18/04/2013
KR'TNT ! ¤ 140. / JALLIES / HOWLIN JAWS / WHACKS / LESTER BANGS
KR'TNT ! ¤ 140
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
18 / 04 / 2013
JALLIES / HOWLIN JAWS / WHACKS ! / LESTER BANGS |
AUBERGE DU PRINTEMPS / GUERARD / 12 – 04 – 2013 /
THE JALLIES
Pensais que c'était un truc qui n'arrivait que dans les vieux films genre Le Prince des Vampires, vous savez cette scène d'ouverture dans laquelle le jeune et naïf héros demande à l'autochtone le chemin le plus court pour atteindre la résidence du Comte Dracula, et le pauvre paysan appuyé sur sa fourche change de couleur, passe du bleu de peur au vert de trouille, se teinte du rouge honteux de la trahison ( une séquence très difficile à jouer pour les acteurs du noir et blanc ), puis à mots couverts met notre innocent damoiseau en garde contre l'horreur indicible qui l'attend.
Suis seul dans la teuf-teuf mobile à Mourrou – une des dernières zones géographiques de la Seine & Marne non encore répertoriée dans l'Atlas Universel - et les six habitants envers qui je m'enquiers de la localisation de Guérard – les deux communes se jouxtent – pâlissent ( je le vois très bien puisqu'il fait déjà sombre ) et perdent contenance. En deux cents mètres j'ai droit à six directions différentes... Puisqu'apparemment tous les chemins mènent à Guérard je fonce droit devant au premier carrefour. La teuf-teuf cahote, il est vrai que ça ressemble à une piste saharienne, heureusement que je longe une rivière, au moins je ne mourrai pas de soif.
Je brûle, un panneau Guérard ! Je rectifie : je rentre en zone tiède parce que pour les dix carrefours suivants je ploufe, Ploum Des Biches La Saint Sabot, La Cabagnaud Ploum Bêche, je prends, ainsi en a décidé le destin aléatoire de la comptine enfantine, ce petit chemin vicinal ( goudronné en 1923 ) et, n'est-ce pas un exemple magnifique, une irréfutable preuve scientifique, du légendaire flair du rocker en quête de concert : au bout de dix kilomètres, je déboule dans la rue principale de Guérard.
Si je me lance en solitaire dans si lointaines et hasardeuses contrées, vous l'avez deviné ce n'est pas par pure charité philanthropique, je suis comme ces chevaliers de la Table Ronde à la recherche du graal, et ce soir l'insigne objet de ma passion est à portée de ma main, sis à l'Auberge du Printemps, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, j'ai nommé... les Jallies !
L'AUBERGE DU PRINTEMPS
Une seule auberge mais elle a fait mon printemps. Même que la pluie s'est arrêtée de tomber lorsque j'ai poussé la porte. J'ai la main dans la poche sur mon cran d'arrêt, avec un nom comme cela qui fleure le film de karaté l'on ne se méfie jamais assez. Je respire, derrière le bar le patron n'est pas en habit de samouraï, pas de sabre à la main mais un franc sourire sur les lèvres, l'est en train de disposer tout le long du comptoir des bols de biscuits d'apéritifs presque aussi grands que des soupières, ici l'on ne lésine pas avec le bien-être du client.
Ce n'est pas la quarantaine d'attablés sur ma gauche qui mastiquent consciencieusement leur pitance qui me contrediront. A voir leur mine réjouie et à humer les effluves qui s'échappent de la cuisine, l'on devine que c'est bon. Je reste au bar, un rocker en mission ne mange jamais, par contre le règlement n'interdit pas de boire. Dans la deuxième salle j'entraperçois Céline des Jallies qui dévore à pleines dents.
Le repas tire à sa fin, le dessert sera servi entre les deux sets, il est temps pour les Jaillies de se préparer et de revêtir leur vêture d'apparat. Elles font cela discrètement à l'abri des regards inquisiteurs. Mais ici se passe une scène délicate totalement indépendante de la volonté de votre blog-rock favori, si nous la rapportons c'est qu'elle ne sera pas sans conséquence sur le déroulé du concert. Les personnes sensibles peuvent s'abstenir de lire ce paragraphe en entier. Eloignez tout de même les enfants. Votre épouse aussi si vous la soupçonnez d'être d'humeur folâtre. Paulo a laissé tomber son pantalon. Déambule sans pudeur dans son bermuda vert pomme. Tonnerre d'applaudissements dans la salle, nous sommes en pays de connaisseurs.
Comme par hasard le bar s'est rempli. Alors que les dîneurs nous paraissent être des villageois entre deux âges, pas spécialement entichés de rock'n'roll, qui s'offrent une agréable soirée récréative mensuelle, il l'est rentré tout un public nettement plus rock, attitudes, accoutrements, conversations, tout les trahit, Séverine - c'est l'épouse ô combien charmante du patron – s'active à la pompe à bière.
THE JALLIES
Je vous avertis tout de suite, elles ont été mauvaises. Affreuses, atroces, à vomir. Je ne parle pas du concert, qui fut splendide mais de... N'anticipons pas. Les voici donc devant nous. Paulo lui essaie de se faire oublier comme il peut en se coinçant entre le mur et sa contrebasse. Et devant le trio de choc, belles, ravissantes, craquantes. A peine sont-elles sur scène que déjà elles ont conquis tous les coeurs. Vous les auriez vues que vous les auriez demandées en mariage, toutes les trois ensemble ( sinon rien ). Un bouquet de fleurs épanouies. Elles sourient et l'assistance devient euphorique.
Vous dis pas quand elles commencent à chanter. En trois mesures elles emportent le morceau. Avoueront plus tard qu'elles manquent de répétitions, ça ne s'est pas senti. Fougue et swing, à l'arrache si elles veulent, mais quelle énergie, quelle vitalité, quelle joie ! Peut-être le meilleur concert que j'ai vu d'elles, et j'en ai chroniqué beaucoup et ils étaient tous bons. C'est la magie des Jallies, elles emballent tous les publics, des hordes de bikers fous aux citoyens landa, des rockers purs et durs à l'amateur de tout autre genre de musique. Elles ont le truc, le punch qui leur permet de jeter leur griffe sur tout ce qu'elles touchent et s'approprient.
En plus elles composent. Nous ont présenté de nouveaux morceaux qu'elles sont en train d'enregistrer. Un Swing des Hanches à vous faire installer une prothèse dans les deux mois qui suivent si vous parvenez à tenir le rythme. Il y a de tout dans ces titres mais ce qui en ressort avant tout c'est un son Jaillies, une manière d'entrecroiser les voix qui n'appartient qu'à elles. Jolies minois vous mettent en émoi mais grand talent est davantage étincelant. Vocalises jazz, je ne parle pas de ces ennuyeux exercices de style perfectionnistes qui ennuient tout le monde jusqu'à l'artiste qui donne l'impression de bailler dès qu'il ouvre la bouche, mais de cette flexibilité qui vous fait monter et redescendre les étages à la vitesse d'Eddie Cochran dans Twenty Flight Rock, du halètement à l'explosion, de la compression à la libération, pas un hasard si elles ont du Gene Vincent à leur répertoire, les coups de boutoir de Gallup et les reprises rythmiques des clapper boys. Sûrement pas du rockabilly originel, mais un original swingabilly dont elles sont en train de jeter les bases.
De bleu et blanc vêtue, couleurs classiques, mais un corsage trop échancré pour un corps sage. Ady est comme la musique que j'aime, elle vient du blues, et elle y retourne dès qu'elle hurle dans le micro. Ne geint pas, ne se plaint pas, ça vient des tripes, colère rentrée d'un coup jetée et expectorée à la face du monde. Pas du tout l'esclave gémissante dans les champs de coton, mais la fureur de la guerrière libérée de ses chaînes qui assouvit sa vengeance.
Céline, ciel de sang dans sa robe amarante, beauté froide des amantes d'Edgar Poe, et braise de volcan à l'intérieur. S'amuse comme une folle avec un air de reine impassible. Intellectualise le monde pour mieux le mettre en désordre. Construit pour mieux détruire. Torche sans flamme qui allume tous les incendies. Elle détient les clés du scat qu'elle laisserait allègrement tomber dans les brisures du Dirigeable.
Vaness, l'infante ultime, lutine et mutine, sourire de miel et voix de poivre. Fragilité d'angelot et demoiselle de fer. Voix rauque de rockeuse, douceur de biche apprivoisée et aboiements de chiennes d'Hécate celles qui mènent la chasse au carrefour de Robert Johnson. Candeur enfantine et tirs de barrage à la kalashnikov dès qu'elle entonne un refrain. Vous croyez qu'elle vous fait le coup du charme, en fait elle vous assassine.
Prenez les trois, la Guerrière, la Reine et l'Infante, mélangez et vous obtenez comme dirait Baudelaire la divinité diabolique de la Femme. Et je n'exagère pas. Je le répète ce soir elles ont été mauvaises. Pas par rapport à nous, les petites enjôleuses joyeuses, nous ont comblés. Mais le Julot, il en a pris pour son grade. Des méchantes, des perverses, des tarentules. Vaness a même proposé de l'abandonner au public sitôt la prestation terminée. Aux cris d'approbation jouissive de la gent féminine de l'assistance, j'ai pensé qu'il était en futur danger d'épuisement létal... Ca n'a pas eu l'air de lui déplaire. Avec ces trois harpies sur les bras, il est devenu stoïcien Julio, supporte tout avec une égalité d'âme parfaite. Il a définitivement compris qu'avec cette redoutable trinité à ses basques, le pire est toujours certain et à venir. Joue de la basse en philosophe. Faudra un jour le décorer pour son abnégation. Tout le monde a compati. Peut-être que sa petite déambulation en tenue légère a aidé mais au final il a remporté la plus grosse ovation et pourtant les trois princesses ont été acclamées comme les premiers astronautes américains revenus de la lune et paradant dans les rues de New York.
C'est qu'elles nous ont gâtés, une soirée de rires et de rythme, avec cette complicité établie en trois minutes avec le public ravi. Vous fais pas la set-list, vous la rechercherez dans les livraisons précédentes. Ce qui compte est indescriptible, c'est l'ambiance, cette osmose entre les spectateurs et les musicos, naturelle, sans vulgarité de la part des premiers et sans compromission de la part des seconds.
FIN DE SOIREE
Faut que j'en parle dès que je suis arrivé j'ai maté la table de mixage. Aussi grosse qu'un paquebot de croisière de luxe. Avec équaliseur sur tablette informatique de poche. Facile d'avoir les détails, un groupe de copains, un combo de rock, une association Rock Motors, des services de pro que ma copine retrouvera dès le lendemain au Salon du Livre de Provins dont ils ont assuré l'espace sonore des spectacles.
Plein de gens sympa et créatifs dont nous aurons à reparler. L'Auberge du Printemps organise une soirée de cet acabit tous les mois, je sens que nous y retournerons. Petite info : le 14 juin, ce sont les Spykers qui s'y collent. Rockabillyband. Bien entendu.
Un dernier scrupule : les Jallies sont-elles si mauvaises que cela alors que Céline et Vaness m'ont offert leur part de gâteau après le concert ? Perfidie féminine ou recherche d'une rédemption humaine ? A vous de méditer. Moi en tout cas je ne raterai pas les Jallies quand elles repasseront dans le coin. Elles seront le 11 mai à Appoigny, avec Ghost Highway. Difficile de trouver mieux d'autant plus qu'il y aura aussi Chris Almodoa et The Atomics.
Damie Chad.
( Pour les photos l'on a piqué sur leur facebook des documents ultra-secrets qui les montre en train d'enregistrer leur prochain et premier disque )
Q. G. QUARTIER GENERAL / OBERKAMPF
/ PARIS / 13 – 04 – 13 /
HOWLIN JAWS / WHACKS !
Changement total. Finies les campagnes perdues, la teuf-teuf mobile est toute fière d'arpenter le goudron de la capitale. Une fois la maserati au paddock il suffit de prendre le métro et de descendre à la station indiquée. Malgré les jérémiades des écolos il n'y a pas que du mauvais dans l'urbanisation. Je vous avertis tout de même, chers lecteurs, l'on reste sur la même planète mais l'on change de continent. Le rock est multiforme.
QUARTIER GENERAL
Je remonte le boulevard les yeux sur les numéros de façade. Plus besoin de poursuivre le décompte, à cinquante mètres une cohorte de cuirs noirs stationne sur le trottoir. Presque que des garçons, des chevelus, des hirsutes, des cheveux courts, pas de bananes artistiquement ouvragées, pratiquement tous entre vingt et vingt-cinq ans. Une faune bien différente des concerts rockab habituels. Ne font pas la queue pour entrer – c'est gratuit - discutent, fument la clope prennent le frais et l'humidité car il pleuvote par intermittences.
La porte est grand ouverte. Bar en face de l'entrée – l'on ne sert pratiquement que de la bière – pas de tables, il n'en reste que quelques unes le long des murs. Le local est en L, le Q. G étant en coin de rue, une situation recherchée pour les cafés citadins et parisiens qui ne pouvaient s'offrir de larges terrasses. Parquet sous les semelles mais on n'est pas chez la marquise de Pompadour, les jours de gloire de l'établissement doivent dater. Un peu crado pour tout dire, l'endroit idéal pour écouter du rock.
Les Howlin sont en train de faire la balance. Pas évident, les lieux s'y prêtent mal. Sont secondés par de bien jeunes gens qui s'avèrent être les Whacks ! Une petite heure de tâtonnements et les festivités peuvent commencer.
