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10/02/2016

KR'TNT ! ¤ 268 : COOKINGWITHELVIS / BE BOP CREEK / PSYCHEDELIC / JODOROWSKY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 268

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 02 / 2016

 
COOKINKWITHELVIS / BE BOP CREEK

PSYCHEDELIC / JODOROWSKY

 

ROUEN ( 76 )

LES TROIS PIECES / 24 – 10 – 2015

LE KALIF / 5 – 02 - 2016

COOKINGWITHELVIS

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A DATE WITHCOOKINGWITHELVIS

Un jour, un bon ami disquaire me colla dans les pattes un LP et deux singles.

— ‘Coute ça !

Le connaissant pour son flair de cocker, j’obtempérai, malgré un a-priori défavorable concernant le LP : la pochette noire ornée d’une sorte de graphe de pendu me déplaisait par son côté sommaire. Par contre, la pochette intérieure semblait plus alléchante : on y voyait la photo d’un mec coiffé d’une pompadour qu’encadraient deux pulpeuses chanteuses black. On aurait dit un Esquerita à la peau blanche pris en sandwich entre deux clonettes de Tina Turner. Miam miam.

Alors je fis ce qu’on doit faire dans ces cas-là : une écoute au casque. Mais rien n’est plus difficile que de s’enthousiasmer à froid, à partir d’un disque dont on ne sait rien. Un morceau accroche, et puis le suivant déçoit. Le troisième, puis le quatrième. J’ai rangé l’album dans sa pochette. Même chose pour les deux singles et retour au comptoir.

— Alors ?

Il fallait trouver quelque chose à répondre.

— Ben bah bof...

No comment. Le disquaire remit l’album et les singles dans la pile. Histoire de ne pas rester sur un malentendu, je fis l’hypocrite :

— Ya des trucs intéressants... D’où ça sort ?

— Ils sont parisiens. Le label s’appelle Bullit. Un mec est venu les mettre en dépôt.

Comme toujours dans ces cas-là, on sent que pour les disques, c’est foutu d’avance. Le vrai boulot n’est pas fait. Personne ne sait raconter l’histoire du groupe. Il y a forcément une histoire. Mettre des disques en dépôt chez un disquaire, ça ne sert strictement à rien. C’est exactement la même chose que de laisser des flyers pour le concert d’un groupe que personne ne connaît. Qui va aller risquer de s’emmerder pendant une heure comme un rat mort ? Seuls les curieux viendront et encore, c’est une race en voie de disparition. L’underground est un monde extraordinairement difficile et donc mortifère. Les groupes ne doivent le plus souvent leur survie qu’à leur seule réputation. Et qui fabrique les réputations ? Les fanzines, bien sûr.

Les fanzines ont toujours su cultiver la réputation des groupes, car ce sont des fans qui les publient. C’est le rôle que se sont assigné Dig It et Rock Hardi depuis des lustres, et que s’assigne à une autre échelle Ugly Things. Mike Stax et l’équipe de Dig It défendent une culture et des artistes fragilisés ou happés par l’oubli. Avec leurs petits bras et avec leur petites jambes, ces gens qui sont des fans savent consacrer quatre pages à un loser dont on ne verra jamais les disques à la FNAC, qui, faut-il le rappeler, n’a jamais été un disquaire. Quand on parle de disquaires, on parle bien sûr d’endroits comme l’Open Market, Music Action ou Born Bad au temps de la rue Keller, ou encore Rock On à Londres.

On rejette un coup d’œil à la pochette noire. Au fait, c’est quoi, le nom de groupe ? Wow ! CookingWithElvis ! Plutôt bizarre. Et même incompréhensible. Et puis cette histoire de choristes black ne passe pas, tout simplement parce qu’on vient de se faire avoir avec les deux albums des Excitements, un groupe de soul-funk basé en Espagne et mené par une tigresse qui aimerait bien chanter comme Tina à l’époque de la Revue. Mais les Excitements ne sont pas les Buttshakers. Il leur manque le petit quelque chose qui fait la différence.

Les mois passent et voilà qu’on annonce une soirée Bullit en ville. Tiens tiens... Un vague souvenir de quelque chose, mais rien de précis. Souvenir d’un joli son sur un single, quelque chose de bien rock, mais rien de plus. On mène l’enquête et voilà qu’on découvre que le leader de Rikkha joue dans Western Machine, en première partie de CookingWithElvis. Oh on verra bien. Tous ceux qui ont vu Rikkha ne seront pas déçus par Western Machine : le trio sort le gros son. Seb le Bison porte un Stetson fatigué, un collier de chien et un costard rouge. Il offre au maigre public rouennais cette touche de rock glamour à laquelle nous avaient habitués les Dolls. On retrouve à la basse Marion la Vidange qui cette fois est coiffée comme un greaser chicano. Elle s’est dessiné des rouflaquettes et une moustache au feutre. Ça fait illusion. Elle ne trahit sa féminité que lorsqu’elle parle au public.

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Dans le petit backstage de la cave, on aperçoit une sorte d’Alice Cooper surmonté par une pompadour de vingt centimètres. L’étrange individu porte l’un de ces costumes trois pièces très cintré qu’on portait dans les années soixante-dix et les bottines de frimeur qui vont avec. Et soudain arrivent deux plantureuses blackettes en jupes courtes.

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Wow, on se dit qu’Alice Cooper dispose vraiment des gros moyens s’il peut se payer des choristes de cet acabit ! Elles sont toutes les deux magnifiques, imposantes, avec tout ce qu’il faut pour faire lever un sourcil de macho. Ils s’installent sur scène. Pas de cuivres ? Non juste un backing-band traditionnel guitare basse batterie, mais comme on va le voir, quel backing-band ! Alors attention, ce que ces gens-là proposent est tout simplement exceptionnel. Leur set est une pétaudière. Ça ressemble à un gag au départ mais on s’aperçoit très vite qu’ils jouent comme de vrais soul-shakers. C’est même par moment complètement explosif, car monté en épingle par les deux choristes qui bouffent littéralement la scène, qui dansent et qui shoutent, trempées de sueur et possédées par les dieux de la Soul.

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Elvis fait lui aussi le cake et il danse comme on savait danser dans Soul Train, l’émission mythique de Don Cornelius. Il faut voir cet Elvis coordonner ses pas avec ceux des deux blackettes et pirouetter comme un Travolta de train fantôme. Il plonge son regard de fou dans ceux des spectateurs, exactement de la même manière que Screamin’ Jay Hawkins en son temps au Méridien - les filles criaient car il leur faisait peur, mais c’était pour rire - Musicalement, ils tapent dans le western gothique et les balladifs élégiaques, au cours desquels ils se livrent à des ballets sulfureux. Quand Elvis danse le slow avec ses deux partenaires, ça tourne à la grosse partie de froti-frota, mais bon esprit. L’incroyable est qu’ils parviennent à danser sur du country rock up-tempo comme s’il s’agissait d’un hit de James Brown. Et ça marche !

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Les filles font tourner les chœurs et les cœurs en bourrique - Johnny my lover ! - Oh et ce balladif indécent de classe qui s’appelle «Pretty Girl» mené à la baguette par une Flora déterminée à vaincre. Et sur «I Was A Bird», entre deux couplets gluants de western gothic, Elvis twiste comme un Chubby Checker de Muppet Show, fantastiquement tatapoumé par derrière. Le genre de spectacle que l’on voudrait sans fin.

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Du coup, on récupère le fameux «Fireman» à la pochette noire. Ça s’ouvre sur un «I Carry The Sun» digne des Rezillos et du chant de menton vainqueur. Voilà un cut joliment profilé sur un drive de basse avantageux. C’est la dame en noir qui prend au chant «Fucking Girl» pour lui faire sa fête. On voit avec «Funeral Blues» que Jype sait très bien crooner à la surface des balladifs élancés. «Ma Complainte» est une reprise du hit de Joachim Du Bellay, la fantastique «Complainte du Désespéré». Mais c’est avec «I Was A Bird» que le groupe décolle véritablement. Sur scène, on les voit danser à trois sur le refrain. Il règne dans ce cut la même atmosphère de western gothique - I want a bird/ The sun was out - C’est un vrai coup de Jarnac apparemment tiré d’un poème de Richard Brautigan. Quelles belles dynamiques internes ! En face B, le «Lipstick» qui fait l’ouverture sonne comme du Marianne Faithfull. C’est Flora qui chante et qui s’en sort avec les honneurs. Et on retrouve la fantastique frénésie avec un «Fireman» chanté à trois voix. Quelle énergie ! On les sent bien montés sur le beat, bien ramassés sur eux-mêmes et prêts à intervenir pour en découdre sévèrement. Ils retapent dans Brautigan pour un «Madeleine» qui ne doit absolument rien du tout à Brel. Pour «Johnny» ils créent une ambiance musicale extrêmement sophistiquée. Toutes leurs ambiances sont typiques du Southern Gothic de banlieue, avec un mélange bouleversant de pulsions motrices et de chœurs d’artichaut, de dance in the dark et de beat gluant.

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Jype et ses amis sont revenus secouer les cocotiers rouennais. Pour remercier Louen de son accueil, il lut sur scène un petit poème de Pablo Neruda et jeta son Folio dans la foule. Il n’y avait rien de nouveau par rapport au set précédent, le groupe jouait avec le même enthousiasme, la même cohésion et le même sens de la fête, avec de sacrées montées de fièvres et des pas de danses à trois fabuleux. Oh, il n’y avait pas foule, mais on sentait que Jype et ses amis gagnaient les sympathies une par une. La version de «Pretty Girl» fut absolument magique. C’est l’un des hits de Cooking, comme ce «I Was A Bird» qui embarque systématiquement la salle en voyage pour Cythère. Ils firent un simili rappel avec une reprise d’Elvis, le fameux «Viva Las Vegas» qui prit des tournures de carnaval à Rio, avec cette force d’enchantement et cette conviction qu’on retrouve chez Tav Falco lorsqu’il tape dans «Brazil». Les filles dansaient en rigolant et on se sentait une fois de plus dans le meilleur des mondes. Si on aime le rock et le spectacle, le bon esprit et la modernité, il faut aller voir les Cooking.

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Signé : Cazengler, CookingWithL’Avis


CookingWithElvis. Le Trois Pièces. Rouen (76). 24 octobre 2015

CookingWithElvis. Le Kalif. Rouen (76). 5 février 2016

CookingWithElvis. Fireman. Bullit 2015


MIDWAY SHOOTER BAR

TROYES / 07 / 02 / 2016

BE BOP CREEK


De retour au Midway Shooter bar, aux canapés aussi profonds que la mer, celle que l'homme libre toujours chérira. Premiers arrivés, nous qui venons du plus loin, les Be Bop sont encore attablés et dégustent leur part de pizza. Toutefois le pub se remplira doucettement mais avec une constance qui fit plaisir à voir.

ROUND ONE

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Trois pas plus. Caisse claire, tambour, cymbale. Le strict minimum. Le royaume de Laurent. Rocky est à sa gauche à la contrebasse, et William à droite à la guitare. Formation équilatérale. A trois il ne peut pas y avoir d'angle mort. Chez BBC, le wait and see n'est pas de mode. Pas question de glander dans son coin, pendant que les copains ramonent la cheminée. Trio rockab, rien de plus simple, rien de plus difficile. Arcs-boutants sur le mur porteur. Un seul qui flanche et l'ensemble s'écroule. Pouvez suivre l'apport de chacun à l'oreille. Pas de droit à l'erreur. Surtout qu'ils poussent le challenge plutôt haut. Les exercices les plus difficiles. The earlier rock. Le rock des débuts. Celui inimitable des pionniers, ces gars surgis de nulle part. Une génération spontanée, beaucoup retombés dans l'anonymat d'où ils étaient venus, dont il ne reste que quelques disques comme autant de traces éparses et perdues. Un miracle qui s'est joué entre 1954 et 1960. Quelque chose qui n'est déjà plus du tout le western bop et que les bricolos de la génération suivante s'en iront turbiner et surfiner à leur guise dans les garages parentaux. Un instant de grâce musicale, mais tempétueuse. Le monde en a été bousculé.

Reprises et contrepartie. Ne pas copier. Be Bop Creek relève le défi, deux originaux d'entrée, No Squares Allowed suivi d'Emelynn Gal. Laurent donne le rythme et chante. Et tout de suite, c'est l'enchantement, la justesse du phrasé et ce balancement inimitable du beat lancinant que l'on hache à toutes les sauces. Pas le temps de musarder. William vous lâche de ces banderilles dans les oreilles, c'est ce que j'appelle du Peavey Picking, une note égale une balle traçante, l'en lance comme s'il en pleuvait des piques et des hallebardes. Impossible de confondre les épines lacérantes du rockab avec les romances à l'eau de rose. Trois minutes pour conquérir le monde. Et l'on recommence tout de suite après.

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Rocky vous tient sa big mama droite comme I. Ne doit pas aimer la tour de Pise, au moindre écart de son axe de symétrie, un soupçon à gauche, un semi-tantinet en arrière, il vous la remet droit debout, aussi rectiligne qu'un fil-à-plomb, stable comme le donjon d'un château-fort. Ne penche pas un chouïa du côté par où elle va tomber. Je vous préviens, Rocky est un faux-calme. D'apparence le gars sérieux qui marne dur pour ramener la paye à la maison. Mais il a ses moments de folie. Pas douce du tout. Sans préavis il la jette à terre, s'allonge dessus sa cavalière de bois verni ou s'étend dessous. Continue d'en jouer méthodiquement, imperturbable, pour un peu il nous ferait croire qu'il est en train d'officier une messe en Ré Mineur dans le London Symphonicum. Ne trompe personne, l'a un arrachage de cordes un peu trop sauvage pour donner le change. Tout cela ne sera rien lorsqu'il entreprendra, plus tard, une danse du scalp échevelée autour de la prisonnière du désert – genre trip lakotas en colère à la bataille de Little Big Horn – qui nous arrache des hurlements de peaux-rouges.

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Je n'aimerais pas être à la place de Laurent entre ces deux acolytes. Les mecs les plus sérieux du monde, s'inquiètent de la tonalité, quémandent pour qu'il indique le rythme initial, et... s'amusent à démarrer avant ou après. Just for fun, et la seconde suivante ça fuse en trombe, accrochez-vous aux petites branches, il n'y a sûrement pas de frein. Nous servent un festin. Des plats exquis aux saveurs rares, du Terry Fell, du Lonnie Lillie, du Doc Palmer, du Bill Bowen, du Van Brothers. Palais sensibles s'abstenir, petits régals superbement asticotés et épicés à souhait. Laurent est au four et au moulin, bat le beurre au lait de dinosaure sur sa maigre batterie de cuisine, et infléchit de sa voix le boulot des deux marmitons qui récurent leur casserole avec une énergie sans cesse renouvelée.

Et puis il y a les cadeaux maison, un Lonely Heart de Carl Perkins, un Crazy Legs de Gégène Patte Folle Craddock, un Teenage Cutie d'Eddie Cochran et un Stuck On You du Pelvis expédié à coups de pompes dans le croupion, comme jamais Elvis n'a osé le faire.


ROUND 2

Je ne l'ai pas vu passer. Trop bon. De petites merveilles, un Big Fool de Ronnie Self, un Shake 'um Up Rock de Benny Cliff, un Jilted Again des Collins Coins ( celui-là, je ne sais pas d'où ils l'ont sorti, ils ont dû le déterrer avec la hache de guerre ), un Alone and Crying de Johnny Fortune, remastérisé à la Johnny Burnette, nous supposons pour lui inoculer un plus de nocivité. Plus leurs propres compos qu'ils pourraient nous faire facilement passer pour des morceaux de célèbres inconnus.

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Laurent est à la fête, baguette fichée sur la caisse claire, immobile, et le balai qui fait le ménage autour. Inimaginable toutes les nuances que l'on peut exfuser d'une simple peau tendue. En fait ce n'est pas l'instrument qui résonne, mais la façon de l'aborder qui pulse la différence. C'est l'énergie de la frappe qui modifie le quanta sonore. L'a dû écouter au moins dix mille fois Dickie Harrel pour arriver à ce nuancier de touches, ces traînées d'échos comme un camaïeu de frappes dont le dégradé serait atteint d'autochromophonophagie sismique opérant ces glissandi si particuliers, d'autant plus que si William joue à la note, il ne suit en rien les longs silences syncopiques du jeu qu'imposait Cliff Gallup, et en cela le son de Be Bop Creek acquiert sa légitime originalité. Lorsque William s'emparera de son bottleneck, la donne ne changera pas, malgré les longs rubans d'acier dévalés dont il enchaîne ses rafales de notes discordantes et détachées qui vous clouent au sol en des postures extatiques. Be Bop Creek, ce sont les flèches meurtrières d'Héraklès qui se fichent dans les sternums d'airain des oiseaux du Lac de Stymphale.

ROUND 3

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Ce devrait être interdit de prévoir uniquement dix titres pour le final. Surtout quand on allume le feu avec deux petits Cochran à vous faire dépaver les rues et deux Elvis incandescents en générique de fin. Mais ce n'était qu'une infâme ruse de coyote pour mieux s'approcher du soleil rougeoyant du rock and roll. William sort de derrière son ampli, sa petite liste personnelle. A prendre et à ne pas laisser. Les deux autres n'ont qu'à suivre. Ce qu'ils font en courant. Façon toute symbolique de parler puisque Rocky rampe par terre sous sa contrebasse comme un escargot, William assis sur l'instrument jouant manifestement la coquille du gastéropode. Skinny Jim, Little Girl, un Stray Cat, Blue Jean Bop, Red Bluejean and a Pony Tail, défilent dans un délirium final. Le public collé au trio infernal, aboie et hoquette sans fin. Justement ce n'est pas la fin, dernier morceau. William appelle Raphaël, c'est le patron, un gars discret et souriant. Je n'ai aucun reproche à lui adresser, mais des voix s'élèvent, manifestement personne ne veut l'entendre chanter. Laurent est là pour ce noble exercice. Raphaël s'avance sous la bronca, dédaigne le micro, tend le bras vers William et lui en coupe deux d'un geste vif et assuré. Rassurez-vous demoiselles. Puis trois autres. Pas avec les mains comme un saguoin, avec une pince coupante, ne lui en reste plus qu'une. Corde à sa guitare, qu'à cela ne tienne, l'on aura droit encore à un dernier classique et pour finir en beauté un instrumental à fond les manettes qui ressemble pas mal au Get Rhythm de Johnny Cash. Sur une seule corde sans filet. Je ne vous raconte pas comment Rocky a dû pédaler pour rétablir l'équilibre.

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GROUND 0

Ce coup-ci, c'est terminé pour de vrai. Nous reste même plus assez de cordes pour nous pendre de désespoir. Les Be Bop Creek nous ont scotchés. Puissants et affûtés, le bon vieux rockab des familles, comme on l'aime. Survitaminé et décapant. Un ruisseau où il fera bon de retourner boire.

Damie Chad.

( Photos : FB : Nathalie Gundall )

 
ROCK & FOLK / H. S. 32.

PSYCHEDELIC SHIT

( Décembre 2015 )

 
JEROME SOLIGNY / BERTRAND BOUARD / ERIC DELSART / THOMAS FLORIN

PHILIPPE MANOEUVRE / BUSTY /DOMINIQUE TARLE / OLIVIER CACHIN

THOMAS E. FLORIN / PATRICK EUDELINE / CHARLES CIANFARANI

EVE BABITZ / PHILIPPE GARNIER /ALEXANDRE JODOROWSKY

ROBERT CRUMB / PHILIPPE THIEYRE / NICOLAS UNGEMUTH

JOE BANKS / BENOIT SABATIER / BASILE FARKAS

JONAZTHAN WITT / JEAN SOLE

 

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Cent soixante-deux pages, des illustrations à la veux-tu en voilà, et du texte en petits caractères, quelques heures de lecture, toute l'équipe ( ou presque ) de Rock & Folk y a contribué. C'est que le sujet est ample. Touche à la période sacrée du rock classic, prend son essor au milieu des sixties et mord sur le début des seventies. Et puis il y a le retour du rock psychédélique, ces derniers mois. Le psychédélisme est dans l'air du temps. Trois destins exceptionnels en couverture, Janis Joplin, Jimi Hendrix, Jim Morrison, trois figures iconiques du rock, mais il ne faudrait pas que les baobabs géants cachent la forêt de broussailles impénétrables, peuplée encore davantage de reptiles étranges et miraculeux que les bayous de la Louisiane d'alligators voraces.

