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10/07/2013

KR'TNT ! ¤ 152. BLACK LIPS / GHOST HIGHWAY / HOOP'45 / COLLINS KIDS

 

KR'TNT ! ¤ 152

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

11 / 07 / 2013

 

 

BLACK LIPS / GHOST HIGHWAY / HOOP'S 45 / COLLINS KIDS

 

 

AVIS A LA POPULATION

Ce n'est pas que l'on s'ennuie avec vous mais nous partons en vacances. Le site restera muet jusqu'au jeudi 29 août 2026. Non, 2013 ! Comme l'on est gentil, on vous a glissé en tête de gondole le récapitulatif de nos cent-cinquante deux livraisons. La lecture en est facultative, mais ne venez pas vous plaindre si à la rentrée vous avez écouté de fort mauvais disques et assisté à de médiocres concerts. Et surtout n'oubliez pas : ROCK 'N' ROLL !

 

 

LE 106 / ROUEN / 27 - 06 – 2013 /

 

BLACK LIPS

 

 

L E S  B O N N E S  B L A G U E S  D E S  B L A C K  L I P S

 

 

 

Après douze ans de tournées dans le monde entier et six albums studio, les Black Lips se conduisent toujours comme des sales morpions. À la fin du set, Ian Saint Pé jette une boîte de bière (ouverte, bien entendu) en l’air et se sert de sa guitare comme d’une batte de baseball pour la frapper de plein fouet et l’envoyer dans la foule. Beng !

 

Le jeu favori de Cole Alexander, l’autre guitariste, est de cracher très haut en l’air et d’ouvrir le bec pour récupérer son glaviot. Quand il rate son coup, il le prend généralement dans l’œil. Ils auront tout essayé pour défrayer une chronique pourtant déjà bien fournie. Exemple : à l’époque de leurs débuts, Jared et Cole n’ont rien trouvé de mieux à faire pour se distinguer que de sortir leurs queues sur scène et d’y mettre le feu. Jared ajoute humblement qu’ils n’ont fait ça qu’une seule fois et qu’ils étaient très jeunes. C’est d’autant plus fort que des pyromanes notoires comme Jerry Lee ou Jimi Hendrix n’y ont jamais pensé.

 

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Avez-vous déjà essayé de jouer de la guitare avec la queue ? Eux, oui. Encore un exemple de leur génie inventif : lors d’une tournée aux Indes, ils se sont roulé des pelles sur scène, par pure provoc. Mais aux Indes, on ne rigole pas avec ça. C’est même considéré comme un grave délit. La police indienne se frottait les mains : elle les accusait d’avoir commis des actes homosexuels passibles de lourdes peines et se préparait à les coffrer. Quand on leur a expliqué à quoi ressemblaient les taules indiennes (violence, tuberculose et gros vers blancs servis aux repas), nos quatre Black Lips se sont enfuis avant l’aube de leur hôtel par l’escalier de service et ont quitté le pays clandestinement.

 

Les Black Lips jouaient la semaine dernière au 106, un complexe culturel aménagé dans un ancien bâtiment des docks de Rouen. Grassement financé par les instances locales, l’endroit semble presque trop luxueux pour accueillir des gens comme les Black Lips, Monsieur Quintron ou les Mad Sin. On sent comme un énorme décalage.

 

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Les Black Lips viennent d’Atlanta, en Georgie. Jared Swilley, chant et basse «violon» Hofner, fils d’un pasteur homosexuel qui adorait les Beatles, rappelle qu’Atlanta est un oasis perdu au milieu d’une mer de haine (a sea of hatred, pour reprendre son expression), c’est-à-dire le Sud profond. Jared change souvent de look. Il se coiffe aujourd’hui comme un greaser de Sha Na Na. Cole Alexander, chant et guitare, se roule beaucoup moins par terre qu’autrefois. Il semble se concentrer davantage sur les chansons. Il porte toujours des bonnets ou des casquettes improbables et des fringues de collégien paumé. Ian Saint Pé est le second guitariste, arrivé dans le groupe à l’époque du troisième album, «Let It Bloom». Il sourit en permanence et s’habille correctement. Et derrière, Joe Bradley bat le beurre et prend parfois le chant.

 

On prend depuis douze ans ce groupe très au sérieux. Ils sont les héritiers directs d’une grande tradition, celle du garage américain, dont on fouille encore aujourd’hui les archives. C’est l’un des phénomènes les plus importants de l’histoire culturelle américaine (au moins aussi importante, sinon plus, que la vague rockab des années 56-57) : dans tous les patelins d’Amérique, des mômes s’achetaient des guitares et montaient des groupes pour singer leurs idoles, les Beatles et les Rolling Stones. Et s’ils en avaient les moyens, ils enregistraient un quarante-cinq tours, souvent à tirage confidentiel, qu’ils distribuaient au collège local. Ce garage rudimentaire fait le bonheur des amateurs. Grâce à son fanzine Bomp!, Greg Shaw devint le porte-parole de cette génération spontanée. Dix ans après la vague rockab, on entrait dans un nouveau culte, celui des groupes sauvages éphémères. Spontanéité et manque de technique étaient les deux mamelles du phénomène (on retrouvera d’ailleurs ces deux mamelles dix ans plus tard à Londres, chez les premiers groupes punk). On parle ici de l’essence même du rock. Les fameux trois accords des Sonics et des Pretty Things. Puis des Stooges. On sentait clairement à l’époque que les guitaristes virtuoses qui s’illustraient dans ce qu’on appelle le rock progressif nous faisaient perdre notre temps.

 

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En gros, les Black Lips touillent le répertoire de la trasherie confondante. Ah ! parlez-leur de délinquance juvénile, de stoogeries laconiques, de lyrics plaintifs, d’éjaculations nubiles, de cicatrices à l’abdomen, parlez-leur de rébellion et de chaos, de pluie ardente et d’horizons embrasés, de cuirs râpés et de braguettes ouvertes, les Black Lips incarnent tout ça à la perfection. Ils ont même dépassé leurs modèles.

 

Dès leur premier album, «Black Lips», sorti en 2003 (mais enregistré entre 2000 et 2001), les Blacks Lips annonçaient la couleur : trash-garage à tous les étages. Comme par hasard, l’album sortait sur Bomp!, le label mythique jadis créé par Greg Shaw. Pour les amateurs de garage à deux sous, ce disque n’est rien d’autre qu’un paradis, notamment la face B. Deux morceaux sont réellement dignes des Stooges de la première époque, «FAD» et «Crazy Girl» : morgue au chant, power-chords incendiaires. Tout ce dont on rêvait, les Black Lips l’ont fait. Voilà deux stoogeries mirobolantes du même acabit que le «White Dress» de Nathaniel Meyer (morceau niché sur son dernier album, «Why Don’t You Give It To Me») ou le «Predate» de Kim Salmon & the Surrealists (niché sur leur dernier album, «Grand Unifying Theory»). Pas mal pour un premier album. Ils rejoignaient une sorte de peloton de tête underground, qui bien sûr ne va pas intéresser les foules. Mais bon, on se dit toujours dans ces cas là que ça a le mérite d’exister et qu’en plus, c’est vraiment bon.

