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29/11/2012

KR'TNT ! ¤ 120. GUIDO KENNETH MARGESSON / MEGATONS / BESSIE SMITH

 

KR'TNT ! ¤ 120

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

29 / 11 / 2012

 

 

GUIDO KENNETH MARGESSON / MEGATONS / BESSIE SMITH

 

 

BAR ST VINCENT / ST MAXIMIN / 24 / 11 / 2012

 

 

THE MEGATONS + GUIDO KENNETH MARGESSON

 

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La teuf-teuf mobile se range comme un bolide de compétition sur le trottoir du St Maximin. Rideau d'étoffe noire sur la façade. Moment de flottement, le concert aurait-il été annulé au dernier moment ? Nous sommes partis sans prendre la peine de vérifier sur www.rockarocky.com Mais non, ce n'est qu'une fausse peur. Nous savons bien que la lumière filtre entre les interstices et qu'il faut passer par l'ouverture latérale. Trois belles sirènes nous accueillent de trois charmants sourires dans l'abri précaire d'un auvent secoué par des bourrasques de vent charitablement destiné aux fumeurs irréductibles.

 

 

Moins de monde que pour notre première visite ( voir notre notre 116 ième livraison du 01 / 11 / 12 ) même si les trois salles se remplissent peu à peu. Tant pis pour les absents, ils auront raté une bonne soirée. Qu'ils se rassurent, nous avons bu et englouti de monstrueux sandwichs en leur honneur. Et aussi écouté un max de bonne musique.

 

 

LES MEGATONS

 

 

Sont pressés, sifflent leurs ballons de rouge, leurs rosettes cornichonnées et leur plateau de fromage, vitesse grand V. La scène les appelle. Petite déconvenue, n'ont pas emmené Johnny Fay avec eux. Notre pionnier est reparti aux States. L'on ne sait quand il reviendra, mais l'on espère bientôt. Ne sont toutefois pas venus tous seuls. Le jeune homme assis à leur table – davantage dévoré par le trac que dévorant son panini maison – ne peut être que Guido Kenneth Margesson, le mystérieux invité surprise annoncé sur les flyers. Mais nous en reparlerons après le premier set des Megatons.

 

 

Sont en forme. Nous débitent leur quinze titres à l'allure d'un hors-bord de compétition. En les écoutant je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre ce white rock qui constitue l'épine dorsale de leurs titres et les premiers morceaux des Ramones. Deux extrémités antithétiques du rock'n'roll, les joyeuses insouciances sixties face à la désespérance nihiliste du punk. Diamétralement opposées quant au climat certes, mais toutes deux si typiquement américaines dans leur volonté de faire soi-même, vite et bien.

 

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Le temps de barjoter dans ma tête, ils ont déjà achevé six titres dont le fameux Cindy Lou de Johnny Fay. Le white rock, ce rock primaire des adolescents du début des années 60 – d'avant les teintes bluesy qu'imposeront les Stones – déborde d'énergie. Entrée au choix, trois poum-poum-poum de batterie ou trois vlang-vlang-vlang de Danelectro, et ensuite c'est la charge de cavalerie légère. Avec l'incessant bourdonnement du saxophone de Jerry qui virevolte au-dessus de la mêlée. Véritable attaque de frelon, se mêle de tout, rebondit partout où on ne l'attend pas même si l'on est toujours dans l'espoir de l'entendre réapparaître dès qu'il cesse ses vibrionnantes menées subversives.

 

 

A peine le temps de demander d'être ravitaillé en bière et la galopade repart. Le répertoire des Megatons est peuplé de jolies filles qui se laissent facilement convaincre, les soirs d'été sur le sable encore chaud de la plage. Les jeux ne sont pas interdits et à tous les coups l'on tire le bon numéro. Rock festif, enjoué et entraînant qui ne vous laisse pas de répit. Lorsque le saxo égrennera les notes mélancoliques de Summertime, vous n'avez pas le temps de saisir votre mouchoir qu'un break de batterie pulvérise la tristesse des jours perdus en une sarabande endiablée.

 

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Cela va si vite que le set est déjà terminé. L'on en reprendrait encore et encore. Nous promettent de revenir, mais après un court entracte, ils laisseront d'abord la place à Guido Kenneth Margesson.

