22/02/2016
KR'TNT ! ¤ 270 : KEITH RICHARDS OVERDOSE / HOWLIN' JAWS / NELSON CARRERA + SCOUNDRELS / YANN THE CORRUP TED / JAKE CALYPSO / LES ENNUIS COMMENCENT / NAKHT / FALLEN EIGHT
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 270
A ROCKLIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
25 / 02 / 2016
KEITH RICHARDS OVERDOSE
NELSON CARRERA & THE SCOUDRELS
YANN THE CORRUP TED / JAKE CALYPSO
LES ENNUIS COMMENCENT / NAKHT
FALLEN EIGHT / HOWLIN' JAWS
04 / 12 / 2015
L'ESCALE / LE HAVRE ( 76 )
KEITH RICHARDS OVERDOSE
UNE BONNE DOSE DE KEITH
RICHARDS OVERDOSE
Ça remonte au temps où Born Bad se trouvait encore rue Keller. Deux choses vous mettaient en transe : le mur des nouveautés et bien sûr les bacs à thèmes : garage, surf, soul, punk, blues et rockabilly. On y piochait un mélange de nouveautés pointues et d’occases de rêve à 13 euros. Born Bad était pour ceux qui avaient fréquenté Rock On à Londres la suite logique. Et pendant qu’on farfouillait dans les bacs, Iwan passait des disques. Il passait bien sûr des trucs intéressants et les oreilles des lapins blancs se dressaient. Franchement, il régnait dans cette boutique une ambiance idéale. Pour les petits rockers de banlieue, c’était tout simplement la caverne d’Ali-Baba.
Un jour, alors que je sortais des bacs des beaux pressages américains de Dick Dale et toute une série d’occases des Chesterfield Kings, j’entendis un truc encore plus terrible que ce qu’on entendait habituellement, du garage-punk, mais avec un son sourd auquel nous n’étions pas habitués. Direction le comptoir.
— C’est qui qu’on entend ?
Il montre la pochette, avec la photo en noir et blanc. Je n’en reviens pas !
— Keith Richards Overdose ? Ça alors ! Le vieux Keef il a de l’humour !
— Mais non, c’est pas Keef, c’est des Marseillais !
— Quoi ? Des Français avec un son pareil ?
— Oui des anciens Hatepinks !
— Fantastique ! Il est à vendre ?
— T’as de la chance, il en reste un...
L’album est solide, c’est le moins qu’on puisse dire ! Les Marseillais naviguent au même niveau que leurs compatriotes les Cowboys, dans les couches de son plein et dans le bon bal des influences. Ils nous happent dès «Rocking At The House Of Blue Lights» avec un punk-rock sourd et torride, bombasté à la vieille mode. On retrouve ce sourdisme de son dans «Chain Reaction Honey», et ça vire crampsy sans prévenir, avec une basse qui mène le binz par le bout du nez. C’est un excellent disque d’attaque frontale, comme le confirme «Hot Blood». On pense à l’album des Loyalties, perdu dans le fog de l’underground anglais - Hot blood I love you so ! - On reste dans la belle attaque avec «Skinny Jeans», torché à la belle énergie des ouh et des ah ! Le rock des KRO est d’une incroyable solidité. On retrouve chez eux toute la belle niaque des Cowboys From Outerspace. Cet album est vraiment excitant, bardé de gros climats pathogènes et d’excès d’oh yeah ! «Never Been Good With Math» est joué à l’excès de jus Gun Club/Gallon Drunk et noyé au plus profond des pires torpeurs atmosphériques. De l’autre côté, on trouve une reprise bien enlevée de «Hippy Hippy Shake» puis un stupéfiant «Walking The Frog», punkoïde au possible - Oh c’mon ! - C’est une vraie fournaise ! Les Overdoses pataugent dans l’excellence de la démence et ils font monter la mayo des c’mon jusqu’à l’apothéose. Avec «Try This», on se croirait chez les Who de «Live At Leeds» ! Ils nous plaquent carrément les accords de «Substitute» ! Encore une fameuse pétaudière avec «Scatman» et ils referment la marche avec un faramineux «1234 & Again» chanté au bon boogaloo et terrible de présence indigène.
Les années passent et voilà que se produit un petit événement. Oh, ça ne fera pas la une des journaux, mais c’est un petit événement quand même. D’autant plus important qu’il est double. On apprend en effet la réouverture de l’Escale, un bon bar rock du Havre avec au programme nos amis marseillais. Il n’en faut pas davantage pour renouer avec ce vieux sentiment d’excitation qu’on éprouve chaque fois qu’un bon concert est annoncé. Le boss de l’Escale a refait sa salle à neuf et c’est presque devenu luxueux. Endroit idéal pour un groupe garage comme Keith Richards Overdose. Et petite cerise sur le gâteau, la salle est pleine.
