveloppe charnelle, elle a transmigré de sexe. A aussi écrit une biographie semi-autorisée de Courtney Love.


Damie Chad.

 

04/01/2017

KR'TNT ! ¤ 310 : BLUES PILLS / JUSTIN LAVASH / POGO CAR CRASH CONTROL / MICHEL LANCELOT / NEGUS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 310

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

05 / 01 / 2017

BLUES PILLS / JUSTIN LAVASH /

POGO CAR CRASH CONTROL /

MICHEL LANCELOT / NEGUS

 Les Blues Pills tombent-ils pile ?

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Oui, on peut dire ça comme ça : les Blues Pills tombent bien pile. Voilà un groupe sorti de nulle part qui non seulement se retrouve en tête d’affiche d’un concert subventionné, mais qui en plus joue dans la grande salle, un privilège qui est d’ordinaire réservé aux artistes téléramés bon chic bon genre. On a remarqué depuis un certain temps que plus le ventre du rock est mou, plus ça plait. On a le choix entre deux solutions : soit l’accepter, soit dire non et continuer de courir les petites salles trash où on ne mesure pas les décibels avec le fucking appareil.
C’est donc par simple curiosité qu’on se retrouve au concert des Blues Pills. Le hasard fait parfois très bien les choses, puisqu’une fille arrive avec une pinte à la main et trébuche. Elle renverse sa mousse. Ouf ! On renoue avec ce bon vieux trash qu’on aime tant : la flaque de bière et les semelles qui collent. Mais personne dans les parages n’ose allumer un spliff. Les gens maintenant sont bien dressés. On ne doit plus être très nombreux à rouler avec un gros nez rouge. Quelle époque !
Le vrai souci, c’est qu’on a déjà les oreilles chauffées par Kadavar, le trio poilu qui jouait en première partie. Nos amis les Pills vont-ils pouvoir monter d’un cran ? Ça paraît plus qu’hypothétique, car mine de rien, il vaut mieux éviter de jouer après un power-trio comme Kadavar. On pourrait disserter à l’infini sur la sauvagerie des programmations. La meilleure illustration de cette tare, c’est probablement un concert des Demolition Doll Rods à l’Abordage. Ce soir-là, on les fit jouer AVANT les Black Keys. Incroyable ! Aucun groupe à l’époque ne pouvait rivaliser de classe, de son et tout ce qu’on veut avec les Demolition Doll Rods, et surtout pas les Black Keys qui jouaient encore une sorte de punk-blues professoral, du genre regardez-les gars comme je joue bien de la guitare vintage, alors que Margaret et Dan rallumaient le brasier du Detroit Sound. On ne rigole pas avec ces choses-là. Et paf, les pauvres Blues Pills se retrouvent dans le même type de configuration. Ils montent sur scène APRÈS un power-trio qui vient en droite ligne de Blue Cheer et de Sabbath. Les Blues Pills eux viennent en droite ligne de rien. Ils jouent un rock très seventies et bien foutu, c’est vrai, mais qui sonne comme tous les albums des seventies qu’on achetait et qu’on ne réécoutait jamais, parce qu’ils n’avaient qu’un intérêt anecdotique. La survie de tous ces mauvais albums qu’on payait deux livres dans les second-hand shops de Golborne Road ne tient plus aujourd’hui qu’à un fil : la spéculation. On bâtit aujourd’hui des fortunes en trafiquant tous ces mauvais disques. Mais comme dirait l’autre, ceux qui les veulent et qui mettent un billet, on ne va pas les en empêcher, hein ?

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Alors les voilà. Ils arrivent sur scène, avec leurs cheveux longs et leur look seventies. Le guitariste Dorian Sorriaux a sur scène la même tête à claques que sur les pochettes. Il joue sur une SG avec un style très doux et en même temps très présent, et pas mal de coups de wha-wha, comme le veut la loi du genre. Ce mec a des petites manies qui agacent un peu au début, comme de lever le bras droit chaque fois qu’il joue un bout de phrasé, mais il finit par s’imposer. On comprend qu’il n’est pas là par hasard. Sa physionomie bizarre ajoute un brin de mystère. Avec son visage fermé de petite gouape pasolinienne, il semble venir d’une autre époque, celle du Decameron de Boccace, par exemple. Ou encore d’une cave du Palais du Saint-Office, au temps où on y questionnait l’hérétique.

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La bête du groupe, c’est le bassman Zack Anderson, un ex-Radio Moscow, et lui, il fait pas mal de ravages sur sa Thunderbird. Extraordinaire bourlingueur de drives ! Il faut quand même se souvenir que dans les années soixante-dix, les bassmen étaient souvent exceptionnels. Pour jouer de la basse dans un groupe, il fallait être aussi bon que le guitariste. Zack Anderson vient de cette école, celle des Jack Bruce et des James Dewar, des Phil Lynott et des John Entwsitle.

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Et puis on a la petite chanteuse, une Suédoise qui s’appelle Elin Larsson. Blonde, bien sûr. Elle arrive sur scène vêtue d’un monokini-short noir. On croit qu’elle est pieds nus, mais non, elle porte un collant sous son short. Et puis, elle se met à faire du sport sur scène et ça tourne vite à la farce. Elle saute comme si elle faisait des exercices de gym, on dirait qu’avant de chanter, elle songe à perdre du poids. Son jeu de scène est assez grotesque, mais elle s’impose par sa voix. À certains moments, elle shoute comme une black et ça redevient intéressant, car on pense à des shouteuses comme Maggie Bell ou Elkie Brooks qui elles aussi savaient pousser des pointes, dans les années soixante-dix.

