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05/06/2014

KR'TNT ! ¤ 192 : GOMMARD / DATSUNS / LOREANN' / PATRICK EUDELINE / LAURENT CHALUMEAU / HOMESMAN

 

KR'TNT ! ¤ 192

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

05 / 06 / 2014

 

 

GOMMARD / DATSUNS / LOREANN' / PATRICK EUDELINE

LAURENT CHALUMEAU / HOMESMAN

 

 

MONTREUIL / 31 / 05 / 14

 

 

CROSS DINER / LE GOMMARD

 

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Le grand Phil exulte, sa place au carrefour juste en face du centre commercial est encore une fois libre. Réservée par le préfet qu'il dit. On n'ose pas émettre des doutes car l'on est tout heureux de n'avoir pas à remonter trois kilomètres d'avenue à pieds. Autant lui laisser ses illusions jusqu'à la prochaine fois. Car l'homme vit davantage de rêve que de pain. Phrase due à la plume de je ne sais plus quel affameur du peuple.

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Le temps de traverser la route et nous effectuons une entrée remarquable et remarquée – remarque toute subjective, les rockers c'est comme la bière, ça aime bien se faire mousser – dans le Cross Diner. Point trop de cats à l'horizon, normal, le Gommard finit de peaufiner sa balance, l'est donc encore tôt, mais le vieux réflexe atavique s'est encore une fois de plus vérifié, il est vrai qu'en règle générale les chats n'aiment pas les chiens. N'essayez pas de me contredire en m'assurant que votre siamois et votre pitbull dorment dans la même panière, ce n'était pas l'énonciation strictement zoologique d'une étude sur le comportementalisme animalier, mais une simple réflexion sur le fait que les publics rock ont du mal à se mélanger. Les amateurs de rockab ont tendance à déserter les groupes garage heavy blues punky rock ( appellation incontrôlée ), mais vous pouvez inverser les termes de l'équation sans problème. Cherchez l'erreur. Les tribus indiennes qui s'adonnèrent à ces dérives par trop identitaires en subirent les terribles conséquences.

 

Pour les malheureux qui n'auraient pas lu la cent quatorzième livraison de KR'TNT du 18 / 10 / 12, recension du livre IWW. Wobblies & Hobos de Joyce Kornbluh paru aux éditions de L'Insomniaque, et agrémenté d'un CD de chants de luttes sur lequel le Gommard interprète magnifiquement six titres gorgés de sèves rebelles, qu'à l'origine le caoutchouteux sobriquet Gommard désignait le chien d'Eric le batteur, qui s'en est allé rejoindre son frère Cerbère dans les Enfers toujours pavés de mauvaises intentions comme dirait Robert Johnson... Ne me reste plus qu'à citer la phrase définitive que Karen chargée de la programmation me glisse à l'oreille : «  Le Gommard, c'est simple, c'est le meilleur groupe de Montreuil ! », alors les narvalos si vous n'avez pas compris que ce soir ça va saigner, allez vous faire soigner ailleurs.

 

KNOCKIN'...

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Faut toujours un point noir dans la blancheur immaculée du Yin, le bonheur pourrait être parfait mais ce soir le destin aux ailes de fer rouillé s'est abattu sur Eric. Privé de concert, la première fois en sept ans que je ne suis pas sur scène, vient-il se plaindre. Accident de scooter, l'épaule recouverte d'une attelle-couffin aussi grande que l'Amazonie, l'a dû laisser sa place à un remplaçant, Yann. Mais pas question pour Eric de se coller sur une banquette et de regarder le train passer. Tourne autour du groupe comme un vol de vautours affamés qui accompagne le voyageur égaré dans le désert de la mort. N'a plus qu'un bras mais cela ne l'empêchera pas de jouer d'une batterie virtuelle, et de prouver geste à l'appui que réflexes intacts, il connaît tous les breaks au centième de seconde près, prévenant même un peu à l'avance Yann des plus surprenantes brisures de rythmes sur des morceaux trop vite répétés. Cinq sur scène, plus un coeur fou qui bat encore plus vite que les autres, à côté. Knockin' On The Heaven Door, jamais la formule de Dylan n'aura été aussi appropriée que pour ce batteur tapant sur la peau d'invisibles toms qui de toute la soirée ne se matérialiseront pas, malgré l'envie folle qui le tenaille.

 

PREMIER SET

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Dirty Water, vous annoncent la couleur tout de suite. Le Gommard ne donne pas dans l'azur cristallin. Ca cogne, ça plombe, ça rocke et ça rolle sans ambages. Viande bleue et blues saignant, de l'indigo et de l'outremer, c'est du foncé tout droit, et rien ne l'arrête. Quatre mesures et le public se presse devant l'orchestre. C'est du foncé défoncé. La lourdeur du blues et la rage du rock. Pas évident d'obtenir un tel alliage. Le Gommard y parvient d'instinct. Musique de rebelles. Le rock comme la mélodie de tous les massacres à venir.

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Kik le grand est au micro. Malgré le volume sonore, la voix reste claire et vindicative. Un chanteur, un vrai qui impulse le mouvement qui donne la direction à suivre et qui caracole sur les puissantes ondes dégagées derrière lui. Possède sa boîte à trésors dans laquelle il s'en va ferrailler le temps d'en extraire son sabre de cavalerie, un harmonica à la tonalité souhaitée d'une dizaine de centimètres de long, mais quand il le colle à son micro qu'il referme sa main dessus et qu'il se met à souffler dedans l'on a l'impression que les eaux du Mississippi vous tombent en cataracte sur le dos.

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L'est méchamment aidé par les deux guitaristes. Pierrot et Bob. Au début j'ai distribué les rôles, un rythmique et un soliste. Mais en fait c'est plus compliqué que cela. Deux solistes, mais qui ne jouent pas ensemble. Ou plutôt pour bien faire comprendre la subtilité de l'approche, deux solistes qui jouent ensemble mais chacun son solo. L'un qui appuie sur la règle et l'autre qui souligne à côté.

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Honneur à Pierrot, cheveux gris et casquette plate, petit gabarit chétif, recroquevillé sur sa Gibson, concentré au possible, n'aime rien tant moins que de s'embarquer dans des chevauchées solitaires. Deux pédales à effets spéciaux à ses pieds, et c'est parti pour une tonitruante cavalcade. Les autres sont groupés et avancent du même pas, mais lui il se déplace sur les ailes pour effectuer d'improbables razzias, il apporte ce grain de folie sans lequel le rock est une plante morte qui n'a pas reçu l'eau nécessaire à sa survie. Parfois un peu desservi par la sono qui mange ses effets mais chaque fois que je le sens prêt à prendre la poudre d'escampette je laisse une oreille pour l'écouter et le suivre dans de chaotiques circonvolutions qui me ravissent.

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De l'autre côté c'est le contraire. Max, géant débonnaire lui aussi sur Gibson, mais un tout autre jeu, beaucoup plus discipliné. Fidèle au poste et sans cesse attentif. Toujours là quand on a besoin de lui. Joue le rôle du renfort, l'apport décisionnel qui emporte le morceau et le bascule dans un bain de fièvre et de tourmente. Et plus la soirée s'avancera plus ses interventions gagneront en poids et en force, mais aussi en rapidité. Un oeil sur l'harmonica et un autre sur la basse de Bob. Enfin cette dernière il n'a pas vraiment à la surveiller, se présente d'elle-même, la troisième guitare solo de la soirée, à part qu'elle elle ne se repose jamais entre deux interventions. Flot continu de notes grasses et dodues, rallonge la sauce et la fondue; l'épaissit merveille. La noire pesanteur du blues incarné, mais avec cette vélocité adjacente qui est un peu la marque du Gommard.

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Attention le blues rock du Gommard ne ressemble en rien au blues compatissant de petits blancs qui font acte de contrition et qui mendient leur pardon à l'on ne sait trop qui, c'est un blues rock de colère et de rage, des titres comme Wich Side Are You On ou le Rebel Girl de Joe Hill sont là pour rappeler que rien ne s'obtient sans la lutte. Le drapeau blues du Gommard est tâché du rouge sang des exploités. De tous pays, qui ne se sont pas encore unis.

 

De Love Potion N° Nine des Coasters au Going Back Home du bon vieux Dr Feelgood le Gommard décline toute une histoire du rock des racines noires aux rebellions blanches.

 

DEUXIEME SET

 

Démentiel. Le Gommard revient en force. Mettent la gomme avec L'Homme A La Moto qui n'est pas une originale d'Edith Piaf comme tant le croient mais une adaptation de Leiber and Stoller que le Gommard doit bien aimer puisqu'ils auront repris durant la soirée trois de leurs titres. Sixteen Tons de Merle Travis et Rusty Cage de Johnny Cash ( via Soundgarden ), le Gommard est décidément près des racines, comme par un fait exprès suivi de Preachin' The Blues de Robert Jonhson. Que du beau monde, mais le tout est distribué avec l'estampillage Gommard, asséné avec violence et énergie. La foule ondule salement. Beaucoup de borderlines, de ces individus qui vont jusqu'au bout de leurs délires et de leurs fièvres. La musique du Gommard vomit les tièdes.

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Le combo tangue méchant. Yann s'enhardit, il se permet de quitter la binarité salvatrice de la caisse claire qui vous maintient sur la piste et vous empêche de vous égarer, mais un tantinet trop mécanique à la longue, pour des passes un peu plus alambiquées. Dédaigne un peu trop les toms mais instaure un effet de volume inspiré en tapant sur les cymbales. Kik est infatigable, pas une seule fois ne faiblit sa voix, et en plus il prend soin de son petit monde, indiquant de la main les baisses de tonalité et les reprises fulgurantes. Il demande à Eric de prendre un micro pour se charger des choeurs ( et plus si affinités ). Eric possède une voix superbe très sixty, qui me laisse admiratif. Mais déjà le groupe se surpasse sur Teenage Head des Flamin' Groovies – faut être sacrément sûr de soi pour taquiner ce genre de rhinocéros féroce – que Kik dédie à tous les adolescents attardés. Belle métaphore du public rock d'aujourd'hui. Un peu triste aussi quand on y pense. Mais la fureur du groupe sur Y'a du Baston Dans La Taule dissipe très vite les mélancolies qui voudraient pointer leur nez. Le titre est devenu l'indicatif de l'émission L'Envolée de Fréquence Paris Plurielle sur les prisons... A sa manière le rock du Gommard dégomme le système.

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TROISIEME SET

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Ce devait être un dernier morceau pour la route, un apéritif de fermeture en quelque sorte. Ils ont eu beau faire traîner Mustang Sally en passant le micro à tout le monde pour le refrain, personne n'a voulu leur céder le passage pour qu'ils puissent regagner le bar. Remarquez cette douce violence ils y ont cédé rapidement, tout heureux de nous refiler quatre petits rabes en plus. A la fin, ils étaient crevés mais Kik et Pierrot nous ont offert une petite dernière - exigée à haute voix par des fans décidés à avoir leur petite gâterie habituelle coûte que coûte - pratiquement a capella, sur fond d'un de ces solos charbonneux qui vous consument l'âme dont Pierrot a le secret.

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Beau concert. Je ne connais pas tous les groupes de Montreuil. Mais Karen avait raison, ce soir ils étaient les meilleurs.

 

Damie Chad.

 

( Les photos prises sur leur facebook ne correspondent pas au concert du 31 mai. )

 

LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 17 - 05 - 14

 

LES DATSUNS

 

LES DATSUNS NE SONT PAS DES VOITURES

 

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Très mauvais souvenir du concert des Datsuns à la Boule Noire en 2006. Ça bâillait aux corneilles dans les premiers rangs. On voyait les frères Dalton du garage néo-zélandais faire leurs hystrionics sur scène et on ne savait pas s’il fallait rire ou pleurer, tellement c’était cousu de fil blanc. Ils nous resservaient toutes les ficelles de marabout des seventies, du sous Led Zep et de la petite blague à la Free, du pattes d’eph et de la chevelure dans la figure.

 

Il devait y avoir erreur ce soir-là, car on était venu voir un groupe garage dont le premier album tenait bien la route. Christian Datsun, Dolf De Datsun, Matt Datsun et Phil Datsun s’étaient glissés dans le revival garage de l’an 2000, avec les Strokes, BRMC, les Hives, les White Stripes, les Von Bondies, les Yeah Yeah Yeah, Jet, les Vines, D4, les Libertines, les Kills, les Lords of Altamont et des tas de groupes scandinaves comme les Flamin’ Sideburns, les Gluecifer et les Turbonegro. On ne savait plus où donner de la tête. Côté concerts, c’était de la folie. Et puis, le NME en rajoutait des caisses, vantait les mérites de tous les disques et faisait souvent sa une avec des photos fantastiques de Dolf De Datsun, en posture acrobatique avec sa basse Firebird.

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Il ne reste pas grand-chose de cette vague. Seuls les meilleurs ont survécu. Les Dirtbombs, les Black Lips et Wild Billy Childish sont toujours fidèles au poste. Et bizarrement, les Datsuns aussi, alors que personne n’aurait parié un seul peso sur leur capacité à traverser les années. Surtout en jouant un garage limite de ce qu’on appelait avant le rock high energy, un genre difficile qui en a ratatiné plus d’un. Franchement, on ne voit pas comment les Datsuns vont pouvoir continuer à ruer dans les brancards, comme ils le font depuis un peu plus de dix ans.

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Leur premier album à pochette blanche est sorti en 2002. Il plut beaucoup aux amateurs. Sur dix titres, six étaient excellents. Ils démarraient avec «Sittin’ Pretty» et un gros enroulage riffique doublé d’un chant perché au sommet du rouleau. Ils sonnaient comme une mer déchaînée. Ils nous sortaient de la manche un blast boogie punk spontané, et on se régalait d’une telle ferveur. Cris, solos, toute la panoplie était au rendez-vous avec la lune, et le soleil était là aussi. Ce disque s’imposait comme un gladiateur vainqueur. On retrouvait cette exemplarité sonique dans le morceau suivant, «MF From Hell», chant perché d’intro et cocotage repris par le gras du riff. Leur truc était cousu de fil blanc américain. À l’époque, tous les groupes à gros bras tatoués sortaient ce son. C’était donc du sans surprise, avec des accidents rythmiques prévisibles. Pur seventies sound et le problème, c’est qu’avec les albums suivants, les Datsuns allaient s’enfermer dans ce son et s’y éteindre petit à petit.