Le rock, le blues, le rhythm and blues, jusqu'en 1965 la zoosphère roucoulait pépère. Parfois cela prenait des aspects de pierres roulantes qui dévalaient les pentes en un sublimissime tohu-bohu dévastateur, mais chacun y retrouvait ses petits assez facilement. C'était un domaine réservé. Aux parias de la société. Les rejetés, les réprouvés, les marginaux. Subitement ce fut l'invasion. Jusqu'à lors il s'agissait essentiellement de musique. Et brusquement les hordes barbares et chevelues entraient dans l'empire. Un phénomène nouveau et inquiétant. Ne venaient pas squatter un endroit strictement délimité, pas question de s'entasser entre les hautes murailles du Domaine d'Arnheim, plus il en arrivait, plus les murs reculaient, l'impression d'un ballon de baudruche dont les parois s'écartent de plus en plus au fur et à mesure que l'on y souffle de l'air. Univers en expansion.

Jusques-là le rock était une musique. Point à la ligne. Et voici que s'ajoutaient des pelures qui n'avaient à voir avec : du graphisme, de la littérature, de la presse, des expériences existentielles, du cinéma, de l'électronique, de la couture... Total capharnaüm ! Les cats de base n'y retrouvaient plus leurs petits rockers chéris des origines. Les verrous avaient sauté. C'est que l'explosif employé était puissant. Nom de code : LSD 25. Provenance USA. Un acide qui ne rongeait pas ( enfin, pas obligatoirement ) le cerveau, mais qui vous le surmultipliait. Vous n'étiez plus vous, vous étiez en même temps et le vecteur cinétique de vos sensations, et le décor halluciné et coloré dans lequel vous vous mouviez, et l'incarnation des idées et des pulsions qui traînaient habituellement dans votre subconscient mémoriel. Le big trip. Intéressant. Ces essais pharmascopiques auraient pu s'arrêter là. Il n'en fut rien. Vous manquait la bande son. Elle s'imposa d'elle même. Le rock and roll et rien d'autre. Le classique trop pompeux, le jazz trop bavard, le rock était la bonne sur-vitesse.

Ce phénomène amena un changement du public, aux engagés un peu frustres des légions populaires de la première heure, s'adjoignirent les cohortes d'étudiants ouverts à d'autres réalités que la transe strictement binaire. Le rock acquit une dimension artistique qu'il ne possédait pas à ses débuts. Fut rejoint par des cohortes d'artistes en tout genre, qui sautèrent dans le Mystery Train du vieil Elvis en marche, dont ils ne tardèrent pas à repeindre, puis à réaménager les wagons. Se glissèrent aussi dans la cabine de la locomotive, et s'occupèrent à redessiner le tracé des rails. Ce fut le dernier grand mouvement culturel de masse du vingtième siècle, une sorte de surréalisme sauvage à la puissance mille, auprès duquel les Manifestes objurgatifs de Breton faisaient pâle figure et grise mine. Le psychédélisme ne promettait rien, ne tirait pas des plans sur la comète du futur d'une humanité à libérer. Il réalisait. Dans l'anarchie la plus complète. Et pas question de faire semblant de ne pas le voir, l'était trop flashy. Ni de ne pas l'entendre, le rock and roll était une caisse de résonance, trop stridente.

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Aux USA, la jeunesse n'eut pas le choix, ou l'amour libre ou la guerre. Ne voyez pas la réalité avec le petit trou de la lorgnette du sexe. Refuser le Vietnam, c'était choisir d'autres rapports humains, féminisme, droits civiques mais peut-être encore plus profond, le refus d'une consommation industrialisée, lutte armée, retour à la campagne, écologie, bouffe-bio, usage de stupéfiants, tout s'entremêlait, tout se mettait en place, rien ne restait fixe... Un profond bordel dans les consciences, les autorités eurent les chocottes, les tentatives d'instauration de zones de vie différentes dans les grandes villes comme Londres, Amsterdam, San Francisco, ne reçurent pas la bénédiction des pontifes politiciens... En Angleterre la revue IT ( International Time ) devint la bête noire des policiers... Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Faut lire l'article d'Eric Delsart, Ladbroke Groove, sur Notting Hill quartier londonien laboratoire existentiel et musical, avec parmi tant d'autres, la belle et exemplaire personnalité de Mick Farren ( dont notre Cat Zengler favori nous a longuement entretenu à plusieurs fois dans KR'TNT ! - voir par exemple Livraison 153 du 29 / 08 / 2013 ).

Mais avant de nous lancer dans l'exploration de toute la mouvance psychédélique internationale, je m'attarderai sur l'apport français au mouvement, tel que nous le rappelle Patrick Eudeline. Une kyrielle infinie de noms. Je doute fort qu'un lecteur d'une vingtaine d'années arrive à en identifier deux ou trois de plus que Johnny Hallyday et Antoine. Certes les radios et même la télévision ne furent pas totalement étanches, mais comme trop souvent, il n'y eut pas de véritable suivi. Des apparitions fugaces et puis plus rien. Déjà que les maisons de disques vous bridaient pas mal le cou, et qu'il n'était pas facile d'enregistrer exactement ce que vous désiriez... en résumé, le psyché national, maintenu par les programmateurs en une ombre cauteleuse, n'atteignit pas le grand public, comme toujours ce fut un rendez-vous manqué avec l'Histoire. La malédiction camembertique du franchouillard n'a pas omis de commettre ses ravages habituels.

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Par ordre chronologique, Thomas Florin nous cause du premier hippie. Le néanderthalien originel. Se nomme Eden Ahbez, un doux sauvage végétarien rousseauiste, né en 1908 et mort en 1995. Aimait à vivre dehors en pleine nature, faisait la route, fut l'immortel auteur de Nature Boy, un hit de Nat King Cole, qui rapporta tant d'argent à Capitol qu'avec les bénéfices l'entreprise fit construire la célèbre tour ( celle-là même où Gene Vincent... ). Enregistra en 1960 un disque Eden's Island, qui n'eut aucun succès, mais influença par ses parti-pris existentiels et musicaux les mouvements beatnik et hippie. Fut aperçu dans un studio avec Brian Wilson des Beach Boys...

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A tout seigneur, tout honneur. Les Beatles. Un groupe sur le départ. Implosif. Entamaient leur deuxième période par un grand voyage initiatique en Inde. S'étaient trouvés un gourou le grand Maharishi truc muche, le maître de la méditation transcendantale – perdait un peu de sa concentration dès qu'il entrevoyait des formes féminines un peu trop rebondies – mais il servit de caution philosophique au mouvement. N'apporta aucun nouveau message fracassant, nous y voyons la preuve d'une grande sagesse, mais les guitars boys désormais mués en sitar lovers surent imprimer au mouvement un semblant de spiritualité des plus exotiques. Désormais musicalement tout était possible : aucune retenue sur les lignes harmoniques, une bande à l'envers, une bande à l'endroit, choix d'instruments tous azimuts. De la flûte du charmeur de serpent aux bidouillages électroniques les plus ambitieux. Une superbe cacophonie. L'ensemble aurait pu virer à la catastrophe, mais il y eut une telle émulation, une telle inventivité, que la face du rock s'en trouva changée. Fini le culte de la note bleue. Désormais elle serait de toutes les couleurs. Le psychédélisme fut la mère de toutes les batailles. Le réservoir procréatif de tous les genres, la ligne de partage des eaux fut multiple; le néo-folk, le hard-rock, le progressive rock, l'électro-rock, toutes les musiques que nous aimons et même celles que nous détestons, elles viennent de là, elles viennent du psyché, c'est sans doute pour cela qu'elles y retournent, mais ceci est une autre histoire.

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Soyons politiquement correct : pas question d'avoir notre unique chocolat de service, en l'occurrence le bel enfant vaudou Jimi Hendrix, c'est peu, alors on le mentionne à peine, Olivier Cachin dirige la lumière sur le Black Psyché, tous les spot-ligth braqués sur Albert Lee leader des Seeds, Sly and the Family Stone, le groupe détonateur, et puis George Clinton, la métamorphose en trois étapes ultra-rapide du binaire rock en la folie funkadélique... le tout s'acheva plus mal que le commencement ne le promettait, un glissement progressif vers le déplaisir du disco...

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Nul n'est parfait. Pas même Jim Morrison. Il ne faut jamais marcher sur la queue du serpent endormi. Une fois qu'il s'est réveillé il est difficile de le maîtriser. Eve Babitz sait de quoi elle parle. Elle est sortie avec Jim Morrison. Un gros nounours gêné aux entournures par son embonpoint. Un rat de bibliothèque, pas de quoi fasciner les étudiantes. Heureusement il a trouvé le régime idéal, vingt-cinq kilos en un an. Le phacochère vous a pris des allures de prince charmant. Je ne suis pas égoïste, je vous refile son truc. Facile, carburez au LSD, et la graisse fond d'elle-même. Attention, ce n'est pas le remède miracle, pour le physique c'est parfait, seul hic toc vous gardez le même mental. Aussi ringaros avant qu'après. Morisson ou pas, c'est pareil, vous êtes gros parce que vous êtes mal dans votre peau, une fois tout maigre vous vous sentez tout aussi mal. Comme Jim n'était pas bête, il s'en est aperçu, l'a abandonné l'acide pour l'alcool. S'est retrouvé avec sa carrure d'ours mal baisé ( et du coup mal baiseur ) antérieure, ce qui l'a rassuré. Ne savait plus trop ce qu'il faisait, tout partit en couilles, sur scène. Sur Seine à Paris où il se met à s'injecter l'héroïne de sa copine Pamela. Pas de veine, il ne savait pas doser... Un décès de has-been, dans le prolongement du personnage, l'a commencé à chanter avec les Doors, au Whisky-a-Gogo, dont le chanteur vedette était... bonjour l'angoisse, bonsoir la poisse... Johnny Rivers. Inutile de pleurnicher, le pire devait arriver, était programmé : personnalité suicidaire. Lui taille un beau costume d'enterrement, son ex ! Elle l'a tout de même un côté sympathique, c'est qu'elle ne se rate pas non plus. Elle arbore un petit côté moraliste larockefoulcadien désabusé du grand siècle, délicieux.

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De son vivant Morrison fut respecté comme un dieu. Un héros. Un poète. Un demi-siècle après sa mort, son cadavre ne fait plus l'unanimité. Remettez-moi une couche de terre sur sa tombe qu'il ne risque pas d'en ressortir. Beaucoup qui l'ont admiré ne considèreraient-ils pas son auto-effacement comme un reproche à leur survie vieillissante ? N'est-il pas ( le plus ) heureux celui à qui les Dieux ont donné la mort en pleine jeunesse comme nous l'annonçait Callimaque aux temps radieux de la Grèce ancienne ! Les morts sont encombrants. Busty analyse le dernier film d'Amy Berg sur Janis Joplin. Rien à reprocher à Janis. L'a vécu au plus près de son authenticité. Que reste-t-il à dire quarante-cinq ans après sa mort ? Ainsi débute l'article. Les disparus sont un poids mort au bout du fil de notre mauvaise conscience. Nous attirent. Nous retiennent. Nous appellent.

Jodorowsky est toujours vivant. Bon pied, bon oeil, ne regrette rien de ces folles années. Ne demande qu'une chose qu'elles recommencent. Un bon antidote à Philip K Dick. Ce ne fut pas un écrivain mais un prophète. Pas le Saint-Jean apocalyptique de la fin du monde grand spectacle avec trompettes du jugement dernier et retour final en grandes pompes au paradis ( pas du tout artificiel ). Juste l'époque où nous vivons. Pas très belle, nous évoluons dans un univers paranoïaque, dépressif, et schizophrénique. Heureusement que nous faisons semblant de ne pas nous en apercevoir. Plus que deux camps, les flics et les esclaves. Aucune illusion, votre nom est sur la liste des manipules serviles. Ce ne sont pas les planches de Crumb qui vous remettront le moral au beau fixe. L'épisode s'arrête juste au moment où le Retour de Mr Natural commençait à devenir intéressant... Un seul espoir, la grève mondiale générale, ce n'est pas moi qui lance le mot d'ordre mais Alejandro. Jodorowsky. Voir article suivant.

Un petit coup porté à notre orgueil de rocker. Non ce ne sont pas des chevelus sous acide qui ont inventé les orgues Martenot, le thérémine, l'Ondioline, tous ces ancêtres des synthétiseurs ( quoique entre nous soit dit un bon vieux piano sans queue mais couillu à mort à la Jerry Lou... ) mais des scientifiques dans la première partie du vingtième siècle. Robert Johnson s'escrimait sur sa guitare que déjà des mecs en blouse blanche inventaient le futur du blues et du rock dans les laboratoires... Un dernier article sur les nouveaux héros d'aujourd'hui du psyché, Jacco Gardner, Wardocks, Black Angels, Melody's Echo Chamber, King Gizzard & the Lizard Wizard, TY Segall... sans parler les discographies d'avant-hier à après-demain, et les planches sur les graphiteurs et les photographeurs qui flashèrent et colorèrent la belle saison du psychédélisme...

Un numéro copieux. De quoi se rappeler le bon vieux temps pour les rescapés et les anciens combattants, et signifier aux pilleurs d'épaves des utopies disparues que certaines portes sont de véritables issues de secours pour ceux qui essaient de fuir la morosité des temps actuels... Un autre monde a bien été possible. Voici, pas si longtemps que cela. Pas un miracle, plutôt un mirage. Nombreuses sont les merveilles du rock. Mais la plus grande des merveilles reste le rock and roll lui-même.

Damie Chad.

 

LA MONTAGNE SACREE

ALEJANDRO JODOROWSKY

( Film / 1973 )

 

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Parfois l'esprit vous trahi. Il y a quelques cinq années de cela je m'étais persuadé que La Montagne Sacrée sur son étagère était un western. Une resucée de La Colline des Potences. Stupide confusion, entre El Topo de Jodorowsky, Gary Cooper et Delmer Daves, vraisemblablement due à l'époque à la trop grande absorption de feulements de guitares de Wilko Johnson. Les mois passant, les rayons du soleil ont eu raison du nom du réalisateur calligraphié en lettres jaunes. Total, mon cerveau a failli. Chaque fois que mes yeux tombaient par hasard sur le titre, je m'insurgeais contre cette idée stupide qui m'avait habité un jour de m'approprier le DVD de l'adaptation filmique ( 1982 ) de La Montagne Magique par Hans W. GeiBendorfer, comme s'il était possible de réduire ce splendide roman de Thomas Mann – méditation philosophiquo-nietzschéenne sur la décadence intellectuelle du monde occidental - en images colorées. C'est en lisant le Hors-Série Psychédélic Shit ( voir kronic précédente ) de Rock & Folk que l'aveuglante vérité s'est imposée : je possédais, chez moi, dans mon petit intérieur douillet de rocker, et ce depuis plus d'un lustre, La Montagne Sacrée d' Alejandro Jodorowsky, moi qui avais l'habitude de me plaindre très régulièrement de ne l'avoir jamais vue. Donc acte.

VISION-ÂGE

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A proprement parler ce n'est pas un film. C'est une suite d'images. Pour mieux comprendre, vous relisez la Kronic de la semaine précédente sur l'édition du livre de Thot de Crowley, je sais, cela devient fastidieux, vous devez vous taper laïus sur laïus, mais c'est un peu le sujet du canada-dry ( il ressemble à de l'alcool mais c'est de l'acide sulfureux ) de Jodorowsky qui se peut résumer en deux phrases lapidaires. L'on n'a rien sans rien. Et rien ne sert à rien. Difficilement conciliables, mais si vous désirez établir la coïncidence des oppositions, vous devrez faire avec. Donc une succession d'images abattues dans le désordre. A part qu'il faut bien entendre que la chronologie des abattis totalement aléatoire du chaos, est en elle-même la succession ordonnancée de séquences déroulées à la queue loi loi. Comme il est gentil, Jodorowsky vous offre une sortie de secours. Inutile de vous précipiter vers l'ascenseur. Il n'y en a pas. Votre montée d'adrénaline porte une appellation contrôlée. LSD. C'est pour les touristes, le consommateur de base qui veut une explication à tout. Délire assuré. Vous êtes rassuré. Tout s'éclaire.

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Sinon vous poussez l'intuition un tout petit plus loin. Jodo vous y aide, vous présente les images mentales de son tarot intérieur. N'est pas peintre comme Frieda Harris, cinéaste, il leur a donné l'apparence mobile de ce que l'on attend de lui : un film. Donc des arcanes qu'il déploie tour à tour devant vous. Pousse le vice jusqu'à vous commenter le déroulé en fin de bobine. C'est comme pour les échecs, les commentateurs en savent toujours plus que le maître qui a mené la partie. Mais au fait, seriez vous capables sans leur aide de désigner le vainqueur et le vaincu ?

C'est compliqué, oui. Mais prenons les choses par le commencement. En leur simplicité. Jodor étant mexicain, l'action se déroule très naturellement au Mexique. Un Mexique fantasmé, réduit à son essentiel : le sexe, la mort. Nous sortons tous du trou premier et nous finissons tous dans le trou de la dernière. Trajet existentiel réduit à l'essentiel. Entre les deux vous avez les forces qui vous attirent vers le sexe et celles qui vous poussent vers la mort. Difficile d'y échapper. Vous êtes leur jouet. Mais comme rien n'est simple, parfois c'est vous qui manipulez les joujoux. Pour la mort, en ces pays d'Amérique du Sud, les occasions sont pléthoriques : à tout moment, militaires, policiers, paramilitaires sont prêts à vous envoyer ad patres sans hésitation. Ce sont les grands pourvoyeurs de l'hémoglobine écarlate. Jodorowsky est un coloriste, vous peint des sanguines à seaux. Difficile de survivre en ces ambiances mortifères. Ne vous reste plus qu'à crever. Vous êtes un Christ en puissance. Tout le monde vous aime, tout le monde veut votre mort. L'on vous torture, et l'on vous caresse. Ne vous montez pas la tête. Pour avoir l'apparence du fils de Dieu, il y a de fortes chances que vous ne soyez qu'une réplique de plâtre, grandeur nature. Mais un crucifix n'est pas Jésus.

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Vous voici rejeté de votre divinité. Vous y aspiriez, votre rêve s'écaille, s'effiloche et se brise. Jodo se débarrasse des Evangiles, s'en fout, il possède un autre livre. L'oeuvre complète de Freud. Mais il fait son choix. Dans Totem et Tabou, l'a rejeté tout tabou. Par contre le Totem, il le dresse au milieu de la ville. Beaucoup plus haut que Big Ben, une tour rouge érigée vers le ciel tel un phallus monstrueux, oui même vous chers lecteurs, dans vos rêves les plus fous vous n'avez jamais eu l'idée de vous doter d'un tel attribut turgescent. Le tout est d'y pénétrer. Une fois tout en haut vous n'avez qu'à percer la membrane qui permet de découvrir les mystérieuses entrailles de l'échalas.

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D'abord les cours du soir. Petite leçon pratique d'alchimie. Caca au pot. Œuvre au noir. Œuvre au blanc. Œuvre au rouge. Fait même gaffe à ne pas oublier le rayon vert. Ce n'est pas un hasard si la pellicule est en couleurs. Laisser refroidir et servir avec dorure sur tranche. Le problème c'est que le fric ne règle pas tout. Enfin presque. Et là Jodo sort le grand jeu : les dix plus précieuses arcanes du tarot. Ce qu'elles peuvent vous apporter dans la vie : puissance, argent, sexe, gloire. Un univers très matériel. A la hauteur de la bassesse de l'Homme Matérialiste et Mercantile. Pitoyable de grossièreté. Un monde qui ressemble au nôtre. Un portrait peu flatteur de notre laideur morale, de notre hideur mentale. Ne vous regardez pas dans ce miroir. Vous y retrouveriez sans peine le calque de votre humanité.

L'est temps de prendre le bon chemin. Celui qui conduit à l'immortalité. Enfin on y arrive ! A la Montagne Sacrée. La tour avec son ascenseur n'était qu'une préfiguration. Pas une partie de plaisir. La pente est rude. Mais ce n'est pas le plus dur. Faut se délester de ses phobies, de ses angoisses, de ses vanités, de ses avidités, de ses croyances, et même de ses phantasmes ( hélas oui, charmantes lectrices ) au vestiaire de la commune humanité. C'est un homme nouveau qui doit parvenir sur la crête.