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D’ailleurs c’est marrant de voir revenir ces chanteuses, car les albums de Vinegar Joe et de Stone The Crows font partie de ceux qu’on ne réécoutait jamais et qui finissaient par dégager.
Les Blues Pills parviennent à s’imposer, en dépit de quelques petits aspects caricaturaux, mais au fond, ce n’est pas méchant. On ne peut pas demander à tous les groupes de monter sur scène avec la prestance d’un Cyril Jordan. Ce groupe finit par forcer la sympathie en créant son monde, mais aucune chanson ne frappe l’imaginaire. Leur prestance se limite à un son, mais ils n’ont pas de hits, à la différence des Midnight Scavengers qui eux en ont, mais personne ne le sait.

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Le spectacle n’est pas que sur scène. Il est aussi dans le public. Nous voilà sur la barrière, coude à coude avec LA fan, la vraie, une jeune femme brune à lunettes, smartphone à la main, qui connaît tous les cuts par cœur, qui traduit à son copain les commentaires de transition que fait Elin Larsson, et qui applaudit à chaque fin de morceau en explosant de joie. La magie du rock reste bien réelle, puisqu’elle rend toujours des gens heureux, et c’est bien là sa raison d’être.
En deux ans, ce groupe américano-franco-suédois a enregistré deux albums, Blues Pills et Lady In Cold. Chaque album s’accompagne d’un DVD. Le premier propose un concert filmé en Allemagne et le deuxième sent l’arnaque, car il s’agit aussi d’un concert filmé en Allemagne à la même époque, avec quasiment les mêmes morceaux.

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Le hit du premier album s’appelle «Gypsy», une fantastique explosion de soul-rock - I’m a gyspsy/ That’s what I am - Elle gueule aussi pour de vrai dans «Astral Plane» et dans l’«High Class Woman» qui ouvre le bal. C’est le gratté de basse bien mixé qui fait le charme du cut. Elin Larsson reste très saute-au-paf des barricades dans sa façon de chanter, avec une voix verte à la Savage Rose. Et puis on note une belle facture guitaristique et aventurière. On sent un son et une vraie volonté d’en découdre. L’autre gros cut de l’album s’appelle «Jupiter», joué au stomp, bardé de son et whawhaté dans l’esprit de Seltz. Elin Larsson fait toujours sa Slick cosmopolite, elle lance un how this world should have been avant de plonger dans un abîme de son. C’est excellent car balayé aux quatre vents, intense et préempté dans les pires conditions événementielles. On aura aussi un faible pour «Black Smoke» attaqué au boogie blues dès le second couplet, et puis après une crise nerveuse, ils retombent dans l’apathie des hippies. Ils jouent avec les extrêmes, l’eau et le feu, le sucré et le salé, le pire et le meilleur, ils se paient de violentes crises de fièvre jaune et rallument au passage les vieux braseros de la toundra. Ce guitariste est un fin limier. Il fait aussi pas mal de ravages dans «No Hope Left For Me». Il en sort grandi, en guitariste puissant et valeureux. Dans le film qui accompagne ce premier album, il joue sur une Flying V. Elin Larsson fait sa Maggie/Janis/Grace en robe longue et le visage du bassman Zack disparaît sous une véritable cascade de cheveux ondulés. Ils sortent une version solide de «Devil Man», le cut qui se rapproche le plus de ce qu’on sait du blues-rock des seventies. Quand on voit ce groupe jouer sur scène, on comprend à quel point les années soixante-dix sont loin, c’est-à-dire sans lien avec notre époque. Sociologiquement, tout a changé, les comportements, les mentalités, les façons de se cultiver. Voir ce groupe jouer sur scène permet de voir à quel point le rock peut parfois devenir anecdotique.

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Il n’empêche que Lady In Gold est un excellent album. Le morceau titre qui ouvre le bal sonne comme un hit. Elin Larsson va droit au but, avec une niaque impressionnante. Rien de plus admirable que la puissance d’une femme. Les Pills rallument les brasiers et lors du final éblouissant, Elin Larsson monte au créneau. Coup de génie avec «Bad Talkers», une pop r’n’b bien popotinée et jouée à l’étuve, presque stompée. On croirait entendre Merry Clayton ! Notre petite Suédoise est très forte. Elle ramène toute l’énergie de «Gimme Shelter» et relance aux hey hey ! Admirable. Rien que pour ce cut, l’album vaut largement l’emplette. On trouve aussi du climat chauffé à blanc dans «Little Boy Preacher». Ils sont sûrs de vaincre, alors ils jouent fièrement. Quelle fabuleuse shouteuse ! Comme on le disait à une autre époque, rock’n’roll is here to stay ! Encore de l’éruption en pagaille dans «Burned Out», littéralement chauffé à blanc. Ils sont tellement bons qu’il intensifient aussi à l’extrême un balladif comme «I Felt A Change». S’ensuit un «Gone So Long» amené au pinacle de la débâcle, charrié dans une dégelée de son qui grimpe dans les Andes jusqu’au temple du soleil. C’est radieux, puissant, bien intentionné, au service du peuple qui en a bien besoin. Il semble que ce groupe soit bienvenu, on les sent sincères et doués. Encore du fabuleusement hot avec un «You Gotta Try» tellement explosif qu’il finit par exploser, coïtal en diable et drivé vers l’enfer. Franchement, on se goinfre des gueulantes d’Elin Larsson. S’ensuit un «Won’t Go Back» tout aussi fiévreux, mené par cette harpie pleine de jus. Les deux derniers cuts de l’album vous enverront au tapis, si ce n’est pas déjà fait. «Rejection» sonne comme un stomp de r’n’b, mais le plus décidé qui soit. Ils nous pulsent ça à l’admirabilité des choses, dans la puissance de la démence et pour corser l’affaire, le batteur double. On retrouve enfin l’énergie de «Gimme Sheter» dans «Elements & Things». Tout vient du ventre du rock et ça gicle en direction du firmament. Si les Blues Pills deviennent énormes, ce ne sera pas uniquement à cause de cette ridicule mode d’un retour aux seventies.

