24/11/2011
KR'TNT ! ¤ 74. PHILIPPE MANOEUVRE / JOHNNY CASH
KR'TNT ! ¤ 74
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
24 / 11 / 2011
33 TOURS ET NE S'EN VONT PAS
ROCK'N'ROLL
LA DISCOTHEQUE ROCK IDEALE ( 2 )
PHILIPPE MANOEUVRE
INTRODUCTION ISABELLE CHELLEY
ALBIN MICHEL / 0ctobre 2011
Pas la peine de me dire ce que vous allez commander au Père Noël à déposer dans vos creepers puants. Comme tout amateur qui se respecte vous avez déjà le Tome 1, paru en 2005, Rock'n'Roll : la discothèque idéale, 101 disques qui ont changé le monde, du rédac-chef de Rock'n'Folk. Et comme tout le monde vous avez râlé en le découvrant. Il manquait juste le 33 tours de votre vie, le seul que vous emporteriez sur une île pas du tout déserte mais exclusivement peuplée de jeunes filles nues. Commençait par les Sun Sessions d'Elvis et finissait sur Up the bracket des Libertines...
Pour ma part, pour m'appuyer sur un exemple qui me touche de près, j'ai failli avoir une attaque d'apoplexie lorsque je me suis aperçu qu'aucun des six premiers opus de Gene Vincent n'était retenu par notre spécialiste émérite... Il doit bien exister une justice quelque part puisque les cinq années qui suivirent se transformèrent en un redoutable enfer pour notre grand manoeuvrier. N'a pu rencontré un amateur de rock – et de par son boulot il côtoie cette engeance exigeante du soir au matin – sans recevoir de quoi remplir un cahier de doléances quotidien.
Devait avoir aussi des tas de remords personnels qui lui rongeaient la cervelle, alors pour régler ses dettes à la grande communauté des rockers de tous poils et soulager sa conscience, s'est résolu à se lancer dans la rédaction d'un tome 2. S'est peut-être pas fatigué beaucoup puisqu'il a repris ses chroniques mensuelles de Rock'n'Folk, s'est contenté de combler les vides. Entre parenthèse a dû passer davantage d'heures à opérer de cruciaux choix qu'à rédiger les notules.
Une pleine page pour la repro de la pochette ( recto ) avec en vis-à-vis le texte de la présentation idoine, truffé d'informations de première mains ou d'anecdotes les plus curieuses. Ecrit méchamment bien Philippe Manoeuvre, j'ai tout lu, d'une traite, sept heures sur le canapé, sans m'ennuyer une seule minute. Vous pouvez aussi faire semblant, le texte est coupé par la reproduction recto et verso des étiquettes centrales des disques, et parfois lorsqu'un ou plusieurs singles étaient issus de la même séance d'enregistrement vous avez aussi droit aux photos des 45 T.
Je ne vais pas vous faire le coup, ah ! Qu'elles étaient belles les quadrichromies de nos long-playing chéris, au contraire m'apitoie plutôt surtout sur les vignettes centrales. Ah ! Qu'est-ce qu'elles étaient tristes, sans âmes, moches et ternes. Pas très rock'n'roll ! Quand on voit qu'une major comme Columbia ne possédait même pas un logo personnalisé ! Au petit jeu de la comparaison le CD honni remporte la palme de l'imagination !
VOYAGE DANS LE TEMPS
Ca part en roue libre The Freewheelin' de Bob Dylan, sorti en mai 63, et ça se termine par une belle crevaison, celle de In Rainbows de Radiohead beaucoup plus près de nous en octobre 2007. Ce n'est point un critique musicale. Me permettrai pas, je n'ai jamais écouté ce disque de Radiohead. Premièrement parce que je n'aime guère Radiohead, deuxièmement parce que ce n'est pas à proprement parler un disque.
Mais avant de nous lancer dans les sujets qui fâchent délectons-nous des années heureuses. Trente disques pour les seules sixties. Laissons parler nos coeurs de rocker, le disque de Noël de Phil Spector, le Star-Club de Jerry Lee Lewis, le Golden Hits de Chuck Berry, le From Elvis in Memphis, on ne va pas s'étendre sur les pionniers, par contre si vous n'avez jamais entendu le Star-Club de Jerry Lee, jetez-vous par la fenêtre, ou sous un train, au choix, comme vous voulez, mais je vous en prie faites quelque chose puisque vous ne méritez pas de vivre.
Pour ceux qui ont survécu au paragraphe précédent, vous entrez dans une ère de délices. Ici tout n'est que calme luxe et volupté, comme dit Baudelaire. Encore que avec des gaziers comme Steppenwolf qui entonnent Born to be Wild, l'hymne national des révoltés de tous bord et des bikers de la mort, les panthères blanches du MC 5 qui vous traitent de Motherfuckers à tous les coins de sillon en vous conseillant de Kick out the Jams, et ces voyous des Stones qui supplient le diable pour que ça Let it bleed beaucoup, vous risquez d'être un peu secoués.