 

«Lady» était bien drumbeaté, un brin heavy, un vague caractère de pépite. On les sentait affamés d’innovation. On voyait cette belle pièce se balancer sur un riff glissant. Les Datsuns arpentaient la foire à la saucisse du garage et s’amusaient du moindre riff. Ils nous faisaient le coup du solo en coin salement killer et amené de travers. Stomp d’intro pour «Harmonic Generator» et ils allaient chercher l’effet glam. Choix judicieux. On avait en prime des sales petites choristes malveillantes. Et ils nous tenaient en haleine tout au long du cut. Avec «What Would I Know», ils sonnaient comme Nashville Pussy et lançaient des assauts d’accords annonciateurs des pires exactions. Dans d’autres morceaux comme «At Your Touch», ils révélaient une tendance à singer AC/DC et ça sentait un peu la fin des haricots. Ils revenaient à un son plus proche de celui des Hellacopters pour «Fink For The Man», embarqué au blast. On y retrouvait tous les avantages du bon blast, la pression continue, les reprises impossibles, la glotte sanguinolente, les petites flammes crachées par les amplis, le pulsatif rythmique, le solo qui bande comme un âne et tout le folklore béni par certains, et honni par d’autres. Ils fonçaient comme le train fou qui avait déjà brûlé tout son charbon et nous offraient le spectacle ahurissant d’un joli break de calme shakespearien porté par la basse de Dolf. L’autre grosse pièce de cet album était «You Build Me Up (To Bring Me Down)», sleazy et troué de breaks sublimes, dans la veine du trash-punk blues de Jon Spencer et ils terminaient avec une autre énormité, «Freeze Sucker» dotée d’un gros refrain condescendant.

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Deux ans plus tard sortait leur deuxième album, «Outta Sight Outta Mind». Avec un titre pareil, on pouvait s’attendre à un gros délire psyché, d’autant que la pochette, dans les tons hallucinatoires, les montrait de dos, s’enfonçant dans la forêt. Sur les trois premiers morceaux, on retrouvait la grosse débauche énergétique, le chauffage à blanc et le riffage alambiqué censé donner du souffle, mais il manquait l’essentiel : l’inspiration. On pouvait classer les Datsuns dans la catégorie des braves soldats du garage dont personne n’allait se souvenir après la bataille, même s’ils avaient vaillamment combattu et bien éclairci les rangs ennemis. Ils renouaient heureusement avec la réussite au quatrième morceau de l’album, «Messin’ Around», joué en boogie. On entrait toutefois dans les limites du genre. Ces kiwis savaient chauffer une salle, mais leur style composital restait trop comprimé. Avec ce morceau, ils se montraient dignes des Status Quo et ils parvenaient à forcer l’admiration. Dolf hurlait comme une sorcière de Walt Disney et un petit solo de wha-wha arrivait comme un charme. Ils revenaient dans le sillage des Hellacopters avec «Get Up (Don’t Fight It)», un morceau monté sur un riff de guitare. Finalement ce n’est pas si compliqué de monter un groupe comme les Datsuns : il suffit d’avoir le copain qui passe son temps à bricoler des petits riffs bien percutants sur sa guitare et puis on monte là-dessus des textes de circonstance. Avec ce morceau, on est dans cette configuration. Compo de salle de répète, sans idée harmonique. Et donc, avenir incertain. Il est rare qu’un riff ordinaire fasse date.

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Petit coup d’exotisme avec «Hong Kong Fury», grosse intro admirable et balancement rythmique. On naviguait dans les mêmes eux que «Bangkok». On adorait ces virées en extrême-orient. Les Datsuns nous traitaient ça au goudron. C’était du salace et du bien garni, avec un solo glou-glou versé sur le riffage chinoisé. Quand on se retrouve face à un groupe comme les Datsuns, il faut savoir se montrer patient et tolérant. On finit toujours par être récompensé. «You Can’t Find Me» se retrouvait sous pression dès l’intro, et puis ça devenait le morceau intéressant de l’album, car ça pulsait bien et on plongeait dans un délicieux marécage de chœurs de folles, c’était encore une fois très bien vu et l’ami Christian décochait un solo sonique droit dans l’œil de la lune de Méliès.

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En gros, les Datsuns mettent deux ans à préparer un nouvel album. «Smoke & Mirrors» est donc sorti en 2006, dans la plus totale indifférence. Les amateurs de garage ont fini par lâcher prise, sentant que le groupe tournait en rond. Et puis ce concert à la Boule Noire scella en quelque sorte leur destin. Tout le côté excitant du premier album s’était volatilisé. Leur seule chance de survie était d’aller sur le glam ou le boogie, c’est-à-dire de jouer la carte de l’efficacité. Ils devaient absolument éviter ces compos ambitieuses qui retombent comme des soufflets et qui furent l’apanage de la grande majorité des groupes des seventies.

 

Justement, on trouve deux morceaux intéressants dans «Smoke & Mirrors». Un stomp et un glam-rock. Comme son titre l’indique, «Who Are You Stomping Your Foot For» est un stomp, et même un bon stomp. Voilà une belle pièce de garage à cheval sur les époques, à la fois classique glammico-speedo et enlevée à la hussarde d’orgue battant. On sent bien que les Datsuns sont remontés à cheval car leur pounding est d’une puissance irrationnelle. C’est véritablement un morceau de batteur. Voilà ce qu’on appelle un train d’enfer, chez les cheminots de Sotteville. Cette belle pièce allongée et athlétique, suave et luisante, file sur l’horizon comme une balle perdue. Mais les morceaux suivants tournent assez mal, on va du Cockney Rebel au balladif atroce. Le riff de «Maximum Heartbeat» ne fait pas le moine. Dolf fait son Plant et Christian fait son tarabiscoteur, histoire d’épater la galerie des glaces du Palais de Versailles. Voilà un cut assez pompeux et un peu trop led-zeppien pour être honnête. Ils jouent «All Aboard» au bottleneck comme s’ils cherchaient la direction du Deep South en partant de l’étoile polaire. Du coup, ils s’égarent dans les seventies. Réveil en fanfare avec «Such A Pretty Curse», une petite pièce de garage stompée à la bonne franquette. On sent chez les Datsuns une nette tendance au glammage, ils frôlent parfois la tangente, mais ils retombent facilement dans leur passion du rock mal hurlé. Dommage qu’ils n’aillent pas franchement sur le glam, ça leur donnerait un certain cachet. Led-zepper ne leur apportera rien.

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«Headstunts» accentue encore l’impression de déclin qui émane des deux albums précédents. On retrouve ce chant perché sur la montagne et ces chœurs aléatoires qui plombent les morceaux. Ils se comportent comme des gamins, ils retapissent tous les clichés du rock et il faut attendre «Highschool Hoodlums» pour retrouver un semblant de filon. Ils l’annoncent avec un drumbeat de hit à la Gary Glitter - one two three four ! - et les riffs pleuvent comme vache qui pisse. Grâce à ce coup de glam, ils retombent sur leurs pattes, et c’est stupéfiant. On les prendrait presque pour des Anglais, tant leur glam tâche bien les draps. L’autre bon morceau de l’album s’intitule «Pity Pity Please». On croirait entendre du Jane’s Addiction balayé par des vents de speedance écarlate et des remugles de wha-wha.

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Leur dernier album s’appelle «Death Rattle Boogie». Ce disque malheureux illustre parfaitement ce qu’on sentait venir : la catastrophe. Pauvres Datsuns, ils se sont donné tellement de mal depuis des années pour en arriver là. À part le petit stomp de «Brain Tonic», pas un seul morceau n’est sauvable.

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Tiens ! Ils viennent jouer à Rouen, alors on prend un billet. Comme bon nombre de groupes, les Datsuns donnent mieux sur scène qu’en studio. Phil arrive le premier sur scène avec sa Flying V. Il semble bien allumé. Au moins comme ça, on reste dans le folklore. Puis arrivent ses collègues Rudolf, Christian et un batteur. Ils attaquent leur set avec «Silver» - un nouveau cut ? - et «Sittin’ Pretty», tiré du premier album. En forçant une voix qu’il n’a pas, le chanteur bassman frôle un peu l’arnaque. Phil gratte ses accords mécaniquement et finalement, toute l’attention se focalise sur Christian Livingstone, le petit soliste arqué sur une Gibson Les Paul. Car tout repose sur ses frêles épaules, il enrichit considérablement les morceaux en titillant ses cordes de ses petits doigts et il réussit à injecter de la substance dans des morceaux pour la plupart désastreusement ordinaires. Sans lui, le groupe ne vaudrait pas un clou. Il multiplie les opérations de sauvetage, et vient se poster sur le devant de la scène pour poser un regard de guerrier apache sur le public docile. Ce mec dispose d’un talent avéré mais il le gaspille en essayant de sauver des morceaux mal gaulés et souvent insipides. Il place ses petits chorus de facture classique ici et là avec une ténacité qui l’honore et il finit vraiment par forcer l’admiration. Pas facile de jouer du rock seventies. L’histoire des Datsuns restera celle du groupe qui voulut led-zepper plus haut que son cul.

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Signé : Cazengler qui préfère les Sun qui datent aux Datsuns

 

Datsuns. Le 106. Rouen (76). 13 mai 2014

 

Datsuns. The Datsuns. V2 2002

 

Datsuns. Outta Sight/Outta Mind. V2 2004

 

Datsuns. Smoke & Mirrors. Hellsquad Records 2006

 

Datsuns. Headstunts. Hellsquad Records 2008

 

Datsuns. Death Rattle Boogie. Hellsquad Records 2012

 

Sur l’illustration, de gauche à droite : Phil Sommervell, Rudolf de Borst, Ben Cole et Christian Livingstone

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31 – 05 – 14 / LE CESAR / PROVINS

 

LOREANN'

 

Le temps d'avaler deux cafés brûlants. Coup sur coup. Ce n'est pas Loreann' qui est partie, mais nous. Rendez-vous d'urgence en tout début d'après-midi. Je sais c'est râlant que vous commencez à vous habituer à sa présence hebdomadaire, mais ce coup-ci c'est râpé. Comme le fromage. Consolation ultime, une superbe version de Blowin' in The Wind de Zimmerman Bob. Et il a fallu s'arracher à l'envoûtement de cette voix, pour vaquer à de vagues occupations. I don't think twice, ça me fait trop mal.

 

Damie Chad.

 

BOOKS

 

CE SIECLE AURA TA PEAU

 

PATRICK EUDELINE

 

( Editions Florent-Massot / 1997 )

 

Patrick Eudeline, j'ai des copains qui lui envoyaient des textes quand ses premiers articles ont paru dans Best, j'ai acheté le premier disque d'Asphalt Jungle le jour de sa sortie, et si je ne me jette pas avant toute autre lecture sur sa chronique mensuelle dans Rock & Folk c'est pour faire durer le plaisir, la jubilation n'en sera que plus forte, j'adore ses partis-pris et ses enthousiasmes, et son côté gladiateur qui descend dans l'arène pour ridicliser les Fauves aux dents élimés qui repartent la queue en tire-bouchon.

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Il y avait tout de même un truc qui me turlupinait la teté, Ce Siècle Aura Sa Peau, son premier roman, en avoir entendu dire tant de bien et ne l'avoir jamais lu, c'est râlant, mais il ne faut jamais douter de soi-même, tout individu possède des ressources insoupçonnées. C'est en farfouillant dans ma cave que j'ai mis par hasard la main sur trois formats quasi-carrés, vivement colorés, ah! Oui ! Les trois bouquins que j'avais pris chez le bouquiniste pour les images sur la couverture. Et là mes yeux se dessillent, Car en bas ! Triple bus en haut ! comme disent les mexicains, dix ans que ça traîne sur les étagères et je réalise aujourd'hui que parmi ces trois incunables rock se trouve Ce Siècle Aura Ta Peau de Patrick Eudeline, certains jours l'on porterait soi-même sa tête recouverte d'un papier cadeau au bourreau.

 

Lorsque je remonte à l'étage avec mes précieux trophées la copine qui endosse à tout bout de champ le rôle de George Sand y va de son commentaire littéraire : «  Qu'est-ce que c'est ! Ah ça rappelle Les Confessions d'un Enfant du Siècle de Musset ! », c'est exactement cela, poupée, lui répondé-je au petit-dèje, mais au temps du romantisme l'amour s'éclairait à la bougie, ici il marche à l'électricité, direct live branché sur le secteur. C'est de l'Eudeline haute tension. N'y mets pas la patte, tu risquerais de te brûler.

 

VINCENT & MARIE

 

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Comme Frankie and Johnny, l'ange noir et l'oie blanche à qui le bon dieu s'est donné sans confession, question annonciation symbolique au moins dès le début l'on sait que ça va mal se terminer, difficile de faire pire. Pour le décor c'est facile, les quartiers les plus pourraves de Paris du dix-huitième le plus craignos au Père Lachaise. Le cimetière c'est le point de mire et d'arrivée, mais ça vous l'avez déjà compris. Attention aux cartes postales chromatiques, ce n'est pas le Paris populaire bon enfant des années trente, Hôtel du Nord et Front Populaire. C'est le Paris de la débâcle, ni celle de 1870, ni celle de 1940, celle d'une autre génération, post-punk, post-eighties, appelez-la comme vous le voulez, de toutes les façons elle ne diffère en rien des autres, de toutes celles qui l'ont précédée, elle est perdue corps et bien.

 

Mais lorsque débute le roman il reste encore les corps. Celui du héros et de l'héroïne. Les temps sont durs. Si c'était de la poésie, Marie serait une épave baudelairienne et Vincent serait le manteau noir que Gérard de Nerval a transbahuté sur ses épaules les vingt dernières années de sa vie. Deux paumés, deux débris qui se cramponnent et s'agrippent aux petites branches du renoncement ou de la survivance pour ne pas basculer dans le vide abyssal que la vie a creusée sous leurs pieds.

 

Ne sont pas tous seuls. Sont les représentants d'une époque, d'une jeunesse où tous les rêves de grandeur étaient permis. La dope et le rock'n'roll coulaient à flots. Le fleuve semblait intarissable. La révolution culturelle que rien ne saurait arrêter. A part l'inertie des masses qui s'abreuvent sans fin aux mamelles de la pétoche sociale et de la variétoche nationale. Bref des laisser-pour-compte. Un plateau de télé pour les plus chanceux, distribution de coups de pieds au cul pour tout le monde. Le système ne fait pas de jaloux. Vous oublie plus vite que la prochaine mode.

 

Accrochez-vous à vos petites combines merdiques, maquez-vous, prostituez-vous, couchez à l'hôtel de la rue qui caille, avalez des médicaments de substitution, dépêchez-vous de disparaître. Pour Marie et Vincent, l'avenir est tout tracé. Il n'y en a pas. A part que, guigne amère sur le gâteau de merde, tombent amoureux au premier clin d'oeil.

 

INTERMEDE

 

Je dis amoureux et tout de suite vous entendez les petits oiseaux qui font cui-cui, et vous repeignez le décor en rose. C'est vrai que c'est cuit et que c'est rosse, mais vous vous trompez de vocable, le terme le plus important c'est tomber. Plus dure sera la chute et rien ne l'arrêtera. Deux gros câlins et puis plus rien. Vous épargne les détails. Soyez voyants mais pas voyeurs. Sachez regarder au travers de la chair les affres d'une société mortifère. Vincent et Marie font davantage mumuse avec Thanatos qu'avec Eros.

 

BEAUTIFUL FRIENDS

 

The end. Je vous avais prévenu, ce serait court. Trajet sans surprise. Le rock'n'roll ce n'est pas toujours le strass, le glam et les paillettes. Pour quelques élus peut-être. Mais pour le gros des troupes c'est un peu le miroir aux alouettes, les illusions perdues et la fosse commune.