Sur scène, les Marseillais offrent un surprenant mélange de stonesy et de garage-punk, le tout bien soutenu au beat. Avec son maillot rayé et son ancre de marine tatouée sur le bras, le chanteur renvoie à l’univers visuel des Dolls, d’autant qu’il joue sur une grosse White Falcon, comme jadis Sylvain Sylvain. Le parallèle avec les Dolls est flagrant, et on repense à cette assurance qu’affichaient Sylvain et Johnny Thunders, lorsqu’ils plaquaient leurs accords en tordant leurs bouches, eh oui, ils savaient au plus profond d’eux-mêmes (deep inside their hearts) qu’ils jouaient dans le meilleur groupe de rock du monde, à l’époque. On retrouve la trace de cette assurance chez le Marseillais, car il semble véritablement possédé lorsqu’il claque ses accords en hurlant ses refrains. Ce mec est un pur rock’n’roll animal, un porteur de flambeau, l’héritier d’une lignée de puristes qui remonte aux Dolls et aux early Stones.
Ce mec sait ruisseler comme Little Richard et montrer son cul comme Iggy Stooge. Il peut faire le con sur scène, sauter dans le public, il a derrière lui une section rythmique infaillible et un transfuge des mighty Holy Curse en support guitaristique. Leur objectif semble se limiter à offrir un bon set de rock aux Havrais, ce qui est en soi le plus louable des objectifs. C’est aussi l’occasion de vérifier une fois de plus que l’avenir du rock se trouve dans les bars, plutôt que dans les stades.
Le deuxième album des Marseillais vient de paraître sur Closer, avec une pochette ornée du Jolly Rodger des junkies : un crâne et deux seringues croisées en guise de tibias. Joli titre : «Kryptonite Is Alright». Ils attaquent avec «If I Was You», ce slow super frotteur qui fit des ravages pendant le set du Havre. On pense bien sûr au slow super-frotteur des Oblivians. L’ensemble de l’album est très rock’n’roll. La plupart des cuts sont montés sur des structures classiques, mais si on ne retrouve pas le son du premier album, on croise au coin du bois la belle tension qui faisait son charme. Ils ornent «Ton Punk Rock De Vieille» d’un beau solo suspensif et bouclent la face avec «Fifteen Sixteen», amené au parti-pris de stonesy et doté d’un beau background dollsy. Ce cut inspiré vaut pour le hit du disque, d’autant qu’on sent battre sous la peau le pouls des Dolls. De l’autre côté se niche un fantastique balladif intitulé «So You Say You Lost Your Baby» et on tombe plus loin sur l’excellent «Hold Me Tony», nerveux et bien goulu. On voit bien qu’ils cherchent leur voie sans trop se casser la tête. Ils bouclent avec un «Worse Things I Could Do To You» servi sur un plateau par l’intro de basse du grand Nasser. Ce cut fit lui aussi quelques ravages lors du set, car il fonctionne à l’insidieuse.
Signé : Cazengler, aux verres dose
Keith Richards Overdose. L’Escale. Le Havre (76). 4 décembre 2015
Keith Richards Overdose. ST. Scanner Records 2011
Keith Richards Overdose. Krytonite Is Alright. Closer Records 2015
19 – 02 – 2016
ROCK'N'BOAT
LA PATACHE / PONT DE L'ALMA
HOWLIN' JAWS /
NELSON CARRERA & THE SCOUNDRELS
YANN THE CORRUPTED
JAKE CALYPSO
Finissons de faire les zouaves, dare-dare au Pont de l'Alma, pour prendre à l'abordage La Patache à l'attache le long du quai. D'abord franchir la muraille de Chine des touristes made in Hong Kong qui rejoignent leur car, ensuite s'engouffrer au galop dans le navire amiral du rockabilly. Pas le temps de le parcourir jusqu'à la poupe pour saluer amis et connaissances que Bernard Soufflet l'organisateur de l'évènement présente déjà les Howlin' Jaws. Comme un rocker normalement constitué ne rate jamais un gig des Howlin' je me faufile au premier rang. Non sans difficulté, car il y a du monde.