HOWLIN'JAWS
Au premier rebondissement de contrebasse la salle se remplit comme par miracle. Du même coup le public s'est rajeuni et féminisé. Ne nous laissons pas distraire – nous sommes ici pour les Howlin ! Si on l'avait oublié, Eddie nous le rappelle de quelques accords appuyés lancés au hasard. 1, 2, 3, c'est parti, non Djivan arrête tout et présente le déroulé du concert, d'abord les Howlin, puis les Whacks, encore les Howlin, et les deux groupes ensemble pour finir. Nous souhaite et nous promet une bonne soirée. Très sympa ce cassage de la hiérarchie habituelle, les moins cotés d'abord, les plus reconnus en fin de partie. Un petit parfum anarchisant pas du tout déplaisant.
Mais les promesses n'engageant que ceux qui les croient le public entend juger sur pièce. Preuves à l'appui. Elles ne se font pas longtemps attendre. Tonitruantes, Eddie déchaîne l'apocalypse, à peine croyable l'on croirait qu'ils sont deux à se refiler les plans chaque fois que l'un est à bout de course, mais non il est le seul guitariste du groupe. L'a tout compris de la guitare rock, un riff n'a pas fini de résonner que l'on sort déjà le suivant, pas de temps mort, pas de rétro-dégradation rythmique où l'on repose les doigts et où l'on réfléchit quinze secondes ce que l'on va bien pouvoir sortir au prochain service.
Djivan au four et au moulin, à la contrebasse et au chant. Ne fait pas l'un et puis l'autre, ne diminue jamais d'intensité sur les cordes quand il est au micro. Eddie peut cartonner en toute confiance, laminage basse d'un côté et estampage batterie par derrière. C'est que Baptiste-le-chanceux abat ses baguettes comme des rafales de mitraillettes. Ponctue et sépare les différentes séquences du morceau. Très vite l'on passe aux Sixteen Tons de Merle Travis. L'instant de vérité, la reprise d'une vieilloterie pré-rockab. Ca passe ou ça casse.
Ca casse. La baraque. L'ambiance monte d'un ton - non de soixante ! - les Howlin ont trouvé le passage de la lampe de mineur à l'éclairage au néon, l'érection électrique sur les fondations du rockab, l'on respecte la grammaire mais l'on modernise le vocabulaire. Produisent un rock d'autant plus aptes à toutes les échappées que sûr de ses assises. Ne peuvent pas se perdre. Aux sourires satisfaits qui s'échangent dans le public il est sûr qu'ils remportent un premier succès d'estime. Ces gars-là se débrouillent bien, c'est indubitable.
Du respect individuel le public va vite passer à l'enthousiasme collectif, car Eddie fait pleuvoir un déluge d'acier, les morceaux s'allongent et deviennent surprenants, à chaque virage d'adrénaline rock l'on entend des cris d'approbation, la salle tangue comme un bateau ivre. Ouragan en vue, mais Djivan lève le bras et annonce le dernier titre. N'en n'ont pas fait dix et l'on fuit devant la tempête... Le sourire carnassier de Djivan nous rassure. Place aux Whacks, n'ayons pas peur tout à l'heure l'on foncera droit dans la tourmente.
THE WHACKS
Sont jeunes. Si ça vous fait rire c'est que vous êtes trop vieux pour le rock and roll. Ce n'est pas de leur faute, et c'est un compliment. Les voici face à nous, noirs de blousons, noirs de cheveux, noirs de blues. Car ils puisent là, dans la profondeur originelle. La différence est flagrante dès les premières notes d'avec les Jaws qui ont revisité le rockab.
Batteur au fond, Khentin a raison de porter son T-Shirt Serial Drummer car il frappe fort, sans défaillir. Guitariste sur votre droite, bassiste sur votre gauche. Surprise au centre, un chanteur qui ne fait que chanter. Même s'il poussera la coquetterie à faire semblant de gratter une pseudo rythmique sur un morceau. Je dirais mieux, un chanteur qui sait chanter. L'attitude, le balancement du corps, la position du micro, l'a tout cela d'instinct. Inspiré. Fun is boring, en grosses lettres blanches sur son blouson. Signe d'intelligence. Se dénomme Teddy Jungle.
Ne seront pas aidés par le son, surtout Teddy dont le micro sera pratiquement inaudible au bout de trois morceaux. Dommage mais pas rédhibitoire. Le rock est avant tout selon un mode d'être et pas une sono de trente mille watts. Et le groupe nous a refilé trente mille whacks d'énergie pure. Ils ont des titres serpents, ceux qui vous enserrent doucement et vicieusement pour vous étouffer à petits feux, et d'autres du genre aspics et mambas qui ne pardonnent pas. Un rock reptilien, qui se détend, siffle et pique à la vitesse d'une lanière de fouets, ou alors menaçant et fascinant, qui vous ingurgite petit à petit. Comme pour nous prévenir du danger, de temps en temps ils nous offrent quelques mesures de jungle beat à la Bo Diddley avant de chavirer dans une orgie électrique déjantée.
Lou Mowgly Jungle est à la guitare. Lourde tâche. Lance les riffs et lance le signal de la charge. S'en tire assez bien pour susciter les premiers pogos dans le public. Ce sont les enfants perdus de la génération after-punk, ce rock garage de plus en plus déglingué à chaque décennie mais qui tient le coup envers et contre tout. La dernière ligne de crête du combat rock. Le jour où cessera ce bouillonnement adolescent, le rock sera mort.
A la basse, Jimmy est plus concentré en lui-même, moins ouvert sur la foule hurlante, à fond dans la musique, suit les lignes et n'en embrouille aucune, de même Kenthin cogne pour lui, fournit le fond sonore mais pas le service après vente, étrange cette section rythmique légèrement autiste, tandis que le lead singer et le lead guitar se chargent de la communication avec les fans enthousiasmés. A peine les ai-je entendus jouer que j'ai pensé aux Stones des tout débuts, je doute que ce soit-là leur influence mais à l'analyse le fonctionnement du groupe n'en est pas si éloigné.
Prestation un peu désordonnée, des temps trop morts entre certains morceaux, mais tout cela n'est que défaut mineur. Le combo rocke bien, balance juste, le courant passe et la fièvre monte. La foule ondule et se presse. Les Whacks ont frappé un grand coup, et comme le fan de base est par définition un être masochiste, l'assemblée entière en redemande... Un groupe à suivre.
HOWLIN JAWS
Le retour. Plus vite, plus fort. Tout électrique. Mais pas le confort. C'est que ça remue salement. La guitare d'Eddie crépite, à jets continus, Djivan sort le grand jeu et Baptiste tape si fort que de temps en temps il est nécessaire de repousser le kit de la batterie vers son siège. Ca pogote à mort. Sans brutalité mais comme des lames de fond qui viennent de l'arrière et que les premiers rangs essaient d'endiguer avant qu'elles ne s'écrasent sur le matos et les musicos.
Ca hurle et ça trépigne de partout. Lorsque Djivan annonce Memphis Train il est le premier surpris de l'ovation qui est réservée au nom de Rufus Thomas. Suis sûr que la moitié d'entre vous n'en a jamais entendu parler lance-t-il à la foule qui exulte. Une ambiance de fous. Des frelons enfermés dans une bouteille et qui zigzaguent dans tous les sens. La salle reprend les refrains en choeur, à croire que l'on a bûché la set-list à la maison.
Ce n'est plus un concert mais une ivresse collective. On ne pourra pas dire j'ai apprécié ce concert puisque chacun des assistants a été un atome du concert, échange d'énergies entre les musicos et le public. Alcool, sueur, rythmes, bruits, musique, tout se mêle et vous transporte plus haut. Par les vitres l'on entrevoit les passants qui s'arrêtent frappés de stupeur et dévorés de curiosité devant ce maelström hystérique. Imperturbable Djivan joue à char perché sur et avec sa contrebasse.
Les Jaws sont les maîtres du sabbat et n'arrêtent pas d'alimenter l'incendie. Djivan, le grand ordonnateur rappelle les Whacks.
FINAL : JAWS + WHACKS
Les deux jungle-whacks plus Jimmy ont rejoint le haut du cocotier. Apothéose ! Le délire est dans la salle, un des trois micros ne résistera pas à la pression, perd son pied tandis que nous prenons le nôtre. Tumulte indescriptible, tout le monde chante et hurle tandis qu'Eddie introduit le riff de Cadillac. Le fantôme de Vince Taylor plane sur le feu grégeois de cet hymne souverain du rock'n'roll.
Une dernière poussée de fièvre due à un rappel de Berry-Berry et le concert triomphal se termine. Descente dans l'obscurité de notre triste monde ! Pourquoi a-t-il continué sa terne existence alors que nous étions dans l'empyrée-rock ?
Unique consolation, les Howlin Jaws seront à Paris le 30 avril.
Damie Chad.
( Nous avons pris les photos sur leur facebook, certaines sont de Sue Rynski, un must dans la photographie rock voir wwwsuerynski.com . D'autres sont de Adèle Colonna Césari, voir sur son facebook sa série Blank Generation )
LESTER BANGS
PSYCHOTIC REACTIONS
&
AUTRES CARBURATEURS FLINGUES
Suis un peu fainéant. Comme tout le monde, peut-être même un peu moins. N'êtes pas obligés de me croire. Voici plusieurs années que je me dis qu'il faut que je lise du Lester Bangs. Comment moi qui batifole sur mon blog roll toutes les semaines, à part quelques citations par ci par là récoltées sur le net, je ne connais fichtrement rien du prince des rock critics ! Un trou béant dans ma culture, une véritable fosse philipinesque que je me suis empressé de combler lorsque j'ai vu que les éditions Tristram proposait tout un volume de ses articles dans sa collection de poche intitulée Souple. Comprenez que la couverture n'est pas rigide.
Ne regardez pas le copyright, la première édition remonte à 1996 ! Suis pas en avance ! Enfin un peu quand même, si. Comme la plupart des textes recueillis dans le bouquin ont d'abord été publiés dans le magazine CREEM et que durant des années les meilleurs scripteurs de Rock & Folk tétaient chaque mois leur part de crème fraîche directement à la source même, j'ai fait partie de cette génération de lecteurs qui ont suivi les aventures du rock américain avec un très léger différé de quelques semaines... Un exemple : comme CREEM créchait à Detroit City, nous petites grenouilles nationales, avons été aux premières loges pour être au courant des tribulations des groupes locaux du coin comme The Stooges ou le MC 5...
BANDE DE CREEMINALS
N'y a pas eu que des manchots de la Remington chez CREEM, dès le début une équipe de fines plumes s'est agglomérée au magazine, nous ne citerons que ceux qui nous intéressent : Patti Smith – à l'époque elle ne gâgatisait pas sous les fenêtres du pape, la vieillesse est une catastrophe ambulante pour certains – Richard Meltzer qui participa à l'élaboration théorique du Blue Öyster Cult – je fais partie de la secte – Nick Toshes – nous le retrouverons dans une de nos prochaines livraisons – Greil Marcus ( voir KR'TNT 136 du 21 / 03 / 13 ) qui préfaça et réunit les articles de ces Psychotic Reactions. En 1986, mais Lester Bangs n'était déjà plus là depuis quatre ans, victime au mois d'avril 1982, d'une absorption de produits divers...
Une bande de joyeux allumés dans laquelle Lester Bangs ne déparait pas. Etrangement le magazine qui portait le nom d'un des tout premiers super-groupes britanniques - s'orthographiait Cream dans le land de sa très gracieuse majesté, ne donna pas dans l'admiration béate des grands Hartistes de la rock music. S'intéressèrent très vite à tous les artistes borderline qui ne bénéficiaient pas de la lumière des projecteurs. Certains d'entre eux rejoignirent le troupeau des rock-stars lorsque la célébrité fut venue. Mais ceci est une autre histoire. La légende raconte que le mensuel fut les premier à utiliser l'expression punk rock dès l'année 1971. L'on ne s'étonnera pas d'apprendre que CREEM aida beaucoup à imposer le mouvement punk...
LESTERATURE
Lester Bangs, le démiurge du bonzo rock, ainsi le surnomme-t-on. Les règles de la littérature bonzo, telles qu'elles ont été édictées par leur inventeur, l'écrivain-journaliste Hunter S. Thomson ( présent aussi dans la collection Souple de chez Tristram ), sont faciles à suivre, car elles flattent en fait votre égo : quoi que vous écriviez, parlez d'abord et avant tout de votre petite personne. Que votre Insupportable Moi prenne la parole et la garde aussi longtemps que possible. Qu'il soit clair que si vous racontez que vous êtes en train de baiser votre meuf tout en écoutant le Blue Öyster, soyez sûr que le lectorat accrochera davantage sur la partie cul que sur la monographie du Cult. Même qu'agissant ainsi, vous pénètrerez plus profondément le Cult dans le cerveau du lecteur que votre pine dans l'entre-fessier de votre copine. Je sens que le sujet commence à vous intéresser.
Après de tels préliminaires il ne reste plus qu'à bouquiner. Etymologiquement ce dernier verbe désigne l'empressement du chaud lapin à honorer sa lapine. Mais revenons à nos volatiles de basse-cour puisque le premier article du volume est consacré aux Yardbirds. Vingt pages pleines sur les Yardbirds ! Un des groupes mythiques du rock'n'roll, le monde vous paraît d'un coup plus beau que d'habitude. Ah ! Ce Lester est un big Bangs à lui tout seul. Déjà vous faites le voeu de fleurir sa tombe tous les mercredis matins pour le remercier de vous apprendre tout ce que vous aviez envie de connaître depuis si longtemps sur ces oiseaux de bonheur.
Ne vous pressez pas. Au moins pas plus que Bangs, parce que Lester, les Yardbirds ça le taraude un minimum mais pas plus que ça. Vous avez droit à une confidence : les Yards ont été magnifiques durant leurs deux premières années, mais comme le groupe s'est formé en 1963 et que l'article date de 1971, vous tracerez entre ces deux repères la courbe exponentielle du désintérêt de l'auteur pour son sujet...