Non c'est la richesse fabuleuse des propositions qui nous émeut, entre Jimmy Hendrix qui s'inquiète de savoir si Are you Experienced, les Who qui vous content la malheureuse histoire de Tommy et les Cream de Clapton qui déraillent à cause de leur Disraeli Gears, vous avez de quoi vous perdre et vous retrouver cent fois. Vous tournez les pages et vous apprenez comment le hard-rock est né du psychedelic, avec un soupçon d'imagination vous devinez en arrière-fond toute cette mouvance expérimentale qui caractérise cette période.
Quarante cinq disques plus loin vous vous extrayez du maquis touffu des seventies. En mai 70 vous pataugez dans la boue de Woodstock, vous rêvez d'un monde meilleur, vous tirez sur des pétards en croyant que le ciel est toujours bleu même quand il pleut, pour dix années plus tard répondre à l'appel de Londres. Non pas celui de de Gaulle mais le London Calling du Clash. Vous le hippie de service, vous êtes devenu guerrier urbain sans avenir, punk sans futur.
Seize albums pour la décennie qui suit. Du lourd tout de même avec Mötley Crüe et Mettalica, du meilleur avec Gun Club et Stray Cats, mais l'on sent que la prophétie punk se révèle juste. Avec U2 et Michael Jackson l'entertainment prend le dessus. Doucement mais sûrement.
Sept disques pour les nineties. Le rock ne se meurt pas. Il est mort. L'on jette les dernières pelletées sur le cercueil. Cinq disques pour la suite. La machine cale en 2007. Rien à se mettre sous la dent ces cinq dernières années.
DITES 33
Mais il temps de rallumer la radio et de résumer les épisodes précédents. Bougeons le cursus rapidement, 78, 45, 33 tours. Nous y sommes. Presque. Avons fait l'impasse sur les maxi-45 ( le 33 tours du pauvre ), carte de visite sonore et de grand format pour groupes débutants ne possédant pas un max de morceaux au point, avons de même ignoré le picture-disc idéal pour pomper le fric des collectionneurs et qui vous classe tout de suite parmi les artistes soucieux d'esthétique.
Oubli total des cassettes, mépris souverain pour les CD – à croire que seuls les blaireaux les collectionnent – et ce retour vers les vinyls qui n'est pas obligatoirement une garantie de qualité sonore, car en ce début du vingt et unième siècle – comme en la fin du précédent – l'arnaque est partout.
Donc Radiohead. N'ont pas été les premiers à le faire. Des tas de groupes offraient déjà leur musique à écouter gratuitement sur le net. Oui mais des sans-grades, des inconnus, des anonymes dont la réputation ne dépasse pas le cercle étroit de la famille et des amis. Radiohead lui vendait ses oeuvres par centaines de milliers. Le chouchou, le miroir des adolescents mal dans leur peau, des lycéens qui se la pètent un peu intello, bref toute une génération s'est reconnue en lui.
Mais EMI n'a pas su renouveler le contrat. Tom Yorke aurait demandé dix millions de dollars. Trop cher a estimé la major. Dépité, le groupe a mis son nouvel opus en vente libre sur son site. Eux ils ont dit : « à télécharger gratuitement », mais on fait quand même passer le chapeau du bon coeur. Vous donniez ce que vous vouliez. Les jeunots sont tombés dans le piège et ont déboursé une moyenne 1, 5 euro par tête de pipe. Y en a tout de même trois sur dix qui ont raflé la mise sans laisser un seul centime. Pas les plus bêtes d'après moi. Les Radio - qui n'avaient pas perdu leur - head ont ramassé un million et demi d'euros. Du cash, et pas besoin d'envoyer une armée d'avocats éplucher les ventes et vérifier le décompte des royalties.
C'est maintenant qu'il faut réduire l'équation. Relativement simple. Si vous n'avez plus de disque, en face vous n'aurez plus de rock'n'roll. « Et depuis c'est chacun pour soi et la fin du monde pour tous » c'est ainsi que Manoeuvre met un point final à sa chronique et à son bouquin.
UNE HISTOIRE DE LA ROCK MUSIC
Pouvez y trouver tous les défauts que vous désirez, n'empêche que Manoeuvre s'en sort plutôt bien. Dessine assez bien la courge de Gauss ( toujours les kids ) de la rock music. La courbe monte, se gonfle, redescend et crève comme un ballon de baudruche. Passe par tous les points obligatoires, les pionniers, le folk, le blues, les groupes féminins, le british-blues, le psychédélic, le hard, la soul, le garage, le glam, le rock, le country rock, le jazz-rock, le pub-rock, le punk, la new-wawe, le grunge, les déviances rap-electro... Si vous croisez cette liste avec celle du premier tome vous ne ferez que renforcer votre impression.
L'exception ne sert qu'à confirmer la règle. Certains disques se sont vendus à des millions d'exemplaires et d'autres n'ont pas dépassé les cinq milles unités. Certes ces malheureux ont pu être redécouverts et atteindre des altitudes moins compromettantes. Certains jouissent de succès d'estime et leur plus grande gloire reste de voir leur nom émarger dans une encyclopédie. Cette discothèque idéale n'en reste pas moins celle d'une reconnaissance marchande ou- si l'on veut atténuer l'impact du mot nous proposerons - marchandisée.