 

Zoui mais. Car il y a un mais. Pas un joli mois de mai où l'on fait tout ce qui nous plaît, mais quand on y réfléchit bien les cendres froides du phénix sont aussi la preuve de son immortalité. Rien n'est définitivement perdu quand tout est foutu. Attention, pas le coup de la rédemption. Les christ qui vous promettent des monts et merveilles, on en rencontre à tous les coins de rue. Et Patrick Eudeline balaiera vos derniers espoirs sans pitié. Tuez le Christ il reste encore à avaler les épines. Genre de nourriture terrestre qui ne vous conduit pas au septième ciel.

 

Après l'amour, la mort. Mais après la mort ? Nos deux personnages ont trop erré dans le dédale des ruelles du septième cercle de l'enfer parisien pour croire à la possibilité d'un paradis. Mais à deux, quel que soit le prix à payer, si l'on a pris deux billets aller, l'un des deux héros ne peut-il se servir de l'un des deux sésames pour revenir à son point de départ. N'est-ce pas une manière, tel le doux Gérard, de traverser deux fois vainqueur l'Achéron ? Pour peu de temps sans doute, car la Camarde n'aime pas les resquilleurs, les petits malins qui descendent à l'avant-dernière station pour ne pas payer le prix fort. Quelques heures seulement, mais assez pour atteindre au moins une fois l'absolu, en allant jusqu'au bout du désir d'absolu.

 

Après, plus la peine d'en parler, l'hypothétique déchet n'a plus d'importance.

 

Un roman magnifique. Foutrement rock'n'roll.

 

Damie Chad.

 

UPTOWN

 

LAURENT CHALUMEAU

 

( Editions Florent-Massot )

 

Deuxième livre de la collection. Même type de couverture genre cacatoès réussi. Sorti aussi en 1997. Chez Florent-Massot on lançait la collection. De poche, mais un peu chère. Prohibitif pour bourse plate. Pas étonnant que ça n'ait pas marché. Visait un public assez étroit. Style lectorat Rock & Folk. Comme par hasard c'est dans cette revue que Laurent Chalumeau a publié son premier papier. Les Editions Florent-Massot ont dû changer maintes fois le fusil d'épaule. Débuter en 1994 par Baise-moi de Virginie Despentes était un coup de maître, pardon de maîtresse, pour douze ans plus tard produire Patrick Sébastien indique assez bien l'infléchissement d'une trajectoire passée sous la coupe de la grande distribution et l' assujétissement commercial au goût du plus grand nombre. Les Editions Florent-Massot fermeront en 2012.

 

Uptown est un recueil d'articles parus dans Rock & Folk et L'Echo des Savanes entre 1984 et 1989. Laurent Chalumeau sait de quoi il parle, durant sept ans il a sillonné aux frais de la princesse – en l'occurrence l'émission Marlboro Music diffusée sur les Radio-FM – les States en long en large et en travers. Plus tard, une nouvelle fois associé à Antoine de Caunes – il batifolera dans Nulle Part Ailleurs sur Canal +. Nous avons dans KR'TNT ! 84 du 02 / 02 / 12 chroniqué son réjouissant roman Bonus qui date déjà de l'an 2000.

 

NEW YORK – NEW YORK

 

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Uptown commence à New York et finit à New York. Des plages de Coney Island aux alentours de la 150° Rue. Cette dernière limite, imprécise et extensible. Mais le mieux c'est de ne pas s'attarder dans la grosse pomme. Le ver est toujours dans le fruit. Un petit tour à la campagne ne nous fera que du bien. Attention nous emmène dans des endroits pas folichons, genre pénitenciers et réserves indiennes, pour les amusements c'est rodéo et billards. Un peu western, un peu film des années cinquante. Pas spécialement rock – même si l'on y croise Johnny Cash, Bruce Springteen et Phil Spector, mais l'Amérique telle que toute une génération de gamins français a pu l'appréhender dans les films qui passaient à la télé le dimanche après-midi.

 

Années 80, l'Amérique n'est plus ce qu'elle était, le Viet-Nam, le crack et le sida sont passés par là. N'en parle pas. Mais le rêve américain s'est évaporé. Société qui vit sur ses propres mythes qui se rétrécissent de jour en jour. Le fric a pourri beaucoup d'idéaux. Les cow-boys sont promis à un prompt chômage puisque l'on transporte les troupeaux en camion, les indiens ne résistent toujours pas à l'eau de feu, les solitaires indomptés sont arrêtés par la police et jetés en prison, que vous portiez vos guêtres dans le Sud ou dans l'Ouest, vous risquez d'être déçus. N'y a que les gros affairistes et les petits trafiquants qui subsistent. Le dernier des hommes prophétisé par Nietzsche prolifère. Cette race dégénérée a envahi tous les comtés. Vous n'y échapperez pas.

 

Uptown c'est un anti-Kerouac. Nul besoin de psalmodier on the road again. Pourquoi aller si loin pour rencontrer de telles décrépitudes ! Cela n'en vaut pas la peine. Si vous venez d'acheter votre billet pour l'Amérique, revendez-le, ou mieux encore refilez-le à votre pire ennemi. Mais ne vous tirez pas non plus une balle dans la tête avec votre Smith & Wesson de collection. Vous avez un autre voyage, bien plus merveilleux, à accomplir. Qui ne vous demandera aucun effort. Pas cher, un cigare, un fond de whisky, un fauteuil et vous vous enfoncez avec suavité dans la prose de Chalumeau. Lui-même l'avoue dans sa préface, en ce temps-là il y croyait encore au rock'n'roll, à l'Amérique, et au personnage de l'écrivain, alors ses articles il les peaufinait aux petits oignons, et ça se sent, vous avez de ces clausules de paragraphes qui sont de petits bijoux d'or fin rehaussés de diamants.

 

C'est après, lors du retour, qu'il s'est aperçu qu'il avait perdu ses illusions. Se traite de mercenaire de la polygraphie. Se passe en quelque sorte au Chalumeau de la dérision et de la lucidité. Vous n'êtes pas obligé de lui accorder créance jusqu'au bout. L'a su garder une honnêteté intellectuelle. C'est déjà beaucoup que de ne pas être dupe de soi-même.

 

Et puis ne vous inquiétez pas trop, les mythes subsistent à tous les crépuscules.

 

Damie Chad.

 

WESTERN BOP

 

Croyait en être quitte à venir avec nous voir les concerts de rock le grand Phil, mais chez KR'TNT vous êtes vite repéré et mis à contribution. Comment tu possèdes une collection inépuisable de westerns en DVD, et en plus tu achèves de lire le bouquin dont on vient de tirer le dernier western Homesman, sorti le 21 mai dernier ?

 

Nous avait déjà donné une chronique sur Dialogue de Feu avec Johnny Cash comme acteur principal ( livraison 74 du 24 / 11 / 11 ), mais si l'on doit attendre cent-vingt numéros avant qu'ils ne se mettent à fournir la nouvelle rubrique Western Bop spécialement créée pour lui, l'on sent que les chasseurs de prime ne tarderont pas retrouver du travail sur le secteur provinois...

 

 

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HOMESMAN / GLENDON SWARTHOUT

 

Traduction de Laura Derajinski.

 

( GALLIMEISTER / 2014 )

 



 

Auteur prolifique de westerns nous prévient la quatrième de couverture. Alors prolifique, on ne sait pas, seulement deux livres traduits aux éditions Gallmeister. Mais de westerns sûrement. Le chariot des pionniers sur et dans la couverture nous guide sur la piste, nous méguide plutôt. D’avancée sur une piste pour bâtir un territoire, il n’y a pas, il n’y aura pas.

 

Homesman nous raconte l’histoire d’un rebours. Ce n’est pas un échec, mais le refus d’une vie passée dans un esclavage domestique qui ne dit pas son nom. La liberté, quand elle ne peut pas se revendiquer haut et fort, quand elle est brimée par les conventions de la société et de la religion, quand elle est niée et bafouée dans l’intimité la plus profonde, ne peut se réfugier que dans la folie. Seule, celle-ci peut permettre d’atteindre ce que les hommes refusent d’accorder, de concéder, peut servir de refuge contre l’égoïsme masculin.

 

La patrie contenue dans le titre se situe non dans ce monde corseté et enfermé dans ses certitudes et ses croyances mais dans cet espace de liberté absolue que peut être la démence. La patrie des femmes ne se situe pas dans le monde de la raison et de la productivité, mais dans la musique et la poésie qui ne trouvent parfois leur refuge que dans la perte de cette raison, cette perte qui fait si peur aux hommes. C’est pour cela que Glendon Swarthout écrit un western féministe, un western qui refuse l’asservissement à la société.

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Ce retour dans une patrie par-delà bien et mal, au-delà de la raison humaine est aussi celui où l’on rejoint Briggs. La fascination des femmes pour la figure libertaire de Briggs met en exergue la liberté représentée par cet homme qui fait fi des conventions et des règles de la société. Elles le suivent parce qu’elles reconnaissent en lui un frère en refus des hommes, parce qu’elles voient en lui quelqu’un qui a osé échapper à ces règles qui les tuaient, parce qu’elles découvrent en lui une incarnation, l’incarnation de la liberté. Briggs est celui qui ne regarde pas en arrière, qui veut toujours something else, qui veut vivre sa vie telle qu’il l’entend et non telle que d’autres le voudraient.

 

Cette alliance de l’homme en marge, violent, ivrogne, mais de bon cœur, et de la femme qui se réfugie dans la religion et l’enseignement nous plonge dans l’univers et les personnages incarnés par Katharine Hepburn et John Wayne dans Une Bible et un fusil. Briggs est un avatar de Rooster Cogburn, comme Mary Bee Cubby est Miss Eula, mais une miss Eula qui ne parvient pas à s’imposer à la société, qui se détruit par la société.

 

Homesman dresse un constat bien cruel pour la société et le monde des adultes. Il faut se rapatrier dans l’enfance et ses rêves pour survivre parmi les loups. Le beau néologisme, « rapatrieur », de la traductrice, Laura Derajinski, prend ici tout son sens : l’homme est un apatride dans le monde raisonneur, seul le rejet des lois et la folie peuvent lui permettre de rentrer chez lui.

 

Glendon Swarthout aurait tout comme Huysmans pu intituler HomesmanA Rebours.

 

Philippe Guérin

 

 

 

15/05/2014

KR'TNT ! ¤ 189 : BUUTSHAKERS / ROCKIN JEP'S / BLACK PRINTS / GHOST HIGHWAY / LOREANN' / BIJOU

 

KR'TNT ! ¤ 189

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

15 / 05 / 2014

 

 

CIARA THOMPSON + BUTTSHAKERS / ROCKIN'JEPS / BLACK PRINTS / GHOST HIGHWAY / LOREANN' / BIJOU /

 

 

LE HAVRE ( 76 ) / LE TETRIS / 20 - 03 - 14

 

THE BUTTSHAKERS

 

 

NOTHING BUT THE BUTTSHAKERS

 

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Très courageux de leur part ! Les Buttshakers, apprentis sorciers basés à Lyon, jouent en première partie de Jim Jones. On est au Havre, terre de rock et visiblement, le public ne s’est déplacé que pour Jim Jones et son rock incendiaire à la Little Richard. Les Buttshakers s’installent sur la grande scène du Tétris, le nouveau «pôle de création» bâti sur les hauteurs du Havre, dans l’ancien fort de Tourneville. L’endroit flambant neuf en impose. L’architecte a vu grand et a taillé des portes étroites et très hautes dans les murailles, ce qui donne au lieu une allure de temple antique. Pour un groupe encore vert, jouer dans un tel endroit devant un public spécial, c’est une sorte de baptême du feu. On ne miserait pas un peso sur eux. D’autant qu’ils proposent un set de rhythm & blues, ce qui nous éloigne de Little Richard. Enfin, pas tant que ça.

 

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Les musiciens du groupe paraissent très jeunes. Deux joueurs de cuivres, un bassiste, un guitariste et un batteur attaquent le premier morceau. La petite chanteuse black arrive dans la foulée et commence à haranguer la foule. Elle essaie de chauffer un public inerte et elle déploie une énergie considérable pour y parvenir, mais sans résultat. Tant pis. Elle enchaîne les morceaux, elle danse, elle shoute, elle gueule, elle miaule, elle fait tout le cirque habituel des grandes shouteuses de r’n’b à l’ancienne et elle s’en sort admirablement. Elle porte le cheveu crépu et une petite robe légère en tissu jungle. Elle danse bien et chante admirablement. Les musiciens qui l’accompagnent sont assez brillants mais désastreusement inertes. On songe aux pas de danse des musiciens de Vigon et à l’incroyable efficacité de leur numéro, lorsqu’ils sont alignés en rang d’oignons et qu’ils balancent ensemble une jambe en l’air d’un côté, puis de l’autre. Là, rien. Les mecs sont assez jeunes et ils restent concentrés sur leurs instruments. On dirait des fonctionnaires du r’n’b. Le bassiste joue au doigt avec le feeling adéquat. Le guitariste reste discret, comme il se doit. Il se contente de petites interventions sulfureuses. Leur set tient sacrément bien la route. La petite black fait le spectacle à elle toute seule. Elle tire tout le set à l’énergie et elle finit par mettre le public dans sa poche. Mais la fosse est loin d’être devenue une piste de danse. On assiste à une sorte de petit miracle, car le set dure assez longtemps, sans aucun passage à vide.

 

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Impossible de résister à l’envie d’aller échanger quelques mots avec cette petite tigresse métisse. Elle signe ses disques à l’entracte. Vue de près, elle paraît encore plus jeune que sur scène. On lui donnerait quinze ou seize ans. Elle a des cernes brunes sous les yeux. On sent un petit personnage délicat et fragile. Elle s’appelle Ciara Thompson. Elle est originaire de Saint-Louis, dans le Missouri, et son français est parfait. Elle vit à Lyon depuis quelques années. Évidemment, on parle de Chuck Berry, originaire de Saint-Louis, mais on tombe vite en panne de références. Saint-Louis n’est pas Memphis. Elle vante les mérites de sa ville natale et avoue une grande admiration pour Jerry Lee Lewis. Wow ! Mais la conversation est difficile, car il faut sauter un fossé de deux générations, en matière de goûts musicaux, et il n’est pas certain du tout qu’on écoute le même genre de r’n’b. Je tends une perche avec Sister Rosetta Tharpe, mais elle ne sait pas qui c’est, ce qui peut sembler normal. Elle parle de gens que je ne connais pas. Elle appartient à la génération FaceBook et s’intéresse à des artistes plus contemporains et sans doute pas très connus. Et donc nos cultures respectives ne se recoupent pas, ce qui achève d’éteindre l’enthousiasme conversationnel. Heureusement, Jim Jones arrive sur scène. Good luck baby !

 

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Les Buttshakers ont déjà enregistré deux albums. Au moins, ils ne perdent pas de temps. C’est l’occasion de revenir sur la plupart des morceaux du set qui étaient excellents. Ciara dispose d’une vraie voix et d’un sacré caractère, alors on peut écouter ces deux disques en toute sécurité.

