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15/05/2014

KR'TNT ! ¤ 189 : BUUTSHAKERS / ROCKIN JEP'S / BLACK PRINTS / GHOST HIGHWAY / LOREANN' / BIJOU

 

KR'TNT ! ¤ 189

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

15 / 05 / 2014

 

 

CIARA THOMPSON + BUTTSHAKERS / ROCKIN'JEPS / BLACK PRINTS / GHOST HIGHWAY / LOREANN' / BIJOU /

 

 

LE HAVRE ( 76 ) / LE TETRIS / 20 - 03 - 14

 

THE BUTTSHAKERS

 

 

NOTHING BUT THE BUTTSHAKERS

 

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Très courageux de leur part ! Les Buttshakers, apprentis sorciers basés à Lyon, jouent en première partie de Jim Jones. On est au Havre, terre de rock et visiblement, le public ne s’est déplacé que pour Jim Jones et son rock incendiaire à la Little Richard. Les Buttshakers s’installent sur la grande scène du Tétris, le nouveau «pôle de création» bâti sur les hauteurs du Havre, dans l’ancien fort de Tourneville. L’endroit flambant neuf en impose. L’architecte a vu grand et a taillé des portes étroites et très hautes dans les murailles, ce qui donne au lieu une allure de temple antique. Pour un groupe encore vert, jouer dans un tel endroit devant un public spécial, c’est une sorte de baptême du feu. On ne miserait pas un peso sur eux. D’autant qu’ils proposent un set de rhythm & blues, ce qui nous éloigne de Little Richard. Enfin, pas tant que ça.

 

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Les musiciens du groupe paraissent très jeunes. Deux joueurs de cuivres, un bassiste, un guitariste et un batteur attaquent le premier morceau. La petite chanteuse black arrive dans la foulée et commence à haranguer la foule. Elle essaie de chauffer un public inerte et elle déploie une énergie considérable pour y parvenir, mais sans résultat. Tant pis. Elle enchaîne les morceaux, elle danse, elle shoute, elle gueule, elle miaule, elle fait tout le cirque habituel des grandes shouteuses de r’n’b à l’ancienne et elle s’en sort admirablement. Elle porte le cheveu crépu et une petite robe légère en tissu jungle. Elle danse bien et chante admirablement. Les musiciens qui l’accompagnent sont assez brillants mais désastreusement inertes. On songe aux pas de danse des musiciens de Vigon et à l’incroyable efficacité de leur numéro, lorsqu’ils sont alignés en rang d’oignons et qu’ils balancent ensemble une jambe en l’air d’un côté, puis de l’autre. Là, rien. Les mecs sont assez jeunes et ils restent concentrés sur leurs instruments. On dirait des fonctionnaires du r’n’b. Le bassiste joue au doigt avec le feeling adéquat. Le guitariste reste discret, comme il se doit. Il se contente de petites interventions sulfureuses. Leur set tient sacrément bien la route. La petite black fait le spectacle à elle toute seule. Elle tire tout le set à l’énergie et elle finit par mettre le public dans sa poche. Mais la fosse est loin d’être devenue une piste de danse. On assiste à une sorte de petit miracle, car le set dure assez longtemps, sans aucun passage à vide.

 

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Impossible de résister à l’envie d’aller échanger quelques mots avec cette petite tigresse métisse. Elle signe ses disques à l’entracte. Vue de près, elle paraît encore plus jeune que sur scène. On lui donnerait quinze ou seize ans. Elle a des cernes brunes sous les yeux. On sent un petit personnage délicat et fragile. Elle s’appelle Ciara Thompson. Elle est originaire de Saint-Louis, dans le Missouri, et son français est parfait. Elle vit à Lyon depuis quelques années. Évidemment, on parle de Chuck Berry, originaire de Saint-Louis, mais on tombe vite en panne de références. Saint-Louis n’est pas Memphis. Elle vante les mérites de sa ville natale et avoue une grande admiration pour Jerry Lee Lewis. Wow ! Mais la conversation est difficile, car il faut sauter un fossé de deux générations, en matière de goûts musicaux, et il n’est pas certain du tout qu’on écoute le même genre de r’n’b. Je tends une perche avec Sister Rosetta Tharpe, mais elle ne sait pas qui c’est, ce qui peut sembler normal. Elle parle de gens que je ne connais pas. Elle appartient à la génération FaceBook et s’intéresse à des artistes plus contemporains et sans doute pas très connus. Et donc nos cultures respectives ne se recoupent pas, ce qui achève d’éteindre l’enthousiasme conversationnel. Heureusement, Jim Jones arrive sur scène. Good luck baby !

 

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Les Buttshakers ont déjà enregistré deux albums. Au moins, ils ne perdent pas de temps. C’est l’occasion de revenir sur la plupart des morceaux du set qui étaient excellents. Ciara dispose d’une vraie voix et d’un sacré caractère, alors on peut écouter ces deux disques en toute sécurité.

 

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La première chose qu’on note, c’est que line-up du groupe a changé entre les deux albums. Les gens qui jouent sur «Headaches and Heartaches» paru en 2010 ne sont pas ceux qu’on a vu sur scène au Tétris. Mais on ne trouvera aucune information sur la pochette de «Wicked Woman», le mini-LP qui vient de sortir et sur lequel on retrouve quelques morceaux joués sur scène.

 

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Le mini-LP se joue en 45 tours. Ça accroche dès le premier morceau. «Man’s World» est judicieusement tatapoumé. Pas le temps de souffler. Ciara fonce directement dans le lard du cut avec un chien considérable. Elle sait shaker le soul d’un cut, pas de problème. Elle connaît la ficelle de la hot soul et elle va chercher des accents dignes de Lisa Kekaula. Elle mâche bien ses attaques. Elle sait faire sa féroce. Les breaks d’orchestre sont parfois un peu prétentieux. En gros, c’est de l’excellente soul qui ne repose que sur Ciara. Le solo de guitare est un peu en retrait, la basse en avant, sèche mais pas aussi swingante que celle de James Jammerson. Globalement, elle s’en sort bien. «Nothing To Hold» est le slow-jerk entreprenant auquel les sixties nous avaient habitués. Le morceau manque singulièrement d’éclat, c’est cuivré à la lyonnaise, sans allant, mais elle tient bon, elle ne lâchera pas. C’est un peu comme si elle engageait son honneur dans cette histoire. Elle y met tout son héritage génétique et toute sa classe. Elle sait mettre sa glotte au carré. Elle gueule quand il faut. Ciara sait s’imposer. Pas question pour elle de jouer les incomprises ni les inhibées. Elle se débrouille toute seule, comme on le lui a appris quand elle était petite. Le dernier morceau de la face A s’appelle «A Way To Get By». Il s’agit d’un slow blues vaguement inutile.

 

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Avec la face B, on passe aux choses sérieuses. «Wicked Woman» est une perle à la James Brown, montée sur un riff de basse astucieux. Ciara se sent chez elle. Elle navigue en eaux claires. Elle peut arracher. Elle peut même pulser le beat. Derrière, ils sont bien. Le guitariste joue avec les petits accents funky auxquels les Blue Flames nous avaient habitués. Étonnant, car elle n’a pas la voix de son âge. Pour une gamine, elle dispose d’un coffre relativement imposant. Elle sait écraser le champignon quand il faut. On sent qu’elle marche à l’instinct. Chez elle, le shout est inné. Elle fait partie des meilleures Soul Queens contemporaines. Ses accents sont bien rauques. Elle l’emporte à chaque instant. Tout amateur éclairé de soul sera surpris par la verdeur de sa hargne. Elle est d’une crédibilité stupéfiante. Et voilà la grosse reprise, le «Tell Mama» de Clarence Carter, bouffé tout cru, jadis, par Etta James pour Chess. Ciara chevauche la bête sans problème. Elle entre résolument dans l’âge d’or. C’est du pur Stax sound Chessisé. L’excellence incarnée. Ça réchauffe le cœur. On replonge dans la magie des temps bénis, avec l’éclat et l’énergie d’alors, même si la basse sonne un peu pépère, mais ce n’est pas si dramatique. Ciara sait allumer son «Tell Mama», joli coup. Il lui faudrait les Memphis Horns derrière et Andre Williams comme producteur. Ah, on verrait la différence ! Dernier morceau de ce mini-LP : «The Start». Digne d’Aretha. Ciara mène bien le jeu avec sa poigne de fer. Elle embarque son monde à la seule force de sa rage soul. Le morceau est un peu biscornu, quant aux ponts, mais elle s’en sort bien. Solo dans le fond du studio. On n’est pas chez les BellRays. Il ne faudrait pas confondre.

 

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C’est sur le premier album que se trouvent les choses vraiment sérieuses. «Headaches And Heartaches» est sorti en 2010 et les Buttshakers ont pas mal roulé leur bosse depuis. Pas de reprises sur cet album, mais en gros, on se retrouve avec dix hits de garage soul vraiment très impressionnants. Son énorme sur «You Talk Too Much». Ciara donne une sacrée ampleur au cut et derrière elle, les cuivres sont excités. Elle va chercher le guttural pour livrer une pièce de soul torride. C’est monstrueux et battu à la diable. Digne des géants. Elle chante avec une maturité sidérante. C’est du Aretha en colère. Elle a même encore plus de chien enragé, c’est une véritable battante de la soul. Avec «I’ve Been Abused», on entre dans la soul par la grande porte, avec un jeu de guitare killer. Ciara dépote sa soul. Elle tue les mouches au scortch. Backing idéal, salement bon. Elle fait régner sa loi, pas de pitié pour les canards boiteux. Ciara Thompson est tout simplement énorme de génie soul. On entend le bassman emmener un couplet. Évidemment, ce n’est pas celui qu’on a vu au Havre. Celui-si s’appelle Fabien Giamina. Il est redoutable. Puis ils nous trashent un slow à la guitare. Ce guitariste s’appelle Julien Masson et il co-écrit quasiment tous les morceaux avec Ciara. Retour à la monstruosité avec «Hey Hey», encore plus garage-soul que le garage-soul des BellRays. On admire une fois de plus la haute teneur du cran de la petite Ciara. Ce blast a l’allure d’un hit. Dingue et dur. Bien poundé, bonnes guitares et cette voix de reine de la soul qui hante les épidermes. Elle s’accroche, elle a le culot d’une diva, elle a le poids d’Aretha et la puissance d’Etta James, mais avec encore un truc en plus, un côté teigne qui évoque celui de Lisa Kekaula. Elle nous sonne véritablement les cloches. Dès l’intro de «Losin’ It», elle percute de plus belle. Elle n’est pas aussi ronde que Lisa Kekaula, mais elle a exactement le même genre de chien de sa chienne et le même genre de classe, celle d’une vraie shouteuse. «(On The Verge Of) Falling In Love» reste dans le même esprit, celui de la puissance effarante. Il ne faudrait pas prendre Ciara Thompson pour une débutante. Elle claque le beignet de la soul quand elle veut. Elle peut même rivaliser avec Wilson Pickett. «Headaches & Heartaches» arrive comme une nouvelle énormité, avec des chœurs à la Motown et une section de cuivres à la hauteur du mythe. Si on est pas encore tombé de sa chaise, c’est le moment ou jamais. Voix de rêve, chœurs insistants à la revoyure, tout est là. C’est un hit qui a rendez-vous avec l’histoire, c’est indescriptible de soul-shaking, elle nous sert tout ça sur un plateau d’argent. Cette folle est bourrée d’un génie qui sort d’elle par tous les pores. Pour finir, ils envoient un boulet nommé «You Got Me Movin’» qui nous démâte. Sacrée Ciara, elle se bat jusqu’à sa dernière goutte de sang. C’est elle la grande battante du XXIe siècle. D’ailleurs, elle s’est fait tatouer deux grenades sur le haut de la poitrine, un peu en aval des épaules. Cette pièce de soul est une fois de plus une sorte d’énormité déterminante. Elle est superbe et conquérante. Il arrive que la pure magie et l’incroyabilité des choses se croisent sur certains disques. Si par chance on surprend ce phénomène irrationnel, il faut savoir en profiter, comme on profite d’une belle matinée de printemps.

 

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Et pouf, en passant l’autre jour devant le mur des nouveautés chez Gibert, je vois le nouvel album des Buttshakers qui me tend les bras et qui me crie : «Prends-moi, s’il te plaît, prends-moi !» Bon alors attention : ce disque est une bombe atomique. «Night Shift» s’ouvre sur le morceau du même nom et on découvre un groupe encore plus agressif que les BellRays. Ciara est déchaînée. Elle fait éclore le bouquet de soul-garage le plus sauvage de l’histoire du rock. On a même droit à de la guitare fuzz. Ciara chevauche ce monstre sans selle à travers l’histoire et le temps, comme la reine des steppes de la soul en feu. S’ensuit «I Wanna Know», plus funk. Comme ils n’ont pas d’histoire véritable - pas de rencontre avec Sam Phillips ou de carrière californienne, par exemple - les Buttshakers dépendent essentiellement de la qualité de leurs compos. Et ça ne tient que grâce au soul power de Ciara Thompson. Elle a le punch de Cassius Clay. Nouveau punk blast avec «Your Love Is Amazing». Ciara la lionne ravage les contrées, c’est renversant et dynamité au scream. Pur génie. En écoutant «Satisfied», on cherche à qui on pourrait comparer Ciara chez Stax, mais aucune des géantes de Stax n’a ce type de punch extrême. Elle arrache au chant avec une force indescriptible. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Get Your Blues». C’est stompé d’avance. Ça part en swing sur une ligne de basse infernale et athlétique - gimme a rhythm while I can stick with you - elle va chercher le rythme avec une force terrible. C’est une superbe pièce d’aventure musicale reprise à la trompette, arrosée au groove de basse, emmenée dans la démence de la fragrance. Elle met tellement de vie dans les morceaux qu’elle finit par fasciner, comme nous fascinent les très grands artistes du genre.

