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13/12/2012

KR'TNT ! ¤ 122 GENE VINCENT / THE ATOMICS

 

KR'TNT ! ¤ 122

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

13 / 12 / 2012

 

 

GENE VINCENT / THE ATOMICS

 

 

THE ATOMICS / BAR DES TROIS COMMUNES

 

07 / 12 / 2012 / THORIGNY-SUR-MARNE

 

 

L'on est passé prendre Mister Jull au L B R à Fontenailles. Lampes Bandes, Ruban – je ne sais si ma mémoire a restitué le tiercé dans l'ordre - c'est la petite merveille de studio d'enregistrement que le maître guitariste de Ghost Highway est en train de fignaliser. Toutes les chances sont réunies pour que cet anonyme village du fin-fond sud de la Seine & Marne devienne un des hauts-lieux de l'enregistrement rockabilly made in France.

 

 

Pendant que la teuf-teuf mobile piaffe d'impatience et ronge son frein ( à main ), nous prenons notre temps, petits essais de réverbe de guitare, ingurgitation d'un café revigorant, inspection méthodique de l'étagère à Vinyls, perdu parmi la collection Big Beat un petit original 25 cm Vogue de Johnny en public des plus rares...

 

 

Ensuite c'est la course dans la nuit au milieu des champs enneigés pour rejoindre Thorigny- sur-Marne. Quoique la Teuf-teuf fasse le taxi l'on n'a pas vu la Marne mais l'on a trouvé Thorigny. Lorsque la Teuf-Teuf mobile s'arrête à un feu rouge, notre regard est attiré par un groupe discutant sur le trottoir. Des têtes connues ! Nous sommes arrivés.

 

 

ENTREE

 

 

Aucun bruit ne sort de l'établissement. Serions-nous parvenus à l'heure ? L'on nous détrompe ( d'éléphant ), juste l'entracte après le premier set. Toute honte bue je me hâte d'aller noyer mes regrets et mon chagrin au fond de ma médecine préférée. A peine ai-je poussé la porte que je comprends l'ampleur de la catastrophe.

 

 

Non la foule massée devant le troquet ne nous attendait pas pour former une haie d'honneur, non ce n'était même pas non plus le lieu de relégation des fumeurs invertébrés. L'intérieur est étroit comme un ver solitaire mais beaucoup moins long. Entre le comptoir et le mur il reste à peine un espace d'un mètre cinquante, rajoutez au fond une salle aussi vaste qu'une kitchenette de résidence universitaire et vous aurez au centimètre carré près la superficie du local.

 

 

Mouvement de foule, les Atomics ne vont pas tarder à monter sur scène. Le goulot d'étranglement se remplit en cinq secondes. Nous sommes aussi serrés que les célèbres cachets dans leur tube d'aspirine. J'ai de la chance, une jolie fille devant et une mignonne derrière. Plus une ravissante serveuse qui positionne une coupelle de chips juste devant ma main droite posée sur le bar. Ce n'est pas le bonheur, mais ça y contribue.

 

 

THE ATOMICS

 

 

Les Atomics doivent être sur scène. Même sous la torture je ne pourrais témoigner de leur véritable présence. Après tout pourquoi ne serait-ce pas la fanfare des Beaux-Arts de Ris-Orangis ? Des armoires de rockers massés aux avants-postes encombrent le paysage. Me faudra un quart d'heure avant de comprendre que les Atomics ne sont que trois.

 

 

Du batteur je n'entreverrai, qu'à de très rares intermittences, le bouc qui souligne et cerne le menton, pour son kit de batterie ne comptez pas sur moi pour en donner la marque. La tête du bassiste scotchée au manche de sa contrebasse et celle du guitariste, collée derrière son micro, toutes deux porteuses de lunettes à la Buddy Holly, seront les deux seuls attributs visibles des deux acolytes.

 

 

Rien vu, mais tout entendu. Cartonnent un max. Longtemps j'ai cru qu'il devait y avoir une rythmique. Mais non, la contrebasse se charge du rôle. Elle assure la lourdeur et le tangage. Swingue et abat la cadence. A la guitare, Raphaël, fait des miracles. Un son magnifique. Une fender japonaise qui s'est faite débrider les yeux, tellement elle assure comme une américaine.

 

 

Ne sonnent pas pure rockabilly – mais la pureté est une pure vue de l'esprit. Mister B définira le style comme du rhythm and blues. Personnellement j'opterais pour un son électrique à la Flamin'Groovies même si je doute que les Atomics se soient intéressés à ce groupe américain des mid-sixties.

 

 

Sont en place, c'est un régal. Un son que je qualifierai d'anglais, non pas pré-Beatles car cette appellation les mettrait trop en perspective avec les Shadows, mais pré-aroud-Beatles, assez proche quant à la rondeur orchestrale des sonorités de la production anglaise de Gene Vincent. En beaucoup plus roots. Leur morceau entièrement musical ensemencé sur le terreau rythmique de Bo Diddley mais pimenté de délicieuse excroissances mélodiques est à l'image d'un style exigeant tendu vers une certaine rotondité de note, jamais jouée pour elle seule mais toujours dans la continuité d'une série d'effets si vite successifs que la curiosité de l'auditeur est maintenue en éveil comme tirée en avant vers la résolution d'un problème qu'il n'a pas le temps de se poser. Un jeu très électrique où tout est donné avant même d'être demandé.

 

 

Tout compte fait ne pas voir les musiciens oblige à unebien plus grande concentration d'écoute !

 

 

ENTRACTE

 

 

Le café se vide ce qui permet d'étudier la décoration. M'aperçois que rabattu contre le bar mon propre corps m'empêchait de voir la pochette du 33 tours Big Beat consacrés aux séquences BBC de la tournée Eddie Cochran-Gene Vincent, plus quelques beaux minois d'actrices des années cinquante et les compromettantes photos de pulpeuses nudités de rockabilly girls des plus affriolantes. Il est évident que le patron aime l'ambiance et la musique rock. Ne suit pas la mode, en provoque toutes les outrances.

 

 

DEUXIEME SET

 

 

Sans surprise, et toujours aussi bon. Me rappelle que Mister Jull vient d'enregistrer les Atomics, dès que le disque sera sorti, je pressens qu'il risque de tourner en boucle à la maison. Mais puique l'on parle du Jull... le voici demandé au micro. L'est suivi par Phil, la moitié des Ghost Higway se retrouve au turbin avec le tiers restant des Atomics. Une fois que Phil s'est assis sur le tabouret du batteur, il est effacé de mon champ de vision. Pour Jull il lui est plus difficile de se cacher. Gros plan sur ses mains sur la simili Fender.

 

 

N'a même pas eu le temps de la trafiquer, que le nouveau combo attaque. Surprise générale. L'on ne parlera que de cela après le set. La preuve que ce n'est pas la guitare qui fait la renommée du musicien mais le musicos qui fait sonner la guitare à son image. L'on se croirait dans un concert des Ghost. Ce même Jull qui au début de la soirée nous avait longuement expliqué, riffs à l'appui, comment il se dépatouillait réglage après réglage pour obtenir sur sa Gretsch le son idoine, nous le ressort tel quel sur une gratte empruntée au débotté.

 

 

Et comme pour parfaire la démonstration lorsque au bout de deux morceaux Raphaël récupèrera son bien, en moins de trois secondes il nous restituera son propre son sans aucun effort. Il est sûr que nous ne sommes pas en présence de moitiés de sous-doués, mais passez la séquence à la TV et tout le monde pensera à un trucage. Tellement la différence est énorme. Quoique instinctif le rock'n'roll est autant une musique savantee. Là aussi le contenu médiatisé et le média humain ne font qu'un.

 

 

Même avec le rappel le set sera trop court. Mais voici que l'on propulse devant le micro un jeune inconnu. Pour moi. L'avais déjà remarqué durant l'entracte, plein d'énergie, sans arrêt le mot rock'n'roll à la bouche. Raphaël lui intime l'ordre de chanter un morceau dont il ignore les paroles. Pas du genre à se dégonfler. C'est peut-être du yaourt, mais au jus de cobra. Tétanise tout le monde. Nous re-pond après le pont recouvert par les applaudissements un deuxième couplet du même acabit au venin de vipère. Descend de scène sous les acclamations. Aussi court qu'une piqûre de serpent minute mais l'on aurait bien pris un rappel. Je vous refile son identité au cas où il passerait près de chez vous, Eddie guitare rythmique et vocal chez les Ol' Bry. Un petit moment que j'entends parler d'eux et que je cherche à les voir un de ces week ends...

 

 

AU NOM DE LA LOI

 

 

La suite est un peu décevante. Point de baston de meufs qui se griffent le visage pour l'amour d'un beau gosse. Même pas deux rockers en train de s'enfoncer dans le dos leur cran d'arrêt rouillé. Aucune course poursuite en Harley-Davidson en se canardant au fusil à pompe... Non, ça papote tranquille devant le café. Ca tire un peu, mais uniquement sur les cigarettes et personne ne laisse tomber son mégot sur le trottoir en signe de rébellion. Sur ma gauche l'on échange des numéros de téléphone et sur ma droite l'on parle des enfants. Il n'est même pas minuit et le concert est terminé.

 

 

Coups de frein et gyrophares bleutés. The world turned blue comme chante Gene Vincent. L'on ne compte plus les uniformes. Prévenante et soucieuse du bien-être de ses concitoyens la police viendrait-elle nous évacuer pour cause de fin du monde avancée de quelques jours au dernier moment ? Non la voici qui s'engouffre à l'intérieur du bar ( où une tablée de trois dangereux terroristes sont en train de boire un chocolat chaud ). Dehors ils nous regardent d'un air méchant... comme personne ne fait attention à eux, ils se sentent obligés de ranger leur matraque. Mais les voici qui ressortent avec la patron. Evidemment cet individu est très dangereux. Il est tatoué. Et armé. D'une autorisation de la mairie, signée en bonne et due forme pour un concert jusqu'à une heure du matin.

 

 

Oui mais un voisin aurait téléphoné, empêché de dormir qu'il aurait été par les stridences des guitares. Au bout d'une demi-heure la caravane des chasseurs de tête s'en va. Obligée de constater qu'au seuil du troquet l'ambiance initiale avait peu de chance de tourner à l'émeute de rue. L'affaire n'est pas terminée. Il y aura un rapport écrit. Peut-être une contravention. La justice tranchera. Dans le vif. Force doit demeurer à la loi.

 

 

En attendant la révolution. ( Certains mauvais esprits la prétendent plus certaine que la fin du monde du calendrier maya. ) Souhaitons qu'avec un peu de chance elle soit rock'n'roll !

 

 

Damie Chad.

 

 

GENE VINCENT

 

THERE'S ONE IN EVERY TOWN

 

 

MICK FARREN

 

 

( Camion Blanc / 138 pp / Novembre 2012 )

 

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Pas d'affolement dans la cambuse, l'on ne vous fait pas le plan de vous refiler un vieil article déjà donné dans notre vingt-septième livraison du 18 / 11 / 10. Me disais, pas plus tard que la semaine dernière, qu'il y avait longtemps que je n'avais pas parlé de Gene Vincent et que cela me manquait. Sur cette déprimante pensée je me décidais à rejoindre les bras de Morphée, lorsque pris d'une inspiration subite je décidai de regarder par acquis de conscience les nouveautés de Camion Blanc. Bingo ! Intuition de rocker, There's One In Every Town de Mick Farren, enfin disponible en version française. J'avais déjà chroniqué l'english book, mais cette version in french style due à Patrick Cazengler est tellement plus facile d'accès !

 

 

MICK FARREN

 

 

Pourrais pas vous raconter grand chose sur Patrick Cazengler sinon qu'il a traduit plusieurs livres pour Camion blanc et fait paraître chez ce même éditeur le recueil Cent Contes Rock que je n'ai point lus mais qui me semble exiger moultes connaissances littéraires. Comme par hasard sa version du livre de Mick Farren nous paraît des plus fidèles et des mieux venues. N'y a que le titre pour lequel il aurait pu faire un effort supplémentaire.

