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10/07/2013

KR'TNT ! ¤ 152. BLACK LIPS / GHOST HIGHWAY / HOOP'45 / COLLINS KIDS

 

KR'TNT ! ¤ 152

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

11 / 07 / 2013

 

 

BLACK LIPS / GHOST HIGHWAY / HOOP'S 45 / COLLINS KIDS

 

 

AVIS A LA POPULATION

Ce n'est pas que l'on s'ennuie avec vous mais nous partons en vacances. Le site restera muet jusqu'au jeudi 29 août 2026. Non, 2013 ! Comme l'on est gentil, on vous a glissé en tête de gondole le récapitulatif de nos cent-cinquante deux livraisons. La lecture en est facultative, mais ne venez pas vous plaindre si à la rentrée vous avez écouté de fort mauvais disques et assisté à de médiocres concerts. Et surtout n'oubliez pas : ROCK 'N' ROLL !

 

 

LE 106 / ROUEN / 27 - 06 – 2013 /

 

BLACK LIPS

 

 

L E S  B O N N E S  B L A G U E S  D E S  B L A C K  L I P S

 

 

 

Après douze ans de tournées dans le monde entier et six albums studio, les Black Lips se conduisent toujours comme des sales morpions. À la fin du set, Ian Saint Pé jette une boîte de bière (ouverte, bien entendu) en l’air et se sert de sa guitare comme d’une batte de baseball pour la frapper de plein fouet et l’envoyer dans la foule. Beng !

 

Le jeu favori de Cole Alexander, l’autre guitariste, est de cracher très haut en l’air et d’ouvrir le bec pour récupérer son glaviot. Quand il rate son coup, il le prend généralement dans l’œil. Ils auront tout essayé pour défrayer une chronique pourtant déjà bien fournie. Exemple : à l’époque de leurs débuts, Jared et Cole n’ont rien trouvé de mieux à faire pour se distinguer que de sortir leurs queues sur scène et d’y mettre le feu. Jared ajoute humblement qu’ils n’ont fait ça qu’une seule fois et qu’ils étaient très jeunes. C’est d’autant plus fort que des pyromanes notoires comme Jerry Lee ou Jimi Hendrix n’y ont jamais pensé.

 

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Avez-vous déjà essayé de jouer de la guitare avec la queue ? Eux, oui. Encore un exemple de leur génie inventif : lors d’une tournée aux Indes, ils se sont roulé des pelles sur scène, par pure provoc. Mais aux Indes, on ne rigole pas avec ça. C’est même considéré comme un grave délit. La police indienne se frottait les mains : elle les accusait d’avoir commis des actes homosexuels passibles de lourdes peines et se préparait à les coffrer. Quand on leur a expliqué à quoi ressemblaient les taules indiennes (violence, tuberculose et gros vers blancs servis aux repas), nos quatre Black Lips se sont enfuis avant l’aube de leur hôtel par l’escalier de service et ont quitté le pays clandestinement.

 

Les Black Lips jouaient la semaine dernière au 106, un complexe culturel aménagé dans un ancien bâtiment des docks de Rouen. Grassement financé par les instances locales, l’endroit semble presque trop luxueux pour accueillir des gens comme les Black Lips, Monsieur Quintron ou les Mad Sin. On sent comme un énorme décalage.

 

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Les Black Lips viennent d’Atlanta, en Georgie. Jared Swilley, chant et basse «violon» Hofner, fils d’un pasteur homosexuel qui adorait les Beatles, rappelle qu’Atlanta est un oasis perdu au milieu d’une mer de haine (a sea of hatred, pour reprendre son expression), c’est-à-dire le Sud profond. Jared change souvent de look. Il se coiffe aujourd’hui comme un greaser de Sha Na Na. Cole Alexander, chant et guitare, se roule beaucoup moins par terre qu’autrefois. Il semble se concentrer davantage sur les chansons. Il porte toujours des bonnets ou des casquettes improbables et des fringues de collégien paumé. Ian Saint Pé est le second guitariste, arrivé dans le groupe à l’époque du troisième album, «Let It Bloom». Il sourit en permanence et s’habille correctement. Et derrière, Joe Bradley bat le beurre et prend parfois le chant.

 

On prend depuis douze ans ce groupe très au sérieux. Ils sont les héritiers directs d’une grande tradition, celle du garage américain, dont on fouille encore aujourd’hui les archives. C’est l’un des phénomènes les plus importants de l’histoire culturelle américaine (au moins aussi importante, sinon plus, que la vague rockab des années 56-57) : dans tous les patelins d’Amérique, des mômes s’achetaient des guitares et montaient des groupes pour singer leurs idoles, les Beatles et les Rolling Stones. Et s’ils en avaient les moyens, ils enregistraient un quarante-cinq tours, souvent à tirage confidentiel, qu’ils distribuaient au collège local. Ce garage rudimentaire fait le bonheur des amateurs. Grâce à son fanzine Bomp!, Greg Shaw devint le porte-parole de cette génération spontanée. Dix ans après la vague rockab, on entrait dans un nouveau culte, celui des groupes sauvages éphémères. Spontanéité et manque de technique étaient les deux mamelles du phénomène (on retrouvera d’ailleurs ces deux mamelles dix ans plus tard à Londres, chez les premiers groupes punk). On parle ici de l’essence même du rock. Les fameux trois accords des Sonics et des Pretty Things. Puis des Stooges. On sentait clairement à l’époque que les guitaristes virtuoses qui s’illustraient dans ce qu’on appelle le rock progressif nous faisaient perdre notre temps.

 

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En gros, les Black Lips touillent le répertoire de la trasherie confondante. Ah ! parlez-leur de délinquance juvénile, de stoogeries laconiques, de lyrics plaintifs, d’éjaculations nubiles, de cicatrices à l’abdomen, parlez-leur de rébellion et de chaos, de pluie ardente et d’horizons embrasés, de cuirs râpés et de braguettes ouvertes, les Black Lips incarnent tout ça à la perfection. Ils ont même dépassé leurs modèles.

 

Dès leur premier album, «Black Lips», sorti en 2003 (mais enregistré entre 2000 et 2001), les Blacks Lips annonçaient la couleur : trash-garage à tous les étages. Comme par hasard, l’album sortait sur Bomp!, le label mythique jadis créé par Greg Shaw. Pour les amateurs de garage à deux sous, ce disque n’est rien d’autre qu’un paradis, notamment la face B. Deux morceaux sont réellement dignes des Stooges de la première époque, «FAD» et «Crazy Girl» : morgue au chant, power-chords incendiaires. Tout ce dont on rêvait, les Black Lips l’ont fait. Voilà deux stoogeries mirobolantes du même acabit que le «White Dress» de Nathaniel Meyer (morceau niché sur son dernier album, «Why Don’t You Give It To Me») ou le «Predate» de Kim Salmon & the Surrealists (niché sur leur dernier album, «Grand Unifying Theory»). Pas mal pour un premier album. Ils rejoignaient une sorte de peloton de tête underground, qui bien sûr ne va pas intéresser les foules. Mais bon, on se dit toujours dans ces cas là que ça a le mérite d’exister et qu’en plus, c’est vraiment bon.

 

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Ils savent aussi donner dans le primitif graisseux, avec un morceau comme «Can’t Bring Me Down». Vraiment idéal pour tous ceux et celles qui adorent le gras qui tache, celui qui traverse le papier du charcutier, pour tous ceux et celles qui partent en quête de primitivisme sur les routes de France. N’oublions jamais qu’avant le primitivisme, il n’y avait rien. Ou pas grand chose. Et que depuis, les choses ont évolué, mais pas toujours dans le bon sens. Les gens qui écoutent Howlin’ Wolf et ceux qui écoutent Madonna ne vivent pas dans le même monde.

 

On trouve aussi sur ce premier album des Black Lips une pure insanité intitulée «You’re Dumb». Ils traitent ça sur un mode heavy blues qui situe parfaitement leur degré de dédouanement intempestif.

 

En 2004 sortait leur second album sur Bomp!, «We Didn’t Know The Forest Spirit Made The Flowers Grow». Tout un programme. Inutile de s’interroger sur le sens de ce titre bucolique d’inspiration rousseauiste, c’est un coup à macérer dans l’expectative pour rien. On trouvera là encore une face B beaucoup plus détonante. Et on réalise soudain, à l’écoute de cette série de morceaux foutraques, que le secret du grand art des Black Lips, c’est le débraillé.

 

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Crypt leur rendait hommage avec l’une de ces belles formules dont ils ont le secret (et que tous les autres labels ont essayé de repomper) : «A fantastic set of brutal garage punk with attitude mixed with some fucked up trashy blues tunes». (un fantastique mélange de morceaux garage punk violent et de trashy blues déjanté).

 

Le second morceau, «Time Of The Scab», est un acide jeté aux yeux de la conscience du monde avec une sorte de sauvagerie contenue. Les enchaînements d’accords sont typiques des Kinks et des Troggs. À l’instar de milliers d’autres groupes à travers le monde, les Black Lips continuent de recycler effrontément ces vieilles mécaniques d’accords. On retrouve tout ce qu’on appréciait énormément chez les grands transfuges comme les Move période «I Can’t Hear the Grass Grow» ou le Syd Barrett de «See Emily Play».

 

Quand on entend «Juvenile» qui ouvre le bal de la face B, on dresse immédiatement l’oreille. C’est un morceau de garage complètement désossé, avec une guitare aigrelette en arrière plan, des boîtes à chaussure pour les percus et du larsen en pagaille. Cole hurle ses fins de couplets comme si on lui arrachait les couilles avec une paire de tenailles rouillées. Ils donnent là leur version du primitivisme. Ils se situent dans le même esprit que les Deviants, avec cette façon de descendre dans la rue, down the street, dju dju dju djuvenile ! et de hurler. Du haut de leur chaire, les agrégés de garagisme transcendantal du quatrième millénaire crieront au génie, avec un doigt pointé au ciel, lorsqu’ils évoqueront ce morceau des Black Lips. Et dans l’amphi, les milliers d’étudiants se lèveront comme un seul homme lorsque les enceintes cracheront l’illustration sonore de l’exposé.

 

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«Notown Blues» ? On se croirait chez les Stooges d’Atlanta. Ils creusent toujours plus la veine du trash-garage, ça hurle, baby comme ça hurle, pépite de juke sixties Question Mark garage punk outfit destroy oh boy argllllll. Et c’est comme ça jusqu’au bout de la face B. «Par les cornes du diable, c’est à se damner pour l’éternité !», comme dirait le capitaine Flint, émerveillé par le contenu du coffre qu’il vient d’entrouvrir.

 

Avec l’arrivée de Ian Saint Pé, le son des Black Lips semble s’étoffer. «Let It Bloom» sort sur In The Red, le grand label garage américain de Larry Hardy. Ce disque est une bénédiction, un don du ciel. Ils repassent le garage à la moulinette de Jean-Christophe Averty. Ils sont à la fois les Yardbirds, les Them et les Pretty Things. Ils ont retrouvé le chemin de la menace. Ils attaquent ce disque (ainsi que leur set sur scène) avec «Sea Of Blasphemy», une petite pépite de garage dévoyé sertie sur une gamme de basse dynamique. C’est chanté avec un maximum de mauvaises intentions. Voilà donc l’hymne des délinquants du monde entier et un classique vraiment digne des Them de la première époque. «Can’t Dance» est une horreur garage percutée de plein fouet par une guitare au son merveilleusement dégueulasse. C’est de la fuzz tire-bouchon, avec un son de klaxon. Berk.

 

Sur cet album se trouve un autre standard : «Not A Problem». Les Black Lips le reprennent systématiquement sur scène. Avec sa belle mélodie chant, ce morceau semble ouvrir de nouveaux horizons au groupe. Ils entrent dans la cour des grands et se montrent dignes des géants des sixties. En 1965, on les aurait vu grimper au sommet des charts, avec un tube pareil. Ils auraient délogé les Beatles et Sandie Shaw. En plus, c’est stompé à la bonne franquette et chanté avec la merveilleuse énergie du désespoir adolescent.

 

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«Everybody’s Doin’ It» est une pièce garage stupéfiante de véracité nucléaire. Ils montent ça sur des accords gras bien claqués. Une fois de plus, la face B réserve son lot de surprises. Dans «Take Me Home», ils balancent un killer solo schtroumphé jusqu’à l’os. «Take me Home (Back to Boone)» est un nouveau clin d’œil appuyé aux Yardbirds. Les chœurs sont du pur «For Your Love», et le solo une horreur dévastatrice que personne, même parmi les gens les plus doués, n’oserait rejouer. «She’s Gone» est une petite sauvagerie digne des Pretty Things, montée sur la ligne de basse la plus élastique qu’on ait entendue depuis celles de John Stax. On tombe ensuite sur «Fairy Stories», un morceau fabuleux d’inventivité, monté sur un petit canapé de gimmick en discordance maximale, une espèce de tournicolis de notes juteuses. Résultat élégantissime, digne des perles les plus obscures de la collection de singles psyché de Greg Shaw.

 

En 2007 sortait «200 Million Thousand», un quatrième album farci d’inventions dignes du concours Lépine garage. «Let It Grow» est l’un des classiques les plus mal foutus de l’histoire du rock. On en goûtera le ralenti mal dégrossi, les belles tempêtes de fuzz bien sales et le pur typique du typique sixties. Voilà l’exemple type du morceau trash qui ne se lave jamais. Le trash qui sent le bouc. Unique au monde. Ils réinventent aussi la pop à leur façon dans «Short Fuse», petite pièce de pop agitée et sacrément décousue. Chez eux, le son n’est jamais plein. Il y a des trous dedans, comme dans les chaussettes des bikers. Les voix s’accrochent dans les aléas et les instruments semblent voler au secours du garagiste en perdition. Plus spectaculaire encore : «Big Black Baby Jesus Of Today», crasseux à souhait, C’aomon !, avec du noir sous les ongles, une lourde présomption de délinquance, indécent et même obscène, un brouet qui tue les mouches. Avec King Khan & BBQ, les Black Lips sont les plus grands héritiers des sixties.

 

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L’album suivant s’appelle «Good Bad Not Evil». Une nouvelle série de perles guette le malheureux auditeur. Des trucs comme «I Saw A Ghost» ou «O Katrina» sont bourrés de génie foutraque et décousus de fil blanc. Toujours aussi fuzzy et bourré de mauvaises intentions. Ils font exactement ce qu’ils veulent. Si vous aimez l’obscénité décontractée, écoutez «Veni Vidi Vici». Si vous préférez le garage insalubre chanté à deux voix, alors écoutez «It Feels Alright», monté sur des accords fermes et définitifs. Les Black Lips finissent par pervertir la symbolique du genre, ce qui situe leur niveau.

 

En 2011 sort leur sixième album, «Arabia Mountain». Transformation radicale. Nos amis d’Atlanta proposent une série de chansons dignes de se retrouver dans tous les juke-boxes de la planète. Je n’exagère pas. Écoutez l’album et vous verrez. Quand on écoute «Family Tree» on se dit que ça sonne vraiment comme un classique, mais en 2013, les hits pop n’ont plus guère d’audience. Trop tard, les gars, il fallait naître quarante ans plus tôt. Comme beaucoup de groupes américains cultivés, les Black Lips finissent pas sonner comme des Anglais. Bel exemple avec «Spidey’s Curse» qu’on croirait sorti d’un album des Television Personalities ou «Bicentenial Man» qu’on jurerait avoir entendu sur un album des Monochrome Set. «Mad Dog» et «Go Out And Get It» sonnent aussi comme des hits des sixties, poppy et soignés, dignes des meilleurs sixties boomers de la grande époque. Avec «Raw Meat» ils réussissent l’exploit de sonner comme les Undertones. Pur jus. Avec la face B, les amateurs de son sixties vont grimper directement au paradis. «Bone Marrow» sonne comme un hit de Tommy James & the Shondells avec un petit côté Ramones. Effarant, et juté au thérémine. «Time» sonne comme un hit de Paul Revere & the Raiders, ils jettent toute leur énergie dans la balance et ils saturent le chant d’un solo continu. Avec le chant à l’unisson de «Dumpster Dive», ils tapent dans les Byrds. «New Direction» évoque les Buzzcocks. Un disque avec seize bons titres ? Mais oui ça existe et il s’appelle «Arabia Mountain».

 

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On était donc particulièrement ravis de les revoir sur scène au 106. Sept ans s’étaient écoulés depuis leur fabuleux concert au Gambetta, un petit rade de la rue de Bagnolet. Ian Saint Pé est toujours aussi beau, avec son regard d’arcades décalées de séducteur italien. Jared Swilley, porte toujours un pantalon tuyau de poêle, mais au 106, il ne semblait pas en état de présider aux destinées du groupe. Notons au passage que ce mec chante affreusement bien. Les Black Lips ont surchauffé immédiatement la salle avec «Sea Of Blasphemy». Un peu plus tard, le public s’est tapé un joli moment d’étrangeté avec cette pièce fascinante qu’est «Not A Problem».

 

Pas d’excès sur scène, cette fois-ci. Cole n’a craché en l’air qu’une seule fois. Les Black Lips mettent désormais le paquet sur les chansons du dernier album. Plus de la moitié des morceaux qu’ils jouent sortent de «Arabia Mountain».

 

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Ils bougent exactement comme les Beatles première époque, celle où ils jouaient chaque soir au Star Club de Hambourg. Ils ont exactement le même genre de tressautement soutenu, la même pulsion unitaire, les mêmes têtes dodelinantes et la même manie des rythmes infernaux. C’en est même troublant. Ils jouent d’ailleurs un pastiche de «I Wanna Hold Your Hand» qui s’intitule «Dirty Hands». Baby, veux-tu me tenir la main ? Mais la main des Black Lips est singulièrement cra-cra, bien sûr. La fille devra avoir le cœur bien accroché. Ils ont aussi des morceaux baroques et même un peu pénibles, comme ce «Hippie, Hippie, Hoorah» qui n’a ni queue ni tête et qu’ils jouent en rappel, histoire de bien nous agacer. On dirait une reprise de Frank Zappa, mais c’est en réalité une reprise de Jacques Dutronc qu’ils s’amusent à immoler, puisqu’ils la chantent dans un français incompréhensible. Mais dès qu’ils reviennent à l’hypertension, ils sont irréversibles.

 

Les Black Lips portent un lourd fardeau : rien de moins que l’avenir du rock. Ils nous remontent bien le moral en attendant, car ils offrent tout ce qu’un amateur peut attendre d’un groupe garage : des chansons inspirées et explosives. Sans ces groupes comme les Black Lips ou King Khan & BBQ, la vie deviendrait compliquée. À quoi servirait d’aller chaque matin se jeter dans la gueule du gros méchant loup ?

 

 

 

 

Signé : Cazengler, amateur de lippes en tous genres

 

 

Black Lips. Le 106. Rouen. 25 juin 2013

 

Black Lips. Black Lips. Bomp Records. 2003

 

Black Lips. We Did Not Know the Forest Spirit Made the Flowers Grow. Bomp Records. 2004

 

Black Lips. Let it Bloom. In the Red Records. 2005

 

Black Lips. Good Bad Not Evil. Vice Records. 2007

 

Black Lips. 200 Million Thousand. Vice Records. 2009

 

Black Lips. Arabia Mountain. Vice Records. 2011

 

L’illustration : de gauche à droite : Ian Saint Pé, Cole Alexander, Jared Swilley et Joe Bradley.

 

( Je rajoute que toutes ces illustrations inédites et inégalables dont nous vous régalons depuis plusieurs semaines sont de la plume colorée de notre Cat Zengler préféré. D. Chad )

 



 

HD DINER OPERA / PARIS / 04 - 07 - 2013 /

 

GHOST HIGHWAY

 

Pour Earl,

 

L('AUTOROUT)E FANTÔME DE L'OPERA

 

 

L'argument culturel imparable. Le chef n'avait pu que s'incliner lorsque Mister B avait demandé sa demi-journée pour «  un concert à l'Opéra ». L'avait pas précisé que c'était pour l'HD Diner Opéra. Bref l'on était prêt pour une petite soirée parisienne un peu hot lorsque nous dûmes déchanter. Un quarteron de péronnelles caquetantes vint s'abattre au dernier moment sur la banquette arrière de la teuf-teuf mobile. Bye bye notre indépendance ! Et tout cela, ironie d'un sort injuste, un quatre juillet, the american victory D-Day par excellence, que nous allions fêter dans un des cinq fast-foods pro-fifty vintage HD Diner de la capitale.

