23/05/2014
KR'TNT ! ¤ 190 : LISA AND THE LIPS / CHARLIE WEST / ORVILLE NASH / SUBWAY COWBOYS / OL' BRY / MARC SASTRE/
KR'TNT ! ¤ 190
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
23 / 05 / 2014
LISA AND THE LIPS + BELLRAYs / CHARLIE WEST / ORVILLE NASH / SUBWAY COWBOYS / OL' BRY / / MARC SASTRE / |
ERRATA Suite à ma chronique de la semaine dernière sur le concert des Ghost Highway, Zio me fait remarquer qu'il n'accompagne pas à la contrebasse Miss Regina Crown mais MISS VICTORIA CROWN. Donc acte, mes excuses à la jeune reine que j'espère avoir le plaisir de revoir en concert bientôt. ( DC) |
LE BATOLUNE / HONFLEUR ( 76 ) ) / 30 -04-14
LISA AND THE LIPS
Mona Lisa
Lisa Kekaula pourrait très bien prétendre à un trône africain. Elle a le port d’une reine et une voix d’airain. Elle pourrait très bien revêtir un boubou de soie tissée d’or et alourdir ses bras de bijoux antiques, mais non, elle se présente à nous coiffée d’un chignon dressé en gerbe et serrée dans un pantalon de cuir noir. Lisa Kekaula entre sur la scène du Batolune comme si elle entrait dans la salle du trône de l’empire Dogon du XVe siècle : elle se fait d’abord entendre puis elle se manifeste physiquement, imposant à tous et à toutes sa puissante prestance animale. Elle détient aujourd’hui le big soul power que détenait Aretha en 1968.
Autour d’elle se dressent les Lips, une formation composée de musiciens espagnols relativement jeunes et de Bob Vennum, son vieux compagnon d’aventure. Lisa et Bob ont semble-t-il jeté l’ancre en Espagne pour se réinventer. Ces activistes du blast soul-punk qu’on connaissait sous le nom des BellRays se sont transmutés en Lisa & The Lips, une fière équipe de funksters dévastateurs. La high-energy est toujours au rendrez-vous mais désormais, Mona Lisa shout-balamalatte la meilleure soul du monde.
Très grosse équipe, en vérité : trompette, sax, claviers, batterie, basse, deux guitares et Lisa embarque tout ça dans une bacchanale entêtante, cette espèce de pulsation hypnotique à laquelle les grands shouters noirs de r’n’b nous ont habitués. Écoutez n’importe quel album live de Wilson Pickett ou de Ike & Tina Turner, et vous retrouverez cette animalité de peau humide et de all night long. C’est toute la différence avec le garage qui s’arrête au bout de deux minutes, pour reprendre et s’arrêter encore deux minutes plus tard. Les géants de la soul traversent la nuit dans la fournaise des pulsions animales. Leur distance n’est pas la même. Lisa règne sur l’immense chaos de la sensualité avec une sorte de parfait mystère africain : pas de regard, la voix, rien que la chaleur de la voix, comme si les dieux primitifs s’exprimaient à travers elle.
Et comme pour contrebalancer ce pathos, elle se livre à quelques pitreries en se roulant par terre. Bob place ici et là quelques solos de guitare dignes de ceux de Wayne Kramer, totalement incendiaires, et sur les morceaux plus funk, Pablo Rodas, un petit bassiste qui n’a l’air de rien avec ses cheveux longs bien peignés joue des lignes de basses stupéfiantes et dignes de celles de Bootsy Collins. Un drummer nommé Max Resnikosky bat un beurre technique très haut de gamme et joue à merveille le rôle clé du pulsateur. Avec une section rythmique aussi rutilante, Lisa et Bob jouent sur du velours.
L’album de Lisa & The Lips ravira tous les amateurs de hot soul. Les vieux fans des BellRays y retrouveront aussi leur compte de bombes, avec par exemple «Come Back To Me», un mid-tempo fin et racé, gorgé de la meilleure soupe de soul, où on entend Bob prendre un solo rissolé aux flammes de l’enfer. Et puis on trouve aussi cette pataterie râblée, «You Might Say». Lisa monte à l’assaut, en puissante shouteuse. Voilà un rock-blast monté sur un groove seventies, craquant et bon comme le pain frais. Franchement, on ne peut pas espérer mieux. Puis Lisa prend «Trouble Mind» à la Esther Phillips, softy-sweety à la petite vitesse du beat bien doux. On la sent dans son élément - ease my trouble mind - on ne peut que vibrer, à condition bien sûr de considérer le genre comme supérieur. Et puis voilà ce «Stop The DJ» avec lequel ils ont bouclé leur deuxième rappel, monté sur un funky beat à la Bootsy. C’est un funk digne des nuits rouges de Harlem, finement shafty. On suit à la trace cette belle ligne de basse insistante et bien groovy, toujours affiliée au meilleur funk des ghettos d’antan. Pablo bombarde sa basse et part en vrille sur des coups de bas de manche affriolants. C’est un traverseur de manche en quinconce, il va chercher le tagada de gamme pulsatif. On retrouve un mid-tempo infernal - leur meilleure vitesse - avec «The Pick-Up», mélodique en diable - heaven goes around me yeah - une pièce de soul inspirée. Et on revient au funky strut avec «Push». Ils trottent dans les traces du push - you’re gonna have to push to make it all the way - Lisa grogne et Pablo se balade à longueur de manche. Il fait le grand jeu traversier du funkster impavide - push wouahhh - fabuleux et coulant. Ils terminent l’album avec une pièce mortellement ralentie et funkstée à la racine du poil, «The Player», exemplaire, précis et régulier comme un mercenaire bien payé - funky booty baby, pièce de rêve. Tout ceci pour dire que l’album vaut l’emplette.
C’est vrai qu’on ne sortait jamais indemne d’un album des BellRays. Lisa et Bob ont monté le groupe en Californie en 1992. À l’époque, Tony Fate produisait et Bob jouait de la guitare. Leur premier album s’appelait «In The Light Of The Sun». Sacrée entrée en matière. Pour un premier album, c’était un véritable coup de maître. Dans «Crazy Water», on les sentait déjà très obsédés par le Tamla sound. Tony Bramel sonnait comme James Jammerson, le légendaire bassman des Funk Brothers, l’orchestre maison de Tamla. On ajoutait là-dedans une trompette à la Miles Davis et on se retrouvait avec un hit. On en trouvait un autre avec «Footprints On Water» que Lisa amenait d’une voix grave pour aller ensuite chercher une mélodie imparable. Pour «Same Ground», ils nous servaient sur un plateau un riff seventies et un shuffle hot et bien pushy. On retrouvait nos belles nuits rouges de Harlem, une musique puissante des reins, et tendue comme la peau d’un tambour africain. Il semblait que les BellRays avaient percé le secret du beat sourd d’Harlem Shuffle. Nouvelle horreur stupéfiante avec «You’d Better Find A Way» allumé au power-chord. Annonciateur d’incendies à venir. Ils donnaient leur vision du rock, celle d’un rock qui décollait avec un vent mélodique brûlé par une fournaise rythmique. On avait là de quoi se régaler - Inspiration ! You’d better find a way - modèle d’intégrité compositale, Lisa éclatait au firmament et Bob lui donnait la réplique. Encore plus somptueux : «In The Light Of The Sun», avec une belle entrée en matière de voix diffuses et embarqué très vite au plus haut niveau mélodique. Et ça grimpait dans l’éclat, soutenu par des cœurs. La force des BellRays, c’est que leurs grands hits sonnent comme des classiques intemporels. C’est encore ici le cas. Avec leur premier album, ils révélaient leur génie.
«Let It Blast» est sorti six ans plus tard. C’est là que la presse a commencé à s’intéresser à eux. Pour décrire le phénomène, les journalistes avaient inventé cette formule : Aretha accompagnée par le MC5. Les BellRays se voulaient révolutionnaires, dans la veine du MC5, mais ils utilisaient un nouveau langage, le soul-punk. Petit à petit, les BellRays se sont élevés dans l’échelle sociale du rock. De petit combo exotique revendiquant l’héritage du MC5, ils sont passés au rang de maîtres suprêmes du blast-garage américain. Ils commencèrent à régner sans partage sur un immense territoire hérissé de petites oreilles de lutins.
Une chose est certaine : les BellRays sont essentiellement un groupe de scène. Ils furent pendant un temps la meilleure équipe de rockers californiens. Tony Fate ne se refusait rien, ni la riffalama à la Tony Iommi - ou pire encore, à la AC/DC - ni les incursions incendiaires à la Wayne Kramer. Ils avaient le drummer approprié, on s’en doute. L’articulation centrale de cette machine de guerre que furent les BellRays, c’était Bob Vennum. On l’a dit et répété à chaque fois, Bob Vennum était le meilleur bassiste de rock sur cette terre. Il dépassait en intensité ses vieux pairs, Tim Bogert et Jack Cassady. Bob Vennum avait un jeu de basse impulsif complètement exacerbé. Il pouvait bombarder comme dix Lemmy et jouer le jazz comme Charlie Mingus. Il fallait donc voir les BellRays sur scène. Bob Vennum faisait quasiment le spectacle à lui tout seul. Il jouait vraiment comme un dieu. Il sautait, il suait, il carambolait ses notes, comme Tim Bogert le faisait aux grandes heures de Cactus. Comme certains joueurs de tennis, il avait le bras droit beaucoup plus volumineux, à cause sans doute de la tension musculaire due au jeu de médiator. Pas de prisonniers. Bob Vennum fut un monstrueux showman doublé d’un technicien hors-pair. Et quand on aura compris que la dynamique d’un groupe repose sur le bassman, on aura tout compris.
Puisqu’on patauge dans les certitudes, en voici une autre : «Let It Blast» nettoie bien les oreilles. Lisa met son chien au service de l’un des plus effrayants carnages soniques de la fin du XXe siècle. Tony Fate fait subir les derniers outrages à sa bête à cornes. Il joue sur une SG Gibson bordeaux. Il peut jouer les machines à riffer quand ça lui chante et il fait parfois passer Tony Iommi pour une belette. Le maillon fort de cette fine équipe, c’est l’immense Bob Bass Boss Vennum. Il ne peut pas rester tranquille plus de cinq secondes. «Changing Colors», c’est un peu l’enfer sur la terre. Lisa arrive là-dedans en hurlant. On ne peut vraiment parler que de fournaise, avec une basse qui ronfle comme ça. Horrible. Le son est très peu soigné. Ils ont enregistré ça sur un radio-cassette. La basse sonne comme un battement de cœur. Chez Fate, ça tire les notes. Elles se baladent comme des serpents dans les fougères. C’est à tomber. Ça cafouille dans la farfouille. Voilà une entrée en matière qui ne pardonne pas. Encore du beau foutage de garage avec «Cold Man Night». Toujours plus motivé. La basse qui est sourde comme un pot passe devant, dans le mix. Lisa porte tout l’édifice à bouts de bras. Elle ne mégote pas. Bob fait tout le ramdam à lui tout seul. Il martèle et il pilonne. Tony Fate est au fond du studio, on l’entend à peine. C’est un cut explosé dans l’oignon, basse de Bob devant toute. Il gratte trop de notes. À l’époque, quand on le voyait sur scène, il jouait des milliards de notes, il sautait en l’air et faisait les chœurs, tout ça en même temps. «Today Was» reste dans la même lignée de titres volontaires et indomptables, fougueux comme des poneys indiens. Lisa tente de calmer le jeu. Avec des démons comme Tony Fate et Bob dans les parages, c’est impossible. Rien de plus infernal que «Kill The Messenger», monté sur un tempo dévasté type Motörhead. Trop de puissance. Lisa parvient à régner sur cette extravagance. C’est le chaos total, l’empire du trash, on entend les forces du mal nous rattraper à la course. «Blue Cirque» sonne la charge de la brigade légère. Les BellRays ont l’air de foncer dans la plaine sous le feu de l’artillerie russe. Ils ont cette capacité de susciter des images très fortes. C’est emmené à la batterie. Le pounding mène la danse. Il y a des petites zones de néant, mais le morceau repart toujours. Les BellRays développent de réelles capacités lysergiques en relation directe avec les tourments cosmiques des dieux antiques. Ils jazzifient «Testify» jusqu’à l’os du sternum. C’est un prêche de type Airplane ou MC5 - brothers and sister everywhere - retour en force du garage porté par une basse diabolique. Ce «Testify» évoque aussi les Flaming Sideburns. Les BellRays en font un morceau assez lourd, au moins aussi lourd qu’un heavy-blues de Nebula ou de Pentagram. Bob joue des lignes de jazz bass. Il est absolument spectaculaire. Il joue ces petites gammes rapides qui ont fait la gloire des grands contre-bassistes du XXe siècle. Bob et Tony sont capables de lever de grandes tempêtes jazzy. Peu de bassistes sont capables de jouer de tels boléros. L’équation du groupe est parfaite : une chanteuse colorée, un guitariste virtuose et une section rythmique d’avant-garde. Il n’y a pas de recette miracle. Et si on est pas encore tombé de sa chaise, alors on tombe avec «Black Honey», plaqué d’accords déments, gratté menu, emmené, intuitif, chanté à la vie à la mort. Les BellRays, le grand groupe américain du XXe siècle ? Allez savoir. Ce «Black Honey» vaut tout l’or du monde. Cerise sur le gâteau : un solo d’antho signé Tony Fate qui rappelle ceux de Victor Unitt dans l’album «Parachute» des Pretty Things. Le drive de basse emmène toute la bande au firmament. La basse ronfle comme un gros buveur assoupi. «Black Honey» est une nouvelle preuve de la supériorité des BellRays sur tous leurs concurrents. C’est un garage qui tombe avec un jeu de questions-réponses - Black honey ! Black honey ! Voilà l’archétype du vrai hit garage. Placide, Bob répond : Black Honey ! Il joue l’un de ces riffs de basse qui font frémir. «Black Honey» n’est pas seulement le hit de ce disque des BellRays. Il est aussi l’un des hits majeurs du XXe siècle.
Leur troisième album «Grand Fury» paraît en l’an 2000. L’apocalypse, c’est eux, évidemment. Nostradamus ne l’avait pas prévu. «Too Many Houses In Here» est une explosion collatérale. Pas d’équivalent nulle part ailleurs, inutile de chercher. C’est brûlé de l’intérieur, ils vont bien plus loin que les Stooges, on ne sait pas comment c’est possible, mais on l’entend, on sent une forte odeur de brûlé sonique. Lisa se prélasse dans une braise héritée directement de «Motor City’s Burning» du MC5. Pur génie. Et Bob pilonne tout ça comme un malade. Avec «Fire On The Moon», ça continue. Tony cocote sa mortelle randonnée. Ces gens-là sont des fous. Ils riffent dans la viande et Lisa règne sur ce carnage. Aucun groupe américain n’a jamais sonné comme ça et ne pourra jamais sonner comme ça. Lisa allume le feu sur la lune. Suite de l’aventure riffique avec «Snake City», la machine de guerre s’ébranle et Lisa est aux commandes. Ils explosent tout. Absolument tout. C’est comme des Stooges gonflés à l’hydrogène. Puis on se prend «Screwdriver» en pleine poire. Lisa nous envoie rissoler dans la Rôtisserie de la Reine Pédauque. Le duo Bob/Fate dépasse l’entendement rythmique. Ils ne jouent pas, ils blastent en permanence. «Heat Cage» n’a aucune chance d’en réchapper. Il vaut mieux avoir les oreilles solides pour écouter ça. On a là ce qui se fait de mieux dans le rock américain : la fournaise du Detroit sound explosée jusqu’au vertige et la voix d’une reine de la soul. Une véritable tornade d’embrasement. «Evil Morning» arrive et aucun répit n’est possible. Ces gens-là surjouent le destin du rock atomique. Rien ne saurait calmer leurs ardeurs sémantiques. Ils cherchent des voies nouvelles, comme le ver dans la pomme. Dès l’intro, «Stupid Fuckin’ People» est bombardé par les deux riffeurs fous. Rien ne peut les arrêter. Ils dépassent toutes les bornes, ils transcendent l’axe Blue Cheer-Motörhead-Stooges-MC5, ils vont encore plus loin, et Lisa hurle, elle s’empare des éclairs jaillis du ciel. On assiste au plus gros pilonnage sonique de tous les temps. Bob sort «Monkey House» à la note de bas de manche, puis c’est traité façon MC5. Nouvelle démence sonique à l’état pur. On a encore droit à un coup de génie avec les chœurs de «Under The Mountain» et on resssort de cet album à quatre pattes.
Nouvelle monstruosité en 2003 avec «The Red White And Black». Comme ils l’indiquent sur la pochette, la soul est le professeur et le punk est le prêcheur (Soul is the teacher and punk is the preacher). Folie pure avec le cut d’ouverture, «Remember», un truc de dingue qui perd ses roues, ils foncent de travers, comme s’ils roulaient avec des pneus crevés. Léger parfum de free. Puis on retrouve le riffage du Destin mortel dans «Street Corner» et «Sister Disaster». Fate hache tout ça menu. Voilà l’équation magique du rock moderne : voix + riffage + inspiration. «You’re Sorry Now» est une belle compo de Bob. C’est même un hit planétaire. Ambiance dramatique, accords descendants, foggy motion de riffs terribles. Voilà un hit fabuleux et gargantuesque. C’est un heavy-rock rendu mélodique par les descentes d’accords et le chant perçant de la reine Lisa. On revient au MC5 avec «Revolution Get Down». Bob fait grimper les ponts sur des lignes de basse effarantes. Il faut l’entendre traverser la fournaise révolutionnaire. Le cut est farci de breaks terribles. Bob croise au large comme un requin à lunettes. Faramineux. Pop explosive avec «Find Someone To Believe In». C’est l’une de leurs spécialités. Ils savent faire du mélodif explosif. «Some Confusion City» est un magnifique morceau de batteur. C’est Eric Algood qui bat le beurre. Bob fait hey-hey et il gratte sa basse comme un con. Quelle magnifique équipe, franchement ! Les relances sont impitoyables. Les BellRays nous emmènent en enfer et on adore ça. Punk in the flesh avec «Black Is The Colour». Lisa bat tous les records - bein’ shot down on the blue side of town. Quand on entend «Stone Rain», on se dit : mais ce sont des malades ! La basse devient folle. Il faut entendre Bob perdre les pédale - I feel so lonely I could die - il va dans tous les sens. Il multiplie les descentes de manche. C’est lui le bassman le plus dingue de l’univers, il va là, et là, et il remonte ensuite par des ponts insalubres, quelle brute. On l’entend faire d’autres prodiges dans «Rude Awakening» et ils finissent avec un punk-rock qui envoie au tapis, «Voodoo Train». Inutile d’ajouter que cet album compte parmi les grands albums classiques du rock.
