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07/09/2016

KR'TNT ! ¤ 293 : JAMES LEG / VICIOUS STEEL / MATHIEU PESQUE QUARTET / FRED CRUVEILLER BLUES BAND / MIKE GREENE + YOUSSEF REMADNA / A CONTRA BLUES / LIGHTNIN' HOPKINS / JALLIES / LIEUX ROCK

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

James Leg, Vicious Steel, Mathieu Pesqué Quartet, Fred Cruveiller Blues Band, Mike Greene + Youssef Remadna, A Contra Blues, Lightnin' Hopkins + Fred Medrano, Jallies, Notown Festival, Lieux Rock + Matthieu Rémy + Charles berberian,

LIVRAISON 293

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

08 / 09 / 2016

 

JAMES LEG / VICIOUS STEEL

MATHIEU PESQUE QUARTET

FRED CRUVEILLER BLUES BAND

MIKE GREENE + YOUSSEF REMADNA

A CONTRA BLUES / LIGHTNIN' HOPKINS

JALLIES / LIEUX ROCK

POINT EPHEMERE / PARIS X°
19 – 07 – 2016
JAMES LEG

La patte de Leg


Oh oui, ça faisait un moment qu’on le voyait planer au dessus de la plaine, l’immense James Leg. Il pourrait passer pour le fantôme de Vincent Crane. Lorsqu’il jouait encore en duo avec Van Campbell dans les Black Diamond Heavies, ce fils de pasteur a dû se contenter de premières parties, et ses disques ont moisi dans le recoin maudit des imports garage chez les disquaires, enfin ce qu’il en reste.

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Oh oui, on s’en souvient très bien. Dans les années 2000, le marché était submergé de duos de garage blues. Ils essayaient tous de se distinguer d’une façon ou d’une autre, certains avec du panache trash (The King Khan & BBQ Show) d’autres avec ce panache technico-commercial qui conduit à la gloire éternelle (Black Keys). Les Black Diamond Heavies, comme les Immortal Lee County Killers ou les Henry’s Funeral Shoes restaient quant à eux noyés dans les ténèbres d’un underground foisonnant de vie, à l’image des racines d’un gros arbre tropical grouillantes de cette vermine humide dont se régalent les autochtones.

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Il est certain qu’on n’apprend pas grand-chose lorsqu’on écoute l’album live du duo Leg/Campbell paru en 2009, «Alive As Fuck». Patrick Boissel a pourtant mis le paquet sur l’emballage, avec un design catchy bleu et un vinyle de la même couleur. On note toutefois un gros particularisme chez nos amis candidats au trône : le guttural exacerbatoire de l’ami Leg. Il sonne tout simplement comme un Louis Armstrong psychotique qui refuserait de se calmer, même sous une dose massive de sédatif. Il y a quelque chose de graveleux dans la voix de l’ami Leg, au sens où il aurait avalé tout le gravier du Kentucky ou d’ailleurs. Il y a du Joe Cocker dans sa voix, mais en plus charbonneux, en plus cancéreux. C’est même parfois trop gras, au sens du raclement de glaviot. On pourrait dire qu’il chante au guttural de cromagnon, mais vu qu’on n’était pas là pour vérifier, ça ne veut pas dire grand-chose. Comme d’ailleurs tout ce qu’on peut raconter sur le rock dès lors qu’on cherche à imager. Ah pour ça, les Anglais sont les champions du monde avec des trucs du genre beat-less mass of synthetized explosions and computer game abuse laced with Sun Ra-like organ noodling. C’est presque de l’art moderne au sens où l’entendait notre héros Des Esseintes.
Dans cet album live, nos deux cocos visent parfois l’hypnotisme du North Mississippi Hill Country Blues, notamment dans «Might Be Right», un cut qui file à fière allure. On se dit même que ça ne doit pas être compliqué à jouer, mais attention, il arrive que les morceaux les plus évidents soient les plus difficiles à jouer. Tiens prends ta guitare et joue «Get Back». Ou encore plus simple, «The Jean Genie». Tu va voir comme c’est facile. De l’autre côté gigotent deux ou trois petites merveilles de garage blues. «White Bitch» est une ode à la coke - Fucked all day/ Fucked all day - Et il chante ça d’une voix tellement huilée au mollard qu’on le croit sur parole. Il reste sur le pire guttural qui soit pour «Loose Yourself». On ne peut pas s’empêcher de penser à la voix qu’aurait eu un chef barbare arrivant en vue de Rome et qui lancerait ses troupes ivres de violence et de mauvais vin à l’assaut d’une ville déjà abandonnée par sa garnison. Parfois, on se félicite d’être né au XXe siècle.

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«Every Damn Time» fait partie des disques indispensables. Pour au moins six raisons. Un, «Fever In My Blood» qui sonne comme un heavy shuffle d’Atomic Rooster monté sur le beat tribal du sentier de la guerre, ni plus ni moins. C’est ce qu’on appelle du punk-ass blues du Tennessee, avec une structure dévoyée et livrée aux affres du démonisme. Ces deux mecs cherchent des noises à la noise et se conduisent comme les Féroces de la Forêt d’Émeraude. On se croirait même dans la cabane de T-Model Ford. Ils ne respectent rien ! Le truc sonne comme un brouet de sorcier africain. Ils tapent dans la même fournaise que Left Lane Cruiser. Ils adorent rôtir en enfer. Deux, «Leave It On The Road», épais battage de big bass drum saturé de violence, matraqué sans vergogne avec un appétit que la décence nous interdit de décrire. Ce beat voodoo se révèle écrasant de primitivisme. Pas de distorse, on a juste la basse de l’orgue. C’est à la fois dégoûtant, salutaire, menaçant et bien plus efficace que toutes les attaques d’alligators du bayou. On a là du pur génie swampy. L’ami Leg passe un solo d’orgue au cœur de la pétaudière. C’est monstrueux, il faut bien l’avouer. Trois, «Poor Brown Sugar», un stomp du Tennessee, épouvantablement solide, chanté à la vie à la mort, bardé de peau de vache du blues, terrifiant d’à-propos et lourd de conséquences. Quatre, «White Bitch», encore une horreur, tabassée au Tobacco Road de beat de bass-drum ultimate, ça bingote à coups de boutoir dans bingoland, ça bombarde d’uppercuts de cut de brute dans la panse de bitch au bas du belt. Et ça dit la dope ! Cinq, «Might Be Right», groove du Tennessee bien rebondi, un modèle du genre, dans l’esprit de John Lee Hooker. Six, «Guess You Gone And Fucked It All Up», monté au meilleur beat hypno, binaire de base, puissant et martelé par Odin en personne.

