10/11/2011
KR'TNT ! ¤ 72. PHIL SPECTOR.
KR'TNT ! ¤ 72
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
10 / 11 / 2011
LE SPECTRE DU ROCK
PHIL SPECTOR / LE MUR DE SON
MICK BROWN
( SONATINE / 756 pp /2010 )
Le Phil est coupé, difficile de rencontrer des jeunes gens de moins de vingt (trente ? ) ans qui connaissent encore le nom de Spector. Il fut un Dieu au début des années soixante, à l'époque vous ne pouviez rencontrer un amateur de rock sans que les expressions Spector's Sound, ou Wall of sound ne s'imposent dans la discussion, souvent d'une manière assez fautive au détours d'un essai de description du son des Rolling Stones, aujourd'hui ces mots ne veulent plus rien dire du tout et Spector est davantage connu pour les murs de sa prison que pour ce fameux wall of sound que l'on traduisait d'ailleurs dans les conversations à bâtons rompus fort incorrectement par mur du son...
Félicitations à Mick Brown d'avoir su restituer une époque et donner vie à un personnage des plus prodigieusement controversés aujourd'hui enclouté en un cercueil vivant et surtout d'avoir témoigné d'une certaine fidélité admirative envers un artiste qu'il n'avait côtoyé que quelques heures.
EN LES DEBUTS DU ROCK'N'ROLL
Phil Spector naquit en 1939 – Elvis Presley et Gene Vincent en 1935, ce dernier détail devrait vous mettre la puce à l'oreille – n'a pas eu besoin de se demander sous quelle étoile il était né. Grosse, brillante et mauvaise. Son père lui fit la plus mauvaise farce que l'on puisse faire à un garçon, s'éclipsa dans sa voiture en le laissant seul avec sa mère et sa soeur. Ce n'était pas un accident selon la version qui circulait dans la famille, l'apprit plus tard qu'il s'était suicidé en inhalant les vapeurs méphitiques issues du pot d'échappement...
Neuf ans au moment des faits. Spector ne s'en remettra jamais. Un mouchoir dessus, pour que personne ne soit jamais témoin de sa douleur qui monta dans sa tête et lui rongea le cerveau, qui s'obstina à repousser tous les jours. Maintenant ne tirez pas le vôtre ( le mouchoir, pas le cerveau dont vous êtes dépourvu ) pour vous apitoyer. Toute sa jeunesse Spector ne fut qu'un infâme trou du cul. Le genre gringalet que la nature n'a pas comblé, ces graines d'adolescents, ce n'est pas que les filles ne les remarquent pas, c'est qu'elles ne s'aperçoivent même pas qu'ils existent, ou du moins pas plus que la corbeille à papier au fond de la salle de classe.
Sera un spectateur obligé de la comédie inhumaine. Se contentera de rêver le rôle que les autres ne lui donnent pas. Un introverti de tapisserie qui se tait, observe et n'en pense pas moins. Un Monte-Cristo sans amour qui ne rêve que de vengeance et qui ne connaîtra pas la rédemption de l'amour. A la maison ce n'est pas la joie. Entre la mère hystérique qui lui reproche tout le temps la mort de son père – n'a pas fini au pénitencier pour rien à l'âge de 68 ans, sa culpabilité était prononcée depuis longtemps – et la soeur qui rêvait de devenir chanteuse et qui finira à l'asile, l'ambiance était cauchemardesque. Chez ces gens-là on ne parlait pas, l'on s'engueulait à n'en plus finir.
Une seule consolation la guitare. Ne nous lancez pas non plus sur les vertus apaisantes de la musique. Son instrument ne sera jamais une arme pour tuer les fachistes mais un sabre de samouraï destiné à faire place nette autour de lui. S'en sert plutôt pour vous le planter dans le dos que pour vous affronter de face. Spector a tout compris : dans l'aquarium de requins qu'est la vie, si vous désirez surnager soyez plus féroce que les autres. Pas de pitié, pas de regrets, pas de remords. Aide-moi et je te tuerai pour que ton cadavre me serve de marche-pied. Egorge celui qui t'a pris en stop, il ne pourra plus jamais te doubler.
Sait ce qu'il veut et surtout comment y arriver. Par derrière. Ne sera pas le plus grand des guitaristes, ne sera pas le plus doué des chanteurs, sera l'homme de l'ombre, l'éminence grise, celui par qui tout arrive, le grand manipulateur. Comprend très vite que ceux qui gagnent le plus d'argent, ce ne sont ni ceux qui tiennent le micro ou les instruments, mais les sociétés qui détiennent les droits des chansons.
Pas la peine de s'attarder au bas de l'échelle. En plein milieu du panier de crabes, mais au côté des plus gros. Le menu fretin ne l'intéresse point. Un peu de chance et beaucoup d'entourloupe. Prend tout ce qu'il peut, absorbe le savoir des uns telle une éponge mais rejette les zestes dès que le citron est pressé. Se débrouille plutôt bien. Passons sur les échelons intermédiaires, ô combien de copains de lycée et étudiants rejetés très malproprement sans coup férir...
Puisque Presley est au zénith il entrera dans l'équipe de Doc Pomus ( le complice de Mort Shuman ), gonflera tellement Lee Hazlewood ( producteur de Duane Eddy et de cette merveille de Lady Bird avec Nancy Sinatra ) qu'il le refilera – à moins que ce ne soit l'inverse - au tandem Jerry Leiber et Mike Stoller ( paix à son âme ! ), flirtera avec les tandems Gerry Goffin /Carole King, Barry Mann / Cynthia Weil ( plus tard pourvoyeurs des Animals ) -et finira par faire ami-ami avec Ahmet Ertegün le patron d'Alantic ( le même pour qui Led Zeppelin acceptera de se reformer en 2007 pour un tribute concert mémorable )... rien que du beau monde. Nous sommes au coeur de l'industrie de la musique rock de la fin des années cinquante.
MUSIQUE NOIRE
L'ascendance juive de Phil Spector n'est pas étrangère à une ascension si foudroyante. Les juifs ont essaimé les maisons d'éditions musicales new-yorkaises, c'est une industrie dans laquelle on peut faire fortune rapidement et la communauté trustera en toute logique ses propres enfants. Mais cette concentration va aussi orienter la musique populaire américaine à regarder de plus près la musique noire de son pays. La communauté juive trouve en le racisme quotidien dont sont victimes les populations originaire d'Afrique de très fortes réminiscences avec les situations vécues par leurs parents européens pendant des siècles.
Black is beautiful ! Si le slogan des Black Panthers éclate avec tant de force en 1967 dans la société américaine, c'est aussi en partie parce que les élites artistiques blanches du pays en sont depuis longtemps persuadées. Presley s'est ingénié à copier les manières de chanter et de s'habiller des Noirs, Ike Turner dont nous reparlerons plus tard fut un chasseur de tête pour Sun où il enregistra Rocket 88 le morceau qui passe pour être le premier rock'n'roll jamais gravé dans la cire...
