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21/09/2016

KR'TNT ! ¤ 295 : CHPIS MOMAN / FRANTIC ROCKERS / THE DISTANCE / NAPALM DEATH / JIM TULLY / JAMES BALDWIN / JOHN LENNON

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

, Chips Moman, Frantic Rockers, THE DISTANCE + Napalm Death + l'empreinte + JIM TULLY, JAMES BALDWIN, Marie-Hélène Dumas + JJohn Lennon,

LIVRAISON 295

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

22 / 09 / 2016

 

CHIPS MOMAN / FRANTIC ROCKERS /

THE DISTANCE / NAPALM DEATH /

JIM TULLY / JAMES BALDWIN / JOHN LENNON

UN MOMENT CLE

, Chips Moman, Frantic Rockers, THE DISTANCE + Napalm Death + l'empreinte + JIM TULLY, JAMES BALDWIN, Marie-Hélène Dumas + JJohn Lennon,


— Chip quoi ?
— Chips Moman !
— Non ça ne me dit rien...
Le Professor Von Bee et moi avions cette conversation l’autre nuit sur l’autoroute, en rentrant du concert des Rezillos. Il n’avait jamais entendu parler de Chips Moman et pourtant, un peu plus tôt dans l’après-midi, il me faisait écouter une compile Kent consacrée à Dan Penn qui venait tout juste de paraître.
C’est vrai que Chips Moman est passé un peu à la trappe, en France. Aux États-Unis, Chips est une légende, au même titre que ses vieux copains Dan Penn et Spooner Oldham. Enfin, était, car Chips vient de casser sa pipe et on lui doit bien un coup de chapeau, pas vrai ? Au moins pour deux raisons : les deux hits co-écrits avec Dan Penn, justement, «The Dark Side Of The Street» qui fut un hit pour James Carr, autre légende à roulettes, et «Do Right Woman Do Right Man» qui fut un hit pour Aretha.
C’est l’histoire de ce hit écrit pour Aretha qui est marrante.
Il faut remonter un peu dans le temps, jusqu’en 1966, l’année où Aretha songeait à quitter Columbia. Cinq ans auparavant, son père le Révérend Franklin avait choisi Columbia plutôt que Tamla car il voulait que sa fille entamât sa carrière sur un label prestigieux. Ce serviteur de Dieu ne rêvait que d’une seule chose : voir sa fille devenir une star. De 1961 à 1966, Aretha enregistra des albums produits en partie par John Hammond. Mais elle ne parvenait pas à entrer dans le hit-parade, alors que toutes ses copines originaires comme elle de Detroit y caracolaient déjà, grâce à Tamla. Les disques d’Aretha très orchestrés et trop arrangés de la période Columbia semblaient ringards, alors que Berry Gordy réinventait la poudre et sortait quasiment un hit planétaire chaque semaine. The sound of young America ! Ça ne vous rappelle rien ?

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Aretha était alors mariée à Ted White qu’on surnommait le gentleman pimp. Ted White était en fait un mac black très distingué qui faisait bosser plusieurs filles. Il n’eut aucun mal à séduire Aretha qui était aussi une croqueuse d’hommes, en dépit d’une apparente timidité. Johnnie Taylor et bien d’autres se souviennent d’elle comme d’une chaudasse de première main - She was more a party girl, a shy one, but a fox nonetheless - Bettye LaVette connaissait aussi Ted White, en tant que protecteur, et homme de goût qui connaissait ses vins et ses parfums. Bettye explique que dans le monde de la musique noire, les producteurs/managers étaient aussi généralement des proxos : ils trouvaient des femmes qui travaillaient pour eux et qui rapportaient du blé, et en échange, ils les protégeaient. Aretha n’était pas la seule dans ce cas. Sarah Vaughan et Billie Holliday étaient elles aussi macquées. Bettye ajoute que si elles ne rapportaient pas assez d’argent, elles prenaient des coups. Et ça allait même beaucoup loin, car elles prenaient ça pour une preuve d’amour - Lots of chicks felt like if their man didn’t beat her, he didn’t love her (Elles pensaient que si leur mec ne les battait pas, c’est qu’il ne les aimait pas) - Etta James dit qu’Aretha et Ted, c’est la même chose qu’Ike and Tina. Ike a fabriqué Tina et Ted, dit-elle, a façonné Aretha en lui apprenant les bonnes manières et à se conduire dans le monde. Alors Etta se pose la question : aurions-nous connu le succès, Aretha, Sarah, Billie et moi, sans les macs qui nous vendaient ? - A career without pimps selling us ? - Sa réponse est claire - Who the fuck knows !
À l’époque où Aretha est encore chez Columbia, le public commence à l’admirer. Mais Ted White trouve qu’elle ne rapporte pas assez de blé. Justement, le contrat avec Columbia arrive à terme et Ted se frotte les mains. Il sait que les autres gros labels louchent sur Aretha et qu’ils sont prêts à allonger l’oseille.
On est en 1966 et Jerry Wexler a déjà 49 ans. Il se passionne depuis l’enfance pour la musique noire et il fait une carrière de producteur chez Atlantic, un label indépendant qui a décollé grâce à Ray Charles. Le boss d’Atlantic s’appelle Ahmet Ertegun, fils de l’ambassadeur de Turquie aux États-Unis. Ahmet est lui aussi un homme de goût, un mec plus fasciné par les musiciens que par le profit, le contraire exact des businessmen qui gèrent les gros labels corporate et qui ne pensent qu’à se goinfrer. Tout ça pour dire qu’Atlantic et Columbia constituent les deux extrêmes de l’industrie musicale.
Wexler a déjà lancé Solomon Burke et Wilson Pickett, et bien sûr, il rêve de récupérer Aretha. Il a flairé son talent. Il voit son potentiel. Columbia n’a rien compris. Il sait que le contrat d’Aretha avec Columbia va expirer. Il lance un hameçon a Detroit dans l’entourage d’Aretha et il attend.

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Et puis, il a découvert le studio de ses rêves, un endroit où les musiciens jouent avec une incroyable spontanéité. Ce sont des blancs et le studio se trouve à Muscle Shoals, en Alabama. Un jour, il s’y trouve pour superviser une séance d’enregistrement de Wilson Pickett. Percy Sledge entre dans le studio et se fout de la gueule de Wilson qu’il accuse de singer Otis et James Brown. Une shoote éclate, et Wexler doit s’interposer car Percy et Wilson sont d’anciens boxeurs et les coups commencent à partir. Soudain une secrétaire appelle Wexler et lui dit qu’une certaine Louise Bishop le demande au téléphone. Louise est son hameçon à Detroit. Elle lui indique qu’Aretha est prête à le rencontrer. Wexler attendait cet instant depuis des semaines.
Il prend le téléphone que lui tend la secrétaire. Mais il ne tombe pas sur Aretha, il tombe sur Ted, évidemment.
— Mister Wexler ?
— Appelle-moi Jerry !
— Okay, appelle-moi Ted.
— J’ai entendu dire que ta pouliche est à vendre, Ted...
— J’ai entendu dire que tu serais très intéressé, Jerry...
— Plus que très intéressé, gravement intéressé...
— Dans ce cas, il faudrait qu’on se rencontre...
— C’est quand tu veux !
— Donne-moi une date !
— Lundi à New York. Dans mon bureau à midi.
— On sera là.
Si vous entrez dans ce bureau, alors vous entrez dans le monde des géants de l’histoire du rock. Il s’agit de la première entrevue entre Aretha et Jerry Wexler, l’homme qui va faire d’elle une reine, the Queen of Soul.
Aretha et Ted arrivent pile à l’heure, souriants. Jerry est un vieux renard, il les met à l’aise et demande pourquoi ils cherchent un nouveau label. Aretha prend la parole d’une voix de petite fille :
— Je voudrais bien des tubes.
— Et de l’argent, ajoute Ted.
Wexler abat aussitôt ses cartes :
— Je peux vous avancer 25.000 dollars pour le premier album. À la seconde où vous signez ce contrat, je vous donne le chèque.
Wexler s’attend à une partie de bras de fer. Il est sûr que Ted va demander le double. Mais non. Wexler est même choqué quand Ted lui annonce :
— Okay, on y va pour 25.000.
La première idée de Jerry Wexler est d’envoyer Aretha chez Jim Stewart à Memphis. Wexler travaille avec Stax et ça se passe bien. Stax pond hit sur hit. Mais à sa grande surprise, Stewart décline l’offre. Il dit qu’il ne voit pas Aretha enregistrer chez lui dans le studio Stax. Il pense que l’environnement ne lui conviendrait pas. Après coup, Wexler se dit qu’il a frôlé la catastrophe, car Stewart a raison. Wexler sait que la magie se trouve à Muscle Shoals. Il arrive à convaincre Aretha et Ted de descendre faire une première session dans ce petit studio d’Alabama. Nous sommes en janvier 1967. «Respect» (Otis) et «A Change Is Gonna Come» (Sam Cooke) font partie du choix de morceaux. Wexler est sûr de son coup.

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Dans le studio se trouvent les musiciens blancs qui vont faire la légende de Muscle Shoals, Jimmy Johnson, guitare, Roger Hawkins, drums, Tommy Cobgill, bass et Spooner Oldham, claviers. Ah mais il y a aussi un autre guitariste, un mec qui a déjà accompagné des gens du calibre de Gene Vincent et de Johnny Burnette. Oui, c’est Chips Moman.
Au commencement de la session, Aretha ne sort pas de sa coquille. Elle appelle les musiciens Mister et tout le monde l’appelle Miss Franklin. Dan Penn assiste à la session et dit qu’Aretha chante comme une sainte. Petit à petit, l’atmosphère se détend car Aretha apprécie vraiment la spontanéité et l’énergie du groupe. Le courant passe bien, alors elle met le paquet.
Pendant une pause, Dan montre un enchaînement d’accords à Chips :
— Écoute ça !
Ils gratouillent un refrain vite fait sur le pouce et ça devient une chanson intitulée «Do Right Man Do Right Woman». Ils la propose à Aretha qui l’adore et qui décide de l’enregistrer aussi sec. Dans ce climat d’ébullition créative, Wexler jubile. Il sait aussi qu’il assiste à la naissance d’une superstar.
Le studio appartient alors à Rick Hall, boss moustachu du label Fame. Wexler et lui ont un petit contentieux, car Rick a piqué Clarence Carter à Atlantic, mais Wexler a passé l’éponge. Le soir, à la fin de la première session, Wexler fatigué rentre à son hôtel et laisse tout le monde faire la fête, comme c’est la coutume chez Fame. L’alcool coule à flots et soudain une shoote éclate entre Ted White et un joueur de trompette. Racial stuff ! Ted empoigne le bras d’Aretha et ils quittent le studio en claquant la porte.
Rick Hall file à l’hôtel pour essayer de rattraper le coup, mais Ted White n’a pas dessaoulé. Il ne veut rien entendre. Il est même devenu complètement hystérique :
— J’aurais jamais dû emmener ma femme en Alabamaaaaaa pour jouer avec ces puuuutains de rednecks !
— Oh ! Tu me traites de redneck ?
— Tu m’as bien traité de nègre, tout à l’heure !
— Je n’utilise jamais ce mot !
— Mais tu le penses, hein ?
— Je pense surtout que tu devrais aller te faire enculer !
Et pouf, Ted balance un droite et paf ! Rick lui en retourne une en pleine gueule.
Quand Jerry Wexler apprend ça, il accourt pour essayer de réparer les dégâts. Il est six heures du matin. Mais c’est cuit. Ted White est hors de lui.
— Ouais, tu disais que Muscle Shoals était un paradis de la soul ? Mon cul ! Muscle Shoals is soul shit ! Ces mecs sont des nasty motherfuckers ! On se casse ! We’re outta here !
— Mais que fait-on des morceaux, Ted ? Le seul qu’on a enregistré, c’est «I Never Loved» et le début de «Do Right Man».
— T’es dans la merde Wexler. Je ne crois pas que ma femme continuera d’enregistrer pour Atlantic. Tu vois la porte ? Dégage !
Jerry Wexler est anéanti. Le pauvre. Il venait de vivre la plus belle séance d’enregistrement de sa vie et ça se termine en désastre : Ted dit qu’il va quitter Atlantic, il vient de se battre avec le propriétaire du studio et il met fin à la session après seulement une journée d’enregistrement.

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Wexler n’a aucune idée de ce que va décider Aretha. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’Aretha est loyale envers les gens qui lui plaisent. En outre, elle ne supporte plus son mari Ted qui lui fout des trempes en public. Elle va donc profiter de cet incident pour s’en débarrasser. D’autant qu’elle l’a vu picoler toute la journée et gâcher une session d’enregistrement qui lui plaisait beaucoup. Elle s’entendait si bien avec monsieur Moman et monsieur Penn, avec monsieur Hawkins et monsieur Johnson, avec monsieur Wexler et monsieur Hill. Quand Ted a agressé le joueur de trompette, ce fut pour Aretha la fameuse goutte d’eau, celle qui fait déborder le vase. Hop, Ted le manager proxo est viré.
Dix jours plus tard, elle rappelle le pauvre Jerry Wexler qui n’y croyait plus.
— Monsieur Wexler, c’est Miss Franklin à l’appareil. Je suis prête à enregistrer. Mais je ne souhaite pas retourner à Muscle Shoals. J’enregistrerai à New York. Je sais que vous y avez des studios.
— C’est entendu. Que fait-on pour les musiciens ?
— Faites venir les boys de Muscle Shoals, s’il vous plaît. Ils me comprennent bien. Et pour les chœurs, je ferai venir mes sœurs.
Voilà de quelle façon Chips et ses copains sont revenus jouer avec Aretha et finir d’enregistrer I Never Loved A Man The Way I Love You, son premier smash sur Atlantic.

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Oh encore une chose avant de dire adieu à Chips. Dan et lui ont aussi composé un autre hit intemporel : «Cheater Man». Ça ne vous dit rien ? Esther Phillips ! Le cut se trouve sur le volume 3 de la série Formidable Rhythm & Blues. C’est un disque que j’emmenais dans toutes les boums à l’époque. Juste pour pouvoir entendre et faire entendre Esther. Quand elle attaquait «Cheater Man», un éclair de jouissance bulbique nous traversait le corps de la tête aux pieds et on se désarticulait comme on pouvait pour danser la Saint-Guy. La petite voix sucrée d’Esther nous rentrait sous la peau et nous hérissait le poil. Chaque fois que je pense au mot frisson, je l’associe au nom d’Esther Phillips. Elle est restée la déesse de la soul libidinale, la reine de la Nubie schwobienne des songes éthérés, la pourvoyeuse d’élans symptomatiques et la garante d’une certaine pureté sentimentale.



Signé : Cazengler, Moman bobo

Chips Moman. Disparu le 13 juin 2016
Aretha Franklin. I Never Loved A Man The Way I Love You. Atlantic 1967
Thom Gilbert. Soul Memphis Original Sound. Officina Libraria 2014. (Un très beau portrait de Chips Moman s’y trouve)

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BETHUNE RETRO / 27 août 2016


FRANTIC ROCKERS

Le franc tir des Frantic

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Et pourtant, c’était mal parti. Les Frantic Rockers venaient de tester le son avec une mauvaise version du «Rolling Stone» de Muddy et on s’est dit : Oh la la, ça y est, on va encore se taper une resucée du Chicago Blues des années quatre-vingt !

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Eh oui, deux blacks devant avec des guitares, un jeune chicano à la stand-up et un batteur lui aussi chicano à lunettes, on avait là le prototype du petit groupe de club sans avenir ni prétention. Le jeune black au chant semblait assez timide, mais on voyait poindre le rigolard sous le timide. Il avait la physionomie mobile d’un J.B. Lenoir ainsi que son petit côté rondouillard. Son collègue guitariste très métissé portait une casquette et jouait sur une Telecaster, ce qui n’était fait pour nous rassurer. Par contre, la section rythmique affichait une belle tendance rockab à l’Américaine.

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Après deux morceaux cousus de fil blanc qui faillirent sceller son destin, le groupe se mit vraiment en route, comme un moteur qui trouve enfin son régime. Les deux guitaristes commencèrent à claquer des riffs ensemble et soudain, ils transformèrent un set d’apparence bringuebalante en véritable pétaudière. Oui, il s’agissait du vieux Graal que cherchent tous les lapins blancs, le rockab du blues, ou le blues du rockab, si vous préférez, enfin, l’endroit exact où se croisent les deux cultures, cette énergie primitive qu’on trouve chez des gens comme Lazy Lester ou Frankie Lee Sims, Ike Turner ou Jerry Boogie McCain. Et surtout chez Charlie Feathers qui prenait des cours de guitare chez un vieux black de plantation nommé Obie Patterson. Tous ces gens-là ont inventé la pétaudière de cabane branlante.

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En seulement deux cuts, les Frantic Rockers se mirent le public dans la poche. On ne peut pas rester insensible à un son pareil. Ce sont les racines de la musique moderne, de tout ce qui constitue notre univers. Et ils relancèrent leur set de façon spectaculaire. Ils firent tout simplement ce qu’on attend de tous les groupes de rockab, ils se mirent à casser méthodiquement la baraque. Cut après cut, ils shootaient dans la nuit tiède de Béthune tout le ramshakle du Chicago blues des origines, avec la quincaillerie habituelle d’ailes de Cadillac, de pompadour de Muddy, de portières arrachées de Little Walter, de poules noires aux cheveux décolorés, de seringues usagées, de vieux amplis à lampes et à roulettes, de costumes vert pistache et de mocassins en peau de vache, d’épouses trompées mais fidèles, de murs ruisselants de condensation, de faune interlope, de gibier de ghetto, de blues joué trop fort, d’alcool frelaté, de blessures au visage mal soignées, d’harmos sortis des poches des pantalons, de chaussures sans chaussettes, de négritude mal adaptée aux lois urbaines, de jungle dans la jungle, de hantise du gros porc de flic blanc, de bosse de holster sous le veston, de cliquetis des glaçons dans les verres, de bouche pâteuse du petit matin, de poule ramenée à la maison qui se couche toute habillée, de deep blue sea et de toutes ces femmes fishing after me, de cousins eux aussi montés du Deep South par le train, de petits boulots à l’usine, d’odeur de sang pour ceux qui comme Pops travaillent aux abattoirs pour nourrir les gosses, de patrons blancs qui ne payent pas les musiciens, et de Juifs polonais qui ont un studio sur Michigan Avenue et qui font du business sur le dos des nègres.
Le petit gros s’appelle Jessie De Lucas. On se souviendra de lui comme du héros d’un soir. Il chantait et dansait en frottant ses semelles, claquait des riffs et prenait des solos classiques, mais avec une belle rage. On aurait dit un Muddy dévergondé, un Muddy décidé à faire twister les colonnes du temple. Il laissait parfois le micro à son copain David Salvaje qui hélas n’avait pas de voix, mais bon, ça passait, car Jessie dansait à côté et cherchait tous les moyens de faire encore monter la température. Et elle montait, au point que le public réclama encore des cuts, alors ce fut l’enfilade des rappels, et par chance, ils avaient quelques jolis classiques en réserve.