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Le deuxième album studio des Black Diamond s’appelle «A Touch Of Someone’s Else Class». Il vaut aussi le détour, je vous le garantis, ne serait-ce que pour cette reprise musclée de «Nutbush City Mimit» d’Ike & Tina. L’ami Leg la prend au guttural cromagnon, le même que tout à l’heure, celui qu’on ne peut pas vérifier. Il est très fort pour créer les conditions de la démesure. Avec lui, ce genre de standard est en lieu sûr. Au rayon des horreurs, on trouve «Make Some Time», qui sonne comme une cavalcade de bulldozer. Ils jouent ça au boogie dévastateur. C’est un peu leur spécialité. Ils nous battent ça au pilon des forges, c’est noyé de son et quasiment incommensurable. Pour «Loose Yourself», ils sortent un heavy groove à la Vanilla Fudge. L’ami Leg lave les péchés du genre humain à coups d’orgue de barbarie. Il mélange la heavyness du Vanilla Fudge avec celle d’Atomic Rooster. C’est une abomination dont les oreilles ne ressortent pas intactes. Il peut aussi nous surprendre avec des choses comme «Oh Sinnerman», une chanson de Nina Simone. Il nous plonge dans le mystère de cette femme extraordinaire. Il joue ça au pianotis et à la petite locomotive de train électrique, celle qui fait du bruit sur ses petits rails. Pur moment de magie interprétative. Dans le même registre, on a «Bidin’ My Time», un jazz blues de charme admirablement bien ficelé. James jazze le jive comme un géant du Village Gate. C’est saxé comme dans un rêve et tellement inspiré. Il peut swinguer jusqu’au bout de la nuit et monter au paradis. Il fait aussi une belle reprise du «Take A Ride» de T Model Ford - C’mon baby tek é raïd wizzz mi ! - Fantastique album.

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Curieusement, son premier album solo, «Solitary Pleasure», se révèle beaucoup moins dense que ses trois disques précédents. On retrouve le guttural, mais pas la démesure, même si «Do How You Wanna» sonne comme un heavy sludge de heavy blues. Un nommé Dillon Watson joue de la dégoulinade de guitare à l’Anglaise. Bizarrement, les autres morceaux de l’A n’accrochent pas. De l’autre côté, il tape dans «Fire And Brimstone» avec un vieux coup de guttural. Il fait sa brute, mais il n’emporte pas de victoire. Et avec «Drinking Too Much», on pourrait lui reprocher de vouloir faire du Tom Waits, ce qui est très embarrassant. James Leg est avant toute chose une bête de scène.

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Avec son deuxième album solo, il affine son art et crée les conditions de la passion, au sens où l’entendait Saint-Mathieu. «Below The Belt» présente toutes les caractéristiques du disque énorme, contenu comme contenant. Quand on a passé toute sa vie à brasser du vinyle, on est content de voir arriver ce genre d’album avec sa pochette annonciatrice d’hallali. Un photographe a surpris un James Leg torse nu, convulsionné devant son clavier, avec le buste jeté en arrière, comme possédé par le diable. Avec ses tatouages, sa moustache en croc à la Lemmy et sa tignasse grasse rejetée à l’arrière du crâne, James Leg fait figure de pouilleux parfait. Ses mauvais tatouages le distinguent des tendances nouvelles très m’as-tu-vu qui font tellement de ravages. Et dès l’ouverture du bal avec «Dirty South», on sait que l’album va tenir ses promesses, car c’est une véritable dégelée de Stonesy à la sauce Deep South qui nous tombe sur le râble. L’ami Leg chante avec la voix d’un vieux routier de l’armée confédérée, l’un des vieux sergents borgnes qui refusaient toujours de se rendre vingt ans après la capitulation et qui se planquaient dans les sous-bois de l’Arkansas ou dans le bayou, en Louisiane. C’est tellement bien foutu qu’on y croit dur comme fer. Johnny Walker des Soledad y fait même des ouh-ouh en hommage aux Stones de l’âge d’or. Voilà ce qu’on appelle une stupéfiante entrée en matière. Et c’est loin d’être fini, car voilà qu’avec «Up Above My Head», l’ami Leg tape dans Sister Rosetta Tharpe ! Il va au gospel comme d’autres vont aux putes, la voix grasse à la main. Comble de bienséance, c’est arrosé à coups d’harmo et tenu au beat bien sec. Quand il chante «Drink It Away», franchement on croirait entendre un gros nègre qui a tout vécu, qui a neuf gosses reconnus comme Willie Dixon et qui pourrait briser une traverse de chemin de fer sur son genou. Avec «October 3RD», l’ami Leg passe au swing avec armes et bagages, et nous entraîne dans une belle ambiance de dévolu musical qu’il swingue avec cette inéluctable distinction qu’on ne trouve que chez les géants de l’orgue, à commencer par Jimmy Smith et Graham Bond. Le festival se poursuit de l’autre côté avec «Glass Jaw». L’ami Leg sait secouer un cocotier. Plus personne n’en doute, arrivé à ce stade. On le voit napper son cut d’orgue et fuir le long d’un horizon, comme Can. Il a étudié lui aussi les arcanes de l’hypnose. Il tape ensuite dans les Dirtbombs avec «Can’t Stop Thinkin’ About It». Jim Diamond joue de la basse et on imagine aisément l’épaisseur garage que ça génère. S’ensuit une petite faute de goût avec une reprise de Cure et il finit son album avec deux pures merveilles, «Disappearing», un balladif en mid-tempo d’une classe insolente et «What More», un exercice de piano jazz qui le consacre empereur du blues-rock à la cathédrale de Reims.

