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01/12/2011

KR'TNT ! ¤ 75. EDDY MITCHELL / VINCE TAYLOR

 

KR'TNT ! ¤ 75

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

01 / 12 / 2011

 

 

 

SCHMALL LE GRAND

 

 

 

EDDY MITCHELL ET LES CHAUSSETTES NOIRES

 

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ARGUS

 

 

 

DANIEL LESUEUR

 

 

 

CAMION BLANC / 244 PP / OCTOBRE 2011

 

 

 

De véritables trésors chez Camion Blanc, n'en oubliez pas pour autant de fouiller les bennes du Camion Noir spécialisé dans les ouvrages ésotériques de sous la table qui pour beaucoup circulaient à vitesse réduite sous le manteau... mais là n'est pas le sujet nous nous intéressons aujourd'hui au côté lumineux de la force.

 

 

Daniel Lesueur n'est pas un inconnu, l'année dernière à la même époque il publiait un ouvrage similaire sur Johnny Hallyday, toujours chez le même éditeur. Devient un véritable poids-lourd de chez Camion Blanc puisqu'il a encore six autres véhicules garés dans le même garage. A participé aussi au paysage radio-rock de ces trente dernières années et a écrit partout où ça compte, entre autres chez Rock'n'Folk, chez Rock'n'roll Musique, et chez Juke boxe Magazine... s'intéresse aussi à des sujets de contre-bande comme les actrices porno et les serial-killers... Que voulez-vous, certains l'aiment chaud, et même brûlant.

 

 

Ne jugez pas sur la couverture. Certes le maquettiste n'a pas fait preuve d'une imagination débordante pour aligner les quatre pochettes, deux par deux comme des salières, mais au moins vous avez la couleur, même si ça bave un peu. A l'intérieur, c'est la période des vaches maigres, repros en noir et blanc et papier un point de trop jaunâtre. C'est bien la peine de s'extasier sur la beauté des EP's français pour nous en donner des fac-similés grisâtres, constamment sous-exposés !

 

 

Soyons un peu adultes, nous n'allons pas faire comme les enfants d'aujourd'hui ( ah ! De notre temps... ) qui reposent les livres sur les présentoirs s'ils ne sont pas assez attractifs côté illustration... D'autant plus que chez KR'TNT nous sommes tout ce qu'il y a de plus sérieux et que de tout temps nous préférons la pertinence des textes au tape-à-l'oeil des illustrations. Le problème, c'est que les textes sont plutôt rares. Plus on avance dans le bouquin plus ils rapetissent à tel point que le simple énoncé des titres d'un trente-trois tours prend davantage d'espace que le commentaire qui suit.

 

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S'emberlificote pas le berlingot, Daniel Lesueur, l'a pas pu se dire qu'il était le Proust de la recherche du disque perdu, au début il fait un peu illusion puisqu'il recopie de pleines pages d'interviews d'époque mais très vite il se lasse et ne donne jamais plus que le strict minimum syndical. D'un syndicat qui a abandonné depuis longtemps la lutte de classe et patauge dans le consensus patronal ramollo. Rachmollo, car il met rarement en cause les prises de décision du big boss Mitchell.

 

 

LES CHAUSSETTES SALES

 

 

C'est ainsi que mon professeur de musique les appelait, lui qui ne jurait par Beethoven ( il ignorait que le seigneur Ludwig était censé se reposer depuis quelques années ). L'avait sacrément tort, car rarement l'on avait vu des chaussettes foutre de si beaux coups de pieds au cul de la bien-pensance en si peu de temps. De véritables karchers qui ont emporté en l'espace de six mois toutes les pesanteurs d'une société française pourrissante.

 

 

Bien sûr au lieu de les aduler, on aurait dû les plaindre car ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Des chiens fous lâchés en liberté avec la permission de mordre partout où ils voulaient. Le drame du rock français, c'est que ces jeunes qui montaient sur les barricades du plaisir de vivre n'ont pas eu un seul instant la moindre soupçon de la portée révolutionnaire de leurs actes. Se contentaient de s'amuser, et pour les plus conscients tentaient de reproduire à l'identique les lignes de basse des disques de Gene Vincent. Et ce n'était pas facile, et il leur fallu plusieurs années pour y réussir. Quand ils y arrivèrent, c'était déjà trop tard, se firent rattraper par la génération suivante, beaucoup plus instruite qui les laissa sur le bord du chemin.

 

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Si la première révolte de la jeunesse française fut musicale et portée par les milieux populaires, la seconde, celle qui fit Mai 68 fut petite-bourgeoise et bien peu attirée par la musique. Certes l'on grattouilla et l'on usa beaucoup de cordes de guitares entre les années 69 et 74 mais le mouvement rock ne renaquit jamais de ses cendres. Il resta un milieu embryonnaire, élitiste en le sens qu'il ne se sut jamais rejoindre la grande masse de ceux que l'on surnommait avec pitié et mépris les minets. Chair à patrons et à boîtes de nuit qui s'adonnèrent sans retenues aux ersatz frelatés de la disco...

 

 

Mais nous sommes avancés trop loin et reculons d'une case, non sans remarquer que c'est en ces mêmes années de 69 à 74 que la carrière de Mitchell connut sa grande traversée du désert. Eddy fut le premier à le reconnaître. En parfait gentleman il ne rejette point la faute sur les autres. Non, il le criera haut et fort sur tous les toits, le public l'a laissé tomber – comme une vieille chaussette ? - au milieu du marigot dans lequel il était entré de son propre gré. Tant pis pour lui, n'avait qu'à pas se la péter plus haut que le trombone de sa section de cuivres et se prendre pour un super musicos aux arrangements hyperchiadés...

 

 

Mais la fêlure venait de loin. En ces temps-là l'on avait les moyens de faire rentrer les jeunes dans le rang. L'armée vous prenait dix-huit mois de votre vie et les évènements d'Algérie aidaient à ne pas ouvrir le bocal de sitôt. Rien ne vaut une bonne guerre... Mitchell écopa de vingt-trois mois de galère – tenait le ciné-club de la caserne à Paris – beaucoup de cette génération firent jusqu'à trois ans en des endroits aussi peu agréables que les Aurès...

 

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Mais nous ne sommes pas ici pour nous apitoyer sur les pauvres bidasses. D'autant plus que trente ans plus tard Mitchell acceptera de chanter pour les régiments de la première guerre du golfe. Comme quoi militchellarisez les esprits, il en restera toujours quelque chose, un brin de nostalgie. Occupons-nous d'abord des boules puantes que ne manquèrent pas de se lancer entre elles nos Chaussettes adorées. Un groupe de rock ne saurait être uni comme les cinq doigts du pied. A titre d'exemple pensez à la relation amour-haine qu'entretiennent Mick Jagger et Keith Richards. A la différence près qu'aucun de nos lascars ne chantait ou ne jouait aussi bien que nos Pierres Roulantes. Ce qui depuis le punk, n'est plus une condition insurpassable.