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Pas de miracle, tout ça repose sur une section rythmique infernale. Les deux chicanos jouent les locos, ils n’accordent aucun répit ni au beat, ni au public, et encore moins au qu’en-dira-t-on. Jamais de slow blues, non, ils tapent dans le haut du hot, et c’est un régal libidinal que de voir jouer un batteur pareil. Véritable powerhouse, ce mec est tombé dans une bassine de beat quand il était petit. Il peut jouer d’une baguette de la main gauche et secouer des maracas de la main droite. On sent la pulsion frantique en continu. All nite long, comme disait Muddy.

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Les Frantic Rockers ont déjà enregistré deux albums. Le premier, paru en 2014, s’appelle Savage Beat, tout un programme, et c’est peut-être l’expression qui pourrait les caractériser. Dès le «Wanna Boogie» qui ouvre le bal, ils mettent la pulsion sous pression, ils tapent dans la légende de Magic Sam, mais au guttural de bête de club. Ils rendent ensuite un hommage endiablé à Junior Wells avec une reprise d’«Hoodooman Blues». On sent la mort qui rampe au cœur du blues, le serpent des origines, le satan du blues, Papa Lego et le Baron Samedi. Ils redonnent du nerf à cette vieille mythologie issue des forêts tropicales. Inutile de dire qu’avec ces deux morceaux, ils font un véritable carnage sur scène. On retrouve aussi sur disque le fameux «Rolling Stone» de la balance. Curieusement, la version studio est nettement meilleure que la version live, car extrêmement bien pulsée au beat. Ils tapent ensuite dans Billy Boy Arnold avec un version bien slappée de «Crying And Pleading». Ils attaquent parfois des cuts au slap pur, comme ce fantastique «All Through The Night», ou alors «I’m Gone», qui sonne comme un classique rockab des enfers. C’est là qu’on retrouve le fameux croisement des genres, celui auquel s’intéressent aussi Jake Calypso et les Excellos. Pour réussir un coup pareil, il faut disposer d’une section ryhtmique exceptionnelle, ce qui est le cas des Frantic Rockers. Leur «Drive Me Insane» plaira à tout le monde, car voilà un cut saturé d’énergie et de bonne volonté - Shake for me/ Shake it babe ! - «Rumors» pourrait passer pour un cut plus conformiste, car joué à la note claire, mais derrière ça pulse. Les deux chicanos jouent comme des démons. Voilà l’arme secrète du groupe. Ils savent transformer un boogie ordinaire en pétaudière et ça devient même l’une des meilleures pétaudières du monde. Quand ils attaquent «Howling», c’est au slap d’entrée de jeu. L’album est bon, incroyablement bon.
L’avantage de traîner deux jours à Béthune, c’est de pouvoir croiser les musiciens qu’on a apprécié sur scène et de pouvoir échanger quelques mots. Voilà qu’on tombe sur le bassman chicano des Frantic. L’occasion est trop belle de lui demander d’où vient le groupe. Ah ! Los Angeles ! Dommage. À les entendre, on aurait pu croire qu’ils venaient des quartiers Sud de Chicago.

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Leur deuxième album s’appelle «Low Down Dog». On y trouve un véritable coup de génie intitulé «No More». Voilà un blues rock monté au slap. Si vous aimez entendre du slap dans le blues, c’est là que ça se passe. «Shake Like This» sonne comme un hit de Muddy, c’est joué aux maracas et monté sur la belle pulsation d’un gimmick de blues, comme si l’esprit du blues-rock montait tout droit des plantations. C’est la transe du peuple africain brutalement urbanisée par la psychose de l’Amérique blanche. Quel mélange, quand on y pense. Ils tapent «Darling Please» au meilleur swing. Ces mecs-là sont tout de même incroyables, ils peuvent se réveiller subitement et jouer le meilleur boogie blues de Californie. Ils chantent «Negro Gato Song» en spanish et cette jolie pièce d’exotica pourrait bien être l’un de leurs hits. «Satisfy My Soul» va droit sur le rockab, mené par le bout de nez par un petit gimmick de guitare intriguant. Ces mecs ne sortent pas les Gretsch, mais la majesté hargneuse de Muddy. Ils savent embarquer des cuts en enfer, comme on le constate à l’écoute de «Tell Me Baby». Ce cut sonne comme du Muddy rockab. Avec «Rock All Night», ils passent au boogie amphétaminé et envoient le père Chess rouler dans les betteraves. Ils jouent ça à la folie hypno, au croisement de John Lee Hooker et d’Etta James, ils dégoulinent d’énergie définitive et le riff magique vient en droite ligne de Muddy.

 

Signé : Cazengler, frantoc rocker

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Frantic Rockers. Béthune Rétro. 27 août 2016
Frantic Rockers. Savage Beat. Rhythm Bomb Records 2014
Frantic Rockers. Low Down Dog. Rhythm Bomb Records 2016

 

SAVIGNY-LE-TEMPLE
L'EMPREINTE / 19 - 09 – 2016


THE DISTANCE / NAPALM DEATH

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Parfois l'on souffre d'insuffisance rock and roll. C'est très grave disent les docteurs. Dans ces cas-là je me soigne. Je n'attends pas la fin de la semaine. Dès le lundi je me précipite dans la première pharmacie qui délivre cette sorte de médicament assez rare, mais sans effets indésirables, et d'une efficacité certaine. Soixante-dix kilomètres en teuf-teuf, normal c'est pour The Distance, trois mois que je ne les ai vus et depuis je les guette. En supplément, Napalm Death, je ne connais que de nom, jamais entendu, mais quelque chose, un je ne sais quoi, me dit qu'ils ne doivent pas râper le fromage avec une clarinette.
L'Empreinte ouvre ses portes. Chic ! l'entrée de la petite salle est fermée, nous avons droit à la grande. Le public arrive. La station du RER est tout à côté. Paris à portée de rail. Les amateurs connaissent le bon plan. Majorité de garçons jeunes et revêtus d'un sombre T-shirt à l'effigie d'un de leurs groupes préférés. La salle est pleine. Les festivité peuvent commencer.

THE DISTANCE

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Au nombre d'effigies de Napalm Death fièrement arborées sur les torses, il est clair que le public avide de hardcore ne s'est pas déplacé pour écouter The Distance. Les lumières s'éteignent, le silence se fait. Brutalement rompu par Dagular, dents blanches et sourire éclatant, qui bondit sur scène en poussant un hurlement de joie. Rien de tel qu'un électrochoc pour éveiller l'attention. Prend d'assaut son kit de batterie entassée à l'extrême-droite de l'estrade tandis que ses camarades se préoccupent de ceindre leur instruments, puis se rangent face à nous, Mike au centre face au micro, entre Sylvain à la guitare et Duff à la basse. Tout juste le temps d'un dernier regard Dagulard tape déjà sur son tambour. Frappe, sèche, sourde et sonore. Jamais de temps mort. L'entraîne la cavalcade et les guitares entrent en action. N'ont pas beaucoup de temps, l'on ne rassasie pas les fans de métal avec de la béchamel en tube. Faut les saisir au premier instant. Au bout de trente secondes c'est gagné ou c'est perdu. Radio Bad Receiver en intro propage les bonnes ondes, les négatives chargées de feu et de violence. Assistance agréablement surprise. Du rock si méchant, ils ne savaient que cela existait. Ils ont la pulsation, et la voix râpeuse et rageuse de Mike emportent le morceau. Mesmerise juste pour montrer qu'ils savent manier le son avec ces stridulences larséniques qui vous scalpent les oreilles, la meilleure manière de marquer les points. Insomnia et No Regrets, sûr qu'ils ont réveillé les esprits et que personne n'a de regrets devant ce rock and roll pilonné au plomb fondu et à la braise incandescente. Dagulard doit penser qu'il ne tape pas assez fort, alors il se lève et du haut de sa stature il assène des coups à traverser le plancher. Les deux guitaristes donnent l'apparence de jouer pour eux-mêmes, totalement indifférents au boulot de leur acolyte. Simplement une question de confiance, parpaingent, chacun de son côté mais sûrs que l'autre amène le mortier au bon endroit. Vous édifient de ces murailles à défier les canons. Dans son coin Duff lâche les hautes eaux de sa basse. Une crue sonore qui s'en vient battre et résonner dans vos tympans comme un trépan décidé à s'emparer de la citadelle de votre cerveau. Unconscious Smile et Don't Try This At Home, deux titre qui font l'unanimité. Succès d'estime remporté haut la main, applaudissements chaleureux fusent à chaque morceau. Pourraient s'arrêter-là et continuer sur ce même chemin. In the pocket comme disent les britains. Heureusement le pire est à venir, The Calling et More Than Serious ouvrent le bal des ardents. Pour être plus que sérieux, cela devient critique, le paquebot lancé à toute vitesse fonce sur les récifs et les passagers aiment çà. Une bonne catastrophe avec le souper garanti à la table de Lucifer, voilà de quoi rassasier les métalleux les plus inconditionnels. Jusque-là La Distance est resté dans le domaine du possible, ne leur reste qu'un dernier morceau, vous allez en avoir pour vos lingots d'or. Trouble End, un final apocalyptique, Dagulard devenu totalement fou, un duel de guitares qui se finit à terre, les appareils jetés sur le sol, et les héros couchés tels des guerriers qui ne veulent pas mourir et qui tournent les boutons tandis que s'envolent des hululements d'agonie. Explosion de joie dans le public, Sylvain reprend sa guitare et s'en va fracasser les fûts de Dagular, qui n'a rien contre, a même tout pour, puisqu'il se dépêche de l'aider en éparpillant ses tambours autour de lui. Sylvain en profite pour piétiner sa guitare, Dagular insatiable se saisit de sa caisse claire et la présente au public massé tout devant. Tout fan du premier rang aura le droit de taper à son tour, ce dont chacun de nous s'acquitte en proie à une fièvre émulatrice. Sont partis, non sans que Dagular ne nous ait donné rendez-vous dans la salle durant le set de Napalm Death.

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L'émotion retombe, certains partent à la recherche des débris de baguettes que tout au long du set Dagular a rompues et expédiées dans la salle. Le rock est peuplé de fétichistes. C'est très bon signe pour un groupe. The Distance a tenu son pari. Un groupe de rock'n'roll à la croisée de toutes les pistes les plus endiablées, un énorme potentiel, à ne pas quitter de l'oeil.

NAPALM DEATH

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Peu d'attente, le temps que The Distance récupère son matériel. Trois membres de Napalm en profitent pour jeter un dernier coup d'oeil sur leurs instrus. Fair play la salle les laisse tranquilles, ça papote dans tous les coins. La roquette tétanise la salle. Trois secondes de pétrification générale. L'on reprend conscience, ouf ! Pas d'inquiétude, pas d'affolement, ce n'est que Mitch Harris qui vient d'essayer un riff pour voir si tout allait bien... Waouh ! L'on change de dimension, bienvenue au pays du grindcore... Quittent la scène. Les festivités mortuaires peuvent commencer. Entrent sans bruit, clandestinement presque, et s'en vont occuper leur place tandis qu'un trailer sonore diffuse une musique d'ambiance. Pas du tout d'ascenseur de grand magasin. Danny Herrera disparaît derrière sa batterie, l'on n'apercevra plus que ses yeux noirs brillants et sa barbiche grisonnante. Shane Embury s'empare de sa basse. Un colosse au torse de granit. Impressionnant, ressemble à un viking malfaisant qui attend placidement de descendre de son drakkar, sans émotion particulière, avant de fondre sur un village endormi et d'exterminer la population. Mitch Harris nous tourne dos. Regarde son ampli. Sa main gauche, s'agite nerveusement, l'on sent qu'il se concentre un maximum. Et brutalement c'est parti. Le trio de base du rock and roll. Quelques riffs, uppercuts au bulldozer, manière de poser les limites dans l'illimité. Mark Greenway survient en trombe, s'empare du micro et glapit dedans comme l'on éjacule à quinze ans, que l'on en met partout jusque sur les murs. La salle en ondule de plaisir. Se forme illico un maelström informe de corps qui vibrionnent, tanguent, poussent, remuent, se cognent, s'entremêlent, rebondissent, s'enroulent, tombent, se relèvent, et repartent à l'assaut. Certains brisent la spirale infernale pour venir s'accouder sur le rebord de la scène, viennent rechercher de l'énergie tels des vampires qui s'abreuveraient à la banque du sang. Puis ils repartent, regonflés à bloc, se fondre à nouveau dans ce pandémonium hélicoïdal.

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Des morceaux courts. Très courts. Abrupts. Des décharges d'adrénaline. Des saccades de brutalités. Un riff, et un hachoir de batterie. De grosses secousses sonores. Des espèces de répliques de tremblement de terre, qui jettent bas les murs branlants des certitudes. Vocaux égosillés. Mark vomit ses cordes vocales à chacune de ses interventions. Soulève à chaque fois l'enthousiasme du public. Il enchaîne plusieurs titres à la suite, mais parfois un étrange silence s'installe pendant qu'il se rafraîchit le gosier d'une lampée d'eau. Les tympans n'en croient pas leurs oreilles qu'il puisse encore exister sur cette planète des havres de paix et de sérénité. Fugaces oasis qui disparaissent dès que le death shouter reprend son microphone. Faut le voir tourner en rond sur la scène, comme ces vols de corbeaux qui s'élèvent des derniers tableaux de Van Gogh.
La chienlit généralisée profite aux forcenés de la vie. Dragula, le retour. Hisse sa grande carcasse sur scène, Mark l'aide et lui passe le micro, mais il n'est pas venu pour cela, déploie son envergure et se jette dans la foule qui se précipite pour lui éviter la chute de l'ange déchu, est promené à bout de bras au travers de la salle, enfin remis sur ses pieds, une fois, dix fois, vingt fois, trente fois il remontera sur le perchoir scénique pour rejouer le vol de l'albatros baudelairien qui se rit des nuées. Si vous croyez qu'il affecte le set de Napalm Death, vous commettez une grossière erreur. La musique déchargée est trop tonitruante pour en être dérangée. Vous saisit, vous assèche, s'installe en vous, vous phagocyte, vous transmue en êtres d'airain. Vous épuise. Dans le dernier tiers de l'ouragan phonique, les corps en mouvement sont épuisés. Mark s'adresse à nous. De rapides discours, l'a un accent à couper au couteau, parle en anglais, avec une gutturale sonorité toute germanique à laquelle je ne comprends rien, hormis les fuck qui entrecoupent ses dires. A ma grande honte et à la lueur intelligente, qui luit dans les yeux de la jeune asiate à mes côtés, je devine qu'elle pige tout, à croire qu'il lui susurre du mandarin dans les oreilles. Ce qui est sûr c'est qu'il n'aime guère notre société et encore moins les fascistes.

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Les séquences sonores sont de plus en plus brèves. Napalm Death touche à la quintessence du grind. Des émissions sporadiques d'ondes paralysantes à l'image de la réalité déglinguée du charnier monstrueux de notre monde... Finissent en apothéose en une orgie de bruit durant laquelle ils finissent par sortir de scène. Visages tirés et fatigués. Ne sont plus tout jeunes, des vétérans sur le ring du grind depuis trente ans. Ont tout donné. Pas une partie de plaisir. Un engagement total. Quand ils reviendront chercher leurs instruments, sont appelés et remerciés, serrent les mains qui se tendent.


RETOUR


Minuit pile, suis à la maison. Et je suis resté un peu pour discuter le coup. Après deux sets d'une telle intensité, suis interloqué de me retrouver vivant dans le silence de l'appartement. Ai-je rêvé le plus beau des cauchemars ?


Damie Chad.


VAGABONDS DE LA VIE

AUTOBIOGRAPHIE D'UN HOBO


JIM TULLY

( Les Editions du Sonneur / Mai 2016 )

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On the road again. Dans la grande Amérique. Jim Tully a pris la route à l'âge de quatorze ans. Plus tard l'est devenu journaliste et écrivain. Reconnu en son temps. Son étoile a décliné lentement mais sûrement. Certains auteurs sont plus embarrassants que d'autres. Leurs messages brouillent les pistes des certitudes et des étiquettes. L'est pourtant un américain jusqu'au bout des ongles. N'est-il pas le trait d'union qui relie Jack London à Jack Kerouac ? Difficile de faire mieux. Sans doute n'est-il pas facile de trouver une place dans la mémoire des lecteurs entre ces deux frères Jack de la littérature américaine qui ont sonné si fort les mâtines de l'insoumission. L'est un autre versant de l'Amérique qui n'a pas échappé à Jim Tully, celui de l'auto-représentation fascinatoire du cinéma, premier objet d'importation culturelle des USA. Toute une partie de son oeuvre est tournée vers les feux de la rampe Hollywoodienne, a même été conseiller de Charlie Chaplin, pour La Ruée vers l'Or.
Est donc un tout jeune adolescent lorsqu'il embarque sur son premier train. Tully ne part pas chercher du travail. Au contraire, s'échappe de son train-train, routinier, pénible et sous-payé. Nous sommes en 1901, l'Amérique entre à marche forcée dans la modernité. Le romantisme de la frontière n'existe plus. La grande aventure des pionniers est définitivement révolue. Le train est la seule manière à portée de main qui permette d'échapper à son destin de prolétaire exploité et corvéable à merci. Une des raisons du succès de ce premier roman de Tully encensé par tous les grands critiques de son époque réside sans aucun doute sur l'aspect picaresque du livre. Aucune dénonciation du capitalisme dans ces pages. Le Système n'est jamais remis en cause. Pas d'analyse théorique sur les méfaits de l'idéologie libérale. Jim parcourt les Etats-Unis de long en large et en travers, habité du seul désir de liberté. La misère est présentée comme une conséquence et non comme une cause de l'établissement du hobo en son statut de vagabond éminent.