 

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Serai plus disert sur Mick Farren. C'est ce que l'on pourrait appeler un dangereux activiste rock. Doublement dangereux car à la pratique il a ajouté la théorie. L'a des idées résolument rock, ne donne pas dans la pop. Il trace des généalogies encombrantes qui culbutent les notions de frontière et de genre. En plus il sait de quoi il parle. A rédigé une vingtaine de bouquins mais est aussi un musicien.

 

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Une trajectoire d'autant plus étincelante que restée dans l'ombre pour nous pauvres petits français. Fit partie de l'équipe rédactrice d'International Times, le journal underground d'avant-garde beaucoup plus connu sous ses simples initiales, IT. Le lecteur se rapportera à notre 96 ° Livraison du 03 / 05 / 2011 sur l'Histoire de l'Underground londonien de Barry Miles pour en savoir plus sur cette singulière aventure éditoriale. IT ne fut pas seulement un magazine, plutôt une officine d'agitation culturelle qui organisa notamment des concerts psychédélics dont la nouveauté radicale bouleversa par ricochets la conscience de centaines de milliers de jeunes occidentaux.

 

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Né en 1943 Mik Farren qui fut un des fers de lance de ces manifestations ne tarda pas à monter dès 1967 son propre groupe : the Deviants. Un groupe expérimental peu connu en notre hexagone mais dont les Pink Fairies et Hawkwind et par-delà ce dernier Motorhead furent en quelque sorte les descendants. Les Deviants furent un groupe hybride : selon les morceaux l'on peut y retrouver les pires errements d'une époque qui vit aussi bien fleurir le Between the Buttons des Stones que surgir la noirceur singulière de Monster de Steppenwolf. Un groupe déviant par rapport à lui-même et à son propre projet pourrait-on dire. Au bout de trois albums Mick Farren stoppera l'expérience des Deviants quitte à la reprendre sous d'autres formes à de longs intervalles. Comme il n'y a pas de hasard dans l'histoire du rock'n'roll, nous prélèverons cette rencontre en 1987 entre Mick Farren et Wayne Kramer le guitariste de MC 5.

 

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Avec Wayne Kramer nous touchons à ce rock de rébellion qui s'auto-instrumentalise en tant que prise de conscience politique. Dés les premiers numéros de IT Mik Farren tentera de susciter en Grande-Bretagne l'apparition du White Panther Party qui fut une émanation du MC 5. Au début des années 70 Mike Farren aura l'intuition que rien ne laissait présager d'une proximale éclosion d'un rock plus brutal et plus intransigeant qu'il habille déjà du mot punk. Et tout cela à partir d'une réflexion approfondie sur la naissance du rock'n'roll aux Etats-Unis. Son essai sur Gene Vincent – tout comme ses livres sur Elvis – paru en 1978 s'inscrit dans cette démarche d'une passation du flambeau de la révolte de la jeunesse entre la première génération des pionniers et la troisième celle du no future punk.

 

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Fidèle à ses idées, Mick Farren s'imposera trente ans d'auto-exil à New York et aux Etats-Unis, refusant de vivre dans l'Angleterre tatchérienne et ultra-libérale...

 

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THERE'S ONE

 

 

Lorsque l'on a enlevé la discographie et le poème sur la mort de Gene Vincent, l'on se retrouve avec un texte qui n'excède pas les cent pages. Certes Vincent est mort à trente-six ans mais après une existence si pleine que l'on pourrait quadrupler sans peine la mise de départ. Mais Mick Farren ne vise aucunement à l'exhaustivité. Cherche à décrire au plus près la courbe d'une trajectoire et peut-être plus encore le retentissement de cette vie menée à cent à l'heure sans rail de sécurité.

 

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Y réussit parfaitement. Le livre s'ouvre sur sa propre expérience initiatique : en 1961, Mik Farren assiste à un concert de Gene Vincent. Déflagration totale. N'importe quel imbécile peut vivre un événement extraordinaire sans s'en rendre compte. C'est d'ailleurs pour cela que la plupart des êtres humains resteront tout leur vécu cantonnés dans leur native imbécillité - étymologiquement parlant leur faiblesse débilitante - incapables qu'ils sont de s'apercevoir qu'ils se devraient de s'approprier la volonté d'héroïser leur existence. Farren possède cette chance de comprendre qu'il traverse un élément fondateur de sa propre vie, toute son existence à venir consistera chaque jour qu'il vivra à ré-insuffler du sens dans le non-sens chaotique de cette scène primitive. Les choses ne sont que ce que nous en faisons. Mais en agissant ainsi nous oeuvrons avant tout à nos propres métamorphoses.

 

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Un. Un seul. Dès l'adolescence la vie de Gene ressemble à celle de ces êtres qui encore loin d'avoir atteint leur équilibre naturel sont contraints de se fuir eux-mêmes pour échapper à leurs manquements existentiels essentiels. Lot habituel de nombreux adolescents issus des classes défavorisées sans arrêt en partance vers des rêves de rattrapage social...

 

 

Gene est un poisseux. Un gars qui ne maîtrise aucune des règles du jeu social. Suffit qu'il tende la main vers un des plus simples objets manufacturés à sa portée – une Triumph par exemple - pour que la situation s'envenime et devienne comme par malédiction atrocement compliquée. Voire complexe. C'est sur son lit d'hôpital qu'il décide de devenir chanteur. Comme il ne peut pas faire comme tout le monde, il réussira au-delà de toute attente. Mais il est déjà trop tard. L'aurait mieux fait de stipuler une place de garde-barrières dans un bled perdu. Une sinécure de tout repos. Non, veut se la jouer à la Elvis qu'il a eu le bonheur d'admirer sur scène. Avec une jambe à l'os brisé soutenue par une atèle en fer, c'est un peu plus difficile que la moyenne nationale. Injustice du sort qui ne relève pas de sa faute. Une femme qui a brûlé un feu rouge. C'est surtout sa jambe qui ne cessera plus jamais de brûler. Les médecins lui conseillent l'amputation. Mais c'est chanteur qu'il veut être, pas pirate. Un entêté, un dur. Un cabour qui n'en fait qu'à sa tête, qu'à sa jambe.

 

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La traînera sur toutes les plateaux du monde. Plus les dégâts collatéraux : médicaments, alcool, amphétamines. En tirera un jeu de scène fantastique. Une dramaturgie imparable. Le gamin qui ne lit que des bandes dessinées de qualité très médiocre met au point une performance artistique de haut niveau. Chorégraphe de la douleur.

 

 

ROCKY ROAD BLUES

 

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L'associal de service est devenu un héros. Qui n'a renié aucun de ses défauts. Mais il a trouvé son dérivatif : la route. Une vie de rock'n'roll star. Un seul problème : il ne sera la star que d'un seul succès. Capitol sera incapable de gérer la carrière du fauve qu'elle a lâché dans la nature. Dès que les évènements deviendront incontrôlables Sam Philips refilera le bébé Elvis a RCA. Plus sensitif Presley a déjà eu le réflexe de s'attacher au premier garde-fou qui passe, Parker, faux colonel de son état, mais le petit gars de Tupelo avait compris que la situation était tellement grave qu'elle méritait l'intervention de l'armée.

 

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Gene ne rencontrera que des amateurs, son impresario de départ Sheriff Tex Davies réalisera au plus vite ses actifs dès qu'il comprendra que l'ancien matelot Vincent a mis le cap sur les quarantièmes rugissants. L'on est toujours trahi par les siens. Très vite les musiciens mettront les voiles pour le mouillage pépère de la maison. C'est que les tournées sont épuisantes, des milliers de kilomètres, aucune équipe de préparation et d'accueil à l'arrivée, personne pour prendre en charge les musicos après les concerts. C'est le do it yourself américain dans toute sa splendeur, si tu as faim tu vas t'acheter un sandwich à la station service du coin.

 

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Gene aurait pu se contenter de faire comme tout le monde, s'intégrer dans une cordée de quinze artistes et bazarder Be Bop A Lula et deux ou trois autres pépites sur sa rythmique, plus ou moins accompagné par l'orchestre de la tournée, voire local. Ne voit pas le truc comme cela. C'est Gene Vincent and the Blue Caps, tradition directement issue des groupes country mais appliquée à l'échelle d'un continent.

 

 

Ses prestations relèvent de l'action commando. Faut que les gamins en ressortent marqués. Ne peut pas compter comme les groupes actuels sur la troupe supplétive des symphonies de projecteurs organisés en super light-shows ou des effets pyrotechniques dernier cri, simplement l'impact électrique des instruments et la théâtralisation expressionniste du jeu des acteurs sur scène.

 

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Dès la seconde mouture des Blue Caps ce sera l'apparition des clapper boys. Véritable dramatisation des choeurs. Le soliste devient le coryphée d'une mini-représentation mimétique qui touche à l'essence du théâtre grec. Instinctivement Gene retrouve les ressorts de la fable antique, le héros enfermé dans l'incomplétude de son triste état d'homme qui s'affronte à la fatale grandeur inaccessible des Dieux.

 

 

Gene ne possède aucun des codes culturels qui lui permettrait de comprendre les ressorts intimes de sa tragédie. Plus tard en Angleterre Jack Good lui fera endosser le costume de Richard III. Toute sa vie il ignorera qu'il incarne le rôle shakespearien du personnage d'Hamlet même s'il a tout de suite compris que son intransigeance d'adolescent enkysté dans le rock'n'roll ne pouvait mener qu'à la mort. Pour seul partage il recevra la monnaie de la pièce qu'il interprète sans aucune distanciation. L'obole du trépas que l'on vous fourre dans la bouche pour vous empêcher de parler ou d'entonner à tout jamais le chant du cygne post-mortem de l'autre côté du miroir que vous avez cassé sans vous rendre compte que votre image n'était que le reflet d'une réalité vitale insaisissable. Car la vie coule de nos mains comme le sang d'une blessure purulente.

 

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Une des subtilités de Farren est de piger que si Elvis et ses suiveurs descendent de Dean Martin – il s'agit de gérer une carrière – tout en se ménageant une digue protectrice, un Graceland, un nid douillet dont les portes refermées vous isolent de la folie du monde - Vincent procède d'une autre généalogie, moins citadine, plus rurale c'est-à-dire moins artificieuse. Celle de Hank Williams et par-delà lui, la figure de Robert Johnson. Le premier morceau enregistré par Gene se nomme emblématiquement Race with the Devil. Johnson, Williams, Vincent, une même particularité les réunit, mettriez pas un feuillet de cigarette entre leur personnage et leur vie. Vivent sans armures. Res privata et res publica sont indissociablement liées.

 

 

Reconnaissons que pour Elvis la pression sera si forte que la fiction de l'intimité volera vite en éclats et que le roi se retrouvera très vite nu... Mais la tragédie engoncée dans le strass des paillettes et des limousines tournera au pathétique. Il y a du grotesque dans la fin d'Elvis et ceux qui ne l'aiment pas croiront le dénigrer en le traitant de burlesque. Oublient simplement que le blues naît dans la farce des minstrels. Terrible retour aux origines pour ce petit blanc qui chantait comme un noir.

 

 

Pour Gene l'on ne mélangera pas les genres, l'on restera dans l'horrible.

 

 

EUROPEAN TOUR

 

 

L'industrie du showbizz et les autorités gouvernementales parviendront à briser la première vague du rock'n'roll. Prennent le taureau par les cornes mais pas de front. Bottent en touche. Refilent le bébé à l'Europe. Additif au plan Marshall non prévu au départ. Mais tous les coups fourrés sont permis pour retarder le redressement de vos plus chers amis.