 

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La première chose qu’on note, c’est que line-up du groupe a changé entre les deux albums. Les gens qui jouent sur «Headaches and Heartaches» paru en 2010 ne sont pas ceux qu’on a vu sur scène au Tétris. Mais on ne trouvera aucune information sur la pochette de «Wicked Woman», le mini-LP qui vient de sortir et sur lequel on retrouve quelques morceaux joués sur scène.

 

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Le mini-LP se joue en 45 tours. Ça accroche dès le premier morceau. «Man’s World» est judicieusement tatapoumé. Pas le temps de souffler. Ciara fonce directement dans le lard du cut avec un chien considérable. Elle sait shaker le soul d’un cut, pas de problème. Elle connaît la ficelle de la hot soul et elle va chercher des accents dignes de Lisa Kekaula. Elle mâche bien ses attaques. Elle sait faire sa féroce. Les breaks d’orchestre sont parfois un peu prétentieux. En gros, c’est de l’excellente soul qui ne repose que sur Ciara. Le solo de guitare est un peu en retrait, la basse en avant, sèche mais pas aussi swingante que celle de James Jammerson. Globalement, elle s’en sort bien. «Nothing To Hold» est le slow-jerk entreprenant auquel les sixties nous avaient habitués. Le morceau manque singulièrement d’éclat, c’est cuivré à la lyonnaise, sans allant, mais elle tient bon, elle ne lâchera pas. C’est un peu comme si elle engageait son honneur dans cette histoire. Elle y met tout son héritage génétique et toute sa classe. Elle sait mettre sa glotte au carré. Elle gueule quand il faut. Ciara sait s’imposer. Pas question pour elle de jouer les incomprises ni les inhibées. Elle se débrouille toute seule, comme on le lui a appris quand elle était petite. Le dernier morceau de la face A s’appelle «A Way To Get By». Il s’agit d’un slow blues vaguement inutile.

 

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Avec la face B, on passe aux choses sérieuses. «Wicked Woman» est une perle à la James Brown, montée sur un riff de basse astucieux. Ciara se sent chez elle. Elle navigue en eaux claires. Elle peut arracher. Elle peut même pulser le beat. Derrière, ils sont bien. Le guitariste joue avec les petits accents funky auxquels les Blue Flames nous avaient habitués. Étonnant, car elle n’a pas la voix de son âge. Pour une gamine, elle dispose d’un coffre relativement imposant. Elle sait écraser le champignon quand il faut. On sent qu’elle marche à l’instinct. Chez elle, le shout est inné. Elle fait partie des meilleures Soul Queens contemporaines. Ses accents sont bien rauques. Elle l’emporte à chaque instant. Tout amateur éclairé de soul sera surpris par la verdeur de sa hargne. Elle est d’une crédibilité stupéfiante. Et voilà la grosse reprise, le «Tell Mama» de Clarence Carter, bouffé tout cru, jadis, par Etta James pour Chess. Ciara chevauche la bête sans problème. Elle entre résolument dans l’âge d’or. C’est du pur Stax sound Chessisé. L’excellence incarnée. Ça réchauffe le cœur. On replonge dans la magie des temps bénis, avec l’éclat et l’énergie d’alors, même si la basse sonne un peu pépère, mais ce n’est pas si dramatique. Ciara sait allumer son «Tell Mama», joli coup. Il lui faudrait les Memphis Horns derrière et Andre Williams comme producteur. Ah, on verrait la différence ! Dernier morceau de ce mini-LP : «The Start». Digne d’Aretha. Ciara mène bien le jeu avec sa poigne de fer. Elle embarque son monde à la seule force de sa rage soul. Le morceau est un peu biscornu, quant aux ponts, mais elle s’en sort bien. Solo dans le fond du studio. On n’est pas chez les BellRays. Il ne faudrait pas confondre.

 

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C’est sur le premier album que se trouvent les choses vraiment sérieuses. «Headaches And Heartaches» est sorti en 2010 et les Buttshakers ont pas mal roulé leur bosse depuis. Pas de reprises sur cet album, mais en gros, on se retrouve avec dix hits de garage soul vraiment très impressionnants. Son énorme sur «You Talk Too Much». Ciara donne une sacrée ampleur au cut et derrière elle, les cuivres sont excités. Elle va chercher le guttural pour livrer une pièce de soul torride. C’est monstrueux et battu à la diable. Digne des géants. Elle chante avec une maturité sidérante. C’est du Aretha en colère. Elle a même encore plus de chien enragé, c’est une véritable battante de la soul. Avec «I’ve Been Abused», on entre dans la soul par la grande porte, avec un jeu de guitare killer. Ciara dépote sa soul. Elle tue les mouches au scortch. Backing idéal, salement bon. Elle fait régner sa loi, pas de pitié pour les canards boiteux. Ciara Thompson est tout simplement énorme de génie soul. On entend le bassman emmener un couplet. Évidemment, ce n’est pas celui qu’on a vu au Havre. Celui-si s’appelle Fabien Giamina. Il est redoutable. Puis ils nous trashent un slow à la guitare. Ce guitariste s’appelle Julien Masson et il co-écrit quasiment tous les morceaux avec Ciara. Retour à la monstruosité avec «Hey Hey», encore plus garage-soul que le garage-soul des BellRays. On admire une fois de plus la haute teneur du cran de la petite Ciara. Ce blast a l’allure d’un hit. Dingue et dur. Bien poundé, bonnes guitares et cette voix de reine de la soul qui hante les épidermes. Elle s’accroche, elle a le culot d’une diva, elle a le poids d’Aretha et la puissance d’Etta James, mais avec encore un truc en plus, un côté teigne qui évoque celui de Lisa Kekaula. Elle nous sonne véritablement les cloches. Dès l’intro de «Losin’ It», elle percute de plus belle. Elle n’est pas aussi ronde que Lisa Kekaula, mais elle a exactement le même genre de chien de sa chienne et le même genre de classe, celle d’une vraie shouteuse. «(On The Verge Of) Falling In Love» reste dans le même esprit, celui de la puissance effarante. Il ne faudrait pas prendre Ciara Thompson pour une débutante. Elle claque le beignet de la soul quand elle veut. Elle peut même rivaliser avec Wilson Pickett. «Headaches & Heartaches» arrive comme une nouvelle énormité, avec des chœurs à la Motown et une section de cuivres à la hauteur du mythe. Si on est pas encore tombé de sa chaise, c’est le moment ou jamais. Voix de rêve, chœurs insistants à la revoyure, tout est là. C’est un hit qui a rendez-vous avec l’histoire, c’est indescriptible de soul-shaking, elle nous sert tout ça sur un plateau d’argent. Cette folle est bourrée d’un génie qui sort d’elle par tous les pores. Pour finir, ils envoient un boulet nommé «You Got Me Movin’» qui nous démâte. Sacrée Ciara, elle se bat jusqu’à sa dernière goutte de sang. C’est elle la grande battante du XXIe siècle. D’ailleurs, elle s’est fait tatouer deux grenades sur le haut de la poitrine, un peu en aval des épaules. Cette pièce de soul est une fois de plus une sorte d’énormité déterminante. Elle est superbe et conquérante. Il arrive que la pure magie et l’incroyabilité des choses se croisent sur certains disques. Si par chance on surprend ce phénomène irrationnel, il faut savoir en profiter, comme on profite d’une belle matinée de printemps.

 

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Et pouf, en passant l’autre jour devant le mur des nouveautés chez Gibert, je vois le nouvel album des Buttshakers qui me tend les bras et qui me crie : «Prends-moi, s’il te plaît, prends-moi !» Bon alors attention : ce disque est une bombe atomique. «Night Shift» s’ouvre sur le morceau du même nom et on découvre un groupe encore plus agressif que les BellRays. Ciara est déchaînée. Elle fait éclore le bouquet de soul-garage le plus sauvage de l’histoire du rock. On a même droit à de la guitare fuzz. Ciara chevauche ce monstre sans selle à travers l’histoire et le temps, comme la reine des steppes de la soul en feu. S’ensuit «I Wanna Know», plus funk. Comme ils n’ont pas d’histoire véritable - pas de rencontre avec Sam Phillips ou de carrière californienne, par exemple - les Buttshakers dépendent essentiellement de la qualité de leurs compos. Et ça ne tient que grâce au soul power de Ciara Thompson. Elle a le punch de Cassius Clay. Nouveau punk blast avec «Your Love Is Amazing». Ciara la lionne ravage les contrées, c’est renversant et dynamité au scream. Pur génie. En écoutant «Satisfied», on cherche à qui on pourrait comparer Ciara chez Stax, mais aucune des géantes de Stax n’a ce type de punch extrême. Elle arrache au chant avec une force indescriptible. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Get Your Blues». C’est stompé d’avance. Ça part en swing sur une ligne de basse infernale et athlétique - gimme a rhythm while I can stick with you - elle va chercher le rythme avec une force terrible. C’est une superbe pièce d’aventure musicale reprise à la trompette, arrosée au groove de basse, emmenée dans la démence de la fragrance. Elle met tellement de vie dans les morceaux qu’elle finit par fasciner, comme nous fascinent les très grands artistes du genre.

 

Signé : Cazengler, le buttshaké du bulbe

 

Buttshakers. Le Tétris. Le Havre (76). 20 mars 2014

 

Buttshakers. Headaches and Heartaches. BackToMono Records 2010

 

Buttshakers. Wicked Woman. Copase Disques 2013

 

Buttshakers. Night Shift. Youz Production 2014

 

 

ROCK IN GOMETZ LE CHÂTEL

 

10-05-2014 / Espace Culturel Barbara

 

ROCKIN JEP'S / BLACK PRINTS

 

GHOST HIGHWAY

 

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Je maugrée, tout pour être heureux, le grand Phil à coudre au volant de sa toto-ride, un GPS encore plus performant que l'ordinateur de 2001 Odyssée de l'Espace, la copine derrière, et un concert en prévision droit devant à cent kilomètres. Mais un orage de grêle me force à rentrer mes jambes que je laissais benoîtement pendre à l'extérieur de la portière par la vitre grand-ouverte. Je ne voudrais pas me fâcher avec le syndicat d'initiative de Gometz Le Château mais aucun panneau indicateur n'arbore le nom du châtel à la gomme, toutefois après avoir tourné quelque peu en bourrique dans les ronds-points, l'on tombe enfin dans le patelin. Des malins, ils ont fourré le centre culturel en plein centre commercial – qui a dit que la culture n'était pas une marchandise ? - au moyen-âge ce devait être entouré de douves profondes, ils les ont remplacées par des parkings à perte de vue. Moins poissonneux, mais idéal pour se garer. Je fais semblant de pas entendre ma meufette qui remercie Phil qui n'a pas, lui, une conduite heurtée, comme sur du velours qu'elle dit. Ne perd rien pour attendre mon gant de fer. Barbelé.

 

Entrée en douceur dans la salle d'accueil, avec marchand de disques et de babioles rock – tiens, un pin's de Vince Taylor et de Gene Vincent que je n'avais pas – ils ont les mêmes en magnet, pour ceux qui veulent tagger leur frigidaire aux profils de leur passion. Plateau sandwich à six euros, avec volet détachable pour le café – mais où s'arrêtera le progrès humain – une orga à vos petits soins, beaucoup de têtes connues, une bonne proportion de jeunes. La fête peut commencer.

 

THE ROCKIN JEP'S

 

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Je rentre dans la salle juste comme ils démarrent. Rockin' Nicolas me saute aux yeux. Je savais qu'il était porteur de guitare dans le trio de Jamy, et tout dernièrement dans le groupe de Miss Victoria Crown en compagnie de Zio, et le voici maintenant lead guitar parmi les Rockin Jep's. Les aiglons ont tendance à prendre leur envol. Lui reste encore un peu de timidité, mais elle est en train de mettre les voiles, il va assurer sans problème, je ne lui donne pas six mois pour parvenir à atteindre une certaine autorité. C'est que les autres ne sont plus des perdreaux de l'année. Pointent à la génération précédente, mais le vin qui a mûri n'est pas du tout désagréable à boire.

 

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Le set sera très court. Viennent tout juste de se former et pour le rappel on les obligera à rejouer un morceau. Trop modestes, étaient prêts à s'éclipser, mais les rockers c'est comme les enfants, quand vous leur donnez des gâteries, ils n'en ont jamais assez. Et il faut reconnaître que c'était si bien mis en forme que l'on y a pris goût très vite.

 

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Eric Ozenda est à la caisse claire. Son jeu se fond dans dans la contrebasse de Patrick Millet. Celui-là tout petit il a dû tomber dans l'instrument, peut-être même que ses parents se sont servis d'une vielle carcasse de double-bass comme berceau. L'astique méchamment. L'on a l'impression qu'il est partout à la fois. Pas besoin de chercher l'intrus, présent sur tous les plans, les trois s'en sont aperçus, et ont donc développé une stratégie idoine. Aucune envie d'être aux abonnés absents. Lui laissent toute la place qu'il veut mais hors de question de le laisser bargouiner tout seul. Sont sans cesse là, Ozenda à rendre coup pour coup, un battement de corde immédiatement suivi d'un claquement rebondissant de peau, Rockin Nico n'arrête pas de planter les banderilles électriques, à la n'oublie pas que c'est moi qui ponctue l'histoire et qui souligne la fin des phrases. Ne s'en laisse pas compter. Quant à Jacques Marin, il se sert de ses deux armes à la fois, la voix et la guitare rythmique, faut entendre comme ça mouline quand il lance l'attaque et soutient la charge aussi longtemps que nécessaire. Combo à tombeau ouvert.

 

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Je m'amuse à regarder le jeu de Patrick, la main droite qui vibrionne au niveau du ventre de sa chérie bobonne, jusque là, tout est normal, c'est à gauche que le spectacle est fascinant. Pendant que de l'autre côté il mène la chasse à courre avec la meute des chiens de l'enfer à ses côtés, il pince le haut du manche, et doucement, avec une lenteur de reptile qui s'approche de sa proie sans éveiller son attention, il descend son doigt, sur la corde extérieure, qui glisse comme une menace insidieuse... Pratiquement immobile mais imperturbablement en mouvement, à l'image d'un insupportable suspense apocalyptique. Les Rockin Jep's rockent à merveille. Un début plus que prometteur.

 

BLACK PRINTS

 

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Intermède court. There's Rock'n'Roll On The Radio. Gros mensonge. C'est sur scène que ça se passe. Accrochez-vous car ça décoiffe. Yann détonne. Dans tous les sens. Une chevelure sur le mode toison d'ours hirsute – la moins gominée de tous les groupes du circuit rockab de l'hémisphère nord, mais j'adore les individus libres qui ne rentrent pas dans le moule – et une frappe lourde comme un paquebot. A côté, tout ce que vous pouvez trouver de plus classique, Thierry Clément – son sempiternel chapeau de cow-boy – attention, de ces pistoléros qui ont traîné leurs santiags dans tous les sanglants corrals de l'Ouest - tambourin au poignet ou washboard à hauteur de poitrine, c'est au choix mais quand on entendra son solo sur la planche à laver, ce sera de quoi faire frémir toutes les ravaudeuses de l'ancien temps dans leurs tombes... question dés – de ceux qui n'abolissent pas le hasard mallarméen - quand il pousse ce n'est pas au 421 qu'il joue, plutôt à la puissance mille. Etrange ces Black Prints qui allient la frappe canonnière la plus lourde à la cavalcade des chevau-légers de la Maison du Roi. L'obusier et le lance-pierre. Un heureux mariage, une grêle de cailloux après le coup de masse sur la tête, tout compte fait ça réveille.