 

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Ils savent aussi donner dans le primitif graisseux, avec un morceau comme «Can’t Bring Me Down». Vraiment idéal pour tous ceux et celles qui adorent le gras qui tache, celui qui traverse le papier du charcutier, pour tous ceux et celles qui partent en quête de primitivisme sur les routes de France. N’oublions jamais qu’avant le primitivisme, il n’y avait rien. Ou pas grand chose. Et que depuis, les choses ont évolué, mais pas toujours dans le bon sens. Les gens qui écoutent Howlin’ Wolf et ceux qui écoutent Madonna ne vivent pas dans le même monde.

 

On trouve aussi sur ce premier album des Black Lips une pure insanité intitulée «You’re Dumb». Ils traitent ça sur un mode heavy blues qui situe parfaitement leur degré de dédouanement intempestif.

 

En 2004 sortait leur second album sur Bomp!, «We Didn’t Know The Forest Spirit Made The Flowers Grow». Tout un programme. Inutile de s’interroger sur le sens de ce titre bucolique d’inspiration rousseauiste, c’est un coup à macérer dans l’expectative pour rien. On trouvera là encore une face B beaucoup plus détonante. Et on réalise soudain, à l’écoute de cette série de morceaux foutraques, que le secret du grand art des Black Lips, c’est le débraillé.

 

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Crypt leur rendait hommage avec l’une de ces belles formules dont ils ont le secret (et que tous les autres labels ont essayé de repomper) : «A fantastic set of brutal garage punk with attitude mixed with some fucked up trashy blues tunes». (un fantastique mélange de morceaux garage punk violent et de trashy blues déjanté).

 

Le second morceau, «Time Of The Scab», est un acide jeté aux yeux de la conscience du monde avec une sorte de sauvagerie contenue. Les enchaînements d’accords sont typiques des Kinks et des Troggs. À l’instar de milliers d’autres groupes à travers le monde, les Black Lips continuent de recycler effrontément ces vieilles mécaniques d’accords. On retrouve tout ce qu’on appréciait énormément chez les grands transfuges comme les Move période «I Can’t Hear the Grass Grow» ou le Syd Barrett de «See Emily Play».

 

Quand on entend «Juvenile» qui ouvre le bal de la face B, on dresse immédiatement l’oreille. C’est un morceau de garage complètement désossé, avec une guitare aigrelette en arrière plan, des boîtes à chaussure pour les percus et du larsen en pagaille. Cole hurle ses fins de couplets comme si on lui arrachait les couilles avec une paire de tenailles rouillées. Ils donnent là leur version du primitivisme. Ils se situent dans le même esprit que les Deviants, avec cette façon de descendre dans la rue, down the street, dju dju dju djuvenile ! et de hurler. Du haut de leur chaire, les agrégés de garagisme transcendantal du quatrième millénaire crieront au génie, avec un doigt pointé au ciel, lorsqu’ils évoqueront ce morceau des Black Lips. Et dans l’amphi, les milliers d’étudiants se lèveront comme un seul homme lorsque les enceintes cracheront l’illustration sonore de l’exposé.

 

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«Notown Blues» ? On se croirait chez les Stooges d’Atlanta. Ils creusent toujours plus la veine du trash-garage, ça hurle, baby comme ça hurle, pépite de juke sixties Question Mark garage punk outfit destroy oh boy argllllll. Et c’est comme ça jusqu’au bout de la face B. «Par les cornes du diable, c’est à se damner pour l’éternité !», comme dirait le capitaine Flint, émerveillé par le contenu du coffre qu’il vient d’entrouvrir.

 

Avec l’arrivée de Ian Saint Pé, le son des Black Lips semble s’étoffer. «Let It Bloom» sort sur In The Red, le grand label garage américain de Larry Hardy. Ce disque est une bénédiction, un don du ciel. Ils repassent le garage à la moulinette de Jean-Christophe Averty. Ils sont à la fois les Yardbirds, les Them et les Pretty Things. Ils ont retrouvé le chemin de la menace. Ils attaquent ce disque (ainsi que leur set sur scène) avec «Sea Of Blasphemy», une petite pépite de garage dévoyé sertie sur une gamme de basse dynamique. C’est chanté avec un maximum de mauvaises intentions. Voilà donc l’hymne des délinquants du monde entier et un classique vraiment digne des Them de la première époque. «Can’t Dance» est une horreur garage percutée de plein fouet par une guitare au son merveilleusement dégueulasse. C’est de la fuzz tire-bouchon, avec un son de klaxon. Berk.

 

Sur cet album se trouve un autre standard : «Not A Problem». Les Black Lips le reprennent systématiquement sur scène. Avec sa belle mélodie chant, ce morceau semble ouvrir de nouveaux horizons au groupe. Ils entrent dans la cour des grands et se montrent dignes des géants des sixties. En 1965, on les aurait vu grimper au sommet des charts, avec un tube pareil. Ils auraient délogé les Beatles et Sandie Shaw. En plus, c’est stompé à la bonne franquette et chanté avec la merveilleuse énergie du désespoir adolescent.

 

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«Everybody’s Doin’ It» est une pièce garage stupéfiante de véracité nucléaire. Ils montent ça sur des accords gras bien claqués. Une fois de plus, la face B réserve son lot de surprises. Dans «Take Me Home», ils balancent un killer solo schtroumphé jusqu’à l’os. «Take me Home (Back to Boone)» est un nouveau clin d’œil appuyé aux Yardbirds. Les chœurs sont du pur «For Your Love», et le solo une horreur dévastatrice que personne, même parmi les gens les plus doués, n’oserait rejouer. «She’s Gone» est une petite sauvagerie digne des Pretty Things, montée sur la ligne de basse la plus élastique qu’on ait entendue depuis celles de John Stax. On tombe ensuite sur «Fairy Stories», un morceau fabuleux d’inventivité, monté sur un petit canapé de gimmick en discordance maximale, une espèce de tournicolis de notes juteuses. Résultat élégantissime, digne des perles les plus obscures de la collection de singles psyché de Greg Shaw.

 

En 2007 sortait «200 Million Thousand», un quatrième album farci d’inventions dignes du concours Lépine garage. «Let It Grow» est l’un des classiques les plus mal foutus de l’histoire du rock. On en goûtera le ralenti mal dégrossi, les belles tempêtes de fuzz bien sales et le pur typique du typique sixties. Voilà l’exemple type du morceau trash qui ne se lave jamais. Le trash qui sent le bouc. Unique au monde. Ils réinventent aussi la pop à leur façon dans «Short Fuse», petite pièce de pop agitée et sacrément décousue. Chez eux, le son n’est jamais plein. Il y a des trous dedans, comme dans les chaussettes des bikers. Les voix s’accrochent dans les aléas et les instruments semblent voler au secours du garagiste en perdition. Plus spectaculaire encore : «Big Black Baby Jesus Of Today», crasseux à souhait, C’aomon !, avec du noir sous les ongles, une lourde présomption de délinquance, indécent et même obscène, un brouet qui tue les mouches. Avec King Khan & BBQ, les Black Lips sont les plus grands héritiers des sixties.

