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07/07/2021

KR'TNT ! 518 : LOVELY EGGS / ANITA PALLENBERG / EDDIE PILLER / DHOLE / CRASHBIRDS / FUNERAL

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 518

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

08 / 07 / 2021

 

LOVELY EGGS / ANITA PALLENBERG

EDDIE PILLER / DHOLE

CRASHBIRDS / FUNERAL

 

AVIS A LA POPULATION

ENCORE UNE FOIS COMME TOUS LES ETES

NOS INFATIGUABLES REDACTEURS SE LAISSENT ALLER

A LEURS PENCHANTS SADIQUES ET CRUELS,

ILS VOUS PRIVENT DE VOTRE UNIQUE RAISON HEBDOMADAIRE

DE SURVIVRE DANS CE MONDE INSIPIDE.

LA LIVRAISON 519 ARRIVERA FIN AOÛT

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

L’avenir du rock :

Egg toi et le ciel t’aidera

Comme tout le monde, l’avenir du rock a besoin de vacances. Le voici à Macao, installé de bon matin sur la terrasse du casino. Si vous n’êtes jamais allé là-bas, sachez que cette immense terrasse en pierres de taille surplombe une mer d’huile. L’avenir du rock prend son breakfast en compagnie de God Hillard, The World’s Greatest Sinner. Ces deux éminentes personnalités échangent quelques mondanités :

— Êtes-vous marié, avenir du rock ?

— Croyez-vous que ce soit l’heure de me cuisiner ?

— Simple curiosité. Votre profil n’est pas si banal...

— Je vous ferai la réponse que vous méritez : oui, mais je me remarie en permanence, chaque fois que j’éprouve un coup de foudre. Je cède à toutes les tentations, ainsi que le prescrivait Oscar Wilde.

— Un vrai cœur d’artichaut, en somme !

— Oui, je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant. Et puisque nous pataugeons dans les moiteurs de mon front blême, je vous ferai un dernier aveu : je porte au pinacle, vous entendez bien, au pinacle, la notion de couple...

Ça fait vingt ans que des couples gaga-rock s’illustrent, avec plus ou moins de réussite. On pourrait citer les White Stripes et des Kills - pour les moins intéressants - et Jucifer, les Raveonettes, Taurus Trakker, les Magnetix, les Table Scraps et les Ghost Wolves d’Austin, Texas - pour les plus intéressants - Ajoutons à cette liste les Lovely Eggs, un couple qui nous vient du Nord de l’Angleterre, de Lancaster, très précisément. David Blackwell bat le beurre et Holly Ross, fervente adepte de la Big Muff, gratte ses poux. Ils écument les meilleures scènes du monde depuis dix ans et il serait grand temps qu’on leur déroule le tapis rouge.

Leur premier album mystérieusement titré If You Were Fruit date de 2009. On y trouve pas mal d’archétypes de ce qui fait le charme de la veine Nous Deux, notamment «I Like Birds But I Like Other Animals Too», très Nirvana dans l’esprit, avec ses belles rasades d’accords à la Kurt et son beau sucre candy plein le chant. On sent une réelle présence de crush et de sucre. Elle chante au candy pur et sait crusher son crotch. Il faut la voir plonger son «Sexual Cowboy» dans le lullaby d’Alice. D’ailleurs, le Sexual Cowboy ne serait-il pas David Blackwell qu’on voit au dos du boîtier en patins à roulettes ? L’album connaît un violent passage à vide et reprend vie avec «O Death». Holly Ross est parfaitement capable de foutre le feu au camping, elle passe sans crier gare du scream de Sainte-Anne au lagon paradisiaque. Nouvel exercice de style dans la veine Nous Deux avec «Have You Ever Heard A Digital Accordion». Elle fait son petit biz avec son homme et ça part en trombe d’excellence plantagenesque. Ils sont parfaits dans ce rôle, c’est quasi-velvetien dans le dénudé du traitement, ils sont pleins d’espoir. Et puis voilà le hit de l’album : «Big Red Car». Elle est chaude, la petite Ross, elle vise de groove de mauvaise compagnie et le tient à bouts de bras, elle fait du pur Velvet et gueulant dans la purée du son. Ce «Big Red Car» est digne des early Modern Lovers. Mythe pur. Ils terminent avec un autre hommage indirect au Velvet, «America». Ils n’ont plus rien à perdre, ils tapent ça à deux voix, ils font du pur Nous Deux inspiré de Lancaster, monté sur un drive de guitare infernal et ça devient un vrai hit indie.

Pour la pochette de Cob Dominos paru en 2011, David Blackwell et Holly Ross sont allés se rouler dans la vase. À les voir décorés de peintures de guerre, on comprend qu’ils aiment beaucoup s’amuser. C’est aussi ce qu’indique le «Minibus» d’ouverture de bal, ce somptueux mélange de lullaby et de Big Muff. Mine de rien, Holly Ross invente un genre nouveau : le dirty trash pré-pubère. L’ambiance globale de l’album rappelle celle des albums du circuit indie américain des années 90, notamment Babes In Toyland. Donc, ils s’amusent. Avec «Don’t Look At Me (I Don’t Like It)» elle s’adonne aux joies du trash-punk. Tout ce qu’elle fait est bien. Elle injecte encore du lullaby dans le fuck-off de «Fuck It» et elle s’amuse encore plus avec «Alphabet Ting» : Fuck you ! Alors attention à la fin de l’album, car elle passe aux choses sérieuses avec «Watermelons». Elle est tout simplement capable de la meilleure power-pop d’Angleterre, elle bat largement les Teenage Fanclub à la course. Puis ils chantent «Pets» à deux et nous font rêver. La surprise arrive ensuite avec «Real Good Man» qu’elle prend en mode Ross - I know he’s a real good man - et qu’elle finit en mode Pixies, mais si, elle a ce power ! Cet album est réellement impressionnant.

Le Wildlife paru en 2012 va plus sur la power pop. «Allergies» donne le la et Holly est tout de suite dans l’effarence du big sound, elle claque bien le beignet du son et son mec gère ça au big drumbeat de relance, alors ça prend des allures de remugle ramonesque. On dira en gros la même chose de «Food», qui sonne aussi comme un classique de power pop. Ils sont en plein prodige, Holly Ross traverse toutes les contrées du rock. Ils font pas mal de petits exercices de style comme «The Undertone», mais elle pique aussi des belles crises de nerfs («Please Let Me Come Mooch Round Your House»). Avec «Green Beans», elle rétablit l’équilibre de l’Angleterre avec ses racines lullaby et c’est avec «I Am» qu’elle ramène tout le big power. Il faut la voir allumer son «I Am», c’est un modèle du genre, une merveille de positionnement. Ils se tapent une belle crise de heavy groove avec «Lee Mellon’s Teeth». Holly fournit le fourniment de Big Muff et avec «Just Won’t Do It», elle s’amuse à balancer entre le lullaby et le heavy trash. Elle se livre vraiment à tous les excès.

Magnifique pochette que celle de This Is Our Nowhere paru en 2015 : cette photo de scène dit tout ce qu’il faut savoir des Lovely Eggs. Côté son, ils sont tout de suite parfaits. Ils ont le boom + the voice dès «Ordinary People Unite». Holly Ross est magique, elle a le power absolu. Zéro info dans le booklet, donc tu te débrouilles tout seul avec le ciel étoilé et le son. David Blackwell vole le show dans «The Investment». Il joue à la vie à la mort et Holly Ross parvient à garder le contrôle de justesse. Ils créent à deux des climats extraordinaires. Même chose avec «Magic Onion» : elle prend ses distances - He’s a magic onion - C’est lui qui drumbeate mais elle rentre dans le son comme une vieille pro. C’est tellement bardé de son qu’on ne sait plus où se mettre. Leur principale qualité est l’attaque. Ils combinent à merveille l’énervement et l’excellence. Ils combinent aussi l’énergie à l’envolée, il pleut des retombées de cendres et ça repart au blasting blow. Ils ont certainement le plus bel allant d’Angleterre, c’est en tous les cas ce que tendrait à prouver «Do It To Me». Elle reste excellente sur «Music». Ils ont de la chance d’avoir ce son. Tout est plein d’esprit. Avec «Slinking Of The Strange», elle va chercher le strange dans le lullaby. Cette Ross est incroyable, elle nous méduse impitoyablement. On la voit accompagner «Forest Of Memories» vers l’échafaud, sur fond de roulements de batterie, elle est forte, elle sait qu’elle se bat pour la révolution et que le peuple vaincra.

Allez tiens, on va dire que This Is England est leur meilleur album, comme ça au moins, les choses sont dites. Le pire c’est que c’est vrai, l’album grouille de son et de blasts, et ce dès le «Hello I Am Your Sun» d’ouverture de bal. Elle a du son, la vache et l’autre derrière, il bat son beurre comme plâtre, ils sont tous les deux des heavy Visiteurs du Soir, des heavy Enfants du Paradis, ils bardent tout du pire barda de l’univers, ils bourrent le mou du Sun avec des spoutnicks, c’est une véritable abomination pré-nuptiale d’emberlificotage définitif. Elle n’en finit plus d’enfiler ses eggy perles, elle ramène toute sa niaque pour «Wiggy Giggy» et ça marche tout de suite, c’est même magique, bien sonné des cloches, elle a tout, la prestance, le power, la Big Muff, elle chante au sucre candy sur le beat des forges. Aujourd’hui, c’est inespéré d’entendre des gens aussi doués. Et ça continue dans l’eggy de borderline avec «Dickhead», ils foncent dans le trash comme des taureaux devenus fous et elle renvoie son dickhead rouler dans le son. On reste dans l’extrême power eggy avec «I Shouldn’t Have Said That». Elle ramène du riff à la pelle sur le beat de David Blackwell. C’est du génie pur. Il faut voir avec quel aplomb elle allume ses cuts, elle les prend un par un et à chaque fois, boom ! «Return Of Witchcraft», «I’m With You», tout est bien destroy oh boy ! Ils ramènent du pouvoir US dans le son de Lancaster. On se croirait à Detroit. On entend des machines dans «Witchcraft», elle est parfaite en sorcière moderne, elle vole sur une guitare en forme de balai, ça monte soudain et ça explose dans l’espace. Puis elle explose «By Sea», elle cisaille le son avec ses power chords, elle ramène de la pop de rêve et tout le power des Sex Pistols dans la mouvance de sa pertinence - Why don’t you show here - Elle est complètement dingue, elle devient sans même s’en rendre compte la sixième merveille du monde, mais en attendant, elle se contente de la couronne de reine de Lancaster, c’est déjà pas mal. Elle allume sa power pop avec une distance effarante et cette classe qui n’appartient qu’aux blondes d’Angleterre. So weird ! Elle passe au psyché avec «Let Me Observe», mais c’est vite ravagé par des lèpres de son et plongé dans des bains d’huile bouillante, ça se relève avec la gueule gonflée, let me observe. Ses plongées sont d’une brutalité sans commune mesure. Et quand tu arrives à «Would You Fuck», tu es content d’avoir écouté cet album, il est à la fois monstrueux et bien intentionné. Holly Ross est la reine indiscutable de l’extrême, l’une des artistes les plus brillantes d’Angleterre. Elle est entrée dans la légende.

On savait qu’elle était une grande chanteuse, mais sur le dernier album paru des Lovely Eggs, l’excellent I Am Moron, elle devient tout simplement une énorme chanteuse. Elle plonge «You Can Go Now» dans une saumure de Big Muff et du coup elle étend son empire sur l’Angleterre. Elle est la nouvelle égérie du Big Muff Sound. Puis elle s’explose les ovaires avec «This Decision», elle hurle en plein air, elle devient spectaculaire, elle grimpe au sommet du lard fumé et devient complètement folle. Et le diable sait si on adore les folles. Elle ramène encore une énergie dementoïde dans «The Digital Hair». Elle est aux commande du big blast d’Egg. L’album propose d’autres cuts relativement intéressants comme ce «Long Stem Carnations» d’ouverture de bal. Elle est invincible, elle base tout sur de fières dynamiques alors forcément, on la prend très au sérieux. Il n’est pas impossible qu’elle devienne un jour une superstar de l’underground britannique. Elle sait cuisiner la flambée de son («Bear Pit») et le wah up («I Wanna»). Elle excelle dans l’exercice du relentless. Elle est même capable de taper dans le heavy trash punk («Insect Repellent»). Fabuleuse Holly Ross ! The trash queen of Lancaster.