 

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Soyons francs, nous ne sommes pas spécialement américanophiles, mais nous sommes loin d'être les seuls. Suffit de mettre un pied dans HD Diner pour sentir que le concept de base de cette chaîne ( alimentaire ) réside surtout dans l'exploitation d'une mode qui durera quelques saisons, le temps de surfer sur la vague et d'amasser un maximum de fric... ensuite l'on embarquera la clientèle dans la prochaine nostalgie qui se profilera dans le futur... Toujours est-il que pour l'instant le rockabilly profite et participe de ce courant suscité par l'hégémonie culturelle et économique des USA en notre occident européen. Multiples sont les contradictions qui nous sous-tendent.

 

 

On ne peut pas dire qu'à l'intérieur ce soit comme les vastes prairies désertées de l'Ouest sans fin. On s'y sent vite à l'étroit. Tables, chaises et banquettes sont rapprochées à l'extrême, les clients sont serrés les uns sur les autres, et les serveurs doivent se frayer leur chemin entre la clientèle et les amateurs de musique qui se lèvent pour voir le groupe... Couleurs dominantes le vert pâle et la rose crue. Affiches pepsi-cola et réclames de produits dérivés du baseball sur les murs, steack hachés grillés et grosses frites dans les assiettes. Plus tard à la mid-sixties Andy Warhol transformera le mauvais goût des amerloques en esthétique dominante... Edgar Poe avait raison, rien ne vaut le grotesque néronien.

 

 

Les Ghost sont là, plus les intimes, plus les fans, plus les clients attablés qui sont venus... pour manger, ou discuter le coup entre pots et copains devant un plat garni. Beaucoup de monde, la queue déborde de temps en temps sur le trottoir, mais l'attente n'est pas exagérément longue.

 

 

PREMIER SET

 

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Doit être neuf heures lorsque les Ghost se dirigent vers les instruments. Espace restreint, plus grand qu'un timbre-poste, plus petit qu'un six mètres carrés de chambre de bonne sous les combles loués à huit cent euros par mois. D'emblée l'on accorde une baguette d'or à Phil qui parvient à rassembler sa musculature dans l'encoignure du fond. Ca tient de l'homme caoutchouc qui dans les cirques d'antan se glissait dans les tuyaux du poêle. Me demande encore comment il a pu bouger ses jointures. Zio peut remercier sa contrebasse, grâce à elle il s'octroie une double place, l'est le seul à pouvoir respirer à son aise. Entre Zio le veinard et Jull collé contre le mur Arno essaie de se faire aussi maigre que le pied de son micro. Faut convenir que même si ça dépasse un peu sur les côtés, il y parvient assez bien.

 

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Le son, disons qu'il aurait pu être pire. Même si Jull sur sa console est parvenu à des miracles d'équilibre entre les instrus, cela dépend du lieu où vous êtes, étrangement presque bon tout au fond de la salle. Malheureusement le meilleur endroit pour ne rien voir du tout. Difficile de prendre ses marques en de telles conditions, mais dès le Folsom Prison Blues le groupe trouve son allant et sa cohésion et commence à balancer aussi salement que s'il était dans un bouge de la Nouvelle Orléans.. Suffit de regarder les tablées, les conversations ralentissent, les fourchettes restent en suspend et l'on se détourne de la contemplation de la frite reine pour jeter un coup d'oeil interrogatif sur ces mecs qui émettent du bruit pas tout à fait inintéressant.

 

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Au fur et à mesure que le set se déroule, la clientèle se renouvelle, les dîneurs du début de la soirée n'étaient manifestement là qu'en transit. Partent vers de nouvelles aventures dans lesquelles nous ne les suivrons pas. Une deuxième génération s'installe peu à peu, elle ne bénéficiera que de la dernière partie de la set-list, assez toutefois pour la savourer. Et comme les Ghosts eux-mêmes termineront leur première heure pour passer à table, lorsque commencera la deuxième partie, l'on assistera à un curieux phénomène, les gens pour la plupart échoués là un peu par hasard, ne quittent plus leur siège et restent à leur place pour assister à la suite du show.

 

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C'est que lorsque Country Heroes, Cause I forgot, Please don't leave me, et Gone Ridin' vous ont traversé le cerveau, tout individu normalement constitué ne saurait résister à continuer la chevauchée avec ce combo qui balance la syncope avec un tel entrain.

 

 

 

DEUXIEME SET

 

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Une main anonyme dont nous tairons le nom a négligemment poussé le volume. Tout change d'intensité. Un peu comme quand vous agitez une lampe torche dans la nuit et que vous apercevez que tous les monstres de la jungle n'attendent plus que vous pour commencer le festin. Oui, Monsieur le commissaire, nous avons été victimes d'une rock'n'roll agression. S'étaient très bien conduits dans la première partie, des garçons un peu agités certes, mais rien à voir avec les sauvages énergumènes en lesquels ils se sont transformés. Sans préavis.

 

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Une pure merveille. Un moment de grâce. L'on a brusquement l'impression que les Ghost ne jouent plus que pour eux. Jull leur prépare un riff ourlé de bronze qu'il sculpte en pickin' et décline à la perfection avant de s'effacer et de laisser à ses acolytes le temps d'y imprimer leur marque. Arno, alors que ses mains déchiquètent la rythmique, fait gronder sa voix et puis à son tour se retire comme la vague de la mer qui se détourne pour revenir encore plus forte et plus violente. Ce dont Phil, que je n'ai jamais entendu frapper avec autant de hargne, se charge alors que la basse de Zio vibre comme un vol de libellules sur le tombeau des Alyscamps. Merci cher Rainer Maria Rilke pour cette poétique comparaison.

 

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Je sens que je cours au lynchage, mais les Ghosts prennent un tel plaisir à toutes leurs parties instrumentales qu'ils ressemblent à un orchestre de jazz. Excusez-moi pour ce gros mot aussi inattendu qu'une bouse de vache sur le tapis rouge de l'Olympe, mais il y a un tel ensemble, une telle volupté à partager ces moments de braise et de volupté, que l'on s'écarte du simple beat rokabillyesque pour entrer dans une harmonisation souveraine mais ultra-violente.

 

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Stupéfaction générale, serveurs et serveuses se sont regroupés autour de la caisse enregistreuse et restent-là les bras ballants le plateau en bout de main, abasourdis et ravis. Non seulement le responsable ne les houspille pas, mais se contente de répéter qu'il n'a jamais vu ça. Deux jeunes filles me demandent de quelle région d'Angleterre ils viennent, quand je leur réponds que ce sont des français de Paris, je sens bien à leur air étonné et leur mine sceptique qu'elles me prennent pour un gros mytho grave qui tient à faire son malin et se retirent offusquées...

 

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Les Ghosts sont loin de cela, se tirent la bourre sur les deux derniers morceaux du rappel. Impossible de les terminer. Dès que l'un fait discrètement signe de stopper, ou Phil écrase un break de quinze tonnes qui rouvre les débats, ou Zio plaque des accords de béton armés qui demandent à être badigeonnés de chaux vive, ou Arno sert un killer solo d'harmonica à vous arracher les dents, ou Jull vous invente une monstruosité gretschique inconnue aussi méchante que des balles traçantes, et comme aucun ne veut lâcher le morceau, nous avons droit à un finale de vingt minutes éblouissantes de virtuosité. Pas prêts de retourner au pays où Johnny Law fait sa loi.

 

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Y a longtemps que les clients ne consomment plus. La plupart viennent de découvrir en un même soir et le rockabilly et les Ghost Highway. Ils hurlent et applaudissent à tout rompre. Les Ghost Highway ont encore une fois frappé un grand coup. Mais comment font-ils ? Elémentaire mon cher lecteur Watson, they got it !

 

 

BACK ON THE ROAD

 

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Dans la voiture l'on n'entends plus qu'elles, entre une qui a flashé sur Zio et qui nous cause de sa classe innée de véritable rocker et l'autre qui raconte que c'est la plus belle soirée de sa vie, l'on se regarde avec Mister B sans rien dire. Sans doute aurions-nous dû les abandonner attachées à une pompe de station service sur le bord de l'autoroute... N'est-ce pas l'été, la saison propice aux migrations ? D'ailleurs les Ghost Hihghway s'en retournent en Angleterre d'ici peu. Si même les anglais exigent de les revoir...

 

 

Damie Chad.

 

( photos de Edonald Duck prises sur le face book de Ghost Higway Paris )

 

 

PANNES / 6 – 07 – 2013 /

 

 

HOOPS 45

 

 

 

nous sommes les seuls emprunteurs de cette asphalte désertée. Serais-je le Survivant après l'explosion atomique ? Comment parviendrais-je à perpétuer l'espèce humaine ? Je me bâtis tout un roman dans ma tête. Hélas lorsque je commence à entamer le deuxième chapitre, je comprends que je suis prisonnier du thriller le plus angoissant qui ait jamais été écrit au monde.

 

 

Je cherche Pannes, et Pannes a disparu de la surface de la terre. Encore un coup des extraterrestres, qui tentent une expérience sur les limites du psychisme des terriens. Personne, tous les habitants sont calfeutrés chez eux, derrière leurs volets fermés. La paranoïa s'insinue dans les pores de mon cerveau. Je sens que je vais basculer dans la folie noire lorsque devant mes yeux hallucinés une pancarte m'indique de prendre à gauche pour me rendre à Pannes.

 

 

Suis pas né de la dernière pluie, je ne tombe pas dans le panneau, je bifurque à droite et fonce sur un chemin vicinal qui s'enfonce dans le vide du paysage. Je me fie à mon GPS instinctif, j'ai raison. Un clocher solitaire pointe son nez vers le ciel, il est écrit sur Rockyrocka que le concert aura lieu à vingt heures sur la Place de l'Eglise, je suis sûr que je tiens le bon bout ( comme disent les copines ).

 

 

Il est huit heures moins vingt, la teuf-teuf mobile se range à côté de consoeurs locales sur un parking que je suppute municipal. Les épis sont tirés au cordeau. N'y a qu'un truc que je ne comprends pas, doivent avoir un sacré problème avec l'implantation des panonceaux dans le pays puisque un magnifique interdit de stationner d'un mètre vingt de diamètre domine l'aire de stationnement.

 

 

Je ne suis pas au bout de mes frayeurs. J'ai erré dans le labyrinthe mais je ne savais pas que le minotaure m'attendait. Au début, je ne me suis pas méfié, un incertain et vague relent de musique flottait dans l'air, j'ai donc suivi la trace auditive. Les Hoop's doivent faire la balance me disais-je, et à la qualité sonore de la bouillie saumâtre que j'ouïs, z'ont pas encore trouvé la solution idéale.

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Mais l'évidence s'impose. Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, mais non de Zeus cette zique qui s'affirme dans mon esgourde n'est pas constituée par les farouches intonations du rockabilly ! Voyons, ce serait plutôt, mais non, mais oui, je sens que je vais faire comme E.T., moi vouloir rentrer maison. Ce n'est pas un disque, c'est bien un chanteur qui chante ( jusque là, tout est normal ) du... Michel Delpech. Un pot-(vraiment)pourri de tous ses hits.

 

 

J'imagine la dernière des abominations, les Hoop's décommandés et remplacés au dernier moment... Non ! Pas ça ! Je suis maudit ! Mon mauvais karma me poursuit, mais avant de m'enfuir je boirai la coupe jusqu'à la lie, et je débouche enfin sur la grand-place. Tout au fond une scène surélevée, y a bien quelqu'un qui tient un micro, mais derrière lui s'étend une immense banderole noire plastifiée avec inscrit en grosses lettres blanches HOOP'S 45 ! Je suis sauvé.

 

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Sept heures quarante sept, je me mets à l'ombre à la terrasse d'un café, l'on me sert un des meilleurs petits noirs que j'ai jamais bu dans ma longue vie. J'inspecte les alentours. Quatre gamins qui trampolinent à dix centimètres de hauteur sur une structure gonflable en forme de château-fort, un grand auvent avec quatre cuistots amateurs qui s'affairent autour d'une friteuse, six personnes sagement assises sur une ribambelle de bancs, un vaste plancher pour les danseurs aussi vide que le portefeuille d'un SDF, et l'émule de Michel Delpech qui me propose de flirter avec lui. Non merci.

 

 

 

Sept heures cinquante sept, un organisateur monte sur scène et nous prévient qu'après un dernier succès de Delpêche-toi Michel d'en finir, ce sera le tour des Hoop's. Huit heures une minutes, six secondes, les Hoop's empoignent leurs instruments. Une orga de pros.

 

 

PREMIER SET

 

 

Plateau de dix mètres de long. Une sono monumentale. Elle appartient au groupe. La place et le matos pour s'exprimer. Ne s'en priveront pas. Sont ici comme chez eux, décontractés, confiants, connus et respectés. Ne cherchent pas la facilité. L'immense majorité de la population n'est pas spécialement rock. Fredonnerait plus facilement un tube de C. Jérôme que des Stray Cats, mais les Hoop's ne baissent pas la garde, et ne se départiront pas une seconde de leur parti pris rock'n'roll.

 

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Kevin derrière la batterie, baguettes à la main et chapeau tyrolien pied de poule sur la tête. Steph au micro, bras nus, la hargne aux lèvres, Jean Eric impatient d'en découdre avec sa Gretsch, Richard à la basse, l'oeil partout à la fois. Commencent par un petit bouquet de classiques du rock'n'roll histoire de se mettre en forme et de porter la combustion énergétique à un tel niveau qu'il sera impossible qu'elle redescende plus bas.

 

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Ne sont pas des stakhanovistes de la reproduction à l'identique. Reprennent par exemple beaucoup de Presley mais depuis l'ouverture des studios Sun, de l'eau a coulé sous les ponts et le fleuve rockabilly a été alimenté par de multiples nouveaux affluents. Possèdent un son que l'on qualifiera de moderne, même si ce mot ne signifie pas grand chose en lui-même. Même Homère était un auteur moderne huit siècles avant notre ère, malheureusement chrétienne. Inutile de remonter si loin, les Hoop's ont écouté les miaulements des Chats Errants et ont trouvé leurs miaulements discordants si mélodiques qu'ils ont continué sur cette lancée.

 

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Mais avec un guitariste aussi inventif que Jean Eric ils ont vite créé leur propre mixture bien à eux. Rappelez-vous comment j'avais insisté sur le côté organique de leur premier CD, un album qui respectait la sainte règle des trois unités que beaucoup n'atteignent pas dans le rockabilly, un groupe, un son, une originalité. Et en cette fin de soirée illuminée par un chaud soleil Jean Eric s'en donne à coeur joie. Concentré et survolté, connaît son morceau sur le bout des doigts mais a toujours le zieutar aux aguets, cherche sans arrêt un autre chemin, un autre je ne sais quoi qu'il pourrait inventer sur le moment. Et quand il a trouvé – et il trouve souvent - il saute de joie, pousse des hurlements à se casser les cordes vocales et s'en va gambader une simili marche de canard chuckberrienne qui met le public en joie. Car si nous partîmes à sept par un prompt renfort nous finîmes autour d'une centaine.

 

 

Sur son acoustique Steph est loin d'être atone. En grande forme. Crache les vocals d'une voix rauque terriblement sensuelle, joue sur les intonations, tessiture canaille et amplitude rock'n'rollienne. Le jeu d'Elvis et l'énergie jappéé d'Eddie Cochran. A écouté les maîtres, et se permettra quelques interprétations de Little Richard, superbement envoyée. Ne se risque pas dans un phrasé typiquement noir – cette manière d'allonger les fins de mots tout en donnant l'impression de les écourter - mais donne des versions gominées gorgées de soul. Invective avec humour. Mène le show avec maîtrise.

 

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Kevin, imperturbable. Ne se limite pas à la caisse claire. Assombrit les morceaux de lourdes touches cognantes et explosives sur les autres toms. Trois uppercuts rapides, semble en avoir terminé, lève la tête et la baguette, regarde Jean Eric, le tout sans se presser et à la seconde exacte où vous pensez qu'il va attaquer la séance suivante, klong !!!! il vous termine celle en cours par un coup de gong à rendre fou un collège de moines tibétains. Un peu surpris vous cherchez à en savoir plus, mais sous son chapeau à damier il arbore le sourire candide du gamin qui vient de glisser un gros pétard du 14 juillet dans la boîte à lettres du curé. Klong !!!! Il vient de vous avoir pour la cinquante-sixième fois et vous ne pouvez pas lui en vouloir.

 

 

Richard est heureux. On le sent bien. Un peu enivré par le son de sa propre basse. Ca roule pour lui, entre les roulements de Kevin, la rythmique folle de Steph et la Gretsch inventive de Jean Eric, il faufile des lignes de basse comme de missiles à têtes chercheuses. Se démultiplient à l'infini en évitant tous les obstacles. N'étouffent pas les copains mais zèbrent l'espace sonore comme des mambas gorgés de venin. Apporte un son fruité, un terreau fertile qui garantit la mise en valeur et la croissance exponentielle des apports de ses trois acolytes.

 

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Le set défile vitesse grand V. Ca marche comme des roulettes. Un plaisir d'écoute maximum, mais un mosieur loyal de l'orga les interompt pour leur signifier qu'à la clepsydre du temps il ne leur reste plus que trois minutes pour un dernier morceau. Se débrouilleront pour en envoyer trois, qui nous laissent un furieux goût de revenez-y dans tout le corps.

 

 

INTERMEDE

 

 

Rien ne nous sera épargné. Les Hoop's n'ont pas repris pied sur terre que déjà le maître-chanteur de tout à l'heure enjambe les escaliers pour reprendre le micro. Ce n'est plus le même homme. L'a mis une perruque blonde sur ses tempes argentées. Je feins de croire qu'il va nous réciter un passage de Tête d'Or de Paul Claudel. Mais non, ce sera C Jérôme. Les Hoop's sont derrière moi dans la queue de la baraque à frites ( cinq euros une pleine assiette + saucisses délicieuses ), Steph doit convenir que leur récital n'est pas à la hauteur de celui que l'on nous inflige. Leur manque une sérieuse touche de romantisme dans les paroles.

 

 

Les pires tourments ont une fin, les Hoop's n'ont pas englouti leur assiettée que déjà on les redemande sur scène. Jean-Eric se lance tout seul comme un grand dans un petit solo de guitare pour faire patienter la foule. L'on en apprend de belles, après le concert défilé de la batucada + feu d'artifice + bal populaire + embrasement de l'Eglise. Enfin le staff Houp's est au grand complet. Se jettent illico dans le deuxième set.

 

 

DEUXIEME SET

 

 

Je sais que je ne devrais pas. Que je vais vous faire mal. Que vous allez maudire votre manque de flair. Oui il fallait être à Pannes, et vous n'y étiez pas. Bande de misérables. Vous auriez dû organiser des charters et vous êtes restés chez vous à vous ennuyer ! En tout cas à Pannes, ils ont compris, dans cette paisible bourgade du Loi et Cher toute la population s'est déplacée en masse pour la deuxième session des Hoop's. Les femmes avec leur landau, les hommes, les vieux grands-pères dans leur chaise roulante, les mémés aux cheveux blancs, six cents personnes massées sur la place en ont pris plein les oreilles pour pas un sou.