 

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James Leg était à Paris par un beau soir de canicule, pour jouer en première partie d’Endless Boogie, quatuor new-yorkais dont on ne dira jamais assez de bien. À Jaurès, sous le métro, campaient des centaines de réfugiés pour la plupart africains. Les gueux de la terre étaient donc de retour en Occident et ils campaient face au siège du numéro 1 de la protection sociale en France, l’AG2R. Quelle ironie !

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À l’intérieur du Point Éphémère régnait une chaleur d’étuve. Pas moins de 35 ou 40°, pas le moindre courant d’air, à la limite de l’irrespirable. Oui, cette atmosphère relativement diabolique semblait convenir à notre éminence le Reverend James Leg. Installé face à un jeune batteur torse nu, il profita donc de cette étuve pour donner un petit avant-goût de l’enfer sur la terre. Si vous appréciez le boogie krakatoesque, le guttural barbare, l’explosivité latérale, la surenchère d’énergie, les cheveux trempés de sueur au deuxième morceau, les mauvais tatouages, le son du rock américain hanté par le gospel batch, les postures d’organiste qui rivalisent avec celles de Keith Emerson ou de Graham Bond, l’intensité de toutes les secondes, la tripe fumante, le shuffle d’orgue qui sonne comme une guitare, les crises d’épilepsie scénarisées, les regards fous dans la meilleure veine de l’expressionnisme allemand et, petite cerise sur le gâteau, une vraie animalité de performer/transformer, alors hâtez-vous d’aller voir ce mec en concert.

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Signé : Cazengler, James Lego (démonté, bien sûr)


James Leg. Point Éphémère. Paris Xe. 19 juillet 2016
Black Diamond Heavies. Every Damn Time. Alive Natural Sound Records 2007
Black Diamond Heavies. A Touch Of Someone’s Else Class. Alive Natural Sound Records 2008
Black Diamond Heavies. Alive As Fuck. Alive Natural Sound Records 2009
James Leg. Solitary Pleasure. Alive Natural Sound Records 2011
James Leg. Below The Belt. Alive Natural Sound Records 2015

 

 

VICDESSOS / 06 - 08 - 2016
BLUES IN SEM

VICIOUS STEEL / MATHIEU PESQUE QUARTET
FRED CRUVEILLER BLUES BAND
MIKE GREENE + YOUSSEF REMADNA
A CONTRA BLUES

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L’Ariège, terre courage. Ses loups assoiffés de sang qui déciment les troupeaux de brebis innocentes, ses ours bruns qui dépiautent les touristes, son goulot d’étranglement de Tarascon. Con ! Fin brutale d’autoroute. Samedi noir. Teuf-teuf immobile. Faut avoir une patience d’ange et le cœur bien accroché pour foncer vers Sem. Mais qui saurait résister à l’appel du blues ?
De toutes les manières si tu ne vas pas à la montagne, c’est le blues qui vient à toi. Cette année Sem n’est plus à Sem. Bye-bye les quinze derniers kilomètres en montée continue vers l’ultime village perdu. Pour sa quinzième édition le festival est descendu à Vicdessos. Facile à trouver : vous délaissez la grotte de la Vache sur votre droite et celle de Niaux sur votre gauche. Cette dernière est connue pour ses graffitis préhistoriques, et la première pour ces ossements de mammouth. A ma grande fierté, lors de ma visite, mon chien Zeus s'était emparé d'une de ces reliques préhistoriques et avait filé sans demander son reste, devenant ainsi l'unique canidé européen à se nourrir de la substantifique moelle pachydermique. Ensuite, c’est tout droit jusqu’à la Halle du Marché de la bourgade. Architecturalement, le bâtiment n’est qu’un vulgaire et spacieux hangar de taules même pas rouillées. La poésie se perd. Finies les étroites et pittoresques ruelles de Sem, ses parkings inexistants, son préau d’école exigu, ses toilettes lointaines, ses froidures humides, ses nuits pluvieuses. Moins de charme ou davantage de confort ? Le choix n’est pas cornélien, le blues a décidé pour nous.
Grand espace, des centaines de chaises plastiques alignées comme de petits soldats, pompe à bière, sandwichs à la saucisse, le bonheur est là, à portée de la main, suffit de se tourner vers la vaste scène sur laquelle A Contra Blues peaufine son sound check, deux guitaristes solos qui entrecroisent des notes sauvages, un duo qui vous met le Jack Daniel's à la bouche. Mais commençons par le commencement.

VICIOUS STEEL

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Formule minimale. Antoine à la batterie, Antoine à la basse, Cyril à la lead et au chant. N’ont pas terminé leur troisième titre que mes interrogations métaphysiques me reprennent. Docteur Chad, est-ce vraiment du blues ? Evidemment petit Damie, vous avez ici l’exemple parfait du Gini-blues, la rythmique du blues, les gimmicks du blues, le répertoire du blues, mais vous pouvez consommer sans modération, c’est du rock and roll. Z’ont tout pour eux, sont jeunes, sont beaux, viennent de Toulouse la ville où tu born to loose. Le genre d’argousins qui ne vous laissent pas les oreilles au repos. Vous stompent les trompes d’Eustache en moins de deux mesures. Son parfait et prégnant. Big blues Brother vous regarde. Les deux Antoine sont les idoines pétales de l’hortensia bleu et Cyril le pistil. Belle voix claire et bien appuyée, guitare sans défaut, un super groupe de première partie qui met tout le monde d’accord et vous chauffe la salle aux petits oignons. Vous envoient des nouvelles d’Orléans, batifolent dans le Delta, descendent à l’hôtel Great Chicago, ont leurs compos à eux, et le compteur linki tout électrique qui vous facture toutes les dépenses au centime près. Le blues dans la tête et la salle dans la poche. Vicious Steel, rythmique d’acier trempé mais pas vicieux pour deux sous réalise le consensus blues. Du vrai blues de petits blancs admiratifs estampillé bleu culturel de Klein quand sonne l’heure des remises à l’heure de la pendule du diable des carrefours. Grand moment d’émotion lorsque Antoine ( non pas lui, l’autre ) scande le blues sur son tambour à coups de chaîne. Pas celle de la mythique pochette de Vince Taylor mais celle que l’on vous refilait en cadeau de bienvenue à Perchman. Pour les amateurs de rock, Cyril exhibe sa collection de guitares carrées à la Bo Diddley. Merci Mona.

