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21/09/2016

KR'TNT ! ¤ 295 : CHPIS MOMAN / FRANTIC ROCKERS / THE DISTANCE / NAPALM DEATH / JIM TULLY / JAMES BALDWIN / JOHN LENNON

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

, Chips Moman, Frantic Rockers, THE DISTANCE + Napalm Death + l'empreinte + JIM TULLY, JAMES BALDWIN, Marie-Hélène Dumas + JJohn Lennon,

LIVRAISON 295

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

22 / 09 / 2016

 

CHIPS MOMAN / FRANTIC ROCKERS /

THE DISTANCE / NAPALM DEATH /

JIM TULLY / JAMES BALDWIN / JOHN LENNON

UN MOMENT CLE

, Chips Moman, Frantic Rockers, THE DISTANCE + Napalm Death + l'empreinte + JIM TULLY, JAMES BALDWIN, Marie-Hélène Dumas + JJohn Lennon,


— Chip quoi ?
— Chips Moman !
— Non ça ne me dit rien...
Le Professor Von Bee et moi avions cette conversation l’autre nuit sur l’autoroute, en rentrant du concert des Rezillos. Il n’avait jamais entendu parler de Chips Moman et pourtant, un peu plus tôt dans l’après-midi, il me faisait écouter une compile Kent consacrée à Dan Penn qui venait tout juste de paraître.
C’est vrai que Chips Moman est passé un peu à la trappe, en France. Aux États-Unis, Chips est une légende, au même titre que ses vieux copains Dan Penn et Spooner Oldham. Enfin, était, car Chips vient de casser sa pipe et on lui doit bien un coup de chapeau, pas vrai ? Au moins pour deux raisons : les deux hits co-écrits avec Dan Penn, justement, «The Dark Side Of The Street» qui fut un hit pour James Carr, autre légende à roulettes, et «Do Right Woman Do Right Man» qui fut un hit pour Aretha.
C’est l’histoire de ce hit écrit pour Aretha qui est marrante.
Il faut remonter un peu dans le temps, jusqu’en 1966, l’année où Aretha songeait à quitter Columbia. Cinq ans auparavant, son père le Révérend Franklin avait choisi Columbia plutôt que Tamla car il voulait que sa fille entamât sa carrière sur un label prestigieux. Ce serviteur de Dieu ne rêvait que d’une seule chose : voir sa fille devenir une star. De 1961 à 1966, Aretha enregistra des albums produits en partie par John Hammond. Mais elle ne parvenait pas à entrer dans le hit-parade, alors que toutes ses copines originaires comme elle de Detroit y caracolaient déjà, grâce à Tamla. Les disques d’Aretha très orchestrés et trop arrangés de la période Columbia semblaient ringards, alors que Berry Gordy réinventait la poudre et sortait quasiment un hit planétaire chaque semaine. The sound of young America ! Ça ne vous rappelle rien ?

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Aretha était alors mariée à Ted White qu’on surnommait le gentleman pimp. Ted White était en fait un mac black très distingué qui faisait bosser plusieurs filles. Il n’eut aucun mal à séduire Aretha qui était aussi une croqueuse d’hommes, en dépit d’une apparente timidité. Johnnie Taylor et bien d’autres se souviennent d’elle comme d’une chaudasse de première main - She was more a party girl, a shy one, but a fox nonetheless - Bettye LaVette connaissait aussi Ted White, en tant que protecteur, et homme de goût qui connaissait ses vins et ses parfums. Bettye explique que dans le monde de la musique noire, les producteurs/managers étaient aussi généralement des proxos : ils trouvaient des femmes qui travaillaient pour eux et qui rapportaient du blé, et en échange, ils les protégeaient. Aretha n’était pas la seule dans ce cas. Sarah Vaughan et Billie Holliday étaient elles aussi macquées. Bettye ajoute que si elles ne rapportaient pas assez d’argent, elles prenaient des coups. Et ça allait même beaucoup loin, car elles prenaient ça pour une preuve d’amour - Lots of chicks felt like if their man didn’t beat her, he didn’t love her (Elles pensaient que si leur mec ne les battait pas, c’est qu’il ne les aimait pas) - Etta James dit qu’Aretha et Ted, c’est la même chose qu’Ike and Tina. Ike a fabriqué Tina et Ted, dit-elle, a façonné Aretha en lui apprenant les bonnes manières et à se conduire dans le monde. Alors Etta se pose la question : aurions-nous connu le succès, Aretha, Sarah, Billie et moi, sans les macs qui nous vendaient ? - A career without pimps selling us ? - Sa réponse est claire - Who the fuck knows !
À l’époque où Aretha est encore chez Columbia, le public commence à l’admirer. Mais Ted White trouve qu’elle ne rapporte pas assez de blé. Justement, le contrat avec Columbia arrive à terme et Ted se frotte les mains. Il sait que les autres gros labels louchent sur Aretha et qu’ils sont prêts à allonger l’oseille.
On est en 1966 et Jerry Wexler a déjà 49 ans. Il se passionne depuis l’enfance pour la musique noire et il fait une carrière de producteur chez Atlantic, un label indépendant qui a décollé grâce à Ray Charles. Le boss d’Atlantic s’appelle Ahmet Ertegun, fils de l’ambassadeur de Turquie aux États-Unis. Ahmet est lui aussi un homme de goût, un mec plus fasciné par les musiciens que par le profit, le contraire exact des businessmen qui gèrent les gros labels corporate et qui ne pensent qu’à se goinfrer. Tout ça pour dire qu’Atlantic et Columbia constituent les deux extrêmes de l’industrie musicale.
Wexler a déjà lancé Solomon Burke et Wilson Pickett, et bien sûr, il rêve de récupérer Aretha. Il a flairé son talent. Il voit son potentiel. Columbia n’a rien compris. Il sait que le contrat d’Aretha avec Columbia va expirer. Il lance un hameçon a Detroit dans l’entourage d’Aretha et il attend.