 

Signé : Cazengler, le buttshaké du bulbe

 

Buttshakers. Le Tétris. Le Havre (76). 20 mars 2014

 

Buttshakers. Headaches and Heartaches. BackToMono Records 2010

 

Buttshakers. Wicked Woman. Copase Disques 2013

 

Buttshakers. Night Shift. Youz Production 2014

 

 

ROCK IN GOMETZ LE CHÂTEL

 

10-05-2014 / Espace Culturel Barbara

 

ROCKIN JEP'S / BLACK PRINTS

 

GHOST HIGHWAY

 

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Je maugrée, tout pour être heureux, le grand Phil à coudre au volant de sa toto-ride, un GPS encore plus performant que l'ordinateur de 2001 Odyssée de l'Espace, la copine derrière, et un concert en prévision droit devant à cent kilomètres. Mais un orage de grêle me force à rentrer mes jambes que je laissais benoîtement pendre à l'extérieur de la portière par la vitre grand-ouverte. Je ne voudrais pas me fâcher avec le syndicat d'initiative de Gometz Le Château mais aucun panneau indicateur n'arbore le nom du châtel à la gomme, toutefois après avoir tourné quelque peu en bourrique dans les ronds-points, l'on tombe enfin dans le patelin. Des malins, ils ont fourré le centre culturel en plein centre commercial – qui a dit que la culture n'était pas une marchandise ? - au moyen-âge ce devait être entouré de douves profondes, ils les ont remplacées par des parkings à perte de vue. Moins poissonneux, mais idéal pour se garer. Je fais semblant de pas entendre ma meufette qui remercie Phil qui n'a pas, lui, une conduite heurtée, comme sur du velours qu'elle dit. Ne perd rien pour attendre mon gant de fer. Barbelé.

 

Entrée en douceur dans la salle d'accueil, avec marchand de disques et de babioles rock – tiens, un pin's de Vince Taylor et de Gene Vincent que je n'avais pas – ils ont les mêmes en magnet, pour ceux qui veulent tagger leur frigidaire aux profils de leur passion. Plateau sandwich à six euros, avec volet détachable pour le café – mais où s'arrêtera le progrès humain – une orga à vos petits soins, beaucoup de têtes connues, une bonne proportion de jeunes. La fête peut commencer.

 

THE ROCKIN JEP'S

 

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Je rentre dans la salle juste comme ils démarrent. Rockin' Nicolas me saute aux yeux. Je savais qu'il était porteur de guitare dans le trio de Jamy, et tout dernièrement dans le groupe de Miss Victoria Crown en compagnie de Zio, et le voici maintenant lead guitar parmi les Rockin Jep's. Les aiglons ont tendance à prendre leur envol. Lui reste encore un peu de timidité, mais elle est en train de mettre les voiles, il va assurer sans problème, je ne lui donne pas six mois pour parvenir à atteindre une certaine autorité. C'est que les autres ne sont plus des perdreaux de l'année. Pointent à la génération précédente, mais le vin qui a mûri n'est pas du tout désagréable à boire.

 

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Le set sera très court. Viennent tout juste de se former et pour le rappel on les obligera à rejouer un morceau. Trop modestes, étaient prêts à s'éclipser, mais les rockers c'est comme les enfants, quand vous leur donnez des gâteries, ils n'en ont jamais assez. Et il faut reconnaître que c'était si bien mis en forme que l'on y a pris goût très vite.

 

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Eric Ozenda est à la caisse claire. Son jeu se fond dans dans la contrebasse de Patrick Millet. Celui-là tout petit il a dû tomber dans l'instrument, peut-être même que ses parents se sont servis d'une vielle carcasse de double-bass comme berceau. L'astique méchamment. L'on a l'impression qu'il est partout à la fois. Pas besoin de chercher l'intrus, présent sur tous les plans, les trois s'en sont aperçus, et ont donc développé une stratégie idoine. Aucune envie d'être aux abonnés absents. Lui laissent toute la place qu'il veut mais hors de question de le laisser bargouiner tout seul. Sont sans cesse là, Ozenda à rendre coup pour coup, un battement de corde immédiatement suivi d'un claquement rebondissant de peau, Rockin Nico n'arrête pas de planter les banderilles électriques, à la n'oublie pas que c'est moi qui ponctue l'histoire et qui souligne la fin des phrases. Ne s'en laisse pas compter. Quant à Jacques Marin, il se sert de ses deux armes à la fois, la voix et la guitare rythmique, faut entendre comme ça mouline quand il lance l'attaque et soutient la charge aussi longtemps que nécessaire. Combo à tombeau ouvert.

 

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Je m'amuse à regarder le jeu de Patrick, la main droite qui vibrionne au niveau du ventre de sa chérie bobonne, jusque là, tout est normal, c'est à gauche que le spectacle est fascinant. Pendant que de l'autre côté il mène la chasse à courre avec la meute des chiens de l'enfer à ses côtés, il pince le haut du manche, et doucement, avec une lenteur de reptile qui s'approche de sa proie sans éveiller son attention, il descend son doigt, sur la corde extérieure, qui glisse comme une menace insidieuse... Pratiquement immobile mais imperturbablement en mouvement, à l'image d'un insupportable suspense apocalyptique. Les Rockin Jep's rockent à merveille. Un début plus que prometteur.

 

BLACK PRINTS

 

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Intermède court. There's Rock'n'Roll On The Radio. Gros mensonge. C'est sur scène que ça se passe. Accrochez-vous car ça décoiffe. Yann détonne. Dans tous les sens. Une chevelure sur le mode toison d'ours hirsute – la moins gominée de tous les groupes du circuit rockab de l'hémisphère nord, mais j'adore les individus libres qui ne rentrent pas dans le moule – et une frappe lourde comme un paquebot. A côté, tout ce que vous pouvez trouver de plus classique, Thierry Clément – son sempiternel chapeau de cow-boy – attention, de ces pistoléros qui ont traîné leurs santiags dans tous les sanglants corrals de l'Ouest - tambourin au poignet ou washboard à hauteur de poitrine, c'est au choix mais quand on entendra son solo sur la planche à laver, ce sera de quoi faire frémir toutes les ravaudeuses de l'ancien temps dans leurs tombes... question dés – de ceux qui n'abolissent pas le hasard mallarméen - quand il pousse ce n'est pas au 421 qu'il joue, plutôt à la puissance mille. Etrange ces Black Prints qui allient la frappe canonnière la plus lourde à la cavalcade des chevau-légers de la Maison du Roi. L'obusier et le lance-pierre. Un heureux mariage, une grêle de cailloux après le coup de masse sur la tête, tout compte fait ça réveille.

 

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Pas de contrebasse. Une simple basse électrique – les Black Prints ne sont pas des orthodoxes – confiée à Jean-François Marinello, en joue de tout son corps, pas une note qu'il n'en extraie sans une participation de tous ses muscles qui tour à tour se plient et se détendent. Va la chercher très loin, au plus profond de sa chair et l'expulse comme s'il envoyait une partie de son être en exil. De loin vous penseriez que c'est le guitariste soliste dans les affres labyrinthiques de la création de son plus beau solo. Mais non, ce n'est qu'un bassiste qui arrache chaque note de son coeur comme si sa vie en dépendait. Soucieux de se dépasser à chaque instant.

 

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Et puis il y a Olivier Clément. L'arbre dans la tempête. Avec les trois autres forcenés, tous les naufrages seraient possibles. Il est si facile de dérégler l'horloge du rock'n'roll ! Mais Olivier est là, debout, droit dans ses bottes et dans son futal de cuir noir qui grandit encore plus sa silhouette élancée. Satanée prestance. La classe, qui impose. A la guitare et au chant. A la rythmique et à la lead. Assure les deux. Le métronome et l'explosion. La braise et la flamme. Sans effort apparent. Bouge à peine ses doigts. L'on se demande comment il fait pour être aussi précis. Remue imperceptiblement son index et son annulaire et il vous assène un solo à la Buddy Holly, quand tout se met à balancer autour de vous et que ça tangue méchamment d'un bord sur l'autre. En anglais, c'est beaucoup plus vite dit, ça s'écrit en trois mots – et encore on supprime des lettres – c'est : rock'n'roll. Nous y sommes en plein. Dans le coeur noir le plus profond du rock'n'roll. Baby Let's Pay House, Jeanie Jeanie, les classiques défilent, un à un, méthodiquement, ne vous pressez pas, il y en aura pour tout le monde, mais aussi les morceaux originaux comme Two Tones Shoes et l'ensemble de leur album en fin de parcours.

 

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Inexorables. Les Black Prints c'est toute l'histoire du rock'n'roll qui défile, le passé et la toute récente, rien ne peut les arrêter. Je suis une force qui va, disait Victor Hugo. Le roc qui dégringole de la colline et qui emporte tout sur son passage. Vous emmènent avec eux. Et ils en rigolent. Echangent des regards malicieux, tiens une intro de guitare un peu étirée pour que tu ne saches pas où je veux en venir, et cette ouverture fractale sur les deux toms, tu t'en souviens, retombent toujours sur leurs pattes comme le Stray Cat Strut qui longe les gouttières.

 

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Une version de Brand New Cadillac à vous faire courir chez le concessionnaire pour vous commander exactement la même – merci Vince Taylor, mais ce n'est que le début. Olivier invite Thierry Credaro à les rejoindre sur scène, vont nous offrir la plus splendide interprétation de Shakin' All Over que j'ai jamais entendue, de Johnny Kidd annoncera Olivier, je serais tenté de préciser de Joe Moreti, le guitariste qui officiait déjà sur la Cadillac de Vince – pas étonnant que ce dernier ait repris ce bijou avec ses Play-Boys – Thierry et Olivier se complètent merveilleusement à la guitare, aucune opposition, chacun essayant d'amplifier les effets obtenus par son coéquipier. L'on aimerait que ça ne se termine jamais, qu'ils reprennent indéfiniment le solo et le pont jusqu'à ce que le jour ne se lève plus. Le public est en transe. Sans doute le moment le plus fort de la soirée qui n'en manqua pas.

 

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Thierry redescend sous une salve d'applaudissements et les Black Prints enchaînent sans coup férir. Manière de parler, car sur sa batterie Yan est un meurtrier fou, a killer on the road. Plus l'heure avance plus il se permet des breaks zarathoustriens, des ponctuations démesurées aussi meurtrières que des icebergs ballotés par une tempête de force 10. Et Olivier, le chêne qu'aucun aquilon ne détrônera, réengage à chaque fois les hostilités avec un nouveau titre encore plus venimeux que les précédents. Train Kept A Rollin et Rock'n'Bop Blues pour clore les festivités. Un set historial.

 

Vous n'y étiez pas. Vous le regrettez. Méritez-vous de vivre ?

 

GHOST HIGHWAY

 

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Plusieurs mois que nous n'avons pas vu les Ghost. La vie d'un groupe n'est pas un long fleuve tranquille. Zio est parti – accompagne maintenant Miss Regina Crown. Nous ne nous faisons guère de souci pour lui, depuis les TeenKats, il s'est toujours débrouillé pour être là où ça se passe. Nous sommes prêts à le suivre dans ses nouvelles aventures. Mais ce soir, ce sont les Ghost Highway qui monopolisent notre attention. N'ont pas choisi une demi-pointure pour remplacer Zio, ni plus, ni moins que Thibaut Chopin. On ne le présente plus, l'a participé à tant de groupes, de concerts et de rencontres qu'il faudrait y passer la nuit pour tout raconter.

 

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A première vue, c'est la même chose, démarre par les titres habituels, mais à deuxième oreille, plus rien n'est pareil. D'abord se rabattre sur Phil, car c'est lui le continuateur sonique du groupe. C'est bien sa frappe qui est à la base des Ghost. Et ici à Gometz le Chatel nous nous en rendons compte pour une raison évidente, le son de base est plus ample, plus fort qu'avant. Ce n'est pas une question de potentiomètre qui virerait dans l'écarlate. Mais un parti-pris de jouer davantage en rentre dedans, en libérant encore plus d'énergie.