 

 

Oui mais l'inexpérience des uns - bonjour les remplaçants qui s'incrustent - les appels aux armes – et souvenez-vous de ce qui est mort avec le départ d'Elvis en Allemagne – les contrats léonins signés à la va-vite – rien de pire qu'un pauvre à qui l'on fait miroiter l'incertaine promesse d'un billet de cinq cents francs – la concurrence de Johnny et de Vince Taylor, tout cela mis bout à bouts commençaient à créer un super-pataquès. Mais ce n'était que la souris qui cachait la montagne.

 

 

Difficile à mettre des mots dessus. Le fond de la question résidait en une divergence musicale qui ne sut pas dire son nom. Le groupe voulait continuer à fond les manettes sans se préoccuper du paysage. Perché sur son micro, le chanteur aspirait à davantage d'air. En novembre 62 Eddy sort son premier 45 tours. Décevant ne vaut pas les Chaussettes. C'est peut-être du Mitchell mais ce n'est pas du rock. Le chanteur va boitiller durant un an une chaussettes dans la double paire du groupe et l'autre en unijambiste.

 

 

Claude Moine pataugera quelque temps avant de trouver la mesure. Lorsque le 31 décembre 63 – une date fabuleuse pour marquer la fin de la première période du rock français - il congédie ses vieilles chaussettes, il a eu le temps de redresser la barre. Son deuxième 45 lui permet de se recentrer. Un yodel Je ne pense qu'à l'amour rien de tel pour montrer qu'il en connaît sur les racines country du rock'n'roll beaucoup plus qu'il n'y paraît, et une superbe reprise de Be bop a Lula, numérotée 63, ce qui ne manque pas de courage après la cover de Gene millésimé 62.

 

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Coup de poker réfléchi. Alors que Vincent avait accéléré son original, l'adaptant sans vergogne au rapide tempo du twist, Mitchell ralentit son be bop. L'idée n'est pas sortie de son propre cerveau, Vincent ayant l'habitude d'offrir sur scène une version très bluesy au tempo traînant. Là où Mitchell innove c'est dans l'orchestration, les cuivres sont à l'honneur, il ne faut jamais oublier tout ce que le rock'n'roll blanc doit au rhythm'n'blues noir. C'est dans ce morceau que Mitchell gagne ses galons de rocker qui lui resteront quoiqu'il fasse jusqu'à la mort.

 

 

Il pédale quelque peu dans la choucroute. Mais son deuxième 33 t sorti en décembre 63 confirmera la quinte flush du deuxième 45. Eddy bouscule la donne. Bye ! Bye ! les blaireaux de la french connection. Ici Londres. Eddy in London, difficile de faire plus explicite, avec Big Jim Sullivan – il joua avec Eddie Cochran et fut vraisemblablement le dernier des musiciens avec qui Vincent discuta le coup dans son retour précipité aux States, en le funeste mois d'octobre 71 – plus Le London All Stars, la crème des studios ( mais la chantilly était ailleurs ).

 

 

Le premier grand album de rock français. A ceci près que les musiciens sont anglais. A ceci près que les morceaux proviennent des USA, Buddy Holly, Little Richard, Eddie Cochran, Gene Vincent, Elvis Presley, à ceci près qu'en Angleterre un vent nouveau est en train de souffler et que les vieux Crickets de Buddy sont remplacés par des Scarabées de Liverpool. Ce disque va avoir une grande importance pour la formation d'un véritable public rock en France. Beaucoup plus que Les Rocks les plus Terribles de Johnny qui sortiront une année après et qui sonneront comme un cadeau d'adieu à l'époque révolue des premiers chanteurs de rock. Johnny tourne la page, fort bellement, mais Eddy l'ouvre pour plusieurs générations de rockers qui depuis cinquante ans restent indéfectiblement fidèles au pur rock'n'roll des pionniers. Une particularité française qui réchauffera une trentaine d'années plus tard le coeur des Stray Cats et de Brian Setzer.

 

 

LE TOURNANT

 

 

En 64 Eddy se permet deux 33 tours, Panorama en Avril et Toute la ville en parle Eddy Mitchell est formidable au mois d'octobre. Il suffit de regarder les pochettes pour comprendre, Panorama présente les deux facettes du personnage, à gauche le rocker en jeans avec le gant en cuir noir, à la Gene Vincent, à la main gauche, et à droite le jeune homme bien mis costume deux pièces avec cravate, le même confortablement assis entre un vieux meuble et un chien en faïence. Le hound dog s'est humanisé.

 

 

L'on n'enterre pas les pionniers mais le son est différent, plus électrique, plus moderne. L'on ne mise plus sur Gene Vincent mais sur Chuck Berry. Le style anglais. L'on s'abaisse jusqu'à la variétoche avec Toujours un coin qui me rappelle et mine de rien l'on se trouve face à un sacré dilemme. Eddy n'est qu'un chanteur, il ne possède pas un groupe comme ces anglais qui débarquent de plus en plus fort sur le marché. Les adeptes de Chuck Berry d'outre-Manche ne sont pas des manchots du côté de la guitare. Là où ils créent des morceaux Mitchell fabrique des chansons.

 

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Fait feu de tout bois, pique aux Animals leur I'm crying et se paie le luxe de remastériser Satisfaction des Stones avec une guitare survitaminée. Les 45 tours qui se suivent sans se ressembler portent leur lots de pépites, une Caldonia totalement déjantée, une Photo des jours heureux countrysée à mort, un original car Eddy commence à intuiter qu'il ne se survivra à l'invasion anglaise qu'en produisant français... Si tu n'étais pas mon frère de Guy Magenta trace la voix, c'est un rock exemplaire. La première fois que je l'ai mis sur le pick up ( en fait ce devait être la quarantième audition non stop ) ma mère excédée m'a traité d'assassin, preuve formelle que ce n'est pas de la daube !

 

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Si ça pète de tous les côtés chez les british en France c'est le reflux, Sheila, Adamo, Hervé Villard et Christophe trustent les hit-parades, en décembre 65 Et S'il n'en reste qu'un remet les pendules à l'heure, Eddy peaufine son image de rocker, il sera désormais jusqu'à aujourd'hui non pas le rocker français par excellence mais le dernier des rockers celui qui chantera du rock jusqu'à sa mort. Si lui-même n'est que très peu convaincu par cette prophétie, elle lui colle encore aujourd'hui à la peau... Très symptomatiquement le nouveau 33 tours de l'année 66 s'intitule Seul... c'est que l'on se bouscule de moins en moins au portillon du rock'n'roll...