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Nous sommes loin des Raisins de la Colère, Jim ne cherche pas du travail, il le fuit. L'évite tant qu'il peut. Si la nécessité l'y pousse, il s'en dépêtre au plus vite. N'hésite pas à décrire ses compagnons à son image, comme des fainéants. Aucune considération morale dans ce jugement, la liberté est préférable à toute soumission sociétale. Le hobo est un cow boy sans cheval qui prend le train sans payer. Toute proportion gardée, aujourd'hui à Paris des milliers de passagers empruntent le métro sans ticket. Nécessité fait loi. Le romantisme est mort. La liberté est un mode opératoire de survie. Tully remet les pendules à l'heure. Il est moins fatiguant de mendier que de bosser. L'on n'a rien sans rien, diront les esprits civiquement pondérés. Justement le hobo n'a rien. Ne reculera jamais devant le mensonge, la ruse et le vol pour se procurer ce qu'il n'a pas. Le hobo est en-deçà et au-delà de la morale. Une espèce de sous-homme nietzschéen.
Le système n'aime guère ces parasites pouilleux. Ils ne sont pas dangereux, mais ils donnent le mauvais exemple. Comme par hasard c'est la queue de la comète du système social qui leur donne la chasse. Chefs de trains, serre-freins et policiers ont enfin une raison de vivre. Ces ouvriers et fonctionnaires sous-payés éprouvent un profond ressentiment envers cette engeance maudite. Leur donne mauvaise conscience et les conforte dans leur rôle de chiens de garde. Ceux qui gardent la maison que l'on ne laisse jamais entrer dans les salons aux larges canapés réservés aux maîtres. Mais ils possèdent leur fierté, savent qu'en rentrant chez eux, l'écuelle sera pleine. Et le lendemain matin de l'énergie à revendre pour courser les vagabonds.

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Tully le répète. L'environnement du hobo est hostile. Certains patelins sont à éviter. Les policiers sont des brutes, les juges sans état d'âme. Attrapent, cognent et condamnent à tour de bras. Parfois la population se charge du nettoyage, le jeune Jim assistera à la crémation – vivante bien sûr car c'est plus marrant – d'un pauvre noir... L'est des villes plus clémentes, ne faut pas rêver non plus. Les hobos ne sont pas nés de la dernière pluie. Ils échangent leurs expériences. Dans les situations extrêmes l'on apprend vite. Connaissent les combines, les bars à bas prix, les cantines à volonté et à dix cens. Et puis, il y a les gens, qui refilent une pièce, vous laissent entrer, vous offrent un repas, vous refilent un manteau chaud, une veste propre, une remise où dormir. Plus nombreux qu'il n'y paraît. Beaucoup agissent parce qu'un frère ou un fils est lui aussi parti brûler le dur... Evitez les généralités, les pauvres ne donnent pas plus que les riches. Âmes compatissantes et coeurs de pierre sont présents dans toutes les couches de la société. Tout dépend de vos rencontres, du hasard et de la chance.
Tully est beau gosse. Trouve souvent refuge chez les prostituées. Lui offrent le gîte et le couvert gratuitement. Ne souffle pas un mot sur leurs rapports. Sublimation d'instinct maternels refoulés ? Amitiés ? Intimités ? Silence absolu. N'a pas tort de soulever le voile. Sa cote d'écrivain baissera à la parution de son roman Ladies in the Parlour dont l'héroïne est une péripapéticienne. Choquant dans les années trente, l'on va aux putes, mais les messieurs bien élevés n'en parlent pas. S'il vous plaît, évitez les sujets scabreux qui fâchent.
Les hobos évoluent en un monde nuisible. Il est dangereux de se pencher par la fenêtre d'un train. S'accrocher à une échelle rouillée, marcher sur un toit détrempé de pluie, se glisser sous un wagon, encore plus. Un conseil ne tombez pas. Et si cela vous arrive, ne mourrez pas. Dans le cas contraire, il y aura peu de monde à votre enterrement. Pensez d'abord à vous. Cela n'empêche pas les amitiés. A deux l'on est plus fort. Et les solidarités. Le long des voies, dans les bois, les hobos se regroupent, soupe commune, partage évident. C'est la jungle. Le mot est ressorti bizarrement ces derniers temps de par chez nous, du côté de Calais. Pas un monde de bisounours. Les querelles peuvent dégénérer en bastons, se terminer par un mort. Mais il est sûr que l'ennemi commun est le policier. L'est armé, mais l'a intérêt à ne pas quitter sa proie des yeux, la moindre inattention peut lui coûter cher.

HOBOS & PUNKS

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Sont des misérables. La pauvreté est leur bien commun. Fait office de lien social. La crasse et la faim est le lot de tous. Mais la société des hobos n'est pas égalitaire. En haut de la pyramide sont les Yeggs. L'hobboïsme est une couverture. Sont des voleurs patentés, des perceurs de coffres-forts, n'ont pas intérêt à s'attarder sur le lieu de leurs exploits, se fondent dans les miséreux, mais leurs poches ne sont pas trouées. Après les rois de la pègre, la plèbe qui se partage en deux catégories : les vieux et les jeunes. Les premiers sont l'avenir des seconds. Vingt ans à courir après les trains, ça vous fatigue un homme. Ont perdu leurs illusions, finissent par crever d'un coup de froid. Ne sont pas aussi en forme que les jeunes. Têtes folles que les flics redoutent. Ont pour la plupart connu l'orphelinat, la maison de correction, voire le placement dans une ferme – une espèce de variante des travaux forcés – sont prêts à tout pour ne pas y retourner et connaître les échelons supérieurs, la prison et le pénitencier. Savent à peine lire et écrire mais ils ont tout compris de l'exploitation humaine. Les plus durs possèdent leur joker. Parfois deux ou trois. Un tout jeune qui vient d'arriver, sont chargés de mendier pour leur protecteur, ramènent l'argent et la nourriture pour le maître qui s'octroie la part du lion. L'exemple vient d'en haut. Les jokers ne se révoltent pas contre leur chef mais ils ont compris la combine. Finissent par trouver plus faibles et plus jeunes qu'eux, ce seront les punks taillables et corvéables à merci. Tully ne pipe pas un pet de mot, motus et anus cousus, sur les services divers et variés engendrés par cette soumission en milieu de promiscuité virile. Toutefois en argot de prison, le punk est le compagnon de cellule qui se plie aux désirs et aux assauts de son protecteur.

JIM TULLY

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Pour passer le temps, dans leur campements de fortune, durant leurs interminables voyages confinés en des wagons peu confortables, beaucoup de hobos lisent ou déchiffrent les journaux qu'ils ramassent de-ci de-là, ne serait-ce que pour se protéger du froid. Tully les dévore, et chaque fois que l'occasion se présente, il fréquente les bibliothèques publiques. A l'école de la vie il n'omet point d'ajouter une formation intellectuelle. Nous laisse deviner les raisons pour lesquelles, au bout de six années il arrête la route. L'impression de tourner en rond, d'avoir fait le tour de la question, et vraisemblablement le besoin intérieur de s'impliquer dans une autre modalité de vie. Le hobo est un loup solitaire, l'écrivain court après la meute de ses lecteurs... Mais il ne regrette rien. Ne nous fait pas le coup de j'ai beaucoup souffert dans ma vie, ou celui du destin qui s'acharne sur une innocente victime, n'éprouve aucun regret, assume son choix. N'a pas perdu son temps, en sait davantage sur les hommes que bien des philosophes. L'idéalisme le fait rire. N'est pas dupe des belles idées ou des proclamations politiciennes. Ne faut pas le lui faire. Se méfie de toutes les généralités. Ne porte aucun jugement d'ensemble, ne condamne ni ne couvre d'éloges en bloc. Les hommes ne sont ni bons ni méchants. Les circonstances décident s'il vaut mieux être bon ou méchant, lâche ou courageux. Pragmatisme de la survie. N'en fait pas une vérité universelle. Se détourne des religions. L'enseignement du Christ a engendré les horreurs répressives du christianisme... N'en donne pas pour autant dans un relativisme nihiliste. L'a choisi son camp. Celui des laissés-pour-compte. Ne sont pas meilleurs que les autres. Mais une enfance plus clémente leur aurait procuré beaucoup moins de tourments. N'accuse personne, mais tout le monde en prend pour son grade. Pulvérise le mythes du bon hobo. Celui de votre bonne ou mauvaise conscience aussi.


Damie Chad.

SI BEALE STREET
POUVAIT PARLER

JAMES BALDWIN

( Traduction : MAGALI BERGER )
( Stock / 1975 )

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Certains chantent le blues. D'autres l'écrivent. C'est plus rare. Je ne parle point des lyrics qui ne font qu'un avec la musique. Ni de poésie qui retrouve par son don orphique le balancement originel. Mais de prose, ces longs fleuves tour à tour tranquilles ou tumultueux que sont les romans. Beale Street, la rue du blues. Là où le jeune ado Elvis Presley traînait parmi les nègres. Memphis, Tennessee. Nous en sommes loin. Le livre se passe à Bank Street, à New York. Ni erreur, ni hasard si James Baldwin a titré Beale Street, l'a simplement hissé l'étendard du blues. Un peu comme les pirates arboraient le pavillon rouge à leur mât de misaine en prévision d'abordage. Bleu ou rouge, attendez-vous à broyer du noir. Pour être davantage exact, ce sont les noirs qui vont être broyés. Ne s'agit pas d'un événement exceptionnel, d'une révolte à feu et à sang dans Harlem. Non, une histoire tristement banale. Indigne de figurer dans la rubrique des dogs écrasés. Dans les tribunaux, l'on appelle cela le tout-venant. Les affaires courantes, pas de quoi fouetter un chat. Un noir qui a violé une porto-ricaine. Une porto-ricaine ce n'est pas bien grave même si elle a des cheveux blonds. Par contre, voilà une excellente occasion de coffrer un noir. L'est bêtement innocent, l'était à l'autre bout de la ville lorsque le crime a été perpétré, mais un nègre en prison, c'est bon pour la sécurité dans les rues. On est allé le chercher lui. Pas au hasard. Pétait plus haut que son cul. A vingt-deux ans s'octroyait le droit de ne pas prendre de l'héroïne comme tous ses frères de couleur douteuse. S'il n'y avait pas d'héro, les quartiers exploseraient, un calmant à la morsure caïman bien plus efficace que ces saloperies de tranquillisants que l'on vous délivre sur ordonnance et avec le sourire dans tous les rayons pharmaceutiques. La blanche occupe les noirs, du matin au soir, elle encourage le vol, la prostitution, le crime, tout ce qui permet de les inculper à moindre frais. L'avait d'autres centres d'intérêt, cette tête folle. Se prenait pour un artiste. Voulait devenir sculpteur. Et puis quoi encore ?

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Réglé comme du papier à musique. N'y avait plus qu'à attendre le jugement. Sauf le petit caillou qui a tout fait dérailler. Sa petite copine. Pas très jolie, sa voisine, se connaissaient depuis tout petits. S'aimaient comme des tourtereaux. Romantisme et clair de lune. Mais que la colombe soit blanche ou noire, cela ne change rien à l'affaire. D'autant que notre vierge, pure mais pas très effarouchée, attend un bébé. Ni fausse couche, ni avortement à l'horizon. Attention à la future dégringolade. Normalement cela devrait se finir sur le trottoir. Mais il y a la mère, le père et la grande soeur qui ont décidé de se battre. A tout prix. Car l'avocat a besoin d'argent. Un petit blanc. Un dossier de plus. Une affaire qui le dépasse un peu et qui va lui attirer quelques ennuis avec ses collègues. Si les blancs commencent à défendre les noirs, où va-t-on ? En plus le procureur ne lâche pas. Se permet tous les coups bas. Jusqu'à l'incarcération du témoin à décharge...

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La sempiternelle histoire du pot de terre comme le pot de fer. Le blues commence là. Pénétration à l'intérieur d'une famille noire. Savent que les dés sont pipés. Inutile de perdre son temps à se lamenter, les règles du jeu sont ainsi. Notre prévenu possède aussi une famille. Le père de son côté et la gent femelle – mère et deux soeurs – contre. Ne maudissez pas la maman. Une sainte femme. Se pomponne pour aller à l'Eglise. L'on se doit de respecter le Seigneur. L'est plein de prévenance envers sa personne de pécheresse. N'est pas entrée dans l'église pour que Jésus la sanctifie de sa présence. Elle l'exsude par toutes les pores de sa peau. Preuve queue... N'évoquez point la sublimation hystérique, ce serait une fausse piste. Un cas typique d'hypocrisie sociale. Certains conçoivent Dieu comme une promotion. Un point d'ancrage et de supériorité psychologique. Ne lui jetez pas la première pierre. Elle est la propre victime de son mode opératoire de survie. L'est sûr que l'addiction divine en prend un sacré coup, Baldwin ne transige pas avec les fausses solutions de la communauté noire à s'extirper de son marasme. La séparation radicale entre le blues et le gospel.

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Le roman décrit la partie d'échecs. Les blancs ont beaucoup plus de pièces en leur possession. Va falloir la jouer fine. Mais l'intérêt stratégique du combat est secondaire. Baldwin ne survole pas la partie. Ne commente pas, n'analyse pas la tactique. Nous implante dans les cerveau des pièces, la Reine-Mère qui prend tous les risques, le père-roi qui empile les heures supplémentaires et les vols, la soeur-cavalière qui développe les plans d'attaque, forment une garde rapprochée de défense autour de l'enceinte de la tour. Faut délivrer le prisonnier coûte que coûte. Et attention aux défaillances, certains coups sont mortels.
Ne vous dis pas la fin. Ne vous prendra pas de temps. Les cinq dernières lignes du roman. Ce n'est pas le plus important. Baldwin nous donne une grande leçon. Ni la défaite, ni la victoire. L'essentiel reste la lutte. C'est ainsi que l'on gagne sa dignité. L'ennemi principal s'appelle faiblesse, lâcheté, et compromission, réside au-dedans de nous. Ne l'oubliez pas. Sachez-le. Chassez-le. Le blues est une arme blanche. Pour l'amour et pour la haine. A utiliser de préférence dans les corps à corps.


Damie Chad.

JOHN LENNON


FLAGRANT-DELIRE
PAR-ECLATS DE OUÏ-DIRE

MARIE-HELENE DUMAS

( Le Castor Astral / Novembre 1995 )

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Collection Tombeau. Tout un programme. Mais ce n'est pas tout-à-fait John Lennon que l'on enterre. Ce qui vaut peut-être mieux. Des livres sur Lennon, l'en existe à la pelle, et celui-ci ne vous apprendra rien. A part peut-être, dans sa deuxième partie, une des origines du nom Beatles qui proviendrait de Beetles ( scarabées ) le nom de la bande de motards menée par Lee Marvin dans l'Equipée Sauvage. Ce que Marie-Hélène Dumas porte en terre, c'est elle-même. Pas en entier. Pas folle. Aucune tendance suicidaire. Prend garde à rester au bord du trou létal. Le premier segment de sa vie. En plus comme elle n'est pas rongée par l'avarice et qu'elle doit avoir un peu peur de s'ennuyer sous la croûte terrestre elle emmène du monde. Toute sa génération. Juste une métaphore grandiloquente. L'ensemble des baby-boomers n'a pas admiré les Beatles, elle préfère employer le mot tribu. De chevelus. Dispersée aux quatre coins du monde, dans les deux hémisphères, sous toutes les latitudes.
Lennon ne fait pas l'unanimité. Musicalement on le considère comme le leader des Beatles. L'on aime son énergie, son humour railleur, son sens du non-sense, sa gouaille insolente de prolo qui l'ouvre bien grand. Mais l'on reste davantage réservé quant à son engagement politique avec sa tendre moitié. Les bed-in avec Yoko et armada de journalistes qui tendent complaisamment le micro ressemblent trop à du cinéma. L'exploitation publicitaire du filon de la célébrité qui flirterait avec l'art conceptuel. Mais qu'importe les moyens pourvu que la cause soit juste. Ce qui reste à définir.
Marie-Hélène Dumas fait un détour. Cause d'une personne qu'elle connaît très bien, elle-même. Démarche très rock and roll. L'important ce n'est pas l'idole, mais le bouleversement que son apparition induit dans votre vie. Pas question d'être en admiration béatle. L'apparition des Beatles marque le réveil de toute une génération qui cherche un nouvel art de vivre. Cette déviance collective Marie-Hélène l'assume totalement. Comme beaucoup elle lâche tout, voyage et se libère des carcans moralisateurs et paternalistes de l'ancien monde. Fumette, rencontres, amour libre. Le fameux précepte sex, drugs and rock'n'roll décliné selon la formule hippie. Une certaine insouciance, la recherche du bonheur...
N'est pas revenue à la maison plus idiote. L'a vu, l'a réfléchi. Et c'est à cet instant où elle se pose que le monde qu'elle vient de parcourir lui saute à la figure. L'on en parle dans les radios, l'on en montre les images à la télévision, c'est raconté dans les journaux, Partout la guerre, la violence, la démence humaine. Et cela dure depuis longtemps et n'a pas l'air de vouloir finir. Nul besoin d'aller à l'autre bout de la planète, suffit d'écouter les voisins parler. De braves gens remplis à leur insu de peurs et de haines latentes. Les hommes sont les secondes victimes de ces déchaînements, les femmes les premières. Je passe sur le laïus des femmes soumises aux diktats des religions, de la virilité conquérante, et de cette spécialité du viol inhérente à leur nature... Cette prise de conscience féminisante orientera toute sa carrière d'écrivain et d'éditrice.