 

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L’album suivant s’appelle «Good Bad Not Evil». Une nouvelle série de perles guette le malheureux auditeur. Des trucs comme «I Saw A Ghost» ou «O Katrina» sont bourrés de génie foutraque et décousus de fil blanc. Toujours aussi fuzzy et bourré de mauvaises intentions. Ils font exactement ce qu’ils veulent. Si vous aimez l’obscénité décontractée, écoutez «Veni Vidi Vici». Si vous préférez le garage insalubre chanté à deux voix, alors écoutez «It Feels Alright», monté sur des accords fermes et définitifs. Les Black Lips finissent par pervertir la symbolique du genre, ce qui situe leur niveau.

 

En 2011 sort leur sixième album, «Arabia Mountain». Transformation radicale. Nos amis d’Atlanta proposent une série de chansons dignes de se retrouver dans tous les juke-boxes de la planète. Je n’exagère pas. Écoutez l’album et vous verrez. Quand on écoute «Family Tree» on se dit que ça sonne vraiment comme un classique, mais en 2013, les hits pop n’ont plus guère d’audience. Trop tard, les gars, il fallait naître quarante ans plus tôt. Comme beaucoup de groupes américains cultivés, les Black Lips finissent pas sonner comme des Anglais. Bel exemple avec «Spidey’s Curse» qu’on croirait sorti d’un album des Television Personalities ou «Bicentenial Man» qu’on jurerait avoir entendu sur un album des Monochrome Set. «Mad Dog» et «Go Out And Get It» sonnent aussi comme des hits des sixties, poppy et soignés, dignes des meilleurs sixties boomers de la grande époque. Avec «Raw Meat» ils réussissent l’exploit de sonner comme les Undertones. Pur jus. Avec la face B, les amateurs de son sixties vont grimper directement au paradis. «Bone Marrow» sonne comme un hit de Tommy James & the Shondells avec un petit côté Ramones. Effarant, et juté au thérémine. «Time» sonne comme un hit de Paul Revere & the Raiders, ils jettent toute leur énergie dans la balance et ils saturent le chant d’un solo continu. Avec le chant à l’unisson de «Dumpster Dive», ils tapent dans les Byrds. «New Direction» évoque les Buzzcocks. Un disque avec seize bons titres ? Mais oui ça existe et il s’appelle «Arabia Mountain».

 

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On était donc particulièrement ravis de les revoir sur scène au 106. Sept ans s’étaient écoulés depuis leur fabuleux concert au Gambetta, un petit rade de la rue de Bagnolet. Ian Saint Pé est toujours aussi beau, avec son regard d’arcades décalées de séducteur italien. Jared Swilley, porte toujours un pantalon tuyau de poêle, mais au 106, il ne semblait pas en état de présider aux destinées du groupe. Notons au passage que ce mec chante affreusement bien. Les Black Lips ont surchauffé immédiatement la salle avec «Sea Of Blasphemy». Un peu plus tard, le public s’est tapé un joli moment d’étrangeté avec cette pièce fascinante qu’est «Not A Problem».

 

Pas d’excès sur scène, cette fois-ci. Cole n’a craché en l’air qu’une seule fois. Les Black Lips mettent désormais le paquet sur les chansons du dernier album. Plus de la moitié des morceaux qu’ils jouent sortent de «Arabia Mountain».

 

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Ils bougent exactement comme les Beatles première époque, celle où ils jouaient chaque soir au Star Club de Hambourg. Ils ont exactement le même genre de tressautement soutenu, la même pulsion unitaire, les mêmes têtes dodelinantes et la même manie des rythmes infernaux. C’en est même troublant. Ils jouent d’ailleurs un pastiche de «I Wanna Hold Your Hand» qui s’intitule «Dirty Hands». Baby, veux-tu me tenir la main ? Mais la main des Black Lips est singulièrement cra-cra, bien sûr. La fille devra avoir le cœur bien accroché. Ils ont aussi des morceaux baroques et même un peu pénibles, comme ce «Hippie, Hippie, Hoorah» qui n’a ni queue ni tête et qu’ils jouent en rappel, histoire de bien nous agacer. On dirait une reprise de Frank Zappa, mais c’est en réalité une reprise de Jacques Dutronc qu’ils s’amusent à immoler, puisqu’ils la chantent dans un français incompréhensible. Mais dès qu’ils reviennent à l’hypertension, ils sont irréversibles.

 

Les Black Lips portent un lourd fardeau : rien de moins que l’avenir du rock. Ils nous remontent bien le moral en attendant, car ils offrent tout ce qu’un amateur peut attendre d’un groupe garage : des chansons inspirées et explosives. Sans ces groupes comme les Black Lips ou King Khan & BBQ, la vie deviendrait compliquée. À quoi servirait d’aller chaque matin se jeter dans la gueule du gros méchant loup ?

 

 

 

 

Signé : Cazengler, amateur de lippes en tous genres

 

 

Black Lips. Le 106. Rouen. 25 juin 2013

 

Black Lips. Black Lips. Bomp Records. 2003

 

Black Lips. We Did Not Know the Forest Spirit Made the Flowers Grow. Bomp Records. 2004

 

Black Lips. Let it Bloom. In the Red Records. 2005

 

Black Lips. Good Bad Not Evil. Vice Records. 2007

 

Black Lips. 200 Million Thousand. Vice Records. 2009

 

Black Lips. Arabia Mountain. Vice Records. 2011

 

L’illustration : de gauche à droite : Ian Saint Pé, Cole Alexander, Jared Swilley et Joe Bradley.

 

( Je rajoute que toutes ces illustrations inédites et inégalables dont nous vous régalons depuis plusieurs semaines sont de la plume colorée de notre Cat Zengler préféré. D. Chad )

 



 

HD DINER OPERA / PARIS / 04 - 07 - 2013 /

 

GHOST HIGHWAY

 

Pour Earl,

 

L('AUTOROUT)E FANTÔME DE L'OPERA

 

 

L'argument culturel imparable. Le chef n'avait pu que s'incliner lorsque Mister B avait demandé sa demi-journée pour «  un concert à l'Opéra ». L'avait pas précisé que c'était pour l'HD Diner Opéra. Bref l'on était prêt pour une petite soirée parisienne un peu hot lorsque nous dûmes déchanter. Un quarteron de péronnelles caquetantes vint s'abattre au dernier moment sur la banquette arrière de la teuf-teuf mobile. Bye bye notre indépendance ! Et tout cela, ironie d'un sort injuste, un quatre juillet, the american victory D-Day par excellence, que nous allions fêter dans un des cinq fast-foods pro-fifty vintage HD Diner de la capitale.

 

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Soyons francs, nous ne sommes pas spécialement américanophiles, mais nous sommes loin d'être les seuls. Suffit de mettre un pied dans HD Diner pour sentir que le concept de base de cette chaîne ( alimentaire ) réside surtout dans l'exploitation d'une mode qui durera quelques saisons, le temps de surfer sur la vague et d'amasser un maximum de fric... ensuite l'on embarquera la clientèle dans la prochaine nostalgie qui se profilera dans le futur... Toujours est-il que pour l'instant le rockabilly profite et participe de ce courant suscité par l'hégémonie culturelle et économique des USA en notre occident européen. Multiples sont les contradictions qui nous sous-tendent.