Lorsque vous parvenez au bout du texte, faut vous rendre à l'évidence, les zoziaux se sont envolés de la cage. Depuis longtemps. L'ont-ils seulement visitée ? Et Lester que fait-il pendant tout ce temps ? Il baille aux corneilles ? Non, il bosse comme le chameau dans le désert. Vous raconte tout un tas de trucs dont vous n'avez rien à... Oui, mais voilà, vous suivez toujours, et vous n'en perdez pas une miette.
Bangs vous balance ces idées philosophiques sur le rock'n'roll. N'aime pas les grosses meules à la Led Zeppe. Des guignols. Rien de vrai là-dedans. Des arrache-frics qui en veulent à vos économies de fans transis. Aucun respect pour ces perruches dressées. Leur préfère des inconnus qui crachent de l'électricité à haut-débit. Rarement plus de trois disques à la suite. Porte de sévères et expéditifs jugements. Ouf, ce n'était pas lui qui à l'époque était censé vous envoyer aux couloirs de la mort. Vous aurait dépeuplé le rock américain plus les cinquante-deux Etats en trois semaines.
Le problème n'est pas de savoir s'il a tort ou raison. Certes un peu jusqu'au boutiste, et de mauvaise foi parfois. L'a ses haines et ses chouchous. S'en vante. Manie son stylo comme une baguette magique. Peut dire ce qui lui chante, à chaque paragraphe il vous enchante. La beauté du style. Vous voici happé par le mouvement de l'écriture. Ne vous lâche plus une fois qu'il s'est saisi de votre attention. Me méfie de ce genre de grande-gueules mais il emporte le morceau avec dextérité. Un écrivain, un vrai. Un de ceux qui vous décrivent le parapluie de sa belle-mère sur quinze pages et vous entrez en transe extatique. Des longueurs, des passages à vide, mais vous suivez toujours. Plus loin que l'enfer si nécessaire.
Etrangement la prose de Lester Bangs n'est pas sans rappeler celle de Céline. Mais ne vous méprenez pas, pas du tout par l'aspect le plus radical de l'écriture de Fernand, pléthore de points de suspensions, phrases découpées au plus près des soubresauts aléatoires de la pensée, retranscription esthétisante du monologue intérieur. La broderie des velours céliniens vise à donner l'impression d'une diction populaire, Lester Bangs se contente d'être simple et direct. Dit ce qu'il pense comme il le pense. Volonté américaine d'une efficience quasi-congénitale, mythique bien sûr. Il semblerait que Lester n'ait jamais lu les poètes de la Beat Génération. Ne pratique pas le cut up, refuse le slash comme les avalanches anaphoriques. Le chantre de l'électricité à haute tension n'est pas un adepte du phrasé électrique. Très classique dans sa forme, à tel point que soupçonnant Jean-Paul Mourlon le traducteur d'avoir émondé le style supposé de notre rocker épileptique, suis allé faire un tour dans les textes originaux. Ben non, l'anglais de notre littérateur respecte la syntaxe habituelle de la langue anglaise. Point de débordement, point de transgression.
Mais ce flot continu qui vous emporte en un jet continu et puissant. N'avait pas de mal à rédiger des articles de vingt pages pépé-Lester, une fois lancé pouvait continuer, doubler, tripler, quadrupler la mise sans efforts. Risquons le tout pour le tout, suis prêt à parier que Bangs prenait plus de plaisir à aligner des mots qu'à nous entretenir de ses passions rock. Parle de rock'n'roll parce qu'il vit dedans, c'est son décor, son vécu, mais aussi un thème circonstanciel imposé, non par la nécessité de son écriture, mais par l'ici et maintenant implantatoire de son existence aléatoire.
GOÛTS ET COULEURS
Lester Bangs aura contribué à définir les préférences musicales de toute une génération. Inutile de l'ériger en prophète. Le coq Bangs est sorti de l'ovoïde Stoogien, et non le contraire, même si Iggy doit un peu de sa célébrité aux articles de Bangs. Ce n'est pas la poule qui a obligatoirement pondu l'oeuf pour lequel elle cocorique. Bangs est le fils de son époque. A simplement fait partie de cette minorité de fans qui se sont toujours méfiés des errements du rock. Ne crie pas au génie en écoutant le Pink Floyd, résout le cas de cette prétention culturelle à ce qu'elle est : de la merde. Celui qui s'éloigne du rock ne fait aucunement progresser la musique dont il provient, opère un acte délictueux de haute-trahison. Ethique, car il commet le plus irrémédiable des forfaits, l'auto-renoncement à être soi-même.
L'on s'est gaussé de Bangs, de son parti-pris de n'aimer que le rock le plus primaire, le plus violent, le plus brutal. Du côté des ados qui refusent de grandir. Le bruit contre l'harmonie. La fureur contre la vie. Et ce n'est pas toujours facile à défendre. Lester aime les guitares sursaturées, les larsens suraiguës, les pédales wha-wha à fond le plancher, la zique qui déferle comme un tsunami, qui vous entre par effraction dans l'oreille gauche, vous lobotomise le cerveau et ressort en hurlant par les narines emportant en même vos dernières volontés dans le caniveau des civilisations mortes. Ainsi ce bonzo souvenir.
BONZO BONZO
J'avais téléphoné au copain pour m'assurer que ses parents étaient en vacances. C'est que j'emmenais de la nitroglycérine sans élément de stabilisation. Comme c'était le premier soleil de printemps, l'on s'est mis à la fenêtre pour profiter des rayons bienfaisants de l'astre nourricier. Le voisin vaquait à des occupations beaucoup plus terre à terre, après ces trente derniers jours de pluie il binait son jardin avec allégresse.
Nous on s'attendait à ce qui allait suivre lorsque le bras de la chaîne s'abaisserait dans le sillon de la face A. On avait lu les critiques et les avertissements. Notre valeureux jardinier, non. N'avait jamais pensé de toute sa vie qu'un tel truc pût exister. L'est resté pétrifié la bêche en l'air, aussi rigide qu'une statue. A dû penser que l'on avait déclenché le feu nucléaire, que c'était la fin, que ces salauds de russes bazardaient leur arsenal sur le pays. Au bout de deux minutes lorsqu'il s'est aperçu qu'il était encore vivant, n'a pas demandé son reste, pressant le manche de son outil sur son coeur, il s'est dépêché de filer rejoindre ses pénates sans se retourner.
Pouvez refaire l'expérience chez vous si vous pensez que j'exagère. Suffit de vous procurer le Metal Machine Music de Lou Reed et de tester sur les passants qui déambulent dans votre rue.
LOU REED
Un disque difficilement défendable. Je vous déconseille de le mettre en musique d'ambiance la première fois que vous emmenez une nouvelle copine dans votre chambre. Va s'enfuir toute nue dans la rue, tout droit vers le commissariat pour vous accuser de viol de conscience. Lester a usé la sienne jusqu'à la corde, ( pas sa conscience, sa galette vinylique ! ) Vous n'êtes donc plus étonné d'apprendre qu'il est mort jeune, à trente-sept ans. Il est des abus qui ne pardonnent pas.
Toute une partie du livre est consacrée à Lou Reed. Bien plus que Bowie il est le parfait représentant du rock des années soixante-dix. Incontournable. L'iceberg meurtrier qui prend en chasse le Titanic. Et les fans qui se regroupent sur le pont pour chanter une dernière fois Walk On The Wild Side avant de couler dans les tréfonds de l'oublieuse mémoire océanique. Le chef de choeur, celui qui mène la chorale funèbre, c'est Lester Bangs le super-fan en communication téléphonique directe avec son dieu. Même que parfois Lou consent à le laisser venir auprès de lui. Les relations ne sont pas tendres. Ont tous les deux un problème identique à gérer. Comment peut-on avoir été Lou Reed et continuer à être Lou Reed ? Comment survivre à son propre mythe lorsque l'on est le seul rescapé qui soit arrivé à sortir vivant du souterrain de velours ?
La question se pose autrement. Comment accepter Sally Can't Dance après Berlin, comment commettre Coney Island Baby après Metal Machine Music ? Les rock-critics de service doivent ramer dur pour fournir des explications au bas-peuple des fans. Un grand écart inexplicable. Difficile de faire admettre que cette grosse bouse puante est un étron divin. Même Lou Reed n'y parvient pas. Lester avale les couleuvres et les recrache tour à tour. Mauvaise conscience. Les deux hommes jouent à qui gagne perd. Echecs sur tous les plans.
J'ai la solution du problème. Rock'n'Roll Animal et Lou Reed Live – une des pochettes les plus inutiles du rock – deux chef d'oeuvre. Lou Reed n'a jamais été meilleur que ce soir du 21 décembre 1973, bien supérieur à tout ce qu'il a fait avec le Velvet Underground, que l'on mythifie un peu trop d'après moi. Steve Hunter et Dick Wagner lui tissent un brocard de guitares hurlantes sur lequel le Lou enfin sorti du bois pose sa voix de velours.
SEX DRUGS & ROCK'N'ROLL
Lester Bangs est le chantre de la trinité infernale. Rock violent mais sexe mou. Non je ne l'accuse pas d'impuissance. Mais deux cas de figure sont à étudier : soit il est avec une copine, et il évacue ( il évacul ) la problématique en deux lignes de sous-entendus du genre je m'emmerde assez pour ne pas en rajouter, soit il se lance en d'improbables rencontres avec des female partners tellement perdues dans leurs problèmes psychiques qu'elles en oublient qu'elles ont un sexe... Lui même d'ailleurs semble trouver plus de jouissance à boire trois gorgées de sirop antitoussif que de conclure... Le dernier texte, Extraits de Maggie May, apporte confirmation à nos dire. Cette nouvelle à caractère initiatique et phantasmatico-autobiographique démontre que Lester n'est dupe ni de l'amour ni du sexe.
C'est que la vie est insupportable. Besoin d'excitants pour la rendre vivable. Plutôt de produits assommants qui tissent un rideau protecteur entre vous et le réel. Mais en fait le seul anesthésique que supporte Lester Bangs ce n'est ni le sexe, ni la drogue, ni le rock'n'roll – je les classe selon son ordre de plus grande satisfaction obtenue – mais l'écriture. Qui lui est vitale. L'est mort jeune au début des années 80 – calamiteuses et désertificatrices pour le rock – au moment où il s'est rendu compte qu'il entrait dans l'âge adulte – puisqu'il avait déjà tout dit, que commençait pour lui l'ère des ruminations interminables, et que son époque prenait fin.
Ne pas se survivre comme Lou Reed, ne pas devenir un vieillard pathétique. Le grand écrivain tire sa révérence. Deux cuillerées de sirop de trop. Entre sa mort et vous il a réussi à tisser un écran protecteur. Son oeuvre.
Damie Chad.
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11/04/2013
KR'TNT ! ¤ 139. / HISTOIRE DU ROCKABILLY / MAX DéCHARNé
KR'TNT ! ¤ 139
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
15 / 04 / 2013
WILD WILD PARTY
LA GLORIEUSE HISTOIRE
DU
ROCKABILLY
D'ELVIS AUX CRAMPS
MAX DECHARNE
( RIVAGE ROUGE / Février 2013 )
A Rocket In My Pocket, telle est l'appellation anglaise originale. L'on a préféré un titre plus explicite pour le public français qui n'est pas censé réchauffer ses longues soirées d'hiver en dansant le rock'n'roll acrobatique sur le I Got A Rocket In My Pocket de Jimmy Lloyd. Pour la petite histoire c'est à ce même Jimmy Lloyd que les Ghost Highway ont emprunté leur reprise de When The Rio De Rosa Flows, il n'y a pas de doute nous nous trouvons en terrain connu.
Remarquons qu'avec ce volume consacré au rockabilly la collection Rivage Rouge qui en est à sa seizième parution apporte un complément de poids aux deux précédents opus de Peter Guralnick Feel Like Going Home, Légendes Du Blues & Pionniers Du Rock et Lost Highway, Sur Les Routes Du Rockabilly, Du Blues & De La Country Music respectivement chroniqués dans nos livraisons 32 et 37 du 23 / 12 /10 et du 27 / 01 /11.
Tout un programme se démarque aussi du titre choisi par Max Décharné – avec un tel patronyme doit y avoir de l'ascendance française parmi les ancêtres – A Rocket In My Pocket fut aussi un des tous premiers rockabilly adoptés et adaptés par les Cramps. Certains se détournent et froncent des sourcils. A peine admettent-ils les Stray Cats, alors vous pensez les Cramps, ces adeptes d'un psyckobilly déjanté, vaudrait mieux ne pas en parler.
MAX DéCHARNé
Oui mais voilà Max Décharné n'a pas de ces préventions. L'a déboulé tout jeune dans la musique au début des années soixante-dix. L'a suivi les deux chemins. Celui de son temps et celui perdu du rock'n'roll que nous nommerons classique. S'est débrouillé comme il a pu dans sa ville de Portmouth, entre les pubs télés sur les compilations rock bon marché qui lui ont donné accès à Gene Vincent et à Wanda Jackson – une façon d'attraper le chat par la queue et de ne plus jamais le lâcher – les bandes de Teddy Boys pas toujours sympathiques et compréhensives, les feuilletons Happy Days, une inlassable curiosité pour les origines du rock... et la musique de son époque, le punk qui bouscule tout sur son passage.