 

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Confirmation, dès que Mister Jull lance ses premiers accords. Beaucoup plus électrique. Dans ses interventions, car selon son habitude il envoie le riff comme on lâche les chiens, et puis on les rappelle aux pieds du maître pour qu'ils se calment un tantinet et laissent un peu de place pour la compagnie. Mais cette fois ça cingle et ça gicle avec beaucoup plus de brutalité. Un peu comme si Jull avait dépassé sa hantise de l'authenticité originelle pour une immédiateté beaucoup plus efficace.

 

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Du coup Arno ne tient plus en place, encore plus d'humour pince-sans-rire au troisième degré que d'habitude et une façon de chanter, moins vieux sud profond, et quand il tire son harmonica, c'est davantage western italien que hillbilly primitif, ou avec des inflexions bluezy plus appuyées.

 

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Mais c'est Thibaut que vous voulez voir. Le voici dans son costume marron clair, Arno en a enfilé un marron crème brûlée et Jull est engoncé dans une veste d'un jaune automnal. A franchement parler, ce n'est pas trop rock'n'roll, mais heureusement nous ne sommes pas à un défilé de mode. Il est indéniable que Thibaut est un pro. Joue sans avoir l'air d'y penser comme si son seul souci était de coller aux Ghost sans chercher à se montrer. Abandonnera sa réserve peu à peu. Finira par emporter les coeurs sur un solo avec tourniquet de ses deux avant-bras autour du manche. Le truc apparemment très simple, facile à décomposer, mais qui demande une aisance et une expérience que l'on devine durement acquises au fil des années.

 

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Question apport au groupe, je parlerai d'un contact plus swingant et plus rythmique, très loin du ce bruit de fond qu'instillait Zio, un peu comme cette rosée sonore tombée des étoiles qui serait selon certains rêveurs la rumeur anonyme de notre univers qui se meurt. Peut-être est-ce pour cela, pour pallier le bourdonnement ondoyant de Zio que les Ghost ont dû en quelque sorte hausser le son. Mais ce n'est pas sûr. Les prochains concerts auxquels nous assisterons nous aiderons à mieux comprendre. Car il est certain que les avancées de Mister Jull à la guitare sont si évidents que le reste du combo se doit se mettre à l'unisson de cette montée en puissance des riffs qui exigent pour être mieux entendus et déployés ce que nous appellerons une surconsommation d'électricité.

 

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Set un peu court mais tout de suite suivi du final habituel. Going up to the country couplé avec Johnny Law, tandis que Thibaut vient s'assoir sur le bord de la scène bientôt rejoint par Jull et Arno. Avec reprise à fond les manettes pour finir en beauté. Sortent sous les applaudissements de la foule. Les Ghost Highway ont convaincu. Ont fait preuve d'une redoutable efficacité. Le groupe a encore progressé. Vraisemblablement en phase intermédiaire. Le public sur le pied de guerre pour la conquête de nouveaux territoires.

 

FEU D'ARTIFICE

 

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Plus de dix personnes sur scène, Jull, Arno, Thibaut, Olivier, Thierry, Rockin Nico, Thierry, Eric, Patrick et les autres. Le miracle c'est que très facilement tout le monde trouve ses marques et la formation quasi symphonique se lance pour un boeuf pas un poil cacophonique mais musqué et géant. Martchbox, sur lequel Thibaut pose des vocaux très appréciés, My Babe que Willie Dixon a volé à Sir Rosetta Thorpe, et un dernier petit Cochran, juste pour la route... Que personne n'a envie de reprendre, trop belle soirée, rock'n'roll jusqu'au bout des ongles.

 

Ne reste plus qu'à attendre l'année prochaine, car l'orga boostée par ce premier succès parlait déjà de Rockin in Gometz le Châtel 2.

 

Damie Chad.

( Photos prises sur les facebook des artistes / Merci à Martine F. )

 

10 – 05 – 2014 / PROVINS

 

LE CESAR / LOREANN'

 

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Le 26 avril on a fait la tête, les tauliers du César étaient partis en vacances, mais le 03 mai, on a failli faire un esclandre, le café était ouvert, la terrasse exposée au soleil, mais Loreann n'était pas là. Elle a osé nous faire cela à nous, Phil, Richard, Damie, nous priver de notre apéro-folk du samedi matin, et nous laisser le bec dans l'eau du pastis, ah ! La drôlesse ! Mais ce matin, elle est revenue se faire pardonner. Nous avons été magnanimes – nous n'aurions pas pu faire autrement tellement sa voix nous enchante, mais ne le lui dites pas – toutefois la punition divine ne s'est pas faite attendre : pluie continuelle toute la matinée. L'on a poussé les étuis à guitare sous l'auvent et emballé la sono dans de grand sac poubelles.

 

Et puis nous l'avons lâchement abandonnée à son triste sort de chanteuse de rue, réfugiés à l'intérieur du troquet autour d'une boisson fumante, béatement bercés par la douceur de cette voix susurrante, la salle toute en longueur se révélant être une magnifique chambre d'écho... C'est alors qu'à la table juste derrière j'ai aperçu Dominique. Fille d'une famille éclectique, la soeur chante du rhythm'n'blues à plein gosier, le frère de la trompette jazz ( nul n'est parfait ) la nièce du slam, mais Dominique, elle c'est le country et le folk. J'ai vite remarqué – c'est parce que je suis très intelligent – que la voix de Loreann' ne la laissait pas indifférente, même qu'elle commençait à citer les titres et à fredonner les morceaux. Bref un quart d'heure plus tard sans trop user d'une douce violence je l'ai traînée jusqu'au micro de Loreann'. Petits papotages entre filles, et bientôt elles attaquaient Neil Young.

 

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Très intéressant à écouter, elles ont un peu le même répertoire mais ne l'abordent pas de la même manière, Dominique partisane d'une attaque un peu plus franche, un peu plus enlevée – que ce soit sur les cordes de la guitare ou vocales – et Loreann' se restreignant dans une certaine moiteur du chant et de l'orchestration, davantage intimiste et beaucoup moins intempestive. Très proche de cette ambiance étouffante des chaleurs du vieux sud, cette pesante atmosphère que l'on retrouve dans les romans américains de Julien Green. Dominique, plutôt fille des fraîcheurs matinales de l'eau du Mississipi.

 

Dominique se sauve à l'intérieur du café, mais au bout d'un moment on la retrouve au bord du micro, à chantonner et discuter avec Loreann'... C'est cela Loreann', une voix qui s'immisce et qui vient vous chercher, et qui ne vous lâche plus... Longtemps que Dominique n'avait chanté, mais Loreann' réveille les mélancolies et ravive les regrets. Malgré la pluie, des passants hâtifs s'arrêtent et restent quelques minutes figés en eux-mêmes, puis s'ébrouent comme pour s'affranchir de leur rêve et reprendre le chemin de leur existence anonyme...

 

Vous pouvez désormais retrouver Loreann' sur www.loreann-music.com ou sur son facebook, loreann Torn . Nous sommes trop gentils avec vous !

 

Damie Chad.

 

BIJOU

 

VIE, MORT ET RESURRECTION

 

D'UN GROUPE PASSION

 

 

JEAN-FRANCOIS JACQ

 

 

( L'ECARLATE / Avril 2014 )

 

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Beau cadeau dans les nouveautés de la semaine. Un livre sur Bijou. Je passe commande sans réfléchir. Sur la photo, le livre ne paraît pas très épais. Enfin mieux vaut une petite monographie que rien du tout. Juste une illusion, une fois dans la main, il pèse son pesant d'or. Logique, Bijou ce n'est pas de la pacotille, et le bouquin avoisine les trois cents pages, c'est rempli de textes à ras-bord, un cahier photos inédites au milieu, et une belle préface de Laurent Chalumeau.

 

Bijou a brillé de mille feux, mais le coffret refermé, le diadème s'est terni, et on l'a un peu oublié. Et pourtant, Bijou fut en quelque sorte le premier groupe français. Entendons-nous, chronologiquement l'a été précédé d'une myriade d'autres, question ventes il n'a pas vraiment cassé trois pattes à un canard. Non, Bijou a été le premier groupe français à faire jeu égal avec les anglais. Les âmes chagrines et les esprits requins jetteront Magma et Little Bob Story aux deux premières places. Pour Magma la question sera vite réglée, un orchestre kolossal, mais qui officiait dans une sphère musicale très éloignée du rock'n'roll, quelque part entre Stockhausen et le jazz d'avant-garde. On peut les laisser en orbite sur la planète Kobaïa, ils y sont très bien et à leur place. Little Bob est un concurrent plus sérieux. Jean-François Jacq ne peut s'empêcher de lui jeter quelques piques, l'est vrai que le prétendant à la couronne du rock français n'est pas sans quartier de noblesse, mais sans vouloir rallumer la guerre de cent ans, il faut se rappeler que Little Bob a choisi de s'exprimer, le traître, en anglais. Qui est la langue naturelle du rock'n'roll, mais enfin nous parlons de rock'n'roll français !

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Le rock'n'roll français doit-il être chanté en français ou en anglais ? Question sans intérêt, que ce soit en langue shakespearienne ou rabelaisienne, débrouillez-vous pour que ça sonne bien. Faites comme vous le sentez. Oui Bijou s'est exprimé en français, naturellement serait-on tenté de dire, mais s'il s'est imposé à son époque si facilement aux groupes anglais, cela tenait beaucoup plus à ses qualités intrinsèques qu'au fol langage de François Villon.

 

UN GROUPE FRANCAIS

 

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Le bon vieux terroir national. Rien à voir avec la France agricole et paysanne. La banlieue Sud, Savigny-sur-Orge, Juvisy, Longjumeau, à la fin des années cinquante et au début des sixties on y plante des HLM, et on récolte toute une génération de rockers. Des rockers français, bien de chez nous, qui écoutent Gene Vincent et Johnny Hallyday, tous petits ils s'accrochent à leurs transistors comme à une bouée de sauvetage, le monde peut changer, eux ils resteront rock jusqu'à la fin de leur vie, et même s'ils se marient et se rangent, car ils ont transmis le flambeau aux petits frères... Blousons noirs et Golf-Drouot, le rock n'a pas dix ans d'âge qu'il possède déjà ses mythes et ses légendes.

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C'est en ces lieux que grandissent les futurs mousquetaires de Bijou. Sont encore des cailloux mal dégrossis, mais ils vont persévérer. L'on n'atteint pas à la brillance souhaitée, sans rouler quelque peu sa bosse dans le lit torrentiel du rock'n'roll, de groupe en groupe, d'expérience en expérience, des mois et des mois de galère, de répétitions, de concerts improbables avant de maîtriser son instrument, et d'intégrer tout l'héritage de la culture rock, des Chaussettes Noires aux Pub Rock, des pionniers au prog, les tsunamis se succèdent, rock instrumental des rosbeef, British Blues, révolution hendrixienne... un groupe phare tous les trois mois, sans oublier les cuivres de chez Stax, le glam, la décadence et la naissance du hard, et n'en jetez plus. Plus qu'il n'en faut pour une oreille humaine. Heureusement nous possédons un cerveau qui permet de prendre du recul, d'analyser, de rejeter de choisir...

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Au final ils se retrouvent à quatre. Comme les mousquetaires. Trois plus un. Dynamite à la batterie, Vincent Palmer à la guitare, Philippe Dauga à la basse. Formule minimale. Ils avaient un chanteur. S'en sépareront quand la mayonnaise commencera à prendre. Pas par méchanceté. Par nécessité. L'alcool l'a rendu trop instable... C'est un plus, le groupe se ressoudera d'autant plus sur lui-même. Sont trop peu nombreux pour ne pas faire bloc. Si en 1975 le groupe percutera si fort c'est avant tout grâce à cette cohésion orchestrale durement acquise, engoncés sur eux-mêmes comme un poing fermé qui vous désarçonne au premier coup. C'est un moins, le chant restera la grande faiblesse de Bijou, pas que Palmer et Dauga qui s'y collent aient démérité, mais à la base ce ne sont pas des chanteurs.

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L'en reste un, Jean-William Thoury, l'homme à tout faire ( ce qui laisserait supposer que les autres ne feraient rien ) chauffeur, parolier, un oeil sur les projos, une oreille sur la sono... De visu pour un peu on le prendrait pour le larbin de service. Mais c'est la tête pensante, pas celui qui réfléchit à tout pour ne rien oublier, non le stratège. Celui qui a tout compris, que dans un groupe de rock, les musiciens ne sont que la cinquième roue de la charrette, s'ils avancent au petit bonheur la chance, saisissant les occasions quand elles se présentent. Alors que l'on se doit de savoir à l'avance ce que l'on veut. On ne profite pas de l'opportunité des circonstances, on la crée de toutes pièces. Le rock est une question de maîtrise. L'on calcule la musique, on définit l'image, on n'avance jamais à l'aveuglette. On pourrait le comparer pour la partie d'échec qu'il entreprend avec le monde du showbizz à Malcolm McLaren, le prodigieux metteur en scène des Sex Pistols.