Signé : Cazengler, œuf à la coke

Lovely Eggs. If You Were Fruit. Cherryade 2009

Lovely Eggs. Cob Dominos. Egg 2011

Lovely Eggs. Wildlife. Egg 2012

Lovely Eggs. This Is Our Nowhere. Egg 2015

Lovely Eggs. This Is England. Egg 2018

Lovely Eggs. I Am Moron. Egg 2020

 

Anita Banana

Pas facile d’exister en tant qu’icône des sixties quand on est à la fois la poule de Brian Jones ET de Keith Richards. Autant l’avouer franchement, si on lit la bio d’Anita que vient de faire paraître Simon Wells, c’est surtout pour y retrouver Brian Jones. Simon Wells se bat héroïquement pour brosser d’Anita le portait d’une femme de caractère et d’une égérie, mais c’est Brian Jones qui sort grandi de ce book : il n’a jamais été aussi dramatiquement magnifique.

She’s a Rainbow: The Extraordinary Life of Anita Pallenberg est un vibrant hommage à Brian Jones et à ses drogues, à Brian Jones et à ses fringues, à Brian Jones et à sa classe, avec comme point d’orgue les trips en Bentley jusqu’au Maroc, à l’époque où les Stones fuient l’acharnement de l’establishment britannique.

La relation qu’entretiennent Brian Jones et Anita ne dure que deux ans (1965-1967) mais elle occupe la moitié du book. Wells dit qu’ils forment le couple parfait du Swingin’ London. Brian Jones qui est le membre le plus énigmatique des Stones se retrouve dans une Anita toute aussi mystérieuse - The pair would become Swinging London first alpha couple. Alors que Brian Jones se pavanait comme un paon, the neo-European androginity d’Anita captait l’attention - Oui car Anita vient d’une famille allemande un peu aristo et à l’époque où elle met le grappin sur Brian Jones, elle a déjà fricoté avec Fellini en 1959, et avec Andy Warhol en 1963, comme d’ailleurs Nico avec laquelle elle ne s’entend pas très bien. Trop de poins communs ? Of course.

Oui, en 1963, Anita et son boyfriend Mario Schifano ont rencontré la crème de la crème du gratin dauphinois new-yorkais : Gregory Corso, Ferlinghetti, Terry Southern, William Burroughs, ils ont vu jouer Charlie Mingus et Monk. Et puis Warhol qui a 35 ans, et le Living Theater, une rencontre qui va la diriger sur Artaud. Un Artaud qui reste central, quelque soit le milieu ou l’époque. À Paris, Anita fréquente Donald Cammell et sa poule Deborah Dixon. C’est la découverte du libertinage - dodgy situations, especially on the sex side - Anita rend hommage à Cammell, lui accordant des trésors de fantaisie et d’imagination. Donald a un frère, David, qu’on va retrouver plus tard, au moment de Performance. L’un des amis d’Anita à Paris n’est autre que Stash de Rola, le fils de Balthus. Elle le voit pour le première fois en 1964, dans l’appartement du philosophe Alain Jouffroy. Stash : «Vince Taylor et moi étions au lit avec ce très beau modèle américain, Johanna Lawrenson, qui était une amie d’Anita. C’était le matin et en se réveillant on a vu cette fille, Anita, qui nous regardait, debout dans un rayon de soleil, en souriant, with this amazing, irresistible barracuda smile.»

L’un des poins forts du Wells book, c’est le récit détaillé qu’il fait des virées nocturnes de Brian Jones. Pâques 1965, les Stones jouent à l’Olympia. Après le concert, les Stones se dispersent, mais Brian Jones recherche ce que Wells appelle a more exclusive company. Un petit groupe se forme avec Françoise Hardy et Jean-Marie Périer, Stash de Rola qui est le fils de Balthus, Anita et Zouzou qui, comme Anita, est modèle à Paris chez Catherine Harley, la fameuse agence du Passage Choiseul, dont font aussi partie Anna Karina, Amanda Lear, Nico et Marianne Faithfull. Et donc, ce soir de Pâques 1965, Wells nous fait monter dans la bagnole avec Brian Jones - Courtesy of his aspirant middle-class background, Brian enjoyed a more elevated company - both intellectual and aristocratic. The elegant troupe that left l’Olympia that April night was evidently his sort of people - Ils vont d’abord chez Castel, puis vont finir la nuit dans un nuage de marijuana chez Donald Cammel et Deborah Dixon. À l’aube, la petite troupe raccompagne Brian Jones jusqu’à son hôtel et Zouzou reste avec lui. Anita devra attendre son tour.

Elle parvient à s’infiltrer dans le backstage des Stones quelques mois plus tard et voit Brian Jones étalé sur un sofa. Il porte un col roulé et un jean blancs : «Même sans ses chaussettes, Jones was easily the most stylish member of the band.» Anita flashe sur lui - Brian was very well spoken, soft-spoken, il parlait bien l’Allemand, ses manières me captivaient, il voulait capter l’attention des gens en parlant. C’était quelqu’un de sensible, de très évolué, totally ahead of his time, but also part of another time. The dandy with his clothes and all of that - Elle a bien raison de flasher, la petite Anita, car elle a sous les yeux la rock star par excellence. Elle ajoute que Brian était very unusual, il sortait de l’ordinaire, il était très attirant, il ressemblait d’une certaine façon à une fille. Alors que les autres Stones semblaient avoir peur, Brian était prêt à aller dans des endroits bizarres - Except for Brian, all the Stones at that time were suburban squares - Ils vont former un couple mythique, Anita devenant en quelque sorte le reflet de Brian Jones. Pendant la première nuit qu’ils passent ensemble, Brian sanglote. Il est déjà sous pression. Il se plaint de Mick and Keef qui font bande à part - they had teamed up on him - Anita comprend confusément que Brian Jones ne fait plus le poids dans les Stones, même s’il en est le membre fondateur, et elle doit l’aider à mettre en avant les autres aspects de sa personnalité. Marianne Faithfull indique qu’Anita joue un rôle considérable dans les Stones à cette époque, les faisant évoluer du statut de bad boys vers un statut plus enviable de renaissance men. Selon Marianne, les Stones sont devenus les Stones grâce à Anita. Elle serait à l’origine de la révolution culturelle qui a lieu à Londres et qui rapproche les Stones de la jeunesse dorée.

Brian Jones a partagé quelques temps une maison de Belgravia avec des membres des Pretty Things, puis en mars 1965, il s’est installé à Chelsea au 7 Elm Park Lane. Il y reçoit les mères de ses enfants (Pat Andrews et son fils Mark, Linda Lawrence et son fils Julian), puis Zouzou et surtout Nico qui l’initie aux mystères de sexe. Puis Anita s’installe à Elm Park Lane et découvre Brian au quotidien, nasty and sexy - Il lisait des livres du vieil Anglais qui disait être le diable (Aleister Crowley). J’ai dit à Brian que j’avais connu le diable et qu’il était allemand - Comme Nico, Anita est née en Allemagne pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Ils forment un couple fascinant, Brian porte les fringues d’Anita et Anita celles de Brian. Ils paradent dans Londres, affichant un look d’aristrocrats from another age. Brian vient de racheter la Rolls Siver Cloud de George Harrison. Anita lui choisit des fringues : «Costume noir à rayures rouges et blanches, chemise rose, pochette et cravate écarlates. Le tout acheté à New York. Chaussures deux tons achetés sur Carnaby Street.» Puis ils commencent à se chamailler. Ils se chamaillent à propos de tout : les voitures, les prix, les menus. Alors que Brian commettait l’erreur de vouloir avoir le dernier mot, c’est Anita nous disent les témoins qui l’avait systématiquement. Christopher Gibbs dit même qu’elle était un peu une sorcière, car elle savait très bien ce qu’elle faisait. Ils en viennent aux mains et on tombe sur le fameux épisode du poignet cassé, lors du premier trip marocain, en 1966 : en voulant foutre une trempe à Anita, il la rate et frappe le châssis alu de la fenêtre. Il passe une semaine dans une clinique de Tanger. Anita lui pardonne, elle sait qu’il est fragile : «Chaque fois qu’il essaye de me faire du mal, c’est lui qui se fait du mal.»

C’est Bryon Gysin qui initie Brian aux flûtes de Joujouka. Bryon les fait jouer dans son restaurant, the 1001 Nights et Brian’s eyes are flashing like airplane lights.

Fin 1966, le couple s’installe au 1 Courtfield Road, cet endroit mythique du Swinging London dont parle longuement Marianne Faithfull dans son autobio. Robert Fraser : «Courtfield Road was the first incredible place in that London scene.» Ils carburent tous au LSD. Les philosophies occultes et les rites magiques deviennent la nouvelle tendance dans les cercles branchés. On va acheter des livres chez Indica au 6 Masons Yard, une librairie montée par Barry Miles, John Dunbar qui est le premier mari de Marianne Faithfull et Peter Asher. Brian et Anita collectionnent les classiques de l’occultisme, The Golden Dawn, The Golden Bough, les œuvres complètes de Madame Blavatsky et bien d’autres curiosités. L’autre grande présence à Courtfield Road est le LSD. Brian et Anita entretiennent une relation suivie avec le LSD. Keef se joint à eux - Richards was strongly in tune with acid’s vibrations and an aloof triumvirate was created - Keef va même s’installer à Courtfield Road. Ils forment aussi un triumvirat avec Tara Brown. Dans le chapitre des équipées sauvages dans la haute société, Wells cite aussi l’après-concert de Bob Dylan au Royal Albert Hall en 1966 : Dana Gillespie invite Brian et Anita chez elle. Comme Marianne Faithfull et Anita, Dana vient d’un similarly aristocratic pan-European background.

Anita a cessé de faire le mannequin pour Catherine Harlé, mais elle entame une carrière d’actrice. Quand elle va tourner en Allemagne Vivre À Tout Prix pour Volker Schlöndorff, Brian Jones la rejoint en Rolls. Le chauffeur s’appelle Tom Keylock. C’est là que Brian fait scandale car pour les besoins d’une séance photo avec Anita, il porte un uniforme d’officier SS. La presse s’énerve et souligne le mauvais goût de cette excentricité. Alors Brian déclare qu’Anita et lui étaient sous LSD. Anita dira plus tard que l’idée était d’elle : «C’était une idée douteuse, but what the hell... He looked good in an SS uniform.»

L’un des proches des Stones s’appelle Tara Browne, riche héritier des brasseries Guinness. Il se tue en décembre 1966 au volant de sa Lotus Elan à Londres. Son amie Suki Potier sort indemne de l’accident. Alors pour surmonter leur chagrin, Anita, Brian, Keef et sa poule d’alors, Linda Keith, se retirent à l’Hôtel George V, à Paris, et font une consommation massive d’amphétamines et de cocaïne, seulement interrompus par les dindes farcies du room service.

Début 1967, les stups persécutent les Stones. C’est le fameux Redland drug bust, chez Keef. Les Stones ne sont même pas incarcérés. Keef : «The best idea was to get the fuck out of England.» Donc, sauve qui peut les rats, il décident de repartir au Maroc. Le voyage s’impose d’autant plus que Brian se met en danger avec une consommation massive de drogues. À cette époque, le Maroc a la réputation d’une terre d’asile pour tous les gens bizarres et les réprouvés - the weird, the perverse and the hunted - Des écrivains célèbres se sont installés à Tanger : William Buroughs, Jack Kerouac, Truman Capote, et Joe Orton. Il faut ajouter à cette liste le compositeur Paul Bowles. Certains membres du cercle des Stones partent en avion, et d’autres en voiture, pour ne pas attirer l’attention des flics. Tom Keylock, Brian, Anita et Keef descendent en bagnole, à bord de Blue Lena, la dark-blue Bentley de Keef - a limited edition S3 Continental Flying Spur, l’un des 68 modèles montés pour la conduite à droite - L’arrière de la Bentley est aménagé comme un salon berbère. Brian et Anita tapent dans les réserves d’herbe, de poudre et de pills dont est chargée la Bentley. Keylock conduit et Keef est assis devant, à côté de lui. Sur la route, Brian crache du sang et ils le déposent dans un hôpital à Toulouse. Et c’est là que les ennuis commencent, car Brian a vu qu’il se passait un truc entre Keef et Anita. Il a raison de s’inquiéter, car Anita ne cache plus son attirance pour Keef. Pendant que Brian se fait soigner à Toulouse, Keylock reprend le volant, direction l’Espagne. Cette fois Keef est à l’arrière avec Anita qui ne peut vraiment pas s’empêcher de lui tailler une petite pipe. C’est plus fort qu’elle. Keylock écrit dans son journal : «It’s all getting very friendly in the back seat.» Chargé de surveiller Anita, Keylock cafte tout quand Brian les rejoint à Gibraltar. Il est mis au courant des moindres détails. Les choses ne vont pas s’arranger. Les vacances au Maroc se présentent très mal. Dans la Bentley, ça pue l’embrouille. Mais Anita est encore officiellement la fiancée de Brian Jones. C’est d’autant plus compliqué qu’elle et Keef ont eu ce qu’on appelle communément un coup de foudre.