Les noirs ont dans leur voix une urgence qu'un blanc ne saura égaler. C'est un des crédos de Spector. Ajoutez-y la beauté féline de toute jeunes filles sorties du ghetto, le timbre magique de leur voix et vous obtenez la matière première du mur du son. Pour le reste Phil Spector se fait fort d'emmener les briques de son génie particulier. Lui faudra quelques années pour construire sa grande muraille de Chine ( qui lui retombera sur les orteils ) mais dès le début des années 60, la conception de base est arrêtée.
La virtuosité ne suffit pas. Eddie Cochran qui passa presque toute sa jeunesse dans les studios s'en convainquit assez vite. Le roi de la guitare possède un plus beau swing s'il double les cordes de sa Gretsch, de même il peut en étoffer le son en superposant deux ou trois fois le même riff sur la même bande... Le travail Lee Hazelwood pour faire sonner la guitare de Duane Eddy marche dans ce genre d'idées, l'on peut aussi accentuer la force d'un instrument en le positionnant plus ou moins loin du micro... Phil Spector sera le premier à considérer et à traiter le problème en son intégralité.
L'instrument de base sera le studio. Musiciens et chanteurs sont interchangeables. Se débrouillera tout de même pour choisir des bons. Pour le producteur, il n'y en a qu'un: Pil Spector. Tous les autres sont de vulgaires exécutants. Qu'ils obéissent au doigt et à l'oeil. En attendant qu'ils la ferment, le Maître pose les micros un peu partout, mais pas n'importe où. Réglages qui prennent des heures. Et puis on rejoue imperturbablement les mêmes notes. Durant des heures encore. Ta gueule et va te faire enculer si tu oses la moitié d'une suggestion. Tout le monde la ferme devant le tyran. Imbuvable, impitoyable, torture chinoise et crises de nerf. Si t'es pas content, tu fous le camp.
On le tuerait volontiers, mais les résultats sont là, un son splendide. Wagnérien. Quatre guitares pour un simple gratouillis, trois pianistes sur un seul piano, une batterie réduite à la grosse caisse, mais l'ensemble est plus près d'une symphonie de Mahler que de la rusticité d'un combo de rockabilly. Avec Spector, la musique change de spectre.
Pour les paroles, on est tout de suite dans le mélodrame des amours adolescentes, des rires et des pleurs, énormément de larmes, l'amour infini est toujours perdu, l'hôtel des jeunes filles au rut brisé... le fan transi de base peut s'y reconnaître. L'histoire de Phil Spector tient en trois morceaux. Da doo Ron Ron des Crystals. Pas du verre fêlé, à l'écoute une chose est claire, la chanson possède un plus : la manière dont elle est enregistrée. Ce n'est pas un titre des Crystals mais un morceau de Phil Spector, le sorcier des studios.
Le deuxième : You've lost that lovin' feelin'. Ne dites pas que vous ignorez, c'est la chanson au monde qui est le plus passée à la radio. Des Righteous Brothers, un truc à vous brûler le coeur que vous n'avez pas. A mon avis, pas le meilleur de Spector – même que je préfère la version 65 de Mitchell - plein de petites babioles entre 58 et 64 lui sont supérieures, mais il n'y a pas d'enregistrement qui ait été réalisé avec davantage de virtuosité. Les Beatles qui avaient compris d'où venaient le vent et qui se sont beaucoup inspirés de Spector pour Rubber Soul, ne sont jamais parvenus à une telle aisance. Entre George Martin et Phil Spector, toute la différence entre un artisan et un artiste.
Et puis le summum. Le chant du Cygne, River Deep - Mountain High de Ike et Tina Turner. Ce coup-ci Ike s'est contenté de fournir Tina. Le titre de trop, celui que la profession ne lui pardonnera pas. Les imbéciles qui citent Good Vibrations des Beach Boys comme point ultime de l'enregistrement rock, peuvent se rhabiller. Faut pas confondre une inondation avec un tsunami. River Deep – Mountain High est une avalanche de beauté, une ovnilanche de stupeur, le genre de truc qui vous tombe sur le coin du museau et vous empêche de l'ouvrir pour le restant de vos jours. Même Mick Brown notre auteur qui est des plus favorables à Phil Spector ne comprend rien à la génialité de cette fulgurance.
INCOMPREHENSION
Devant tant d'ingratitude du milieu pro et d'incompréhension de la part du public Phil Spector se retire. Que peut-il espérer de mieux ? Il lui faut un monstre de la taille d'Elvis Presley. Qui l'ignore. Se contentera des Beatles. Sauvera les bandes de Let it be, l'album que les Beatles en pleine crise avaient laissé tomber. Peu après il s'occupera du Plastic Ono Band et en 1974 de l'album Rock'n'roll de John Lennon.
Mais Spector est devenu invivable, Lennon retournera à Londres terminer son oeuvre hommagial aux héros de son adolescence Gene Vincent et Buddy Holly ( encore lui ! ). Spector s'enferme dans sa parano-mégalomaniaque et sa bi-polarité schizophrénique. Toute sa vie il fut un solitaire, incapable d'établir une véritable relation humaine avec quiconque. Sa possessivité maladive lui interdit d'avoir un semblant de complicité amoureuse avec une femme. A plus forte raison, la sienne. Toute amitié dans laquelle il essaie de s'impliquer tourne vite au rapport de force. Il blesse systématiquement ceux qui lui sont les plus attachés.
La mort de son fils âgé de neuf ans le précipite dans l'alcool. Il n'est plus qu'une légende qui a mal vieilli. Enfermé dans une somptueuse demeure, entouré de ses gardes du corps, recouvert de perruques et de chemises à jabots de dentelles, il n'est plus qu'un has been décati qui ne jure que par la puissance de sa fortune.
N'est pas un monstre sans coeur ni courage. Sera le seul à défendre Lenny Bruce, le fantaisiste ( le mot pourfendeur conviendrait mieux ) américain qui durant les années cinquante et soixante dénonce la morale américaine et les vertueuses hypocrisies d'une société tournée vers le seul culte de l'argent. Alors que Lenny se retrouve sur la liste noire du FBI et de la CIA, Spector éditera ses disques et lui apportera aide morale et soutien financier. Sans compter, ce qui est très rare chez lui. Se chargera même de son enterrement et du discours mortuaire.
BOUQUET FINAL
Mais cet homme qui ne fut jamais heureux ne pouvait finir dans une lente décrépitude annoncée. Choisit une sortie très rock'n'roll. A son corps défendant. Surtout celui de Lana Clarkson, actrice hollywoodienne sur le retour retrouvée morte chez Phil Spector, d'une balle dans la bouche... Malgré ses millions de dollars, Phil Spector fut déclaré coupable de meurtre. Faut dire que quatre de ses anciennes liaisons témoignèrent d'avoir été menacée dans des circonstances similaires... Après cinq ans d'échappatoires diverses et deux procès, Phil Spector voit le 2 mai 2011 son jugement confirmé. Il devra purger une peine incompressible de dix-neuf ans de prisons.