«Have A Little Faith» sort en 2006. On démarre sur un gros groove joué à la manière des Temptations, «Tell The Lie». Tony Fate fait son funky wha wha king. Par derrière, Bob coud sa toile avec un doigté caoutchouteux qui en dit long sur sa culture groovy. Tony Fate a donc écrit le nouveau hit des Temptations. Ils renouent avec la grande sauce funky des eighties. Un saxophone vient sopraner dans l’air torride. Lisa rassemble tout l’air de ses poumons pour honorer la mémoire des divas de la soul. C’est réussi. «Time Is Gone» est un gros groove salace. Le tempo est bizarre, un peu mambique, comme mal embouché. Tony Fate fait monter la petite pression. Il rentre dans le trou du track en jouant un extravagant chorus jazzy. Ce mec a des ressources. Il joue un solo à la Zappa. Il semble que les BellRays mettent un peu d’eau dans leur vin. C’est Tony Fate qui écrit les morceaux. Il devient un compositeur ambitieux. «Chainsong» cumule les fonctions. Dans le cours du couplet, on passe du hardcore à la jazzitude béate. On sent une quête de sophistication. Ça ne peut pas leur faire de mal. Ils cassent bien l’ambiance, avec des zones éthérées à la John McLaughin. Et puis voilà «Pay The Cobra», une remontée en température typique des BellRays de la première heure. Le problème, c’est que tous leurs morceaux musclés se ressemblent. Et puis voilà un couplet en apesanteur. Tony Fate le relève immédiatement avec sa rythmique à la Tony Iommi. Il adore gratter sa bête à cornes. Ça le réconcilie avec la vie. «Snotgun» est aussi une speederie bien fuselée. C’est une revendication de la liberté. Cette chanson est très politisée. «Everybody look at my snotgun/ Tune your guitar to the snotgun/ The alphabet ends with the snotgun/ And all I wanna do is to be free. All I wanna.» «Change The World» est une chanson de Bob. On change de registre. Les BellRays font claquer l’étendard sanglant de la révolte. C’est riffé à mort - I don’t think I can kill myself - éclat du génie bellrique. Et voilà «Detroit Breakdown» qui est le gros cut du disque. Pur Motor City sound - «No more Iggy or the MC5/ Wayne’s been doin’ it in LA now, so you’re just livin’ a lie.» Les BellRays remettent les pendules à l’heure. Effectivement, il ne reste rien du Detroit shakedown. «Maniac Blues» sonne comme une grosse affaire. Effarant de maîtrise. Lisa tire sur ses syllabes et Tony mitraille, bien soutenu par Bob l’inéluctable. Il faut que la gloire des BellRays resplendisse sur la terre comme au ciel. Ils terminent avec une bravado suprême - ah-la-la palabalalah - une reprise des Cornichons de Nino Ferrer. Lisa la swingue à mort. Elle envoie les cornichons, les tomates et les ouvre-boîtes danser dans la fournaise - ba-la-la-la - elle s’amuse comme une folle et elle embarque le swing sauvage.
«Raw Collection» est une compile des singles parus entre 1995 et 2002. Et là, il est recommandé d’attacher sa petite ceinture. Le un s’appelle «You’re Sorry Now». C’est un son caverneux, ambiance soul sixties, avec une basse rampante qui arrive derrière Lisa. Il s’agit d’une belle compo psyché de Bob, nappée d’accords crépusculaires. C’est absolument magistral et ça peut hanter l’esprit. Lisa dispose de tellement de feeling qu’elle ne sait plus quoi en faire. Attention : ils s’attaquent ensuite à un classique vénéneux : «Nights In Venice» des Saints. L’énergie dévastatrice dans un classique dévastateur, ça donne du dévasté dévastateur. Les deux riffeurs fous s’en donnent à cœur joie. Tony cisaille comme un fou. Il est dans son élément. La voix de Lisa colle parfaitement à ce classique de l’apocalypse. Ils vont même finir dans la collision. Bob tricote ses déflagrations souterraines. Franchement, sans les BellRays, que deviendrions-nous ? Ils nous font le coup de la fausse sortie et reviennent comme des barbares. Bob reste sur une note, Tony se roule par terre et se tortille. Il faut aux barbares des compos terribles, voilà le secret. «Half A Mind» sonne illico comme un classique pop, et même comme un hymne. Tony joue tout en fuzz. La mélodie est là, évidente, montée sur une dynamique de basse décisive. C’est une véritable splendeur. Avec sa mélodie enchantée, «Mind’s Eyes» pourrait aussi sonner comme un classique des sixties. Bob joue une bassline de r’n’b et Lisa rayonne comme un soleil dans le ciel bleu des sixties. Les BellRays tapent dans le très haut de gamme. «Pinball City» est un punk-rock sauvage. Lisa prend le chant par en-dessous. La rythmique est du pur MC5. Ils poussent des Hey ! d’anthologie. Bob se balade. Il a la note facile. On reste dans le pinball avec «Mother Pinball», un shuffle de la Nouvelle Orleans - Come on ! Do the pinball, baby ! «Tie Me Down» bascule dans la frénésie. Ils vont si vite qu’on doit s’accrocher à la rambarde. «Say What You Mean» sonne comme un classique épais et dévastateur. On plonge dans cette heaviness jubilatoire comme dans un bain de jouvence. Les foules reprennent le refrain en chœur. On nage dans l’énormité bardée de clameurs. Ho ! Ho ! Ho ! On lève le poing ! Quelle poigne ils ont ! Ils tiennent leurs hits par les couilles. Tony plonge dans un chorus d’une monstruosité hallucinée. Flip, flop, ils pataugent dans le génie. Lisa est au maximum de ses possibilités. Et le morceau repart, en défonçant tout. Lisa et ses amis reprennent les choses là où le MC5 les avait laissées.
«Hard Sweet And Sticky» sort en 2008 avec une belle pochette gourmande. Ils attaquent ça avec un nouveau hit planétaire, «The Same Way», une pop éclatante envoyée avec tout le chien de sa chienne. Compo de l’immense Bob Vennum. C’est quand même autre chose qu’Aerosmith. Au moins, il y a de la tenue dans ce balladif. «Infection» est heavy comme l’enfer. Bob qui joue désormais de la guitare envoie un solo monstrueux. Avec les BellRays, c’est pas compliqué : si on leur demande de faire un album de rock, alors ils font un album de rock. Leurs albums font partie de ceux qu’on réécoute à intervalles réguliers, car on sait qu’on y trouve de la substance. «Infection» est un morceau incommensurable qui se répand dans l’univers. «Comin’ Down» est un mid-tempo poussé par une rythmique ingrate et brutale. Bob repart en solo liquide. Il compte désormais parmi les solistes les plus brillants d’Amérique. Ils reprennent leur vieux hit «Footprints On Water». L’élégance de leur pop restera dans les annales. Lisa et Bob emportent leur soul pop au firmament, à coups de cris, d’éclats et de prodigieuse élégance. «That’s Not The Way It Should B» est du typical BellRays : Lisa devant et derrière, deux riffeurs fous, avec des relances diaboliques et une dynamique exceptionnelle. C’est un cocktail dont on ne se lasse plus.
Le dernier album paru des BellRays s’appelle «Black Lightning». Il est sorti enveloppé du mystère d’une pochette noire traversée d’un éclair anthracite. Comme on l’imagine, cet album recèle son petit lot de bombes. Et notamment le morceau titre qui fait l’ouverture. Ça reste carré et Bob envoie des solos dignes de ceux de Wayne Kramer. Lisa reste cette fabuleuse shouteuse qu’on suit depuis le début. Le paradoxe, c’est qu’il n’y a pas de surprise. C’est aussi énorme qu’on le supputait. Même chose pour «Hell On Earth», nouvelle pièce fumante de rock incendiaire. On entend moins le double riffage d’antan. Le son est plus fusionnel, dans l’esprit de la lave qui s’écoule des flancs du Krakatoa. «On Top» est un cut extrêmement punchy. Lisa l’expédie au firmament, elle a l’habitude. On note au passage que la puissance des BellRays est intacte. «Power To Burn» est une pièce de belle pop mentalement élevée, montée à coups de mélodie, de power chorus et d’un ramassis disparate d’accords cavaleurs. Bob ne faiblit pas, ce n’est pas dans ses habitudes. Il revient toujours placer un chorus intéressant. Avec «Power To Burn», les BellRays nous offrent un modèle de power pop californienne. «Living A Lie» est du pur BellRays, une énormité rockée à la cantonade, vite troussée et enfilée à sec par un gros solo garage. «Everybody Get Up» est cocoté d’avance. Lisa chauffe la marmite. Et ça part dans l’épaisseur de la clameur. Dans la verdeur de la lourdeur. Dans l’éclat de la puissance. C’est une fois de plus une véritable source de jouvence. Toujours aussi épais et bon, voilà «Close Your Eyes» - c’mon take my hand and close your eyes - et Bob part en vrille, c’est un démon du bonheur séculaire, il laisse filer son solo de feu liquide. Rien d’aussi magistral que les BellRays. Huit albums et pas un seul déchet. Qui dit mieux ?
Signé : Cazengler, amateur de belles raies.
Lisa & the Lips. Le Batolune. Honfleur (76). 30 avril 2014
BellRays. In The Light Of The Sun. In Music We Trust 1992
BellRays. Let It Blast. Vital Gesture Records 1998
BellRays. Grand Fury. Uppercut Records 2000
BellRays. Raw Collection. Uppercut Records 2003
BellRays. The Red White And Black. Poptones 2003
BellRays. Have A Little Faith. Cheap Lullaby Records 2006
BellRays. Hard Sweet And Sticky. Vicious Circles 2008
BellRays. Black Lightning. Fargo Records 2010
Lisa & The Lips. Lisa & The Lips. Vicious Circle 2013
18 / 05 / 2014 / AVON 77
AMERICAN COUNTRY ROCK AVON
CHARLY WEST / ORVILLE NASH
C'est la faute au Cat Zangler, qui ici même dans KR'TNT 148 au doux mois de juin 2013 nous avait dressé un tel dithyrambe d'un concert d'Orville Nash que nous ne nous pouvions pas faire semblant d'ignorer qu'il passait à trente-cinq minutes de la maison. Sur le papier ce n'était pas donné, ouverture à dix heures du matin avec initiation à la danse counry toute la journée. Douze heures western swing sans le swing, c'est un peu craignos, alors prudents comme des séminoles sur le sentier de la guerre qui se préparent à sortir de leurs marécages, Mister B and Aïe ! Avons, à Avon, décidé de nous introduire dans le camp des visages pâles à la tombée de la nuit, juste pour le concert.
Judicieuse décision ! Le soleil rasait la cime des arbres lorsque nous pénétrâmes dans le ranch des envahisseurs, poétiquement nommée La Maison des Vallées. Un centre culturel communal composé d'immenses bâtiments et entouré de vastes parkings ombragés, disposé si délicatement au pied d'un interminable et impressionnant aqueduc ferroviaire que l'on se croirait transporté dans une maquette géante.
L'on arrive à l'heure incertaine entre chiens de prairie et loups du grand nord, les garçons vachers finissent leur repas, les hommes ont gardé leur chapeau sur la tête et les filles leur longue robe volante, des regards surpris se posent sur la tenue fifty de Mister B et mon blouson simili-skaï, manifestement l'on se demande ce que nous sommes venus faire là, nous aussi, mais on se rappelle que l'on est ici pour Orville Nash. Ouf !
Annonce au micro : démonstration de danse country catalane dans la salle de spectacle. Je ne voudrais pas me lancer dans une catalinaire dévastatrice à l'encontre de la sardane catalane mais je me suis toujours demandé pourquoi l'Onu n'avait pas inscrit sur la liste des organisations terroristes tout ce qui a un rapport quelconque avec cette stupide pantomime débilitante qui se pratique du côté de Perpignan. Si vous ne me croyez pas, profitez de vos vacances pour vérifier l'étendue des dégâts.
Je tire Mister B de ce guet-apens génocidaire culturel en l'emmenant finir sa bière à l'extérieur. Silhouette connue à l'horizon, incroyable mais vrai, un troisième rocker, et pas n'importe lequel, Raphaël le guitariste des Atomics, le pistoléro sans reproche à la Gretsch de nacre blanche et d'or ! Mais le concert commence...
CHARLIE WEST
Une salle de concert comme on n'en fait plus depuis un demi-siècle, une scène surélevée aussi vaste qu'un champ de foire, et un plancher de petites lamelles de bois aussi glissant qu'un avon de Marseille, et un plafond si haut que vous oubliez qu'il existe, une véritable cathédrale. Au micro le présentateur s'inquiète de notre santé et pour nous éviter toute fatigue inutile il nous recommande d'aller chercher une chaise au réfectoire, ce qui occasionne une sortie en masse vers le susdit lieu de sustentation alimentaire. Bref au bout de cinq minutes tout le monde est sagement assis le long des murs. N'y a que Mister B et mon immodeste personne, qui tels des rocs immobiles dans la tempête, restons debout, collés contre une issue de secours. Ah, ces rockers ils ne peuvent pas faire comme tout le monde !
Tout est en ordre, Charlie West peut faire son apparition suivi de tous ses musicos. Charlie West n'est pas un bleu de la veille. Un véritable vétéran, dans les années soixante-dix il accompagna Vince Taylor, ce qui tout de suite vaut lettre et patente de noblesse. Longtemps axé vers le blues et le rock, en 1999 il effectue un changement de cap, il se tourne vers la country music. Depuis il écume avec son orchestre les festivals et réunions, country comme il se doit. L'orchestre est en place, petit problème Charlie recherche son jack qu'il finit par trouver sur le pupitre de son violoniste. Un, deux, trois et c'est parti. Pas besoin d'en entendre plus pour comprendre. Merveilleusement en place, de sacrés musicos, aussi précis qu'une montre suisse, de la qualité, de la haute définition. Rien à redire, rien à reprocher.
N'ont pas entamé depuis trente secondes Colorado Girl que la voisine de Mister B assise sur sa chaise lui demande – non pas de lui réserver la dernière danse – mais de se pousser légèrement afin qu'elle voie un peu mieux... Le public country nous réservera toujours des surprises... Tout à l'heure ce sera à Raphaël – venu de rejoindre – que sera réitérée la même demande... n'ont tout de même pas tous le cul vissé sur un poteau de barrière de corral. Beaucoup se lèvent et se mettent à danser. Assez joliment faut l'avouer, pas tous doués mais avec du coeur, certains couples se débrouillent plus que bien, et puis guetter les panties des demoiselles quand la robe tournoie et s'élève vers la voûte céleste est une occupation de rocker des plus émérites. Parfois c'est même western string.
Evidemment nous nous intéressons avant tout à la musique. L'on en prend plein les oreilles pour pas un rond – façon de parler car le ticket d'entrée aurait fait fuir le septième de cavalerie – Claude pédale dur à la Steel Guitar, pas très spectaculaire de rester à table toute la soirée, mais il fait fondre les coeurs. La Pedal Steel Guitar c'est encore pire que la gravure de La Mélancolie d'Albert Dürer, ça vous essore le palpitant comme une machine à broyer, dans les films on vous montre toujours les outlaws de la mort en train de faire feu des deux gachettes, en fait ces killers n'étaient que de gros sentimentaux prêts à fondre en larmes dès qu'une minette capricieuse refusait de leur sourire... ils avaient l'âme bien moins aiguisée que la lame de leurs couteaux... heureusement que de l'autre côté de la scène Pascal tire les crins de son crin-crin à foison. Ne sera pas toujours fidèle à son fiddle car sur plusieurs titres il l'abandonnera pour la guitare, mais quand il s'empare de son archet, qu'il a coutume entre deux titres de tenir entre ses dents, ce n'est pas pour nous tirer des larmes de crocodile, nous entraîne sur son violon violent dans une sarabande effrénée. L'a le physique de l'emploi, blond le visage taillé à coups de serpes, genre Apollon qui a beaucoup souffert, et lorsqu'il descend de scène et qu'il entre dans le cercle des danseurs, il les mène jusqu'au bout du délire avec la ruée finale du rond diabolique qui se referme sur lui...
Je traverse toute la salle pour jeter un oeil sur Styve le batteur. Assure aussi les choeurs, c'est lui la cheville ouvrière, si du groupe émane un si beau son, c'est en grande partie grâce à lui. Une frappe puissante mais aérée, qui n'écrase personne et qui laisse à chacun la possibilité de s'exprimer sans avoir à faire l'effort de pousser les meubles pour s'immiscer dans l'atmosphère architecturale qu'il ordonne.
C'est joli, mais nous les rockers l'on aime les ambiances un peu plus dures. Il y aura de très bons moments comme les reprises de Seminole Wind de John Anderson ou de The Wanderer de Dion & the Belmonts. Mais au bout d'une heure et quart nous nous éclipsons discrètement vers le bar. Ce n'est pas que ce soit mauvais, mais Charlie West – j'ai oublié de dire qu'il se débrouille plutôt bien au chant - a compris qu'il faut donner aux longhorns le fourrage conditionné qu'ils aiment. L'herbe sauvage leur causerait peut-être un peu trop mal aux dents. Je sais c'est un peu vache ce que je dis, mais Mister B est encore plus critique que moi, de la country commerciale marmonne-t-il, et il a l'impression que le public se moque totalement de l'histoire de la musique country... L'ajoute, je me demande comment il réagirait si à la place de Charlie West on leur proposait les Subway Cowboys, mille fois plus authentiques, plus roots et plus honky tonk...
ORVILLE NASH
En chemin – décidément tous n'atterrissent pas obligatoirement à Rome – nous rencontrons Patrick – un habitué des concerts rockabilly - qui lui aussi effectue – quel hasard ! - un repli stratégique vers le saloon. Formule à voix haute la question qui traverse nos cervelles depuis le début de la soirée. Comment un tel public réagira-t-il face à Orville Nash ? Surtout que la veille il a assisté au concert que d'Orville donnait au Saint Vincent à St Maximin, pas tout à fait le même whisky qui coulerait d'un même tonneau. Celui d'Orville c'est du véritable White Ligthning nous confie-t-il.
D'ailleurs sur qui tombons-nous à la première table du café ? Orville Nash en personne qui se lève pour nous saluer. N'est pas tout seul, Raphaël et Francis qui fut le bassiste des Hot Rocks, sont à ses côtés. Ne reste plus qu'à attendre, mais Orville et les Gamblers s'éloignent pour aller revêtir leur tenue de scène, chapeau et foulard bleu savamment noué autour du cou. C'est ainsi que nous les retrouvons tous les trois sur la scène. Divine surprise, toute une partie du public s'est massé devant la scène et y restera durant tout le set. Quant à ceux qui ne se lèvent pas leur siège, ils seront encore là à la fin du show. Comme quoi il ne faut pas désespérer de l'humanité !