 

 

On ne peut pas dire qu'à l'intérieur ce soit comme les vastes prairies désertées de l'Ouest sans fin. On s'y sent vite à l'étroit. Tables, chaises et banquettes sont rapprochées à l'extrême, les clients sont serrés les uns sur les autres, et les serveurs doivent se frayer leur chemin entre la clientèle et les amateurs de musique qui se lèvent pour voir le groupe... Couleurs dominantes le vert pâle et la rose crue. Affiches pepsi-cola et réclames de produits dérivés du baseball sur les murs, steack hachés grillés et grosses frites dans les assiettes. Plus tard à la mid-sixties Andy Warhol transformera le mauvais goût des amerloques en esthétique dominante... Edgar Poe avait raison, rien ne vaut le grotesque néronien.

 

 

Les Ghost sont là, plus les intimes, plus les fans, plus les clients attablés qui sont venus... pour manger, ou discuter le coup entre pots et copains devant un plat garni. Beaucoup de monde, la queue déborde de temps en temps sur le trottoir, mais l'attente n'est pas exagérément longue.

 

 

PREMIER SET

 

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Doit être neuf heures lorsque les Ghost se dirigent vers les instruments. Espace restreint, plus grand qu'un timbre-poste, plus petit qu'un six mètres carrés de chambre de bonne sous les combles loués à huit cent euros par mois. D'emblée l'on accorde une baguette d'or à Phil qui parvient à rassembler sa musculature dans l'encoignure du fond. Ca tient de l'homme caoutchouc qui dans les cirques d'antan se glissait dans les tuyaux du poêle. Me demande encore comment il a pu bouger ses jointures. Zio peut remercier sa contrebasse, grâce à elle il s'octroie une double place, l'est le seul à pouvoir respirer à son aise. Entre Zio le veinard et Jull collé contre le mur Arno essaie de se faire aussi maigre que le pied de son micro. Faut convenir que même si ça dépasse un peu sur les côtés, il y parvient assez bien.

 

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Le son, disons qu'il aurait pu être pire. Même si Jull sur sa console est parvenu à des miracles d'équilibre entre les instrus, cela dépend du lieu où vous êtes, étrangement presque bon tout au fond de la salle. Malheureusement le meilleur endroit pour ne rien voir du tout. Difficile de prendre ses marques en de telles conditions, mais dès le Folsom Prison Blues le groupe trouve son allant et sa cohésion et commence à balancer aussi salement que s'il était dans un bouge de la Nouvelle Orléans.. Suffit de regarder les tablées, les conversations ralentissent, les fourchettes restent en suspend et l'on se détourne de la contemplation de la frite reine pour jeter un coup d'oeil interrogatif sur ces mecs qui émettent du bruit pas tout à fait inintéressant.

 

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Au fur et à mesure que le set se déroule, la clientèle se renouvelle, les dîneurs du début de la soirée n'étaient manifestement là qu'en transit. Partent vers de nouvelles aventures dans lesquelles nous ne les suivrons pas. Une deuxième génération s'installe peu à peu, elle ne bénéficiera que de la dernière partie de la set-list, assez toutefois pour la savourer. Et comme les Ghosts eux-mêmes termineront leur première heure pour passer à table, lorsque commencera la deuxième partie, l'on assistera à un curieux phénomène, les gens pour la plupart échoués là un peu par hasard, ne quittent plus leur siège et restent à leur place pour assister à la suite du show.

 

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C'est que lorsque Country Heroes, Cause I forgot, Please don't leave me, et Gone Ridin' vous ont traversé le cerveau, tout individu normalement constitué ne saurait résister à continuer la chevauchée avec ce combo qui balance la syncope avec un tel entrain.

 

 

 

DEUXIEME SET

 

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Une main anonyme dont nous tairons le nom a négligemment poussé le volume. Tout change d'intensité. Un peu comme quand vous agitez une lampe torche dans la nuit et que vous apercevez que tous les monstres de la jungle n'attendent plus que vous pour commencer le festin. Oui, Monsieur le commissaire, nous avons été victimes d'une rock'n'roll agression. S'étaient très bien conduits dans la première partie, des garçons un peu agités certes, mais rien à voir avec les sauvages énergumènes en lesquels ils se sont transformés. Sans préavis.

 

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Une pure merveille. Un moment de grâce. L'on a brusquement l'impression que les Ghost ne jouent plus que pour eux. Jull leur prépare un riff ourlé de bronze qu'il sculpte en pickin' et décline à la perfection avant de s'effacer et de laisser à ses acolytes le temps d'y imprimer leur marque. Arno, alors que ses mains déchiquètent la rythmique, fait gronder sa voix et puis à son tour se retire comme la vague de la mer qui se détourne pour revenir encore plus forte et plus violente. Ce dont Phil, que je n'ai jamais entendu frapper avec autant de hargne, se charge alors que la basse de Zio vibre comme un vol de libellules sur le tombeau des Alyscamps. Merci cher Rainer Maria Rilke pour cette poétique comparaison.

 

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Je sens que je cours au lynchage, mais les Ghosts prennent un tel plaisir à toutes leurs parties instrumentales qu'ils ressemblent à un orchestre de jazz. Excusez-moi pour ce gros mot aussi inattendu qu'une bouse de vache sur le tapis rouge de l'Olympe, mais il y a un tel ensemble, une telle volupté à partager ces moments de braise et de volupté, que l'on s'écarte du simple beat rokabillyesque pour entrer dans une harmonisation souveraine mais ultra-violente.

 

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Stupéfaction générale, serveurs et serveuses se sont regroupés autour de la caisse enregistreuse et restent-là les bras ballants le plateau en bout de main, abasourdis et ravis. Non seulement le responsable ne les houspille pas, mais se contente de répéter qu'il n'a jamais vu ça. Deux jeunes filles me demandent de quelle région d'Angleterre ils viennent, quand je leur réponds que ce sont des français de Paris, je sens bien à leur air étonné et leur mine sceptique qu'elles me prennent pour un gros mytho grave qui tient à faire son malin et se retirent offusquées...

 

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Les Ghosts sont loin de cela, se tirent la bourre sur les deux derniers morceaux du rappel. Impossible de les terminer. Dès que l'un fait discrètement signe de stopper, ou Phil écrase un break de quinze tonnes qui rouvre les débats, ou Zio plaque des accords de béton armés qui demandent à être badigeonnés de chaux vive, ou Arno sert un killer solo d'harmonica à vous arracher les dents, ou Jull vous invente une monstruosité gretschique inconnue aussi méchante que des balles traçantes, et comme aucun ne veut lâcher le morceau, nous avons droit à un finale de vingt minutes éblouissantes de virtuosité. Pas prêts de retourner au pays où Johnny Law fait sa loi.

 

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Y a longtemps que les clients ne consomment plus. La plupart viennent de découvrir en un même soir et le rockabilly et les Ghost Highway. Ils hurlent et applaudissent à tout rompre. Les Ghost Highway ont encore une fois frappé un grand coup. Mais comment font-ils ? Elémentaire mon cher lecteur Watson, they got it !