 

 

GUIDO KENNETH MARGESSON

 

 

Premier concert en France. Les Megatons l'ont rencontré aux Pays-Bas. Suite à sa prestation ils lui ont proposé de participer à la soirée au St Vincent. Est venu accompagné de son père. C'est que Guido Kenneth Margesson n'a que seize ans et qu'il débute dans le métier. Mais là il est seul sur scène avec sa gratte. Pas tout à fait puisque Eric et Didac sont à leurs instrus, drums et lead guitar, pour l'accompagner. Mais rien de préparé, à l'arrache, au feeling. Sans filet, pas vraiment l'idéal pour débuter.

 

 

Va s'en tirer comme un chef. Pas sur les trois premiers morceaux où sa guitare et sa voix sont couvertes par la Danelectro de Didac. Mais une fois que Jerry aura opéré les réglages nécessaires sur la console, la situation s'améliore très vite. Guido Kenneth Margesson ne se démonte pas. Belle prestance dans son costume un peu ted mâtinée d'une imperceptible touche de Cash gravité, chemise blanche, cravate rouge et symphonies de gris pour les gilets, le pantalon et le manteau par-dessus. De l'allure, et du bon goût. Idem pour le répertoire. A pioché dans les valeurs sûres. C'est un véritable festival de classiques. Cochran, Vincent, Holly, Berry, Presley... Que du bon.

 

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Le public se laisse vite prendre. L'on sent que la voix est en train de s'affirmer, que le jeu de guitare demande une plus grande tension sur les rythmiques, mais l'ensemble tient la route, le Johnny B. Goode final enfièvrera la salle. Au fur et à mesure que le set s'est déroulé, Guido a pris de l'assurance. La voix est devenue plus dure, sa frappe sur les cordes beaucoup plus précise et il indique des yeux et de la tête la structuration des morceaux aux musiciens. Sait ce qu'il veut. Il aime le rock'n'roll et cherche à se l'approprier pour apporter sa vision personnelle.

 

 

Ne devait faire que quelques titres, nous en offrira une quinzaine. Parmi eux un Say Mama des mieux envoyés et un C'mon Everybody à la guitare bondissante. Touche le coeur de beaucoup de monde. A seize ans il entreprend ce que la plupart de nous ont rêvé de faire sans jamais oser le réaliser. Just a kid. Yes, but a screamin' kid.

 

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En fin de soirée discussion informelle au bar, Mister B. lui conseille des cordes à filets plats mieux appropriés à son style. L'on évoque Billy Fury et Imelda May. Le visage de Guido Kenneth Margeron s'éclaire lorsque Mister B cite Dave Phillips, ce pionnier de la renaissance rockabilly en Angleterre à la fin des années 70, notamment avec les Blue Cats puis avec son propre groupe The Hot Rod Gang. Ses reprises de Gene Vincent font l'unanimité tant par leur fidélité que par leur modernisme. «  C'est mon oncle ! » s'écrie Guido Kenneth Margeron. Bon sang ne saurait mentir. A suivre.

 

 

( The same in english, thank you Aurélie and Thomas for helping me ! )

 

 

GUIDO KENNETH MARGESSON

 

 

 

 

First concert in France. The Megatons met him in the Nederlands. After his performance they offereded him to take part to the St Vincent's evening. He came with his father. Guido Kenneth Margesson is only sixteen and he is starting in the job. But now he's alone on stage with his guitar. Not enterely as Eric and Didac are behind him with their instruments, drums and lead guitar. Nothing 's prepared, everything 's done instinctly. They 've no safety net. Not the best to start.

 

 

Will be like a boss. Not on the first three titles as his guitar ans his voice were covered by Didac's Danelectro. But when wwww will have made all the necessary arrangements on the box, the situation improve quickly. Guido Kenneth Margesson doesn't give up.

 

 

Very handsome in his Teddy-like costume with a graveness Cash touch – white skirts, red tie and shades of grey for his jackets, his trousers and his coat on him. Good taste and class. Same goes for his song. Choser from classics. It's a real festival of then : Cochran, Vincent, Holly, Berry, Presley... Only good stuff.

 

 

The audience gets on rapidly. His voice is going harder, the guitar is increasing tensionon the rhythmivcs plans, but it is pretty good in the while, to finish with Johnny B. Goode. As the set goes on, more Guido affirms himself as the boss. His voice has now harder, his touch on the string finer and he says to the musicians what he wants with his eyes and his head for the structure of the songs.He loves rock'n'roll and he tries to give the music his personnal touch and vision.

 

 

Should have played some songs but he gave fifteens songs. Among then a version of Say Mama very well shot down and a C'mon Everybody with a hupping guitar.All the people are touched. Only sixteen years old and he does what we all dreamed of make without ever realize it. Just a kid. Yeah, but a Screamin' Kid.