Pour tous ces Américains qui voient les Stones débarquer à Tanger, c’est un régal. Bryon Gysin flashe sur «Brian’s broad talents and revolving moods». Il décrit leur arrivée chez lui, dans la maison qui surplombe la baie de Tanger : «Il y avait Mick et un Keith saturnien qui louchait sur la minijupe d’Anita Pallenberg, et Brian Jones avec une frange de cheveux roses couvrant les petits yeux rouges de lapin.» Cecil Beaton les décrit aussi autour de la piscine : «Les trois Stones, Brian Jones et sa girlfriend Anita Pallenberg - visage blanc et sale, yeux sales au beurre noir, coiffure jaune canari sale non peignée, bijoux barbares, Keith Richards en costume du XVIIIe siècle, long manteau en velours noir et pantalon moulant, et bien sûr Mick Jagger.» Keef continue d’avoir Brian à l’œil, car il voit bien qu’il commence à dérailler - He was becoming increasingly vicious - Un soir Brian propose à Anita une partie carrée avec deux prostituées berbères couvertes de tatouages et de piercings primitifs. Elle est choquée. Et quand Keef voit un soir Anita arriver avec les yeux au beurre noir, il lui propose de la ramener à Londres.

Keef s’en sort comme il peut avec cet épisode pas terrible : «C’était pour la sauver, pas pour la piquer à Brian. Ce qu’il lui faisait subir me dégoûtait. Je savais qu’il n’existait plus aucun lien d’amitié entre nous trois, Brian, Mick et moi. Anita en avait marre de lui. Et en plus, Anita et moi étions really into each other.» Keef ajoute que pendant cette dernière shoote entre Brian et Anita, Anita n’a pas été la seule à recevoir des coups : «Anita lui a rendu coup pour coup, elle lui a pété deux côtes et un doigt.» Et hop, ils repartent en Bentley, abandonnant Brian tout seul à Marrakech. Alors pour l’aider à surmonter l’insurmontable, Bryon emmène Brian au marché Jemaa el-Fnae, espérant que les flûtes de Joujouka vont le distraire de l’enfer dans lequel il a commencé de rôtir. Mais à l’hôtel, il s’effondre. On le transporte dans l’une des chambres libérées par les Stones. La rupture avec Anita diront certains va endommager Brian sérieusement, et même peut-être de façon irréversible. Anita était en fait la seule femme qu’il ait aimé, dit le père de Brian. Après la rupture, il a changé du tout au tout. «Ce jeune homme enthousiaste est devenu un être morose et nous fumes choqués de son apparence physique en le revoyant. Il n’est jamais redevenu le même.» Paul Trynka qui signe une bio de Brian Jones ajoute que la manière dont ils se sont débarrassés de Brian au Maroc «était exceptionnellement brutale et inhumaine, but they were just young.»

L’infamie ne s’arrête pas là : quand Anita revient à Courtfield Road récupérer ses affaires, elle en profite pour emplâtrer la moitié du stock de hasch de Brian. Quant à Keef, il se sert et embarque une bonne partie des albums de Brian - A good proportion of Jones’ cherished library of albums - Là on touche au fond. Brian ne leur pardonnera jamais cette trahison : il dit à qui veut l’entendre : «First they took my music. Then they took my band and now they’ve taken my love.» Une citation que reprendra Anton Newcombe pour rendre hommage à Brian Jones dans l’un des albums du Brian Jonestown Massacre. C’est une véritable tragédie shakespearienne. On a raconté ici et là que Brian Jones avait été victime de son auto-destruction. Comment peut-on dire une telle connerie ? De son vivant, la plus brillante incarnation du Swinging London rôtissait en enfer. Ses petits copains Mick and Keith ne lui ont épargné aucune humiliation. Beaucoup plus que Keith Richards, Brian Jones pouvait se réclamer du fameux When I die I’ll go to heaven cause I spent all my life in hell.

Puis Anita s’installe avec son deuxième Rolling Stone. Wells marche sur des œufs pour aborder ce chapitre. Magnanime, il attribue à Keef a modest libido, estimant qu’il préfère une relation suivie avec une seule femme plutôt que l’anarchique profusion de pots de miel générée par la célébrité. Une fois qu’il a rompu avec Linda Keith, Keef se rend disponible pour une nouvelle aventure, et comme il vit un temps à Courtfield Road avec Brian et Anita, la nouvelle aventure ne va pas se faire désirer trop longtemps. Pourtant au début il dit faire gaffe. Il se dit attiré par Anita, mais il veut absolument préserver sa relation avec Brian. Vas-y mon gars, préserve. Mais bon une bite reste une bite, et quand tu as une poule comme Anita dans les parages, ta bite te monte vite au cerveau. Keef rappelle incidemment qu’à l’époque tous les mecs louchaient sur Anita. C’est vrai : quand on la voit à poil dans Perfomance, on se lèche les babines : super cul et super seins, une vraie bombe sexuelle ! Mais attention, Deborah Dixon indique qu’Anita était beaucoup plus sophistiquée que Brian qui lui était beaucoup plus sophistiqué que Keef. Donc c’est pas gagné.

Et voilà que Keef se met à porter des bracelets, des écharpes, des bagues, des colliers et même du khôl autour des yeux. Wells insinue qu’Anita le re-définit. Elle poursuit aussi sa carrière d’actrice et voilà que Donald Cammell lui propose l’un des rôles principaux dans Performance. Keef n’aime pas Cammell, il sent que c’est un manipulateur - sa seule passion was fucking other people up - he was the most destructive little turd I’ve ever met - Keef le hait et il propose du blé à Anita pour qu’elle ne fasse pas le film. Mais Anita veut poursuivre sa carrière. Ce sera au tour de Keef de rôtir en enfer, car il sait que dans certaines scènes, Anita doit aller au pieu avec Jag et la petite Michèle Breton, tout le monde à poil et la consigne de Cammell est de ne pas faire semblant. Il tourne en caméra vérité. Keef dit que certains soirs, il fait amener la Blue Lena devant la maison où est tourné le film, mais il n’ose pas entrer de peur de voir ce qu’il ne veut pas voir, Anita au pieu avec son collègue Jag - Tony Sanchez : «His world would crumble as surely as Brian’s had» - Keef ne veut pas se faire baiser comme Brian. Il préfère faire l’autruche. Il pense bien sûr à l’autre, là le Jag qui comme tout le monde ne rêve que d’une chose : baiser Anita Pallenberg, ce qu’il va bien sûr pouvoir faire, puisque Cammell l’envoie séjourner à poil au pieu avec elle. Comment peut-on résister à ça ? Perfide, Anita se dit fidèle à son homme et nie toute baisouillerie, mais des chutes de montage attestent du contraire.

Bon alors Performance, parlons-en. On se demande bien pourquoi ce film est devenu culte. Donald Cammell n’est ni Scorsese ni Polanski et encore moins Abel Ferrara. La réputation de violence du film est un peu surfaite. Abel Ferrara en aurait fait quelque chose de plus consistant. James Fox fait partie d’un gang de racketteurs londoniens. Ces gangsters londoniens que filment Cammell et Nicholas Raeg n’ont aucune crédibilité. Quand des mecs passent James Fox à tabac et le violent, la scène est d’une pénibilité sans nom. James Fox trouve refuge dans l’entresol de la maison où vit Turner/Jagger avec deux femmes, Anita et Michèle Breton. Elles sont pour la plupart du temps à poil et le parfum de décadence voulu par Cammell brille par son absence. C’est un film d’une grande indigence, aussi bien au niveau de l’image, du rythme que de l’écriture. Fox déclare dans la presse que sur le tournage, Jag et Anita démarraient une relation. Jag aurait demandé à Anita de virer Keef et elle aurait refusé. Cammell avait en outre demandé à Jag d’incarner deux personnages : Brian, androgynous, druggie, freaked-out, et Keith, hors-la-loi, auto-destructif, tough. Et du coup, Jag va si bien jouer le jeu qu’Anita va tomber sous son double charme. Le film a une réputation si détestable qu’il va rester coincé pendant des années. Lors d’une projection privée, l’épousé d’un producteur exécutif vomit de dégoût sur les pompes de son mari. Un autre spectateur remarque que dans le film tout est dégueulasse, y compris l’eau du bain où s’ébattent Jag, Anita et Michèle Breton. C’est en effet ce qu’on voit. Quand il sort en salle, le film est descendu par la critique. Keef parvient à choper la fameuse K7 des chutes de montage et comme le dit si bien Wells, he was incandescent at what he saw. Mais ça ne l’empêchera pas de faire des gosses à cette roulure. Il l’a dans la peau.

De Performance à l’hero, il n’y a qu’un pas que Keef et Anita franchissent allègrement. Ils commencent par des speeballs, une pratique que Wells rattache à l’arrivée de Dylan à Londres en 1966. Quand Keef commence à se shooter, il ne fait pas d’intraveineuses, il se pique dans les muscles du dos. C’est sa technique. Puis ils prennent le rythme et Anita monte jusqu’au tiers de gramme par jour. C’est dans cette période que Kenneth Anger fait irruption à Londres et s’infiltre dans le cercle des Stones. Il se rapproche aussi de Donald Cammell dont le père Charles fut ami et biographe d’Aleister Crowley. Mais Wells ne s’étend pas trop sur le chapitre de l’occulte, du moins pas autant que Mick Wall le fait dans sa bio de Led Zep, puisque Jimmy Page est lui aussi un fervent admirateur d’Aleister Crowley. Un autre Américain arrive à Londres : Marshall Chess que les Stones nomment à la tête de leur label. Chess va vivre un an chez Keef et Anita à Cheyne Walk, Chelsea. Keith et Anita ont déjà Marlon. Puis en 1976, Anita met au monde son deuxième fils, Tara Jo Jo Gunne Richards qui va mourir pendant son sommeil. Elle mettra ensuite au monde Dandelion Angela pour laquelle Keef va composer Angie.

Et puis voilà l’autre grand épisode de la saga Keef/Anita : Nellcôte. Menacés de faillite par les impôts britanniques, les Stones doivent une fois de plus fuir leur pays. C’est le Prince Rupert Loewenstein qui s’occupe de leurs finances et il leur recommande d’aller s’installer en France : à partir du moment où on paye ce qu’on doit, les flics ne sont pas très regardants. Tout le monde décampe, direction la côte d’azur, the French Riviera - A sunny place for the shady people (Sommerset Maugham) - Et là, Wells nous fait le stupéfiant portrait d’Anita en femme d’intérieur, ou plus exactement en house guest. C’est elle qui doit gérer Nellcôte, embaucher le personnel, choisir la bouffe pour tout le monde tous les jours, il y a des tas d’invités de passage et pas de passage, c’est table ouverte, vingt à trente personnes. Un peu euphorique, Wells se marre avec des petites formules du style La Belle Epoque meets Grand Guignol. La villa se trouve à Villefranche-sur-Mer, tout près de Nice. Wells rappelle que la villa Nellcôte fut pendant la guerre une officine de la Gestapo, donc on trouve des trucs à la cave. Un jeune photographe nommé Dominique Tarlé vient faire un jour faire quelques photos, il accepte de rester le soir et finira par séjourner six mois à Nellcôte. En plus de la bouffe et de l’entretien, Anita doit s’occuper des enfants. Elle fait restaurer la cuisine et embauche un chef. Comme elle parle plusieurs langues, elle gère tout, y compris les fournisseurs. On ne sert qu’un seul repas par jour, vers 18 h, a big meal, tout le monde fume des joints à table et la nuit, on enregistre. Le séjour dure neuf mois et la liste des gens de passage est impressionnante, ça va d’Alain Delon et Catherine Deneuve à John Lennon et Yoko Ono, Terry Southern et Williams Burroughs. Puis les choses se dégradent quand des petits dealers locaux s’installent dans un pavillon au fond du jardin. Encore une mauvaise idée d’Anita. Là ça devient ingérable, les mecs entrent dans la villa et chourent tout ce qu’ils peuvent, des guitares, des bijoux, du cash, c’est un paradis pour les voleurs. Keef le vit mal car une douzaine de ses guitares disparaissent, dont sa Telecaster préférée. Puis des rumeurs de trafic de drogue commencent à circuler et les poulets s’en mêlent. Les Stones vont devoir une nouvelle fois filer à la cloche de bois, en laissant tout sur place.