 

 

Mais tout n'est pas perdu, aux Etats-Unis le rock'n'roll est en train de renaître de ses cendres. Enfin pas tout à fait. C'est différent, ce sont des chanteurs noirs, ils s'appellent James Brown, Otis Redding, Arthur Conley, Sam and Dave, Wilson Picket, Aretha Franklin... ils ont jeté les guitares par les fenêtres et s'appuient sur de colossales sections de cuivre. Le rhythm'n'blues c'est formidable, depuis la France l'on a l'impression d'avoir affaire à une seconde génération de pionniers, une même musique, des labels mythiques, il semble que l'Histoire du Rock'n'Roll remet les couverts. Et puis surtout, ils ont de satanés souffleurs derrière eux, se baladent avec de superbes orchestres, mais ce ne sont que des musiciens d'accompagnement. Le chanteur est l'essentiel du spectacle. Très vite Mitchell pige que la solution se trouve là.

 

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Dès mars 66, Fortissimo impose les cuivres. Des paroles rentre-dedans et une montagne de trompettes par derrière. En juin 67 sort l'historial De Londres à Memphis. Mitchell est allé taquiner la bête de près, du côté de Memphis ( Tennessee ), en ramène Alice le tube de l'été 67, et des morceaux dantesques comme Je touche le fond et Les faux-monnayeurs. Le rêve va vite tourner au cauchemar. En décembre Otis Redding nous refait le coup de Buddy Holly et s'écrase avec son avion ( aux portes de l'ombre ). C'est le reflux, en 68 le rhythm'n'blues sort des radios. Le public se détourne.

 

 

Les temps ont changé. Mai 68 est passé par là. Mitchell nous revient en septembre avec ce que je tiens pour son meilleur album, 7 colts pour Schmall, une espèce de concept-album ( sans concept ) vrombissant d'une nuée de cuivres assourdissants. Son orchestre de scène, les Soul Brass avec des jingles à la Marx Brothers entre les morceaux. La pochette est dessinée par Giraud qui cartonne alors avec les aventures de Blueberry, mais la galette tombe à plat. Be bop a Lula 68 en intro, l'imagerie western, les reprises systématiques, l'orchestration démodée, tout se conjugue pour éloigner le public qui lorgne du côté de l'Angleterre et de ses groupes ébouriffants comme les Cream qui sont en train de poser les racines du hard-rock...

 

 

Vous connaissez la suite, Mitchell s'englue dans la variétoche de qualité... le salut viendra du passé, les rééditions des Chaussettes Noires rapportent tellement de royalties fort Barclay insiste pour que Mitchell retourne au bon vieux rock d'antan. Mais le père Moine ne va pas céder aux sirènes de la nostalgie, facile. Préfère partir à Nashville d'où il reviendra transformé, rocker dans l'âme mais country-crooner dans les faits. Désormais l'Artiste peut tout se permettre, le meilleur comme le pire. Mais cela est bien moins intéressant que les années soixante.

 

 

Quand on y réfléchit, c'est que Mitchell qui n'a jamais inventé le fil à couper le beurre du rock'n'roll perd après 1968 le rôle d'intercesseur qui avait fait la force de la première génération des chanteurs français. Mitchell, Hallyday, Rivers – mettez le tiercé dans l'ordre gagnant qui vous sied – ont joué pour notre douce France, le rôle du chaînon manquant. Ils ont essuyé les plâtres et les quolibets. Vous pouvez leur reprocher tout ce que vous voulez, mais à l'époque les prétendants au titre de Rois du Rock made in France n'étaient guère nombreux.

 

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Après 68, le rock s'est peu à peu imposé comme un véritable produit culturel. S'est bien sûr paré du titre de contre-culture – et nos trois rockers nationaux qui faisaient parti du paysage médiatique ne pouvait aucunement souscrire à cette appellation incontrôlée qui fleurait bon son parfum de dissidence. Les boutiques spécialisée en import ont essaimé jusqu'en province, désormais l'on n'était plus tributaire de l'indolence des disquaires, Rock'n'Folk, Best, Actuel ont ouvert pour beaucoup des horizons ignorés...

 

 

Bon an, mal an, récalcitrant ou admiratif, le public est resté, dans ses grandes lignes, fidèle à ces trois idoles d'un temps révolu. N'ont pas dû enfoncer que des portes ouvertes...

 

 

Damie Chad.

 

 

PS : Moi qui suis prêt à abattre sans sommation toute personne non autorisée qui se promène à moins de vingt-cinq mètres de mes disques n'en suis pas pour autant un collectionneur fou. Je n'ignore rien du prix des choses, mais dès qu'un disque se voit indexé à plus de 10 euros il perd pour moi toute valeur. Devient juste un produit d'échange... interchangeable. Les sommes – souvent raisonnables - indiquées par Daniel Lesueur dans son argus s'entendent pour des disques neufs dans des pochettes impeccables. Cela me fait penser aux Tournesols de Van Gogh gardés au frais dans la chambre-forte climatisée d'une banque... à quoi bon acheter un disque pour ne pas l'écouter ? Préfère courir les brockantes à 1 Euro qu'engraisser les marchands.

Damie Chad.

 

 

 

URGENT, CA PRESSE !

 

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ROCK'N'FOLK. N° 532.

 

Décembre 2011.

 

 

Non, je ne suis pas amoureux de la fille du grand Jacques. L'ai pas pris pour Izia. Ni pour Joey Starr qui se la pète alors qu'il devrait être tout honteux, lui le rebelle des cités, d'avoir joué le rôle d'un flic compréhensif dans le dernier film de sa meuf. Ni pour Daniel Darc dont je ne supporte pas la voix sans timbre.

 

 

Pour l'article de Casoni sur Nashville, oui. Pour le Manifeste Rock'n'roll à l'usage des jeunes générations de Doctor Z(ermati) le même qui enregistra un record des Senders ( pour ceux qui suivent ) oui. Pour la Bio de Magic Sam, encore de Casoni, oui.

 

 

Mais surtout et uniquement pour l'article de Jean-Paul Bourre ( pour ceux qui suivent : lire notre chro de son superbe Quand j'étais blouson noir, chez Scali, dans notre cinquième livraison du 07 novembre 2009 )

 

 

Donc surtout et uniquement pour les six pages – elles sont, comme par le hasard d'une démonstration des faits à l'épreuve du ridicule qui tue, juste entre les articles consacrés à Joey Starr et Daniel Darc, et nos deux compères ne sortent pas grandis de la comparaison.

 

 

Enfin, donc surtout et uniquement pour Vince Taylor. Trente ans après sa mort la panthère noire du rock'n'roll tue encore. Suffit de lire la saga. Pour ceux qui ne comprennent pas, l'on remboursera la revue s'ils trouvent mieux et moins cher ailleurs. Sont pas près de revenir ! C'est que Vince Taylor c'est la vie rock'n'roll de A à Z. Sexe, drogue et rock'n'roll, avec la folie en plus. Et la beauté féline de la bête en prime.