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Si vous vous lanciez dans une telle aventure, ne vous démunissez point de votre raison. Gardez la soigneusement en état de marche, sans boussole mentale vous risquez de vous embarquer dans des histoires insensées. Le coup était foireux dès le départ. Le plan était d'une rigueur absolue : s'agissait de tuer les Immortels qui crèchent tout là-haut pour prendre leur place. Mais comment peut-on tuer un Immortel ? Le projet n'est-il pas étymologiquement insensé ? Jodorowsky résout la contradiction avec une facilité déconcertante. Les Immortels n'existent pas. Vous n'irez pas plus loin que vous-même. Mortel vous êtes né. Mortel vous périrez. N'en faites pas une maladie, elle pourrait-être mortelle. Ce qui compte ce n'est pas le but, c'est le chemin pour y parvenir. Tao pantin !

Mais le Jodo est un vrai Jedi, un as, l'en a encore deux dans sa manche. Souriez, vous êtes filmé. Regardez, vous croyiez être dans une anabase de l'absolu, vous étiez juste un des acteurs d'un film. Mise en abyme, à profondeur plate : le spectateur regarde un film qui n'est qu'un film. Pour le savoir occulte, si vous pensez avoir mal saisi, relisez le scénario. Pour la sagesse suprême vous repasserez.

Oui, mais pour les déçus du jodorowkysme, il reste une bouée de sauvetage. L'amour, humain, mais avec un A majuscule. Une petite copine, un grand copain, et c'est reparti. Fini les plans cul, et la baise au drome, désormais c'est l'amour, si vous aviez su, vous ne vous seriez pas donné tant de mal. Un peu moins hard que de finir sur une croix, certes mais enfin, tout de même, un peu de sexe...

Se fout bien de votre gueule le Jodo. Vous promet de chevaucher la tigresse et vous vous retrouvez avec un tout petit mignon chaton au creux de vos mains. Vous avez la sensation de vous être fait avoir. Et ce n'est pas qu'une légère impression. Un sentiment aussi lourd qu'un éléphant. Et si le gentillou minou qui dort sur vos genoux était un petit de la chatte de Schrödinger ?

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Mais non, vous n'avez pas tout perdu. D'abord le film est magnifique. Une oeuvre d'art à part entière. Et puis ce n'est pas parce que vous n'avez pas mis la main sur la clef qui permet d'ouvrir la porte qu'il n'existe pas des doubles disséminés, par-ci, par-là. Tenez par exemple, si vous relisiez l'introduction de cette chronique, elle ne vous a pas paru un peu emberlificotée ? Non pas du tout : vous avez conservé votre âme d'enfant qui croit encore aux contes de fées. Si un peu, et vous avez continué votre lecture en passant outre, vous n'avez pas eu la présence d'esprit de suivre l'adage de Philippe Pissier, traducteur du Livre de Thot, de Crowley, qui dans sa jeunesse parlait de « faire péter les archétypes ». Et vous n'avez donc pas pris soin de vous munir d'une cartouche de dynamite mentale ? Tiens, quel est ce bruit ? Rien à redire : Jodorowsky, c'est méchamment rock.

Damie Chad.

03/02/2016

KR'TNT ! ¤ 267 : UK Subs / JUNIOR RODRIGUEZ & THE EVIL THINGS / GUILTY, SO WHAT ? / CHATEAU BRUTAL

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 267

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

04 / 02 / 2016

 

UK Subs / CHATEAU BRUTAL / GUILTY SO WHAT !

JUNIOR RODRIGUEZ & THE EVIL THINGS

MICK JAGGER / ALEISTER CROWLEY
 

LE 106 / ROUEN ( 76 ) - 20 / 01 / 2016

UK Subs

ANARCHY IN THE UK Subs

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Avec le temps, les UK Subs sont devenus une institution, au moins en Angleterre. Charlie Harper fait partie des vétérans de toutes les guerres. Il continue d’écumer les scènes dans le monde entier à la tête d’une équipe qui paraît aujourd’hui stabilisée. Car forcément, l’histoire des UK Subs, c’est aussi le bal des line-up.

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On retrouve Charlie dans un numéro spécial de Classic Rock consacré aux Survivors avec bien sûr Keith Richards en couverture. C’est à John Robb, lui-même vétéran de la scène punk anglaise, que revient le privilège de brosser le portrait d’un Charlie Harper qui atteint aujourd’hui l’âge canonique de 71 ans. Charlie commence par rappeler qu’il suivait les Stones à leurs débuts. Il connaissait bien Brian Jones. Charlie avait teint ses pompes en vert et ça plaisait beaucoup à Brian. Il connaissait aussi Rod The Mod qui lui apprit à jouer de l’harmo. Mais plutôt que de former un groupe, Charlie devint routard et gagna le Sud de la France. Il chantait du Woody Guthrie, du Tom Paxton et du Dylan dans les rues, comme le fit Dave Brock à ses débuts. Les anglais appellent ces chanteurs de rues les buskers. L’avantage d’être dans le Sud de la France, c’est qu’on pouvait dormir sur la plage. Pas de frais. Charlie passa donc les sixties à busker. Il revint à Londres et monta son premier groupe les Marauders au début des seventies, puis The Charlie Harper Band pour jouer dans le circuit du pub rock. Il y croisait les géants du genre comme Dr Feelgood et les Ducks Deluxe. Charlie prend bien soin de préciser que tous ces groupes, les Clash, les Vibrators et les Stanglers venaient du pub rock.

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«I guess we were second-wave punk». Eh oui, les UK Subs font partie de la seconde vague punk. «We were nothing when the first wave came. We were the audience.» Pour Charlie qui avait trente ans en 1977, les Pistols et les Damned représentaient le futur. Mais les UK Subs savaient qu’il resteraient un groupe de rhythm & blues.

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Difficile d’évoquer la seconde vague punk anglaise. Pour ceux qui ont vécu ça en direct, cette seconde vague n’avait évidemment pas le panache de la première. Aucun groupe punk anglais ne pouvait rivaliser avec les Pistols ou les Damned, aussi bien sur scène que sur disque. Pour beaucoup d’amateurs, la seconde vague punk allait être d’une pénibilité sans nom. Et c’est avec une vraie réticence qu’on accepta d’écouter le premier album des Subs paru en 1979, «Another Kind Of Blue», qui d’ailleurs n’était pas vraiment un album de punk-rock, mais un album de cocotage à la Steve Jones. Il suffisait d’écouter «CID» ou «TV Blues» en face B pour retrouver ce qui avait fait la grandeur de Jonesy. Dans «CID», on sentait une nette influence des Pistols. Sur ce disque se trouvait aussi «I Live In A Car» qui allait devenir l’un des gros standard des Subs. Le guitariste s’appelait Nick Garratt, une sorte de champion du gimmick. «All I Wanna Know» est monté sur un gimmick rudement intéressant. Il amenait aussi «Crash Course» au bon riffage et on sentait nettement le potentiel d’un grand guitariste. Il plaçait un solo tellement incendiaire dans «Disease» qu’on croyait entendre Brian James dans les Damned. Alors, bon disque ? Pas bon disque ? Ça dépend en fait de l’époque à laquelle on le réécoute. L’album a les défauts de son époque et les qualités d’un disque de pur rock anglais.

En 2018, les Subs fêteront leur quarante ans de carrière, comme vient de le faire Motörhead. Comme tous ces groupes à longévité exemplaire, ils proposent ce qu’on appelle une discographie à rallonge qui est en fait un mélange d’albums studio et d’albums live, le tout copieusement farci de compiles. Ceux qui les suivent depuis le début savent que le vrai parcours des Subs suit l’ordre alphabétique. A pour «Another Kind Of Blues» et Y pour «Yellow Leader» qui vient de sortir. Les Subs compléteront leur alphabet avec un album Z à venir.

Comme Motörhead et comme le bon vin, les Subs vieillissent admirablement bien. Les trois derniers albums, «Work In Progress», «XXIV» et «Yellow Leader» qui vient de sortir sont de véritables bombes. Et c’est pour ça qu’il faut aller les voir jouer sur scène, car ils alignent autant de hits anglais que les Wildhearts, les Stiff ou les Buzzcocks.

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Sur «Work In Progress», on trouve «The Axe» qui sonne comme un classique des Pistols. Rien que pour ça, il faut rapatrier l’album. C’est amené aux gros accords de Steve Jones. Charlie fait son Johnny Rotten - You ran the gauntlet you ran from the law/ But you ran out of luck when the axe came down - Charlie prévient que ça va mal finir et voilà que surgissent un solo dévastateur et des chœurs de cathédrale. On est dans l’esprit de «Never Mind The Bollocks», pas de doute - Your time will come/ When the axe comes down - On retrouve les grosses cocotes des Subs dans «Tokyo Rose», doté d’un refrain aux chœurs de pub pistolien. C’est énorme ! Et voilà que traîne à Trafalgar Square un solo de petite vertu signé Jet. Au fil des cuts, les Subs développent leur vieille démesure et montent la plupart des couplets à la cocote de Jonesy. Dans «Guru», Charlie saute à la gorge des gourous et ils tapent ensuite «Eighteen Wheels» au groove crampsy - Eighteen wheels a rollin’/ Out on highway number one - Ils attaquent «Rock’n’Roll Whore» aux accords des Heartbreakers et font une belle reprise de «Strychnine». Les vaillants Subs terminent cet album fumant avec «Robot Age» et on entend la heavy bass d’Alvin Gibbs voyager dans le groove et croiser à un moment un véritable tourbillon de wha-whatage des enfers.

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«XXIV» est une pétaudière, sous un air de Sainte-Nitouche. «Implosion 77» saute à la gorge. Voilà un cut qui porte bien son titre. On sent une sorte de maîtrise définitive du son. S’il est un groupe puissant en Angleterre, c’est bien les Subs. Charlie passe ensuite au heavy blues d’harmo avec «Coalition Government Blues». Quelle fantastique aisance de la partance, Hortense ! Charlie est toujours aussi énervé qu’avant, comme on le voit dans «Rabid» - Instigation/ Savage bite ! - Et il lâche les puissances des ténèbres avec «Monkeys», grosse compo bardée de son et de puissance. La santé des Subs est un modèle du genre. Attention, si vous écoutez cet album, vous allez vouloir écouter tous les autres ! Et ça continue avec «Black Power Salute», un hommage vibrant à Smith et Carlos, les deux blacks qui avaient levé le poing sur le podium des Jeux Olympiques de 1968. C’est fantastique et énorme à la fois - Took a black power salute ! - La fête continue avec «Las Vegas Wedding». Les Subs visent l’absolu du punk anglais avec un refrain de chœurs de cathédrale - Limos and wedding bells/ Champagne and party girls - Chorus des enfers et violentes montées de fièvre ! Plus loin «Garden Of Good And Evil» éclate au grand jour comme une révélation. Voilà une nouvelle embardée dans la dégelée, c’est violent, musculeux et parfait, si on aime le son qui dégouline du beurrier. Tout est fantastique sur cet album. Les Subs n’ont jamais été aussi bons ! C’mon Charlie ! Vous voulez de la politique ? Voilà «Workers Revolution», un appel tardif à la révolte - Bankers and the bosses and the politicians/ Those donkeys get away with the lion’s share - Bien sûr, ce genre de discours paraît aujourd’hui indiciblement suranné, mais bon. Charlie tape ensuite dans Bo Diddley pour «Wreckin’ Ball» et il championne ça à l’harmo de Momo. C’est à l’image des Subs qui se sont toujours inscrits dans une sorte de classicisme moderne à l’ancienne. S’ensuit un fantastique «Detox» joué à la force du poignet clouté et c’est vrillé par un solo de Jet. Charlie chante «Failed State» à la Johnny Rotten, c’est le hit du disk. Et ils bouclent avec «Momento Mori», ultra-punk’s not dead, un clin d’œil aux dieux du punk-rock et l’effroyable Jet vient nettoyer tout ça à coups de guitare lance-flamme.

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On a gosso-modo les mêmes composantes sur «Yellow Leader», avec une pochette BD montrant un chasseur pulvérisant l’avion ennemi. Voilà encore un disque qui fourmille d’énormités, à commencer par l’imparable «Sick Velveteen», pulsion de rock anglais punkoïde. On est plombé d’entrée de jeu. «Artificial» qui suit est magnifique de teneur. Cet air de rock s’incruste dans la mémoire vitale des cellules. Charlie tire bien sur son articifial intelligence et Jet le guerrier arrose tout ça d’un solo fleuve. Retour à la Guerre de Cent Ans avec «Bordeaux Red». Les Subs envahissent la France au son du Bordoo red ! C’est du rock de soudards impavides et Jet fourvoie son solo. Charlie finit dans une cheapside hostelry amongst the vermine. Voilà un cut épais et judicieux qui montre bien l’exemplarité d’un groupe au faîte de sa gloire. Retour à la high energy avec «Deconstruct». Ils tapent dans le jus du rock juteux des Hellacopters et des Deadbeats. S’ensuit un «Diatribe» qui sonne comme un hit dès l’intro. Jet fait son Jonesy et ça nous va bien. On se régale aussi de «Primitive Evil» qui raconte l’histoire du Tzar of pain, le pire démon. Ils jouent ça au beat de forteresse et ça repose sur de jolis contreforts. Stupéfiant «Sun City Blues», joué au boogie d’harmo. On trouve deux hymnes punk sur cet album : «Slave» qui répond bien à l’exigence de l’exégèse et «Big Bug» qui sonne comme un hit punk définitif - She’s always here gettin in my hair like a bug - Avec «Virus», ils font tout simplement l’hallali du punk-rock. Ils ne lâcheront jamais.

C’est cette équipe qu’on voit aujourd’hui sur scène, Charlie, Alvin Gibbs (bassman quasiment d’origine), Jamie Oliver au beurre et Jet le guerrier.

Si on aime bien les Subs, alors c’est avec une sorte de délectation perverse qu’on plonge dans leur alphabet.

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«Brand New Age» est un album coupé en deux, avec une face A transparente que Nick Garratt tente de sauver avec sa guitare et une face B superbe. «Emotional Blackmail» est un hit punk qui fait twister les métacarpes, et doté en plus d’un beau solo longiligne. C’est admirable car très anglais dans l’esprit de seltz. C’est d’ailleurs l’un des standards qu’on retrouvera sur tous les albums live des Subs. De même que «Teenage», joué aux accords du MC5. Incroyable ! Non seulement ils écoutent des bons disques, mais ils envoient des chœurs de cathédrale ! S’ensuit un fantastique «Dirty Girls» bourré d’énergie concomitante, avec des yeah yeah yeah de relance impérative. Leur audace les honore. L’autre hit du disk s’appelle «500 CC». On les sent déterminés à vaincre. Le beat est si bon qu’il est élastique. Voilà qu’ils swinguent le punk-rock ! Ils incendient ensuite «Bomb Factory» aux chœurs guerriers. Cette équipe sait chauffer les enceintes et il bouclent cette face fumante avec un terrible «Emotional Blackmail II». Une fois qu’on a le riff, c’est facile.

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«Crash Course Live» est le premier d’une longue série d’albums live. C’est vrai que le cœur de métier des Subs, c’est la scène, alors c’est normal qu’on bouffe du live. Crounch crounch crounch. On y retrouve tous les standards des deux premiers albums, mais ils sont comme dopés. On croit même entendre les accords des Heartbreakers dans l’intro d’«I Live In A Car». C’est l’un de leurs cuts les plus puissants. «Rat Race» sonne comme un cut des Saints, à cause de sa mitraille d’accords. Et «New York State Police» renvoie bien sûr au cocotage de Steve Jones dans «New York». Avec «Warhead», ils se prennent pour les Clash et c’est ridicule. De l’autre côté, «Organised Crime» retombe comme un soufflet au moment du solo, par contre, Charlie emmène «Dirty Girls» à coups de yeah yeah yeah vainqueurs. C’est un régal que de l’entendre tartiner son cockney. Ils tapent un autre hit subien, «Crash Course», que Nick Garratt cocote à la bonne rémoulade de rémona. On retrouve les accords des Heartbreakers dans «Teenage» - Teenage ! I wanna be teenage ! - Ils jouent ça bien serré dans les virages avec de jolies pointes d’accélération vite réprimées. C’est incroyable ce qu’on s’attache à ce groupe. Ils bouclent leur set avec «Emotional Blackmail» où on retrouve le beat bien sautillé des Vibrators. C’est tout simplement fantastique d’allant.

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C’est avec «Diminished Responsibility» qu’arrive Alvin Gibbs. La pochette est ratée (trop arty), mais on trouve deux merveilles sur cet album, à commencer par «Fatal» qui sonne comme un hit des Pistols - You’re fatal/ You’re so fatal - C’est du heavy punk désenchanté à la Rotten. En en face B, Charlie refait son Clash avec «Party In Paris», un cut presque bon. Il soigne ses syllabes en ay et fait tomber son day comme un couperet cockney. Sut cet album, on trouve même un cut qui sonne comme ceux des Buzzcocks, «Time And Matter», et une autre singerie des Clash, «Violent City» - Thieve a car do a job/ Get ten points for hitting a cop - C’est exactement le son du premier single des Clash qui était - il faut bien le dire - excellent (c’est après que ça s’est dégradé). Avec «So What», Charlie s’adresse à tout le monde, hippy hippy, rasta rasta, junkie junkie, soul boy soul boy, et fait du vrai punk-rock londonien. Et Nick Garratt boucle l’album avec un beau solo suspensif dans «Collision Cult».

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«Endangered Species» est probablement leur meilleur album, car c’est là que se nichent «Down On The Farm» et «I Robot», purs classiques de rock anglais. Avec «Down On The Farm», on a l’attaque de «The Final Solution» - All I need is some inspiration/ Before I do somebody some harm/ I feel just like a vegetable/ Down here on the farm - C’est énorme, aussi énorme que les mésaventures de Crocus Behemot dans Pere Ubu - The girls won’t touch me/ Cos I’ve got a misdirection/ And living at night/ Isn’t helping my complexion - Charlie en rajoute une couche en appelant sa baby on the telephone - Called my baby on the telephone/ Said come down and have some fun - Ce qui nous renvoie aux Stooges, quand Iggy called mum on the telephone dans «No Fun», puis Charlie explique qu’il écrit des milliers de lettres à s’en engourdir les doigts, mais le postier ne vient jamais à la ferme - I write a thousand letters/ Till my fingers all get numb/ But I’ve never seen no postman/ Down here on the farm - Si ce n’est pas un hit, alors qu’est-ce c’est ? Même question pour «I Robot», bardé de chœurs de rêve - Got a silicon brain/ I robot/ On a metal frame/ I robot/ Ain’t got no name/ I robot - C’est une pure merveille de renvoi d’ascenseurs de chœurs, dopée par une énorme dynamique de relance avec un retour au Got a silicon brain du meilleur effet, et ça continue jusqu’au délire avec des but he’s got no heart/ To tear apart et des ain’t got no vein de la pire excitation. Avec le morceau titre, Charlie rappelle qu’il fait partie avec les punks d’une espèce en danger d’extermination. Puis il profite d’«Ambition», pour revenir au heavy beat rincé à l’harmo. Les Subs jouent le pur rock anglais - Cheat me and I’ll jump on you - S’ensuit un magistral «Lie Down And Die» qui sonne comme un cut des Buzzcocks.

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C’est Knox qui a dessiné l’affreuse Maggy Tatcher qu’on voit sur la pochette de «Flood Of Lies». Charlie redémarre avec une toute nouvelle équipe et Captain Scarlet à la guitare. Dès le morceau titre qui ouvre ce bal macabre, on sent peser les lourdeurs pestilentielles. Captain Scarlet fait des siennes dans «DB’s». Il place un joli killer solo. Même si elles ne tétanisent pas toutes, les compos de Charlie restent intéressantes. On se fait avoir à chaque fois, comme par exemple avec «Tampa Bay». Les grosses pièces se nichent de l’autre côté, à commencer par «In The Red» et une cisaillade à la base du système. Charlie attaque sec au pied de la montagne. Il ne renonce jamais. C’est joué à la vieille cocote anglaise. Les Subs ont un vrai son, une réelle présence, en dépit des mouvements de personnel. Charlie fait son boogaloo avec «Revenge Of The Jelly Devils». Quoi qu’il fasse, il suscite l’intérêt. Encore un cut négocié à la cisaille avec «In The Wild». Charlie adore ce son à la Jonesy et les mid-tempos chargés de menace. Ils bouclent avec un «Seas Of Mars» tapé à l’épisodique. Encore un cut signé Harper le crépusculaire.

