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04/07/2013

KR'TNT ! ¤ 151. TILTERS / FOUR ACES / CAPITOL'S / CARL & HIS RYTHM ALL STARS / RACHID tAHA

 

KR'TNT ! ¤ 151

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

04 / 07 / 2013

 

 

/ CARL AND THE RHYTHM ALL STARS / RACHID TAHA / TILTERS / FOUR ACES / CAPITOL'S /

 

 

DEUXIEME ROCK'N'ROLL AFTERNOON

 

CREPY – en – VALOIS / 06 – 06 – 2010

 

CARL AND THE RHYTHM ALL STARS

 

( OS ) CAR WILD

 

Trois ans déjà ! C'est en 2010 que nous avons pour la première fois croisé le chemin de Carl and the Rhythm All Stars. Ils se produisaient sur la petite scène d'une fête rock'n'roll organisée à Crépy-en-Valois, une charmante bourgade située au Nord de Paris. Un trio venu de Hongrie, the Mystery Gang, se pavanait en tête d'affiche. Les Red Cabs ouvraient le bal et Carl passait entre les deux.

 

Tous ces groupes jouaient en plein jour et en plein air, ce qui n'est jamais l'idéal. Nous avions ce que les météorologistes appellent un temps clément et Carl s'est pointé sur scène en chemisette hawaïenne. On s'attendait donc au set pépère d'un petit jazz-band de banlieue. Ce fut au contraire un set de pur rockabilly, farci d'hommages à Johnny Burnette.

 

Carl a toutes les cartes en main : le bon timbre, la présence scénique, le jeu de jambes burnettien et l'épilepsie rockab. Il sait se rouler par terre au bon moment, et quand on le voit faire, on se demande vraiment pourquoi les autres ne le font pas. Il y a dans l'essence même du rockabilly une pointe de folie et quand on voit Carl se jeter à terre et piquer sa crise, on voit qu'il l'a parfaitement intégrée. Il est le wild cat par excellence. Il doit être l'un des ultimes boppers sauvages, au sens noble du terme, puisqu'on parle ici de lignée.

 

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Son set sur scène est excellent, c'est même du très haut de gamme, mais ses deux albums emportent tout : les barrages, les a-priori, les moues, les critiques, les poncifs, les clichés, rien ne saurait leur résister. On se plaint du manque de bons disques en France. Petit conseil d'ami, écoutez les deux albums de Carl & the Rhythm All Stars et vous allez danser comme un ours devant les enceintes de votre stéréo, je vous le garantis.

 

Mettez le premier album dans votre lecteur : «Music To Live». Vous allez voir, dès l'intro de «Don't Stay Alone», Carl beugle comme la victime d'un arracheur de dents. Il jette tout son poids dans la balance. Il se met les tripes à l'air. Il se met en pétard. Il met dans le mille. Il met le paquet. Il met toute la sauce. Il met tout ce que vous voulez mais en attendant, ça bouge. Il laisse sa voix dérailler. Son backing-band est à la hauteur, une vraie bande de sauvages. Comme on dit sur les circuits de cross, ça bourre pleins gaz. Carl ne vous prend pas en traître. Il annonce la couleur : ça va chauffer, les gars.

 

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Pourtant, on ne croirait pas en voyant la pochette. Ils ont l'air bien sages tous les quatre, avec leurs cols de chemises bien à plat sur les revers des vestes. Ils sont bien peignés et souriants comme des représentants de commerce. Carl tient sa guitare comme Johnny Cash, manche pointé vers le sol, et donc on pourrait s'attendre à entendre de la country.

 

Justement, le deux, «Cry Me A River» est du pur Johnny Cash, avec son backing tagada. Carl mord dans son texte avec un bel appétit. On revient au rockab pur et dur avec «Music To Live» qui donne son titre à l'album. Voilà ce qu'on appelle une petite sauterie slappée à mort. Vous aurez droit à un solo perlé et derrière vous les entendrez bopper comme au temps béni de Meteor. On se croirait vraiment de retour chez Lester Bihari. Attendez la fin du morceau et vous verrez Carl sortir du studio, traverser la rue et aller s'acheter un soda pour se rafraîchir la gorge. Il va aspirer une grande goulée d'air tiède avant de revenir se jeter dans la gueule du loup.

 

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Moment fatidique. Carl rallume le brasier sacré avec «I'm Gone», l'incarnation suprême de la sauvagerie rockab. Il hurle comme un damné, Baby I'm gone !!! et il se roule par terre, agité de convulsions. L'instant est aussi hot, Bob, que la chatte sur un toit brûlant, et derrière, c'est strummé à la guitare, comme chez Warren Smith. Apocalyptique, comme dirait Nostradamus.

 

On revient au bop avec «Lovely Girl». Ces mecs sont des malades. Rien ne pourrait les calmer. Ils boppent le beat jusqu'à l'os de la stand-up bass et arrosent tout ça de riffages criminels. Ils prennent un malin plaisir à se lancer dans une cavalcade effrénée. Le jus du bop coule de ce disque comme de ce fruit trop mûr qu'on écrase entre les seins de la buraliste fellinienne.

 

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Les bougres vont revenir à Johnny Cash avec le tagada de «Don't Cry Little Guitar». On ne peut pas leur en vouloir, il faut bien des zones de répit, car sinon, on ne tiendrait pas jusqu'au bout. Grand maître du hoquet sauvage, Carl verse dignement sa petite larme. On assiste à un magnifique festival d'arpèges. Ce morceau qu'on croyait insignifiant est en fait un brouet infernal. Carl chante comme une star. Une fois de plus, il met toute son énergie dans le chant. Profitez-en bien, car vous ne reverrez pas de sitôt un artiste de cette trempe.