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Serait temps de revenir à Lennon. A ses pitreries avec Yoko. A replacer dans le contexte. Faire l'amour pour la paix. Un peu concon la praline, n'est-ce pas ? Faut replacer dans le contexte. Ne s'agit pas de bouquiner à l'aise sous l'oeil des caméras in the bedroom. Une manière de dire non, de s'opposer à la guerre. Dans l'absolu certes, mais très précisément à l'engagement militaire des Etats-Unis – idéologiquement soutenus par l'Angleterre – au Viet-Nam. Pouvez trouver cela grotesque ou burlesque. Un peu naïf ou démagogiquement publicitaire. Un militantisme de milliardaire de tout repos qui n'a pas besoin de se lever très tôt le matin pour gagner sa croûte. Peut-on le lui reprocher du fait que ses royalties qui tombaient régulièrement sur son compte-en-banque le mettaient à l'abri de bien des vicissitudes, de bien des dangers qu'encourrait un simple militant anonyme participant à une manifestation pro-Viet-nam.
Fût-il resté à la maison que vous le lui en auriez voulu tout aussi bien ! Ses excentricités auront réveillé toute une partie de son public. Marie-Hélène Dumas lui sait gré de ses prises de positions intempestives. C'est le Lennon qu'elle aime. Pas le créateur de Love Me Do ou le concepteur du Sgt Pepper Lonely Hearts Club Band. Mais l'artiste engagé. N'en fait pas une thèse. Use de la bombe à fragmentations pacifique de l'écriture. De multiples petits paragraphes dont le désordre apparent et les confrontations faussement hasardeuses révèlent l'absurdité et la cruauté du monde. Un style qui est aussi un hommage à la manière d'écrire de Lennon.
Un livre sur John Lennon. Différents de tous les autres.


Damie Chad.

 

14/09/2016

KR'TNT ! ¤ 294 : HITS / BIJOU ( SVP ) / ORVILLE GRANT / LOU DALFIN / GREIL MARCUS / GRAHAM PARKER

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 294

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

15 / 09 / 2016

 

HITS / BIJOU ( SVP)

ORVILLE GRANT / LOU DALFIN

GREIL MARCUS / GRAHAM PARKER

BINIC FOLK BLUES FESTIVAL ( 22 )
30 JUILLET 2016
HITS

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Hits parade

Les Hits : révélation du festival de Binic 2016 ? Pour beaucoup de lapins blancs, oui.

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Voilà que surgit de nulle part un groupe australien encadré par deux filles aux guitares. Dès qu’on voit arriver sur scène ce petit barbu coiffé d’un chapeau et traiter le public de bande de motherfuckers, on comprend que l’affaire va être sérieuse. Et dès le coup d’envoi, le twin guitars attack des deux filles sonne les cloches à la volée.

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Voilà un groupe surgi du néant, c’est-à-dire d’Australie, qui dégage autant d’énergie que les New Christs, avec un petit quelque chose en plus : les filles aux guitares qui sont tout simplement énormes de présence et de son. Elles sont toutes les deux en petites robes noires avec des cheveux noirs et ça joue ! La plus jeune s’appelle Tamara. Elle passe les solos le plus souvent pliée en deux, pendant que sa copine Stacey suit le train d’enfer de la rythmique sur sa SG.

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Et ce chanteur nommé Evil Dick n’en finit plus de rallumer le brasier des Stooges et des grands groupes australiens inféodés au Detroit Sound. Il faut voir ce groupe extraordinaire jouer dans la lumière estivale de Bretagne. On expérimente là une sorte de combinaison des plaisirs. Les oreilles des lapins blancs vibrent dans l’air chaud des vacances d’été. Il y a quelque chose de cinglant et d’insurrectionnel dans le son des Hits, une ardeur réinventée, la preuve que la stoogerie a encore de beaux jours devant elle. Les Hits de Brisbane dégagent quelque chose d’exceptionnel. Comme d’autres avant eux, ils cherchent la clameur du pur Detroit Sound. Par moments, on croit rêver, car les deux guitares sonnent comme celles du MC5. Eh oui, ces gens-là se donnent les moyens de leurs ambitions.

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Pendant que les deux filles s’extrapolent dans un véritable chaos sonique, Evil Dick tombe et gît sur les planches. Ces gens semblent parfois complètement dépassés par l’ombre de leur aura. L’image pêche par manque de clarté, c’est vrai, mais ce groupe dégage quelque chose d’irrationnel. Il faut même se pincer par moments, car ça paraît trop beau. Quoi, un groupe inconnu au bataillon avec un son et une classe pareille ? Non, c’est impossible.

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Mais si. Les Hits ont tapé dans l’œil de nombreux amateurs éclairés. Les retours étaient unanimes. Et quand on ouvre la pochette du deuxième album, Hikikomori, on comprend tout. Une photo du groupe prise dans la pénombre couvre tout l’intérieur du gatefold. On les voit, plus stoogiens que les Stooges, assis tous les cinq dans une banquette et que voit-on posé sur la table basse ? Un verre à l’image des Stooges.

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Un vieux char d’assaut couvert de corail orne la pochette d’Hikikomori. Aucune inscription ne vient troubler l’étrange calme sous-marin. Le parallèle avec les New Christs existe bel et bien puisque Rob Younger produit l’album. Et ça gicle dès «Bullet Train», avec un son qu’il faut bien qualifier d’idéal - Major fucking success - battu aux accords somptueusement plombés, avec un refrain hanté par des chœurs de Stones à la woo-woo - Never stop ! - Fantastique, c’est tout le temps relancé, bardé de dynamiques internes qui évoquent bien sûr celles du MC5. Et ces chœurs de filles foutent le souk dans la médina. Evil Dick chante divinement bien. Il enfile les cuts comme des perles, aucun déchet sur cet album, même la pop-rock de «The Church Song» impressionne pas sa classe. Ils terminent l’A avec «Disappointed», un cut à la dérive harmonique dans l’esprit du Mercury Rev de Deserter’s Song, avec le cocktail de voix mêlées des Pixies. C’est tout simplement exceptionnel. Et ça repart de plus belle en B avec «G-Banger». Evil Dick emmène ses cuts à l’assaut de la gloire avec la grâce décadente d’un officier de l’armée confédérée, revu et corrigé par D. W. Griffith. La petite Tamara prend un solo remarquable dans «Up In The Air», et ses notes se fondent dans le move d’un cut qui file ventre à terre sous l’horizon. Il faut aussi entendre Evil Dick se payer des descentes de voix rauque à la Johnny Rotten dans «Loose Cannons». Ce groupe sait rester on the edge, mais avec un son plein. Voilà ce qu’il faut bien appeler un modèle de société. Comme sur scène, ils tapent une reprise de New Order, «Shadowplay», qu’ils explosent littéralement à coups de rythmique sur-puissante et d’incursions de Tamara. Le groupe dégage vraiment quelque chose d’irréel. Encore une fantastique explosion de rocky road avec «Drink Too Much». Evil Dick sait grimper au sommet du son et faire claquer l’étendard sanglant de la révolte. Il se montre infernal de bout en bout et ces deux filles n’en finissent plus de nous faire rêver avec leurs guitares et leurs chœurs.
Avant que Stacey n’arrive dans le groupe, Evil Dick jouait de la guitare. Dans une interview, il explique qu’il s’est cassé le bras un soir de picole en frappant un mec (some Jackie Chan shit).

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Grâce à Beast, dernier bastion du garage en France, on peut entendre le premier album des Hits, Living With You Is Killing Me, encore plus impressionnant qu’Hikikomori. Pourquoi ? Parce qu’il s’y niche une authentique stoogerie nommée «Fuck The Needy» - Fuck it down motherfucker ! - Evil Dick annonce bien la couleur et pouf, ça s’ébranle comme une machine de guerre antique, avec des chœurs un peu foireux. C’est pas Tamla ! Evil Dick nous tartine un beau chant d’insurrection - Open up and bleed to succeed ! - Il rend hommage à l’Iggy du Success - Nothing succeeds on success - Il reste dans la pure stoogerie pour le morceau titre et on assiste au retour des clameurs de chœurs et des solos dépareillés. Tout est extrêmement énergétique sur cet album, comme d’ailleurs sur les albums des New Christs qui eux non plus ne savent pas faire de mauvais cuts. Chez les Hits, tout est claqué du beignet et roulé dans la farine du raunch. Evil Dick devient le temps d’un cut le roi des intros avec un ouch ! à l’entrée de «Never Sing A Song Again». Il connaît toutes les ficelles. Par moments, il semble chanter comme un clochard agonisant. Et ça repart de plus belle en B avec l’effarant «Crackipe», toujours très New Christs dans l’esprit de Seltz. Encore un hit des Hits avec «It Had To Come To This». Jolie ambiance, de la même façon qu’on disait Jolie môme jadis dans les faubourgs et on se régale de cette nouvelle rasade de twin guitar attack. Et ça continue avec «Peter & Paul». C’est dingue ce qu’on s’attache à la voix d’Evil Dick et à cette façon qu’ont les filles de le rejoindre dans la fournaise. Quelle classe ! Ce disque n’en finit plus de sonner comme une révélation. Ils sont à la ville comme à la scène, ils saturent tous leurs cuts de son et d’énergie - Peter and Paul you’re nothing at all ! - Ils terminent cet album d’île déserte avec «The End», doté d’une envolée qui sent bon le Velvet. Encore une fois, ils tapent dans le puissant et le beau, shootent dans le cul du cut des chœurs inspirés et Evil Dick emmène ça par dessus les toits. Attention, car Tamara place un solo cosmique digne de ceux du grand Grasshopper. Décollage garanti.


Signé : Cazengler, Hitératif


Hits. Binic Folk Blues Festival (22). 30 juillet 2016
Hits. Hikikomori. Beast Records 2014
Hits. Living With You Is Killing Me. Beast Records 2015
Sur l’illustration, de gauche à droite : Andy B, Stacey Coleman, Evil Dick planqué derrière, Tamara Dawn et Gregor Mulvey.

*

Ami ne tremble pas. Ta vie est rude et difficile. Quitte ta ville nauséabonde. La quête commence aujourd'hui. Emplis ton sac à dos, et tourne le dos à la civilisation. Il est temps de renouer le vieux pacte de l'homme sauvage avec Gaïa la mère des Dieux et des Humains. Dédaigne les faubourgs crasseux, porte-toi aux limites incertaines des villes, n'hésite pas à quitter l'asphalte toute droite et emprunte le sentier sinueux qui s'offre à toi. Tu marcheras longtemps, longtemps, très longtemps. Assailli par la fatigue tu gémiras et tu pleureras toutes les larmes de ton corps endolori. Tu auras envie de renoncer, mais tu persévèreras. Garde confiance, laisse-toi guider par ton intuition. Fuis la montagne altière, dédaigne le littoral sableux, évite les douces déclivités des collines, délaisse les forêts ombragées, marche, marche, marche. Ne te plains pas. Regarde, tu abordes le dernier obstacle, la vaste plaine infinie, dirige-toi vers l'Est, et ne pense plus à rien. Le but approche. Déjà tu foules les sentiers de la Brie profonde, l'herbe n'est pas plus verte qu'ailleurs, l'horizon est illimité, tu es perdu, tu ne sais plus où tu es, tu es arrivé. Encore quelques instants et tu connaîtras l'Innommable, ce dont l'homme moderne a perdu mémoire depuis des siècles. Aie confiance. Allonge-toi sur la terre arable. Fais le vide en toi. Oublie tout, tes lourds soucis, tes parents indiscrets, tes amis pénibles, tes enfants insupportables et même ton chien malin qui t'attend confortablement allongé sur le canapé du salon. Colle ton oreille sur le sol, écoute. Longtemps, longtemps, longtemps. Alors, si tu es un Elu, la lumière entrera en toi. Oui dans le silence de la nature immobile, toi simple mortel, tu auras le privilège insigne d'entendre le cri de la betterave.

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LE CRI DE LA BETTERAVE
SOISY-BOUY ( 77 )
( 10 / 09 / 2016 )

BIJOU ( SVP )

Vous avez évité le pire. Le trip country. J'aurais pu vous emmener au Festival des Brebis et de la Laine de Bray-sur-Seine. Pas très loin de Soizy-Bouy. Je me serais fait un plaisir de vous inscrire à l'Atelier Tricotin, vous initier à la tonte du mouton ou vous permettre d'écouter en un silence religieux Madame La Présidente de l'Association La Fibre Textile, et autres joyeusetés champêtres. Vous auriez fini en beauté avec Spätzel Man. Bref le cauchemar total. Mais non, foin des ovins, ce sera Bijou ( SVP ), sans tergiversation.
Bien sûr, faut le mériter. La programmation est éclectique. Lorsque j'arrive un groupe d'obédience reggae est à la peine. Ce que j'entends me suffit. Je préfère ne pas voir. Les conventions internationales de la chronique rock interdisent de tirer sur les ambulances. Je rengaine mon bazooka et m'enfuis sous le marabout de l'exposition des picture-discs. Un peu de tout. Beaucoup de Renaud, l'homme qui embrasse les policiers – doit avoir du travail, leur nombre étant inversement proportionnel à la présence de la Justice sur le territoire national – Jeanne Mas ( heureusement, n'y en a pas des masses ), mais aussi Thin Lizzy, Elvis Presley, Téléphone, Bijou... Accueil sympathique et collectionneur passionné.

AKENTRA

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Fleur carnivore. Pas du tout équatoriale. Les herboristes de Rock Metal la cueillent dans les départements de la Normandie. En tout cas sont à l'Eure. Trois premiers morceaux un peu froids. Ni le métal, ni le rock ne sont portés à ébullition. Cela s'améliorera par la suite. Mais la température atteinte ne vous fera à aucun moment exploser le cerveau. Trop statique. Ont beau sautiller de temps en temps, cela sent trop le coup monté. Le gimmick incorporé au show. Manque l'aisance naturelle. Ne sont pas aidés par le son. Sont sur la petite scène – alors que les reggae-men ont bénéficié de la grande – question amplification c'est un peu léger pour ce genre de musique qui se déguste à gros flocons. Lucia est au chant, ne se débrouille pas si mal que cela, mais quand la pâte ne lève pas, vous avez beau ajouter la cerise sur le gâteau, manquera toujours la rotondité onctueuse de la mie. C'est le plus jeune qui sauve la mise. Maël et sa guitare. Apporte la flamme mais le kérosène brille par son absence. Parviennent tout de même à soulever l'enthousiasme d'une vingtaine de jeunes adeptes qui jouent aux headbangers. Pas de chance, quand les deux guitaristes se mêlent à ce mini tourbillon, la sécurité envoie deux vigiles pour les protéger... Tout se perd en ce bas monde.

WARD LEONARD

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Déjà vus au Be Bop à Montereau ( KR'TNT ! 209 du 14 / 11 / 2014 ). Sympathiques mais guère convaincants. Un vieux groupe de trente ans d'âge. Ont été rejoints par trois jeunes guitaristes qui tricotent vite et bien. Un batteur qui cogne fort. La fougue et la foi. Un canevas, n'y a plus qu'à emmener la couleur pour lui faire prendre sens. Le problème, c'est le chanteur. Des textes généreux – mais il vaudrait mieux qu'ils soient pernicieux – et une voix qui n'a rien de rock. Un bel organe, de l'énergie, mais il manque la sensibilité de base et le phrasé rock and roll. Ne suffit pas de lâcher les mots à l'emporte-pièce ou de les clouer à grands coups de marteaux. Doivent être vivants comme les chats ronronnants qui arrondissent leur dos sous la caresse du maître. Rappelle qu'ils ont joué à Montereau avant Lou Reed. Particulièrement infect et désagréable le Loulou. Je veux bien le croire. En ont fait une chanson, Idole. Le problème c'est que Lou Reed, même un mauvais soir, lorsqu'il pose deux mots sur le velouté de sa voix, l'a pas besoin de se forcer pour que cela sonne rock and roll...

LA MALICE


Spécial danse. Amusement facile, spectateurs nombreux. Ne sont même pas conscients de savoir qu'ils font semblant d'être heureux de faire semblant de vivre. Une sous-disco-funko-électro de pacotille. Une fille qui danse et chante, souvent à côté du micro. Un boy qui mène la choré. Le boute-en-train des banquets de mariage. Style garçon de café qui fait le beau en prévision de votre pourboire. Le David Guetta du pauvre. Infect et déprimant. Courage, fuyons. Me réfugie devant l'autre scène voir Bijou ( SVP ) qui installe le matos. Ne suis pas le seul. Les rockers se regroupent...

BIJOU ( SVP )

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La triade capitoline est en place. Certains feront la fine bouche. Quoi pas de Vincent Palmer ? Non, l'est secrétaire de rédaction chez Rock'n'Folk. Pas de Dynamite Yan ? Non, ce n'est pas la première formation, celle qui était au premier Festival punk de Mont-de-Marsan. S'agit du new combo de reformation mené par Philippe Dauga, un des trois membres originels. Rajoutez, Jean-Williams Thoury en quatrième mousquetaire et vous avez un des plus beaux fleurons du rock français. La légende. Certes, mais le passé aussi. L'est une autre manière d'écrire l'histoire, si les absents n'ont pas toujours tort, les présents sont à l'oeuvre et jugés sur preuves.
Pantalon noir, chevelure argentée, lunettes sombres qui ne figent pas le sourire, Dauga n'accuse pas l'âge. L'a encore davantage de charisme et de prestance qu'il y a quarante ans. Fred est au fond derrière la batterie. On ne le voit pratiquement pas, mais dès qu'il commence à se servir de sa grosse caisse, j'ai l'impression que mon coeur devenu fou se promène dans ma poitrine. François Grimm, style anglais, classe 65. Costume noir à fines rayures blanches. Touche dandy de son léger toupet de barbiche sur le menton. L'on devrait lui interdire de toucher à sa jazzmaster. Trop beau. Trop fort. Trop mieux. Il pleut des notes de partout. Une invasion, mais parfaitement ordonnée, toutes rangées dans le riff, n'y a pas intérêt qu'une seule hausse la tête d'un demi-quart de ton. Une pluie diluvienne qui s'abat sur vous et vous submerge dans un océan de plaisir. Les vagues de la mer qui se suivent en un flot ininterrompu. Plus près de Johnny Thunders que de Keith Richards. Le second vous donne tout ce qu'il vous faut et le premier vous offre ces merveilles dont vous ignoriez jusqu'à lors l'existence.