Max Décharné sera d'entrée dans les marges, et officiera dans la mouvance punk-garage, d'abord en tant que batteur avec les Gallon Drunk, puis en tant que chanteur en 1991, et dès 1994 avec son propre groupe les Flaming Stars. Pour situer quelque peu le courant musical il fut l'ami de Spider Tracy des Pogues. Rappelons que Shane MacGowan le leader des Pogues officia d'abord chez les Nipple Erectors, groupe punk qui dès 1978 greffera le punk de surgeons rockabilly... Tout ce qui entre fait ventre, serait-on tenté de dire. Derrière ce melting pot musical l'on retrouve le présentateur de radio John Peel qui durant quatre décennies sur Radio London puis sur Radio One se dépensa sans compter pour pousser sur le devant des ondes toute la musique qu'il aimait, du Punk au Death Metal en passant par toutes les déclinaisons marginales ou pop possibles. De David Bowie aux Sex Pistols, beaucoup lui doivent leur carrière. Comme par hasard le dernier passage en direct live sur l'antenne d'un groupe qu'il ait enregistré lors de de ses célèbres John Peel Sessions furent les Flaming Stars de Max Décharné...
Lorsqu'il ne chante pas Max Décharné écrit. S'intéresse à ce que l'on pourrait appeler les cultures populaires. D'abord comme journaliste chez Mojo – une version française de ce mensuel rock tente de se faire une place en France depuis quelques mois – et Bizarre magazine qui s'intéresse à diverses cultures alternatives notamment aux pratiques sexuelles dites on ne sait pourquoi minoritaires. Mais il a aussi commis quelques livres d'imagination ou d'investigation dont le plus célèbre, très remarqué in the UK, Straight From The Fridge, A Dictionary Slang Hipster est consacré à l'argot londonien. Et bien sûr ce Rocket In My Pocket sur le Rockabilly qui nous interpelle particulièrement.
RESTONS FRANCAIS !
Le terme rockabilly est arrivé en France au début des années 80, s'est imposé petit à petit pour finir par désigner au début de notre siècle ce mouvement de retour vers les pionniers et tout ce qui avait accompagné et précédé cette vague musicale aux Etats-Unis. Jusqu'alors l'on ne se posait pas trop de problème, Eddie Cochran était un chanteur de rock'n'roll, des formations aussi diverses que les Rolling Stones, Led Zeppelin ou Emerson Lake et Palmer étaient englobées sous l'étiquette attrape-tout rock'n'roll, jusqu'à Gene Vincent qui dans une interview radio vous rangeait sans état d'âme Otis Redding parmi les artistes de rock'n'roll.
C'est au milieu des années 70 que l'on a commencé à y voir plus clair : en même temps qu'arrivait dans les bacs des magasins spécialisés des grandes villes de province la déferlante punk, le rayon des pionniers, jusque là maigrelet, a commencé à prendre des proportions inquiétantes : pour la première fois l'on pouvait tenir entre nos doigts hagards des galettes aux noms mythiques d'Al Ferrier ou de Charlie Feathers, et miracle incroyable, des dizaines de compilations desquelles on ne connaissait à notre grande honte que un ou deux noms et parfois, je l'avoue à mon immense confusion, saturées d'illustres inconnus.
En 1986, Michel Rose a tenté de mettre de l'ordre dans tout cela en sortant son indispensable Encyclopédie de la Country et du Rockabilly. Fut le premier de par chez nous qui réussit à définir d'une manière assez précise des termes comme Hillbilly ou Western Swing dont les contours restaient pour la majorité des amateurs baignés d'une brume mythique mais imprécise.
A ROCKET IN MY POCKET
L'ouvrage de Max Décharné a toutes les chances de devenir dans les mois qui viennent le complément indispensable à l'Encyclopédie de Michel Rose. L'Angleterre reste une nation bien plus rock que la France, la proximité culturelle et économique avec les USA a donné accès aux loyaux sujets de Sa Majesté Britannique à une masse de documents sonores et écrits sans commune mesure avec ceux qui nous sont longtemps parvenus au compte-goutte. Dans Rocket In My Pocket Max Décharné se livre à une analyse de fond du phénomène Rockabilly.
HONNEUR AU ROI ET AUX MANANTS
Rien de plus facile que de définir le rockabilly. Les tables de la loi sont gravées pour l'éternité dans la cire des cinq singles d'Elvis Presley paru chez Sun entre 1954 et 1955. En peu de mots tout est dit. L'on peut rajouter un strapontin pour Sam Phillips, Scotty More, Bill Black et même D. J. Fontana. Mais comme tout grand créateur Elvis n'a rien inventé ex-nihilo, a simplement mis en place, un peu hasard et beaucoup par nécessité instinctive, de multiples éléments épars qui n'attendaient que la main qui les réunît.
Tout vient des péquenauds, des gars des collines, simples garçons de ferme à ne pas confondre avec les cow-boys des westerns. Entre l'image de soi-même que d'autres projettent sur des écrans et la réalité de votre salopette de travail, il y a comme un hiatus. Tout le monde n'accède pas au statut de Jesse James. Ce qui ne vous interdit pas d'être fier de vous, d'avoir le sang chaud, d'aimer l'alcool, les filles et la danse le samedi soir. Un petit côté rebelle, et une mentalité de campagnard attaché pour les plus veinards aux dix hectares familiaux avec le même sens aigu de la propriété qu'un possesseur d'hacienda.
Les hillbillies n'ont pas bonne réputation. Beaucoup de formations country n'aiment guère les voir débouler dans leurs prestations. Le public est versatile, une bagarre qui éclate entre deux jeunes coqs et hop l'attention se détourne des musiciens. Mais il y a déjà une image, un embryon de mythologie et dès les années 1925 beaucoup de formations commencent à glisser le mot hillbilly dans les titres comme dans leur dénomination. Les maisons de disques poussent à la roue, elles ne ratent jamais les niches écologiques d'implantation économique. Le profit n'a pas d'odeur, y décèlerait-on des fragrances de crottin, de bouse et de sueur.
Maintenant faut être clair. Ce n'est pas avec des chansons d'amour romantiques et de douces mélodies sirupeuses que vous allez satisfaire ce public un peu remuant. Faut que ça bouge un peu. Ni une ni deux, le musicien country s'en va piquer tout naturellement– l'on dit emprunter mais une fois prêté c'est comme si c'était donné - leur science du rythme aux pianistes noirs qui sont en train d'inventer le boogie woogie. Avec ce bémol, s'il est facile d'installer à domicile un piano dans le salon d'entrée d'un bordel, l'est plus difficile de courir les bals de campagne avec cet instrument sur le dos. C'est la mandoline ou la guitare qui ne pèsent rien qui seront chargées de marquer le rythme dans les formations country. Remarquons qu'à la même époque les chanteurs itinérants de blues font le même choix, ne se déplacent pas à toute vitesse de juke joint en juke joint sur leur piano à roulettes, marchent à pied la guitare sur le dos.
Des noms commencent à se faire entendre. A la radio. Au début le phénomène nuit gravement à l'industrie phonographique. Les States ne sont pas encore rentrés dans le cycle d'une large consommation de masse, pourquoi payer le disque que l'on vous passe gratuitement sur les ondes ? Ce sont les mêmes artistes que l'on vous donne comme les grands fondateurs de la Country music, Jimmie Rodgers, le cheminot qui discute aussi avec les employés noirs de la compagnie, la Carter Family, le modèle majorité silencieuse de l'establishment blanc américain, Hank Williams, déjà borderline, la première rock'n'roll star avant l'invention du rock'n'roll, que l'on retrouve comme premiers ancêtres du rockabilly.
Lorsque l'on aura dit que Johnny Cash se mariera avec June Carter, la plus belle rejetonne de la célèbre family, l'on comprendra pourquoi le plus grand artiste de la country music du vingtième siècle s'est retrouvé dans le même bateau qu'Elvis le rocker, chez Sun. N'étaient pas en train d'inventer le rock'n'roll – Bill Haley l'avait déjà fait en tournant autour d'une pendule - étaient en train, avec quelques autres, de poser les bases du rockabilly.
CASES NOIRES / CASES BLANCHES
Faut pas croire que les noirs se sont laissés voler le boogie woogie sans rien dire. Z'ont repris l'oeuf qu'on leur avait dérobé et ont même emporté la paille qui l'entourait. L'ont choyé et n'ont pas tardé à faire sortir de l'ogive blanche un poussin aux ailes noires qu'ils se sont empêchés de baptiser Hillbily Boogie.
Rien ne se vole, tout se transforme. A la tête de ses Texas Player, Bob Wills dans les années quarante louche d'un peu trop près sur les orchestres noirs de jazz, très vite son hillbilly s'accélère et se transforme en Hillbilly Swing que l'on qualifiera bientôt de Westernn Swing. Ce sont les groupes de Western Swing qui introduisent la contrebasse qui deviendra, jusqu'à nos jours encore, l'oriflamme congénital des combos de rockabilly.
Très symboliquement certains prétendent que le passage du rockabilly au rock'n'roll est consommé quand Elvis quitte Sun pour RCA ou quand Gene Vincent en tournée avec les Blue Caps décidera d'abandonner la doublebass par trop encombrante pour une simple basse électrique qui se range plus aisément dans un coffre de voiture...
Tout seul dans son coin Bill Monroe en 1946, s'en va inventer le Blue Grass. Il reprend le hillbilly noir très sautillant, mais le blanchit en mettant en avant les instruments traditionnels du folklore d'origine européenne, mandoline et violon – il manie les deux en virtuose sans égal - avec aussi cette arrière-pensée délétère : non au black hillbilly, colorons ce noir que nous ne saurions voir en bleu herbu du Kentucky...
Sur son premier single Elvis adaptera Blue Moon of Kentucky de Bill Monroe mais son chant erratique n'est pas sans évoquer les plaintes des esclaves dans les champs de coton. Comme pour enfoncer le clou idéologique la face une, That's All Right Mama, est directement emprunté au répertoire d'Arthur Big Boy Crudup, blues man noir.
Pour compléter la donne nous rajouterons qu'au tout début des années cinquante les artistes country comme Merle Travis et Tennessee Ernie Ford augmentent la dose de boogie dans leur country qui en devient plus appuyé, plus balancé. Les racines du rockabilly sont nombreuses. Elvis n'a pas tout inventé en un claquement de main, mais une chose est sûre c'est que déjà à dix-huit ans il avait beaucoup écouté et entendu et connaissait tout cela sur le bout des doigts. Ne lui restait plus qu'à réussir la synthèse.
Elvis surprend tout le monde. C'est un ovni qui tombe de nulle part même s'il provient de partout à la fois. L'on cherchera un terme pour définir son nouveau style-étincelle qui met le feu à toute la plaine. Ce n'est pas le terme de rockabilly qui s'imposera de prime abord, les journalistes forgeront en un premier temps l'expression Western Bop...
SOLEIL COUCHANT
Lorsque l'on étudie le catalogue Sun l'on ne peut être qu'effrayé. C'est comme les cafards. L'en sort de partout. D'où viennent-ils ? D'où sortent-ils ? L'éclosion d'Elvis dès 1954 libère la boîte à Pandore du rockabilly. Si par malheur l'on connaît un peu l'histoire de Sun, l'on se rend compte qu'il faut multiplier le chiffre par dix. Chaque chanteur, chaque musicien, chaque compositeur, est à lui tout seul l'arbre qui cache une forêt d'amis et de prétendants... Pas étonnant que Sam Phillips se laisse arracher si facilement Presley. L'interprète de Milkcow Blues est une vache à lait mais encore faut-il avoir les capacités de l'exploiter à un niveau national. Sun n'est qu'une petite compagnie régionale qui ne dispose ni des structures ni du personnel, ni des liquidités nécessaires.
Phillips possède un fameux vivier à sa disposition. Elira d'abord Carl Perkins. L'on peut faire la fine bouche. Ce rustaud n'a pas la grâce de l'Hillbilly Cat. Les beaux garçons entraînent les filles aux concerts, leurs cris hystériques attirent les journalistes et les gamines savent faire les yeux doux à leur papa chéri pour qu'il se fende d'un billet à chaque sortie d'un nouveau 45 tours. Oui mais Carl Perkins possède d'autres atouts moins visibles mais qui peuvent rapporter autant et sinon plus de royalties. L'écrit ses propres morceaux, si vous montez une société d'édition par derrière vous pouvez récolter pas mal de fric... Même s'il s'avère que la star n'aspire pas trop de monde dans ses concerts, ce n'est pas très grave, vous lui confiez un crayon et un bureau et il continuera à pondre des titres pour les nouveaux poulains de l'entreprise. En plus un gars comme Carl est capable de mener des sessions d'enregistrement pour les copains...
Les projets de Sam Phillips ne se concrétiseront pas. Un terrible accident de voiture coupe l'essor de la future carrière de Carl Perkins. Ne s'en relèvera physiquement que pour tomber sous la sévère dépendance de l'alcool. Carl ne remplacera pas le jeune premier de la classe. Restera l'éternel second, le Poulidor du rockabilly, the man behind Johnny Cash comme on se plaira à le dénommer. Ce coup de Trafalgar n'obère pas le moral de Sam Phillips. Peut-être même s'intègre-t-il à merveille dans ses plans secrets. Parfois le hasard fait bien les choses. Possède un sacré as de pique dans sa manche, le vieux Sam. A y réfléchir Elvis était trop gentil, trop poli, trop honnête. Le côté du paysous débarqué dans la grande ville qui essaie de ne pas trop se faire remarquer et qui sourit avec grâce et qui répond d'une manière des plus courtoises chaque fois qu'un journaliste lui pose une question. Un hillbilly cat endimanché en cherchant bien, son apparence ne correspond pas à l'image furibarde du rocker que véhicule sa musique. Tandis que l'ostrogoth là, le fou furieux, le crazy dingue qui déglingue son piano à tout bout de champ, en voici un capable de rendre les foules folles. S'appelle Jerry Lee Lewis.