 

Quand au bout de quelques morceaux, un disque se révèle aussi bon, je deviens fébrile et j'écoute encore plus attentivement. J'adore sentir ma petite mâchoire se décrocher. Cloc. J'adore crier au génie. Youpi ! J'adore voir crépiter le feu sacré du rockab. Et avec Carl, on se sent en sécurité. Ce mec est parfaitement incapable d'enregistrer un mauvais morceau. Vous voulez parier ? Quatorze titre sur cet album et vous n'en trouverez pas un seul qui soit mauvais.

 

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On se prend «For You» en pleine poire. Ces mecs ne connaissent pas le mot répit. Carl fait dans le sucré, dents de lapin, oh-oh ! Derrière, ils swinguent comme des bêtes. Arrive un solo clair avec son rigodon de notes perlées et oh-ho, Carl explore tous les registres de sa glotte avec une égale réussite et une infinie mansuétude. Comme Orville Nash, George Jones ou Charlie Rich, c'est un chanteur hors pair. Il avait sur scène cette incroyable facilité à poser sa voix. Je me souviens d'avoir cavalé, aussitôt après la fin de set, jusqu'au stand de Rocket, pour acheter ses albums, tellement ce mec m'avait impressionné. Et depuis, je n'ai jamais cessé de les écouter.

 

Avec «Saturday Night», les Rhythm All Stars nous font le coup du jump blues ultra boosté. Ils déploient cette énergie blanche qui balaie tout sur son passage. L'ami Carl enchante la piste des auto-tamponneuses, on se régale de l'écho bienfaiteur d'un soir de fête où my baby now traîne dans les parages. Oh oh, c'est magnifique d'ingénuité fiftique.

 

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Mais il reste encore des genres à explorer. Avec «Come Back Baby», ils balancent un swamp rock tout vermoulu de primitivisme introverti. Carl hoquette comme Charlie Feathers. Un vrai diable. Avec «Sometimes», ils ouvrent sur un immense ciel bleu et boppent dans les coins. Ils reviennent au tagada avec «Travellin' Blues». Carl fait ce qu'il veut avec sa voix de stentor. En vérité, il nous balade et on adore ça. «Nobody's Guy» est allumé au riff. Encore une monstruosité primitive digne de Dot Records. Carl chante ça par en-dessous, comme s'il voulait se faire passer pour un fourbe et puis soudain il envoie la cavalerie. On se fait embarquer par le beat. C'est superbe et ça claque au vent. «My Mountain» est chanté dans le gras de la voix et on ferme le bal du samedi soir avec une reprise de Johnny Burnette, «Just One More Time», gros son bop montagneux, histoire de revoir une dernière fois l'écrasante majesté du rockab.

 

Un bon conseil, ne cherchez pas à écouter l'autre album («Slipped My Mouth») aussitôt après celui-là, surtout si vous avez les artères fragiles ou un souffle au cœur. Comprenez bien que Carl and the Rythm All Stars, ce n'est pas le Pink Flyod.  

 

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Admettons qu'une semaine se soit écoulée. Les feux de l'actualité auront nettoyé les esprits avec l'efficacité d'un lance-flammes. Vous aurez complètement oublié les turpitudes du rockab et son cortège de pulsions rachidiennes. Mais en passant devant la pile de disques, la seule vision de la pochette rallumera en vous un vieux réflexe libidineux. C'est avec un filet de bave aux lèvres que vous glisserez le second album de Carl dans le lecteur.

 

Et vous prendrez «Hot Song» en pleine poire, mais maintenant vous avez l'habitude. Comme dirait Gainsbarre, eau et gaz et frénésie à tous les étages. C'est une orgie de swing malade montée sur plaxmoll. Ils boppent comme ce n'est pas permis. Les slappeurs américains ont vraiment du souci à se faire. Même James Kirkland semble dépassé. Ils couronnent l'amplitude foutraque de ce bouillonnement juteux d'un joli riffage collatéral.

 

Ce second album est sur Wild records, et là on ne rigole plus. Ils sont allés l'enregistrer en Californie chez Reb Kennedy. Wild records est le dernier bastion californien du rockabilly. Pour ce second album, Carl n'a gardé que son batteur, Pedro Pena. Claude Placet a remplacé Bruno Longo à la guitare (c'est d'ailleurs Claude Placet qui jouait sur scène à Crépy en 2010) et Thibaut Chopin a remplacé Renaud Cans à la contrebasse.

 

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«Too Much Loving» est encore plus pilonné que le Chemin des Dames en 1915. La sauvagerie rythmique dépasse les bornes. Franchement ils exagèrent. Ils ne peuvent pas s'empêcher d'en rajouter. Le slap passe devant un beau strumming digne des sous-bois de l'Arkansas. Attention, ce morceau risque de vous slapper les neurones de façon irréversible. Carl se révèle le rockab le plus féroce de l'univers. À côté de lui, Jerry Lott (alias the Phantom) n'est qu'un enfant de chœur. Une férocité qui n'empêche pas le sérieux, car il tient les rennes de sa monture comme une star d'Hollywood.

 

Il chante «Slipped My Mouth» très haut, et on entend des clameurs dignes des milices confédérées jaillissant du bois. Solo break de folie pure et Youuuuihhhh ! Carl pose ses mots avec l'aplomb d'un délinquant juvénile du Tennessee. Et derrière, ça n'en finit plus de strummer. Comme le disque précédent, celui-là n'accorde aucun répit à l'auditeur. Carl embarque son monde et le seul moyen d'en réchapper, c'est de sauter en marche. À vos risques et périls.

 

Drumbeat d'intro et voilà «Gotta Go». En vrai pro, Carl mouille ses syllabes et plonge ses couplets dans le chaudron. Avec «Tell Me How», on passe à un registre plus jazzy. Ces mecs savent tout faire. On tombe à un moment sur un pont dément suivi d'une coulée de miel. Mine de rien, Carl et ses amis savent créer l'événement. Il sature son chant à fond et nous fait plonger dans le lagon vert d'Hawaï. Pur technicolor. De quoi faire baver Elvis.