La différence tout de suite. Dès les premières notes. L'on change d'étage. Et de musique. Ici pas d'enjolivements pour attirer le touriste. C'est du brut de brut. Guitare, rythmique et contrebasse, le trio dans toute sa rusticité et dans toute sa gloire. Impossible de tricher, tout le monde garde ses deux mains sur les cordes et personne ne va se pendre. Honky Tonk Mood pour donner le la. Nous sommes aux limites, à l'intersection de trois genres qui se suivent et se ressemblent tout en se différenciant, hillbilly, honky tonk, rockabilly. Campagne, bourgade, ville. Ruralité, sociabilité et fureur de vivre. A trop se côtoyer l'on ne supporte plus de se faire marcher sur les pieds. Bientôt chaussés de daim bleu. La musique populaire américaine est une longue marche qui nous conduit des grands territoires perdus aux concentrations citadines. Les musiciens haussent le ton au fur et à mesure que l'espace rétrécit.
A part que Orville Nash vous fait l'aller-retour en trois minutes. Le temps d'envoyer un Swamp Child aussi gluant de vase verdâtre qu'un alligator qui sort du bayou et le voici déjà dans le poulailler de Charlie Feathers en train de glousser comme une poule qui couve son oeuf alors que le renard se faufile au travers du grillage. Autant vous dire que ça rocke dur et qu'il y a du remue-ménage. Je ne parviens pas à dénicher un adjectif pour qualifier la voix d'Orville, ce qui est certain, c'est que c'est exactement celle qui convient. Vit en France, mais être américain ça vous donne un satané plus pour ce genre de refrains. Vrille ses morceaux comme par chez nous les vieux vous causent en patois. Vous ne reconnaissez rien mais vous comprenez tout. La voix fait image. Vous propose ce que vous voulez voir. Et entendre. L'est terrible à la gratte, lorsqu'il lance ses morceaux ou que les Gamblers le laissent quelques secondes jouer seul, l'on s'aperçoit qu'il balance sans état d'âme. American efficacity. Garantie orvilienne.
Raphaël confirme ce que nous pensions de lui. Un super guitariste. Pourrait nous envoyer des tonnes d'électricité, nous la jouer white rock à outrance, du genre vous n'en voulez plus, en voici encore, mais non il se souvient que l'électrification des campagnes ne s'est pas faite en un clic, alors il s'adapte. Ne bouscule pas le type de musique qu'il est en train de jouer. Ne tient pas être moderne. Se contente d'être en accord avec son sujet. L'est là pour servir mais pas pour se servir et dépasser devant tout le monde avec un plateau préparé. Ne passe pas une clôture sans la refermer car c'est ainsi que l'on respecte les antiques us et coutumes. L'a intégré qu'il joue une musique qui s'évade du country certes, mais qui n'emporte pas moins avec elle des brins de paille et un peu de crottin sous ses semelles.
Francis Gomez agit de même. Nous l'avons vu avec sa stature de géant en un autre concert soulever des montagnes et faire dégringoler des tonnes de rockailles sur nos têtes, mais là il sait rester sobre. Déverse tout de même des cruches et des cruches de swing à vous couper le souffle. Même qu'à un moment n'y tenant plus il couchera sa fat mama à terre et s'y vautrera dessus comme pour une sodomie en public – faut dire qu'à ce moment-là Orville rockait comme un roquet en colère, et que Raphael malmenait salement son pickin', bref toutes les conditions étaient réunies pour passer le mur du son. Ce n'était plus du honky Tonk mais du Honky Tank, une division de blindés en train de charger toutes chenilles hurlantes.
Dans le public, ça applaudit de plus en plus frénétiquement à la fin des morceaux, et puis en plein milieu pour souligner tel passage particulièrement bien perçu. Je ne sais pas comment ils font mais lorsque je me retourne je m'aperçois que derrière nous une quarantaine d'amateurs de country dance improvisent un stroll un peu heurté car à la vitesse où Orville débite ses hits si vous avez envie de suivre la cadence vous n'avez guère le temps de compter les pattes des mouches qui volent.
Un rappel et c'est tout. Orville et ses deux condotierres nous laissent sur le bord du ring, sonnés comme les cloches de Notre-Dame, les bras entremêlés dans les cordes, essayant de reprendre notre souffle. Nous a estabouziés. Extase et catharsis. Merci à Raphaël et Francis pour leur vielle de Gamblers, merci à Orville Nash pour ce set impeccable. Ils ont gagné, par K.O technique, par K.O passion.
FIN DE PARTIE
Après un tel round de sorciers, impossible de rester à écouter les disques qui suivent. L'on sort se remettre les idées en place. Excellente idée. Rencontre avec Rudy, Nathalie et son copain qui viennent du Nord. Ne soyez pas surpris mais quand des rockers rencontrent d'autres rockers, de quoi voudriez-vous qu'ils jactent, si ce n'est d'histoires de rockers. L'on se sépare alors que les responsables ferment à clef la Maison des Vallées.
Damie Chad.
( Pour les photos : on a pris ce qu'on a trouvé, ne correspondent pas au concert )
L'ALIMENTATION GENERALE / PARIS / 19 – 05 – 14
SUBWAY COWBOYS / OL' BRY
L'est des fois où un sort injuste s'acharne sur les rockers innocents comme l'agneau qui vient de naître. Z'avons pas pu voir les Cowboys du Souterrain qui jouaient dans un bled perdu de l'Oise, et des considérations familiales nous avont empêché d'assister au spectacle des Vieux Briards – peut-être braillards brillants, mais nos traductions sont très approximatives – chez les Loners. De quoi vous dégoûter de vivre. Mais ne voici-ti-pas que les deux groupes suce-nommés passent, non in an another time, neither in an another place comme le chante le diabolique Jerry Lou but en même temps et au même endroit. A Paris. A L'Alimentation Générale. Une occasion unique de faire nos courses.
La course c'est la teuf-teuf mobile qui s'en charge, nous dépose à vingt heures tapantes à moins de cent cinquante mètres de l'épicerie maréchale. Trois jours après je me demande encore comment elle a fait pour dénicher une place de stationnement. Un dimanche soir en plus. Alors que ces têtes de veaux de parigots se sont dépêchés de s'entasser dans leur vingt mètres carrés à mille euros mensuel afin d'être fin prêts le lundi matin à rejoindre au plus tôt leur boulot-métro-dodo. Ce qui explique l'assistance un peu maigriotte. Des amateurs et des connaisseurs, plus une colonie de jolies étudiantes que les rockers émoustillent toujours.
Le patron doit être fatigué, début des hostilités à neuf heures tapantes, fin de partie un peu avant minuit. Ôtez un quart d'heure pour la mi-temps et calculez combien de temps il reste pour chacun des deux groupes.
SUBWAY COWBOYS
Les trois sur scène. De guingois. L'espace est si restreint et si encombré par le matos des Ol' Bry qu'ils ont été obligés de se disposer comme des pions sur un damier sur la seule diagonale libre du carré. Mat au fond, Will au milieu – vous le reconnaissez à son chapeau – et Fab devant, en avant file. Se sentent tellement à l'étroit dans cette minuscule cellule scénique qu'ils entament leur set par un morceau de circonstance, le Folsom Prison Blues de Johnny Cash. Ne les plaignez pas. A peine s'ils ont la place pour bouger les doigts sur leur cordage, vont donc sublimer leur désir d'espace et de verdure. Ce qu'ils ne peuvent vivre, ce sont leurs instrument qui l'exprimeront.
Echec et mat en faveur de Matt. Apparemment un garçon calme et sérieux, soucieux de bien faire. Se penche avec sollicitude sur sa contrebasse qui a l'air trois fois plus épaisse que lui. L'on dirait qu'il joue au docteur et qu'il l'ausculte une dernière fois avant de décider une intervention chirurgicale, que l'on pressent fatale. Pour un peu on tirerait un mouchoir de sa poche dans le but d'écraser furtivement une larme sur la tristesse de notre joue. Faux-semblant. C'est un ponte, un spécialiste qui vous réveille les morts rien qu'en sortant son bistouri. Ca ruisselle de tous les côtés. A croire qu'il y a une dizaine de contrebassistes éparpillés dans la pièce qui s'amusent établir des effets stéréos et quadriphoniques dans tous les angles du local. Pluie orageuse de triples croches qui virevoltent comme des oiseaux moqueurs dans tous les azimuts. Un trio honky tonk, oui mais qui grâce à Matt résonne comme un quatuor de Bartock. Une batterie, pour quoi faire ? A lui tout seul Matt vous recrée le mur du son de Phil Spector.
Ce serait dommage de ne pas profiter d'une telle architecture sonore. Ce n'est pas n'importe qui qui peut se targuer d'être digne de vivre dans la Maison Dorée de Néron. Les Subway Cowboys ont de la chance – mais celle-ci ne sourit qu'à ceux qui se donnent la peine de l'attraper – possèdent un prince de la guitare. Deux mois que nous ne l'avions pas vu et il a encore affiné ses licks de tueur. Foudroyants. L'était déjà très bon. S'inscrit désormais dans les meilleurs. L'a acquis l'intelligence et l'instinct du jeu. Ses doigts se posent d'eux-mêmes, n'a plus besoin de les commander, car il agit depuis un espace mental supérieur qui structure toutes ses intuitions. L'est arrivé à une corrélation d'intentions totale, l'esprit ne commande pas plus au corps que celui-ci n'obéit à celui-là. Comme des navires qui voguent de conserve. Comme tout a l'air simple, on le regarde jouer et sa maîtrise est si grande qu'il nous semblerait facile d'en faire autant. Leurre de magicien.
Entre les deux Will. Pas du genre à se cacher pour se faire oublier. Qu'il le voudrait, qu'il ne pourrait pas, avec son organe turgescent, on le repère tout de suite. Ne peut pas ouvrir la bouche sans qu'aussitôt l'attention se focalise dessus. N'aime pas le yaourt, c'est du made in USA, d'importation directe. Mais timbré à son effigie. Tout ce qu'il touche il l'accapare. Sans le martyriser. Tape en plein dans le répertoire de l'americana, mais c'est si bien roulé que l'on n'a jamais l'impression, comme beaucoup d'autres, qu'il traduit avec de gros sabots bien de chez nous. Des godillots parfois sincères mais souvent pathétiques. Non, les versions des Subway Cowboys sont bottées de santiags d'origine ou de texanes d'importation. Mais elles sont comme la pantoufle de Cendrillon. Assez uniques en leurs genres pour exciter la convoitise de presque tous. C'est étrange, ne font que des reprises, avec par exemple ce soir l'accent mis sur Joe Hill, connues de presque tous, mais si bien foutues qu'elles semblent être des compos originales, tant leur interprétation sonne juste.
C'est un régal, on galope à fond de train derrière des bisons qui n'ont aucune envie de finir en boîtes de corn-beefs et le soir on écluse des décalitres de bière brune en pensant à toutes les filles blondes qui nous ont plaquées. Des vachardes, et il y en a un véritable troupeau. Très belle définition du honky tonk man, le mec entre deux vaches celle qu'il poursuit et celle qui s'éloigne... Une véritable postulation baudelairienne entre la réalité qui s'enfuit et le rêve qui s'évanouit. L'air de rien les Subway Cowboys sont en train de construire une phénoménologie du honky tonk.
Mais revenons à la concrétude des choses. Avec sa boucle d'oreille ce garçon tourbillonnant parmi les spectateurs ne pouvaient que se faire remarquer. Tant pis pour lui, Will le rappelle à son destin de batteur des SpunyBoys, Guillaume se fait un peu prier mais il consent tout de même tout en s'excusant à s'asseoir derrière la batterie des Ol' Bry, à l'écouter il n'y arrivera jamais, ce n'est pas tout à fait son style, peut-être mais il y prend du plaisir, et nous avons pour la première fois l'occasion de voir les Subway avec un drummer derrière eux. Court interlude car le trio reprend de plus belle sa course effrénée.
Un dernier morceau et c'est fini. Les métropolitains descendent de leur estrade sous des cris de regret. Encore ! Encore ! One more ! One More ! Mais l'heure c'est l'heure et de toute évidence sur terre comme sous terre le bonheur ne dure pas éternellement !
OL' BRY
Pas évident de passer après les Subway. Alors que chacun de ses acolytes se glisse à sa place Eddie tient à préciser que les Ol' Bry ont un sacré gant à relever. Pas d'inquiétude à se faire, le set sera aussi bon, bien que très différent. Comme quoi il suffit d'être soi-même pour emporter l'assentiment de tous. Et ce soir-là les Ol' Bry furent magnifiquement les Ol' Bry.
Résumé des chapitres précédents. Depuis leur création les Ol' Bry avaient leur particularité, le groupe rockabilly fortement influencé par le do wap. Flirtaient un peu avec les années soixante, les tempos d'enfer et les sirops d'érable au pur jus de betterave. Les mois ont passé et le son a évolué. Le groupe a trouvé la formule idéale. Eddie à la rythmique et au chant au milieu, Rémy le saxo à sa gauche et Diego à la guitare à sa gauche. Un peu comme Odin, le dieu nordique, qui se baladait avec un corbeau sur l'épaule gauche et un autre sur l'épaule droite. Trois grands bavards, le corbac on the left qui racontait le passé, l'emplumé on the right qui prophétisait l'avenir, et le Dieu in person qui livrait ses sentences de vie et de mort. Trois verbiageurs émérites mais qui avaient pigé que quand l'un parlait les deux autres se la bouclaient.
Pas question pour le sax et la guitare de se mettre aux abonnés absents, non mais ils y vont mollo-mollo – mezzo-soprano si vous désirez un terme musical – quand Eddie chante. En plus il ne se contente pas de vocaliser, il tape du pied comme un madurle, et maltraite sa guitare - qu'il tient très haut, à la Elvis des premières photos - tel un forcené qui arrache les barreaux de sa prison. A tel point qu'il fusillera le micro. Merci à l'ingé du son qui en improvisera un autre de fortune tout en assurant une parfaite sonorisation...
Quelques mois que je n'avais pas vu les Ol' Bry. Diego en a profité pour étudier. Pas la guitare, porque la toca muy bien, es un maestro, un matador, et vous auriez du mal à lui enseigner quelques trucs qu'il ne connaîtrait pas. Question mandoline, es un jefe. Un chef. Mais vient d'un pays étranger. Je ne parle pas en géographe. Provient carrément d'une autre planète. Du – tant pis je lâche le gros mot – infierno y damnacion – du jazz. Bref c'est un super musico, en connaît trois mille sept cent trente quatre fois plus que le guitariste moyen de rockab. A la différence près qu'il y a un esprit rockab que l'on n'apprend pas dans les écoles de jazz. Donc toutes ces dernières semaines l'a pointé ses oreilles sur les disques et les concerts rockab et comme c'est un super technicien il a retrouvé la notice de montage. En théorie c'est facile, en pratique c'est plus difficile. Alors que le guitariste de jazz n'en finit pas de nous éblouir, regardez-moi je suis le virtuose du quartier, je vous reprend le thème en la mineur et je vous l'étire durant dix minutes, le gratteux rockab n'occupe le devant de la scène que durant quinze secondes le temps de vous balancer un riff qui vous scalpe le cerveau et puis il passe le bébé à qui veut le prendre. Ne vous inquiétez pas, n'a pas jeté l'eau du bain, plus tard il vous en balance une louche à travers la figure, juste pour vous rappeler que sans lui votre vie deviendrait plus triste. Ne vous alimente pas en continu. Vous plante des injections de vitamine toutes les vingt secondes dans la chair, et vous donne de temps en temps une piqûre de rappel.
Et Diego qui a compris impulse une nouvelle sonorité au groupe. Plus rock, plus rockab. En contrepartie le sax a aussi intuité la leçon. Souvent en sourdine à l'huile, mais quand il intervient c'est d'une manière d'autant plus tonitruante, prend toute la place, mène un remue-ménage de tous les diables, bouche le port de Marseille, et puis retourne se calfeutrer dans sa boîte sans faire plus de bruit qu'une souris. Pour revenir avec des miaulements de chats affamés. Et Eddie au milieu. Concentré sur le chant, il envoie les modulations sans modération, sans se soucier de rien, sûr qu'à la première respiration, ou le sax ou la guitara reprendront le flambeau.
Juste un problème. C'est que comme dans les légions romaines en formation de combat il y a une deuxième ligne derrière. La section rythmique, basse et contrebasse. Avec les jeunes rockers faut se méfier, Thierry qui n'est pas né de la dernière ondée, a trouvé le poste idéal pour surveiller en toute discrétion son gamin. L'a ressorti sa grosse doudoune à manche de son étui et s'est adjugé le poste de contrebassiste depuis lequel il ne lâche pas son rejeton, Eddie, des yeux. En plus comme il lui faut démontrer que les fils ne vaudront jamais les pères il écrit et refile ses compos au groupe. Question cordage rien à lui reprocher. Si les trois zozos de devant peuvent se repasser le témoin à tout bout de champ, c'est bien parce que derrière, Thierry leur bétonne un tapis rouge d'arrière-fond. Il y a encore un batteur, Marcelo. Me suis déplacé plusieurs fois pour tenter de l'apercevoir, mais en vain. L'espace est si exigu que je n'ai pu apercevoir qu'une fois deux spatules de caoutchouc qui batifolaient en l'air. Par contre je l'ai entendu. N'a pas arrêté une seconde de monter la mayonnaise. La prochaine fois je me cacherai dans la grosse caisse pour lui repiquer la recette. Pour aujourd'hui croyez-moi sur parole. Jamais en défaut, et pas cette fixité rythmique propre aux groupes rockab qui peut devenir vite impardonnable si elle n'est pas associée à une onctuosité lyrique qui donne davantage de volume à chaque battement.
Un set féroce. Un Eddie trépignant, totalement à l'aise sur tout son répertoire. Des morceaux de leur premier CD mais dans des versions fiévreuses – North Side Girl, She Don't Care ou Let me dance – des classiques My Babe, Unchain My Heart, un You're sixteen superbement bien envoyé et j'avoue que je ne suis pas un grand fan de ce titre de Johnny Burnette que je trouve un peu trop midinette - et un I'm Comin' Home dédié à Mister B, très proche de la version de Gene Vincent grâce aux aboiements du saxophone de Rémy, mais aussi en hommage aux Ghost Highway qui ne sont pas là ce soir le somptueux Cause I Forgot écrit par Jull, et enfin, gâteaux à la crème chantilly sur les cerises précédentes, les nouveaux morceaux, enregistrés chez Mister Jull mais pas encore sortis, de véritables tueries qui sonnent plus rockab que tous les rockabs.
END OF THE ROAD
Minuit l'heure du crime. L'on coupe les micros et les rockers rentrent chez eux. Deux superbes concerts, l'on ne regrette pas d'être venus. Quand je pense que certains n'aiment pas les groupes français. Ne savent pas de quoi ils se privent. Subway Cowboys et Ol' Bry ont été magnifiques.
Damie Chad.