 

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Je n'ai pas oublié les enfants. Se sont précipités sur le plancher destiné aux danseurs et l'ont squatté d'un bout à l'autre su set. Fallait voir ces têtes blondes, ces bambins de deux ans, ces souples et mignonnettes fillettes aux habits colorés mener leur infernale sarabande. Z'ont jerké sans s'arrêter un tiers de seconde comme à la Locomotive en 1965. Ne les grondez pas. C'est la faute aux Hoop's. Et aux parents irresponsables. Ne sais pas ce que les cuistots peut-être inexpérimentés avaient employé comme sel des frites mais z'avaient dû confondre avec la cocaïne.

 

 

Chaud devant. Chaud derrière. Un public subitement devenu fin connaisseur et les Hoop's totalement déchaînés. Tous les quatre ils ont dû péter une durite sans s'en apercevoir juste avant de monter sur scène. Car ce fut un merveilleux concert. De l'énergie pure, une émanation festive et païenne, un ruissellement de plaisir. Et la foule mouvante et chaleureuse ne s'y est pas trompée. A su rugir et hurler à chaque sur-renchérissement du groupe.

 

 

 

Ils n'ont pas joué. Ils ont performé. Nous ont jeté à la gueule des hits brûlants comme des bâtons sortis tout droit des fournaises de l'enfer. Ont pioché dans leur album et en ont extrait des bâtons de pure dynamite à la mèche courte. Pris d'une folie collective Steph et Jean Eric se sont lancés dans une danse du scalp sans retenue, guitares en face à face et galopades d' ours furieux le long de la scène. Kevin-klong enfonçait des tire-fonds galvanisés à la foudre à la chaîne et Richard, son sourire devenu démoniaque, de sa basse profonde s'est attaqué aux soubassements de notre cortex reptilien.

 

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Sur ce Jean Eric s'est mis à bondir en hauteur comme au bon vieux temps de Pete Townshend et des Who et un tsunami rock'n'roll s'abattit sur la paisible bourgade de Pannes. Par quel miracle des centaines d'honnêtes citoyens qui accomplissent leur devoir conjugal et électoral aux heures prescrites se sont-ils transformés en zombies rock'n'roll issus des béances ultimes, je ne saurais vous l'expliquer. Faut bien en rejeter la faute entière sur les Hoop's qui nous ont subjugués. La recette est facile, les mêmes ingrédients qu'au premier set, mais une cuisson à la bonbonne de gaz chauffée au lance-flamme.

 

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Dernier accord de guitare. Tout est rentré dans l'ordre. Cette heure de folie collective est devenue comme le souvenir d'un instant de grâce inespérée dans la grisaille de nos existences quotidienne. C'est fou comme la réalisation de nos rêve les plus fous ne dure pas longtemps. Merci les Hoop's. Merci beauc hoop's.

 

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THE END

 

 

 

Discussion sympathique à la buvette ( merci Richard ), Les Hoop's ont commencé à ranger leur matériel et j'ai démarré la teuf-teuf mobile qui baratinait les copines en leur racontant toutes ses sorties rock'n'roll. Suis parti sous les explosions du feu d'artifice et la belle bleue qui illuminait le noir du ciel de l'été. Je n'aime guère les succédanés, pour moi la fête était terminée. Depuis déjà trop longtemps.

 

 

Mais combien y-a-t-il de villages en France qui s'offrent un véritable concert de rock'n'roll. A part Pannes, je suis en panne ( oui j'ai osé ) pour continuer la liste.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

Collins kids

 

LA RAIE DE LARRY

 

 

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Plusieurs fois, les sales morpions du quartier ont cassé la porte de ma teuf-teuf mobile. Une première fois pour récupérer un pack de bières oublié sur la banquette. Une autre fois pour s’amuser avec le volant. Et une troisième fois pour un motif qui m’échappe, puisque la voiture était aussi vide que le crâne d’une Antillaise obèse payée à coller des prunes sur les pare-brises. Mais c’est pas grave, ces sales morpions sont des adeptes de Pierre de Coubertin et chaque matin, ils se lèvent en clamant : «L’essentiel c’est de forcer les portes des voitures !» Personne n’ira les blâmer pour ça.

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Bien sûr, pas question de faire construire un mirador pour surveiller la rue. Encore moins question d’aller récupérer un Doberman à la SPA pour lui demander de veiller sur la partie mobile du patrimoine. Quand on aime bien le trash, on s’habitue vite à l’idée d’une portière tordue avec un barillet de serrure qui pendouille.

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Une nuit de pleine lune, alors que je n’arrivais pas à dormir, je suis remonté au salon pour siffler une bière et visionner l’un des DVD empilés près de la télé, ceux qui attendent qu’on veuille bien trouver un moment à leur consacrer. Comme la nuit risquait d’être longue, je sortis du tas les trois volumes des Collins Kids At Town Hall Party, édités par Bear Family, notre vraie famille.

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Avec les Collins Kids, il ne faut théoriquement pas s’attendre à de grosses surprises. Ils frôlaient parfois le spectacle de variétés à la mode américaine et leur véritable spécificité fut d’être des surdoués. Je mis le Volume 1 en route, en caressant le secret espoir de me rendormir. Après l’intro du gros présentateur, les deux Collins attaquèrent leur numéro de cirque. En voyant ce morpion sauter dans tous les coins, tout en grattant sur sa guitare, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ceux qui pliaient la porte de ma bagnole pour s’amuser. Les mêmes ! Celui-là était coiffé à la brosse, une grosse raie d’anthologie sur le côté, 8 ans et déjà complètement cinglé. Les parents devaient en baver. Ah les pauvres ! Le môme lançait ses pieds en avant, il sautillait comme ces haricots mexicains qui fascinaient tant les Surréalistes (un rien les fascinait). Il ne lui manquait plus que la queue du marsupilami. J’étais horrifié. Sa pauvre sœur, Lorrie Collins, devait en baver, elle aussi.

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Ils attaquèrent ensuite un morceau intitulé «Bird Dog». Ce sale morpion donnait la réplique à sa frangine et ne trouvait rien de mieux à faire que de lancer ses jambes en extension l’une après l’autre, tout en grattant ses accords. Si vous êtes guitariste, essayez. C’est un coup à se casser la gueule (si je dis ça, c’est parce que j’ai essayé, pour voir). En gros, c’est un Mozart américain dansant le Casatchok. Larry Collins est minuscule et il passe la moitié du set à rebondir comme une balle. Quand il donne la réplique, le dos collé à sa sœur, il bat tous les records de clownerie.

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Il pousse le bouchon très très loin. «Make Him Behave» est une chanson country assez insipide. Le public américain est particulièrement friand de ce type de country. Figurez-vous que ce sale morpion trouve le moyen de sauter, comme s’il jouait un hit rockab, alors que la chanson n’est qu’un tas de merde. Larry Collins est infernal. Il est beaucoup trop doué, et il en rajoute des caisses. Il prend un solo en picking tout en sautant à pieds joints à travers la scène. Même Chuck Berry ne se serait pas risqué à ça.

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Les trois volumes Bear Family sont en fait une compilation de tous les passages des Collins Kids dans cette émission de télé californienne. En général, ils montaient sur scène pour deux morceaux. Nous sommes toujours en 1958 et le gros présentateur demande à Larry Collins quel âge il a. Comme tous les petits voyous menottés aux radiateurs des commissariats, il répond «Fourteen !», alors qu’on voit bien qu’il en a 8 ou 9. Le frère et la sœur ont mis au point un numéro de cirque : «Blues Medley». C’est l’occasion pour Lorrie d’essayer de se faire passer pour Sarah Vaughan, et pour le morpion de montrer qu’il rivalise de feeling avec BB King. Ils mettent le turbo pour le refrain et ils enchaînent avec un numéro de claquettes. Une chose est sûre : Larry Collins a le diable au corps. Il aurait pu se retrouver dans un roman de Radiguet.

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Ce qui au début pouvait agacer finit petit à petit par épater. Ce sale morpion joue et danse le rock avec la même ferveur et le même talent que Little Richard ou Eddie Cochran. On lui pardonne ses manies de premier de la classe, son côté m’as-tu-vu, son ingénuité sucrée. Il déborde de fougue et d’entrain et on sent bien qu’il adore gratter comme un con et s’abandonner aux ravages de la teenage lobotomy et du blitzkrieg bop.

 

Du coup, on dresse l’oreille. Sur «High School», il fait péter ses trois accords. Lorrie donne dans le guttural. Larry en rajoute encore, il semble ne pas connaître ses limites, ce morpion est cinglé, il traverse la scène en sautant à pieds joints, un vrai marsupilami dégénéré. Lennon et McCartney ont dû voir ça, car à l’époque du Star Club de Hambourg, ils sautillaient sur place en grattant leurs guitares et en braillant dans leur micro. Les héritiers du mode sautillant sont les Black Lips : même énergie, les trois qui sont au devant de la scène sautillent sur place tout en jouant et en gueulant dans des micros. Je n’ai jamais vu ça ailleurs, dans un autre groupe. Car c’est très difficile, au niveau souffle. On perd vite son souffle quand on sautille et chanter dans un micro, c’est un énorme effort physique, surtout quand il faut se placer au-dessus du barouf des instruments. Larry Collins n’est jamais essoufflé. Il est même le premier à repartir, dès qu’il trouve un nouveau pas de danse.

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Quels veinards, les Américains. En 1958, ils allumaient la télé et ils tombaient sur Larry Collins, alors qu’en France, on devait se contenter des Trois Ménestrels, de Danyel Gérard et de Dario Moreno. Bons artistes, certes, mais moins catchy.

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C’est en octobre 1958 que Larry Collins se pointe sur scène avec sa guitare à double manche. Il se montre encore plus cinglé qu’avant. Il fait le duck-walk marche avant marche arrière. Chuck Berry a dû adorer ça. On passe ensuite aux choses sérieuses : les gamins reprennent «Great Balls Of Fire». Ils entrent sur le territoire de Jerry Lee. Rrrrrrrrrrrrr.... Ils s’en sortent miraculeusement, grâce au génie infantile de Larry qui s’égosille en voulant hurler le fameux Great balls of fire ! Et comme Jerry Lee, il décide d’enflammer les esprits, alors il prend un solo sur le manche du bas et saute dans tous les coins comme un névropathe. On ne s’en lasse pas. Il lève le bras en l’air comme Jimi Hendrix (qui n’était pas encore guitariste).

 

Leur version de «Blue Moon Over Kentucky» frôle le génie pur. Lorrie et Larry chantent ensemble et ils réussissent l’exploit de transformer ce vieux classique en machine infernale. Larry prend son solo sur le petit manche du haut. Voilà la version qu’il faut écouter. Le gamin n’en finit plus de sauter en l’air. Il parvient vraiment à crever l’écran. Ricky Nelson ne lui arrivera jamais à la cheville. Larry et Lorrie Collins constituent probablement le meilleur duo de l’histoire du rock. Ils sont assez complets. Ils savent imposer un style qui ne doit rien à personne. Le côté ingénu mêlé à la sauvagerie juvénile finit par accrocher. On se souvient que le rock est avant toute chose une pulsion adolescente. On a vu ces dernières années un certain nombre de duos faire la une des magazines. Quand on voit jouer Larry et Lorrie Collins, on se dit que les duos prétentieux comme les Kills (et avant eux les White Stripes, au temps de leur notoriété un peu surfaite) ont encore pas mal de chemin à faire et certainement des tas de choses à apprendre.

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Ce démon de Larry attaque «Chantilly Lace». Les revoilà sur le territoire de Jerry Lee et ils s’en tirent honorablement, grâce à cette ferveur qui frise la délinquance juvénile. Pour Larry, ce devait être un pur bonheur que de chanter un hit aussi monstrueux. Et tous les gosses qui le voyaient à la télé devaient rêver d’en faire autant. On imagine la cocotte-minute qu’est devenue l’Amérique en 1958. Des centaines de milliers de clones de Larry Collins s’exerçaient devant les miroirs des armoires à linge quand leurs parents étaient à l’extérieur. Ils travaillaient leur profil, secouaient leurs cheveux, forçaient leur voix et frôlaient le vertige en amenant le refrain. Ils y croyaient dur comme fer, se prenaient déjà pour des rockers, rêvaient de rouflaquettes et de ceinturons à grosses boucles. Pour la grande majorité d’entre eux, les rêves allaient finir collés sur le pare-brise de la vie, comme ces insectes qui l’été parsèment les pare-brise des voitures lancées sur les autoroutes.

 

Larry Collins fut un mini-héros, une version enfantine d’Elvis. Le petit conte de fée du rêve américain. Quand on le voit sauter et éructer «He’s A Bird», on ne peut pas s’empêcher de penser à Pete Townshend (qui n’était pas encore guitariste). On le voit jouer, les doigts en biseau et le nez en trompette. Lorsqu’il revient jouer une version de «Great Balls of Fire», il devient fou à lier. Il saute, danse, joue, crie et donne la réplique à s’en arracher les amygdales. Larry Collins fut beaucoup plus qu’un petit phénomène de foire. À sa façon, il montrait tout simplement comment se joue le rock’n’roll. Tout débutant devrait voir Larry Collins jouer au Town Hall Party en 1958.

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Un bon conseil, révisez vos classiques, et si vous n’êtes pas déjà passé par la case départ, commandez au moins l’un de ces trois coffrets chez Bear Family.

 

Avec le volume 2 , on passe en 1959. Larry semble de plus en plus énervé. On s’inquiète pour lui. Comment va-t-on pouvoir le calmer ? Impossible. Il va finir à l’asile. Ses parents vont devoir le faire piquer ou demander l’internement. Quelle catastrophe. Il est allé trop loin. Voilà où mène la permissivité du rock. Pauvre gamin.

 

Lorrie attaque «Shake A Hand» d’une voix gutturale, du coup son frère lance sa jambe en avant. On voit sa tête dodeliner au dessus du nœud papillon. Ce gamin swingue comme un malade. Il chante l’intro de «Stagger Lee» et il se lance ensuite dans un numéro spectaculaire de danse de Saint-Guy. Moi qui voulais dormir, c’est foutu. On assiste ensuite à un spectacle qui dépasse l’entendement. Larry et Lorrie Collins transforment «Shake Rattle And Roll» en véritable sabbat des enfers et Larry devient complètement fou, il saute en l’air et n’arrive même plus à jouer, tellement il est possédé. Ne manque que la bave blanche au coin de la bouche. Sur «Plain Jane», c’est encore pire. Il se remet à sauter et on voit ses jambes faire des X et des Y. Il est si petit qu’il semble court sur pattes avec sa grosse guitare à double manche. Il bat tous les records. Il défie toutes les lois de la physique. La grande boule de feu, c’est lui. On croit qu’il atteint ses limites avec ce qu’on a vu. Grave erreur ! Il attaque une version de «Stagger Lee» en patatant ses accords, puis il se lance dans un duck-walk survolté. Il électrise la reprise à outrance. On pourrait très bien qualifier Larry Collins de mini-Eddie Cochran punkoïde. On le fait ensuite monter seul sur scène, et il perd un peu de sa fougue. Il réussit toutefois à s’exciter tout seul. Il rit beaucoup, fait le pitre et montre qu’il maîtrise bien son instrument. Sur «Hot Rod», il singe Fats Domino et Eddie Cochran, avec le guttural en prime. Quand sa sœur revient pour «Kissin’ Time», on ressent un grand soulagement, car ils sont tous les deux magnifiques de dualité. Larry joue quelques morceaux avec Joe Maphis, vétéran du circuit country et virtuose de la six cordes. Coiffé de son grand Stetson blanc, le vieux Joe balance un solo de basse à faire frémir Jack Bruce.

 

Tout ça grâce au bénédictin Richard Weize et à son label Bear Family. Rien de ce qui sort sur ce label n’est anecdotique. Ces gens là s’adonnent à une sorte de religiosité atypique, ils bâtissent à grands coups de coffrets et de séries thématiques ce qu’on pourrait appeler une théologie de l’esprit rock, arrachant à l’oubli des œuvres souvent primitives et très anciennes. Bear Family est devenu la bibliothèque d’Alexandrie des temps modernes. Ils redonnent à cette culture tout son éclat. Voilà un puits de connaissance dans lequel il fait bon d’aller se jeter.

 

Signé : l’acrimonieux Cazengler

 

 

The Collins Kids. At Town Hall Party. Vol. 1, 2 et 3. Bear Family DVD.

 



 

04/07/2013

KR'TNT ! ¤ 151. TILTERS / FOUR ACES / CAPITOL'S / CARL & HIS RYTHM ALL STARS / RACHID tAHA

 

KR'TNT ! ¤ 151

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

04 / 07 / 2013

 

 

/ CARL AND THE RHYTHM ALL STARS / RACHID TAHA / TILTERS / FOUR ACES / CAPITOL'S /

 

 

DEUXIEME ROCK'N'ROLL AFTERNOON

 

CREPY – en – VALOIS / 06 – 06 – 2010

 

CARL AND THE RHYTHM ALL STARS

 

( OS ) CAR WILD

 

Trois ans déjà ! C'est en 2010 que nous avons pour la première fois croisé le chemin de Carl and the Rhythm All Stars. Ils se produisaient sur la petite scène d'une fête rock'n'roll organisée à Crépy-en-Valois, une charmante bourgade située au Nord de Paris. Un trio venu de Hongrie, the Mystery Gang, se pavanait en tête d'affiche. Les Red Cabs ouvraient le bal et Carl passait entre les deux.

 

Tous ces groupes jouaient en plein jour et en plein air, ce qui n'est jamais l'idéal. Nous avions ce que les météorologistes appellent un temps clément et Carl s'est pointé sur scène en chemisette hawaïenne. On s'attendait donc au set pépère d'un petit jazz-band de banlieue. Ce fut au contraire un set de pur rockabilly, farci d'hommages à Johnny Burnette.

 

Carl a toutes les cartes en main : le bon timbre, la présence scénique, le jeu de jambes burnettien et l'épilepsie rockab. Il sait se rouler par terre au bon moment, et quand on le voit faire, on se demande vraiment pourquoi les autres ne le font pas. Il y a dans l'essence même du rockabilly une pointe de folie et quand on voit Carl se jeter à terre et piquer sa crise, on voit qu'il l'a parfaitement intégrée. Il est le wild cat par excellence. Il doit être l'un des ultimes boppers sauvages, au sens noble du terme, puisqu'on parle ici de lignée.

 

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Son set sur scène est excellent, c'est même du très haut de gamme, mais ses deux albums emportent tout : les barrages, les a-priori, les moues, les critiques, les poncifs, les clichés, rien ne saurait leur résister. On se plaint du manque de bons disques en France. Petit conseil d'ami, écoutez les deux albums de Carl & the Rhythm All Stars et vous allez danser comme un ours devant les enceintes de votre stéréo, je vous le garantis.

 

Mettez le premier album dans votre lecteur : «Music To Live». Vous allez voir, dès l'intro de «Don't Stay Alone», Carl beugle comme la victime d'un arracheur de dents. Il jette tout son poids dans la balance. Il se met les tripes à l'air. Il se met en pétard. Il met dans le mille. Il met le paquet. Il met toute la sauce. Il met tout ce que vous voulez mais en attendant, ça bouge. Il laisse sa voix dérailler. Son backing-band est à la hauteur, une vraie bande de sauvages. Comme on dit sur les circuits de cross, ça bourre pleins gaz. Carl ne vous prend pas en traître. Il annonce la couleur : ça va chauffer, les gars.

 

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Pourtant, on ne croirait pas en voyant la pochette. Ils ont l'air bien sages tous les quatre, avec leurs cols de chemises bien à plat sur les revers des vestes. Ils sont bien peignés et souriants comme des représentants de commerce. Carl tient sa guitare comme Johnny Cash, manche pointé vers le sol, et donc on pourrait s'attendre à entendre de la country.

 

Justement, le deux, «Cry Me A River» est du pur Johnny Cash, avec son backing tagada. Carl mord dans son texte avec un bel appétit. On revient au rockab pur et dur avec «Music To Live» qui donne son titre à l'album. Voilà ce qu'on appelle une petite sauterie slappée à mort. Vous aurez droit à un solo perlé et derrière vous les entendrez bopper comme au temps béni de Meteor. On se croirait vraiment de retour chez Lester Bihari. Attendez la fin du morceau et vous verrez Carl sortir du studio, traverser la rue et aller s'acheter un soda pour se rafraîchir la gorge. Il va aspirer une grande goulée d'air tiède avant de revenir se jeter dans la gueule du loup.