 

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Reprise de Bobby Wane, «Long Lean Baby» est un morceau beaucoup plus musclé, plus court sur pattes, plus râblé. On le sent prêt à en découdre. Il est stompé à la sauce bop. Merveilleuse tentative, digne de Ronnie Self, mais en vérité, c'est dix fois plus fin que du Ronnie Self. C'est même, comme le dit si bien Carl, de la dynamite !

 

«I'm A Man» est la énième resucée de «Folsom Prison Blues». Exceptionnellement, on passe l'éponge. Puis Carl remet le feu à la prairie avec «Really Movin'» et revient aux choses très sérieuses avec «Hello Rhythm», monstrueuse prouesse de vélocité slappée, émaillée de chorus précipités. En un mot comme en cent : épouvantablement bon. D'ailleurs, on ne s'en remet toujours pas. 

 

Une nouvelle rasade de «I'm Gone», le véritable hit de Carl and the Rhythm All Stars, digne du «Tear It Up» des frères Burnette qui sont les héros de notre héros. Il boucle son affaire avec «Another Man» une balade trouée par des cris d'orfraie.

 

À la dernière minute, nous apprenons par une dépêche AFP qu'un troisième album de Carl & the Rhythm All Stars vient de sortir. Dans le bureau, tout le monde éclate de joie. Nous jetons tous nos chapeaux en l'air. Dehors, derrière les immenses baies vitrées du 60e étage, les gratte-ciels de Manhattan semblent danser le bop sous un soleil radieux. 

 

 

 

Signé : Cazengler, le boppé du ciboulot

 

 

Carl & the Rhythm All Stars. Music to Live. Sfax records 2006

 

Carl & the Rhythm All Stars. Slipped My Mouth. Wild records 2008

 

Carl & the Rhythm All Stars. Drunk but Thirsty. Wild records 2013

 

Photos de Crépy : Frank Pesnel

 

 

 

RACHID TAHA

 

/ TETRIS / FORT DE TOURNEVILLE /

 

LE HAVRE / 23 - 06 - 2013

 

 

 

 TAHA DU TALENT, RACHID

 

 

Sur les hauteurs du Havre se dresse le vieux fort de Tourneville construit voici deux siècles pour protéger les populations de la férocité des tribus apaches. Le général Mac-Mahon alors en charge du maintien de l'ordre dans le quart Nord-Est de la France eut toutes les peines du monde à mater les insoumis. Non seulement il fit donner du canon, mais il fit aussi avaler son calumet à plus d'un vieux chef.

 

C'est dans l'enceinte du vieux fort criblé de flèches que la municipalité havraise a installé le Tétris. Une bâtisse ultra-moderne encore en construction remplacera bientôt le petit chapiteau où ont lieu actuellement les spectacles. C'est donc sous ce chapiteau que Rachid Taha recevait les Havraises et les Havrais. Plus les étrangers qui, comme nous, arrivaient à dos de chameau.

 

Nous attachâmes nos montures près de l'entrée de la grande tente et déposâmes nos armes sur la petite table prévue à cet effet. Puis nous désaltérâmes nos gorges parcheminées en têtant goulûment l'outre remplie de Jack Daniels accrochée à la selle de la bête de bât. 

 

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Une grande tente plantée au beau milieu d'un terrain vague infesté de rats, c'était l'environnement parfait pour un show du prince des sables bellevillois. Nous devions nous préparer une nouvelle fois à subir un grand choc émotionnel. Car c'est bien de cela dont il s'agit. Rachid Taha détient le pouvoir suprême : il peut vous emmener visiter l'Orient mythique. Pas besoin de fumer. Inutile de traverser la Méditerranée. Pas besoin de relire les mémoires de Richard Francis Burton, le Voyage en Egypte de Gustave Flaubert ou les Embaumeuses de Marcel Schwob. La musique suffit.

 

Au temps de sa splendeur, Rachid Taha recevait sur scène des invités de marque comme Brian Eno et Steve Hillage. Un concert hallucinant à l'Élysée Montmartre en 2005 avait marqué les esprits au fer rouge (Pschhhhh - le bruit du grésillement). Rachid le rachitique dansait comme Zorba le magnifique. «Chantons !», gueulait-t-il en riant et le monde pouvait bien s'écrouler. Au bout de deux heures d'un spectacle d'une rare densité, ce n'est pas le monde qui s'est écroulé, mais le pauvre Rachid. Comme un boxeur, au tapis, la bouche ouverte. Il était complètement épuisé, ses jambes l'avaient lâché. Comme la foule voulait du rab, il avait réussi à se remettre sur ses pattes en s'accrochant au pied de micro.

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Mais sous le vieux chapiteau rafistolé, le faste des grands concerts parisiens avait disparu. Rachid Taha arriva sur scène coiffé d'un joli chapeau de maître de cérémonie mauve. Il ne portait que du noir et ces horribles mocassins blancs qu'on trouve à Barbès ou à Strasbourg Saint-Denis. Il semblait encore plus maigre et plus ratatiné qu'avant. Il avançait du fameux pas de tuberculeux de Ratso Rizzo (la petite gouape campée par Dustin Hoffman dans Midnight Cowboy).

 

Toujours la même bobine d'arsouille. Même œil vif. Même allure de rastaquouère des Batignolles. Il devait peser une petite trentaine de kilos. Les jambes comme des allumettes. Goguenard, il balayait du regard la petite assemblée. On sentait bien la star, mais le moindre coup de vent pouvait l'emporter.

 

Rachid Taha appartient à cette caste de personnages racés dont la vie ne tient qu'à un fil. Ceux qu'on appelle aussi les géants aux pieds d'argile. Du moins est-ce l'impression qu'il donne.   

 

Tous les musiciens étaient nouveaux (guitare, basse, batterie, claviers), sauf Akim, le vieux complice de Rachid et fantastique joueur de luth arabe.