Et puis la relation entre Keef et Anita se détériore. Ils font de la détox tous les deux et comme chacun sait, la détox réactive la libido. Keef recommence à avoir les mains baladeuses, mais pas avec Anita qui a pris du poids et qui n’est plus trop baisable. Keef préfère les formes rebondies d’un mannequin nommé Ushi Obermaier, encore une Allemande, décidément. Anita s’installe à New York et doit se contenter de demi-portions comme Richard Llyod, ce qui quand même laisse songeur, quand on sait qu’elle s’est tapée Brian Jones ET Keith Richards. Mais officiellement, Keith et Anita sont toujours ensemble. Ils ont une maison de famille à South Salem, jusqu’au moment où un jeune mec nommé Cantrell qui est amoureux d’Anita se tire une balle dans la tête avec l’un des calibres de Keef. C’est la fin de la relation entre Keef et Anita. Keef vend la baraque. Chacun pour soi et Dieu pour tous. De toute façon, les enfants sont grands. Donc bye bye Anita. Il y a eu assez de catastrophes comme ça. Brian Jones, Tara, Cantrell, ça suffit.

Anita et Keef ont maintenant des petits enfants. Ils se revoient de temps à autre dans des réunions de famille. Keef avoue qu’il reste quelque chose du sentiment qui les unissait avant. Il dit qu’il aime Anita mais qu’il ne peut pas vivre avec elle - And we’re proud grandparents, which we never thought we’d ever see - Eh oui, quand Anita et Keef ont eu Tara et Angela, ils étaient junkies et personne n’aurait misé un seul kopeck sur leur avenir, vu la gueule de morts vivants qu’ils tiraient. Keef va même réussir à survivre à Anita. Elle casse sa pipe en 2017. C’est à Keef que revient l’honneur du dernier mot, chance que n’eût pas le pauvre Brian : «Long may she not rest in peace, because she hates peace !»

Signé : Cazengler, Pellenberk

Simon Wells. She’s a Rainbow: The Extraordinary Life of Anita Pallenberg. Omnibus Press 2020

 

In Mod we trust - Part One -

Piller (re)tombe pile

Eddie Piller tombe toujours pile. Pas de filler chez Piller. Eddie Piller est certainement le plus habilité de tous à inaugurer cette exploration intensive du Mod World que va proposer dans les prochains mois l’In Mod we trust. Par l’arrogance de sa suffisance, cette chronique des temps MODernes ne manquera pas de trahir une coupable mais massive consommation de paires d’uppers, absolument nécessaires pour d’une part écouter les Jam sans s’endormir et d’autre part doter la plume d’un tonus capable de l’envoyer valdinguer comme un vulgaire scooter dans le premier virage. Tous ceux qui sont montés là-dessus savent que le scoot est l’un des meilleurs moyens de se casser la gueule.

Annoncé dans la presse anglaise à grands renforts de tambours et de trompettes, Eddie Piller Presents The Mod Revival est une box indispensable à toute cervelle encore un peu rose. Pour plusieurs raisons. Un, Piller tombe toujours pile. Deux il écrit lui-même son texte de présentation, et ce qu’il écrit tombe toujours pile. Trois, il nous propose avec les cent titres répartis sur quatre CDs une sélection qui est la sienne et qui ne fait pas trop double emploi avec l’autre Mod Box déterminante, Millions Like Us, qu’un Part Two va se charger d’éplucher.

Eddie Piller fait remonter le Mod Revival aux early mid-seventies et cite trois groupes en référence : Dr. Feelgood, The Hammersmith Gorillas et Eddie & The Hot Rods. Et pouf, il présente le teenage Mod Jesse Hector qui dans cette période avait transformé his sixties obsession into a hard and angry mod-influenced rock band. Il cite aussi The Radio Stars fronted by the John’s Children mod face Andy Ellison. Puis bien sûr, il embraye sur les Jam qui fut le premier Mod revival band à émerger en 1977, suivi de près par les Écossais de The Jolt. Puis il évoque la formation en 1978 de The New Hearts avec Dave Cairns et Ian Page, qu’Eddie connaît bien puisqu’il grandit dans le même coin qu’eux, à Woodford. Des New Hearts qui par la suite allaient devenir Secret Affair. Il situe une autre source à l’origine du Mod revival dans le booklet de Quadrophenia, paru en 1973 - while completely no-mod in its creative musical style - Selon Eddie Piller, le booklet donna à des milliers de kids their first glimpse of the exotic and forgotten world of the mod. Scooter, target T shirts, feathercut hairstyles and the ubiquitus US Army parka - Le booklet allait aussi donner aux kids américains their first taste of this very British phenomemnon. Puis c’est l’apparition en 1978 des Mekons et de Gang Of Four, et à quelques rares exceptions près (Gary Bushell dans Sounds et Adrian Thrills dans le NME), les journalistes ignorent complètement la naissance du Mod revival. C’est en février 1979 que le mod revival devient le Mod Revival, quand les Jam viennent jouer à Paris, suivis par 50 ou 60 early London mods. Puis ça explose en Angleterre - Suddenly mod was everywhere - Chords, Secret Affair, les Jam, Long Tall Shorty, tout ça au Marquee, in the wake of the maximum r’n’b. En 1979 paraît le fameux Mods Mayday, avec 6 groupes, dont les Merton Parkas et les Chords, enregistrés live. Côté labels, c’est la curée. Tout le monde veut rééditer l’exploit de Stiff avec «New Rose». Jimmy Pursey tombe amoureux du Mod Revival, qu’il voit plus working class que le punk. Il signe sur son label les Chords, les Low Numbers et Long Tall Shorty. Mais comme le dit Eddie, les choses ne sont jamais simples avec Jimmy Pursey qui va voir son business s’écrouler. Secret Affair a plus de chance, puisque leur manager s’appelle Bryan Morrison, un vétéran du Swinging London que Piller qualifie de powerful. C’est aussi en 1979 qu’apparaît la fameuse ska-scene. Tout va bien jusqu’en 1982 : Paul Weller arrête les Jam alors qu’ils sont at their peak. Terminus, tout le monde descend - Mod just went back underground - Et c’est là qu’Eddie situe la deuxième vague du Mod Revival avec Makin’ Time, The Prisoners, The Times, Small World, Fast Eddie et The Moment. Une deuxième vague qui dure six ans, until the 1988 acid house explosion that destroyed British youth culture as we knew it. Deux ans plus tard, Mod was still there but it had changed. Les Prisoners étaient devenus deux groupes : le James Taylor Quartet et les Prime Movers, et Makin’ Time avait engendré les Charlatans - Bizarre qu’Eddie Piller oublie de citer Fay Hallam - Puis c’est la Britpop, plus rien à voir. Eddie Piller termine sur une grosse bouffée de nostalgie : «And the broad church of Mod, in its many forms is still with us today - but nothing, and I mean nothing could replace the sheer excitement of that first summer of 1979. The twisted wheel keeps on turning.» Magnifico.

Maintenant la box. Le disk 1 démarre avec The Jam et «I Got By In Time». Désolé Eddie, mais ce n’est pas révolutionnaire. C’est trop énervé et chanté comme ça peut. Pas bien stable dans les virages. Par contre, The Jolt passe comme une lettre à la poste. «I Can’t Wait» est plus décidé à vaincre, bon d’accord, le gratté d’accords ne vaut pas celui des Who, mais ils développent une belle énergie, hey hey hey ! Le relentless de leur Mod rock sent bon le reviens-y. Cette box est passionnante car Piller offre un panorama assez complet en allant piocher à droite et à gauche, comme par exemple chez les Inmates, simplement parce qu’il aime bien leur son, notamment cette reprise de «Dirty Water». En fait, ce qui frappe le plus sur cette box, c’est que non seulement elle grouille de pépites, mais elle regorge aussi d’énergie, elle tient bien la distance des 100 cuts, on ne s’ennuie pas un seul instant et petite cerise sur le gâteau, on fait de sacrées découvertes. Car Eddie Piller nous fait écouter sa collection de singles, et c’est une véritable caverne d’Ali-Baba. Si tu en pinces pour le son, pour l’énergie, pour la découverte, cette box te tend les bras. La bombe du disk 1, c’est «Your Side Of Heaven» par Back To Zero : bien riffé dans la gueule du rock, down in London town, ce hit s’élève dans le fog comme un totem Mod. On retrouve bien sûr les Purple Hearts avec «Frustration», on sent battre le heartbeat Mod, c’est bien amené, just perfect. Belle surprise avec l’«Only A Fool» des New Hearts qui sonnent comme des Américains de London town, et ils ramènent un son incroyable, c’est puissant et chanté à outrance, on comprend qu’Eddie Piller puisse adorer ça. Pur Mod Sound avec l’«Opening Up» de The Circles, ils font du hymnique pur bien orienté vers l’avenir. Il existe forcément un groupe qui s’appelle The Mods. Les voilà avec «One Of The Boys», alors bienvenue au paradis des Mods, ils vont vite en besogne. Eddie Piller choisit bien ses groupes. Tout est basé sur le niveau d’énervement, c’est tapé dans la cuisine, ces mecs sont les rois du raw. Encore une révélation avec Tony Tonik et «Just A Little Mod», il chante d’une voix de Master & Commander, un vrai Moddish king of the saturday nite, Eddie Piller a raison de le ramener dans l’arène, Tony Tonik tient bien le choc. Bizarrement, les Chords ne marchent pas dans cet environnement, ils sonnent comme des libellules, alors qu’ils sont très puissants. Chris Pope visait la perfe avec «The British Way Of Life», cut balèze mais trop délicat dans le contexte de cette pétaudière. Pareil, les Teenbeats ne marchent pas non plus : trop énervés pour monter sur des scooters, trop punk, mais il s’agit d’un punk à l’anglaise, assez working class, no way out, oui, mais avec un certain esprit gluant. Les punksters anglais ont un éclat que n’auront jamais les punksters américains. Speedball est là aussi avec «No Survivors», ils foncent dans le tas, on y reviendra. Tiens voilà The Cigarettes avec «They’re Back Again Here They Come». Le mec chante à la Rotten, il fait un punk Mod de cockney downhome. On retrouve aussi les excellents Long Tall Shorty, assez cultes en Angleterre. Ils jouent leur «Falling For You» au rock’n’roll high energy. Quant au «Don’t Throw Your Life Away» de Beggar, c’est assez bordélique. Ah les jeunes ! Il faut bien qu’ils s’expriment, mais c’est un son de MJC avec du solo crade. Encore du son dans le «No Way Out» des Fixations. Eddie Piller a raison de ramener ces groupes dans sa box, tout est bien ici, Eddie Piller est comme Gandhi, il est le bienfaiteur de l’humanité Mod. Avec «Paint A Day», The Leepers vont plus sur la pop, mais ils ont la bénédiction d’Eddie Pïller, alors laissons-les tenter de sauver le monde. Plus loin, les Two Tone Pinks s’exacerbent avec «Look But Don’t Touch», c’est très anglais, très skabeat, mais c’est mal chanté et on retourne à la MJC avec les Elite (sic) et «Get A Job». Eddie leur donne une chance d’exister, c’est du sans espoir qui a le mérite d’exister.