BOOKS
MARC SASTRE
L'HOMME PERCE / AUX BÂTARDS LA GRANDE SANTE
Fidèles lecteurs de KR'TNT, ne dites pas : Marc Sastre, inconnu au bataillon, ce serait mentir. L'on vous en a déjà parlé sur ce même blogue. Evidemment vous n'avez retenu que la moitié du fruit empoisonné que l'on vous tendait. Je vous excuse, Jeffrey Lee Pierce, ce n'est pas n'importe qui, les projecteurs des cerveaux humains ont tendance à focaliser sur sa personnalité, alors la bio au sulfure pas du tout biodégradable que nous avions chroniquée ( KR'TNT 160 DU 23 / 10 / 2013 ) vous avez oublié qu'elle était signée de Marc Sastre.
Me définirai personnellement plutôt comme un acrate que comme un anarchiste, mais ce n'est pas par hasard si ce dimanche 11 mai, je batifolais dans les allées du Salon du Livre Anarchiste. Recherchai Les Fondeurs de Briques, la maison d'édition qui fit paraître en version française Le Pays où Naquit Le Blues d'Alan Lomax ( voir KR'TNT 119 du 22 / 11 / 2012 ) et le J'effraie Lee Pierce du susdit Sastre Marc. Avec ces deux titres à leur actif, ces gens-là ne peuvent pas être totalement mauvais. La preuve, ils présentaient même quelques livres de poésie de Marc Sastre, assemblés en d'autres maisons.
Donc deux plaquettes de Marc Sastre parues en 2011et 2013, aux Editions les Cyniques. Un nom qui ne peut que plaire aux rockers, depuis que les Stooges et Iggy Pop nous ont expliqué l'ultimité de la philosophie cynique dans leur titre fondateur I Wanna Be Your Dog.
L'HOMME PERCé / MARC SASTRE
Vous suffit de regarder la couverture pour comprendre le contenu du bouquin. Pour ceux qui ne seraient pas versés en mécanique, vous avez la légende de la photo : engrenages à chevrons. Court d'ailleurs une étrange histoire à Toulouse sur l'inventeur du cardan à chevron, c'est un vieil ouvrier qui me l'a raconté lors de la pause déjeuner, mais je m'éloigne, d'autant plus que je n'ai pas donné le copyright du document : pas de surprise, Citroen Communication.
En plein dans la matière du poème. L'usine, l'atelier, le chantier, les différentes déclinaisons de ce que l'on appelle communément le travail. Pas celui qui rend libre. L'aliénation, l'exploitation, la servitude, les synonymes sont légion. L'homme percé, c'est l'homme usiné comme les pièces qu'il produit. Le travail est une lèpre qui manufacture le travailleur. Vous transformez la matière par votre travail, mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg, la grande métamorphose c'est l'homme qui la subit. N'oublions jamais que la transformation de l'homme équivaut à une déshumanisation. Le travail ne vous grandit pas, il n'est pas le chemin nietzschéen qui mène au Surhomme, il est amoindrissement et usure sans possibilité de retour à l'état neuf.
Tout cela Marc Sastre ne le théorise pas, il le dit, l'énonce et l'annonce, sans complaisance. La poésie comme témoignage de la désanthropologisation de l'individu. Point de salut, point de fierté. Ne mange pas les médailles en chocolat du bon travailleur qui s'est échiné et esquinté durant un demi-siècle à perdre sa vie pour gagner le droit de survivre économiquement.
AUX BÂTARDS LA GRANDE SANTE / MARC SASTRE
Les non-lecteurs se contenteront encore une fois de la couverture. Dessin d'Anne Martel – comme toutes les autres illustrations. L'en existe un autre semblable, cher aux rockers, le doigt dressé que Johnny Cash pointe sur vous. Le rebelle métaphysique vous ordonne d'aller vous faire foutre.
Ce recueil est plus tonique que le précédent qui ne vous laissait aucune échappatoire, fils de prolo tu es, fils d'esclave tu resteras. Forment tous les deux un diptyque. Ne vous faites pas d'illusion. Ce n'est pas : un, le mal ; deux, le bien. Même si ça commence bien. La révolte et l'éros. Deux bonnes addictions. Les nerfs opimes du bonheur et du bien-être. L'homme en marche vers sa liberté.
Un peu comme la nouvelle formation de Little Bob, les Little Blues Bastards. Pas dingue, le Little Bob, a assez bossé et vécu pour savoir qu'un bâtard heureux comme un chat de gouttière en liberté attrape aussi parfois le blues. Idem chez Marc Sastre, au début on relève la tête et l'on se croit assez fort pour conquérir le monde. Mais ce n'est pas si facile qu'il n'y paraîtrait. Ce n'est pas l'ennemi d'en face qui vous fait peur. La confrontation est prévue. Sera sanglante et l'on a toutes les chances de perdre. Mais le jeu en vaut la chandelle ( verte du père Ubu ).
Non, l'ennemi est en nous. Pire et mieux que cela. Nous sommes nous-mêmes notre ennemi. Le travail nous a façonnés à son image. Nous sommes, des bêtes de somme. Notre chair, notre peau, notre corps, notre pensée, sont altérés et édulcorés. La grande santé nietzschéenne nous la poursuivons, mais elle ne se laisse pas attraper. Ce qui s'installe en nous, c'est la maladie chronique de notre impuissance à changer le monde. Notre bâtardise rime avec vantardise. Nous sommes des guerriers vaincus, avant même d'avoir combattu.
Faudra tout de même faire avec nous-même puisque nous n'avons rien d'autre sous la main que nous-même. Les autres me ressemblant trop pour que je puisse en faire quelque chose. L'individu est un roi sans couronne. Mais un roi tout de même. J'ai intérêt à sortir de toutes mes contradictions et de moi-même. Si je veux me libérer de l'antique chaîne de l'esclavage, ne plus un être un chien d'élevage mais un bâtard au-delà de toute appartenance.
Deux recueils pour ne plus être dupe, ni de sa condition, ni de soi-même. Attitude rock par excellence.
Damie Chad.
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15/05/2014
KR'TNT ! ¤ 189 : BUUTSHAKERS / ROCKIN JEP'S / BLACK PRINTS / GHOST HIGHWAY / LOREANN' / BIJOU
KR'TNT ! ¤ 189
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
15 / 05 / 2014
CIARA THOMPSON + BUTTSHAKERS / ROCKIN'JEPS / BLACK PRINTS / GHOST HIGHWAY / LOREANN' / BIJOU / |
LE HAVRE ( 76 ) / LE TETRIS / 20 - 03 - 14
THE BUTTSHAKERS
NOTHING BUT THE BUTTSHAKERS
Très courageux de leur part ! Les Buttshakers, apprentis sorciers basés à Lyon, jouent en première partie de Jim Jones. On est au Havre, terre de rock et visiblement, le public ne s’est déplacé que pour Jim Jones et son rock incendiaire à la Little Richard. Les Buttshakers s’installent sur la grande scène du Tétris, le nouveau «pôle de création» bâti sur les hauteurs du Havre, dans l’ancien fort de Tourneville. L’endroit flambant neuf en impose. L’architecte a vu grand et a taillé des portes étroites et très hautes dans les murailles, ce qui donne au lieu une allure de temple antique. Pour un groupe encore vert, jouer dans un tel endroit devant un public spécial, c’est une sorte de baptême du feu. On ne miserait pas un peso sur eux. D’autant qu’ils proposent un set de rhythm & blues, ce qui nous éloigne de Little Richard. Enfin, pas tant que ça.
Les musiciens du groupe paraissent très jeunes. Deux joueurs de cuivres, un bassiste, un guitariste et un batteur attaquent le premier morceau. La petite chanteuse black arrive dans la foulée et commence à haranguer la foule. Elle essaie de chauffer un public inerte et elle déploie une énergie considérable pour y parvenir, mais sans résultat. Tant pis. Elle enchaîne les morceaux, elle danse, elle shoute, elle gueule, elle miaule, elle fait tout le cirque habituel des grandes shouteuses de r’n’b à l’ancienne et elle s’en sort admirablement. Elle porte le cheveu crépu et une petite robe légère en tissu jungle. Elle danse bien et chante admirablement. Les musiciens qui l’accompagnent sont assez brillants mais désastreusement inertes. On songe aux pas de danse des musiciens de Vigon et à l’incroyable efficacité de leur numéro, lorsqu’ils sont alignés en rang d’oignons et qu’ils balancent ensemble une jambe en l’air d’un côté, puis de l’autre. Là, rien. Les mecs sont assez jeunes et ils restent concentrés sur leurs instruments. On dirait des fonctionnaires du r’n’b. Le bassiste joue au doigt avec le feeling adéquat. Le guitariste reste discret, comme il se doit. Il se contente de petites interventions sulfureuses. Leur set tient sacrément bien la route. La petite black fait le spectacle à elle toute seule. Elle tire tout le set à l’énergie et elle finit par mettre le public dans sa poche. Mais la fosse est loin d’être devenue une piste de danse. On assiste à une sorte de petit miracle, car le set dure assez longtemps, sans aucun passage à vide.
Impossible de résister à l’envie d’aller échanger quelques mots avec cette petite tigresse métisse. Elle signe ses disques à l’entracte. Vue de près, elle paraît encore plus jeune que sur scène. On lui donnerait quinze ou seize ans. Elle a des cernes brunes sous les yeux. On sent un petit personnage délicat et fragile. Elle s’appelle Ciara Thompson. Elle est originaire de Saint-Louis, dans le Missouri, et son français est parfait. Elle vit à Lyon depuis quelques années. Évidemment, on parle de Chuck Berry, originaire de Saint-Louis, mais on tombe vite en panne de références. Saint-Louis n’est pas Memphis. Elle vante les mérites de sa ville natale et avoue une grande admiration pour Jerry Lee Lewis. Wow ! Mais la conversation est difficile, car il faut sauter un fossé de deux générations, en matière de goûts musicaux, et il n’est pas certain du tout qu’on écoute le même genre de r’n’b. Je tends une perche avec Sister Rosetta Tharpe, mais elle ne sait pas qui c’est, ce qui peut sembler normal. Elle parle de gens que je ne connais pas. Elle appartient à la génération FaceBook et s’intéresse à des artistes plus contemporains et sans doute pas très connus. Et donc nos cultures respectives ne se recoupent pas, ce qui achève d’éteindre l’enthousiasme conversationnel. Heureusement, Jim Jones arrive sur scène. Good luck baby !
Les Buttshakers ont déjà enregistré deux albums. Au moins, ils ne perdent pas de temps. C’est l’occasion de revenir sur la plupart des morceaux du set qui étaient excellents. Ciara dispose d’une vraie voix et d’un sacré caractère, alors on peut écouter ces deux disques en toute sécurité.
La première chose qu’on note, c’est que line-up du groupe a changé entre les deux albums. Les gens qui jouent sur «Headaches and Heartaches» paru en 2010 ne sont pas ceux qu’on a vu sur scène au Tétris. Mais on ne trouvera aucune information sur la pochette de «Wicked Woman», le mini-LP qui vient de sortir et sur lequel on retrouve quelques morceaux joués sur scène.
Le mini-LP se joue en 45 tours. Ça accroche dès le premier morceau. «Man’s World» est judicieusement tatapoumé. Pas le temps de souffler. Ciara fonce directement dans le lard du cut avec un chien considérable. Elle sait shaker le soul d’un cut, pas de problème. Elle connaît la ficelle de la hot soul et elle va chercher des accents dignes de Lisa Kekaula. Elle mâche bien ses attaques. Elle sait faire sa féroce. Les breaks d’orchestre sont parfois un peu prétentieux. En gros, c’est de l’excellente soul qui ne repose que sur Ciara. Le solo de guitare est un peu en retrait, la basse en avant, sèche mais pas aussi swingante que celle de James Jammerson. Globalement, elle s’en sort bien. «Nothing To Hold» est le slow-jerk entreprenant auquel les sixties nous avaient habitués. Le morceau manque singulièrement d’éclat, c’est cuivré à la lyonnaise, sans allant, mais elle tient bon, elle ne lâchera pas. C’est un peu comme si elle engageait son honneur dans cette histoire. Elle y met tout son héritage génétique et toute sa classe. Elle sait mettre sa glotte au carré. Elle gueule quand il faut. Ciara sait s’imposer. Pas question pour elle de jouer les incomprises ni les inhibées. Elle se débrouille toute seule, comme on le lui a appris quand elle était petite. Le dernier morceau de la face A s’appelle «A Way To Get By». Il s’agit d’un slow blues vaguement inutile.
Avec la face B, on passe aux choses sérieuses. «Wicked Woman» est une perle à la James Brown, montée sur un riff de basse astucieux. Ciara se sent chez elle. Elle navigue en eaux claires. Elle peut arracher. Elle peut même pulser le beat. Derrière, ils sont bien. Le guitariste joue avec les petits accents funky auxquels les Blue Flames nous avaient habitués. Étonnant, car elle n’a pas la voix de son âge. Pour une gamine, elle dispose d’un coffre relativement imposant. Elle sait écraser le champignon quand il faut. On sent qu’elle marche à l’instinct. Chez elle, le shout est inné. Elle fait partie des meilleures Soul Queens contemporaines. Ses accents sont bien rauques. Elle l’emporte à chaque instant. Tout amateur éclairé de soul sera surpris par la verdeur de sa hargne. Elle est d’une crédibilité stupéfiante. Et voilà la grosse reprise, le «Tell Mama» de Clarence Carter, bouffé tout cru, jadis, par Etta James pour Chess. Ciara chevauche la bête sans problème. Elle entre résolument dans l’âge d’or. C’est du pur Stax sound Chessisé. L’excellence incarnée. Ça réchauffe le cœur. On replonge dans la magie des temps bénis, avec l’éclat et l’énergie d’alors, même si la basse sonne un peu pépère, mais ce n’est pas si dramatique. Ciara sait allumer son «Tell Mama», joli coup. Il lui faudrait les Memphis Horns derrière et Andre Williams comme producteur. Ah, on verrait la différence ! Dernier morceau de ce mini-LP : «The Start». Digne d’Aretha. Ciara mène bien le jeu avec sa poigne de fer. Elle embarque son monde à la seule force de sa rage soul. Le morceau est un peu biscornu, quant aux ponts, mais elle s’en sort bien. Solo dans le fond du studio. On n’est pas chez les BellRays. Il ne faudrait pas confondre.
C’est sur le premier album que se trouvent les choses vraiment sérieuses. «Headaches And Heartaches» est sorti en 2010 et les Buttshakers ont pas mal roulé leur bosse depuis. Pas de reprises sur cet album, mais en gros, on se retrouve avec dix hits de garage soul vraiment très impressionnants. Son énorme sur «You Talk Too Much». Ciara donne une sacrée ampleur au cut et derrière elle, les cuivres sont excités. Elle va chercher le guttural pour livrer une pièce de soul torride. C’est monstrueux et battu à la diable. Digne des géants. Elle chante avec une maturité sidérante. C’est du Aretha en colère. Elle a même encore plus de chien enragé, c’est une véritable battante de la soul. Avec «I’ve Been Abused», on entre dans la soul par la grande porte, avec un jeu de guitare killer. Ciara dépote sa soul. Elle tue les mouches au scortch. Backing idéal, salement bon. Elle fait régner sa loi, pas de pitié pour les canards boiteux. Ciara Thompson est tout simplement énorme de génie soul. On entend le bassman emmener un couplet. Évidemment, ce n’est pas celui qu’on a vu au Havre. Celui-si s’appelle Fabien Giamina. Il est redoutable. Puis ils nous trashent un slow à la guitare. Ce guitariste s’appelle Julien Masson et il co-écrit quasiment tous les morceaux avec Ciara. Retour à la monstruosité avec «Hey Hey», encore plus garage-soul que le garage-soul des BellRays. On admire une fois de plus la haute teneur du cran de la petite Ciara. Ce blast a l’allure d’un hit. Dingue et dur. Bien poundé, bonnes guitares et cette voix de reine de la soul qui hante les épidermes. Elle s’accroche, elle a le culot d’une diva, elle a le poids d’Aretha et la puissance d’Etta James, mais avec encore un truc en plus, un côté teigne qui évoque celui de Lisa Kekaula. Elle nous sonne véritablement les cloches. Dès l’intro de «Losin’ It», elle percute de plus belle. Elle n’est pas aussi ronde que Lisa Kekaula, mais elle a exactement le même genre de chien de sa chienne et le même genre de classe, celle d’une vraie shouteuse. «(On The Verge Of) Falling In Love» reste dans le même esprit, celui de la puissance effarante. Il ne faudrait pas prendre Ciara Thompson pour une débutante. Elle claque le beignet de la soul quand elle veut. Elle peut même rivaliser avec Wilson Pickett. «Headaches & Heartaches» arrive comme une nouvelle énormité, avec des chœurs à la Motown et une section de cuivres à la hauteur du mythe. Si on est pas encore tombé de sa chaise, c’est le moment ou jamais. Voix de rêve, chœurs insistants à la revoyure, tout est là. C’est un hit qui a rendez-vous avec l’histoire, c’est indescriptible de soul-shaking, elle nous sert tout ça sur un plateau d’argent. Cette folle est bourrée d’un génie qui sort d’elle par tous les pores. Pour finir, ils envoient un boulet nommé «You Got Me Movin’» qui nous démâte. Sacrée Ciara, elle se bat jusqu’à sa dernière goutte de sang. C’est elle la grande battante du XXIe siècle. D’ailleurs, elle s’est fait tatouer deux grenades sur le haut de la poitrine, un peu en aval des épaules. Cette pièce de soul est une fois de plus une sorte d’énormité déterminante. Elle est superbe et conquérante. Il arrive que la pure magie et l’incroyabilité des choses se croisent sur certains disques. Si par chance on surprend ce phénomène irrationnel, il faut savoir en profiter, comme on profite d’une belle matinée de printemps.
Et pouf, en passant l’autre jour devant le mur des nouveautés chez Gibert, je vois le nouvel album des Buttshakers qui me tend les bras et qui me crie : «Prends-moi, s’il te plaît, prends-moi !» Bon alors attention : ce disque est une bombe atomique. «Night Shift» s’ouvre sur le morceau du même nom et on découvre un groupe encore plus agressif que les BellRays. Ciara est déchaînée. Elle fait éclore le bouquet de soul-garage le plus sauvage de l’histoire du rock. On a même droit à de la guitare fuzz. Ciara chevauche ce monstre sans selle à travers l’histoire et le temps, comme la reine des steppes de la soul en feu. S’ensuit «I Wanna Know», plus funk. Comme ils n’ont pas d’histoire véritable - pas de rencontre avec Sam Phillips ou de carrière californienne, par exemple - les Buttshakers dépendent essentiellement de la qualité de leurs compos. Et ça ne tient que grâce au soul power de Ciara Thompson. Elle a le punch de Cassius Clay. Nouveau punk blast avec «Your Love Is Amazing». Ciara la lionne ravage les contrées, c’est renversant et dynamité au scream. Pur génie. En écoutant «Satisfied», on cherche à qui on pourrait comparer Ciara chez Stax, mais aucune des géantes de Stax n’a ce type de punch extrême. Elle arrache au chant avec une force indescriptible. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Get Your Blues». C’est stompé d’avance. Ça part en swing sur une ligne de basse infernale et athlétique - gimme a rhythm while I can stick with you - elle va chercher le rythme avec une force terrible. C’est une superbe pièce d’aventure musicale reprise à la trompette, arrosée au groove de basse, emmenée dans la démence de la fragrance. Elle met tellement de vie dans les morceaux qu’elle finit par fasciner, comme nous fascinent les très grands artistes du genre.