Peu de chance d'en ressortir vivant, et pire que tout, même pas l'espoir que Johnny Cash vienne donner un concert.
Damie Chad.
PS : Au-delà de la poignée de hits que reste-t-il aujourd'hui de Phil Spector alors que les techniques d'enregistrement ont tellement progressé ? Une attitude rock'n'roll star, serais-je tenté de répondre. Il fut un homme certes détestable, infatué de lui-même, mais il a tracé un chemin, somme toute méritoire. Le rock'n'roll n'est pas un dîner de gala.
KRONIKROCK
RADIO EDIT. { 01 ]
DJ BERU. FAMILY BUSINESS featurin' TOM CHARLES. NEIRDA. SISTA M. JMDEA-BEAT. CRIL SANS €. LUCIEN & NEIRDA. SYLPHONICS. DOVE M.L.E.H. CANDY. PEUCH.
Première production des Disques d'en Face ( www.denface.com ), une structure mixte coachée par Tony Fontaine et Julien Legrand à activités multiples, enregistrements, concerts, conseils, radio... fondée au mois d'avril de cette année 2011.
Radio Edit est leur première création d'envergure un CD compilation de 15 titres de onze participants réunis pour donner « une vision éclectique de la musique électronique actuelle » .
Agréable à écouter, mais nous sommes loin du rock'n'roll, unité de ton malgré le mélange des genres, phrasé rap ou rock, musique orientale, funk doux, boîtes à rythmes, paroles ironiques, touches de house, jamais méchant, tonique et toujours pétillant.
S'il fallait définir l'ensemble du disque je le qualifierais de jazz moderne, à chaque morceau l'on entre dans des phases répétitives plus ou moins longues qui se succèdent comme une série de lied-motives habilement agencés. Mais il saute à l'oreille que l'imperturbabilité de la machine a remplacé la maîtrise de l'instrument.
Générationnellement très différent que ce que chez KR'TNT nous attendons de la musique. Ici elle agit en tant que transe hypnotique et vise à une certaine impersonnalité. Nous pouvons nous y glisser à l'intérieur et nous laisser emporter. Mais si nous préférons le rock c'est parce qu'il fabrique des héros qui nous ressemblent. Préférons être sur le devant de la scène que dans le bruit de fond de l'Histoire.
Réservé à ceux qui écoutent les musiques défendues par la revue Elégy présentée dans notre livraison précédente.
DAMIE CHAD.
16:38 | Lien permanent | Commentaires (0)
03/11/2011
KR'TNT ! ¤ 71. THE ANIMALS.
KR'TNT ! ¤ 71
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A ROCK LIT PRODUCTION
03 / 11 / 2011
COMME DES BÊTES !
THE ANIMALS
Stones ou Beatles ? Stones bien sûr ! Mais avec un détail d'importance, j'ai toujours préféré les Animals aux deux susnommés. D'ailleurs au lieu de l'imbécile et sempiternelle question l'on ferait mieux de s'enquérir de celle-ci : Animals ou Yardbirds ? Ca change tout de suite le rapport que l'on peut avoir avec le rock anglais. Rien à voir avec les petits malins qui se la jouent connaisseurs et qui dissertent à l'infini sur Kinks ou Spencer Davis Group ? Et ils sont plus nombreux que vous pourriez le croire dans le vivier des rock-critics ! Bref Animals.
Je n'y peux rien, c'est avec eux que j'ai passé le grand portail du rock'n'roll et je ne l'ai même pas fait exprès. Je les connaissais déjà sans le savoir puisque j'avais acheté au printemps dernier Le Pénitencier de Johnny, et qu'en lisant la pochette on s'apercevait que c'était une adaptation, autant dire un truc inatteignable pour un mineau de treize ans perdu au fin fond de l'hexagone.
En plus ce jour-là, le gamin il était salement inquiet. Les vacances de Noël 64 se profilaient à l'horizon immédiat, en soi-même un avenir plutôt sympathique, mais qui possédait le redoutable privilège d'être précédé de l'envoi du bulletin scolaire guillotine... Soucieux de vérifier la force de l'ouragan parental qui déferlerait sur ma tremblante personne dans les heures à venir, j'étais en train de me livrer dans ma chambre à une discrète récapitulation de mes moyennes trimestrielles qui plafonnaient à cinq sur vingt dans les matières les plus importantes quand tout à coup et sans préavis je fus la proie d'une illumination mystique qui changea le cours de ma vie.
Comme je n'étais pas Paul Claudel derrière son pilier à Notre-Dame, je n'eus pas droit à la visite personnelle de Dieu, comme beaucoup de ma génération ce fut le Diable qui rentra en moi – par les trous concomitants de mes deux oreilles je précise pour ceux qui imagineraient que je vais leur raconter une sodomie sans pareille – et j'avoue que depuis je ne l'ai plus jamais laissé ressorti de mon cerveau fatigué, le pauvre !
A chacun son crossroad. Me suis un peu vanté. Ce n'est pas le grand griffu lui-même qui vint m'apprendre tous les accords de la guitare blues, se contenta de m'envoyer par la voie des ondes un quintette tout droit sorti de sa ménagerie infernale. La radio babillait à mes côtés mais je ne l'entendais pas tout occupé à la contemplation atterrée de mes résultats trafalgariens, lorsque je fus submergé par une commotion indescriptible. Une espèce de feu qui ravagea tout à l'intérieur de moi. En moins de trois minutes je franchis l'étape décisive de mon existence. Je ne devais pas être si mauvais que cela en anglais car je retins à la seconde même le nom du groupe the Animals – oui, c'était facile – et le titre beaucoup plus long à enquiller, Don't Let Me Be Misunderstood. A partir de cet instant s'imposa à moi comme une évidence que j'étais devenu un rocker.
Pour ceux qui chichiteraient sur cette relation sous prétexte que le single Don't let me be... est censé avoir été mis sur le marché en janvier ( officiellement le 01, ce qui reste difficile à gober ), je rappellerai qu'en ces temps bénis Europe 1 lançait systématiquement les morceaux d'outre-Manche et d'Outre-Atlantique bien avant leur première distribution. Trois mois plus tard je recevrai une autre commotion beaucoup plus violente en apercevant Gene Vincent en direct-télé live de la Cavern à Liverpool, mais ceci est une autre histoire. Ouvrons la cage aux fauves.
NEWCASTLE-UPON-TYNE
Sortent de cette infecte ménagerie. Un trou à prolos bouché à l'horizon. Le genre de sentine qui pue la mouise et l'angoisse. Newcastle c'est le Detroit anglais, des docks à n'en plus finir avec une couche de misère par-dessus.