 

 

BACK ON THE ROAD

 

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Dans la voiture l'on n'entends plus qu'elles, entre une qui a flashé sur Zio et qui nous cause de sa classe innée de véritable rocker et l'autre qui raconte que c'est la plus belle soirée de sa vie, l'on se regarde avec Mister B sans rien dire. Sans doute aurions-nous dû les abandonner attachées à une pompe de station service sur le bord de l'autoroute... N'est-ce pas l'été, la saison propice aux migrations ? D'ailleurs les Ghost Hihghway s'en retournent en Angleterre d'ici peu. Si même les anglais exigent de les revoir...

 

 

Damie Chad.

 

( photos de Edonald Duck prises sur le face book de Ghost Higway Paris )

 

 

PANNES / 6 – 07 – 2013 /

 

 

HOOPS 45

 

 

 

nous sommes les seuls emprunteurs de cette asphalte désertée. Serais-je le Survivant après l'explosion atomique ? Comment parviendrais-je à perpétuer l'espèce humaine ? Je me bâtis tout un roman dans ma tête. Hélas lorsque je commence à entamer le deuxième chapitre, je comprends que je suis prisonnier du thriller le plus angoissant qui ait jamais été écrit au monde.

 

 

Je cherche Pannes, et Pannes a disparu de la surface de la terre. Encore un coup des extraterrestres, qui tentent une expérience sur les limites du psychisme des terriens. Personne, tous les habitants sont calfeutrés chez eux, derrière leurs volets fermés. La paranoïa s'insinue dans les pores de mon cerveau. Je sens que je vais basculer dans la folie noire lorsque devant mes yeux hallucinés une pancarte m'indique de prendre à gauche pour me rendre à Pannes.

 

 

Suis pas né de la dernière pluie, je ne tombe pas dans le panneau, je bifurque à droite et fonce sur un chemin vicinal qui s'enfonce dans le vide du paysage. Je me fie à mon GPS instinctif, j'ai raison. Un clocher solitaire pointe son nez vers le ciel, il est écrit sur Rockyrocka que le concert aura lieu à vingt heures sur la Place de l'Eglise, je suis sûr que je tiens le bon bout ( comme disent les copines ).

 

 

Il est huit heures moins vingt, la teuf-teuf mobile se range à côté de consoeurs locales sur un parking que je suppute municipal. Les épis sont tirés au cordeau. N'y a qu'un truc que je ne comprends pas, doivent avoir un sacré problème avec l'implantation des panonceaux dans le pays puisque un magnifique interdit de stationner d'un mètre vingt de diamètre domine l'aire de stationnement.

 

 

Je ne suis pas au bout de mes frayeurs. J'ai erré dans le labyrinthe mais je ne savais pas que le minotaure m'attendait. Au début, je ne me suis pas méfié, un incertain et vague relent de musique flottait dans l'air, j'ai donc suivi la trace auditive. Les Hoop's doivent faire la balance me disais-je, et à la qualité sonore de la bouillie saumâtre que j'ouïs, z'ont pas encore trouvé la solution idéale.

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Mais l'évidence s'impose. Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, mais non de Zeus cette zique qui s'affirme dans mon esgourde n'est pas constituée par les farouches intonations du rockabilly ! Voyons, ce serait plutôt, mais non, mais oui, je sens que je vais faire comme E.T., moi vouloir rentrer maison. Ce n'est pas un disque, c'est bien un chanteur qui chante ( jusque là, tout est normal ) du... Michel Delpech. Un pot-(vraiment)pourri de tous ses hits.

 

 

J'imagine la dernière des abominations, les Hoop's décommandés et remplacés au dernier moment... Non ! Pas ça ! Je suis maudit ! Mon mauvais karma me poursuit, mais avant de m'enfuir je boirai la coupe jusqu'à la lie, et je débouche enfin sur la grand-place. Tout au fond une scène surélevée, y a bien quelqu'un qui tient un micro, mais derrière lui s'étend une immense banderole noire plastifiée avec inscrit en grosses lettres blanches HOOP'S 45 ! Je suis sauvé.

 

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Sept heures quarante sept, je me mets à l'ombre à la terrasse d'un café, l'on me sert un des meilleurs petits noirs que j'ai jamais bu dans ma longue vie. J'inspecte les alentours. Quatre gamins qui trampolinent à dix centimètres de hauteur sur une structure gonflable en forme de château-fort, un grand auvent avec quatre cuistots amateurs qui s'affairent autour d'une friteuse, six personnes sagement assises sur une ribambelle de bancs, un vaste plancher pour les danseurs aussi vide que le portefeuille d'un SDF, et l'émule de Michel Delpech qui me propose de flirter avec lui. Non merci.

 

 

 

Sept heures cinquante sept, un organisateur monte sur scène et nous prévient qu'après un dernier succès de Delpêche-toi Michel d'en finir, ce sera le tour des Hoop's. Huit heures une minutes, six secondes, les Hoop's empoignent leurs instruments. Une orga de pros.

 

 

PREMIER SET

 

 

Plateau de dix mètres de long. Une sono monumentale. Elle appartient au groupe. La place et le matos pour s'exprimer. Ne s'en priveront pas. Sont ici comme chez eux, décontractés, confiants, connus et respectés. Ne cherchent pas la facilité. L'immense majorité de la population n'est pas spécialement rock. Fredonnerait plus facilement un tube de C. Jérôme que des Stray Cats, mais les Hoop's ne baissent pas la garde, et ne se départiront pas une seconde de leur parti pris rock'n'roll.

 

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Kevin derrière la batterie, baguettes à la main et chapeau tyrolien pied de poule sur la tête. Steph au micro, bras nus, la hargne aux lèvres, Jean Eric impatient d'en découdre avec sa Gretsch, Richard à la basse, l'oeil partout à la fois. Commencent par un petit bouquet de classiques du rock'n'roll histoire de se mettre en forme et de porter la combustion énergétique à un tel niveau qu'il sera impossible qu'elle redescende plus bas.

 

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Ne sont pas des stakhanovistes de la reproduction à l'identique. Reprennent par exemple beaucoup de Presley mais depuis l'ouverture des studios Sun, de l'eau a coulé sous les ponts et le fleuve rockabilly a été alimenté par de multiples nouveaux affluents. Possèdent un son que l'on qualifiera de moderne, même si ce mot ne signifie pas grand chose en lui-même. Même Homère était un auteur moderne huit siècles avant notre ère, malheureusement chrétienne. Inutile de remonter si loin, les Hoop's ont écouté les miaulements des Chats Errants et ont trouvé leurs miaulements discordants si mélodiques qu'ils ont continué sur cette lancée.