 

 

 

 

Later we are speaking in the pub. Mister B says he better use fine string for his style. We speak about Billy Fury and Imelda May. Guido Kenneth Margesson smiles when Mister B speaks speaks about Dave Phillips, this pionnier of the rockabilly rebirth in England, in the late seventies, first with the Blue Cats, then with his Hot Rod Gang. His authentic and modern Gene Vincent 's interpretations are loved by all the cats. «  He's my Uncle ! » shouts Kenneth. Pure blood don't lie ! To be continued.

 

 

THE MEGATONS

 

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Revoici les Megatons. C'est reparti pour un tour. Mais encore plus pulsé. Ne vont plus pouvoir s'arrêter. Sont à fond. Savent-ils encore ce qu'ils font ? Sont sur une vague euphorique. Ils jettent leur dernier 45 tours dans le public. Mister B en reçoit un sur le coin de la figure sans avoir rien demandé. Ira le faire dédicacer à la fin du tour de chant. Mais nous n'en sommes pas encore là.

 

 

Charlie s'en donne à coeur joie. Tout le répertoire y passera, même les nouveaux morceaux en préparation. Finira tout seul, chant et micro, prêt à traverser la nuit jusqu'à cinq heures du matin. Faudra que Jerry coupe les amplis pour qu'il s'avoue vaincu. Le second set est beaucoup plus âpre que le premier. Plus appuyé, plus hargneux si l'on ose dire car le white rock ne chante que le plaisir de vivre vite tout en jouissant d'une éternelle jeunesse. Mais une volonté d'insouciance est aussi le signe de menaces voilées. Le rythme binaire du rock exprime cette dualité, ici sous-jacente. La vie est une partie de flipper. A peine l'avez-vous achevée que vous en rejouez une autre. No tilt. Only lighter bumpers. Et les parties gagnantes qui pètent à la queue leu leu.

 

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Au bar nous sommes rejoint par Eric qui parle de Johnny Fay et de la grande leçon de vie qu'il vient de leur donner, de son groupe Barfly – nous chroniquerons leur single prochainement – du rock'n'roll américain qu'il entrevoit comme une énergie et un feeling que l'on se doit de perpétuer sans trop se poser de questions. Il faut se laisser emporter par la vague, et l'enthousiasme...

 

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Pouvez ne pas être d'accord avec lui et décréter que le rock ne s'improvise pas et qu'il faut travailler chaque jour son instrument et parfaire ses connaissances théoriques tous les soirs, en tout cas nous ne pouvons nier que nous avons passé une soirée revigorante et que nous sommes prêts à remettre le couvert à la prochaine occasion.

 

 

Damie Chad.

 

 

SUR LE PAYS Où NAQUIT LE BLUES D'ALAN LOMAX

 

 

Le BLUES : une manière d'être au monde, un sentiment de l'existence, une attitude face à la douleur, à l'absurde et à l'injustice de l'organisation humaine... Le Blues un chant de libération comme celui de SPARTACUS et une tentative de ne pas succomber à la blessure... une force donc... pour rejoindre le chant de la terre... Mais les hommes d'en bas sont comme des chiens enragés et manquent le chant de la terre... Alors moi je souffle encore plus fort dans mon Harmonica....       Patrick Geffroy        Merci et vive le BLUES

 

IMPERATRICE DU BLUES

 

 

BESSIE SMITH / FLORENCE MARTIN

 

 

Collection : Mood Indigo / 1994

 

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Publié en 1994 aux Editions du Linon, disparues corps et biens, mais aujourd'hui repris avec les autres titres de la collection chez Parenthèses. Le livre avait reçu le Prix Charles Delaunay de l'Académie du Jazz. Amplement mérité. En le lisant l'on s'aperçoit que beaucoup d'autres auteurs « spécialisés » en musiques afro-américaine y ont puisé à pleines mains pour leurs propres ouvrages. Il est vrai que l'on ne vole qu'aux riches. C'est que Florence Martin jouit d'un avantage considérable par rapport à nombre de nos écrivains nationaux, professeur de littérature française au Goucher College de Baltimore elle vit et travaille aux Etats-Unis, elle a donc à sa disposition toute une documentation sans commune mesure avec ce que peuvent offrir les archives sonores et les bibliothèques de notre douce France quant à l'histoire de la musique populaire américaine.