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Au moment où l'orchestre commença à jouer, le miracle se reproduisit. La puissance souveraine d'un exotisme luxuriant nous pénétrait par tous les pores de la peau. On sentait cette onde mélodique couler en nous et nous remplir, de la même façon qu'on sent une boisson fraîche couler dans l'estomac. Aussitôt le premier morceau, les frissons couraient sous la peau, par bataillons entiers. L'émotion nous submergeait, balayant toute forme de réflexion. Ce phénomène atteignait la racine de l'être, comme un sortilège. On se sentait confusément envahi par un véritable ras-de-marée de bien-être. Il emportait tous nos barrages. Cette musique avait même quelque chose d'indiciblement familier, elle sonnait comme l'écho d'une connaissance enfouie au plus profond du subconscient. Ce fut un moment très spécial, comme une mise en orbite. Nous étions une fois de plus tombés sous le charme du rocker de la médina. Un peu partout, on voyait les corps des gens onduler, comme les ombres au pays des morts.

 

Car il faut bien le reconnaître, Rachid Taha est l'un des grands rockers de notre temps. S'il se distingue des autres seigneurs de son rang, c'est tout simplement parce qu'il nourrit son rock de la magie ensoleillée du folklore algérien. C'est du rock gorgé de jus, comme une orange.Du rock chaud et sublime, pareil au corps de la femme qu'on désire.Il est vraiment le seul à réussir ce mélange ahurissant de powerhouse dévastatrice et de «sole-eil de mon pays». La reprise musclée et colorée du «Rock the Casbah» des Clash est l'un des fleurons de cette invraisemblable bidouille.

 

On n'en est plus à se demander si les guitares truc ceci ou le drumming machin cela, on en est à vibrer de toutes nos métacarpes et de toutes nos métastases, comme rarement l'occasion nous en est donnée. Ce nabot faramineux emmène derrière lui l'un des plus grands orchestres du monde. Avec un asticot pareil, on ne peut pas faire autrement que de tomber dans la surenchère. Ô ma si chère surenchère ! Il est au rock et à l'exotisme ce qu'Apollinaire est à la modernité : une brûlante incarnation.  

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Akim reste le personnage clé de cette débauche orchestrale. Un chapeau mou enfoncé sur le crâne enserre la touffe de ses cheveux grisonnants. Il ferme souvent les yeux comme s'il s'absentait pour admirer des paysages intérieurs. Son visage semble alors refléter toute la sagesse d'une culture ancienne, celle des Maures qui civilisèrent tout le bassin méditerranéen. Il s'offre en outre le luxe inouï de la virtuosité. Avec son luth, il est capable d'emmener tout le public au paradis des poètes et des musiciens, là où traînent les rêves d'orientalisme et les pulsions esthétisantes de l'Occident.«Ya Rayah» est une lente procession du bonheur à travers les jardins d'Allah, ces immenses potagers baignés d'une lumière irréelle, les flots de lumière crue que filtrent les palmes des dattiers. «Ya Rayah» signifie Ô Voyageur. Le chant y est balayé par des vents de violons. Les notes de luth qui reprennent le thème mélodique flottent là-dessus comme un parfum de jasmin dans l'air léger. On sent comme une grande obstination dans cette musique. On sent que cette beauté formelle est la seule richesse d'une région déshéritée. Beauté du peu dans le rien, toison d'or du désert de pierres, racines de la vie quelque part au cœur de l'immensité des terres brûlées. Énergie et sang noir d'un peuple digne. «Ya Rayah» pourrait très bien sonner comme un gadget pour touristes, mais on y tâte le pouls d'un peuple fier de ses racines. Ces gens là ne font pas les choses à moitié. Leur notion de la beauté est entière et extrêmement pure. Ce qui frappe le plus chez eux, c'est leur dignité. Ils n'ont de toute façon rien à perdre, car ils ne possèdent rien, hormis la beauté.

 

Et ce beat vaut tout l'or du monde. Akim fait sonner ses notes avec une belle ardeur. Ô voyageur, où pars-tu ? Tu finiras par revenir. Nous voilà arrivés au cœur de l'Orient des voyages mythiques.

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On est frappé de constater qu'à l'heure où les groupes américains s'enfoncent dans le cauchemar du death metal et de la négation de l'être, la leçon d'harmonie nous vient d'un modeste orchestre algérien. On finirait presque par regretter de ne pas connaître cette langue aux consonances à la fois si gutturales et si harmonieuses.

 

Rachid Taha nous entraîne dans un tourbillon fabuleux, là où la fantasmagorie s'enroule autour du rock comme le serpent du jardin d'Eden, là où ondulent les hanches des danseuses du grand Orient de pacotille, là où dodelinent ces palmiers géants qui abritent les palais bleus chers à Pasolini. N'oublions pas qu'avant de devenir l'objet de moqueries et de mépris, la civilisation mauresque illuminait tout le bassin méditerranéen. On parlait alors d'un siècle des lumières. Le déclin naturel des civilisations et l'immonde barbarie des croisés mirent fin à cette suprématie. Grâce aux savantes méthodes occidentales, tout le Moyen-Orient a sombré dans le chaos et l'obscurantisme. Et on ne parle même pas de ce que sont devenus des pays jadis florissants comme le Maroc et l'Algérie. Faut-il qu'un artiste comme Rachid Taha soit fort pour réussir à restituer l'éclat d'une culture piétinée et quasiment anéantie par deux siècles de colonialisme, l'un des pires qui ait sévi dans l'histoire de l'humanité.