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Et puis, il a découvert le studio de ses rêves, un endroit où les musiciens jouent avec une incroyable spontanéité. Ce sont des blancs et le studio se trouve à Muscle Shoals, en Alabama. Un jour, il s’y trouve pour superviser une séance d’enregistrement de Wilson Pickett. Percy Sledge entre dans le studio et se fout de la gueule de Wilson qu’il accuse de singer Otis et James Brown. Une shoote éclate, et Wexler doit s’interposer car Percy et Wilson sont d’anciens boxeurs et les coups commencent à partir. Soudain une secrétaire appelle Wexler et lui dit qu’une certaine Louise Bishop le demande au téléphone. Louise est son hameçon à Detroit. Elle lui indique qu’Aretha est prête à le rencontrer. Wexler attendait cet instant depuis des semaines.
Il prend le téléphone que lui tend la secrétaire. Mais il ne tombe pas sur Aretha, il tombe sur Ted, évidemment.
— Mister Wexler ?
— Appelle-moi Jerry !
— Okay, appelle-moi Ted.
— J’ai entendu dire que ta pouliche est à vendre, Ted...
— J’ai entendu dire que tu serais très intéressé, Jerry...
— Plus que très intéressé, gravement intéressé...
— Dans ce cas, il faudrait qu’on se rencontre...
— C’est quand tu veux !
— Donne-moi une date !
— Lundi à New York. Dans mon bureau à midi.
— On sera là.
Si vous entrez dans ce bureau, alors vous entrez dans le monde des géants de l’histoire du rock. Il s’agit de la première entrevue entre Aretha et Jerry Wexler, l’homme qui va faire d’elle une reine, the Queen of Soul.
Aretha et Ted arrivent pile à l’heure, souriants. Jerry est un vieux renard, il les met à l’aise et demande pourquoi ils cherchent un nouveau label. Aretha prend la parole d’une voix de petite fille :
— Je voudrais bien des tubes.
— Et de l’argent, ajoute Ted.
Wexler abat aussitôt ses cartes :
— Je peux vous avancer 25.000 dollars pour le premier album. À la seconde où vous signez ce contrat, je vous donne le chèque.
Wexler s’attend à une partie de bras de fer. Il est sûr que Ted va demander le double. Mais non. Wexler est même choqué quand Ted lui annonce :
— Okay, on y va pour 25.000.
La première idée de Jerry Wexler est d’envoyer Aretha chez Jim Stewart à Memphis. Wexler travaille avec Stax et ça se passe bien. Stax pond hit sur hit. Mais à sa grande surprise, Stewart décline l’offre. Il dit qu’il ne voit pas Aretha enregistrer chez lui dans le studio Stax. Il pense que l’environnement ne lui conviendrait pas. Après coup, Wexler se dit qu’il a frôlé la catastrophe, car Stewart a raison. Wexler sait que la magie se trouve à Muscle Shoals. Il arrive à convaincre Aretha et Ted de descendre faire une première session dans ce petit studio d’Alabama. Nous sommes en janvier 1967. «Respect» (Otis) et «A Change Is Gonna Come» (Sam Cooke) font partie du choix de morceaux. Wexler est sûr de son coup.

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Dans le studio se trouvent les musiciens blancs qui vont faire la légende de Muscle Shoals, Jimmy Johnson, guitare, Roger Hawkins, drums, Tommy Cobgill, bass et Spooner Oldham, claviers. Ah mais il y a aussi un autre guitariste, un mec qui a déjà accompagné des gens du calibre de Gene Vincent et de Johnny Burnette. Oui, c’est Chips Moman.
Au commencement de la session, Aretha ne sort pas de sa coquille. Elle appelle les musiciens Mister et tout le monde l’appelle Miss Franklin. Dan Penn assiste à la session et dit qu’Aretha chante comme une sainte. Petit à petit, l’atmosphère se détend car Aretha apprécie vraiment la spontanéité et l’énergie du groupe. Le courant passe bien, alors elle met le paquet.
Pendant une pause, Dan montre un enchaînement d’accords à Chips :
— Écoute ça !
Ils gratouillent un refrain vite fait sur le pouce et ça devient une chanson intitulée «Do Right Man Do Right Woman». Ils la propose à Aretha qui l’adore et qui décide de l’enregistrer aussi sec. Dans ce climat d’ébullition créative, Wexler jubile. Il sait aussi qu’il assiste à la naissance d’une superstar.
Le studio appartient alors à Rick Hall, boss moustachu du label Fame. Wexler et lui ont un petit contentieux, car Rick a piqué Clarence Carter à Atlantic, mais Wexler a passé l’éponge. Le soir, à la fin de la première session, Wexler fatigué rentre à son hôtel et laisse tout le monde faire la fête, comme c’est la coutume chez Fame. L’alcool coule à flots et soudain une shoote éclate entre Ted White et un joueur de trompette. Racial stuff ! Ted empoigne le bras d’Aretha et ils quittent le studio en claquant la porte.
Rick Hall file à l’hôtel pour essayer de rattraper le coup, mais Ted White n’a pas dessaoulé. Il ne veut rien entendre. Il est même devenu complètement hystérique :
— J’aurais jamais dû emmener ma femme en Alabamaaaaaa pour jouer avec ces puuuutains de rednecks !
— Oh ! Tu me traites de redneck ?
— Tu m’as bien traité de nègre, tout à l’heure !
— Je n’utilise jamais ce mot !
— Mais tu le penses, hein ?
— Je pense surtout que tu devrais aller te faire enculer !
Et pouf, Ted balance un droite et paf ! Rick lui en retourne une en pleine gueule.
Quand Jerry Wexler apprend ça, il accourt pour essayer de réparer les dégâts. Il est six heures du matin. Mais c’est cuit. Ted White est hors de lui.
— Ouais, tu disais que Muscle Shoals était un paradis de la soul ? Mon cul ! Muscle Shoals is soul shit ! Ces mecs sont des nasty motherfuckers ! On se casse ! We’re outta here !
— Mais que fait-on des morceaux, Ted ? Le seul qu’on a enregistré, c’est «I Never Loved» et le début de «Do Right Man».
— T’es dans la merde Wexler. Je ne crois pas que ma femme continuera d’enregistrer pour Atlantic. Tu vois la porte ? Dégage !
Jerry Wexler est anéanti. Le pauvre. Il venait de vivre la plus belle séance d’enregistrement de sa vie et ça se termine en désastre : Ted dit qu’il va quitter Atlantic, il vient de se battre avec le propriétaire du studio et il met fin à la session après seulement une journée d’enregistrement.

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Wexler n’a aucune idée de ce que va décider Aretha. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’Aretha est loyale envers les gens qui lui plaisent. En outre, elle ne supporte plus son mari Ted qui lui fout des trempes en public. Elle va donc profiter de cet incident pour s’en débarrasser. D’autant qu’elle l’a vu picoler toute la journée et gâcher une session d’enregistrement qui lui plaisait beaucoup. Elle s’entendait si bien avec monsieur Moman et monsieur Penn, avec monsieur Hawkins et monsieur Johnson, avec monsieur Wexler et monsieur Hill. Quand Ted a agressé le joueur de trompette, ce fut pour Aretha la fameuse goutte d’eau, celle qui fait déborder le vase. Hop, Ted le manager proxo est viré.
Dix jours plus tard, elle rappelle le pauvre Jerry Wexler qui n’y croyait plus.
— Monsieur Wexler, c’est Miss Franklin à l’appareil. Je suis prête à enregistrer. Mais je ne souhaite pas retourner à Muscle Shoals. J’enregistrerai à New York. Je sais que vous y avez des studios.
— C’est entendu. Que fait-on pour les musiciens ?
— Faites venir les boys de Muscle Shoals, s’il vous plaît. Ils me comprennent bien. Et pour les chœurs, je ferai venir mes sœurs.
Voilà de quelle façon Chips et ses copains sont revenus jouer avec Aretha et finir d’enregistrer I Never Loved A Man The Way I Love You, son premier smash sur Atlantic.