 

 

L'on vous concocte un petit article sur Eddy Mitchell, et clink, comme à la belle époque, voici le Vince qui se radine pour remettre de l'ordre dans la hiérarchie du rock français. L'empêcheur de rocker en rond. Le poison et le venin. La croix et le chemin. Et boum, un second bastos dans le buffet que vous n'avez même pas tendu. Ne priez pas pour son âme. L'a déjà bouffé la vôtre. Et n'est pas prêt de vous la rendre.

 

 

Vince for ever.

 

 

 

Damie Chad.

 

 

24/11/2011

KR'TNT ! ¤ 74. PHILIPPE MANOEUVRE / JOHNNY CASH

 

KR'TNT ! ¤ 74

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

24 / 11 / 2011

 

 

 

 

 

33 TOURS ET NE S'EN VONT PAS

 

 

 

ROCK'N'ROLL

 

LA DISCOTHEQUE ROCK IDEALE ( 2 )

 

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PHILIPPE MANOEUVRE

 

INTRODUCTION ISABELLE CHELLEY

 

 

 

ALBIN MICHEL / 0ctobre 2011

 

 

 

 

 

Pas la peine de me dire ce que vous allez commander au Père Noël à déposer dans vos creepers puants. Comme tout amateur qui se respecte vous avez déjà le Tome 1, paru en 2005, Rock'n'Roll : la discothèque idéale, 101 disques qui ont changé le monde, du rédac-chef de Rock'n'Folk. Et comme tout le monde vous avez râlé en le découvrant. Il manquait juste le 33 tours de votre vie, le seul que vous emporteriez sur une île pas du tout déserte mais exclusivement peuplée de jeunes filles nues. Commençait par les Sun Sessions d'Elvis et finissait sur Up the bracket des Libertines...

 

Pour ma part, pour m'appuyer sur un exemple qui me touche de près, j'ai failli avoir une attaque d'apoplexie lorsque je me suis aperçu qu'aucun des six premiers opus de Gene Vincent n'était retenu par notre spécialiste émérite... Il doit bien exister une justice quelque part puisque les cinq années qui suivirent se transformèrent en un redoutable enfer pour notre grand manoeuvrier. N'a pu rencontré un amateur de rock – et de par son boulot il côtoie cette engeance exigeante du soir au matin – sans recevoir de quoi remplir un cahier de doléances quotidien.

 

Devait avoir aussi des tas de remords personnels qui lui rongeaient la cervelle, alors pour régler ses dettes à la grande communauté des rockers de tous poils et soulager sa conscience, s'est résolu à se lancer dans la rédaction d'un tome 2. S'est peut-être pas fatigué beaucoup puisqu'il a repris ses chroniques mensuelles de Rock'n'Folk, s'est contenté de combler les vides. Entre parenthèse a dû passer davantage d'heures à opérer de cruciaux choix qu'à rédiger les notules.

 

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Une pleine page pour la repro de la pochette ( recto ) avec en vis-à-vis le texte de la présentation idoine, truffé d'informations de première mains ou d'anecdotes les plus curieuses. Ecrit méchamment bien Philippe Manoeuvre, j'ai tout lu, d'une traite, sept heures sur le canapé, sans m'ennuyer une seule minute. Vous pouvez aussi faire semblant, le texte est coupé par la reproduction recto et verso des étiquettes centrales des disques, et parfois lorsqu'un ou plusieurs singles étaient issus de la même séance d'enregistrement vous avez aussi droit aux photos des 45 T.

 

Je ne vais pas vous faire le coup, ah ! Qu'elles étaient belles les quadrichromies de nos long-playing chéris, au contraire m'apitoie plutôt surtout sur les vignettes centrales. Ah ! Qu'est-ce qu'elles étaient tristes, sans âmes, moches et ternes. Pas très rock'n'roll ! Quand on voit qu'une major comme Columbia ne possédait même pas un logo personnalisé ! Au petit jeu de la comparaison le CD honni remporte la palme de l'imagination !

 

VOYAGE DANS LE TEMPS

 

Ca part en roue libre The Freewheelin' de Bob Dylan, sorti en mai 63, et ça se termine par une belle crevaison, celle de In Rainbows de Radiohead beaucoup plus près de nous en octobre 2007. Ce n'est point un critique musicale. Me permettrai pas, je n'ai jamais écouté ce disque de Radiohead. Premièrement parce que je n'aime guère Radiohead, deuxièmement parce que ce n'est pas à proprement parler un disque.

 

Mais avant de nous lancer dans les sujets qui fâchent délectons-nous des années heureuses. Trente disques pour les seules sixties. Laissons parler nos coeurs de rocker, le disque de Noël de Phil Spector, le Star-Club de Jerry Lee Lewis, le Golden Hits de Chuck Berry, le From Elvis in Memphis, on ne va pas s'étendre sur les pionniers, par contre si vous n'avez jamais entendu le Star-Club de Jerry Lee, jetez-vous par la fenêtre, ou sous un train, au choix, comme vous voulez, mais je vous en prie faites quelque chose puisque vous ne méritez pas de vivre.

 

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Pour ceux qui ont survécu au paragraphe précédent, vous entrez dans une ère de délices. Ici tout n'est que calme luxe et volupté, comme dit Baudelaire. Encore que avec des gaziers comme Steppenwolf qui entonnent Born to be Wild, l'hymne national des révoltés de tous bord et des bikers de la mort, les panthères blanches du MC 5 qui vous traitent de Motherfuckers à tous les coins de sillon en vous conseillant de Kick out the Jams, et ces voyous des Stones qui supplient le diable pour que ça Let it bleed beaucoup, vous risquez d'être un peu secoués.

 

Non c'est la richesse fabuleuse des propositions qui nous émeut, entre Jimmy Hendrix qui s'inquiète de savoir si Are you Experienced, les Who qui vous content la malheureuse histoire de Tommy et les Cream de Clapton qui déraillent à cause de leur Disraeli Gears, vous avez de quoi vous perdre et vous retrouver cent fois. Vous tournez les pages et vous apprenez comment le hard-rock est né du psychedelic, avec un soupçon d'imagination vous devinez en arrière-fond toute cette mouvance expérimentale qui caractérise cette période.

 

Quarante cinq disques plus loin vous vous extrayez du maquis touffu des seventies. En mai 70 vous pataugez dans la boue de Woodstock, vous rêvez d'un monde meilleur, vous tirez sur des pétards en croyant que le ciel est toujours bleu même quand il pleut, pour dix années plus tard répondre à l'appel de Londres. Non pas celui de de Gaulle mais le London Calling du Clash. Vous le hippie de service, vous êtes devenu guerrier urbain sans avenir, punk sans futur.