Non ce n'est pas une mouche contre la vitre qui bourdonne, c'est Burdon Eric qui imite Ray Charles. Ce n'est un secret pour personne mais les Animals sans Burdon, c'est un peu l'huile sans la sardine. La preuve ils existent sans lui : se nomment alors le Alan Price Combo. Comme tous les anglais bien élevés ils jouent du jazz. Propres sur eux. Alan Price se la pète. Il est plus doué que les autres. C'est un peu comme le Brian Jones des Stones. N'aura pas le courage de se noyer dans la piscine quand en 65 l'écrasante personnalité de Burdon s'imposera avec une telle prédominance qu'il s'en ira bouder tout seul dans son coin avec son Alan Price Set, un truc d'une mièvreté absolue, clean, gentillet, sans une seule goutte de sang noir dans les veines.
Burdon c'est tout le contraire. Un aristocrate du punch, un pur sang blues. C'est à se demander si sa mère n'aurait pas eu une aventure avec un GI noir qui serait passé en Angleterre dans les doux temps de la deuxième guerre mondiale. Désolé pour cette supposition gratuite et attentatoire à l'honneur de Mme Burdon, d'autant plus que son gringalet de fils a tout des attributs du petit blanc teigneux mal nourri des quartiers ouvriers. Petit Burdon traîne en ville, il se faufile partout où il entend de la musique, durant des heures l'on joue du skiffle, du trad, du jazz, lorsque la voix des chanteurs commence à s'enrouer, il se propose pour un ou deux morceaux. Se débrouille pas mal, se taille sa réputation, s'adapte à tous les répertoires, apprend le métier sur le tas, jusqu'à la rencontre avec le combo d'Alan Price. En moins d'un an la musique subit une drôle de mue, l'on descend d'un étage, du jazz on passe au blues et puis on remonte vers les hauteurs par l'escalier de service du rhythm'n'blues.
Vous raconte pas la suite, l'explosion Beatles, les maisons de disques qui sont prêtes à enregistrer n'importe quoi, n'importe qui pour profiter de la vague montante. Seront alpagués par Columbia.
JUNGLE
Si l'on vous demandait d'établir la bibliographie des oeuvres de Porphyre depuis l'Antiquité à aujourd'hui pour l'ensemble des pays européens ou de vous charger de la discographie de la soixantaine des morceaux enregistrés par la première mouture des Animals, même si vous ne connaissez ni le grec ancien, ni la philosophie grecque, un conseil : optez pour Porphyre, ce sera plus simple. Difficile de s'y retrouver entre les éditions américaines et anglaises : sous le même titre de 33 tours vous n'émargez pas au même panel et parfois le panachage de titres identiques est effectué à partir de versions différentes. Un vrai casse-tête, mais il suffit de poser n'importe quel disque sur la platine pour oublier ces misérables tracas.
Peu de compositions originales. Les Animals ont pillé sans vergogne les vieux bluesmen : Jimmy Reed, John Lee Hooker, Howlin' Wolf,, Big Bill Bronzy, Sleepy John Este, B.B. King, le rock'n'roll noir : Bo Diddley, Fats Domino, Chuck Berry, Lary Williams, Little Richard, Screamin' Jay Hawkins sans oublier le rhythm 'n'blues : Ray Charles, Clarence Carter Sam Cooke. N'y sont pas allés avec le dos de la cuillère. Ont même été jugés digne d'accompagner Sonny Boy Williamson pour sa tournée anglaise.
Evidemment les morceaux sont burdonisés à mort. Carbonisés. Les Animals ce n'est rien : un accompagnement des plus rudimentaires, servi brûlant sur un nappé funèbre d'arpèges à l'orgue – faut reconnaître qu'Alan Price savait servir les asperges roides comme un cadavre - une guitare riffante si dénudée que ça en devient de l'esbrouffe, et une section rythmique style charge de Gettysburg, le tout porté à incandescence par la voix de Burdon. Le seul grand chanteur de blues européen, capable de rivaliser avec les Charley Patton de derrière les fagots. Se contente pas de le murmurer et de le gémir comme ces centaines d'anglais et de français qui s'y sont mis, ne le casse pas non plus, ni le hurle... Une seule règle. Burdon ne respecte pas ce qu'il chante. Il se l'est tellement approprié que peut lui chaut de nous envoyer des clin d'oeil, hep les gars admirez ce grondement ce grondement à la Elmore James et cette retombée glissando à la Muddy Waters ça ne vous rappelle rien ?Bien non, ça ne rappelle rien. Donne tout en même temps. L'intégrale de tous les chuinteurs et de tous les hurleurs en une seule interprétation. Ce n'est pas comme celui-ci ou comme celui-là, c'est du Burdon. Et le problème c'est que n'aurez pas besoin de me torturer pour que je vous sorte vingt noms qui chantent comme Willie Dixon, par contre de ceux qui vous envoient à la figure comme Burdon, je n'en connais qu'un. Un certain Eric. De Newcastle.
Prenons deux exemples, et pas des moindres. Mick Jagger sur Little Red Rooster, c'est bien, c'est brillant, c'est malin, se sort de tous les pièges, évite les chausse-trappes mais à y réfléchir de près, vous vous souvenez d'une interprétation des Stones, pas d'un sacré bon blues balancé par un certain Jagger accompagné par cinq bouseux indistincts de la banlieue londonienne. A l'autre bout de l'amphithéâtre reportez votre attention sur Robert Plant qui bluese à mort sur le premier Zeppelin, du diamant pur, mais totalement artificiel, des ronds de voix à toutes les cadences, des miaulements de chats épileptiques à hérisser les poils du sombre Edgar Allan Poe lui-même, du grand art poussé dans l'extrême des aigus, avec toute la tristesse du monde qui vous tombe dessus. La guitare de Page qui vous dresse le barnum et Bonham qui ponctue les piquets à coups de masse. Numéro de cirque sans filet. Oui à douze mètres de haut avec des caïmans qui n'ont pas bouffé depuis huit jours sur la piste, qui n'attendent qu'une chose, que Robert se plante, afin de lui rabattre son caquet de poule pondeuse qui vient de mettre bas un oeuf d'autruche. Et sans triche, il garde le parfait équilibre entre le désespoir et la douleur. Très beau, il chante avec ses couilles – et il a dû se les coincer dans le tiroir du buffet, vu comme il s'égosille. Mais tout ça, comparé avec Burdon, c'est du cinéma. Car Burdon, lui il chante avec son âme. Et ne me demandez pas ce que c'est que cette âme de couteau à couper le beurre de nos cervelles, je n'en sais foutre rien, sinon que Burdon fait la différence. Vous balance la purée brûlante en pleine gueule, et ça fait tellement mal, que sado-vicelard comme vous êtes vous en redemandez encore. Mais le pire est à venir.
ROCK'N'ROLL !