 

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Gene est totalement grillé aux USA. Fini, usé, has been. Débarque en Angleterre ( et en France ) dès 1959. Il est perçu comme une légende vivante. C'est avec lui que le public comprend pour la première fois que le rock'n'roll n'est pas une simple musique d'agrément. Il contient en germe l'idée qu'il est avant tout un art de vivre, autrement. En rupture avec l'idéologie sécuritaire dominante. Très vite le rock'n'roll s'insère dans un back ground anarchisant typiquement européen. En France où cette composante basique du mouvement ouvrier affleure toujours à la surface des contestations systémiques, la figure de Gene est magnifiée. Les Américains engourdis par le rêve de la société de consommation mercantile attendront quatre ou cinq ans de plus pour que la jeunesse réalise la portée révolutionnaire du rock'n'roll.

 

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Inutile de rêver non plus. Tous les adeptes des musiques populaires américaines ne sont pas des gauchistes. Ces mouvements sont même traversés par des courants d'extrême-droite d'origine populiste encouragé en sous-main et de plus en plus idéologiquement par les autorités politiques. Le country de par son implantation géographique très localisée flirte avec les miasmes d'un patriotisme exacerbé. Dans les milieux populaires de basse extraction sociale et petite-bourgeoise l'on tourne plus facilement sa colère vers le voisin – noir, arabe, jamaïcain ou pakistanais - embauché dans la même galère que soi - que vers les patrons qui vivent à mille lieues de votre lieu de travail... En France beaucoup d'amateurs de musique fifties ou teddies envisage le rockabilly comme une musique essentiellement blanche. Alors qu'elle a, en ses origines, pris le meilleur à des mamelles noires qu'elle a tétées fort goulûment. Très sensibles aux conditions de survie économique difficiles que très souvent la vie leur ménage, ils s'enferment dans une idéologie de ressentiment qui les isole, et les console, tout en les maintenant dans leur enfermement social.

 

 

GENE AND EDDIE

 

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La mort d'Eddie fut une catastrophe affective pour Gene. Mik Farren essaie d'analyser ses conséquences sur la carrière discographique de Vincent. Malgré les premiers succès engrangés en Angleterre le moral de Gene ne s'améliore guère. Trop de fatigue qui se traduit par une augmentation des douleurs de sa jambe. La dépendance à l'alcool devient tragique. Ses effets ont le don de dynamiser le côté versatile de son caractère tout en en accentuant les tendances paranoïaques. Gene est difficile à vivre. Les musiciens et les témoins directs évoquent souvent une personnalité à double face, schizophrénique.

 

 

Les contrariétés financières s'accumulent. Le fisc – le malheureux n'a pas eu la prescience de s'attacher dès le début de sa carrière un simple conseiller fiscal - ne le lâche pas, les pensions de divorce tombent à rythme soutenu, l'argent passe entre ses mains mais il est incapable de le retenir et de l'accumuler. Ce sentiment d'être toujours sur le fil du rasoir accentue son instabilité naturelle et le rend violent. La possession d'armes lui donne une sensation de puissance qui lui permet d'éloigner de lui les affres d'une précarité sociale de plus en plus intense. Mais l'inquiétante et menaçante manipulation de revolvers chargés ou de poignards effilés par un individu en crise n'incite guère aux plus cordiales amitiés.

 

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La présence d'Eddie aurait été tutélaire. Vincent est avant tout un interprète, Eddie était un créateur. A eux d'eux ils étaient une formidable machine de guerre. Gene était capable d'entraîner Eddie dans toutes les outrances, mais Eddie avait une autre carrière à ménager. Beau gosse il visait aussi une carrière cinématographique. Face rock et face bizness. Eddie aurait-il eu la force de laisser coexister en lui son versant rugueux à la Vincent et la pente arrondie à la Presley ? Un coup pour les initiés, un coup pour le grand public. Peut-être aurait-il réussi cet impossible pari car il était profondément plus intéressé par la musique que par l'argent qu'il considérait davantage comme une prime au talent que comme un but ou une preuve en soi.

 

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Niveau discographique la période anglaise de Vincent est à reconsidérer. Il y manque une direction. L'on ne sait trop où il veut aller. Le savait-il lui-même ? Il est à craindre que Gene n'ait pas eu le temps d'y réfléchir. Les séances sont rares et espacées. Elles sentent l'improvisation et semblent soumise à l'impulsion du moment. Avec Eddie à ses côtés, les deux amis auraient construit un répertoire et n'auraient pas cédé aux exigences des producteurs. Je serais prêt à parier qu'après la disparition d'Eddie Gene a volontairement – d'une manière plus ou moins consciente – voulu se démarquer de ce qu'il aurait pu mettre en boîte avec Eddie. Au mieux il retourne vers ce qu'il sait déjà faire avec malheureusement des musiciens moins géniaux que les Blue Caps ce qui nous donne des titres comme le King of Fools ou Goin' home.

 

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Sinon Gene me semble, avec des titres comme Temptation Baby, regarder vers les derniers enregistrements de Buddy Holly. Plus pop, très près de ce que les Beatles feront plus tard de cette influence hollienne dans Revolver par exemple et, que lâchant définitivement les amarres, ils déclineront jusqu'au bout jusqu'à la neuvième révolution de Sergent Pepper. Mais Gene n'est plus le maître de ses enregistrement studio, et reste trop imprégné de ses influences country pour donner une nouvelle direction rock à ses enregistrements. C'est de retour aux USA, après plusieurs mois de repos qu'il synthétisera dans Bird Doggin' la mouture idéale du rock anglais, mais il est déjà trop tard. Les Spencer Davis Group, les Them, les Yardbirds se sont entre temps débrouillés tout seuls comme des grands en puisant dans d'autres modèles.

 

 

1967-1971

 

 

Les dernières années de Gene Vincent sont suicidaires. Tout le monde ne lui tourne pas le dos. Mais les maladresses, les déboires et les ratés vont s'accumuler. Les tournées françaises organisées par des fans souffrent d'amateurisme. Ce n'est pas une critique, c'est un constat. Ont fait avec leurs moyens, qui n'étaient pas gros. Il faut aussi rappeler que le public qui est en train de découvrir le rock est particulièrement ignare et ne professe aucun enthousiasme pour les pionniers dont il ignore très souvent jusqu'à l'existence.

 

 

L'on peut aussi se demander ce que sont devenus les cohortes tapageuses des années soixante. Ont disparu dans leur ensemble. Le public s'est évaporé. Reniement ou engluement dans les tourments de la soucieuse vie d'adulte : la femme, les gosses, le turbin, et peut-être pire encore le tiercé et le programme télé... L'en est sans doute de même en Angleterre, quant aux Etats Unis, il vaut mieux ne pas en parler. Seuls quelques professionnels se souviennent de Gene.

 

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Ce qui lui permettra toutefois de rebondir. Après les 45 tours Challenge ce sera le I'm back and proud chez Dandelion en 69. Le disque aurait pu être meilleur, Todd Rundgren le producteur bouscule un peu trop Gene qui aurait voulu davantage de temps et de calme. Pour le coup il aura arrêté de boire, preuve que son immuno-dépendance était aussi d'ordre psychologique. Toutefois et les fans de Gene et le milieu pro américain bouderont ce disque. Aujourd'hui il n'est pas rare de lire dans les revues spécialisées les repentances et les mea culpa de bien d'amateurs qui regrettent d'être passés à côté de la plaque à l'époque. Le trente-trois est rudement bon. Très différent de tout ce que Gene avait jusqu'à lors enregistré mais traduisant une savante connaissance intuitive de toute la musique populaire américaine, du country, blues, folk étroitement emmêlés. Me suis toujours demandé pourquoi les admirateurs du grand Dylan de la première heure n'ont jamais daigné prêter une seule oreille à cette merveille. Rock'n'roll Highway Revisited.

 

 

Mick Farren reverra Gene en Angleterre. Au mieux de sa forme, lorsqu'il tourne The Rock'n'roll Singer pour la BBC avec un splendide concert au London Palladium dont les images seront écartées au montage final. Tout comme l'on ne verra pas la séquence dans le film du festival de Toronto 1969 où John Lenon le rejoint sur scène sur Be Bop a Lula. Près de la fin, la voix brisée, poursuivi par les huissiers contraints de fuir l'Angleterre sur une dernière mise en demeure...

 

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Une fin de partie hallucinante, qui n'a encore tenté aucun cinéaste, Gene seul dans sa maison désertée qui boit plus que de raison à s'en faire péter son ulcère. Et la mort rapide qui survient. Plus l'enterrement pitoyable qui tient autant de la cour du miracle que des dérives sectaires d'une Amérique profondément malade.

 

 

IN EVERY TOWN

 

 

Farren est très réservé sur les deux derniers trente-trois tours de Vincent. Les soumet à une écoute trop rapide, et les écoute par rapport à ce qu'il veut exposer. Ne s'inscrivent pas dans cette perspective farrénique. Le If You could see me today et le The Day the World Turned Blue sont des disques de blues. S'attarder à leur apparence country est une erreur. C'est du blues, mais du blues d'après le blues, quand il ne reste plus qu'une indicible tristesse et la voix pour pleurer. Faut oser le dire mais peu de chanteurs noirs de blues sont parvenus à atteindre à une telle déréliction. Contient tout ce dont vous devez vous méfiez et ne jamais accepter de laisser s'installer dans votre vie : de la colère remâchée et recuite si souvent qu'il ne reste plus au fond de la casserole qu'une écume blanchâtre d'une aigreur insoutenable, de l'ironie retournée contre soi-même, auto-destructrice et auto-mutilante tel un scalpel que l'on s'enfonce entre les cotes pour vérifier si votre coeur n'a pas disparu, et ce savoir ancestral de celui qui a tout vu du monde, tout su de l'homme et jamais rien compris de lui-même.

 

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S'il y a un no future quelque part dans l'oeuvre et dans la biographie de Gene Vincent c'est bien en ces deux ultimes albums crépusculaires qui nous annonce que le nom du dieu qui est mort s'appelait rock'n'roll. Il est étrange que Farren n'ait pas ressenti cela. Mais cela s'explique par ses intentions. Cette bio de Gene est écrit en pleine crise insurrectionnelle. Tout semble à nouveau possible. Le punk est en train de dévaster la planète, il semble que le rock'n'roll est en train de renaître de ses cendres et qu'une nouvelle aire soit en train de s'ouvrir.

 

 

Le phénix du punk se brûlera à ses propres cendres. Le pyromane n'est pas plus tôt né que l'institution ordonnera aux pompiers du show bizness de l'éteindre. Ne durera pas plus que la première éclosion du rock américain. Comme quoi l'Histoire a beau se répéter ses leçons ne sont guère transmissibles. Il n'est de pire cancres que les mauvais élèves du rock'n'roll. Farren en sera si dépité qu'il pliera bagage pour la grande Amérique. Y restera trente ans. A mis du temps pour évaluer à leur juste capacité de nuisance les méfaits de la plus grande démocratie du monde ! Faut avouer qu'avec la mondialisation triomphatrice tout se ressemble de plus en plus. Egalisation par le bas ! Et puis, Où fuir ? Et quelle nuit hagarde Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ? prophétisait déjà plus d'un siècle avant lui, le poëte Stéphane Mallarmé...

 

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Mais il ne faut pas désespérer la jeunesse du monde. Mick Farren n'élude aucun des aspects négatifs de son héros. N'est pas dupe du personnage. Mais il le décrit à la manière de Caractères des Hommes Illustres de Plutarque. L'en dresse un portrait emblématique. Et même si les traits de la vie de Gene peuvent déplaire ou froisser les âmes sensibles, il le statufie et le donne en exemple aux jeunes générations. N'insiste guère sur l'oeuvre elle-même. Tout le monde est assez grand pour se procurer les disques. Pour les moins débrouillards il joint une discographie de vingt pages en fin de volume. Aujourd'hui il vous aurait renvoyé sur le net. Les enregistrements de Gene parlent pour lui. Certes tout le monde n'est pas capable de les entendre, mais alors il ne faut s'en prendre qu'à soi-même.