HOWLIN'JAWS
Même si vous ne les connaissez pas, je vous donne le truc pour les reconnaître. Sont le seul groupe du monde à arborer fièrement une casquette à hélice – allusion hélicoïdale à la structure de l'ADN, ou apparition du complexe de l'hélicoptère à ajouter aux analyses freudiennes ? : les savants n'ont pas encore résolu le problème – sur la tête. Le grand sur votre droite, incliné sur sa contrebasse c'est Djivan, he's the one in his red blue-jean, au fond au milieu, baguette à la main, non ce n'est pas le chef d'orchestre, c'est la batteur Mathieu qui ne croit qu'en ce sur quoi il cogne ( dur ). Enfin the last but not the least, c'est Lucas (grave) penché sur son instrument, l'esquire exquis de la squier guitar. Avant de lâcher les fauves, je vous explique le comportement de ces félins. Comptez dix minutes de déchaînement absolu. Vous êtes en train de sortir votre portable de la poche pour alerter les autorités, lorsque tout se calme, comme par magie. Silence absolu. Apparemment nos lascars ont quelque chose de plus important à faire. C'est au choix. Ou Djivan, ou Lucas. Il tire son peigne de sa poche arrière et entreprend de lisser ses cheveux en arrière. Ne poussent pas le vice jusqu'à se regarder dans une glace, et c'est brusquement reparti pour un quart d'heure de pur bonheur. Pour ceux qui aiment le grabuge au mètre cube.
Quatre groupes, alors autant mettre la barre au plus haut tout de suite. Les Howlin' détestent les gradations lentes. Appliquent un principe des plus simples, en dix secondes vous devez être au maximum. Ensuite, toujours en rajouter. Ne jamais baisser en intensité. Pour bien montrer qui ils sont, ils tapent en majorité dans leur répertoire original. Ils sont les Howlin, aux dents longues, et le public ne manque pas de mordre à l'hameçon.
Djivan est au chant et Mathieu au tambour. Lucas est partout. Les deux acolytes lui fournissent la toile, écrue, épaisse, une véritable voile de clipper taillée pour les vents d'orage, et c'est Lucas qui dessine dessus les têtes de mort et les sabres d'abordage. Pirate au long cours qui ne fait pas de prisonnier. N'est à l'aise que dans les combats rapprochés. Bondit sur le devant de la scène et vous tire quelques boulets juste dans la soute à munitions pour vous faire sauter le caisson. C'est un retors, vous a toujours l'intervention de trop, celle qui vous fait chavirer de joie, la lame du poignard qui pénètre droit dans votre coeur sans crier gare. Et Djivan qui ricane des chants de matelots à vous glacer d'horreur l'âme de Baudelaire. Derrière Mathieu crashe boume et hue comme un forcené. Impulse le rythme, droit à la lame, ne pas faiblir, ne pas mollir, lorsque l'on a déchaîné la tempête faut assumer. Et il assomme à tour de bras. Djivan déchire the big mamamita – elle va mourir mais il s'en soucie comme de son premier radeau.
Revoilà Lucas, on ne l'avait pas oublié avec ces notes qui nous déchirent le cerveau sans pitié, ce gars il est dangereux, il vous trépane jusqu'au bulbe rachidien et vous l'applaudissez des deux mains comme un zombie stupide. Les Howlin n'ont pas cassé la baraque, ils ont réduit les planches en poudre. Et plus ils vous dézinguent plus la masse des spectateurs s'appesantit sur le devant de la scène.
Difficile de rêver mieux comme entrée en matière. C'est comme pour Le Vaisseau Fantôme de Wagner l'on risque de ne se souvenir que du prélude. Les Jaws nous ont pulvérisés. Un set d'une intensité incroyable. Sans bla-bla, sans chiquet, trois musiciens et leur musique. Le problème pour les hypothétiques lecteurs qui n'aimeraient pas, c'est qu'ils ne jouent que du rock and roll. Vous n'êtes pas obligés d'apprécier. Ni d'être parfaits. Evidemment les Howlin' Jaws, eux ils sont parfaits. Tant pis pour vous, tant mieux pour eux.
Quand ils ont quitté la scène il y avait de quoi écrire un livre rien qu'à décrire les yeux brillants d'adrénaline de l'assistance stupéfaite et ravie.
NELSON CARRERA
AND THE SCOUNDRELS
Pas évident de passer après une telle tornade. Les Howlin' c'est du rockag électrifié à mort comme une chaise dans un pénitencier américain, Nelson Carrera c'est le hillbilly des collines, agreste et rural. Faut être un sorcier pour de telles transitions. Pas le genre de défi qui peut apeurer Nelson. Mais ce n'est pas aux renards que vous apprenez à voler les poules. Les Scoundrels ne sont pas des demi-sels. Des pros : Jorge le Taiseux qui ne regarde que sa contrebasse, faut entendre comme il l'a fait chanter, Pascal l'Efficace aux drums et à la barbichette, inutile de se retourner vers lui, vous suivrait jusqu'en enfer, et Raphaël à la gâchette facile. Un coup d'oeil de Nelson et c'est parti pour la chevauchée sans pitié. Vous vouliez savoir ce que c'est qu'une guitare électrique, Raph vous fait la démonstration. N'allez pas vous plaindre à votre mère après. Il sera trop tard. D'autant plus que Nelson sur sa rythmique il vous mène les frères Jesse James à l'attaque de la banque sans état d'âme.