Signé : Cazengler, le buttshaké du bulbe
Buttshakers. Le Tétris. Le Havre (76). 20 mars 2014
Buttshakers. Headaches and Heartaches. BackToMono Records 2010
Buttshakers. Wicked Woman. Copase Disques 2013
Buttshakers. Night Shift. Youz Production 2014
ROCK IN GOMETZ LE CHÂTEL
10-05-2014 / Espace Culturel Barbara
ROCKIN JEP'S / BLACK PRINTS
GHOST HIGHWAY
Je maugrée, tout pour être heureux, le grand Phil à coudre au volant de sa toto-ride, un GPS encore plus performant que l'ordinateur de 2001 Odyssée de l'Espace, la copine derrière, et un concert en prévision droit devant à cent kilomètres. Mais un orage de grêle me force à rentrer mes jambes que je laissais benoîtement pendre à l'extérieur de la portière par la vitre grand-ouverte. Je ne voudrais pas me fâcher avec le syndicat d'initiative de Gometz Le Château mais aucun panneau indicateur n'arbore le nom du châtel à la gomme, toutefois après avoir tourné quelque peu en bourrique dans les ronds-points, l'on tombe enfin dans le patelin. Des malins, ils ont fourré le centre culturel en plein centre commercial – qui a dit que la culture n'était pas une marchandise ? - au moyen-âge ce devait être entouré de douves profondes, ils les ont remplacées par des parkings à perte de vue. Moins poissonneux, mais idéal pour se garer. Je fais semblant de pas entendre ma meufette qui remercie Phil qui n'a pas, lui, une conduite heurtée, comme sur du velours qu'elle dit. Ne perd rien pour attendre mon gant de fer. Barbelé.
Entrée en douceur dans la salle d'accueil, avec marchand de disques et de babioles rock – tiens, un pin's de Vince Taylor et de Gene Vincent que je n'avais pas – ils ont les mêmes en magnet, pour ceux qui veulent tagger leur frigidaire aux profils de leur passion. Plateau sandwich à six euros, avec volet détachable pour le café – mais où s'arrêtera le progrès humain – une orga à vos petits soins, beaucoup de têtes connues, une bonne proportion de jeunes. La fête peut commencer.
THE ROCKIN JEP'S
Je rentre dans la salle juste comme ils démarrent. Rockin' Nicolas me saute aux yeux. Je savais qu'il était porteur de guitare dans le trio de Jamy, et tout dernièrement dans le groupe de Miss Victoria Crown en compagnie de Zio, et le voici maintenant lead guitar parmi les Rockin Jep's. Les aiglons ont tendance à prendre leur envol. Lui reste encore un peu de timidité, mais elle est en train de mettre les voiles, il va assurer sans problème, je ne lui donne pas six mois pour parvenir à atteindre une certaine autorité. C'est que les autres ne sont plus des perdreaux de l'année. Pointent à la génération précédente, mais le vin qui a mûri n'est pas du tout désagréable à boire.
Le set sera très court. Viennent tout juste de se former et pour le rappel on les obligera à rejouer un morceau. Trop modestes, étaient prêts à s'éclipser, mais les rockers c'est comme les enfants, quand vous leur donnez des gâteries, ils n'en ont jamais assez. Et il faut reconnaître que c'était si bien mis en forme que l'on y a pris goût très vite.
Eric Ozenda est à la caisse claire. Son jeu se fond dans dans la contrebasse de Patrick Millet. Celui-là tout petit il a dû tomber dans l'instrument, peut-être même que ses parents se sont servis d'une vielle carcasse de double-bass comme berceau. L'astique méchamment. L'on a l'impression qu'il est partout à la fois. Pas besoin de chercher l'intrus, présent sur tous les plans, les trois s'en sont aperçus, et ont donc développé une stratégie idoine. Aucune envie d'être aux abonnés absents. Lui laissent toute la place qu'il veut mais hors de question de le laisser bargouiner tout seul. Sont sans cesse là, Ozenda à rendre coup pour coup, un battement de corde immédiatement suivi d'un claquement rebondissant de peau, Rockin Nico n'arrête pas de planter les banderilles électriques, à la n'oublie pas que c'est moi qui ponctue l'histoire et qui souligne la fin des phrases. Ne s'en laisse pas compter. Quant à Jacques Marin, il se sert de ses deux armes à la fois, la voix et la guitare rythmique, faut entendre comme ça mouline quand il lance l'attaque et soutient la charge aussi longtemps que nécessaire. Combo à tombeau ouvert.
Je m'amuse à regarder le jeu de Patrick, la main droite qui vibrionne au niveau du ventre de sa chérie bobonne, jusque là, tout est normal, c'est à gauche que le spectacle est fascinant. Pendant que de l'autre côté il mène la chasse à courre avec la meute des chiens de l'enfer à ses côtés, il pince le haut du manche, et doucement, avec une lenteur de reptile qui s'approche de sa proie sans éveiller son attention, il descend son doigt, sur la corde extérieure, qui glisse comme une menace insidieuse... Pratiquement immobile mais imperturbablement en mouvement, à l'image d'un insupportable suspense apocalyptique. Les Rockin Jep's rockent à merveille. Un début plus que prometteur.
BLACK PRINTS
Intermède court. There's Rock'n'Roll On The Radio. Gros mensonge. C'est sur scène que ça se passe. Accrochez-vous car ça décoiffe. Yann détonne. Dans tous les sens. Une chevelure sur le mode toison d'ours hirsute – la moins gominée de tous les groupes du circuit rockab de l'hémisphère nord, mais j'adore les individus libres qui ne rentrent pas dans le moule – et une frappe lourde comme un paquebot. A côté, tout ce que vous pouvez trouver de plus classique, Thierry Clément – son sempiternel chapeau de cow-boy – attention, de ces pistoléros qui ont traîné leurs santiags dans tous les sanglants corrals de l'Ouest - tambourin au poignet ou washboard à hauteur de poitrine, c'est au choix mais quand on entendra son solo sur la planche à laver, ce sera de quoi faire frémir toutes les ravaudeuses de l'ancien temps dans leurs tombes... question dés – de ceux qui n'abolissent pas le hasard mallarméen - quand il pousse ce n'est pas au 421 qu'il joue, plutôt à la puissance mille. Etrange ces Black Prints qui allient la frappe canonnière la plus lourde à la cavalcade des chevau-légers de la Maison du Roi. L'obusier et le lance-pierre. Un heureux mariage, une grêle de cailloux après le coup de masse sur la tête, tout compte fait ça réveille.
Pas de contrebasse. Une simple basse électrique – les Black Prints ne sont pas des orthodoxes – confiée à Jean-François Marinello, en joue de tout son corps, pas une note qu'il n'en extraie sans une participation de tous ses muscles qui tour à tour se plient et se détendent. Va la chercher très loin, au plus profond de sa chair et l'expulse comme s'il envoyait une partie de son être en exil. De loin vous penseriez que c'est le guitariste soliste dans les affres labyrinthiques de la création de son plus beau solo. Mais non, ce n'est qu'un bassiste qui arrache chaque note de son coeur comme si sa vie en dépendait. Soucieux de se dépasser à chaque instant.
Et puis il y a Olivier Clément. L'arbre dans la tempête. Avec les trois autres forcenés, tous les naufrages seraient possibles. Il est si facile de dérégler l'horloge du rock'n'roll ! Mais Olivier est là, debout, droit dans ses bottes et dans son futal de cuir noir qui grandit encore plus sa silhouette élancée. Satanée prestance. La classe, qui impose. A la guitare et au chant. A la rythmique et à la lead. Assure les deux. Le métronome et l'explosion. La braise et la flamme. Sans effort apparent. Bouge à peine ses doigts. L'on se demande comment il fait pour être aussi précis. Remue imperceptiblement son index et son annulaire et il vous assène un solo à la Buddy Holly, quand tout se met à balancer autour de vous et que ça tangue méchamment d'un bord sur l'autre. En anglais, c'est beaucoup plus vite dit, ça s'écrit en trois mots – et encore on supprime des lettres – c'est : rock'n'roll. Nous y sommes en plein. Dans le coeur noir le plus profond du rock'n'roll. Baby Let's Pay House, Jeanie Jeanie, les classiques défilent, un à un, méthodiquement, ne vous pressez pas, il y en aura pour tout le monde, mais aussi les morceaux originaux comme Two Tones Shoes et l'ensemble de leur album en fin de parcours.
Inexorables. Les Black Prints c'est toute l'histoire du rock'n'roll qui défile, le passé et la toute récente, rien ne peut les arrêter. Je suis une force qui va, disait Victor Hugo. Le roc qui dégringole de la colline et qui emporte tout sur son passage. Vous emmènent avec eux. Et ils en rigolent. Echangent des regards malicieux, tiens une intro de guitare un peu étirée pour que tu ne saches pas où je veux en venir, et cette ouverture fractale sur les deux toms, tu t'en souviens, retombent toujours sur leurs pattes comme le Stray Cat Strut qui longe les gouttières.
Une version de Brand New Cadillac à vous faire courir chez le concessionnaire pour vous commander exactement la même – merci Vince Taylor, mais ce n'est que le début. Olivier invite Thierry Credaro à les rejoindre sur scène, vont nous offrir la plus splendide interprétation de Shakin' All Over que j'ai jamais entendue, de Johnny Kidd annoncera Olivier, je serais tenté de préciser de Joe Moreti, le guitariste qui officiait déjà sur la Cadillac de Vince – pas étonnant que ce dernier ait repris ce bijou avec ses Play-Boys – Thierry et Olivier se complètent merveilleusement à la guitare, aucune opposition, chacun essayant d'amplifier les effets obtenus par son coéquipier. L'on aimerait que ça ne se termine jamais, qu'ils reprennent indéfiniment le solo et le pont jusqu'à ce que le jour ne se lève plus. Le public est en transe. Sans doute le moment le plus fort de la soirée qui n'en manqua pas.
Thierry redescend sous une salve d'applaudissements et les Black Prints enchaînent sans coup férir. Manière de parler, car sur sa batterie Yan est un meurtrier fou, a killer on the road. Plus l'heure avance plus il se permet des breaks zarathoustriens, des ponctuations démesurées aussi meurtrières que des icebergs ballotés par une tempête de force 10. Et Olivier, le chêne qu'aucun aquilon ne détrônera, réengage à chaque fois les hostilités avec un nouveau titre encore plus venimeux que les précédents. Train Kept A Rollin et Rock'n'Bop Blues pour clore les festivités. Un set historial.
Vous n'y étiez pas. Vous le regrettez. Méritez-vous de vivre ?
GHOST HIGHWAY
Plusieurs mois que nous n'avons pas vu les Ghost. La vie d'un groupe n'est pas un long fleuve tranquille. Zio est parti – accompagne maintenant Miss Regina Crown. Nous ne nous faisons guère de souci pour lui, depuis les TeenKats, il s'est toujours débrouillé pour être là où ça se passe. Nous sommes prêts à le suivre dans ses nouvelles aventures. Mais ce soir, ce sont les Ghost Highway qui monopolisent notre attention. N'ont pas choisi une demi-pointure pour remplacer Zio, ni plus, ni moins que Thibaut Chopin. On ne le présente plus, l'a participé à tant de groupes, de concerts et de rencontres qu'il faudrait y passer la nuit pour tout raconter.
A première vue, c'est la même chose, démarre par les titres habituels, mais à deuxième oreille, plus rien n'est pareil. D'abord se rabattre sur Phil, car c'est lui le continuateur sonique du groupe. C'est bien sa frappe qui est à la base des Ghost. Et ici à Gometz le Chatel nous nous en rendons compte pour une raison évidente, le son de base est plus ample, plus fort qu'avant. Ce n'est pas une question de potentiomètre qui virerait dans l'écarlate. Mais un parti-pris de jouer davantage en rentre dedans, en libérant encore plus d'énergie.
Confirmation, dès que Mister Jull lance ses premiers accords. Beaucoup plus électrique. Dans ses interventions, car selon son habitude il envoie le riff comme on lâche les chiens, et puis on les rappelle aux pieds du maître pour qu'ils se calment un tantinet et laissent un peu de place pour la compagnie. Mais cette fois ça cingle et ça gicle avec beaucoup plus de brutalité. Un peu comme si Jull avait dépassé sa hantise de l'authenticité originelle pour une immédiateté beaucoup plus efficace.
Du coup Arno ne tient plus en place, encore plus d'humour pince-sans-rire au troisième degré que d'habitude et une façon de chanter, moins vieux sud profond, et quand il tire son harmonica, c'est davantage western italien que hillbilly primitif, ou avec des inflexions bluezy plus appuyées.
Mais c'est Thibaut que vous voulez voir. Le voici dans son costume marron clair, Arno en a enfilé un marron crème brûlée et Jull est engoncé dans une veste d'un jaune automnal. A franchement parler, ce n'est pas trop rock'n'roll, mais heureusement nous ne sommes pas à un défilé de mode. Il est indéniable que Thibaut est un pro. Joue sans avoir l'air d'y penser comme si son seul souci était de coller aux Ghost sans chercher à se montrer. Abandonnera sa réserve peu à peu. Finira par emporter les coeurs sur un solo avec tourniquet de ses deux avant-bras autour du manche. Le truc apparemment très simple, facile à décomposer, mais qui demande une aisance et une expérience que l'on devine durement acquises au fil des années.
Question apport au groupe, je parlerai d'un contact plus swingant et plus rythmique, très loin du ce bruit de fond qu'instillait Zio, un peu comme cette rosée sonore tombée des étoiles qui serait selon certains rêveurs la rumeur anonyme de notre univers qui se meurt. Peut-être est-ce pour cela, pour pallier le bourdonnement ondoyant de Zio que les Ghost ont dû en quelque sorte hausser le son. Mais ce n'est pas sûr. Les prochains concerts auxquels nous assisterons nous aiderons à mieux comprendre. Car il est certain que les avancées de Mister Jull à la guitare sont si évidents que le reste du combo se doit se mettre à l'unisson de cette montée en puissance des riffs qui exigent pour être mieux entendus et déployés ce que nous appellerons une surconsommation d'électricité.
Set un peu court mais tout de suite suivi du final habituel. Going up to the country couplé avec Johnny Law, tandis que Thibaut vient s'assoir sur le bord de la scène bientôt rejoint par Jull et Arno. Avec reprise à fond les manettes pour finir en beauté. Sortent sous les applaudissements de la foule. Les Ghost Highway ont convaincu. Ont fait preuve d'une redoutable efficacité. Le groupe a encore progressé. Vraisemblablement en phase intermédiaire. Le public sur le pied de guerre pour la conquête de nouveaux territoires.
FEU D'ARTIFICE
Plus de dix personnes sur scène, Jull, Arno, Thibaut, Olivier, Thierry, Rockin Nico, Thierry, Eric, Patrick et les autres. Le miracle c'est que très facilement tout le monde trouve ses marques et la formation quasi symphonique se lance pour un boeuf pas un poil cacophonique mais musqué et géant. Martchbox, sur lequel Thibaut pose des vocaux très appréciés, My Babe que Willie Dixon a volé à Sir Rosetta Thorpe, et un dernier petit Cochran, juste pour la route... Que personne n'a envie de reprendre, trop belle soirée, rock'n'roll jusqu'au bout des ongles.
Ne reste plus qu'à attendre l'année prochaine, car l'orga boostée par ce premier succès parlait déjà de Rockin in Gometz le Châtel 2.
Damie Chad.
( Photos prises sur les facebook des artistes / Merci à Martine F. )
10 – 05 – 2014 / PROVINS
LE CESAR / LOREANN'
Le 26 avril on a fait la tête, les tauliers du César étaient partis en vacances, mais le 03 mai, on a failli faire un esclandre, le café était ouvert, la terrasse exposée au soleil, mais Loreann n'était pas là. Elle a osé nous faire cela à nous, Phil, Richard, Damie, nous priver de notre apéro-folk du samedi matin, et nous laisser le bec dans l'eau du pastis, ah ! La drôlesse ! Mais ce matin, elle est revenue se faire pardonner. Nous avons été magnanimes – nous n'aurions pas pu faire autrement tellement sa voix nous enchante, mais ne le lui dites pas – toutefois la punition divine ne s'est pas faite attendre : pluie continuelle toute la matinée. L'on a poussé les étuis à guitare sous l'auvent et emballé la sono dans de grand sac poubelles.
Et puis nous l'avons lâchement abandonnée à son triste sort de chanteuse de rue, réfugiés à l'intérieur du troquet autour d'une boisson fumante, béatement bercés par la douceur de cette voix susurrante, la salle toute en longueur se révélant être une magnifique chambre d'écho... C'est alors qu'à la table juste derrière j'ai aperçu Dominique. Fille d'une famille éclectique, la soeur chante du rhythm'n'blues à plein gosier, le frère de la trompette jazz ( nul n'est parfait ) la nièce du slam, mais Dominique, elle c'est le country et le folk. J'ai vite remarqué – c'est parce que je suis très intelligent – que la voix de Loreann' ne la laissait pas indifférente, même qu'elle commençait à citer les titres et à fredonner les morceaux. Bref un quart d'heure plus tard sans trop user d'une douce violence je l'ai traînée jusqu'au micro de Loreann'. Petits papotages entre filles, et bientôt elles attaquaient Neil Young.
Très intéressant à écouter, elles ont un peu le même répertoire mais ne l'abordent pas de la même manière, Dominique partisane d'une attaque un peu plus franche, un peu plus enlevée – que ce soit sur les cordes de la guitare ou vocales – et Loreann' se restreignant dans une certaine moiteur du chant et de l'orchestration, davantage intimiste et beaucoup moins intempestive. Très proche de cette ambiance étouffante des chaleurs du vieux sud, cette pesante atmosphère que l'on retrouve dans les romans américains de Julien Green. Dominique, plutôt fille des fraîcheurs matinales de l'eau du Mississipi.
Dominique se sauve à l'intérieur du café, mais au bout d'un moment on la retrouve au bord du micro, à chantonner et discuter avec Loreann'... C'est cela Loreann', une voix qui s'immisce et qui vient vous chercher, et qui ne vous lâche plus... Longtemps que Dominique n'avait chanté, mais Loreann' réveille les mélancolies et ravive les regrets. Malgré la pluie, des passants hâtifs s'arrêtent et restent quelques minutes figés en eux-mêmes, puis s'ébrouent comme pour s'affranchir de leur rêve et reprendre le chemin de leur existence anonyme...
Vous pouvez désormais retrouver Loreann' sur www.loreann-music.com ou sur son facebook, loreann Torn . Nous sommes trop gentils avec vous !
Damie Chad.