 

Seize albums pour la décennie qui suit. Du lourd tout de même avec Mötley Crüe et Mettalica, du meilleur avec Gun Club et Stray Cats, mais l'on sent que la prophétie punk se révèle juste. Avec U2 et Michael Jackson l'entertainment prend le dessus. Doucement mais sûrement.

 

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Sept disques pour les nineties. Le rock ne se meurt pas. Il est mort. L'on jette les dernières pelletées sur le cercueil. Cinq disques pour la suite. La machine cale en 2007. Rien à se mettre sous la dent ces cinq dernières années.

 

DITES 33

 

Mais il temps de rallumer la radio et de résumer les épisodes précédents. Bougeons le cursus rapidement, 78, 45, 33 tours. Nous y sommes. Presque. Avons fait l'impasse sur les maxi-45 ( le 33 tours du pauvre ), carte de visite sonore et de grand format pour groupes débutants ne possédant pas un max de morceaux au point, avons de même ignoré le picture-disc idéal pour pomper le fric des collectionneurs et qui vous classe tout de suite parmi les artistes soucieux d'esthétique.

 

Oubli total des cassettes, mépris souverain pour les CD – à croire que seuls les blaireaux les collectionnent – et ce retour vers les vinyls qui n'est pas obligatoirement une garantie de qualité sonore, car en ce début du vingt et unième siècle – comme en la fin du précédent – l'arnaque est partout.

 

Donc Radiohead. N'ont pas été les premiers à le faire. Des tas de groupes offraient déjà leur musique à écouter gratuitement sur le net. Oui mais des sans-grades, des inconnus, des anonymes dont la réputation ne dépasse pas le cercle étroit de la famille et des amis. Radiohead lui vendait ses oeuvres par centaines de milliers. Le chouchou, le miroir des adolescents mal dans leur peau, des lycéens qui se la pètent un peu intello, bref toute une génération s'est reconnue en lui.

 

Mais EMI n'a pas su renouveler le contrat. Tom Yorke aurait demandé dix millions de dollars. Trop cher a estimé la major. Dépité, le groupe a mis son nouvel opus en vente libre sur son site. Eux ils ont dit : « à télécharger gratuitement », mais on fait quand même passer le chapeau du bon coeur. Vous donniez ce que vous vouliez. Les jeunots sont tombés dans le piège et ont déboursé une moyenne 1, 5 euro par tête de pipe. Y en a tout de même trois sur dix qui ont raflé la mise sans laisser un seul centime. Pas les plus bêtes d'après moi. Les Radio - qui n'avaient pas perdu leur - head ont ramassé un million et demi d'euros. Du cash, et pas besoin d'envoyer une armée d'avocats éplucher les ventes et vérifier le décompte des royalties.

 

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C'est maintenant qu'il faut réduire l'équation. Relativement simple. Si vous n'avez plus de disque, en face vous n'aurez plus de rock'n'roll. «  Et depuis c'est chacun pour soi et la fin du monde pour tous » c'est ainsi que Manoeuvre met un point final à sa chronique et à son bouquin.

 

UNE HISTOIRE DE LA ROCK MUSIC

 

Pouvez y trouver tous les défauts que vous désirez, n'empêche que Manoeuvre s'en sort plutôt bien. Dessine assez bien la courge de Gauss ( toujours les kids ) de la rock music. La courbe monte, se gonfle, redescend et crève comme un ballon de baudruche. Passe par tous les points obligatoires, les pionniers, le folk, le blues, les groupes féminins, le british-blues, le psychédélic, le hard, la soul, le garage, le glam, le rock, le country rock, le jazz-rock, le pub-rock, le punk, la new-wawe, le grunge, les déviances rap-electro... Si vous croisez cette liste avec celle du premier tome vous ne ferez que renforcer votre impression.

 

L'exception ne sert qu'à confirmer la règle. Certains disques se sont vendus à des millions d'exemplaires et d'autres n'ont pas dépassé les cinq milles unités. Certes ces malheureux ont pu être redécouverts et atteindre des altitudes moins compromettantes. Certains jouissent de succès d'estime et leur plus grande gloire reste de voir leur nom émarger dans une encyclopédie. Cette discothèque idéale n'en reste pas moins celle d'une reconnaissance marchande ou- si l'on veut atténuer l'impact du mot nous proposerons - marchandisée.

 

Le rock arrive à un tournant de son histoire. Sa transmission est en train de devenir un simple troc acoustique. Tu me donnes ta money et je t'offre un chargement auditif. Ce qui fut longtemps distribué sous forme d'objets de vénération est désormais accessible en tant que monnaie d'échange. Nous avions un produit, nous sommes soumis à un flux impalpable de financiarisation.

 

D'un autre côté cette main-mise des plus totales des groupes industriels et bancaires sur la diffusion de cette musique est peut-être sa chance ultime de survie car elle invite à se débrouiller par soi-même. Do it yourself ! La multiplication des petits labels, des studios associatifs des mini-réseaux d'écoulement ( et non de vente ) des disques enregistrés en des conditions minimales, marque le retour obstiné de cette musique de là d'où elle vient : des marges.

 

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Alors que le jazz s'est ossifié en tant que jazz et ne survit plus aujourd'hui qu'en se faisant faire des enfants dans le dos par tout nouveau courant musical qui passe, le rock qui depuis vingt ans s'est lui aussi laissé phagocyter par tout ce qui n'était pas lui ( l'électro, la world music, la techno, le rap et même le jazz ! ) retourne à lui-même et se détourne de tous les pygmalionâtres qui ont tenté de l'asservir et de l'abâtardir mettant ainsi toutes les chances de son côté de renaître de ses cendres encore chaudes.

 

Cette discothèque idéale est celle d'un passé révolu. Si on ne lui donne pas un sens, si on ne la soumet à aucune dialectique significative, elle n'est que lettre morte, objet d'érudition générationnelle qui dans un demi-siècle n'intéressera plus personne. J'ai bien peur que pour trop de lecteurs elle soit une simple visite de cimetière. L'on s'extasie sur la beauté de tombeaux qui ne renferment que le néant de leur vacuité. La meilleure façon de se débarrasser d'un cadavre c'est encore d'y poser une pyramide par-dessus. L'on est sûr que personne ne pourra vérifier si le mort bouge encore.

 

Ce bouquin de Philippe Manoeuvre reste un livre ouvert. Très intelligemment fait. Les imbéciles s'y perdront facilement, ce qui n'est point grave. Les gamins un peu finauds qui le feuilletteront et s'interrogeront sur les deux dernières décennies en queue de poisson, et qui comprendront que tout reste à faire seront sur le bon chemin. Ce n'est pas que le combat est en train de cesser faute de combattants, c'est qu'au contraire la place est libre et que l'on peut s'y tailler des empires à la démesure du rock'n'roll. Magnifique appel d'air.