Eddie Piller lance son disk 2 avec Secret Affair et «Let Your Heart Dance». Boom ! Ces démons de Secret Affair ont tout compris, ils ramènent des cuivres, et là tu danses, avec tes petits bras et tes petites jambes. C’est tellement parfait que ça frise le génie. Toute l’Angleterre danse et voilà qu’arrive un solo de sax ! Ils montent des gammes dans le feu de l’action. L’autre énormité cabalistique du disk 2 est «Fuck Art Let’s Dance» par The Name. C’est de l’in the face d’Ace the face drivé au big power. Ces mecs savent de quoi ils parlent. Tout est dans le drive. On retrouve bien sûr les Lambrettas et les Mertons Parkas, les premiers avec «Go Steady», bardé d’énergie juvénile et de scoot italien, fabuleux beat élastique, et les Parkas avec «Flat 19», encore plus Moddish, bien tendu, bravo Merton, Mod all over the place, chanté à l’énergie pure. «Flat 19» est l’un des grands classiques MODernes. On retrouve des cuivres dans l’excellent «Let Him Have It» de The Bureau, c’est un son tellement anglais ! Le «Does Stephanie Knows» de Squire est assez déterminé à plaire. Ce psyché Mod basé sur le Stephanie de Love est visité par les esprits et bien jointé au chant. Une autre petite merveille : «Life On An L.I?» de The Sets, battu sec et allumé au riffing perpétuel, avec un clone de Daltrey au chant et un guitariste qui se faufile entre les jambes, comme un petit serpent proto-Mod. C’est d’une qualité qui subjugue, leur tension est assez rare, alors on y revient. Big sound encore avec le «What I Want» des Donkeys. Quelle envolée ! C’est gorgé de riffing, tout ici est joué à l’énergie maximaliste, sommet du Mod blast. Superbe. Oh il ne faudrait pas oublier de saluer les Crooks avec «Modern Boys», pur jus de Whoish, les chœurs sont un hommage aux Who. Ils font une descente dans la mythologie. Même les claqués d’accords sont whoish. Eddie Piller sait pourquoi il sélectionne des trucs comme «Let Me Be The One» par The Steps : pour le shuffle de cuivres. C’est du haut niveau. Même chose pour Small Hours avec «Can’t Do Without You», c’est cuivré de frais, mais la voix est un peu forcée, dommage. Il n’empêche qu’Eddie Piller les induit dans son Hall of Fame, alors ça passe. Ça finit même par devenir assez beau. Curieux, non ? Il ramène aussi les Dexy’s Midnight Runners et «Dance Stance». On s’en serait douté. Les Dexys sont trop puissants pour ce genre de box, mais il semble logique qu’Eddie Piller puisse les admirer. Il enchaîne à la suite Nine Below Zero et Madness, qui arrivent comme des évidences. Il passe ensuite par une petite zone ska avec The Akrylyx et The Media, puis avec The Little Roosters, on échappe au Mod Sound. Les Roosters doivent être les premiers surpris de se retrouver sur la compile d’Eddie Piller. En fait, il accueille tous les chiens écrasés de la scène anglaise, et c’est bien. Les Hidden Charms sont un peu plus putassiers et plus loin, The Reaction nous envoie avec «I Can’t Resist» une belle giclée de Mod spirit dans l’œil. Ils chantent à la pointe de l’exaction, c’est excellent. Tous ces singles sont excellents. Quelle profusion ! Et ça continue avec The Killometers («Why Should It Happen To Me») et le ska des Colours («The Dance»).

Des quatre disks de la box, le 3 est sans doute le plus énervé. Il suffit d’aller écouter le «101 Dam-Nations» de Scarlet Party : ces mecs s’explosent la rate dans la nuit Mod, ils jouent au power d’outer space, ça sonne comme l’injonction du génie mélodique. Avec Eddie Piller, tu n’es pas au bout de tes surprises. L’autre bombe du disk 3 est le «Train To London Town» de Solid State. Ils allument bien la gueule du mythe. Merci Eddie Piller de nous ramener tous ces singles extraordinaires. L’énergie Moddish nous fend le cœur. On l’a dit, ce disk 3 grouille d’énormités, comme Mood Six avec un «Hanging Around» fabuleusement agressif, plein de son et plein d’allant. On croise rarement des groupes aussi brillants. The Onlookers amènent «You And I» au son des London Mods, avec un sens de l’ouverture extraordinaire, voilà le génie des Mods, un subtil mélange de punk et de cockney, une excellence explosive et une basse qui pouette dans le son, all along the way. Vas-y Onlooker ! T’auras jamais mieux. Avec «The More That I Teach You», Les Prisoners sonnent comme une évidence. Graham Day ne rigole pas avec le Teach You, il va même bien au-delà de Piller et de sa box, il pulse son Mod Sound à coups de nappes d’orgue et bien sûr, c’est une énormité. Encore une belle agressivité avec The Scene et «Something That You Said». Ces mecs mélangent le mad psyché au pah pah pah et ça donne une émulsion explosive. Encore du Moddish as hell avec le «Go» des Heartbeats. Ils nous font le coup du get go du coin de la rue, c’est encore une fois brillant et plein d’énergie. Eddie Piller nous déterre encore une merveille : The Risk avec «Good Together», ces arbitres des élégances font une Soul de rêve, une Soul inespérée de grandeur tutélaire, puis les Little Murders chantent un ton en dessous avec «She Lets Me Know», presque pop, mais quelle belle teneur de la ferveur, ils sautent sur le râble de leur cut. Encore du pur jus de Mod Sound avec The Kick et «Stuck On The Edge Of A Blade», c’est taillé dans la masse du beat, allumé dans la gueule, chanté à la cavalcade, infernal, trop d’énergie, tu n’entendras ça qu’une seule fois dans ta vie, alors profites-en. T’es pas prêt de revoir des groupes de ce calibre. Petits calibres et gros calibres, tout ici est invincible. Même le heavy boogie des Long Ryders qui ouvrent le bal du disk 3 avec «Looking For Lewis And Clark». Eddie Piller aime le boogie, donc ça s’explique. S’il sélectionne les Long Ryders, c’est pour leur power, rien que leur power. Avec «I Helped Patrick McGoohan Escape», les Times d’Ed Ball font du Spencer Davis group. C’est leur façon de saluer les ancêtres. On croise plus loin des VIPs qui n’ont rien à voir avec le gang de Mike Harrison. Nouvelle flambée de Mod craze avec Sema 4 et «Up Down And Around», ils nous font le coup de l’équation magique : accords + frénésie + bass drive = wild Mod sound. Les Variations d’Eddie Piller ne sont pas les Français et le «Can You See Me» de 007 déploie une belle énergie de scoot. Ces mecs ont du gusto à revendre, ils pulsent bien leur background social, avec des oh oho oh et une basse voyageuse. Avec «The Faker», The Gents impressionnent aussi, ils font leur truc, une petite Mod pop sans espoir de débouché, mais quelle fraîcheur ! Le «Can We Go Dancing» des Amber Squad sent bon le working class, avec son chant âpre et sa guitare ferrailleuse. Encore une fois, tout est bien ici, le «No Vacancies» de The Clues est assez glorieux, ces mecs chantent vraiment au coin de la rue, ils sont dans leur Mod culture avec tous les défauts et les qualités du genre, la voix est trop mâle, mais diable comme le guitariste est bon !

Et forcément le disk 4 grouille encore de merveilles comme «The Other Me» de Studio 68, stupéfiante dégelée envoyée par des surdoués du Mod Sound, ils mettent les bouchées doubles, Piller et sa box explosent avec Studio 68, c’est noyé d’orgue et d’élégance, on se demande vraiment d’où sortent de telles merveilles. Avec «Nor The Engine Driver», les Daggermen n’ont rien à envier aux Who, ils allument leur cut aux chœurs, c’est turgescent, you again, ces mecs jouent dans l’urgence du Whoish System, un vrai crève-cœur. Parmi les groupes les plus connus, on retrouve The Inspiral Carpets avec «Saturn 5», powerfull mélange de claviers, de basse et de fuzz, ça déborde vite, avec ce monstrueux loop de claviers. Makin’ Time est là aussi avec «Here Is My Number», et la bass attack de «Lust For Life» mais ils amènent leur truc assez vite, on comprend qu’ils soient entrés dans la légende. On se demande ce que Five Thrity fait ici et pourtant leur «Abstain» a du potentiel. Eddie Piller a de l’oreille, il a repéré Tara Milton et son dégouliné d’accords jetés dans le brasier. Sa Mod pop anglaise est un modèle. Autre groupe connu comme le loup blanc : Ocean Colour Scene avec «The Day We Caught The Train», ils naviguent dans une autre veine, plus pub rock mais bon, Eddie Piller les aime bien. Pareil pour le James Taylor Quartet, présent avec «One Way Street», big energy, ils sont bien plus puissants en instro qu’avec du chant. Et puis il y a le bataillon des moins connus, comme The Truth qui ouvre le bal du disk 4 avec «Confusion (Hits Us Every Time)», ces mecs sont bons, ils bouffent la bande passante, tout est balèze, les chœurs, les envois de renforts et les retours sur investissements, chœurs de Who et revival craze, c’est l’un des mad Mod blasts les plus réussis, maturité du chant et big sound, the Truth forever ! Eddie Piller adore les cuivres, alors voilà The Blades avec «Revelations Of Heartbreak». On le sait, les Corduroy sont les rois de l’instro avec le James Taylor Quartet et «E Type» ne fait pas exception à la règle. Ça rampe sous la carpette des Mods, ces mecs jouent la carte du heavy groove à la roulette russe, Eddie Piller a 100 fois raison de ramener ces mecs dans la box, ils sont féroces, ils jouent le shuffle à la vie à la mort. Aw my Gawd, quelle énergie ! C’est la basse qui drive ce jazz beat. Puis Mother Earth embarque «Stoned Woman» au shuffle d’orgue, ils jouent la même carte d’instro demented et la voix apparaît sur la tard. Tous les groupes de la box ont du son, et The Strangeways crèvent le plafond avec «All The Sounds Of Fear». Le Mod craze n’est pas une vue de l’esprit, c’est une culture, une esthétique, un fabuleux pactole de vie. Stupidity casse encore la baraque avec «Bend Don’t Break», une vraie petite merveille coulissante, avec des coups de trompette et des cuivres fabuleux. D’intérêt encore supérieur, voici les E-Types avec «She Changes» et les Elements finissent par échapper aux Mods avec «Caught In A Storm». Merci Eddie Piller pour cette belle box et ce «Caught In The Storm» qui finit en beauté. Tous les groupes présents sur cette box doivent être fiers.

Dans un Shindig! de l’an passé, Eddie Piller présente une douzaine de ses disques favoris, et chacun de ses commentaires tombe pile. Il démarre avec les Saints et «Know Your Product», nous racontant que le copain de sa mère travaille en 1978 chez EMI. Comme Eddie est malade avec la variole, il ne va pas à l’école et il écoute les 45 tours que lui ramène le dit copain. Pouf, il tombe sur «I’m Stranded» - This record changed my life - Mais il trouve «Perfect Day» encore mieux - J’aimais tellement le groupe que j’ai économisé two grand pour les suivre sur une tournée australienne quand j’avais 17 ans - Et il termine avec ça : «One of the most underrated bands of all time.» L’autre surprise, c’est Todd Rundgren avec «I Saw The Light». Il découvre ce hit quand il bosse pour la filiale anglaise de Bearsville, le label de Rundgren, qui prépare une compile. Eddie Piller se dit convaincu du génie de Rundgren. Il connaît aussi «Open My Eyes» des Nazz - He was one of the few American mods who really got the concept - Et il conclut avec l’une de ses chutes prophétiques : «One of life’s good guys.» Attention, ça monte encore d’un cran avec le «Tin Soldier» des Small Faces - Quite simply the best rock record ever recorded - Eddie nous rappelle que sa mère s’occupait du early fan club des Small Faces avant d’être virée par Don Arden - Le groupe était incroyable et si Marriott hadn’t fucked it up and opened the door to Rod, ils auraient été le biggest British band of the ‘60s (apart from the Beatles ans Stones of course) - Bon, ça chauffe encore avec The Action et «Wasn’t It You» - Reg King formed the best Brisitish mod band of all time - Il se reprend : «No, fuck that, they were the best British band of all time.» Eddie Piller est le fan number one en Angleterre, il ne mégote pas sur l’enthousiasme et c’est pour ça qu’on le vénère et qu’on l’écoute attentivement. Il rappelle en outre que George Martin pensait le plus grand bien de The Action. Eddie surenchérit : «The Action are the most criminally underrated band of all time.» Voici «Orgasm Addict» des Buzzcocks, the first band I ever saw - The post-Howard Devoto line-up was, for me at least, the perfect mod band - Angular guitars with guenine modernist sleeves. Steve Diggle is still one of my heroes - Grâce à ce single, Eddie fut renvoyé de l’école. Bon, il ramène aussi les Jam avec «I Got By In Time» - Weller and his three piece introduced me to the main motivating factor of my life, Mod - Puis il suit le groupe religieusement. Il indique au passage que Weller a toujours voulu nier le Mod Revival - He thought he was alone on his mod crusade - Il n’était pas seul, s’exclame Eddie, we were with him and there were millions like us. Il cite à la suite le «Walk On By» des Stranglers, le single qui l’a initié à l’Hammond organ. Il flashe aussi sur «Ventura Highway» d’America (Sonic genius) et sur «Lady Day And John Coltrane» de Gil Scott-Heron (This record is just one of the best dance records of all time). Il revient sur The Style Council («Shout To The Pop») qu’il qualifie de perfect pop band - Suburban jazz-funk with a super cool aesthetic and razor-sharp political lyrics - Il qualifie «Expansions» de Lonnie Liston Smith de perfection et termine avec l’«Ordinary Joe» de Terry Callier. Eddie Piller rappelle qu’il a passé six semaines en 1989 à rechercher Terry Callier, car il avait arrêté la musique pour travailler dans le bâtiment. Eddie n’avait qu’une obsession : faire redémarrer sa carrière. Il a finalement réussi à l’avoir au téléphone mais Terry ne voulait rien entendre. Mais Eddie est tenace et il a fini par le convaincre de venir jouer à Londres - The nicest man in music bar none.