 

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Pas de contrebasse. Une simple basse électrique – les Black Prints ne sont pas des orthodoxes – confiée à Jean-François Marinello, en joue de tout son corps, pas une note qu'il n'en extraie sans une participation de tous ses muscles qui tour à tour se plient et se détendent. Va la chercher très loin, au plus profond de sa chair et l'expulse comme s'il envoyait une partie de son être en exil. De loin vous penseriez que c'est le guitariste soliste dans les affres labyrinthiques de la création de son plus beau solo. Mais non, ce n'est qu'un bassiste qui arrache chaque note de son coeur comme si sa vie en dépendait. Soucieux de se dépasser à chaque instant.

 

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Et puis il y a Olivier Clément. L'arbre dans la tempête. Avec les trois autres forcenés, tous les naufrages seraient possibles. Il est si facile de dérégler l'horloge du rock'n'roll ! Mais Olivier est là, debout, droit dans ses bottes et dans son futal de cuir noir qui grandit encore plus sa silhouette élancée. Satanée prestance. La classe, qui impose. A la guitare et au chant. A la rythmique et à la lead. Assure les deux. Le métronome et l'explosion. La braise et la flamme. Sans effort apparent. Bouge à peine ses doigts. L'on se demande comment il fait pour être aussi précis. Remue imperceptiblement son index et son annulaire et il vous assène un solo à la Buddy Holly, quand tout se met à balancer autour de vous et que ça tangue méchamment d'un bord sur l'autre. En anglais, c'est beaucoup plus vite dit, ça s'écrit en trois mots – et encore on supprime des lettres – c'est : rock'n'roll. Nous y sommes en plein. Dans le coeur noir le plus profond du rock'n'roll. Baby Let's Pay House, Jeanie Jeanie, les classiques défilent, un à un, méthodiquement, ne vous pressez pas, il y en aura pour tout le monde, mais aussi les morceaux originaux comme Two Tones Shoes et l'ensemble de leur album en fin de parcours.

 

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Inexorables. Les Black Prints c'est toute l'histoire du rock'n'roll qui défile, le passé et la toute récente, rien ne peut les arrêter. Je suis une force qui va, disait Victor Hugo. Le roc qui dégringole de la colline et qui emporte tout sur son passage. Vous emmènent avec eux. Et ils en rigolent. Echangent des regards malicieux, tiens une intro de guitare un peu étirée pour que tu ne saches pas où je veux en venir, et cette ouverture fractale sur les deux toms, tu t'en souviens, retombent toujours sur leurs pattes comme le Stray Cat Strut qui longe les gouttières.

 

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Une version de Brand New Cadillac à vous faire courir chez le concessionnaire pour vous commander exactement la même – merci Vince Taylor, mais ce n'est que le début. Olivier invite Thierry Credaro à les rejoindre sur scène, vont nous offrir la plus splendide interprétation de Shakin' All Over que j'ai jamais entendue, de Johnny Kidd annoncera Olivier, je serais tenté de préciser de Joe Moreti, le guitariste qui officiait déjà sur la Cadillac de Vince – pas étonnant que ce dernier ait repris ce bijou avec ses Play-Boys – Thierry et Olivier se complètent merveilleusement à la guitare, aucune opposition, chacun essayant d'amplifier les effets obtenus par son coéquipier. L'on aimerait que ça ne se termine jamais, qu'ils reprennent indéfiniment le solo et le pont jusqu'à ce que le jour ne se lève plus. Le public est en transe. Sans doute le moment le plus fort de la soirée qui n'en manqua pas.

 

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Thierry redescend sous une salve d'applaudissements et les Black Prints enchaînent sans coup férir. Manière de parler, car sur sa batterie Yan est un meurtrier fou, a killer on the road. Plus l'heure avance plus il se permet des breaks zarathoustriens, des ponctuations démesurées aussi meurtrières que des icebergs ballotés par une tempête de force 10. Et Olivier, le chêne qu'aucun aquilon ne détrônera, réengage à chaque fois les hostilités avec un nouveau titre encore plus venimeux que les précédents. Train Kept A Rollin et Rock'n'Bop Blues pour clore les festivités. Un set historial.

 

Vous n'y étiez pas. Vous le regrettez. Méritez-vous de vivre ?

 

GHOST HIGHWAY

 

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Plusieurs mois que nous n'avons pas vu les Ghost. La vie d'un groupe n'est pas un long fleuve tranquille. Zio est parti – accompagne maintenant Miss Regina Crown. Nous ne nous faisons guère de souci pour lui, depuis les TeenKats, il s'est toujours débrouillé pour être là où ça se passe. Nous sommes prêts à le suivre dans ses nouvelles aventures. Mais ce soir, ce sont les Ghost Highway qui monopolisent notre attention. N'ont pas choisi une demi-pointure pour remplacer Zio, ni plus, ni moins que Thibaut Chopin. On ne le présente plus, l'a participé à tant de groupes, de concerts et de rencontres qu'il faudrait y passer la nuit pour tout raconter.

 

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A première vue, c'est la même chose, démarre par les titres habituels, mais à deuxième oreille, plus rien n'est pareil. D'abord se rabattre sur Phil, car c'est lui le continuateur sonique du groupe. C'est bien sa frappe qui est à la base des Ghost. Et ici à Gometz le Chatel nous nous en rendons compte pour une raison évidente, le son de base est plus ample, plus fort qu'avant. Ce n'est pas une question de potentiomètre qui virerait dans l'écarlate. Mais un parti-pris de jouer davantage en rentre dedans, en libérant encore plus d'énergie.

 

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Confirmation, dès que Mister Jull lance ses premiers accords. Beaucoup plus électrique. Dans ses interventions, car selon son habitude il envoie le riff comme on lâche les chiens, et puis on les rappelle aux pieds du maître pour qu'ils se calment un tantinet et laissent un peu de place pour la compagnie. Mais cette fois ça cingle et ça gicle avec beaucoup plus de brutalité. Un peu comme si Jull avait dépassé sa hantise de l'authenticité originelle pour une immédiateté beaucoup plus efficace.

 

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Du coup Arno ne tient plus en place, encore plus d'humour pince-sans-rire au troisième degré que d'habitude et une façon de chanter, moins vieux sud profond, et quand il tire son harmonica, c'est davantage western italien que hillbilly primitif, ou avec des inflexions bluezy plus appuyées.

 

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Mais c'est Thibaut que vous voulez voir. Le voici dans son costume marron clair, Arno en a enfilé un marron crème brûlée et Jull est engoncé dans une veste d'un jaune automnal. A franchement parler, ce n'est pas trop rock'n'roll, mais heureusement nous ne sommes pas à un défilé de mode. Il est indéniable que Thibaut est un pro. Joue sans avoir l'air d'y penser comme si son seul souci était de coller aux Ghost sans chercher à se montrer. Abandonnera sa réserve peu à peu. Finira par emporter les coeurs sur un solo avec tourniquet de ses deux avant-bras autour du manche. Le truc apparemment très simple, facile à décomposer, mais qui demande une aisance et une expérience que l'on devine durement acquises au fil des années.

 

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Question apport au groupe, je parlerai d'un contact plus swingant et plus rythmique, très loin du ce bruit de fond qu'instillait Zio, un peu comme cette rosée sonore tombée des étoiles qui serait selon certains rêveurs la rumeur anonyme de notre univers qui se meurt. Peut-être est-ce pour cela, pour pallier le bourdonnement ondoyant de Zio que les Ghost ont dû en quelque sorte hausser le son. Mais ce n'est pas sûr. Les prochains concerts auxquels nous assisterons nous aiderons à mieux comprendre. Car il est certain que les avancées de Mister Jull à la guitare sont si évidents que le reste du combo se doit se mettre à l'unisson de cette montée en puissance des riffs qui exigent pour être mieux entendus et déployés ce que nous appellerons une surconsommation d'électricité.

 

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Set un peu court mais tout de suite suivi du final habituel. Going up to the country couplé avec Johnny Law, tandis que Thibaut vient s'assoir sur le bord de la scène bientôt rejoint par Jull et Arno. Avec reprise à fond les manettes pour finir en beauté. Sortent sous les applaudissements de la foule. Les Ghost Highway ont convaincu. Ont fait preuve d'une redoutable efficacité. Le groupe a encore progressé. Vraisemblablement en phase intermédiaire. Le public sur le pied de guerre pour la conquête de nouveaux territoires.

 

FEU D'ARTIFICE

 

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Plus de dix personnes sur scène, Jull, Arno, Thibaut, Olivier, Thierry, Rockin Nico, Thierry, Eric, Patrick et les autres. Le miracle c'est que très facilement tout le monde trouve ses marques et la formation quasi symphonique se lance pour un boeuf pas un poil cacophonique mais musqué et géant. Martchbox, sur lequel Thibaut pose des vocaux très appréciés, My Babe que Willie Dixon a volé à Sir Rosetta Thorpe, et un dernier petit Cochran, juste pour la route... Que personne n'a envie de reprendre, trop belle soirée, rock'n'roll jusqu'au bout des ongles.

 

Ne reste plus qu'à attendre l'année prochaine, car l'orga boostée par ce premier succès parlait déjà de Rockin in Gometz le Châtel 2.

 

Damie Chad.

( Photos prises sur les facebook des artistes / Merci à Martine F. )

 

10 – 05 – 2014 / PROVINS

 

LE CESAR / LOREANN'

 

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Le 26 avril on a fait la tête, les tauliers du César étaient partis en vacances, mais le 03 mai, on a failli faire un esclandre, le café était ouvert, la terrasse exposée au soleil, mais Loreann n'était pas là. Elle a osé nous faire cela à nous, Phil, Richard, Damie, nous priver de notre apéro-folk du samedi matin, et nous laisser le bec dans l'eau du pastis, ah ! La drôlesse ! Mais ce matin, elle est revenue se faire pardonner. Nous avons été magnanimes – nous n'aurions pas pu faire autrement tellement sa voix nous enchante, mais ne le lui dites pas – toutefois la punition divine ne s'est pas faite attendre : pluie continuelle toute la matinée. L'on a poussé les étuis à guitare sous l'auvent et emballé la sono dans de grand sac poubelles.

 

Et puis nous l'avons lâchement abandonnée à son triste sort de chanteuse de rue, réfugiés à l'intérieur du troquet autour d'une boisson fumante, béatement bercés par la douceur de cette voix susurrante, la salle toute en longueur se révélant être une magnifique chambre d'écho... C'est alors qu'à la table juste derrière j'ai aperçu Dominique. Fille d'une famille éclectique, la soeur chante du rhythm'n'blues à plein gosier, le frère de la trompette jazz ( nul n'est parfait ) la nièce du slam, mais Dominique, elle c'est le country et le folk. J'ai vite remarqué – c'est parce que je suis très intelligent – que la voix de Loreann' ne la laissait pas indifférente, même qu'elle commençait à citer les titres et à fredonner les morceaux. Bref un quart d'heure plus tard sans trop user d'une douce violence je l'ai traînée jusqu'au micro de Loreann'. Petits papotages entre filles, et bientôt elles attaquaient Neil Young.

 

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Très intéressant à écouter, elles ont un peu le même répertoire mais ne l'abordent pas de la même manière, Dominique partisane d'une attaque un peu plus franche, un peu plus enlevée – que ce soit sur les cordes de la guitare ou vocales – et Loreann' se restreignant dans une certaine moiteur du chant et de l'orchestration, davantage intimiste et beaucoup moins intempestive. Très proche de cette ambiance étouffante des chaleurs du vieux sud, cette pesante atmosphère que l'on retrouve dans les romans américains de Julien Green. Dominique, plutôt fille des fraîcheurs matinales de l'eau du Mississipi.

 

Dominique se sauve à l'intérieur du café, mais au bout d'un moment on la retrouve au bord du micro, à chantonner et discuter avec Loreann'... C'est cela Loreann', une voix qui s'immisce et qui vient vous chercher, et qui ne vous lâche plus... Longtemps que Dominique n'avait chanté, mais Loreann' réveille les mélancolies et ravive les regrets. Malgré la pluie, des passants hâtifs s'arrêtent et restent quelques minutes figés en eux-mêmes, puis s'ébrouent comme pour s'affranchir de leur rêve et reprendre le chemin de leur existence anonyme...

 

Vous pouvez désormais retrouver Loreann' sur www.loreann-music.com ou sur son facebook, loreann Torn . Nous sommes trop gentils avec vous !

 

Damie Chad.

 

BIJOU

 

VIE, MORT ET RESURRECTION

 

D'UN GROUPE PASSION

 

 

JEAN-FRANCOIS JACQ

 

 

( L'ECARLATE / Avril 2014 )

 

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Beau cadeau dans les nouveautés de la semaine. Un livre sur Bijou. Je passe commande sans réfléchir. Sur la photo, le livre ne paraît pas très épais. Enfin mieux vaut une petite monographie que rien du tout. Juste une illusion, une fois dans la main, il pèse son pesant d'or. Logique, Bijou ce n'est pas de la pacotille, et le bouquin avoisine les trois cents pages, c'est rempli de textes à ras-bord, un cahier photos inédites au milieu, et une belle préface de Laurent Chalumeau.

 

Bijou a brillé de mille feux, mais le coffret refermé, le diadème s'est terni, et on l'a un peu oublié. Et pourtant, Bijou fut en quelque sorte le premier groupe français. Entendons-nous, chronologiquement l'a été précédé d'une myriade d'autres, question ventes il n'a pas vraiment cassé trois pattes à un canard. Non, Bijou a été le premier groupe français à faire jeu égal avec les anglais. Les âmes chagrines et les esprits requins jetteront Magma et Little Bob Story aux deux premières places. Pour Magma la question sera vite réglée, un orchestre kolossal, mais qui officiait dans une sphère musicale très éloignée du rock'n'roll, quelque part entre Stockhausen et le jazz d'avant-garde. On peut les laisser en orbite sur la planète Kobaïa, ils y sont très bien et à leur place. Little Bob est un concurrent plus sérieux. Jean-François Jacq ne peut s'empêcher de lui jeter quelques piques, l'est vrai que le prétendant à la couronne du rock français n'est pas sans quartier de noblesse, mais sans vouloir rallumer la guerre de cent ans, il faut se rappeler que Little Bob a choisi de s'exprimer, le traître, en anglais. Qui est la langue naturelle du rock'n'roll, mais enfin nous parlons de rock'n'roll français !

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Le rock'n'roll français doit-il être chanté en français ou en anglais ? Question sans intérêt, que ce soit en langue shakespearienne ou rabelaisienne, débrouillez-vous pour que ça sonne bien. Faites comme vous le sentez. Oui Bijou s'est exprimé en français, naturellement serait-on tenté de dire, mais s'il s'est imposé à son époque si facilement aux groupes anglais, cela tenait beaucoup plus à ses qualités intrinsèques qu'au fol langage de François Villon.