Le rock arrive à un tournant de son histoire. Sa transmission est en train de devenir un simple troc acoustique. Tu me donnes ta money et je t'offre un chargement auditif. Ce qui fut longtemps distribué sous forme d'objets de vénération est désormais accessible en tant que monnaie d'échange. Nous avions un produit, nous sommes soumis à un flux impalpable de financiarisation.
D'un autre côté cette main-mise des plus totales des groupes industriels et bancaires sur la diffusion de cette musique est peut-être sa chance ultime de survie car elle invite à se débrouiller par soi-même. Do it yourself ! La multiplication des petits labels, des studios associatifs des mini-réseaux d'écoulement ( et non de vente ) des disques enregistrés en des conditions minimales, marque le retour obstiné de cette musique de là d'où elle vient : des marges.
Alors que le jazz s'est ossifié en tant que jazz et ne survit plus aujourd'hui qu'en se faisant faire des enfants dans le dos par tout nouveau courant musical qui passe, le rock qui depuis vingt ans s'est lui aussi laissé phagocyter par tout ce qui n'était pas lui ( l'électro, la world music, la techno, le rap et même le jazz ! ) retourne à lui-même et se détourne de tous les pygmalionâtres qui ont tenté de l'asservir et de l'abâtardir mettant ainsi toutes les chances de son côté de renaître de ses cendres encore chaudes.
Cette discothèque idéale est celle d'un passé révolu. Si on ne lui donne pas un sens, si on ne la soumet à aucune dialectique significative, elle n'est que lettre morte, objet d'érudition générationnelle qui dans un demi-siècle n'intéressera plus personne. J'ai bien peur que pour trop de lecteurs elle soit une simple visite de cimetière. L'on s'extasie sur la beauté de tombeaux qui ne renferment que le néant de leur vacuité. La meilleure façon de se débarrasser d'un cadavre c'est encore d'y poser une pyramide par-dessus. L'on est sûr que personne ne pourra vérifier si le mort bouge encore.
Ce bouquin de Philippe Manoeuvre reste un livre ouvert. Très intelligemment fait. Les imbéciles s'y perdront facilement, ce qui n'est point grave. Les gamins un peu finauds qui le feuilletteront et s'interrogeront sur les deux dernières décennies en queue de poisson, et qui comprendront que tout reste à faire seront sur le bon chemin. Ce n'est pas que le combat est en train de cesser faute de combattants, c'est qu'au contraire la place est libre et que l'on peut s'y tailler des empires à la démesure du rock'n'roll. Magnifique appel d'air.
Philippe Manoeuvre est un malin. Il n'a pas cédé aux sirènes de la facilité ou de la démagogie musicale. L'on n'attire pas des mouches avec du miel édulcoré lorsque l'on veut leur donner à manger de l'ambroisie. Même si de prime abord la nourriture des dieux paraît indigeste aux estomacs habitués aux ersatz.
C'est justement parce que le rock'n'roll est une musique borderline qu'il existe des limites à ne pas franchir.
Damie Chad
FILM
DIALOGUE DE FEU. LAMONT JOHNSON.
JOHNNY CASH et KIRK DOUGLAS.
Titre original : GUNFIGHT. 1971.
Dialogue ou combat. Titre français et titre original en anglais proposent deux lectures possibles d'une même histoire. Dialogue et combat à la fois ou alternativement. Seul le coup de feu peut les réunir.
Abe Johnny Cross Cash et Will Kirk Tenneray Douglas sont frères, sont plus que frères. Ils se voient l'un dans l'autre. Ils se retrouvent face à eux-mêmes en se plaçant face à l'autre.
Dès la chanson du générique, composée et chantée par Johnny Cash, le spectateur a l'intuition du destin inéluctable des héros. Il n'y a plus de place dans l'ouest pour les vieux héros fatigués de tirer, de tuer pour vivre. Aucune retraite n'est possible pour les tireurs professionnels, aucune amitié n'est possible entre eux. Ils se retrouvent prisonniers de leur histoire, de leur personnage, de la vision qu'en a toute la société qui les entoure.
Nous sommes là au coeur d'une tragédie grecque. Le destin est à l'oeuvre, impossible d'y échapper. Le regard des personnages plus encore que leurs paroles montre la conscience de ce que doit être, de ce que va être leur destinée. L'attitude désabusée, le regard triste et profond, voire désespéré, de Johnny Cash en font l'égal d'Oedipe, d'Antigone, d'Hyppolyte...
Le western mené à son plus haut niveau est la réécriture du destin éternel des hommes ; les décors changent, l'humanité reste. Le tragique de l'existence se dévoile aussi bien sur les rivages de l'Egée qu'au milieu des grandes plaines.
Gunfight et Dialogue de feu. Les deux héros voient leur mort, savent leur mort, avancent vers leur mort inévitablement, inéluctablement. Il s'agit là d'un des plus beaux westerns tragiques qui soit et que chacun devrait savoir.
PHILIPPE GUERIN.
16:16 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.