 

INTEGRITE ROCK

 

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A part que Jean-William Thoury – en parfait accord avec les trois autres – ne désire aucunement monter l'arnaque rock'n'roll du siècle. Refusent d'être des escrocks. Entendent simplement être et devenir ce qu'ils sont. Au grand jeu du poker menteur de la vie, ils posent tout sur la table : chantent en français parce que yaourter en anglais est peut-être plus difficile et moins évident, et quelque part une manière de se singulariser tout en restant fidèle à soi-même par rapport à tous ces french group qui scandent in english. L'idiome comme une ligne de démarcation, et comme affirmation non négociable.

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Normalement les maisons de disques devraient se précipiter, elles qui s'obstinent à ce que leurs artistes soient accessibles à la plus large portion du public. Il n'en fut rien. L'on n'apprend pas à un voleur à se faire prendre. Les majors ont du flair, ces quatre zozos ont bien d'autres idées derrière la tête, vont vouloir tout diriger, le contrôle total sur leur production. Le Thoury n'est pas un touriste qui se laissera manoeuvrer facilement. Elles se méfient.

 

Mais Jean-William s'entête, il veut une major. Ou rien d'autre. Pas de minuscule label qui n'offrirait pas un studio digne de ce nom, même pas Skydog de Zermati, le label rock par excellence, car trop connoté pour un public de spécialistes et aux garanties de distribution improbables... Veut être présent sur l'ensemble du territoire. Les musicos le méritent.

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Et c'est vrai que le bouche à oreille fonctionne. Bijou n'a pas enregistré un seul disque que déjà son nom circule dans toute la province – j'en peux témoigner pour la ville rose de Toulouse – sur la foi de rares témoins qui ont eu la chance d'assister aux premiers concerts. C'est que les amateurs de rock bouillonnent. L'on sent que quelque chose est en train de monter, que les New York Dolls et Dr Feelgood ne sont que des signes avant-coureurs. Londres est en pleine effervescence. C'est pourtant en France que l'étincelle rock va mettre le feu à toute la plaine punk. A Mont-de-Marsan au beau mois d'août 1976... Bijou tirera les marrons de l'incendie, une prestation remarquable, répétée l'année suivante, qui mettra le feu aux poudres.

 

BIJOU PUNK

 

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Les évènements se précipitent si rapidement, ils sont si difficiles à cerner que durant plusieurs mois on mêlera Bijou à la nomenclatura punk. Tant que les Pistols n'auront pas défini à leur avantage les canons du punk, tout ce qui apparaît un peu trop rentre-dedans sera catalogué comme pure punk. Mais Bijou reste avant tout un groupe de rock. N'ont pas la banane, mais ils soignent leur mise – il n'existe pas de photo d'Eddie Cochran en tenue négligée ont-ils l'habitude de dire – rock, mais trop mods pour être rockers, le look mais pas les loques, les épingles à nourrice et le débraillé punk, ils rejettent en bloc...

 

Musicalement c'est un mix entre les Chaussettes Noires et les Flamin' Groovies – Bijou a fini par trouver un groupe à son image, les Flamin' qui envoient la purée tout en restant classe, le grand style, la fureur et l'élégance. Destroy mais en costume trois pièces. Sont trois mais Bijou repose sur Vincent Palmer. Le guitariste, la guitare, le son. La discographie de Bijou est parsemée d'instrumentaux. Bijou n'a jamais renié ses origines. L'ombre des Shadows les poursuit. La revendiquent, mais la guitare claire de Marvin est un peu customisée, parfois elle gronde comme celle de Keith Richards sur Have You Seen Your Mother Baky Standing In The Shadows, mais Palmer ne se laisse jamais déborder par l'amplification du son, joue serré, très serré, cherche avant tout la maîtrise, change de plan comme de lunettes noires. Aujourd'hui Bijou tourne encore, sous le nom de Bijou SVP, acronyme de Sans Vincent Palmer, mais c'est comme une bouteille de whisky sans whisky...

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Sur scène Palmer n'est guère statique, avec Philppe Dauga à la basse ils ont un jeu d'avancées et de reculades qui n'est pas s'en rappeler celui du premier Feelgood avec Wilko Johnson. Nerveux, incisif et jamais en difficulté, rapide et jamais en défaut, Palmer est un plaisir à voir ( vidéo sur You Tube ) et à écouter. Inventif mais sans une note de trop, vise à l'efficacité, jeu sans esbroufe, mais percutant.

 

BIJOU DISCOG

 

Parviendront enfin à décrocher une signature chez Phonogram, via Philips. Auront ce qu'ils auront voulu. C'est à dire qu'ils se font avoir. On leur concèdera leur liberté de création puisqu'ils y tiennent. Mais la liberté a un prix pour lequel Philips refusera de s'engager. On distribuera les trente-trois dans les bacs à disquaires mais pour la promotion radio et le battage médiatique, inutile de repasser. Le retour sur investissement sera très bon pour Philips puisqu'ils n'investissent rien, pour Bijou, ce sera la grosse déception.

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Pathe-Marconi ne lésinera pas sur les moyens pour imposer Téléphone, le concurrent direct de Bijou. Pas musicalement, car Téléphone est beaucoup plus Stone que Bijou, qui sonne beaucoup plus pub-rock. Mais un pub-rock qui aurait gommé ses racines noires. Bijou ne sera jamais un groupe grand public, sera le combo pour aficionados. Au bout de quatre trente-trois tours, l'unité idéologique de Bijou se lézardera. Dauga pensant qu'il serait plus rentable de céder les titres à un éditeur qui aurait intérêt à les commercialiser à outrance. L'expérience ne lui donnera pas raison.

 

Les titres des cinq premiers albums de Bijou suffisent à cerner l'univers du groupe : Danse Avec Moi, OK Carole, Pas Dormir, En Public, Jamais Domptés, plaisir des filles, la scène comme champ de bataille, orgueil rock attitude, un programme qui ne tranche en rien avec les paroles des grands rockers nationaux : Hallyday, Rivers, Ronnie Bird, Noël Deschamps... Jean-Williams Thoury s'inscrit dans une tradition populaire qu'il continue. Il est dommage que ses textes n'aient pu bénéficier d'un chanteur qui les aurait davantage théâtralisés par le seul grain de sa voix. Le LP Pas Dormir enregistré sous la houlette des frères Mael du groupe Spark qui ont malheureusement gommé les aspects les plus durs des morceaux est le seul qui rende quelque peu justice aux voix de Dauga et Palmer mises en avant puisque les parties instrumentales ont été édulcorées.

 

N'ai jamais été grand fan de Gainsbourg. Pas assez rock à mon goût. Trop chanson française. Gainsbourg aura vampirisé Bijou. La collaboration des deux artistes aura plutôt brouillé l'image du groupe patiemment mise au point par Jean-Williams Thoury. Cet épisode aura précipité la perversion des goûts d'un public qui au début des années quatre-vingt commence à abandonner le gros rock qui tâche pour de doucereuses sucrettes : reggae, world music...

 

THE END

 

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C'est le reflux. Le rock recule, les salles ferment... Bijou ne survivra pas à la crise : le groupe s'effiloche, pire Bijou n'est plus à la pointe du rock français, le renouveau rockabilly qui s'installe doucement mais sûrement capte à lui toute une partie du public rock qui était la base des fans de Bijou. Qui suit le mouvement : le groupe enregistre Bijou Bop, ce n'est pas un retour aux sources, plutôt le serpent qui se mord la queue... La boucle se referme. Bijou explose. Tout le reste de l'histoire ne sont que les débris que la comète entraîne dans sa révolution.

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Bijou a disparu des consciences. Jean-François Jack ressuscite la légende. Un travail de titan qui fourmille d'anecdotes et de détails, mais surtout une admirable reconstitution d'une époque révolue. Un superbe cadeau pour les générations futures qui voudront se pencher sur la naissance du phénomène rock en France, avec en prime la relation du parcours exemplaire d'un groupe appelé à devenir encore plus culte grâce à ce livre.

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Quarante ans se sont écoulés depuis la naissance de Bijou, Nous croisons de temps en temps Jean-Williams Thoury dans les concerts rockabilly. Toujours aussi attentif à cette musique qu'il aime et qui a orienté sa vie. Nous avons déjà présenté dans KR'TNT deux de ses ouvrages, l'irremplaçable somme sur Gene Vincent Dieu du rock'n'roll paru au Camion Blanc ( voir livraison N° 18 du 27 / 09 / 10 )et son dictionnaires des films de moto, Bikers ( N° 165 du 28 / 11 / 13 ). Vincent Palmer a renoncé à s'auto-parodier, Bijou a vraisemblablement été une expérience trop forte et trop intime, pour qu'il ait envie de continuer... La courte notule biographiquee sur Jean-François Jacq, due à la plume de Christian Eudeline, sur la quatrième de couverture, nous incite à nous procurer ses autres livres.

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Damie Chad.

 

 

10/07/2013

KR'TNT ! ¤ 152. BLACK LIPS / GHOST HIGHWAY / HOOP'45 / COLLINS KIDS

 

KR'TNT ! ¤ 152

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

11 / 07 / 2013

 

 

BLACK LIPS / GHOST HIGHWAY / HOOP'S 45 / COLLINS KIDS

 

 

AVIS A LA POPULATION

Ce n'est pas que l'on s'ennuie avec vous mais nous partons en vacances. Le site restera muet jusqu'au jeudi 29 août 2026. Non, 2013 ! Comme l'on est gentil, on vous a glissé en tête de gondole le récapitulatif de nos cent-cinquante deux livraisons. La lecture en est facultative, mais ne venez pas vous plaindre si à la rentrée vous avez écouté de fort mauvais disques et assisté à de médiocres concerts. Et surtout n'oubliez pas : ROCK 'N' ROLL !

 

 

LE 106 / ROUEN / 27 - 06 – 2013 /

 

BLACK LIPS

 

 

L E S  B O N N E S  B L A G U E S  D E S  B L A C K  L I P S

 

 

 

Après douze ans de tournées dans le monde entier et six albums studio, les Black Lips se conduisent toujours comme des sales morpions. À la fin du set, Ian Saint Pé jette une boîte de bière (ouverte, bien entendu) en l’air et se sert de sa guitare comme d’une batte de baseball pour la frapper de plein fouet et l’envoyer dans la foule. Beng !

 

Le jeu favori de Cole Alexander, l’autre guitariste, est de cracher très haut en l’air et d’ouvrir le bec pour récupérer son glaviot. Quand il rate son coup, il le prend généralement dans l’œil. Ils auront tout essayé pour défrayer une chronique pourtant déjà bien fournie. Exemple : à l’époque de leurs débuts, Jared et Cole n’ont rien trouvé de mieux à faire pour se distinguer que de sortir leurs queues sur scène et d’y mettre le feu. Jared ajoute humblement qu’ils n’ont fait ça qu’une seule fois et qu’ils étaient très jeunes. C’est d’autant plus fort que des pyromanes notoires comme Jerry Lee ou Jimi Hendrix n’y ont jamais pensé.

 

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Avez-vous déjà essayé de jouer de la guitare avec la queue ? Eux, oui. Encore un exemple de leur génie inventif : lors d’une tournée aux Indes, ils se sont roulé des pelles sur scène, par pure provoc. Mais aux Indes, on ne rigole pas avec ça. C’est même considéré comme un grave délit. La police indienne se frottait les mains : elle les accusait d’avoir commis des actes homosexuels passibles de lourdes peines et se préparait à les coffrer. Quand on leur a expliqué à quoi ressemblaient les taules indiennes (violence, tuberculose et gros vers blancs servis aux repas), nos quatre Black Lips se sont enfuis avant l’aube de leur hôtel par l’escalier de service et ont quitté le pays clandestinement.

 

Les Black Lips jouaient la semaine dernière au 106, un complexe culturel aménagé dans un ancien bâtiment des docks de Rouen. Grassement financé par les instances locales, l’endroit semble presque trop luxueux pour accueillir des gens comme les Black Lips, Monsieur Quintron ou les Mad Sin. On sent comme un énorme décalage.

 

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Les Black Lips viennent d’Atlanta, en Georgie. Jared Swilley, chant et basse «violon» Hofner, fils d’un pasteur homosexuel qui adorait les Beatles, rappelle qu’Atlanta est un oasis perdu au milieu d’une mer de haine (a sea of hatred, pour reprendre son expression), c’est-à-dire le Sud profond. Jared change souvent de look. Il se coiffe aujourd’hui comme un greaser de Sha Na Na. Cole Alexander, chant et guitare, se roule beaucoup moins par terre qu’autrefois. Il semble se concentrer davantage sur les chansons. Il porte toujours des bonnets ou des casquettes improbables et des fringues de collégien paumé. Ian Saint Pé est le second guitariste, arrivé dans le groupe à l’époque du troisième album, «Let It Bloom». Il sourit en permanence et s’habille correctement. Et derrière, Joe Bradley bat le beurre et prend parfois le chant.