Signé : Cazengler, Bouse Pill


Blues Pills. Le 106. Rouen (76). 29 octobre 2016
Blues Pills. Blues Pills. Nuclear Blast 2014
Blues Pills. Lady In Cold. Nuclear Blast 2016

 

*


Au secours ! Je suis englué dans un ramassis de jeunes bonnes femmes en extase devant les légumes d'un producteur bio. Sur le marché de Mirepoix. Moi la contemplation des potimarrons, c'est avec modération. Mais où que je me tourne d'énormes cabas ventrus me barrent le chemin. Je suis perdu, condamné à poireauter sans fin. C'est alors que Dieu a entendu ma détresse. Enfin plutôt le Diable qui se faufile dans le conduit auditif de mes oreilles. De rocker. Non, ce glapissement, ce n'est pas un orgasme féminin suscité sur l'étalage par la raideur écologique d'un radis noir, mais bien le glissement d'un tube métallique sur les cordes d'une acoustique. N'ai plus qu'à suivre ce fil sonore et providentiel pour m'extraire de cette gluance légumière pour me retrouver devant mon sauveteur.

JUSTIN LAVASH


Ah, la vache ! L'est beau comme un dieu grec. Qui a beaucoup vécu. Une gueule de baroudeur taillée à la serpe et un sourire désarmant. L'on sent le gars à qui on ne la fait pas. Un rouleur de bosse. Un boss. Et une belle voix en plus. Toutes les expériences de la vie accumulée, mais pas du tout usée, au contraire, prête à mordre dans tous les fruits de la passion qui passeraient à sa portée. Chante le blues. Le vrai celui qui perle comme les gouttes de sang des colères non rentrées et des fureurs jaillissantes. Et les doigts affairés qui courent comme des mains de marins sur les élingues les jours de déglingue et de naufrage. Miaule en slide. Sans fin. Picke en as. Six cordes, une cassée, et une orchestration ébouriffante. Un vocal qui monte et descend le toboggan des émotions. Ne fait pas chaud sur cette place centrale, mais elle vous brûle la peau et l'âme.
L'on ne s'attarde guère autour de lui, because aglagla, mais les oboles de deux euros pleuvent dans son étui de guitare. Je lui prends un CD – voir ci-dessous – et échangeons quelques mots, anglais qui vit à Prague mais qui passe selon d'affectives raisons régulièrement à Mirepoix – deux concerts prévus dans les environs, pas de chance, je serai à ces dates proximales retourné dans ma Brie ni côtière ni natale – une espèce de hobo des temps modernes qui a choisi la marge et les pistes ombreuses de la libre existence.

PROGRAMMED / JUSTIN LAVASH

, Negus N° 2, Pogo Car Crash Control, Michel Lancelot, Justin Lavash,

Fistfulla Snake / The Story so Far / Programmed / EZ in CZ / Just Before / Meditation Gong / This is Now / Gonna Raise A Racket / Alittle too Soon / Affluenza.

Justin Lavash : guitare, vocal / Ian Kelosky : programmation / David Landstof : drums / Beata Hlavenkova / Karl Kwashivie : guitar / Mike Kyselka : harmonica / Stepan Janousek : Trombone. Choeurs et vocal : Kristina Zakuciova / Kristine Bornholtz / James Motherdale / Joe Cook
Enregistrement : Juin - Juillet 2016 / Subs Studio / Prague.

Belle pochette cartonnée openfield avec livret des paroles.

 

Fistfulla Snakes : Peux faire n'importe quoi avait déclaré le Roi Lézard. O. K., mais quoi au juste ? Un demi-siècle après Justin Lavash nous apporte la réponse. On la connaissait déjà, mais tout l'art gît dans la manière de la signifier de façon crédible. Attention, c'est du condensé, une poignée de secondes et de serpents, mais des méchants genre de ceux qui se dressent sur la tête de la Méduse chez Caravage. Vous avez le lieu et la formule, l'essentiel et le superflu, le ciel et l'Enfer, le mojo, l'électricité et les canines du crocodile. Du pur Lavash mais la force souterraine d'un Howlin' Wolf. The Story so Far : instrumental, presque joyeux, une bourrée auvergnate martelée comme quand l'on tire la langue à son ennemi pour le narguer, la slide qui grimace comme une gargouille d'église. Programmed : changement de programme. Le vocal reste chargé d'ironie et l'orchestration résonne comme les cloches à la sortie des mariés, oui mais les paroles démentent cette bonne jovialité, notre monde court à l'abîme, nous nous déshumanisons, des idéologies meurtrières s'emparent des commandes de notre cerveau, sourions, nous sommes filmés, tous devant la caméra du fascisme qui ne rampe plus. La voix se change en message radio. Attention à l'infantilisation de nos âmes. EZ in CZ : Historic blues, le passé de la République tchèque défile sous nos yeux. Politic blues. L'on se trimballe des valises lourdes à porter, nazisme et communisme, mais le présent n'est guère brillant, pourtant Justin avoue l'inavouable, pour lui la Tchéquie est une terre où planter son tipi même si ce n'est pas facile d'y vivre. Just Before : slide paranoïaque, part dans tous les coins. Mais en fait c'est plutôt une attaque schizophrénique. Le rêve qui se barre d'un côté et la réalité qui s'enquille une mauvaise direction. La musique devient un gros trait noir interminable qui raye. All the good is goin'gone. Groove Total : En français dans le texte pour que la subtile bastonnade de la réalité n'échappe point à votre vigilance. L'humanité s'effrite, les banques ne vous laisseront que les os pour pleurer. Grève ou groove. Ne vous trompez pas dans vos choix. Meditation Gong : peu transcendantale. Ne s'agit pas de laisser passer. Plutôt médication que méditation. La pression augmente dans les artères. La batterie s'éclate et les choeurs coagulent votre sang. Marche funèbre endiablée. Rien ne tombe. This is Now : C'est maintenant et pas après, le rythme devient fou, faut arrêter de tourner en rond devant les millions de solutions qui se pressent dans votre tête, la musique est presque froissée, se transforme en comptine enfantine pour mieux être hachée sur les cymbales d'une espèce de cantique de noël qui confine à la folie. Gonna Raise A Racket : le dernier chant d'espoir, pratiquement à cappella. Plus de grain à moudre. A Little too Soon : electronic sound, tout fout le camp un peu trop tôt, une manière de dire que rien ne va plus, ni l'estime de soi-même ni l'amour. Rythme précipité, le robinet d'eau chaude a la tiédeur des larmes du passé qui s'enfuit. Douche froide des amers constats. La guitare larmoie. Pas de quoi pleurer non plus. Affluenza : Joie et airs de mirliton. Tout va bien. Les filles du backing vocal s'en donnent à plein choeur, les boys ont du fric plein les poches. Le monde danse sur un volcan. Ce n'est pas une plaisanterie. Le disque se termine ici. Attention aux fissures dans les murs.