L'a du flair Sam Phillips. Sa bombe à retardement explose tout de suite. Ses singles atteignent le million d'exemplaires en un tour de main, ses shows sont des tornades épileptiques. Alors que le Colonel Parker couve son petit garçon sage en lui interdisant de sortir des frontières, Jerry Lee se prépare à devenir une star internationale. Les anglais feront exploser la fusée en pleine ascension. Ceux qui ne connaitraient pas l'histoire se rapporteront à notre précédente livraison 134 du 07 / 03 / 12.
L'impact fut très dur pour la carrière de notre bien aimé Jerry Lou, mais j'ai surtout l'impression qu'elle a surtout démoli le moral de Sam Philips. L'on ne trouve pas un Jerry Lee Lewis chaque matin en se levant. C'est à partir de ce moment-là que Sam Phillips se désinvestit de l'aventure Sun. Peut faire semblant d'y croire encore, mais j'ai l'intime conviction qu'il n'y croit plus dès 1958. Quand en 1969 il vendra Sun à Shelby Singleton il y a déjà longtemps qu'il s'est désinvesti de l'aventure.
L'EXPLOSION ROCKABILLY
Le terme est ambigu. Peut désigner l'éternelle puissance irradiante de l'atome, sert aussi à exprimer l'idée d'éparpillement. Dès 1956, Sun n'est plus seul, RCA possède Elvis, Capitol déniche Gene Vincent, Liberty signe Eddie Cochran, Decca et sa filière Coral offrent deux contrats à Buddy Holly... Mais les majors ne sauront pas se débrouiller avec le rockabilly. Ces chanteurs nitroglycérines sont capables de faire sauter les institutions, l'on va s'employer à limiter leurs effets les plus nocifs, RCA poussera Elvis à tourner des films, Capitol se désintéressera de Vincent, Liberty tient Cochran au chaud en vue d'une évolution de carrière presleysienne, et Holly semble de lui-même se tourner vers des morceaux de moindre âpreté. L'on cache les moules originaux mais l'on recrée des flopées de clones aseptisés : Bobby Darin, Fabian, Dion... plus de cats, des minets aux griffes rognées.
Depuis cinquante ans on tresse des couronnes de laurier à Sam Phillips, the man who Elvis Presley, the man who Carl Perkins, the man who Jerry Lee Lewis, the man who Johnny Cash, mais le même qui refusera Johnny Burnette et ne fera que peu de cas de Charlie Feathers que la plupart des connaisseurs classent au niveau du chant à égalité avec Elvis the Pelvis. Sun n'est plus la grande pourvoyeuse du rêve. Avoir enregistré chez Sun restera dans tous les esprits comme un certificat inaltérable d'authenticité rockabilly mais guère plus. J'ajouterai, mais c'est-là un avis personnel qui se discute – que la montée en puissance de Jack Clement comme producteur dans les années qui suivent n'est pas étrangère au déclin du label. Le cas typique du bon élève qui ne réussit pas ses examens.
Faute de grives, l'on mange du merle. A Memphis lorsque l'on est déçu de Sun l'on atterrit chez Bihari. Lester de son prénom, l'est lesté d'un petit label qui s'appelle Meteor, c'est sur lui que se rabattra Charlie Feathers. Chacun dans son coin essaie de touver chaussure à son pied et micro à sa bouche. Sonny Fisher et Sleepy Labeef sur Starday, Eddie Bond dont Roll Call vient de nous apprendre la triste nouvelle de son décès ce triste 16 mars 2013 chez Mercury, Ronnie Self chez Columbia, mais nous sommes encore sur des labels prestigieux avec des artistes qui ont réussi à mener une carrière – souvent entrecoupée de grands vides mais dont le nom a réussi à surnager plus ou moins sereinement jusqu'à aujourd'hui.
Mais ce n'est que la partie émergée au-dessus de l'océan de l'oubli de l'îlot rockabilly. Ne faut pas hésiter à plonger et à explorer les abysses. Dessous c'est tout un volumineux massif montagneux qui se cache. Ils sont des milliers qui descendent de leur collines éloignées ou qui s'échappent des quartiers populaires des villes. N'ont qu'un seul but, qu'une seule idée. Enregistrer ! Savent bien que personne ne les attend. Qu'à part leur grand-mère peu de gens se feront enterrer avec leur disque dans leur cercueil, mais ce n'est pas important, ils veulent de laisser une trace, si incertaine, si improbable soit-elle.
Les labels éclosent comme des primevères au printemps. Leurs locaux ne sont guère plus vaste que la boîte postale qui affiche leur raison sociale. Un magnéto, un salon, une vieille grange, n'importe où pourvu que ça marche et qu'il y ait une prise électrique. Pas question d'overdubs et de multiples répétitions, l'on enregistre en direct live. Les techniciens ne sont pas au courant du dernier cri des nouveaux matériels, mais les musiciens et le chanteur suppléent par leur énergie à tous les manques. C'est ainsi que le rockabilly trouve son style, l'urgence. L'on chante comme si l'on n'avait plus que quinze minutes à vivre, l'on cogne sur les cordes comme si l'instrument allait s'auto-détruire dans les trois minutes suivantes.
Une heure de sa vie dans laquelle il faut tout donner. L'occasion ne se représentera pas. Demain l'on se retrouvera au boulot à entasser des briques, a scier des planches, à distribuer de l'essence. Des occupations de merde dans laquelle vous vous engloutirez tout entier, sans que rien de vous ne dépasse. Alors l'on se hisse au plus haut de sa rage adulescente et l'on se surpasse. Au mieux on tirera à deux mille exemplaires. Avec un peu de chance vous deviendrez la gloire du patelin ou du pâté de maison. Pouvez crever heureux, vous avez toqué à la porte de l'Olympe et vous avez fait quelques pas dans le hall of fame.
Aujourd'hui aux States les collectionneurs – beaucoup viennent d'Europe - sillonnent les brocantes ou fouillent les greniers des stations de radio qui se débarrassent des milliers de singles qui encombrent les locaux. Les érudits complètent des listes à rallonges. Chercheurs d'or qui recherchent la pépite perdue, le graal inconnu... Le pire c'est qu'il n'y a pas que les inconnus qui ont enregistré, maintes gloires – maintenant éteintes – de la country musique, à l'âge où le ventre commence à bedonner et les jambes à flageoler ont-elles aussi été touchées par le virus rockabilly. Même si on lorgnait vers la consécration Grand Ole Opry l'on n'hésite à s'enregistrer en douce un petit simple de rockab crémeux à souhait. C'est que l'on a de la bouteille et du métier et l'on montre à ces petits jeunes de quoi les vieux tontons sont capables. Pas trop fort, l'on cache la perle sur la dernière plage de la face B d'un trente-trois tours, parfois – ni vu ni connu, attention à ne pas déstabiliser le public – l'on prend un nom d'emprunt. Téméraires mais pas courageux !
Le rockabilly s'insinue partout, dans les émissions de radio, à la télévision, comme dans les films. Max Décharné décrit avec précision le fonctionnement des stations. Pécuniairement l'on vit sur les annonces publicitaires mais les micros sont ouverts à tout le monde. Même les gamins qui ont appris une chanson peuvent venir la débiter en direct. Ca fait plaisir aux parents et aux amis, mais les chercheurs de talents – les fameux talent-scouts – ont toujours une oreille dressée ver ce genre d'émission. Un gamin ça grandit, une voix mûrit avec l'âge, l'on ne compte pas les ados qui reviennent quelques années plus tard pousser leurs chansonnettes. Une multitude d'appelés mais un nombre infinitésimal d'élus. Toutefois le principe a du bon. Faut bien être meilleur que les concurrents potentiels. L'on s'applique et l'on travaille, insensiblement le niveau s'élève. Une des raisons de la suprématie de la musique populaire américaine réside en ce maillage de radio-crochets en perpétuels renouvellements sur l'ensemble du territoire. Le rockabilly n'est pas né du néant.
MORT ET RENAISSANCE
En 1959, les institutions ont bien travaillé. Le rockabilly n'a pas été avalé par le système. L'a bien essayé, mais il a dû le recracher. Trop indigeste. Mais entre temps il avait eu le temps de fabriquer des ersatz de remplacement. Les deux derniers empêcheurs de tourner en rond Vincent et Cochran se sont exilés en Europe en attendant des jours meilleurs. Qui reviendront mais trop tard pour eux, ils seront morts avant. Quant aux derniers trappeurs qui résistent dans les collines comme Hasil Adkins, peuvent s'époumoner tant qu'ils veulent, sont si loin des médias que personne ne les entend.
Lorsque la vague anglaise se lève les premiers rockers ne sont pas convoqués à la distribution des médailles. Les Beatles ne se vantent pas de leur provenance et les Rolling Stones qui ne jurent que par le blues soulèvent une tempête de gémissements scandalisés « Ces pauvres chanteurs noirs qui ont été pillés par les vilains rocker blancs ! ». Mauvaise passe...
C'est l'Hillbilly Cat de service qui remet le service dès 1967 avec ses reprises de Big Boss Man et de Guitar Man. En 1968, dans son accoutrement de cuir noir – mi-Gene Vincent, mi-Vince Taylor, le King boute le feu aux poudres. Comme dira Eddy Mitchell quand il consentira enfin à surfer sur la vague revival : « Tu sais il m'arrive des choses drôles / Les gens oublient puis redécouvrent le rock'n'roll ». En 1969, le festival de Toronto éveille bien des consciences aux Etats-Unis où Singleton qui vient de racheter Sun entreprend un travail de fond de réédition du catalogue.
Mais c'est d'Europe que viendra le réveil définitif, en Angleterre le festival de Wembley catalyse le mouvement Teddy qui sort de sa léthargie et entame une phase de conquête musicale avec des groupes comme les Flyin' Saucers et Crazy Cavan La France ne sera pas absente, la plupart des rescapés américains des fifties viennent donner des concerts à Paris. Des pointures comme Scotty Moore sont tout heureuses de s'apercevoir que leurs noms et leurs rôles et leurs oeuvres sont connues par un public fervent...
Fin seventies, début eighties des groupes naissent un peu partout en Europe : Angleterre, France – notamment les TeenKats avec Zio à la basse, le même qui officie de nos jours dans Ghost Highway – Pays-Bas, Allemagne, Scandinavie... Le mouvement ne cesse de s'étendre en Hongrie, en Corée, au Japon, et juste retour des choses aux Etats-Unis qui essaient de reconquérir leur leadership.
Nous en causons assez dans nos livraisons pour ne pas nous répéter. Clin d'oeil de l'histoire dans un des derniers chapitres de son livre Max Décharné nous parle de son plaisir au printemps de 1981 d'avoir pu rencontrer les Stargazers... le même groupe dont nous avons rendu compte d'un concert dans notre cent quinzième livraison du 25 / 12 / 2012...
PUNKABILLY
Un cat retombe toujours sur ses pattes. Max Décharné ne manque pas de trouver de nombreuses analogies entre le surgissement rockabilly originel et la naissance du punk. Deux mouvements de révolte et de rébellion qui explosent à vingt années de distance en des circonstances historiques totalement différentes : à l'orée du déploiement heureux d'années économiquement fastes en le monde occidental pour le rockabilly, au commencement d'une crise économique sans précédent en Europe pour le punk.
On peut décrire les deux phénomènes d'une manière différente, l'explosion rockabilly se produit dans les moments où le capitalisme triomphant se prépare à étendre sous sa forme impérialiste son talon de fer sur l'ensemble de la planète. Le déchaînement punk survient en ces instants où le libéralisme économique s'apprête à projeter sa domination financière sur l'ensemble du monde. Certes le rockabilly peut être entrevu comme l'expression festive d'une libération de jeunes gens qui se révoltent contre les lois restrictives d'une société patriarcales sexuellement coincée et qui pensent bénéficier de l'expansion industrielle sans précédent, et le punk tout au contraire comme l'expression d'une colère désespérée d'une jeunesse qui prend conscience de la noirceur de son avenir.
Dans les deux cas nous avons affaire à une même crispation de révolte de jeunes – moins consciente chez les rockabilly fans, davantage politiquement réfléchie chez les punks – qui s'aperçoivent que la sauce à laquelle ils seront mangés lorsqu'ils rentreront dans le monde aliénant de l'exploitation - consommation sur leur épaule gauche, travail sur leur épaule droite - ne peut sur le long terme les satisfaire. Les deux mouvements sont porteurs d'une même essence proto-révolutionnaire.
Cette gémellité se retrouvera musicalement symbolisé par la naissance du punkabilly initiée par les Cramps aux Etats-Unis et largement plébiscitée en Europe. Le livre de Max Décharné ouvre des perspectives d'analyse séminales capables de faire progresser bien des consciences. Nous le recommandons vivement.
Dernière cerise sur le gâteau, un index des noms propres en fin de bouquin ce qui est la moindre des attentions, mais un deuxième index alphabétique qui recouvre tous les titres des morceaux cités. La Bible inespérée des amateurs de rockab.
Mais les anglais ont eu plus de chance que nous : la sortie du livre a été accompagnée d'un disque chez Ace Records, même titre, A Rocket In My Pocket, et une pochette qui reprend l'imagerie de la couverture du livre, avec bien sûr à l'intérieur une solide compilation de pépites rockabilly...
Damie Chad.
VINTAGE GUITAR N° 11.
Avril-juin 2013.
Le nouveau Vintage est arrivé. Johnny Cash en couverture. Un super argument de vente. Pas gratuit puisque il tient entre ses mains une Martin, une D 28, non ce n'est pas une locomotive en modèle réduit, mais la mère de toutes les Dreadnougths – c'est ainsi que les anglophones nommaient les cuirassés – comprendre une grosse guitare acoustique avec une bonne puissance de feu sonore. Question formes, si vous vous êtes un adepte des hanches échancrées vous risquez d'être déçu. Un peu dodue la demoiselle. Si vous voulez en savoir plus et que vous êtes fauché, lisez l'article et n'embêtez pas le peuple.