 

 

Ceci entendu, le legs incontournable et fondateur du rock'n'roll admis, Mick Farren s'occupe avant tout de l'homme qu'il fut. Pas très recommandable si l'on se place selon les canons de la morale petite-bourgeoise étriquée. Remarquons entre parenthèse que la morale est toujours petite. N'avait pas que des qualités. Et n'avait surtout pas la seule qui puisse se reconnaître objectivement en tant que qualité. La maîtrise de soi. Car rien ne sert d'être méchant ou d'être gentil si l'on n'a pas la maîtrise de devenir l'exacte déflagration de méchanceté ou de gentillesse que l'on veut être.

 

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Gene a contourné le problème. Lui qui s'est fait manger la moitié de sa vie par les aléas du métier et les profiteurs de toutes sortes, n'avait pas choisi d'être méchant. Ou gentil. Avait misé sa volonté sur une qualité situé en dehors des affectives volitions humaines. Gene s'est contenté d'être rock'n'roll. He's the greatest pretender par excellence. Ce genre de prétention, naïve, puérile, adolescente, n'entre pas dans les catégories strictement humaine. C'est un peu comme si vous désiriez devenir tasse à café ou dieu de l'Olympe. Ce sont-là attributs qui ne concordent pas avec l'essence de notre nature. Ni infra-, ni sur-humain. Soyez clochard ou général mais faites-nous le plaisir de rester un être humain. Gene Vincent lui s'est accroché à son rêve, toute sa vie il n'a cherché qu' à être rock'n'roll. Et il a parfaitement réussi.

 

 

A payé le prix fort, et l'on s'est arrangé pour qu'il comprenne qu'il payait le prix fort. Mais il n'a jamais dévié.

 

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En plus même mort, pourrissant sous une pierre tombale en déliquescence, il continue à indiquer le chemin. A des milliers de jeunes révoltés qui comprennent mieux ce que signifie l'expression : être rock'n'roll.

 

 

Ce livre de Mik Faren ne vous refilera pas le blues. Attendez-vous plutôt à un choc d'adrénaline contagieuse. Indispensable. A mettre sous son oreiller, à côté du revolver.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

 

06/12/2012

KR'TNT ! ¤ 121 THE JALLIES / PUNK ROCK 1969-1978

 

KR'TNT ! ¤ 121

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

06 / 12 / 2012

 

 

THE JALLIES / PUNK 1969-1978

 

 

MONTEREAU SUR YONNE / 01 / 12 / 12

 

PUB LE BE BOP / THE JALLIES

 

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La teuf-teuf mobile rigole. Un concert à trente kilomètres, qui plus est en Seine & Marne, une paille. Le temps de dire ouf, se jouant des radars et autres pièges diaboliquement administratifs disposés au bord des routes comme cette chaussée coupée juste à l'entrée de la ville, elle nous dépose à quinze mètres du Be Bop, à nous de jouer. Le bar est loin d'être plein, sont dedans aussi nombreux que nous deux au-dehors, mais le patron qui vient nous accueillir est des plus sereins : «  Les Jallies, c'est bien ici, mais le concert commence à 10 heures ! »

 

 

Sommes rejoints par une figure connue, même s'il la cache la plupart du temps derrière son appareil photo, Jacques Fatras. Nous avons emprunté quelques unes de ces images pour illustrer notre article. En attendant que ça commence faites un tour sur son Facebook, plus de 9000 photos de concerts... tous trois, vite rejoints par Mumu et Billy, nous discutons et sirotons un café en attendant la suite des évènements...

 

 

L'on n'a pas fait gaffe mais le pub est maintenant remplie comme un oeuf d'alligator. Pas spécialement le public rock habituel, mais la jeunesse locale, joyeuse et festive... L'on ne va pas le cacher, l'on n'est pas venu poussés par un enthousiasme délirant, la vidéo du groupe ne nous a pas convaincus, mais l'appel du rock les soirs de pleine lune est toujours irrésistible. En plus c'est un groupe de filles, alors comment voudriez-vous que la légendaire courtoisie des rockers ne soit pas au-rendez-vous ?

 

 

PREMIER SET

 

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D'ailleurs les voici. Sont face à nous, la scène est un peu exiguë mais possède l'avantage insigne de rendre quasiment invisible le contrebassiste. Car c'est un groupe de filles, avec un mec. Rien n'est parfait en cette vallée de larmes et il y a toujours des privilégiés qui sont plus vernis que les autres. En plus l'on ne va même pas pouvoir faire semblant de l'ignorer car sa big mama il va la faire méchamment swinguer durant tout le show et Julien nous régalera de quelques solis pas dégueux du tout.

 

 

Mais passons aux choses sérieuses – je sais que ce mot choses est des plus mal-venues, mais j'ai déjà biffé la malheureuse expression morceaux de choix – disons des trois demoiselles qui occupent le devant de la scène. Sur notre gauche Vanessa, jupe rouge moulante, baguettes entre les doigts, ses cheveux blonds à la coupe audacieuse aussi clairs que son unique caisse, au centre la même, Céline, autant de grâce, mais la chevelure sombre coupée encore plus haut, guitare rythmique à la main. Enfin à droite Ady, Gretch rouge collée au corps comme pour souligner un décolleté propice aux rêves. Pas touche ! Très vite elles nous avertissent : These boots are made for walking and One of these days these boots are gonna walk over you. Pas bégueule pour un quart de cent mais toute la gent masculine s'abstiendra de remarques grivoises et déplacées.

 

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Pas du genre à se contenter d'être belles et à se taire. Ouvrent la bouche toutes les trois pour nous balancer une ritournelle à la Andrews Sisters qui mêle leurs timbres à ravir. D'emblée la salle est conquise. Certes les amis sont là mais la plus grande partie du public n'est pas composée d'adeptes fifties purs et durs. Elles ont un charme indéniable et elles dégagent. Pas froid aux yeux non plus. Elles osent : Adeline se lance tête baissée dans un Be Bop A Lula, une interprétation pas du tout servile, aux lyrics appuyés, qu'elle recrée de l'intérieur en l'adaptant à sa voix plus bluesy.

 

 

N'ont pas fait trois titres que déjà elles changent de rôle. Si Julien reste cantonné à sa contrebasse, nos trois nanas se livrent à un incessant ballet échangiste; et que je prends ta place, et que je m'empare du micro, et que je te refile la lead guitar, et que je sors ma strato toute blanche. Ne sont pas interchangeables, chacune a tout de même son instrument de prédilection, par exemple Vanessa plus performante sur la caisse claire mais extrêmement à l'aise sur les parties vocales.

 

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Le plus agréable c'est que l'on ne sent pas chez elle un stérile esprit de compétition. Ne cherchent pas à évincer l'autre. Ont compris que chacune apporte sa touche personnelle et que ce sont les différences qui enrichissent un groupe. Elles invitent même un copain à les rejoindre sur scène avec sa trompette. Une première intervention trop timide, trop en retrait avec mini solo trop discret mais dès sa deuxième prestation se lance presque à contrechamp dans un monologue aux ondulations mexicaines, un truc à la Willy de Ville, qui arrache des suffocations de plaisir au public qui applaudira à tout rompre.

 

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C'est que la fièvre monte salement à El paso. Le saloon grogne de mécontentement quand elles annoncent la fin du premier set. Promettent de revenir. Ont intérêt. Pas question de filer à l'anglaise. De toutes les manières l'on sent bien qu'elles n'en ont pas envie.

 

 

DEUXIEME SET

 

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Parce que vous pensez qu'il y a eu un deuxième set. Non. Erreur sur toute la ligne. Juste un long tourbillon de folie. Ce sont les Jallies les fautives. Ont débuté en balançant un Jailhouse Rock de derrière les fagots. Une grêle presleysienne qui a tout de suite élevé le débat. Ensuite c'est parti dans tous les sens. Du rock, du swing, du jump. Du Setzer, du Imelda May, du Brenda Lee, du Janis Martin, du tout ce que vous voulez jusqu'à Amy Winehouse. De l'ancien, du moderne. Mais le tout dans une ambiance indescriptible.

 

 

Charivari dans la salle. Applaudissements nourris, cris d'encouragements, faces épanouies, un de ces moments de joie où tout le monde confie son contentement au premier qui passe devant lui. Billy se lance avec une jeune parisienne dans un numéro de rock-danse des plus jouissifs. Faut voir ses mines de poisson-chat en bretelles qui minaudent les yeux fermées devant sa souris endiablées. Plus personne n'est assis. Trémoussements généralisés. Jérôme qui a rejoint les filles ne quitte plus sa trompette et feule comme un tigre en liberté dans une jungle ellingtonienne. Toujours à propos, sans pesanteur. Derrière Julios – comme elles le surnomment – s'activent sur ses cordes. Il en a perdu sa casquette.

 

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C'est fini. Un dernier petit morceau vite emballé pour la route. Croient s'en tirer comme cela. Pas question. Jusqu'à un choeur de footeux euphoriques qui les réclame à sa manière. So you wanna be a rock'n'roll star ! Faut assumer. Un rappel. Deux rappels. Pensent en être quittes avec un troisième. Mais des acharnés leur barrent le chemin et les remettent au turbin. Sont crevées. Au bout de leur répertoire. Refont Johnny got a boom boom d'Imelda. Très belle version. Mais ça ne suffit pas. Cinquième rappel. Au sixième c'est Julien qui vient sauver ses poulettes aux oeufs d'or. Si l'on continue, elles vont lui clamser entre les doigts. Nous octroie une sixième aumône mais nous avertit que ce sera la dernière. Partiront sur un dernier swing les jambes flageolantes.

 

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Sont assaillies de félicitations au bar. Ne peuvent pas avaler deux gorgées de suite sans être pressées de questions. Sourient, répondent, sans aucune marque d'impatience, heureuses d'un accueil si chaleureux. Faut dire qu'en rock et dans la vie l'on ne reçoit que ce que l'on a donné.

 

L'on discute encore dans le compartiment fumeur – dans la froidure hivernale du devant de porte...

 

 

LES JALLIES !

 

 

Bien sûr le groupe n'est pas exempt de défauts de jeunesse. N'a pas encore fait de véritables concerts devant un public de connaisseurs. Mais il est bien armé pour passer cet écueil sans encombre. Les guitares ne sont pas mis assez en avant. Le rockabilly les théâtralise toujours. Le riff toujours en avant et la passe à la rythmique tout de suite après. Mais elles proviennent d'horizons divers et ont en quelque sorte sauté dans le mystery train en marche. Mais elles possèdent l'essentiel, l'envie de progresser, la grâce et l'énergie. Et puis quel concert !

 

 

Dans la voiture l'on est contents. L'on fredonne l'hymne féministe du rock'n'roll français «  Oh les filles ! Oh les filles ! Elles nous rendent marteau ! »L'on avait déjà retenu la date du mois de janvier pour leur passage au Saint Vincent, à Saint Maximin. Sans les avoir vues. Flair de rockers.

 

Damie Chad.

 

 

PIERRE MIKAÏLOFF

 

KICK OUT THE JAMS, MOTHERFUCKERS !

 

PUNK ROCK, 1969 – 1978

 

Camion Blanc / Mai 2012

 

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Avec un tel titre référence au premier album du MC 5 j'ai cru ( mais dans la vie il ne faut pas croire, il faut savoir ) que l'on pataugerait dans les coulisses du punk américain, j'ai commandé le book sans plus attendre. A réception me suis aperçu que ça clochait. Un air de déjà vu, mais oui c'est la reprise du Dictionnaire raisonné du Punk sorti chez Scali en 2007. C'est dans la maison sous des strates de bouquins qui demanderaient de vastes explorations... très bonne idée de le rééditer, Scali a fait faillite et beaucoup de son rayon rock n'est plus disponible chez les soldeurs. Et puis j'aurais dû dresser l'oreille au nom de Pierre Mikaïloff.