BIJOU
VIE, MORT ET RESURRECTION
D'UN GROUPE PASSION
JEAN-FRANCOIS JACQ
( L'ECARLATE / Avril 2014 )
Beau cadeau dans les nouveautés de la semaine. Un livre sur Bijou. Je passe commande sans réfléchir. Sur la photo, le livre ne paraît pas très épais. Enfin mieux vaut une petite monographie que rien du tout. Juste une illusion, une fois dans la main, il pèse son pesant d'or. Logique, Bijou ce n'est pas de la pacotille, et le bouquin avoisine les trois cents pages, c'est rempli de textes à ras-bord, un cahier photos inédites au milieu, et une belle préface de Laurent Chalumeau.
Bijou a brillé de mille feux, mais le coffret refermé, le diadème s'est terni, et on l'a un peu oublié. Et pourtant, Bijou fut en quelque sorte le premier groupe français. Entendons-nous, chronologiquement l'a été précédé d'une myriade d'autres, question ventes il n'a pas vraiment cassé trois pattes à un canard. Non, Bijou a été le premier groupe français à faire jeu égal avec les anglais. Les âmes chagrines et les esprits requins jetteront Magma et Little Bob Story aux deux premières places. Pour Magma la question sera vite réglée, un orchestre kolossal, mais qui officiait dans une sphère musicale très éloignée du rock'n'roll, quelque part entre Stockhausen et le jazz d'avant-garde. On peut les laisser en orbite sur la planète Kobaïa, ils y sont très bien et à leur place. Little Bob est un concurrent plus sérieux. Jean-François Jacq ne peut s'empêcher de lui jeter quelques piques, l'est vrai que le prétendant à la couronne du rock français n'est pas sans quartier de noblesse, mais sans vouloir rallumer la guerre de cent ans, il faut se rappeler que Little Bob a choisi de s'exprimer, le traître, en anglais. Qui est la langue naturelle du rock'n'roll, mais enfin nous parlons de rock'n'roll français !
Le rock'n'roll français doit-il être chanté en français ou en anglais ? Question sans intérêt, que ce soit en langue shakespearienne ou rabelaisienne, débrouillez-vous pour que ça sonne bien. Faites comme vous le sentez. Oui Bijou s'est exprimé en français, naturellement serait-on tenté de dire, mais s'il s'est imposé à son époque si facilement aux groupes anglais, cela tenait beaucoup plus à ses qualités intrinsèques qu'au fol langage de François Villon.
UN GROUPE FRANCAIS
Le bon vieux terroir national. Rien à voir avec la France agricole et paysanne. La banlieue Sud, Savigny-sur-Orge, Juvisy, Longjumeau, à la fin des années cinquante et au début des sixties on y plante des HLM, et on récolte toute une génération de rockers. Des rockers français, bien de chez nous, qui écoutent Gene Vincent et Johnny Hallyday, tous petits ils s'accrochent à leurs transistors comme à une bouée de sauvetage, le monde peut changer, eux ils resteront rock jusqu'à la fin de leur vie, et même s'ils se marient et se rangent, car ils ont transmis le flambeau aux petits frères... Blousons noirs et Golf-Drouot, le rock n'a pas dix ans d'âge qu'il possède déjà ses mythes et ses légendes.
C'est en ces lieux que grandissent les futurs mousquetaires de Bijou. Sont encore des cailloux mal dégrossis, mais ils vont persévérer. L'on n'atteint pas à la brillance souhaitée, sans rouler quelque peu sa bosse dans le lit torrentiel du rock'n'roll, de groupe en groupe, d'expérience en expérience, des mois et des mois de galère, de répétitions, de concerts improbables avant de maîtriser son instrument, et d'intégrer tout l'héritage de la culture rock, des Chaussettes Noires aux Pub Rock, des pionniers au prog, les tsunamis se succèdent, rock instrumental des rosbeef, British Blues, révolution hendrixienne... un groupe phare tous les trois mois, sans oublier les cuivres de chez Stax, le glam, la décadence et la naissance du hard, et n'en jetez plus. Plus qu'il n'en faut pour une oreille humaine. Heureusement nous possédons un cerveau qui permet de prendre du recul, d'analyser, de rejeter de choisir...
Au final ils se retrouvent à quatre. Comme les mousquetaires. Trois plus un. Dynamite à la batterie, Vincent Palmer à la guitare, Philippe Dauga à la basse. Formule minimale. Ils avaient un chanteur. S'en sépareront quand la mayonnaise commencera à prendre. Pas par méchanceté. Par nécessité. L'alcool l'a rendu trop instable... C'est un plus, le groupe se ressoudera d'autant plus sur lui-même. Sont trop peu nombreux pour ne pas faire bloc. Si en 1975 le groupe percutera si fort c'est avant tout grâce à cette cohésion orchestrale durement acquise, engoncés sur eux-mêmes comme un poing fermé qui vous désarçonne au premier coup. C'est un moins, le chant restera la grande faiblesse de Bijou, pas que Palmer et Dauga qui s'y collent aient démérité, mais à la base ce ne sont pas des chanteurs.
L'en reste un, Jean-William Thoury, l'homme à tout faire ( ce qui laisserait supposer que les autres ne feraient rien ) chauffeur, parolier, un oeil sur les projos, une oreille sur la sono... De visu pour un peu on le prendrait pour le larbin de service. Mais c'est la tête pensante, pas celui qui réfléchit à tout pour ne rien oublier, non le stratège. Celui qui a tout compris, que dans un groupe de rock, les musiciens ne sont que la cinquième roue de la charrette, s'ils avancent au petit bonheur la chance, saisissant les occasions quand elles se présentent. Alors que l'on se doit de savoir à l'avance ce que l'on veut. On ne profite pas de l'opportunité des circonstances, on la crée de toutes pièces. Le rock est une question de maîtrise. L'on calcule la musique, on définit l'image, on n'avance jamais à l'aveuglette. On pourrait le comparer pour la partie d'échec qu'il entreprend avec le monde du showbizz à Malcolm McLaren, le prodigieux metteur en scène des Sex Pistols.
INTEGRITE ROCK
A part que Jean-William Thoury – en parfait accord avec les trois autres – ne désire aucunement monter l'arnaque rock'n'roll du siècle. Refusent d'être des escrocks. Entendent simplement être et devenir ce qu'ils sont. Au grand jeu du poker menteur de la vie, ils posent tout sur la table : chantent en français parce que yaourter en anglais est peut-être plus difficile et moins évident, et quelque part une manière de se singulariser tout en restant fidèle à soi-même par rapport à tous ces french group qui scandent in english. L'idiome comme une ligne de démarcation, et comme affirmation non négociable.
Normalement les maisons de disques devraient se précipiter, elles qui s'obstinent à ce que leurs artistes soient accessibles à la plus large portion du public. Il n'en fut rien. L'on n'apprend pas à un voleur à se faire prendre. Les majors ont du flair, ces quatre zozos ont bien d'autres idées derrière la tête, vont vouloir tout diriger, le contrôle total sur leur production. Le Thoury n'est pas un touriste qui se laissera manoeuvrer facilement. Elles se méfient.
Mais Jean-William s'entête, il veut une major. Ou rien d'autre. Pas de minuscule label qui n'offrirait pas un studio digne de ce nom, même pas Skydog de Zermati, le label rock par excellence, car trop connoté pour un public de spécialistes et aux garanties de distribution improbables... Veut être présent sur l'ensemble du territoire. Les musicos le méritent.
Et c'est vrai que le bouche à oreille fonctionne. Bijou n'a pas enregistré un seul disque que déjà son nom circule dans toute la province – j'en peux témoigner pour la ville rose de Toulouse – sur la foi de rares témoins qui ont eu la chance d'assister aux premiers concerts. C'est que les amateurs de rock bouillonnent. L'on sent que quelque chose est en train de monter, que les New York Dolls et Dr Feelgood ne sont que des signes avant-coureurs. Londres est en pleine effervescence. C'est pourtant en France que l'étincelle rock va mettre le feu à toute la plaine punk. A Mont-de-Marsan au beau mois d'août 1976... Bijou tirera les marrons de l'incendie, une prestation remarquable, répétée l'année suivante, qui mettra le feu aux poudres.
BIJOU PUNK
Les évènements se précipitent si rapidement, ils sont si difficiles à cerner que durant plusieurs mois on mêlera Bijou à la nomenclatura punk. Tant que les Pistols n'auront pas défini à leur avantage les canons du punk, tout ce qui apparaît un peu trop rentre-dedans sera catalogué comme pure punk. Mais Bijou reste avant tout un groupe de rock. N'ont pas la banane, mais ils soignent leur mise – il n'existe pas de photo d'Eddie Cochran en tenue négligée ont-ils l'habitude de dire – rock, mais trop mods pour être rockers, le look mais pas les loques, les épingles à nourrice et le débraillé punk, ils rejettent en bloc...
Musicalement c'est un mix entre les Chaussettes Noires et les Flamin' Groovies – Bijou a fini par trouver un groupe à son image, les Flamin' qui envoient la purée tout en restant classe, le grand style, la fureur et l'élégance. Destroy mais en costume trois pièces. Sont trois mais Bijou repose sur Vincent Palmer. Le guitariste, la guitare, le son. La discographie de Bijou est parsemée d'instrumentaux. Bijou n'a jamais renié ses origines. L'ombre des Shadows les poursuit. La revendiquent, mais la guitare claire de Marvin est un peu customisée, parfois elle gronde comme celle de Keith Richards sur Have You Seen Your Mother Baky Standing In The Shadows, mais Palmer ne se laisse jamais déborder par l'amplification du son, joue serré, très serré, cherche avant tout la maîtrise, change de plan comme de lunettes noires. Aujourd'hui Bijou tourne encore, sous le nom de Bijou SVP, acronyme de Sans Vincent Palmer, mais c'est comme une bouteille de whisky sans whisky...
Sur scène Palmer n'est guère statique, avec Philppe Dauga à la basse ils ont un jeu d'avancées et de reculades qui n'est pas s'en rappeler celui du premier Feelgood avec Wilko Johnson. Nerveux, incisif et jamais en difficulté, rapide et jamais en défaut, Palmer est un plaisir à voir ( vidéo sur You Tube ) et à écouter. Inventif mais sans une note de trop, vise à l'efficacité, jeu sans esbroufe, mais percutant.
BIJOU DISCOG
Parviendront enfin à décrocher une signature chez Phonogram, via Philips. Auront ce qu'ils auront voulu. C'est à dire qu'ils se font avoir. On leur concèdera leur liberté de création puisqu'ils y tiennent. Mais la liberté a un prix pour lequel Philips refusera de s'engager. On distribuera les trente-trois dans les bacs à disquaires mais pour la promotion radio et le battage médiatique, inutile de repasser. Le retour sur investissement sera très bon pour Philips puisqu'ils n'investissent rien, pour Bijou, ce sera la grosse déception.
Pathe-Marconi ne lésinera pas sur les moyens pour imposer Téléphone, le concurrent direct de Bijou. Pas musicalement, car Téléphone est beaucoup plus Stone que Bijou, qui sonne beaucoup plus pub-rock. Mais un pub-rock qui aurait gommé ses racines noires. Bijou ne sera jamais un groupe grand public, sera le combo pour aficionados. Au bout de quatre trente-trois tours, l'unité idéologique de Bijou se lézardera. Dauga pensant qu'il serait plus rentable de céder les titres à un éditeur qui aurait intérêt à les commercialiser à outrance. L'expérience ne lui donnera pas raison.
Les titres des cinq premiers albums de Bijou suffisent à cerner l'univers du groupe : Danse Avec Moi, OK Carole, Pas Dormir, En Public, Jamais Domptés, plaisir des filles, la scène comme champ de bataille, orgueil rock attitude, un programme qui ne tranche en rien avec les paroles des grands rockers nationaux : Hallyday, Rivers, Ronnie Bird, Noël Deschamps... Jean-Williams Thoury s'inscrit dans une tradition populaire qu'il continue. Il est dommage que ses textes n'aient pu bénéficier d'un chanteur qui les aurait davantage théâtralisés par le seul grain de sa voix. Le LP Pas Dormir enregistré sous la houlette des frères Mael du groupe Spark qui ont malheureusement gommé les aspects les plus durs des morceaux est le seul qui rende quelque peu justice aux voix de Dauga et Palmer mises en avant puisque les parties instrumentales ont été édulcorées.
N'ai jamais été grand fan de Gainsbourg. Pas assez rock à mon goût. Trop chanson française. Gainsbourg aura vampirisé Bijou. La collaboration des deux artistes aura plutôt brouillé l'image du groupe patiemment mise au point par Jean-Williams Thoury. Cet épisode aura précipité la perversion des goûts d'un public qui au début des années quatre-vingt commence à abandonner le gros rock qui tâche pour de doucereuses sucrettes : reggae, world music...
THE END
C'est le reflux. Le rock recule, les salles ferment... Bijou ne survivra pas à la crise : le groupe s'effiloche, pire Bijou n'est plus à la pointe du rock français, le renouveau rockabilly qui s'installe doucement mais sûrement capte à lui toute une partie du public rock qui était la base des fans de Bijou. Qui suit le mouvement : le groupe enregistre Bijou Bop, ce n'est pas un retour aux sources, plutôt le serpent qui se mord la queue... La boucle se referme. Bijou explose. Tout le reste de l'histoire ne sont que les débris que la comète entraîne dans sa révolution.
Bijou a disparu des consciences. Jean-François Jack ressuscite la légende. Un travail de titan qui fourmille d'anecdotes et de détails, mais surtout une admirable reconstitution d'une époque révolue. Un superbe cadeau pour les générations futures qui voudront se pencher sur la naissance du phénomène rock en France, avec en prime la relation du parcours exemplaire d'un groupe appelé à devenir encore plus culte grâce à ce livre.
Quarante ans se sont écoulés depuis la naissance de Bijou, Nous croisons de temps en temps Jean-Williams Thoury dans les concerts rockabilly. Toujours aussi attentif à cette musique qu'il aime et qui a orienté sa vie. Nous avons déjà présenté dans KR'TNT deux de ses ouvrages, l'irremplaçable somme sur Gene Vincent Dieu du rock'n'roll paru au Camion Blanc ( voir livraison N° 18 du 27 / 09 / 10 )et son dictionnaires des films de moto, Bikers ( N° 165 du 28 / 11 / 13 ). Vincent Palmer a renoncé à s'auto-parodier, Bijou a vraisemblablement été une expérience trop forte et trop intime, pour qu'il ait envie de continuer... La courte notule biographiquee sur Jean-François Jacq, due à la plume de Christian Eudeline, sur la quatrième de couverture, nous incite à nous procurer ses autres livres.
Damie Chad.
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08/05/2014
KR'TNT ! ¤ 188 : VINCE TAYLOR / ATOMIC SUPLEX / JALLIES / ELVIS SUR SEINE
KR'TNT ! ¤ 188
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
08 / 05 / 2014
VINCE TAYLOR / ATOMIC SUPLEX / JALLIES / ELVIS SUR SEINE |
VIES ET MORT DE
VINCE TAYLOR
FABRICE GAIGNAULT
( Fayard / Avril 2014 )
A peine plus d'un an, c'était dans notre cent quarante-deuxième livraison du 02 Mai 2013 que nous chroniquions le livre de J-M Esperet, intitulé Le Dernier Combat de Vince Taylor, et voici en cet avant-dernier jour d'avril 2014, ce Vies Et Mort de Vince Taylor, que mon libraire à la trentaine décidée me tend fièrement : « Peut-être que ça vous intéressera, personnellement je n'ai aucune idée de qui ça peut être ! », comme quoi le renouvellement des générations n'est pas une garantie de perpétuation rock'n'rollienne.
Tout ne peut être dit murmurait J-M Esperet dans les dernières pages de son ouvrage, trop de témoins de la descente en enfer de Vince Taylor sont encore en vie et peut-être serait-il mal advenu de froisser des susceptibilités et de réveiller des animosités que l'on ferait mieux de laisser dormir, le temps que les passions s'apaisent et que les querelles ressassées - la sagesse de la vieillesse aidant - perdent de l'importance dans les esprits tuméfiés des derniers protagonistes d'une histoire par trop douloureuse.
Fabrice Gaignault n'en a pas jugé ainsi. Faut bien un jour ou l'autre qu'un des disciples de Saïs chers à Novalis trouve en lui le courage d'arracher le voile de la déesse. Point pour voir sa nudité dans toute sa vérité mais pour apercevoir la crudité de sa réalité. Et avec Vince Taylor l'on est sûr de refaire le chemin de Dante, mais à l'envers, du paradis aux derniers cercles de l'Enfer.
Je croyais ne point connaître Fabrice Gaignault dont une courte notule biographique nous apprend qu'il occupe le poste de rédacteur en chef de la rubrique Culture et Célébrités à Marie Claire – exactement le genre de magazine que je n'ouvre jamais – mais en parcourant sa biographie je m'aperçois que dans KR'TNT 42 DU 02 / 02 / 2011, nous avions déjà consacré une chronique à Aspen Terminus ( Claudine Longet + Stones, pour résumer ) dans laquelle nous nous attardions sur la beauté de son écriture. N'a pas perdu son style, ce Vies Et Mort de Vince Taylor est écrit d'une plume élégante et précise qui ne lèche ni ne lâche, qu'elle rende compte des années heureuses ou des périodes les plus sombres.
Ce n'est ni un roman, ni une enquête, mais un roman en quête de Vince Taylor, le livre est bourré d'anecdotes pour la première fois révélées au public, mais Fabrice Gaignault ne cherche pas à aguicher le lecteur en accumulant détails scabreux ou affriolants. Il note avec une précision d'entomologiste mais ne s'attarde guère. Vous donne l'information, à vos phantasmes de poser le décor et le scénario. Ce qui l'intéresse c'est de retrouver l'homme derrière le rocker, la chair sous le cuir. La méthode est d'autant plus appropriée que Brian Holden Taylor a été le premier à rechercher qui se cachait sous le sobriquet métaphysique de Vince Taylor. Certains regardent la lune et d'autres se gaussent de ceux qui ne voient que l'index. Mais le problème est ailleurs, ni au bout de vos doigts ni dans les limbes lointaines de l'astre d'Astarté. Simplement dans votre tête. Mais il est dangereux de se pencher sur l'abîme. Vince, un talisman protecteur, un prénom pour vaincre, mais le Taylor was not rich. Ce fut une défaite à plate couture.
Que ce Vies et Mort de Fabrice Gaignault ne vous dispense pas de lire Le Dernier Combat de J-M Esperet, les deux livres racontent la même histoire mais sont très complémentaires, chacun insistant davantage là où l'autre passe rapidement.