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Oh encore une chose avant de dire adieu à Chips. Dan et lui ont aussi composé un autre hit intemporel : «Cheater Man». Ça ne vous dit rien ? Esther Phillips ! Le cut se trouve sur le volume 3 de la série Formidable Rhythm & Blues. C’est un disque que j’emmenais dans toutes les boums à l’époque. Juste pour pouvoir entendre et faire entendre Esther. Quand elle attaquait «Cheater Man», un éclair de jouissance bulbique nous traversait le corps de la tête aux pieds et on se désarticulait comme on pouvait pour danser la Saint-Guy. La petite voix sucrée d’Esther nous rentrait sous la peau et nous hérissait le poil. Chaque fois que je pense au mot frisson, je l’associe au nom d’Esther Phillips. Elle est restée la déesse de la soul libidinale, la reine de la Nubie schwobienne des songes éthérés, la pourvoyeuse d’élans symptomatiques et la garante d’une certaine pureté sentimentale.



Signé : Cazengler, Moman bobo

Chips Moman. Disparu le 13 juin 2016
Aretha Franklin. I Never Loved A Man The Way I Love You. Atlantic 1967
Thom Gilbert. Soul Memphis Original Sound. Officina Libraria 2014. (Un très beau portrait de Chips Moman s’y trouve)

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BETHUNE RETRO / 27 août 2016


FRANTIC ROCKERS

Le franc tir des Frantic

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Et pourtant, c’était mal parti. Les Frantic Rockers venaient de tester le son avec une mauvaise version du «Rolling Stone» de Muddy et on s’est dit : Oh la la, ça y est, on va encore se taper une resucée du Chicago Blues des années quatre-vingt !

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Eh oui, deux blacks devant avec des guitares, un jeune chicano à la stand-up et un batteur lui aussi chicano à lunettes, on avait là le prototype du petit groupe de club sans avenir ni prétention. Le jeune black au chant semblait assez timide, mais on voyait poindre le rigolard sous le timide. Il avait la physionomie mobile d’un J.B. Lenoir ainsi que son petit côté rondouillard. Son collègue guitariste très métissé portait une casquette et jouait sur une Telecaster, ce qui n’était fait pour nous rassurer. Par contre, la section rythmique affichait une belle tendance rockab à l’Américaine.

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Après deux morceaux cousus de fil blanc qui faillirent sceller son destin, le groupe se mit vraiment en route, comme un moteur qui trouve enfin son régime. Les deux guitaristes commencèrent à claquer des riffs ensemble et soudain, ils transformèrent un set d’apparence bringuebalante en véritable pétaudière. Oui, il s’agissait du vieux Graal que cherchent tous les lapins blancs, le rockab du blues, ou le blues du rockab, si vous préférez, enfin, l’endroit exact où se croisent les deux cultures, cette énergie primitive qu’on trouve chez des gens comme Lazy Lester ou Frankie Lee Sims, Ike Turner ou Jerry Boogie McCain. Et surtout chez Charlie Feathers qui prenait des cours de guitare chez un vieux black de plantation nommé Obie Patterson. Tous ces gens-là ont inventé la pétaudière de cabane branlante.

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En seulement deux cuts, les Frantic Rockers se mirent le public dans la poche. On ne peut pas rester insensible à un son pareil. Ce sont les racines de la musique moderne, de tout ce qui constitue notre univers. Et ils relancèrent leur set de façon spectaculaire. Ils firent tout simplement ce qu’on attend de tous les groupes de rockab, ils se mirent à casser méthodiquement la baraque. Cut après cut, ils shootaient dans la nuit tiède de Béthune tout le ramshakle du Chicago blues des origines, avec la quincaillerie habituelle d’ailes de Cadillac, de pompadour de Muddy, de portières arrachées de Little Walter, de poules noires aux cheveux décolorés, de seringues usagées, de vieux amplis à lampes et à roulettes, de costumes vert pistache et de mocassins en peau de vache, d’épouses trompées mais fidèles, de murs ruisselants de condensation, de faune interlope, de gibier de ghetto, de blues joué trop fort, d’alcool frelaté, de blessures au visage mal soignées, d’harmos sortis des poches des pantalons, de chaussures sans chaussettes, de négritude mal adaptée aux lois urbaines, de jungle dans la jungle, de hantise du gros porc de flic blanc, de bosse de holster sous le veston, de cliquetis des glaçons dans les verres, de bouche pâteuse du petit matin, de poule ramenée à la maison qui se couche toute habillée, de deep blue sea et de toutes ces femmes fishing after me, de cousins eux aussi montés du Deep South par le train, de petits boulots à l’usine, d’odeur de sang pour ceux qui comme Pops travaillent aux abattoirs pour nourrir les gosses, de patrons blancs qui ne payent pas les musiciens, et de Juifs polonais qui ont un studio sur Michigan Avenue et qui font du business sur le dos des nègres.
Le petit gros s’appelle Jessie De Lucas. On se souviendra de lui comme du héros d’un soir. Il chantait et dansait en frottant ses semelles, claquait des riffs et prenait des solos classiques, mais avec une belle rage. On aurait dit un Muddy dévergondé, un Muddy décidé à faire twister les colonnes du temple. Il laissait parfois le micro à son copain David Salvaje qui hélas n’avait pas de voix, mais bon, ça passait, car Jessie dansait à côté et cherchait tous les moyens de faire encore monter la température. Et elle montait, au point que le public réclama encore des cuts, alors ce fut l’enfilade des rappels, et par chance, ils avaient quelques jolis classiques en réserve.

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Pas de miracle, tout ça repose sur une section rythmique infernale. Les deux chicanos jouent les locos, ils n’accordent aucun répit ni au beat, ni au public, et encore moins au qu’en-dira-t-on. Jamais de slow blues, non, ils tapent dans le haut du hot, et c’est un régal libidinal que de voir jouer un batteur pareil. Véritable powerhouse, ce mec est tombé dans une bassine de beat quand il était petit. Il peut jouer d’une baguette de la main gauche et secouer des maracas de la main droite. On sent la pulsion frantique en continu. All nite long, comme disait Muddy.

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Les Frantic Rockers ont déjà enregistré deux albums. Le premier, paru en 2014, s’appelle Savage Beat, tout un programme, et c’est peut-être l’expression qui pourrait les caractériser. Dès le «Wanna Boogie» qui ouvre le bal, ils mettent la pulsion sous pression, ils tapent dans la légende de Magic Sam, mais au guttural de bête de club. Ils rendent ensuite un hommage endiablé à Junior Wells avec une reprise d’«Hoodooman Blues». On sent la mort qui rampe au cœur du blues, le serpent des origines, le satan du blues, Papa Lego et le Baron Samedi. Ils redonnent du nerf à cette vieille mythologie issue des forêts tropicales. Inutile de dire qu’avec ces deux morceaux, ils font un véritable carnage sur scène. On retrouve aussi sur disque le fameux «Rolling Stone» de la balance. Curieusement, la version studio est nettement meilleure que la version live, car extrêmement bien pulsée au beat. Ils tapent ensuite dans Billy Boy Arnold avec un version bien slappée de «Crying And Pleading». Ils attaquent parfois des cuts au slap pur, comme ce fantastique «All Through The Night», ou alors «I’m Gone», qui sonne comme un classique rockab des enfers. C’est là qu’on retrouve le fameux croisement des genres, celui auquel s’intéressent aussi Jake Calypso et les Excellos. Pour réussir un coup pareil, il faut disposer d’une section ryhtmique exceptionnelle, ce qui est le cas des Frantic Rockers. Leur «Drive Me Insane» plaira à tout le monde, car voilà un cut saturé d’énergie et de bonne volonté - Shake for me/ Shake it babe ! - «Rumors» pourrait passer pour un cut plus conformiste, car joué à la note claire, mais derrière ça pulse. Les deux chicanos jouent comme des démons. Voilà l’arme secrète du groupe. Ils savent transformer un boogie ordinaire en pétaudière et ça devient même l’une des meilleures pétaudières du monde. Quand ils attaquent «Howling», c’est au slap d’entrée de jeu. L’album est bon, incroyablement bon.
L’avantage de traîner deux jours à Béthune, c’est de pouvoir croiser les musiciens qu’on a apprécié sur scène et de pouvoir échanger quelques mots. Voilà qu’on tombe sur le bassman chicano des Frantic. L’occasion est trop belle de lui demander d’où vient le groupe. Ah ! Los Angeles ! Dommage. À les entendre, on aurait pu croire qu’ils venaient des quartiers Sud de Chicago.