 

 

PIERRE MIKAÏLOFF

 

 

Un chieur d'encre comme aurait dit Jean Lorrain. A pondu une trentaine d'ouvrages. Mais avec l'excuse de savoir de quoi il parle. Pas du tout l'intellectuel cloîtré dans sa tour d'ivoire qui vient ramener sa fraise et rajouter la cerise sur le gâteau pour voler la gloire à ceux qui se sont décarcassés à le fabriquer. A fait partie intégrante des Désaxés. En 1982. J'accorde que c'est davantage post-punk que pile en plein punk, mais le groupe a tout de même joué en première partie de Sylvain Sylvain, au Gibus. Pour une caution punk, c'est une sacrée caution. A fait aussi partie de la mouvance Metal Urbain et Stinky Toys.

 

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Avec un tel curriculum vitae il est facile de comprendre pourquoi le livre fait la part belle au punk français. N'en déduisez pas pour autant qu'il traite le punk des amerloques et des tommies par-dessus la jambe en quatrième vitesse. Plus de 450 pages d'entrées sont réservées aux artistes toutes nationalités confondues et vous qui êtes sûrs de tout savoir sur l'histoire des punks américain et anglais, vous vous apercevrez vite que vos lacunes sont nombreuses.

 

 

Pour les cinquante pages d'interviewes finales nous ne serons pas aussi élogieux. N'apportent pas grand-chose de neuf. De dix non plus d'ailleurs. Par contre l'intro du début ( mais les intros sont souvent au début ) intitulée I Can't Explain ne tient pas les promesses de son intitulé. Elle explique tout et de main de maître. Elle expose en une soixantaine de pages d'une clarté absolue les enjeux sociologiques, politiques et musicaux du mouvement punk.

 

 

UNE MUSIQUE MINORITAIRE

 

 

Facile de résumer le rock'n'roll en une ligne et demie. D'abord les pionniers, ensuite le british boom, et enfin le punk. Ne cherchez pas la suite, il n'y en a pas. Faut maintenant en rabattre. Les pionniers n'ont pas fait long feu, en trois ans ils sont renvoyés chez eux. Plein succès hégémonique pour la seconde éclosion. Mais l'on a mis un peu trop étourdiment tous les oeufs dans le même panier. A partir de 1975, c'est la décrue, lente mais inexorable. Le punk ne fut qu'un feu de paille. Un maximum de vacarmes et de fureurs mais à l'arrivée pas grand chose. Commence en 1976 et se termine en 1977. Comparée à l'ère des dinosaurocks qui s'étirent longuement, lentement, la période punk s'avère maigrelette.

 

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On a vécu le punk comme un tsunami, mais lorsque la déferlante s'est retirée il a fallu se rendre compte qu'il y a eu plus de peur que de mal. Pierre Mikaïloff y revient à plusieurs fois. Sans doute beaucoup de bruit pour rien. Soyons un peu moins shakespearien et davantage gentils, nous dirons donc : pour pas grand chose. Les journaux ne parlaient que de punk – étrangement pas tellement que cela les revues spécialisées comme Rock'n'Folk et Best, plutôt les quotidiens conservateurs et populistes, mais les foules sentimentales insensibles aux rebelles effulgences achetaient du disco.

 

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Voudrais pas vous gâter le reste de la journée mais en France l'immense majorité des jeunes ne se ruent pas sur le single Anarchy in the UK des Pistols. Les minets – c'est ainsi qu'on les surnommait ces freluquets de l'oreille sapés comme des garçons coiffeurs - se ruent sur les deux premiers 33 tours de Cerrone qui se vendront à près de vingt millions d'exemplaires in the world ! Lorsque l'on compare aux cinq cents exemplaires du premier single d'Asphalt Jungle, l'on ressent comme un petit frisson de dépit dans le dos.

 

 

Faut avouer que le disco venu des USA a trouvé une magnifique caisse de résonance dans la cervelle creuse des beaufs de notre douce France toujours un peu molle des trompes d'Eustache. Pour une fois qu'ils comprenaient comment ça marchait ils n'ont pas manqué l'occasion de se faire remarquer. Facile : plum-plum avec la basse, boum-boum avec la batterie, répétés ad libitum jusques ad nauseam. Pour égayer la chose vous enregistrez des feulements de jeunes femmes qui se caressent sauvagement la chatte, et c'est fini, n'y a plus qu'à emballer et à servir chaud.

 

 

AFTER PUNK

 

 

Concept minimaliste qui peut plaire à tout le monde. Mais que sont devenus les punks après 1977 ? Se sont mariés, ont fait des enfants. Ceux que le no future matrimonial ne tentait pas se sont pliés au goût du public. Se sont mis au dance-punk. Z'ont appliqué le fameux slogan punk Do It Yourself au disco. Que chacun se fabrique son petit disco chez soi, tranquille, à la maison. C'est ainsi que naquit la House-Music. Une bénédiction pour les labels, ça se bétonne au mètre et ça ne coûte rien à enregistrer. Suffit de programmer les boîtes à rythme.

 

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Le malheur c'est que de tels agissement ont reçu de subtiles cautions, celle de David Bowie par exemple qui tente avec Station To Station dès 1976 une OPA sur les charts rhythm'n'blues américains et qui décomplexe les musiciens blancs avec sa trilogie moderniste Low-Heroes-Lodger... sous prétexte de hype musicale l'on finit dans un simple beat métronimisé ( et même métrominimisé ) qui écrase tout sur son passage... Mais les dégâts les plus terribles auront lieu à la Tamla Motown. L'on abandonne le bon vieux rhythm and blues des familles pour de la ballade grand spectacle sophistiquée. Avec rasades de violons épicées au choix ou de stridences de guitares répétitives ou de wonderiens claviers pompeux but chics. L'instrumentation se perd dans les errements du funk pour mieux retomber dans la mélasse de la pop sucrée d'un Mickael Jackson. Mouvement de masse, à la fin des années 80, les noirs se sont coupés des racines blues de la musique. Une catastrophe dont nous ne sommes pas encore sortis. Parfois il vaut mieux rester inconscient que de prendre l'exacte mesure des dégâts.

 

 

BEFORE PUNK

 

 

1969, les Rolling Stones sont au faite de leur plénitude, viennent de sortir coup sur coup Beggar's Banquet et Let it Bleed, ils sont en train de concocter le somptueux Sticky Fingers. Led Zeppelin – les forgerons du fracas et de la fureur - s'est déjà imposé avec ses deux premiers albums éponymes. Qui oserait remettre en cause de telles suprématies ? Et surtout pourquoi et au nom de quoi ? Ce sont les années fastes et de flamboyances du rock'n'roll. Qui aurait la suffisance de douter de la suprématie des saigneurs du blues électriques ?

 

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C'est pourtant en cette haute période de rêves et de merveilles que là-bas, outre-Atlantique, les créatures cauchemardesques et démoniaques sortent des marécages et déferlent sur les villes. Le Velvet Underground a déjà braqué son projecteur livide sur la face du monde. Qui ne s'en est pas aperçu. Mais White Light White Heat, disque noir à la lumière aveuglante irradie un malaise souterrain et diffus. Le violon fou et vénéneux de John Cale et la voix duvetée et ouateuse de Lou Reed mènent la danse. Vous enseignent que l'on peut faire du rock avec n'importe quoi, au diable l'harmonie instrumentales et les timbres ambrés des barytons, ce qui compte c'est le feu de la morsure, et le poison poisseux du dard.

 

 

Le Velvet c'est aussi le monde de l'Art qui entre dans le rock'n'roll. Les bûcherons défricheurs de la première vague pionnière et prolétariennes sont supplantés par les fils de la petite-bourgeoisie convenablement éduquée. Ce sont les cancres de la classe ceux qui batifolent dans les Art Schools britanniques qui comprendront le message secret du velours noir. Malgré tout ce que vous avez pu entendre sur la sauvageonnerie des punks, n'oubliez jamais que le mouvement sera chaotiquement arty, même s'il a furieusement tiré au bazooka sur tous les canons des représentations artistiques habituellement reçues comme telles.

 

 

BACK IN THE USA

 

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1969, c'est aussi la sortie de l'album séminal Kick Out The Jams du MC 5. MC 5 c'est le blanc et le noir non pas mêlés mais associés. A deux l'on est nettement plus fort. MC 5 c'est le rock blanc des adolescents en colère plus le noir du free jazz. Pour le rock blanc je suppose que vous n'avez pas besoin de dessin ; guitares, basse, batterie à fond la caisse plus un chanteur qui s'égosille. L'originelle formation des Blue Caps de Gene Vincent mais comme l'on est moins doué question syncopes et rythmes l'on jouera très vite et très fort. Pour le jazz, ne faites pas la tête à la pensée que vous allez vous ennuyer dans des envolées technicistes hyperchiadées. Non c'est la liberté du free qui les intéresse. La remise en cause de toutes les acceptances mentales. Le Free est la bande son des ghettos qui flambent, de la radicalité d'un Malcom X, l'idée que l'on peut tout bousculer à coups de pieds et de musique. Crocktail Molotov.

 

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1969, premier Stooge. 1970, Fun House. Et tout est dit. La même chose que le MC 5, avec un son plus lourd. Moins rock'n'roll des débuts, beaucoup plus hot electricity. Référence au jazz-act ( sexuel ). Le désir que la musique ne soit plus simplement de la musique que l'on écoute mais un acte qui par son ampleur métaphysique bouscule l'ordre du monde pour en signifier la violence primale et originaire. A love suprême, comme disait Coltrane. Mais des ados qui ne pensent qu'à s'amuser. Fun House et son tapis de pourpre c'est aussi la maison du jouir. Sans entraves.

 

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Trait d'union avec le punk, les New York Dolls. Le groupe est officiellement dissous en 1977, mais dès la sortie du deuxième trente-trois, les jeux sont faits. Les Dolls sont venus trop tôt. Toutes les cartes dans leurs mains. Mais personne n'a voulu organisé la partie. Jouer aussi bien que les Dolls sera un idéal indépassable pour la plupart des groupes punks, mais la leçon des Dolls est post-musicale. Les Dolls ont essayé de se propulser d'une manière très convenue. Le bon label, le bon producteur, la bonne promotion. N'ont jamais accédé à leurs propres désidératas. Y sont pour beaucoup de leur faute. Des mecs incontrôlables qui veulent rentrer dans la boîte à cubes du show-business. Un certain McLaren qui sera leur producteur observera le manège. Il en tirera les bonnes leçons : c'est pas le show-bizz qu'il faut viser mais le show-buzz. Prévoir toujours un coup d'avance. Planifier ses propres parties. Ne jamais se coucher. Empocher toujours la mise. Le punk sera foncièrement amoral. Et immoral aussi. Tout lui est permis. Tout lui est dû.

 

 

ESTHETIQUE PUNK

 

 

Tous les condiments sont en place. Ne reste plus qu'à craquer l'allumette. Mèche courte. Pierre Mikaïloff raconte l'épopée d'une manière magistrale. London-City is burning. Paris s'enflamme à son tour. L'Amérique n'est pas en reste. Nous avons déjà abordé tout cela dans KR'TNT, le lecteur peut se rapporter à nos livraisons 31, 38, 39, 73, 87, 94.

 

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C'est un marronnier qui traîne dans les journaux. Elvis Presley aurait été le premier Punk. L'on ne prête qu'aux rois. Tout ce qu'il vous reste à faire est de vous inscrire sur la liste des prétendants au titre du dernier des punks, mais y tiendrez-vous encore après la lecture de ce paragraphe ? Cette légende presleysienne sort tout droit du livre d'Albert Goldman consacré à Elvis. Voir notre chronique 113 du 11 / 10 / 12. Ce n'est pas du tout un compliment dans la bouche de l'auteur, du genre le petit gars de Tupelo était un prophète qui possédait vingt ans d'avance sur son temps. Faisait référence à un des films les moins mauvais du King. Dans le Rock du Bagne, Elvis tient le rôle de Vince Everett qui se retrouve en prison pour meurtre. Une malheureuse bagarre qui tourne mal. Très vite il reçoit la protection de Hank son compagnon de cellule qui lui apprend à jouer de la guitare. Un peu d'étymologie s'il vous plaît : en argot américain le punk désigne le jeune prisonnier sur qui le caïd épanche sa sexualité débordante. Lourd passif à l'actif de l'idole du rock'n'roll, Albert Goldman noircit un maximum de pages sur le sujet qu'il tient nettement pour un petit trou du cul qui n'aurait jamais dû réussir.