Dans un numéro Special Mods de Vive Le Rock paru aussi l’an dernier, Paula Frost invite Eddie Piller à présenter sa box. L’occasion est trop belle de revenir sur l’historique évoqué plus haut, qu’il complète avec des petites infos pilleriques. Il indique par exemple qu’il aimait bien la scène punk, «but I became a Mod after a Stiff Little Fingers gig.» En rentrant chez lui en train de banlieue après le concert des Stiff, Eddie voit un mec bomber le mot ‘Mods’ sur un mur. Comme il ne savait pas ce que ‘Mods’ voulait dire, il va trouver le bombeur et lui pose la question. En guise de réponse, le bombeur l’invite à venir voir The Chords le lendemain soir à Deptford. Le lendemain, quand il voit les kids en parkas, Eddie se dit : «This is the life for me». En 1979, il devient un Mod obsessed et co-fonde le fanzine Extraordinary Sensastions. Et pouf, The Chords, Secret Affair et les Jam. En 1979, le Mod Revival était encore un mouvement underground à Londres. Eddie indique qu’il n’y avait alors que 200 Mods, puis le mouvement à gagné le Nord de l’Angleterre - that ran up north into northern soul and scooter clubs - Mais dans la presse, personne ne prend le Mod Revival au sérieux. Les journalistes les rattachent au pub-rock ou les dénigrent - It’s a joke - mais bon, le mouvement tient bon car les groupes sont bons, ils sont même nettement plus intéressants que la deuxième vague punk et l’ennuyeuse new wave. Les groupes nous dit Eddie sont différents - We were basically punks with parkas on - Il ajoute que les Purple Hearts et les Chords étaient assez proches des Undertones, et c’est Quadrophenia qui déclenche tout.

Signé : Cazengler, tripe à la mod de Caen

Eddie Piller Presents The Mod Revival. Box Demon Records 2020

Ace Face. Shindig! # 107 - September 2020

Time For Action. Vive Le Rock # 75 - 2020

ANIMAL MAN

DHOLE

( Mai 2021 / Bandcamp ) )

Faut avoir vu la pochette de leur premier album ( paru en 2015 ) avant de regarder celle de leur deuxième. Cette précaution élémentaire empêchera certains ( et certaines ) de déclencher la farandole des colères inutiles. L'opus n° 1 sobrement porte sobrement l'unique mention Dhole. Pour les bouffons incapables de réciter par cœur L'histoire naturelle de Buffon nous rappelons que le dhole est un canidé d'une belle couleur rousse originaire d'Asie qui par son apparence physique et son mode de vie s'apparente au loup, vit en meutes qui n'hésitent pas à s'attaquer à des animaux dangereux telles les panthères. Il est donc tout à fait logique que cette pochette du premier enregistrement de Dhole, Wild Society, nous offre la photo d'un gros plan d'une carnassière gueule de dhole prête à mordre. Excellent symbole pour un groupe de punks rebelles qui n'a pas envie de se laisser marcher sur les pattes, et prêt à s'attaquer à tout ce qui ne lui revient pas.

Pour la petite histoire du rock'n'roll, le kr'tntreader ne manquera pas de faire le rapprochement avec les pochettes du Live de Steppenwolf et de Tears, Toil, Sweat & Blood de Walter's Carabine, enregistré au Swampland Studio ( se reporter à l'article du Cat Zengler de la précédente livraison 517 ) groupe dans lequel officient Joe Ilharreguy et Marius Duflot que l'on retrouve comme par hasard dans Dhole.

Enfin nous arrivons au deuxième album de Dhole Animal Man, aucun cousin du lycaon sur la couve, aucun autre animal non plus, enfin si, celui que l'on n'attend pas, un homme, il est vrai que si les naturalistes inscrivent sans problème et sans remords notre espèce dans le règne animal, la plupart de nos congénères se considèrent d'un cran plus élevé que nos amis les bêtes, nous répugnons à confondre les torchons avec les serviettes, nous restons persuadés que nous sommes d'une essence supérieure. Dhole le groupe se refuse donc à ce subtil distinguo, nous ne valons pas plus que les autres bestioles, l'homme est juste un animal, pas plus ni moins et pour prouver leur assertion z'ont déniché la photo d'un très beau spécimen, un mâle blanc hyper-machiste s'insurgeront les guildes féministes, le cigare conquérant tendu comme un sexe en érection, un sceptre royal, un prédateur, les yeux froncés, fixés sur l'horizon, sans doute pour ne pas laisser échapper une proie, à le regarder l'on se dit que l'homme est un dhole pour l'homme ( et la femme ). L'homme est aussi un carnassier, ne mange pas sa victime consentante mais la croque volontiers.

Marius Duflot : guitar, vox, synthé / Baptiste Dosdat : basse / Joce Ilharreguy : drums, percus.

Evil girlfriend : bruizarre, bruizarre, j'ai bien dit bruizarre, serait-ce l'imitation approximative du bruit qu'émet le guttural gosier du dhole en période de reproduction, l'on s'attendait à une avalanche de gros son, une agression punk dument sur-calibrée et nous avons affaire à un phénomène qui échappe à tout ce à quoi une oreille puisse s'attendre, la suite est encore plus aventureuse, cette guitare et cette basse incapables de produire une franche sonorité, une batterie qui joue à la fragmentation éparpillative de la frappe, et cette voix qui semble n'avoir pour but que de ne pas être entendue tout en voulant qu'on la remarque. Cette fille est vraiment diabolique elle déstabilise le cortex de l'auditeur moyen. She's mine : double surprise cette fois-ci, serait-on parti pour une croisière au bon son, bon ce n'est pas Le beau Danube bleu non plus, mais enfin cela s'écouterait sans trop de problème s'il n'y avait pas ce vocal d'asthmatique répétitif, c'est fou comme la parole humaine peut provoquer des catastrophes auditives, aucun kr'tntreader ne me croira après ce que j'ai dit sur le morceau précédent, ce truc ressemble à une chute studio pas très longue des Beatles ( deuxième période expérimentale ), une espèce de déconstruction derridienne de la chanson rock. S'ils continuent comme cela, vont nous rendre chèvres. Celle de Monsieur Seguin attaquée au petit matin par un grand méchant dhole. Sticky eyes : sûr que l'on ne se méfie pas, pas question de les suivre les yeux fermés, mais les trompes d'Eustache en alerte maximum, c'est un peu la suite du précédent, même style, en plus rapide, agrémentée d'une urgence ambulatoire, tentent de pousser l'expérience au bout de ses limites, c'est du haché maison tout cru mais robotisé, une dégringolade d'escalier avec au bout la trappe du palier qui s'entrouvre et vous happe sans ménagement. Descendez au sous-sol, il n'y a plus rien à entendre. Le temps de reprendre vos esprits vous vous apercevez qu'il y a eu dans le monde deux grands évènements : le massacre des bébés phoques dans les sixties et celui opéré plus tard par des groupes de rock inconscients qui ont décidé de massacrer les sixties elles-mêmes, fils de mauvaises familles qui dilapident l'héritage consciencieusement amassés par les générations précédentes dans l'envie rimbaldienne de trouver du nouveau. Wrong : vous comprenez que cela ne peut pas durer, vont tous se retrouver à l'asile, ces fils dévoyés faut bien qu'ils servent à quelque chose, qu'ils accèdent au moins au statut d'objets vivants d'étude, cela permettra d'économiser le prix des souris de laboratoire, le résultat est atterrant, l'ensemble ressemble à des coupes de cerveaux longitudinalement étirés, rien à en tirer, c'est mou comme du chewing gum, ça colle aux gencives, mais reconnaissons-le le goût n'est pas mauvais, nous en reprendrions bien une deuxième dose. Stay at home ( when you want to go out ) : le morceau précédent n'avait qu'un seul défaut sa lenteur escargotique alors sur celui-ci ils rattrapent temps perdu, à toute vitesse, se sont entassés dans une 2Chevaux cahotique après avoir saboté les freins, font les essais sur une pente savonneuse, un peu foutraque, mais ils s'amusent bien, nous aussi. En plus à la fin c'est eux qui crashent, pour nous que du plaisir. Bully : apparemment s'en sont sortis vivants car ils envoient la daube à grosses louches, faut tout de même qu'ils gâchent tout, jouent aux élastiques vocaux et bientôt c'est du n'importe quoi contrôlé, z'ont de la suite dans les idées, ils sont le cheval fou et l'auditeur se doit à un moment ou à un autre être désarçonné. C'est leur manière à eux d'emballer. Primitive ( cover ) : on ne peut rien vous cacher depuis quelques temps l'on sentait quelques crampes nous monter le long de l'œsophage et des rotules, là ils allument la luxmière à tous les étages, sont trop près du modèle sur la première moitié du morceau, il ne faut jamais hésiter à tuer le maître dès la première seconde, se lâchent un peu par la suite, se permettent quelques fantaisies, mais pas assez iconoclastes à notre goût. Z'auraient peut-être dû reprendre une tranche de Captain Beefheart. Water will dry : se rattrapent sur le dernier morceau avec ce bruit de lessiveuse caverneuse et cette voix qui nous annonce une apocalypse somme toute joyeuse si l'on en juge aux intonations simili-africaines du vocal qui prédit l'estocade finale, des buveurs, l'on sent que la race dholienne ne connaîtra pas l'extinction des dinosaures, sont trop malins et trop doués pour se faire rattraper par le cataclysme sonoriquement avarié qu'ils ont suscité.

Un opus majeur. A écouter. Musicalement aventureux. Un must zical.

Damie Chad.

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EUROPEAN SLAVES

CRASHBIRDS

( YT / Juin 2021 )

Depuis ce doux pays pluvieux de Bretagne où le beurre est aussi salé que les larmes, les Cui-Cui nous adressent leur nouvelle vidéo. Une mauvaise habitude que le confinement a renforcée. L'avant-dernière Silence ( assez bruiteuse tout de même ), la précédente You can't always get what you want, reprise des Stones, ( qui nous en a donné pour notre plaisir ) et la toute dernière, cet European Slaves. Mettons les choses un peu au point, pour ceux qui risqueraient être choqués par la voix cinglante de Delphine, qui claquera en leur esprit comme le fouet sur le dos de l'esclave, et qui se trouveraient vexés d'être ainsi injustement rabaissés...

RAPPEL GEOGRAPHICO-HISTORIAL

Depuis la fin des cueilleurs-chasseurs, l'Humanité a connu trois époques : celle de l'esclavage, celle du servage, celle du salariat. Par chance, s'écrient les âmes primesautières, nous vivons en le troisième tronçon de l'amélioration sociétale. Nous ne sommes plus des esclaves accablés sans aucune contre-partie jusqu'à notre mort de travaux pénibles, de même nous ne sommes plus des serfs attachés à la terre que nous labourons gratuitement pour nos maîtres, nous vivons en une époque magnifique, nous sommes libres de vendre notre force de travail à qui veut l'acheter. Et nous dépensons notre paye comme nous le voulons. Certes souvent notre rétribution est un peu maigre voire insuffisante, mais tant que nous avons un travail plus ou moins bien payé, tout ne va pas si mal que cela. Il y a eu pire même si ce n'est pas encore le top supérieur. Optimisme ravageur. Qui oublie que les trois étapes susnommées ne représentent que des variantes adaptalisées selon les nécessités productales des besoins plus ou moins différents d'une même exploitation...