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Ne m'attendais pas à un truc si novateur, si jouissif. Justin Lavash ne nous refait pas le coup du guitariste imparable. N'est pas le dernier puriste du blues. L'envoie aux orties le monstre sacré, l'intouchable. Le malmène salement. Pas de respect pour les vieilles lunes. Fussent-elles bleues. Se balade dans notre modernité. Pas belle à voir. S'agit plus de se contenter d'un fil de fer tendu entre deux clous. Etrangement ce bricolage m'évoque les distorsions que Led Zeppe faisait subir au folk sur son volume trois. Pas d'apparence, mais l'esprit. Le monde est devenu plus complexe. Les couleurs du serpent n'ont jamais été aussi rutilantes, aussi flashantes. Aussi fascinantes. Contre ses anneaux puissants, vous êtes désormais désarmés. Lavash possède son arme secrète, la dernière. L'ironie, qu'il inocule dans le timbre de sa voix. Brouille les pistes d'étranges sonorités. Rien n'est plus sublime que la catastrophe. Dernière valse sur le beau Danube blues.


Damie Chad.

CONSENSUEL
POGO CAR CASH CONTROL
( Clip Officiel / Romain Perno )

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Rien de plus Consensuel que les réveillons de fin d'année. Surtout quand le gentil papa Noël descend de la cheminée pour mettre des milliers de cadeaux dans vos petits souliers. Les Pogo Car Crash Control ont décidé de donner leur version de ces festivités. Sous la direction de Romain Perno qui pousse le groin de sa caméra jusqu'à les transformer en Pogo Car Trash Faustroll. L'histoire commence bien. Une famille unie comme les quatre doigts de la main qui boustifaille à en vomir. Sur la nappe. Ce n'est pas le plus grave. Tout se passe dans les yeux. Ces miroirs phantasmatiques qui trahissent haines et désirs rentrés. Cette douce cellule à la base de notre société est un noeud de vipères. Lubriques. Âmes sensibles s'abstenir. Cela commence comme une grosse farce. Rien ne vous sera épargné. Même pas le foie gras transformé en merde de chien. Ni le crime, ni le viol, ni l'inceste. Le carnaval tourne au burlesque. Grand guignol et stupre néronien. Mais ce n'est pas le plus grave. Romain Perno nous grise d'un grésil d'images tournoyantes. La réalité est une fiction loufrocke. Suffit de faire un tout petit peu attention pour s'apercevoir que derrière le vernis des apparences, tout n'est que tumulte et fragmentations, fracas de miroir brisé coupants et saignants. Tout est parfait si ce n'est ce cadavre de dinde qui fait signe que quelque chose s'est détraqué dans nos sociétés d'abondance. La rigolade au service de la méditation métaphysique. Question essentielle : au-delà de la mort pourquoi le sang du Père Noël est-il d'un rose aussi cru que le saumon fumé ? Champagne pour tout le monde. Cruauté pour les autres. Vous n'êtes pas obligés de regarder. Le monde dans lequel vous habitez n'est pas toujours beau à voir. A rocksommer sans modération.

Damie Chad.

 

MICHEL LANCELOT

LE JEUNE LION DORT AVEC SES DENTS

GENIES ET FAUSSAIRES
DE LA
CONTRECULTURE

( ALBIN MICHEL / 1974 )