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Leur deuxième album s’appelle «Low Down Dog». On y trouve un véritable coup de génie intitulé «No More». Voilà un blues rock monté au slap. Si vous aimez entendre du slap dans le blues, c’est là que ça se passe. «Shake Like This» sonne comme un hit de Muddy, c’est joué aux maracas et monté sur la belle pulsation d’un gimmick de blues, comme si l’esprit du blues-rock montait tout droit des plantations. C’est la transe du peuple africain brutalement urbanisée par la psychose de l’Amérique blanche. Quel mélange, quand on y pense. Ils tapent «Darling Please» au meilleur swing. Ces mecs-là sont tout de même incroyables, ils peuvent se réveiller subitement et jouer le meilleur boogie blues de Californie. Ils chantent «Negro Gato Song» en spanish et cette jolie pièce d’exotica pourrait bien être l’un de leurs hits. «Satisfy My Soul» va droit sur le rockab, mené par le bout de nez par un petit gimmick de guitare intriguant. Ces mecs ne sortent pas les Gretsch, mais la majesté hargneuse de Muddy. Ils savent embarquer des cuts en enfer, comme on le constate à l’écoute de «Tell Me Baby». Ce cut sonne comme du Muddy rockab. Avec «Rock All Night», ils passent au boogie amphétaminé et envoient le père Chess rouler dans les betteraves. Ils jouent ça à la folie hypno, au croisement de John Lee Hooker et d’Etta James, ils dégoulinent d’énergie définitive et le riff magique vient en droite ligne de Muddy.

 

Signé : Cazengler, frantoc rocker

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Frantic Rockers. Béthune Rétro. 27 août 2016
Frantic Rockers. Savage Beat. Rhythm Bomb Records 2014
Frantic Rockers. Low Down Dog. Rhythm Bomb Records 2016

 

SAVIGNY-LE-TEMPLE
L'EMPREINTE / 19 - 09 – 2016


THE DISTANCE / NAPALM DEATH

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Parfois l'on souffre d'insuffisance rock and roll. C'est très grave disent les docteurs. Dans ces cas-là je me soigne. Je n'attends pas la fin de la semaine. Dès le lundi je me précipite dans la première pharmacie qui délivre cette sorte de médicament assez rare, mais sans effets indésirables, et d'une efficacité certaine. Soixante-dix kilomètres en teuf-teuf, normal c'est pour The Distance, trois mois que je ne les ai vus et depuis je les guette. En supplément, Napalm Death, je ne connais que de nom, jamais entendu, mais quelque chose, un je ne sais quoi, me dit qu'ils ne doivent pas râper le fromage avec une clarinette.
L'Empreinte ouvre ses portes. Chic ! l'entrée de la petite salle est fermée, nous avons droit à la grande. Le public arrive. La station du RER est tout à côté. Paris à portée de rail. Les amateurs connaissent le bon plan. Majorité de garçons jeunes et revêtus d'un sombre T-shirt à l'effigie d'un de leurs groupes préférés. La salle est pleine. Les festivité peuvent commencer.

THE DISTANCE

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Au nombre d'effigies de Napalm Death fièrement arborées sur les torses, il est clair que le public avide de hardcore ne s'est pas déplacé pour écouter The Distance. Les lumières s'éteignent, le silence se fait. Brutalement rompu par Dagular, dents blanches et sourire éclatant, qui bondit sur scène en poussant un hurlement de joie. Rien de tel qu'un électrochoc pour éveiller l'attention. Prend d'assaut son kit de batterie entassée à l'extrême-droite de l'estrade tandis que ses camarades se préoccupent de ceindre leur instruments, puis se rangent face à nous, Mike au centre face au micro, entre Sylvain à la guitare et Duff à la basse. Tout juste le temps d'un dernier regard Dagulard tape déjà sur son tambour. Frappe, sèche, sourde et sonore. Jamais de temps mort. L'entraîne la cavalcade et les guitares entrent en action. N'ont pas beaucoup de temps, l'on ne rassasie pas les fans de métal avec de la béchamel en tube. Faut les saisir au premier instant. Au bout de trente secondes c'est gagné ou c'est perdu. Radio Bad Receiver en intro propage les bonnes ondes, les négatives chargées de feu et de violence. Assistance agréablement surprise. Du rock si méchant, ils ne savaient que cela existait. Ils ont la pulsation, et la voix râpeuse et rageuse de Mike emportent le morceau. Mesmerise juste pour montrer qu'ils savent manier le son avec ces stridulences larséniques qui vous scalpent les oreilles, la meilleure manière de marquer les points. Insomnia et No Regrets, sûr qu'ils ont réveillé les esprits et que personne n'a de regrets devant ce rock and roll pilonné au plomb fondu et à la braise incandescente. Dagulard doit penser qu'il ne tape pas assez fort, alors il se lève et du haut de sa stature il assène des coups à traverser le plancher. Les deux guitaristes donnent l'apparence de jouer pour eux-mêmes, totalement indifférents au boulot de leur acolyte. Simplement une question de confiance, parpaingent, chacun de son côté mais sûrs que l'autre amène le mortier au bon endroit. Vous édifient de ces murailles à défier les canons. Dans son coin Duff lâche les hautes eaux de sa basse. Une crue sonore qui s'en vient battre et résonner dans vos tympans comme un trépan décidé à s'emparer de la citadelle de votre cerveau. Unconscious Smile et Don't Try This At Home, deux titre qui font l'unanimité. Succès d'estime remporté haut la main, applaudissements chaleureux fusent à chaque morceau. Pourraient s'arrêter-là et continuer sur ce même chemin. In the pocket comme disent les britains. Heureusement le pire est à venir, The Calling et More Than Serious ouvrent le bal des ardents. Pour être plus que sérieux, cela devient critique, le paquebot lancé à toute vitesse fonce sur les récifs et les passagers aiment çà. Une bonne catastrophe avec le souper garanti à la table de Lucifer, voilà de quoi rassasier les métalleux les plus inconditionnels. Jusque-là La Distance est resté dans le domaine du possible, ne leur reste qu'un dernier morceau, vous allez en avoir pour vos lingots d'or. Trouble End, un final apocalyptique, Dagulard devenu totalement fou, un duel de guitares qui se finit à terre, les appareils jetés sur le sol, et les héros couchés tels des guerriers qui ne veulent pas mourir et qui tournent les boutons tandis que s'envolent des hululements d'agonie. Explosion de joie dans le public, Sylvain reprend sa guitare et s'en va fracasser les fûts de Dagular, qui n'a rien contre, a même tout pour, puisqu'il se dépêche de l'aider en éparpillant ses tambours autour de lui. Sylvain en profite pour piétiner sa guitare, Dagular insatiable se saisit de sa caisse claire et la présente au public massé tout devant. Tout fan du premier rang aura le droit de taper à son tour, ce dont chacun de nous s'acquitte en proie à une fièvre émulatrice. Sont partis, non sans que Dagular ne nous ait donné rendez-vous dans la salle durant le set de Napalm Death.