En plus Nelson, il a une arme même pas secrète, une voix d'or. C'est presque trop facile. Enrageant, vous pouvez toujours essayer devant le lavabo. S'en sert comme un brigand pour fracturer la porte de votre sensibilité. Cinq titres à tout berzingue pour montrer ce dont les Scoundrels sont capables et puis l'on part vers la campagne country, les contreforts des Appalaches, le rock d'avant le rock. Un enchantement. Nous tient sous le charme, Nelson, ne nous lâchera plus. Les titres défilent sous les acclamations, un hommage à Carl des Rhythm All Stars, qui nous manque. Charlie Feathers, Johnny Horton, les grands noms, la discographie idéale, interprétée par un combo de rêve. Ne savez plus où donner de la tête, Jorge qui résonne, Pascal qui façonne, Raph qui cisèle et Nelson qui module tout en expédiant le tout sur une rythmique d'enfer. C'est en cela que réside le mystère, une pêche d'enfer et une voix qui explore les moindres sinuosités de la nostalgie. Nelson sous sa couronne de cheveux blancs est le barde du hillbilly, nous administre une leçon de bel canto rockab. Après lui pouvez aller vous rhabiller. C'est du cousu d'or fin. De la belle ouvrage rehaussée de la pourpre incendiaire de la guitare de Raph.
Chante longtemps sous les vivats du public. On s'y laisserait prendre, l'on passerait toute la soirée avec. Mais Bernard Soufflet regarde sa montre. C'en est fini de cette oasis de fraîcheur dans ce monde de brute. Nelson et son band de malandrins ont une fois de plus réussi leur coup. Une douceur enlevée, une tendresse enfiévrée, et hop, ils sont déjà repartis. Mais ils emportent tout ce que vous avez de meilleur en vous. Un rêve d'Amérique que vous ne referez jamais tout seul avec une même intensité. Faudra attendre que Nelson Carrera et ses boys repassent près de chez vous.
YANN THE CORRUP TED
Attention l'on change de scène. L'on est dans le gang des outlaws. Chevauchée dans les rangs des rebelles. Le devant de la scène est squatté par un bataillon de teds. Texas est à la basse, placide, l'en a vu d'autres, le fiston a intérêt à assurer à la guitare. Jacky Lee et son incroyable dégaine – c'est fou comme ses favoris en lames de faux qui se rapprochent de ses lèvres lui confèrent une terrible dignité - attend les dernières accordailles de la balance, ne sera jamais parfaitement établie, la voix de Yann étant trop souvent reculée par rapport à sa guitare. Dommage car le set fut infernal.
Du début à la fin. Facile à résumer, une rythmique de fer. Intangible. Avec un crescendo irrésistible. Morceau après morceau. Ce n'est pas que l'on joue obligatoirement plus fort, c'est que l'on confère davantage d'intensité à chaque fois. Musique très physique avec une terrible implication personnelle. A la moitié du set, les fans n'y tiennent plus et montent danser sur scène. Chacun s'approprie le morceau, le mime, de la voix et du corps, d'une guitare imaginaire.
Yann a cherché l'efficacité. Maximum de classiques beaucoup de Flyin' Saucers et de Charlie Feathers. Tout le monde connaît les titres et se laisse dériver et hypnotiser par le tempo d'acier. Trois infatigables. Sont pour le développement durable mais pas pour économiser l'énergie. Texas file les lignes de basse comme s'il pêchait au gros. Pas des truites vagabondes. Du cachalot bagarreur. Mes yeux sont rivés sur les doigts de Yan qui scandent le rythme sur des cordes fines et coupantes comme des noeuds coulants. Jacky Lee est fascinant. En mouvement perpétuel. L'abat des coups tranchants comme des cognées de bûcheron sur l'entaille des arbres. Pas d'écho, pas de rebond, pas de volume ouaté, sec comme une branche d'arbre qui casse d'un bruit net sous votre pied. Ou le déclic d'un piège à loup sur votre jambe. A la fin du set, l'est un signe qui ne trompe pas, fait jouer ses poignets pour en chasser la rigidité robotique. Une frappe d'une vigueur étonnante. Chaque coup retentissant dans sa propre solitude sonore sans jamais mordre sur le suivant ou le précédent. Un mouvement d'horlogerie pour une cadence inexorable.
Auront droit à un rappel, exigé par le public. On ne pouvait pas les laisser comme cela. Nous aurons droit à un Train Kept A Rollin démentiel. Perso j'ai une préférence pour leur interprétation de Born To Be A Rolling Stone de Gene Vincent, un titre rarement choisi dont ils ont bousculé avec bonheur l'orchestration. Finissent dans un charivari festif des plus agréables. Ont réussi à corrompre le public. L'est vrai que les rochers, quand on leur propose du rock qui dévaste le périmètre de leur entendement, ont l'âme vénale. Drapés dans leur enthousiasme les Teds sont toujours les Teds. Egaux à eux-mêmes. Ne déçoivent pas. Sont vivants.