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Viennent tout juste d'achever les trente premières secondes que déjà vous faites la différence. Pas avec les groupes de la programmation, avec beaucoup de concerts auxquels vous avez assistés. Dauga est à la basse, chaque fois qu'il touche une corde, il lance une sonde dans les profondeurs de l'enfer. Chante, assure sans se mettre en avant, l'on sent l'expérience et le fair-play, l'aristocrate qui vous fait visiter son palais sans que jamais vous ne ressentiez la moindre honte au souvenir de votre deux-pièces cuisine dans un Habitation à Loyer Modéré. Ce n'est pas seulement qu'ils jouent bien. Accomplissent le job au millimètre près tout en prenant garde de rajouter quelques kilomètres de satisfaction. La vôtre et la leur. Sont là pour votre plaisir, mais ce sont eux qui jubilent le plus. Faut voir ce que nous conte Maître Grimm. Je ne parle pas de son jeu de cordes. Pharamineux. Non, tant qu'à être sur scène derrière une guitare autant se la jouer rock and roll star. Pas de grosse tête. Le gamin dans la cour de récréation qui incarne naturellement votre rêve, sans y croire une seconde. Un rien le met en joie. Une réaction du public, un photographe qui s'approche d'un peu trop près. Sonne d'enfer et facéties mutines. L'a le lick assassin, mais vous poignarde avec un sourire si sympathique !

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Les titres défilent à toute vitesse, Dauga esquisse les présentations, rapides, sans s'attarder, rock and roll avant tout. Rock à la Radio, Les Papillons noirs, Le Kid, Cadillac... Une heure de pur bonheur. Trop court. Les merci fusent dans le public. Une prestation époustouflante, remportée haut la main, punchyque et K.O. technique. Une démonstration. C'est quoi le rock ? Le rock c'est Bijou ( SVP ). Si Vite Parti ! Seule Variable Possible !

YOGAN

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Il eût été sage de déguerpir. L'était évident que rien de mieux ne pouvait survenir. Mais la copine veut voir. Offrez un diamant à une fille et lui faut encore le caillou qui ne brille pas sur le bord du chemin. Donc Yogan, quatre morceaux. Pas plus. Le temps qu'elle comprenne toute seule qu'il n'y avait rien à gagner avec le gang Yogan. Du rock celtique festif avec adjonction de percussions africaines. Pourquoi pas ? Les premières quarante secondes sont magnifiques, l'accordéon tout seul, vraiment une très belle sonorité. C'était trop beau, se hâtent de l'enrober d'une pâte visqueuse et assourdissante, par dessus ce tumulte tristement binaire, un biniou aigrelet mène la danse. Appels démagogiques incessants du genre Youpi ce soir c'est la fête ! et la foule subjuguée ondule de plaisir. Vite, plus de teuf, la teuf-teuf ! N'eût-elle pas été là que nous serions rentrés à pieds.

Damie Chad.


P.S. : Un bon groupe sur cinq. Le Cri de la Betterave ou Le Cri de la Bête Rare ?

 

13 / 08 / 2016BORDEAUX
LE CAILLOU : JARDIN BOTANIQUE
ORVILLE GRANT


Nous voilà partis à l’assault du Caillou du jardin botanique, le p'tit loulou et moi. Teuf teuf garée, nous descendons la rue ponctuée d’affiches : « Star waters, la galaxie du plancton ». Rigolo l’accueil ! Que la force soit avec toi !

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Et bien oui c’est un bar en forme de caillou ! Pas très beau de l’extérieur mais jolie terrasse. Avec un petit 32 ° à 20h, on se réjouit de rester à l'air libre. Damned ! le groupe est installé à l’intérieur dans la petite salle, 35°. Un choix cornélien : être dehors et pouvoir fumer ou à l’intérieur et mourir de chaud. Mais nous nous installons dans l’étuve, ainsi tout proches de la « cigar box guitar », magnifique ! Que ne ferait-on pas pour du blues ! Une salle quelconque si ce n’est d'instables agrégats agencés bizarrement au plafond. La tectonique des plaques sans doute !!! Pas très rassurant.. On a presque peur qu’un des éléments du ciel schisteux se décroche. Bref après ces considérations de déco, place à Orville Grant.
Le vieux roublard arrive tout en salopette et casquette. Personnage sympathique, on voit qu’il aime parler aux gens. C’est un passionné. Il a roulé sa bosse, en passant par Nashville, pour s’arrêter à Langon ! On t’aurait plutôt vu taper le stop au bord de la 66, camarade ! Mais quelque chose de lui est resté là bas ! Avec cette formidable envie de vie.

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Quel drôle de spécimen cet Orville Grant, une liane accrochée à son gourou, J.J. Cale ! Il pose son verre de vin à côté de la  cigar box  et puis du blues !!!! presque trois heures de concert juste entrecoupées d'une petite pause. Quelques morceaux de rock aussi : comme Carol  ( je préfère la version de Chuck Berry ), Cocaïne… Il est accompagné d’un batteur, d’un synthé et d’une chanteuse. Ses musiciens jouent correctement mais on oubliera vite. La chanteuse, compagne d’Orville, jolie voix, mais sans plus.

Beaucoup de morceaux de J.J. Cale donc ! A ce propos il nous dira : « j’ai bien essayé de remplacer J.J. Cale mais maintenant qu’il est mort, je ne suis plus pressé ! ». Il nous fait savourer un morceau imitant Maître-Cordier. Ce titre sortira dans son prochain album, en 2017.
Bon allez, c’est l’heure de la promo et de la vente de ses CD. Je lui demande lequel il préfère. Il me dit : le dernier et m’explique pourquoi avec tellement de gentillesse et de conviction que je l’achète. Et puis il a tellement de fierté, même modeste, car son dernier album « ouiujiuilj » a eu une bonne critique sur Blues magazine et il est fier de nous en parler !Il nous raconte la création de ses « cigar box guitars ». La sienne est simplement magnifique ! Dommage il ne jouera avec que deux morceaux. Son rêve : enregistrer à Nashville, voilà qui est fait depuis 2009.


Patricia G..

MUSICIENS :
Orville Grant: Guitares / Erika Pascal: Chant / Pascal Guisti: Claviers / Denis Bielsa: Batterie. 

PLAYLIST :
Crossroads / TV monster / Call me de breeze, JJ Cale / River boat song, JJ Cale / Feeling alright / No time / Money talks, JJ Cale / Angel man / Oh mary / Route 66/ Cocaine / Soul stealers / Further on up the road / All shook up / Let’s work together, Canned Heat / Don’t mess around / Folsom Prison, Johnny Cash / Going up the country, Canned Heat /Ain’t no sunshine, Bill Withers / Cut my wings / Carol / She was a lady / Supersition / What I’d say, Ray Charles.

AUREVILLE / 10 – 09 – 2016
LOU DALFIN

Dans le sujet : « Contre contre-culture rock » :
Même quand il n’y a pas de Rn’R, il y en a quand même.

 

Quoi, comment, vous ne connaissez pas Auréville ? Incroyable ! Pourtant, tous les deux ans, cette charmante bourgade du sud Toulousain (812 habitants tout de même) organise la « Campestral », fête agro-occitane. Tout y est : vieux tracteurs, 2 CV de Sœur Clotilde, braies d’origine, bal vespéral et, pour finir, buvette à bière et concert. Le dépliant est évocateur : Véritable phénomène culturel, musique comme heureuse alchimie, langage musical extraordinaire. On en saliverait d’avance.
Je ne dirais pas qu’il ne se passait rien à Toulouse ce soir du 10 septembre, en tous cas, avec la p’tite louloute on n’a rien trouvé de mieux que de s’exiler là. La tire planquée dans un champ fraichement moissonné, on grimpe jusqu’à la placette pour tomber juste à temps sur la fin des balances.

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Ils sont venus à sept dans leur Fiat, de leur Piémont Italoccitan natal, dont deux beaux brins de filles, avec leurs instruments hétéroclites : à la vielle à roue et à l’accordéon diatonique, à la flûte traversière, au violon et au fifre, se mêlent guitares électriques et batterie. En sortent des musiques éclectiques, qui piochent dans la tradition provenço-alpine et émaillent d’une voix rauque et somme toute assez gueularde (la « lengo nostro » est un poil rocaille, et Sergio Berardo a du coffre) des paroles traditionnelles et historiques. Mais pas que : il y a du tradi paysan à base de mazurkas et bourrées, du folk, du tzigane (il y en a), un soupçon de blues, il y en a aussi, et… Du rock ! Oh, bon, d’accord, pas du garage, pas du rockabilly, pas du standard, pas de death, pas de metal, rien de tout ça. Et pourtant, ça fleure bon la conviction, la revendication d’appartenance, la rébellion même. Ce n’est pas toujours explosif, mais cela dit, le son est bon, le swing est engageant, le rythme est serré…Du coup, la ruralité danse joyeusement avec toutes sortes de déhanchements et de pas, en couple ou en commun. Tout le monde a l’air de bien apprécier, dans la douceur de cette nuit estivale et étoilée. Nous, on part un peu avant la fin, crevés et pensant qu’on avait fait un peu le tour de la question.
Bon, mon avis : ça ne mérite pas qu’on fasse 300 bornes pour les écouter, sauf si on est mordu d’Occitanie et de revendications communautaires ou ruralo-altermondialistes, néanmoins pour se faire une idée, les enregistrements sur youtube sont plutôt bien faits et représentatifs.


Béluga-Folk.

L'HISTOIRE DU ROCK
EN DIX CHANSONS
GREIL MARCUS


( Traduction : Pierre Richard Rouillon )

( GALAADE EDITIONS / Septembre 2016 )

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Le péril jaune ne vient pas de Chine. Mais les fautifs ont été identifiés. Je livre leur nom à la vindicte populaire. Les Sex Pistols. Encore un crime de plus à imputer à cette bande de jeunes crétins revendiqués. Une frappe particulièrement insidieuse. Le couteau sans manche auquel il manque la lame que l'on vous fiche dans le dos. Entre les deux omoplates. Aucune douleur. Mais vous êtes touchés sans le savoir. Depuis la parution de Never Mind the Bollocks, l'on ne compte plus le nombre de livres consacrés à cet art suprême qu'est le rock'n'roll qui paraissent auréolés d'une sainte couverture jaune péteur frappé d'un titre arborant fièrement une des nuances du rouge camaïeu. Epuisant tour à tour tout le spectre, du rose tyrien au pourpre profond. Un crachat purulent de tubar fileté d'un rhizome sanguinolent lancé à la face du bon goût classique.
Concédons que ce choix puisse s'entendre quant à un opus de Greil Marcus, n'a-t-il pas commis en un passé lointain un ouvrage dénommé Lipistick Traces ( voir KR'TNT : 136 du 11 / 03 / 2013 ) dans lequel il s'attache à retracer la généalogie qui relie le mouvement Dada à l'explosion punk ? Mais comprendre une erreur n'est pas pardonner une faute. Nous ouvrirons donc séance tenante un procès à intentions purement malveillantes à l'encontre de l'éditeur français de ce rock-critic américain que nous adorons. Preuve de notre impartialité. L'amour ne nous rend pas aveugle. Premier chef d'accusation, Marcus nous propose dix titres censés résumer à eux tout seul l'histoire du rock. Nous avons lu et relu. Nous sommes affirmatifs : pas un des seuls bijoux de la reine «  she's a fascit pig » du coffret des Pistols ne figure dans les dix nominés. Mais laissons les éditions Galaade convoquer un séminaire de réflexion approfondie sur le design de leurs prochaines maquettes...

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Attaquons-nous directement à Greil Marcus. Il est bon que se déchaînent les tempêtes sur les vieux chênes, rois des forêts. Se moque de nous le Greil. Dix titres, et aucun de ceux que l'on attendrait. Messieurs les avocats, stoppez vos effets de manche et épargnez-nous le marronnier de la subjectivité individuelle ou les arguments de pacotille qui sentent à leur simple énonciation le sapin dans lequel on porte en terre les lieux communs à la mord-moi-le-noeud du style : il existe tellement de bons morceaux de rock que l'on ne peut citer ceux... Z'oui mais alors quel est cet attrait coupable pour les roucoulades du Do Woop ? In the Still of the Night des Five Satins, porté au pinacle ? Et This Magic Moment, sirop d'érable qui patauge dans le miel de la voix de Ben E King, au septième étage de l'Empyrée ? Défendez-vous Mister Marcus Greil. Grêle orageuse sur vos compétences rock ! Et en plus vous consacrez uniquement cinq misérables pages aux Flamin' Groovies ! Sans parler du coup de balai sur les prix, le Dust My Broom de Robert Johnson remisé dans son placard.
Nous croyions avoir gagné, le Greil est condamné séance tenante à la chaise électrique ( instrument ô combien rock and roll ). Généreusement nous lui accordons une dernière fois la parole avant de le conduire à son supplice. Nous n'aurions pas dû. Vous enfouit le jury et le public au fond de sa poche en moins de trois cents pages.

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C'est qu'il s'y connaît le bougre. L'a déjà un argument massue. Vous retourne la flèche du Parthe comme tante Agathe la tarte tatin. Saisissez-vous d'un morceau de rock, n'importe lequel. Ne vous prenez pas la tête quant au style. Pas la peine de taper dans l'électricité à tout crin. Rock and roll, quel que soit le style, c'est toujours la même histoire. Le même bazar. Le scénario se répète. Personne ne miserait un dollar sur vous. Vous êtes le tocard de service. Parti dernier. Arrivé dernier. Mais un jour comme les autres, allez savoir pourquoi, le génie vous tombe dessus. Pas très longtemps. Deux ou trois minutes. Pas plus. Souvent vous ne vous en apercevez pas. Le public non plus. La cire vinylique en garde la trace. Dans le meilleur des cas vous obtenez un hit. Peut-être même la place de numéro Un au billboard. Vous en vendez un million d'exemplaires. Profitez-en, car ça ne durera pas. Votre carrière ira s'effilochant durant des années. Goût saumâtre. Certains retournent dans l'anonymat. Ou à l'usine. Vous reste encore une chance. Qu'une star reprenne votre morceau et lui redonne vie. Si vous avez eu la présence d'esprit de rester (co)propriétaire de vos droits d'éditions, ouvrez votre portefeuilles pour accueillir les royalties. Sinon brossez-vous le ventre avec le plumeau pour faire la poussière sur les touches du piano, et enfoncez-vous le manche dans le cul. La vie est cruelle. De quoi vous plaignez-vous ? Peut-être qu'un jour un journaliste écrira un article sur vous, et votre nom brillera à jamais au fronton de la légende du rock and roll. Le lot de consolation. La voiture-balai du service après vente.

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Z'attention ! L'existence n'est pas qu'une vallée de larmes. L'existe des veinards qui sont vernis par les Dieux. Un exemple, difficile de faire mieux que les Beatles, vous ont pondu des hits à la chaîne comme les oeufs de poule en chocolat qui poussent en pleine nature en période de Pâques. Pas de chance, le conte à l'eau de rose a fini par tourner au vinaigre. Se sont séparés. Se sont fâchés. Et deux d'entre eux ont eu la mauvaise idée de mourir entre temps. Ré-écoutez Lucy in the Sky with Diamonds, un chef d'oeuvre immortel. A part qu'entre nous, qui prend le temps de passer en revue la fanfare du Sergent Poivre ? Quelques nostalgiques.
Défaut dans la cuirasse de Marcus. N'en parle jamais. A vous de saisir les allusions. Quand il dit «  à l'époque » traduisez par «  maintenant que j'ai soixante dix berges, et que la fin se rapproche ». Ah ! Qu'il était beau le rock and roll de ma jeunesse ! Snif ! Snif ! Vous aimeriez sortir votre mouchoir et pleurer avec lui. Tempus fugat. Le vieil hibou a plus d'un tour dans son sac. Vous escamote le problème. Un magicien du verbe. Détourne votre attention. Noie le poisson sous un flot de paroles intarissables. Et il ne parle pas pour ne rien dire. Des connaissances à n'en plus finir. Des dates, des faits, des anecdotes, en vrac, en sachets, en poudres, par cartons de dix. Conditionnement tout azimut. Déroule les cent mille et une nuits du rock and roll devant vos yeux ébahis, et lorsqu'il termine un paragraphe vous lui donnez encore quelques minutes de grâce pour entendre la suite. Jamais à court. L'a épuisé le puits du rock and roll, l'ouvre les réservoirs du cinéma, et si cela ne suffit pas lui reste encore les citernes de la littérature.

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Dix titres, et ça rebondit comme des saumons qui remontent le courant. Nous fait le coup de la pelote de laine. Vous tirez un centimètre de fil et c'est parti pour trente kilomètres. Vous ne savez jamais ce que vous rencontrerez au prochain virage. Vous êtes dans le bureau de Gordy le boss de la Motown et vous déboulez dans le studio d'enregistrement de chez Chess. Un petit tour in England et coucou vous revoici in the States, au domicile de Buddy Holly. Z'avez même droit aux biographies imaginaires. Que seraient devenus Buddy Holly et Robert Johnson si la grande faucheuse ne les avait si traîtreusement interrompus ? Questions stupides. Réponses angoissantes. Celui qui meurt ne peut plus se trahir.