Jusque-là, Burdon a été très sage, l'a conduit comme un fou, mais n'a pas dépassé la ligne bleue. Il est temps de retourner à la case prison. Pour The House of the Rising sun les Animals s'inspireront pour la mise en forme de ce vieux traditionnel davantage de la version de Nina Simone que de celle de Bob Dylan. Toujours cette manie de voler aux blacks. Pour Don't Let Me Be Misundestood, comme bien mal acquis profite toujours, les Animals iront chercher leur matrice sur le dernier 33 tours de Nina Simone. Attitude typiquement blues et totalement rock'n'roll.
Burdon va se mettre à l'écriture, faut bien montrer aux Beatles que l'on est capable de rivaliser avec eux sur tous les points, même si sur scène l'on tient et de loin la distance. Cheatin', Club-a-gogo, For miss Caulker, I'm gonna change the world, l'on est encore dans le mi-blues, mi-Ray Charles, mais avec des morceaux comme I'm Crying et Inside looking out, l'on change de registre.
Lorsque Alan Price s'enfuit, il est remplacé par Dave Rowberry. Les Animals ne perdent pas au change. Moins subtil qu'Alan mais beaucoup plus rentre dedans le Dave. La musique s'étoffe, le background est beaucoup plus puissant, la voix de Burdon possède dès lors un arrière-fond d'une solidité à toute épreuve sur laquelle il peut s'appuyer. M'est avis que du côté de Los Angeles les Doors ont dû décortiquer le son de cette nouvelle formation des Animals avec patience et désir d'imitation.
Suffit de prendre les deux morceaux. I'm crying – très belle version de Mitchell sous le titre Tu ne peux pas – cosigné avec Price, un orgue à tout berzingue – Alan ne sera jamais allé aussi vite – mais le morceau est porté par les choeurs – une espèce de Doo Wop monumental qui retombe sans interruption comme des tentures le long des murs – et Burdon qui s'époumone de rage contenue. Une des plus belles réussites du rock anglais.
Mais ce n'est rien comparé avec Inside Looking out. Pas beaucoup entendu en France. C'est que le boulet de canon est d'une rare violence. Une ogive nucléaire à fragmentations intenses. Des giclées de guitare à vous fendiller les tympans, des montées de tension en pâles d'hélicoptères de combat. Quand on me dit que Cream – et j'adore ce pudding britton - a jeté les bases du hard rock avec la voix de fausset de Clapton je me contente de sourire avec commisération.
Aux Etats-Unis and in England, ce n'est pas tombé dans les oreilles des sourds. J'en connais des tonnes qui ne s'en sont pas vantés mais qui ont répété la monstruosité sans jamais se lasser dans leurs deux-pièces-cuisine, quand ce n'est pas dans le secret de studios capitonnés.
AUTRES VOIES
Mais le destin des Animals qui ne sont plus que le groupe d'accompagnement d'Eric Burdon, va brusquement s'infléchir. En tournée aux States, Burdon va troquer sa colère prolétarienne pour les voluptés du flower power. Ne craignez rien, avec Burdon les plantes sont vite devenues carnivores et vénéneuses. Dans les nuits de San Francisco, notre Anglais va se perdre quelque peu. Se livrera à tant d'expériences psychédéliques qu'il est difficile de le suivre. Va même durant deux ans prendre la tête d'un groupe de noirs se prénommant War. Comme quoi le summer of love peut se cuisiner de multiples façons ! Tout en accouchant d'étranges galettes subtilement empoisonnées. Ressemblent un peu aux cauchemars qui se déroulaient, et qu'il n'a jamais eu le temps d'exorciser en les jetant sur vinyl, dans le cerveau embrumé de Jim Morrison...
Nous sommes loin des Animals qui se reformeront avec Eric encore deux fois par la suite. En 1976, un coup je vous le refais comme avant à l'identique, le nostalgique Before We Were So Rudely Interupted, et en 1983, un coup je vous laisse en héritage un disque qui ne ressemble en rien aux ex-Animals. Ni à tout autre groupe d'ailleurs ! Un chef-d'oeuvre intitulé Ark Seul le Nantucket Sleighridge de Mountain peut prétendre rivaliser avec cette boursoufflure rock'n'rollienne. Le groupe tourne toujours dans les pubs en Angleterre, mais sans Burdon, autant dire sans les Animals. Boursouffler
L'on a cru un moment Burdon perdu corps et bien. Est réapparu en pleine forme. Le premier à être interviewé sur Arte dès qu'il est question du rock des années 60 et 70. Parle comme un livre. Un vieux sage, aux cheveux blancs. Vous invite sur son site ( tapez Eric Burdon avant d'entrer ) vous y retrouverez plus de cinq cents vidéos qui courent sur cinquante ans de concerts. Si je fais répondre au téléphone que je ne suis pas là, c'est que je suis en train de les visionner.
Eric Burdon, un pilier du rock anglais. Un aventurier du blues. A osé aller là où les grands bluesmen n'ont jamais promené leurs guitares. Plus noir que lui, plus blues que lui, tu meurs. Et lui se porte comme un charme. Vaudou. Un Jimmy Hendrix qui a survécu à tout. Même à lui-même.
Damie Chad.
URGENT, CA PRESSE !
ELEGY. N° 70.
JUIN-JUILLET 2011.
C'est le dernier numéro en kiosque. Il fut un temps, c'était à la fin des années 90, où je le recevais en service de presse. Il n'était pas alors distribué dans les points de vente habituel. Z'ont arrêté de me l'envoyer quand ils ont fait le grand saut dans l'inconnu. S'en sont bien tirés, sont passés à la quadri et ont abandonné une certaine tendance idéologique un peu droitière. C'était le début de la musique industrielle, qui se développait alors beaucoup en Allemagne et dans les pays nordiques. C'était le trip marteau de Thor et runes sacrées. Musique de rupture qui tentait de se démarquer de l'imagerie rock traditionnelle. A l'opposé du mythe des outlaws en rupture de ban l'on braquait le projecteur sur une musique aussi froide et angoissante que les dérives totalitaires de nos modernes sociétés européennes.
Elegy est maintenant sur-titré Musique & Culture. Une déclaration peut-être un peu présomptueuse mais parfaitement assumée et réalisée. Le magazine est splendide. La musique – pas spécialement celle que nous écoutons – est présente mais la peinture ( BD, photo, collage ) se taille aussi la part du lion. Traschy Toy, Lydia Lys, Dave McKean sont à écouter et à regarder. Artistes très différents mais l'on sent comme un parti-pris esthétique très prononcé du comité de rédaction. Un bel article sur le dernier film d'Almodovar, La peau que j'habite, qui ne jure en rien avec le genre de transgression qui préoccupe l'optique philosophique des mouvements gothique, fétish, post-punk, electro-trahs, etc qui forment l'underground de plusieurs générations qui depuis les années 80 ont emprunté les sentiers de déviance du rock'n'roll.
L'ironie c'est qu'au final Elegy est bien plus rock'n'roll que bien des magazines de hard ou de rock qui encombrent les présentoirs de nos marchands de journaux. Par exemple de tous les comptes-rendus que j'ai lus sur le Hellfest, c'est l'article d'Elegy qui me donne le regret de n'y être pas allé. Ne communiquent pas les set-lits de chaque concert en entier, se contentent de recréer les ambiances, et cela c'est irremplaçable.