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On plonge avec lui dans ce qu'on imagine être les profondeurs historiques de la culture arabe. Mais Rachid vit avec son temps, c'est un pur rocker et il a dû inventer un son qu'on pourrait appeler le beat rachidien. À la limite, ce beat évoque la grandeur souveraine de la culture mauresque de la même façon que Phil Spector évoquait par son goût de la démesure la grandeur des pharaons. Le beat rachidien nous ramène au seuil de la danse primitive, telle qu'on devait la pratiquer dans les très anciennes civilisations. «Bent Sahra» ! Ce morceau figure parmi les œuvres les plus puissantes issues du continent africain. Si vous écoutez ou réécoutez l'album «Diwân», commencez par «Bent Sahra». Quelques pas de danse et des tambours. L'origine des temps.

 

Rachid et Akim esquissèrent ces quelques pas sur scène. Ils étaient tout simplement monstrueux d'élégance. La fièvre atteignit avec «Bent Sahra» un tel dégré qu'on aurait pu croire que tous les charmeurs de serpents de la place Jeema el Fna de Marrakech les accompagnaient, soutenus par dix mille tambours berbères qui marquaient le beat ancestral avec une ferveur sacrée. Puissance des ténèbres de l'Atlas ! Véritable choc des titans ! Un million d'hommes sortirent des ténèbres, brandissant des torches, des flûtes et encore d'autres tambours. Les cris des femmes se mêlèrent au fracas. Sortie de nulle part, jaillie du désert, l'armée du Mahdi se joignit à Rachid Taha et nous sentîmes la terre vibrer sous nos pieds.

 

 

 

Signé : Cazengler, le voyageur amovible

 

 

ROCK'n'ROLL JAMBOREE IN ESSONE

 

 

 

SAINT-MICHEL SUR ORGE / 29 – 06 – 2013

 

 

MAISON DES ASSOCIATIONS

 

 

TILTERS / FOUR ACES / CAPITOL'S

 

 

Dans une autre vie la teuf-teuf mobile a dû effectuer la ligne directe Provins-Saint Michel sur Orge tous les jours durant cinquante ans, y est allée tout droit sans même jeter un coup d'oeil aux panneaux indicateurs. En un temps record elle me dépose en bout d'allée champêtre devant une maison dont je dois accepter qu'elle ne peut être que celle des Associations. Parfaite pour un couple avec trois enfants mais pour un concert de rockabilly... c'est obligatoirement là puisqu'une dizaine de têtes plus ou moins connues prennent le frais devant la porte d'entrée.

 

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La première personne sur qui je tombe une fois entré n'est autre que Jull des Ghost Highway qui se prépare à faire la balance avec les Capitol's. La salle avec ses rideaux blancs fenêtres n'est pas bien grande, juste assez pour contenir l'assemblée générale de l'Association Philatélique de l'Antarctique Sud, mais bon on se serrera et c'est déjà plus vaste qu'un café, quoique parfois... Pas le temps de m'appesantir sur l'architecture que l'on nous demande de sortir... Oui le flyer indiquait bien le commencement des festivités à 18 heures, oui c'est une erreur, oui à vingt heures. Pour le moment les musiciens doivent se restaurer dans le hall d'accueil.

 

 

Ne sommes plus qu'une demi-douzaine à attendre et à servir de comités d'accueil aux nouveaux arrivants. Au compte-goutte, mais comme tout le monde se connaît plus ou moins, rires et réparties fusent de tous côtés. Mais déjà les portes s'ouvrent et l'on s'engouffre vers le bar qui propose bière et sandwich à deux euros. De quoi rasséréner le rocker de base à moindre frais. Vous y rajouterez les quinze euros d'entrée mais vu la qualité de la soirée, vous ne perdrez pas au change.

 

 

THE TILTERS

 

 

Ne sont que trois, mais tout pour se faire remarquer. Cravates orange sanguine rutilantes et masques qui couvrent la moitié supérieure du visage. S'arrêtent à l'arête nasale. Pierrot blanc et noir, esthétique japonaise avec la goutte de sang en suspend. Sont jeunes et ont décidé de le faire entendre. Amateurs de pure rockabilly, abstenez-vous. Leur nom fleure bon les années soixante, les interminables parties de flipper qui se terminaient un peu trop souvent par un tilt magistral. Jeunesse bruyante qui broie autant de noir que de joie. Toute une époque qui n'en finit pas de renaître à chaque nouvelle génération.

 

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Un grand jeune homme sardonique, aussi mal dans sa peau que le serpent qui mue, est à la basse. Et au micro. Rentre-dedans et un brin insolent. Se moque – faut oser - de la moyenne d'âge de l'auditoire qu'il estime autour de la quarantaine. La question est à double-face. Pourquoi cette jeunesse pro-garage band vient-elle s'amalgamer à la génération du revival des années quatre-vingt ? Peut-être Vince le guitariste qui officie aussi dans les Hot Rhythem and Booze ( voir notre livraison 104 du 22 / 06 / 2012 ) nous donne-t-il la réponse. Joue sacrément bien. A dû méchamment fouiner dans les disques des grands ancêtres américains pour obtenir cette sûreté de doigté.

 

 

Le bandit sarde fraie le chemin. Première vague d'assaut des commandos marloufs que l'on envoie devant pour établir la percée, Vince consolide les positions conquises et les rend inexpugnables, sur ses futs mister drum s'occupe de la logistique, agit en sorte que les deux autres soient fournis en munitions. Trio de choc qui ne s'attarde pas dans les finitions. Ca casse et ça passe.

 

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Vocal par devant et feu de guitare par derrière. Le lead-singer mène le band. Une telle présence que parfois l'on a l'impression qu'il tient aussi la guitare solo. Mais non c'est Vince qui mitraille les riffs. Tempo rapide, l'invectiveur jette quelques mots entre les morceaux pour reprendre souffle. Ré-attaque alors sans attendre sur un titre de Little Richard, comme pour précipiter la cadence. Ce qui n'est pas sans rappeler Johnny Fay qui l'année dernière du haut de ses soixante-dix ans se lançaient dans des versions incendiaires des standards du prêcheur fou de la bonne ville de Macon. Preuve que la jeunesse ne dépend pas de l'âge et qu'elle est avant tout un état d'esprit. La caution rock par excellence.