 

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Mais avec un guitariste aussi inventif que Jean Eric ils ont vite créé leur propre mixture bien à eux. Rappelez-vous comment j'avais insisté sur le côté organique de leur premier CD, un album qui respectait la sainte règle des trois unités que beaucoup n'atteignent pas dans le rockabilly, un groupe, un son, une originalité. Et en cette fin de soirée illuminée par un chaud soleil Jean Eric s'en donne à coeur joie. Concentré et survolté, connaît son morceau sur le bout des doigts mais a toujours le zieutar aux aguets, cherche sans arrêt un autre chemin, un autre je ne sais quoi qu'il pourrait inventer sur le moment. Et quand il a trouvé – et il trouve souvent - il saute de joie, pousse des hurlements à se casser les cordes vocales et s'en va gambader une simili marche de canard chuckberrienne qui met le public en joie. Car si nous partîmes à sept par un prompt renfort nous finîmes autour d'une centaine.

 

 

Sur son acoustique Steph est loin d'être atone. En grande forme. Crache les vocals d'une voix rauque terriblement sensuelle, joue sur les intonations, tessiture canaille et amplitude rock'n'rollienne. Le jeu d'Elvis et l'énergie jappéé d'Eddie Cochran. A écouté les maîtres, et se permettra quelques interprétations de Little Richard, superbement envoyée. Ne se risque pas dans un phrasé typiquement noir – cette manière d'allonger les fins de mots tout en donnant l'impression de les écourter - mais donne des versions gominées gorgées de soul. Invective avec humour. Mène le show avec maîtrise.

 

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Kevin, imperturbable. Ne se limite pas à la caisse claire. Assombrit les morceaux de lourdes touches cognantes et explosives sur les autres toms. Trois uppercuts rapides, semble en avoir terminé, lève la tête et la baguette, regarde Jean Eric, le tout sans se presser et à la seconde exacte où vous pensez qu'il va attaquer la séance suivante, klong !!!! il vous termine celle en cours par un coup de gong à rendre fou un collège de moines tibétains. Un peu surpris vous cherchez à en savoir plus, mais sous son chapeau à damier il arbore le sourire candide du gamin qui vient de glisser un gros pétard du 14 juillet dans la boîte à lettres du curé. Klong !!!! Il vient de vous avoir pour la cinquante-sixième fois et vous ne pouvez pas lui en vouloir.

 

 

Richard est heureux. On le sent bien. Un peu enivré par le son de sa propre basse. Ca roule pour lui, entre les roulements de Kevin, la rythmique folle de Steph et la Gretsch inventive de Jean Eric, il faufile des lignes de basse comme de missiles à têtes chercheuses. Se démultiplient à l'infini en évitant tous les obstacles. N'étouffent pas les copains mais zèbrent l'espace sonore comme des mambas gorgés de venin. Apporte un son fruité, un terreau fertile qui garantit la mise en valeur et la croissance exponentielle des apports de ses trois acolytes.

 

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Le set défile vitesse grand V. Ca marche comme des roulettes. Un plaisir d'écoute maximum, mais un mosieur loyal de l'orga les interompt pour leur signifier qu'à la clepsydre du temps il ne leur reste plus que trois minutes pour un dernier morceau. Se débrouilleront pour en envoyer trois, qui nous laissent un furieux goût de revenez-y dans tout le corps.

 

 

INTERMEDE

 

 

Rien ne nous sera épargné. Les Hoop's n'ont pas repris pied sur terre que déjà le maître-chanteur de tout à l'heure enjambe les escaliers pour reprendre le micro. Ce n'est plus le même homme. L'a mis une perruque blonde sur ses tempes argentées. Je feins de croire qu'il va nous réciter un passage de Tête d'Or de Paul Claudel. Mais non, ce sera C Jérôme. Les Hoop's sont derrière moi dans la queue de la baraque à frites ( cinq euros une pleine assiette + saucisses délicieuses ), Steph doit convenir que leur récital n'est pas à la hauteur de celui que l'on nous inflige. Leur manque une sérieuse touche de romantisme dans les paroles.

 

 

Les pires tourments ont une fin, les Hoop's n'ont pas englouti leur assiettée que déjà on les redemande sur scène. Jean-Eric se lance tout seul comme un grand dans un petit solo de guitare pour faire patienter la foule. L'on en apprend de belles, après le concert défilé de la batucada + feu d'artifice + bal populaire + embrasement de l'Eglise. Enfin le staff Houp's est au grand complet. Se jettent illico dans le deuxième set.

 

 

DEUXIEME SET

 

 

Je sais que je ne devrais pas. Que je vais vous faire mal. Que vous allez maudire votre manque de flair. Oui il fallait être à Pannes, et vous n'y étiez pas. Bande de misérables. Vous auriez dû organiser des charters et vous êtes restés chez vous à vous ennuyer ! En tout cas à Pannes, ils ont compris, dans cette paisible bourgade du Loi et Cher toute la population s'est déplacée en masse pour la deuxième session des Hoop's. Les femmes avec leur landau, les hommes, les vieux grands-pères dans leur chaise roulante, les mémés aux cheveux blancs, six cents personnes massées sur la place en ont pris plein les oreilles pour pas un sou.

 

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Je n'ai pas oublié les enfants. Se sont précipités sur le plancher destiné aux danseurs et l'ont squatté d'un bout à l'autre su set. Fallait voir ces têtes blondes, ces bambins de deux ans, ces souples et mignonnettes fillettes aux habits colorés mener leur infernale sarabande. Z'ont jerké sans s'arrêter un tiers de seconde comme à la Locomotive en 1965. Ne les grondez pas. C'est la faute aux Hoop's. Et aux parents irresponsables. Ne sais pas ce que les cuistots peut-être inexpérimentés avaient employé comme sel des frites mais z'avaient dû confondre avec la cocaïne.

 

 

Chaud devant. Chaud derrière. Un public subitement devenu fin connaisseur et les Hoop's totalement déchaînés. Tous les quatre ils ont dû péter une durite sans s'en apercevoir juste avant de monter sur scène. Car ce fut un merveilleux concert. De l'énergie pure, une émanation festive et païenne, un ruissellement de plaisir. Et la foule mouvante et chaleureuse ne s'y est pas trompée. A su rugir et hurler à chaque sur-renchérissement du groupe.

 

 

 

Ils n'ont pas joué. Ils ont performé. Nous ont jeté à la gueule des hits brûlants comme des bâtons sortis tout droit des fournaises de l'enfer. Ont pioché dans leur album et en ont extrait des bâtons de pure dynamite à la mèche courte. Pris d'une folie collective Steph et Jean Eric se sont lancés dans une danse du scalp sans retenue, guitares en face à face et galopades d' ours furieux le long de la scène. Kevin-klong enfonçait des tire-fonds galvanisés à la foudre à la chaîne et Richard, son sourire devenu démoniaque, de sa basse profonde s'est attaqué aux soubassements de notre cortex reptilien.

 

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Sur ce Jean Eric s'est mis à bondir en hauteur comme au bon vieux temps de Pete Townshend et des Who et un tsunami rock'n'roll s'abattit sur la paisible bourgade de Pannes. Par quel miracle des centaines d'honnêtes citoyens qui accomplissent leur devoir conjugal et électoral aux heures prescrites se sont-ils transformés en zombies rock'n'roll issus des béances ultimes, je ne saurais vous l'expliquer. Faut bien en rejeter la faute entière sur les Hoop's qui nous ont subjugués. La recette est facile, les mêmes ingrédients qu'au premier set, mais une cuisson à la bonbonne de gaz chauffée au lance-flamme.