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L'émotion retombe, certains partent à la recherche des débris de baguettes que tout au long du set Dagular a rompues et expédiées dans la salle. Le rock est peuplé de fétichistes. C'est très bon signe pour un groupe. The Distance a tenu son pari. Un groupe de rock'n'roll à la croisée de toutes les pistes les plus endiablées, un énorme potentiel, à ne pas quitter de l'oeil.

NAPALM DEATH

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Peu d'attente, le temps que The Distance récupère son matériel. Trois membres de Napalm en profitent pour jeter un dernier coup d'oeil sur leurs instrus. Fair play la salle les laisse tranquilles, ça papote dans tous les coins. La roquette tétanise la salle. Trois secondes de pétrification générale. L'on reprend conscience, ouf ! Pas d'inquiétude, pas d'affolement, ce n'est que Mitch Harris qui vient d'essayer un riff pour voir si tout allait bien... Waouh ! L'on change de dimension, bienvenue au pays du grindcore... Quittent la scène. Les festivités mortuaires peuvent commencer. Entrent sans bruit, clandestinement presque, et s'en vont occuper leur place tandis qu'un trailer sonore diffuse une musique d'ambiance. Pas du tout d'ascenseur de grand magasin. Danny Herrera disparaît derrière sa batterie, l'on n'apercevra plus que ses yeux noirs brillants et sa barbiche grisonnante. Shane Embury s'empare de sa basse. Un colosse au torse de granit. Impressionnant, ressemble à un viking malfaisant qui attend placidement de descendre de son drakkar, sans émotion particulière, avant de fondre sur un village endormi et d'exterminer la population. Mitch Harris nous tourne dos. Regarde son ampli. Sa main gauche, s'agite nerveusement, l'on sent qu'il se concentre un maximum. Et brutalement c'est parti. Le trio de base du rock and roll. Quelques riffs, uppercuts au bulldozer, manière de poser les limites dans l'illimité. Mark Greenway survient en trombe, s'empare du micro et glapit dedans comme l'on éjacule à quinze ans, que l'on en met partout jusque sur les murs. La salle en ondule de plaisir. Se forme illico un maelström informe de corps qui vibrionnent, tanguent, poussent, remuent, se cognent, s'entremêlent, rebondissent, s'enroulent, tombent, se relèvent, et repartent à l'assaut. Certains brisent la spirale infernale pour venir s'accouder sur le rebord de la scène, viennent rechercher de l'énergie tels des vampires qui s'abreuveraient à la banque du sang. Puis ils repartent, regonflés à bloc, se fondre à nouveau dans ce pandémonium hélicoïdal.

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Des morceaux courts. Très courts. Abrupts. Des décharges d'adrénaline. Des saccades de brutalités. Un riff, et un hachoir de batterie. De grosses secousses sonores. Des espèces de répliques de tremblement de terre, qui jettent bas les murs branlants des certitudes. Vocaux égosillés. Mark vomit ses cordes vocales à chacune de ses interventions. Soulève à chaque fois l'enthousiasme du public. Il enchaîne plusieurs titres à la suite, mais parfois un étrange silence s'installe pendant qu'il se rafraîchit le gosier d'une lampée d'eau. Les tympans n'en croient pas leurs oreilles qu'il puisse encore exister sur cette planète des havres de paix et de sérénité. Fugaces oasis qui disparaissent dès que le death shouter reprend son microphone. Faut le voir tourner en rond sur la scène, comme ces vols de corbeaux qui s'élèvent des derniers tableaux de Van Gogh.
La chienlit généralisée profite aux forcenés de la vie. Dragula, le retour. Hisse sa grande carcasse sur scène, Mark l'aide et lui passe le micro, mais il n'est pas venu pour cela, déploie son envergure et se jette dans la foule qui se précipite pour lui éviter la chute de l'ange déchu, est promené à bout de bras au travers de la salle, enfin remis sur ses pieds, une fois, dix fois, vingt fois, trente fois il remontera sur le perchoir scénique pour rejouer le vol de l'albatros baudelairien qui se rit des nuées. Si vous croyez qu'il affecte le set de Napalm Death, vous commettez une grossière erreur. La musique déchargée est trop tonitruante pour en être dérangée. Vous saisit, vous assèche, s'installe en vous, vous phagocyte, vous transmue en êtres d'airain. Vous épuise. Dans le dernier tiers de l'ouragan phonique, les corps en mouvement sont épuisés. Mark s'adresse à nous. De rapides discours, l'a un accent à couper au couteau, parle en anglais, avec une gutturale sonorité toute germanique à laquelle je ne comprends rien, hormis les fuck qui entrecoupent ses dires. A ma grande honte et à la lueur intelligente, qui luit dans les yeux de la jeune asiate à mes côtés, je devine qu'elle pige tout, à croire qu'il lui susurre du mandarin dans les oreilles. Ce qui est sûr c'est qu'il n'aime guère notre société et encore moins les fascistes.

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Les séquences sonores sont de plus en plus brèves. Napalm Death touche à la quintessence du grind. Des émissions sporadiques d'ondes paralysantes à l'image de la réalité déglinguée du charnier monstrueux de notre monde... Finissent en apothéose en une orgie de bruit durant laquelle ils finissent par sortir de scène. Visages tirés et fatigués. Ne sont plus tout jeunes, des vétérans sur le ring du grind depuis trente ans. Ont tout donné. Pas une partie de plaisir. Un engagement total. Quand ils reviendront chercher leurs instruments, sont appelés et remerciés, serrent les mains qui se tendent.


RETOUR


Minuit pile, suis à la maison. Et je suis resté un peu pour discuter le coup. Après deux sets d'une telle intensité, suis interloqué de me retrouver vivant dans le silence de l'appartement. Ai-je rêvé le plus beau des cauchemars ?


Damie Chad.