 

 

Sont jeunes et sont des garçons, la dernière partie du set sera consacrée à ces demoiselles, de Justine à Cindy Lou en passant par Lucille, toutes aussi belles l'une que l'autre. The Tilters nous les présentent comme des poulettes qui ont du chien et pas du tout froid aux pattes. Si vous voyez ce que je veux dire. Le band ne débande pas. Le combo bosse à donf et se défonce. L'auditoire jubile et se laisse subjuguer par le démon du midi. Le rock est par essence une musique foutraque et kamasutraque.

 

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Moment d'émotion lorsque notre vitupérateur dédie un morceau à son père. Une véritable larme s'écoule de sous son masque qu'il ne prend pas le temps d'essuyer mais il expectore son phrasé avec encore plus de rage pour échapper à l'émotion qui l'étreint. Les Tilters envoient leur set comme si leur vie en dépendait, ils ne trichent pas avec eux-mêmes. Et c'est cette intégrité nettement perceptible qui leur allouera la sympathie du public. Jeunes mais convaincants.

 

 

A classer du côté des Spunyboys et des Howlin'Jaws, des jeunes gens qui proposent un rockabilly en quelque sorte dissident puisque plus électrique et comme par hasard cornaqués par leur bassiste chanteur. Des rebelles en quelque sorte. Ce qui tout de suite les situe dans la tradition la plus fondatrice.

 

 

Terminent leur répertoire par un reprise hyper bien balancée de Volage des Chaussettes Noires, ce qui permet de concevoir nos ancestrales pointures non plus comme des adeptes maladroites des pionniers mais comme le premier groupe français de white rock directement issu du premier rock garage américain des années soixante, et pour nos Tilters de finir sur un impertinent et narquois pied de nez au public présent qui ne jure que par les petits gars des Appalaches and their native language...

 

 

THE FOUR ACES

 

 

La salle s'est remplie comme un oeuf de Pâques. Ca déborde de monde. Y en a encore autant dans la courette qui sirotent leurs canettes. Les Four Aces ont attiré les foules. Comparés aux Tilters ce sont de vieux bricards, mais ne vous inquiétez pas ce qui va suivre sera une pure merveille.

 

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Au fond l'on reconnaît derrière sa batterie Carlos, que nous avons vu au set des King Bakers Combo, le 14 juin dernier ( voir notre cent quarante huitième livraison ), l'a repris de la poigne, toujours dans le rythme mais avec une frappe beaucoup plus soutenue et énergisante. Sur sa gauche Marc sa guitare aux entrelacs de rouges arabesques, sourire tranquille aux lèvres, attend de déclencher la foudre, et sur sa droite Malo caresse sa contrebasse d'un air entendu. Laurent ceint sa rythmique, double losange d'ivoire sur la caisse qui reprend un des motifs des bandoulières aux couleurs des quatre as. Se dégagent de l'ensemble une classe naturelle et une nonchalance non feinte.

 

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Un, deux, trois, c'est parti. Apocalypse now. Tout ce que j'aime dans un groupe de rock. D'abord un chanteur et ensuite le reste. Il va de soi que plus les musicos sont adroits mieux c'est, mais c'est le lead singer qui transcende le combo. Laurent n'a pas à se plaindre, son lead guitar impose sa marque à tout ce qu'il touche. Pas besoin de le chercher, est toujours là où l'on attend et même là où on ne se douterait pas qu'il pût être présent. Gentleman guitarist, vous envoie le riff et assure le solo, cent pour cent de réussite, et toujours avec une narquoise risette complice.

 

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Malo dialogue avec son upright bass, face à face perpétuel, comme deux amis qui se connaissent depuis vingt ans et qui se cherchent des crosses. L'a du swing, question doigté il n'hésite pas à tirer sur les cordes sans parcimonie. Encore un qui ne s'économise pas sous son apparence flegmatique, ressemble parfois à un prof de musique qui exécute les plans les plus difficiles avec cette crispante facilité qui exaspère les élèves.

 

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Oui mais il y a Laurent. Le plus petit de la bande mais le plus teigneux. Griffouille sa gratte mais on ne lui accorde point trop importance. Pourtant les rares fois où ses acolytes la mettront en sourdine pour lui laisser assez d'espace sonore, ce que l'on entendra ne sera pas à dédaigner. Sacré dégaine, nez d'aigle, deux anneaux dans le lobe gauche et des yeux de feu. Le regard perçant de celui qui croit en lui-même. Passion et ferveur.

 

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Oiseau de proie qui fond sur vous et vous enserre dans ses serres pour ne plus vous lâcher. Rockabilly messagero killer boy. Fascinant, débite les titres à coups de hachoir qui vous coupent en deux et puis vous transforment en pâtée pour chiens. Compos du groupe et reprises. Même fougue à chaque fois. Incarnation rockab échappé des années cinquante qui revient sur terre pour la brûler selon son incandescence intérieure.

 

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Tigre impérial qui vous jette des morceaux de barbaque saignante au travers des barreaux de sa cage pour vous prouver qu'il est encore le maître. N'a rien du fonctionnaire rockab qui vient vous lâcher vingt petits chatons apprivoisés et qui les ramasse à la fin du set pour les remettre sagement dans leur boîte jusqu'au prochain job. Ne donne pas de représentation. Chante poussé par une nécessité intérieure. Une flamme qui le dévore de haut en bas et qu'il vous recrache à la gueule comme un dragon magique.