 

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Philippe Manoeuvre est un malin. Il n'a pas cédé aux sirènes de la facilité ou de la démagogie musicale. L'on n'attire pas des mouches avec du miel édulcoré lorsque l'on veut leur donner à manger de l'ambroisie. Même si de prime abord la nourriture des dieux paraît indigeste aux estomacs habitués aux ersatz.

 

C'est justement parce que le rock'n'roll est une musique borderline qu'il existe des limites à ne pas franchir.

 

Damie Chad

 

FILM

 

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DIALOGUE DE FEU. LAMONT JOHNSON.

 

JOHNNY CASH et KIRK DOUGLAS.

 

 

 

Titre original : GUNFIGHT. 1971.

 

 

 

Dialogue ou combat. Titre français et titre original en anglais proposent deux lectures possibles d'une même histoire. Dialogue et combat à la fois ou alternativement. Seul le coup de feu peut les réunir.

 

Abe Johnny Cross Cash et Will Kirk Tenneray Douglas sont frères, sont plus que frères. Ils se voient l'un dans l'autre. Ils se retrouvent face à eux-mêmes en se plaçant face à l'autre.

 

Dès la chanson du générique, composée et chantée par Johnny Cash, le spectateur a l'intuition du destin inéluctable des héros. Il n'y a plus de place dans l'ouest pour les vieux héros fatigués de tirer, de tuer pour vivre. Aucune retraite n'est possible pour les tireurs professionnels, aucune amitié n'est possible entre eux. Ils se retrouvent prisonniers de leur histoire, de leur personnage, de la vision qu'en a toute la société qui les entoure.

 

Nous sommes là au coeur d'une tragédie grecque. Le destin est à l'oeuvre, impossible d'y échapper. Le regard des personnages plus encore que leurs paroles montre la conscience de ce que doit être, de ce que va être leur destinée. L'attitude désabusée, le regard triste et profond, voire désespéré, de Johnny Cash en font l'égal d'Oedipe, d'Antigone, d'Hyppolyte...

 

Le western mené à son plus haut niveau est la réécriture du destin éternel des hommes ; les décors changent, l'humanité reste. Le tragique de l'existence se dévoile aussi bien sur les rivages de l'Egée qu'au milieu des grandes plaines.

 

Gunfight et Dialogue de feu. Les deux héros voient leur mort, savent leur mort, avancent vers leur mort inévitablement, inéluctablement. Il s'agit là d'un des plus beaux westerns tragiques qui soit et que chacun devrait savoir.

 

PHILIPPE GUERIN.

 

 

17/11/2011

KR'TNT ! ¤ 73. SENDERS. N. Y.DOLLS

 

KR'TNT ! ¤ 73

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

17 / 11 / 2011

 

 

 

RETURN TO THE SENDERS

 

 

 

PHILIPPE MARCADE

 

AU-DELÀ DE L'AVENUE D

 

NEW YORK CITY : 1972 – 1982

 

269 pp. SCALI. 2007

 

 

 

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FOLIE DU LIVRE

 

L'on n'est toujours trahi que par soi-même. Qu'est-ce que ce truc ? Me suis-je demandé en le retirant tout à fait par hasard du rayon de la bibliothèque où il moisissait depuis au moins deux ans. Puis je me suis donné raison : qu'est-ce que ce titre à la mords-moi le noeud ? Au-delà de l'Avenue D ! D comme débile ! C'est juste à ce moment-là que je me suis souvenu qu'aux States c'était ainsi qu'ils dénommaient leur rue. Un rapide coup d'oeil sur le sous-titre confirma mes déductions New York City, puis Scali en bas de page, la bête commençait à m'intéresser.

 

De 2004 à 2008 Scali a publié près de deux cent livres. Beaucoup trop pour un éditeur indépendant qui ne contrôle pas sa diffusion. Est vite devenu prisonnier du jeu d'avances sur retours qui consiste à payer à l'éditeur les livres qui n'ont pas encore été achetés mais qui sont placés en librairies. Jeu de dupe qui ne peut que conforter les grands groupes éditoriaux qui échappent au remboursement des invendus grâce à leur flot continu de nouveautés. Bertil Scali a cru se tirer d'affaires en se lançant dans des coups éditoriaux médiatiques qui n'ont pas marché. Ce n'est pas son lectorat de base peuplé d'amateurs de rock souvent désargentés mais relativement sectaires qui allaient mordre à l'hameçon de volumes rédigés à la hâte sur des sujets d'actualité n'ayant aucun rapport leur domaine de prédilection... Scali est mort de sa belle mort en septembre 2008. L'on ne peut pas dire que l'establishment ait versé des larmes de crocodiles sur son cadavre. Il ne faudrait tout de même pas abuser des joyeusetés de la contreculture américaine : les musiques de sauvage, ce goût immodéré pour les drogues douces et dures, ces ferments d'anarchie à grand-peine contenus, ne sont guère exemplaires quand on y pense. Vous n'avez qu'à vous pencher sur les mémoires de Philippe Marcadé pour vous en convaincre.

 

NEW YORK AVEC TOI

 

Puisque c'est là-bas que ça se passe Philippe Marcadé, dix-sept ans en 1972, décide d'aller voir de ses propres yeux ce qu'il en est. Ne part pas sans biscuit puisqu'il emmène son coach, son meilleur copain, Bruce, rencontré en Hollande – mais pour quelle mystérieuse raison cet adolescent parisien à cheveux longs qui glandait aux Beaux-Arts s'était-il entiché du pays des tulipes ! - américain d'origine qui tient à le présenter à son père qui vit à Boston. C'est du moins l'explication officielle qui sera donnée aux parents...

 

Vont vite se la jouer à la Easy Rider nos deux amis. Faute de motos se contenteront d'une camionnette pourrave, et vogue la galère, cap sur la Californie. Comme ils ne sont pas des hippies ce n'est pas San Francisco qu'ils visent mais Los Angeles. We came donw to Phoenix chante Jim Morrison, eux ils déchantent très bas à Phoenix dans le Pénitencier qui les accueille à bras ouverts et qui compte refermer ses grilles sur eux durant cinq ans... un avocat commis d'office les tirera de ce mauvais pas...

 

Retour à Paris pour Philippe. Escale de plusieurs mois de l'année 73 à Amsterdam auprès d'une jolie nana, visite de Bruce. Re-départ pour Boston. Quelques mois de folie bostonienne. Bref intermède parisien. Retour à Boston, émigration en septembre 74 de toute la bande des copains à New York... Knockin' on the heaven door de la Big Apple. Philippe va s'y sentir si bien que trente ans plus tard il y est encore...