Par contre si vos économies sont substantielles, allez vous en payer une chez Chicago Music Exchange. Un peu loin, Illinois, dans la métropole du blues électrique, mais l'accueil est de qualité, mur de Les Paul, mur de Rickenbaker, box d'essayage, canapés de cuir et boissons chaudes, que du vintage authentique, de la rareté, de la pièce unique fabriquée pour Jimmy Hendrix... Le rêve à portée de la main, mais pas de tous les portefeuilles, le patron a des dents de requins, sait vendre sa camelote, mais je le sens mal, quand je pense que quand j'étais mineau l'on pouvait gagner des guitares électriques dans les baraques de loterie des fêtes foraines. M'inspiraient davantage confiance...
Rock Aroud The Clock, titre alléchant. Hélas ce n'est qu'un marchand de montres. De luxe, je vous rassure tout de suite, Place Vendôme, pour situer le chacal. Nous parle de sa collection de guitares. Vous savez, moi les richards qui collectionnent les guitares j'ai un peu l'impression qu'ils investissent sur la montée des prix. Préfère encore un petit jeune qui se déniche une Dan Electro à deux cents cinquante euros...
Et quand je lis l'édito de Christian Séguret qui renchérit sur l'incompréhension dont sont victimes les gros collectionneurs de guitares, je deviens comme le philosophe. Je ne me demande pas si l'oeuf sort de la poule ou l'inverse, mais si c'est la guitare qui fait le rocker ou le rocker qui fait la guitare.
J'ai l'impression qu'avec ce numéro Vintage Guitare a franchi la fine frontière qui délimite la passion fric de la passion guitare.
GUITAR PART. N° 223.
Octobre 2012.
Dans la même poche plastique que Vintage Guitar. Offert avec le CD de démonstration. Les deux titres appartiennent au même consortium Groupe Express Roularta, l'on file un ancien numéro gratis, avec un peu de chance vous achèterez le numéro payant du mois en cours dans les kiosques. Sont pour la récupération des déchets. Ils transforment les invendus en pub. C'est que dans le groupe ils s'y entendent en économie, sont propriétaires de L'Expansion, de Mieux Vivre Votre Argent, de L'entreprise et de L'Express et de tout un tas d'autres revues, notamment musicales. C'est ce que l'on appelle une gamme de produits, piano, guitares, batterie, tapent même dans le classique.
Pas de chance ce mois-ci ils interviewent les blaireaux de Kiss ( beaucoup de bruit pour rien ) et de Muse ( qui ne m'inspire pas ). Attention, je ne dis pas que tous les numéros sont nuls, qu'ils ne sont pas faits par des amateurs éclairés. Voudrais pas gâcher votre lecture. Juste réfléchir sur les notions de dépendance et d'autonomie...
Damie Chad.
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04/04/2013
KR'TNT ! ¤ 138. HOT CHICKENS / CENT CONTES ROCK /DARREL HIGHAM
KR'TNT ! ¤ 138
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
04 / 04 / 2013
HOT CHIKENS / 100 CONTES ROCK / DARREL HIGHAM |
SALLE DES FÊTES / 30 – 03 - 13 / COURGIVAUX
HOT CHICKENS
INTRO A LA MANIERE DE
PATRICK CAZENGLER
( voir article suivant )
Trois jours que j'arpente les rues de Séoul. Une par une, des quartiers les plus rupins aux zones les plus sordides. De mignonnettes asiatics girls m'adressent de charmants sourires mais je n'y prends garde, tout entier dévoué à ma mission : ramener pour nos lecteurs une photo de la statue équestre de Gene Vincent que les coréens n'auront pas manqué de dresser à notre idole nationale qui s'en est venue croiser dans leurs eaux territoriales sur un ravitailleur de la flotte américaine, en des temps troublés... Je dois déchanter. Je confirme l'ingratitude des peuples. Même pas une petite plaque discrète apposée sur un mur.
Tant pis, un rocker ne se laissant jamais abattre, je rentre dans ce qui me semble être un service de restauration rapide et passe commande : « Hot Dog ! » - ce sont les seuls mots de coréen que je connaisse – et soupire d'aise lorsque une gentille hôtesse vient m'apporter un sandwich aussi large qu'une valise. Mais qu'elle est cette patte noire et velue qui dépasse de la tranche de pain ? Horreur ! celle de ma petite Salsa, ma chienne chérie, que selon leurs coutumes de mangeurs de chairs canines ces barbares se sont empressés de faire cuire. La colère me monte au nez, tel un ouragan engloutisseur de jonques sur la mer de Chine je saute dans la cuisine, m'empare d'un hachoir acéré et pris d'une fureur vengeresse - entonnant l'hymne rockabilly approprié pour la circonstance, le fameux No More Hot Dogs d'Hasil Adkins - je décapite sans faillir l'ensemble du personnel et de la clientèle de l'établissement.
Les têtes volent de tous les côtés et roulent sous les tables, mon perfecto est rouge de sang ce qui ne fait qu'accroître ma rage inextinguible, le téléphone sonne, je décroche : « Allo, no more Hot Dogs ! » La voix calme et posée de Mister B résonne à l'autre bout du monde « Non pas les Hot Dogs, mais les Hot Chickens ! Ce soir à Courgivaux ! » J'ouvre les yeux, Salsa dort béatement sur le canapé à côté de moi. Je respire, ce n'était qu'un cauchemar. Les coréens doivent bien avoir élevé une statue équestre à Gene Vincent, du coup je me mets à siffloter la célèbre marche du poulet, the Chicken Walk, toujours d'Hasil Adkins.
ROAD TO COURGIVAUX
Avec Mister B, l'on déplie la mappemonde, un bled paumé qui se doit trouver quelque part entre la pampa argentine et les contreforts du Kurdistan, maugréons-nous. Pas du tout, comme le pastis, ça baigne dans le cinquante-un et, incroyable mais vrai, à vingt-quatre kilomètres de Provins. Les philosophes ont raison, l'on cherche le bonheur au bout du monde alors qu'il est tout près de chez nous. Du coup nous inventons le célèbre adage « A Courgivaux j'y vais et j'y cours ! » que la commune ferait bien de graver en lettres d'or sur le fronton de la mairie... Courgivaux, c'est comme le Sahara, avec des maisons et de l'herbe, mais pas âme qui vive dans les rues après huit heures du soir. Ah ! la quiétude de la France profonde ! La teuf-teuf mobile se range toute seule en bout de file, trois motos et quatre voitures alignées sur le même trottoir, ce doit être ici.
BALEINE ET SIRENES
Nous sommes parmi les premiers arrivants, mais notre exemple sut être contagieux. Ca ne cessera pas d'affluer de toute la soirée. Exceptionnelle, puisqu'il s'agit de fêter l'anniversaire de Baleine le président des bikers de Courbouvin. Club de bikers hyper sympas et accueillants, qui ont invité les Hot Chickens pour apporter une note musicale aux festivités. En plus le bar est stratégiquement située avant la salle de concert ! Les Dieux du rock sont avec nous.
Je suis curieux de voir les Hot Chikens, une formation mythique du french rockabilly, formée en 1999, un millier de concerts dans la soute et une solide réputation de groupe de scène. Parfois les Hot Chikens s'évadent d'eux mêmes et réapparaissent sous une autre forme. Ainsi avais-je pu admirer Jake Calypso – un country rockabilly classique mais super bien envoyé à Disney, le lecteur se rapportera à notre cent-neuvième livraison du 13 / 09 / 2012, que j'avais beaucoup apprécié. Par contre la démonstration d'Hervé Loison sous le nom de Wild Boogie Combo lors du cinquième Rockers Kulture ( cf N° 130 du 02 / 02 / 2013 )m'avait paru oiseuse et surfaite.
Les Hot Chickens en salopette et survêt sont en train de régler la sono. Nous avons droit à deux départs de Say Mama qui nous laissent sur notre faim. Les Hot Chikens aussi car après cela ils descendent de scène et s'installent carrément sur une table abondamment servie à cet usage... Prennent leur temps, ô combien d'hectolitres de bière furent englouties en cette longue attente ! Entrée gratuite, mais ne vous inquiétez pas, l'orga a dû rentrer dans ses frais. Ce qui n'est que justice.
Pendant ce temps ça discute dans tous les coins. Au milieu aussi. Nous itou, avec Thierry Credaro venu en voisin qui nous met l'eau à la bouche en nous parlant de son prochain projet d'enregistrement... N'ayant reçu aucune expresse autorisation je n'en divulguerai pas un mot de plus. Ni de la future production des Ghost Highway, une tuerie sur laquelle Mister B apporte des informations ultra-secrètes... Si vous voulez en savoir plus, l'on fait comme d'habitude, tout dépendra de vos chèques.
WILD SET
Mais les aiguilles ont tourné sur la pendule du rock'n'roll et les Hot Chickens entrent en scène. Hervé Loison dans un blouson bleu qu'il enlèvera très vite pour se retrouver en tunique cramoisie, Thierry Sellier, derrière sa batterie arbore une chemise western avec broderie sur les pectoraux et Christophe Gillet – aucun gilet sur lui, très strict en tenue noire. Réglons tout de suite le cas de ce dernier. Un guitariste hors-pair. Un maestro. Avec un tel compère à vos côtés vous pouvez être sûr de vous. Vous suit dans vos moindres désirs et si par hasard vous étiez en manque d'inspiration ou un peu perdu, ne vous inquiétez pas, en bon sherpa il vous ramènera sur le bon chemin tout en vous précédant. Ses doigts qui courent sur le manche vous filent le tournis. Attentif comme pas un à ses camarades, et vous passe des accords par dizaines comme si c'était d'une facilité enfantine. Ne joue pas non plus sur un vulgaire bout de bois mais sur une Gretsch 1954 blanche et noire, un outil ronronnant pour bien entendant.
L'a intérêt à assurer parce que sur sa droite Hervé Loison laisse en lui le naturel sauvage de l'homme pré-civilisationnel reprendre le dessus au triple galop. Me disais qu'il devait être un musicien sentimental qui préfère rafistoler sa contrebasse avec de larges bandes de scotch noir plutôt que de s'en séparer. Erreur sous toute la ligne. Pas le genre à la caresser langoureusement pour lui témoigner son amour. Serait plutôt dans le rapport sado-sado. La projette en l'air, la jette à terre, s'y couche dessus, la bourre de coups de poing, lui marche sur le manche sans préavis, tire ses cordes comme un forcené. Aucun respect pour l'outil de jubilation qui le fait vivre. Je plains sa maman. Déjà tout petit il devait être un brise-fer. Avez-vous déjà vu une brute torturer un micro ? Vous l'étire comme un élastique, vous le rapetisse à grands coups de patates, le fait voler à coups de doube-bass, en tord la tête dans tous les sens et en rejette le pied sur les panards du public. L'invraisemblable c'est que malgré ces longues séries de sévices répétés le pauvre microphone continue à fonctionner, comme si de rien n'était.
Je vous prie de m'excuser, j'ai oublié de mettre le son. Car Hervé Loison ne se contente pas d'être le premier contrebassiste que je rencontre qui milite à mort contre l'existence de sa basse. En plus il chante. Non Loison n'est pas comme l'oiseau qui pépie perché sur sa ligne mélodique. Mais vraiment pas du tout. Il crie, il hurle, il rugit, il imite le bruit des voitures, il yodèle à tort de travers comme un Hank Williams ou un Jimmie Rodgers qui ne sauraient plus s'arrêter, il siffle comme Eddie Cochran mais un peu n'importe quand et à tout bout de chant, et autre citation cochranesque il s'amuse à imiter la grosse voix des comiques américains.
Vous comprenez maintenant tout ce que j'ai dit sur Christophe Gillet. C'est que quand Loison se lance dans un morceau, nul sur terre ne peut savoir comment ça va se continuer. A chaque fois, c'est l'aventure, amateurs de coups tordus et de fourbes bifurcations, vous touchez le nirvana du chaos. Le plus terrible c'est qu'ils s'en sortent à chaque fois sans dommage. Retombent sur leurs pieds à la fin du morceau mais après un minimum de douze sauts périlleux. Même que parfois l'on dirait que ça énerve un peu Hervé de s'en tirer systématiquement sain et sauf. Peut-être est-ce la faute de Thierry Sellier qui, l'air débonnaire du gars qui a tout vu, tout vécu, vous arrive toujours à temps sur les contretemps quoi qu'il survienne d'imprévu, quoi que le second membre de la team rythmique entreprenne. Alors Loison en profite pour poser le sommet de son crâne sur la scène, se colle le dos sur la grosse caisse, lève les jambes et vous réalise un poirier impeccable. En profite pour tirer la langue et même pour souffler dans son harmonica.
Harmonica pas caca d'ailleurs car il a du souffle et sa contrebasse rejetée d'un grand coup de pied-je-m'en-foutiste vers les coulisses, le sieur Loison vous balance des stridences à la Sonny Boy Williamson, le Un et le Deux réunis. Un phénomène de foire, pas si éloigné que cela des medecine shows du début du siècle – pas le nôtre, le précédent. Très rock'n'roll, mais en grattant un peu l'on n'est pas loin des improvisations des premiers chanteurs de blues. Qui faisaient durer les morceaux, ajustaient les paroles à l'arrache sur des canevas éculés, mélangeaient sans états d'âme les lignes de guitare, mais vous captivaient l'auditoire durant des heures. Ainsi entre les deux sets l'on s'est amusé à remettre en ordre le salmigondis des classiques du rock passés à la moulinette de la dé-construction. Inutile de dire que sans une seule clope allumée, les Hot Chikens font un tabac.