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C’est chaque fois pareil. Tous les dimanches matin, sur la brocante. Je prends deux ou trois bouquins de poche à un euro, et lorsque je paie, la tenancière du stand me dit : attendez, je vais vous en rajouter un peu. Mais cette fois-ci elle en a rempli à ras bord une grosse poche plastifiée. Me suis traîné le sac lourd comme le barda d’un légionnaire romain toute la matinée. De retour à la maison, j’ai exploré le coffre aux merveilles. Une collection complète du Point ( heureusement que le Seigneur qui nous aime beaucoup a inventé les bennes à ordures pour nous débarrasser de ces horreurs ), une espèce d’in-folio géant, genre bible en exposition sur les offertoires dans les cathédrales qui s’avéra être un roman de quinze cent pages, quelques babioles de moindre envergure et oh! Tiens ! Surprise, un bouquin de Michel Lancelot. L’est mort, pas longtemps de cela Lancelot et je doute que son nom dise quelque chose aux jeunes générations. Officiait tous les soirs sur Europe 1, entre 1968 et 1974. De la bonne musique, de la pop music comme l’on disait à l’époque, mais ce n’était pas le plus important, le plus intéressant se passait entre les disques, Lancelot parlait de réalités inatteignables, San Francisco, les hippies, la beat generation, évoquait des personnages dont souvent on entendait causer pour la première fois, avait ses invités qu’il interviewait avec passion, Michel Lancelot fut ce que l’on appelle un passeur. Le Jeune Lion Dort avec ses Dents ( proverbe bantou ) est le troisième d’une trilogie qui débuta avec Je Veux Regarder Dieu en Face, un titre qui m’a toujours horripilé - comme s’il n’y avait pas des milliers de choses bien plus passionnantes que ce stupide fantoche - consacré au phénomène hippie et Campus qui pose le problème violence /non violence… faut dire qu’en la France de ces douces et folles années l’était temps d’arrêter l’incendie allumé par une jeunesse peu studieuse et en révolte… Un bel exemple à suivre en ce bas monde où la police est partout et la justice nulle part.

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Que faire ? Comme ne disait pas Lénine. C’est que si l’on refuse la violence, la voie est étroite pour tous les insatisfaits du Système que Lancelot nomme la Machine. L’a sa sortie de secours toute prête. Son nom est écrit sur la porte. La Contre-Culture. Je vous admire, déjà vous êtes en train de tirer sur un joint, un vieil exemplaire d’Actuel sur les genoux tandis que derrière vous grésille un trente-trois tours du Grateful Dead. Rangez votre panoplie. Lancelot nous refait le coup de Greil Marcus devisant sur les Sex Pistols en 1986 ( voir KR’TNT ! 136 du 21 / 03 / 2013 ). Ne soyons pas chronologiquement stupide, c’est à croire que Greil Marcus aurait feuilleté Le Jeune Lion Dort avec Ses Dents avant de se mettre à rédiger son Lipstick Traces.

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L’arrive un moment dans la vie où les illusions vous tombent du cerveau comme les feuilles des arbres en automne. La Contre-Culture n’est pas née en Amérique, ni à Memphis, ni à New-York, ni à Los Angeles, entre 1956 et 1966. Même que ceux qui l’ont initiée ne savaient même pas qu’un jour viendrait au monde un truc tumultueux que l’on appellerait le rock and roll. Notre orgueil de rocker en prend un coup, mais cocoricou, la Contre-Culture vient de chez nous. L’a commencé juste à côté en Suisse, mais les principales batailles se sont déroulées à Paris.
Dada, Lettrisme, Surréalisme, sont les trois premières mamelles du ventre de la bête féconde. Rien à voir avec trois regroupement successifs d’artistes en mal de reconnaissance. De jeunes gens qui se cacheraient derrière un manifeste plus ou moins faussement séditieux pour gagner leur place au banquet de l’écuelle littéraire. Le propos est beaucoup plus sérieux. S’agit de bouter hors du champ de la rationalité affligeante les vieilles lunes de la Culture Académique, celle qui s’achève, comme La Montagne Magique de Thomas Mann sur les champs de bataille de la guerre de quatorze. Rejeter à la mer de l’oubli vingt-cinq siècles d’une civilisation qui a démontré l’inanité de ses principes moraux soi-disant supérieurs. Briser l’aiguille de la boussole, se laisser dériver dans les zones interdites du non-sens, du rêve, de la folie… L’analyse de Michel Lancelot est prémonitoire en le sens où il présente l’entreprise de ces pionniers comme un travail méthodique de destruction qui vise autant à dynamiter les assises sociales de l’être humain que la base idéologique de cette grotesque marionnette infatuée d’elle-même qu’est l’animal-homme qui s’est auto-institué le Sujet Pensant de l’Univers. Lancelot nous présente la tâche effectuée par ces avant-gardes poétiques de la première moitié du siècle précédent en des termes qui conviendraient pour décrire le travail de dé-construction opéré par la génération derridienne en fin de gestation dans le moment où il écrit son livre.
Reste que la littérature se doit de mettre ses théories à l’épreuve de la vie. S’étaler pompeusement sur des pages et des pages est facile, mais il est utile d’en sortir pour transformer le monde. Lancelot possède son as de pique soigneusement arboré sur sa manche. S’il privilégie tout au long de son livre le lettrisme c’est que celui-ci a engendré un bâtard qui sut faire parler de lui. Le Situationnisme en tant que déclic théorique qui déclencha Mai 68. C’est ainsi que l’on aime à présenter les évènements. Z’oui, mais n’empêche qu’il y eut un autre foyer d’infection.
En Amérique. Ce que l’on célèbre aujourd’hui sous le nom de Beat Generation. Sacrés amerloques, tirent toujours la couverture à eux. Ont recréé, tout seuls, dans leur coin lointain, ce que les pauvres européens avaient mis un demi-siècle à faire émerger. Un phénomène de génération spontanée ? Point du tout. De 1959 à 1963, y a du beau monde qui se presse à Paris pour écouter les lettriques lectures d’Isidore Isou.