VAGABONDS DE LA VIE

AUTOBIOGRAPHIE D'UN HOBO


JIM TULLY

( Les Editions du Sonneur / Mai 2016 )

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On the road again. Dans la grande Amérique. Jim Tully a pris la route à l'âge de quatorze ans. Plus tard l'est devenu journaliste et écrivain. Reconnu en son temps. Son étoile a décliné lentement mais sûrement. Certains auteurs sont plus embarrassants que d'autres. Leurs messages brouillent les pistes des certitudes et des étiquettes. L'est pourtant un américain jusqu'au bout des ongles. N'est-il pas le trait d'union qui relie Jack London à Jack Kerouac ? Difficile de faire mieux. Sans doute n'est-il pas facile de trouver une place dans la mémoire des lecteurs entre ces deux frères Jack de la littérature américaine qui ont sonné si fort les mâtines de l'insoumission. L'est un autre versant de l'Amérique qui n'a pas échappé à Jim Tully, celui de l'auto-représentation fascinatoire du cinéma, premier objet d'importation culturelle des USA. Toute une partie de son oeuvre est tournée vers les feux de la rampe Hollywoodienne, a même été conseiller de Charlie Chaplin, pour La Ruée vers l'Or.
Est donc un tout jeune adolescent lorsqu'il embarque sur son premier train. Tully ne part pas chercher du travail. Au contraire, s'échappe de son train-train, routinier, pénible et sous-payé. Nous sommes en 1901, l'Amérique entre à marche forcée dans la modernité. Le romantisme de la frontière n'existe plus. La grande aventure des pionniers est définitivement révolue. Le train est la seule manière à portée de main qui permette d'échapper à son destin de prolétaire exploité et corvéable à merci. Une des raisons du succès de ce premier roman de Tully encensé par tous les grands critiques de son époque réside sans aucun doute sur l'aspect picaresque du livre. Aucune dénonciation du capitalisme dans ces pages. Le Système n'est jamais remis en cause. Pas d'analyse théorique sur les méfaits de l'idéologie libérale. Jim parcourt les Etats-Unis de long en large et en travers, habité du seul désir de liberté. La misère est présentée comme une conséquence et non comme une cause de l'établissement du hobo en son statut de vagabond éminent.

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Nous sommes loin des Raisins de la Colère, Jim ne cherche pas du travail, il le fuit. L'évite tant qu'il peut. Si la nécessité l'y pousse, il s'en dépêtre au plus vite. N'hésite pas à décrire ses compagnons à son image, comme des fainéants. Aucune considération morale dans ce jugement, la liberté est préférable à toute soumission sociétale. Le hobo est un cow boy sans cheval qui prend le train sans payer. Toute proportion gardée, aujourd'hui à Paris des milliers de passagers empruntent le métro sans ticket. Nécessité fait loi. Le romantisme est mort. La liberté est un mode opératoire de survie. Tully remet les pendules à l'heure. Il est moins fatiguant de mendier que de bosser. L'on n'a rien sans rien, diront les esprits civiquement pondérés. Justement le hobo n'a rien. Ne reculera jamais devant le mensonge, la ruse et le vol pour se procurer ce qu'il n'a pas. Le hobo est en-deçà et au-delà de la morale. Une espèce de sous-homme nietzschéen.
Le système n'aime guère ces parasites pouilleux. Ils ne sont pas dangereux, mais ils donnent le mauvais exemple. Comme par hasard c'est la queue de la comète du système social qui leur donne la chasse. Chefs de trains, serre-freins et policiers ont enfin une raison de vivre. Ces ouvriers et fonctionnaires sous-payés éprouvent un profond ressentiment envers cette engeance maudite. Leur donne mauvaise conscience et les conforte dans leur rôle de chiens de garde. Ceux qui gardent la maison que l'on ne laisse jamais entrer dans les salons aux larges canapés réservés aux maîtres. Mais ils possèdent leur fierté, savent qu'en rentrant chez eux, l'écuelle sera pleine. Et le lendemain matin de l'énergie à revendre pour courser les vagabonds.

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Tully le répète. L'environnement du hobo est hostile. Certains patelins sont à éviter. Les policiers sont des brutes, les juges sans état d'âme. Attrapent, cognent et condamnent à tour de bras. Parfois la population se charge du nettoyage, le jeune Jim assistera à la crémation – vivante bien sûr car c'est plus marrant – d'un pauvre noir... L'est des villes plus clémentes, ne faut pas rêver non plus. Les hobos ne sont pas nés de la dernière pluie. Ils échangent leurs expériences. Dans les situations extrêmes l'on apprend vite. Connaissent les combines, les bars à bas prix, les cantines à volonté et à dix cens. Et puis, il y a les gens, qui refilent une pièce, vous laissent entrer, vous offrent un repas, vous refilent un manteau chaud, une veste propre, une remise où dormir. Plus nombreux qu'il n'y paraît. Beaucoup agissent parce qu'un frère ou un fils est lui aussi parti brûler le dur... Evitez les généralités, les pauvres ne donnent pas plus que les riches. Âmes compatissantes et coeurs de pierre sont présents dans toutes les couches de la société. Tout dépend de vos rencontres, du hasard et de la chance.
Tully est beau gosse. Trouve souvent refuge chez les prostituées. Lui offrent le gîte et le couvert gratuitement. Ne souffle pas un mot sur leurs rapports. Sublimation d'instinct maternels refoulés ? Amitiés ? Intimités ? Silence absolu. N'a pas tort de soulever le voile. Sa cote d'écrivain baissera à la parution de son roman Ladies in the Parlour dont l'héroïne est une péripapéticienne. Choquant dans les années trente, l'on va aux putes, mais les messieurs bien élevés n'en parlent pas. S'il vous plaît, évitez les sujets scabreux qui fâchent.
Les hobos évoluent en un monde nuisible. Il est dangereux de se pencher par la fenêtre d'un train. S'accrocher à une échelle rouillée, marcher sur un toit détrempé de pluie, se glisser sous un wagon, encore plus. Un conseil ne tombez pas. Et si cela vous arrive, ne mourrez pas. Dans le cas contraire, il y aura peu de monde à votre enterrement. Pensez d'abord à vous. Cela n'empêche pas les amitiés. A deux l'on est plus fort. Et les solidarités. Le long des voies, dans les bois, les hobos se regroupent, soupe commune, partage évident. C'est la jungle. Le mot est ressorti bizarrement ces derniers temps de par chez nous, du côté de Calais. Pas un monde de bisounours. Les querelles peuvent dégénérer en bastons, se terminer par un mort. Mais il est sûr que l'ennemi commun est le policier. L'est armé, mais l'a intérêt à ne pas quitter sa proie des yeux, la moindre inattention peut lui coûter cher.