 

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Moment fatidique. Carl rallume le brasier sacré avec «I'm Gone», l'incarnation suprême de la sauvagerie rockab. Il hurle comme un damné, Baby I'm gone !!! et il se roule par terre, agité de convulsions. L'instant est aussi hot, Bob, que la chatte sur un toit brûlant, et derrière, c'est strummé à la guitare, comme chez Warren Smith. Apocalyptique, comme dirait Nostradamus.

 

On revient au bop avec «Lovely Girl». Ces mecs sont des malades. Rien ne pourrait les calmer. Ils boppent le beat jusqu'à l'os de la stand-up bass et arrosent tout ça de riffages criminels. Ils prennent un malin plaisir à se lancer dans une cavalcade effrénée. Le jus du bop coule de ce disque comme de ce fruit trop mûr qu'on écrase entre les seins de la buraliste fellinienne.

 

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Les bougres vont revenir à Johnny Cash avec le tagada de «Don't Cry Little Guitar». On ne peut pas leur en vouloir, il faut bien des zones de répit, car sinon, on ne tiendrait pas jusqu'au bout. Grand maître du hoquet sauvage, Carl verse dignement sa petite larme. On assiste à un magnifique festival d'arpèges. Ce morceau qu'on croyait insignifiant est en fait un brouet infernal. Carl chante comme une star. Une fois de plus, il met toute son énergie dans le chant. Profitez-en bien, car vous ne reverrez pas de sitôt un artiste de cette trempe.

 

Quand au bout de quelques morceaux, un disque se révèle aussi bon, je deviens fébrile et j'écoute encore plus attentivement. J'adore sentir ma petite mâchoire se décrocher. Cloc. J'adore crier au génie. Youpi ! J'adore voir crépiter le feu sacré du rockab. Et avec Carl, on se sent en sécurité. Ce mec est parfaitement incapable d'enregistrer un mauvais morceau. Vous voulez parier ? Quatorze titre sur cet album et vous n'en trouverez pas un seul qui soit mauvais.

 

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On se prend «For You» en pleine poire. Ces mecs ne connaissent pas le mot répit. Carl fait dans le sucré, dents de lapin, oh-oh ! Derrière, ils swinguent comme des bêtes. Arrive un solo clair avec son rigodon de notes perlées et oh-ho, Carl explore tous les registres de sa glotte avec une égale réussite et une infinie mansuétude. Comme Orville Nash, George Jones ou Charlie Rich, c'est un chanteur hors pair. Il avait sur scène cette incroyable facilité à poser sa voix. Je me souviens d'avoir cavalé, aussitôt après la fin de set, jusqu'au stand de Rocket, pour acheter ses albums, tellement ce mec m'avait impressionné. Et depuis, je n'ai jamais cessé de les écouter.

 

Avec «Saturday Night», les Rhythm All Stars nous font le coup du jump blues ultra boosté. Ils déploient cette énergie blanche qui balaie tout sur son passage. L'ami Carl enchante la piste des auto-tamponneuses, on se régale de l'écho bienfaiteur d'un soir de fête où my baby now traîne dans les parages. Oh oh, c'est magnifique d'ingénuité fiftique.

 

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Mais il reste encore des genres à explorer. Avec «Come Back Baby», ils balancent un swamp rock tout vermoulu de primitivisme introverti. Carl hoquette comme Charlie Feathers. Un vrai diable. Avec «Sometimes», ils ouvrent sur un immense ciel bleu et boppent dans les coins. Ils reviennent au tagada avec «Travellin' Blues». Carl fait ce qu'il veut avec sa voix de stentor. En vérité, il nous balade et on adore ça. «Nobody's Guy» est allumé au riff. Encore une monstruosité primitive digne de Dot Records. Carl chante ça par en-dessous, comme s'il voulait se faire passer pour un fourbe et puis soudain il envoie la cavalerie. On se fait embarquer par le beat. C'est superbe et ça claque au vent. «My Mountain» est chanté dans le gras de la voix et on ferme le bal du samedi soir avec une reprise de Johnny Burnette, «Just One More Time», gros son bop montagneux, histoire de revoir une dernière fois l'écrasante majesté du rockab.

 

Un bon conseil, ne cherchez pas à écouter l'autre album («Slipped My Mouth») aussitôt après celui-là, surtout si vous avez les artères fragiles ou un souffle au cœur. Comprenez bien que Carl and the Rythm All Stars, ce n'est pas le Pink Flyod.  

 

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Admettons qu'une semaine se soit écoulée. Les feux de l'actualité auront nettoyé les esprits avec l'efficacité d'un lance-flammes. Vous aurez complètement oublié les turpitudes du rockab et son cortège de pulsions rachidiennes. Mais en passant devant la pile de disques, la seule vision de la pochette rallumera en vous un vieux réflexe libidineux. C'est avec un filet de bave aux lèvres que vous glisserez le second album de Carl dans le lecteur.

 

Et vous prendrez «Hot Song» en pleine poire, mais maintenant vous avez l'habitude. Comme dirait Gainsbarre, eau et gaz et frénésie à tous les étages. C'est une orgie de swing malade montée sur plaxmoll. Ils boppent comme ce n'est pas permis. Les slappeurs américains ont vraiment du souci à se faire. Même James Kirkland semble dépassé. Ils couronnent l'amplitude foutraque de ce bouillonnement juteux d'un joli riffage collatéral.

 

Ce second album est sur Wild records, et là on ne rigole plus. Ils sont allés l'enregistrer en Californie chez Reb Kennedy. Wild records est le dernier bastion californien du rockabilly. Pour ce second album, Carl n'a gardé que son batteur, Pedro Pena. Claude Placet a remplacé Bruno Longo à la guitare (c'est d'ailleurs Claude Placet qui jouait sur scène à Crépy en 2010) et Thibaut Chopin a remplacé Renaud Cans à la contrebasse.

 

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«Too Much Loving» est encore plus pilonné que le Chemin des Dames en 1915. La sauvagerie rythmique dépasse les bornes. Franchement ils exagèrent. Ils ne peuvent pas s'empêcher d'en rajouter. Le slap passe devant un beau strumming digne des sous-bois de l'Arkansas. Attention, ce morceau risque de vous slapper les neurones de façon irréversible. Carl se révèle le rockab le plus féroce de l'univers. À côté de lui, Jerry Lott (alias the Phantom) n'est qu'un enfant de chœur. Une férocité qui n'empêche pas le sérieux, car il tient les rennes de sa monture comme une star d'Hollywood.

 

Il chante «Slipped My Mouth» très haut, et on entend des clameurs dignes des milices confédérées jaillissant du bois. Solo break de folie pure et Youuuuihhhh ! Carl pose ses mots avec l'aplomb d'un délinquant juvénile du Tennessee. Et derrière, ça n'en finit plus de strummer. Comme le disque précédent, celui-là n'accorde aucun répit à l'auditeur. Carl embarque son monde et le seul moyen d'en réchapper, c'est de sauter en marche. À vos risques et périls.

 

Drumbeat d'intro et voilà «Gotta Go». En vrai pro, Carl mouille ses syllabes et plonge ses couplets dans le chaudron. Avec «Tell Me How», on passe à un registre plus jazzy. Ces mecs savent tout faire. On tombe à un moment sur un pont dément suivi d'une coulée de miel. Mine de rien, Carl et ses amis savent créer l'événement. Il sature son chant à fond et nous fait plonger dans le lagon vert d'Hawaï. Pur technicolor. De quoi faire baver Elvis.

 

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Reprise de Bobby Wane, «Long Lean Baby» est un morceau beaucoup plus musclé, plus court sur pattes, plus râblé. On le sent prêt à en découdre. Il est stompé à la sauce bop. Merveilleuse tentative, digne de Ronnie Self, mais en vérité, c'est dix fois plus fin que du Ronnie Self. C'est même, comme le dit si bien Carl, de la dynamite !

 

«I'm A Man» est la énième resucée de «Folsom Prison Blues». Exceptionnellement, on passe l'éponge. Puis Carl remet le feu à la prairie avec «Really Movin'» et revient aux choses très sérieuses avec «Hello Rhythm», monstrueuse prouesse de vélocité slappée, émaillée de chorus précipités. En un mot comme en cent : épouvantablement bon. D'ailleurs, on ne s'en remet toujours pas. 

 

Une nouvelle rasade de «I'm Gone», le véritable hit de Carl and the Rhythm All Stars, digne du «Tear It Up» des frères Burnette qui sont les héros de notre héros. Il boucle son affaire avec «Another Man» une balade trouée par des cris d'orfraie.

 

À la dernière minute, nous apprenons par une dépêche AFP qu'un troisième album de Carl & the Rhythm All Stars vient de sortir. Dans le bureau, tout le monde éclate de joie. Nous jetons tous nos chapeaux en l'air. Dehors, derrière les immenses baies vitrées du 60e étage, les gratte-ciels de Manhattan semblent danser le bop sous un soleil radieux. 

 

 

 

Signé : Cazengler, le boppé du ciboulot

 

 

Carl & the Rhythm All Stars. Music to Live. Sfax records 2006

 

Carl & the Rhythm All Stars. Slipped My Mouth. Wild records 2008

 

Carl & the Rhythm All Stars. Drunk but Thirsty. Wild records 2013

 

Photos de Crépy : Frank Pesnel

 

 

 

RACHID TAHA

 

/ TETRIS / FORT DE TOURNEVILLE /

 

LE HAVRE / 23 - 06 - 2013

 

 

 

 TAHA DU TALENT, RACHID

 

 

Sur les hauteurs du Havre se dresse le vieux fort de Tourneville construit voici deux siècles pour protéger les populations de la férocité des tribus apaches. Le général Mac-Mahon alors en charge du maintien de l'ordre dans le quart Nord-Est de la France eut toutes les peines du monde à mater les insoumis. Non seulement il fit donner du canon, mais il fit aussi avaler son calumet à plus d'un vieux chef.

 

C'est dans l'enceinte du vieux fort criblé de flèches que la municipalité havraise a installé le Tétris. Une bâtisse ultra-moderne encore en construction remplacera bientôt le petit chapiteau où ont lieu actuellement les spectacles. C'est donc sous ce chapiteau que Rachid Taha recevait les Havraises et les Havrais. Plus les étrangers qui, comme nous, arrivaient à dos de chameau.

 

Nous attachâmes nos montures près de l'entrée de la grande tente et déposâmes nos armes sur la petite table prévue à cet effet. Puis nous désaltérâmes nos gorges parcheminées en têtant goulûment l'outre remplie de Jack Daniels accrochée à la selle de la bête de bât. 

 

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Une grande tente plantée au beau milieu d'un terrain vague infesté de rats, c'était l'environnement parfait pour un show du prince des sables bellevillois. Nous devions nous préparer une nouvelle fois à subir un grand choc émotionnel. Car c'est bien de cela dont il s'agit. Rachid Taha détient le pouvoir suprême : il peut vous emmener visiter l'Orient mythique. Pas besoin de fumer. Inutile de traverser la Méditerranée. Pas besoin de relire les mémoires de Richard Francis Burton, le Voyage en Egypte de Gustave Flaubert ou les Embaumeuses de Marcel Schwob. La musique suffit.

 

Au temps de sa splendeur, Rachid Taha recevait sur scène des invités de marque comme Brian Eno et Steve Hillage. Un concert hallucinant à l'Élysée Montmartre en 2005 avait marqué les esprits au fer rouge (Pschhhhh - le bruit du grésillement). Rachid le rachitique dansait comme Zorba le magnifique. «Chantons !», gueulait-t-il en riant et le monde pouvait bien s'écrouler. Au bout de deux heures d'un spectacle d'une rare densité, ce n'est pas le monde qui s'est écroulé, mais le pauvre Rachid. Comme un boxeur, au tapis, la bouche ouverte. Il était complètement épuisé, ses jambes l'avaient lâché. Comme la foule voulait du rab, il avait réussi à se remettre sur ses pattes en s'accrochant au pied de micro.

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Mais sous le vieux chapiteau rafistolé, le faste des grands concerts parisiens avait disparu. Rachid Taha arriva sur scène coiffé d'un joli chapeau de maître de cérémonie mauve. Il ne portait que du noir et ces horribles mocassins blancs qu'on trouve à Barbès ou à Strasbourg Saint-Denis. Il semblait encore plus maigre et plus ratatiné qu'avant. Il avançait du fameux pas de tuberculeux de Ratso Rizzo (la petite gouape campée par Dustin Hoffman dans Midnight Cowboy).

 

Toujours la même bobine d'arsouille. Même œil vif. Même allure de rastaquouère des Batignolles. Il devait peser une petite trentaine de kilos. Les jambes comme des allumettes. Goguenard, il balayait du regard la petite assemblée. On sentait bien la star, mais le moindre coup de vent pouvait l'emporter.

 

Rachid Taha appartient à cette caste de personnages racés dont la vie ne tient qu'à un fil. Ceux qu'on appelle aussi les géants aux pieds d'argile. Du moins est-ce l'impression qu'il donne.   

 

Tous les musiciens étaient nouveaux (guitare, basse, batterie, claviers), sauf Akim, le vieux complice de Rachid et fantastique joueur de luth arabe.

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Au moment où l'orchestre commença à jouer, le miracle se reproduisit. La puissance souveraine d'un exotisme luxuriant nous pénétrait par tous les pores de la peau. On sentait cette onde mélodique couler en nous et nous remplir, de la même façon qu'on sent une boisson fraîche couler dans l'estomac. Aussitôt le premier morceau, les frissons couraient sous la peau, par bataillons entiers. L'émotion nous submergeait, balayant toute forme de réflexion. Ce phénomène atteignait la racine de l'être, comme un sortilège. On se sentait confusément envahi par un véritable ras-de-marée de bien-être. Il emportait tous nos barrages. Cette musique avait même quelque chose d'indiciblement familier, elle sonnait comme l'écho d'une connaissance enfouie au plus profond du subconscient. Ce fut un moment très spécial, comme une mise en orbite. Nous étions une fois de plus tombés sous le charme du rocker de la médina. Un peu partout, on voyait les corps des gens onduler, comme les ombres au pays des morts.

 

Car il faut bien le reconnaître, Rachid Taha est l'un des grands rockers de notre temps. S'il se distingue des autres seigneurs de son rang, c'est tout simplement parce qu'il nourrit son rock de la magie ensoleillée du folklore algérien. C'est du rock gorgé de jus, comme une orange.Du rock chaud et sublime, pareil au corps de la femme qu'on désire.Il est vraiment le seul à réussir ce mélange ahurissant de powerhouse dévastatrice et de «sole-eil de mon pays». La reprise musclée et colorée du «Rock the Casbah» des Clash est l'un des fleurons de cette invraisemblable bidouille.

 

On n'en est plus à se demander si les guitares truc ceci ou le drumming machin cela, on en est à vibrer de toutes nos métacarpes et de toutes nos métastases, comme rarement l'occasion nous en est donnée. Ce nabot faramineux emmène derrière lui l'un des plus grands orchestres du monde. Avec un asticot pareil, on ne peut pas faire autrement que de tomber dans la surenchère. Ô ma si chère surenchère ! Il est au rock et à l'exotisme ce qu'Apollinaire est à la modernité : une brûlante incarnation.  

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Akim reste le personnage clé de cette débauche orchestrale. Un chapeau mou enfoncé sur le crâne enserre la touffe de ses cheveux grisonnants. Il ferme souvent les yeux comme s'il s'absentait pour admirer des paysages intérieurs. Son visage semble alors refléter toute la sagesse d'une culture ancienne, celle des Maures qui civilisèrent tout le bassin méditerranéen. Il s'offre en outre le luxe inouï de la virtuosité. Avec son luth, il est capable d'emmener tout le public au paradis des poètes et des musiciens, là où traînent les rêves d'orientalisme et les pulsions esthétisantes de l'Occident.«Ya Rayah» est une lente procession du bonheur à travers les jardins d'Allah, ces immenses potagers baignés d'une lumière irréelle, les flots de lumière crue que filtrent les palmes des dattiers. «Ya Rayah» signifie Ô Voyageur. Le chant y est balayé par des vents de violons. Les notes de luth qui reprennent le thème mélodique flottent là-dessus comme un parfum de jasmin dans l'air léger. On sent comme une grande obstination dans cette musique. On sent que cette beauté formelle est la seule richesse d'une région déshéritée. Beauté du peu dans le rien, toison d'or du désert de pierres, racines de la vie quelque part au cœur de l'immensité des terres brûlées. Énergie et sang noir d'un peuple digne. «Ya Rayah» pourrait très bien sonner comme un gadget pour touristes, mais on y tâte le pouls d'un peuple fier de ses racines. Ces gens là ne font pas les choses à moitié. Leur notion de la beauté est entière et extrêmement pure. Ce qui frappe le plus chez eux, c'est leur dignité. Ils n'ont de toute façon rien à perdre, car ils ne possèdent rien, hormis la beauté.

 

Et ce beat vaut tout l'or du monde. Akim fait sonner ses notes avec une belle ardeur. Ô voyageur, où pars-tu ? Tu finiras par revenir. Nous voilà arrivés au cœur de l'Orient des voyages mythiques.

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On est frappé de constater qu'à l'heure où les groupes américains s'enfoncent dans le cauchemar du death metal et de la négation de l'être, la leçon d'harmonie nous vient d'un modeste orchestre algérien. On finirait presque par regretter de ne pas connaître cette langue aux consonances à la fois si gutturales et si harmonieuses.

 

Rachid Taha nous entraîne dans un tourbillon fabuleux, là où la fantasmagorie s'enroule autour du rock comme le serpent du jardin d'Eden, là où ondulent les hanches des danseuses du grand Orient de pacotille, là où dodelinent ces palmiers géants qui abritent les palais bleus chers à Pasolini. N'oublions pas qu'avant de devenir l'objet de moqueries et de mépris, la civilisation mauresque illuminait tout le bassin méditerranéen. On parlait alors d'un siècle des lumières. Le déclin naturel des civilisations et l'immonde barbarie des croisés mirent fin à cette suprématie. Grâce aux savantes méthodes occidentales, tout le Moyen-Orient a sombré dans le chaos et l'obscurantisme. Et on ne parle même pas de ce que sont devenus des pays jadis florissants comme le Maroc et l'Algérie. Faut-il qu'un artiste comme Rachid Taha soit fort pour réussir à restituer l'éclat d'une culture piétinée et quasiment anéantie par deux siècles de colonialisme, l'un des pires qui ait sévi dans l'histoire de l'humanité.

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On plonge avec lui dans ce qu'on imagine être les profondeurs historiques de la culture arabe. Mais Rachid vit avec son temps, c'est un pur rocker et il a dû inventer un son qu'on pourrait appeler le beat rachidien. À la limite, ce beat évoque la grandeur souveraine de la culture mauresque de la même façon que Phil Spector évoquait par son goût de la démesure la grandeur des pharaons. Le beat rachidien nous ramène au seuil de la danse primitive, telle qu'on devait la pratiquer dans les très anciennes civilisations. «Bent Sahra» ! Ce morceau figure parmi les œuvres les plus puissantes issues du continent africain. Si vous écoutez ou réécoutez l'album «Diwân», commencez par «Bent Sahra». Quelques pas de danse et des tambours. L'origine des temps.

 

Rachid et Akim esquissèrent ces quelques pas sur scène. Ils étaient tout simplement monstrueux d'élégance. La fièvre atteignit avec «Bent Sahra» un tel dégré qu'on aurait pu croire que tous les charmeurs de serpents de la place Jeema el Fna de Marrakech les accompagnaient, soutenus par dix mille tambours berbères qui marquaient le beat ancestral avec une ferveur sacrée. Puissance des ténèbres de l'Atlas ! Véritable choc des titans ! Un million d'hommes sortirent des ténèbres, brandissant des torches, des flûtes et encore d'autres tambours. Les cris des femmes se mêlèrent au fracas. Sortie de nulle part, jaillie du désert, l'armée du Mahdi se joignit à Rachid Taha et nous sentîmes la terre vibrer sous nos pieds.