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Parmi ces aficionados quelques noms connus, des peintres comme Liechenstein et Indiana, futurs rois du pop art, des écrivains reconnus de tous les rockers, Gregory Corso, Allen Ginsberg, William Burroughs, les chantres de la Beat Generation. Les Anglais qui n’en sont jamais à un coup de Trafalgar près adopteront une jeune japonaise qui fréquentait ces lieux de perdition mentale, destinée à devenir la compagne d’un célèbre prolétaire, Yoko Ono.
N’est pas question de se disputer pour savoir qui possède la plus grosse beat générative. Le mal vient de plus loin que le siècle précédent. Lancelot remonte les escaliers de l’Histoire, descend les marches jusqu’à la Rome Antique. Ce n’est pas qu’il soit un émule de Jules César. Nous entraîne dans le stupre de la décadence. Hélas, nous n’avons pas droit à quelques scènes de banquet orgiaques, nous ne sommes pas là pour nous amuser ou nous rincer l’œil à grandes eaux, mais pour apprendre à identifier nos ennemis. Le christianisme, son moralisme étroit, son puritanisme puant, son étroitesse idéologique qui brûla bien plus de livres que ne le firent les Nazis… Histoire ancienne diront les esprits conciliants. Pas tant que cela. Rappelez-vous les mouvements de protestation contre la guerre au Vietnam, dans les universités américaines. Comme par hasard, très vite fleurit sur les campus de la docte America les Jesus freaks qui s’employèrent à répandre les préceptes de non-engagement politique prêché par le dieu d’amour et de paix… Faisons vite une croix sur ce cauchemar de résignation pateline.

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La Contre-Culture n’est pas là où on l’attend. La fumette est un agréable passe-temps à ne pas confondre avec les expériences du LSD prônée par Timothy Leary. Ne s’agit pas de se faire sauter la tête en quête d’une jouissance sans entraves. L’acide est un moyen de Connaissance, une gnose qui permet de gravir les arcs-en-ciel qui donnent accès à l’auto-divinité. L’interdiction de la drogue repose sur d’autres inquiétudes que la préservation de la santé physique de ces adeptes. Celui qui parvient à un niveau de conscience sur-élevée ne croit plus en les préceptes de la comédie sociale. Devient un ingouvernable, un incontrôlable sur lequel la loi commune n’a plus aucune prise. Il serait extrêmement dangereux pour un Etat que se développe une trop large frange de tels individus. Big Brother veille sur vous. Ne vous quitte pas de l’œil.
C’est dans les ouvrages de science-fiction d’un Bradburry ou d'un Philip K. Dick que se développera la critique la plus radicale des institutions. Une simple distorsion temporelle permet d’évoquer des problèmes ou de soulever des problématiques les plus actuelles. Retour en France, Lancelot évoque longuement Le Matin des Magiciens - plus d’un million d’exemplaires vendus, et l’aventure de la revue Planète qui s’ensuivit. Un phénomène éditorial qui ouvrit en grand les portes de l’ésotérisme à une génération avide de nouveautés. Le livre devint la Bible du mouvement hippie français, déclencha des prises de conscience et des décisions existentielles innombrables. Elargit le champ des possibles. Prudence, nous avertit Lancelot, confiez les plus hauts secrets, donnez les meilleures potentialités à un imbécile, il n’en ressortira que des imbécillités. Papa Freud devenu la tarte à la crème de la psychologie du pauvre.
Nous donne l’impression que la Contre-Culture n’est pas un mouvement de masse. Notre époque ne manquera pas de l’accuser d’élitisme ! Porte l’accent sur les novateurs, les Kandinsky qui font exploser les schémas de la représentation, les anonymes qui se servent du faible coût et de la maniabilité du super-huit pour s’emparer du cinéma. Est à l’affût des arts nouveaux : la bande dessinée qui prend son essor au tout début des seventies par exemple…
Quarante ans après, le bouquin date un peu. La bombe atomique ne nous fait plus peur. L’extinction de l’espèce humaine nous l’avons congédiée pour parer au plus pressé, ces fous dangereux qui attaquent nos petites personnes à coups de hache dans le train, nous nous méfions davantage de l’islam que du christianisme... Les Etats l’ont compris, l’important ce n’est pas la cause, mais que la peur continue à habiter les esprits. Le vieux lion a longtemps dormi, en se réveillant s’est aperçu que ses griffes étaient émoussées.


Damie Chad.

M’en a voulu à mort. Cette vieille baudruche crevée de dieu. N’a pas dû goûter mes blasphèmes. N’avais pas fini cette chronique depuis deux jours, qu’en entrant chez le premier bouquiniste venu mon œil fut attiré par une chatoyante couverture, à ne pas y croire, quel hasard saint Balthazard, quelle providence, négligemment posé sur un tas informel de bouquins, qui me regardait droit dans les yeux, de Michel Lancelot :

JE VEUX REGARDER DIEU EN FACE
( LE PHENOMENE HIPPIE )

( Albin Michel / 1972 )

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La première édition date de 1968, en prise directe sur les évènements, n’y avait pas beaucoup de monde sur le coup à l’époque, à part Alain Dister de Rock & Folk que Lancelot cite avec respect à plusieurs reprises. Mais tout ce que je vous raconte ne vous intéresse pas, la question purulente vous brûle les lèvres, et Dieu dans tout ça, my dear Damie Chad ?