JAKE CALYPSO
L'est attendu comme le messie. Pas celui qui marche sur l'eau, celui qui bondit de rock en rock sur les rochers qui affleurent. Thierry révèle sa nature méticuleuse, range son boîtier à lunettes dans son sac, vérifie sa monnaie dans la poche du pantalon, vous le regardez et vous vous dites, on en a encore pour une demi-heure. Guillaume ramasse sa contrebasse, Christophe passe sa bandoulière, Hervé trifouille sa guitare. Prend subitement deux décisions lourdes de conséquence. D'abord il enlève sa veste jaune pour arborer une chemise d'un rouge-orangé à faire hurler de joie les photographes, puis d'un geste large il jette au fond de la scène le fil et le scotch qui relie sa guitare à l'ampli. Prend la parole et résume la situation d'une phrase lapidaire à la Jules César dans La Guerre des Gaules. « Pas de jack, pas de répétition, pas de balance ! ».
Retenez-les. Trop tard c'est parti. Christophe Gillet plante les premières banderilles, se propulse en avant à chaque riff, le pied catapulté en hauteur comme à la savate. Sous sa casquette plate Guillaume maltraite son encombrant, et Loison à qui il ne faut pas en promettre se met à glousser au micro comme une pintade quand le goupil se faufile dans le poulailler. La salle chavire et caquette comme la fameuse poule d'Henri IV que l'on viendrait chercher pour la glisser dans le pot idoine. Thierry bat la démesure du fou tranquillou dans un mouchoir de poche. Le mec qui ne s'affole jamais. Dans le tintamarre qui va suivre, se contentera d'esquisser de temps en temps un sourire sardonique. Il est l'oeil de l'ouragan. Le moteur immobile de la roue folle du karma humain qui tourne à toute vitesse. Loison se mue en Shiva, le dieu aux mille bras. S'est débarrassé de sa bandoulière, tient sa cithare acoustique coincée comme une oiselle sous son aisselle, ce qui lui donne une belle prestance à la Elvis. Ce qui tombe à pic, puisqu'il est en train de revisiter son dernier CD, downtown à Memphis qu'il a enregistré avec son band dans les studios Sun. Un truc que je ne comprendrai jamais, comment fait-il ce diable d'homme, cet agité du bocal, pour vous restituer le son dans sa pureté absolue ! Bien sûr, l'a son gilet de sauvetage, le Chris qui vous turlupine tout ce que vous voulez sur sa guitare. Tout en étant atteint d'une tarentulite aigüe. Avec Guillaume plié de rire en deux, tel un Ganesh facétieux, sur son engin – sans pour autant pédaler dans la choucroute d'un quart de ton – moi j'aurais comme un doute. Mais non Loison, c'est en même temps la pureté foncière du rockab et l'Actor's Studio. Vous en donne le maximum pour le prix minimum. Eloge de la gratuité de la folie. Romantisme débridé et échevelé. Grogne, ronce, babatise et attise sans cesse le public. Ne sont plus seulement quatre mousquetaires sur scène, le régiment du public les suit et les précède. Deux cents gosiers chantent en choeur avec Loison. A chacun son petit délire, perso je suis en train de jouer des tablas sur la contrebasse de Guillaume quand ma voisine me tire par la manche pour me passer un demi-verre de bière éventée. What is it ? Je ne suis pas celui pour qui vous me prenez ! Mais non, elle vient de déboucher une bouteille de Sky et je suis désigné pour passer à Jake sans jack un graal de Jack, ce nectar suprême des Dieux. C'est que Loison, il faut le ravitailler en plein vol, l'est d'ailleurs en train de voler au travers de la salle sur le bout de nos bras. D'autres se vautrent sur la scène, certains caressent le visage d'Hervé maintenant gisant sur le dos, ça hurle de tous les côtés, des excités inventent de nouvelles danses, Loison refait un petit tour à vol d'oiseau, revient en courant, glisse sur une flaque de bière et emporte au sol une danseuse, un flip flap arrière à vous briser la colonne vertébrale dont Noureev n'a jamais osé rêver. Au sourire ravi de cette cavalière si rapidement jetée à terre, l'on pourrait parler de choc amoureux.