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Vicious Steel connaît sa mythologie blues sur le bout des doigts. Vous la racontent avec doigté. Mais devraient nous en faire un de temps en temps. Manque les salissures, l’usure du temps et des hommes. La sueur, les larmes et le sang churchillien. Détiennent la technique mais ignorent l’outrage. Blues lisse avec balise de secours. En 1963, les Stones chantaient et jouaient moins bien que Willie Dixon et Muddy Waters, mais ils avaient la morgue et l’arrogance en plus. Toute la différence est là. Faut chercher la rupture, le rapt et la rage. Pour chasser l’alligator, vaut mieux qu’il vous ait précédemment dévoré une jambe. Au moins vous savez pourquoi. Vicious Steel a emballé un public assis après la cinquantième borne de leur existence. Attention aux vieillesses auto-satisfaites et par trop sereines. Ont fait un tabac. Un peu trop blond, qui ne pique pas aux yeux et qui ne vous arrache pas la gorge. Mais ils ont de l’audace. Composent aussi en français, un effort pour coller à la langue anglaise du style “Je suis Tombé en Amour”, et moins romantique, sans la ballade lamartinienne autour du lac, vous avez " un tatoo au creux de tes reins pour me souvenirs de tes fesses". L’on préfèrerait descendre dans les bas-fonds du cul, mais l’on n’ira pas plus bas dans l’ignominie. Le regard vicieux du jouisseur des bas-fonds. Mais non, l’on s’arrêtera là. Dommage, mais ils sont en bon chemin. Ne reste plus à Vicious Steel qu’à franchir la frontière de la déférence bleue.

 

MATHIEU PESQUE QUARTET


L’est au centre. Avec sa fausse coupe Beatles embroussaillée, il ressemble à un étudiant américain de Berkeley de 1965. Acoustique en bandoulière, le profil type de l’admirateur country blues qui connaît son Lomax par cœur. Un petit blues des familles juste pour montrer qu’il n’est pas un manchot sur la banquise du manche. Derrière Olivier à la basse, Ludovic et Hansel à l’électrique lui concoctent un accompagnement de velours. Et tout de suite après l’on saute une génération. Précisent qu’ils vont interpréter leurs propres morceaux. Nous voici au début des années soixante dix. Canned Heat ? Johnny Winter ? Mike Bloomfield ? Quittez les amerloques et changez de continent. Direction la perfide Albion, prenez les meilleurs. Au début je n’en crois pas mes oreilles. Mais oui, ça sonne bien comme Led Zeppelin. Un petit dirigeable car il leur manque l’amplitude sonore. Faudrait multiplier par dix le puissance des enceintes pour que le cheval sauvage et neptunien puisse s’extirper des vagues, mais l’intelligence service du blues est bien là. Ont pigé la stratégie des brisures, les recouvrements de riffs, l’avancée dédalique vers la confrontation du Minotaurock, qu’ils évitent soigneusement car ils sont avant tout des joueurs de blues.

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Ne sont pas de petits branleurs qui s’embarquent sans biscuit pour une croisière sans retour. L’on a compris que question acoustique Pesqué tient le coup, mais celui qui tient la barre c’est Hansel Gonzalez. Le gonze à l’aise. Un guitariste comme je les aime. N’a pas fait poser des enjoliveurs sur sa gratte pour impressionner les minettes. S’accroche au bigsby et ne le lâche plus. Ne joue pas de la guitare. Joue du vibrato. Froissements et feulements de tigres, plus inquiétants que les rugissements. Vous êtes le beurre et il est le couteau qui s’enfonce dans la motte. Bordel ! Z’auraient quand même pu à la technique pousser les boutons et le mettre tout devant. Déplace les cordes comme un pendu pris au collet qui essaie d’échapper à son étranglement en se débattant au bout de son chanvre funéraire. Une demi-heure de pur bonheur. Applaudissements nourris à la fin de la séquence.

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Pesqué repasse en tête. Retour au répertoire. Guitare à plat, bottleneck au travail et glissandi à gogo. De la steel guitar comme s’il en pleuvait. Mais Pesqué va plus loin, des tapotements, des chuintements, des éreintements qui lorgnent vers la musique moderne et concrète. Ne vous dis pas comment l'Hansel il vous recueille ses pierres précieuses du bout de sa guitare, des pesées célestielles d’archange, magicien qui transforme la citrouille des concrétudes en carrosse électrique. Le secret du blues et du rock. Une bataille anti-entropique : rien ne se perd. Pas question de laisser une seule demi-croche accrochée aux petites branches.
Quelques retours à des morceaux de facture plus classique, faut savoir emballer la marchandise dans de solides écrins qui supportent les chocs, et le quartet et ses deux guitaristes nous quittent sous une ovation d’approbations. Suis injuste, vous ai laissé Ludovic et Olivier dans l’ombre. Vous en reparlerai quand je reverrai le groupe, car ce combo est à mettre dans la collimateur.