Ces idées générales pour traiter du mot ''slaves'' qui constitue la deuxième partie du titre. Le premier mot ''European'' est davantage inquiétant. Comme nous sommes européens puisque nous vivons en Europe, nous nous sentons géographiquement concernés par ce premier vocable. N' y a pas que la Géographie qui soit européenne, l'Histoire l'est aussi. Et puisqu'il faut aborder les sujets qui fâchent, ces dernières décennies l'Histoire Européenne nous laisse pour le moins dubitatifs...

DE BRIC ET DE BROC

Le sujet est complexe. Mais les Crashbirds n'ont peur de rien. L'on pourrait accroire qu'ils se sont retirés en Bretagne pour durant une bonne quinzaine d'années rédiger une thèse de plusieurs milliers de pages ( que personne n'aura le courage de lire ) afin de nous exposer leurs idées sur la question. Ben non, se contentés de prendre leurs guitares, de se munir de bouts de cartons, d'une pochette de feutres, d'une poignée de rivets, et d'une paire de ciseaux pour découper les dépliants publicitaires de leur boîte à lettres, z'étaient si sûrs de leur coup qu'ils n'ont même pas eu besoin de demander à leur chat de participer à leur projet. Que voulez-vous, les situations critiques relèvent de la plus grande urgence.

LE CONSTAT DE DEPART

Sont partis d'un constat simple : comment se fait-il que leur album European Slaves hormis l'accueil chaleureux du public et de la presse rock n'ait pas suscité un tumulte effroyable parmi les larges masses amorphes de la population. Nous sommes au siècle de l'image, malgré la superbe pochette de l'album dessinée par Pierre Lehoulier, il a manqué ils ne savaient pas quoi au juste pour que le pays prenne feu. Ils avaient le son et l'image, que rajouter encore pour produire le cataclysme social espéré. La réponse aristotélicienne s'imposait d'elle-même : le mouvement. Se sont immédiatement mis à l'œuvre. Le résultat ne s'est pas fait attendre.

RESULTAT

Sur la vidéo Pierre Lehoulier et Delphine Viane interprètent, guitare à la main, la chanson phare de l'album : European Slaves. J'entends déjà les ronchons maugréer, super original, une vidéo sur laquelle les artistes chantent leur chanson ! Je désespèrerais toujours de l'engeance humaine. On lui désigne la charge du troupeau de rhinocéros qui foncent sur elle et les malheureux ne voient que les rhinocéros, n'ont pas la présence d'esprit d'entrevoir la lourdeur de la charge qui est déjà en train de les piétiner. Les zoziaux ont inversé les rôles, normalement dans un film le décor est au service des acteurs, là c'est le contraire nos sinistres corbacs – ne nous ont jamais habitués à une telle modestie - servent de faire valoir au décor.

Evidemment au tout début on ne voit qu'eux déguisés en simili-militaire qui se détachent sur un fond de carton uni. Deuxième révolution filmique : z'ont décidé que les images subliminales des propagandes idéologiques invisibles à l'œil humain seraient visibles par tout le monde. Pas question qu'ils vous refilent leurs idées en douce, Pierre n'a pas oublié qu'il était aussi dessinateur de BD, l'a mis des dessins partout, se bousculent tout le long du morceau, et attention des dessins qui bougent. Des engrenages complexes qui tournent. Hélas pas tout seul. Faut des humains pour faire turbiner les machines, faut des conducteurs dans les bagnoles pour aller au boulot, faut des ménagères pour pousser les caddies, des ouvriers pour les marteaux piqueurs, des employés pour taper sur les ordinateurs, et j'en passe, etc... etc... tiens des docteurs pour vacciner les gens à la chaîne...

Peut-être est-ce le moment pour s'interroger bêtement : mais pourquoi tous ces gens se ruent-ils à toute vitesse sur le boulot, c'est vrai que s'il y a un bobo, les pompiers et le Samu se hâtent pour vous soulager au plus vite, mais pourquoi acceptent-ils avec tant d'empressement leur aliénation, pourquoi se comportent-ils comme des esclaves ( européens ) ?

Les Crashbirds nous glissent en douce une petite explication, parce qu'ils vont pouvoir consommer à outrance, vous font défiler des bandeaux de pub à toute vitesse, ne gagnent pas beaucoup mais quel hasard extraordinaire, vous avez des promotions ou des rabais gigantesques sur toutes sortes de produits, surtout sur ceux dont vous n'avez nul besoin, mais un si grand désir suscité se doit d'être comblé au plus vite...

Sont pris dans la machine et les machines n'ont qu'une fonction les transformer en engrenages de la machine, le kr'tntreader pensera au film si prophétique de Chaplin sur Les temps modernes... Les petits dessins de Pierre ont la même force persuasive et démonstratrice. Certes le morceau est à écouter, ces guitares implacables et cette voix lumineusement laminante de Delphine, mais pour une fois, nous avons affaire à un clip qui parle à notre intelligence et non plus seulement au déclenchement pavlovien de déhanchements rythmiques qui vous apaisent plus qu'ils ne vous poussent à la révolte. L'est parfois nécessaire que l'on vous mette le nez dans le caca de votre vie d'autruche pour que vous vous rendiez compte que vous filez un mauvais coton comme l'on disait dans les plantations du grand sud... ce pays où est né le blues...

Un cartoon qui cartonne !

Damie Chad.

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La semaine dernière l'on a commencé la tournée des cimetières, pas de raison pour que l'on ne continue pas, juste avant les vacances un petit rappel du Memento Mori, que prononçait l'esclave qui tenait la couronne au-dessus de la tête du général qui fêtait son triomphe dans l'antique Rome, ne saurait faire de mal, en plus les Kr'tntreaders qui viennent d'apprendre qu'ils seront privés jusqu'à la fin août de leur cazenglérienne ration hebdomadaire de rock 'n' roll tirent déjà une gueule d'enterrement. Donc nous nous mettons au diapason de leur état d'esprit, nous savons bien que cette interruption beaucoup d'entre eux la vivent comme la pire des :

TRAGEDIES

FUNERAL

( Artic Serenade / 1995 )

Premier album du groupe précédé de deux démos, la première nommée Tristesse ( bonjour ) et la deuxième Beyond All sunsets, l'on ne peut pas reprocher à ses trois membres originaux de ne pas avoir de la suite dans les idées. Viennent de Norvège. L'on dit que la proximité du cercle polaire et les longues nuits des hivers nordiques n'incitent pas à la joies et inclineraient au suicide. Einar Andre Fredriksen bassiste du groupe mettra fin à ses jours en 2003. Il est l'auteur des lyrics des troisième et quatrième morceau de l'opus. C'est lui aussi qui assure les parties djentées du disque. Christian Loos, guitare, décèdera en 2006, il travaillait à un hommage à son ami Einar... Thomas Angel malgré son nom séraphinesque survivra mais finira par quitter le groupe dans lequel il officiait à la guitare, Anders Eek, batteur et membre fondateur restera toujours présent jusqu'à aujourd'hui malgré de nombreux changements. Toril Snyen arrive pour l'enregistrement de la deuxième démo, excellente pioche, elle sortira de scène après Tragedies , je ne sais ce qu'elle a fait par la suite. Ce premier album est considéré comme décisif pour la création de ce courant que l'on désigne sous l'appellation funeral doom.

Taarene : chanterelle de guitares tire vers le médiéval en introduction, n 'hésitez pas à lui trouver une allure guillerette, car vingt secondes plus tard lorsque surgit le bourdon, pardon le burdoom funèbre du groupe, surgissement de basses funèbres, vous comprenez que le soleil de la joie s'est noyé, englouti au fond de la la mer, au fin-fond de l'amertume, mais ce n'est rien, la voix froide de Toril s'élève et vous envoûte sous les voutes sombres du désespoir, une voix pure comme la mort qu'elle chante, elle est-là toute seule au bord de la tombe de son bien-aimé, dans un premier temps elle se parle à elle-même, mais c'est la voix enrouée de gravier qui lui répond de dessous les profondeurs éternelles, musique froide à la ressemblance de ces scolopendres géants qui hantent les cercueils délabrés, sur les linceuls funèbres des rideaux mortuaires étincelle un gémissement de guitare recouvert de la chape baveuse des pleurs asséchés, elle chante maintenant dans le silence des notes dispersées d'un luth, elle promet l'éternité de son amour pour parvenir à l'amour de l'éternité, musique processionnaire, roulements lents de batterie, la musique et le chant vous mènent pas à pas, vous ne savez pas où mais peut-être dans une immobilité éternelle. L'orchestration s'appesantit et recouvre de terre le devenir de l'oubli qui se fige en lui-même. Under ebony shades : consolation du pauvre, ils ont abandonné le norvégien pour l'anglais, mais ce n'est pas plus gai. Un chantonnement plus aérien, lorsque le désespoir n'est plus qu'une consolation, que l'on a tout brûlé au fond de soi, la pureté atteinte est pour ainsi dire désincarnée, la bouche d'ombre éructe depuis le lointain dessous, si proche mais si inatteignable, l'âme esseulée ne croit plus en rien, ses anciennes croyances se sont évanouies, pour son âme et pour le monde Dieu est mort. Ils, elle et lui, chantent tous les deux en même temps celui qui mange la terre par les racines et celle qui refuse le ciel, musique plus lourde, poussée en avant par la batterie d'Eek qui roule à la manière d'un fourgon mortuaire traînée par deux chevaux de traits, double soulignage noir tiré sur les appétences de l'existence, l'on aimerait que cela ne finisse jamais mais il y a déjà longtemps que tout s'est arrêté, et la voix glaciale continue à tomber tels de rares flocons de neige qui ne se rejoignent jamais dans leur étrange ballet funéraire. Et la litanie s'égrène encore plus esseulée, juste quelques cordes de guitares psalmodiées en acoustique, grognements souterrains, reprises incandescentes de flammes qui ne brûlent pas mais pétrifient, et l'une d'entre elles, électrique qui monte encore plus haut, élastique en vain, la prière au néant de dieu reprend de plus belle. Que reste-t-il de l'esprit sous la glaise inféconde, le mort ne peut survivre que dans ses propres souvenirs qui tournent en rond dans le vide de sa cervelle. Accompagnement ad libitum. L'on prend son temps chacun des deux premiers morceaux dépasse les douze minutes. Demise : ne pensez pas qu'ils n'ont pas d'imagination si encore une fois le morceau débute par quelques notes de guitares si dénudées que l'on a envie de dire qu'elles sont jouées a capella, la voix semble apaisée, dans le calme du cimetière, tout intérêt s'amenuise, le chagrin n'est-il qu'une illusion, qu'une courte-vue, les fleurs poussent entre les tombes ne sont-elles pas le signe de la résurrection, du retour, de l'éternel retour de ce qui ne veut pas mourir, dialogue empli d'espoir, mais il est une autre manière d'entrevoir la plénitude du verre de la mort rempli à moitié, l'homme renaît de sa propre poussière oh oui, mais n'est-ce pas pour retourner au creux du verre de la mort à moitié vide, poussière tu es, poussière tu retourneras, le timbre de Snyen parcouru d'élans et de brisures, la musique en points de suspension qui dispersent leurs atomes, plus pure la proclamation de la vanité finale de la survie cyclique, la voix triomphe pour mieux mourir. Basse implacable. When nightfall clasps : au plus mauvais moment de la nuit lorsque l'encre tombe, que le noir du désespoir s'épaissit et s'alourdit tel un moteur d'avion qui ne veut pas disparaître et qui vous obsède de sa puissance, la voix prend la relève de la guitare, elle comble les vides, et la bouche d'ombre se confine en ses propres dires, elle vous demande de vous taire et de ne faire confiance qu'en vos actes passés, il existerait donc une possibilité sinon de réveil, au moins de récompense, a-t-on tué Dieu trop vite, nous appellera-t-il à lui, illumination d'espoir ou de folie, vers où se dirige-t-on dans cette immobilité d'éternité, le vocal comme une prière et l'orchestration qui s'allonge telles   les ombres devant nous sur le chemin quand le soleil décline, elle atteint à une grandiloquence instrumentale que l'on ne lui connaissait pas, est-ce que que ce que les mots bégayants ne peuvent pas prononcer, la musique est-elle là pour l'exprimer, le borborygme s'enlace au chant de la colombe, le vieil espoir séculaire ne veut pas mourir, la voix de Toril sonne comme des cloches d'angélus, une prière s'exhale des lèvres des agonisants. Le silence nous laisse dans l'expectative. Moment in black : ce coup-ci ce sont de franches sons de cloches qui résonnent, l'on va connaître le dénouement, n'y a-t-il rien, ou y a-t-il autre chose ? Marche funèbre ces roulements de tambours, ou le ciel qui s'entrouvre, la voix plane comme un ange, elle prend son envol vers l'empyrée, dans les films lorsque le dénouement approche l'on monte la musique et l'on fait durer le silence, ne se privent pas de cet artifice, l'on y arrive, mais doucement sans se presser, le bourdon butine encore de plus en plus fort, les tambours roulent pour l'ouverture des portes, la guitare devient tendresse, elle tourne au violon, c'est le grand moment, derrière les huis jusqu'à lors fermés, s'ouvre l'éternité, la mort n'est qu'un pénible et court instant à traverser.