 

UN GROUPE FRANCAIS

 

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Le bon vieux terroir national. Rien à voir avec la France agricole et paysanne. La banlieue Sud, Savigny-sur-Orge, Juvisy, Longjumeau, à la fin des années cinquante et au début des sixties on y plante des HLM, et on récolte toute une génération de rockers. Des rockers français, bien de chez nous, qui écoutent Gene Vincent et Johnny Hallyday, tous petits ils s'accrochent à leurs transistors comme à une bouée de sauvetage, le monde peut changer, eux ils resteront rock jusqu'à la fin de leur vie, et même s'ils se marient et se rangent, car ils ont transmis le flambeau aux petits frères... Blousons noirs et Golf-Drouot, le rock n'a pas dix ans d'âge qu'il possède déjà ses mythes et ses légendes.

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C'est en ces lieux que grandissent les futurs mousquetaires de Bijou. Sont encore des cailloux mal dégrossis, mais ils vont persévérer. L'on n'atteint pas à la brillance souhaitée, sans rouler quelque peu sa bosse dans le lit torrentiel du rock'n'roll, de groupe en groupe, d'expérience en expérience, des mois et des mois de galère, de répétitions, de concerts improbables avant de maîtriser son instrument, et d'intégrer tout l'héritage de la culture rock, des Chaussettes Noires aux Pub Rock, des pionniers au prog, les tsunamis se succèdent, rock instrumental des rosbeef, British Blues, révolution hendrixienne... un groupe phare tous les trois mois, sans oublier les cuivres de chez Stax, le glam, la décadence et la naissance du hard, et n'en jetez plus. Plus qu'il n'en faut pour une oreille humaine. Heureusement nous possédons un cerveau qui permet de prendre du recul, d'analyser, de rejeter de choisir...

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Au final ils se retrouvent à quatre. Comme les mousquetaires. Trois plus un. Dynamite à la batterie, Vincent Palmer à la guitare, Philippe Dauga à la basse. Formule minimale. Ils avaient un chanteur. S'en sépareront quand la mayonnaise commencera à prendre. Pas par méchanceté. Par nécessité. L'alcool l'a rendu trop instable... C'est un plus, le groupe se ressoudera d'autant plus sur lui-même. Sont trop peu nombreux pour ne pas faire bloc. Si en 1975 le groupe percutera si fort c'est avant tout grâce à cette cohésion orchestrale durement acquise, engoncés sur eux-mêmes comme un poing fermé qui vous désarçonne au premier coup. C'est un moins, le chant restera la grande faiblesse de Bijou, pas que Palmer et Dauga qui s'y collent aient démérité, mais à la base ce ne sont pas des chanteurs.

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L'en reste un, Jean-William Thoury, l'homme à tout faire ( ce qui laisserait supposer que les autres ne feraient rien ) chauffeur, parolier, un oeil sur les projos, une oreille sur la sono... De visu pour un peu on le prendrait pour le larbin de service. Mais c'est la tête pensante, pas celui qui réfléchit à tout pour ne rien oublier, non le stratège. Celui qui a tout compris, que dans un groupe de rock, les musiciens ne sont que la cinquième roue de la charrette, s'ils avancent au petit bonheur la chance, saisissant les occasions quand elles se présentent. Alors que l'on se doit de savoir à l'avance ce que l'on veut. On ne profite pas de l'opportunité des circonstances, on la crée de toutes pièces. Le rock est une question de maîtrise. L'on calcule la musique, on définit l'image, on n'avance jamais à l'aveuglette. On pourrait le comparer pour la partie d'échec qu'il entreprend avec le monde du showbizz à Malcolm McLaren, le prodigieux metteur en scène des Sex Pistols.

 

INTEGRITE ROCK

 

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A part que Jean-William Thoury – en parfait accord avec les trois autres – ne désire aucunement monter l'arnaque rock'n'roll du siècle. Refusent d'être des escrocks. Entendent simplement être et devenir ce qu'ils sont. Au grand jeu du poker menteur de la vie, ils posent tout sur la table : chantent en français parce que yaourter en anglais est peut-être plus difficile et moins évident, et quelque part une manière de se singulariser tout en restant fidèle à soi-même par rapport à tous ces french group qui scandent in english. L'idiome comme une ligne de démarcation, et comme affirmation non négociable.

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Normalement les maisons de disques devraient se précipiter, elles qui s'obstinent à ce que leurs artistes soient accessibles à la plus large portion du public. Il n'en fut rien. L'on n'apprend pas à un voleur à se faire prendre. Les majors ont du flair, ces quatre zozos ont bien d'autres idées derrière la tête, vont vouloir tout diriger, le contrôle total sur leur production. Le Thoury n'est pas un touriste qui se laissera manoeuvrer facilement. Elles se méfient.

 

Mais Jean-William s'entête, il veut une major. Ou rien d'autre. Pas de minuscule label qui n'offrirait pas un studio digne de ce nom, même pas Skydog de Zermati, le label rock par excellence, car trop connoté pour un public de spécialistes et aux garanties de distribution improbables... Veut être présent sur l'ensemble du territoire. Les musicos le méritent.

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Et c'est vrai que le bouche à oreille fonctionne. Bijou n'a pas enregistré un seul disque que déjà son nom circule dans toute la province – j'en peux témoigner pour la ville rose de Toulouse – sur la foi de rares témoins qui ont eu la chance d'assister aux premiers concerts. C'est que les amateurs de rock bouillonnent. L'on sent que quelque chose est en train de monter, que les New York Dolls et Dr Feelgood ne sont que des signes avant-coureurs. Londres est en pleine effervescence. C'est pourtant en France que l'étincelle rock va mettre le feu à toute la plaine punk. A Mont-de-Marsan au beau mois d'août 1976... Bijou tirera les marrons de l'incendie, une prestation remarquable, répétée l'année suivante, qui mettra le feu aux poudres.

 

BIJOU PUNK

 

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Les évènements se précipitent si rapidement, ils sont si difficiles à cerner que durant plusieurs mois on mêlera Bijou à la nomenclatura punk. Tant que les Pistols n'auront pas défini à leur avantage les canons du punk, tout ce qui apparaît un peu trop rentre-dedans sera catalogué comme pure punk. Mais Bijou reste avant tout un groupe de rock. N'ont pas la banane, mais ils soignent leur mise – il n'existe pas de photo d'Eddie Cochran en tenue négligée ont-ils l'habitude de dire – rock, mais trop mods pour être rockers, le look mais pas les loques, les épingles à nourrice et le débraillé punk, ils rejettent en bloc...

 

Musicalement c'est un mix entre les Chaussettes Noires et les Flamin' Groovies – Bijou a fini par trouver un groupe à son image, les Flamin' qui envoient la purée tout en restant classe, le grand style, la fureur et l'élégance. Destroy mais en costume trois pièces. Sont trois mais Bijou repose sur Vincent Palmer. Le guitariste, la guitare, le son. La discographie de Bijou est parsemée d'instrumentaux. Bijou n'a jamais renié ses origines. L'ombre des Shadows les poursuit. La revendiquent, mais la guitare claire de Marvin est un peu customisée, parfois elle gronde comme celle de Keith Richards sur Have You Seen Your Mother Baky Standing In The Shadows, mais Palmer ne se laisse jamais déborder par l'amplification du son, joue serré, très serré, cherche avant tout la maîtrise, change de plan comme de lunettes noires. Aujourd'hui Bijou tourne encore, sous le nom de Bijou SVP, acronyme de Sans Vincent Palmer, mais c'est comme une bouteille de whisky sans whisky...

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Sur scène Palmer n'est guère statique, avec Philppe Dauga à la basse ils ont un jeu d'avancées et de reculades qui n'est pas s'en rappeler celui du premier Feelgood avec Wilko Johnson. Nerveux, incisif et jamais en difficulté, rapide et jamais en défaut, Palmer est un plaisir à voir ( vidéo sur You Tube ) et à écouter. Inventif mais sans une note de trop, vise à l'efficacité, jeu sans esbroufe, mais percutant.

 

BIJOU DISCOG

 

Parviendront enfin à décrocher une signature chez Phonogram, via Philips. Auront ce qu'ils auront voulu. C'est à dire qu'ils se font avoir. On leur concèdera leur liberté de création puisqu'ils y tiennent. Mais la liberté a un prix pour lequel Philips refusera de s'engager. On distribuera les trente-trois dans les bacs à disquaires mais pour la promotion radio et le battage médiatique, inutile de repasser. Le retour sur investissement sera très bon pour Philips puisqu'ils n'investissent rien, pour Bijou, ce sera la grosse déception.

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Pathe-Marconi ne lésinera pas sur les moyens pour imposer Téléphone, le concurrent direct de Bijou. Pas musicalement, car Téléphone est beaucoup plus Stone que Bijou, qui sonne beaucoup plus pub-rock. Mais un pub-rock qui aurait gommé ses racines noires. Bijou ne sera jamais un groupe grand public, sera le combo pour aficionados. Au bout de quatre trente-trois tours, l'unité idéologique de Bijou se lézardera. Dauga pensant qu'il serait plus rentable de céder les titres à un éditeur qui aurait intérêt à les commercialiser à outrance. L'expérience ne lui donnera pas raison.

 

Les titres des cinq premiers albums de Bijou suffisent à cerner l'univers du groupe : Danse Avec Moi, OK Carole, Pas Dormir, En Public, Jamais Domptés, plaisir des filles, la scène comme champ de bataille, orgueil rock attitude, un programme qui ne tranche en rien avec les paroles des grands rockers nationaux : Hallyday, Rivers, Ronnie Bird, Noël Deschamps... Jean-Williams Thoury s'inscrit dans une tradition populaire qu'il continue. Il est dommage que ses textes n'aient pu bénéficier d'un chanteur qui les aurait davantage théâtralisés par le seul grain de sa voix. Le LP Pas Dormir enregistré sous la houlette des frères Mael du groupe Spark qui ont malheureusement gommé les aspects les plus durs des morceaux est le seul qui rende quelque peu justice aux voix de Dauga et Palmer mises en avant puisque les parties instrumentales ont été édulcorées.

 

N'ai jamais été grand fan de Gainsbourg. Pas assez rock à mon goût. Trop chanson française. Gainsbourg aura vampirisé Bijou. La collaboration des deux artistes aura plutôt brouillé l'image du groupe patiemment mise au point par Jean-Williams Thoury. Cet épisode aura précipité la perversion des goûts d'un public qui au début des années quatre-vingt commence à abandonner le gros rock qui tâche pour de doucereuses sucrettes : reggae, world music...

 

THE END

 

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C'est le reflux. Le rock recule, les salles ferment... Bijou ne survivra pas à la crise : le groupe s'effiloche, pire Bijou n'est plus à la pointe du rock français, le renouveau rockabilly qui s'installe doucement mais sûrement capte à lui toute une partie du public rock qui était la base des fans de Bijou. Qui suit le mouvement : le groupe enregistre Bijou Bop, ce n'est pas un retour aux sources, plutôt le serpent qui se mord la queue... La boucle se referme. Bijou explose. Tout le reste de l'histoire ne sont que les débris que la comète entraîne dans sa révolution.

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Bijou a disparu des consciences. Jean-François Jack ressuscite la légende. Un travail de titan qui fourmille d'anecdotes et de détails, mais surtout une admirable reconstitution d'une époque révolue. Un superbe cadeau pour les générations futures qui voudront se pencher sur la naissance du phénomène rock en France, avec en prime la relation du parcours exemplaire d'un groupe appelé à devenir encore plus culte grâce à ce livre.

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Quarante ans se sont écoulés depuis la naissance de Bijou, Nous croisons de temps en temps Jean-Williams Thoury dans les concerts rockabilly. Toujours aussi attentif à cette musique qu'il aime et qui a orienté sa vie. Nous avons déjà présenté dans KR'TNT deux de ses ouvrages, l'irremplaçable somme sur Gene Vincent Dieu du rock'n'roll paru au Camion Blanc ( voir livraison N° 18 du 27 / 09 / 10 )et son dictionnaires des films de moto, Bikers ( N° 165 du 28 / 11 / 13 ). Vincent Palmer a renoncé à s'auto-parodier, Bijou a vraisemblablement été une expérience trop forte et trop intime, pour qu'il ait envie de continuer... La courte notule biographiquee sur Jean-François Jacq, due à la plume de Christian Eudeline, sur la quatrième de couverture, nous incite à nous procurer ses autres livres.

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Damie Chad.

 

 

10/04/2014

KR'TNT ! ¤ 184 : BUZZCOCKS / LOREANN' / SHORTY TOM AND THE LONGSHOTS / TINSTARS / SOUTHERNERS

 

KR'TNT ! ¤ 184

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

10 / 04 / 2014

 

 

PETE SHELLEY + BUZZCOCKS / LOREANN'

/ SHORTY TOM AND THE LONGSHOTS /

TINSTARS / RUBY PEARL / SOUTHERNERS

 

 

 

LA CLEF / SAINT GERMAIN EN LAYE ( 78 )

 

 

02 - 04 - 2014 / BUZZCOCKS

 

 

LES HITS LECHES DE PETE SHELLEY

 

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Ah les Buzzcocks ! Comme on a pu les adorer pour leurs singles, et les détester à cause de leurs trois premiers albums ratés ! Ils font partie des survivants de la première vague punk de Manchester. Trente-sept ans après la bataille, ils sont toujours là, on ne va pas dire frais et roses comme des gardons, mais fidèles comme des paroissiens. Pete Shelley et Steve Diggle continuent de veiller au destin du groupe, épaulés par deux petits jeunes, Chris Remington (bass) et Danny Farrant (drums).

 

Pour remonter à la source du groupe, il faut entrer dans un collège technique bien sinistre de la banlieue de Manchester et filer droit au panneau d’affichage des petites annonces. Howard Trafford y a punaisé la sienne. Il cherche des gens pour monter un groupe, mais pas n’importe quels gens. Il faut qu’ils soient fans du Velvet et qu’ils écoutent «Sister Ray». Peter McNeish radine sa fraise et décroche l’annonce. Howard Trafford qui surveillait le panneau d’affichage à distance accourt et lui serre la pince. Il réussit à masquer sa déception car il aurait préféré voir arriver une petite gonzesse. Ils partent ensemble à l’aventure et montent un groupe qui va s’appeler les Buzzcocks. Ils n’ont absolument rien : pas de look, pas de chansons, pas de guitares, pas de rien. Ils trafiquent leurs noms, comme vont le faire quasiment tous les punk-rockers. Howard s’appellera désormais Devoto (il prend le nom d’un chauffeur de bus), et Peter prendra le nom que ses parents lui auraient donné s’il avait été une fille : Shelley. Avec deux autres compères, ils vont enregistrer le EP «Spiral Scratch» et entrer directement dans la légende. Tout simplement parce que «Spiral Scratch» est l’un des cinq meilleurs EPs de la première vague punk anglaise.