 

On prend depuis douze ans ce groupe très au sérieux. Ils sont les héritiers directs d’une grande tradition, celle du garage américain, dont on fouille encore aujourd’hui les archives. C’est l’un des phénomènes les plus importants de l’histoire culturelle américaine (au moins aussi importante, sinon plus, que la vague rockab des années 56-57) : dans tous les patelins d’Amérique, des mômes s’achetaient des guitares et montaient des groupes pour singer leurs idoles, les Beatles et les Rolling Stones. Et s’ils en avaient les moyens, ils enregistraient un quarante-cinq tours, souvent à tirage confidentiel, qu’ils distribuaient au collège local. Ce garage rudimentaire fait le bonheur des amateurs. Grâce à son fanzine Bomp!, Greg Shaw devint le porte-parole de cette génération spontanée. Dix ans après la vague rockab, on entrait dans un nouveau culte, celui des groupes sauvages éphémères. Spontanéité et manque de technique étaient les deux mamelles du phénomène (on retrouvera d’ailleurs ces deux mamelles dix ans plus tard à Londres, chez les premiers groupes punk). On parle ici de l’essence même du rock. Les fameux trois accords des Sonics et des Pretty Things. Puis des Stooges. On sentait clairement à l’époque que les guitaristes virtuoses qui s’illustraient dans ce qu’on appelle le rock progressif nous faisaient perdre notre temps.

 

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En gros, les Black Lips touillent le répertoire de la trasherie confondante. Ah ! parlez-leur de délinquance juvénile, de stoogeries laconiques, de lyrics plaintifs, d’éjaculations nubiles, de cicatrices à l’abdomen, parlez-leur de rébellion et de chaos, de pluie ardente et d’horizons embrasés, de cuirs râpés et de braguettes ouvertes, les Black Lips incarnent tout ça à la perfection. Ils ont même dépassé leurs modèles.

 

Dès leur premier album, «Black Lips», sorti en 2003 (mais enregistré entre 2000 et 2001), les Blacks Lips annonçaient la couleur : trash-garage à tous les étages. Comme par hasard, l’album sortait sur Bomp!, le label mythique jadis créé par Greg Shaw. Pour les amateurs de garage à deux sous, ce disque n’est rien d’autre qu’un paradis, notamment la face B. Deux morceaux sont réellement dignes des Stooges de la première époque, «FAD» et «Crazy Girl» : morgue au chant, power-chords incendiaires. Tout ce dont on rêvait, les Black Lips l’ont fait. Voilà deux stoogeries mirobolantes du même acabit que le «White Dress» de Nathaniel Meyer (morceau niché sur son dernier album, «Why Don’t You Give It To Me») ou le «Predate» de Kim Salmon & the Surrealists (niché sur leur dernier album, «Grand Unifying Theory»). Pas mal pour un premier album. Ils rejoignaient une sorte de peloton de tête underground, qui bien sûr ne va pas intéresser les foules. Mais bon, on se dit toujours dans ces cas là que ça a le mérite d’exister et qu’en plus, c’est vraiment bon.

 

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Ils savent aussi donner dans le primitif graisseux, avec un morceau comme «Can’t Bring Me Down». Vraiment idéal pour tous ceux et celles qui adorent le gras qui tache, celui qui traverse le papier du charcutier, pour tous ceux et celles qui partent en quête de primitivisme sur les routes de France. N’oublions jamais qu’avant le primitivisme, il n’y avait rien. Ou pas grand chose. Et que depuis, les choses ont évolué, mais pas toujours dans le bon sens. Les gens qui écoutent Howlin’ Wolf et ceux qui écoutent Madonna ne vivent pas dans le même monde.

 

On trouve aussi sur ce premier album des Black Lips une pure insanité intitulée «You’re Dumb». Ils traitent ça sur un mode heavy blues qui situe parfaitement leur degré de dédouanement intempestif.

 

En 2004 sortait leur second album sur Bomp!, «We Didn’t Know The Forest Spirit Made The Flowers Grow». Tout un programme. Inutile de s’interroger sur le sens de ce titre bucolique d’inspiration rousseauiste, c’est un coup à macérer dans l’expectative pour rien. On trouvera là encore une face B beaucoup plus détonante. Et on réalise soudain, à l’écoute de cette série de morceaux foutraques, que le secret du grand art des Black Lips, c’est le débraillé.

 

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Crypt leur rendait hommage avec l’une de ces belles formules dont ils ont le secret (et que tous les autres labels ont essayé de repomper) : «A fantastic set of brutal garage punk with attitude mixed with some fucked up trashy blues tunes». (un fantastique mélange de morceaux garage punk violent et de trashy blues déjanté).

 

Le second morceau, «Time Of The Scab», est un acide jeté aux yeux de la conscience du monde avec une sorte de sauvagerie contenue. Les enchaînements d’accords sont typiques des Kinks et des Troggs. À l’instar de milliers d’autres groupes à travers le monde, les Black Lips continuent de recycler effrontément ces vieilles mécaniques d’accords. On retrouve tout ce qu’on appréciait énormément chez les grands transfuges comme les Move période «I Can’t Hear the Grass Grow» ou le Syd Barrett de «See Emily Play».

 

Quand on entend «Juvenile» qui ouvre le bal de la face B, on dresse immédiatement l’oreille. C’est un morceau de garage complètement désossé, avec une guitare aigrelette en arrière plan, des boîtes à chaussure pour les percus et du larsen en pagaille. Cole hurle ses fins de couplets comme si on lui arrachait les couilles avec une paire de tenailles rouillées. Ils donnent là leur version du primitivisme. Ils se situent dans le même esprit que les Deviants, avec cette façon de descendre dans la rue, down the street, dju dju dju djuvenile ! et de hurler. Du haut de leur chaire, les agrégés de garagisme transcendantal du quatrième millénaire crieront au génie, avec un doigt pointé au ciel, lorsqu’ils évoqueront ce morceau des Black Lips. Et dans l’amphi, les milliers d’étudiants se lèveront comme un seul homme lorsque les enceintes cracheront l’illustration sonore de l’exposé.

 

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«Notown Blues» ? On se croirait chez les Stooges d’Atlanta. Ils creusent toujours plus la veine du trash-garage, ça hurle, baby comme ça hurle, pépite de juke sixties Question Mark garage punk outfit destroy oh boy argllllll. Et c’est comme ça jusqu’au bout de la face B. «Par les cornes du diable, c’est à se damner pour l’éternité !», comme dirait le capitaine Flint, émerveillé par le contenu du coffre qu’il vient d’entrouvrir.

 

Avec l’arrivée de Ian Saint Pé, le son des Black Lips semble s’étoffer. «Let It Bloom» sort sur In The Red, le grand label garage américain de Larry Hardy. Ce disque est une bénédiction, un don du ciel. Ils repassent le garage à la moulinette de Jean-Christophe Averty. Ils sont à la fois les Yardbirds, les Them et les Pretty Things. Ils ont retrouvé le chemin de la menace. Ils attaquent ce disque (ainsi que leur set sur scène) avec «Sea Of Blasphemy», une petite pépite de garage dévoyé sertie sur une gamme de basse dynamique. C’est chanté avec un maximum de mauvaises intentions. Voilà donc l’hymne des délinquants du monde entier et un classique vraiment digne des Them de la première époque. «Can’t Dance» est une horreur garage percutée de plein fouet par une guitare au son merveilleusement dégueulasse. C’est de la fuzz tire-bouchon, avec un son de klaxon. Berk.

 

Sur cet album se trouve un autre standard : «Not A Problem». Les Black Lips le reprennent systématiquement sur scène. Avec sa belle mélodie chant, ce morceau semble ouvrir de nouveaux horizons au groupe. Ils entrent dans la cour des grands et se montrent dignes des géants des sixties. En 1965, on les aurait vu grimper au sommet des charts, avec un tube pareil. Ils auraient délogé les Beatles et Sandie Shaw. En plus, c’est stompé à la bonne franquette et chanté avec la merveilleuse énergie du désespoir adolescent.

 

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«Everybody’s Doin’ It» est une pièce garage stupéfiante de véracité nucléaire. Ils montent ça sur des accords gras bien claqués. Une fois de plus, la face B réserve son lot de surprises. Dans «Take Me Home», ils balancent un killer solo schtroumphé jusqu’à l’os. «Take me Home (Back to Boone)» est un nouveau clin d’œil appuyé aux Yardbirds. Les chœurs sont du pur «For Your Love», et le solo une horreur dévastatrice que personne, même parmi les gens les plus doués, n’oserait rejouer. «She’s Gone» est une petite sauvagerie digne des Pretty Things, montée sur la ligne de basse la plus élastique qu’on ait entendue depuis celles de John Stax. On tombe ensuite sur «Fairy Stories», un morceau fabuleux d’inventivité, monté sur un petit canapé de gimmick en discordance maximale, une espèce de tournicolis de notes juteuses. Résultat élégantissime, digne des perles les plus obscures de la collection de singles psyché de Greg Shaw.

 

En 2007 sortait «200 Million Thousand», un quatrième album farci d’inventions dignes du concours Lépine garage. «Let It Grow» est l’un des classiques les plus mal foutus de l’histoire du rock. On en goûtera le ralenti mal dégrossi, les belles tempêtes de fuzz bien sales et le pur typique du typique sixties. Voilà l’exemple type du morceau trash qui ne se lave jamais. Le trash qui sent le bouc. Unique au monde. Ils réinventent aussi la pop à leur façon dans «Short Fuse», petite pièce de pop agitée et sacrément décousue. Chez eux, le son n’est jamais plein. Il y a des trous dedans, comme dans les chaussettes des bikers. Les voix s’accrochent dans les aléas et les instruments semblent voler au secours du garagiste en perdition. Plus spectaculaire encore : «Big Black Baby Jesus Of Today», crasseux à souhait, C’aomon !, avec du noir sous les ongles, une lourde présomption de délinquance, indécent et même obscène, un brouet qui tue les mouches. Avec King Khan & BBQ, les Black Lips sont les plus grands héritiers des sixties.

 

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L’album suivant s’appelle «Good Bad Not Evil». Une nouvelle série de perles guette le malheureux auditeur. Des trucs comme «I Saw A Ghost» ou «O Katrina» sont bourrés de génie foutraque et décousus de fil blanc. Toujours aussi fuzzy et bourré de mauvaises intentions. Ils font exactement ce qu’ils veulent. Si vous aimez l’obscénité décontractée, écoutez «Veni Vidi Vici». Si vous préférez le garage insalubre chanté à deux voix, alors écoutez «It Feels Alright», monté sur des accords fermes et définitifs. Les Black Lips finissent par pervertir la symbolique du genre, ce qui situe leur niveau.

 

En 2011 sort leur sixième album, «Arabia Mountain». Transformation radicale. Nos amis d’Atlanta proposent une série de chansons dignes de se retrouver dans tous les juke-boxes de la planète. Je n’exagère pas. Écoutez l’album et vous verrez. Quand on écoute «Family Tree» on se dit que ça sonne vraiment comme un classique, mais en 2013, les hits pop n’ont plus guère d’audience. Trop tard, les gars, il fallait naître quarante ans plus tôt. Comme beaucoup de groupes américains cultivés, les Black Lips finissent pas sonner comme des Anglais. Bel exemple avec «Spidey’s Curse» qu’on croirait sorti d’un album des Television Personalities ou «Bicentenial Man» qu’on jurerait avoir entendu sur un album des Monochrome Set. «Mad Dog» et «Go Out And Get It» sonnent aussi comme des hits des sixties, poppy et soignés, dignes des meilleurs sixties boomers de la grande époque. Avec «Raw Meat» ils réussissent l’exploit de sonner comme les Undertones. Pur jus. Avec la face B, les amateurs de son sixties vont grimper directement au paradis. «Bone Marrow» sonne comme un hit de Tommy James & the Shondells avec un petit côté Ramones. Effarant, et juté au thérémine. «Time» sonne comme un hit de Paul Revere & the Raiders, ils jettent toute leur énergie dans la balance et ils saturent le chant d’un solo continu. Avec le chant à l’unisson de «Dumpster Dive», ils tapent dans les Byrds. «New Direction» évoque les Buzzcocks. Un disque avec seize bons titres ? Mais oui ça existe et il s’appelle «Arabia Mountain».

 

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On était donc particulièrement ravis de les revoir sur scène au 106. Sept ans s’étaient écoulés depuis leur fabuleux concert au Gambetta, un petit rade de la rue de Bagnolet. Ian Saint Pé est toujours aussi beau, avec son regard d’arcades décalées de séducteur italien. Jared Swilley, porte toujours un pantalon tuyau de poêle, mais au 106, il ne semblait pas en état de présider aux destinées du groupe. Notons au passage que ce mec chante affreusement bien. Les Black Lips ont surchauffé immédiatement la salle avec «Sea Of Blasphemy». Un peu plus tard, le public s’est tapé un joli moment d’étrangeté avec cette pièce fascinante qu’est «Not A Problem».

 

Pas d’excès sur scène, cette fois-ci. Cole n’a craché en l’air qu’une seule fois. Les Black Lips mettent désormais le paquet sur les chansons du dernier album. Plus de la moitié des morceaux qu’ils jouent sortent de «Arabia Mountain».