Pas de quoi en faire un fromage dirait d'un rire sardonique le renard de la fable qui malgré ses paroles n'oublie pas de ramener le calendos dans son terrier, l'on pensait que Funeral nous conterait les affres du nihilisme, non, l'on retombe dans les tiroirs usés de la christologie la plus coutumière. Tant de fascination pour la mort pour rentrer sagement au paradis, Funeral nous déçoit un peu. Pourquoi cet attrait pour le tombeau pour s'en échapper à la fin, finitude qui se révèle être une naissance définitive... C'est sûr que c'est magnifique. Superbe. Une messe chantée. Pratiquement en apesanteur. S'inscrit davantage dans une tradition christianolâtre que dans le rock satanique. Peut-être est-ce pour cela que le disque a eu tant de succès. Il ne vous referme pas la porte sur le nez au dernier instant. Vous laisse l'espoir. Il ne faut pas décourager l'auditeur qui n'est qu'une partie du bon peuple qui a porté au pouvoir ceux qui le dirigent. Il est juste qu'il reçoive un lot de consolation. Ça ne peut pas faire de mal et ce n'est surtout pas trop cher. Manquerait plus que cela ! Par contre j'hésite au niveau idéologique, si l'orchestration me fait pencher pour le catholicisme, les paroles m'incitent à désigner une influence rigoriste toute protestante. Ce qui expliquerait l'économie de moyens, peu d'instruments, une voix toute classique, une retenue récitative. L'on hésite sans arrêt entre symphonie ou psaume chanté.

Petite note personnelle : en rédigeant cette chronique, me suis aperçu – c'est mon ordi qui m'a montré les traces de mon passage – que j'avais déjà pensé au mois de septembre 2020 à chroniquer cette bête. Je n'en n'avais aucune souvenance, l'on échappe difficilement à ses propres errances, sans doute avais-je déjà été attiré par la pochette ultra romantique, cette automnale feuille d'un orange incendiaire et cette implorante figure féminine éplorée, les yeux levés vers le ciel...

TRISTESSE

FUNERAL

( NOL / 1993 )

Funeral s'est formé en 92, Tragedies n'est pas né ex nihilo, le disque est trop parfait pour ne pas avoir été longuement mûri. Tristesse est la première démo sortie en cassette six titres. Une grosse ruse de sioux pas très finauds, la côté A présentait trois morceaux et le côté B exactement les trois mêmes morceaux. Parfait pour jouer à pile ou face. Vous étiez sûr de tomber sur vos trois titres préférés. Le format du carton de la K7 ne se prête pas au sujet évoqué, ce cadavre roide comme une planche à repasser dont l'âme est censée monter au ciel attendue par des anges – l'un pourrait voir Dieu en personne - armés de glaives vindicatifs se révèle peu explicite.

Anders Eek : drums et clear vocal ( clair ) / Einar Andre Fredriksen : guitars, dark vocals / Thomas Angel : guitars / Pat Kjennerud : basse. + Steffen Lundemo : guitare classique.

Thoughts of tranquility : intro à l'acoustique merci Mister Lundemo, lorsque la guitare se tait la tranquillité prend un sacré coup dans l'aile, le mourant a encore de l'énergie, râle très fort parfois il semble vomir, faut dire que derrière l'orchestre ne lui laisse pas de répit, joue un peu le rôle de ces prêtres qui se mettent en colère et tempêtent lorsque l'agonisant refusent l'absolution, sont dans la grandiloquence lente, de fait dans ce titre Funeral a condensé tout ce qui sera développé dans l'ensemble de Tragedies, tout est là, certes le mort est encore là, pas pour très longtemps l'est en train de passer de l'autre côté, n'y a que ces arrêts subits, ces pauses de silence qu'ils abandonneront, le gars y va vitesse grand V, clamse en dix minutes et hop grande joie, passe du désespoir le plus profond à la plénitude la plus accomplie, Dieu est là, tout gentil, le moribondé peut même l'embrasser, il se sent revivre, il sent le parfum des fleurs, à croire que les étagères du paradis sont remplies de pot de chrysanthèmes. A poem for the Dead : petit intermède classique comme tous les débuts mais le groupe pousse ses guitares comme l'on jette le taureau dans l'arène, un morceau pratiquement deux fois plus long que le précédent, c'est un peu normal, c'est le mauvais côté de la chose. La chose c'est la mort. Et le mauvais côté c'est la vie. Pour sûr le mort est heureux de respirer les senteurs des coquelicots dans les champs du Seigneur, mais pour ceux qui restent du mauvais côté c'est plus dur, l'amour est parti et une vie de tristesse et de désolation attend celle qui l'aimait. Le bonheur est une pomme qui se mange à deux mais il semble qu'une des deux parts est plus amère que l'autre, musique tragique, la batterie marque le pas, à chaque coup elle décapite une colonne de la solitude humaine, les survivants arpentent des champs de ruines, une cymbale sonne le glas des illusions déçues et des séparations fatales, la batterie dissèque les heures fatidiques, celles qui vous écartèlent, le chant n'est plus qu'une énorme profération qui essaie de joindre les deux bouts des tendresses humaines, elle s'exalte en un hosanna de pleurs, point de gémissements, des grognements de bêtes prises aux pièges du bonheur et du malheur et... retour de l'intermède classique, le morceau coupé en deux, un cœur qu'un glaive cruel a partagé, irréductiblement. Rien ne recoudra cette plaie ouverte dans l'âme humaine. Si le morceau est si long c'est qu'il n'y a pas de réparation possible. Cul-de-sac à deux voies. Yearning for heaven : sombres éclats de basse, sans doute faut-il regarder des deux côtés à la fois, et trouver ce point d'équilibre où toutes les contradictions s'équalisent, s'amenuisent, disparaissent... à moins qu'elles ne s'exaspèrent, celui qui reste, celui qui part, celui qui tutoie les anges et celui qui tutoie le cadavre et le cadavre qui se tue soi-même, l'âme est peut-être là-haut mais il vaut mieux n'y pas penser, ci-bas sous terre c'est la vie vécue que l'on revit, et si on veut la revivre encore il vaut mieux oublier son âme qui batifole dans le jardin des délices. Musique solennelle et dramatique, vomitoire de vocal, qui grince et rappelle que la faille est partout, mortelle dans la vie, existentielle dans la mort. Imaginons une limace géante et saliveuse, toute glaireuse qui s'avance lentement et tourne en rond indéfiniment sans pouvoir rompre le cercle enchanté et maléfique du destin humain. Intermède classique pour faire passer la pilule...

De même intensité musicale que Tragedies cette première démo vaut le déplacement. Tristesse est beaucoup plus sombre que Tragedies. Une catharsis ne survient pas fort à propos pour nous fournir une fin heureuse. Tristesse erre sans fin dans son propre labyrinthe. Giratoire sans issue.

BEYOND ALL SUNSETS

FUNERAL

( NOL / 1994 )

Einar Andre Fredriksen : guitars, dark vocals / Anders Eek : drums / Thomas Angel : guitars / Christian Loos : guitars / Toril Snyen : vocals

Encore une cassette les deux faces présentant des titres différents et une image beaucoup plus soignée que le blanc et noir de la précédente. Le même visage féminin que l'on retrouvera sur Tragedies, mais ici présenté comme une photographie posée sur un mur craquelé de formes difficilement identifiables, motif géométriques, floraux, mystérieux comme des signes en voie d'effacement...

Heartache : toujours ces cordelettes de guitare classique en intro, cela correspond sans aucun doute à la formule rituelle des contes pour les enfants, il était une fois, mais la musique est trop angoissante pour s'attendre à une merveilleuse histoire, la voix de Toril, douce comme une plainte, enchanteresse comme une mystérieuse litanie, et la réponse engorgée arrive, un duo s'établit, l'esseulée et l'homme au cœur brisé, tous deux sont seuls, l'une bougie qui s'éteint, et l'autre de l'autre côté, dans la mort, encore faut-il s'en rendre compte, en prendre conscience, une différence subtile quand on y songe, quelque degrés d'insimilitude, un froid un tantinet plus glacial, une guitare qui glisse un solo de glace dure et coupante, tout vocal est souffrance qu'il soit de clarté funèbre ou d'incompréhension encore entachée d'existence, le morceau se déploie telle la prise de conscience de son inconscience. Tout s'apaise, peut-être vaut-il mieux ne pas savoir. Fêlure insondable. Moment in black : ce morceau concluait Tragedies, ici il perd sa force conclusive, Funeral a compris que les concepts ou les images ne sont pas fixes, sont comme des pièces de mécano qui peuvent être agencées de façons fort différentes, ce ne sont pas les fragments en eux-mêmes qui déterminent le sens d'un raisonnement mais la place où ils se situent. Beyond all the sunsets ne se terminera pas comme Tragedies, les données sont ici traitées beaucoup plus généralement ce qui explique pourquoi dans ce morceau le mort est remplacée par une morte... When nightfall clasps : ce morceau est à l'origine l'avant-dernier de Tragedies, mis à cet endroit, nous sommes au plus noir du désespoir. Forlon : une introduction encore plus lourde, sans harmonique, dénudée, plus loin que le désespoir ne reste que la révolte, le rejet des dieux. Funeral semble suivre la postulation baudelairienne du reniement, les deux voix, celle de l'homme et celle de la femme, sont enlacées, psalmodient de concert, elles n'y croient plus, colère d'autant plus décidée qu'elle n'explose pas, qu'elle reste rentrée, comme figée, glacée comme un cadavre, mortuaire, ou la vie éternelle, ou le refus de dieu, sont déterminés à vouloir tout. Ou rien. La basse comme une mouche qui bourdonne au carreau mais qui ne traverse pas la vitre. Amplitude du désespoir. Long tunnel instrumental. Tout semble bouché. Dying ( Together as One ) : dix-huit minutes, le morceau de la résolution finale, l'on peut dire que Funeral est une musique wagnérienne, une espèce d'oratorio dans lequel les voix remplacent les cuivres, avec en prime cette étonnante particularité qu'il ne présente qu'un seul et unique leitmotive, décliné sempiternellement mais tellement beau et prenant que jamais l'on ne s'ennuie, une musique qui ressemble à une sculpture mobile de Calder, elle bouge pour vous tout en restant dans l'immobilité de sa propre représentation, n'y a qu'à se laisser porter, c'est vous qui êtes dans le cercueil et c'est vous que l'on porte en terre, jamais on a eu autant d'égard envers votre personne du temps où vous étiez vivant, ce qui n'empêche pas de se demander comment nos héros – mal en point - vont s'en sortir... ils ont une solution, si les Dieux ne donnent pas l'immortalité, ne reste qu'à mourir ensemble, se suivre dans la mort, s'accompagner dans la mort, de Baudelaire l'on passe à Villiers de l'Isle Adam, Axël et sa fiancée Sara qui boivent à la coupe sciemment, non pas comme Roméo et Juliette ces amoureux victimes des circonstances, mais ici en un acte délibéré décidé dans la splendeur de la vie. Mais Funeral n'imagine pas que la mort soit un soleil, elle est juste la manière de surseoir à la laideur des existences agoniques. La vie est une défaite et la mort un coucher de soleil définitif. Avec rien au-delà. Prélude et mort d'Iseult et de Tristan. Pas pour rien qu'ils aient été traités après cette deuxième démo de groupe le plus dépressif du monde. Z'ont un peu corrigé le tir avec Tragedies. Mais le mal était fait. Quelques années plus tard ils ont adopté le style gothic. L'est sûr que comparé au funeral doom, le carton-pâte du gothic c'est de la grosse rigolade. Du moins de la comédie romantique...

Très puissant, âmes fragiles et dépressives s'abstenir...

Damie Chad.