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Encore un album live avec «Gross-Out USA». Charlie et Captain Scarlet écument les scènes américaines. C’est l’occasion de ré-entendre «Emotional Blackmail», une version de «In The Wild» digne des Pistols, tant dans le riff que dans la voix, un chef-d’œuvre de punkitude avec «Violent Revolution» et «Stanglehold» qui est l’un des hits des Subs les plus déterminants, est-il besoin de le rappeler ?

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Charlie reconstitue une nouvelle équipe pour «Huntington Beach» qui sort en 1986. On y trouve de belles dégelées, comme par exemple ce «Betweeen The Eyes» bien tapé et même assez imparabellum. Le «Suicide Taxi» qui suit est fantastique car bien monté sur un riff tendancieux et comme gratté sous le manteau. Quant à «Party Animal», c’est du pur Lydon et c’est extrêmement heavy dans l’intention. Charlie se dit bête de boum. Il flirte aussi avec la pop dans «Miss Teenage USA», mais comme c’est bien affirmé, on lui pardonne. De l’autre côté se niche «All The Kings Horses», amené comme un hymne punk dévastateur de dévastation. Au moment où arrive «Death Row», on sait qu’«Huntington Beach» est un solide album de bon vieux beat de punk de Sub. Ils bouclent avec un fantastique «Blinding Stories», une pièce de pure power-pop à l’Anglaise. Les Subs savent créer la surprise en fin de face sans perdre la face.

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«In Action» est à la fois l’album du dixième anniversaire et un double album live sur lequel on retrouve tous les grands hits des Subs. En voiture Simone avec «Emotional Blackmail». Les Subs s’amusent bien, on entend une belle bassline dans «Endangered Species». Charlie fait son Rotten dans «Fear of Girls» et dans «You Don’t Belong». Il adore se prendre pour le meilleur chanteur d’Angleterre. Leur version de «Teenage» sonne comme un hit des Damned. Sur le deuxième disque se nichent des choses bien foutues comme «I Couldn’t Be You», soutenue par une basse alerte et vivace, «I Live In A Car», vrai hit de Sub, «Crash Course», chanté à la Rotten, «Blues» joué à la MC5, «Between The Eyes», pas loin des Stiff, «CID» quasiment stoogy, «Tomorrow’s Girls», joué à la cisaille maximaliste et «Stranglehold», un pur hit de Subs. Que vous faut-il de plus ?

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Darrell Bath et Knox font partie de l’aventure qui conduit les Subs au Japon et qui se solde par l’enregistrement d’un album live, «Japan Today». Charlie a derrière lui une grosse équipe et il en profite. Darrell Bath fait des miracles à la guitare. Les compos sont pour la plupart lourdes et lentes, comme dirait Hardellet. L’ordre des morceaux gravés ne correspond ni à celui qui figure sur la pochette, ni à celui qui est sur l’étiquette. En face B, ils attaquent avec «Thunderbird», un chant de Noël de pub anglais, merveilleusement accompagné à la guitare par le petit Darrell. Il cisaille bien «Comin’ Back» à la grosse cocotte et Charlie sort son meilleur cockney pour «Hey Santa». Ils tapent ensuite dans la pure pop de juke avec «Skate Board Billy» et enchaînent avec un shoot de surf garage, «Surf Bastard». Incroyable mais vrai ! Les Subs tapent dans l’exotica ! Et Knox joue de l’orgue ! S’ensuit «Street Legal», un heavy boogie d’ampleur magistrale. On sent le groupe anglais bien en place. Ils bouclent avec «Angel» qui est le punk-rock idéal de fin de parcours. Franchement, les Subs ont un son.

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Avec «Killing Time», on sent une forte baisse de régime. Ils ne retrouvent pas la grandeur d’«Endangerd Species». C’est pourtant l’album des retrouvailles avec Nick Garratt et Alvin Gibbs. Charlie attaque avec «Yellowman», une ode aux chinetoques - Chinese kitchen smells so nice/ Kung fu coke and vice/ Fast food faster girls - Mais quand Nick ou Alvin se mettent à chanter, ça tourne à la catastrophe. Le chanteur des Subs ne peut être que Charlie. On passe à travers la face A et en B, ils se reprennent pour Clash avec le morceau titre. C’est insupportable, car Clash est loin d’être un modèle. Charlie sauve l’album avec «Big Apple» - Big apple rotten to the core - C’est une fantastique pièce de rock alerte - See the stress/ Feel the anger/ For esay money/ There’s a restless hunger.

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«Live In Paris» est un live de plus (de trop) qui n’apporte rien.

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On retrouve Darrell Bath sur «Mad Cow Fever», un très bel album de reprises. Sur «Mandarins Of Chance», baby Bath double le chant à la fantômale. Ce petit teigneux ne lâche pas sa proie. Il fait des miracles sur «Boneyard», «Welfare Mother» et «Saints & Sinners», où il bat le plâtre d’une incursion rythmique. Charlie fait son Jim Morrison avec une reprise de «Roadhouse Blues». C’est stupéfiant de véracité intrinsèque. Il n’a pas la voix ni la beauté du Roi Lézard, mais il chante avec toute la niaque dont il est capable et c’est suivi à l’harmo. Ils font aussi du Chuck avec une reprise de «Talking About You» et un «Route 66» avec le son du MC5. Baby Bath sonne exactement comme Wayne Kramer ! Ils font aussi un hommage fantastique aux Dolls avec «Pills». Baby Bath a tout bon. Les Subs sont dessus - To my head ! - Nouvelle surprise de taille avec «Baby Please Don’t Go». Eh oui, ils repartent sur les traces des Them et du vieux riffing de Billy Harrison. Charlie fait son Van Morrison. Ils font une version longue, comme jadis les Amboy Dukes. Et pour finir, Charlie fait son Dylan dans «Ecology Blues». Même attaque de voix de pif. On aura tout vu. D’autant que c’est magnifico !

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Les Subs reviennent en 1966 avec «Normal Service Resumed», fantastique album. Ils repunkent de plus belle avec «Dumfux» et «Killer Time» et bricolent avec «Jodie Foster» une sorte de classique du rock anglais, solide, bien cisaillé à la cisaillade et doté du meilleur des solos vitupérants. C’est sur cet album qu’on trouve l’excellent «Stangeways». Charlie y parle de cette taule de Manchester sur l’air de «Down In The Farm» - Iron door slammin/ Keys on chains - Ils enfoncent bien les clous - System system/ Prison regime ! - Autre énormité : «Bailiffs», un fantastique mid-tempo noyé de distorse. Charlie est en rogne - The media pigs have all the power/ Sell you shit by the hour - Fantastique énergie des Subs - The police treathen the bums/ To satisfy the tourist trade - On trouve de l’autre côté un remake de «Down On The Farm», coulé dans le son plus juteux et plus fluide d’Alan Campbell et les Subs dédient «Mohawk Radio» aux Indiens d’Amérique - Only you can save us now ! - Ils font aussi un «Reaper» qui sonne un peu pop - Tonight is the night of the reaper - et ils reviennent aux choses sérieuses avec «All The People». Les Subs c’est la même chose que Motörhead. On sent la force d’un système qui disparaîtra avec Charlie, comme Motörhead a disparu avec Lemmy. Et puis on restera sur un petit mystère : la Lydia de «Lydia» est-elle Lydia Lunch ?

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Nouvelle équipe pour «Occupied» qui sort en 1996. Ils démarrent avec «Let’s Get Drunk» qui sent bon le pub anglais. «DF 118» est une belle crise de cisaillerie, l’apanage des Subs. Retour à l’énormité avec «Public Adress» - We are the underclass/ We only get in the way - C’est une chanson foutrement engagée au nom de tous les dépossédés de la vieille Angleterre. Autre énormité : «One Of The Girls», heavy rock hanté par des chœurs fantômes, avec un Charlie qui chante à l’insidieuse. Just perfect ! On passe un peu à travers la B. Il faut attendre «The Great Northern Disaster» pour retrouver un peu de viande et «Ode To Completion» pour retrouver Charlie dans son rôle préféré, celui de Johnny Rotten, d’autant que le guitariste Alan Campbell se prend pour Jonesy.

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Le «Peel Sessions 1978-1979» qui paraît en 1997 vaut le détour, rien que pour le son. On y entend la formation d’origine et ils attaquent avec «I Couldn’t Be You», un punk-rock d’harmo terrible. S’ensuit une version ultra-énergétique de «Tomorrow’s Girls». Quelle pétaudière ! Et bien sûr quand on arrive à «Stranglehold» on chante en chœur. Ils jouent aux guitares éclatantes avec une énergie qui en dit long sur leur ambition. C’est le hit des Subs avec un solo déboîté de Nick Garratt. Avec «Killer» on a une fantastique embardée dans les Ardennes, c’est battu à la diable, puisant et riffé à la cocotte fatale. Explosive power ! Et bien sûr, «Crash Course» sonne comme un hit dès l’intro. C’est joué au beat tribal d’exaction blastmatique. Nick reprend un solo killer dans «Lady Esquire» et ils terminent avec un «Emotional Blackmail» qui est aussi le hit des Subs, extrême de tension et cisaillé à la cocote perfide. Charlie chante comme un champion hors catégories et il pose ses blackmail sur un tatapoum parfaitement dévoyé.

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«Quintessentials» n’est pas le plus bel album des Subs, mais il reste bien énervé. On a la grosse dose de cocotage habituel dans le morceau titre, un cocotage qui comptera dans l’histoire de la cocote anglaise. Nick Garratt est un cocoteur d’ampleur catégorique. Les Subs adorent aussi jouer avec l’idée des armes, comme on le voit dans «AK 47» - City burning down - Et il faut attendre «Outside Society» pour renouer avec l’énormité, ce genre de petits miracles dont sont capables les Subs - Try to get a job/ Try to get straight/ I get a door in my face every step I take - En un couplet, Charlie résume un problème de société. C’est sa grande force - So fuck you/ I’m stricking back - Avec «Bitter & Twisted», ils font du punk de pub et c’est solide. On se croirait au Hope avec les Hot Rods. Même énergie. Charlie connaît bien le circuit. Ils tapent dans l’heavy decadence of sorts avec «Accident Prone». C’est incroyable qu’ils sortent un truc pareil ! - Name your poison/ Practice your religion/ Bow to the system - Joli coup d’heavyness. Ils bouclent avec l’excellent «Dunblane» joué à l’harmo magique - A child is born with a gun in his hand - Voilà encore une belle pièce de heavy power pop de pub plein de pattes d’harmo et de banjo.

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«Riot» vaut l’emplette pour cinq raisons principales. Un, «Cyberpunk», attaqué à la mordante extrême. Nick Garratt est bien là pour en découdre et il stompe sa punkaillerie sans ménagement. Deux, le morceau titre, dont les paroles sont un chef-d’œuvre de mécontentement - Inner city is getting me down/ Police and gang wars all over the town - C’est un hymne d’attaque avec des ho-ho et un break de basse d’Alvin Gibbs. Trois, «House Of Card», un fabuleux mid-tempo visité par Nicky - Living in this madhouse makes me feel so crappy - Quatre, «Guilty Man». C’est du pur jus de Pistols. On y retrouve tout ce qui faisait la grandeur des Pistols. C’est un cut franchement digne de Nevermind, même son et même énergie. Cinq : ils font aussi du garage exceptionnel avec «Lost Not Found» - Catch that burning sound/ Kick me to the ground yeah - c’est éclatant de violence et parfaitement stupéfiant. Voilà encore un grand disque de rock anglais qui n’a pas à rougir de ses états de service.

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«Sub Mission» est un Best Of. Mais on se surprend à réécouter les classiques des Subs avec un plaisir non feint. On retrouve «Captain Scarlet», «Thunderbird Wine» et «Hey Santa» bourrés d’énergie, de booze et de cockney. Dans la version de «Down On The Farm», on entend les grillons et le coq, puis une basse élastique incroyablement sourde. C’est le hit motel de la mortadelle. Ils nous farcissent ça d’accords criards jusqu’au trognon. Ce Best Of vaut surtout le détour pour l’incroyable «Another Typical City» qui est l’un des vrais hits des Subs et qu’on ne trouve pas sur les albums. C’est énorme. Pourquoi ? Parce que gratté aux accords de glam. Encore du pur jus de Subs avec «Ozone Drath», fulgurant et bien senti, même si ce n’est pas Charlie qui chante. Ils nous montent un mur du son dans «Stangeways». C’est même hallucinant de grandeur et noyé dans les guitares anglaises. On a là une tension terrifiante avec les incendies de rigueur et une sorte de clameur universelle. Voilà le pur génie punk des Subs. Encore une belle perle avec «Outside Society», un cut explosif digne des Pistols, et même encore plus explosif avec ces chœurs qui font ah ahhhh ! On trouve à la suite une bombe de punk anglais intitulée «Bitter & Twisted» et ils bouclent avec «Riot» et les hélicos, dans la dignité du grand punk-rock britannique.

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Comme ils n’avaient rien de nouveau pour la lettre T, ils ont enregistré un nouveau Best Of et l’ont intitulé «Time Wharp». Nick Garratt et Alvin Gibbs font partie de l’aventure. Ils font une version bien grasse et presqu’informelle d’«Emotional Blackmail», une version de «Crash Course» aux power chords de cocotage et un «CID» emmené au vrai tatapoum. C’est drôle, on s’attache toujours plus aux Subs. Ils savent déclencher un CID ! On assiste à une fantastique série de déménageries, franchement. Leur version d’«I Live In A Car» est carrément stoogy et «Down On The Farm» reste certainement leur plus grand hit. Ici, il est bien amené à la charley et au riffage entreprenant. Charlie a changé toutes les paroles. Encore un shoot d’adrénaline avec «Stranglehold», l’un de leurs hits les plus puissants et les plus jouissifs. Charlie l’emmène très haut avec son énergie expiatoire. Quelle fantastique partie de basse ! Ces mecs ont désormais toutes les cartes, alors ils gagnent à tous les coups.

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Alan Campbell est toujours là pour «Universal», paru en 2002. Avec «Soho», les Subs donnent une sacrée leçon de puissance. Alan Campbell nous fait la grâce d’un son gras et mélodique. On reste dans la chanson engagée avec «Third World England» - People dying of starvation - Charlie pense que l’Angleterre s’enfonce dans le tiers-monde - 1st world England and 3nd world crime - Par contre, avec «Universal», il chante un hymne à la canaille - Assholes are universal/ One size fits all - De l’autre côté, Charlie fait son gros méchant loup dans «White Lie» et joue avec le feu dans «Don’t Blame Islam» - Religion is evil/ Rape the poor - Charlie adore provoquer. On trouve en fin de face une belle chanson colérique, «Custody» - Neighbourhood/ Is burning down/ Leave this city/ Blow this town - Fantastique !

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Et voilà, on arrive à la lettre V avec «Violent State» qui n’est pas vraiment un album, mais un live enregistré en 2004. Un de plus, dira-t-on. On y trouve pas mal de classiques comme «Emotional Blackmail», un «Cyber Junk» encadré aux chœurs de cathédrale et un «Mouth On A Stick» sévèrement cocoté, comme si Steve Jones traînait dans les parages.

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Miraculeusement, les Subs débarquent à Rouen. Pas de vinyles, bien sûr, à la table des marchandises, mais la copine de Jet distribue un petit sticker qui annonce la parution du 26e et dernier album des Subs, Ziezo. Il faut aller sur Plegemusic.com pour le financer (même principe que les albums de Ginger, tout est financé par les fans, c’est du hors commerce et donc pas d’intermédiaires véreux).

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On voit aussi dans le studio-vitrine le pauvre Charlie Harper répondre à des questions normandes. Il se conduit courtoisement, même s’il sent qu’il n’est pas dans son monde, car franchement les questions sont d’un niveau catastrophique. Tout s’arrange quand il arrive sur scène, bedaine en avant toute et ils reprend très vite ses prérogatives de légende du rock anglais, car c’est bien de cela dont il s’agit, plus que de punk-rock. Jet joue dans son coin comme une cat échappé des caves. Il joue sur la petite guitare jaune de Johnny Thunders et rocke le blast de toutes ses forces. De l’autre côté, Alvin Gibbs redore le blason des grands bass players anglais, il joue tout à l’aller-et-retour aérodynamique, combinant les razzias de bas de manches et les génuflexions délibérées. Il vole le show, avec son sens de la déboulade de gammes et sa dynamique jambaire extravagante. Vous ne verrez pas beaucoup de bassistes de ce niveau, je vous le garantis. Derrière ce set flamboyant, il y a tout simplement quarante ans de scène et de ferveur, de survie dans un milieu extrêmement élitiste qui est celui du rock anglais, quarante ans de bruit et de fureur, de tournées et de drogues, de ponts jetés par dessus les genres, mais franchement quand on les entend attaquer «Down On The Farm», c’est un rivière de frissons qui coule sous la peau. Il y a un peu de pogo dans la salle, mais pas trop. Bizarrement, Charlie qui est un homme de contact ne parvient pas à établir le contact avec le public. Seul un grand type au premier rang chante tout en double avec Charlie le survivant.

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On pense bien sûr à Gerry Roslie qui atteint le même âge canonique et on se dit que ces mecs ont beaucoup de courage pour monter sur scène à leur âge. C’est bien au-delà de la vocation. Les mauvaises langues insinueront que c’est alimentaire, mais même si c’est pour manger, il faut de sacrées ressources pour grimper sur scène et faire le con pendant une heure et demie quand on a soixante-dix balais. À cet âge-là, la plupart des gens ont la goutte au nez et commencent à se ratatiner sérieusement. Pas Charlie. Comme quoi le rock ça conserve. D’ailleurs, il demande au public : «Ya know where I liv’ ?». Il n’attend pas et répond à la place du public : «I Liv’ In A Car» !

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Alors Alvin saute en l’air, comme il l’a toujours fait, et puis on voit Jet de l’autre côté se plier en deux sur son chorus comme s’il venait de recevoir une balle dans le ventre. Ils balancent une version capiteuse de «Stranglehold» et un «Warhead» qui passe mille fois mieux sur scène que sur disque, et bien sûr, ils font un carnage avec le vieux «CID» en rappel. Comme Charlie a bon cœur, il fait aux Normands un beau cadeau d’adieu : il transforme son «Party In Paris» en «Party In Louen». Ooh la la Ooh la lay !

Signé : Cazengler, UK Sot

UK Subs. Le 106. Rouen (76). 20 janvier 2016

UK Subs. Another Kind Of Blue. Gem Records 1979

UK Subs. Brand New Age. Gem Records 1980

UK Subs. Crash Course Live. Gem Records 1980

UK Subs. Diminished Responsibility. Gem Records 1981

UK Subs. Endangered Species. NEMS 1982

UK Subs. Flood Of Lies. Fallout Records 1983

UK Subs. Gross-Out USA. Fallout Records 1984

UK Subs. Huntington Beach. FRB Recordings 1986

UK Subs. In Action (Tenth Anniversary). RFB Recordings 1986

UK Subs. Japan Today. Fallout Records 1987

UK Subs. Killing Time. Fallout Records 1988

UK Subs. Live In Paris. Released Emotion Records 1990

UK Subs. Mad Cow Fever. Fallout Records 1991

UK Subs. Normal Service Resumed. Fallout Records 1993

UK Subs. Occupied. Fallout Records 1996

UK Subs. Peel Sessions 1978-1979. Fallout Records 1997

UK Subs. Quintessentials. Fallout Records 1997

UK Subs. Riot. Cleopatra 1997

UK Subs. Sub Mission. Fallout Records 1999

UK Subs. Time Wharp. Cleopatra 2001

UK Subs. Universal. Combat Rock 2002

UK Subs. Violent State. Combat Rock 2004

UK Subs. Work In Progress. Captain Oi! 2010

UK Subs. XXIV. Captain Oi! 2013

UK Subs. Yellow Leader. Captain Oi! 2015

Classic Rock #145 - June 2010 - The Rock’n’Roll Survivors Issue - UK Subs by John Robb.