 

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Ils bougent exactement comme les Beatles première époque, celle où ils jouaient chaque soir au Star Club de Hambourg. Ils ont exactement le même genre de tressautement soutenu, la même pulsion unitaire, les mêmes têtes dodelinantes et la même manie des rythmes infernaux. C’en est même troublant. Ils jouent d’ailleurs un pastiche de «I Wanna Hold Your Hand» qui s’intitule «Dirty Hands». Baby, veux-tu me tenir la main ? Mais la main des Black Lips est singulièrement cra-cra, bien sûr. La fille devra avoir le cœur bien accroché. Ils ont aussi des morceaux baroques et même un peu pénibles, comme ce «Hippie, Hippie, Hoorah» qui n’a ni queue ni tête et qu’ils jouent en rappel, histoire de bien nous agacer. On dirait une reprise de Frank Zappa, mais c’est en réalité une reprise de Jacques Dutronc qu’ils s’amusent à immoler, puisqu’ils la chantent dans un français incompréhensible. Mais dès qu’ils reviennent à l’hypertension, ils sont irréversibles.

 

Les Black Lips portent un lourd fardeau : rien de moins que l’avenir du rock. Ils nous remontent bien le moral en attendant, car ils offrent tout ce qu’un amateur peut attendre d’un groupe garage : des chansons inspirées et explosives. Sans ces groupes comme les Black Lips ou King Khan & BBQ, la vie deviendrait compliquée. À quoi servirait d’aller chaque matin se jeter dans la gueule du gros méchant loup ?

 

 

 

 

Signé : Cazengler, amateur de lippes en tous genres

 

 

Black Lips. Le 106. Rouen. 25 juin 2013

 

Black Lips. Black Lips. Bomp Records. 2003

 

Black Lips. We Did Not Know the Forest Spirit Made the Flowers Grow. Bomp Records. 2004

 

Black Lips. Let it Bloom. In the Red Records. 2005

 

Black Lips. Good Bad Not Evil. Vice Records. 2007

 

Black Lips. 200 Million Thousand. Vice Records. 2009

 

Black Lips. Arabia Mountain. Vice Records. 2011

 

L’illustration : de gauche à droite : Ian Saint Pé, Cole Alexander, Jared Swilley et Joe Bradley.

 

( Je rajoute que toutes ces illustrations inédites et inégalables dont nous vous régalons depuis plusieurs semaines sont de la plume colorée de notre Cat Zengler préféré. D. Chad )

 



 

HD DINER OPERA / PARIS / 04 - 07 - 2013 /

 

GHOST HIGHWAY

 

Pour Earl,

 

L('AUTOROUT)E FANTÔME DE L'OPERA

 

 

L'argument culturel imparable. Le chef n'avait pu que s'incliner lorsque Mister B avait demandé sa demi-journée pour «  un concert à l'Opéra ». L'avait pas précisé que c'était pour l'HD Diner Opéra. Bref l'on était prêt pour une petite soirée parisienne un peu hot lorsque nous dûmes déchanter. Un quarteron de péronnelles caquetantes vint s'abattre au dernier moment sur la banquette arrière de la teuf-teuf mobile. Bye bye notre indépendance ! Et tout cela, ironie d'un sort injuste, un quatre juillet, the american victory D-Day par excellence, que nous allions fêter dans un des cinq fast-foods pro-fifty vintage HD Diner de la capitale.

 

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Soyons francs, nous ne sommes pas spécialement américanophiles, mais nous sommes loin d'être les seuls. Suffit de mettre un pied dans HD Diner pour sentir que le concept de base de cette chaîne ( alimentaire ) réside surtout dans l'exploitation d'une mode qui durera quelques saisons, le temps de surfer sur la vague et d'amasser un maximum de fric... ensuite l'on embarquera la clientèle dans la prochaine nostalgie qui se profilera dans le futur... Toujours est-il que pour l'instant le rockabilly profite et participe de ce courant suscité par l'hégémonie culturelle et économique des USA en notre occident européen. Multiples sont les contradictions qui nous sous-tendent.

 

 

On ne peut pas dire qu'à l'intérieur ce soit comme les vastes prairies désertées de l'Ouest sans fin. On s'y sent vite à l'étroit. Tables, chaises et banquettes sont rapprochées à l'extrême, les clients sont serrés les uns sur les autres, et les serveurs doivent se frayer leur chemin entre la clientèle et les amateurs de musique qui se lèvent pour voir le groupe... Couleurs dominantes le vert pâle et la rose crue. Affiches pepsi-cola et réclames de produits dérivés du baseball sur les murs, steack hachés grillés et grosses frites dans les assiettes. Plus tard à la mid-sixties Andy Warhol transformera le mauvais goût des amerloques en esthétique dominante... Edgar Poe avait raison, rien ne vaut le grotesque néronien.

 

 

Les Ghost sont là, plus les intimes, plus les fans, plus les clients attablés qui sont venus... pour manger, ou discuter le coup entre pots et copains devant un plat garni. Beaucoup de monde, la queue déborde de temps en temps sur le trottoir, mais l'attente n'est pas exagérément longue.

 

 

PREMIER SET

 

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Doit être neuf heures lorsque les Ghost se dirigent vers les instruments. Espace restreint, plus grand qu'un timbre-poste, plus petit qu'un six mètres carrés de chambre de bonne sous les combles loués à huit cent euros par mois. D'emblée l'on accorde une baguette d'or à Phil qui parvient à rassembler sa musculature dans l'encoignure du fond. Ca tient de l'homme caoutchouc qui dans les cirques d'antan se glissait dans les tuyaux du poêle. Me demande encore comment il a pu bouger ses jointures. Zio peut remercier sa contrebasse, grâce à elle il s'octroie une double place, l'est le seul à pouvoir respirer à son aise. Entre Zio le veinard et Jull collé contre le mur Arno essaie de se faire aussi maigre que le pied de son micro. Faut convenir que même si ça dépasse un peu sur les côtés, il y parvient assez bien.

 

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Le son, disons qu'il aurait pu être pire. Même si Jull sur sa console est parvenu à des miracles d'équilibre entre les instrus, cela dépend du lieu où vous êtes, étrangement presque bon tout au fond de la salle. Malheureusement le meilleur endroit pour ne rien voir du tout. Difficile de prendre ses marques en de telles conditions, mais dès le Folsom Prison Blues le groupe trouve son allant et sa cohésion et commence à balancer aussi salement que s'il était dans un bouge de la Nouvelle Orléans.. Suffit de regarder les tablées, les conversations ralentissent, les fourchettes restent en suspend et l'on se détourne de la contemplation de la frite reine pour jeter un coup d'oeil interrogatif sur ces mecs qui émettent du bruit pas tout à fait inintéressant.

 

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Au fur et à mesure que le set se déroule, la clientèle se renouvelle, les dîneurs du début de la soirée n'étaient manifestement là qu'en transit. Partent vers de nouvelles aventures dans lesquelles nous ne les suivrons pas. Une deuxième génération s'installe peu à peu, elle ne bénéficiera que de la dernière partie de la set-list, assez toutefois pour la savourer. Et comme les Ghosts eux-mêmes termineront leur première heure pour passer à table, lorsque commencera la deuxième partie, l'on assistera à un curieux phénomène, les gens pour la plupart échoués là un peu par hasard, ne quittent plus leur siège et restent à leur place pour assister à la suite du show.

 

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C'est que lorsque Country Heroes, Cause I forgot, Please don't leave me, et Gone Ridin' vous ont traversé le cerveau, tout individu normalement constitué ne saurait résister à continuer la chevauchée avec ce combo qui balance la syncope avec un tel entrain.

 

 

 

DEUXIEME SET

 

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Une main anonyme dont nous tairons le nom a négligemment poussé le volume. Tout change d'intensité. Un peu comme quand vous agitez une lampe torche dans la nuit et que vous apercevez que tous les monstres de la jungle n'attendent plus que vous pour commencer le festin. Oui, Monsieur le commissaire, nous avons été victimes d'une rock'n'roll agression. S'étaient très bien conduits dans la première partie, des garçons un peu agités certes, mais rien à voir avec les sauvages énergumènes en lesquels ils se sont transformés. Sans préavis.

 

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Une pure merveille. Un moment de grâce. L'on a brusquement l'impression que les Ghost ne jouent plus que pour eux. Jull leur prépare un riff ourlé de bronze qu'il sculpte en pickin' et décline à la perfection avant de s'effacer et de laisser à ses acolytes le temps d'y imprimer leur marque. Arno, alors que ses mains déchiquètent la rythmique, fait gronder sa voix et puis à son tour se retire comme la vague de la mer qui se détourne pour revenir encore plus forte et plus violente. Ce dont Phil, que je n'ai jamais entendu frapper avec autant de hargne, se charge alors que la basse de Zio vibre comme un vol de libellules sur le tombeau des Alyscamps. Merci cher Rainer Maria Rilke pour cette poétique comparaison.

 

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Je sens que je cours au lynchage, mais les Ghosts prennent un tel plaisir à toutes leurs parties instrumentales qu'ils ressemblent à un orchestre de jazz. Excusez-moi pour ce gros mot aussi inattendu qu'une bouse de vache sur le tapis rouge de l'Olympe, mais il y a un tel ensemble, une telle volupté à partager ces moments de braise et de volupté, que l'on s'écarte du simple beat rokabillyesque pour entrer dans une harmonisation souveraine mais ultra-violente.

 

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Stupéfaction générale, serveurs et serveuses se sont regroupés autour de la caisse enregistreuse et restent-là les bras ballants le plateau en bout de main, abasourdis et ravis. Non seulement le responsable ne les houspille pas, mais se contente de répéter qu'il n'a jamais vu ça. Deux jeunes filles me demandent de quelle région d'Angleterre ils viennent, quand je leur réponds que ce sont des français de Paris, je sens bien à leur air étonné et leur mine sceptique qu'elles me prennent pour un gros mytho grave qui tient à faire son malin et se retirent offusquées...

 

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Les Ghosts sont loin de cela, se tirent la bourre sur les deux derniers morceaux du rappel. Impossible de les terminer. Dès que l'un fait discrètement signe de stopper, ou Phil écrase un break de quinze tonnes qui rouvre les débats, ou Zio plaque des accords de béton armés qui demandent à être badigeonnés de chaux vive, ou Arno sert un killer solo d'harmonica à vous arracher les dents, ou Jull vous invente une monstruosité gretschique inconnue aussi méchante que des balles traçantes, et comme aucun ne veut lâcher le morceau, nous avons droit à un finale de vingt minutes éblouissantes de virtuosité. Pas prêts de retourner au pays où Johnny Law fait sa loi.

 

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Y a longtemps que les clients ne consomment plus. La plupart viennent de découvrir en un même soir et le rockabilly et les Ghost Highway. Ils hurlent et applaudissent à tout rompre. Les Ghost Highway ont encore une fois frappé un grand coup. Mais comment font-ils ? Elémentaire mon cher lecteur Watson, they got it !

 

 

BACK ON THE ROAD

 

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Dans la voiture l'on n'entends plus qu'elles, entre une qui a flashé sur Zio et qui nous cause de sa classe innée de véritable rocker et l'autre qui raconte que c'est la plus belle soirée de sa vie, l'on se regarde avec Mister B sans rien dire. Sans doute aurions-nous dû les abandonner attachées à une pompe de station service sur le bord de l'autoroute... N'est-ce pas l'été, la saison propice aux migrations ? D'ailleurs les Ghost Hihghway s'en retournent en Angleterre d'ici peu. Si même les anglais exigent de les revoir...

 

 

Damie Chad.

 

( photos de Edonald Duck prises sur le face book de Ghost Higway Paris )

 

 

PANNES / 6 – 07 – 2013 /

 

 

HOOPS 45

 

 

 

nous sommes les seuls emprunteurs de cette asphalte désertée. Serais-je le Survivant après l'explosion atomique ? Comment parviendrais-je à perpétuer l'espèce humaine ? Je me bâtis tout un roman dans ma tête. Hélas lorsque je commence à entamer le deuxième chapitre, je comprends que je suis prisonnier du thriller le plus angoissant qui ait jamais été écrit au monde.

 

 

Je cherche Pannes, et Pannes a disparu de la surface de la terre. Encore un coup des extraterrestres, qui tentent une expérience sur les limites du psychisme des terriens. Personne, tous les habitants sont calfeutrés chez eux, derrière leurs volets fermés. La paranoïa s'insinue dans les pores de mon cerveau. Je sens que je vais basculer dans la folie noire lorsque devant mes yeux hallucinés une pancarte m'indique de prendre à gauche pour me rendre à Pannes.

 

 

Suis pas né de la dernière pluie, je ne tombe pas dans le panneau, je bifurque à droite et fonce sur un chemin vicinal qui s'enfonce dans le vide du paysage. Je me fie à mon GPS instinctif, j'ai raison. Un clocher solitaire pointe son nez vers le ciel, il est écrit sur Rockyrocka que le concert aura lieu à vingt heures sur la Place de l'Eglise, je suis sûr que je tiens le bon bout ( comme disent les copines ).