DEUXIEME SET
Plus court, plus calme. Moins rockabilly, la contrebasse est abandonnée à terre comme un vieux cercueil de bois abîmé jeté aux orties. Hervé Loison est à la gratte. Ambiance sixties. Surfin Rock. Duel amical de guitares. Christophe Gillet apporte la preuve de son incroyable dextérité. En plus ils ne sont pas bons que sur les morceaux rapides, nous servent un slow-rock qui arrache une bordée d'applaudissement à la salle. Parfois la difficulté se cache là où on ne l'attend pas. Hervé Loison demande une chaise. L'on tremble, l'on imagine un flip-flap arrière les yeux bandés au-dessus de la contrebasse enflammée. Mais non, il fait comme tout le monde et se contente de s'asseoir. Deux quarts d'heure de blues avec le pied qui bat la mesure et l'harmonica qui vous déchire les tripes. Ensuite ce sera quelques country à la Jake Calypso, manière de reprendre souffle. Car le set se termine sur la promesse d'une troisième partie tumultueuse.
SURPRISE !
Que se passe-t-il la lumière ne se rallume pas ! Un groupe informel de rockers et Sirènes se livre à une mystérieuse opération autour d'une table au milieu de la salle. L'on allume des bougies, non ce n'est pas une panne d'électricité mais un énorme gâteau d'anniversaire pour les soixante chandelles de Baleine. Viendra les souffler sans faillir et en plus il a les bras remplis de bouteilles de champagne. Par Toutatis, les bikers de Courbouvin savent vivre. Pour le fraisier chers lecteurs, je m'excuse mais j'ai mangé votre part. Miam ! Miam !
TROISIEME SET
Sen souviendra longtemps de son anniversaire Baleine. Les Hot Chikens ont sorti le grand jeu. Deux ou trois morceaux rapidement emmenés et le final. Whole Lotta Shakin' Goin' On de Jerry Lee Lewis. Public mis à contribution, Eric est sommé de se charger de la contrebasse. L'est déjà monté sur le premier set et il s'en est tiré comme un chef, puis c'est autour des Sirènes de venir s'exhiber dans l'aquarium de la scène. Ca n'a pas l'air de les rebuter, pendant que Loison débite les couplets à cent kilomètres à l'heure nous avons droit à des chevauchements de contrebasse très suggestifs.
Mais voilà que la folie du berseker nordique s'empare d'Hervé, du haut de l'estrade il se jette dans la foule qui le réceptionne sur le bout des doigts et le ramène sur la scène, où illico il se saisit d'une Dan Electro et commence à la frapper sur le sol. Vole en éclats. Mais ce n'est que le début, maintenant il s'attaque au corps délabré d'une vieille contrebasse qu'il fracasse et démantibule à grands coups de manche de Dan Electro. Un instant de folie partagée par tout le monde. Distribution des morceaux de carcasse à tous les fétichistes, le set sur se termine sur un dernier Whole Lotta Baby Shake, Shake, Shake It To Me ! D'apothéose.
FIN
L'on a du mal à se séparer. On reste encore à discuter. Les musicos doivent apposer leurs signatures sur les bleus débris victimaires de la double-basse offerte en holocauste. Hervé Loison est très entouré. Répond avec simplicité et gentillesse. Ne se prend pas aux sérieux. Vit le rock comme un exutoire, en apprécie et en accentue l'aspect fun bordel. C'est sûr que pour des puristes – mais je n'en fais pas parti - l'on était plus près d'Asil Hadkins et des Cramps que de Johnny Horton. Ce qui n'est pas pour déplaire vu les réactions chaleureuses du public. Les Hot Chikens diffusent un rock festif et joyeux. A mon goût personnel, il me manque un peu de tension existentielle, mais cette soirée restera mémorable. Risque même de devenir légendaire dans la chaude saga des Hot Chickens.
Damie Chad.
P. S. : pour Asil Hadkins, vous reparlerai un de ces jours du bonhomme.
CENT CONTES ROCK
VOLUME # 1
PATRICK CAZENGLER
( camion blanc / Août 2011 )
ETATS D'ÂME 1
Faut pas me la faire. Comme tout un chacun j'ai deux ou trois trucs auxquels je tiens. D'habitude je suis un mec tranquille à vivre. Mais prêt à sortir le fusil de chasse à canon scié dès que vous mettez le pied sur mes platebandes ultimes ou sacrée. Il est des choses qu'il vaut mieux ne pas toucher. Un peu comme ces imbéciles qui s'arrêtent pour caresser du regard la moto d'un Hell's Angel sans avoir pris la précaution le matin en se levant de se commander un cercueil capitonné. Perso, la mécanique je m'en tape un peu. Pouvez venir vous agenouiller devant ma teuf-teuf mobile et vous prendre à côté en photo avec, si ça vous chante.
Non, moi ce qui me chatouille grave c'est les gars qui de près ou de loin commencent à tourner tel un vol lourd de vautours sur mes plaines intérieures aux alentours de Villiers de L'Isle-Adam et d'Edgar Poe. Alors, l'année dernière quand je suis rentré de vacances et que je me suis rencardé sur le site de Camion Blanc – l'éditeur qui véhicule le rock – pour voir les parutions estivales, j'ai tiqué méchant.
Soyons franc, les cinq premières secondes je n'ai pas réagi. J'ai cru – mais dans la vie il ne faut jamais croire, il faut savoir – qu'il s'agissait du bouquin publié quelques mois auparavant Les Nouvelles du Rock, le résultat du premier concours ouvert aux lecteurs qui avaient envie de jouer à l'écrivain. Chacun a le droit de rêver après tout. Mais non, ce n'était pas du tout un tremplin rock réservé aux amateurs ( voire aux apprentis sorciers ) d'écritures gothiques. C'était bien un gus tout seul qui s'appelait Cazengler Patrick, qui s'adjugeait le droit outrecuidant de publier des contes, tels Edgar Poe et Villiers de L'Isle Adam.
Il y avait deux trucs qui m'énervaient profondément. Premièrement le chiffre Cent et deuxièmement la mention Volume 1. Ca sentait la combine et ça puait l'arnaque. Cent contes, mais il se prenait pour qui ce Cazengler à dézinguer, murmurai-je en ouvrant ma boîte à chevrotines. S'imagine qu'on va gober le dinosaure, et pourquoi pas les mille et une nuits aussi tant qu'il y est ! L'a dû péniblement torcher une vingtaine d'historiettes et il nous en promet la suite dans les volumes deux à cinq qui ne viendront jamais.
ETATS D'ÂME 2
Au bout de quelques jours j'ai levé le pied. Devait se terrer dans un trou à rat le Cazengler, j'ai regardé partout, mais ne l'ai pas trouvé. J'ai posé le tromblon sur le siège de la teuf-teuf mobile au cas où. Mais rien ne s'est présenté. Mais comme rien n'est plus vicieux qu'un rocker tous les soirs avant de me coucher je suis allé faire un tour sur le site de Camion Blanc – l'éditeur qui véhiculait ma haine – un vieux truc de pistard, si le gibier est passé par ici, il repassera par là, un de ces jours. La grande patience du chasseur de primes. A part que moi, je rase gratis.
L'adage n'a pas menti. L'a montré son oreille le 23 novembre suivant. Pas exactement là où je l'attendais. Mais c'était bien lui. Patrick Cazengler. Pas à se tromper, le blaireau sortait de son terrier. Ca m'en a toutefois bouché un coin, l'était pas seul mais en compagnie de Mik Farren et de Gene Vincent. Jugez du peu ! Fraye pas qu'avec des cloches de plongée. J'étais un peu chamboulé, un gars qui traduit un livre sur Gene Vincent ne peut, selon le code pointilleux du rocker, être tout à fait mauvais. Doit y avoir au moins un pour cent de bon dans son cerveau ravagé par les termites à fromage.
En plus, faut reconnaître que le Cazengler se dépatouillait plutôt bien, du style, une plume alerte et incisive. Le kr'tntreader se rapportera à notre cent-vingt-deuxième livraison du 13 / 12 /12 pour s'assurer de tout le bien que j'en dis. Tout comme Rodrigue partagé entre l'honneur de son père et l'amour de Chimène j'étais écartelé entre ma dévotion pour Edgar Poe et ma fascination pour Gene Vincent. Tel Alexandre devant les imbroglios du noeud gordien je décidai de trancher dans le vif et de tirer l'affaire au clair en me procurant le bouquin incriminé. Pour ne pas dire criminel.
ETAT D'ÂME 3
Sourire du libraire. J'ai votre commande. Et patatrac, tout à trac il me tend un colis aussi lourd que l'Empire State Building. Un pavé. Que dis-je, une barricade de Mai 68 sur le boulevard Saint-Michel. Et la jeune vendeuse blonde et bouclée qui en rajoute : « Oh! Monsieur Damie Chad, la couverture l'on dirait une bouteille Jack Daniels, mais de cinq litres au moins ! ». Je ne vous parle pas de son sourire complice du genre « Chez vous on ne doit pas téter que du petit lait, Monsieur Damie Chad ! ». Mais je m'égare.
Arrivé dans la teuf-teuf mobile, avant de démarrer, je vérifie, 817 pages au total, et cent contes soigneusement rangés côte à côte comme des boîtes de petits pois sur une étagère. J'ai même l'étrange impression que le Cazengler se moque de ma poire, dans le genre les bons contes font les bons amis, car l'en a rajouté un cent-unième tout au bout... Imbécile que j'ai été, j'aurais évité de barjoter si seulement j'avais eu la précaution de zieuter le nombre de folios, ils l'indiquent toujours à côté du prix, chez Camion Blanc – l'éditeur qui véhicule mon dépit.
Mais à la réflexion je me rassérène de coeur : après tout n'importe quel crétin peut écrire cent contes à dormir debout aussi insipides que le Code Civil. Suis certain que je vais me plonger dans les eaux glacées d'une Bérézina littéraire. Ce Cazengler l'a intérêt à assurer. Les premiers instants me donnent raison. Le bouquin ne tient pas en place. Illisible. Trop mastoc. J'ai beau essayé à moi tout seul – deux fois plus dur qu'à deux - les soixante quinze poses du kamasutra sur le divan, le livre s'échappe toujours de mes mains. A peine ouvert qu'il se referme, je finis comme un moine bénédictin sagement assis sur une chaise les coudes sur la table de la cuisine. Pas très rock'n'roll, tout cela Mister Cazengler.
IMAGES
Première surprise, c'est rempli d'images. Nous prendrait-on pour des enfants sages ? Une par conte. Pleine page. Ligne claire et symphonie de gris. Des mises en scènes. Moi qui ne suis point spécialement physionomiste, je reconnais la plupart des artistes représentés. Des ressemblances qui cherchent davantage à vous arracher un sourire complice qu'à caricaturer. Me met en chasse du nom de l'illustrateur, le copyright est crédité à Patrick Cazengler. Possède au moins deux cordes à sa guitare. Ce n'est pas encore les cinq de l'open tuning mais ça s'y rapproche. Le cas Zengler est peut-être plus costaud qu'il n'y paraîtrait.
Pour ma part j'aurais utilisé des gravures sur bois avec des noirs sombres comme la mort et des blancs fantomatiques. J'aurais négocié avec l'éditeur quelques taches taches de rouges hémoglobine pour traduire la noirceur sanglante du rock'n'roll phantasmatique qui corrode les circuits malades de mon esprit sulfureux. Mais trêve de bavardages narcissique, plongeons-nous dans le texte !
CENT CONTES ROCK
Dès les premiers contes l'on comprend que le ton employé est à l'image des illustrations. Les corbeaux d'Edgar Poe et Villiers de L'Isle Adan s'envolent de mes épaules à la fin de la quatrième histoire pour aller jeter leurs sortilèges et croasser leurs noirs blasphèmes aux ombres des siècles épars dans le futur, un peu plus loin. N'ont rien à faire sur ces rivages heureux. Patrick Cazengler est plus près du rire moqueur d'Aristophane que des drames fatalistes d'Eschyle. J'avoue que quelque part ( mais où exactement ? ) je suis soulagé. Voici un gentleman qui ne tente pas de rivaliser avec les maîtres de l'interrègne de l'Abominable.
Je pige tout de suite le pourquoi de la couverture. A peine en avez-vous bu une gorgée au goulot de ce sky mirifique que vous ressentez le désir immédiat de vous en jeter une autre rasade derrière les amygdales. Coule comme de l'eau de source, mais c'est bien du feu liquide que vous avalez. Au bout de trente pages vous ne vous rendez conte de plus rien. Vous surfez sur la crête d'une vague qui grossit de plus en plus et qui vous emporte de plus en plus vite. Euphorique. Suis complètement saoul, aussi gris que les dessins, et encore plus noir que la couverture.
Mais ce n'est pas tout. Faut que je renseigne tout de même les lecteurs et il est temps de mettre un peu d'ordre dans mes idées. C'est que Patrick Cazengler est fâché avec la chronologie passe du coq au canard sans prévenir : de Screaming Lord Sutch au Captain Beefheart, de Procol Harum à Third World War – choix judicieux, je possède le premier trente-trois – traverse allègrement l'Atlantique – un coup en Amérique, un coup chez les Tommies – rarement la Manche – le rock français ne l'inspire guère à part Ronnie Bird et Les Cowboys from Outerspace – tiens, quelqu'un qui a pris la peine d'écouter nos Marseillais, jusqu'à lors je n'avais entendu parler d'eux que par Rock & Folk dans la misérabiliste section auto-production française, un truc encore plus bas de gamme que le Champagne de Bolivie ou le Camembert de Mauritanie.