LES ANNEES FASTES
Commencent par une terrible déception. Lors de son examen Brian Holden rate son atterrissage et son brevet de pilote d'avion. Heureusement, pour nous. Nous avons failli perdre un des plus grands chanteurs de rock'n'roll de sa génération. Mais pour lui, une catastrophe. Sera rocker par défaut. Restera toute sa vie le petit garçon qui veut devenir pompier pour conduire le gros camion rouge. Offrez-lui une place de PDG, de l'argent plein les poches, des femmes à ses genoux, regrettera toujours son rutilant véhicule. Une fêlure qui ira s'agrandissant, dans l'ombre. Le vase cassé de Sully Prudhomme. Vous préfèreriez peut-être que je cite Freud et les méfaits de l'inconscient, disons alors le démon de la perversité cher à Edgar Allan Poe, l'auteur couleur noir corbeau.
En attendant c'est le Père Noël qui arrive, le beau-frère plein d'argent prêt à débourser pour que le frère de sa jeune femme devienne l'Elvis Presley d'Angleterre. Le scénario dérape, bye bye the english pelvis, deviendra le deuxième Gene Vincent de France. Itinéraire bis, loin des facilités de l'autoroute. Evacuons le problème qui gêne : notre hexagone possède son petit dilemme à lui, ce n'est pas Beatles ou Rolling Stones, mais Vince Taylor ou Gene Vincent. Question stérile, il y avait en notre doux pays de la place pour deux. Dans le désert ( du rock ) français.
Mais nous n'avons pas encore quitté les coteaux immodérés et verdoyants du succès. Fabrice Gaignault est le premier à s'attarder si longtemps sur les deux années rockambolesques de la vie de Vince Taylor. Monte si haut que l'on se dépêche de préparer la chute. Les journalistes aiment les récits oxymores, les lecteurs en sont friands. Ce qui plaît dans Icare ce n'est pas la montée vers le soleil mais quand les plumes fondent et qu'il retombe et se fracasse ( comme un aviateur qui rate son atterrissage ). C'est dommage parce que Vince s'envole vers l'astre du midi, mais c'est vers un soleil noir aussi sombre que le skaï de sa combinaison de faux cuir qu'il se dirige.
L'on connaît la musique, Barclay furieux de se faire piquer Hallyday par Philips entreprend de jeter dans les jambes du poulain qui vient de s'échapper de son écurie un crack étranger sous-employé en sa perfide Albion... Pas photo à l'arrivée. Face au noir profond de Vince nos rockers nationnaux deviennent transparents... C'est que Vince c'est en même temps la prestance d'Elvis et la dramaturgie de Gégène. En mieux, car il a davantage faim que le premier devenu matou repu et est nettement plus soyeux que le second, trop chat de gouttière. Un côté félin ensauvagé qui plaît autant aux filles qu'aux garçons. Surtout aux garçons. Pas n'importe lesquels. Les méchants. Les mauvais. Les blousons noirs comme on les appelle. Un public fidèle mais pas facile. Pas des tranquilles qui applaudissent sagement à la fin du morceau. Des qui veulent du rock, encore du rock, toujours du rock, rien que du rock. Un programme qui recoupe exactement celui de Vince. Se métamorphose dès qu'il est sur scène. Devient le berseker du rock'n'roll, en quelques secondes, en la vedette souriante s'incarne l'esprit chamanique des alligators monstrueux qui sortent la nuit des marais du Deep South en quête de chair fraîche. Bête de scène. Et en face, l'on n'a pas peur. On le provoque, on l'invective, on l'appelle, on l'invoque. Soirées de folie, spectacles pour fous que les autorités enfermeraient bien à l'asile... Mais les fauves sont lâchés et ça bastonne dur...
Surtout des garçons, mais les filles ne sont pas absentes. N'attaquent pas en meutes. Préfèrent le combat rapproché, choisissent le corps à corps. Mais avec Vince ce n'est pas le repos du guerrier. Je te baise et je te jette. Si j'ai un peu de temps, je te cogne pour que tu comprennes que je n'aime guère les situations qui s'éternisent. Le rock, le sexe, l'alcool et quelques autres excitants, des mois vécus à mille à l'heure, dans les hôtels, sur la route, à Paris, partout, côté scène avec les blousons noirs, côté vie privée et dépravée avec les blousons dorés. L'argent, la dope, les filles, le rock, la sainte trinité et la quadrature du sexe.
Barclay s'est trompé d'image. L'a misé sur la mise en scène de l'archange de la destruction, un mouvement un peu irraisonné et de colère envers le millefeuille Hallyday qui lui est passé sous le nez. Mais trois mille excités qui cassent tout, au début ça fait du bruit, mais à la longue ça effraie le bourgeois et les âmes pleutres. Faut bien bien que jeunesse se passe, mais rapidement. En plus les blousons noirs ils n'achètent pas les disques, parce qu'ils préfèrent les concerts, parce qu'ils les volent... Et puis le public français, le grand public, il ne pige pas l'anglais, préfère les versions françaises à l'original. Mieux vaut pousser un Eddy Mitchell qui parle la langue de Molière qu'un étranger qui baragouine un langage incompréhensible...
Solitude du rocher. En 1964, Vince Taylor n'est plus qu'un souvenir, mais rien n'est irrémédiablement perdu, possède encore des fans et son nom est connu. En 1965 il enregistre Vince ! Un des meilleurs trente-trois de rock français ( et de rock tout court ) du moment, lorsqu'il passe en première partie des Stones, fait jeu égal avec eux... Faudrait un bon impresario, faudrait un bon producteur, faudrait une nouvelle maison de disques, faudrait un fan-club, faudrait... beaucoup de choses. Faudrait surtout pas Vince Taylor.
L'est cassé, de l'intérieur. Beaucoup d'ennemis, beaucoup de faux-amis, mais le premier qui ne croit plus en Vince Taylor s'appelle Vince Taylor. Une crise, un moment de doute, le tunnel, mais des amis, des fans et des musiciens font bloc autour de lui. Au fond du puits mais la corde est là. Faut se hisser. A la force du poignet. Dur mais faisable. Mais le petit caillou qui fait dérailler le train est déjà posé sur les rails. Fume et boit beaucoup. Pas que des bricoles homologuées par l'Etat. Se charge aussi en produits illicites. Une party en Angleterre dans la suite de Bob Dylan tourne mal. Avale coup sur coup ce qu'on lui donne. Bad trip. Quand il redescendra il ne sera plus jamais comme avant. Un sacré coup sur la cafetière. Deux mois d'hôpital psychiatrique, avec l'électricité qui n'alimente plus les guitares mais les électro-chocs Ne saura plus qui il est. Brian Holden, Maurice ( deuxième prénom ) Holden, ce n'est pas très clair, se méfie surtout du troisième, Vince Taylor. Celui-là il va falloir faire avec. Parfois être lui. Le plus souvent et de plus en plus souvent vivre à côté de lui.
LES ANNEES NEFASTES
La longue nuit ne fait que commencer. De temps en temps il est Jésus, de temps en temps il est le Christ, de temps en temps il est Mathieu l'Evangéliste, de temps en temps il n'est personne perdu dans un silence intérieur. Quand la mer se retire... Mais aux yeux de tous il est Vince Taylor. Lui ressemble de moins en moins. Cheveux trop longs et maigreur cadavérique, sa princière beauté a fondu comme neige au soleil. Mais il attire encore les filles, vit trois ans avec Mychèle, d'abord chez ses parents puis à l'hôtel, elle le quitte pour l'avoir frappée, les galères s'enchaînent, un an à Mâcon recueilli par un fan, trois ans à faire la plonge dans un bouiboui, passe de squats de clochards en nuits à la mauvaise étoile, n'est plus qu'une ombre fantomatique...
Mais la vie n'est pas si simple. D'anciens admirateurs, des fans de base, finissent par le rencontrer par hasard le long de ses errements et par le reconnaître. Cas de conscience morale. Peut-on dignement laisser Vince Taylor à la rue, et très vite le projet fou qui germe, pourquoi Vince Taylor ne redeviendrait-il pas le grand Vince Taylor ? Les imprésarios improvisés s'empressent, doués d'intentions plus ou moins désintéressées, Jean-Charles Smaine, Jacky Chalard avec Patrick Verbeke, on lui monte des tournées chaotiques dans des boîtes minables, des bars de treizième zone... Parfois le miracle a lieu, pour l'espace d'un concert, d'un quart d'heure, d'un morceau, de quelques secondes, il redevient le Vince Taylor magnifique, mais la mayonnaise tourne très vite en eau de boudin. La prestation tourne à la catastrophe, déplorable et ridicule... Vaut mieux ne plus y penser.
On parviendra à lui faire enregistrer deux disques qui ne sont ni mauvais ni inintéressants, mais Fabrice Gaignault expose sa thèse. Recoupe les témoignages, et les analyse. Vince s'en fout. Pire il ne demande qu'une chose. Qu'on le laisse en paix, que l'on ne ressuscite plus le macchabée Vince Taylor. C'est une défroque vide qu'il ne veut plus endosser. Résistance passive. Le personnage lui pèse. Plane dans son seul rêve : l'aviateur qu'il est dans sa tête. Rend son artefact Vince Taylor responsable de ses déboires et de sa déchéance. Etre ou ne pas être Vince Taylor, tel est son problème car quand il n'est pas Vince Taylor, il n'est plus personne. Des deux côtés la souffrance est immense. Dans sa folie Artaud le momo est encore Artaud le poète. Dans sa nuit longue nuit Vince Taylor n'est plus rien.
L'on a parlé d'une fin heureuse. The Happy End, avec les guitares débranchées à jamais et les violons qui chantent l'amour romantique. Un jour ma princesse viendra... elle est venue, elle s'appelle Nathalie, elle est amoureuse, elle est libre, elle a une fille d'un premier mariage, elle a de l'argent... Tout pour être heureux, l'emmène chez elle, loin de la France le pays de tous les malheurs, elle l'emporte, pas au paradis mais en Suisse. Mais un Vince Taylor peut-il être heureux au pays des coffres-forts et de la romance ? Nathalie ne sait pas en quoi elle s'est engagée. L'amour n'est pas un remède universel. Tout au plus le laudanum des imaginations faibles ou naïves qui pensent qu'il est capable de faire reculer tous les démons. On peut supporter les divagations, les extra-terrestres, les raisonnements sans queue qui tête mais la vie au côté d'un alcoolique pas du tout anonyme n'est pas de tout repos. Faut se les fader les alcoolos au quotidien, déjà avec un Monsieur Tout Le Monde ce n'est pas évident, alors avec quelqu'un qui est Brian Maurice Holden aviateur sans avion et par intermittences Vince Taylor rocker sans rock'n'roll... Une espèce d'individu schizoïdalement dépressif atteint de forts troubles bipolaires dont les deux personnalités se combattent... Regard en arrière dans le miroir. Retour symbolique à la fascination presleysienne originelle. C'est l'histoire inversée du jumeau d'Elvis qui ne serait pas mort et qui aurait voulu trucider le King, sans y parvenir.
L'aurait bien désiré l'enterrer à jamais Vince Taylor. Va y réussir, au-delà de toute espérance. Un cancer généralisé des os se déclare. L'on pourrait parler d'une leucémie êtrale, d'un corps qui pousse dans un autre corps, pour mieux le supplanter. De la mauvaise herbe. Sa tombe sera recouverte d'un monument en marbre. Avec son nom, Brian Maurice Holden, mais l'on rajoutera une petite plaque Alias Vince Taylor, le titre de son autobiographie – à laquelle Fabrice Gaignault se rapporte à plusieurs reprises.
Ce n'est pas tout à fait la fin de l'histoire. Sur ce que l'on commençait tout juste à appeler les réseaux sociaux, des fans délaissent de drôles de messages. Se sont rendus au cimetière de Lutry, et ne sont pas parvenus à trouver sa tombe. Qui aurait effacé le nom ? Et pourquoi ? Fabrice Gaignault répond à la première question. Nathalie a fait enlever le monument en 2004. Elle refuse de répondre à la deuxième question. Elle parle d'acte horrible... N'en dit pas plus. Nous non plus. Par respect pour celle qui demande le silence. Mais rien que dans cette chronique vous pouvez savoir. Suffit d'un peu de perspicacité. Vince Taylor ( 1938 – 1991 ), âme déchirée, aura été jusqu'au bout un rock'n'roller. Sais-tu ce que cela veut dire ?
Toute notre fidélité. A lui dans la glèbe funèbre, sous son carré de gazon anonyme.
Un très beau livre.
Damie Chad.
ROUEN / LES TROIS PIECES
03 – 05 – 2014 / ATOMIC SUPLEX
RAYMOND SUPLEX
Longtemps Crypt fut considéré comme le label garage de référence. On ne jurait que par Crypt. Crypt machin, Crypt truc, t’as du Crypt ? Oh c’est sur Crypt ! Un Crypt sinon rien ! Voir Crypt et mourir ! Sans Crypt, pas de salut possible, Saint-Crypt priez pour nous, Crypt, c’est extra et sous le voile à peine clos, cette touffe de noir Jésus, Crypt emballé c’est pesé, du Crypt en veux-tu en voilà. Tous les chevaliers de la Table Ronde du PMU de la rue Pierre Fontaine partaient en quête du Saint Crypt. Tagada tagada. Ils carburaient au fioul (coca-pastis).
L’initiateur du mythe Crypt s’appelle Tim Warren. Ce citoyen américain est toujours actif, mais il a dû réduire son rythme de production après avoir failli faire faillite. Chaque fois qu’il signait un groupe sur son label, il organisait une tournée et il perdait de l’argent. Visionnaire, Tim Warren avait inventé un vrai ton, comme Sam Phillips avant lui avec Sun Records, et surtout un langage pour vanter les mérites de ses poulains. Yeeasssss ! The Big Daddy Catalogue fut pendant des années une bible dans laquelle on se goinfrait de ce slang garage inventé de toutes pièces par Tim Warren, une langue bardée d’onomatopées et d’expressions spectaculaires qui allait être ensuite copiée par les autres labels indépendants. Tim Warren se positionnait comme un fan de garage, exactement de la façon dont Greg Shaw le fit avant lui avec son fanzine et son label Bomp. Il faisait un label de fan pour les fans et il s’adressait exclusivement aux amateurs de garage fumant. Chez Crypt, pas de mous du genou. On pouvait acheter les albums Crypt en toute sécurité. Jamais Tim Warren n’aurait osé proposer un mauvais disque à son public. Et donc tous les groupes qui avaient un peu de style et d’originalité rêvaient de se retrouver sur Crypt. Parmi les grands groupes Crypt des années 90, on trouvait les Gories, les Oblivians, l’extraordinaire duo de Detroit Bantam Rooster, les fabuleux Beguiled, Teengenerate, Thee Headcoats et Thee Mighty Caesars de Wild Billy Childish, le Jon Spencer Blues Experience des débuts, les fringants Lazy Cowgirls, les Raunch Hands, les atroces Cheater Slicks, les faramineux Country Teasers d’Écosse et l’excellent Nine Pound Hammer de Blaine Cartwright, comme on le voit, rien que des poids lourds du garage américain - et japonais pour Teengenerate. C’est Crypt qui aurait dû sortir les brillants albums du King Khan & BBQ Show et des Black Lips, mais à ce moment-là Bomp et In The Red avaient les reins plus solides.
Après plusieurs années de silence étourdissant, Tim Warren réanima le label en 2003 pour sortir le premier album des Little Killers qui est évidemment un excellent disque de trash-garage new-yorkais. Puis en 2010, il fit paraître un single de Johnny Throttle, un groupe qui comprenait des ex-Parkinsons de Londres. Et dans la foulée, on vit arriver sur le label ressuscité l’album «Bathroom Party» d’Atomic Suplex.
Alors, on vit les Cryptheads réapparaître dans les rues, tels des zombies échappés de la Nuit des Morts Vivants, ce cauchemar fatidique signé George A. Romero.
Deux Anglais, un drummer français et une Anglaise ont décidé de redorer le blason du trash-garage exacerbé, une tradition initiée par deux groupes japonais, Guitar Wolf et Teengenerate. Rien à voir avec le hardcore ou toute autre dérive névrotique. Le trash-garage est une émanation outrancière du garage-rock qui respecte bien les codes du genre, mais qui pousse le bouchon un petit peu plus loin, au niveau du scream, du son et de la vitesse de propulsion. Plus ça va dans le rouge, meilleur c’est. Plus ça perce les tympans, meilleur c’est. Un conseil, quand vous voyez un groupe de ce type sur scène, ne restez pas à côté des enceintes, sinon vos oreilles vont siffler pendant plusieurs jours.
Belle pochette. Raymond Suplex 98 gît au sol. Il porte son casque et ses lunettes noires. Sur le carrelage autour de sa tête, on voit des flaques de pisse. «Bathroom Party» d’Atomic Suplex n’est pas un album de prog médiéval. Parce qu’il s’écoute en 45 tours.
Dès le premier morceau, on sent qu’on est sur Crypt. Gros son et parfum de folie. «Action Time» sonne et pulse comme tous les autres morceaux de trash-garage qu’on connaît, c’est le rock de la crypte saturé jusqu’à la nausée et on s’en repaît. Pas de son plus dense, plus barbare que celui-là. Le cut est hanté par une belle ligne de basse obsessive. «Rock’n’Roll Machine» qui suit fonctionne comme un modèle. Tous les groupes de rock (excepté Guitar Wolf et les Magnetix qui font déjà ça) devraient écouter ce morceau et prendre des notes. Avec Atomic Suplex, on assiste au retour en fanfare de la légende Crypt et ça nous réconforte les oreilles, car Tim Warren et ses collègues ont joué dans l’histoire du monde moderne un rôle capital. Ils ont été en quelque sorte les arbitres des élégances du garage pendant une bonne dizaine d’années. En gros, il y avait eux et le reste. Tim Warren crachait sur le crap et il avait raison. Sur Crypt, on entend bramer les australopithèques au fond des cavernes, et ça, on ne l’aura jamais sur Capitol ni sur Polydor. Sur Crypt on entend siffler les nappes de larsen pourries de distorse, et ça, on ne l’aura jamais sur Vertigo ni sur Atlantic. Raymond Suplex 98 et ses complices lâchent leur purée de trasherie en pleine cavalcade fantastique, et on voit le batteur tomber, renversé par la mêlée. C’est spectaculairement bestial. On est là au cœur du domaine de Guitar Wolf et de Teengenerate. Blanc, break et ça repart au coup de cymbale. Résultat : on a la pièce de trash la plus baveuse qui ait existé depuis l’invention de l’omelette.