29 / 01 / 2016

SUPERSONIC / PARIS 12°

JUNIOR RODRIGUEZ & THE EVIL THINGS

GUILTY SO WHAT ! / CHATEAU BRUTAL

 

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J'y suis allé à reculons. Non par prévention envers les groupes. Je ne les connaissais pas avant de les repérer sur le blog de Guendalina Flamini. Comme cette satanée photographe n'a pas l'habitude de clicher les tranches de rocktadelle molle, j'ai suivi son conseil. Me suis décidé en cinq minutes, la sagesse recommandait de rester au chaud avec mon rhumoféroce qui assaillait mon pauvre cerveau. Mais dans chaque rocker sommeille un guerrier spartiate. Ai avalé d'un coup la consommation semi-annuelle de cachetons d'Elvis et ai cavalé jusqu'à la teuf-teuf mobile.

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En descendant à la station Bastille, pas du tout biscornu de repérer la rue Biscornet. Pour le 19, encore plus facile, par une large baie vitrée, vous apercevez la scène avec les instruments dessus. Supersonic, salle de concert, joliment bien chiadée, les gars qui ont pensé l'espace se sont débrouillés comme des chefs, vous leur filez un timbre-poste et ils y casent dessus le circuit d'Indianapolis. Le bar, l'étage mezzanine, le fumoir, la régie son, comment faire beaucoup avec peu. Ambiance cool, sympa, étudiants bobo, mais beaucoup d'amateurs.

 
GUILTY SO WHAT !

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Acquittés dès les premières notes. Cinq prévenus, qui trafiquent dans les garages. Maquillent les voitures mais vous les revendent à bon prix. Deux guitars, une batterie, une basse, et Cédric Appietto dont la voix vous met en appétit. Grand, à l'aise mais pas frimeur pour deux sous. Guilty vous sert un rock calibré, équilibré, sans surprise, mais qui déménage. Se revendiquent – entre autres – du punk, mais ils sonnent comme un combo de base des années soixante, tout est en place et tombe pile-poil. N'en font pas des tonnes, les morceaux se terminent abruptement et très vite ils passent au suivant. Insane, Dust, Get what you need, ce dernier très stonien, batterie ronflante, guitares assurées, basse avenante, le rock and roll dans toute sa simplicité et son efficacité. Une excellente entrée en matière. Un hors d'oeuvre qui vous met l'eau à la bouche.


JUNIOR RODRIGUEZ

& THE EVIL THINGS

 

Changement de matos ultra rapide. Très court conciliabule entre les guitaristes. Ça dure quinze secondes, mais vos oreilles se dressent, une demi-mesure de Dazed and Confused, et puis ça se perd dans les derniers gratouillages d'accordage. Regards circulaires. Terminé. La féérie commence.

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Un froissement de gazelle, une écharpe de soie, un suintement d'extase, c'est quoi, c'est qui ? C'est Junior Rodriguez et sa guitare. Comment fait-il ? Je n'en sais rien, à peine si ses doigts frôlent les cordes. En tout cas elles chantent la rhapsodie du désert et le cri des engoulevents qui engouffrent le vent tout là-haut. Another Time, Another Place, nous voici transportés en un pays magnifique du temps où les guitaristes ne grattaient pas comme des sauvages mais peignaient des paysages oniriques. L'est beau comme un ange, avec ses cheveux noirs qui enserrent la finesse de son visage de poète romantique, pieds nus sur la terre sacrée du rock. L'esprit totémique du rock plane sur nous. Rouge indien des rêves de survivance et bleu-noir des nuits massacrées. Peut-être est-ce pour cela que certains qualifient sa musique de psychédélic.

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N'est pas tout seul. Yani Lotta ( shakin' goin' on ) est à la basse. Serait-il dans un autre groupe, vous demanderiez pourquoi le soliste n'a que quatre cordes. L'est une symphonie à lui tout seul. Fournit une somptueuse noirceur sur laquelle el Junior tisse ses mélopées incendiaires. Feust Light allume le feu de sa guitare de l'autre côté de la scène. Si j'étais lui, me ferais du mouron, quoi dire de plus que Junior ? Ben non, intervient sans arrêt, fait le lien entre le lead guitaro et la section rythmique. Fournit de l'épaisseur au son. Lui donne même du sens. Ne s'agit pas de faire de la jolie musique, l'ange a les ailes qui touchent le soleil, et même si la cire icarienne ne fond pas, le palmipède baudelairien doit avoir les pieds dans la boue du delta. Sinon, ce n'est plus du rock.

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Fred ( whole ) Quota ( love ) est là pour le rappeler, il suit mais n'est pas suiveur. L'est l'ancrage au sol qui permet l'envol. Vont jouer une malheureuse petite heure, n'avez même pas le temps d'intégrer toutes les subtilités. Instrumentation d'une richesse inouïe. Dali was a liar, interprètent-ils, s'ils le disent ce doit être vrai, mais eux-mêmes projettent des schèmes oniriques de toute splendeur. Something You'll Never See, et vous ne pouvez qu'acquiescer, à cette musique qui s'infiltre derrière vos rétines et vous montre l'envers du décor qui se révèle encore plus beau que la réalité.

Et toujours cet impalpable toucher de corde, comme si c'était l'esprit qui jouait à la place de ses doigts. D'ailleurs souvent Junior lève son fétiche instrumental bien haut, comme une offrande aux étoiles pour qu'elle résonne du vide interstellaire des consciences. La passe derrière sa tête et la présente aux amplis. La lyre d'Orphée qui continue à chanter malgré la disparition du poète. Turn On The Light, car il faut ouvrir les portes de la perception pour accueillir le Sweet Demon. Le sucre de la vie et l'eau saumâtre du Mississippi quand les barrières cèdent.

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Heavenlips, un de leurs premiers morceaux en début de set, gorgé de foutre et de sperme, une envolée lyrique qui a fait rugir de plaisir le public agglutiné sur le devant de la scène. Le rock avec une dimension supérieure, celle de l'artiste œil limpide de l'univers, n'ont qu'à refermer leurs paupières en fin de show pour que leur présence se transforme en absence dérélictoire. N'en ai pas parlé, mais Junior se charge aussi du chant, voix qui colle parfaitement à ses morceaux et en souligne la multiplicité interprétative.

Un petit regret, j'eusse aimé qu'ils glissassent un petit stoner rock de derrière les fagots juste pour entendre la perfection des guitares. Perso, si je montais un groupe de rock, je commencerai par brûler la camionnette de Junior Rodriguez & The Evil Things, manière d'éliminer la concurrence dans le voisinage. Ce serait trop tard, ils ont déjà été repérés par la presse anglaise.

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CHATEAU BRUTAL

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Troisième et dernier groupe. Difficile de trouver un meilleur groupe que Junior Rodriguez et ses choses diaboliques. Alors ils ont pris le pire. Ce n'est pas une critique, simplement un choix esthétique. Le rock ramené à son plus petit dénominateur commun. Ne sont que deux sur la scène. Un géant mastoc à la barbe noire de pirate à la guitare, se prénomme Cusmar Brutal, et un grand viking dégingandé, chevelure rousse à boucles flamboyantes, bientôt torse nu, le dénommé Chateau Brutal. Aux drums et au micro. C'est Cusmar qui chante mais c'est Chateau qui bonimente.

Evitons les amalgames. Si vous pensez déguster un château Margot entre amis bien élevés, en discutant de philosophie, passez votre chemin. Chateau Brutal c'est plutôt le genre bar à bière et plaisanteries bien grasses. Du rock and roll, ils n'ont retenu que deux composantes essentielles : le rentre-dedans et la provocation; attention pour la subtilité des propos vous repasserez. Ne connaissent que le premier degré.

Tout devant et rien derrière. Scénographie des plus simples : Cusmar vous tire du plumard vite fait, un riff des plus simples à fond répété deux cent cinquante fois, des paroles auprès desquelles les lyrics des Ramones atteignent à des fragrances proustiennes, et puis des rouquinades de batterie pulvérisantes destinées à vous hacher la cervelle aux petits oignons frits dans de la graisse de mammouth.

Quand c'est fini, ça recommence. A part que ce soir le diable s'en mêle. Rien de plus terrible pour un guitariste qu'une guitare qui ne produit aucun son. Une fois, l'on en rigole, deux fois l'on rappelle la malédiction des Dardanelles, trois fois le batteur nous fait un numéro, encore plus vite, encore plus fort, encore plus violent. A ce rythme-là, va nous péter une durite cardio-vasculaire. Heureusement qu'il possède un instrument de secours. Sa bouche. Grande gueule qu'il utilise pour des vannes de troisième mi-temps d'équipe de rugby du grand sud-ouest. Pour être plus près de la vérité sportive, niveau fan hardcore du Paris Saint Germain ( qui désormais ne priera plus pour nous ). Le public rigole, comme quoi quand l'on vous chatouille dans le sens des poils du cul, cela fait toujours plaisir.

Au dixième essai, Cusmar dégoûté jette sa gratte à terre. Pas de panique l'en a une seconde. Et c'est reparti comme en quatorze pour l'attaque de la tranchée, obus de grosse Bertha à la batterie, et baïonnette au fusil pour la guitare. Et le combat cesse faute de combattants. Bis repetita non placent. Cusmar commence à s'énerver. Chateau Brutal vous prend de petits airs de château branlant. Brutal le châtelain se marre, l'invite les amis au micro. C'est Adel qui s'y colle et nous avons droit à un étrange falsetto ultra rapide sur tempo de batterie dynamite.

Cusmar a trouvé le coupable. L'a jeté sa deuxième scie mécanique, repris sa première et fini par accuser le jack. Son compère en profite pour lancer de ces plaisanteries qui ne sucent que si l'on s'en sert, ce qui a le miracle de détendre l'atmosphère. Je vous épargne le chapelet de jurons qui marche avec.

Guilty so What ! Se dévoue et leur passe une guitare pour les trois derniers morceaux. Miracle elle fonctionne et Cusmar n'aura pas besoin de la projeter violemment sur les deux précédents cadavres. J'ai oublié de préciser qu'au tout début du set il s'était déjà débarrassé de sa pédale. ( Ouah ! Ouah ! Comme disait mon chien Zeus ). Terminent comme ils ont commencé par du rentre-dedans à la mord-moi le noeud vite et bien. Finissent acclamés par la foule. Rescapés de la Méduse du rock and roll qui fluctuat nec mergitur. Faut bien un peu de sapience latine pour faire passer ce rock primaire revendiqué haut et fort. Bruiteux et sympathiques.


RETOUR

A onze heures et des poussières le concert est révolu. Je m'éclipse après un dernier salut à Adel. Merci à la teuf-teuf qui m'a ramené toute seule à la maison. Me suis écroulé après avoir avalé l'autre moitié de la ration annuelle du Pelvis. Apparemment j'ai survécu, après cette soirée russo-montagnarde. J'aurais bien mis Junior Rodriguez & the Evil Things en fin du spectacle, mais l'orga en a décidé autrement. L'after punk hardcore possède ses limites qu'il revendique fièrement. Signe des temps d'une société qui naufrage sous nos yeux et qui n'a plus la volonté d'édifier des pyramides de rêves. Juste marquer le tempo de son anéantissement.

Damie Chad.

 


MICK

SEX AND ROCK'N'ROLL


CHRISTOPHER ANDERSEN

( JC LATTES / 2012 )

 

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Les cinquante ans de carrière des Rolling Stones ont suscité bien des livres. Spécialiste de la famille royale ( God save the queen, she's a fascit pig ! ) Christopher Andersen a voulu enfoncer le coin, là où ça fait le plus mal. S'est donc fendu d'une autobiographie unauthorised de Mick Jagger. Non autorisée, l'appellation est classieuse, tout de suie vous êtes classé parmi les irrévérencieux, les esprits libres et forts. Je ferai simplement remarquer aux lecteurs de KR'TNT ! que toutes les chroniques qu'ils lisent avec une sublime délectation sont totalement unauthorised. Ne nous emballons pas donc si vite.

S'attaquer à Mick Jagger n'est nullement dangereux. L'homme a acquis une telle célébrité qu'il est au-delà de tout reproche. Se situe à un tel stade de représentation phantasmatique que l'eau de vaisselle la plus sale versée à pleines cataractes sur ses lèvres lippues n'est qu'un additif ruisselet de plus aux ondes tumultueuses qui font tourner le moulin de sa renommée. Peut dormir sur ses deux oreilles, il n'ira jamais trop vite.

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Fallait donc accrocher le lecteur français, conscient que cette bio de Jagger rédigée par un tiers ne ferait pas le poids face à l'Autobiographie – qualifiée de sulfureuse par la presse unanime – de Keith Richards, l'éditeur a transformé le titre anglais original The Wild Life and Genius of Jagger en Mick ( tout de suite, vous avez l'impression de faire partie de ses intimes ) suivi de Sex and Rock'n'Roll. Ce second mot garde encore pour le public français une connotation tant soit peu maléfique, mais c'est le vocable sex qui tout de suite vous pénètre les synapses avec la force dévastatrice d'un troupeau d'éléphants dans le Musée de la Porcelaine de Limoges.

Evidemment le bouquin cause de rock and roll. Ce n'est pas le sujet principal : celui-ci serait plutôt la personnalité de Jagger. Andersen nous conte la carrière des Rolling Stones, disque par disque. Et la saga des tournées qui les précédèrent et les suivirent. Mais plus on avance dans la discographie, plus il délaisse l'idiosyncrasie de chaque galette pour s'intéresser aux ventes des albums et aux millions de dollars récoltés par les Stones. Z'auraient mieux fait d'intituler le book, Mick, l'argent et le rock'n'roll. Malheureusement, tout le monde le sait, si l'argent fait rêver, il ne fait pas vendre. L'est sûr que les chiffres sont vertigineux et que Mick Jagger se retrouve à la tête d'une fortune qui tourne autour d'un milliard et demi de dollars.

Le pire c'est qu'avec cet avoir monstrueux Jagger n'attache pas les banknotes avec des saucisses. L'est un peu radin, pas le genre de mec à vous laisser un gros pourboire, discute avec le taxi pour payer un ou deux euros de moins sur la course, rechigne pour régler la pension alimentaire de sa fille... Ce qui ne l'empêche pas de s'offrir de petits appartements un peu standing à cinq ou six millions d'euros...

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Ce qui choque un tantinet nos âmes pures de rockers, c'est que Jagger ne jette pas the money par la fenêtre, le garde jalousement, fait bien attention à ne pas se marier sous le régime de la communauté des biens, et pire, le thésaurise en placements dans l'immobilier et le cinéma. Mais arrêtons de jouer aux pauvres qui ne cessent de parler d'argent.

L'est quand même pour beaucoup dans le succès des Stones. Ses acolytes n'y sont pas pour rien non plus, mais ses déhanchements suggestifs, ses virevoltes infatigables attirent les filles. Ne sera pas le premier chanteur qui parvient à mettre nos jeunes demoiselles en transe. Mais il y a un plus, un truc inédit, pour parodier le grand timonier Mao Zédong, son influence agit aussi sur l'autre moitié du ciel. Les garçons ! Et ce ne serait pas un hasard. C'est là que nous avons droit à la monstrueuse révélation : la bisexualité de Jagger. Et Andersen n'y va pas par quatre chemins lorsque le loup sort du bois : cite les témoins qui ont trouvé le Jag au lit nu comme un ver avec... vous cite quelques noms pour que vous ne saliviez pas trop longtemps : Keith Richards, David Bowie, Rudolf Noureev... et cite les preuves accablantes, la petite jupette blanche de Hyde Park, son goût inné pour les déguisements féminins, son côté yin aussi fort que son yang...

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Pourquoi pas, après tout tout le monde est libre de faire ce qu'il veut avec son corps. Et celui des autres, à condition qu'il y ait consentement réciproque. Le problème ( manière de causer ) avec Jagger c'est que durant un demi-siècle, elles vont être des milliers à consentir. Si possible des mannequins, des super nanas à gogo. Ce qui n'exclut pas les inconnues. Les consomme une à une et comme dans les supermarchés par lot de deux, trois, quatre... Sans compter les nuits d'orgie en totale mixité. A tel point que son épouse Jerry Hall, mille fois cocufiée et vexée, en vint à lui conseiller de consulter psychiatres, psychologues, et même les assemblées d'addicts sexual... Much ado about nothing aurait dit Shakespeare qui s'y connaissait en mégères apprivoisées... Pour les cu(l)rieux de nature, Andersen dresse avec soin la liste des conquêtes du compère. Une vie sentimentale agitée.

Les veut toutes, surtout si elles sont maquées avec un autre chanteur de rock. Pas d'équivoque il se présente comme le mâle alpha. Un trait typique de son caractère. N'y a pas qu'avec ces dames qu'il se comporte en maître. Circonstances aidant, il s'érige en chef incontesté et incontestable des Stones. C'est lui le patron qui signe les contrats et assure les affaires. Comme l'argent coule à flot, personne ne se plaint. Même Keith, qui a un sérieux consensus à régler, lui reconnaît cette qualité de businessman avisé. L'est le premier à déclarer que l'on ne change pas un Président Directeur Général qui fait pleuvoir le fric dans les caisses, telle la pluie d'or voluptueuse de Zeus entre les cuisses de Danaé...

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N'est pas hypocrite, le Mick, ne se cache pas, il aime l'argent et les filles. L'en profite à foison et à toison. Refuse le mariage, Bianca parviendra à l'alpaguer parce qu'elle lui ressemble, enfant gâtée qui sait se faire désirer, mais pour le respect et la fidélité de Mick, elle pourra repasser. Ce sera inutile. Bye-bye fillette, j'ai autre chose à baiser. Le Mick ne donne pas dans les grands sentiments. Il utilise les gens et les rejette sans pitié et sans regret lorsqu'il décide de grimper à l'échelon supérieur. Les différents managers des Stones en feront la triste expérience, ne sont même pas remerciés : du jour au lendemain ils n'existent plus. Brian Jones un des fondateurs du groupe sera mis sur le banc de touche dès qu'il deviendra un caillou dans la mécanique bien huilée du succès.

Pire, il sait aussi retourner sa veste. Entre 1965 et 1968, Jagger présente les Stones comme l'avant-poste critique de sa génération. Sont des rebelles qui s'opposent au système. Des Street Fighting Men. Belles rodomontades, tout cela pour finir par se faire médailler par la famille royale à Buckingham Palace... Même Keith ne se gêne pas pour le critiquer vertement. Révolutionnaire dans sa jeunesse, parvenu la quarantaine affichée, s'acoquine à la gentry la plus réactionnaire ( notamment le milliardaire Donald Trump qui est en train de briguer le poste de la Présidence des Etats Unis sur des positions conservatrices très fachisto-libérales ), l'est devenu un personnage essentiel de la jet-set...

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L'animal possède des qualités. Dynamisme et clairvoyance. S'accroche, ne se laisse pas rebuter par les obstacles. You Can't Always Get What You Want, est un titre des Stones, Jagger a su le transcender. Quand il désire quelque chose, se donne les moyens pour y parvenir. Trois ans qu'ils ne sont pas partis en tournée, trois ans de fêtes et d'excès ininterrompus. Le Jagguar descend de son arbre sur lequel il se pavanait tel un pacha. Le show must goes on. Avec lui. S'applique, régime et sport. Si nécessaire il prend même des cours de danse. N'a pas honte de prendre un coach pour lui enseigner les chorégraphies qu'il a mises au point des années auparavant pour occuper le devant de la scène. Entendez le rire sardonique de Keith qui ne peut se retenir de mépriser son camarade...

Les Stones sont immortels ( c'est ce que les fans assurent ) mais les membres n'en sont pas moins soumis aux doléances de l'âge. Ces dernières années Jagger ferait moins souvent le beau devant les demoiselles. Lui dont toutes les amantes ont vanté les prouesses et le savoir-faire érotique, se confronte à une terrible réalité : les jeunes filles le trouvent sympathique et séduisant mais elles traversent moins souvent le Rubicon du sexe, il pourrait être leur grand-père pouffent-elles entre copines. Phrase porteuse d'une amère philosophie ! Après dix-huit ans l'a divorcé de Jerry Hall mais n'arrête pas de lui rendre visite. Pour les enfants. Qui commencent à atteindre la trentaine. Jerry compatissante décèle une grande solitude.