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Il arrive. Tout doucement. Peut-être pas comme vous l’imaginez. Mais il ne va pas tarder à vous éblouir. C’est comme dans la Bible, d’abord vous aurez droit aux prophètes. Le premier a déjà beaucoup vécu. L’est en fin de course. Mais l’est le précurseur. L’enfonceur des portes qui n’étaient pas encore ouvertes. Un oiseau de mauvais augure. Nous promettait un futur peu rigolo, aux alentours de 1984. Un fachisme d’état menaçant. George Orwell a foutu les chocottes à deux générations. Ce n’était pas l’annonce de la dictature totalitaire qui les faisait flipper. Mais la date symbolique choisie comme titre de son roman, celle de l’alignement des planètes et de la fin du monde qui s’en suivrait. Tenez un discours politique clair et les imbéciles s’adonneront aux croyances délétères des ésotérismes les plus fumeux. En ces temps-là, on entendait dire que le cerveau d’Einstein n’exploitait que dix pour cent de ses capacités, Aldous Huxley était encore plus catégorique, quand on aurait trouvé le désherbant qui nettoierait les mauvaises herbes du bien et du mal qui encombrent la cervelle de l’individu, nous entrerions de plain-pied avec les réalités sur-jacentes de l’Univers.

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Le problème avec les intellos - fussent-ils de génie - c’est qu’ils parlent beaucoup mais agissent peu. Dieu comprit la nécessité de la venue de son deuxième prophète. Un mec bien, sous tous rapports. Un professeur d’université avec une liste de diplômes aussi longue que celle des commissions. N’aimait pas les cours magistraux. L’était pour les méthodes d’enseignement actives. Un théoricien certes mais doublé d’un expérimentateur de génie. L’avait tout compris, si vous voulez que les élèves retiennent, c’est à eux d’emmagasiner dans leur boîte crânienne les savoirs indispensables à d’utiles compréhensions. Possédait son outil magique, le mystérieux LSD 25, un produit miracle qui surmultipliait votre perception du monde, un déluge de couleurs qui s'abat sur vous et vos représentations rétiniennes qui se tordent dans tous les sens avec la vivacité synesthétique d’un élastique fou. Mais Timothy Leary ne se contente pas de noter scrupuleusement vos réactions. N’est pas un simple observateur. Cet homme est aussi un poète. Au verbe aussi étincelant que vos visions lysergiques. Un séducteur. L’on sent que Michel Lancelot est fasciné par ce bateleur de l’invisible. C’est que Leary n’y va pas avec le dos de la cuillère à glace. Vous sert la soupe à la louche. Ne vous promet pas un bref instant de plaisir, une sensation forte, l’escalade de l’Everest en tongs trouées les yeux fermés. Non, l’est affirmatif, si vous devenez un adepte de la consommation du LSD, vous finirez par apercevoir la lumière blanche. J’entends le rire des sceptiques qui appuient sur le commutateur électrique. A la fosse, bande de mécréants ! La blancheur à laquelle vous avez accès n’est autre que celle qu’entrevirent les Mystiques. La splendeur divine qui se révèle à vous sous sa forme la plus lumineuse. Oui, vous regardez Dieu en face ! Vous atteignez à la sagesse supérieure, à la connaissance suprême ! Vous ne trouverez jamais mieux ailleurs. Leary invente une forme nouvelle de psychologie ébouriffée, philosophico-expérimentale, une espèce de do it yourself à la portée du plus grand nombre, le psychédélisme.

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Contrairement à ce que l’on pourrait accroire, les allégations de Timothy trouvèrent crédit auprès de nombreux étudiants. Les USA sont un pays pétri de religion. Les générations d’après-guerre avaient un peu de mal avec le dieu d’amour de leurs parents sous l’égide duquel deux conflits mondiaux avaient défiguré la première moitié du vingtième siècle. De plus on en avait rajouté, une bombe atomique apocalyptique et une intervention au Vietnam qui se profilait à l’horizon des fins d’études. Les injonctions de Leary étaient davantage réconfortantes, laissez tomber votre existence de merde programmée dans les états-majors du Pentagone et des multinationales, quittez tout, transformez votre vie en une quête d’absolu, retirez-vous de la confusion et des tracas du monde, devenez les adeptes de la nouvelle religion de l’acide et vous mènerez une paisible vie de sérénité accomplie. Un message qui n’est pas sans rappeler les injonctions des premiers chrétiens qui tombait à pic dans le substrat christianophile de l’inconscient national…

SAN FRANCISCO 1966


La mayonnaise - ou plutôt la béchamel pour respecter le code de la couleur dominante - prit au-delà de toute espérance. Sur les campus la bonne nouvelle se répandit à la vitesse d’un éclair au chocolat blanc. Pour une fois que l’on était investi d’une mission supérieure, l’on n’allait pas laisser passer l’occasion. D’autant plus qu’il y avait des à-côtés sympathiques : refus de la violence, ouverture aux autres, amour tous azimuts. L’on possédait non seulement the miraculous drug, l’on s’adonnait à la pratique philosophique du sex, et dans leurs coins des groupes de rock and roll commençaient à mettre au point la bande son du mouvement. La sainte trinité était retrouvée.
L’année 1966 débuta sous les meilleurs auspices. L’été fut merveilleux. La population accueillit sans déplaisir cette jeunesse aux habits colorés qui squattèrent la quartier Haight-Ashbury Park. Pas méchants pour un cent. Sourires aux lèvres, vous offraient dès fleurs dès que vous risquiez une réflexion déplaisante, passaient leur temps à bavarder sur les pelouses. Dans les hauts lieux gouvernementaux l’on s’inquiétait. Cette jeunesse qui refusait d’entrer dans le moule social, qui dédaignait de participer à la guerre du Vietnam et puis cette drogue qui catalysait ces refus d’obéissance anarchisante… Inquiétant d’autant plus que les media amplifiaient le mouvement…