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FRED CRUVEILLER BLUES BAND

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L’on ne pouvait pas rêver de meilleure transitions. Après les affleurements reptatifs du précédent quartet, la chevauchée des walkyries du trio de Fred Cruveiller. Un adepte des philosophies simples. Aucune hésitation. Vite et fort au début. Vite et fort au milieu. Vite et fort à la fin. Pas de faux-semblants. Ni de faux-fuyant. D’attaque et d’équerre. Point de bavardage inutile. Juste quelques mots pour signaler qu’il change de guitare. Fred Cruveiller tient ses promesses. Quand il annonce que ça va y aller. Ca y va dur et rude. Dégoise le blues électrique des pores de sa peau. Campé sur ses deux jambes il n’envoie que du bon. Du texan pure long horn, cueilli au lasso et rôti à la broche à la graisse de crotale. Electrique ou résonateur vous ne sentez pas la différence. Droit devant dans ses bottes. Laurent Basso est à la basse. A peine s’il bouge de temps en temps une phalange, placide et le museau tourné vers tout ce qui n’est pas son instrument. Mais il vous tresse, l’air de rien, un swing phénoménal, ce n’est pas une basse mais un oscilloscope qui émet des ondulations sans fin.

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Eric Petznick déclare qu’il est essoufflé dès la fin du premier morceau et prend quinze secondes pour boire un gorgée d’eau. Ne serait-ce plus de son âge et de sa barbe grisonnante ? Ruse de comanche. Faut entendre la suite. Tape et cogne avec un zèle outrecuidant. Mes angoisses shakespearienne me reprennent. To blues or not to rock ? La question se pose pour les caisses, plus haut à l’étage des cymbales il nous donne la réponse, une souterraine rythmique jazzistique qui rampe sous le son sans demander son reste. Les peaux pour Fred, le laiton pour Laurent. Vous estomatoque d’un côté et vous ruisselle sur les tympans de l’autre. Pas de trou, pas d’interstice, pas de blanc. Sur ce lamé sonore Cruveiller laboure à l’aise. Aucun souci à se faire. Les deux compères assurent tous risques. Pénardos, car avec Fred, pas d’inquiétude à avoir. Quand il attaque un morceau, gagne le combat par KO technique. Les applaudissement fusent de tous les côtés. L’a ses fans qui se remuent le popotin sur l’allée latérale et ses aficionados qui crient leur contentement.

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S’en ira comme il est venu. Sans chichi après le rappel. Un boogie brut de décoffrage, une tambourinade de cordes éhontée, une dégelée d’horions qui vous percutent la figure sans que vous y perdiez la face. L’a remis les pendules à l’heure. On ne sait pas trop laquelle mais l’a tout balayé sur son passage. Un blues carré avec quatre étoiles ninja. Un combattant du blues. Troupe d’assaut.

MIKE GREENE & YOUSSEF REMADNA

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Après le commando de choc, honneur aux vétérans. Vont nous raconter toutes leurs guerres. Enjolivent sans fin l’histoire, mais tout le monde adore car c’est encore mieux comme cela. Sont sur leurs chaises hautes, comme deux copains au comptoir. Règleront leur compte à la Cristalline plastifiée qui leur sert de rafraîchissement. Comme de vrais bluesmen ils crient bien fort qu’ils préfèrent l’alcool. Le genre de déclaration politique qui crée le consensus parmi le public. Chantent à tour de rôle. A chaque morceau Mike Greene change de guitare. Ou alors Youssef Remadna troque la sienne contre un harmonica. Font semblant de donner dans le dépouillé et le rustique. Vous les croyez sortis tout droit du Delta et Mike entonne un air des Shirelles. Z’aiment bien casser les légendes. Ne se prennent pas au sérieux. Deux vieux complices ravis de vous jouer un tour de cochon bleu. Assurent comme des bêtes. Youssef engoule son harmo et vous tient la note sans faiblir durant cinq minutes. Continue même lorsqu’il a reposé son appareil sur le tabouret à côté de lui.

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Vous ne savez jamais dans quel répertoire ils s’apprêtent à puiser. Celui du blues ou la salade des blagues salaces. Engagent la conversation avec le public aux anges, attention ont la répartie facile et pratiquent l’auto-dérision à merveille. L’accent américain de Mike - réside en France depuis des années - fleure l’authenticité à plein tube. Z’en profitent pour balancer deux petits airs qui respirent trop le boute-en-train country pour être honnêtes. Mais ils professent une définition élastique du blues. Ces deux-là vous mènent par le bout du nez, en bateau sur les eaux boueuses du Mississippi, et partout ailleurs où le décide leur fantaisie. Du juke joint au feu de bois dans la grande prairie en passant par les stations adolescentes devant le poste à radio, vous ne savez plus trop où vous êtes. Ce qui est sûr, c’est que vous êtes bien. Un sacré numéro. Une impro parfaitement au point. Mais qui repose sur un savoir-faire évident. Le blues de deux vieux compères qui se la jouent pépères. Sous leur bonhomie, ils cachent des calibres dignes de la mafia. Respect et emballement du public qui exulte.

A CONTRA BLUES

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Je suis sorti entre deux sets pour respirer l’air frais ( ceci est un euphémisme ) de nos montagnes. C’est alors que je l’ai aperçue, toute menue, toute frêle, les yeux fermés, sur la banquette de la camionnette du groupe. Essayait de dormir, de retrouver un peu d’énergie après six heures d’attente, toute blanche, toute lasse, écrasée de fatigue, la route depuis l’Espagne, la chaleur cuisante de la journée. La pauvrette, mon cœur de rocker s’est ému, déjà je lui avais pardonné sa future contre-performance. Que voulez-vous les rockers sont de grands sentimentaux. Et la voilà maintenant derrière sa batterie, tous les cinq en place, les quatre autres se tournent vers elle, manifestement, ils attendent le coup d’envoi.
Bim, bam, boum ! La centrale nucléaire vient d’exploser. Raffut et fureur sur les futs. Les trois combats de Bruce Lee dans Le Jeu de la Mort synthétisés en trois demi-secondes. Nuria Perick vous avertit, avec elle la frappe blues change de dimension. Et les autres, demanderez-vous, parviennent-ils à survivre après ce cataclysme ? De tout le concert derrière sa contrebasse Jean Vigo ne détournera jamais les yeux de Nuria. Extase mystique, ou inquiétude de bassiste qui cherche désespérément l’instant propice où glisser une corde entre les coups de tonnerre jupitériens de Nuria, je n’en sais rien.