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Reste maintenant à définir le profil psychologique de Greil Marcus. Inutile de l'étendre sur un canapé. Premier couplet de quatre lignes de chacune des  chansons qu'il a choisies - et parfois des bonnes comme Money ( That's what I Want ) ou All I Could Do Was Cry – et il vous écrit sur ces quatre misérables vers improvisés sur un coin de table un minimum de six pages. L'angoisse de la feuille blanche ce n'est pas son truc. Par contre il bloque toujours au même endroit. Lorsque le chanteur s'arrête. Une demi-fraction de seconde. Alors qu'il ne devrait pas, qu'il devrait cavaler sans demander son reste comme si le Septième Régiment de Cavalerie était à ses trousses. Mais non, il marque l'arrêt alors qu'aucun abribus ne s'offre à sa vue. Un creux dans le fromage et vous subodorez le gruyère. Un trou dans une chanson et Marcus tombe en extase devant le génie. Serait-ce un uppercut vulvère obsédant ? Réminiscence de sa venue au monde qui se serait mal passée ? Sa mère refermant les jambes au moment exact où il pointait sa tête hors de sa tanière prénatale ? Un vieux complexe de castration soujaccent qui ressurgit des profondeurs de son inconscient, nous ne le saurons jamais. De toutes les manières, là n'est pas le problème.
Réside ailleurs. Marcus est né en quarante cinq. Aux USA. A peine la dizaine de printemps en 1956 lorsque éclate le rock and roll. Cela suffit pour qu'il devienne un témoin irremplaçable et primordial. L'était sur la plage lorsque le tsunami du rock and roll est arrivé. Parents et vieux monde liquidés en quelques instants. Emportés dans les poubelles de l'Histoire. Inutile de chercher le lieu et l'heure exacte. Ni Elvis, ni Vincent, ni Carl Perkins, ni Wynonie Harris, ni qui vous voulez. Pas de premier de la classe. Tous ensemble. Un moment d'intense libération et de grande jubilation collective, un avant et un après, une coupure irréversible. Un slow larmoyant, un rock torride, ce n'est pas la question. Que vous commandiez la cavalerie d'Alexandre ou que vous occupiez le dernier rang de la phalange, importe peu. Vous fûtes un acteur de l'Anabase. Et vous, immondes lecteurs qui n'étiez même pas nés à l'époque, profil et chapeau bas. Ne ramenez point votre fraise tagada tsoin-tsoin, pur colorant de synthèse industrielle. Le rock and roll passe. Aboyez ou remuez la queue. Comme bon vous semble. Recueillez les radotages des vétérans qui ne se sont jamais remis de l'Aventure. Laissez tomber vos supputations. Salut au grand général Greil Marcus. Même s'il a perdu toutes les batailles auxquelles il a participé. D'ailleurs il l'avoue sans façon, tire son irremplaçable science de You Tube. Provocation extrême. Rock and roll attitude.


Damie Chad.

PARKEROMANE
ERIC NAULLEAU


( BELFOND / Octobre 2015 )

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La première fois que j'ai aperçu le book sur la table du libraire, j'ai cru que c'était un volume de chez Camion Blanc qui stationnait. Mais non, c'était Belfond. Y aurait comme une inspiration pour la couve que cela ne m'étonnerait pas. Graham Parker n'a jamais bouleversé ma vie. Aussi ai-je dédaigné le volume. Peut-être ai-je tort. Bruce Springfield n'a-t-il pas déclaré que la seul chanteur pour qui il accepterait de payer une place de concert serait Graham Parker ? J'adore ce genre de déclaration quand l'on voit le prix des entrées pour les prestations parisiennes du Boss. L'ai trouvé ( le livre, pas Bruce ) chez mon bouquiniste du marché communal pour presque rien.
Je ne savais point qu'Eric Naulleau était un amateur de rock. L'est un personnage médiatique. Fait partie de ces hommes qui à longueur d'émission télévisées déversent des torrents de cette haineuse idéologie ultra-conservatrice et réactionnaire qui creuse depuis des années le lit du Front National et du Parti Républicain. S'inscrit dans la lignée d'un Aain Soral et d'un Eric Zemmour avec lesquels il collabore... Ce poison populiste n'est pas tout à fait ma tasse de thé...
N'a pas que des amis dans le milieu littéraire Eric Naulleau. On le comprend : a dénoncé les compromissions du milieu : grands éditeurs et auteurs à succès style Marc Lévy, Michel Houellebecq, Frédéric Beigbeder et de bien d'autres... ce qui ne l'a pas empêché de passer de sa propre maison d'édition L'Esprit des Péninsules à chez Belfond... L'on a connu des groupes punk anti-système à trois mille pour cent qui ont signé chez les plus grosses majors. A chacun ses contradictions. Ecrit aussi dans le magazine littéraire Le Matricule des Anges qui ronronne et tourne en rond depuis une vingtaine d'années, mais ceci est un avis purement personnel.
En tout cas, une chose est sûre Eric Naulleau est bien comme il le revendique un parkeromane aguerri, et pas de la dernière heure. Depuis la nuit des temps parkeriens. D'ailleur le bouquin parle davantage des rapports d'Eric Naulleau avec son idole que de Graham Parker lui-même. Si vous croyez lire une biographie hyper documentée sur la vie et l'oeuvre de Graham Parker, passez votre chemin. Parcours de fan. Privilégié, l'est devenu un ami. A tel point que le troisième tiers du livre est un commentaire rédigé par Graham Parker lui-même sur vingt de ses chansons choisies par Eric Naulleau. Ne nous apporte guère de révélations fracassantes, pas un gramme le Graham, n'a pas grand chose à dire. N'est pas un commentateur bavard. Peu narcissique le bonhomme. Alors Neaulleau fait suivre son commentaire des lyrics des chansons, en langue originale. Sans traduction. Un truc qui a dû procurer un immense plaisir aux amateurs du chanteur qui n'entravent que couic à la langue de Shelley !
Eric Naulleau se raconte, premier concert au Bataclan, Le quinze décembre 1977, en des temps légendaires, Graham Parker and The Rumour. Vingt ans plus tard à l'Arapaho, le vingt-six octobre 1995, ce n'est plus la même ferveur. Neaulleau et trois autres mousquetaires sont les seuls spectateurs... l'action Parker est au plus bas... Pas de quoi décourager un addictomane comme Neaulleau. Si Parker ne vient pas à lui, Neaulleau n'hésitera pas à traverser les mers pour le voir à New York, Minneapolis, Norfolk... Un acharné.
Un petit laïus à chaque parution d'album, quelques mails de Parker à son favorite french groupie, quelques déclarations politiques - Parker est anti-Bush - et c'est à peu près tout. C'est que l'opuscule est mince et la police de caractère agréable aux mal-voyants. Eric Naulleau n'a pas eu de mal à faire accepter son manuscrit à son éditeur chez Belfond, puisqu'il y possède ses propres entrées. Je doute qu'ailleurs on l'eût pris sans lui demander de rembourrer quelque peu son opus. S'est fait plaisir. Le quarteron des fans français de Graham Parker ont dû être déçus. Pas grand-chose à se mettre sous la dent. Neaulleau a appliqué la philosophie d' Eddy Mitchell, il n'y a pas de mal à se faire du bien.


Damie Chad.

 

 

 

 

07/09/2016

KR'TNT ! ¤ 293 : JAMES LEG / VICIOUS STEEL / MATHIEU PESQUE QUARTET / FRED CRUVEILLER BLUES BAND / MIKE GREENE + YOUSSEF REMADNA / A CONTRA BLUES / LIGHTNIN' HOPKINS / JALLIES / LIEUX ROCK

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

James Leg, Vicious Steel, Mathieu Pesqué Quartet, Fred Cruveiller Blues Band, Mike Greene + Youssef Remadna, A Contra Blues, Lightnin' Hopkins + Fred Medrano, Jallies, Notown Festival, Lieux Rock + Matthieu Rémy + Charles berberian,

LIVRAISON 293

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

08 / 09 / 2016

 

JAMES LEG / VICIOUS STEEL

MATHIEU PESQUE QUARTET

FRED CRUVEILLER BLUES BAND

MIKE GREENE + YOUSSEF REMADNA

A CONTRA BLUES / LIGHTNIN' HOPKINS

JALLIES / LIEUX ROCK

POINT EPHEMERE / PARIS X°
19 – 07 – 2016
JAMES LEG

La patte de Leg


Oh oui, ça faisait un moment qu’on le voyait planer au dessus de la plaine, l’immense James Leg. Il pourrait passer pour le fantôme de Vincent Crane. Lorsqu’il jouait encore en duo avec Van Campbell dans les Black Diamond Heavies, ce fils de pasteur a dû se contenter de premières parties, et ses disques ont moisi dans le recoin maudit des imports garage chez les disquaires, enfin ce qu’il en reste.

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Oh oui, on s’en souvient très bien. Dans les années 2000, le marché était submergé de duos de garage blues. Ils essayaient tous de se distinguer d’une façon ou d’une autre, certains avec du panache trash (The King Khan & BBQ Show) d’autres avec ce panache technico-commercial qui conduit à la gloire éternelle (Black Keys). Les Black Diamond Heavies, comme les Immortal Lee County Killers ou les Henry’s Funeral Shoes restaient quant à eux noyés dans les ténèbres d’un underground foisonnant de vie, à l’image des racines d’un gros arbre tropical grouillantes de cette vermine humide dont se régalent les autochtones.

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Il est certain qu’on n’apprend pas grand-chose lorsqu’on écoute l’album live du duo Leg/Campbell paru en 2009, «Alive As Fuck». Patrick Boissel a pourtant mis le paquet sur l’emballage, avec un design catchy bleu et un vinyle de la même couleur. On note toutefois un gros particularisme chez nos amis candidats au trône : le guttural exacerbatoire de l’ami Leg. Il sonne tout simplement comme un Louis Armstrong psychotique qui refuserait de se calmer, même sous une dose massive de sédatif. Il y a quelque chose de graveleux dans la voix de l’ami Leg, au sens où il aurait avalé tout le gravier du Kentucky ou d’ailleurs. Il y a du Joe Cocker dans sa voix, mais en plus charbonneux, en plus cancéreux. C’est même parfois trop gras, au sens du raclement de glaviot. On pourrait dire qu’il chante au guttural de cromagnon, mais vu qu’on n’était pas là pour vérifier, ça ne veut pas dire grand-chose. Comme d’ailleurs tout ce qu’on peut raconter sur le rock dès lors qu’on cherche à imager. Ah pour ça, les Anglais sont les champions du monde avec des trucs du genre beat-less mass of synthetized explosions and computer game abuse laced with Sun Ra-like organ noodling. C’est presque de l’art moderne au sens où l’entendait notre héros Des Esseintes.
Dans cet album live, nos deux cocos visent parfois l’hypnotisme du North Mississippi Hill Country Blues, notamment dans «Might Be Right», un cut qui file à fière allure. On se dit même que ça ne doit pas être compliqué à jouer, mais attention, il arrive que les morceaux les plus évidents soient les plus difficiles à jouer. Tiens prends ta guitare et joue «Get Back». Ou encore plus simple, «The Jean Genie». Tu va voir comme c’est facile. De l’autre côté gigotent deux ou trois petites merveilles de garage blues. «White Bitch» est une ode à la coke - Fucked all day/ Fucked all day - Et il chante ça d’une voix tellement huilée au mollard qu’on le croit sur parole. Il reste sur le pire guttural qui soit pour «Loose Yourself». On ne peut pas s’empêcher de penser à la voix qu’aurait eu un chef barbare arrivant en vue de Rome et qui lancerait ses troupes ivres de violence et de mauvais vin à l’assaut d’une ville déjà abandonnée par sa garnison. Parfois, on se félicite d’être né au XXe siècle.

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«Every Damn Time» fait partie des disques indispensables. Pour au moins six raisons. Un, «Fever In My Blood» qui sonne comme un heavy shuffle d’Atomic Rooster monté sur le beat tribal du sentier de la guerre, ni plus ni moins. C’est ce qu’on appelle du punk-ass blues du Tennessee, avec une structure dévoyée et livrée aux affres du démonisme. Ces deux mecs cherchent des noises à la noise et se conduisent comme les Féroces de la Forêt d’Émeraude. On se croirait même dans la cabane de T-Model Ford. Ils ne respectent rien ! Le truc sonne comme un brouet de sorcier africain. Ils tapent dans la même fournaise que Left Lane Cruiser. Ils adorent rôtir en enfer. Deux, «Leave It On The Road», épais battage de big bass drum saturé de violence, matraqué sans vergogne avec un appétit que la décence nous interdit de décrire. Ce beat voodoo se révèle écrasant de primitivisme. Pas de distorse, on a juste la basse de l’orgue. C’est à la fois dégoûtant, salutaire, menaçant et bien plus efficace que toutes les attaques d’alligators du bayou. On a là du pur génie swampy. L’ami Leg passe un solo d’orgue au cœur de la pétaudière. C’est monstrueux, il faut bien l’avouer. Trois, «Poor Brown Sugar», un stomp du Tennessee, épouvantablement solide, chanté à la vie à la mort, bardé de peau de vache du blues, terrifiant d’à-propos et lourd de conséquences. Quatre, «White Bitch», encore une horreur, tabassée au Tobacco Road de beat de bass-drum ultimate, ça bingote à coups de boutoir dans bingoland, ça bombarde d’uppercuts de cut de brute dans la panse de bitch au bas du belt. Et ça dit la dope ! Cinq, «Might Be Right», groove du Tennessee bien rebondi, un modèle du genre, dans l’esprit de John Lee Hooker. Six, «Guess You Gone And Fucked It All Up», monté au meilleur beat hypno, binaire de base, puissant et martelé par Odin en personne.

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Le deuxième album studio des Black Diamond s’appelle «A Touch Of Someone’s Else Class». Il vaut aussi le détour, je vous le garantis, ne serait-ce que pour cette reprise musclée de «Nutbush City Mimit» d’Ike & Tina. L’ami Leg la prend au guttural cromagnon, le même que tout à l’heure, celui qu’on ne peut pas vérifier. Il est très fort pour créer les conditions de la démesure. Avec lui, ce genre de standard est en lieu sûr. Au rayon des horreurs, on trouve «Make Some Time», qui sonne comme une cavalcade de bulldozer. Ils jouent ça au boogie dévastateur. C’est un peu leur spécialité. Ils nous battent ça au pilon des forges, c’est noyé de son et quasiment incommensurable. Pour «Loose Yourself», ils sortent un heavy groove à la Vanilla Fudge. L’ami Leg lave les péchés du genre humain à coups d’orgue de barbarie. Il mélange la heavyness du Vanilla Fudge avec celle d’Atomic Rooster. C’est une abomination dont les oreilles ne ressortent pas intactes. Il peut aussi nous surprendre avec des choses comme «Oh Sinnerman», une chanson de Nina Simone. Il nous plonge dans le mystère de cette femme extraordinaire. Il joue ça au pianotis et à la petite locomotive de train électrique, celle qui fait du bruit sur ses petits rails. Pur moment de magie interprétative. Dans le même registre, on a «Bidin’ My Time», un jazz blues de charme admirablement bien ficelé. James jazze le jive comme un géant du Village Gate. C’est saxé comme dans un rêve et tellement inspiré. Il peut swinguer jusqu’au bout de la nuit et monter au paradis. Il fait aussi une belle reprise du «Take A Ride» de T Model Ford - C’mon baby tek é raïd wizzz mi ! - Fantastique album.

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Curieusement, son premier album solo, «Solitary Pleasure», se révèle beaucoup moins dense que ses trois disques précédents. On retrouve le guttural, mais pas la démesure, même si «Do How You Wanna» sonne comme un heavy sludge de heavy blues. Un nommé Dillon Watson joue de la dégoulinade de guitare à l’Anglaise. Bizarrement, les autres morceaux de l’A n’accrochent pas. De l’autre côté, il tape dans «Fire And Brimstone» avec un vieux coup de guttural. Il fait sa brute, mais il n’emporte pas de victoire. Et avec «Drinking Too Much», on pourrait lui reprocher de vouloir faire du Tom Waits, ce qui est très embarrassant. James Leg est avant toute chose une bête de scène.

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Avec son deuxième album solo, il affine son art et crée les conditions de la passion, au sens où l’entendait Saint-Mathieu. «Below The Belt» présente toutes les caractéristiques du disque énorme, contenu comme contenant. Quand on a passé toute sa vie à brasser du vinyle, on est content de voir arriver ce genre d’album avec sa pochette annonciatrice d’hallali. Un photographe a surpris un James Leg torse nu, convulsionné devant son clavier, avec le buste jeté en arrière, comme possédé par le diable. Avec ses tatouages, sa moustache en croc à la Lemmy et sa tignasse grasse rejetée à l’arrière du crâne, James Leg fait figure de pouilleux parfait. Ses mauvais tatouages le distinguent des tendances nouvelles très m’as-tu-vu qui font tellement de ravages. Et dès l’ouverture du bal avec «Dirty South», on sait que l’album va tenir ses promesses, car c’est une véritable dégelée de Stonesy à la sauce Deep South qui nous tombe sur le râble. L’ami Leg chante avec la voix d’un vieux routier de l’armée confédérée, l’un des vieux sergents borgnes qui refusaient toujours de se rendre vingt ans après la capitulation et qui se planquaient dans les sous-bois de l’Arkansas ou dans le bayou, en Louisiane. C’est tellement bien foutu qu’on y croit dur comme fer. Johnny Walker des Soledad y fait même des ouh-ouh en hommage aux Stones de l’âge d’or. Voilà ce qu’on appelle une stupéfiante entrée en matière. Et c’est loin d’être fini, car voilà qu’avec «Up Above My Head», l’ami Leg tape dans Sister Rosetta Tharpe ! Il va au gospel comme d’autres vont aux putes, la voix grasse à la main. Comble de bienséance, c’est arrosé à coups d’harmo et tenu au beat bien sec. Quand il chante «Drink It Away», franchement on croirait entendre un gros nègre qui a tout vécu, qui a neuf gosses reconnus comme Willie Dixon et qui pourrait briser une traverse de chemin de fer sur son genou. Avec «October 3RD», l’ami Leg passe au swing avec armes et bagages, et nous entraîne dans une belle ambiance de dévolu musical qu’il swingue avec cette inéluctable distinction qu’on ne trouve que chez les géants de l’orgue, à commencer par Jimmy Smith et Graham Bond. Le festival se poursuit de l’autre côté avec «Glass Jaw». L’ami Leg sait secouer un cocotier. Plus personne n’en doute, arrivé à ce stade. On le voit napper son cut d’orgue et fuir le long d’un horizon, comme Can. Il a étudié lui aussi les arcanes de l’hypnose. Il tape ensuite dans les Dirtbombs avec «Can’t Stop Thinkin’ About It». Jim Diamond joue de la basse et on imagine aisément l’épaisseur garage que ça génère. S’ensuit une petite faute de goût avec une reprise de Cure et il finit son album avec deux pures merveilles, «Disappearing», un balladif en mid-tempo d’une classe insolente et «What More», un exercice de piano jazz qui le consacre empereur du blues-rock à la cathédrale de Reims.