 

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Dernier accord de guitare. Tout est rentré dans l'ordre. Cette heure de folie collective est devenue comme le souvenir d'un instant de grâce inespérée dans la grisaille de nos existences quotidienne. C'est fou comme la réalisation de nos rêve les plus fous ne dure pas longtemps. Merci les Hoop's. Merci beauc hoop's.

 

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THE END

 

 

 

Discussion sympathique à la buvette ( merci Richard ), Les Hoop's ont commencé à ranger leur matériel et j'ai démarré la teuf-teuf mobile qui baratinait les copines en leur racontant toutes ses sorties rock'n'roll. Suis parti sous les explosions du feu d'artifice et la belle bleue qui illuminait le noir du ciel de l'été. Je n'aime guère les succédanés, pour moi la fête était terminée. Depuis déjà trop longtemps.

 

 

Mais combien y-a-t-il de villages en France qui s'offrent un véritable concert de rock'n'roll. A part Pannes, je suis en panne ( oui j'ai osé ) pour continuer la liste.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

Collins kids

 

LA RAIE DE LARRY

 

 

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Plusieurs fois, les sales morpions du quartier ont cassé la porte de ma teuf-teuf mobile. Une première fois pour récupérer un pack de bières oublié sur la banquette. Une autre fois pour s’amuser avec le volant. Et une troisième fois pour un motif qui m’échappe, puisque la voiture était aussi vide que le crâne d’une Antillaise obèse payée à coller des prunes sur les pare-brises. Mais c’est pas grave, ces sales morpions sont des adeptes de Pierre de Coubertin et chaque matin, ils se lèvent en clamant : «L’essentiel c’est de forcer les portes des voitures !» Personne n’ira les blâmer pour ça.

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Bien sûr, pas question de faire construire un mirador pour surveiller la rue. Encore moins question d’aller récupérer un Doberman à la SPA pour lui demander de veiller sur la partie mobile du patrimoine. Quand on aime bien le trash, on s’habitue vite à l’idée d’une portière tordue avec un barillet de serrure qui pendouille.

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Une nuit de pleine lune, alors que je n’arrivais pas à dormir, je suis remonté au salon pour siffler une bière et visionner l’un des DVD empilés près de la télé, ceux qui attendent qu’on veuille bien trouver un moment à leur consacrer. Comme la nuit risquait d’être longue, je sortis du tas les trois volumes des Collins Kids At Town Hall Party, édités par Bear Family, notre vraie famille.

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Avec les Collins Kids, il ne faut théoriquement pas s’attendre à de grosses surprises. Ils frôlaient parfois le spectacle de variétés à la mode américaine et leur véritable spécificité fut d’être des surdoués. Je mis le Volume 1 en route, en caressant le secret espoir de me rendormir. Après l’intro du gros présentateur, les deux Collins attaquèrent leur numéro de cirque. En voyant ce morpion sauter dans tous les coins, tout en grattant sur sa guitare, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ceux qui pliaient la porte de ma bagnole pour s’amuser. Les mêmes ! Celui-là était coiffé à la brosse, une grosse raie d’anthologie sur le côté, 8 ans et déjà complètement cinglé. Les parents devaient en baver. Ah les pauvres ! Le môme lançait ses pieds en avant, il sautillait comme ces haricots mexicains qui fascinaient tant les Surréalistes (un rien les fascinait). Il ne lui manquait plus que la queue du marsupilami. J’étais horrifié. Sa pauvre sœur, Lorrie Collins, devait en baver, elle aussi.

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Ils attaquèrent ensuite un morceau intitulé «Bird Dog». Ce sale morpion donnait la réplique à sa frangine et ne trouvait rien de mieux à faire que de lancer ses jambes en extension l’une après l’autre, tout en grattant ses accords. Si vous êtes guitariste, essayez. C’est un coup à se casser la gueule (si je dis ça, c’est parce que j’ai essayé, pour voir). En gros, c’est un Mozart américain dansant le Casatchok. Larry Collins est minuscule et il passe la moitié du set à rebondir comme une balle. Quand il donne la réplique, le dos collé à sa sœur, il bat tous les records de clownerie.

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Il pousse le bouchon très très loin. «Make Him Behave» est une chanson country assez insipide. Le public américain est particulièrement friand de ce type de country. Figurez-vous que ce sale morpion trouve le moyen de sauter, comme s’il jouait un hit rockab, alors que la chanson n’est qu’un tas de merde. Larry Collins est infernal. Il est beaucoup trop doué, et il en rajoute des caisses. Il prend un solo en picking tout en sautant à pieds joints à travers la scène. Même Chuck Berry ne se serait pas risqué à ça.

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Les trois volumes Bear Family sont en fait une compilation de tous les passages des Collins Kids dans cette émission de télé californienne. En général, ils montaient sur scène pour deux morceaux. Nous sommes toujours en 1958 et le gros présentateur demande à Larry Collins quel âge il a. Comme tous les petits voyous menottés aux radiateurs des commissariats, il répond «Fourteen !», alors qu’on voit bien qu’il en a 8 ou 9. Le frère et la sœur ont mis au point un numéro de cirque : «Blues Medley». C’est l’occasion pour Lorrie d’essayer de se faire passer pour Sarah Vaughan, et pour le morpion de montrer qu’il rivalise de feeling avec BB King. Ils mettent le turbo pour le refrain et ils enchaînent avec un numéro de claquettes. Une chose est sûre : Larry Collins a le diable au corps. Il aurait pu se retrouver dans un roman de Radiguet.

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Ce qui au début pouvait agacer finit petit à petit par épater. Ce sale morpion joue et danse le rock avec la même ferveur et le même talent que Little Richard ou Eddie Cochran. On lui pardonne ses manies de premier de la classe, son côté m’as-tu-vu, son ingénuité sucrée. Il déborde de fougue et d’entrain et on sent bien qu’il adore gratter comme un con et s’abandonner aux ravages de la teenage lobotomy et du blitzkrieg bop.

 

Du coup, on dresse l’oreille. Sur «High School», il fait péter ses trois accords. Lorrie donne dans le guttural. Larry en rajoute encore, il semble ne pas connaître ses limites, ce morpion est cinglé, il traverse la scène en sautant à pieds joints, un vrai marsupilami dégénéré. Lennon et McCartney ont dû voir ça, car à l’époque du Star Club de Hambourg, ils sautillaient sur place en grattant leurs guitares et en braillant dans leur micro. Les héritiers du mode sautillant sont les Black Lips : même énergie, les trois qui sont au devant de la scène sautillent sur place tout en jouant et en gueulant dans des micros. Je n’ai jamais vu ça ailleurs, dans un autre groupe. Car c’est très difficile, au niveau souffle. On perd vite son souffle quand on sautille et chanter dans un micro, c’est un énorme effort physique, surtout quand il faut se placer au-dessus du barouf des instruments. Larry Collins n’est jamais essoufflé. Il est même le premier à repartir, dès qu’il trouve un nouveau pas de danse.

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Quels veinards, les Américains. En 1958, ils allumaient la télé et ils tombaient sur Larry Collins, alors qu’en France, on devait se contenter des Trois Ménestrels, de Danyel Gérard et de Dario Moreno. Bons artistes, certes, mais moins catchy.