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Puis, de single en single, les Buzzcocks vont devenir l’un des groupes les plus mélodiques d’Angleterre. Sur scène, c’est imparable. Ils alignent des hits faramineux, tout le monde les connaît et les chante en chœur, on se croirait à un concert des Beatles ou de Slade. On chante, on saute, on crie.

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La Clef à Saint-Germain-en-Laye est une salle de rêve, on y descend comme en descend en enfer. Idéal pour recevoir cette poudrière à huit pattes que sont les Buzzcocks, ces lads de Manchester qui ont tout l’or du monde, c’est-à-dire les chansons. Sans les chansons, un groupe ne vaut pas grand-chose, comme nous le savons tous.

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Steve Diggle arrive sur scène goguenard. Il paraît sincèrement ému de retrouver un public d’admirateurs. C’est un mec qui rigole de bon cœur et qui envoie des petits saluts aux fans. Il a ce sourire irrépressible des gosses timides et ravis. Il porte une chemise blanche à pois noirs et il joue sur une Telecaster blanche décorée d’un petit Union Jack. C’est le rocker anglais par excellence, présent, scénique, classieux, pas frimeur, qui bouge, qui claque ses accords avec un bras en l’air, qui saute et qui bouge sans cesse. Steve Diggle n’est rien d’autre qu’un punk-rocker qui monte sur scène pour prendre du bon temps avec son public. Tous les oiseaux de mauvaise augure qui passent leur temps à cracher sur le rock ou à prédire sa fin devraient voir Steve Diggle sur scène. Ça leur couperait la chique et ça les remettrait dans le droit chemin.

 

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Par contre, Pete Shelley a pris un petit coup de vieux. Il porte une barbe blanche, il a rétréci mais il s’est épaissi. C’est une petite boule sur deux jambes fluettes. Il ne bouge pas. Il porte du noir, avec des mots imprimés sur la chemise, comme dans l’ancien temps des Punks de Manchester.

 

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Mais la voix est là, intacte, cette voix perchée qui va si bien chercher l’harmonie. Les hits sont eux aussi au rendez-vous. Et quand les Buzzcocks ouvrent leur bal, ils le font avec une version terrible de «Boredom», le hit punk tiré de «Spiral Scratch». C’est la folie. La salle explose aussitôt. Et pourtant, on est dans une ville spéciale - je veux dire par là qu’il vaut mieux être très riche pour y vivre. Saint-Germain n’est pas une banlieue de Glasgow ou de Manchester. Mais le public réagit au quart de tour. On voit Pete Shelley jouer l’incroyable solo de «Boredom» sur une seule note. Magnifique pied-de-nez aux virtuoses à la mormoille.

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Ceux qui ont vécu le punk anglais en direct en 1977 savent que les Buzzcocks faisaient jeu égal avec les Sex Pistols et les Damned. Il n’y avait rien de plus excitant qu’un concert des Buzzcocks à Londres. Et le miracle, c’est qu’ils sont toujours là et que des gens les acclament. Ils enchaînent avec «Fast Cars». C’est du délire. Ces hits punks mélodiques firent mouche en 77 et c’est toujours le cas aujourd’hui. Pete Shelley est l’un des grands compositeurs de pop anglaise, ne l’oublions pas. Niveau Lennon/McCartney. Le milieu de set est un peu moins volcanique, puis ça ré-explose vers la fin avec des hits fulgurants comme «Promises», «Love You More», «What Do I Get», et ils vont plonger la meute de fans dans la transe avec trois bombes en rappel : «Everybody», «Ever Fallen In Love» et «Orgasm Addict».

 

En 1977, pour beaucoup de gens, les Buzzcocks incarnaient l’avenir du rock anglais. Car ils composaient de véritables classiques, comme les Beatles et les Kinks avant eux. Ils s’inscrivaient dans la pure tradition de la british pop, riche en harmonies vocales et en mélodies imparables, même s’ils accéléraient le tempo. Howard Devoto quitta le groupe aussitôt après «Spiral Scratch» pour fonder Magazine. Pete Shelley poursuivit son petit bonhomme de chemin avec Steve Diggle. Comme ils travaillaient une image de modernité, ils s’adjoignirent les services d’un graphiste, comme Hawkwind le fit au début des seventies avec Barney Bubbles. Ils avaient déjà réussi à définir leur identité musicale, et ils sentaient qu’il fallait encore affiner leur spécificité avec une identité visuelle. D’où le graphisme très géométrique inspiré de Mondrian des pochettes des premiers albums et des chemises qu’ils portaient. S’ils avaient pu se transformer le visage pour ressembler à ceux que peignit Picasso dans sa période cubiste, ils l’auraient fait. La soif de modernité peut vous mener loin.

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Quand un groupe lâche dans la nature des singles magiques comme «Everybody’s Happy Nowadays», on attend le Pérou. Je me souviens très bien du jour où je suis rentré à la maison avec leur premier album «Another Music In A Different Kitchen» sous le bras. Comme si c’était hier. J’ai mis le disque sur la platine et me suis frotté les mains, comme Ténardier lorsqu’il voit entrer les clients dans son bouclard. Je n’attendais rien de moins qu’une succession de chansons mirobolantes qui allaient me mettre dans un état d’extase comparable à celui que j’avais éprouvé le jour où je découvris «Strawberry Fields Forever». Premier morceau, «Fast Cars», sympa, emmené à fond de train, mais il n’y avait pas de quoi casser une patte à un canard boiteux. Puis «No Reply» et trois autres morceaux terriblement médiocres. Fucking Buzzcocks ! Quelle arnaque ! On allait de déception en déception. Malgré leurs indéniables qualités, «I Don’t Mind» et «What Do I Get» ne parvenaient pas à sauver le reste de l’album. Du coup, je l’offris à mon frère qui fut ravi. Le second album - «Love Bites» - fut accueilli avec une méfiance de paysan corrézien. Je commençai par le flairer, snif snif snif, puis je le mis sur la platine. Ce fut exactement le même scénario, avec une succession toute aussi impressionnante de morceaux médiocres. Il fallait attendre la fin de l’album pour tomber sur les coups de génie. Voilà bien le paradoxe buzzcockien : ils sont capables du pire comme du meilleur. Le pire chez eux sera cette propension à pondre du post-punk insupportable. Rappelons que le post-punk exacerbé fut l’un des fléaux des années quatre-vingt. Le meilleur, ce sont des morceaux faramineux comme «Nothing Left» - Shelley attaque - «I’m on my own now» - avec une voix de teenager désaxé, il crée une énorme tension et on sent tout au long du morceau une vraie pulsation, accompagnée de bouquets d’accords claironnants et de ponts merveilleux jetés par dessus le vide de Manchester - ou ce hit dément qu’est «ESP» - doté d’une monstrueuse intro, joué dans l’urgence, monté sur une sorte de gimmick lumineux - «do you believe in ESP» - ondes transmises de cerveau à cerveau - «a magnetic kind» - et Pete Shelley nous embarque dans une pièce de mad psychedelia hypnotique, drive derrière et gimmick devant, petites notes jouées à l’arrache, véritable coup de génie - «I don’t know what to do» - c’est hallucinant de vérité cryogénique tellement ça fume - jamais on ne reverra ça à Manchester - ESP !

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En même temps que l’album sortaient sur single des morceaux magiques comme «Love You More», «Promises» - embarqué à la puissance des power-chords - «how can you ever let me down ?» Pete chante comme un dandy - et surtout «Lipstick», effarant, attaque perchée au chant puis ça vire sur les passages d’accords de «Shot By Both Sides», la classique de Magazine composé par devinez qui ? Pete Shelley, bien sûr. Après avoir découvert ces quelques morceaux, les amateurs de rock anglais réalisèrent que Pete Shelley avait du génie et qu’il était lui aussi capable d’embraser les imaginaires.

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Avec le troisième album qui s’appelle «A Different Kind Of Tension», on se retrouve confronté exactement au même problème qu’avec les deux albums précédents : il faut attendre la fin du disque pour tomber enfin sur un titre convenable. Pete Shelley chante «I Believe» avec son fort accent cockney et inscrit le morceau au panthéon de la petite pop décadente.

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Au même moment sort le single «Everybody’s Happy Nowadays» et c’est le serpent du Loch Ness qui resurgit, un hit affolant de tension, efféminé au chant, tiraillé à la folle note, franchement l’un des hits les plus juteux de l’histoire du rock, nouveau coup de génie de l’ami Shelley, okay okay et doté du slogan punk absolu : «I was so tired of being upset, always wanting something I never could get» (j’en avais marre d’être écœuré, je voulais toujours des choses que je ne pouvais pas avoir). Du coup, si on souhaite garder ce qui est vraiment bien des Buzzcocks, il faut se débarrasser de ces trois albums (comme je l’ai fait) et ne garder que les singles, ou mieux encore, un Best Of du genre «Operators Manual» où sont entassés tous les coups de génie de Pete Shelley. Mais attention, ce genre de disque est dangereux car une overdose émotionnelle peut affecter votre système nerveux et entraîner certaines formes de dégénérescence.

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En 1993, c’est-à-dire quinze ans plus tard, sortait un nouvel album intitulé «Trade Test Transmissions». Il présentait exactement les mêmes symptômes que ses prédécesseurs. Après deux premiers morceaux de bonne tenue («Do It» et «Innocent» - belle pop descendante à la Brian Wilson, troussée à la hussarde et chantée avec l’accent cockney, soulignée d’une fantastique partie de basse), le malheureux auditeur devait se taper une interminable série de morceaux médiocres. Mais sa patience était finalement récompensée par deux bonnes surprises. D’abord un vrai standard punk, «Energy», qui apportait la preuve de l’existence d’un dieu du punk-rock. Pete enfonçait le E de Energy et soignait ses chutes, pendant que derrière les autres faisaient oh-oh, le tout arrosé d’un killer-solo d’anthologie qui arrivait en dérapage contrôlé. Puis on tombait sur «Crystal Night», amené par une intro monstrueuse et chanté avec une morgue terrible. Morceau du même niveau que «ESP» ou «Everybody’s Happy Nowadays», épouvantable classique qu’on réécoutait plusieurs fois d’affilée pour faire durer l’extase le plus longtemps possible. Peu de gens savent provoquer une telle excitation. Eh bien, Pete Shelley détient ce pouvoir magique.

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Cinq ans plus tard, on se prenait «All Set» dans les dents, un petit album qui avait l’air de rien mais qui regorgeait de tubes shelleyiens. L’ami Pete envoyait les grosses guitares et chantait «Totally From The Heart» d’une voix riche, grasse et candide. «Without You» était encore plus dévastateur, on avait là du vrai Buzz, Cock ! De haut vol, taillé dans la viande de la pop et le génie du Pete éclatait une fois de plus - «since you left me/ I live the day by day eh oh» - fantastique poussée de fièvre juvénile, rose et poppy, teenage et sucrée, chantée dans le jus, magique et classique, bourrée de grosses passades d’accords. «Your Love» sonnait aussi comme un gros classique des Cocks, Buzz, c’était riffé à l’arrache, monté sur une ligne de basse qui courait comme le furet, on renouait avec les Buzz d’antan, Cock. Ils sonnaient vraiment comme le MC5 de «Tonight». Et Steve Diggle chantait ses compos, alors on dressait bien l’oreille, car ce vétéran de la scène de Manchester en imposait avec des trucs comme «What Am I Supposed To Do» ou «Playing For Time», compos classiques qui sonnaient comme du rock de pirate viking. Steve Diggle ne s’est jamais foutu de la gueule des gens. Il a toujours cru en ce qu’il faisait. On pourrait très bien le considérer comme le soldat inconnu du rock de Manchester, un héros méconnu dont les compos sont invariablement excellentes. Chanteur, soliste, bête de scène, compositeur, Steve Diggle appartient désormais à la caste des héros du rock anglais.

 

Les Buzzcocks tapaient aussi dans le Ministry sound avec «What You Mean To Me». La chose était à la fois salée, brutale et claquée de grosses nappes indus et ça finissait par sonner comme un classique underground. Mais on risquait de trouver la chose trop solide pour être honnête. L’honneur de boucler cet excellent disque revenait à Steve Diggle. Il le faisait avec «Back With You», en grattant une guitare sèche et il tenait ses engagements, car la suite du morceau tenait bien la grappe.

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Et pouf, trois ans plus tard ils reviennent avec un nouvel album, «Modern». On trouve là-dessus deux ou trois choses de très haut niveau, comme «Thunder Of Hearts», qui file à belle allure et avec une réelle ampleur. La power pop ? Pete Shelley s’y sent comme un poisson dans l’eau. Il y règne sans partage, tel un grand requin blanc. Il réédite l’exploit avec «Runaround», exemple parfait du hit pop porté par la diction du chanteur. Pete Shelley sait mâchouiller ses mots. «Under The Sun» va en épater plus d’un, c’est chaud dès l’intro, c’est même du pur jus de Buzz, Cock ! Une pure giclée de pop boutonneuse sevrée au drumbeat frénétique, un son unique au monde. Steve Diggle revient aux affaires avec un «Turn Of The Screw» battu à la diable et gimmické à la Johnny Thunders. Admirable. «Sneaky» est l’autre perle de ce disque. En voiture, c’est l’printemps !, pourrait dire Pete et vlan ! il nous balance un refrain miraculeux. On assiste une fois de plus à l’éclosion d’une power pop puissante et dégoulinante de jus. Pete Shelley donne tout simplement l’impression de sculpter son refrain pour en faire une œuvre d’art.

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Ils restent dans la veine des gros tubes inconnus pour l’album suivant. Il n’a pas de nom. On l’appelle donc «Buzzcocks». On sent qu’avec l’âge, ils gagnent en force. «Keep On» est un morceau symptomatique de cette évolution. Ils frisent désormais le Hüsker Dü. Le bassiste Tony Barber produit maintenant les albums du groupe et on sent bien qu’il mastérise jusqu’à la limite de saturation. «Keep On» est un morceau d’une rare puissance, qui semble par moments saturée. Steve Diggle renvoie sa sauce avec «Wake Up Call», toujours aussi classique et admirable, même s’il recycle des vieux coups de notes tirées de «Shot By Both Sides».

 

On prend des mauvaises habitudes avec un groupe comme les Buzzcocks. On écoute leurs disques avec l’espoir d’y trouver des hits planétaires, tellement on les sait capables d’en pondre. Du coup, les morceaux moyens nous agacent.

 

Et quand on tombe sur un morceau comme «Friends», on se sent grassement récompensé, car voilà bien ce qu’il faut appeler une énormité. On prend ce morceau bourré d’échos des Beach Boys et de distorse en pleine poire. C’est en effet une pure démence de Beach Boys flavor pilonnée de frais. «Morning After» est aussi un morceau puissant chanté à coups de menton, mais Tony Barber fait trop de glissés de basse. Tout repose une fois de plus sur l’indicible génie de Pete Shelley. Les Buzzcocks nous font le coup du lapin avec «Lester Sands». Ils jettent des petits chœurs dans la fournaise du punk-rock de Manchester. Les Cocks retrouvent leurs marques, Buzz. «Morning After» est franchement digne de «Spiral Scratch».