 

 

LES ORIGINES DU BLUES

 

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Doublement intéressantes puisqu'elles sont les mêmes que celles du rock. Florence Martin examine la piste africaine. Remontées aux sources. Très peu musicologue, elle n'explore point cet entre-deux, cet entre deux temps serait-on tenté de dire, qui vit au dix-neuvième siècle s'affronter et s'accoquiner les musiques blanches et noires, pour en fin de compte engendrer et assembler de bric et de broc dans la chaleur vacante des états du Sud cet hybride poisseux que l'on nomme le blues.

 

 

Je soupçonne un tant soit peu Florence Martin d'être un chouïa féministe. N'écrit pas sur Bessie Smith par hasard. Sa stature de femme est importante pour elle. Pas tant l'aspect social du personnage qui se hisse en des conditions plus que défavorables à un niveau de reconnaissance que la plupart de ses congénères, mêmes blanches, n'atteindront jamais. Plutôt la femelle porteuse d'hormones délictueusement hystériques. La fée du logis celle qui nourrit, qui donne le sein et qui prépare la tambouille dans le chaudron familial et qui vous touille cela avec des rires de diablesses en rut et des ricanements menaçants de sorcière. Dust my broom, en quelque sorte. Car question blues vaut mieux s'en référer à Elmore James qu'à Doctor Freud.

 

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Cette femelle porte un nom, elle pratique la magie – noire puisque importée d'Afrique – c' est la prêtresse vaudou. Musique du diable affirmera Robert Johnson. Le blues est une question de pouvoir. Rentré, car les esclaves n'avaient pas trop intérêt à ouvrir leur gueule au pays d'Uncle Sam. Ce qui ne les a pas empêchés de ne jamais la fermer tout à fait. Murmures et rumeurs. Moanin' the Blues.

 

 

Ne pas traduire par gémir ou se plaindre. Mais par chercher l'autre. Le blues est un appel, et qui lance un appel exige une réponse. Celui qui pense que les blues lyrics sont emplis de répétitions qui traduisent un manque d'imagination et de vocabulaire se trompe de culture. Le blues ne répète pas, il dit et il se répond à soi-même. Incantation poétique et inspiration du souffle physique. Le corps répond à l'esprit qui l'appelle. Pas de pudeur. Aucune retenue.

 

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Mais le blues est un avertissement. A mots couverts. N'est pas pour tout le monde. C'est un signe d'alerte discret mais efficace qui renseigne sur les allées et venues du maître dans les champs de coton. En Algérie française, les colons dénonçaient le téléphone arabe. Tout ne se sait pas. Mais beaucoup se transmet. Public choisi. Faut être initié pour comprendre.

 

 

Le blues ne vient de nulle part mais il suinte de partout. Le blues se fout de nous. Il surgit de là où l'on l'attend le moins. De chez les blancs. Dans les plantations des maîtres qui s'amusent à singer leurs esclaves, leurs manières marantes de marcher, de danser, de parler, de chanter. Parodie et fascination. Ces divertissements de bonne compagnie ne peuvent durer qu'un temps. Faudrait pas se prendre au jeu des renversements de valeurs. Des groupes de chanteurs et danseurs professionnels s'empareront du créneau. Se griment le visage en noir pour faire plus vrais.

 

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Les minstrels tournent de ville en ville. Vont trouver un public inattendu, les noirs qui se reconnaissent dans de tels spectacles. Se pensent capables de faire aussi bien. Sans avoir besoin de se maquiller. Faudrait tout de même pas pousser le nègre hors des taudis. Les troupes noires auront leurs propres théâtres, leurs propres tournées. Faut pas mélanger les socquettes blanches avec les chaussettes noires. Et quand je dis propres, comprenez que les lieux sont plus sales et les salaires encore plus crades. Les noirs imitent les blancs qui parodiaient les nègres. Et bientôt les élèves dépasseront les maîtres.

 

 

En attendant tout le monde se marre bien. Car ce sont des numéros à dominance comique. Des danses osées à la Valentin le désossé, des sketches bien gras, des chansons joyeuses et un peu ( beaucoup ) salaces. De temps en temps pour donner du rythme au spectacle l'on glisse un truc plus lent et plus triste. Pour mieux se fendre la poire tout de suite après. Voilà d'où vient le blues. C'est sur un tel terreau que poussera Bessie Smith. Pas de pathos, ce n'est pas une petite fleur délicate au coeur tendre. La tristesse du blues naît d'un éclat de rire.