 

 

 

Signé : Cazengler, le voyageur amovible

 

 

ROCK'n'ROLL JAMBOREE IN ESSONE

 

 

 

SAINT-MICHEL SUR ORGE / 29 – 06 – 2013

 

 

MAISON DES ASSOCIATIONS

 

 

TILTERS / FOUR ACES / CAPITOL'S

 

 

Dans une autre vie la teuf-teuf mobile a dû effectuer la ligne directe Provins-Saint Michel sur Orge tous les jours durant cinquante ans, y est allée tout droit sans même jeter un coup d'oeil aux panneaux indicateurs. En un temps record elle me dépose en bout d'allée champêtre devant une maison dont je dois accepter qu'elle ne peut être que celle des Associations. Parfaite pour un couple avec trois enfants mais pour un concert de rockabilly... c'est obligatoirement là puisqu'une dizaine de têtes plus ou moins connues prennent le frais devant la porte d'entrée.

 

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La première personne sur qui je tombe une fois entré n'est autre que Jull des Ghost Highway qui se prépare à faire la balance avec les Capitol's. La salle avec ses rideaux blancs fenêtres n'est pas bien grande, juste assez pour contenir l'assemblée générale de l'Association Philatélique de l'Antarctique Sud, mais bon on se serrera et c'est déjà plus vaste qu'un café, quoique parfois... Pas le temps de m'appesantir sur l'architecture que l'on nous demande de sortir... Oui le flyer indiquait bien le commencement des festivités à 18 heures, oui c'est une erreur, oui à vingt heures. Pour le moment les musiciens doivent se restaurer dans le hall d'accueil.

 

 

Ne sommes plus qu'une demi-douzaine à attendre et à servir de comités d'accueil aux nouveaux arrivants. Au compte-goutte, mais comme tout le monde se connaît plus ou moins, rires et réparties fusent de tous côtés. Mais déjà les portes s'ouvrent et l'on s'engouffre vers le bar qui propose bière et sandwich à deux euros. De quoi rasséréner le rocker de base à moindre frais. Vous y rajouterez les quinze euros d'entrée mais vu la qualité de la soirée, vous ne perdrez pas au change.

 

 

THE TILTERS

 

 

Ne sont que trois, mais tout pour se faire remarquer. Cravates orange sanguine rutilantes et masques qui couvrent la moitié supérieure du visage. S'arrêtent à l'arête nasale. Pierrot blanc et noir, esthétique japonaise avec la goutte de sang en suspend. Sont jeunes et ont décidé de le faire entendre. Amateurs de pure rockabilly, abstenez-vous. Leur nom fleure bon les années soixante, les interminables parties de flipper qui se terminaient un peu trop souvent par un tilt magistral. Jeunesse bruyante qui broie autant de noir que de joie. Toute une époque qui n'en finit pas de renaître à chaque nouvelle génération.

 

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Un grand jeune homme sardonique, aussi mal dans sa peau que le serpent qui mue, est à la basse. Et au micro. Rentre-dedans et un brin insolent. Se moque – faut oser - de la moyenne d'âge de l'auditoire qu'il estime autour de la quarantaine. La question est à double-face. Pourquoi cette jeunesse pro-garage band vient-elle s'amalgamer à la génération du revival des années quatre-vingt ? Peut-être Vince le guitariste qui officie aussi dans les Hot Rhythem and Booze ( voir notre livraison 104 du 22 / 06 / 2012 ) nous donne-t-il la réponse. Joue sacrément bien. A dû méchamment fouiner dans les disques des grands ancêtres américains pour obtenir cette sûreté de doigté.

 

 

Le bandit sarde fraie le chemin. Première vague d'assaut des commandos marloufs que l'on envoie devant pour établir la percée, Vince consolide les positions conquises et les rend inexpugnables, sur ses futs mister drum s'occupe de la logistique, agit en sorte que les deux autres soient fournis en munitions. Trio de choc qui ne s'attarde pas dans les finitions. Ca casse et ça passe.

 

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Vocal par devant et feu de guitare par derrière. Le lead-singer mène le band. Une telle présence que parfois l'on a l'impression qu'il tient aussi la guitare solo. Mais non c'est Vince qui mitraille les riffs. Tempo rapide, l'invectiveur jette quelques mots entre les morceaux pour reprendre souffle. Ré-attaque alors sans attendre sur un titre de Little Richard, comme pour précipiter la cadence. Ce qui n'est pas sans rappeler Johnny Fay qui l'année dernière du haut de ses soixante-dix ans se lançaient dans des versions incendiaires des standards du prêcheur fou de la bonne ville de Macon. Preuve que la jeunesse ne dépend pas de l'âge et qu'elle est avant tout un état d'esprit. La caution rock par excellence.

 

 

Sont jeunes et sont des garçons, la dernière partie du set sera consacrée à ces demoiselles, de Justine à Cindy Lou en passant par Lucille, toutes aussi belles l'une que l'autre. The Tilters nous les présentent comme des poulettes qui ont du chien et pas du tout froid aux pattes. Si vous voyez ce que je veux dire. Le band ne débande pas. Le combo bosse à donf et se défonce. L'auditoire jubile et se laisse subjuguer par le démon du midi. Le rock est par essence une musique foutraque et kamasutraque.

 

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Moment d'émotion lorsque notre vitupérateur dédie un morceau à son père. Une véritable larme s'écoule de sous son masque qu'il ne prend pas le temps d'essuyer mais il expectore son phrasé avec encore plus de rage pour échapper à l'émotion qui l'étreint. Les Tilters envoient leur set comme si leur vie en dépendait, ils ne trichent pas avec eux-mêmes. Et c'est cette intégrité nettement perceptible qui leur allouera la sympathie du public. Jeunes mais convaincants.

 

 

A classer du côté des Spunyboys et des Howlin'Jaws, des jeunes gens qui proposent un rockabilly en quelque sorte dissident puisque plus électrique et comme par hasard cornaqués par leur bassiste chanteur. Des rebelles en quelque sorte. Ce qui tout de suite les situe dans la tradition la plus fondatrice.

 

 

Terminent leur répertoire par un reprise hyper bien balancée de Volage des Chaussettes Noires, ce qui permet de concevoir nos ancestrales pointures non plus comme des adeptes maladroites des pionniers mais comme le premier groupe français de white rock directement issu du premier rock garage américain des années soixante, et pour nos Tilters de finir sur un impertinent et narquois pied de nez au public présent qui ne jure que par les petits gars des Appalaches and their native language...

 

 

THE FOUR ACES

 

 

La salle s'est remplie comme un oeuf de Pâques. Ca déborde de monde. Y en a encore autant dans la courette qui sirotent leurs canettes. Les Four Aces ont attiré les foules. Comparés aux Tilters ce sont de vieux bricards, mais ne vous inquiétez pas ce qui va suivre sera une pure merveille.

 

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Au fond l'on reconnaît derrière sa batterie Carlos, que nous avons vu au set des King Bakers Combo, le 14 juin dernier ( voir notre cent quarante huitième livraison ), l'a repris de la poigne, toujours dans le rythme mais avec une frappe beaucoup plus soutenue et énergisante. Sur sa gauche Marc sa guitare aux entrelacs de rouges arabesques, sourire tranquille aux lèvres, attend de déclencher la foudre, et sur sa droite Malo caresse sa contrebasse d'un air entendu. Laurent ceint sa rythmique, double losange d'ivoire sur la caisse qui reprend un des motifs des bandoulières aux couleurs des quatre as. Se dégagent de l'ensemble une classe naturelle et une nonchalance non feinte.

 

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Un, deux, trois, c'est parti. Apocalypse now. Tout ce que j'aime dans un groupe de rock. D'abord un chanteur et ensuite le reste. Il va de soi que plus les musicos sont adroits mieux c'est, mais c'est le lead singer qui transcende le combo. Laurent n'a pas à se plaindre, son lead guitar impose sa marque à tout ce qu'il touche. Pas besoin de le chercher, est toujours là où l'on attend et même là où on ne se douterait pas qu'il pût être présent. Gentleman guitarist, vous envoie le riff et assure le solo, cent pour cent de réussite, et toujours avec une narquoise risette complice.

 

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Malo dialogue avec son upright bass, face à face perpétuel, comme deux amis qui se connaissent depuis vingt ans et qui se cherchent des crosses. L'a du swing, question doigté il n'hésite pas à tirer sur les cordes sans parcimonie. Encore un qui ne s'économise pas sous son apparence flegmatique, ressemble parfois à un prof de musique qui exécute les plans les plus difficiles avec cette crispante facilité qui exaspère les élèves.

 

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Oui mais il y a Laurent. Le plus petit de la bande mais le plus teigneux. Griffouille sa gratte mais on ne lui accorde point trop importance. Pourtant les rares fois où ses acolytes la mettront en sourdine pour lui laisser assez d'espace sonore, ce que l'on entendra ne sera pas à dédaigner. Sacré dégaine, nez d'aigle, deux anneaux dans le lobe gauche et des yeux de feu. Le regard perçant de celui qui croit en lui-même. Passion et ferveur.

 

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Oiseau de proie qui fond sur vous et vous enserre dans ses serres pour ne plus vous lâcher. Rockabilly messagero killer boy. Fascinant, débite les titres à coups de hachoir qui vous coupent en deux et puis vous transforment en pâtée pour chiens. Compos du groupe et reprises. Même fougue à chaque fois. Incarnation rockab échappé des années cinquante qui revient sur terre pour la brûler selon son incandescence intérieure.

 

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Tigre impérial qui vous jette des morceaux de barbaque saignante au travers des barreaux de sa cage pour vous prouver qu'il est encore le maître. N'a rien du fonctionnaire rockab qui vient vous lâcher vingt petits chatons apprivoisés et qui les ramasse à la fin du set pour les remettre sagement dans leur boîte jusqu'au prochain job. Ne donne pas de représentation. Chante poussé par une nécessité intérieure. Une flamme qui le dévore de haut en bas et qu'il vous recrache à la gueule comme un dragon magique.

 

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Pas une seconde de répit. Enchaîne les hits comme des orgues de Staline. A chaque fois un plus violent, un peu plus rapide. Il abolit les fausses frontières, ni rockabilly, ni garage, mais du rock'n'roll. En lui-même et hors de lui-même, dans la fournaise et autour. Ramassé sur sa hargne ou arc-bouté jusqu'au bout de son manche. Derrière Carlos arrache de plus en plus fort, le combo passe à la vitesse supérieure. Malo miaule et Marco bute. Grande riffle de riffs. La salle exulte, crie et hurle.

 

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Cheveux froissés et chemise trempée de sueur. Toute la différence entre l'entertainment, le bon moment passé avec les copains et une vision du rock conçue comme une expérience métaphysique, Laurent Cuchi nous l'a apportée. Un rockabilly qui, quoique tout de blanc vêtu, emprunte par l'énergie déployée à la transe chamanique des peaux-rouges.

 

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Une chose est sûre, lorsqu'il chante et joue Laurent Cuchi ne triche pas. Ni avec les autres. Ni avec lui-même. Poursuit son chemin. Jusqu'au bout. Nous avons de la chance qu'il soit passé de par chez nous.

 

 

Les dés ont roulé. Les Four Aces ont remporté la mise.

 

( Très belles photos de la soirée prises sur le facebook du groupe )

 

THE CAPITOL'S

 

 

Capitol's ! rien que le nom vous sursautez. Une pure émanation résurgente dans la ligne droite du rock français qui s'est construit autour de la sombre et mythique figure de Gene Vincent. Au début nous n'avons eu droit qu'à de lointaines approximations – m'a personnellement fallu du temps pour faire la corrélation entre le Betty des Chaussettes Noires et le Baby Blue de Gégène – ou des hommages à la Moustique sympathiques mais très éloignés du style du maître. C'est dans les années 80 que les Sprites se sont attaqués à la difficulté, non sans succès. Mais les Sprites se sont dissous trop vite et ne circulent d'eux pratiquement que des enregistrements réservés à une audience de connaisseurs très réduite.

 

 

Les Capitol's travaillent depuis des années sur ce projet de restitution du son originel du natif de Norfolk. Et peut-être l'oreille davantage penchée vers les accompagnateurs que la voix et le jeu de scène de l'idole. Bien sûr Steph le lead singer arbore le même frisotis de boucles entremêlées que Gene, cette simili banane si particulière que Gene laissait retomber sur son front tout en prenant soin qu'elle ne s'écroule point sur le haut de sa figure. Les harmoniques de la voix de Steph se rapprochent un peu de celles de Gene, il épouse son phrasé mais à l'instar d'Ervin Travis – que nous aimons beaucoup aussi – il ne cherche pas la reproduction à l'identique. De même pour le jeu de scène, n'adopte pas la position voûtée de Gene dont il usa principalement en Europe lorsque sa jambe blessée commença à le tirailler fortement. Steph s'inspire de Gene mais refuse de se présenter comme un clone.

 

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L'on attend avec impatience la sortie du prochain disque des Capitol's. Il est déjà certain qu'ils ne vont pas se contenter d'aligner douze pépites directement issues du répertoire du grand Gene. Les compos personnelles devraient y être majoritaires, pour notre part nous y concèderions au maximum un seul titre de Gene. L'est temps de voler de ses propres ailes. Les Capitol's l'ont compris, pratiquement un morceau sur deux de leur set était de leur cru. Très inspiré de la manière de Vincent, mais les Capitol's ont inclus un paramètre nouveau. Celui de la longueur. Ce qui n'est pas sans influence sur la musique. Qui dit morceaux plus longs se soumet à une autre découpe, l'on pense communément que chez les Blue Caps ce sont les soli de Cliff Gallup qui font les breaks. Mais chez les Capitol's l'on a l'impression que l'on se déplace le long d'une route escarpée mais touristique et qu' à intervalles irréguliers l'on descend du car pour s'extasier devant les curiosités signalées par le guide ( bleu ). Attention, ici superbe geyser qui s'élancera vers le ciel dans exactement dans vingt-trois secondes. De trop.

 

 

Mais peut-être les Capitol's s'affairent-ils aux derniers réglages. Tel quel, ce sera déjà de la très belle ouvrage. Ce qui est sûr c'est qu'ils ont compris le fonctionnement des premiers enregistrements de Vincent. Contrairement à ce que l'on prétend la guitare n'est pas à la loge d'honneur. Même si l'on n'entend qu'elle, même si elle vous crève les yeux et les oreilles. Et Franky Gumbo connaît tous les tours de passe-passe de Gallup. Agite le chiffon rouge sous le mufle du toro, vous le crible de banderille, mais l'estocade c'est la batterie qui la porte. Si ce n'est qu'elle n'est pas un point d'arrêt final. Pour amplifier le son de Scotty, Sam Phillips misa sur la fameuse réverbe. Avec la voix d'Elvis qui entrait là-dedans comme un surfer qui se joue des lames de l'océan. Les Blue Caps ont usé d'un autre procédé, l'organe de Gene dans les explosions de Dickie Harrel.

 

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Harrell ne frappe pas la mesure. Se livre à un opéra symphonique sur sa caisse claire, vous tangue le bateau sur des rythmes calypso bancals, vous raconte une histoire avec des battements asymétriques peu orthodoxes et sans préavis, comme cela lui chante, il explose littéralement sa frappe, à part que celui qui chante vraiment, Vincent, profite de l'occasion pour hurler de toutes ses forces. Naufrage du Titanic assuré toutes les trente secondes et Gallup qui survient après par derrière pour cisailler tout ce qui reste encore debout. Comme toujours, c'est le dernier venu qui récolte les applaudissements du public.

 

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Et cela les Capitol's l'ont assimilé. Par chance ils ont un batteur. Un vrai. Un pur-sang. Fiévreux et nerveux. Ne se contente pas de marquer le rythme comme les aiguilles de la pendule indiquent l'heure, il fabrique sa propre temporalité. Jamais en avance. Jamais en retard. Jamais pile. Puisque c'est lui qui détient le tempo dans ses avant-bras. Pourrait toujours donner davantage et ne s'en prive pas. Du pain béni pour la rythmique et la contrebasse, dessinent les entrechats qui servent de reposoir à la voix de Steph qui glisse sur eux comme tenue par des fils aériens.

 

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Les morceaux défilent Frankie and Johnny, Teen-Age Partner, Who Slapped John, Crazy Legs, Hold me, Hug me, Rock me et Gumbo met toute la gomme. De plus en plus présent et électrique à chaque fois. Dans la salle c'est un peu la folie. Même beaucoup. Les Capitol's embarquent tout le monde dans leur hot rod démentiel. Ca crie et ça gesticule dans tous les coins. Rock thérapie pour tout le monde. Ne retournent pas à l'imitation des antiques, exhument la modernité des racines.

 

 

L'essence du rockabilly se trouve dans le triangle des Bermudes équilatérales aux trois sommets clairement identifiés. Elvis au pinacle, le Rock'n'roll trio de Johnny Burnette à l'angle droit, et Vincent sur la ligne de fuite de l'hypoténuse. Gene est déjà dès le début sur la tangente des lignes de fuite qui transforment le old rockabilly des campagnes en hot rock'n'roll des cités. Quinze ans plus tard un groupe comme Led Zeppelin opèrera le même cadrage de reconnaissance que les Blue Caps, la batterie en tant que centrale énergétique, la voix qui se brise en écho et la lead guitare qui illumine le tout alors qu'elle ne fait que poser de la broderie de haute précision sur la toile écrue. Ingrate tâche de la basse qui veille au filage régulier de la trame, ce à quoi personne ne prête attention.

 

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Baby blue avant le rappel. Repris en choeur par l'ensemble du public, la vieille phrase de blues modulée et modelée à la Vincent. Le germe de l'orchestration du hard rock dans l'oeuf originel et germinatoire. Les Capitol's s'acquittent de leur tâche restitutrice à merveille. Superbe concert qui finit en apothéose. Merci les Capitol's pour ce grand moment.

 

 

SPECIAL THANKS

 

Un gros merci à Carlos, l'organisateur, pour la réunion de ces trois groupes. Choix de fin connaisseur.

 

Damie Chad

 

REVUE DES REVUES

 

 

ROCKERS ZINE

 

A Zine with Foods and Drinks for Rockers Only

 

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Vol 1 ( couverture saumon fumé, 16 pp )

 

Vol 2 ( couverture bleu pâle, 20 pp )

 

Vol 3 ( couverture ardoise noire, 32 pp )

 

Vol 4 ( couverture vert bouteille, 36 pp )

 

Vol 5 ( couverture jaune canari, 36 pp )

 

 

Non ce ne sont pas des recettes de cuisines. C'est Laurent Cuchi des Four Aces qui a sorti ces cinq petites merveilles de sa valise à disques à Saint Michel sur Orge. Ca ne pouvait pas m'échapper, aussi flashy que les fonds des chroniques de KR'TNT. Même philosophie que par chez nous, c'est gratuit, sers-toi, fais gaffe à ne pas oublier un opuscule. Tout en couleur, et ils n'ont pas économisé sur l'encrage. Petit tirage, sont philanthropes mais ne tiennent pas à se ruiner non plus. Pour ceux qui arriveront trop tard, inutile de faire une dépression nerveuse, tapez simplement sur le clavier http://rockers666.blogspot.com , ou alors https://www.facebook.com/groups/335311749824322/, en plus vous aurez le son qui va avec.

 

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Because vous l'avez compris en regardant la repro des couves, Rockers Zine s'intéresse aux disques. Rares et de qualité. Vinyl, est-il besoin de préciser, bref une véritable mine d'informations, avec parfois les indications de prix pour ceux qui veulent me faire des cadeaux. Pas sectaires ( enfin presque ), pas exclusivement rockabilly, passent insensiblement du White Rock au garage et finissent par le punk. Ne sont pas monomaniaques, sont capables de chroniquer des disques de toutes les décennies et même des nouveautés ( que vous ne trouverez pas dans les grandes surfaces ). Z'aiment un peu ce que l'on pourrait définir par le seul vocable de wild. Si vous préférez les slows pour emballer les frangines, choisissez une autre revue bien que d'après nous vous feriez mieux de changer de copines. C'est vous qui voyez.