 

 

Punk une appellation peu glorieuse. Que Pierre Mikaïloff n'oublie point de rappeler. Lorsque McLaren change l'orientation de sa boutique de fringues il délaisse sa spécialisation Teddy-boy pour passer à quelque chose de plus in, bondage sado-maso. S'il existe de nombreuses passerelles entre la rébellion-rock et la radicalité-punk, ce retournement esthétique de veste est des plus symboliques. Sado-maso. L'on imagine toujours le pire. Dans le rapport dominant-dominé l'on se met toujours du côté du plus fort. Les punks malgré leurs outrances verbales et vestimentaires et peut-être à cause de celles-ci seraient à classer du côté des victimes. Le punk est par essence masochiste.

 

 

Des fils de bonnes familles qui adoptent les us et coutumes du prolétariat. Auto-dénigrement et reniement de classe. N'y avait pas que des gosses de riches dans le mouvement punk anglais. Pour le français, nettement moins mais ceci est une autre histoire que nous aborderons une autre fois. Le cas Sid Vicious donné à lire à une assistance sociale lui arracherait des torrents larmes. Mais un pauvre qui se prélasse et parade dans ses misérables haillons – autant vestimentaires qu'intellectuels – avec la morgue d'un sénateur romain drapé dans sa toge patricienne, n'est-il pas un prisonnier stupide – stupide parce que prisonnier - qui refuse de quitter sa geôle crasseuse sous prétexte qu'il refuse d'entrer dans la cage dorée de la bourgeoisie ? Dans un cas comme dans l'autre le piège de la lutte de classes se referme sur lui. Une victime inconsciente n'est-elle pas aussi, et surtout, consentante ?

 

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Si le mouvement punk ne dura que deux minuscules années c'est aussi parce que les effets de manches trouées finissent par ennuyer les spectateurs. Facilement imitables et récupérables. Ne fallut pas longtemps à Paco Rabanne pour proposer à la gentry occidentale l'épingle à nourrice sertie de diamants. Lorsque les riches commencent à provoquer les pauvres c'est que le drapeau rouge a été recyclé en muleta et que l'heure de la mise à mort a sonné. Facile de le démontrer, suffit de recopier les deux dernières lignes de la chronologie du mouvement punk due à la signifiante plume de Pierre Mikaïloff :

 

 

1979 / Février : overdose de Sid Vicious

 

1979 / Avril : élection de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne.

 

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La messe est dite. Nous pouvons décamper. There is no future in english dreams clamait Johnny Rotten. Voulait dire que la Royauté britannique et l'ordre social injuste qu'elle représentait seraient vite balayées par la colère populaire que le punk préfigurait. S'était planté les doigts dans les deux yeux jusqu'aux épaules. C'est le rêve d'un monde meilleur qui n'avait plus d'avenir.

 

 

Le punk ne fut qu'une barricade dérisoire face au déploiement du libéralisme. La dernière. Alors respectez et évitez de vous moquez du cadavre et de glavioter sur sa tombe. Le vent mauvais qui se lève pourrait vous renvoyer votre crachat en pleine gueule.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

 

CROCKROCKDISKS

 

 

EMER HACKETT.

 

AIN'T GOT A THING / SHOTGUN BOOGIE

 

Rockabilly Queens Série : volume 2. RR 713.

 

RYDDEL'S RECORDS.

 

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Musiciens : Steve Rydell ( guitare ) / Pascal Freyche ( double bass ) / Jean-Pierre Cardot ( piano ) / Gaëtan Pétetin ( drums ) / Jean-Gatien Pasquier ( Trumpet )

 

 

L'on connaît mieux Emer Hackett sous l'appellation incontrôlée de Emer Rockett and the Giant Affair et beaucoup plus dans le sud de la France que dans le nord. Cette chanteuse venue d'Irlande vit depuis plusieurs années dans la région de Montpellier. N'a pas la réputation d'une chanteuse de rockabilly. Il semble que son groupe The Giant Affair ait longtemps regardé du côté du jazz.

 

 

Cela s'entend dès la face. Emer Hacket swingue plus qu'elle ne rocke. Attention ! Pas la peine de tirer grise mine, elle dégage un sacré punch et une belle énergie. L'a laissé l'Affaire Géante à la maison et a enregistré avec la bande à Ryddell. Se sont amusés comme des fous. Y a eu de l'émulation dans le studio, la fin du morceau avec la poursuite voix-trompette – impossible de savoir qui devance qui tellement le duo est entremêlé - est un régal. Le vieux titre de Jack Clement s'offre une cure de jouvence.

 

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Changement d'ambiance sur la face 2. une reprise de Shotgun Boogie de Tennessee Ernie Ford. Pas de trompette à la chasse à courre ce coup-ci mais un piano boogie bastringue des mieux réussis. La voix est un peu moins percutante, Emer groove plus qu'elle n'envoie. Respiration trop jazzy, pas assez nerveuse. Trop langoureuse. Davantage une ré-interprétation qu'un véritable rockab balancé dans la gueule. De la belle ouvrage tout de même en son genre.

 

 

Steve Rydell nous surprend. Sa série Rockabilly Queens égrène des parfums différents. Et nous ne sommes qu'au numéro 2 ! C'est un explorateur qui ne se contente pas des pistes tracées à l'avance. L'a su aussi se mettre à l'écoute d'Emer Hackett pour lui permettre de développer sa propre sensibilité.

 

Damie Chad.

 

THE MEGATONS.

 

WILD MAN / ROLLIN PIN MIN.

 

White Lighting Records.

 

Musiciens : Charlie : chant + guitar / Didac : lead guitar / Steph : basse / Jerry : saxophone / Dom : batterie.

 

 

Wild Man, le saxophone le claironne à la ronde dès l'intro. Reviendra plus tard battre des ailes pour assurer le pont entre les deux couplets débités à toutes allure par Charlie qui bourre le train à fond les ballons. Quand le sax se fait une nouvelle fois c'est trop tard juste le temps de deux brefs aboiements et la voix de Charlie expédie le tout sur le bas côté de la route parcourue à toute vitesse. C'est comme un tour d'auto-tamponneuse, vous êtes en plein boom que c'est déjà fini.

 

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Heureusement que ça repart à l'identique sur la face B, avec en plus des coups de freins brutaux au vibromatic. Rollin Pin Min a tout pour plaire si ce n'est un gros défaut : sa brièveté. On voudrait pas avoir l'air de mendier mais cette petite ramonée de guitare qui sert de solo l'on en aurait bien repris une deuxième fois. Un autre gros problème quand on essaie de garder la tête froide et ne pas se laisser emporter par l'ivresse de la vitesse : mais quel est donc la meilleure face ?

 

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J'ai écouté tout l'après-midi et je ne sais pas encore. Excusez-moi - profitez-en pour reluquer la pochette - mais je crois que je vais encore une fois de plus retourner la galette à la farine bis.

 

Damie Chad.

 

 

BARFLY.

 

BOOM! BOOM ! / FLYIN' IN A BAR

 

Rock'n'Roll Rhythm Records.

 

Musiciens : Charles Daumer : vocal + guitar / Gilles Daumer : Lead Guitar / Manolo Silverstone : double bass / Eric Lulu Lelet : drums.

 

Sound recording : Jull.

 

 

 

Pochette délicieusement rétro sur un papier pseudo kraft, un peu à la mode des groupes doo wop, avec les têtes démunies de leurs corps comme des bustes d'empereurs romains volants. Mais c'est une erreur d'appréciation. Nous sommes sur la frange extérieure du rockabilly. Celle de ces gosses de la petite bourgeoisie blanche qui tapaient le boeuf dans le garage ou le jardin – par beau temps et avec voisins compatissants – à la fin des années cinquante et au début des années 60. Juste pour s'éclater, rameuter les filles et s'amuser comme des petits fous. Pas des virtuoses chevronnés mais des piles survoltées d'énergie. Vous l'avez compris, les Barfly relèvent de la même esthétique que les Megatons, groupe ami. Avec un côté fifty plus prononcé.

 

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Deux compositions de Gilles Daumer, Boom ! Boom ! envoie la musique, une voix comme enroulée sur elle-même qui se fraie obstinément un chemin entre les stridences de la guitare métallisée mais ponctuant les séquences de la rythmique aveugle qui n'écoute rien, ramassée sur elle-même. Se termine trop vite. A peine a-t-on le temps d'apprécier qu'il faut repousser le bras du pick up pour reprendre son plaisir.

 

 

Tempo davantage medium pour Flyin' in a bar, un vocal plus ouvert qui culmine dans un semblant de yoddel que l'on sent chargé d'ironie. La guitare tire la couverture à elle tandis que la basse trémolise par derrière. Très américain. Avec un deuxième solo qui se termine sur la scansion rythmique du couple drums- double bass. On aurait aimé la reprise d'un troisième couplet, mais non il faudra se contenter de si peu. Vraiment bien à la réécoute. Chargé de chausse-trappes un peu partout qu'il faut prendre le temps d'écouter afin de déguster les nuances.

 

 

S'appellent les Barfly. Méchamment on pourrait traduire les à côtés de la plaque, mais ils mis en plein dans le mille. A l'intérieur de la pochette vous trouverez une carte postale à l'effigie des musicos. Une gâterie de plus.

 

Damie Chad.

 

 

 

 

29/11/2012

KR'TNT ! ¤ 120. GUIDO KENNETH MARGESSON / MEGATONS / BESSIE SMITH

 

KR'TNT ! ¤ 120

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

29 / 11 / 2012

 

 

GUIDO KENNETH MARGESSON / MEGATONS / BESSIE SMITH

 

 

BAR ST VINCENT / ST MAXIMIN / 24 / 11 / 2012

 

 

THE MEGATONS + GUIDO KENNETH MARGESSON

 

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La teuf-teuf mobile se range comme un bolide de compétition sur le trottoir du St Maximin. Rideau d'étoffe noire sur la façade. Moment de flottement, le concert aurait-il été annulé au dernier moment ? Nous sommes partis sans prendre la peine de vérifier sur www.rockarocky.com Mais non, ce n'est qu'une fausse peur. Nous savons bien que la lumière filtre entre les interstices et qu'il faut passer par l'ouverture latérale. Trois belles sirènes nous accueillent de trois charmants sourires dans l'abri précaire d'un auvent secoué par des bourrasques de vent charitablement destiné aux fumeurs irréductibles.

 

 

Moins de monde que pour notre première visite ( voir notre notre 116 ième livraison du 01 / 11 / 12 ) même si les trois salles se remplissent peu à peu. Tant pis pour les absents, ils auront raté une bonne soirée. Qu'ils se rassurent, nous avons bu et englouti de monstrueux sandwichs en leur honneur. Et aussi écouté un max de bonne musique.

 

 

LES MEGATONS

 

 

Sont pressés, sifflent leurs ballons de rouge, leurs rosettes cornichonnées et leur plateau de fromage, vitesse grand V. La scène les appelle. Petite déconvenue, n'ont pas emmené Johnny Fay avec eux. Notre pionnier est reparti aux States. L'on ne sait quand il reviendra, mais l'on espère bientôt. Ne sont toutefois pas venus tous seuls. Le jeune homme assis à leur table – davantage dévoré par le trac que dévorant son panini maison – ne peut être que Guido Kenneth Margesson, le mystérieux invité surprise annoncé sur les flyers. Mais nous en reparlerons après le premier set des Megatons.

 

 

Sont en forme. Nous débitent leur quinze titres à l'allure d'un hors-bord de compétition. En les écoutant je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre ce white rock qui constitue l'épine dorsale de leurs titres et les premiers morceaux des Ramones. Deux extrémités antithétiques du rock'n'roll, les joyeuses insouciances sixties face à la désespérance nihiliste du punk. Diamétralement opposées quant au climat certes, mais toutes deux si typiquement américaines dans leur volonté de faire soi-même, vite et bien.