 

 

BESSIE SMITH

 

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Née en 1894, Bessie monte sur scène en 1915. C'est en cette même année que verra le jour Billy Holiday. Très symbolique. Aujourd'hui la gloire de Billy a éclipsé celle de Bessie. Tout un programme, le jazz a annexé le blues. Nous y reviendrons. En 1915, Bessie n'est qu'une gamine, un peu maigre, mais douée. Le succès viendra doucement mais à pas de velours. Assez vite elle est remarquée et reconnue. Dans toutes les revues auxquelles elle participe c'est elle que le bouche à oreille désigne comme l'attraction la plus forte.

 

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C'est en 1923 qu'elle entre pour la première fois en studio. Columbia ne se moque pas d'elle. Dès le début elle sera très bien payée 500 dollars par morceau, mais pas de royalties, et elle enregistrera en plus de vingt ans plus de 160 titres. Ce sont les disques qui feront de Bessie une star. Non, la star. Elle ne maîtrise pas la production mais la plupart du temps on lui choisit de très bons musicos. Notamment Louis Armstrong. Bessie sera aussi soutenue par les journaux de la presse noire. Compte-rendus de ses spectacles élogieux, très bonnes chroniques de ses 78 tours. Elle tourne beaucoup, possède même son propre wagon pour se déplacer elle et sa troupe dans le Sud et bientôt sur la côte Est. Il est vrai que ses spectacles oscillent entre cirque et opérette. Mais c'est aussi une manière de déjouer la ségrégation, après la représentation toute la troupe, plus de quarante personnes, retournent à la caravane où elle est sûre de pouvoir manger quand la plupart des restaurants ouverts la nuit refusent de servir les nègres...

 

 

BESSIE

 

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Tous les témoignages des contemporains concordent c'est une extraordinaire bête de scène. Ou plutôt une présence indiscutable. Suffit qu'elle apparaisse pour que la foule se taise. Elle subjugue, par sa voix et son charisme si particulier. Grassouillette, dodue, pas spécialement belle, plutôt petite, mais elle sait danser et capter l'auditoire. L'en fait ce qu'elle en veut. Ne joue pas à la mijaurée. Elle aime l'alcool et le sexe. Elle le dit et le proclame dans ses textes. Se produit devant des milliers de spectateurs comme dans des rent parties organisées par un particulier dans son domicile afin de récolter l'argent qui lui permettra de payer son loyer ou de simples soirées entres amis.

 

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Un formidable appétit de vivre. Se choisit un mari puis butine ailleurs. Est connue pour ses passions saphiques. Elle claque l'argent, pour ses soeurs et le restant de la famille qui lui coûte cher. Se vêt de fanfreluches, de robes en satin blanc, s'entortille dans des boas de plume, une véritable blues star. N'a peur de rien, n'a pas sa langue dans sa poche, l'on raconte qu'un soir elle s'opposera toute seule au Klu Klux Klan qui venait saboter son chapiteau...

 

 

THE VOICE

 

 

Mais tout cela n'est que de l'écorce morte. J'ai mis longtemps à comprendre ce qu'une hurleuse de blues à la Janis Joplin pouvait lui trouver pour la tenir en si haute estime. Bessie, j'écoutais trois morceaux et puis j'arrêtais, sympa mais pas bouleversant. Me suis même longtemps demandé, jusqu'à ces dernières semaines pourquoi on la classait parmi les chanteuses de blues.

 

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C'est qu'elle ne chante ni comme Big bill Bronzy, ni comme John Lee Hooker. Je ne parle pas du timbre de la voix bien sûr. En fait elle ne force jamais sa voix. Ne pousse jamais plus haut que sa première émission. Ne monte pas. Tout son art réside dans ses inflexions. Vers le bas. Jamais vertigineuses. Demande une attention soutenue. Ouvrage de précision. Un peu à la Charlie Patton mais qui lui oeuvre dans un registre si grave que tout de suite il induit une intensité dramatique insupportable. Bessie reste dans le mezzo, elle module en médium mais ignore l'attirance des cimes comme le vertige des abîmes. Cela est d'autant plus étrange que les témoignages des spectateurs concordent tous sur la puissance de son organe vocal.

 

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Avec Bessie faut descendre dans les nuances. Pas de montagnes russes. Avec en plus ce décalage avec les textes, souvent à double, voire à triple sens, coquins et émoustillants. N'en fait pas des tonnes. D'ailleurs elle chante aussi bien du blues que des succès pop de l'époque. On dirait que ça l'indiffère. Se contente de mettre son empreinte indélébile dessus. Ni trop, ni trop peu.