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A bâbord et à tribord les deux guitaristes, Alberto Noel Calvillo et Hector Martin, ont compris que devant une telle avalanche du marteau de Thor, le salut réside dans la fuite. En avant toute et chacun pour soi. Terminée la solidarité émulatoire entre les deux compagnons du sound check, désormais s’ignorent totalement, ont du boulot, les guitares doivent percer le mur du son, et ma foi, ils y arrivent sans encombre. Pas de tergiversation, nous avons affaire à de superbes musiciens, un peu fous : Alberto - un infirmier psychiatrique dans la salle et l’est bon pour trois mois minimum d’asile - sa façon rythmique d’agresser spasmodiquement sa guitare comme s’il voulait en trancher les cordes de ses ongles est un symptôme de délire schizophrénique qui ne trompe guère, quant à Hector, c’est peut-être pire, un introverti total, un autiste souverain, pour lui le monde se réduit à lui et à sa guitare. Le reste n’existe plus. Sont les deux seuls survivants de la planète, feront peut-être un enfant, mais rien n’est moins sûr, l’on dit que les couples d’amants torrides restent stériles.

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Bref un boucan d’enfer. Vous allumez une bougie pour le chanteur. Est-il vraiment possible de tracer sa voix dans un tel tintamarre pandémonique ? A la surprise générale, Jonathan Herrero n’est pas en train d’écrire sa lettre de démission. Pour le moment il écrase les cordes de son acoustique, violemment et méthodiquement, tel un éléphant qui chasse les mouches avec sa patte. Un pachyderme, vous voulez rire. Vous le regardez par le petit bout rétrécissant de la lorgnette. L’en faudrait six comme vous pour atteindre sa taille, un colosse aux pieds de béton armés. Vous êtes Gulliver et lui le pays des Géants à lui tout seul. L’ouvre la bouche et vous colle contre le mur. Derrière lui c’est Wagner, Stravinsky, Stockahausen, Malher, un ouragan infernal, pas grave pour notre cantaor. Obra la boca et l’on comprend tout. Quel avenir pour le blues et le rock and roll ? Vous ne savez pas ? Bande d’ignorants ! La réponse est limpide. L’expressivité de la souffrance bleue, les flammes rouges de l’électricité, et la splendeur du chant liturgique de l’opéra. Le tout mêlé en tant que musique opérative. Vous n’y croyez pas ? Ecoutez leur version avanlanchique de Rock and Roll Man d’Elvis et leur fabuleuse reprise de Georgia in my Mind du Genius et vos oreilles s’ouvriront. Jonathan le Titan arpente la scène, se pose en retrait pour que l’on puisse admirer les musiciens, et puis se plante derrière le micro. Chante même à côté sans que l’on ressente la différence. L’on pressent l’humilité triomphante de l’Artiste, la voix limpide de l’univers qui terrasse les dragons. Vous pulvérise d’un coup de mâchoire, vous statufie en entrouvrant les lèvres, vous terrifie d’effroi et vous torréfie l’âme en moins de deux. Un set d’une beauté époustouflante. Interminable ovation debout du public. A Contra Blues. Sont-ils contre le blues ou tout contre ? A revers ou à rebours ? On s’en fout. Sont supérieurs. Majestuoso. Giganfantasticorock. Estupantuoso. Terremotoso. Sang de taureau. L’orphée bleu vient de rentrer dans le labyrinthe.

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Damie Chad.

( Photos : FB : Love Blues in Sem )


LIGHTNIN’ HOPKINS BLUES

FRED MEDRANO


( La Fabrique Modulaire / 2015 )

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N’y avait pas que des chanteurs de blues à Vicdessos. Y avait aussi un dessinateur de blues. C’est plus rare, je vous l’accorde. Mais c’est un peu pareil, suffit de manier le crayon ou le pinceau avec autant d’aisance que le médiator. Et Fred Médrano, se débrouille comme un as ( de spide aurait dit Motörhead ), n’auriez eu qu’à jeter un regard sur les illustrations en couleur qu'il pondait au fur et à mesure et à une vitesse confondante, les a croqués sur le vif, durant les concerts. L’avait aussi son superbe album sur le Golden Gate Quartet et sa bio de Lightnin' Hopkins à dédicacer.
Quarante-huit pages. Si vous ne savez pas lire, ce n’est pas un handicap, les images se comprennent d’elles-mêmes. Le récit est d’une simplicité absolue. Ligthnin' se raconte lui-même à la première personne, dans l’ordre chronologique. L’enfance à trimer dans les champs de coton. La prison. Le pénitencier. L’alcool, les femmes, la belle vie. Celle qui vous refile une dose de blues à chaque tournant. Si vous avez mieux à proposer, tant mieux pour vous. Voici la suite. La route pour la gloire. Les enregistrements. La renaissance du country blues. La reconnaissance internationale. Tout cela pour retourner à la case départ : Houston in Texas. En bonus le cousin Texas Alexander et le symbole du poisson chat. Qui se mord la queue. Pour comprendre que le petit Sam Hopkins aura tout de même réalisé une bonne pêche tout au long de sa vie. Malgré les arêtes plantées dans son gosier. Ou grâce à elles.
Noir et blanc. Etrangement davantage de blanc que de noir. Les vignettes sans pourtour et leur disposition qui pourrait s‘apparenter à un incessant ballet de figuration libre, les larges phylactères telles des banderoles informatives minimales, et cette étrange impression que dans le dessin le blanc occupe la place des couleurs vives du réel, non parce qu’elles seraient plus claires mais pour concentrer le regard sur les interstices de la représentation objectale et figurative. Tout oscille entre le décor et le détail. L’horizon et l’horizoom. La signifiance est dans l’image. Chacune exige une longue station. Dit beaucoup plus que le texte ne suggère. Ségrégation de face et de profil, mais toujours dans les plans annexes. A vous de reconstituer l’englobant historial du récit. Médrano n’appuie jamais sur le trait. Le laisse filer. Ligne claire en le sens où l’encre noire est un hachis de zébrures dont la principale fonction semble être de laisser passer la lumière pour que le noir paraisse encore plus sombre. Les nègres sont noirs mais leurs visages sont tachés de blanc. Le plus noir de tous est celui de Lighnin' Hopkins comme si le héros se devait d’incarner l’obscurité sociale de son peuple, et ses camarades l’espoir d’un combat de vie dont il est la représentation exemplaire. N’a pas de grandes exigences. Veut vivre sa vie, selon ses désirs. Un homme solitaire. Qui évite les écueils plus qu’il n’affronte les étocs. Il est et le chat et le poisson. Stratégie du velours subtil de l’obstination boueuse. Son ombre glisse de page en page, au travers d’un brouillard blanc peuplé d’étincelles noires. Une série d’instantanés sur le chemin d’une vie qui n’appartint qu’à Hopskins qui a emporté le secret de sa manifestation dans sa tombe, qui nous est définitivement perdu, mais dont Fred Médrano a su saisir l’essentiel d’une représentation mythique. Son art propose une idée, mot d’origine grecque qui se traduit par forme. Une forme du possible en actes. L’eidos parfaite d’une idole bleue. Une œuvre éclairante.