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Difficile d'être quand on a été. L'a même essayé d'exister tout seul sans les Stones, y a cru un moment. Mais l'a dû déchanter. Les gens aiment le son des Stones. Se foutent du Jagguar qui miaule tout seul sur sa branche. S'entoure des cadors de son époque ou des fils de pour paraître plus jeune, rien n'y fait personne n'en veut.

Mick s'est toujours défendu d'avoir touché à la drogue. Déclare qu'il n'était pas fait pour cela, un petit joint par ci par là, un mandrax pour essayer, un LSD juste du bout de la langue, aucun mérite susurre-t-il, ce n'est pas son truc. Mais dans le bouquin Andersen nous le présente comme la reine des neiges, toujours en train de renifler... l'a su tirer les leçons de son emprisonnement de jeunesse. Inutile de folâtrer sous la gueule du Léviathan étatique en colère.

Mais il est temps de laisser la parole à ceux qui l'ont le mieux connu, sa mère qui jusqu'à sa mort, harcelée par les journalistes décidés à lui arracher un commentaire sur les frasques de son fils, prit toujours sa défense et lui trouva sans cesse des excuses. Son père, professeur de sport qui l'éleva à la dure. Des pompes tous les jours. Même aux premiers temps de la formation des Stones, il ne le laisse rejoindre Keith et Brian que s'il a d'abord effectué ses mouvements... Une discipline de fer qui finit par porter ses fruits si l'on en juge par la réussite du rejeton.

Un Jagger qui ne sort pas grandi des ces pages. L'est sûr qu'Andersen instruit à charge. Mais en gros, l'itinéraire de l'artiste est assez bien saisi. Comme Jagger a déclaré à plusieurs reprises qu'il s'interdisait d'écrire sa propre autobiographie, le travail d'Andersen se révèle quelque part utile. De toutes les manières, le fan de base – j'en suis un – balaiera tout cela d'un revers de main. Pacotille quand l'on écoute Paint It Black ou Time Is On My Side... et si on y réfléchit un peu, l'existence d'un Baudelaire est assez terne quand on la compare à la splendeur des Fleurs du Mal. J'ai même l'intuition que le divin Charles aurait troqué sans hésitation son train-train quotidien contre celui ô combien plus coloré de Mick Jagger. Moi aussi. Sex, drugs and Rock and roll, quand on y pense, ce n'est pas si mal que cela !

Damie Chad.

 

LE LIVRE DE THOT

ALEISTER CROWLEY


Traduction : PHILIPPE PISSIER


( Editions : ALLIANCE MAGIQUE / 2016 )

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Jimmy Page est un homme charmant. Demandez-lui quelques renseignements sur les rééditions de Led Zeppelin et il se met en quatre pour vous fournir toutes les explications nécessaires. Revient longuement sur les conditions originelles des enregistrements et vous décrit par le menu le travail de reviviscence audio-thérapeutique qu'il a effectué avec un soin maniaque... Vous en profitez pour glaner quelques renseignements inédits sur ces jours heureux où le Dirigeable dominait de sa puissance le monde du rock. Mais attention, l'homme reste secret. L'est des moments où les heaven's gates de la connaissance se ferment hermétiquement si vous tentez d'en savoir davantage sur ses accointances passées avec l'œuvre d'Aleister Crowley. Les journalistes se taisent prudemment et évitent les questions qui gênent et fâchent. Ne se demandent même pas si ce mutisme obstiné ne correspondrait pas au silence de l'Adepte.

Ceux qui veulent en savoir plus n'ont qu'à directement puiser à la source des écrits d'Aleister Crowley. En reviennent la plupart du temps complètement dégoûtés. Faut un sacré bagage – bien supérieur aux maigres mallettes pédagogiques dispensées par nos institutions scolaires – pour goûter aux textes du Mage. Jeux de mots, obscures allusions et assertions biaisées abondent, encore faut-il posséder quelques rudiments de sciences occultes pour comprendre la démarche de ces arides traités quelque peu rebutants...

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Toutefois nous possédons en France, un talentueux traducteur en la personne de Philippe Pissier. Voici plus de vingt ans qu'il a entrepris la passation de l'oeuvre crowleyenne en douce langue françoise. Pas le beau style stérile de Flaubert, plutôt la sapience celée des proses rabelaisiennes. Nous renverrons par exemple le lecteur à notre chronique 162 de KR'TNT ! du 07 / 11 / 2013.

Le Livre de Thot est un des derniers ouvrages d'Aleister Crowley, il parut en 1944 mais la publication ne fut pas à la hauteur de l'entreprise. L'édition française de Philippe Pissier est la première qui ait pris souci de remédier à ses inconséquences. Les lecteurs de langue anglaise qui voudront accéder à un texte débarrassé de ses scories n'ont plus qu'à apprendre le français...

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Avant d'ouvrir le livre, penchez-vous sur l'illustration de la couverture. Elle est due à Frieda Harris à qui Crowley attribue le titre d'Artiste Exécutante. Elle fut la dernière compagne du magicien. C'est elle qui en effet peignit et confectionna sous les directives de la Grande Bête les vingt-deux images des atouts du Tarot, dont le Maître explique la signification dans son livre. Au vu de la somptuosité de cette première illustration il est dommage que dans le bouquin les vingt deux icônes tarotiques nous soient hélas transcrites en noir et blanc. Mais que le lecteur ne désespère pas : suffit d'allumer votre internet et de taper le nom de l'artiste pour les voir en couleur.

Le texte est beaucoup plus ardu que la contemplation des réalisations picturales de Frieda Harris. Deux principes aideront le néophyte à en percer les arcanes. Le premier est abondamment explicité par l'auteur : la grille interprétative du tarot est avant tout numérologique. Ce qui n'exclut aucune synesthésie avec tout autre mode d'appropriation intellectuelle. Mais il est clair que nul n'y pénètrera s'il n'est d'abord géomètre. Ne s'agit pas de calculer la surface de la terre ou de l'univers mais d'en tracer un plan numérique imperfectible. Selon Crowley, le tarot est une cartographie du Tout calquée sur l'arbre de vie et séphirotique de la qabale. Dix Nombres et les sentiers qui permettent de naviguer de l'un à l'autre. Vingt-trois chemins ( je sais vingt-deux, mais c'est sans compter l'absente de tous bouquets mallarméenne ) – 23 le chiffre éristique de la destruction – qui issus du Rien expriment le tout. Comme quoi l'Un unique et unitaire est la conséquence du vide et le vecteur dérivatif de toutes multiplications et divisions. Vision très schivaïque quand on se donne la peine d'y penser. La qabale puise ses sources dans la gnose hébraïque mais elle a été méchamment pollinisée par l'apport grec ( orphisme, mythologie, platonisme, pythagorisme ) et la gnose chrétienne.

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Le deuxième principe, Crowley ne l'explicite pas, il l'expérimente sans fin. Un lecteur non averti est vite submergé. N'emploie que des symboles qui dérivent vers d'autres symboles. Défilent sous les yeux hagards de l'élève des renvois incessants à toutes les cultures religieuses. Pour ne pas se perdre, il est nécessaire de garder en tête la simple idée que tout symbole est réversible. Exemple de bas étage : le lion symbolise aussi bien la bravoure du chevalier qui défend la veuve et l'orphelin que la force despotique du tyran assoiffé de sang et de rapines. Si vous ne parvenez pas à comprendre la relation d'égalité entre le personnage du Christ et le poisson du premier avril, il vaut mieux que vous ne continuiez point votre lecture. L'évidence doit vous sauter aux ou dans la poêle à frire. Si vous accrochez à l'hameçon de cette devinette égalitaire, engouffrez-vous dans le texte, jetez vos filets, ils seront aussi pleins que celui de Pierre, au fond de l'eau.

Vous reste maintenant à interpréter le sens global du texte. Pour les esprits pratiques, c'est facile ( enfin tout est relatif comme disait Einstein à qui Crowley fait de fréquentes allusions ). Vous avez tout ce qui faut pour devenir une gitane diseuse de bonne aventure. Les notices explicatives de chaque carte vous sont fournies dans les dernières cent pages. Achetez vous une robe à falbalas, mais surtout n'oubliez pas les rituels. Faut les apprendre par coeur. Et oui, ça se corse comme l'on dit sur l'île de beauté.

C'est que voyez-vous le tarot selon Aleister Crowley n'est pas un jeu de bonne société. Tout geste – et surtout les rituelliques – ont une action sur l'ordre du monde. Pas obligatoirement néfaste. Demandez à Gérard de Nerval dont le fameux sonnet peut être lu comme la simple description des arcanes majeures d'un jeu de tarot. Mais peut-être en ai-je déjà trop dit. Cela vous aidera sans trop d'efforts à comprendre le silence de Jimmy Page.

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Un livre essentiel. Faites attention, ne vous précipitez pas. L'abîme est profond.

Damie Chad.

27/01/2016

KR'TNT ! ¤ 266 : BRIAN JAMES / MEGATONS / STEVEN TYLER / CHARLES MINGUS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN'

TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 266

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

28 / 01 / 2016

 


BRIAN JAMES / MEGATONS

STEVEN TYLER / CHARLES MINGUS
 

LE HIPSTER / ROUEN ( 76 ) / 21- 01 - 2016

BRIAN JAMES GANG


BRILLANT JAMES

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L’histoire de Brian James commence bien sûr avec les Damned - bon souvenir - et se poursuit avec les Lords Of The New Church - moins bon souvenir - mais sa carrière solo, comme on dit dans la presse, s’inscrit dans la lignée du premier album des Damned.

Brian James et Wayne Kramer ont un sacré point commun : rescapés de deux groupes majeurs du XXe siècle, ils se sont lancés par la suite dans une traversée du temps et des modes en solitaires. Comme Brian, Wayne a su honorer nos oreilles de très beaux albums souvent dignes de ceux des Damned ou du MC5. Tous les deux sont par la force des choses redégringolés dans l’underground, et il se pourrait que leurs derniers fans fassent partie de ceux qui étaient les premiers, ce qui est souvent le cas dans ce genre de configuration. Par la force des choses, Brian et Wayne drainent un public de gens fidèles qui vont probablement disparaître avec eux. Brian et Wayne ne rempliront jamais Bercy. Ils laissent ce privilège aux arrivistes. Et c’est tant mieux. Quoi de plus horrible que cette salle de Bercy ?

En 1990, Brian James faisait déjà partie des laisser-pour-compte, puisqu’il se retrouva sur New Rose. Patrick Mathé avait à l’époque une âme particulièrement charitable, puisqu’il recueillait sur son label tous les bras cassés de l’histoire de rock et leur offrait une chance unique de relancer leur carrière. Dans cette horde de malheureux se trouvaient des gens du calibre de Chris Bailey et d’Alex Chilton, de Johnny Thunders et de Jeffrey Lee Pierce, de Chris Spedding et de Roky Erickson, de Tav Falco et de Moe Tucker. Les gros labels n’en voulaient plus.

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Ce premier album sur New Rose est solide, car Brian avait une idée précise du son qu’il voulait sortir, qui était bien sûr le son du MC5. C’est ce qu’on entend dans «The Twist», on y retrouve ce son si particulier d’accords plombés et de petites incursions acides. Pas de problème, c’est bien dans l’esprit, Brian connaît le secret des belles remontées à la surface. Il a une autre obsession, comme d’ailleurs tous les guitaristes anglais de sa génération : la stonesy. «Slow It Down» somme comme l’hymne des dandies de la stonesy. On voit bien que Brian a adoré les Stones. On trouve une autre trace d’influence majeure dans «Another Time Another Crime» : celle de Dylan, Dans les couplets, Brian ramène les inflexions du cauchemar psychomoteur. On tombe en face B sur «Ain’t That A Shame», un joli classique et c’est là qu’on reconnaît la patte d’une star du rock anglais, à travers cette merveilleuse facilité à ficeler une cover de grand standing. Il traite ça avec une légèreté qui relève plus de l’élégance que de l’arrogance. On trouve plus loin deux autres gros cuts, «You Try», insidieux dans la démarche et bien cocoté, et «Polka Dot Shot», un heavy mid-tempo à l’Anglaise.

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Brian va ensuite tenter de monter des groupes à vocations légendaires, comme par exemple Dripping Lips ou les Racketeers avec - comme par hasard - Wayne Kramer. C’est Jimmy Miller qui produit l’album des Dripping Lips, sorti sur Alive, le label d’un autre sauveur de légendes en mal de contrat. Grosso-modo, Patrick Boissel et Patrick Mathé ont fait le même genre de travail de sauvetage, de part et d’autre de l’Atlantique. On trouve sur l’album des Dripping Lips une pure stoogerie, «Damn You». Back to the Damned sound ! On a là en effet une fantastique évanescence damnique. On sent en Brian l’amateur de petites fournaises indicibles. Ses départs en solo sont proprement stoogiens. Rien d’aussi dépravé que ce jeu extatique. «Never Too Old» est aussi claqué à l’accord stoogien. Brian ne fait pas dans la dentelle. Robbie Kolman chante avec une petite hargne et on entend ce fauve de Brian partir en vadrouille dans la jungle. Quel prédateur ! Belle pièce aussi que ce «Powerful» d’ouverture ! Brian nous zèbre ça de coups malveillants. Comme toujours chez lui, c’est solidement visité. On retrouve la fine mouche sur cette espèce de boogie-blues qu’est «You Treat Me Too Kind» et «Hell Girl» sonne vraiment comme un vieux hit des Damned.

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L’album des Racketeers est encore meilleur. Brian et Wayne se partagent les morceaux, mais curieusement, ce sont ceux que signe Brian qui accrochent le mieux. C’est lui qui ouvre le bal des vampires avec «Chewed». Il allume ça aux flammes de l’enfer et place un killer solo d’ambivalence expectative. Brian revient plus loin avec «Trouble Bones», un heavy stomp garage à la Thirteen Floor Elevators. C’est incendié sur les pourtours de la pourlèche et chanté aux chœurs de soudard avinés. Franchement, Brian se conduit comme un prince répudié, empreint d’une certaine décadence. Il revient plus loin pour jouer la carte de l’insidieux avec «Tell A Lie». C’est un sacré renard. L’autre cloche de McKagan fait les backing vocals et l’ami Wayne part en solo liquidifié d’exaction patibulaire. Il retrouve là ses apanages de killer suprême. Brian reprend plus loin le leadership pour «I Want It» - Oooh baby - Il chante comme un Dorian Gray désarticulé. Il devient extraordinaire d’assise moribonde. Il s’étale dans le bullshit going down et gratte un solo de dingue dans un climat de want it en suspension. Il continue son festival avec «Blame It». Il démontre que l’Anglais reste supérieur en tout. Sur ce disque, c’est Brian qui ramène la viande - Blame it on the mountain/ Blame it on the sea/ Blame it on the sunrise, but don’t blame it on me - et il passe un solo d’apocalypse. Hélas, les compos de Wayne et de son copain Brock Avery ne fonctionnent pas. Par contre, celles de Brian sonnent comme des classiques. Il boucle avec «I Fall» et un «Ooh Baby» qui est un véritable coup de génie. Brian y touille une stoogerie sur fond de chœurs extraordinaires. Voilà un disque dont on ressort groggy, c’est sûr, mais aussi à quatre pattes.

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Autre disque terrible : «The Brian James Gang» sorti en 2007. Il attaque avec un «Catch That Bird» terrifiant. Le son est là. Il joue avec des ongles peints en noir et règne sur l’empire du rock anglais comme au temps du premier album des Damned. D’ailleurs, «Bad Boy» pourrait bien figurer sur ce premier album. C’est du garage punk à la dérive qui se cogne dans les murs et qui ne marche pas droit, balayé par le bourdon sonique d’un riff tiré à la note méchante. Brian James a toujours su créer les conditions du génie ratiboiseur. Il claque un solo dément dans «Green Worms» et on revient au riffage d’exaction majeure avec «Nurse». Terrific ! - Yeah I’m a nurse - Encore un cut digne de figurer sur le premier album des Damned. Il sème la confusion sur toute la plaine et l’enflamme à coups d’incursions délibérées. Il pousse des petits cris qui en disent long sur son talent de harpie - Oooouh stick it up - Franchement, c’est à se damner pour l’éternité. Brian James est l’un des joyaux de la couronne d’Angleterre. Plus loin, il claque «Time To Go» d’entrée, alors forcément, ça part en vrille définitive. Il nous barde ça d’accords de blitzkrieg et troue le mur du son de solos incendiaires. Trop de son. Trop de panache. Trop d’éclat. Il en fait beaucoup trop.

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Pour les gens qui ont besoin de laisser reposer leurs oreilles, «Chateau Brian» est un disque idéal. Brian joue acoustique et il ne se passe pas grand-chose sur l’album. Il gratte un peu de blues et se fait insistant sur «Somethin’ Floatin’». Il a raison, c’est une façon de rester vivant. Quand on écoute «Starin’ At Me», on réalise soudainement que cet album n’est pas l’album du siècle. Son «Such A Lot Of Stars» sonne comme l’un de ces vieux balladifs de rockers, ridicules et insupportables.

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Par contre on se réveille en sursaut avec «Damned If I Do», un album paru en 2013. Parce qu’il y reprend son vieux «New Rose», mais sur fond d’apocalypse. Il faut imaginer l’un des hits majeurs du XXe siècle complètement saturé d’énergie électrique. C’est insurpassable et complètement soniqué du ciboulot. Il enchaîne avec «Born To Kill», certainement le cut le plus insidieux de l’histoire du rock, l’un des plus dévastés de l’intérieur. Il joue ça à la rampette lysergique, la pire qui soit. On retourne en enfer avec «Sick Of Being Sick», encore un cut explosif comme pas deux. Son «Alone» est gratté aux power-chords de l’ancien temps. Encore une stoogerie gorgée de jus jaune. Brian James semble jouer son va-tout depuis quarante ans, mais avec une classe écœurante. Son cut se noie dans des nappes de trucs bruyants et la bienséance qu’il affiche a quelque chose de dérangeant. On retrouve aussi le fatidique «I Fall», posé sur un beat à moitié décidé et tous les fans des Damned vont se régaler du retour de «Fan Club», qui fut autant que les autres classiques un cut de rêve - Form a fan club ! - Brian le pleurniche dans sa fournaise bienheureuse, c’est joué dans la désaille des Damned, dans la convalescence d’accords décavés, on retrouve ce goût des Damned pour la déroute magnifique, on se laisse cavaler dessus - Form a fan club ! - Pure genius ! Et bien sûr, avec «Neat Neat Neat», il allume la mèche qui conduit à la sainte-barbe. Alors on saute.

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Infatigable, Brian revient au bloody blast avec «The Guitar That Dripped Blood», un autre disque terrible. Ça démarre évidemment sur une pure stoogerie, «Becoming A Nuisance». Cheetah Chrome participe à la curée. Ces mecs sont complètement fous. Ils sortent le cut que les Stooges n’ont pas réussi à sortir sur leur dernier album, «The Weirdness». Encore une belle fournaise avec «The Regulator». Brian connaît toutes les ficelles du rock incendiaire. Il sait bricoler un riff malveillant et remplir un son jusqu’à la gueule, comme un canon de flibuste - It’s the regulator ! - «Not Invited» est sacrément bien déboîté du bénitier. Brian reste dans le gros son d’efficacité maximaliste. Il sait noyer un cut dans la fournaise outrancière et larguer des chorus qui se perdent dans des clameurs. Et voilà «Hindsight», stoogy en diable, sabré aux riffs acides et porte ouverte à toute forme de dérive. La musique de Brian James court sur la lande comme une langue de feu. Il renoue avec la vielle violence garage pour «Baby She Crazy». Il nous stompe ça dans l’estomac des civilisations. Il se fait aussi virulent que les Them de Van Morrison. Il rapatrie pour l’occasion toute la folie du british beat. Il termine avec «Mean Streak», un heavy groove d’allure positiviste.