 

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Le temps de barjoter dans ma tête, ils ont déjà achevé six titres dont le fameux Cindy Lou de Johnny Fay. Le white rock, ce rock primaire des adolescents du début des années 60 – d'avant les teintes bluesy qu'imposeront les Stones – déborde d'énergie. Entrée au choix, trois poum-poum-poum de batterie ou trois vlang-vlang-vlang de Danelectro, et ensuite c'est la charge de cavalerie légère. Avec l'incessant bourdonnement du saxophone de Jerry qui virevolte au-dessus de la mêlée. Véritable attaque de frelon, se mêle de tout, rebondit partout où on ne l'attend pas même si l'on est toujours dans l'espoir de l'entendre réapparaître dès qu'il cesse ses vibrionnantes menées subversives.

 

 

A peine le temps de demander d'être ravitaillé en bière et la galopade repart. Le répertoire des Megatons est peuplé de jolies filles qui se laissent facilement convaincre, les soirs d'été sur le sable encore chaud de la plage. Les jeux ne sont pas interdits et à tous les coups l'on tire le bon numéro. Rock festif, enjoué et entraînant qui ne vous laisse pas de répit. Lorsque le saxo égrennera les notes mélancoliques de Summertime, vous n'avez pas le temps de saisir votre mouchoir qu'un break de batterie pulvérise la tristesse des jours perdus en une sarabande endiablée.

 

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Cela va si vite que le set est déjà terminé. L'on en reprendrait encore et encore. Nous promettent de revenir, mais après un court entracte, ils laisseront d'abord la place à Guido Kenneth Margesson.

 

 

GUIDO KENNETH MARGESSON

 

 

Premier concert en France. Les Megatons l'ont rencontré aux Pays-Bas. Suite à sa prestation ils lui ont proposé de participer à la soirée au St Vincent. Est venu accompagné de son père. C'est que Guido Kenneth Margesson n'a que seize ans et qu'il débute dans le métier. Mais là il est seul sur scène avec sa gratte. Pas tout à fait puisque Eric et Didac sont à leurs instrus, drums et lead guitar, pour l'accompagner. Mais rien de préparé, à l'arrache, au feeling. Sans filet, pas vraiment l'idéal pour débuter.

 

 

Va s'en tirer comme un chef. Pas sur les trois premiers morceaux où sa guitare et sa voix sont couvertes par la Danelectro de Didac. Mais une fois que Jerry aura opéré les réglages nécessaires sur la console, la situation s'améliore très vite. Guido Kenneth Margesson ne se démonte pas. Belle prestance dans son costume un peu ted mâtinée d'une imperceptible touche de Cash gravité, chemise blanche, cravate rouge et symphonies de gris pour les gilets, le pantalon et le manteau par-dessus. De l'allure, et du bon goût. Idem pour le répertoire. A pioché dans les valeurs sûres. C'est un véritable festival de classiques. Cochran, Vincent, Holly, Berry, Presley... Que du bon.

 

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Le public se laisse vite prendre. L'on sent que la voix est en train de s'affirmer, que le jeu de guitare demande une plus grande tension sur les rythmiques, mais l'ensemble tient la route, le Johnny B. Goode final enfièvrera la salle. Au fur et à mesure que le set s'est déroulé, Guido a pris de l'assurance. La voix est devenue plus dure, sa frappe sur les cordes beaucoup plus précise et il indique des yeux et de la tête la structuration des morceaux aux musiciens. Sait ce qu'il veut. Il aime le rock'n'roll et cherche à se l'approprier pour apporter sa vision personnelle.

 

 

Ne devait faire que quelques titres, nous en offrira une quinzaine. Parmi eux un Say Mama des mieux envoyés et un C'mon Everybody à la guitare bondissante. Touche le coeur de beaucoup de monde. A seize ans il entreprend ce que la plupart de nous ont rêvé de faire sans jamais oser le réaliser. Just a kid. Yes, but a screamin' kid.

 

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En fin de soirée discussion informelle au bar, Mister B. lui conseille des cordes à filets plats mieux appropriés à son style. L'on évoque Billy Fury et Imelda May. Le visage de Guido Kenneth Margeron s'éclaire lorsque Mister B cite Dave Phillips, ce pionnier de la renaissance rockabilly en Angleterre à la fin des années 70, notamment avec les Blue Cats puis avec son propre groupe The Hot Rod Gang. Ses reprises de Gene Vincent font l'unanimité tant par leur fidélité que par leur modernisme. «  C'est mon oncle ! » s'écrie Guido Kenneth Margeron. Bon sang ne saurait mentir. A suivre.

 

 

( The same in english, thank you Aurélie and Thomas for helping me ! )

 

 

GUIDO KENNETH MARGESSON

 

 

 

 

First concert in France. The Megatons met him in the Nederlands. After his performance they offereded him to take part to the St Vincent's evening. He came with his father. Guido Kenneth Margesson is only sixteen and he is starting in the job. But now he's alone on stage with his guitar. Not enterely as Eric and Didac are behind him with their instruments, drums and lead guitar. Nothing 's prepared, everything 's done instinctly. They 've no safety net. Not the best to start.

 

 

Will be like a boss. Not on the first three titles as his guitar ans his voice were covered by Didac's Danelectro. But when wwww will have made all the necessary arrangements on the box, the situation improve quickly. Guido Kenneth Margesson doesn't give up.

 

 

Very handsome in his Teddy-like costume with a graveness Cash touch – white skirts, red tie and shades of grey for his jackets, his trousers and his coat on him. Good taste and class. Same goes for his song. Choser from classics. It's a real festival of then : Cochran, Vincent, Holly, Berry, Presley... Only good stuff.

 

 

The audience gets on rapidly. His voice is going harder, the guitar is increasing tensionon the rhythmivcs plans, but it is pretty good in the while, to finish with Johnny B. Goode. As the set goes on, more Guido affirms himself as the boss. His voice has now harder, his touch on the string finer and he says to the musicians what he wants with his eyes and his head for the structure of the songs.He loves rock'n'roll and he tries to give the music his personnal touch and vision.

 

 

Should have played some songs but he gave fifteens songs. Among then a version of Say Mama very well shot down and a C'mon Everybody with a hupping guitar.All the people are touched. Only sixteen years old and he does what we all dreamed of make without ever realize it. Just a kid. Yeah, but a Screamin' Kid.

 

 

 

 

Later we are speaking in the pub. Mister B says he better use fine string for his style. We speak about Billy Fury and Imelda May. Guido Kenneth Margesson smiles when Mister B speaks speaks about Dave Phillips, this pionnier of the rockabilly rebirth in England, in the late seventies, first with the Blue Cats, then with his Hot Rod Gang. His authentic and modern Gene Vincent 's interpretations are loved by all the cats. «  He's my Uncle ! » shouts Kenneth. Pure blood don't lie ! To be continued.

 

 

THE MEGATONS

 

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Revoici les Megatons. C'est reparti pour un tour. Mais encore plus pulsé. Ne vont plus pouvoir s'arrêter. Sont à fond. Savent-ils encore ce qu'ils font ? Sont sur une vague euphorique. Ils jettent leur dernier 45 tours dans le public. Mister B en reçoit un sur le coin de la figure sans avoir rien demandé. Ira le faire dédicacer à la fin du tour de chant. Mais nous n'en sommes pas encore là.

 

 

Charlie s'en donne à coeur joie. Tout le répertoire y passera, même les nouveaux morceaux en préparation. Finira tout seul, chant et micro, prêt à traverser la nuit jusqu'à cinq heures du matin. Faudra que Jerry coupe les amplis pour qu'il s'avoue vaincu. Le second set est beaucoup plus âpre que le premier. Plus appuyé, plus hargneux si l'on ose dire car le white rock ne chante que le plaisir de vivre vite tout en jouissant d'une éternelle jeunesse. Mais une volonté d'insouciance est aussi le signe de menaces voilées. Le rythme binaire du rock exprime cette dualité, ici sous-jacente. La vie est une partie de flipper. A peine l'avez-vous achevée que vous en rejouez une autre. No tilt. Only lighter bumpers. Et les parties gagnantes qui pètent à la queue leu leu.

 

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Au bar nous sommes rejoint par Eric qui parle de Johnny Fay et de la grande leçon de vie qu'il vient de leur donner, de son groupe Barfly – nous chroniquerons leur single prochainement – du rock'n'roll américain qu'il entrevoit comme une énergie et un feeling que l'on se doit de perpétuer sans trop se poser de questions. Il faut se laisser emporter par la vague, et l'enthousiasme...

 

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Pouvez ne pas être d'accord avec lui et décréter que le rock ne s'improvise pas et qu'il faut travailler chaque jour son instrument et parfaire ses connaissances théoriques tous les soirs, en tout cas nous ne pouvons nier que nous avons passé une soirée revigorante et que nous sommes prêts à remettre le couvert à la prochaine occasion.

 

 

Damie Chad.

 

 

SUR LE PAYS Où NAQUIT LE BLUES D'ALAN LOMAX

 

 

Le BLUES : une manière d'être au monde, un sentiment de l'existence, une attitude face à la douleur, à l'absurde et à l'injustice de l'organisation humaine... Le Blues un chant de libération comme celui de SPARTACUS et une tentative de ne pas succomber à la blessure... une force donc... pour rejoindre le chant de la terre... Mais les hommes d'en bas sont comme des chiens enragés et manquent le chant de la terre... Alors moi je souffle encore plus fort dans mon Harmonica....       Patrick Geffroy        Merci et vive le BLUES

 

IMPERATRICE DU BLUES

 

 

BESSIE SMITH / FLORENCE MARTIN

 

 

Collection : Mood Indigo / 1994

 

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Publié en 1994 aux Editions du Linon, disparues corps et biens, mais aujourd'hui repris avec les autres titres de la collection chez Parenthèses. Le livre avait reçu le Prix Charles Delaunay de l'Académie du Jazz. Amplement mérité. En le lisant l'on s'aperçoit que beaucoup d'autres auteurs « spécialisés » en musiques afro-américaine y ont puisé à pleines mains pour leurs propres ouvrages. Il est vrai que l'on ne vole qu'aux riches. C'est que Florence Martin jouit d'un avantage considérable par rapport à nombre de nos écrivains nationaux, professeur de littérature française au Goucher College de Baltimore elle vit et travaille aux Etats-Unis, elle a donc à sa disposition toute une documentation sans commune mesure avec ce que peuvent offrir les archives sonores et les bibliothèques de notre douce France quant à l'histoire de la musique populaire américaine.

 

 

LES ORIGINES DU BLUES

 

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Doublement intéressantes puisqu'elles sont les mêmes que celles du rock. Florence Martin examine la piste africaine. Remontées aux sources. Très peu musicologue, elle n'explore point cet entre-deux, cet entre deux temps serait-on tenté de dire, qui vit au dix-neuvième siècle s'affronter et s'accoquiner les musiques blanches et noires, pour en fin de compte engendrer et assembler de bric et de broc dans la chaleur vacante des états du Sud cet hybride poisseux que l'on nomme le blues.

 

 

Je soupçonne un tant soit peu Florence Martin d'être un chouïa féministe. N'écrit pas sur Bessie Smith par hasard. Sa stature de femme est importante pour elle. Pas tant l'aspect social du personnage qui se hisse en des conditions plus que défavorables à un niveau de reconnaissance que la plupart de ses congénères, mêmes blanches, n'atteindront jamais. Plutôt la femelle porteuse d'hormones délictueusement hystériques. La fée du logis celle qui nourrit, qui donne le sein et qui prépare la tambouille dans le chaudron familial et qui vous touille cela avec des rires de diablesses en rut et des ricanements menaçants de sorcière. Dust my broom, en quelque sorte. Car question blues vaut mieux s'en référer à Elmore James qu'à Doctor Freud.