Damie Chad.

03 / 09 / 2016 - NEMOURS ( 77 )
FESTIVAL NOTOWN

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JALLIES

Nemours un jour, Nemours toujours. N'exagérons rien. Deux ans que je n'ai pas remis les pieds dans le bourg. C'était pour Scores et Pulse Lag. Oui, mais ce soir, j'ai mes préférences, je viens exclusivement pour les Jallies. Plusieurs mois que je ne les ai vues, elles me manquent. Petit festival, un léger demi-millier de personnes. Passage obligatoire par le bus rouge. Pas les pompiers, mais presque. Je crois être à la caisse, erreur c'est la prévention contre les conduites à risques. Question frontale : Vous comptez boire de l'alcool ce soir ? Non, non, je suis déjà ivre. Eclatent de rire, ils ont le sens de l'humour. Plus loin vous avez le stand contre la drogue. Vous distribue des fiches techniques – drôlement bien faites, tout juste s'il n'y a pas l'adresse des dealers - mauve pour le crack, bleue pour l'héroïne... Rien n'est laissé au hasard.
Beaucoup de têtes connues, la reptilienne Cyd des Lizards Queens, je n'ai d'yeux que pour son tatouage qui grimpe comme une vigne vierge sur son épaule, lorsqu'une voix féminine me hèle. Me retourne, c'est la Vaness, l'est aux prises avec deux individus qui, avec la dextérité d'aquarellistes japonais sérieux comme des prêtres bouddhistes, calligraphient, à l'aide de caches plastiques rudimentaires, sur la chair grâcieuse de ses avant-bras et de ses mollets, trois gros ronds au feutre noir. C'est un concept, m'explique-t-elle. Je n'en saurai pas plus. Vous non plus. Me confie quelques secrets, le prochain CD en préparation, le nouveau répertoire en cours d'élaboration...
L'était mentionné deux scènes sur le flyer, à l'extérieur – idéal pour cette chaleur – mais faute d'ennuis techniques ce sera une scène à l'intérieur, ce qui raccourcira le set des artistes et donnera à la programmation un air des plus composites. Je résume.
Casse-Tête. Violon, cajon et guitare. Chanson engagée. Démago un peu facile. Finissent par Hexagone de Renaud. Suis obligé d'expliquer à une jeune fille que je ne danse pas parce que ce n'est pas exactement ma tasse de thé. M'annonce alors la terrible nouvelle. C'était leur dernier concert. Se séparent pour incompatibilité d'humeur. Comme quoi le no future punk a parfois du bon. Bye bye les casse-pieds.
Sexapet. Un nom qui vous laisse de cul. Du funk. Ni vraiment grand, ni vraiment Railroad. Version dance. Mais ils y croient et se démènent comme de beaux diables. Et une belle démone. Dommage que les voix et la guitare soient légèrement occultées. N'y a que la batterie, la basse et les percussions qui bénéficient d'une qualité sonore digne de ce nom. Se débrouillent comme des chefs, beau timbre de voix du chanteur, et les trois derniers morceaux méritent considération.
Walker family. Original. Portent des chapeaux de cow-boys et des chemises à carreaux. Le guitariste est affublé d'un poncho – une couverture de banquette arrière de voiture et vous vous emparez du look Clint Eastwood pour même pas une poignée de dollars. Débutent par un Monsieur Loyal à rouflaquettes qui vous dresse le décor – saloon, hors-la-loi, indiens – sur un mode burlesque, jusqu'à ce que sautent sur scène deux rappeurs qui vous racontent notre monde transposé dans le far-west. Ni swinging western, ni western jump, mais une nouveauté le hip-hop Bufalo Bill... Inventif mais pour moi le hip-hop c'est un peu trop flip-flop... De toutes las manières, je ne suis venu que pour les Jallies.