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Bien sûr, tout ça prend des proportions hallucinantes sur scène. Et pourtant, Brian n’a plus l’éclat de cette rock star entourée de courtisans qu’on aperçut backstage à Mont-de-Marsan, voici presque quarante ans. Brian était alors un type dont le regard incroyablement clair s’abritait sous une fange de cheveux noirs. Il portait du denim et franchement on ne voyait que lui. Comme chez tout un chacun, le temps a fait ses ravages et Brian débarque maintenant sur scène la bedaine en avant toute, en chemisette de touriste, coiffé d’un petit chapeau de romanichel et dès qu’il se met à chanter, on constate qu’il n’a plus les moyens d’aller chez le dentiste. Mais il s’en bat l’œil, il fait ce qu’il a toujours fait dans sa vie, il fout le feu à la baraque.

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Très vite, il ressort le vieux «Born To Kill» et il joue ça aux accords de doigts pliés comme au temps béni des arènes de Mont-de-Marsan. En trois morceaux, il reconquiert la France. Tout le monde sait que Brian James a inventé le punk anglais avec «New Rose» en 1976, et d’ailleurs, il le joue en fin de set, il en fait une version expéditive qui ne peut pas décevoir les fans de la première heure. Il reprend aussi «The Regulator» et cette horreur qui s’appelle «Becoming A Nuisance» qui sort de son dernier album. Tout est joué au mieux du smoking beat désorbiteur, dans l’esprit des Damned, c’est-dire de l’uptempo stoogy-MC5. Brian est encore aujourd’hui le gardien du temple, l’un des derniers prescripteurs de l’orgie sonique et pour asseoir définitivement sa suprématie, il revient en rappel expurger un «Neat Neat Neat» qui transforme les Rouennais en statues de sel.

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Signé : Cazengler, damné pour l’éternité

Brian James Gang. Le Hipster. Rouen (76). 21 janvier 2016

Brian James. ST. New Rose Records 1990

Dripping Lips. Ready To Crack ? Alive Records 1998

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Racketeers. Mad For The Racket. MuscleTone Records 2000

Brian James Gang. ST. Easy Action 2007

Brian James And Grand Cru. Chateau Brian. Troubadour 2012

Brian James. Damned If I Do. Easy Action 2013

Brian James. The Guitar That Dripped Blood. Easy Action 2015


3 B / TROYES / 18 - 01 - 16

MEGATONS

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Quatre heures du matin, la teuf-teuf soupire d'aise devant le portail de la maison. Mission accomplie. L'était garée devant le 3 B, elle a tout vu, et n'en revient pas. Les Megatons en font des tonnes, alors pour ne pas être en reste elle a appuyé à fond sur les pistons. Le moteur et les radars en fument encore. Au début lorsque Charlie a proclamé que c'était parti pour cinq heures, personne ne l'avait cru. Déclaration à classer dans les exagérations lyriques, en avait-on conclu. Moi encore plus que les autres. J'étais devant, le nez collé sur la setlist. Vingt-trois morceaux pour le premier set, vingt trois pour le deuxième. Ont tout éclusé méthodiquement, ne devait pas leur rester grand-chose.


TROIS

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Charlie gratouille sa guitare l'air distrait. Et satisfait de lui-même. Normal, l'est le maître du temps. « C'est reparti pour trois heures ! » annonce-t-il. Et puis la question qui tue. «  Vous voulez que l'on joue quoi ? » Le genre de truc(ulence) qu'il ne faut jamais demandé à un groupe de rockers chauffés à blanc par deux sets précédents. Tout le monde possède sa petite idée sur le sujet. Les doigts se lèvent et les propositions fusent. Inutile de se précipiter, ce soir, c'est groupe ouvert, jukebox à la demande. Avec exécution immédiate. Il y a ceux qui tapent dans le classique, Presley, Vincent, Holly, et ceux qui ont des envies de demoiselles enceintes et qui demandent après des minuits des gâteries hors-saison, par exemple Mister B qui tient à un Shan Romero, et d'attaque les Megatons nous servent un Hippy Hippy Shake à faire bondir jusqu'à la stratosphère les kangourous de l'Australie... L'on va en avoir des petites merveilles à foison, un Heartbreak Hotel concassé aux petits oignons, ceux qui vous tirent des larmes de joie au coin des yeux, une véritable invitation au chagrin tempétueux d'amour, immédiatement suivi d'un Mystery Train échevelé, avec la loco qui quitte les rails pour emprunter les sentes rocheuses fréquentées par les tribus apaches en état de rébellion armée.

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Et puis très vite devant l'assistance enfiévrée qui remue, jerke, rocke, dans tous les sens et dans tous les coins, en hurlant de joie, Charlie se montre un franc partisan du Do it Yourself, abandonne le micro aux volontaires. Moment de stupeur lorsque Jean-François, secondé par Gil à l'harmonica, s'aperçoit dès l'introduction terminée, qu'il ne connaît pas les lyrics de Be Bop A Lula ( un véritable crime contre l'humanité ), y a un grand silence, les Megatons pétrifiés, les mains inertes suspendues au-dessus de leurs instruments, petit rire nerveux de l'impétrant... Cris de déception et chuchotements de haine, qu'il soit maudit jusqu'à la soixantaine génération, mais stupeur et tremblement, il trouve la parade et nous livre la version la plus déjantée de l'hymne national des rockers que je n'aie jamais entendue de ma vie, en un globuleux yogourt bulgare agglutiné, et tout le monde accompagne en choeur le charivari, ce charivaran des îles Galapagos miraculeusement épargnées lors de la disparition des dinosaures.

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L'on ressort les antiquité du grenier : «  Celui-là je ne l'ai plus joué depuis l'âge de quinze ans » - ( comptez un tiers de siècle en plus ), « On le fait en mi, ou en sol ? », les Megatons improvisent sur le champ et sur le chant, Jerry trouve toujours un endroit pour planter ses banderilles de saxo, Didac joue au fildefériste sur les cordes de sa Goya, Charlie réécrit les paroles, Stéphane se réfugie auprès du bar pour écluser une bière, Lulu assure la rythmique de main de maître. Une ambiance foutraquement rock and roll. Les grands-pères lutinent les jeunes filles, les verres se vident à la cadence d'un pipeline au fond du golfe du Mexique. C'est Béatrice, qui survient les bras en croix pour rappeler qu'il est deux heures du matin, et qu'il ne faut pas plaisanter avec la maréchaussée, déjà que l'on a précautionneusement baissé les rideaux depuis un bon moment... Billy trouve la parade, l'est exactement deux heures moins sept, encore sept minutes pour monter au septième ciel, alors Jean-François se précipite sur le micro pour le blues final du lundi matin. C'est lundi psalmodie-t-il, avec les Mégatons qui assurent la dernière bille du billard électrique. Tilt. Game Over. Féérie pour une autre fois, comme dirait Céline.


DEUX

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Les Megatons n'aiment guère les temps morts. Avalent leur verre, mais la musique les rappelle, ne peuvent pas résister au chant des Sirènes. Deuxième set. Music maestros ! Lulu est au fond. Question batterie, si vous n'avez pas vu Lulu, vous n'avez rien vu. Impressionnant. J'en raffole mais lui rien ne l'affole. L'arrive à faire deux choses sur le même temps, l'une et son contraire. Il suit le mouvement et le précède. Pile à l'heure et un tour de plus. Lulu c'est le théorème d'incertitude d'Heisenberg revu et corrigé en apophtegme de certitude. Oui je peux être ici et en même temps légèrement ailleurs. Jamais en retard, jamais en avance, l'infinitésimale différence entre le lieu et le temps. Ici et pas maintenant. Avec ses accélérations foudroyantes. Vitesse et épaisseur. Se dépêcher est à la portée de tous, tout est question de volume à déplacer. Avec Lulu, c'est tout de suite imposant, les autres devant peuvent être tranquilles, lui il pousse et ne laisse aucun interstice pour que l'on puisse entrevoir l'improbable possibilité de souffler un peu. Les Megatons, ça pulse, et Lulu est à la manoeuvre. Lulu c'est de l'instinct intellectualisé, il agit sans sembler réfléchir ou être le moindrement préoccupé par la mise en place des gestes qu'il est en train d'effectuer, mais il a déjà le prochain roulement développé dans sa tête. Comme ces joueurs d'échecs qui voient plus loin que vous.

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Deuxième ligne. Dans l'île du milieu, Jerry. N'est pas seul puisqu'il est accompagné de son saxophone. N'empêche que ce soir, l'est un peu coincé, ne peut pas venir faire le beau toutes les dix secondes comme d'habitude quand il est sur une scène plus vaste. S'avancera bien de temps en temps, mais il restera relativement discret. Je parle de sa personne, pas de son saxophone. Le saxo de Jerry, c'est un peu comme les cocotiers sur les plages de Tahiti. Quand il n'y en a pas, il manque et l'essentiel et la couleur locale. La Cadillac sans les chromes c'est comme le camembert – produisons français - sans l'odeur. Le sable fin sans les vahinés. La vie sans la joie de vivre. Les Megatons ont bien un morceau dans leur répertoire sans saxophone, genre on peut le faire, mais on ne le refera pas. La technique de Jerry est d'une simplicité absolue. En théorie, parce que en pratique vous avez intérêt à vous accrochez. Le sax à fond et salto avant pour les interventions. Une traînée de poudre, la mèche qui flambe et qui part en flèche.

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Première ligne. Les trois guitares. Didac est à votre gauche. Mauvais poste à responsabilité illimitée. Se fade le boulot et personne n'a le temps de le remercier. Faut assurer le surfin'. Glisser sans s'arrêter. A une telle vitesse, un rien vous grippe la machine. Pas le temps de prendre des vacances entre deux riffs. Pour la simple et bonne raison, qu'il n'y a qu'un seul et unique riff par morceau. A développer tout du long. Ce n'est pas rock latitude mais longitude surfin'. Ni arrêt pipi, ni pose caca. Ne pas se prendre les doigts de pied dans les cordes du parasol. Car il faut jouer plus vite que son ombre. Alors le Didac il nous joue du dictaphone comme une dactylo surfin', un jeu super fin, serré, sans accoups turbo car il ne faut pas gâter la sauce.

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En plus il doit avoir une oreille directement branché sur la guitare de Charlie. Une rythmique diabolique, dévolue à son usage exclusif. Ce n'est pas de l'égoïsme mais sa guitare est le moteur auxiliaire de son phrasé. L'appui vocal dont il a besoin pour ouvrir les vannes des lyrics. Car une fois que c'est parti, rien ne l'arrêtera, c'est à Didac de construire les digues de soutènement pour orienter le flot de l'impétueuse rivière. Deux lignes de guitare affûtées qui encadrent la crème de la gaufrette. Very speedy cantos, quand Charlie est parti, c'est pas du riquiqui, donne l'impression de chantonner alors qu'il dégobille les lyrics à toute vitesse.

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Je serai moins disert pour Stephan, l'est engoncé dans un recoin et de là où je suis je ne le vois pratiquement pas. Et ne peux me livrer à mon jeu favori d'examiner le travail des artistes, la résolution fascinante des problèmes qui se posent à eux et surtout qu'ils se posent à eux-mêmes, leur magie d'oiseleur qui me permet de rêver à mon aise. Le Traité de la Chasse au Faucon comme Jean Parvulesco avait titré son deuxième recueil de poèmes. Mais nous reverrons un jour ou l'autre les Megatons et je ne le lâcherai pas de yeux.


UN

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Un plaisir rare. Les Megatons s'accordent. Des stridences qui fusent de tous les côtés, une guitare qui se cale sur le riff d'Apache et Lulu qui prend le tempo au vol. Trente secondes d'une version minimaliste. Minorée mais enchanterresse. C'est parti. Inutile de courir après, vous ne les rattraperez jamais. Z'ont la ribambelle de titres et d'originaux à décharger, et question déménagement l'on ne fait pas attendre le client, Live It Up, Wild Wild Party, Wild Man, Rollin' Pin Mim, pour les titres faciles vous mettez baby et wild, vous accommodez avec au hasard girl ou boy et vous avez le futur standard. C'est que le Surfin' est une philosophie musicale qui répugne à se prendre la tête. L'innocence adolescente de nos premières surprise-party in the sixties, mais revue à l'américaine. Du sable, du soleil, des filles, et du rock and roll. Surtout ne pas perdre son temps. Vivre vite, conduire vite, baiser vite, et surtout ne pas cocher la seule option irrévocable. Ne pas se vautrer comme James Dean dans un cercueil pour faire un beau cadavre. Vaut mieux draguer vite que mourir vite. Le surfin c'est la joie de vivre. Roméo et Juliette autant de fois que vous pouvez par semaine mais pas question de finir en une morbide apothéose shakespearienne. Un peu de drame, les sanglots longs des violons de l'automne, si vous êtes un romantique obstiné mais il ne faut pas que la tragédie dure plus de trois heures. Plus de trois minutes pour les puristes. Alors les Mégatons ils vous balancent les titres sans perdre de temps à respirer.

Suffit de se laisser conduire. Les voitures sont larges, les banquettes arrière confortables et le temps est au bonheur fixe. Nous filons sur l'autoroute – fin cinquante-début soixante – à part le méchant loup de la bombe atomique qui ne sortira pas du bois, les prédictions sont bonnes, du boulot pour tout le monde et crédit illimité pour la consommation de masse. La pollution n'existe pas, les problèmes trouvent tous leur solution, le monde est beau comme une pièce de dix dollars toute brillante, toute neuve. C'est l'arrière-fond, le background des Megatons. Musique hédoniste. Alcool, filles et surfin', que pourriez-vous espérer de mieux pour votre bonheur ? Peut-être de ne pas vieillir, mais cela est une éventualité tellement lointaine que l'on n'y pense pas. De toutes les manières l'on pense peu, mais l'on vit beaucoup.

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Les meilleurs – pas en qualité – les plus symboliquement significatifs, sont les instrumentaux dont ils émaillent leurs sets. Une parfaite bande-son, de l'époque, pas besoin de paroles, la musique parle d'elle-même. Juste quelques cris pour exprimer cette énergie galvanisante qui bout à gros bouillons dans votre sang. Une fusée de vif-argent. Les guitares qui caracolent, le saxo qui piaffe, et la batterie qui galope comme une troupe de mustangs en liberté. En plus ce soir, les Megatons nous prouvent qu'ils ont raison. Nous rendent heureux et nous les en remercions.


PARTEZ !

Mister B saute dans la teuf-teuf. L'on a déjà raté les No Hit Makers hier soir à Montreuil, tous nos espoirs du week-end résident dans les Megatons. Mais l'on sait déjà qu'ils ne vont pas nous décevoir. Pari tenu et remporté.

Damie Chad.

( Photos : FB : Christophe Banjac )

 


EST- CE QUE CE BRUIT

DANS MA TÊTE

TE DERANGE ?

 


STEVEN TYLER


( Traduit de l'anglais par Philippe Mothe )


( Editions Michel Jalon / 2011 )

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L'est des inscriptions qui vous attirent immanquablement – le septième sens du rocker – je m'étais assis juste à la table à côté du gars, y avait des livres de cours qui traînaient dessus, on ne voyait rien, sauf l'inscription au bas de ce qu'il fallait bien identifier comme une pochette de trente-trois tours – élémentaire cher Watson, premier café en ligne droite que vous trouvez après Music-Action, l'antre du rock toulousain au début des seventies – Toys In The Attics, votre oreille n'a pas dévoré un centimètre du sillon de la galette, et déjà vous savez que ça va pulser sévère...

Quarante ans plus tard – ça ne nous rajeunit pas ma petite dame – en plein marché de Mirepoix, basse Ariège touristique – je tombe sur le camion de Mister Gibus, un allumé du bon vieux temps qui propose à une clientèle indifférente des quarante-cinq tours des Animals et des Kinks plus un assortiment de livres divers et d'occasion littérature et rayon rock ! Des ouvrages un peu trop branchouille pour ma pomme – nos contemporains s'enquièrent vraiment de mauvaise musique – et quand je demande à voir, Mister Gibus s'exclame : «  Bon choix, vous prenez le meilleur du lot ! ».

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Quand je pense que j'aurais pu être Steven Tyler ! Non je ne plaisante pas, je ne déraille pas non plus. Jusq'à hier soir, je l'ignorais. M'en suis aperçu dans les toutes dernières pages, lorsque Tyler jette un dernier coup d'œil rétrospectif sur sa vie. Exactement comme moi le Stevie, petit il a été marqué par le même livre que moi, Sambo le petit noir pourchassé par de méchants tigres qui lui volent ses habits et qui tournent, tournent autour de l'arbre sur lequel il s'est réfugié, tellement vite qu'ils fondent en une onctueuse pâte liquide avec laquelle la maman confectionnera de succulentes crêpes... Après un début si prometteur, j'ai dû rater une connexion. Je reprends donc toute l'histoire pour voir où j'ai déraillé.


MONTEE EN PUISSANCE

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Naît en 1948. Une enfance de petit sauvageon autour du lac de Sunapee. Un père musicien. Classique. Première initiation. Une maman qui adore son gamin, qui le laisse aller en toute liberté au bout de ses expériences de fumette, qui pense que ce serait bien pour lui S'il envisageait une carrière dans la musique... Le genre de proposition qui ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. A quatorze ans il carbure au speed comme un grand, prend sa première baffe en écoutant Johnny Horton, puis Elvis, Little Richard et Bo Diddley. La seconde vient d'Angleterre, Beatles, Kinks, Animals, Stones, et les meilleurs de tous : les Yardbirds. Résume l'apport anglais en un seul mot : l'arrogance ! L'a du goût, le petit Steve, ne reste pas à rêvasser devant son transistor, assiste au concert, forme un groupe avec les copains, devient une petite célébrité dans sa région, essaie tous les produits qui passent à portée de sa main et toutes les copines à portée de phalus... Une jeunesse de rêve, un jour il aide même les Yardbirds à décharger les amplis de leur camionnette, mais à vingt-quatre ans se retrouve un peu bloqué. Le sentiment d'avoir essayé et d'avoir tout raté. Les Chain Reaction, le groupe où il officie en tant que batteur, joue en quarante-deuxième division...


JOE PERRY

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C'est un gratteux du coin. L'habite à dix kilomètres de Sunapee mais ils ne se sont jamais rencontrés. Joe invite Steven à venir le voir en concert avec son groupe. Tyler n'en revient pas. L'a trouvé le guitariste de génie qu'il lui faut. C'est ainsi que naîtra Aerosmith. Frères de sang. Mais impur. Steven n'y va pas par quatre chemins. Joe a autant besoin de Steven que Steven de Joe, mais chacun voit l'autre comme son rival. En compétition constante. Davantage de haine que d'amour. Pour Steven, c'est l'idéal, cette confrontation permanente sera le moteur qui permettra d'avancer et de brûler les étapes. Joe Perry n'a pas manqué d'écrire lui aussi son autobiographie dans laquelle il donne sa version de l'histoire qui suit... Joe et Steven, c'est Keith et Jagger dans leurs mauvaises passes. Les Stones ont influencé les deux moitiés de la planète. Personne n'y échappe. Surtout pas Tyler le tigre qui a de nombreuses accointances avec le jaguar Jagger.


DREAM ON

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Aerosmith, le groupe commence à tourner. Tyler a quitté son poste de batteur pour prendre le micro. L'est le frontman. Tout repose sur lui. L'a des idées pour enregistrer. Ne s'agit pas de bien jouer, mais de créer un son. L'a de l'oreille, de l'intuition, l'esprit créatif, et subitement il se rend compte qu'il sait écrire des textes qui tiennent le coup. Son Dream On, une belle ballade, bien orchestrée, pas très originale, mais pour lui l'écriture de ce morceau lui donne l'impression d'être passé à une dimension supérieure. Quatre cents pages plus loin, l'en cause toujours, c'est son drapeau rouge d'auto-reconnaissance qu'il déploie à chaque instant de doute et de triomphe. A le lire, la composition de Drean On est l'équivalent de la composition du Corbeau par Edgar Poe...

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Le groupe tourne sans fin. Enregistre deux albums qui aident à asseoir une réputation grandissante auprès de la Blue Army des fans en jeans, mais c'est le troisième, Toys In The Attic, et le quatrième, Rocks, qui les classent parmi les grands groupes de hard du moment. Pour l'aspect musical vous puisez dans votre discothèque. Ce n'est pas le sujet du bouquin. La plupart du temps Tyler s'attarde davantage sur l'écriture des lyrics ( en relation avec sa vie ) que sur la musique.