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C’est en octobre 1958 que Larry Collins se pointe sur scène avec sa guitare à double manche. Il se montre encore plus cinglé qu’avant. Il fait le duck-walk marche avant marche arrière. Chuck Berry a dû adorer ça. On passe ensuite aux choses sérieuses : les gamins reprennent «Great Balls Of Fire». Ils entrent sur le territoire de Jerry Lee. Rrrrrrrrrrrrr.... Ils s’en sortent miraculeusement, grâce au génie infantile de Larry qui s’égosille en voulant hurler le fameux Great balls of fire ! Et comme Jerry Lee, il décide d’enflammer les esprits, alors il prend un solo sur le manche du bas et saute dans tous les coins comme un névropathe. On ne s’en lasse pas. Il lève le bras en l’air comme Jimi Hendrix (qui n’était pas encore guitariste).

 

Leur version de «Blue Moon Over Kentucky» frôle le génie pur. Lorrie et Larry chantent ensemble et ils réussissent l’exploit de transformer ce vieux classique en machine infernale. Larry prend son solo sur le petit manche du haut. Voilà la version qu’il faut écouter. Le gamin n’en finit plus de sauter en l’air. Il parvient vraiment à crever l’écran. Ricky Nelson ne lui arrivera jamais à la cheville. Larry et Lorrie Collins constituent probablement le meilleur duo de l’histoire du rock. Ils sont assez complets. Ils savent imposer un style qui ne doit rien à personne. Le côté ingénu mêlé à la sauvagerie juvénile finit par accrocher. On se souvient que le rock est avant toute chose une pulsion adolescente. On a vu ces dernières années un certain nombre de duos faire la une des magazines. Quand on voit jouer Larry et Lorrie Collins, on se dit que les duos prétentieux comme les Kills (et avant eux les White Stripes, au temps de leur notoriété un peu surfaite) ont encore pas mal de chemin à faire et certainement des tas de choses à apprendre.

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Ce démon de Larry attaque «Chantilly Lace». Les revoilà sur le territoire de Jerry Lee et ils s’en tirent honorablement, grâce à cette ferveur qui frise la délinquance juvénile. Pour Larry, ce devait être un pur bonheur que de chanter un hit aussi monstrueux. Et tous les gosses qui le voyaient à la télé devaient rêver d’en faire autant. On imagine la cocotte-minute qu’est devenue l’Amérique en 1958. Des centaines de milliers de clones de Larry Collins s’exerçaient devant les miroirs des armoires à linge quand leurs parents étaient à l’extérieur. Ils travaillaient leur profil, secouaient leurs cheveux, forçaient leur voix et frôlaient le vertige en amenant le refrain. Ils y croyaient dur comme fer, se prenaient déjà pour des rockers, rêvaient de rouflaquettes et de ceinturons à grosses boucles. Pour la grande majorité d’entre eux, les rêves allaient finir collés sur le pare-brise de la vie, comme ces insectes qui l’été parsèment les pare-brise des voitures lancées sur les autoroutes.

 

Larry Collins fut un mini-héros, une version enfantine d’Elvis. Le petit conte de fée du rêve américain. Quand on le voit sauter et éructer «He’s A Bird», on ne peut pas s’empêcher de penser à Pete Townshend (qui n’était pas encore guitariste). On le voit jouer, les doigts en biseau et le nez en trompette. Lorsqu’il revient jouer une version de «Great Balls of Fire», il devient fou à lier. Il saute, danse, joue, crie et donne la réplique à s’en arracher les amygdales. Larry Collins fut beaucoup plus qu’un petit phénomène de foire. À sa façon, il montrait tout simplement comment se joue le rock’n’roll. Tout débutant devrait voir Larry Collins jouer au Town Hall Party en 1958.

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Un bon conseil, révisez vos classiques, et si vous n’êtes pas déjà passé par la case départ, commandez au moins l’un de ces trois coffrets chez Bear Family.

 

Avec le volume 2 , on passe en 1959. Larry semble de plus en plus énervé. On s’inquiète pour lui. Comment va-t-on pouvoir le calmer ? Impossible. Il va finir à l’asile. Ses parents vont devoir le faire piquer ou demander l’internement. Quelle catastrophe. Il est allé trop loin. Voilà où mène la permissivité du rock. Pauvre gamin.

 

Lorrie attaque «Shake A Hand» d’une voix gutturale, du coup son frère lance sa jambe en avant. On voit sa tête dodeliner au dessus du nœud papillon. Ce gamin swingue comme un malade. Il chante l’intro de «Stagger Lee» et il se lance ensuite dans un numéro spectaculaire de danse de Saint-Guy. Moi qui voulais dormir, c’est foutu. On assiste ensuite à un spectacle qui dépasse l’entendement. Larry et Lorrie Collins transforment «Shake Rattle And Roll» en véritable sabbat des enfers et Larry devient complètement fou, il saute en l’air et n’arrive même plus à jouer, tellement il est possédé. Ne manque que la bave blanche au coin de la bouche. Sur «Plain Jane», c’est encore pire. Il se remet à sauter et on voit ses jambes faire des X et des Y. Il est si petit qu’il semble court sur pattes avec sa grosse guitare à double manche. Il bat tous les records. Il défie toutes les lois de la physique. La grande boule de feu, c’est lui. On croit qu’il atteint ses limites avec ce qu’on a vu. Grave erreur ! Il attaque une version de «Stagger Lee» en patatant ses accords, puis il se lance dans un duck-walk survolté. Il électrise la reprise à outrance. On pourrait très bien qualifier Larry Collins de mini-Eddie Cochran punkoïde. On le fait ensuite monter seul sur scène, et il perd un peu de sa fougue. Il réussit toutefois à s’exciter tout seul. Il rit beaucoup, fait le pitre et montre qu’il maîtrise bien son instrument. Sur «Hot Rod», il singe Fats Domino et Eddie Cochran, avec le guttural en prime. Quand sa sœur revient pour «Kissin’ Time», on ressent un grand soulagement, car ils sont tous les deux magnifiques de dualité. Larry joue quelques morceaux avec Joe Maphis, vétéran du circuit country et virtuose de la six cordes. Coiffé de son grand Stetson blanc, le vieux Joe balance un solo de basse à faire frémir Jack Bruce.

 

Tout ça grâce au bénédictin Richard Weize et à son label Bear Family. Rien de ce qui sort sur ce label n’est anecdotique. Ces gens là s’adonnent à une sorte de religiosité atypique, ils bâtissent à grands coups de coffrets et de séries thématiques ce qu’on pourrait appeler une théologie de l’esprit rock, arrachant à l’oubli des œuvres souvent primitives et très anciennes. Bear Family est devenu la bibliothèque d’Alexandrie des temps modernes. Ils redonnent à cette culture tout son éclat. Voilà un puits de connaissance dans lequel il fait bon d’aller se jeter.

 

Signé : l’acrimonieux Cazengler

 

 

The Collins Kids. At Town Hall Party. Vol. 1, 2 et 3. Bear Family DVD.

 



 

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