Ils continuent dans le rock’n’roll avec «Rock’n’Roll Action», avec une intro plongée dans le larsen. On se sent si bien chez Crypt. On y trouve tout ce qu’on aime, le gros déblai, le gros remblai, la touille, la morve, la gicle, le blast, la basse qui sature, les vocaux qui résonnent dans la cave, ils tarpouillent leur frichti sans aucune compassion pour les lois sociales. En prime, Raymond Suplex 98 hurle comme un boucher ivre de mauvais vin. Il brandit sa Flying V comme s’il brandissait l’un de ces immenses hachoirs à carcasses. Dans «Diamond Skull», le batteur devient fou. Et Raymond continue de râler avec cette voix de pirate abandonné sur une île déserte. Il hurle pour rien dans son micro et les filles font les chœurs de la tribu des Zoulous zébrés, avec des basses insalubres. Par dessus tout ça coule une nappe de sax et Emma Leaning vient rajouter une coulure de chorus verdâtre. Ça tribalise dans la pénombre humide de la salle de bain et on se chope une belle poussée de température malsaine. «Atomic Suplexed By A Girl» est encore une trasherie poursuivie par un sax. Notons au passage que l’Atomic Suplex est une prise de catcheur. On ne verra pas souvent passer des trasheries comme celle-là dans le quartier. Ni même dans le monde civilisé. Il faut en profiter. «Bathroom Party» est un peu plus punk, plus secoué du bulbe, embarqué à cent à l’heure. C’est effarant de fuite. Ça n’en finit plus de fuir. Raymond Suplex 98 et ses co-équipiers sont des dingues de la fuite.
On s’arme de courage pour attaquer la face B. Avec «Girl Ride», on retrouve les ingrédients du trash pas de quartier. Ce n’est pas un disque destiné aux canards boiteux. Raymond Suplex 98 fait dans le marche ou crève de Biribi. «I’m On» est connu comme le loup blanc. On pense à «No One» de Johnny Moped. Ça sonne comme un classique vieux de trente-sept ans, mais ce n’est pas grave. Vélocité et emportement inconsidéré sont les deux mamelles de ce morceau. Franchement, les Atomic Suplex ne respectent rien.
Et là on entre dans une petite histoire en trois morceaux : l’histoire du rock’n’roll revue et corrigée par Atomic Suplex. Premier épisode : «Rock’n’Roll Is Never Going To Die». On retrouve les passes d’armes d’Eddie Cochran dans «Summertime Blues», retour de voix en baryton et tempo bien posé. Mais ce pauvre rock’n’roll est frappé en plein front d’un grand coup de masse de chantier. Alors il s’éloigne en titubant. On l’entend hurler dans la nuit éternelle. Il ne reverra jamais le jour, en tous les cas pas avec Atomic Suplex. On l’entend là-bas au loin gémir en heurtant des tas de gravats et des morceaux de ferraille.
Deuxième épisode avec «Rock’n’Roll Must Die». Pour les besoins du morceau, Raymond Suplex et ses lieutenants s’élancent à la poursuite du rock’n’roll. Ils le traquent dans la nuit, guidés par les lointains hurlements. Le pauvre rock’n’roll aveuglé par le coup de masse de chantier n’en finit plus de heurter des pans de murs et des branches d’arbres. Il entend les autres qui gueulent derrière. Il sait que s’il tombe, il est foutu. Alors il reprend son souffle, ravale sa bave et sa morve et de remet à courir comme un dératé. Mais Raymond Suplex doit l’achever pour les besoins du morceau, alors il le rattrape et le stompe.
Troisième épisode avec «I’m Rock’n’Roll». Le rock’n’roll se réincarne immédiatement dans le corps de Raymond Suplex 98 qui peut alors beugler I’m Rock’n’Roll. Il est encore plus débile qu’avant. À côté de lui, Frankenstein est un boy-scout. Raymond Suplex 98 part en vrille comme un poulet décapité. Il braille dans le micro qu’il est le rock’n’roll. Voilà ce qu’on appelle une saynète trash en trois actes.
Ils terminent cet album épuisant avec «Little Boy Blues». C’est un blues grillé vif dans la friteuse de la déveine. Il n’est pas de blues plus cradingue sur cette planète.
Alors évidemment, quand on apprend qu’Atomic Suplex vient jouer dans la cave d’un petit bar de Rouen, on se prépare psychologiquement. Le mieux est encore de boire une bonne rasade à la mémoire du capitaine Drake et de ses trente-deux bouches à feu et de mettre son destin en lieu sûr dans les mains du diable. Comme tous les bars, celui-ci accueille l’assoiffé à bras ouvert et après avoir fait honneur à Dionysos, on se risque à descendre un escalier à l’ancienne, très abrupt et pas du tout recommandé lorsqu’on qu’on danse le twist en marchant. Dans ces cas-là, on compte sur la chance. On finit par déboucher dans l’étuve de la petite crypte qui sent la sueur et le brûlage de calories. Un groupe punk nommé Jackhammer termine son set. Puis Raymond Suplex et ses amis s’installent. L’indicible Raymond Suplex a troqué sa Flying V contre une autre guitare. JD Kickdrum, le batteur français, nous expliquait qu’il avait trop de problèmes avec la Flying. Raymond revêt son casque de motard et son cuir frangé, et wham-bam, le groupe nous embarque dans son ouragan de trash-rock déjanté et jouissif. Ils sont dans l’énergie et dans l’ultime véracité du rock’n’roll. Ils le réduisent à sa plus simple expression, la plus directe, celle qui monte droit au cerveau. Raymond Suplex braille dix mille fois le mot rock’n’roll dans son micro de biker fixé au casque. Emma plaque ses accords sur une SG bordeaux et saute dans tous les coins. Dan May patate ses grosses lignes de basse. Il faut les voir s’agiter dans cet espace minuscule, tailler leur route dans une tornade sonique d’ultra-saturation et derrière eux bat JD, un monstrueux punkster, l’un des batteurs les plus secs, les plus puissants et les plus excitants qu’on ait vu depuis Rat Scabies. Il lance quasiment tous les cuts au tac-tac de baguettes et ça fonce. Raymond Suplex joue dans le chaos des mômes qui se télescopent devant lui, il tombe à genoux, il se redresse, il hurle, il prend des chorus déviants, pour une heure, il incarne tout ce qu’on adore dans le rock’n’roll, la folie, la sauvagerie, le funambulisme, les franges qui volent, la tourmente sonique, la perte des équilibres et l’ivresse d’une liberté absolue. Des verres de bière se lèvent à la santé du chaos et des corps qui dansent les bousculent, envoyant des mousses valser dans la tempête. Raymond Suplex nous ramène aux racines du rock de cave. Un coup de Crypt dans la crypte, ça te remet d’équerre. Ça réveille l’animal qui dort à l’intérieur. Pour tous ceux qui voient dans le chaos la vraie source de vie, Atomic Suplex est un groupe de rêve.
Signé : Cazengler, Atomic complexe
Atomic Suplex. Le Trois Pièces. Rouen. 3 mai 2014
Atomic Suplex. Bathroom Party. Crypt Records 2011
Sur l’illustration, de gauche à droite : Suplex 98, Emma Leaning et Dan May. Derrière, JD Kickdrum, mais on ne le voit pas.
VILLENEUVE-SUR-CHER ( 18 ) / 03 - 05 – 2014
11° RASSEMBLEMENT MOTO COSTER ROLLER
THE JALLIES
Ce n'est pas la teuf-teuf mobile qui urge sur l'autoroute mais la toto-ride du grand Phil qui pachydermise sur le goudron. Quand une fille vous donne rencart, ce n'est jamais la bonne heure, en plus là, elles sont trois et elles ont négligé d'indiquer l'horaire de passage... Voyez un peu l'approximation, bons princes l'on a escompté le premier set en soirée à vingt heures avec arrivée à Villeneuve-sur-Cher à 19 heures. Nous sommes des gars prévoyants. Pas assez, au milieu de l'après-midi le portable indique enfin un horaire fiable, 18 Heures, l'on ronchonne mais pas trop, les Jallies sont trop mignonnes, elles peuvent nous faire tout ce qu'elles veulent.
C'est Phil qui n'avait vraisemblablement rien à retordre qui a déclenché l'opération commando, tiens les Jallies passent à Villeneuve, on pourrait s'y rendre. Des Villeneuve, en France il y en a une toutes les trente kilomètres, bien sûr ai-je répondu ravi de l'aubaine. C'est là qu'il a rajouté, c'est dans le Cher, à trois cents cinquante kilomètres. De toutes les façons Cher ou pas cher, il fallait y aller : c'est la nouvelle formation des Jallies, et leur premier concert, dans vingt ans on le racontera, tout fiers à nos petits-enfants, bouche bée.
Dans le cockpit je subodore : Roller Coster, Phil(ibert) je parie un camembert que ce sont des bikers. Tiercé gagnant. Mais pour le l'automobile on n'a pas la grille complète, on arrive à 18 heures trente et lorsque l'on se rapproche de la concentration le vent nous balance dans les oreilles les échos de The Train Kept A Rollin', les Jallies sont sur scène, les swingin' garces ne nous pas attendus.
FIN DU PREMIER SET
L'on n'aura droit qu'aux trois derniers morceaux. Ne me demandez pas si c'était bien, j'ai surtout ouvert les mirettes. Je ne suis pas le genre de gars à m'assoir à la table de mon restaurant préféré, sans au préalable étudier la nouvelle formule sur la carte. A première vue devant rien de changé, trois filles qui batifolent, le bataillon de choc et de charme des voltigeurs fidèle aux avant-postes. C'est derrière que l'on aperçoit le renfort. Incroyable mais vrai. Julio n'est plus le seul, un deuxième garçon s'est introduit dans cet orchestre à dominante féminine. S'appelle Thomas, a priori le gars qui n'est pas bête - plein de jolies filles, je vais essayer de squatter - n'a pas tort, s'est fait tout beau, a enfilé sa chemise blanche pour faire bonne impression et en plus il a emmené sa copine, une gratte électrique et croyez-moi ça s'entend. Julio semble content, ne sera plus l'unique souffre-douleurs de nos trois tarentules. Pardons je voulais dire libellules.
Papillonnent tout sourire, Vaness un rayon de soleil empli de pétulance qui tape sur sa caisse claire, Céline gracieuse ballerine qui jase et rime dans le micro, et Leslie. Ady est partie. Vers d'autres aventures. Emportant sa note bleue vers d'autres arcs-en-ciel. Le groupe aurait pu se dissoudre, mais il a fait front. Thomas pour la guitare, Leslie pour le vocal. Jolie Leslie. Pour l'instant elle wap do wapise à profusion. A l'aise, peut-être encore un peu intimidée tout de même, mais à la voir bouger et à l'entendre pépier si vivement, l'on comprend que l'oiselle dépliera ses ailes très vite.
Je ne suis pas du tout le genre de mec qui passe son temps à mater les grognasses. Question oreille, l'ensemble sonne typiquement Jallies, avec tout de même un grain de guitare qui pousse son groin électrique d'une manière un peu plus insistante. Prometteur. Feraient bien quelques morceaux supplémentaires, mais non, elles reviendront dans une heure. L'orga a prévu un défilé de mode et un magicien...
INTERSET
Comme nous ne sommes pas méchants nous qualifierons le défilé, d'amateur, quant au magicien, je ne sais pas de quel chapeau ils l'avaient sorti mais il aurait dû commencer par se faire disparaître ! L'on a préféré faire le tour des stands, nombreux, principalement des fringues et très bikers. Pas vraiment rock, même pas un disquaire ! Organisation nickel chrome. Grands stands de toile noire pour les boutiques, accueil sur trois jours avec possibilité de camping. Lieu agreste accolé sur la rive du Cher qui pousse paresseusement un limon à teinte verdâtre. Petit vent frais particulièrement sensible sous l'immense marabout dressé pour les animations. Une vaste scène avec avancée dans le public à la Rolling Stones, mais en plein courant d'air. Pourvu que nos petites jalinettes ne se soient pas attrapé un rhume ! Pour le moment elles sont en train de signer leurs disques... et la file n'en finit pas de se renouveler.
DEUXIEME SET
Moins de monde. Dix-neuf heures, le public familial est rentré à la maison, et nombre de bikers se remplissent la panse dans les baraques à frites. L'espace se remplira tout de même peu à peu. Magnétisme des Jallies. Un set normal, serais-je tenté de dire. N'ont eu le temps que de trois répétitions pour se caler. Elles – chez les Jallies le féminin l'emporte toujours sur le masculin - reprennent donc le répertoire habituel, tout en étant conscientes que tout l'été nos cigales gazouillantes devront se livrer à un dur labeur de fourmi rouge. Recomposer une set-list qui tienne compte des désidératas et des nouvelles possibilités apportées par le savoir-faire et la sensibilité des nouveaux membres.
Une chose est sûre, Thomas n'est pas à la traîne, s'immisce partout, trouve toujours l'espace pour ponctuer de trois notes cristallines la fin d'un round de caisse claire, instille un mini solo lors des cessations vocales, souligne d'un riff la coda d'un solo de Julio sur sa contrebasse, l'oeil aux aguets et la corde qui se détend comme l'arc qui décoche une flèche. Pas du tout un son rockab – me dira qu'il bosse actuellement sur Gene Vincent – marqué très années soixante-dix, ce qui modifie, en la fluidifiant, la structure de la plupart des morceaux. Moins de syncope, pas de ruptures sauvages ni de reprises bondissantes, mais de l'énergie inépuisable. Sûr que le son des Jallies va évoluer. Redéfinition du son. Des équilibres seront à trouver. Sur le jump, entre le swing et le rock. La meilleure méthode pour ne pas se répéter, s'encroûter dans une formule toute faite. Le groupe possède un atout, Julio peut coller sans hiatus à tout changement.
L'instant crucial. Vaness passe le micro à Leslie. Je ne voudrais pas vexer nos deux messieurs mais les Jallies c'est avant tout les trois précieuses pépites pétillantes qui chantent devant. Sont chargés de la logistique musicale, mais la gloire du chant d'honneur est réservée à nos trois amazones. Leslie n'a pas l'air le moins du monde embarrassée, à peine si elle jette un regard sur le classeur à paroles, grand sourire, ne prend même pas le temps de respirer, et tel Empédocle abandonnant ses chaussures sur le bord de l'Etna, elle se lance dans un Fujiyama Mama brûlant comme les flammes de l'enfer. Plus tard elle nous fera un Queen Rock'n'roll qui mettra tout le monde d'accord. Ce n'est pas qu'elle chante bien, c'est qu'en plus elle a cette aisance, presque cette désinvolture, naturelle qui vous ravit le coeur. Et puis ce sourire délicieux, on la sent heureuse d'être là et de donner, et de partager cette joie de vivre qui l'habite. C'est une Jallies, une vraie, une perle qui ne dépare en rien dans le collier. Vaness et Céline ont retrouvé une âme soeur. La magie trinitaire des Jallies est intacte. Le sortilège n'est pas près de cesser de fonctionner.
Ai beaucoup insisté sur les nouvelles têtes. Faut les accueillir dans le nid douillet des mots. Leur faire une place qu'elles méritent déjà à la première prestation. Les Jallies sont de nouveau sur la route du rock'n'roll et cela nous enchante. Je n'oublie pas d'envoyer une bise amicale à Ady.
DIDIER LAVERA
J'en parle, mais je ne devrais pas. Parce que je n'ai pas écouté avec toute l'attention requise et que nous sommes partis au beau milieu du set. Parce que je papotais avec les Jallies, je n'ai pas compté les bikers qui voulaient à tout prix une photo avec nos trois sylphides – normal un motard est aussi un homme de chair et de sang – mais ce qui m'a étonné c'est le nombre de filles qui désiraient se faire tirer le portrait en leur compagnie, comme si elles devenaient les figures symboliques d'un nouveau féminisme.
Changement de décor. Hard trio rock. La formation minimale et la puissance sonore maximale. Du lourd, très lourd. Suis un déçu par les premiers morceaux. Mais avec le vent glacial qui souffle, ce ne doit pas être facile de chauffer les doigts et la voix. Comme pour me donner raison les morceaux suivants seront de mieux en mieux balancés. De mieux en mieux équilibrés, et de plus en plus vivants. N'ont pas la tâche facile. Le public s'est désagrégé durant l'installation du matos et des annonces diverses. Thomas me souffle qu'ils doivent aimer Lynird Skinird et se redresse tout fier lorsqu'ils interprètent un de leurs titres. Didier Lavera n'est pas un nouveau venu dans le monde du métal. Trente ans qu'il hurle et riffe sur les planches. A même assuré la première partie de Metallica. Mais la route nous attend. Lorsque nous repassons le pont du Cher, la bise aigre nous amène des volutes sonores des mieux moulées. Du coup je regrette de ne pas avoir pris le CD sur le stand des Roller Coster. Mais je note sur mon calepin. Je ne connaissais pas, mais la prochaine fois que je croiserai son chemin, j'irai voir de près.
RETOUR
Mission accomplie. Phil ( de fer ) s'est gelé comme un iceberg chez les Roller Coster, mais on a vu les Jallies, et il n'en fallait pas davantage pour nous rendre heureux.
Damie Chad.
( Une seule photo, alors on a pris des photos de l'anniversaire de Billy, Thomas à droite en chemise blanche. )
ELVIS SUR SEINE
UNE ENQUÊTE DE MONA CABRIOLE
STEPHANE MICHAKA
Mona Cabriole est une parisienne branchée, du genre exécrablement séduisante et sûre d'elle, journaliste pour Parisnews, à la rubrique musique. Pas exactement le genre de personnage dont on raffole: elle habite sur une péniche, conduit un scooter rouge, fréquente des bars infâmes, bref, le Paris que franchement, on n'aime pas. Ah oui, j'oubliais son ami livreur-de-pizzas-sans-papiers-noir-à-l-accent-prononcé parce qu'évidemment, Mona est gentiment de gauche. Voilà qui explique l'approbation des Inrockuptibles sur la quatrième de couverture. Comme tout héros digne de ce nom, Mona a une faille, un démon qui la hante, une cicatrice mal refermée et comme chez toute jeune femme digne de ce nom, cette faille vient du père. Mona aurait aimé aimer son papa mais, grand reporter magnifique mort en Afghanistan, il a préféré l'enquête à la famille, les lumières affolantes de toute cette vérité que le grand public ignore aux lourdes responsabilités d'un père. Sans se l'avouer, Mona veut quand même être à la hauteur. Elle ne veut pas jouer dans la cour des méchants, elle sera une journaliste honnête. Je vois que vous relisez la phrase précédente avec circonspection. Allons, allons, je vous avais prévenu, c'est gentiment de gauche. Autant vous rassurer tout de suite, Mona et moi avons quand même un point commun, un seul (excepté le charme ravageur). Son papa et le mien vouent au King la même vénération. Elle s'en est moins bien tirée mais mine de rien, ça vous rapproche. Vous donne de l'intérêt pour ce petit polar léger, pratique pour tuer une heure ou deux. Ça n'a d'ailleurs pas plus d'ambition. Question style, c'est vivant, ça se veut acerbe et drôle (réussit à l'être assez souvent) mais manque un peu de méchanceté et de tenue.
Je vous disais, le King. Il est au cœur de cette enquête rocambolesque qui, si je vous en racontais l'histoire, perdrait immédiatement tout attrait. Ne comptez pas en apprendre plus sur Elvis qu'en consultant sa page Wikipédia, ne comptez pas non plus trembler d'excitation sous l'effet du suspense, vous aurez le plaisir de lire une version pour adulte de Fantômette, c'est déjà bon à prendre.
MO
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