 

 

THE END

 

 

En 1929, elle est au sommet de son art et de sa popularité. L'on parierait que la grande dépression ne pourrait avoir qu'apporter de l'eau au moulin du blues. Jamais aux USA l'on aura versé autant de larmes. Mais sans doute est-il inutile d'en rajouter. Etre triste quand tout va plutôt bien que mal, est un luxe d'esthète. Mais lorsque la conjoncture s'aggrave personne ne s'aventure à rajouter du bleu-noir au blues ambiant.

 

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Les temps changent. Les grandes foules ont envie de rigoler et d'oublier. Otez de mes yeux cette crise que je ne veux pas voir. La nouba du jazz fait recette. Fini les quatre musicos en train de répéter à l'infini les notes bleues. L'on désire s'amuser. Faut du monde et un grand orchestre. Faut que ça swingue. Bessie et son miaulement ininterrompu de matou abandonné peut se rhabiller. L'on a besoin de plats plus toniques. Duke Ellington et consorts sont plébiscités.

 

 

Certes Bessie conserve son public, mais l'on comprend qu'il va vieillir avec elle. Renouvellement de génération, les jeunes n'écoutent pas les disques de leurs parents. C'est une loi de la nature. Bessie n'abdique pas, durant les années trente les témoins racontent que lors de ses prestations elle swingue les paroles de ses vieux blues. Essaie de se mettre au goût du jour. Il est pourtant bien connu que les gens préfèrent l'original à la copie.

 

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L'est encore jeune. Il ne lui reste plus qu'à mourir. Vu son caractère de battante et de croqueuse de blues ce doit être son dernier souci. Pas du genre à se suicider. Réussit pourtant à quitter la scène de la vie sans se renier. N'y est pour rien, mais saura soigner sa sortie. Comme sur un disque d'Eddy Mitchell. Sur la route de Memphis. Question mythologie ça nous en bouche un coin. Même Tennessee Williams n'a jamais imaginé un tel lieu mythique pour trucider un des déjantés de la vie que sont habituellement ses personnages. En voiture, elle dort à la place du mort – tout à fait normal pour ce qui va lui tomber dessus.

 

 

Chaleur moite du Sud. Les vitres sont ouvertes. Son bras pend au-dehors le long de la portière. Un camion arrêté qui déboite au mauvais moment... Bessie a le bras arraché. Elle perd énormément de sang. Elle est évanouie. Peut-être en état de coma. Elle ne réveillera pas. Meurt-elle durant son transport ou juste en arrivant à l'hôpital ? Qu'importe après tout.

 

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Une mort à la Eddie Cochran et à la Isadora Duncan étranglée par son écharpe prise dans les rayons d'une des roues de sa voiture. Sic transit gloria mundi. Morte en 1933 il faudra attendre l'an de grâce 1970 pour qu'elle ait droit à une pierre tombale gravée à son nom sur sa tombe...

 

 

Entre temps l'on aura oublié qu'elle avait été l'impératrice du blues. On essaiera de la récupérer. Pour la bonne cause en assurant qu'elle était décédée parce que l'hôpital pour white people de Memphis n'avait pas voulu la soigner... Pour une autre plus ambiguë, on l'étiquettera parmi les chanteuses de jazz...

 

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Cela peut s'expliquer : c'est à la fin des années vingt que les labels spécialisés dans le blues classic dont Bessie est la représentante la plus talentueuse se détournent de ce style dont ils pressentent la fin prochaine. Lassitude du public mais surtout ce que l'on appelle le blues rural est davantage en phase avec l'air du temps. Le crack boursier, les hobos sur la route, la misère galopante, voilà qui entre en totale harmonie avec les cordes usées des guitares fatiguées du delta. Ceux qui n'ont pas le coeur à danser sur les partitions des big bands cuivrés à la mode ne seront pas abandonnés : l'on a à leur proposer une musique qui correspond point par point à leur état d'âme, un blues rudimentaire – qui ne coûte vraiment pas cher à enregistrer – et qui ne peut que leur plaire. L'on ne vous promet pas que votre moral remontera au beau fixe avec ça, mais croyez-nous, c'est l'avenir.

 

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Ne croyaient pas ce qu'ils disaient mais pour une fois ils avaient raison. La grande perdante de tout cela, c'est Bessie Smith dont on se souvient de moins en moins qu'elle fut un des jalons essentiels de l'histoire du blues.

 

 

Damie Chad.

 

 

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