 

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Cette femelle porte un nom, elle pratique la magie – noire puisque importée d'Afrique – c' est la prêtresse vaudou. Musique du diable affirmera Robert Johnson. Le blues est une question de pouvoir. Rentré, car les esclaves n'avaient pas trop intérêt à ouvrir leur gueule au pays d'Uncle Sam. Ce qui ne les a pas empêchés de ne jamais la fermer tout à fait. Murmures et rumeurs. Moanin' the Blues.

 

 

Ne pas traduire par gémir ou se plaindre. Mais par chercher l'autre. Le blues est un appel, et qui lance un appel exige une réponse. Celui qui pense que les blues lyrics sont emplis de répétitions qui traduisent un manque d'imagination et de vocabulaire se trompe de culture. Le blues ne répète pas, il dit et il se répond à soi-même. Incantation poétique et inspiration du souffle physique. Le corps répond à l'esprit qui l'appelle. Pas de pudeur. Aucune retenue.

 

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Mais le blues est un avertissement. A mots couverts. N'est pas pour tout le monde. C'est un signe d'alerte discret mais efficace qui renseigne sur les allées et venues du maître dans les champs de coton. En Algérie française, les colons dénonçaient le téléphone arabe. Tout ne se sait pas. Mais beaucoup se transmet. Public choisi. Faut être initié pour comprendre.

 

 

Le blues ne vient de nulle part mais il suinte de partout. Le blues se fout de nous. Il surgit de là où l'on l'attend le moins. De chez les blancs. Dans les plantations des maîtres qui s'amusent à singer leurs esclaves, leurs manières marantes de marcher, de danser, de parler, de chanter. Parodie et fascination. Ces divertissements de bonne compagnie ne peuvent durer qu'un temps. Faudrait pas se prendre au jeu des renversements de valeurs. Des groupes de chanteurs et danseurs professionnels s'empareront du créneau. Se griment le visage en noir pour faire plus vrais.

 

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Les minstrels tournent de ville en ville. Vont trouver un public inattendu, les noirs qui se reconnaissent dans de tels spectacles. Se pensent capables de faire aussi bien. Sans avoir besoin de se maquiller. Faudrait tout de même pas pousser le nègre hors des taudis. Les troupes noires auront leurs propres théâtres, leurs propres tournées. Faut pas mélanger les socquettes blanches avec les chaussettes noires. Et quand je dis propres, comprenez que les lieux sont plus sales et les salaires encore plus crades. Les noirs imitent les blancs qui parodiaient les nègres. Et bientôt les élèves dépasseront les maîtres.

 

 

En attendant tout le monde se marre bien. Car ce sont des numéros à dominance comique. Des danses osées à la Valentin le désossé, des sketches bien gras, des chansons joyeuses et un peu ( beaucoup ) salaces. De temps en temps pour donner du rythme au spectacle l'on glisse un truc plus lent et plus triste. Pour mieux se fendre la poire tout de suite après. Voilà d'où vient le blues. C'est sur un tel terreau que poussera Bessie Smith. Pas de pathos, ce n'est pas une petite fleur délicate au coeur tendre. La tristesse du blues naît d'un éclat de rire.

 

 

BESSIE SMITH

 

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Née en 1894, Bessie monte sur scène en 1915. C'est en cette même année que verra le jour Billy Holiday. Très symbolique. Aujourd'hui la gloire de Billy a éclipsé celle de Bessie. Tout un programme, le jazz a annexé le blues. Nous y reviendrons. En 1915, Bessie n'est qu'une gamine, un peu maigre, mais douée. Le succès viendra doucement mais à pas de velours. Assez vite elle est remarquée et reconnue. Dans toutes les revues auxquelles elle participe c'est elle que le bouche à oreille désigne comme l'attraction la plus forte.

 

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C'est en 1923 qu'elle entre pour la première fois en studio. Columbia ne se moque pas d'elle. Dès le début elle sera très bien payée 500 dollars par morceau, mais pas de royalties, et elle enregistrera en plus de vingt ans plus de 160 titres. Ce sont les disques qui feront de Bessie une star. Non, la star. Elle ne maîtrise pas la production mais la plupart du temps on lui choisit de très bons musicos. Notamment Louis Armstrong. Bessie sera aussi soutenue par les journaux de la presse noire. Compte-rendus de ses spectacles élogieux, très bonnes chroniques de ses 78 tours. Elle tourne beaucoup, possède même son propre wagon pour se déplacer elle et sa troupe dans le Sud et bientôt sur la côte Est. Il est vrai que ses spectacles oscillent entre cirque et opérette. Mais c'est aussi une manière de déjouer la ségrégation, après la représentation toute la troupe, plus de quarante personnes, retournent à la caravane où elle est sûre de pouvoir manger quand la plupart des restaurants ouverts la nuit refusent de servir les nègres...

 

 

BESSIE

 

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Tous les témoignages des contemporains concordent c'est une extraordinaire bête de scène. Ou plutôt une présence indiscutable. Suffit qu'elle apparaisse pour que la foule se taise. Elle subjugue, par sa voix et son charisme si particulier. Grassouillette, dodue, pas spécialement belle, plutôt petite, mais elle sait danser et capter l'auditoire. L'en fait ce qu'elle en veut. Ne joue pas à la mijaurée. Elle aime l'alcool et le sexe. Elle le dit et le proclame dans ses textes. Se produit devant des milliers de spectateurs comme dans des rent parties organisées par un particulier dans son domicile afin de récolter l'argent qui lui permettra de payer son loyer ou de simples soirées entres amis.

 

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Un formidable appétit de vivre. Se choisit un mari puis butine ailleurs. Est connue pour ses passions saphiques. Elle claque l'argent, pour ses soeurs et le restant de la famille qui lui coûte cher. Se vêt de fanfreluches, de robes en satin blanc, s'entortille dans des boas de plume, une véritable blues star. N'a peur de rien, n'a pas sa langue dans sa poche, l'on raconte qu'un soir elle s'opposera toute seule au Klu Klux Klan qui venait saboter son chapiteau...

 

 

THE VOICE

 

 

Mais tout cela n'est que de l'écorce morte. J'ai mis longtemps à comprendre ce qu'une hurleuse de blues à la Janis Joplin pouvait lui trouver pour la tenir en si haute estime. Bessie, j'écoutais trois morceaux et puis j'arrêtais, sympa mais pas bouleversant. Me suis même longtemps demandé, jusqu'à ces dernières semaines pourquoi on la classait parmi les chanteuses de blues.

 

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C'est qu'elle ne chante ni comme Big bill Bronzy, ni comme John Lee Hooker. Je ne parle pas du timbre de la voix bien sûr. En fait elle ne force jamais sa voix. Ne pousse jamais plus haut que sa première émission. Ne monte pas. Tout son art réside dans ses inflexions. Vers le bas. Jamais vertigineuses. Demande une attention soutenue. Ouvrage de précision. Un peu à la Charlie Patton mais qui lui oeuvre dans un registre si grave que tout de suite il induit une intensité dramatique insupportable. Bessie reste dans le mezzo, elle module en médium mais ignore l'attirance des cimes comme le vertige des abîmes. Cela est d'autant plus étrange que les témoignages des spectateurs concordent tous sur la puissance de son organe vocal.

 

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Avec Bessie faut descendre dans les nuances. Pas de montagnes russes. Avec en plus ce décalage avec les textes, souvent à double, voire à triple sens, coquins et émoustillants. N'en fait pas des tonnes. D'ailleurs elle chante aussi bien du blues que des succès pop de l'époque. On dirait que ça l'indiffère. Se contente de mettre son empreinte indélébile dessus. Ni trop, ni trop peu.

 

 

THE END

 

 

En 1929, elle est au sommet de son art et de sa popularité. L'on parierait que la grande dépression ne pourrait avoir qu'apporter de l'eau au moulin du blues. Jamais aux USA l'on aura versé autant de larmes. Mais sans doute est-il inutile d'en rajouter. Etre triste quand tout va plutôt bien que mal, est un luxe d'esthète. Mais lorsque la conjoncture s'aggrave personne ne s'aventure à rajouter du bleu-noir au blues ambiant.

 

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Les temps changent. Les grandes foules ont envie de rigoler et d'oublier. Otez de mes yeux cette crise que je ne veux pas voir. La nouba du jazz fait recette. Fini les quatre musicos en train de répéter à l'infini les notes bleues. L'on désire s'amuser. Faut du monde et un grand orchestre. Faut que ça swingue. Bessie et son miaulement ininterrompu de matou abandonné peut se rhabiller. L'on a besoin de plats plus toniques. Duke Ellington et consorts sont plébiscités.

 

 

Certes Bessie conserve son public, mais l'on comprend qu'il va vieillir avec elle. Renouvellement de génération, les jeunes n'écoutent pas les disques de leurs parents. C'est une loi de la nature. Bessie n'abdique pas, durant les années trente les témoins racontent que lors de ses prestations elle swingue les paroles de ses vieux blues. Essaie de se mettre au goût du jour. Il est pourtant bien connu que les gens préfèrent l'original à la copie.

 

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L'est encore jeune. Il ne lui reste plus qu'à mourir. Vu son caractère de battante et de croqueuse de blues ce doit être son dernier souci. Pas du genre à se suicider. Réussit pourtant à quitter la scène de la vie sans se renier. N'y est pour rien, mais saura soigner sa sortie. Comme sur un disque d'Eddy Mitchell. Sur la route de Memphis. Question mythologie ça nous en bouche un coin. Même Tennessee Williams n'a jamais imaginé un tel lieu mythique pour trucider un des déjantés de la vie que sont habituellement ses personnages. En voiture, elle dort à la place du mort – tout à fait normal pour ce qui va lui tomber dessus.

 

 

Chaleur moite du Sud. Les vitres sont ouvertes. Son bras pend au-dehors le long de la portière. Un camion arrêté qui déboite au mauvais moment... Bessie a le bras arraché. Elle perd énormément de sang. Elle est évanouie. Peut-être en état de coma. Elle ne réveillera pas. Meurt-elle durant son transport ou juste en arrivant à l'hôpital ? Qu'importe après tout.

 

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Une mort à la Eddie Cochran et à la Isadora Duncan étranglée par son écharpe prise dans les rayons d'une des roues de sa voiture. Sic transit gloria mundi. Morte en 1933 il faudra attendre l'an de grâce 1970 pour qu'elle ait droit à une pierre tombale gravée à son nom sur sa tombe...

 

 

Entre temps l'on aura oublié qu'elle avait été l'impératrice du blues. On essaiera de la récupérer. Pour la bonne cause en assurant qu'elle était décédée parce que l'hôpital pour white people de Memphis n'avait pas voulu la soigner... Pour une autre plus ambiguë, on l'étiquettera parmi les chanteuses de jazz...

 

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Cela peut s'expliquer : c'est à la fin des années vingt que les labels spécialisés dans le blues classic dont Bessie est la représentante la plus talentueuse se détournent de ce style dont ils pressentent la fin prochaine. Lassitude du public mais surtout ce que l'on appelle le blues rural est davantage en phase avec l'air du temps. Le crack boursier, les hobos sur la route, la misère galopante, voilà qui entre en totale harmonie avec les cordes usées des guitares fatiguées du delta. Ceux qui n'ont pas le coeur à danser sur les partitions des big bands cuivrés à la mode ne seront pas abandonnés : l'on a à leur proposer une musique qui correspond point par point à leur état d'âme, un blues rudimentaire – qui ne coûte vraiment pas cher à enregistrer – et qui ne peut que leur plaire. L'on ne vous promet pas que votre moral remontera au beau fixe avec ça, mais croyez-nous, c'est l'avenir.

 

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Ne croyaient pas ce qu'ils disaient mais pour une fois ils avaient raison. La grande perdante de tout cela, c'est Bessie Smith dont on se souvient de moins en moins qu'elle fut un des jalons essentiels de l'histoire du blues.

 

 

Damie Chad.