HOBOS & PUNKS

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Sont des misérables. La pauvreté est leur bien commun. Fait office de lien social. La crasse et la faim est le lot de tous. Mais la société des hobos n'est pas égalitaire. En haut de la pyramide sont les Yeggs. L'hobboïsme est une couverture. Sont des voleurs patentés, des perceurs de coffres-forts, n'ont pas intérêt à s'attarder sur le lieu de leurs exploits, se fondent dans les miséreux, mais leurs poches ne sont pas trouées. Après les rois de la pègre, la plèbe qui se partage en deux catégories : les vieux et les jeunes. Les premiers sont l'avenir des seconds. Vingt ans à courir après les trains, ça vous fatigue un homme. Ont perdu leurs illusions, finissent par crever d'un coup de froid. Ne sont pas aussi en forme que les jeunes. Têtes folles que les flics redoutent. Ont pour la plupart connu l'orphelinat, la maison de correction, voire le placement dans une ferme – une espèce de variante des travaux forcés – sont prêts à tout pour ne pas y retourner et connaître les échelons supérieurs, la prison et le pénitencier. Savent à peine lire et écrire mais ils ont tout compris de l'exploitation humaine. Les plus durs possèdent leur joker. Parfois deux ou trois. Un tout jeune qui vient d'arriver, sont chargés de mendier pour leur protecteur, ramènent l'argent et la nourriture pour le maître qui s'octroie la part du lion. L'exemple vient d'en haut. Les jokers ne se révoltent pas contre leur chef mais ils ont compris la combine. Finissent par trouver plus faibles et plus jeunes qu'eux, ce seront les punks taillables et corvéables à merci. Tully ne pipe pas un pet de mot, motus et anus cousus, sur les services divers et variés engendrés par cette soumission en milieu de promiscuité virile. Toutefois en argot de prison, le punk est le compagnon de cellule qui se plie aux désirs et aux assauts de son protecteur.

JIM TULLY

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Pour passer le temps, dans leur campements de fortune, durant leurs interminables voyages confinés en des wagons peu confortables, beaucoup de hobos lisent ou déchiffrent les journaux qu'ils ramassent de-ci de-là, ne serait-ce que pour se protéger du froid. Tully les dévore, et chaque fois que l'occasion se présente, il fréquente les bibliothèques publiques. A l'école de la vie il n'omet point d'ajouter une formation intellectuelle. Nous laisse deviner les raisons pour lesquelles, au bout de six années il arrête la route. L'impression de tourner en rond, d'avoir fait le tour de la question, et vraisemblablement le besoin intérieur de s'impliquer dans une autre modalité de vie. Le hobo est un loup solitaire, l'écrivain court après la meute de ses lecteurs... Mais il ne regrette rien. Ne nous fait pas le coup de j'ai beaucoup souffert dans ma vie, ou celui du destin qui s'acharne sur une innocente victime, n'éprouve aucun regret, assume son choix. N'a pas perdu son temps, en sait davantage sur les hommes que bien des philosophes. L'idéalisme le fait rire. N'est pas dupe des belles idées ou des proclamations politiciennes. Ne faut pas le lui faire. Se méfie de toutes les généralités. Ne porte aucun jugement d'ensemble, ne condamne ni ne couvre d'éloges en bloc. Les hommes ne sont ni bons ni méchants. Les circonstances décident s'il vaut mieux être bon ou méchant, lâche ou courageux. Pragmatisme de la survie. N'en fait pas une vérité universelle. Se détourne des religions. L'enseignement du Christ a engendré les horreurs répressives du christianisme... N'en donne pas pour autant dans un relativisme nihiliste. L'a choisi son camp. Celui des laissés-pour-compte. Ne sont pas meilleurs que les autres. Mais une enfance plus clémente leur aurait procuré beaucoup moins de tourments. N'accuse personne, mais tout le monde en prend pour son grade. Pulvérise le mythes du bon hobo. Celui de votre bonne ou mauvaise conscience aussi.


Damie Chad.

SI BEALE STREET
POUVAIT PARLER

JAMES BALDWIN

( Traduction : MAGALI BERGER )
( Stock / 1975 )

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Certains chantent le blues. D'autres l'écrivent. C'est plus rare. Je ne parle point des lyrics qui ne font qu'un avec la musique. Ni de poésie qui retrouve par son don orphique le balancement originel. Mais de prose, ces longs fleuves tour à tour tranquilles ou tumultueux que sont les romans. Beale Street, la rue du blues. Là où le jeune ado Elvis Presley traînait parmi les nègres. Memphis, Tennessee. Nous en sommes loin. Le livre se passe à Bank Street, à New York. Ni erreur, ni hasard si James Baldwin a titré Beale Street, l'a simplement hissé l'étendard du blues. Un peu comme les pirates arboraient le pavillon rouge à leur mât de misaine en prévision d'abordage. Bleu ou rouge, attendez-vous à broyer du noir. Pour être davantage exact, ce sont les noirs qui vont être broyés. Ne s'agit pas d'un événement exceptionnel, d'une révolte à feu et à sang dans Harlem. Non, une histoire tristement banale. Indigne de figurer dans la rubrique des dogs écrasés. Dans les tribunaux, l'on appelle cela le tout-venant. Les affaires courantes, pas de quoi fouetter un chat. Un noir qui a violé une porto-ricaine. Une porto-ricaine ce n'est pas bien grave même si elle a des cheveux blonds. Par contre, voilà une excellente occasion de coffrer un noir. L'est bêtement innocent, l'était à l'autre bout de la ville lorsque le crime a été perpétré, mais un nègre en prison, c'est bon pour la sécurité dans les rues. On est allé le chercher lui. Pas au hasard. Pétait plus haut que son cul. A vingt-deux ans s'octroyait le droit de ne pas prendre de l'héroïne comme tous ses frères de couleur douteuse. S'il n'y avait pas d'héro, les quartiers exploseraient, un calmant à la morsure caïman bien plus efficace que ces saloperies de tranquillisants que l'on vous délivre sur ordonnance et avec le sourire dans tous les rayons pharmaceutiques. La blanche occupe les noirs, du matin au soir, elle encourage le vol, la prostitution, le crime, tout ce qui permet de les inculper à moindre frais. L'avait d'autres centres d'intérêt, cette tête folle. Se prenait pour un artiste. Voulait devenir sculpteur. Et puis quoi encore ?

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Réglé comme du papier à musique. N'y avait plus qu'à attendre le jugement. Sauf le petit caillou qui a tout fait dérailler. Sa petite copine. Pas très jolie, sa voisine, se connaissaient depuis tout petits. S'aimaient comme des tourtereaux. Romantisme et clair de lune. Mais que la colombe soit blanche ou noire, cela ne change rien à l'affaire. D'autant que notre vierge, pure mais pas très effarouchée, attend un bébé. Ni fausse couche, ni avortement à l'horizon. Attention à la future dégringolade. Normalement cela devrait se finir sur le trottoir. Mais il y a la mère, le père et la grande soeur qui ont décidé de se battre. A tout prix. Car l'avocat a besoin d'argent. Un petit blanc. Un dossier de plus. Une affaire qui le dépasse un peu et qui va lui attirer quelques ennuis avec ses collègues. Si les blancs commencent à défendre les noirs, où va-t-on ? En plus le procureur ne lâche pas. Se permet tous les coups bas. Jusqu'à l'incarcération du témoin à décharge...