 

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Ont de la suite dans les idées. A force de bavasser ils ont passé le Rubicon et ont sorti un 25 cm de derrière les fagots, superbe pochette vert tropical, titré OBSCURITIES VOL 1, rien que du killer comme ils disent, le genre de truc idéal lorsque vous voulez hériter au plus vite de votre grand-mère. Normalement elle ne devrait pas survivre à la première face, pour vous dire que c'est du bon. Un volume 2, est en préparation, encore plus mortel que la canicule de 2003.

 

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Dans le numéro 4 vous trouverez en prime une interview de Johnny Fay qui raconte son étonnement de savoir qu'il était connu en France et un peu partout dans le monde... J'allais oublier l'intérêt pédagogique de la chose, tous les articles sont écrits en anglais. Rien de tel pour apprendre à lire Oscar Wilde ( n'est-ce pas cher Cat Zengler ) dans le texte. Mais comme ce sont des amis de l'Humanité, ils vous proposent systématiquement la traduction à la suite. Bref un must de rockers, fait par des rockers pour des rockers. Je ne sais pas quoi vous dire de plus pour vous décider à ne pas l'acheter, puisque c'est gratuit.

 

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Je vous refile l'adresse : Rockers Trip Association / 2 petite avenue de la Pyramide / 91 800 Brunoy / France.

 

 

Pour les malheureux qui n'aimeraient pas le rock'n'roll, tout est prévu en dernière page, la séquence Horror Bop, reproduction d'une affiche d'un film d'horreur.

 

Damie Chad.

 

27/06/2013

KR'TNT ! ¤ 150. JALLIES / METEORE / J.C. SATAN / STONES

 

KR'TNT ! ¤ 150

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

27 / 06 / 2013

 

 

SWINGUM / JALLIES / METEORE / J. C. SATAN / ROLLING STONES / MIDNIGHT ROVERS / KING PHANTOM / LITTLE LOU

 

 

FÊTE DE LA MUSIQUE

 

21 / 06 / 2013

 

LE BE BOP / MONTEREAU

 

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Avec l'autorité d'une cheftaine scout habituée à se faire obéir la teuf-teuf mobile se range en épi face à la Seine qui roule des flots aussi boueux que le Mississippi, ne reste plus qu'à regagner le Be Bop au travers du lacis de ruelles qui mènent au centre ville. Pour une fête de la musique, la cité est bien muette, à part une mémé qui promène son chien personne dans la rue. On ne peut pas dire que la municipalité ait investi dans l'évènement... Au détour d'une place platanophorienne déserte je dresse l'oreille ( la gauche ), ne serait-ce pas le lointain écho d'une rengaine jazz qui serait venu frapper ma membrane tympanique ? C'est alors que le miracle s'opérât.

 

 

Certes je possède l'esprit subtil d'Ulysse mais n'en partage point la profonde sagesse. Aussi lorsque soudainement éclata le chant de la sirène je me portai vivement en avant. Je puis certifier que les copines qui me suivaient, jalouses comme des poux, n'auraient pas refusé d'obtempérer, mais loin de suivre l'exemple du divin Odysseus, l'idée ne m'aurait jamais effleuré de demander à ce que l'on m'attachât au premier arbre venu pour ne point succomber aux redoutables charmes de la voluptueuse raucité de la voix de La - on emploie l'article comme pour les cantatrices enchanteresses – Vaness.

 

 

Non, nous n'étions point en retard pour le dernier des concerts de la saison des Jallies mais depuis trois mois Vanness la mutine se plaît à fredonner quelques standards avec Swingum un groupe de jazz ami. Sont d'ailleurs en train de se lancer dans un tutti ( pas frutti mais fruité ) lorsque nous parvenons devant le Be Bop. Bises à Ady, Céline, installées à une table juste en face de la scène. Nous les imitons aussitôt.

 

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Le Be Bop a carrément squatté la rue, l'a installé des barrières, sorti tous ses meubles et monté un mini-barnum de toile blanche. L'est même pas vingt heures et le public est encore maigrelet, mais le bar ne va pas tarder à être pris d'assaut. Pour le moment nous écoutons Swingum.

 

 

SWINGUM

 

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Un quintet de mecs, rajoutez-y au milieu une super nana comme Vanessa et tout de suite c'est beaucoup plus sex...tet. Elle trône là-dedans comme une petite reine, tiens c'est moi qui chante maintenant, et encore une que j'aime bien, je vous laisse les deux autres, faut que j'aie le temps de jouer au ballon, je vous rassure, de rouge. Sont gentils les gars, lui passent tout, et assurent le tempo derrière.

 

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N'ont qu'un seul défaut, jouent du jazz. Nous les rockers... Ne soyons pas injustes, Alain à la guitare s'enfile de ces soli pas dégueulis, un jeu très clair que je qualifierais d'espacé, il y a du rythme et du rebond. Pas l'effervescence New Orleans ou le hachis phrasé manouche, plutôt l'élasticité à la Charlie Christian, qui se prolonge et s'étire dans l'entre-temps du beat sans jamais outrepasser le point de rupture qui le ferait basculer dans les explosions du bop.

 

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Suis mal placé pour juger du jeu de Cyril sur sa guitare rythmique, mais quand il prendra un morceau en main je le pressens beaucoup plus direct, pas rock mais un peu roll. Fabrice est à la contrebasse, la fait claquer avec prestance. Met la gazoline dans le moteur du combo et ça gaze à fond les manettes. S'amuse à des duos à contrechamp avec Alain. L'on dirait qu'ils font la course dans des escaliers d'un HLM, toujours un étage de plus à rattraper sans jamais donner l'impression de tirer la langue. Avec le sourire fraternel d'accompagnement.

 

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Dans le coin l'en reste un qui nous en bouche un. Le jazz sans trompette c'est un peu comme une trompe sans éléphant. Ca buccine comme un cirque et ça tintamarre sans retard. Jérôme – Jéjé pour les intimes – en grande forme, dès qu'il peut glisser son cuivre dans un morceau il ne se gêne pas pour pousser sa fanfare. Le public doit aimer car il applaudit chacune de ses fracassantes irruptions. Fait autant de bruit à lui tout seul que trois bandas mexicaines.

 

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Parfois il se la joue modeste. Promis, pas plus de bruit qu'une souris et il empoigne le premier objet venu comme s'il voulait enfoncer un bouchon dans son pavillon de foire. Evidemment, au dernier moment il soulève le couvercle et telle une cocote minute qui relâcherait sa vapeur en douce il éructe d'infects glapissements de renard pris au piège. Un peu comme si vous aviez marché sur la queue d'un alligator dans un bayou de Louisiane. Couleur grand orchestre Ellington garanti.

 

 

Derrière Eric chalerstone sur sa caisse claire. La scène n'étant surélevée que de quelques centimètres, question voyeurisme, il passe un peu à la trappe. L'on entend tout de même ses ondulations rythmiques distendues si caractéristiques de la frappe trad jazz. Avec le jazz, même quand ça va très vite, il semble que les musicos en ont encore sous la pédale, tout un paquet de nerf qu'ils se retiennent de jeter.

 

 

Ce côté ne te pousse pas de là, je n'ai pas envie de m'y mettre est accentué par la nonchalance du vocal. C'est une musique qui est née dans la chaleur étouffante du Sud, l'est empreinte d'une sourde fainéantise, d'une lassitude infinie, dont rien ne viendra à bout. Ca peut swamper et jumper à souhait, surviennent sans cesse de grandes plages d'apaisement, des moments de plénitude stagnante qui vous enserrent la gorge à mourir de désespoir. Le vieux fonds de blues, la tâche sanglante inaltérable qui réapparaît sans cesse, auriez-vous cent fois lavé les lattes du parquet.

 

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Mais Vanessa se plante devant le micro. Poussez-vous les marlous, vous swinguez trop bluezy et sa voix canaille cingle l'auditoire comme la cruelle lanière du fouet qui s'abat sur le dos des esclaves. Le plus terrible c'est que tout le monde en redemande. Encore, encore ! Fais-nous mal, Vaness, l'on aime cela ! et Swingum explose comme un feu d'artifice. C'est vraiment la fête. Du jazz.

 

 

INTERMEDE

 

 

Petit entracte. J'en profite pour ravitailler ma tablée. Me suis pas accoudé sur le comptoir depuis quinze secondes pour passer ma commande qu'une douzaine de gamins entrent en force dans la pièce. Emmènent deux étuis mous à guitares qu'ils portent religieusement, à croire qu'ils transbahutent le Graal et la Sainte Lance, déposent le tout au fond de la salle et ressortent illico après avoir échangé quelques mots avec le patron. J'espère de tout mon coeur que ce ne sont pas de gentils folkleux qui sont venus s'assurer auprès du patron qu'après les Jallies ils pourraient jouer Santiano. Vous savez, mon bon Monsieur, avec cette jeunesse dépravée, il faut s'attendre à tout. Mais uniquement au pire.

 

 

Tiens, des figures connues, Mumu, Billy, et Jean-Luc que nous invitons à squatter notre table. Mumu donne dans la nostalgie du futur. Nous étions présents au premier revival des années 80, nous sommes en train d'assister au second, mais nous ne serons plus ici pour le troisième. En effet quand les Jallies seront bien vieilles... mais arrêtons ces projections de cauchemar, de toutes les façons elles seront toujours aussi belles dans notre coeur.

 

 

LES JALLIES

 

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Enfin les voili, les voiçà. Presque un mois que je ne les avais vues, et je suis arrivé à survivre. Incroyable miracle ! Sont alignées dans leurs petites chaussures rouge père Noël toutes les trois, Vanessa, Céline and Ady comme des madones. Mal donne, ne tardent pas à se transformer en furie pour entonner leur hymne introductif, We Are The Jallies. Dans le vif du sujet dès la première mesure.

 

 

Julien est derrière, placardisé. N'a qu'à bosser comme un chameau de caravane dans la terrible solitude infinie du désert stérile. Lui tournent le dos une bonne fois pour toutes et ne se préoccupent plus de lui. Ne le plaignez pas, mes copines le trouvent beau, il a l'air gentil, il est sympa, il joue comme un dieu sur sa contrebasse renchérissent-elles. Je commence à comprendre pourquoi les Jallies le cachent. Sont pas prêteuses pour deux sous nos fourmis rouges.

 

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En tout cas et en attendant les trois cigales s'en donnent à coeur joie. Elles chantent et elles dansent. Toujours l'irrésistible ballet des instruments – souvent femme varie, nous a avec raison prévenu le poète – les fofolles batifolent de guitares en caisse claire. Sur cette dernière chacune possède son propre style, Céline dans son fuseau de velours cerise frappe bas avec des sourires d'enfants heureux qui illuminent son visage comme étonnée et ravie de faire tant de bruit avec si peu matériel, Vanessa lève les bras vers le haut avant de les rabattre avec des gestes emplis de la gracieuse maladresse d'un chaton qui s'étire. Ady refuse de jouer au sergent major. La guitare ou rien. Et quand elle prend le micro et qu'elle nous envoie quelques rock'n'roll sur la figure comme des boules de pétanque chauffées à blanc, on perçoit que ce soir elle bouillonne de colère. Est-ce pour cela que son décolleté n'est pas aussi échancré que d'habitude ?

 

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A la fin du set, Ady ne se contentera pas des remerciements de rigueur. Fera remarquer que le Be Bop remplace en quelque sorte la municipalité peu empressée à offrir un spectacle gratuit à la population. Le monde qui s'est massé derrière les barrières applaudit à la mise au point. Pas besoin pourtant de colossales sommes d'argent pour s'amuser.

 

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Suffit pas de le dire, faut encore le prouver. Jéjé ne se fait pas prier pour ouvrir sa valise lorsque nos demoiselles font semblant de le supplier. Le rockabilly swing des Jallies supporte allègrement les deux chorus de trompette qu'il dispatche avec vigueur sur son instrument. Un deuxième larron s'empare d'autorité des balais pour marteler le tempo sur la boîte à peau. Lui vient l'originale idée de marquer la syncope en cognant de temps en temps sur l'armature métallique qui soutient la toile. Sur le Stray Cat Trust l'on imagine sans forcer un trio de chats en goguette tapant en rythme sur le zinc des gouttières.

 

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Me souviens plus du prénom de l'individu qui vient brancher sa guitare sur l'ampli et qui restera sur les trois derniers titres. Tout de suite l'ambiance prend une tonalité beaucoup plus rock. Je ne sais si c'est un amateur qui en connaît autant qu'un pro ou un pro qui a su garder la flamme de l'amateur, mais il se débrouille comme un chef. Il est inutile de préciser que les Jallies font un triomphe. Une fois de plus. La sono n'était pas merveilleuse mais devant la fougue qu'elles ont déployée on l'a vite oubliée. Beaucoup de morceaux originaux de leur futur CD, une version swing de Amy Winehouse quasi parfaite, et un Train Kept a Rollin qui fit rugir la foule de bonheur. Ont réussi à rendre les morceaux swing encore plus swingants que d'habitude et leur répertoire rock encore plus rock.

 

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Elles ont du talent et savent s'adapter à la situation. Ce n'était pas un concert comme les autres mais une grande récréation festive que par leur énergies, leurs réparties et leur bonne humeur elles ont su rendre populaire, sans jamais baisser ne serait-ce que d'un cran leur prétention et leur identité musicale. La grande classe.

 

 

INTERLUDE

 

 

Suis allé au ravitaillement auprès du bar. L'on s'affaire autour de la scène, mais je n'y prête guère attention, ce sont les gamins de tout à l'heure qui installent leur matos. Je surveille le remplissage des gobelets en plastique lorsque un superbe vlan vindicatif de guitare me cloue sur place, ce n'est qu'un essai pour s'assurer de bonne marche de la sono, mais tellement prometteur que je laisse mes verres sur le comptoir pour zieuter d'un peu plus près les ostrogoths qui se permettent une si belle entrée en matière.

 

 

METEORE

 

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Je comprends mon bonheur, trois guitaristes ( pas possible se prennent pour le Blue Oÿster Cult ! ), un à droite, deux à gauche avec un bassiste en prime, le batteur au centre, les retours ont été avancés sur la chaussée afin de libérer la place au chanteur. Cheveux blonds et un semi-pied de micro dans la main, il annonce la couleur : «  Nous sommes Météore et nous allons commencer par une compo ! ».

 

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L'a de la présence et du charisme le lead singer, s'incruste dans son texte et le ressort par tous les pores de sa peau, balance sur lui-même et ne tarde pas à trouver son propre rythme, n'est pas de trop quand il laisse la place à l'orchestre, ne s'aplatit pas, ne se fait pas tout petit, ne sait pas se faire discret, semble mener le groupe alors qu'il n'est plus sur la brèche en première ligne. L'a tout compris. Les visages du public convergent sur lui, durant ces temps morts où les guitares officient dans la pointe du son. Figure de proue, face aux embruns qui suit le mouvement ascendant des vagues sonores qui le portent en avant.

 

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Il ne crache pas ses lyrics, il les habite, les joue, les met en scène, les interprète, texte de colère et de condamnation. Campe sur les grands mots de la révolte adolescence – et je rappelle pour ceux qui s'y méprendraient que le rock'n'roll est par essence une musique adolescente, dont les plus doués ont su préserver la flamme et l'esprit d'intransigeance même lorsque l'âge les a rattrapés, voire dépassés. Cause en français de la démocratie et de la liberté qu'on ne lui a pas donnée, mais on comprend qu'il est déjà assez grand pour aller la prendre tout seul.

 

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Reprise de Téléphone, nous voici transportés trente ans en arrière, plus tard pour enfoncer le clou ils offriront Antisocial de Trust. Des jeunes gens qui s'inscrivent dans une certaine tradition qui n'est pas pour nous déplaire. Nouvelle génération de rockers qui ne laissent pas aux rappeurs le monopole de la colère sociale. Pratiquement un morceau sur deux sera une composition originale. Ce n'est pas pour cela qu'ils ignorent l'anglais, nous donneront par exemple une très belle reprise de Saxon.

 

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N'y a pas qu'un chanteur, ont aussi un superbe bassiste. Remarquez que ce genre de corbeau de mauvais augure est indispensable pour les ambiances lourdes. Faut tout surligner en noir. Chaque morceau se doit d'être entouré d'un sombre liseré comme un faire part de deuil. L'ombre ténébreus du danger qui plane sur les expériences borderline n'est que le sel de la vie. L'on appuie là où ça fait le plus mal. Bassiste mais qui fait jeu égal avec les solistes.

 

 

Sont trois dont un qui se détache, vous donnerai son prénom le jour où ils détailleront le personnel sur leur facebook, les deux autres jouant plutôt à contrepoint, essayant de s'immiscer partout où ils trouvent de l'espace plutôt que de tenir une véritable rythmique. Le résultat en est un mur de son compact mais pas monolithique. Peut-être grâce au batteur qui suit plus l'allant des copains qu'il ne crée son propre champ d'expérimentations. N'écrase pas tout sur son passage. N'est pas l'alter égo de la basse qui creuse le sillon, lui il claque et rebondit.

 

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Ont drainé leur public à eux, ce qui est toujours un très bon signe pour un groupe. Une masse d'amis et de camarades stockés contre les barrières qui ne ménage pas ses encouragements. Sont vite rejoints dans leur ferveur par toux ceux qui ne les connaissaient pas, comme moi, et qui en redemandent. Trois rappels. Un triomphe.

 

 

Prometteur ce Météore. Espérons qu'ils continueront sur cette lancée. Ont la jeunesse et la fougue. Groupe local de hard rock'n'roll qui devrait en toute logique monter les échelons territoriaux.

 

Damie Chad

 

( Pour les photos de Swigum l'on a pris sur leur facebook, les photos des Jallies sur le facebook des Swingum pour les deux  premières et sur celui des Jallies pour les dernières qui ont été prises la veille au Gambrinus ; pour Météore photos de répétitions sur leur facebook + photos d'un précédent concert au Be Bop, le 06 avril 2012 )

 

 

ROCK'n'ROLL CIRCUS

 

IL FAUT SAUVER LE SOLDAT BRIAN

 

 

S'il est un document légendaire pour lequel des millions de kids se disaient prêts à vendre leur âme, c'est bien « The Rolling Stones Rock And Roll Circus», spectacle filmé le 11 décembre 1968, époque où les Stones - faut-il le rappeler ? - régnaient sans partage sur la planète rock.

 

Pendant presque trente ans, il fut impossible de voir ce film. Les Stones s'opposaient à sa commercialisation. Ils prétextaient qu'il régnait une mauvaise ambiance au sein du groupe et que leur prestation était médiocre.

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«The Rolling Stones Rock And Roll Circus» obsédait les fans des Stones. Ils en connaissaient la trame et le casting de rêve, car les journalistes avaient évidemment tout révélé : Jethro Tull, les Who, Clapton, Lennon et les Stones. À cette époque, tous ces artistes étaient encore particulièrement excitants. Jethro Tull venait de créer l'événement avec son premier single, «A Song For Jeffrey», les Who étaient encore un groupe à singles magiques, Clapton venait tout juste de quitter Cream et John Lennon n'avait pas encore pris ses quatre balles dans le buffet.

 

Les Stones bloquaient donc l'accès au film. Blessés tant de cruauté, nombre de fans transis sombrèrent dans l'alcool et finirent avec de gros nez rouges. D'autres, tout autant affectés, cessèrent brutalement toute relation avec le rock pour se réfugier dans le football. Les plus endurants prirent leur mal en patience, attendant qu'une décision favorable leur permît de voir enfin «The Rolling Stones Rock And Roll Circus». Grand bien leur en prit. Les Stones finirent par céder et le film parut sur VHS en 1996. Ce fut la seconde ruée vers l'or. Dans toutes les plaines du monde, les fans furent invités à se ranger derrière des lignes de départ. Au coup de feu, il fallait écraser le champignon. Les premiers arrivés obtenaient non pas une concession, mais une VHS, et ils rentraient chez eux avec le précieux boîtier serré contre leur cœur.