DRUGS

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Mais le loup est entré dans la bergerie. Traînait dans les parages depuis le début, mais ne se faisait pas remarquer. Mais avec la notoriété et l'argent, les dealers rappliquent en courant. La cocaïne puis sa copine l'héroïne coulent à flots. Plus t'en as, plus t'en veux. Tyler n'éprouve aucune honte : il aime ça, et n'a pas l'envie de s'en passer. Pas de regrets, pas de ah! Si j'avais su ! Il sait et tout le groupe sait. Comme il arbore la plus grande gueule, il le revendique plus fort que les autres, beaucoup moins discret que Joe Perry par exemple...


SEX

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Les tournées sont harassantes. Mais elles offrent des compensations. On imite Led Zeppelin, on jette les postes de télévision dans les piscines, on sniffe à gogo, on boit comme des trous, on fume comme des sapeurs. Et puis les filles. Sont là, toutes nues de préférence. Tyler raconte sans fausse pudeur, oui il aime l'amour physique, oui il adore brouter le minou des minettes, jeunes et jolies. Ne cherche aucune excuse, n'exprime aucun regret.


SCENES

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S'il est sur scène, c'est bien pour cela, hurler à s'en fusiller les cordes vocales, chasser les filles, et aspirer des rails de coke toutes les cinq minutes. Et le public semble apprécier. A chaque tournée l'on passe à la taille supérieure. Celle des stades, 20 000, 50 000, 80 000, spectateurs. Spirale inflationniste sans précédent. Aerosmith est entré dans l'aréopage des Dieux du rock...


DECHIREMENTS 1

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Sex et patachons à foison. Une vie de rêve. Mais tel est pris qui croyait prendre. Filles d'un jour, pas de problème. La petite fiancée que l'on garde quelques mois entraîne des fâcheries avec les copains. Jalousies et inégalités d'humeur. Le pire est à venir. Lorsque du sexe l'on passe à l'amour. Le mariage est la plaie du rocker. Vous emmenez Madame en tournée, plus question de faire la bise à la standardiste de l'hôtel, vous êtes un criminel, matou échaudé vous laissez votre mégère à la maison, Madame sait tout, des images qui traînent à la télévision, des photos dans les magazines, des coups de fil bien intentionnés d'ami(e)s qui vous veulent du mal. Le pire, si rien n'a transpiré, vous décidez de jouer franc jeu, vous avouez une petite incartade, pas le temps de vous excusez, tout de suite ce sont les grands mots, avocats, procès, pensions... Grandes interrogations philosophiques de Tyler, l'est un homme, un macho, pas un moine. Ses épouses pourraient tout de même faire un effort de compréhension. Lui qui reconnaît la supériorité naturelle des femmes.


DECHIREMENTS 2

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Deux étapes dans le cursus d'un accroc aux produits. Au début vous prenez de la drogue, mais ensuite c'est la drogue qui vous prend. Et qui ne vous lâche plus. Ce n'est pas un problème pour Tyler. Assume ses addictions. Mais cela peut devenir gênant, lorsque vous vous évanouissez sur scène par exemple. Cela ne fait pas sérieux. Surtout pour le chanteur. Le groupe finira par splitter. Tyler garde le nom, continue durant deux ans avec une autre équipe, mais l'on finira par se rabibocher.

Comédie humaine. Faut décrocher. En théorie. En pratique, l'envie n'est pas là. Tyler fréquentera les Addictifs Anonymes, il rentrera dans des institutions de sevrage. Expose les traitements psychologiques qui lui sont administrés. Les spécialistes en prennent pour leur grade. L'esprit pratique, analytique et caustique de Tyler est une arme de combat diablement efficace.

Tyler raconte qu'il arrivera à rester clean durant douze ans. Reconnaît de petits écarts. Mais la notion de petitesse est très relative. Il replongera. Si vous êtes étudiant en pharmacie, n'ayez aucun souci pour vos examens : tous les produits avec les effets désirables ( indésirables aussi ) et leur interaction sont longuement décrits. Vous apprenez en vous amusant.


DECHIREMENTS 3

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Bon an, mal an le groupe continue. Des disques un peu balourds ou d'autres qui s'écoulent à des millions d'exemplaires. Mais il y a pire que le sexe et la drogue. C'est le rock and roll. Hurler, sauter, danser, trépigner, tant que vous êtes jeune c'est un jeu d'enfant, dès que vous mettez le cap vers la soixantaine, le corps a ses faiblesses que le cœur ne connaît pas. Un vaisseau qui pète dans la gorge, un genou qui craque, un pied qui se tumérise, une hépatite qui s'incruste, les gros bobos se suivent et se ressemblent par leur gravité, repos obligatoires, interventions chirurgicale, opérations... Un conseil de Damie Chad : ne vieillissez jamais.


DECHIREMENTS 4

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Non ce n'est pas fini. Ceux-là sont les plus intimes. Le groupe qui essaie de vous remplacer, votre femme qui vous quitte pour un jeune plus costaud que vous... et puis les honneurs rendus aux stars vieillissantes, participation aux émissions de téléréalité, récompenses honorifiques diverses, peut-être pas encore une senteur de sapin, mais tout de même une certaine saveur de naphtaline... pour les mythes que l'on relègue dans les placards de l'avant-hier. Et peut-être le plus triste de tout : un essai avec Led Zeppelin pour remplacer Robert Plant. Tyler s'en tire avec les honneurs : avoue que Robert Plant est irremplaçable. Se démet de lui-même.

ECLATS DE RIRE

Rangez votre mouchoir. Tyler le rital, ne pleure pas sur son sort. E Perrycoloso e sporghesi sur soi-même. Ne se plaint pas, ne se vante pas, dit ce qu'il pense, et la seule personne à qui il ne fait pas de cadeau dans ce livre : c'est à sa petite personne... Content de lui, heureux de vivre, mais pas dupe. La vie lui a réservé de beaux cadeaux, les femmes ( les siennes et toutes les autres ) et ses enfants. Mauvais père, mais fiers d'eux. Et surtout cette chance extraordinaire mais recherchée, d'avoir fait partie d'un des groupes de rock les plus importants de son époque.

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Autobiographie de rock star. S'en tire mieux que Townshend un peu piteux Tommy pathétique, que Johnny Rotten qui court après la gloire tout en jurant qu'il n'en a rien à foutre, que Rod Stewart obsédé par sa coupe de cheveux, un peu moins roublard que Rollin' Keith, Steven Tyler se contente d'être la somme de ses défauts. Et quand on réalisé l'addition, l'on se dit que le total est impressionnant.

Damie Chad.

P.S. : mais pourquoi n'ai-je pas eu la chance de croiser les Yardbirds en train de décharger leur camionnette ? Je pense avoir trouvé le chaînon manquant.

 

MOINS QU'UN CHIEN

CHARLES MINGUS

 
( Traduction : Jacques B. Hess )

( Editions Parenthèses 1985 )

 

Pouah ! Un jazzman ! Zoui, mais un grand, compositeur et instrumentiste. Ne se servait pas pas des cordes de sa contrebasse pour étendre le linge. Ou alors, uniquement les culottes et les soutient-gorges de ses petites amies. Je vois, que cela commence à vous intéresser. Quand j'ajouterai que cette autobiographie d'un des plus extraordinaires contrebassistes de jazz ne parle pratiquement pas de jazz, je vous sens réconciliés avec Mingus. Quand l'on a joué avec Louis Armstrong, Duke Ellington, Lionel Hampton, Thelonius Monk, Charlie Parker, Billie Holiday – je ne cite que les noms les plus connus – l'on a le droit de s'en vanter. Mingus le rappelle, mais sans forfanterie. Nous présente ces rencontres comme normales et logiques, vu son niveau, coulait de source qu'il pouvait s'acoquiner avec les meilleurs. N'en tire aucune gloriole, nous conte le déroulement sans prétention d'une vie de musicien conscient de sa valeur, de son apport personnel, qui ne profite pas de sa biographique relation pour se mettre en avant et démontrer les progrès mirifiques réalisés par le jazz grâce à son implication personnelle... Ne fait preuve d'aucune fausse modestie – la face cachée du cabotinage – n'endosse même pas l'attitude d'humilité de l'artiste sympathique qui rappelle la nécessité de travailler durement pour progresser quelque peu...

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Là n'est pas son problème. N'est pas un féru d'historicité pure. Se raconte lui : ce qu'il a vécu et ce qui s'est passé dans sa tête. Avec sans doute une prédilection avouée pour ce qui s'est déroulé dans sa caboche. C'est un parti-pris qui peut choquer. A sa sortie en 1971 le livre a surpris les amateurs de jazz. S'attendaient à du solide, du béton armé, des dates, des noms, des faits, quelques anecdotes graveleuses pour corser le tout, mais guère plus. Se sont retrouvés avec un truc classieux mais difficile à manier. Un chef d'oeuvre; mais explosif. Une oeuvre littéraire mais aussi instable qu'un flacon de nitroglycérine posé sur le rebord du capot de la voiture qui démarre sur les chapeaux de roue. Une autobiographie, yes Sir, mais totalement phantasmée. L'a tout dit : tout ce qu'il a vécu, et tout ce qu'il a rêvé de faire. Soyez sensibles à la différence. Nous possédons tous le sens des convenances, l'envie vous en démange mais vous ne crierez jamais sur les toits que vous turlupine l'idée de crever les yeux de votre voisin sous prétexte que vous ne pouvez plus le voir en peinture. Vos amis vous regarderaient d'un drôle d'air. Une légère gêne s'installerait...

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Mingus lui-même s'y est pris à trois fois. Commence son bouquin comme si c'était la transcription d'une analyse psychanalytique. Désirer le désir n'est pas accomplir le désir. Doktor Freud est votre garde-fou. Alors au bout de six pages il vire le praticien à grands coups de pompes dans le cul. N'assume pas encore tout à fait. Parle mais possède son censeur : lui-même, sa raison, sa conscience, sa petite voix personnelle qui temporise, qui explicite, qui prend du recul, qui reste des plus posées. Le hongre blanc de l'attelage qui tire le char de l'Esprit, selon Platon. L'est chargé d'éduquer le deuxième cheval du bige, l'étalon noir, qui n'en fait qu'à sa tête, qui tire à hue et à dia, qui ne pense qu'à vous entraîner dans de fougueux emballements déjantés ... Oui mais domptez le naturel et il repart au galop. Avancez de cent pages dans le livre et c'est le méchant noirâtre qui a pris le commandement. Le pâlichon gentillet pousse quelques hennissements de temps en temps, mais Mingus l'a remisé au fond de l'écurie d'où il ne le sort guère. La course folle s'achève comme il se doit : à l'asile. Même pas interné d'office, c'est Mingus qui insiste des heures et des heures pour qu'on lui permette d'être enfermé, de danser la camisole. De force.

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Pour le bouquin, l'on a pris les pincettes. Heureusement qu'il y avait le titre Moins Qu'un Chien. L'on a traduit : dénonciation du racisme. Ouf, l'on était sauvé ! En territoire connu. Pas très loin de Really The Blues ( paru en français sous le titre de La Rage de Vivre ) la bio de Mess Mezzrow. ( Voir notre chronique KR'TNT ! 106 du 12 / 07 / 12 ). Avec un avantage en plus : Mezzrow était un petit blanc, qui s'est battu pour ses frères noirs, mais avec Mingus c'était un noir qui prenait la parole. Ce qui expliquait quelques énervements, quelques débordements... L'on aime bien les cases toutes prêtes. On a fait semblant de ne pas le voir, mais on avait beau refermer le placard, y avait toujours un gros cul noir qui dépassait. Il est temps de reprendre l'histoire par le commencement.

Watts. Célèbre quartier de Los Angeles connu pour ses émeutes. En pleine communauté noire. Première fêlure. Mingus n'est pas un malheureux. Petite classe moyenne. Mais sentiment aristocratique de la différence. Mingus n'est pas noir. Son père non plus. Sont café au lait. Le teint clair. Le haut du panier. Rien à voir avec les moricauds à la peau d'ébène. Sont la crème du café-crème. Ne tardera pas à s'apercevoir que la réalité fait voler les préjugés en éclats. En attendant essaie de régler un problème de robinet. Le sien, qui fuit chaque nuit. Victime d'urémie et de la double courroie de son père qui le fouette consciencieusement chaque matin. Une correction salutaire qui vous forge le caractère. Même pas mal, même pas peur. Auprès des voyous du quartier l'est un peu la poule mouillée que l'on pourchasse, Jusqu'à ce que quelques rudiments de judo lui permettent de se défendre et d'attaquer. Sa taille et son poids deviendront aussi des atouts majeurs.

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Question physique les problèmes sont réglés. Niveau intellect se défend mieux que bien. Lit, réfléchit. L'on pressent l'adolescent futé qui cherche à comprendre et à ne pas s'en laisser conter. Musicalement, pour un musicien de jazz, ça bifurque très vite, très mal. Abandonne le trombone pour le... violoncelle. Avec archet. Joue du Beethoven et connaît Bartok. Formation classique. Qui lui servira. Plus tard il composera. Pondra des partoches. Sait écrire et lire la musique. Entre en conflit avec son professeur. L'a un rapport un peu plus intuitif avec la matière musicale, répéter à vitam aeternam une partition l'ennuie, l'existe une autre approche de l'instrument, plus intuitive, plus libre, plus créatrice, un thème de départ et hop, c'est parti pour les galipettes... Rejoint le jazz, naturellement. N'est-ce pas la musique des noirs ?

Car ses yeux se sont vite dessillés. Rappel à l'ordre. Barrière infranchissable celle qui sépare les nègres des blancs. Deux mondes séparés. L'en souffrira toute sa vie. Professionnellement parlant. A travail égal, salaire inégal. Un musicien blanc sera fêté. Un noir sera toléré. Ce n'est pas le plus grave. Ce qui l'exaspère c'est que les blancs sont à la traîne, pompent consciencieusement les noirs, s'inspirent des avancées techniques et des trouvailles stylistiques des blackos et finissent par s'en trouver crédités et récolter la gloire et le fric. De quoi vous mettre en colère et entretenir de forts ressentiments envers les blancs.

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N'y a pas que le boulot dans la vie. Tout homme possède sa vie privée. Avec des interpénétrations entre les deux sphères. Pour Mingus, ça commence tout petit, l'est émerveillée par la beauté des filles. Extase contemplative. En grandissant, le rêve perd de sa pureté. Montée des hormones. Musicien, et bien monté. Tout ce qu'il faut pour attirer les jeunes filles. Qui n'ont pas froid à la chatte. Ne s'en prive pas. Tout en poussant la romance romantique avec Lee-Marie. S'aiment d'un amour tendre de tourtereaux. Mais le méchant papa ne veut pas. Ne se voient pas. Se téléphonent en cachette. Se perdent. Se retrouvent. Sont éloignés. Se marient. L'histoire se règle à coups de fusil. Couple brisé. Pire que Roméo et Juliette. Surtout que Mingus n'a jamais fait voeu de chasteté. Une vie sentimentale agitée. Une existence pornographique tourbillonnante.

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Ce n'est pas sex and rock, mais jazz et cul. Entrevoyez la différence. Mingus vous aide : met les points sur les I, et la bite dans les vagins torrides. Avec en plus des considérations économiques. Les musiciens noirs sont sous-payés. Pourtant il existe des noirs très riches qui roulent en cadillacs flambant neuf. Les voyous qui s'adonnent à des trafics illicites. Un peu dangereux et pas tout à fait dans les cordes d'un contrebassiste. Les règlements de compte à coups de pétards pour une valise de cocke en litige, ça vous fait froid dans le dos des cadavres. Mais question professionnel, il y a plus douillet. Maquereau. Un beau métier. Mettez quelques copines au turbin et passez relever les compteurs en fin de soirée. Pas remboursé par la sécurité sociale, mais un boulot à portée de cul pour un musicien de jazz. Des admiratrices qui ont envie de se faire un musicien de jazz, n'en manque pas dans les boîtes. Un jeu d'enfant, et une constatation étonnante. Cela rapporte beaucoup plus que les engagements. La prostitution – Mingus n'emploie pas ce mot – comme un mode de survie économique. Avec en plus l'excuse toute trouvée : ce n'est pas de ma faute, j'y suis poussé par l'exploitation dont je suis victime.

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Jusque-là tout va bien. Mingus n'outrepasse pas les limitées de la bienséance. Va bientôt passer à la dimension supérieure. La prostitution comme élément de combat et de libération. N'y a pas que des petites noiraudes qui s'en viennent chercher un supplément d'affection dans les clubs de jazz. Beaucoup de jeunes femmes blanches. Qui possèdent un immense avantage : osent braver l'interdit inter-racial grâce à leur fric. Peuvent manifester leur intérêt pour les gros zobs noirs sans être reléguées à l'index de la leur société. L'argent couvre toutes les turpitudes. Chez les musiciens noirs, c'est le top du top érotique : baiser une blanche et lui prendre tout son fric. Mâle acquis profite bien. Revanche sociale. Regardez bien petits blancs, je nique vos femelles, les plus classieuses, et je pompe vos dollars.

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Un jeu jouissif et dangereux que Mingus va pervertir. Le cul est une chose, et l'Amour avec une majuscule une autre. Lui mélange tout. Une blanche et une noire. Le grand amour de sa jeunesse avec la nouvelle passion amoureuse. Scènes torrides. Avec glissement progressifs vers le plaisir. Du fric. Transforme ses maîtresses en call girls de luxe. Faut comprendre : l'émancipation des noirs passe par là. La prostitution comme moyen de lutte révolutionnaire de réappropriation de tous ce que les blancs ont volé aux noirs. Ce n'est pas une lutte strictement raciale : blancs contre noirs, mais une lutte de classes. Les noirs pauvres à l'assaut des blancs riches. Une théorisation qui dépasse sur sa gauche la servilité des Oncles Tom et sur sa droite la révolte des Black Panthers. La solution n'est pas au bout du fusil. Mais dans des draps de satin rose.

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Avec en filigrane ses réflexions théoriques sur la nature du Noir qui sait prendre la vie comme elle vient du bon côté et celle du Blanc coincé en une vision moralisatrice de la vie. Tout en se défendant d'être un vulgaire profiteur. Mingus flirte avec sa propre inconséquence morale : se défend d'être un simple maquereau, au fond de lui il est un libérateur de son peuple opprimé. Contradictions qui lui éclatera à la figure. Si violemment que sa schizophrénie le mènera à l'asile. Cette partie essentielle de l'autobiographie tourne au roman de la sublimation pornographique. Ses amoureuses prennent leur indépendance... Le lecteur s'amuse comme un fou et en vient à regretter de ne pas être né noir aux Etats-Unis au bon vieux temps de la ségrégation raciale qui présentée par Mingus devient l'expérimentation osée d'un melting pot américain vraiment entremêlé.

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Nous arrivons à la fin. Mingus fait du rétro-pédalage. Parle des difficultés pour un noir à assumer sa négritude. Son couple mixte est en proie à mille petites vexations journalières qui érodent son optimisme. Sur le plan professionnel la situation ne change pas. Un musicien noir reste moins bien payé qu'un blanc et les revues grand-public mettent systématiquement en valeur les visages pâles. Leur tressent des couronnes souvent imméritées. Prend conscience que s'il est difficile de faire l'impasse sur son jeu de basse lors des compte-rendus des concerts, son oeuvre de compositeur est systématiquement ignorée, tout au plus quelques mots rapides concédés en bout de plumes...

Ce n'est que dans les dernières lignes qu'il parle enfin du jazz. En cause avec une grande intelligence. Mais ce n'est pas l'essentiel du livre. Qui est avant tout le parcours existentiel d'un homme qui navigue à vue, entre les récifs de la réalité et les lames de fond de ses aspirations les plus intimes. Le partage des eaux entre la rugosité du réel et le diamant du rêve. Ce dernier étant aussi tranchant que les étocs du vécu. Une écriture shakespearienne, la truculence de Falstaff, la folie du Roi Lear, les mégères inapprivoisées, drame burlesque et comédie tragique. Moins qu'un chien. Mais un sacré bâtard qui ne se prive d'aucun os à moelle de la vie. Un corniaud enragé. Un mâtin câlineux. Un conseil, laissez-vous mordre. Jusqu'au sang. Vous ne le regretterez pas.

Damie Chad.