UNE CONTRE-HISTOIRE DU ROCK'N'ROLL
Vous n'êtes pas obligé d'être toujours d'accord avec lui. Moi, un mec qui prétend que le I'm Back And I'm Proud de Gene Vincent est raté et que les deux premiers trente-trois des Animals sont inutiles à la survie de l'Humanité, j'ai plutôt envie de lui décocher une fatwa rock'n'roll jusqu'à la soixante-dix-septième génération. Au dernier moment je ne l'ai pas fait. Ce n'est pas l'envie qui me manquait, mais c'est que ce Patrick Cazengler, il mérite le respect des rockers.
En connaît un bout sur la question. Ne parle pas les oreilles vides. Sait de quoi qu'il cause. J'ai même appris deux ou trois bricoles. Et encore quand je dis ça, je suis modeste. M'en a carrément rempli un wagon. A même attisé mes regrets sur des mecs que j'ai toujours snobés comme cela, pour rien, par principe. C'est qu'il ne parle pas que du premier choix et des cadors qui débitent par millions d'exemplaires. Aurait même tendance à les éviter. Est plus attentif aux deuxièmes couteaux.
C'est que voyez-vous les inconnus qui vous vendent trois cent mille trente centimètres du jour au lendemain, c'est comme le gros lot du loto, ça n'arrive qu'aux autres et aux producteurs, rarement aux petits gars du fin-fond de l'Arizona. Pour une histoire merveilleuse qui fait rêver, il y en a des milliers d'autres beaucoup plus ternes. Et puis il ne faut pas se faire d'illusion, la Jim Jones Revue ce n'est pas Bing Crosby. Il y a des musiques qui ne font pas l'unanimité, c'est le moins que l'on puisse dire. Et parmi celles-ci, le rock'n'roll n'est pas la zique des plus prisées par les foules sentimentales. Entendons-nous sur le mot rock'n'roll, je ne parle pas des merveilleuses sucreries pop à la Little Sister d'Elvis, une bonne tranche de pain d'épices au goûter n'a jamais fait de mal à personne, mais de la purée de pois au gros sel que vous envoie la guitare de Johnny Thunders par exemple...
C'est que le rocker n'a d'autre cause perdue que le rock'n'roll. Qu'il se cache sous une banane impeccable ou derrière des cheveux longs crasseux, l'on retrouve toujours le même type d'individu. L'outlaw sans foi ni loi prêt à vous envoyer un riff en béton armé dans les dents dès que vous avez le dos tourné. Un teigneux qui ricane bêtement de vos chicots éparpillés sur le sol. J'admets que parfois vous pouvez commettre une erreur, ce jeune homme élégant si bien cravaté vous inspire confiance, ce n'est qu'un voyou qui trompe son monde. Un mod de la dernière mode que vous maudirez vite quand vous réaliserez son attirance trompeuse. Ne vous méprenez pas : entre le bling-bling bourgeois et le glam glam classieux, c'est toute la différence que vous retrouvez entre le style BC / BG à la parisienne coincée du fessier et l'esthétique C.B.G.B. new-yorkaise.
Patrick Cazengler a choisi son camp. En bout de piste dans le désert, quand même les crotales ne se donnent plus la peine de tourner la tête lorsque vous leur marcher sur la queue, d'habitude pourtant très chatouilleuse. Bien sûr qu'il y a des stars qui passent, à la vitesse des étoiles filantes, mais juste avant qu'elles ne s'écrasent lamentablement au plus profond des abysses comme Brian Jones, ou alors comme Bob Dylan qui se met à causer du passé oublié de l'univers et de lointains espaces parcourus par des cow-boys solitaires et dangereux dont personne ne connaît le nom. Le rock par le petit bout de la lorgnette. Oui mais c'est une longue-vue de capitaine pirate et dès qu'un muchacho espagnol croise dans les parages l'on comprend vite que ça va canarder à coups de pièces de huit. C'est dans les vieilles pétoires que l'on fait parler les poudres noires les plus dévastatrices.
Patrick Cazengler a remisé la cadillac rose aux pare-chocs en or du rock'n'roll dans le garage. Longtemps qu'elle a perdu son lustre, mais démarre au demi-quart de tour dès qu'il s'agit de partir pour une virée improbable dans le territoire des derniers Mescaléros. Amplis sur le siège arrière, guitares et grosse caisses sur la banquette avant, et les copines à la chatte ouverte sur le toit brûlant. C'est ainsi que la vie devient excitante surtout si l'on y rajoute des smarties de toutes les couleurs dans les vide-poches, et de l'alcool de contrebande dans le réservoir.
Un véritable livre d'éducation pour notre saine jeunesse. Devrait être distribué dès l'entrée en sixième, à la place du dictionnaire. Tout ce qu'il ne faut pas dire aux adolescents sur la nocivité motrice du rock'n'roll est minutieusement décrit et restitué. En plus, pour ceux qui ne comprennent pas vite – je ne parle pas des cancres au fond près du radiateur, eux ils ont tout de suite pigé rien qu'en regardant la couverture - Cazengler a prévu en fin de bouquin une discographie pour chaque conte et quelques légendes pour les dessins. Difficile d'être plus précis.
L'ART ET LA MANIERE
Mais je cause, je cause - la cause du rock'n'roll a tendance à me rendre lyrique – et vous aimeriez des précisions moins métaphoriques. Puisqu'il faut vous mettre les points sur le mi, je situerai la problématique esthétique entre Iggy Pop et Jeffrey Lee Pierce, salement électrique et haut voltage. Vais vous parler de ma soeur de sang. Jusqu'alors ce n'était qu'une copine sans plus, mais lorsque dans son appartement je suis rentré dans les cabinets, et que j'ai vu que les murs en étaient entièrement tapissés des billets des concerts de rock auxquels elle avait assisté, j'ai oublié la raison première de ma présence en ces lieux de glauques aisances et j'ai commencé à décrypter. La garce, la vérole, la chicaneuse, elle ne s'en vantait pas, mais elle avait vu Jeffrey Lee Pierce en live, à Paris, dans les années 80, et elle ne m'en avait rien dit ! Depuis elle s'est enfuie au Mexique mais je garde - bientôt dix ans - comme une relique précieuse dans ma salle à manger son canapé mauve qu'elle m'a laissé. Elle y a posé son cul dessus – on appelle cela un objet culte – elle qui a vu Jeffrey Lee Pierce. C'est cela le rock'n'roll. Evidemment si vous ne connaissez pas Jeffrey Lee Pierce, vous ne pouvez pas comprendre.
Ne vous inquiétez pas Cazengler il connaît Jeffrey Lee Pierce, lui ! Et il l'évoque plutôt bien. A sa manière. Un peu désinvolte, un peu farceuse – en le sens où Edgar Poe affublait certains de ses contes de l'épithète « grotesque », ou alors comme la seconde partie de la dédicace de ses Contes Cruels de Villiers de L'Isle Adam à ses lecteurs , « aux railleurs ». C'est qu'il est sûr que le rock déraille souvent.
Ce n'est pas une histoire du rock qui se réfugie derrière l'exactitude scientifique des dates et des évènements rapportés par au moins douze témoins homologués. Cazengler Patrick nous épate par ses séquences guignolesques. Prend une anecdote, la tire un peu par les cheveux du rire, mais pour mieux cacher la blessure souvent profonde qu'il va nous révéler, la brosse très légèrement en caricature, exagère nettement pour la lotion capillaire finale, et c'est déjà fini. Passe pas de pommade. Vous laisse souvent le crâne à cru, car sous ses airs engageants et son sourire narquois, il scalpe beaucoup plus souvent qu'il ne peigne. Grotesque et cruel. Voici que les corbeaux du désespoir et du bizarre viennent se percher sur son buste pallide. Holà les volatiles, faudrait pas exagérer ! Nos malingres autruchons du malheur et du mal-être ne peuvent s'empêcher de rire aux éclats comme des augures romains dès que se croisent leurs regards.
Et vous, vous êtes comme eux à vous gondoler comme une tôle goudronnée. Attention mine de rien ça taille, profond. Et puis il y en a partout. Un véritable feu d'artifice. Toutes les trois lignes, le Cazengler vous déniche une métaphore sémaphore de derrière les fagots, ce pourrait être vite redondant de se remettre cent fois sur l'ouvrage, mais non, il s'amuse comme un fou, virevolte sur les jeux de mots et rebondit sur les expressions à rebrousse-moustache. Extrême jubilation de l'idiome pour le vocable idoine. Un travail d'orfèvre. Un amoureux de la belle langue françoise. Du style à déguster à petites gorgées appréciatives. Fines nuances à discerner et capiteux arômes à savourer. Mais à avaler aussi à longues lampées. Autant pour les fines gueules que pour les grands gousiers.
Rock littéraire écrit par un fan transi. Faut lire les trois dernières pages autobiographiques cazenglériennes. Une histoire mille fois entendue. Les premiers disques des pionniers achetés, l'envolée sur le british beat et le délire punk, tout le monde connaît. Qu'il ait eu la chance – un vocable bateau pour conjurer la malédiction de l'âge - de prendre le train au départ ou de monter à la toute-dernière station du mois dernier, l'amateur ne s'y trompera pas : nous sommes en présence d'un livre profondément original – et par son projet, et par ses modalités d'écriture – un chef d'oeuvre - suis sûr que les anglais et les ricains n'ont pas été capables d'en pondre un du même acabit - qui à chaque page transpire d'authenticité rock. A lire d'urgence.
Damie Chad.
PS : C'est bien beau tout ça, mais le volume 2 c'est pour quand ? Faut que je retourne d'urgence à la librairie, moi.
PS 2 : mon conte préféré : le quarantième rugissant sur Johnny Cash.
DARREL HIGHAM
Comme vous êtes gentils, l'on vous offre un petit supplément extrait du LIVERPOOL ECHO du 29 mars 2013. Un article signé de JADE WRIGHT, vous ne la connaissez pas ? Nous non plus. Sûr qu'elle a du goût puisque le gars qu'elle interviewe est une grosse pointure de la guitare rockabilly actuel - vous possédez ses disques dans votre collection - j'ai nommé DARREL HIGHAM. Un grand merci à notre talentueux traducteur MISTER TOMER.
The Kat Men est composé du batteur des Stray Cats Slim Jim Phantom, du guitariste de Rockabilly Darrel Higham et du bassiste Al Gare. The Kat Men font la promesse d'apporter leur mixture de pop contemporaine au Eric's à Liverpool le vendredi 17 mai, je suis donc allée intercepter Darrel pour l'interview musique de l'ECHO de cette semaine.
Parlez-nous de votre concert de Liverpool. À quoi peut-on s'attendre ?
J'espère à une soirée sympa de bon vieux rock'n'roll / rockabilly avec quelques surprises pour faire bonne mesure.
Quelle chanson avez-vous dans le tête aujourd'hui ?
Roy Hamilton – ''Crazy Feeling''.
Qu'écoutez-vous aujourd'hui ?
J'écoute des disques... la seule façon authentique d'écouter de la musique ! Il y a un obscur 45t de Tommy Lam sur ma platine, intitulé ''Speed Limit''.
Quel a été le premier album que vous avez acheté ?
Eddie Cochran – l'album ''The 15th Anniversary''
Quel musicien admirez-vous le plus ? Et pourquoi ?
Eddie Cochran. Il a été le meilleur chanteur / compositeur / guitariste / producteur de toute l'ère du rock'n'roll. C'est mon humble opinion. Et je veux encore être lui quand je serai grand.
Quels sont votre trois albums préférés de tous les temps ?
''Singin' To My Baby'' d'Eddie Cochran. ''Golden Records Vol. 1'' d'Elvis Presley et ''Greatest'' de Gene Vincent.
Parlez-nous d'un groupe génial dont nous n'aurions pas entendu parler...
Un groupe de Liverpool qui s'appelle Furious... Du vrai rock'n'roll de teddy boys. Nous les trouvons fantastiques.
Vous a-t-on déjà dit que vous ressembliez à quelqu'un de connu ?
Jamais
Si vous débarquiez dans un karaoké, que chanteriez-vous ?
''Somethin' Else'' d'Eddie Cochran. Je connais les paroles.
Quelle chanson voudriez-vous que l'on passe lors de votre enterrement ?
''Peace In The Valley'' d'Elvis Presley. Je veux que les gens pleurent, pas qu'ils rigolent !
Quel a été votre plus grand moment de solitude ?
Il y en a eu pas mal...
Quelle est la possession que vous chérissez le plus ?
Ce n'est pas vraiment une possession, mais ma fille de sept mois est tout pour moi. Et une photo dédicacée d'Eddie Cochran.
Vous êtes-vous déjà cherché sur Google ?
Je suis heureux de faire ce que j'ai envie de faire, donc je ne ressens pas le besoin de savoir si les gens apprécient ce que je fais ou pas.
Quelle est la chose la plus drôle vous concernant que vous ayez lue ou entendue ?
Une critique d'un concert d'Imelda May qui parlait de son groupe comme d'une bande de teddy boys dans la quarantaine. Ce n'était pas vraiment drôle, c'était la vérité.
Thé ou café ?
Café.
Facebook ou Twitter ?
Je me moque de l'un comme de l'autre, pour être honnête.
John, Paul, George ou Ringo ?
Carl Perkins.
Liverpool ou Everton ?
Les deux clubs sont fantastiques !
Fermez les yeux. Si j'étais votre génie, quels seraient vos trois vœux ?
J'aimerais que ma fille ait une longue et heureuse vie pleine de succès. J'aimerais jouer de la guitare comme Chet Atkins, s'il vous plait. Je pourrais avoir un Ford Zodiac décapotable modèle 1958, s'il te plait ? Le premier vœu me rendrait le plus heureux...
( Toutes les images ont été prises sur le net ou le facebook des artistes. Les photos des Hot Chickens ne correspondent pas au concert de Courgivaux. )
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