 

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James Leg était à Paris par un beau soir de canicule, pour jouer en première partie d’Endless Boogie, quatuor new-yorkais dont on ne dira jamais assez de bien. À Jaurès, sous le métro, campaient des centaines de réfugiés pour la plupart africains. Les gueux de la terre étaient donc de retour en Occident et ils campaient face au siège du numéro 1 de la protection sociale en France, l’AG2R. Quelle ironie !

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À l’intérieur du Point Éphémère régnait une chaleur d’étuve. Pas moins de 35 ou 40°, pas le moindre courant d’air, à la limite de l’irrespirable. Oui, cette atmosphère relativement diabolique semblait convenir à notre éminence le Reverend James Leg. Installé face à un jeune batteur torse nu, il profita donc de cette étuve pour donner un petit avant-goût de l’enfer sur la terre. Si vous appréciez le boogie krakatoesque, le guttural barbare, l’explosivité latérale, la surenchère d’énergie, les cheveux trempés de sueur au deuxième morceau, les mauvais tatouages, le son du rock américain hanté par le gospel batch, les postures d’organiste qui rivalisent avec celles de Keith Emerson ou de Graham Bond, l’intensité de toutes les secondes, la tripe fumante, le shuffle d’orgue qui sonne comme une guitare, les crises d’épilepsie scénarisées, les regards fous dans la meilleure veine de l’expressionnisme allemand et, petite cerise sur le gâteau, une vraie animalité de performer/transformer, alors hâtez-vous d’aller voir ce mec en concert.

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Signé : Cazengler, James Lego (démonté, bien sûr)


James Leg. Point Éphémère. Paris Xe. 19 juillet 2016
Black Diamond Heavies. Every Damn Time. Alive Natural Sound Records 2007
Black Diamond Heavies. A Touch Of Someone’s Else Class. Alive Natural Sound Records 2008
Black Diamond Heavies. Alive As Fuck. Alive Natural Sound Records 2009
James Leg. Solitary Pleasure. Alive Natural Sound Records 2011
James Leg. Below The Belt. Alive Natural Sound Records 2015

 

 

VICDESSOS / 06 - 08 - 2016
BLUES IN SEM

VICIOUS STEEL / MATHIEU PESQUE QUARTET
FRED CRUVEILLER BLUES BAND
MIKE GREENE + YOUSSEF REMADNA
A CONTRA BLUES

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L’Ariège, terre courage. Ses loups assoiffés de sang qui déciment les troupeaux de brebis innocentes, ses ours bruns qui dépiautent les touristes, son goulot d’étranglement de Tarascon. Con ! Fin brutale d’autoroute. Samedi noir. Teuf-teuf immobile. Faut avoir une patience d’ange et le cœur bien accroché pour foncer vers Sem. Mais qui saurait résister à l’appel du blues ?
De toutes les manières si tu ne vas pas à la montagne, c’est le blues qui vient à toi. Cette année Sem n’est plus à Sem. Bye-bye les quinze derniers kilomètres en montée continue vers l’ultime village perdu. Pour sa quinzième édition le festival est descendu à Vicdessos. Facile à trouver : vous délaissez la grotte de la Vache sur votre droite et celle de Niaux sur votre gauche. Cette dernière est connue pour ses graffitis préhistoriques, et la première pour ces ossements de mammouth. A ma grande fierté, lors de ma visite, mon chien Zeus s'était emparé d'une de ces reliques préhistoriques et avait filé sans demander son reste, devenant ainsi l'unique canidé européen à se nourrir de la substantifique moelle pachydermique. Ensuite, c’est tout droit jusqu’à la Halle du Marché de la bourgade. Architecturalement, le bâtiment n’est qu’un vulgaire et spacieux hangar de taules même pas rouillées. La poésie se perd. Finies les étroites et pittoresques ruelles de Sem, ses parkings inexistants, son préau d’école exigu, ses toilettes lointaines, ses froidures humides, ses nuits pluvieuses. Moins de charme ou davantage de confort ? Le choix n’est pas cornélien, le blues a décidé pour nous.
Grand espace, des centaines de chaises plastiques alignées comme de petits soldats, pompe à bière, sandwichs à la saucisse, le bonheur est là, à portée de la main, suffit de se tourner vers la vaste scène sur laquelle A Contra Blues peaufine son sound check, deux guitaristes solos qui entrecroisent des notes sauvages, un duo qui vous met le Jack Daniel's à la bouche. Mais commençons par le commencement.

VICIOUS STEEL

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Formule minimale. Antoine à la batterie, Antoine à la basse, Cyril à la lead et au chant. N’ont pas terminé leur troisième titre que mes interrogations métaphysiques me reprennent. Docteur Chad, est-ce vraiment du blues ? Evidemment petit Damie, vous avez ici l’exemple parfait du Gini-blues, la rythmique du blues, les gimmicks du blues, le répertoire du blues, mais vous pouvez consommer sans modération, c’est du rock and roll. Z’ont tout pour eux, sont jeunes, sont beaux, viennent de Toulouse la ville où tu born to loose. Le genre d’argousins qui ne vous laissent pas les oreilles au repos. Vous stompent les trompes d’Eustache en moins de deux mesures. Son parfait et prégnant. Big blues Brother vous regarde. Les deux Antoine sont les idoines pétales de l’hortensia bleu et Cyril le pistil. Belle voix claire et bien appuyée, guitare sans défaut, un super groupe de première partie qui met tout le monde d’accord et vous chauffe la salle aux petits oignons. Vous envoient des nouvelles d’Orléans, batifolent dans le Delta, descendent à l’hôtel Great Chicago, ont leurs compos à eux, et le compteur linki tout électrique qui vous facture toutes les dépenses au centime près. Le blues dans la tête et la salle dans la poche. Vicious Steel, rythmique d’acier trempé mais pas vicieux pour deux sous réalise le consensus blues. Du vrai blues de petits blancs admiratifs estampillé bleu culturel de Klein quand sonne l’heure des remises à l’heure de la pendule du diable des carrefours. Grand moment d’émotion lorsque Antoine ( non pas lui, l’autre ) scande le blues sur son tambour à coups de chaîne. Pas celle de la mythique pochette de Vince Taylor mais celle que l’on vous refilait en cadeau de bienvenue à Perchman. Pour les amateurs de rock, Cyril exhibe sa collection de guitares carrées à la Bo Diddley. Merci Mona.

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Vicious Steel connaît sa mythologie blues sur le bout des doigts. Vous la racontent avec doigté. Mais devraient nous en faire un de temps en temps. Manque les salissures, l’usure du temps et des hommes. La sueur, les larmes et le sang churchillien. Détiennent la technique mais ignorent l’outrage. Blues lisse avec balise de secours. En 1963, les Stones chantaient et jouaient moins bien que Willie Dixon et Muddy Waters, mais ils avaient la morgue et l’arrogance en plus. Toute la différence est là. Faut chercher la rupture, le rapt et la rage. Pour chasser l’alligator, vaut mieux qu’il vous ait précédemment dévoré une jambe. Au moins vous savez pourquoi. Vicious Steel a emballé un public assis après la cinquantième borne de leur existence. Attention aux vieillesses auto-satisfaites et par trop sereines. Ont fait un tabac. Un peu trop blond, qui ne pique pas aux yeux et qui ne vous arrache pas la gorge. Mais ils ont de l’audace. Composent aussi en français, un effort pour coller à la langue anglaise du style “Je suis Tombé en Amour”, et moins romantique, sans la ballade lamartinienne autour du lac, vous avez " un tatoo au creux de tes reins pour me souvenirs de tes fesses". L’on préfèrerait descendre dans les bas-fonds du cul, mais l’on n’ira pas plus bas dans l’ignominie. Le regard vicieux du jouisseur des bas-fonds. Mais non, l’on s’arrêtera là. Dommage, mais ils sont en bon chemin. Ne reste plus à Vicious Steel qu’à franchir la frontière de la déférence bleue.

 

MATHIEU PESQUE QUARTET


L’est au centre. Avec sa fausse coupe Beatles embroussaillée, il ressemble à un étudiant américain de Berkeley de 1965. Acoustique en bandoulière, le profil type de l’admirateur country blues qui connaît son Lomax par cœur. Un petit blues des familles juste pour montrer qu’il n’est pas un manchot sur la banquise du manche. Derrière Olivier à la basse, Ludovic et Hansel à l’électrique lui concoctent un accompagnement de velours. Et tout de suite après l’on saute une génération. Précisent qu’ils vont interpréter leurs propres morceaux. Nous voici au début des années soixante dix. Canned Heat ? Johnny Winter ? Mike Bloomfield ? Quittez les amerloques et changez de continent. Direction la perfide Albion, prenez les meilleurs. Au début je n’en crois pas mes oreilles. Mais oui, ça sonne bien comme Led Zeppelin. Un petit dirigeable car il leur manque l’amplitude sonore. Faudrait multiplier par dix le puissance des enceintes pour que le cheval sauvage et neptunien puisse s’extirper des vagues, mais l’intelligence service du blues est bien là. Ont pigé la stratégie des brisures, les recouvrements de riffs, l’avancée dédalique vers la confrontation du Minotaurock, qu’ils évitent soigneusement car ils sont avant tout des joueurs de blues.

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Ne sont pas de petits branleurs qui s’embarquent sans biscuit pour une croisière sans retour. L’on a compris que question acoustique Pesqué tient le coup, mais celui qui tient la barre c’est Hansel Gonzalez. Le gonze à l’aise. Un guitariste comme je les aime. N’a pas fait poser des enjoliveurs sur sa gratte pour impressionner les minettes. S’accroche au bigsby et ne le lâche plus. Ne joue pas de la guitare. Joue du vibrato. Froissements et feulements de tigres, plus inquiétants que les rugissements. Vous êtes le beurre et il est le couteau qui s’enfonce dans la motte. Bordel ! Z’auraient quand même pu à la technique pousser les boutons et le mettre tout devant. Déplace les cordes comme un pendu pris au collet qui essaie d’échapper à son étranglement en se débattant au bout de son chanvre funéraire. Une demi-heure de pur bonheur. Applaudissements nourris à la fin de la séquence.

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Pesqué repasse en tête. Retour au répertoire. Guitare à plat, bottleneck au travail et glissandi à gogo. De la steel guitar comme s’il en pleuvait. Mais Pesqué va plus loin, des tapotements, des chuintements, des éreintements qui lorgnent vers la musique moderne et concrète. Ne vous dis pas comment l'Hansel il vous recueille ses pierres précieuses du bout de sa guitare, des pesées célestielles d’archange, magicien qui transforme la citrouille des concrétudes en carrosse électrique. Le secret du blues et du rock. Une bataille anti-entropique : rien ne se perd. Pas question de laisser une seule demi-croche accrochée aux petites branches.
Quelques retours à des morceaux de facture plus classique, faut savoir emballer la marchandise dans de solides écrins qui supportent les chocs, et le quartet et ses deux guitaristes nous quittent sous une ovation d’approbations. Suis injuste, vous ai laissé Ludovic et Olivier dans l’ombre. Vous en reparlerai quand je reverrai le groupe, car ce combo est à mettre dans la collimateur.

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FRED CRUVEILLER BLUES BAND

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L’on ne pouvait pas rêver de meilleure transitions. Après les affleurements reptatifs du précédent quartet, la chevauchée des walkyries du trio de Fred Cruveiller. Un adepte des philosophies simples. Aucune hésitation. Vite et fort au début. Vite et fort au milieu. Vite et fort à la fin. Pas de faux-semblants. Ni de faux-fuyant. D’attaque et d’équerre. Point de bavardage inutile. Juste quelques mots pour signaler qu’il change de guitare. Fred Cruveiller tient ses promesses. Quand il annonce que ça va y aller. Ca y va dur et rude. Dégoise le blues électrique des pores de sa peau. Campé sur ses deux jambes il n’envoie que du bon. Du texan pure long horn, cueilli au lasso et rôti à la broche à la graisse de crotale. Electrique ou résonateur vous ne sentez pas la différence. Droit devant dans ses bottes. Laurent Basso est à la basse. A peine s’il bouge de temps en temps une phalange, placide et le museau tourné vers tout ce qui n’est pas son instrument. Mais il vous tresse, l’air de rien, un swing phénoménal, ce n’est pas une basse mais un oscilloscope qui émet des ondulations sans fin.

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Eric Petznick déclare qu’il est essoufflé dès la fin du premier morceau et prend quinze secondes pour boire un gorgée d’eau. Ne serait-ce plus de son âge et de sa barbe grisonnante ? Ruse de comanche. Faut entendre la suite. Tape et cogne avec un zèle outrecuidant. Mes angoisses shakespearienne me reprennent. To blues or not to rock ? La question se pose pour les caisses, plus haut à l’étage des cymbales il nous donne la réponse, une souterraine rythmique jazzistique qui rampe sous le son sans demander son reste. Les peaux pour Fred, le laiton pour Laurent. Vous estomatoque d’un côté et vous ruisselle sur les tympans de l’autre. Pas de trou, pas d’interstice, pas de blanc. Sur ce lamé sonore Cruveiller laboure à l’aise. Aucun souci à se faire. Les deux compères assurent tous risques. Pénardos, car avec Fred, pas d’inquiétude à avoir. Quand il attaque un morceau, gagne le combat par KO technique. Les applaudissement fusent de tous les côtés. L’a ses fans qui se remuent le popotin sur l’allée latérale et ses aficionados qui crient leur contentement.

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S’en ira comme il est venu. Sans chichi après le rappel. Un boogie brut de décoffrage, une tambourinade de cordes éhontée, une dégelée d’horions qui vous percutent la figure sans que vous y perdiez la face. L’a remis les pendules à l’heure. On ne sait pas trop laquelle mais l’a tout balayé sur son passage. Un blues carré avec quatre étoiles ninja. Un combattant du blues. Troupe d’assaut.

MIKE GREENE & YOUSSEF REMADNA

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Après le commando de choc, honneur aux vétérans. Vont nous raconter toutes leurs guerres. Enjolivent sans fin l’histoire, mais tout le monde adore car c’est encore mieux comme cela. Sont sur leurs chaises hautes, comme deux copains au comptoir. Règleront leur compte à la Cristalline plastifiée qui leur sert de rafraîchissement. Comme de vrais bluesmen ils crient bien fort qu’ils préfèrent l’alcool. Le genre de déclaration politique qui crée le consensus parmi le public. Chantent à tour de rôle. A chaque morceau Mike Greene change de guitare. Ou alors Youssef Remadna troque la sienne contre un harmonica. Font semblant de donner dans le dépouillé et le rustique. Vous les croyez sortis tout droit du Delta et Mike entonne un air des Shirelles. Z’aiment bien casser les légendes. Ne se prennent pas au sérieux. Deux vieux complices ravis de vous jouer un tour de cochon bleu. Assurent comme des bêtes. Youssef engoule son harmo et vous tient la note sans faiblir durant cinq minutes. Continue même lorsqu’il a reposé son appareil sur le tabouret à côté de lui.

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Vous ne savez jamais dans quel répertoire ils s’apprêtent à puiser. Celui du blues ou la salade des blagues salaces. Engagent la conversation avec le public aux anges, attention ont la répartie facile et pratiquent l’auto-dérision à merveille. L’accent américain de Mike - réside en France depuis des années - fleure l’authenticité à plein tube. Z’en profitent pour balancer deux petits airs qui respirent trop le boute-en-train country pour être honnêtes. Mais ils professent une définition élastique du blues. Ces deux-là vous mènent par le bout du nez, en bateau sur les eaux boueuses du Mississippi, et partout ailleurs où le décide leur fantaisie. Du juke joint au feu de bois dans la grande prairie en passant par les stations adolescentes devant le poste à radio, vous ne savez plus trop où vous êtes. Ce qui est sûr, c’est que vous êtes bien. Un sacré numéro. Une impro parfaitement au point. Mais qui repose sur un savoir-faire évident. Le blues de deux vieux compères qui se la jouent pépères. Sous leur bonhomie, ils cachent des calibres dignes de la mafia. Respect et emballement du public qui exulte.

A CONTRA BLUES

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Je suis sorti entre deux sets pour respirer l’air frais ( ceci est un euphémisme ) de nos montagnes. C’est alors que je l’ai aperçue, toute menue, toute frêle, les yeux fermés, sur la banquette de la camionnette du groupe. Essayait de dormir, de retrouver un peu d’énergie après six heures d’attente, toute blanche, toute lasse, écrasée de fatigue, la route depuis l’Espagne, la chaleur cuisante de la journée. La pauvrette, mon cœur de rocker s’est ému, déjà je lui avais pardonné sa future contre-performance. Que voulez-vous les rockers sont de grands sentimentaux. Et la voilà maintenant derrière sa batterie, tous les cinq en place, les quatre autres se tournent vers elle, manifestement, ils attendent le coup d’envoi.
Bim, bam, boum ! La centrale nucléaire vient d’exploser. Raffut et fureur sur les futs. Les trois combats de Bruce Lee dans Le Jeu de la Mort synthétisés en trois demi-secondes. Nuria Perick vous avertit, avec elle la frappe blues change de dimension. Et les autres, demanderez-vous, parviennent-ils à survivre après ce cataclysme ? De tout le concert derrière sa contrebasse Jean Vigo ne détournera jamais les yeux de Nuria. Extase mystique, ou inquiétude de bassiste qui cherche désespérément l’instant propice où glisser une corde entre les coups de tonnerre jupitériens de Nuria, je n’en sais rien.