Mais Hervé est déjà sur scène – au-dessus des eaux de la Seine – chante le désespoir du blues – un blues de peaux rouges criards et ravagés à l'eau de feu - en faisant le poirier sur la batterie de Thierry qui n'est pas ému pour une demi-cacahouète par cette pirouette. Jette sa chemise dans la foule, s'enfuit en coulisses. Mais on ne stoppe un pandémonium aussi facilement qu'un go-fast sur une autoroute. Il se fait tard. Bernard Soufflet octroie un rappel, tout de suite transformé en trois morceaux par Mister Loison. Je préfère ne pas vous raconter, vous m'en voudriez toute la vie de n'avoir pas été là. Bref, un set de folie. Merci à nos quatre héros.
RETOUR
L'on s'éclipse à toute vitesse. Comment l'on a regagné la Teuf-teuf à l'autre bout de Paris, sans métro, je vous le conterai un autre jour. Mais la journée a été tellement bonne que l'on n'a pas ressenti cela comme une galère. En plus j'ai ramené, un petit vingt-cinq centimètres inédit de Gene Vincent qui vient juste de sortir; tra-la-la-la-lère !
Damie Chad.
( Photos fb des artistes : Sergio Photostock / Rey Fonzareli / Olvier Navet )
LES ENNUIS COMMENCENT
LOVE-O-RAMA
FLIGHT OF THE TAIKONAUTS GUITAR / THE FRENCH PLAYBOYS MOTORCYCLE BOYS / DON'T TELL ME YOUR TROUBLES / MARWINE TAGADA / JOHNNY'S DEAD / WHEN ELVIS WAS THE KING / 2000 YEARS FROM HOME / I ATE MY BURGER ( TWO DAYS LATER ) / THE GODSPELL ACCORDING TO A. A. NEWCOMBE / TEENAGE QUEEN / OFF THE BUNCH / SOLLACARO 2:45 PM
Atomic Ben : Vocal, guitar / Gus Psycho Picasso : double bass / HUGO SLIM KIDD : Drums / Arno Cole Hicks : guitars /
Benislav Bridgen : organ piano / Jezebel Rock : Arrangements
Methanol Production / Buzz Buzz Records
Fly of The Taikonauts Guitar fanfares de guitares, apachien ou appalachien ? Un rumble des familles dirions-nous pour mettre tout le monde d'accord, oui ça sonne plus américain qu'anglais, mais voyez-vous c'est la poule aux oeufs d'or française qui nous a pondu cette petite merveille. The French Playboys Motorcycle Boys après la poulette made in France ceux qui portent un aigle sur le dos, cavalerie de chevaux d'acier, c'est Ben qui chevauche en tête, super girl sur le porte-bagage, bagarres et cavalcades à foison, c'est chromé comme un aileron de Triumph, la route des légendes, l'autoroute de la mythologie rock, Don't Tell Me Your Trouble conseil d'un ami à l'ami, ne dépose pas tes valises de problèmes dans mon living-room, j'en ai des malles pleines, les nanas deviennent merveilleuses dès qu'elles se sont enfuies, alors écoute ce camaïeu musical, cet entremêlement de batterie ponctuée de guitares et la voix de Ben qui sautille sur les obstacles, y a trop de bon rock and roll dans le monde pour s'ennuyer dans la vie. Marwine tagada elle est sucrée comme une fraise tagada arrosée de sucre candy, la petite Marwine, avec ses sourires de crocodile vous la croqueriez sans rémission. Les Ennuis vous présentent la poussinette idéale, le rêve dont on dreame toutes les nuits et dont vous vous interdisez la cueillette, avec des chœurs féminins à vous conduire tout droit en enfer. Ne craigniez rien, à peine avalée vous en dégustez dix autres aussi sweetest dans le paquet de la vie, suffit de remettre dix fois de suite la piste 4. Attention terriblement addictif. Johnny's Dead changement de climat, l'est des êtres plus inquiétants que Marwine, le rythme obsédant du morceau, vous incite à la plus grande des prudences, attention l'Amitié est encore plus dangereux que l'Amour. Johnny le zombie n'est pas le copain idéal, mais l'est irrésistible comme tous les bad boys. Une version des Bras en Croix de Johnny mis au goût du jour dans le retour des morts-vivants. Le malheur c'est tout comme pour Marwine, vous allez y revenir au moins vingt fois de suite pour en goûter tout l'humour noir. Attention le noir prédomine. Et ces notes éthérées de strato comme un avion qui se perd dans le brouillard... When Elvis Was The King quand Elvis s'insinue dans votre âme et friture tout votre feedback. Le rock est une drogue destructrice, façonne votre pensée et dicte vos déviances. Jeune et jolie, mais déjà en mode survivance. Parce qu'Elvis est le roi. Et que personne ne peut rien y faire. L'est des cauchemars dont on refuse de sortir, l'on y est trop bien. Chant phantomatique de Ben qui vous atomise. 