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La sempiternelle histoire du pot de terre comme le pot de fer. Le blues commence là. Pénétration à l'intérieur d'une famille noire. Savent que les dés sont pipés. Inutile de perdre son temps à se lamenter, les règles du jeu sont ainsi. Notre prévenu possède aussi une famille. Le père de son côté et la gent femelle – mère et deux soeurs – contre. Ne maudissez pas la maman. Une sainte femme. Se pomponne pour aller à l'Eglise. L'on se doit de respecter le Seigneur. L'est plein de prévenance envers sa personne de pécheresse. N'est pas entrée dans l'église pour que Jésus la sanctifie de sa présence. Elle l'exsude par toutes les pores de sa peau. Preuve queue... N'évoquez point la sublimation hystérique, ce serait une fausse piste. Un cas typique d'hypocrisie sociale. Certains conçoivent Dieu comme une promotion. Un point d'ancrage et de supériorité psychologique. Ne lui jetez pas la première pierre. Elle est la propre victime de son mode opératoire de survie. L'est sûr que l'addiction divine en prend un sacré coup, Baldwin ne transige pas avec les fausses solutions de la communauté noire à s'extirper de son marasme. La séparation radicale entre le blues et le gospel.

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Le roman décrit la partie d'échecs. Les blancs ont beaucoup plus de pièces en leur possession. Va falloir la jouer fine. Mais l'intérêt stratégique du combat est secondaire. Baldwin ne survole pas la partie. Ne commente pas, n'analyse pas la tactique. Nous implante dans les cerveau des pièces, la Reine-Mère qui prend tous les risques, le père-roi qui empile les heures supplémentaires et les vols, la soeur-cavalière qui développe les plans d'attaque, forment une garde rapprochée de défense autour de l'enceinte de la tour. Faut délivrer le prisonnier coûte que coûte. Et attention aux défaillances, certains coups sont mortels.
Ne vous dis pas la fin. Ne vous prendra pas de temps. Les cinq dernières lignes du roman. Ce n'est pas le plus important. Baldwin nous donne une grande leçon. Ni la défaite, ni la victoire. L'essentiel reste la lutte. C'est ainsi que l'on gagne sa dignité. L'ennemi principal s'appelle faiblesse, lâcheté, et compromission, réside au-dedans de nous. Ne l'oubliez pas. Sachez-le. Chassez-le. Le blues est une arme blanche. Pour l'amour et pour la haine. A utiliser de préférence dans les corps à corps.


Damie Chad.

JOHN LENNON


FLAGRANT-DELIRE
PAR-ECLATS DE OUÏ-DIRE

MARIE-HELENE DUMAS

( Le Castor Astral / Novembre 1995 )

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Collection Tombeau. Tout un programme. Mais ce n'est pas tout-à-fait John Lennon que l'on enterre. Ce qui vaut peut-être mieux. Des livres sur Lennon, l'en existe à la pelle, et celui-ci ne vous apprendra rien. A part peut-être, dans sa deuxième partie, une des origines du nom Beatles qui proviendrait de Beetles ( scarabées ) le nom de la bande de motards menée par Lee Marvin dans l'Equipée Sauvage. Ce que Marie-Hélène Dumas porte en terre, c'est elle-même. Pas en entier. Pas folle. Aucune tendance suicidaire. Prend garde à rester au bord du trou létal. Le premier segment de sa vie. En plus comme elle n'est pas rongée par l'avarice et qu'elle doit avoir un peu peur de s'ennuyer sous la croûte terrestre elle emmène du monde. Toute sa génération. Juste une métaphore grandiloquente. L'ensemble des baby-boomers n'a pas admiré les Beatles, elle préfère employer le mot tribu. De chevelus. Dispersée aux quatre coins du monde, dans les deux hémisphères, sous toutes les latitudes.
Lennon ne fait pas l'unanimité. Musicalement on le considère comme le leader des Beatles. L'on aime son énergie, son humour railleur, son sens du non-sense, sa gouaille insolente de prolo qui l'ouvre bien grand. Mais l'on reste davantage réservé quant à son engagement politique avec sa tendre moitié. Les bed-in avec Yoko et armada de journalistes qui tendent complaisamment le micro ressemblent trop à du cinéma. L'exploitation publicitaire du filon de la célébrité qui flirterait avec l'art conceptuel. Mais qu'importe les moyens pourvu que la cause soit juste. Ce qui reste à définir.
Marie-Hélène Dumas fait un détour. Cause d'une personne qu'elle connaît très bien, elle-même. Démarche très rock and roll. L'important ce n'est pas l'idole, mais le bouleversement que son apparition induit dans votre vie. Pas question d'être en admiration béatle. L'apparition des Beatles marque le réveil de toute une génération qui cherche un nouvel art de vivre. Cette déviance collective Marie-Hélène l'assume totalement. Comme beaucoup elle lâche tout, voyage et se libère des carcans moralisateurs et paternalistes de l'ancien monde. Fumette, rencontres, amour libre. Le fameux précepte sex, drugs and rock'n'roll décliné selon la formule hippie. Une certaine insouciance, la recherche du bonheur...
N'est pas revenue à la maison plus idiote. L'a vu, l'a réfléchi. Et c'est à cet instant où elle se pose que le monde qu'elle vient de parcourir lui saute à la figure. L'on en parle dans les radios, l'on en montre les images à la télévision, c'est raconté dans les journaux, Partout la guerre, la violence, la démence humaine. Et cela dure depuis longtemps et n'a pas l'air de vouloir finir. Nul besoin d'aller à l'autre bout de la planète, suffit d'écouter les voisins parler. De braves gens remplis à leur insu de peurs et de haines latentes. Les hommes sont les secondes victimes de ces déchaînements, les femmes les premières. Je passe sur le laïus des femmes soumises aux diktats des religions, de la virilité conquérante, et de cette spécialité du viol inhérente à leur nature... Cette prise de conscience féminisante orientera toute sa carrière d'écrivain et d'éditrice.

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Serait temps de revenir à Lennon. A ses pitreries avec Yoko. A replacer dans le contexte. Faire l'amour pour la paix. Un peu concon la praline, n'est-ce pas ? Faut replacer dans le contexte. Ne s'agit pas de bouquiner à l'aise sous l'oeil des caméras in the bedroom. Une manière de dire non, de s'opposer à la guerre. Dans l'absolu certes, mais très précisément à l'engagement militaire des Etats-Unis – idéologiquement soutenus par l'Angleterre – au Viet-Nam. Pouvez trouver cela grotesque ou burlesque. Un peu naïf ou démagogiquement publicitaire. Un militantisme de milliardaire de tout repos qui n'a pas besoin de se lever très tôt le matin pour gagner sa croûte. Peut-on le lui reprocher du fait que ses royalties qui tombaient régulièrement sur son compte-en-banque le mettaient à l'abri de bien des vicissitudes, de bien des dangers qu'encourrait un simple militant anonyme participant à une manifestation pro-Viet-nam.
Fût-il resté à la maison que vous le lui en auriez voulu tout aussi bien ! Ses excentricités auront réveillé toute une partie de son public. Marie-Hélène Dumas lui sait gré de ses prises de positions intempestives. C'est le Lennon qu'elle aime. Pas le créateur de Love Me Do ou le concepteur du Sgt Pepper Lonely Hearts Club Band. Mais l'artiste engagé. N'en fait pas une thèse. Use de la bombe à fragmentations pacifique de l'écriture. De multiples petits paragraphes dont le désordre apparent et les confrontations faussement hasardeuses révèlent l'absurdité et la cruauté du monde. Un style qui est aussi un hommage à la manière d'écrire de Lennon.
Un livre sur John Lennon. Différents de tous les autres.


Damie Chad.

 

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