En plus vous pouvez feuilleter en vous carrant entre les oreilles l'inévitable sampler : excellentes musiques de film et d'ambiance, mais selon moi, tout se ressemble un peu et ce n'est pas vraiment rock... un petit accessit à Rayographs, Randy Twigg et Les Modules Etranges, ce sont les trois qui ont un léger soupçon de phrasé rock... Comme quoi un cat retombe toujours sur ses pattes !
Lisez la revue mais ne l'écoutez pas ! Faites surtout ce que vous voulez, vous êtes assez grands !
Damie Chad.
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26/10/2011
KR'TNT ! ¤ 40. ANTOINE DE CAUNES
KR'TNT ! ¤ 70
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
27 / 10 / 2011
DICTIONNAIRE AMOUREUX DU ROCK
ANTOINE DE CAUNES
PLON. Novembre 2010.
C'est un cadeau de Noël de ma Maman, ça vous épatâtes ( c'est pour cela que j' épluche mon dico ! ), par contre si j'ai encore ma Maman, il faut que je vous avoue un truc, je n'ai pas de télé, autant dire que je n'ai jamais vu Les Enfants du rock. Ce qui ne me chagrine point, c'est un choix, et comme je déteste me précipiter vers ce que tous les autres se complaisent à pratiquer avec une suspecte unanimité, je fais partie de ces rares amateurs de rock qui n'ont jamais vu l'incontournable émission cultissime des Enfants du Rock qui rendit Antoine de Caunes à jamais célèbre. Je mens, suis une fois, une seule fois, tombé par hasard en plein milieu de la retransmission d'un concert des Cars. Sympathique d'entendre un peu de rock'n'roll au réveil après un samedi soir chargé ( je ne vous dirai pas de quoi ), mais ce n'est pas vraiment une voiture de cette marque que je choisirais si je devais sur les champs ( Tequila ! ) changer de caisse à outils. Penche plutôt sur les ailerons chromés des fifties !
J'avais aussi quelques préventions conte Antoine de Caunes, le fils de George, merci pour l'ascenseur social, pour l'avoir quelquefois entraperçu en ces stupides sautillements incessants lors des présentations de ce doit-être Chorus ( j'ai zieuté quelquefois cela chez ma Maman qui elle possède une télé, faut suivre un peu ). En mon fort intérieur j'avais surnommé cette variété déCaunante de la tremblante du mouton, le pogo du pauvre ! Maintenant pour rétablir la balance faut dire qu'il fut un des rares animateurs télés qui se soit soucié de notre musique. Et puis cerise sur le gâteau, suffit de parcourir trois pages de son dictionnaire pour s'apercevoir que le bonhomme sait écrire !
HE IS EXPERIENCED
Notre reporter sait de quoi il parle. D'ailleurs il a l'honnêteté de causer surtout de ce qu'il connaît. Non pas de ce dont il a entendu les copains jacter, mais neuf fois sur dix de ceux qu'il a rencontrés en chair et en os, qu'il les ait invités à ses émissions ou qu'il ait été mandaté pour partir à l'autre bout du monde pour les interviewer. Le témoignage est rarement de seconde main.
La médaille comporte son revers, une grosse partie du bouquin porte sur une période qui s'étend grosso modo de l'extrême fin des années 70 à la mid 95, non qu'il ne fasse référence de ce qu'il advint par la suite de sa musique préférée – encore aujourd'hui très introduit dans le milieu il ne départit pas de son regard affûté. D'autre part millésimé 1953, il n'en fut pas moins pour cela né de la dernière pluie, le rock lui est tombé dessus très jeune et toute son adolescence il fut un fan transi. Aime à citer qu'il avait neuf ans lorsque sa cousine le traîna de force à l'Olympia voir Sylvie Vartan. L'a eu le flair de préférer la troisième partie du spectacle, la bruyante invasion des Scarabées venus de la redoutable Albion.
Mais comme c'est un dictionnaire amoureux qu'il rédige, il coupe court à tous les reproches ( mérités ) que l'on pourrait lui adresser. Dis-donc Antoine, un dicrock sans Eddie Cochran, c'est pas un peu comme les Stones sans Keith Richard ? L'a un argument imparable, l'ont arrêté chez Plon alors qu'il abordait sa huitième centaines de pages. Heu, Caucaunes, c'est pas une encyclopédie qu'on t'a demandée, l'on vise un lectorat somme toute grand public même s'il ne se défend pas d'un certain vernis culturel !
YOU CAN'T JUDGE A BOOK...
… Just looking the cover, ainsi que nous l'a appris Bo Diddley. Justement sur la couve il a une repro de Duane Eddie de Guy Peellaert, l'immortel auteur de Rock'n'roll Dream, un des plus beaux hommages jamais rendus au rock'n'roll, l'inverse d'une faute de goût. L'aurait quand même pu se fendre d'un petit laïus sur notre guitar-hero, notre auteur ! N'en moufte pas un mot.
Pour le rock des pionniers il faut l'avouer pas grand chose à se mettre sous le manche de la Gretsch, Elvis, bien sûr, mais quel est le courtifan qui oserait ne pas s'agenouiller devant le King, un superbe passage sur Sreamin' Jay Hawkins, Buddy Holly – mais là c'est tout simplement mis exprès pour que votre serviteur puisse encore une fois ( la huitième de suite ) glisser le nom du leader des Crickets dans ses élucubrations hebdomadaires, Little Richard pour le compte-rendu du concert privé à la fondation Cartier en l'honneur de l'expo Rock'n'Roll 39 – 45, une mini entrée variétocharde pour Bobby Darin si l'on cherche bien, et ce sera tout.
Non ! Une page sur Gene Vincent – vous comprenez comment et pourquoi Monsieur Antoine de Caunes remonte dans mon estime – centrée sur la description du passage de Gene à l'Ancienne Belgique de Bruxelles, le 10 octobre 1963. Assez pour donner au jeune lecteur l'envie et la curiosité d'aller visionner le document par soi-même et de prendre une belle claque de good old and immortal rock'n'roll.
THE LETTER
Remarquez que la période qui suit, de l'explosion anglaise à la naissance du punk, pas des tonnes à gratouiller sur sa fender. Deux articles sur les Beatles et les Stones, mais fignolés avec le fusil à tirer dans les coins. L'on évoque le sujet par la bande. Une interview de Mc Cartney, faute de grive lenonnienne l'on se contente du sixty four old Daddy, et voyez-vous, nous touchons là au problème du rock. Nos idoles ne devraient pas vieillir. Elles nous empêcheraient de nous laisser aller à la bonne conscience de la compassion satisfaite. Mais honteuse. Du coup Antoine se fait la main sur les Rolling qui en prennent pour leur grade. Se venge de tout cet esprit de soumission rampante qui fonde l'admiration forcenée envers nos Dieux unanimement proclamés par notre seule volonté. Nietzsche avait beau prophétisé le nécessaire crépuscule des idoles, les faits lui ont donné tort.