2000 Years From Home quand la réalité est trop lourde à porter vaut mieux sauter dans le fuselage de l'orgue et s'enfuir à l'autre bout de l'univers. Avec les Stones en trip dans le cockpit, l'on est sûr de ne pas s'ennuyer. I Ate My Burger ( Two Days Later ) retour sur terre, attention c'est encore plus terrible qu'un voyage dans l'espace, les fins de soirée sont parfois dures à achever, surtout au petit matin, quand on a sniffé filles, rock and roll et cocaïne dans les intraveineuses de la rage de vivre. Difficile de retrouver son assiette. Et même de retrouver son burger dans son assiette. The Godspell according to A. A. Newcombe le même sujet que le précédent, mais en plus sombre. Un massacre. Ne plus survivre dans la mythologie mais dans la réalité de la vie. Pouvez prier Jésus et tous les diables de l'enfer, les filles s'éloignent... Teenage Queen le réel perdu, vous revivez votre vie en kaléidoscope avec les titres de Gene Vincent en bande son. Une fois ouvert le livre de la nostalgie rock ne se referme jamais. Rêve de vampire qui éprouve une folle envie de fraises tagadas. Off The Bunch reprise de la course en tête. Soyons clair, dans la tête du perdant. Magnifique si vous voulez, mais ne vaut mieux pas donner un titre au tableau en peau de chagrin. Portrait de Dorian très gris sombre. Spellacaro 2: 45 PM instrumental sous-titré Death in the afternoon. Tout un programme. Tout le programme. Quand vous abattez l'as de pique au poker menteur de la vie, faites attention que ce ne soit pas le Johnny Ace.
Waouh ! C'est des français qui ont fait un truc de ce calibre ? Se foutent de notre gueule : chantent en anglais mais prennent soin de glisser le mot french dans les lyrics. De tous les disques rock parus en France, c'est vraisemblablement celui qui s'inscrit le mieux dans l'imaginaire rock national. Lisez les notes de la pochette si vous voulez confirmation.
A se procurer d'urgence si vous êtes fan de rock an roll. Même si en fait c'est un disque de blues, le disque de blues, le plus déchirant éclos sur le terreau national. Bourré d'humour dynamite, une production des plus soignées, des musicos au summum de leur art et un chanteur époustouflant. Tout en finesse. Mais en prime, tout ce que l'on ne dit pas, tout ce que l'on tait par pudeur, pour ne pas ennuyer les voisins, ce désespoir qui vous saisit à la gorge lorsque vous passez la frontière du mi-temps de la vie, la pente du déclin. La pochette annonce la couleur : couleur bleu-gris du soir qui descend. Le renard de l'existence vous subtilise toujours le fromage de la vie, à vous le corbeau déplumé même si vous possédez le plus beau love-O-ramage du pays...
Musicalement c'est une merveille. Un groupe de mambo-rockabilly qui ne court plus après les vieilles lunes de l'adoration perpétuelle, mais qui tient par-dessus tout à se démarquer du troupeau de la meute suiveuse par son aspect créateur. Les seuls vrais loups encore sauvages sont les solitaires.
Citez-moi cinq disques français qui atteignent à ce niveau, et je vous remercierai. Perso, je n'en connais que trois. Commencez par quérir et chérir celui-ci.
Damie Chad.
NAKHT / ARTEFACT
INTERLUDE / ARTEFACT / OUR DESTINY / NEW BREATH / FALLEN LIFE
Danny : Vocals / Chris : guitar / Alexis : Guitar / Clément : bass / Damien : drums
Désolée la terre. Astre mort. Ecrasée par l'immensité spatiale des nues. Avec au centre d'un anneau saturnien trop parfait pour ne pas être inquiétant, l'apparition de l'oeuf germinatif planétaire culminant selon les contreforts d'une mastaba pyramidale rudimentaire. Presque un visage en croissant de lune renversé en filigrane. Taisez-vous, une oreille runique nous écoute. Avons-nous jamais été seuls depuis l'extinction génocidaires des terribles lézards. Très belle pochette du premier EP de Nakht.