MICHEL LANCELOT

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L’arrive un peu après la bataille. Tout est foutu. Le mouvement essaie de faire face. Pas à Dieu mais aux hommes. Les purs et durs fuient la nouvelle Babylone. Fondent des communautés à la campagne. Dans des coins perdus où l’on essaie d’inventer de nouveaux paradigmes existentiels. En 1968, il est trop tôt pour tirer un bilan sur ces expérimentations utopiales. Lancelot rentre en France, bien décidé à témoigner de ce qu’il a vu. N’est pas idiot, c’est qu’il écrit sur la corde raide. Aborde un sujet dangereux : celui de la drogue.
Comment n’en pas parler ? Et comment rester crédible ? N’est pas comme ces savants qui vous décrivent et dessinent par le menu les fameux dinosaures que personne n’a jamais vus. L’est un malin. Non, il n’a pas vu Dieu en face, ni de profil, mais il a pris du LSD. Le raconte dans les annexes. N’est pas un consommateur. Un expérimentateur. Un cobaye scientifique qui livre ses impressions mais aussi le rapport objectif des accompagnateurs qui ont programmé ces expériences. Peu affriolant. Ne se rappelle pas de grand-chose. Le paquet de lessive que vous avez acheté sur la fois des pubs à la télé et qui ne lave pas plus blanc que les autres. Fait suivre son récit de quatre exemples de very bad trips… des témoignages médicalisés qui ne sont guère incitatifs.
Se raccroche aux petites branches. Evoque l’art hippie. Pas vraiment emballé. Les fameuses affiches des annonces de concerts ne séduisent pas notre homme qui est un spécialiste de la peinture européenne. Pour la musique, l’est plutôt un aficionado du classique… L’est beaucoup plus intéressé par le détachement quasi monastique de ceux qui sont attirés par la spiritualité des pays d’Orient. Ceux qui partent pour l’Inde et qui en 1968 ne sont pas encore revenus… Les promesses n’engagent que ceux qui veulent y croire.
Le titre du bouquin est un peu tape-à-l’œil mais il n’en est pas moins intéressant. L’était difficile de faire mieux à l’époque me semble-t-il. Un document à chaud qui ouvrait bien des perspectives. Lancelot avait voulu comprendre son époque. Au plus près. Le livre démarre comme un essai, l’a été pensé avec le sérieux d’un pape hérétique, cinquante ans après il reste un document sans égal, rédigé au cœur même du désastre.


Damie Chad.

NEGUS N°2

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Ce qui s'appelle arriver après la bataille. Cette recension paraîtra alors que le ce numéro 2 de la revue devrait être retiré des kiosques en ce début d'année. Pour, espérons-le la mise en place de la troisième livraison. Nous avions présenté le premier fascicule ( voir KR'TNT ! 296 du 29 / 09 / 2016 ) et puis lassé d'attendre la deuxième parution, nous l'avons quelque peu oubliée. A notre décharge, elle n'a pas été vraiment mise en évidence dans les points presses que nous fréquentons. C'est en passant devant le bureau de tabac où je m'étais procuré le premier que l'idée m'est subitement venue de m'enquérir de son éventuelle parution. Sont allés me le chercher dans l'arrière-boutique. Ont peut-être trouvé la couve gênante : ce drapeau français qui vous arrache les yeux et le titre sans concession : Silence on tue les noirs. Pas étonnant si sur son facebook Negus invite systématiquement à chacun de leur post à s'abonner.
Negus ne pouvait pas passer sous silence le décès d'Adama Traoré suite à son interpellation par la police – tout le monde la déteste – donne la parole à sa soeur Assa Traoré qui mène un épuisant combat pour savoir enfin les conditions exactes de la mort de son frère. Police, Justice et Autorité sont bien embarrassées de ce cadavre de plus en plus encombrant. Une affaire à suivre.
Nous retrouvons la suite des aventures de notre couple suicidaire décidé à traverser l'Afrique du Sud en stop. On leur promet le viol et la mort dès qu'ils aborderont les townships grouillants de noirs assassins. Hélas, les prophéties se révélèrent vaines. Ne cachent point que parfois l'appréhension leur serre les fesses et qu'ils s'endorment sous la protection d'un couteau, mais même invités chez les autochtones tout se passe au mieux. Même pas étranglés en pleine nuit dans leur sommeil. De quoi désespérer de la noirceur humaine. Nos deux héros tirent la leçon de leur odyssée : les communautés blanches et noires qui vivent séparées, phantasment leurs peurs et leurs passés...
Retour en France, pardon en Guadeloupe, regard noir sur les méfaits de la colonisation passée et de la post-colonisation actuelle... L'on enfonce davantage le couteau dans la plaie avec la reproduction du discours de Thomas Sankara prononcé le 29 juillet 1987 au sommet de l'Organisation de l'Union Africaine. Une autre vision de l'Afrique libre et indépendante débarrassée de la tutelle de l'Occident. Des réalités et une vision si dérangeantes que trois mois plus tard ce président du Burkina Faso si politiquement incorrect fut promptement liquidé...
Passons sur les deux bandes dessinées qui accaparent trop de pages. La revue s'achève sur un long article consacré à 2pac. L'était déjà présent dans le premier numéro, mais cette fois-ci, l'on s'intéresse moins à sa musique et davantage à l'aspect politique de sa démarche. Negus poursuit sa marche en avant. Sont conscients - du moins nous le leur souhaitons - que l'expression laudative de la fierté noire tournera vite à vide, autant que les jérémiades victimaires, le salut réside en un projet politique qui n'est pas évident à définir. Pour le moment la revue s'enferme un peu trop dans le communautarisme. Ne s'agit pas de nier l'oppression subie par les peuples noirs, les pauvres et les opprimés sont de toutes les couleurs. Les riches et les oppresseurs aussi. Le racisme est un ferment de division des luttes des masses populaires savamment entretenue par la main-mise capitaliste sur les richesses et l'esprit corruptible des hommes.


Damie Chad.