JALLIES

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Profitez-en bien, elles ne resteront que quarante-cinq minutes. Toutes les trois devant. Toutes les trois ravissantes. Z'ont rajeuni pendant les vacances. En pleine forme et tout sourire. Des gamines. Espiègles et mutines. Céline dans sa nouvelle robe d'écolière arbore une de ces moues de fausses d'innocence à damner un saint, Leslie, air alangui de princesse au petit pois à rendre fou les jardiniers du Paradis, et Vanessa, toute mince dans sa blondeur rieuse, toute dorée de soleil, apte à inspirer à tous les tatoueurs du pays les plus extravagantes volutes. Sont en forme. Se présentent, We are the Jallies et les voix tournoyantes s'entremêlent et virevoltent encore plus swinguantes que d'habitude.
Vous êtes comme tous les autres. L'on vous montre la beauté en images vivantes et vous vous perdez en contemplation. Vous ouvrez les yeux mais vous n'entendez plus rien. Pourtant dès le début, il y a eu cette fusée de guitare de Thomas qui aurait dû vous éblouir. Que seraient les Jallies ( que cette heures au cadran de la montre arrêtée ) sans les garçons ? Ont dû former un syndicat pendant les vacances. Ne s'en laissent plus conter. Se sont rapprochés, tout près l'un de l'autre, c'est ainsi que l'on est plus fort. Kross cherche des crosses à sa big mama. Pas question que la grand-mère passe son temps à se tricoter un cache-nez pour l'hiver. L'a intérêt à mettre un turbo quand elle est au turbin. Chaque fois qu'il tire sur une corde, vous avez l'impression que l'on vous arrache une dent. Une vibration explosive, une radiation nucléaire. Une seule note et vous sautez au plafond. Le swing qui dégringole et l'assistance qui se trémousse comme des pois sauteurs.
Tom, son chapeau, sa guitare. N'en faut pas plus pour notre bonheur. L'a dépassé le stade du riff, il trille et vous étrille. Une sonorité qui semble couler de source. Une ligne de pêche ininterrompue mais peuplée d'hameçons qui vous déchirent les nerfs. Ah, les fillettes jouent les cadorettes devant, il accélère le rythme, la guitare est la quatrième voix du trio, glisse sa lame dans le chant, flexible et aigüe, une piqure d'abeilles ininterrompue, et du coup Kross l'imite, prend la tessiture du baryton-basse, qui pousse et bouscule. N'ont jamais été aussi bien ensemble nos Jallies.
Si vous croyez que cette intrusion des garçons dans leur quant à soi gêne les petites pestes, c'est que vous méritez un zéro absolu en psychologie féminine. Au contraire, cela les émoustille, en deviennent plus électriques et puisque l'on rit davantage selon le nombre de fous, elles appellent le dénommé Vincent à les rejoindre sur scène. Un grand gaillard qui cache dans son énorme poing un harmonica minuscule et c'est parti pour un Down in the Country à éradiquer les neurasthéniques. En sandwich à l'interieur le célèbre Johnny B. Goode s'en vient faire un tour, juste pour que le train du rock and roll fasse la course avec le blues déjanté.
Ce sont des filles. Elles n'ont pas oublié de nous faire le coup du charme. Leslie nous offre sa célèbre version de Funnel of Love, la chante avec tant de perversité que toute la salle, filles et gars, tombe en pâmoison, Thomas en profite pour rajouter de fines liquettes de guitare sucrée, énervantes au possible, à faire fondre les coeurs et les sexes. Mais l'heure a tourné trop vite. Nous serons privés du rappel, z'avaient prévu un démonique Train Kept-A-Rollin, ce sera pour la prochaine fois.
Elles ont été éblouissantes, nos petites reines. Après elles, la salle se vide. The thrill is gone.


Damie Chad.

LES LIEUX DU ROCK
MATTHIEU REMY
CHARLES BERBERIAN

( Tana Editions / 2010 )

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Croyais qu'il s'agissait d'un répertoire alphabétique avec adresses, numéros de téléphone et courriels. A la maigreur du volume me disais que l'on avait omis à dessein tous les petits lieux quasi-anonymes qui accueillent – souvent en les payant au lance-pierre – les groupes de rock qui ne se partagent pas les faveurs du grand public. Ne l'ai pas ouvert. Gravissime erreur. Cet opuscule aussi mince qu'une tablette ( de chocolat ) présente en 72 pages, et une histoire du rock, et le parcours initiatique du groupe lambda de sa formation à sa ( peu probable )starification. Mais ce n'est pas tout, apporte aussi quelques réflexions acidulées au vitriol. Sortez votre calculette et divisez par deux. Parce que systématiquement la page de gauche offre un dessin de Charles Berberian, scénariste et dessinateur, scrupuleux observateur des conduites erratiques d'individus qui nous ressemblent trop. Croque ici une galerie de portraits, fans de base ou musicos représentatifs de l'époque qu'ils sont censés incarnés. Toute ressemblance avec un personnage célèbre ou anonyme, existant ou ayant existé, ne saurait être fortuite. A croire que nous sommes les archétypes primordiaux de nos clones.
Le rock n'échappe pas à la merchandisation. C'est souvent le but ultime de ses promoteurs, voire de ses créateurs. De toutes les manières l'est toujours en instance de récupération. Rien de mieux que les phénix empaillés pour fidéliser la clientèle. Un nom, une oeuvre d'artiste se gère à l'instar d'une marque de vêtement. Le rock est un produit comme une autre. Un artefact commercial qui s'apprivoise très facilement. Mais l'oiseau renaît de ses cendres pourtant balayées par le vent de la récupération. Mettez le rock en cage, et le volatile de feu, renaît là où on ne l'attendait pas. Matthieu Rémy, analyste patenté des contre-cultures contemporaines, s'amuse à repérér ses résurrections inattendues, exemple le plus connu : honni aux USA à la fin des années cinquante, le rock and roll réapparaît en Grande Bretagne au début des années soixante. Autre métamorphose le clubbing londonien aseptisé à outrance retrouve du peps dans les raves parties sauvages... Est-ce encore du rock ? L'esprit de révolte qui survit sous d'autres oripeaux ?
Le rock s'étiole lentement mais sûrement. Partira au tombeau avec les générations qui l'ont engendrée. La fin est proche et la vision du futur peu optimiste. Mais au diable le pessimisme, le rock donne l'impression de se désagréger. Se reconstitue aussi, en secret, et heureusement qu'il existe des lieux d'écriture pour repérer et signaler le réveil des braises. D'où le rôle irremplaçable des passionnés de la première et de la dernière heure qui s'obstinent à alimenter la flamme au travers de leurs fanzines, flyers et blogues... Comme KR'TNT !


Damie Chad.