Interlude destruction finale. Juste le commencement d'un autre cycle. Des voix éparses agonisantes dans la poussière du bruit. Et une autre qui émerge de sa toute férocité barbare. La musique comme une fin de règne, le bruit comme la fureur d'un monde nouveau émergeant. L'on ne brise pas la coquille du magma stellaire sans tuer les derniers hommelettes que nous sommes. Juste un interlude. Artefact la suite de l'histoire de la bête qui nage dans le fétus humain. Mais c'est nous qui sommes le produit de cette gestation germinative. Nous croyions être de êtres vivants, nous ne sommes que des constructions aléatoires du vivant cellulaire. La coupure du triangle et les grognements du cochon qui nous dévore de l'intérieur. Nous sommes la crotte du cosmos. La merde puante des dieux. Enfoncez-vous cela dans le crâne à coups de pelles avant de creuser la tombe de vos illusions. Crash final. Our Destiny s'annonce mal, l'oracle n'est pas très optimiste nous promet tous les malheurs de l'univers cosmique. Nous sommes les résidus du bidet intergalactique. Assomption finale dans les vertiges de la brutalité. New Breath une respiration brontausaurique. Hosannah sur les cistres et les encensoirs comme disait Mallarmé. Je vous apporte la bonne nouvelle. Tout va mal et rien n'ira pour le mieux. L'horizon s'éclaircit. Pas la peine non plus d'entreprendre la danse votive du feu primordial. Le soleil n'est pas mort. Il n'a jamais existé. C'est ce que l'on appelle l'espoir. Fallen Life la vie nous est tombée dessus comme la nielle dans un champ de blé, comme la mort sur un cimetière. Les voix se sont tues à jamais. Plus de plaintes, plus de de menaces. Nous avons triomphé. Nous sommes devenus un oubli objectal. Tous les objectifs sont atteints.
Musique de cataclysme. Crépuscule des hommes. Nakht frappe fort. Lot de consolation sur le disque : Le scarabée hexagrammique de l'immortalité, le triomphe des insectes. Quinze minutes pour apprendre à survivre en devenant insectivore. Le secret des Dieux en barres chaucolocaustées empoisonnées. Prémonition de la catastrophe à venir. Guerre du feu nucléaire posthistorique. Oreilles fragiles s'abstenir.
N'a qu'à acheter. Nakht.
Damie Chad.
FALLEN EIGHT / RISE & GROW
REBORN / COME FROM THE SKY / FINAL SHOT / BREATH OF THE AGE / LIGHT / WORST NIGHTMARE
Clem : vocals / Medy : lead guitar / Joffrey : bass / Florian : guitar / JP : drum
Pochette comme une main tendue au néant. Parmi le chaos des étoiles la rosée se dépose sur la fleur miraculeuse. Poussez et croissez. Ainsi parle Fallen Eight. Sur le volet intérieur, l'effigie des apôtres de la bonne nouvelle. Celle de la germination aristotélicienne qui assure les mystères de l'advenue de l'Être. Taisent l'autre côté du décor, la corruption de toute rose en son déclin.
Reborn cri primal de l'enfant qui vient de naître. Rassurez-vous si l'avenir s'annonce radieux, l'accouchement s'est mal passé. L'enfant en porte les stigmates de la plus grande des violences. Parfois l'amour engendre des monstres. Fallen Eight c'est un peu wagnérien, la voix qui hurle que tout est beau et les leitmotives des orages désirés qui hantent la musique. Come From The Sky tout ce qui tombe du ciel n'est pas obligatoirement bon. L'est des bébés dragons qui deviennent insupportables dès qu'ils grandissent. Tout est dans la façon d'entrevoir les choses. L'explosion atomique à moitié réussie ou à moitié ratée. Dans les deux cas, c'est volontairement catastrophique. Final Shot parfois il ne faut pas hésiter. Faut tuer le chien avant que sa morsure ne vous enrage. Une seule balle suffit. Mais débat de conscience en votre âme corrodée par les illusions des prophéties ambigües. Musique pressante et oppressante. Dialogue partitif de guitares. Les voix se sont tues. Mélodies du bonheur empoisonnées. Breath Of The Ages déferlement des âges anciens dans votre âme vous aboyez comme un chien sous la lune louvienne et solitaire. Sans doute y a-t-il quelque chose à dire, mais encore faut-il savoir quoi. Crier ne suffirait-il pas ? Fallen Eight s'emballe. Hurlements et tambours de la colère. Restez seul avec votre solitude. Vous ne pourrez jamais être en plus mauvaise compagnie. Light La lumière est au bout du chemin comme la terreur au bout de la nuit. La clarté n'est que l'envers de l'obscurité. La distance entre les deux est millimétrique. Un pas sur le côté et la lumière vous aveugle, la nuit reposera votre vue. C'est ainsi que les aveugles deviennent voyant. Inversion des valeurs ? Worst Nightmare le pire est toujours certain. Mais c'est sur le fumier de la décomposition qu'éclosent les plus belles fleurs. Un monde pétri de brutalité décompositoire engendre le plus doux des parfums. Fallen Eight emprunte la voie sèche, celle qui allie la plus véloce des rapidités à la plus grande efficacité. La grande déferlante du limon régénérateur.
Une voix magnifique, les orgues de la tendresse et la philharmonique de la rébellion. Théâtralité extrême du choc émotionnel. Servie sur le coussin rugueux d'une orchestration sans défaut. Beauté parfaite. Roses carnivores aux épines acérées et cancéreuses. A cueillir sans retenue.
Damie Chad.
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