Pour les Animals, les Yardbirds, les Doors, Led Zeppelin et toute la smala, faudra se contenter de leur faire coucou au détour d'une ligne. Ce n'est pas qu'il ne les aime pas c'est qu'il a trouvé mieux ailleurs... De toutes les manières s'il annonce un groupe c'est pour nous entreprendre d'un seul de ses membres, Peter Wolf pour le G. Geil's Band, John Forgerty pour Creedence Clearwater Revival, Chrissie Hynde – dire qu'il existe dans notre monde de brutes des filles aussi classes ! - pour les Pretenders... non sans raison. Comment se fait-il que dans un groupe certains personnages soient plus rock que leurs congénères ?
Puisque nous sommes dans les années post-soixante-huitardes intéressons-nous à deux phénomènes rock spécifiquement français – quoique les Italiens n'y sont pas allés non plus de main morte - auxquels toute une génération a cédé avec une profonde allégresse. La fauche de disques et l'entrée en force.
Autres temps, autres moeurs. L'époque dégageait des fragrances révolutionnaires. La lèpre du crédo-libéral n'avait pas encore envahi les esprits. L'on ne volait pas, l'on récupérait. Ce n'était pas de la malhonnêteté mais une simple réappropriation. Conscience tranquille : le kidnapping de quelques milliers d'exemplaires du Led Zeppelin IV n'a jamais mis Atlantic sur la paille. C'est dommage d'ailleurs. Quant aux musicos un petite cure d'amaigrissement financier ne leur ferait aucun mal vu les tombereaux de royalties déjà amoncelées. Le jour où les majors auront disparu elles seront avantageusement remplacées par des mini-labels auto-artisanaux. L'on y perdra sans doute un peu en qualité sonore mais lorsque l'on entend les bouillies formatées que nous déverse l'industrie musicale, l'on se dit que l'originalité et la créativité des artistes y gagneront. En ce début de troisième millénaire le problème se pose d'une manière plus aiguë pour les grosses compagnies, le téléchargement illégal les contraint à revoir leurs offres. En plus la vitrine très peu onéreuse qu'offre le Web permet à des tas de chanteurs et de groupes de limiter les intermédiaires... Ce n'est pas parce que les étiquettes magnétiques, les portiques détecteurs, les caméras et l'affinement des techniques de surveillance ont semblé jugulé le problème un certain temps qu'il n'existait pas...
Bref Antoine de Caunes s'étend longuement sur ses propres prouesses et réseaux de fauche, nous citant au passage toute une flopée d'albums – et il a un goût très sûr - dont il devint propriétaire, appliquant à sa manière la prudhomesque formule selon laquelle la propriété c'est le vol. Lorsque son statut social changea, en tant qu'animateur de télévision chargé d'une émission rock il n'eut plus besoin de s'adonner à cette pratique sauvage de survie financière. Les maisons de disques se faisant un plaisir de l'abreuver à satiété de leurs plus récentes productions.
Le voici de l'autre côté de la barrière. Son émission étant publique très logiquement il devint organisateur de concerts. Au Théâtre de l'Empire, entrée minimale de 20 francs, ce qui n'était pas cher à l'époque. Fut très longtemps à l'abri des entrées en force qui se généralisaient en France... jusqu'au jour – qui ne se renouvela pas, d'après ce que l'on peut déduire de son article – où pour le concert des Stranglers, il eut droit à son baptême... Qu'il n'ait pas apprécié c'est son droit, qu'il ait mille fausses bonnes raisons à opposer à cette pratique nous pouvons le concevoir, mais quand il déclare ( je coupe et travestis l'ordre des propositions ) « Ils s'étaient baptisés les Autonomes … justifiant leurs interventions musclées par un charabia néo-anarchiste à faire pouffer Bakounine », Antoine de Caunes nous paraît se couper de cet esprit de rébellion en lequel réside le propre ( souvent très sale ) du rock'n'roll, esprit de révolte qu'il exalte à tous bouts de pages dans son opus. De plus lorsque l'on a lu une bio de Bakounine et ses écrits l'on peut subodorer qu'il n'aurait pas été le dernier à foncer dans le service d'ordre... Réaction très commune, la révolte individuelle – la nôtre et celle des autres - suscite acquiescement et encouragements, mais dès qu'il s'agit de la transformer en expression collective de lutte radicalisée – combien maladroite et améliorable la jugerait-on - l'on se défile au plus vite...
AFTER-PUNK
Z'étaient pas si idiots qu'ils en avaient l'air les autonomes, n'avaient pas choisi les Stranglers au hasard. Question fouteurs de merde, se posaient un peu là nos étrangleurs professionnels. Se voulaient des outlaws, des provocateurs, les mettre en contradiction avec leur pratique n'était pas si farfelu que cela. Sortaient pas de la mouvance punk par hasard. L'on sentait qu'ils ne portaient pas plus la République Française que la Monarchie Anglaise dans leurs coeurs. Z'auraient pu graver « Mort aux Institutions » sur la grosse caisse. Moments jouissifs où Jean-Jacques Burnel ( un petit français bien de chez nous qui a découvert le rock en écoutant les Chaussettes Noires et qui a traversé la Manche puisque c'était là-bas que ça se passait ) insulte le public qui applaudit avant de les avoir entendus, et ensuite trois morceaux plus loin : « Vos gueules. Gardez vos claquements d'otaries, on en a rien à foutre. On est des artistes. Vous avez besoin de nous, pas l'inverse. On en a rien à taper de vos applauses. Vous êtes juste pathétiques, ça me donne envie de gerber. »
Je commence à comprendre pourquoi à l'époque je me suis offert les deux premiers disques du groupe, juste après en avoir entendu un unique extrait de moins de cinq minutes dans les écouteurs du magasin. Réponse profondément anarchisante. Qui se confond quelque peu avec un aristocratisme de bon aloi. Ce n'est pas que les contraires s'attirent, c'est qu'ils se mordent la queue. Dans un cercle, ce qui est au plus loin de nous est aussi le plus près. Les symboles sont réversibles. C'est pour cela que le rock est aussi devenu une musique d'establishment. Très belle conclusion du bassiste Hugh Cornwell : « Je vois beaucoup de poseurs, de parasites, et de branleurs dans le public. »
Dr Feelgood ( dites 33 tours ! ), The Clash, Ramones, Iggy, le rock destroy est aux premières loges même si de Caunes avoue toute son admiration pour John Lennon, Bob Dylan et Bruce Springteen. Assez mainstream quand on y réfléchit à deux fois, non ? Peur inconsciente des extrêmes ? De l'extrême rock'n'roll !
LE ROCK AUX FRANCAIS !