 

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Pas une seconde de répit. Enchaîne les hits comme des orgues de Staline. A chaque fois un plus violent, un peu plus rapide. Il abolit les fausses frontières, ni rockabilly, ni garage, mais du rock'n'roll. En lui-même et hors de lui-même, dans la fournaise et autour. Ramassé sur sa hargne ou arc-bouté jusqu'au bout de son manche. Derrière Carlos arrache de plus en plus fort, le combo passe à la vitesse supérieure. Malo miaule et Marco bute. Grande riffle de riffs. La salle exulte, crie et hurle.

 

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Cheveux froissés et chemise trempée de sueur. Toute la différence entre l'entertainment, le bon moment passé avec les copains et une vision du rock conçue comme une expérience métaphysique, Laurent Cuchi nous l'a apportée. Un rockabilly qui, quoique tout de blanc vêtu, emprunte par l'énergie déployée à la transe chamanique des peaux-rouges.

 

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Une chose est sûre, lorsqu'il chante et joue Laurent Cuchi ne triche pas. Ni avec les autres. Ni avec lui-même. Poursuit son chemin. Jusqu'au bout. Nous avons de la chance qu'il soit passé de par chez nous.

 

 

Les dés ont roulé. Les Four Aces ont remporté la mise.

 

( Très belles photos de la soirée prises sur le facebook du groupe )

 

THE CAPITOL'S

 

 

Capitol's ! rien que le nom vous sursautez. Une pure émanation résurgente dans la ligne droite du rock français qui s'est construit autour de la sombre et mythique figure de Gene Vincent. Au début nous n'avons eu droit qu'à de lointaines approximations – m'a personnellement fallu du temps pour faire la corrélation entre le Betty des Chaussettes Noires et le Baby Blue de Gégène – ou des hommages à la Moustique sympathiques mais très éloignés du style du maître. C'est dans les années 80 que les Sprites se sont attaqués à la difficulté, non sans succès. Mais les Sprites se sont dissous trop vite et ne circulent d'eux pratiquement que des enregistrements réservés à une audience de connaisseurs très réduite.

 

 

Les Capitol's travaillent depuis des années sur ce projet de restitution du son originel du natif de Norfolk. Et peut-être l'oreille davantage penchée vers les accompagnateurs que la voix et le jeu de scène de l'idole. Bien sûr Steph le lead singer arbore le même frisotis de boucles entremêlées que Gene, cette simili banane si particulière que Gene laissait retomber sur son front tout en prenant soin qu'elle ne s'écroule point sur le haut de sa figure. Les harmoniques de la voix de Steph se rapprochent un peu de celles de Gene, il épouse son phrasé mais à l'instar d'Ervin Travis – que nous aimons beaucoup aussi – il ne cherche pas la reproduction à l'identique. De même pour le jeu de scène, n'adopte pas la position voûtée de Gene dont il usa principalement en Europe lorsque sa jambe blessée commença à le tirailler fortement. Steph s'inspire de Gene mais refuse de se présenter comme un clone.

 

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L'on attend avec impatience la sortie du prochain disque des Capitol's. Il est déjà certain qu'ils ne vont pas se contenter d'aligner douze pépites directement issues du répertoire du grand Gene. Les compos personnelles devraient y être majoritaires, pour notre part nous y concèderions au maximum un seul titre de Gene. L'est temps de voler de ses propres ailes. Les Capitol's l'ont compris, pratiquement un morceau sur deux de leur set était de leur cru. Très inspiré de la manière de Vincent, mais les Capitol's ont inclus un paramètre nouveau. Celui de la longueur. Ce qui n'est pas sans influence sur la musique. Qui dit morceaux plus longs se soumet à une autre découpe, l'on pense communément que chez les Blue Caps ce sont les soli de Cliff Gallup qui font les breaks. Mais chez les Capitol's l'on a l'impression que l'on se déplace le long d'une route escarpée mais touristique et qu' à intervalles irréguliers l'on descend du car pour s'extasier devant les curiosités signalées par le guide ( bleu ). Attention, ici superbe geyser qui s'élancera vers le ciel dans exactement dans vingt-trois secondes. De trop.

 

 

Mais peut-être les Capitol's s'affairent-ils aux derniers réglages. Tel quel, ce sera déjà de la très belle ouvrage. Ce qui est sûr c'est qu'ils ont compris le fonctionnement des premiers enregistrements de Vincent. Contrairement à ce que l'on prétend la guitare n'est pas à la loge d'honneur. Même si l'on n'entend qu'elle, même si elle vous crève les yeux et les oreilles. Et Franky Gumbo connaît tous les tours de passe-passe de Gallup. Agite le chiffon rouge sous le mufle du toro, vous le crible de banderille, mais l'estocade c'est la batterie qui la porte. Si ce n'est qu'elle n'est pas un point d'arrêt final. Pour amplifier le son de Scotty, Sam Phillips misa sur la fameuse réverbe. Avec la voix d'Elvis qui entrait là-dedans comme un surfer qui se joue des lames de l'océan. Les Blue Caps ont usé d'un autre procédé, l'organe de Gene dans les explosions de Dickie Harrel.

 

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Harrell ne frappe pas la mesure. Se livre à un opéra symphonique sur sa caisse claire, vous tangue le bateau sur des rythmes calypso bancals, vous raconte une histoire avec des battements asymétriques peu orthodoxes et sans préavis, comme cela lui chante, il explose littéralement sa frappe, à part que celui qui chante vraiment, Vincent, profite de l'occasion pour hurler de toutes ses forces. Naufrage du Titanic assuré toutes les trente secondes et Gallup qui survient après par derrière pour cisailler tout ce qui reste encore debout. Comme toujours, c'est le dernier venu qui récolte les applaudissements du public.

 

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Et cela les Capitol's l'ont assimilé. Par chance ils ont un batteur. Un vrai. Un pur-sang. Fiévreux et nerveux. Ne se contente pas de marquer le rythme comme les aiguilles de la pendule indiquent l'heure, il fabrique sa propre temporalité. Jamais en avance. Jamais en retard. Jamais pile. Puisque c'est lui qui détient le tempo dans ses avant-bras. Pourrait toujours donner davantage et ne s'en prive pas. Du pain béni pour la rythmique et la contrebasse, dessinent les entrechats qui servent de reposoir à la voix de Steph qui glisse sur eux comme tenue par des fils aériens.