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Ça valait vraiment la peine d'attendre trente ans ?

 

Indubitablement, mon cher Watson, même si le film avait pris un coup de vieux. Mais il nous plongeait au cœur de la période la plus prolifique du rock anglais. Ce film avait sensiblement le même impact que Woodstock, car il permettait de mesurer la réalité de ce que furent tous ces grands artistes au faîte de leur gloire.

 

L'honneur de présenter ce spectacle mythifié revient au trublion du rock anglais, Mick Jagger : «This is the Rolling Stones Rock And Roll Circus. You've got sight and sounds to delight your ears and eyes !» En gros, il annonce qu'on va bien se régaler. Le premier groupe à faire feu de tous bois, c'est Jethro Tull, avec justement «A Song For Jeffrey», premier single de ce groupe atypique à cheveux blancs (leur premier album s'intitulait «Living In The Past» - rappelons que nos quatre amis n'avaient rien trouvé de mieux à faire pour se distinguer que de se grimer en vieillards - concept entièrement original que personne d'autre n'osera réutiliser). «A Song For Jeffrey» en accrocha plus d'un à sa parution. Même s'il avait un petit côté beefheartien, ce single semblait sortir de nulle part. Un parfum de mystère capiteux se dégageait de ce morceau trépidant et saturé de slide-guitar. Le côté rocailleux rappelait l'imparable «Sure Nuff n' Yes I Do» de Captain Beefheart.

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Jethro Tull est le groupe idéal pour démarrer un tel spectacle. On connaît tous les frasques de Ian Anderson drapé dans son grand manteau de clochard, se perchant comme le héron sur une patte et crachant dans sa flûte comme un vieux pervers. Mais qui se souvient de la prestation effarante de Glenn Cornick, ce hippie surexcité qui fouette sauvagement les cordes d'une basse inversée ? Il souffle en plus dans un harmonica monté sur un support, à la manière du Dylan de la période électrique. Au moment du tournage de «The Rolling Stones Rock And Roll Circus», Jethro Tull n'a plus de guitariste. Martin Barre n'est pas encore arrivé dans le groupe. Mick Abrahams vient de quitter Jethro Tull pour monter Blodwyng Pig. Tony Iommi (guitariste du groupe Earth qui va devenir Black Sabbath) et Davy O'List (Nice) sont testés, mais c'est Tony Iommi qui fera l'affaire. On lui enfoncera un chapeau cloche en feutre sur la tête pour dissimuler son visage et le tour sera joué.

 

Keith Richards apparaît alors à l'écran, un patch de pirate sur l'œil. «And naow, dig the Who !»  On voit tous ces Who aux yeux bleus se démener, mais on entend surtout la basse de John Entwistle. Daltrey porte déjà l'une de ses affreuses chemises en daim à franges. Pour le malheur des amateurs, ils jouent «A Quick One While He's Away», un mini-opéra dont la mauvaiseté est impardonnable. Ils sont déjà trop ambitieux et perdent ce qui faisait leur charme, la spontanéité explosive. Quel gâchis ! Il n'y a que le final qui bouge un peu, «You're Forgiven». Keith Moon bat dans l'eau. Bientôt, il fera sauter des bombes.

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Taj Mahal prend la suite, accompagné d'un petit orchestre sage comme une image. Il se fend d'un «Ain't That A Lot Of Love» (tiré de son premier album) qui sonne exactement comme «Gimme Some Loving». Dommage qu'il ne joue pas le «Statesboro Blues» qui donne son titre à son second album, un disque absolument remarquable édité en plein cœur du british blues boom.

 

Perdu dans les gradins, Charlie Watts annonce Mariane Faithfull, puis Keef présente un cracheur de feu, assisté par la lovely Luna. En fait, le cracheur de feu avale le feu.

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On arrive enfin à l'objet de toutes les attentes : The Dirty Mac, le super-groupe composé de Mitch Mitchell au battage, Keef à la basse, Clapton période Cream à la guitare, et John Lennon, belle demi-caisse Gibson blanche et chant. Lennon tape dans «Yer Blues», un des titres phares de l'album Blanc (qui ne contient que des titres phares). C'est l'occasion de voir jouer cet immense guitariste qu'est Lennon. Mais les choses vont se dégrader considérablement avec l'arrivée de la fée Yoko Carabosse sur scène. Les pauvres musiciens vont devoir accompagner cette poufiasse pendant dix bonnes minutes. L'immonde prestation s'intitule «Whole Lotta Yoko». Elle ne chante pas, non, pas du tout, elle pousse des espèces de cris perçants qui sont une véritable atteinte à l'intégrité intellectuelle de l'auditeur. On ne comprend pas pourquoi un personnage aussi brillant que Lennon est allé se fourvoyer dans cette incurie. Le violoniste Ivry Gitlis se joint au festin et nous glace d'épouvante.

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Les Stones se sont réservé la part du lion. Jagger se présente à la caméra en tunique rouge. Il est encore au cœur de sa période androgyne. Voici enfin Brian Jones, l'incarnation des sixties, l'égal des dieux ! Il porte un trois-quart de velours mauve et un pantalon jaune bouffant passé dans des bottes. Il joue sur une Gibson Les Paul dorée. On sent la star.Son visage paraît glabre. Il porte du rouge à lèvres. Les Stones démarrent leur set avec «Parachute Woman». Le son est étrangement plat. On détecte un léger flottement dans les enthousiasmes. Brian Jones semble totalement absent.Il sourit bizarrement. Keef prend le solo en bas du manche. On ne voit pas du tout ce que fait Brian. Comme si on avait donné des consignes au cameraman. Brian change de guitare pour le morceau suivant, «No Expectation». Il s'empare d'une Gibson Firebird inversée. Il joue la mélodie au bottleneck pendant que Keef bâtit une solide rythmique sur une guitare acoustique. Brian assure, mais on voit qu'il se limite au minimum syndical. C'est à ce moment-là qu'on sort les billets pour parier :

 

-- 500 euros qu'il est complètement défoncé !

 

-- Tu crois ? 

 

-- Tu veux parier ? T'as combien sur toi ?

 

-- C'est vrai qu'il a les yeux en trous de pine !

 

-- Au moins, avec toi, on ne risque pas de sombrer dans l'excès de délicatesse.

 

Brian sent sur lui les regards obliques des autres Stones. Quelle épreuve ! Gérer à la fois la défonce et l'hostilité. Ces quelques plans révélateurs nous donnent une petite idée de ce que Brian Jones a dû subir. Ni assez costaud, ni assez cynique, Brian ne pouvait affronter ses persécuteurs.

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Les Stones sont gonflés. Ils s'attaquent à «You Can't Always Get What You Want», un morceau phare et très orchestré de «Let It Bleed». Et pourtant, ça a l'air de marcher. «Je l'ai vue aujourd'hui à la réception/ Elle tenait un verre de vin/ Je savais qu'elle devait rencontrer son dealer/ Le mec était aux petits soins pour elle/ On ne peut pas toujours avoir ce qu'on veut, baby/ Mais si tu cherches/ Tu finiras par trouver ce que tu veux».La rythmique est sacrément nerveuse. Brian Jones remue un peu, voilà qui rassure ses admirateurs. Keef fait un boulot énorme sur sa Les Paul noire. Il est au four et au moulin, l'animal. Il n'a pas usurpé sa réputation. Wow ! et voilà «Sympathy For The Devil» ! Brian Jones démarre aux maracas, mais d'une façon qu'on pourra juger aléatoire. Un gros plan sur son visage montre que ça ne va pas bien du tout. Dans le monde entier, des millions de kids se sont levés d'un bond à cet instant précis : pourquoi ne lui vient-on pas en aide ? Les percussions arrivent derrière, comme un régiment de cavalerie accourant au secours du pauvre soldat Brian. Le morceau tient avec très peu choses : Charlie Watts sur les bas-flancs, le percu black, Keef sur sa Les Paul, Nicky Hopkins au piano. Pauvre Brian, il ne sert plus à grand-chose. Il s'en va au vent mauvais qui l'emporte deçà delà, pareil à une feuille morte. Keef nous sort son killer solo exacerbé de légende, l'un des plus hargneux de tous les temps, sachez-le bien. Soudain, Jagger ôte sa tunique, exhibe son torse d'androgyne et pique sa petite crise, oooh-oooh, ooooh-ooooh ! Le morceau devient hypnotique. C'est vrai qu'à cette époque-là, les Stones sont encore le plus grand groupe de rock du monde, ils brassent les atouts, Satan, les guitares, les outrages, les bracelets de cuir cloutés. Jagger explose le dernier couplet avec un numéro de screamer hystérique ! Il embarque tout le monde dans un délire épileptique. Il est tout simplement renversant de puissance démoniaque.

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Pour conclure, on retrouve les Stones dans les gradins, mélangés au public. Keef chante «Salt Of The Earth». C'est limite. Tout le monde sait que Keef chante faux. Par chance, Jagger prend le relais. La caméra cadre le pauvre Brian. Avec son regard éteint, il paraît frappé de décadence shakespearienne. Quelle horrible tragédie ! Il sait qu'il va être viré du groupe qu'il a fondé.

 

Même shooté à mort et haï par ses collègues, Brian Jones restait un Rolling Stone jusqu'au bout des ongles. On le haïssait tellement que sa mort fut certainement très appréciée. Mais sa disparition ne portera pas chance aux Stones qui entamèrent alors leur interminable déclin. Comment n'avaient-ils pas compris que sans lui, les Stones allaient perdre tout leur éclat.

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Croyant bien faire, Andrew Loog Oldham raconte dans ses mémoires comment il avait œuvré pour écarter Brian Jones du devant de la scène. Il voulait re-centrer le groupe sur Keef et Jagger. Il ne pouvait pas supporter Brian. Fatale erreur, puisque Brian Jones ÉTAIT les Rolling Stones. Deux autres épisodes montrent à quel point les Stones furent odieux avec le pauvre Brian. Keef lui piqua sa fiancée (Anita Pallenberg) en 1967. Et dans «One Plus One», Godard filme les Stones en studio pour l'enregistrement de «Sympathy For The Devil». Non seulement, Brian est mis au rencart dans un box avec sa guitare acoustique, mais quand il demande une clope à Keef, il reçoit quasiment le paquet dans la figure.

 

Le concert des Stones à Hyde Park organisé pour saluer la mémoire de Brian fut l'un des sommets de l'histoire de l'hypocrisie anglaise. Ni Keef ni Jagger n'avaient daigné se présenter à l'enterrement. Seuls Charlie Watts et Bill Wyman assistèrent à la cérémonie.

 

Après ces épouvantables péripéties, nombre de fans (dont je fais partie) ont décroché des Stones pour aller traîner dans des zones plus respirables.

 

Signé : Cazengler l'inconsolable

 

 

The Rolling Stones Rock And Roll Circus. Michael Lindsay-Hogg. DVD Re-mastered 2004

 

 

J. C. SATAN

 

THEIR SATANIC MAJESTIES

 

Dans le temps, il fallait armer une frégate pour aller à l'Abordage. On trucidait l'Espagnol et on plongeait ensuite les bras dans des coffres remplis de doublons et de pierreries. De nos jours, on va à l'Abordage en teuf teuf mobile (encore merci Damie pour ce mot-valise digne de Raymond Roussel). On ne trucide plus l'Espagnol et on paie des impôts.

 

Eh oui, les amateurs de piraterie se sont motorisés.

 

L'Abordage est une petite salle de concert dont le seul défaut est de se trouver à Évreux, à la fois proche et loin de tout, c'est-à-dire de Paris (ou de Rouen). Pendant un temps, la qualité de la programmation y était telle qu'on y cavalait couramment. Frank Black, Jon Spencer, Andre Williams et les Demolition Doll Rods sont tous venus honorer les planches de cette petite salle paumée au fond du département de l'Eure, l'une des contrées les plus mal dégrossies de notre beau pays.

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Puis les temps ont changé, la programmation aussi. On déplie chaque trimestre le joli dépliant programmatique de l'Abordage dans l'espoir d'y trouver de la substance, et on tombe systématiquement sur des choses qui semblent destinées aux lecteurs des Inrocks, c'est-à-dire les autres, pas nous. C'est un peu comme le New Musical Express. Jusqu'à une certaine époque, on le dévorait chaque semaine, de la première à la dernière ligne. Et chose alors impensable, le canard a changé de format et surtout de teneur, il y a de cela quelques années. Il s'est pour ainsi dire vidé, comme s'il avait chopé la colique. Pour survivre, un organe de presse doit dit-on viser large, et en visant toujours plus large on tombe fatalement dans le bourbier de la médiocrité. Le NME (Zi Ènêmi, on le bêlait ainsi, avec un petit zeste de gourmandise dans le ton) s'est auto-parodié, avec des couvertures exhibant des groupes tous plus insignifiants les uns que les autres. Intrigué, j'étais allé voir les Razorlight en concert, à cause du buzz entretenu par la nouvelle formule - ils en faisaient tout un plat de la crêpe Johnny Borrell - et j'étais ressorti du Nouveau Casino en courant, effrayé par l'affreux spectacle que je venais de voir. Ce groupe n'avait absolument rien à dire. Les malheureux puaient l'ennui et l'indigence. Comme le NME d'aujourd'hui.

 

Il existe pourtant d'excellents groupes de l'autre côté de la Manche, comme par exemple les 1990s, un trio glammy de Glasgow, ou encore les Len Price 3 de Medway qui ont vraiment l'air de bien aimer les early Who. Ces deux groupes pris au hasard auraient semble-t-il le tort d'enregistrer d'excellents albums (3 pour les Len Price 3 et deux pour les 1990s) (D'ailleurs on ne sait même pas s'ils existent encore).

 

À une époque, des gens comme Greg Shaw, Yves Adrien ou John Peel avaient sans doute mis la barre très haut. Simplement, ça nous convenait. Ce qui ne nous convient pas, c'est qu'on mette la barre très bas, comme c'est le cas dans la rockitude contemporaine, celle qui a pignon sur rue (les fanzines ont réussi à conserver leurs défauts de jeunesse, ce qui les sauve de l'académisme, cette sclérose qui s'attaque à un art pourtant vivant, le rock).

 

Un exemple. Pourquoi J.C. Satàn n'est pas en couverture de tous les magazines, à la place de Neil Young ou des Stones qui de toute manière vont bientôt disparaître ? J'ai un autre exemple, avec un groupe que l'indifférence a réussi à couler, corps et biens : les Klim de Rouen. Ils méritaient au moins une couverture et des grands articles dans la presse. Pourquoi ? Parce que sur leur premier album certains morceaux sonnaient comme des outtakes de l'Album Blanc des Beatles. Je n'exagère pas. Leur disparition est une injustice terrible. (J'y reviendrai) Ils avaient un potentiel dont ne disposent malheureusement pas les groupes français de la scène actuelle : ils savaient écrire ce qu'on appelle des chansons.

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L'autre exception de la scène française, c'est J.C. Satàn, bien sûr. Voilà un groupe bien franchouillard (même plutôt franco-italien) qui sait écrire des chansons et qui vient d'enregistrer trois albums en trois ans. Bonne vitesse de croisière. Ce qui surprend le plus chez eux, indépendamment de la jeunesse des effectifs, c'est l'aisance naturelle. Ils dégagent cette candeur qu'on retrouve dans les photos des Pixies à l'époque de leurs débuts. Et ce n'est pas un hasard si j'évoque les Pixies. On retrouve dans certains morceaux des petits Satàn la même ardeur novatrice, le même sens de l'escalade vers des pics vertigineux, le même goût pour les petites virées dans les zones mélodiques encore inexplorées. Ils savent aussi très bien marier les voix d'homme et de femme pour provoquer l'éclosion de brouets incestueux, prendre l'amateur au dépourvu, épicer une pièce de sensualité ou de pure insanité. Ils connaissent toutes ces arcanes du baroquisme impavide, ils flairent le tortueux des jeux interdits, ils percent les secrets d'alcôves de très longues notes effilées, ils fabriquent des univers de mots lunes. Chose troublante, les Pixies étaient à l'époque de leur zénith le seul groupe capable d'autant de prodiges. «Faraway Land» tiré du troisième album pourrait très bien sortir du cerveau en dérangement perpétuel de Frank Black. Eh non, il sort du cerveau tout aussi dérangé d'Arthur Larregle, chanteur et guitariste du groupe. Puissance mélodique et fracas des armes sont au rendez-vous, soyez-en sûr. On plonge avec eux dans une mer de félicité. Quand ils jouent «Faraway Land» sur scène, on sent très nettement un souffle. Sur le disque, le morceau est plus scintillant, comme s'il se constituait de mille facettes octogonales clignant chacune à leur tour comme des yeux noyés dans l'ombre et puis, outrage suprême, c'est arrosé d'une purée de solo absolument répugnante.

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J.C. Satàn jouait à l'Abordage, en février dernier. Non pas dans la grande salle, mais dans la petite, en haut. Il faudra patienter, les gars, pour la grande salle. Mais qu'on se rassure, Frank Black a fini par remplir l'Olympia avec les Pixies, qui n'étaient pas le groupe le plus commercial du monde. Simplement, ils avaient des chansons, et certaines sont devenues des hits aux États-Unis. C'est exactement ce qui pend au nez des petits Satàn.

 

C'est dans Dig It ! qu'on a commencé à dire le plus grand bien d'eux, avec une chronique de concert particulièrement élogieuse. Puis leur réputation a grossi très rapidement. Chez Born Bad, les deux premiers albums frétillaient dans les bacs et le troisième, «Faraway Land», trônait au mur, parmi les nouveautés. Séduit par la pochette (reproduction d'une toile quasi-expressionniste qui rappelle les heures noires de Christian Schad et qui montre une brune capiteuse au regard dur et mystérieux caressant la tête d'un galant-pendu posée sur ses genoux) et intrigué par le bien qu'en disait Dig It !, j'ai acheté «Faraway Land» et là j'ai vu trente-six chandelles. Enfin un album de rock français digne des grands albums de rock US. Ce disque s'ouvre avec une horreur heavy qui s'appelle «Legion». Un vrai bloc de Stoner. Ils démarrent aussi leur set avec cette abomination rampante. Dante n'aurait jamais pu imaginer une telle horreur. Tony Iommi non plus. C'est comme enfoncé à coups de pilon (basse et grosse caisse). Puis ça se met en route comme une machine de guerre moyenâgeuse, avec des riffs de basse qui pèsent des tonnes. S'il vivait encore, Dickie Peterson aurait adoré ça.

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C'est Ali, une petite blonde d'origine italienne, qui ponctue cette horreur tentaculaire de notes de basse. Comme les autres membres du groupe, elle raffole des tatouages et elle a plutôt fière allure sur scène, bien campée sur ses jambes, multipliant les glissés de manche et cognant ses cordes avec la régularité d'un soudard occupé à défoncer le crâne d'un ennemi.

 

L'autre fille du groupe, Paula Horror, vient aussi d'Italie. Brune, tatouée, elle aussi petit rock'n'roll animal parfait, Paula partage le chant avec Arthur. On ne la quitte pas des yeux, car elle semble transfigurée dans les moments d'apocalypse. Tout au moins sourit-elle au cœur de la tourmente et c'est quasiment sans effort qu'elle grimpe au sommet de son registre pour aller chercher des contre-chants sublimes. Elle est incroyablement juste. On voit rarement des chanteurs ou des chanteuses se percher aussi aisément.

 

Arthur se trouve au centre. Petit et présent. Il a cette dégaine de lycéen qu'avait Frank Black avant de doubler de volume. Derrière eux se trouvent Romain aux fûts et Dorian aux claviers.