N'est pas franchouillard pour deux sous, l'Antoine. Un seul groupe français bénéficie non pas de son indulgence, mais de son adhésion entière. Magma ! Le rejoins totalement sur ce parti pris. M'en suis déjà ouvert. Vais pas refaire la démonstration. Ce fut un groupe minoritaire et la France n'a jamais eu un public qualifié pour porter un tel ovni musical à bout de bras. L'en profite au passage pour quelques moqueries à Martin Circus et Ange – décidément trop bête pour lui.
Ce qui gâte un peu, c'est qu'il couvre d'éloges Stephan Eicher ( oui, j'ai bien écrit Stephan Eicher ) - faut quand même pas pousser le roucouleur suisse dans les Alpages ! Que chacun possède et protège ses faiblesses ! Mais de là à mettre Stephan Eicher dans un dictionnaire rock... Se vante de l'avoir présenté à Philippe Djian qui possèderait une véritable écriture rock'n'roll...
N'aime pas les Yé-Yés. Aurait comme un compte personnel à régler avec chacun d'eux. Ne se prive pas pour glisser une blague assassine dès que la situation s'y prête. Et même si elle ne s'y prête pas du tout. Ne privilégie que Dutronc et Gainsbourg. Tous deux surestimés à mon goût. Mais de Caunes y retrouve comme un décalque de ce goût prononcé pour l'humour anglais à la Monty Python. Le manque de sérieux et le je m'enfoutisme affichés, la gaudriole et la blague de potache, le fonds de commerce du rire hexagonal qui tend à faire passer le premier degré pour du second !
Pour Dick Rivers, Eddy Mitchell et Johnny Hallyday il reste très ambivalent. Ne les jette qu'en tout dernier ressort. Pour Johnny il joue comme un funambule sur le fil qu'il finira par rompre, c'est lui qui a pris les contacts avec les musiciens et les chanteurs des duos pour les Enfants du Rock en 84... Comme l'on s'attend il ensevelit Bashung sous les éloges. C'est un peu la mode bobo du moment...
Tous ces menus défauts n'empêchent point que le livre se lit avec plaisir. A plusieurs reprises Antoine de Caunes se montre impitoyable envers ses propres talents de musicien. S'il ne sait pas se servir d'un médiator, les dieux lui ont offert une plume grand style mi-acérée, mi-désopilante – précipitez-vous sur les folios 501-502 de Maître Keith Richard sur son cocotier perché, toute la vie vous me remercierez de vous avoir refilé le tuyau – l'on n'attend plus le prochain Noël pour le tome II. Allo ! Maman...
DAMIE CHAD.
LOOK BOOKS !
CHRONIQUE D'UN JOUEUR DE FLIPPER. THIERRY BELHASSEN.
Voies libres. 1978.
L'ai retrouvé au fond d'un carton. Devait y moisir depuis une trentaine d'années. N'y a qu'à lire le titre pour comprendre pourquoi il avait échoué parmi la documentation rock. Le rock et le flipper sont indissociables. C'est bien connu. M'étais imaginé une sombre histoire de blousons noirs. Tout faux sur la ligne.
La partie ne dure que sept ou huit pages et reste très secondaire quant au déroulé de l'intrigue. C'est un peu un bouquin sans queue ni tête, vous risquez de provoquer le tilt avant la fin ! Ne se passe pas grand chose. Un jeune d'une vingtaine d'années qui revient chez lui après l'on suppose le traditionnel voyage aux Indes ( ou au Maroc ), cherche du boulot, en trouve, écrit une nouvelle acceptée par un comix, trouve une chouette copine, et rencontre plein de paumés de tous âges - style après 68 – qui décident de fonder un magazine, Trip ( enfin une note rock, mais le contenu n'a rien à voir avec Actuel ), et puis la romance s'arrête à la sortie du premier numéro puisque l'auteur est venu à bout de ses 190 pages réglementaires.
Si l'on veut être gentil l'on dira qu'il s'agit d'une écriture, d'une menée de récit pour être plus exact, très dhôtellienne, ce qui n'est déjà pas si mal que cela, mais question rock'n'roll, abstenez-vous de mettre une pièce dans cette machine. Elle ne vous la rendra pas. Vous risquez d'en ressortir flippé.
DAMIE CHAD
URGENT, CA PRESSE !
SOUL BAG. N° 204.
Octobre, Novembre, Décembre.
Ce coup-ci, ça presse vraiment. Un mois que je l'ai reçu et n'en ai pas encore pipé un mot. Numéro un peu mortuaire, page 7 Calvin Scott, page 10 Benny Spellman, page 12 Jeanne Carroll, page 14 Jerry Leiber, page 15 Amy Winehouse, page 16 Honeyboy Edwards, page 17 tarif de groupe, pas moins de six qui passent l'arme à gauche, page 19 c'est au tour de Nick Ashford de se coller au fond du cercueil... Quand on rajoute un article sur Mahalia Jackson qui aurait eu 100 ans tout rond si elle n'avait pas eu la malencontreuse idée de jouer la cheftaine de chorale au paradis et un autre sur Little Willie John « trop souvent oublié depuis sa mort prématurée en 1968 » ce fascicule me file le bourdon blues et pas le bourbon soul !
Si ça continue à ce rythme, la revue devra s'arrêter faute de combattants. Ne désespérons il reste encore de jolies filles à la voix divine comme Jill Scott pour nous ramener à la vie, pas moins de sept pages consacrées aux dix ans de la carrière de la diva, avec en fin de parcours la séquence Live and Well, ouf, nous voici rassurés. Plus la séquence chronique de disques qui vous alimente d'une multitude de pépites qui vous refileront une pêche ( pardon pour cette expression malheureuse ) d'enfer. Par contre votre portefeuille risque de se sentir raplapla si vous cédez à l'ensemble de ces tentations... infernales.
Un numéro de Soul Bag, ça ne se résume pas, ça s'étudie par coeur de la première à la dernière page. C'est la seule chance qui vous permette de vous tenir au courant du passé, du présent et du devenir de la Soul Music. Ooooh ! My Soul, comme dirait Little Richard !
En plus les heureux abonnés, un CD de 14 titres en corrélation étroite avec le contenu des articles. Difficile de trouver mieux sur le frenc market !
Je vous recommande le Walkin', Talkin Haunted House de Candye Kane, la dame a une belle voix mais écoutez le guitariste – peux pas vous dire son nom illisible dans son minuscule lettrage - au fond de son jeu se tapit comme un soupçon de réverb à la Hank Marvin qui change tout. Côté déception Nico Duportal qui essaie, syndrome bien français, de nous prouver qu'il est aussi un super musicien de jazz, on se demande bien pourquoi n'est jamais aussi bon que dans les musiques moins bêcheuses, mais ce n'est rien aux côtés de l'insipide variétoche de Jill Scott, c'est de très loin la plus nulle de l'échantillon et ils l'ont mise sur la couve ! Révérend Little Richard, faites une prière pour moi !
Damie Chad.
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