 

EDUCATION MUSICALE

 

Philippe Marcadé a toujours eu du goût. L'envie de partir aux States ne lui est pas encore venue au cerveau qu'il affirme déjà une préférence innée pour des groupes comme les Animals et les Yardbirds. Trois ans plus tard les Emerson Lake et Palmer, les Yes et les Genesis lui cassent les oreilles. C'est qu'entre temps chez un pote de Boston il a pu parfaire ses préférences musicales, toute une collection de singles de la fin des années cinquante et du début des années soixante : Gene Vincent, Link Wray, Johnny Burnette Trio, The Champs, Screamin'Jay Hauwkins, Hank Williams, Tammy Wynette, Gene Chandler, Muddy Waters, les Ronettes ( de Phil Spector pour ceux qui nous lissent assidument depuis au moins la semaine dernière ), Fats Domino, Eddie Cochran... Que du lourd ! Une certaine idée du rock'n'roll !

 

Marcadé et ses amis se roulent des joints aussi épais que des paquebots et essaient produits variés et substances plus ou moins stonifiantes mais n'en sont pas pour autant des babacools avachis. Ne sont pas des hippies, eux-mêmes se définiraient comme des freaks, des monstres pour traduire littéralement. Comprenons des gens qui vivent dans les marges, qui refusent la société de consommation et ses inquiétants corollaires : le travail, la propreté physique et l'ordre moral. Etrange tribu libertaire qui s'étend des paumés aux drogués, des homosexuels aux anarchistes, des petites-frappes aux petits-bourgeois déclassés, a mi-chemin entre la bohème romantique et la cour des miracles. A l'extrême bout de ce continent underground vous trouvez la mouvance arty issue de la beat génération qui sera représentée par Patti Smith et à l'autre extrémité les jeunes lumpens sans présent, ni passé ni futur. Au milieu un fort pourcentage d'amateurs de rock'n'roll qui ont compris d'instinct que cette musique exprimait et contenait les ingrédients indispensables à leur survie. Le rock est en lui-même le vecteur et le message, le trait fédérateur qui relie fun, fureur, révolte, sexe, drogues, jouissance, outrage, gloire et perdition. Le trip total.

 

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Ils ont les oreilles plus ouvertes que les yeux. Ont déjà flashé sur deux combos prometteurs, Aerosmith et New York Dolls. Plus tard Aerosmith décollera vraiment... Aussi le laisserons-nous s'envoler et frapper à la porte de la renommée... Mais New York Dolls, c'est une autre saga. Ce sont les Stones du pauvre. Ce qui signifie que les Rolling sont les Dolls du riche. Et vu sous cet angle, ça change tout. Les Stones sont le plus grand groupe de rock'n'roll sur la terre, comme se complaisait à le rappeler un pirate fameux, mais les Dolls n'en sont pas pour autant le pire. Ce sont les Pistols qui plus tard s'éclaireront à la lumière noire de ce flambeau éteint. Non les Dolls sont les plus magnifiques. Ils ne jouent pas mieux que la bande à Jagger mais plus fort et plus vite. Les Stones ont pillé les vieux bluesmen pour nous recracher un rhythm'n'blues de derrière les fagots du Klu-Klux-Klan, les Dolls ont inoculé à ce blues'n'rock très vieille Angleterre la rage du rock'n'roll au goût prononcé d'american white trash people. Si les Stones sont issus du ruisseau, les Dolls n'en sont jamais sortis. Saloperie blanche.

 

C'est autour d'un plat de spaghetti que Bruce et Philippe vont sympathiser avec Johnny Thunder. Amitié indéfectible à laquelle seule la disparition de Thunder mettra un point, non pas final mais de suspension car à la façon dont Philippe Marcadé en parle l'on devine que l'on est mort seulement le jour où plus personne ne se souvient de vous.

 

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THE SENDERS

 

L'exemple l'emporte sur la théorie. A admirer les New York Dolls, à avoir eu la chance de découvrir Dr Feelgood, en public et en Europe, Dominique Marcadé prend conscience qu'il est né pour être dans un groupe de rock. En 1977 son groupe, les Senders, donnent leur premier concert.

 

Entretemps il a donc quitté Boston pour New York. Atterrit à l'endroit exact où il faut être. Au Chelsea Hotel. N'est pas le premier à y être passé : William Burroughs, Henry Miller, Tennessee Williams, Janis Joplin, Joni Mitchell, Jimi Hendrix, l'y ont déjà précédé, mais quand on sait combien de temps Patti Smith piaffera devant l'entrée avant d'acquérir une chambre, l'on se dit que notre petit français est tout de même vernis.

 

De même quand il déménagera sa piaule ne sera jamais très loin du CBGB'S et du MAX'S parfois même entre les deux établissements phares du punk new yorkais. Nous avons lâché le gros mot qui fâche. Directement importé d'Angleterre pour baptiser un mouvement qui s'enracine dans l'histoire du rock américain, à tel point que le mot est spécifiquement ricain et désignait : « un petit délinquant qui n'avait pas encore commis de véritable crime... Seulement un petit frimeur minable avec des bras tout maigres et des boutons plein la gueule ». Les punks sont des branleurs et Philippe Marcadé ne leur dore pas la pilule. Des perdants dégueulasses en quelque sorte...

 

Oui mais le milieu est électrisant. Les Senders reçoivent dès 1978 un fabuleux coup de pouce. En 1978 alors que les New York Dolls n'existent plus depuis belle lurette et que les Heartbreakers de Johnny Thunder ont déjà beaucoup de plomb dans l'aile, Jo le Tonnerre s'en vient jouer avec eux pour quelques concerts au MAX's... Si vous n'y étiez pas ne nous donnez pas l'excuse foireuse de n'être pas encore nés à l'époque, d'épiques vidéos sont disponibles sur le Net.

 

Désormais les Senders seront de toutes les fêtes. Le Clash leur offrira même la première partie d'un de leur concert... Seront aussi de toutes les galères. Le groupe ne percera jamais. Enregistreront une poignée de titres qui ne connaîtront pas une diffusion digne de ce nom. C'est que les Senders ne renieront jamais leur mode de vie dope and rock'n'roll, folie et insouciance : pouvoir brancher leurs amplis dans un club cradingue et balancer la sauce à tout berzingue leur suffit. Ne donnent pas dans les fioritures, balancent le blues et roulent le rhythm'n'blues. De la batterie Philippe Marcadé passe très vite au chant. Se sent dans son élément au milieu de la tempête. Plus tard, en l'an 2000, on leur décernera le titre de de meilleur groupe live - autant sous-entendre de seconde zone – de New York...