 

 

Il est huit heures moins vingt, la teuf-teuf mobile se range à côté de consoeurs locales sur un parking que je suppute municipal. Les épis sont tirés au cordeau. N'y a qu'un truc que je ne comprends pas, doivent avoir un sacré problème avec l'implantation des panonceaux dans le pays puisque un magnifique interdit de stationner d'un mètre vingt de diamètre domine l'aire de stationnement.

 

 

Je ne suis pas au bout de mes frayeurs. J'ai erré dans le labyrinthe mais je ne savais pas que le minotaure m'attendait. Au début, je ne me suis pas méfié, un incertain et vague relent de musique flottait dans l'air, j'ai donc suivi la trace auditive. Les Hoop's doivent faire la balance me disais-je, et à la qualité sonore de la bouillie saumâtre que j'ouïs, z'ont pas encore trouvé la solution idéale.

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Mais l'évidence s'impose. Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, mais non de Zeus cette zique qui s'affirme dans mon esgourde n'est pas constituée par les farouches intonations du rockabilly ! Voyons, ce serait plutôt, mais non, mais oui, je sens que je vais faire comme E.T., moi vouloir rentrer maison. Ce n'est pas un disque, c'est bien un chanteur qui chante ( jusque là, tout est normal ) du... Michel Delpech. Un pot-(vraiment)pourri de tous ses hits.

 

 

J'imagine la dernière des abominations, les Hoop's décommandés et remplacés au dernier moment... Non ! Pas ça ! Je suis maudit ! Mon mauvais karma me poursuit, mais avant de m'enfuir je boirai la coupe jusqu'à la lie, et je débouche enfin sur la grand-place. Tout au fond une scène surélevée, y a bien quelqu'un qui tient un micro, mais derrière lui s'étend une immense banderole noire plastifiée avec inscrit en grosses lettres blanches HOOP'S 45 ! Je suis sauvé.

 

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Sept heures quarante sept, je me mets à l'ombre à la terrasse d'un café, l'on me sert un des meilleurs petits noirs que j'ai jamais bu dans ma longue vie. J'inspecte les alentours. Quatre gamins qui trampolinent à dix centimètres de hauteur sur une structure gonflable en forme de château-fort, un grand auvent avec quatre cuistots amateurs qui s'affairent autour d'une friteuse, six personnes sagement assises sur une ribambelle de bancs, un vaste plancher pour les danseurs aussi vide que le portefeuille d'un SDF, et l'émule de Michel Delpech qui me propose de flirter avec lui. Non merci.

 

 

 

Sept heures cinquante sept, un organisateur monte sur scène et nous prévient qu'après un dernier succès de Delpêche-toi Michel d'en finir, ce sera le tour des Hoop's. Huit heures une minutes, six secondes, les Hoop's empoignent leurs instruments. Une orga de pros.

 

 

PREMIER SET

 

 

Plateau de dix mètres de long. Une sono monumentale. Elle appartient au groupe. La place et le matos pour s'exprimer. Ne s'en priveront pas. Sont ici comme chez eux, décontractés, confiants, connus et respectés. Ne cherchent pas la facilité. L'immense majorité de la population n'est pas spécialement rock. Fredonnerait plus facilement un tube de C. Jérôme que des Stray Cats, mais les Hoop's ne baissent pas la garde, et ne se départiront pas une seconde de leur parti pris rock'n'roll.

 

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Kevin derrière la batterie, baguettes à la main et chapeau tyrolien pied de poule sur la tête. Steph au micro, bras nus, la hargne aux lèvres, Jean Eric impatient d'en découdre avec sa Gretsch, Richard à la basse, l'oeil partout à la fois. Commencent par un petit bouquet de classiques du rock'n'roll histoire de se mettre en forme et de porter la combustion énergétique à un tel niveau qu'il sera impossible qu'elle redescende plus bas.

 

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Ne sont pas des stakhanovistes de la reproduction à l'identique. Reprennent par exemple beaucoup de Presley mais depuis l'ouverture des studios Sun, de l'eau a coulé sous les ponts et le fleuve rockabilly a été alimenté par de multiples nouveaux affluents. Possèdent un son que l'on qualifiera de moderne, même si ce mot ne signifie pas grand chose en lui-même. Même Homère était un auteur moderne huit siècles avant notre ère, malheureusement chrétienne. Inutile de remonter si loin, les Hoop's ont écouté les miaulements des Chats Errants et ont trouvé leurs miaulements discordants si mélodiques qu'ils ont continué sur cette lancée.

 

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Mais avec un guitariste aussi inventif que Jean Eric ils ont vite créé leur propre mixture bien à eux. Rappelez-vous comment j'avais insisté sur le côté organique de leur premier CD, un album qui respectait la sainte règle des trois unités que beaucoup n'atteignent pas dans le rockabilly, un groupe, un son, une originalité. Et en cette fin de soirée illuminée par un chaud soleil Jean Eric s'en donne à coeur joie. Concentré et survolté, connaît son morceau sur le bout des doigts mais a toujours le zieutar aux aguets, cherche sans arrêt un autre chemin, un autre je ne sais quoi qu'il pourrait inventer sur le moment. Et quand il a trouvé – et il trouve souvent - il saute de joie, pousse des hurlements à se casser les cordes vocales et s'en va gambader une simili marche de canard chuckberrienne qui met le public en joie. Car si nous partîmes à sept par un prompt renfort nous finîmes autour d'une centaine.

 

 

Sur son acoustique Steph est loin d'être atone. En grande forme. Crache les vocals d'une voix rauque terriblement sensuelle, joue sur les intonations, tessiture canaille et amplitude rock'n'rollienne. Le jeu d'Elvis et l'énergie jappéé d'Eddie Cochran. A écouté les maîtres, et se permettra quelques interprétations de Little Richard, superbement envoyée. Ne se risque pas dans un phrasé typiquement noir – cette manière d'allonger les fins de mots tout en donnant l'impression de les écourter - mais donne des versions gominées gorgées de soul. Invective avec humour. Mène le show avec maîtrise.

 

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Kevin, imperturbable. Ne se limite pas à la caisse claire. Assombrit les morceaux de lourdes touches cognantes et explosives sur les autres toms. Trois uppercuts rapides, semble en avoir terminé, lève la tête et la baguette, regarde Jean Eric, le tout sans se presser et à la seconde exacte où vous pensez qu'il va attaquer la séance suivante, klong !!!! il vous termine celle en cours par un coup de gong à rendre fou un collège de moines tibétains. Un peu surpris vous cherchez à en savoir plus, mais sous son chapeau à damier il arbore le sourire candide du gamin qui vient de glisser un gros pétard du 14 juillet dans la boîte à lettres du curé. Klong !!!! Il vient de vous avoir pour la cinquante-sixième fois et vous ne pouvez pas lui en vouloir.

 

 

Richard est heureux. On le sent bien. Un peu enivré par le son de sa propre basse. Ca roule pour lui, entre les roulements de Kevin, la rythmique folle de Steph et la Gretsch inventive de Jean Eric, il faufile des lignes de basse comme de missiles à têtes chercheuses. Se démultiplient à l'infini en évitant tous les obstacles. N'étouffent pas les copains mais zèbrent l'espace sonore comme des mambas gorgés de venin. Apporte un son fruité, un terreau fertile qui garantit la mise en valeur et la croissance exponentielle des apports de ses trois acolytes.

 

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Le set défile vitesse grand V. Ca marche comme des roulettes. Un plaisir d'écoute maximum, mais un mosieur loyal de l'orga les interompt pour leur signifier qu'à la clepsydre du temps il ne leur reste plus que trois minutes pour un dernier morceau. Se débrouilleront pour en envoyer trois, qui nous laissent un furieux goût de revenez-y dans tout le corps.

 

 

INTERMEDE

 

 

Rien ne nous sera épargné. Les Hoop's n'ont pas repris pied sur terre que déjà le maître-chanteur de tout à l'heure enjambe les escaliers pour reprendre le micro. Ce n'est plus le même homme. L'a mis une perruque blonde sur ses tempes argentées. Je feins de croire qu'il va nous réciter un passage de Tête d'Or de Paul Claudel. Mais non, ce sera C Jérôme. Les Hoop's sont derrière moi dans la queue de la baraque à frites ( cinq euros une pleine assiette + saucisses délicieuses ), Steph doit convenir que leur récital n'est pas à la hauteur de celui que l'on nous inflige. Leur manque une sérieuse touche de romantisme dans les paroles.

 

 

Les pires tourments ont une fin, les Hoop's n'ont pas englouti leur assiettée que déjà on les redemande sur scène. Jean-Eric se lance tout seul comme un grand dans un petit solo de guitare pour faire patienter la foule. L'on en apprend de belles, après le concert défilé de la batucada + feu d'artifice + bal populaire + embrasement de l'Eglise. Enfin le staff Houp's est au grand complet. Se jettent illico dans le deuxième set.

 

 

DEUXIEME SET

 

 

Je sais que je ne devrais pas. Que je vais vous faire mal. Que vous allez maudire votre manque de flair. Oui il fallait être à Pannes, et vous n'y étiez pas. Bande de misérables. Vous auriez dû organiser des charters et vous êtes restés chez vous à vous ennuyer ! En tout cas à Pannes, ils ont compris, dans cette paisible bourgade du Loi et Cher toute la population s'est déplacée en masse pour la deuxième session des Hoop's. Les femmes avec leur landau, les hommes, les vieux grands-pères dans leur chaise roulante, les mémés aux cheveux blancs, six cents personnes massées sur la place en ont pris plein les oreilles pour pas un sou.

 

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Je n'ai pas oublié les enfants. Se sont précipités sur le plancher destiné aux danseurs et l'ont squatté d'un bout à l'autre su set. Fallait voir ces têtes blondes, ces bambins de deux ans, ces souples et mignonnettes fillettes aux habits colorés mener leur infernale sarabande. Z'ont jerké sans s'arrêter un tiers de seconde comme à la Locomotive en 1965. Ne les grondez pas. C'est la faute aux Hoop's. Et aux parents irresponsables. Ne sais pas ce que les cuistots peut-être inexpérimentés avaient employé comme sel des frites mais z'avaient dû confondre avec la cocaïne.

 

 

Chaud devant. Chaud derrière. Un public subitement devenu fin connaisseur et les Hoop's totalement déchaînés. Tous les quatre ils ont dû péter une durite sans s'en apercevoir juste avant de monter sur scène. Car ce fut un merveilleux concert. De l'énergie pure, une émanation festive et païenne, un ruissellement de plaisir. Et la foule mouvante et chaleureuse ne s'y est pas trompée. A su rugir et hurler à chaque sur-renchérissement du groupe.

 

 

 

Ils n'ont pas joué. Ils ont performé. Nous ont jeté à la gueule des hits brûlants comme des bâtons sortis tout droit des fournaises de l'enfer. Ont pioché dans leur album et en ont extrait des bâtons de pure dynamite à la mèche courte. Pris d'une folie collective Steph et Jean Eric se sont lancés dans une danse du scalp sans retenue, guitares en face à face et galopades d' ours furieux le long de la scène. Kevin-klong enfonçait des tire-fonds galvanisés à la foudre à la chaîne et Richard, son sourire devenu démoniaque, de sa basse profonde s'est attaqué aux soubassements de notre cortex reptilien.

 

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Sur ce Jean Eric s'est mis à bondir en hauteur comme au bon vieux temps de Pete Townshend et des Who et un tsunami rock'n'roll s'abattit sur la paisible bourgade de Pannes. Par quel miracle des centaines d'honnêtes citoyens qui accomplissent leur devoir conjugal et électoral aux heures prescrites se sont-ils transformés en zombies rock'n'roll issus des béances ultimes, je ne saurais vous l'expliquer. Faut bien en rejeter la faute entière sur les Hoop's qui nous ont subjugués. La recette est facile, les mêmes ingrédients qu'au premier set, mais une cuisson à la bonbonne de gaz chauffée au lance-flamme.

 

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Dernier accord de guitare. Tout est rentré dans l'ordre. Cette heure de folie collective est devenue comme le souvenir d'un instant de grâce inespérée dans la grisaille de nos existences quotidienne. C'est fou comme la réalisation de nos rêve les plus fous ne dure pas longtemps. Merci les Hoop's. Merci beauc hoop's.

 

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THE END

 

 

 

Discussion sympathique à la buvette ( merci Richard ), Les Hoop's ont commencé à ranger leur matériel et j'ai démarré la teuf-teuf mobile qui baratinait les copines en leur racontant toutes ses sorties rock'n'roll. Suis parti sous les explosions du feu d'artifice et la belle bleue qui illuminait le noir du ciel de l'été. Je n'aime guère les succédanés, pour moi la fête était terminée. Depuis déjà trop longtemps.