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A bâbord et à tribord les deux guitaristes, Alberto Noel Calvillo et Hector Martin, ont compris que devant une telle avalanche du marteau de Thor, le salut réside dans la fuite. En avant toute et chacun pour soi. Terminée la solidarité émulatoire entre les deux compagnons du sound check, désormais s’ignorent totalement, ont du boulot, les guitares doivent percer le mur du son, et ma foi, ils y arrivent sans encombre. Pas de tergiversation, nous avons affaire à de superbes musiciens, un peu fous : Alberto - un infirmier psychiatrique dans la salle et l’est bon pour trois mois minimum d’asile - sa façon rythmique d’agresser spasmodiquement sa guitare comme s’il voulait en trancher les cordes de ses ongles est un symptôme de délire schizophrénique qui ne trompe guère, quant à Hector, c’est peut-être pire, un introverti total, un autiste souverain, pour lui le monde se réduit à lui et à sa guitare. Le reste n’existe plus. Sont les deux seuls survivants de la planète, feront peut-être un enfant, mais rien n’est moins sûr, l’on dit que les couples d’amants torrides restent stériles.

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Bref un boucan d’enfer. Vous allumez une bougie pour le chanteur. Est-il vraiment possible de tracer sa voix dans un tel tintamarre pandémonique ? A la surprise générale, Jonathan Herrero n’est pas en train d’écrire sa lettre de démission. Pour le moment il écrase les cordes de son acoustique, violemment et méthodiquement, tel un éléphant qui chasse les mouches avec sa patte. Un pachyderme, vous voulez rire. Vous le regardez par le petit bout rétrécissant de la lorgnette. L’en faudrait six comme vous pour atteindre sa taille, un colosse aux pieds de béton armés. Vous êtes Gulliver et lui le pays des Géants à lui tout seul. L’ouvre la bouche et vous colle contre le mur. Derrière lui c’est Wagner, Stravinsky, Stockahausen, Malher, un ouragan infernal, pas grave pour notre cantaor. Obra la boca et l’on comprend tout. Quel avenir pour le blues et le rock and roll ? Vous ne savez pas ? Bande d’ignorants ! La réponse est limpide. L’expressivité de la souffrance bleue, les flammes rouges de l’électricité, et la splendeur du chant liturgique de l’opéra. Le tout mêlé en tant que musique opérative. Vous n’y croyez pas ? Ecoutez leur version avanlanchique de Rock and Roll Man d’Elvis et leur fabuleuse reprise de Georgia in my Mind du Genius et vos oreilles s’ouvriront. Jonathan le Titan arpente la scène, se pose en retrait pour que l’on puisse admirer les musiciens, et puis se plante derrière le micro. Chante même à côté sans que l’on ressente la différence. L’on pressent l’humilité triomphante de l’Artiste, la voix limpide de l’univers qui terrasse les dragons. Vous pulvérise d’un coup de mâchoire, vous statufie en entrouvrant les lèvres, vous terrifie d’effroi et vous torréfie l’âme en moins de deux. Un set d’une beauté époustouflante. Interminable ovation debout du public. A Contra Blues. Sont-ils contre le blues ou tout contre ? A revers ou à rebours ? On s’en fout. Sont supérieurs. Majestuoso. Giganfantasticorock. Estupantuoso. Terremotoso. Sang de taureau. L’orphée bleu vient de rentrer dans le labyrinthe.

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Damie Chad.

( Photos : FB : Love Blues in Sem )


LIGHTNIN’ HOPKINS BLUES

FRED MEDRANO


( La Fabrique Modulaire / 2015 )

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N’y avait pas que des chanteurs de blues à Vicdessos. Y avait aussi un dessinateur de blues. C’est plus rare, je vous l’accorde. Mais c’est un peu pareil, suffit de manier le crayon ou le pinceau avec autant d’aisance que le médiator. Et Fred Médrano, se débrouille comme un as ( de spide aurait dit Motörhead ), n’auriez eu qu’à jeter un regard sur les illustrations en couleur qu'il pondait au fur et à mesure et à une vitesse confondante, les a croqués sur le vif, durant les concerts. L’avait aussi son superbe album sur le Golden Gate Quartet et sa bio de Lightnin' Hopkins à dédicacer.
Quarante-huit pages. Si vous ne savez pas lire, ce n’est pas un handicap, les images se comprennent d’elles-mêmes. Le récit est d’une simplicité absolue. Ligthnin' se raconte lui-même à la première personne, dans l’ordre chronologique. L’enfance à trimer dans les champs de coton. La prison. Le pénitencier. L’alcool, les femmes, la belle vie. Celle qui vous refile une dose de blues à chaque tournant. Si vous avez mieux à proposer, tant mieux pour vous. Voici la suite. La route pour la gloire. Les enregistrements. La renaissance du country blues. La reconnaissance internationale. Tout cela pour retourner à la case départ : Houston in Texas. En bonus le cousin Texas Alexander et le symbole du poisson chat. Qui se mord la queue. Pour comprendre que le petit Sam Hopkins aura tout de même réalisé une bonne pêche tout au long de sa vie. Malgré les arêtes plantées dans son gosier. Ou grâce à elles.
Noir et blanc. Etrangement davantage de blanc que de noir. Les vignettes sans pourtour et leur disposition qui pourrait s‘apparenter à un incessant ballet de figuration libre, les larges phylactères telles des banderoles informatives minimales, et cette étrange impression que dans le dessin le blanc occupe la place des couleurs vives du réel, non parce qu’elles seraient plus claires mais pour concentrer le regard sur les interstices de la représentation objectale et figurative. Tout oscille entre le décor et le détail. L’horizon et l’horizoom. La signifiance est dans l’image. Chacune exige une longue station. Dit beaucoup plus que le texte ne suggère. Ségrégation de face et de profil, mais toujours dans les plans annexes. A vous de reconstituer l’englobant historial du récit. Médrano n’appuie jamais sur le trait. Le laisse filer. Ligne claire en le sens où l’encre noire est un hachis de zébrures dont la principale fonction semble être de laisser passer la lumière pour que le noir paraisse encore plus sombre. Les nègres sont noirs mais leurs visages sont tachés de blanc. Le plus noir de tous est celui de Lighnin' Hopkins comme si le héros se devait d’incarner l’obscurité sociale de son peuple, et ses camarades l’espoir d’un combat de vie dont il est la représentation exemplaire. N’a pas de grandes exigences. Veut vivre sa vie, selon ses désirs. Un homme solitaire. Qui évite les écueils plus qu’il n’affronte les étocs. Il est et le chat et le poisson. Stratégie du velours subtil de l’obstination boueuse. Son ombre glisse de page en page, au travers d’un brouillard blanc peuplé d’étincelles noires. Une série d’instantanés sur le chemin d’une vie qui n’appartint qu’à Hopskins qui a emporté le secret de sa manifestation dans sa tombe, qui nous est définitivement perdu, mais dont Fred Médrano a su saisir l’essentiel d’une représentation mythique. Son art propose une idée, mot d’origine grecque qui se traduit par forme. Une forme du possible en actes. L’eidos parfaite d’une idole bleue. Une œuvre éclairante.


Damie Chad.

03 / 09 / 2016 - NEMOURS ( 77 )
FESTIVAL NOTOWN

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JALLIES

Nemours un jour, Nemours toujours. N'exagérons rien. Deux ans que je n'ai pas remis les pieds dans le bourg. C'était pour Scores et Pulse Lag. Oui, mais ce soir, j'ai mes préférences, je viens exclusivement pour les Jallies. Plusieurs mois que je ne les ai vues, elles me manquent. Petit festival, un léger demi-millier de personnes. Passage obligatoire par le bus rouge. Pas les pompiers, mais presque. Je crois être à la caisse, erreur c'est la prévention contre les conduites à risques. Question frontale : Vous comptez boire de l'alcool ce soir ? Non, non, je suis déjà ivre. Eclatent de rire, ils ont le sens de l'humour. Plus loin vous avez le stand contre la drogue. Vous distribue des fiches techniques – drôlement bien faites, tout juste s'il n'y a pas l'adresse des dealers - mauve pour le crack, bleue pour l'héroïne... Rien n'est laissé au hasard.
Beaucoup de têtes connues, la reptilienne Cyd des Lizards Queens, je n'ai d'yeux que pour son tatouage qui grimpe comme une vigne vierge sur son épaule, lorsqu'une voix féminine me hèle. Me retourne, c'est la Vaness, l'est aux prises avec deux individus qui, avec la dextérité d'aquarellistes japonais sérieux comme des prêtres bouddhistes, calligraphient, à l'aide de caches plastiques rudimentaires, sur la chair grâcieuse de ses avant-bras et de ses mollets, trois gros ronds au feutre noir. C'est un concept, m'explique-t-elle. Je n'en saurai pas plus. Vous non plus. Me confie quelques secrets, le prochain CD en préparation, le nouveau répertoire en cours d'élaboration...
L'était mentionné deux scènes sur le flyer, à l'extérieur – idéal pour cette chaleur – mais faute d'ennuis techniques ce sera une scène à l'intérieur, ce qui raccourcira le set des artistes et donnera à la programmation un air des plus composites. Je résume.
Casse-Tête. Violon, cajon et guitare. Chanson engagée. Démago un peu facile. Finissent par Hexagone de Renaud. Suis obligé d'expliquer à une jeune fille que je ne danse pas parce que ce n'est pas exactement ma tasse de thé. M'annonce alors la terrible nouvelle. C'était leur dernier concert. Se séparent pour incompatibilité d'humeur. Comme quoi le no future punk a parfois du bon. Bye bye les casse-pieds.
Sexapet. Un nom qui vous laisse de cul. Du funk. Ni vraiment grand, ni vraiment Railroad. Version dance. Mais ils y croient et se démènent comme de beaux diables. Et une belle démone. Dommage que les voix et la guitare soient légèrement occultées. N'y a que la batterie, la basse et les percussions qui bénéficient d'une qualité sonore digne de ce nom. Se débrouillent comme des chefs, beau timbre de voix du chanteur, et les trois derniers morceaux méritent considération.
Walker family. Original. Portent des chapeaux de cow-boys et des chemises à carreaux. Le guitariste est affublé d'un poncho – une couverture de banquette arrière de voiture et vous vous emparez du look Clint Eastwood pour même pas une poignée de dollars. Débutent par un Monsieur Loyal à rouflaquettes qui vous dresse le décor – saloon, hors-la-loi, indiens – sur un mode burlesque, jusqu'à ce que sautent sur scène deux rappeurs qui vous racontent notre monde transposé dans le far-west. Ni swinging western, ni western jump, mais une nouveauté le hip-hop Bufalo Bill... Inventif mais pour moi le hip-hop c'est un peu trop flip-flop... De toutes las manières, je ne suis venu que pour les Jallies.

JALLIES

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Profitez-en bien, elles ne resteront que quarante-cinq minutes. Toutes les trois devant. Toutes les trois ravissantes. Z'ont rajeuni pendant les vacances. En pleine forme et tout sourire. Des gamines. Espiègles et mutines. Céline dans sa nouvelle robe d'écolière arbore une de ces moues de fausses d'innocence à damner un saint, Leslie, air alangui de princesse au petit pois à rendre fou les jardiniers du Paradis, et Vanessa, toute mince dans sa blondeur rieuse, toute dorée de soleil, apte à inspirer à tous les tatoueurs du pays les plus extravagantes volutes. Sont en forme. Se présentent, We are the Jallies et les voix tournoyantes s'entremêlent et virevoltent encore plus swinguantes que d'habitude.
Vous êtes comme tous les autres. L'on vous montre la beauté en images vivantes et vous vous perdez en contemplation. Vous ouvrez les yeux mais vous n'entendez plus rien. Pourtant dès le début, il y a eu cette fusée de guitare de Thomas qui aurait dû vous éblouir. Que seraient les Jallies ( que cette heures au cadran de la montre arrêtée ) sans les garçons ? Ont dû former un syndicat pendant les vacances. Ne s'en laissent plus conter. Se sont rapprochés, tout près l'un de l'autre, c'est ainsi que l'on est plus fort. Kross cherche des crosses à sa big mama. Pas question que la grand-mère passe son temps à se tricoter un cache-nez pour l'hiver. L'a intérêt à mettre un turbo quand elle est au turbin. Chaque fois qu'il tire sur une corde, vous avez l'impression que l'on vous arrache une dent. Une vibration explosive, une radiation nucléaire. Une seule note et vous sautez au plafond. Le swing qui dégringole et l'assistance qui se trémousse comme des pois sauteurs.
Tom, son chapeau, sa guitare. N'en faut pas plus pour notre bonheur. L'a dépassé le stade du riff, il trille et vous étrille. Une sonorité qui semble couler de source. Une ligne de pêche ininterrompue mais peuplée d'hameçons qui vous déchirent les nerfs. Ah, les fillettes jouent les cadorettes devant, il accélère le rythme, la guitare est la quatrième voix du trio, glisse sa lame dans le chant, flexible et aigüe, une piqure d'abeilles ininterrompue, et du coup Kross l'imite, prend la tessiture du baryton-basse, qui pousse et bouscule. N'ont jamais été aussi bien ensemble nos Jallies.
Si vous croyez que cette intrusion des garçons dans leur quant à soi gêne les petites pestes, c'est que vous méritez un zéro absolu en psychologie féminine. Au contraire, cela les émoustille, en deviennent plus électriques et puisque l'on rit davantage selon le nombre de fous, elles appellent le dénommé Vincent à les rejoindre sur scène. Un grand gaillard qui cache dans son énorme poing un harmonica minuscule et c'est parti pour un Down in the Country à éradiquer les neurasthéniques. En sandwich à l'interieur le célèbre Johnny B. Goode s'en vient faire un tour, juste pour que le train du rock and roll fasse la course avec le blues déjanté.
Ce sont des filles. Elles n'ont pas oublié de nous faire le coup du charme. Leslie nous offre sa célèbre version de Funnel of Love, la chante avec tant de perversité que toute la salle, filles et gars, tombe en pâmoison, Thomas en profite pour rajouter de fines liquettes de guitare sucrée, énervantes au possible, à faire fondre les coeurs et les sexes. Mais l'heure a tourné trop vite. Nous serons privés du rappel, z'avaient prévu un démonique Train Kept-A-Rollin, ce sera pour la prochaine fois.
Elles ont été éblouissantes, nos petites reines. Après elles, la salle se vide. The thrill is gone.


Damie Chad.

LES LIEUX DU ROCK
MATTHIEU REMY
CHARLES BERBERIAN

( Tana Editions / 2010 )

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Croyais qu'il s'agissait d'un répertoire alphabétique avec adresses, numéros de téléphone et courriels. A la maigreur du volume me disais que l'on avait omis à dessein tous les petits lieux quasi-anonymes qui accueillent – souvent en les payant au lance-pierre – les groupes de rock qui ne se partagent pas les faveurs du grand public. Ne l'ai pas ouvert. Gravissime erreur. Cet opuscule aussi mince qu'une tablette ( de chocolat ) présente en 72 pages, et une histoire du rock, et le parcours initiatique du groupe lambda de sa formation à sa ( peu probable )starification. Mais ce n'est pas tout, apporte aussi quelques réflexions acidulées au vitriol. Sortez votre calculette et divisez par deux. Parce que systématiquement la page de gauche offre un dessin de Charles Berberian, scénariste et dessinateur, scrupuleux observateur des conduites erratiques d'individus qui nous ressemblent trop. Croque ici une galerie de portraits, fans de base ou musicos représentatifs de l'époque qu'ils sont censés incarnés. Toute ressemblance avec un personnage célèbre ou anonyme, existant ou ayant existé, ne saurait être fortuite. A croire que nous sommes les archétypes primordiaux de nos clones.
Le rock n'échappe pas à la merchandisation. C'est souvent le but ultime de ses promoteurs, voire de ses créateurs. De toutes les manières l'est toujours en instance de récupération. Rien de mieux que les phénix empaillés pour fidéliser la clientèle. Un nom, une oeuvre d'artiste se gère à l'instar d'une marque de vêtement. Le rock est un produit comme une autre. Un artefact commercial qui s'apprivoise très facilement. Mais l'oiseau renaît de ses cendres pourtant balayées par le vent de la récupération. Mettez le rock en cage, et le volatile de feu, renaît là où on ne l'attendait pas. Matthieu Rémy, analyste patenté des contre-cultures contemporaines, s'amuse à repérér ses résurrections inattendues, exemple le plus connu : honni aux USA à la fin des années cinquante, le rock and roll réapparaît en Grande Bretagne au début des années soixante. Autre métamorphose le clubbing londonien aseptisé à outrance retrouve du peps dans les raves parties sauvages... Est-ce encore du rock ? L'esprit de révolte qui survit sous d'autres oripeaux ?
Le rock s'étiole lentement mais sûrement. Partira au tombeau avec les générations qui l'ont engendrée. La fin est proche et la vision du futur peu optimiste. Mais au diable le pessimisme, le rock donne l'impression de se désagréger. Se reconstitue aussi, en secret, et heureusement qu'il existe des lieux d'écriture pour repérer et signaler le réveil des braises. D'où le rôle irremplaçable des passionnés de la première et de la dernière heure qui s'obstinent à alimenter la flamme au travers de leurs fanzines, flyers et blogues... Comme KR'TNT !


Damie Chad.