 

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C'est vrai qu'ils furent des seconds couteaux. Trop cool, trop imprévisibles pour intéresser une major mais durant dix ans ils côtoyèrent tout ce qui comptait, Blondie, Madonna ( à l'époque totalement inconnue ), Ramones, Sid Vicious et tous les ténors du punk américain comme Richard Hell... mais nous préférons nous arrêter sur Wylli Deville, Robert Gordon, les Cramps et les Stray Cats. Le punk américain fut un fabuleux creuset. Point de sectarisme. Le rockabilly, néo et psycho, trouve naturellement sa place dans ce capharnaüm. Les formes musicales ne sont pas identiques mais l'esprit est le même. Une rage qui déborde. Du garage.

 

Entre 1980 et 1981 les Senders sont au top. Il semblerait que rien ne pourrait arrêter leur marche en avant. Rien, si ce n'est deux redoutables fléaux. L'héroïne et le sida. Les temps changent. Beaucoup tombent au champ d'honneur de l'anonymat. Coupe sombre parmi les musiciens et les fans. La génération punk se fragmente. Plus rien ne sera jamais comme avant. Le repli identitaire commence à faire des ravages. Les communautés s'organisent et revendiquent leur propre musique. Les homosexuels qui avaient trouvé dans le milieu rock un territoire d'acceptation s'en vont créer leur propre royaume, moins de rock davantage de techno... Suivront toutes les modes house, funk, électro... Pas très gai !

 

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Lorsque Marc Zermati – le grand prêtre de Skydog Records – celui qui a sûrement fait pour Iggy Pop davantage que Bowie – vient les enregistrer, c'est la fin, deux drogués, un sourd et un mort. Reste plus grand-chose. Le résultat ne sera pas mauvais. Plutôt bon, même. Auront même droit à des petits papiers dans Best et Rock'n'Folk.

 

Philippe Mercadé fera partie des Blackbones jusqu'en 1989. Mais en 1992, le groupe reprend vie et continuera jusqu'en 2005 avec notamment l'adjonction d'un ancien musicien de Little Bob Story. En 2007 Philippe Marcadé sort son bouquin. La boucle est bouqulée.

 

AU-DELÀ DE L'AVENUE D

 

Vous l'ai résumé à grands traits. Aucun intérêt. Faut le lire. A, depuis deux ans, été réédité chez Camion Blanc avec en plus un Avant-propos de Debbie Harris. Document indispensable sur un des moments les plus importants de l'histoire du rock américain. D'une qualité d'écriture indéniable. Marcade ne chauffe pas son rock'n'roll au bois de la langue. Direct. Et uppercut en pleine poire. Ne cache rien. Révèle tout. Se relève de tout. Le bonhomme a traversé l'enfer. Plus d'une fois. Le sourire aux lèvres et le rire aux gencives. Car attention il sait mordre aussi.

 

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Ne pleure pas sur lui. Rigole sur les autres. Quantités d'anecdotes croustillantes – au-dessus et au-dessous du cerveau - à vous mettre là où vous voulez. Tiens celle de ces rockabs anglais qui transitent par la Grosse Pomme, dans le but d'aller chercher à Norfolk un guitariste qui gratterait dans le style de Cliff Gallup... Ben, dans la patrie de Gene Vincent ils n'en ont pas trouvé un seul. Z'ont dû se contenter d'un New Yorkais !

 

New York est à cette époque le centre névralgique du rock'n'roll. Un dernier exemple symbolique : lors de leur dernier show de 1981, les Senders seront accompagnés par Wayne Kramer des MC 5. Si vous dénichez une caution plus rock que celle-là, faites-moi signe.

 

Damie Chad

 

PS 1 : Vous nous ferez le plaisir de ne pas confondre The Senders ( 1962 – 1968 ) du français Dominique Marcadé avec le groupe français Les Senders de Gérard Fournet qui en 1964 enregistra une version de Bee Bop a Lula et en 1966 à notre connaissance un deuxième super 45 tours très inspiré par les Them...

 

PS 2 : Le lecteur désireux de more punkitude se repaîtra de :

 

Glorieuse Patti : livraison 31 du 16 / 12 / 10

 

Punk is not dead : livraison 38 du 04 / 02 / 11

 

Motor Amerika is burning : livraison 39 du 11 / 02 / 11

 

Anarchy in the punk : livraison 54 : 26 / 05 / 11

 

 

 

URGENT, CA PRESSE !

 

 

 

 

 

PLUGGED. N°1.

 

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De grands posters sur tous les kiosques parisiens, sortie prévue pour le 29 octobre. En voyant les affiches je me suis dit que My Rock avait du souci à se faire. Mais maintenant que j'ai l'objet entre les mains je respire. My Rock et Plugged sortent de la même boîte. Buzzer Presse ayant éclaté, l'ancienne centrale pub de Rock Sound et Rock One décédés se retrouve – je suis incapable d'expliquer la chose très clairement, ces mouvements de capitaux se faisant à l'abri des regards indiscrets – dans le groupe Capitale Régie éditrice des magazines Stuff et Vivre à Paris...

 

Se la jouent cool, le premier numéro est décliné sous deux couvertures. Ou Noël Gallagher ou Justice. Autant que lorsque l'on tombe de Charybde en Scylla, il n'y a plus de justice en ce bas monde et que l'on n'est pas encore prêt de fêter Noël dignement en cette fin d'année. Le lecteur curieux se demandera de l'intérêt de posséder deux magazines de rock. Juste une question de créneau. My Rock vise un public plus jeune et plus rock. Plugged vous a un côté jeune adulte branché. N'y a qu'à lire les sous-titres pour comprendre : Rock'n'roll, Pop, Electro, Style, Culture, Tendance.

 

On a vite compris. Lulu Gainsbourg, Red Chili Hot Peper, Kasabian, l'on ne peut pas dire que l'on prend des risques chez Plugged. Beaucoup de photos et peu de textes. Beaucoup plus mode que style ! Avec évidemment Lou Lesage dès la page 14 ! Peut pas se plaindre de sa boîte de com la demoiselle, on la retrouve partout, dans tous ces ersatz de magazines rock qui prolifèrent depuis cet été.

 

La tendance au conformisme glamour devient inquiétante dans la presse rock de notre pays. Mais chez Plugged l'on frôle l'imbécillité. L'on parvient au fond du grotesque à la fin du numéro, les BB Brunes et Daniel Darc habillés par Audrey Jehanno... après les requins de studio voici les mannequins de la vente catalogue. Ce n'est pas encore La Redoute, mais c'est déjà redoutable. Je sais bien qu'il faut vivre avec son temps, mais il est inutile de se prostituer. Nos artistes s'aperçoivent-ils qu'ils vont finir par perdre leur caution rock à ce petit jeu ?

 

Pour certains individus peu reluisants au commande des groupes financiers, le rock n'est plus une musique en mouvement, ils sont en train de le transformer en produit d'appel pour consommation de masse.

 

Un seul conseil : débranchez !

 

Damie Chad.