 

 

Mais combien y-a-t-il de villages en France qui s'offrent un véritable concert de rock'n'roll. A part Pannes, je suis en panne ( oui j'ai osé ) pour continuer la liste.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

Collins kids

 

LA RAIE DE LARRY

 

 

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Plusieurs fois, les sales morpions du quartier ont cassé la porte de ma teuf-teuf mobile. Une première fois pour récupérer un pack de bières oublié sur la banquette. Une autre fois pour s’amuser avec le volant. Et une troisième fois pour un motif qui m’échappe, puisque la voiture était aussi vide que le crâne d’une Antillaise obèse payée à coller des prunes sur les pare-brises. Mais c’est pas grave, ces sales morpions sont des adeptes de Pierre de Coubertin et chaque matin, ils se lèvent en clamant : «L’essentiel c’est de forcer les portes des voitures !» Personne n’ira les blâmer pour ça.

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Bien sûr, pas question de faire construire un mirador pour surveiller la rue. Encore moins question d’aller récupérer un Doberman à la SPA pour lui demander de veiller sur la partie mobile du patrimoine. Quand on aime bien le trash, on s’habitue vite à l’idée d’une portière tordue avec un barillet de serrure qui pendouille.

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Une nuit de pleine lune, alors que je n’arrivais pas à dormir, je suis remonté au salon pour siffler une bière et visionner l’un des DVD empilés près de la télé, ceux qui attendent qu’on veuille bien trouver un moment à leur consacrer. Comme la nuit risquait d’être longue, je sortis du tas les trois volumes des Collins Kids At Town Hall Party, édités par Bear Family, notre vraie famille.

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Avec les Collins Kids, il ne faut théoriquement pas s’attendre à de grosses surprises. Ils frôlaient parfois le spectacle de variétés à la mode américaine et leur véritable spécificité fut d’être des surdoués. Je mis le Volume 1 en route, en caressant le secret espoir de me rendormir. Après l’intro du gros présentateur, les deux Collins attaquèrent leur numéro de cirque. En voyant ce morpion sauter dans tous les coins, tout en grattant sur sa guitare, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ceux qui pliaient la porte de ma bagnole pour s’amuser. Les mêmes ! Celui-là était coiffé à la brosse, une grosse raie d’anthologie sur le côté, 8 ans et déjà complètement cinglé. Les parents devaient en baver. Ah les pauvres ! Le môme lançait ses pieds en avant, il sautillait comme ces haricots mexicains qui fascinaient tant les Surréalistes (un rien les fascinait). Il ne lui manquait plus que la queue du marsupilami. J’étais horrifié. Sa pauvre sœur, Lorrie Collins, devait en baver, elle aussi.

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Ils attaquèrent ensuite un morceau intitulé «Bird Dog». Ce sale morpion donnait la réplique à sa frangine et ne trouvait rien de mieux à faire que de lancer ses jambes en extension l’une après l’autre, tout en grattant ses accords. Si vous êtes guitariste, essayez. C’est un coup à se casser la gueule (si je dis ça, c’est parce que j’ai essayé, pour voir). En gros, c’est un Mozart américain dansant le Casatchok. Larry Collins est minuscule et il passe la moitié du set à rebondir comme une balle. Quand il donne la réplique, le dos collé à sa sœur, il bat tous les records de clownerie.

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Il pousse le bouchon très très loin. «Make Him Behave» est une chanson country assez insipide. Le public américain est particulièrement friand de ce type de country. Figurez-vous que ce sale morpion trouve le moyen de sauter, comme s’il jouait un hit rockab, alors que la chanson n’est qu’un tas de merde. Larry Collins est infernal. Il est beaucoup trop doué, et il en rajoute des caisses. Il prend un solo en picking tout en sautant à pieds joints à travers la scène. Même Chuck Berry ne se serait pas risqué à ça.

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Les trois volumes Bear Family sont en fait une compilation de tous les passages des Collins Kids dans cette émission de télé californienne. En général, ils montaient sur scène pour deux morceaux. Nous sommes toujours en 1958 et le gros présentateur demande à Larry Collins quel âge il a. Comme tous les petits voyous menottés aux radiateurs des commissariats, il répond «Fourteen !», alors qu’on voit bien qu’il en a 8 ou 9. Le frère et la sœur ont mis au point un numéro de cirque : «Blues Medley». C’est l’occasion pour Lorrie d’essayer de se faire passer pour Sarah Vaughan, et pour le morpion de montrer qu’il rivalise de feeling avec BB King. Ils mettent le turbo pour le refrain et ils enchaînent avec un numéro de claquettes. Une chose est sûre : Larry Collins a le diable au corps. Il aurait pu se retrouver dans un roman de Radiguet.

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Ce qui au début pouvait agacer finit petit à petit par épater. Ce sale morpion joue et danse le rock avec la même ferveur et le même talent que Little Richard ou Eddie Cochran. On lui pardonne ses manies de premier de la classe, son côté m’as-tu-vu, son ingénuité sucrée. Il déborde de fougue et d’entrain et on sent bien qu’il adore gratter comme un con et s’abandonner aux ravages de la teenage lobotomy et du blitzkrieg bop.

 

Du coup, on dresse l’oreille. Sur «High School», il fait péter ses trois accords. Lorrie donne dans le guttural. Larry en rajoute encore, il semble ne pas connaître ses limites, ce morpion est cinglé, il traverse la scène en sautant à pieds joints, un vrai marsupilami dégénéré. Lennon et McCartney ont dû voir ça, car à l’époque du Star Club de Hambourg, ils sautillaient sur place en grattant leurs guitares et en braillant dans leur micro. Les héritiers du mode sautillant sont les Black Lips : même énergie, les trois qui sont au devant de la scène sautillent sur place tout en jouant et en gueulant dans des micros. Je n’ai jamais vu ça ailleurs, dans un autre groupe. Car c’est très difficile, au niveau souffle. On perd vite son souffle quand on sautille et chanter dans un micro, c’est un énorme effort physique, surtout quand il faut se placer au-dessus du barouf des instruments. Larry Collins n’est jamais essoufflé. Il est même le premier à repartir, dès qu’il trouve un nouveau pas de danse.

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Quels veinards, les Américains. En 1958, ils allumaient la télé et ils tombaient sur Larry Collins, alors qu’en France, on devait se contenter des Trois Ménestrels, de Danyel Gérard et de Dario Moreno. Bons artistes, certes, mais moins catchy.

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C’est en octobre 1958 que Larry Collins se pointe sur scène avec sa guitare à double manche. Il se montre encore plus cinglé qu’avant. Il fait le duck-walk marche avant marche arrière. Chuck Berry a dû adorer ça. On passe ensuite aux choses sérieuses : les gamins reprennent «Great Balls Of Fire». Ils entrent sur le territoire de Jerry Lee. Rrrrrrrrrrrrr.... Ils s’en sortent miraculeusement, grâce au génie infantile de Larry qui s’égosille en voulant hurler le fameux Great balls of fire ! Et comme Jerry Lee, il décide d’enflammer les esprits, alors il prend un solo sur le manche du bas et saute dans tous les coins comme un névropathe. On ne s’en lasse pas. Il lève le bras en l’air comme Jimi Hendrix (qui n’était pas encore guitariste).

 

Leur version de «Blue Moon Over Kentucky» frôle le génie pur. Lorrie et Larry chantent ensemble et ils réussissent l’exploit de transformer ce vieux classique en machine infernale. Larry prend son solo sur le petit manche du haut. Voilà la version qu’il faut écouter. Le gamin n’en finit plus de sauter en l’air. Il parvient vraiment à crever l’écran. Ricky Nelson ne lui arrivera jamais à la cheville. Larry et Lorrie Collins constituent probablement le meilleur duo de l’histoire du rock. Ils sont assez complets. Ils savent imposer un style qui ne doit rien à personne. Le côté ingénu mêlé à la sauvagerie juvénile finit par accrocher. On se souvient que le rock est avant toute chose une pulsion adolescente. On a vu ces dernières années un certain nombre de duos faire la une des magazines. Quand on voit jouer Larry et Lorrie Collins, on se dit que les duos prétentieux comme les Kills (et avant eux les White Stripes, au temps de leur notoriété un peu surfaite) ont encore pas mal de chemin à faire et certainement des tas de choses à apprendre.

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Ce démon de Larry attaque «Chantilly Lace». Les revoilà sur le territoire de Jerry Lee et ils s’en tirent honorablement, grâce à cette ferveur qui frise la délinquance juvénile. Pour Larry, ce devait être un pur bonheur que de chanter un hit aussi monstrueux. Et tous les gosses qui le voyaient à la télé devaient rêver d’en faire autant. On imagine la cocotte-minute qu’est devenue l’Amérique en 1958. Des centaines de milliers de clones de Larry Collins s’exerçaient devant les miroirs des armoires à linge quand leurs parents étaient à l’extérieur. Ils travaillaient leur profil, secouaient leurs cheveux, forçaient leur voix et frôlaient le vertige en amenant le refrain. Ils y croyaient dur comme fer, se prenaient déjà pour des rockers, rêvaient de rouflaquettes et de ceinturons à grosses boucles. Pour la grande majorité d’entre eux, les rêves allaient finir collés sur le pare-brise de la vie, comme ces insectes qui l’été parsèment les pare-brise des voitures lancées sur les autoroutes.

 

Larry Collins fut un mini-héros, une version enfantine d’Elvis. Le petit conte de fée du rêve américain. Quand on le voit sauter et éructer «He’s A Bird», on ne peut pas s’empêcher de penser à Pete Townshend (qui n’était pas encore guitariste). On le voit jouer, les doigts en biseau et le nez en trompette. Lorsqu’il revient jouer une version de «Great Balls of Fire», il devient fou à lier. Il saute, danse, joue, crie et donne la réplique à s’en arracher les amygdales. Larry Collins fut beaucoup plus qu’un petit phénomène de foire. À sa façon, il montrait tout simplement comment se joue le rock’n’roll. Tout débutant devrait voir Larry Collins jouer au Town Hall Party en 1958.

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Un bon conseil, révisez vos classiques, et si vous n’êtes pas déjà passé par la case départ, commandez au moins l’un de ces trois coffrets chez Bear Family.

 

Avec le volume 2 , on passe en 1959. Larry semble de plus en plus énervé. On s’inquiète pour lui. Comment va-t-on pouvoir le calmer ? Impossible. Il va finir à l’asile. Ses parents vont devoir le faire piquer ou demander l’internement. Quelle catastrophe. Il est allé trop loin. Voilà où mène la permissivité du rock. Pauvre gamin.

 

Lorrie attaque «Shake A Hand» d’une voix gutturale, du coup son frère lance sa jambe en avant. On voit sa tête dodeliner au dessus du nœud papillon. Ce gamin swingue comme un malade. Il chante l’intro de «Stagger Lee» et il se lance ensuite dans un numéro spectaculaire de danse de Saint-Guy. Moi qui voulais dormir, c’est foutu. On assiste ensuite à un spectacle qui dépasse l’entendement. Larry et Lorrie Collins transforment «Shake Rattle And Roll» en véritable sabbat des enfers et Larry devient complètement fou, il saute en l’air et n’arrive même plus à jouer, tellement il est possédé. Ne manque que la bave blanche au coin de la bouche. Sur «Plain Jane», c’est encore pire. Il se remet à sauter et on voit ses jambes faire des X et des Y. Il est si petit qu’il semble court sur pattes avec sa grosse guitare à double manche. Il bat tous les records. Il défie toutes les lois de la physique. La grande boule de feu, c’est lui. On croit qu’il atteint ses limites avec ce qu’on a vu. Grave erreur ! Il attaque une version de «Stagger Lee» en patatant ses accords, puis il se lance dans un duck-walk survolté. Il électrise la reprise à outrance. On pourrait très bien qualifier Larry Collins de mini-Eddie Cochran punkoïde. On le fait ensuite monter seul sur scène, et il perd un peu de sa fougue. Il réussit toutefois à s’exciter tout seul. Il rit beaucoup, fait le pitre et montre qu’il maîtrise bien son instrument. Sur «Hot Rod», il singe Fats Domino et Eddie Cochran, avec le guttural en prime. Quand sa sœur revient pour «Kissin’ Time», on ressent un grand soulagement, car ils sont tous les deux magnifiques de dualité. Larry joue quelques morceaux avec Joe Maphis, vétéran du circuit country et virtuose de la six cordes. Coiffé de son grand Stetson blanc, le vieux Joe balance un solo de basse à faire frémir Jack Bruce.

 

Tout ça grâce au bénédictin Richard Weize et à son label Bear Family. Rien de ce qui sort sur ce label n’est anecdotique. Ces gens là s’adonnent à une sorte de religiosité atypique, ils bâtissent à grands coups de coffrets et de séries thématiques ce qu’on pourrait appeler une théologie de l’esprit rock, arrachant à l’oubli des œuvres souvent primitives et très anciennes. Bear Family est devenu la bibliothèque d’Alexandrie des temps modernes. Ils redonnent à cette culture tout son éclat. Voilà un puits de connaissance dans lequel il fait bon d’aller se jeter.

 

Signé : l’acrimonieux Cazengler

 

 

The Collins Kids. At Town Hall Party. Vol. 1, 2 et 3. Bear Family DVD.