 

Sur l'album «Faraway Land», les morceaux se visitent comme les objets d'un cabinet de curiosités : «Dragons» salement offensif, lancé comme un toupie et fuselé comme un affront, «Damnation», satanisme orientalisé digne de Rosemary's Baby et pour les accès de fureur contrôlée, digne du Frank Black de «Debaser». Sur «Psalm 6», on entend rouler sous la peau du morceau une belle ligne de basse hendrixienne, sertie de notes doublées à certains endroits névralgiques. Avec «Faraway Land II» qui ouvre le bal des vampires de la face B, Arthur nous jette dans la tourmente d'une insanité digne d'une autre époque, celle des clameurs issues des caves de la Sainte Inquisition, une horreur digne du temps où courraient sous les voûtes de corridors humides et noircis par la fumée des torches les ululements des victimes de démonologues passés maîtres dans l'art d'arracher de faux aveux. Pour «Men Power», Arthur nous fait la grâce de chanter par dessous un riff garage fuzzy. Le morceau est parsemé d'explosions infimes et de petites giclées innocentes. Avec «Song», un morceau qu'ils reprennent aussi sur scène, ils montrent qu'ils savent très bien jouer sur les deux tableaux, le chaud et le froid, l'impact et l'impie, le corsage et le corset, le trépied et le tripode, ils combinent tout cela avec malice et sans malice. Ils savent monter les mélodies comme des pièces montées chantées à l'unisson et qui n'ont pas d'autre fonction que celle d'embraser la plaine de notre imaginaire. On redevient fébrile, comme on l'était au temps des très grands albums. Ils referment le bal de cet album interpellateur avec un morceau intitulé «The Last Paradise». Paula Horror sait faire miroiter le paradis, avec le même charme insolite que Kim Deal. Le parallèle, une fois de plus, n'est pas innocent. Rien ne vaut cette molle échappée biaisée par tant d'espoir incertain. L'opacité s'opiace alors qu'au loin s'organise un orgasme.

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Sur scène, ils donnent à la plupart de ces morceaux une seconde vie. C'est ce qu'on pourrait appeler la dimension organique des superbes chansons de J.C. Satàn. Ils n'hésitent jamais à nous plonger dans des vertiges, comme par exemple avec cette version de «Hell Death Samba», morceau tiré de leur second album. Ils nous emmènent dans leur volcan. Paula chante mais Arthur hurle comme un damné, alors que s'écroulent les falaises de marbre, dans un épouvantable fracas. On croit assister à une absolution méphistophélique, bardée de grattages d'accords intermédiaires, enfer sonique de sang et de péché mêlé de cris et de bave et de croix et de boue et de crasse et de bris d'os et de craintes et d'éclats de bois. Ils vont aussi nous balancer une merveille nichée sur leur premier album, «Adventure Boat», une chanson singulièrement ensorcelante chantée à deux voix et vraiment digne du Velvet de «The Murder Mystery» et là on ne rigole plus. On tape dans le haut de gamme. Arthur et Paula (qui écrit les textes) ne se connaissent pas de limites. Arthur chante qu'il veut voyager avec Paula, aller dans la jungle avec elle pour rencontrer les cannibales. Tous ceux qui écouteront ce morceau tomberont sous le charme. Même quand on se croit blasé, on crie au génie. Il suffit simplement d'entendre Paula placer d'une voix indécente de nonchalance ses «Together on the boat» dans le refrain, juste au cul du I wanna See/wanna go/wanna be d'Arthur. Voilà un morceau d'une élégance imparable. Il existe encore une place au sommet des charts pour des groupes de ce calibre.

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Du coup, on a rapatrié les deux premiers albums, le premier grâce à un revendeur espagnol qui heureusement l'avait encore en stock, et le second, juste après le concert. Il se trouvait sur la petite table qu'Arthur et Paula avaient installée dans le hall. À l'écoute de ces deux disques, les soupçons se sont confirmés. «Sick Of Love» (leur tout premier album et donc pour eux saut dans l'inconnu, avec une pochette dessinée par Paula) est bourré de chansons vraiment dignes du Velvet, comme «Your Place», qui a le charme subtil d'un standard comme «Pale Blue Eyes». Avec «You Are Good», on sent l'étoffe des héros, car avec son beat heavy, le morceau se révèle terriblement persuasif. La face B grouille de serpents mortels, comme «Superhero» ou encore «Endless Fall», dont le venin monte directement au cerveau. Mais le vrai choc vient de ces deux merveilles, «Together After Love» et «Adventure Boat», grâce auxquels ils semblent renouer avec la magie du Velvet. Rien de moins. Ceux qui ont adoré les ambiances intimistes et légèrement déviantes des morceaux lents qu'on trouve sur les trois premiers albums du Velvet («The Gift» et «The Murder Mystery», en particulier) vont se régaler. Rien n'est plus difficile que de créer de telles ambiances. Depuis le Velvet, peu de gens se sont risqués dans ces zones ténébreuses. En duo avec Isobel Campbell, Mark Lanegan s'y est aventuré. Par contre, les Only Ones n'épiçaient pas leurs rengaines envoûtantes de voix féminines et les Pixies naviguaient dans d'autres régions de l'espace sonique.

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On retrouve cette veine velvetienne sur le second album des petits Satàn, «Hell Death Samba», notamment avec un morceau intitulé «Dear Dark J», insidieux et taillé en biseau comme «The Murder Mystery». Alors que «Misunderstood» renvoie, par le chemin biscornu serpentant au pied du gibet de Montfaucon, aux manies du grand Frelaté, c'est-à-dire Frank Black. «Blasted» évoque la trogne d'un démon colérique, cette peau noire, luisante et chiffonnée par mille courroux inavouables. Avec «In The Light», on constate une fois de plus qu'Arthur maîtrise à la perfection l'art de concocter d'atroces musicalités essentielles comme le sont les huiles de palmes olivâtres bercées d'alizés zoophiles. La chose coule sur la peau comme une poisseuse bénédiction, comme une langue d'octave perlée d'azur marmoréen. Avec cette véritable punkisherie ahanante qu'est «The Crystal Snake», et les clameurs de soudards qui l'accompagnent, les petits Satàn stompent dans le flic et le floc de la viande hachée d'après bataille. Avec cette pièce fulminante de trash, on a une nouvelle fois l'occasion de penser aux Pixies. Avanie dégringolée, degrés glissants vers des gouffres...

 

Dans «Abandon», Arthur explore des corridors chimériques. Comme Frank Black et Robert Pollard, il y rencontre sans cesse de belles idées ingénues et seyantes à demi nues et impubères qu'il féconde délicatement de ses dix doigts. Le tempo est si décontracté qu'on songe aux Byrds de la cinquième dimension. Avec «Junkie Knight», Arthur s'amuse à rentrer dans le lard du morceau, sans crier gare. Il se délecte du texte et trafique sa petite mélodie biscornue.

 

Ils referment le cortège de cet impressionnant album avec un truc qui s'appelle «Rhythm Of Sex» et qui sonne comme un long chemin de croix, comme une progression malaisée vers des gouffres de paradigmes parangonniques. Survient une éruption de crème chantilly qui s'arrête brutalement.

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Les semaines se sont écoulées depuis, mais je garde un souvenir très vivant de ce concert. Le public assez peu nombreux s'était montré chaleureux. Une dame d'origine africaine s'était même risquée a essayer quelques pas de danse, juste devant la scène. C'était assez courageux de sa part, vu la teneur du set. Sur scène, Arthur et ses amis densifiaient systématiquement les ambiances et savaient faire exploser certains morceaux. Sur le moment, je me disais que je n'avais pas vu un vrai groupe de rock depuis une éternité. Celui-ci dégageait une vraie animalité. On sentait qu'ils avaient du répondant et puis la qualité des chansons ne trompait pas. Ils ne jouaient pas de reprises, comme allait nous le confirmer Arthur après le concert. Paula s'est quelques fois retrouvée à genoux, et Arthur réussissait miraculeusement à garder le contrôle de sa guitare malgré ses contorsions. C'est là qu'on voit les grands groupes. Vous avez ceux qui savent plonger dans l'enfer de la fournaise et ceux qui restent plantés sur scène comme des figures de mode.

 

Comme Kid Congo ou King Khan, Arthur établit assez facilement le contact avec le public. Il a très bien compris qu'il était nécessaire de parler aux gens. Allez le voir après le concert, vous verrez, c'est quelqu'un de charmant et de très simple. On peut discuter de musique, de projets avec lui. On le sent extrêmement motivé.

 

Un grand reporter de Dig It ! avait fait le déplacement, lui aussi intrigué par cette réputation grandissante qu'on voyait courir comme le furet. Il profita de cette conversation à bâtons rompus d'après concert pour poser les bases d'une interview à paraître dans le prochain numéro de Dig It ! Et comme ce fanzine sait vraiment coller à l'air du temps, il n'est pas impossible que nos petits Satàn se retrouvent en couverture de ce prochain numéro. Et là les choses reprendraient tout leur sens.

 

Pour finir en beauté, nous allâmes au Mata-Hari siffler de capiteuses Carmélites avant de nous jeter tous phares éteints dans les ténèbres de la campagne normande.

 

 

Signé : Cazengler, le possédé de Loudun

 

 

J.C. Satàn. Sick Of Love. Slovenly 2010

 

J.C. Satàn. Hell Death Samba. Slovenky 2011

 

J.C. Satàn. Faraway Land. Teenage Menopause Records 2012

 

Sur l'illustration de gauche à droite : Paula, Romain, Arthur, Ali et Dorian.

 

 

 

CROCKROCKDISC

 

 

MIDNIGHT ROVERS

 

ROCKIN'CLASS

 

 

Nico Liner ( Chant / Harmonica / Guitare Folk ) / Cidou Basta ( Guitare / choeurs ) / Manu Billy ( Contrebasse / choeurs ) / Torz Rovers ( Batterie / choeurs )

 

 

JUNGLE ROCKABILLY / LOST SOLDIER / A MAN IN HARMONY / HONEY DON'T / ELLE / BE A GOOD GIRL / CRUEL LIFE / TATTOOS / SUBURB OF PAIN / BLVD VINCENT AURIOL /

 

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Pas besoin de chercher le Harrap's pour traduire le titre. Mais si vous n'êtes pas habitué aux mots à doubles entrées la pochette vous aide à comprendre : un Hot Rod avec un rocker gominé appuyé dessus au premier plan pour la classe rock, et des cheminées d'usines fumantes par derrière pour la classe des exploités. Le tout est dessiné avec de gros a-plats rouges et noirs pour annoncer la couleur. Un parfait résumé des Midnight Rovers un pied dans le rockabilly et l'autre dans la conscience sociale.

 

 

Jungle Rockabilly, peut-être pour vous rappeler que le monde est une jungle sans pitié mais que les combos de rockabilly sont là pour panser les plaies et vous redonner de l'énergie. Un instrumental, superbe avec les cris d'animaux en fond sonore et la guitare de Cidou qui tisse des lianes de riffs entre les branches et tout le reste du combo qui scie les arbres à coups d'harmonica et les abats à coups de section rythmique. Si bellement touffu que vous aurez du mal à passer sur le morceau suivant.

 

 

Ce serait dommage d'en rester là surtout que pour Lost Soldier ils restent dans la même harmonie musicale, l'harmonica à peine un poil plus bluesy mais le tout enlevé au pas de course. L'histoire d'un black GI qui s'en va crever pour son pays. N'en rajoutent pas à vous de réfléchir sur la valeur du possessif. A Man in Harmony débute par un vocal rap pour verser rapidement dans une pure orchestration rockab, mais dans les toutes les cités la vengeance est un plat qui se mange froid et aux cris de joies que l'on entend l'on comprend que l'on va en redemander une assiette pleine. Voix de clergyman et rafale de bastos pour conclure. Le morceau le plus féministe du record.

 

N'ont pas peur d'afficher leurs goûts musicaux. Honey Don't de Carl Perkins, un classique du rock de Memphis. A se faire traiter de réactionnaire par les imbéciles. Le moment de goûter au son, de fermer les yeux et d'écouter, équilibre parfait de l'orchestration, parti pris d'une couleur musicale qui sera tenue sans tergiverser d'un bout à l'autre du disque. L'on termine la face A sur un titre en français. Encore un tabou rockab ( et même rock ) que beaucoup de groupes français n'osent briser par les temps qui courent. C'est Elle la fautive. Peut-être pas celle à qui vous pensez mais chacun rencontre la sienne comme un reflet de ses propres faiblesses.

 

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Be a Good Girl, commence doucement mais le malheur accélère les choses et vieillit les petites filles avant l'heure. Rythme entraînant et thème à vous gélifier sur place. Le morceau joue sur cette ambiguïté qui est l'exact reflet de notre quotidien, vitrine sourire par devant et réalité sordide par derrière. Les Midnight Rovers utilisent le rockabilly comme un produit d'exploration médicale que l'on vous injecte dans le dos. Moins brutal qu'un scalpel, mais plus insidieux. Cruel Life, le constat vire au noir. Pas celui de l'anarchie, mais du désespoir. Difficile de sortir de soi-même lorsque la guitare limite votre espace vital et que l'harmonica condamne les sorties de secours. Avec Tattoos le rythme bondissant vous peint le jour selon des teintes plus vives. Affichez vos propres mots d'ordre, mais n'oubliez pas qu'un jour tout cela ternira. Subburb Of Pain, les Midnight Rovers ont définitivement décidé de vous casser le moral, la contrebasse et la guitare grimpent sur les murs, mais ce sont ceux de nos prisons citadines. A chaque instant la société de consommation vous offre la cigarette du condamné. Pour vous échapper suffit d'escalader l'arbre de la liberté rock'n'roll. Boulevard Vincent Auriol, en plein Paris-misère, Paris-révolte-dérisoire, à des milliers de kilomètres de la patrie du rockabilly, et vous n'avez que votre rébellion intérieure à opposer au rouleau compresseur du Système qui vous broie.

 

 

Pas gai si l'on y réfléchit, mais les Midnight Rovers ont compris que soixante après l'on ne peut pas continuer à pleurer sur la baby qui vous a quitté ou à s'acheter une cadillac rose pour draguer les filles. Inoculent des hormones de croissance au vieux rockab des familles pour lui procurer une cure de jouvence. Malmènent les mythes et ouvrent les portes en grand à des thématiques sociales d'aujourd'hui.

 

 

Evidemment les puristes les attendent au tournant. Pas pour rien qu'ils reprennent du Carl Perkins, une façon de s'approprier les chasses gardées – qui entre parenthèses appartiennent à tout le monde – ils ne cherchent pas à restituer le son d'origine. Essaient avant tout d'en extraire l'énergie dans le but de s'en servir en faveur de causes actuelles. Auraient pu imiter les Angry Cats, qui sont un peu sur les mêmes traverses idéologiques, en gonflant le son afin de lui donner une ampleur pratiquement pro hard rock. Mais ils ont préféré jouer plus finement, rester plus près de l'original – et chacun d'eux y concourt en faisant attention de ne pas trop s'éloigner des tables de la loi tout en n'hésitant pas à les manier sans ménagement.

 

 

Z'auraient pu tomber dans une certaine naïveté qui aurait consisté à interpréter, voire à orchestrer, chaque morceau selon le thème traité. Ont eu l'intelligence de procéder autrement : ont créé d'abord leur son – prédominance d'une guitare claire, présence de l'harmonica – auquel les sujets abordés ont dû s'adapter et se couler. Au lead singer de se débrouiller pour ne pas se complaire dans un pseudo yaourt approximatif mais d'afficher chaque mot pour en faire reluire la signification. Nico a su trouver la voie étroite et y poser la voix juste, nécessaire à cette acrockbatie vocale qui n'était pas donnée d'avance. En contre-partie la contrebasse de Manu Billy a servi de point rockabillien d'ancrage non fixe, alors que Torz sur sa batterie prend soin de systématiquement de pulser avec force le début et de clore en redondance la fin de toutes les séquences rythmiques dont un morceau est composé.

 

 

Le résultat est à la hauteur des prétentions. Les titres défilent à vitesse grand V et s'enchaînent sans accroc. C'est un album que l'on prend plaisir à remettre du début à la fin. Point de plage malvenue qui s'en vient heurter le rythme et qui vous oblige à manoeuvrer le bras du tourne-disque. Un disque de rockbellion rockabilly. Une pièce rare sur le marché national. ( et international aussi ).

 

 

PS : Le vinyl ( pochette intérieure photos couleur ) est livré avec le CD, douze euros. Avec de telles pratiques, ils ne vont pas enrichir les actionnaires.

 

Contacts : www.facebook.com / TheMidnightRovers

 

www.facebook.com / AppelAuxLuttes

 

www.ladistroy.net

 

 

 

LITTLE LOU

 

HOLY MACK'REL / BIG ROCK INN

 

( Rydell's Records )

 

 

Bastien Alzuria ( Lead Guitar ) / Pascal Freyche ( Upright Bass ) / Jean-Pierre Cardot ( Piano ) / Gaël Pétetin ( drums )

 

 

ROCKABILLY QUEENS SERIE ( III )

 

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Maniaquerie de collectionneur, me suis dépêché de mettre la troisième reine sur l'étagère à côté des deux autres, puis je l'ai oubliée. Durant trois semaines, pas très poli sur ce coup-là, je me hâte de présenter mes hommages et mes excuses aux pieds de la Little Lou. Surtout qu'elle n'a pas choisi la facilité, Holy Mackerel est un de mes titres préférés de Little Richard ( Part I et Part II ), alors quand je l'entends cracher son vocal à la manière du petit gars de Macon, les tripes en avant, les nerfs en boule et l'énergie en jet continue, je craque. Bien sûr elle s'inspire plutôt de la version de Prentice Moreland – plus richardienne que ce qu'en fera plus tard notre grande folle préférée – mais elle déménage si bien que l'on en oublie d'écouter Jean-Pierre Cardot sur son piano.

 

 

Vais sûrement passer mes vacances à l'auberge du gros rocher dès que j'aurais trouvé l'adresse parce que sa reprise de Big Rock Inn ( interprétée par Dolly Cooper en 1956 ) ne vaut pas le détour mais une station prolongée. Encore une fois Cardot pète les cardans et les trois autres le suivent les yeux fermés mais la voix de Little Lou ricoche sur les murs et effrite le crépi des façades. Hélas voici un disque qui s'usera trop vite, car qui trop passe trépasse. Le meilleur de la série. Et pourtant les deux autres sont loin d'être mauvais.

 

 

Little Lou, mais grande dame. Je regarde sur rockaroky par où elle passe près d'ici.

 

Damie Chad

 

 

Livré avec un sticker et flyer pub pour la production des Rydell's Records / 14 Rue de la Gare / 37 110 Le Boulay /

 

 

KING PHANTOM

 

GHOST RIDER / DESTROY AT SIGHT

 

GOLDSEEKERS / CRAZY GIRL

 

( Perkins Records / 2012 )

 

 

 

Johnny Rival ( guitar, vocals ) / Rumble Tom ( drums ) / Patclash ( basse ) / Jay Holster ( guitar )

 

 

A écouter les fenêtres fermées pour le seul plaisir de faire éclater le double vitrage. Le roi fantôme est sur la route et ça fait mal. Ricane méchamment dès les premières notes de Destroy At sight, préfère ne pas vous dire ce qu'il a fait sur la première plage. C'est comme dans un manga mais sans couleur avec le scénario en accéléré. Quant à l'autre face l'on a l'impression que les Goldseekers cherchent plutôt le carnage. Crazy Girl pourrait être encore plus folle et le morceau un peu plus long.

 

 

Sacré boulot de Rumble Tom sur tout le disque, les guitares remplissent les vides opérées par chaque break et Johnny vous offre l'explication de texte. Commentaires non autorisés exclusivement. A vous de vous faire votre propre film, dans votre tête. Si votre cerveau a résisté à l'électro-choc. Si ce n'est pas le cas, King Phantom ne peut plus rien faire pour vous. Nous non plus.

 

Damie Chad.