 

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Les morceaux défilent Frankie and Johnny, Teen-Age Partner, Who Slapped John, Crazy Legs, Hold me, Hug me, Rock me et Gumbo met toute la gomme. De plus en plus présent et électrique à chaque fois. Dans la salle c'est un peu la folie. Même beaucoup. Les Capitol's embarquent tout le monde dans leur hot rod démentiel. Ca crie et ça gesticule dans tous les coins. Rock thérapie pour tout le monde. Ne retournent pas à l'imitation des antiques, exhument la modernité des racines.

 

 

L'essence du rockabilly se trouve dans le triangle des Bermudes équilatérales aux trois sommets clairement identifiés. Elvis au pinacle, le Rock'n'roll trio de Johnny Burnette à l'angle droit, et Vincent sur la ligne de fuite de l'hypoténuse. Gene est déjà dès le début sur la tangente des lignes de fuite qui transforment le old rockabilly des campagnes en hot rock'n'roll des cités. Quinze ans plus tard un groupe comme Led Zeppelin opèrera le même cadrage de reconnaissance que les Blue Caps, la batterie en tant que centrale énergétique, la voix qui se brise en écho et la lead guitare qui illumine le tout alors qu'elle ne fait que poser de la broderie de haute précision sur la toile écrue. Ingrate tâche de la basse qui veille au filage régulier de la trame, ce à quoi personne ne prête attention.

 

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Baby blue avant le rappel. Repris en choeur par l'ensemble du public, la vieille phrase de blues modulée et modelée à la Vincent. Le germe de l'orchestration du hard rock dans l'oeuf originel et germinatoire. Les Capitol's s'acquittent de leur tâche restitutrice à merveille. Superbe concert qui finit en apothéose. Merci les Capitol's pour ce grand moment.

 

 

SPECIAL THANKS

 

Un gros merci à Carlos, l'organisateur, pour la réunion de ces trois groupes. Choix de fin connaisseur.

 

Damie Chad

 

REVUE DES REVUES

 

 

ROCKERS ZINE

 

A Zine with Foods and Drinks for Rockers Only

 

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Vol 1 ( couverture saumon fumé, 16 pp )

 

Vol 2 ( couverture bleu pâle, 20 pp )

 

Vol 3 ( couverture ardoise noire, 32 pp )

 

Vol 4 ( couverture vert bouteille, 36 pp )

 

Vol 5 ( couverture jaune canari, 36 pp )

 

 

Non ce ne sont pas des recettes de cuisines. C'est Laurent Cuchi des Four Aces qui a sorti ces cinq petites merveilles de sa valise à disques à Saint Michel sur Orge. Ca ne pouvait pas m'échapper, aussi flashy que les fonds des chroniques de KR'TNT. Même philosophie que par chez nous, c'est gratuit, sers-toi, fais gaffe à ne pas oublier un opuscule. Tout en couleur, et ils n'ont pas économisé sur l'encrage. Petit tirage, sont philanthropes mais ne tiennent pas à se ruiner non plus. Pour ceux qui arriveront trop tard, inutile de faire une dépression nerveuse, tapez simplement sur le clavier http://rockers666.blogspot.com , ou alors https://www.facebook.com/groups/335311749824322/, en plus vous aurez le son qui va avec.

 

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Because vous l'avez compris en regardant la repro des couves, Rockers Zine s'intéresse aux disques. Rares et de qualité. Vinyl, est-il besoin de préciser, bref une véritable mine d'informations, avec parfois les indications de prix pour ceux qui veulent me faire des cadeaux. Pas sectaires ( enfin presque ), pas exclusivement rockabilly, passent insensiblement du White Rock au garage et finissent par le punk. Ne sont pas monomaniaques, sont capables de chroniquer des disques de toutes les décennies et même des nouveautés ( que vous ne trouverez pas dans les grandes surfaces ). Z'aiment un peu ce que l'on pourrait définir par le seul vocable de wild. Si vous préférez les slows pour emballer les frangines, choisissez une autre revue bien que d'après nous vous feriez mieux de changer de copines. C'est vous qui voyez.

 

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Ont de la suite dans les idées. A force de bavasser ils ont passé le Rubicon et ont sorti un 25 cm de derrière les fagots, superbe pochette vert tropical, titré OBSCURITIES VOL 1, rien que du killer comme ils disent, le genre de truc idéal lorsque vous voulez hériter au plus vite de votre grand-mère. Normalement elle ne devrait pas survivre à la première face, pour vous dire que c'est du bon. Un volume 2, est en préparation, encore plus mortel que la canicule de 2003.

 

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Dans le numéro 4 vous trouverez en prime une interview de Johnny Fay qui raconte son étonnement de savoir qu'il était connu en France et un peu partout dans le monde... J'allais oublier l'intérêt pédagogique de la chose, tous les articles sont écrits en anglais. Rien de tel pour apprendre à lire Oscar Wilde ( n'est-ce pas cher Cat Zengler ) dans le texte. Mais comme ce sont des amis de l'Humanité, ils vous proposent systématiquement la traduction à la suite. Bref un must de rockers, fait par des rockers pour des rockers. Je ne sais pas quoi vous dire de plus pour vous décider à ne pas l'acheter, puisque c'est gratuit.

 

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Je vous refile l'adresse : Rockers Trip Association / 2 petite avenue de la Pyramide / 91 800 Brunoy / France.

 

 

Pour les malheureux qui n'aimeraient pas le rock'n'roll, tout est prévu en dernière page, la séquence Horror Bop, reproduction d'une affiche d'un film d'horreur.

 

Damie Chad.

 

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