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Leur dernier album est un peu mou du genou. «Flat Pack Philosophy» n’aura quasiment aucune influence sur l’avenir du genre humain. On sent les Buzzcocks fatigués et ils entassent les morceaux de petite pop malencontreuse, comme ils l’avaient fait sur leurs trois premiers albums.Steve Diggle s’en sort mieux que Peter Shelley sur ce disque. Son «Big Brother Wheels» accroche bien. Il menace toujours la suprématie de brother Pete, mais en fait, il ne parvient jamais à faire exploser ses morceaux dans l’azur marmoréen. Ce privilège appartient à Pete et à Pete seul. Dommage, car sur cet album, les compos de Pete manquent de grandeur élégiaque. On s’ennuie un peu et l’écoutant mâchouiller ses mots. Ce disque semble aussi constipé que le sphincter d’un junkie. Il a beau pousser, oumf... Rien ne vient. Avec «Sound Of A Gun», Steve revient sur le chain gang. Attention, Steve Diggle est un dur de Manchester, question violence, il en connaît un rayon. Il adore se colleter aux gros durs des bars du port. Il adore le bruit du cuir frotté et adore sentir ses semelles coller dans la bière qui sèche.

 

Et puis sur scène, il a su conserver cette merveilleuse manie consistant à tourner la tête pour cracher par terre.

 

 

Signé : Cazengler, triplebuzz, cock !

 

Buzzcocks. Le Clef. Saint-Germain-en-Laye (78). 2 avril 2014

 

Buzzcocks. In A Different Kitchen. United Artists Records 1978

 

Buzzcocks. Love Bites. United Artists Records 1978

 

Buzzcocks. A Different Kind Of Tension. United Artists Records 1978

 

Buzzcocks. Trade Test Transmissions. Castle Communications 1993

 

Buzzcocks. Operators Manual - Buzzcocks Best. EMI 1991

 

Buzzcocks. All Set. I.R.S. Records 1996

 

Buzzcocks. Modern. Go-Kart Records 1999

 

Buzzcocks. Buzzcocks. Merge Records 2003

 

Buzzcocks. Flat-Pack Philosophy. Cooking Vinyl 2006

 

Sur l’illustration : de gauche à droite, Pete Shelley, Steve Diggle, Tony Barber et Danny Farrant

 

 

LE CESAR / PROVINS

 

05 - 04 - 14 / LORERANN'

 

Jour de marché à Provins. Du monde partout, je prends la sage décision de me réfugier dans mon troquet préféré, histoire de me jeter un petit noir – en réalité toute une tribu – dans le gosier. De loin je m'aperçois que j'aurai droit la totale, ils ont sorti la terrasse, le soleil, et les parasols. Mais quelle est cette silhouette qui s'agite en tenant dans ses mains, mais oui, par Zeus et Apollon, c'est une guitare, un objet aussi incongru dans les rues Provins qu'un sous-marin en goguette sur les sableuses dunes du Sahara ! Sans doute suis-je victime d'une insolation printanière, mais non, c'est bien une chanteuse avec micro, deux amplis et sa voix en bandoulière. En plus elle chante en anglais et je reconnais un vieux truc amerloque. M'assois illico et commande un double crachat de dieu pour me remettre de ma surprise.

 

LOREANN'

 

Loreann' – retenez bien ce nom – faut un sacré courage pour s'installer sur ces lattes de bois mal dégrossies, au ras des voitures qui n'en finissent pas de passer évitant de justesse de rouler sur les arpions fatigués des ménagères surchargées de paniers rebondis et empêtrées dans leurs encombrantes progénitures.

 

Malgré tout ce remue-ménage Loreann' affiche un calme olympien, elle est l'alcyon qui nidifie dans la tempête, insensible au brouhaha ambiant, créant par la seule magie de sa voix, une aire de tranquillité océane. Ne possède pas la puissance vocale d'un stentor. N'en a pas besoin. Elle a la finesse, la flexibilité et la subtilité, et cela suffit. Une fraîcheur extraordinaire qui roucoule comme l'oiseau que Joan Baez cache dans sa gorge. Se sert de son micro mais lorsqu'elle s'en éloigne je m'aperçois que son timbre n'en est que plus pur.

 

Des sets de vingt minutes entrecoupés de très courtes poses employées à avaler deux gorgées de bière et à répondre aux sollicitations diverses des clients séduits par sa prestation. Le patron a très vite ouvert la devanture du café pour qu'à l'intérieur les piliers de comptoir puissent eux aussi profiter de ces opportuns moments de grâce. Et pour une fois, ce n'est plus la foire d'empoigne et les vociférations habituelles qui prédominent...

 

Possède un répertoire varié, de Ray Charles à Bob Dylan, de Johnny Cash à Etta James. Touche folk dans son interprétation, guitare légère et un peu languissante, l'on décèle un tempérament méditatif que démentent en partie ses espiègles sourires. Plus elle chante, plus l'auditoire de hasard, un peu de bric et de broc, lui prête attention et se focalise sur ses interprétations. N'y aurait pas à chercher loin pour se laisser accaparer, le raffut des bagnoles, les interpellations qui se croisent d'un trottoir à l'autre, une course à faire, un ami qui passe, tout est réuni pour que chacun trouve motif à se distraire. Se passe exactement le contraire, son audience se fidélise et lui propose même quelques titres, souvent trop éloignés de son aire de prédilection. Anick et Richard de Corcova Duo ( voir KR'TNT 105 DU 05 / 07 / 12 ) se sont joints à moi et sont sous le charme.

 

Les deux derniers sets seront magnifiques, la voix s'est affermie mais maintenant Loreann' chante avec une conviction toute retenue, comme si elle nous chuchotait d'indicibles secrets. Les lignes mélodiques se chargent d'émotion, et l'attention du public se densifie. Cela se ressent dans la force des applaudissements qui suivent l'interruption des deux sets. On y perçoit le regret fervent que ces quart d'heures de toute beauté doivent s'achever... Il est quatorze heures, Loreann' remballe son matériel dans le coffre de la voiture... Nous la reverrons, nous la ré-entendrons.

 

Damie Chad.

 

CHÂTEAU DE CLOTAY / GRIGNY

 

ROCK'N'ROLL JAMBOREE IN ESSONE

 

05 - 04 – 14

 

SHORTY TOM & THE LONGSHOTS

 

 

Je m'attendais à une résidence royale. Rockabilly à Chambord ou à Azay-Le-Rideau, mais non c'est bien plus modeste, même si la teuf-teuf fait la fière, on lui bippe, rien que pour elle, le monumental monumental vert - les autres devront se contenter du parking communautaire de l'autre côté de la route - avec accès dans la cour d'honneur, juste devant une grande bâtisse, flanquée d'une salle de spectacle sur sa droite et d'une aile de logements – disons universitaires – sur sa gauche. L'ensemble est assez disparate, mais c'est rempli de jeunes gens accueillants. L'on m'explique que c'est une école de théâtre avec troupe d'apprentis artistes séjournant à demeure. Le tout sis près d'un lac, une manière très agréable de se laisser poursuivre par ses études...

 

L'endroit doit être connu comme le loup blanc par les jeunes de Grigny, quand j'ai demandé à tout un groupe attablé au fast-food local, dès que j'ai indiqué l'adresse, les sourires et les réparties ont fusé : «  Pour un concert ? alors c'est au Palais de Cristal ! » Pour le palais de cristal, vous repasserez, ça ressemble davantage à un Mille Club pompidolien agrémenté de quelques baies vitrées...

 

En tout cas pour l'acoustique sous les poutres vertes il n'y aura rien à redire. L'est vrai que Mister Jull officie au pupitre, et qu'il n'est pas qu'un sorcier de la guitare. Carlos à l'accueil, normal c'est l'organisateur et avec lui l'on est assuré de la qualité, n'a pas l'habitude de faire passer des brelles d'occasion... Suis en avance, le temps d'engloutir un sandwich américain aussi volumineux qu'un tanker de de 500 000 tonnes flottant sur un océan de frites, de farfouiller dans les bacs à disques de (www)rocking-all-life-long(.com)– un sacré choix - et de mettre la main sur un EP américain de Gene Vincent que je ne possédais point, puis de discuter le coup avec l'Association Regagner Les Plaines, quant au combat contre la signature du prochain accord commercial CEE-USA qui prévoit la mise en coupe réglée des derniers secteurs d'économie européenne qui échappent encore à la main-mise des multi-nationales du pouvoir oligarcho-démocratique... et le concert commence.

 

SHORTY TOM AND THE LONGSHOTS

Trois sur scène – a band without drums –, costume classe western pour Tom et chemise verte pour les acolytes. Dom est à la basse, énorme, envahissante, un long cou de girafe monté sur un cul d'éléphant, doit falloir une camionnette pour la transporter. Les guitares de Tom et Bruno en paraissent minuscules.

Ca faisait un moment qu'ils tournaient autour de leurs instruments, n'arrêtant pas de vérifier ceci ou cela, repartant, revenant, des perfectionnistes. Et maintenant qu'ils sont sur scène l'on comprendre le motif de ces illusoires inquiétudes. N'ont plus le temps. La voix nasale de Shorty Tom en avant et sa guitare rythmique emporte tout sur son passage. Public conquis au bout de trente secondes. Pas de batterie, autant dire aucun moment de repos, faut alimenter le feu sans arrêt, n'y aura pas de bruit de fond, de cognée de bûcheron par derrière pour masquer les moments où l'on reprend son souffle où l'on se secoue les doigts pour chasser les crampes, les Longshots ont choisi le crissement rythmique de la scie pour emporter le morceau. Musique rurale. De l'époque où l'on sciait les arbres des Appalaches pour les étayer les boyaux des mines de charbon.

 

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Les Longshots nous servent un rockabilly primal, du hillbilly de l'ancien temps mais sur un bop-tempo dévastateur. Enchainent les morceaux – déjà pas très longs - à une folle rapidité. La rythmique de Tom est si grêle et si speedée que parfois l'on a l'impression de percevoir le ring-ring fou d'un banjo de l'old time. Première fois que j'entends une partition de piano rag-time jouée à la gratte. Vitesse et célérité.

 

Faudrait pas perdre de vue, l'aile droite et l'aile gauche de la formation. Sous leurs chapeaux sont comme trois frères, le plus jeune en avant, haut sur patte mais pas très costaud, ni très épais, c'est pourtant lui qui déclenche les bagarres, et les deux autres sont obligés de le tirer de ce mauvais pas car sans eux il est sûr qu'il ne n'en reviendra pas vivant, mouline tellement de ses mains qu'il va perdre son souffle et s'asphyxier. Dom, le gars tranquille, un taiseux qui reste dans son coin, et qui ne cherche noise à personne mais quand le frérot a besoin d'aide, faut voir comment il aligne les claques sur les cordes. Le mec qui ne s'énerve pas, qui prend le temps de réfléchir un quart de seconde avant de frapper car il déteste le hasard, et il tombe toujours juste, pile à l'endroit où ça fait mal, ça vous descend sur le coin de la gueule, au moment où vous ne vous y attendiez plus. Et au cas où vous n'auriez pas compris, il vous rajoute en prime une double mourlane de derrière les fagots pour que vous vous enfonciez bien dans la tête qu'il est l'heure de rentrer à la maison.

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Reste l'aîné, celui-là vous le laissez aux copains si vous voulez que votre mère vous reconnaisse le lendemain matin. Sur sa guitare il tricote de la dentelle, vous n'y prenez pas garde au début, parce que le petit dernier se met toujours devant sur la photo, mais Bruno c'est un artiste, vous tisse des arabesques, ni vu ni connu, il se faufile par les côtés, emprunte les venelles de traverse qu'il est le seul à connaître et vous tombe dessus à bras raccourcis, vous n'avez pas le temps de dire ouf, qu'il n'est déjà plus là; il danse et virevolte loin de vous, mais c'est pour mieux revenir, un artiste, un guitariste hors-pair qui jongle avec ses cordes comme le trapéziste de la mort. Attention, c'est lui qui vous portera le coup de grâce. Le blanc-bec devant peut l'entraîner dans les pires maelströms, assurance tout-risque le grand-frère le sortira sans encombre du guêpier dans lequel il se sera fourré.

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Bruno doit être spécialiste en arts martiaux musicaux. Le voici devant sa steel guitar. Nouveau modèle, ressemble à un métier à tisser les bracelets de perles indiennes pour les enfants, rien à voir avec les anciennes version à pédale style machine à coudre Singer. La steel guitar reste par excellence le symbolique instrument de la country pleurnicharde qui transforme le glaçon de votre coeur en torrents de larmes chaudes. Shorty a précisé que c'était pour détendre l'atmosphère. Trois morceaux dont un instrumental Roadside Rag, un classique, qui subjugue l'assistance. Mais comment opère-t-il Bruno pour passer du plan vertical à l'horizontal sans se mélanger les doigts ! Doit être méchamment latéralisé. Nous enchante. Notons que Shorty adaptera sur les deux autres titres son phrasé à la nécessaire ampleur d'un chant moins rapide et que la contrebasse de Dom engendrera des harmonies d'une profonde nostalgie. Rien à voir avec l'urgence d'un Ramblin' on, d'un Candy Twist, d'un Beggin'Time ou d'un I've Got Just a Heart – s'ils continuent à le faire battre aussi fort, la crise cardiaque est pour bientôt - de la première partie du set.

 

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Retour à l'urgence métronimique avec You're so Dub, mais c'est presque la fin, deux tartines au piment de cayenne pour le rappel et c'est terminé. Un set bien trop court. Première fois que Shorty Tom and The Longshots s'en venaient tirer le bison dans le bassin parisien, mais il est sûr qu'ils y reviendront. Sont déjà prévus pour le mois de mai au Cross Diner de Montreuil, vu la séduction du public, le bouche à oreille va fonctionner et il risque d'y avoir du monde.

 

THE TINSTARS

 

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Chance pour nous, feront la balance durant l'entracte. De véritables pros. Sûrs d'eux mêmes, plaisantent entre eux, mais difficile de comprendre pourquoi, viennent de l'autre pays du fromage comme l'annoncera Edonald Duck, et j'ai laissé ma méthode Assimil du néerlandais facile à baragouiner à la maison. Reviennent très vite sur scène et le set démarre au quart de tour.

 

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Décidément ce soir nous jouons au triomino. Encore un trio, rangé comme les précédents mais du plus âgé au plus jeune. Un géant massif à la contrebasse qu'il dominerait presque, en tout cas elle n'en mène pas large entre ses mains, elle obéit à la claque et à l'oeil. Pas du tout la grosse brute qui tape jusqu'à plus faim, pas question qu'elle se contente de mugir comme un moteur d'avion, le rockabilly exige du swing et de la sveltesse, elle a intérêt à ne pas se tromper dans les entrechats the big mama, en mouvement et en rythme, s'il vous plaît, on ne déroge pas à la règle mais on l'interprète avec subtilité. Le slap d'Andre c'est de la godille sur une mer mouvementée, le courant emporte la barque droit devant, mais il sait surfer sur le travers des lames, sans sourciller il oscille sur le dos écumeux de la vague et plonge avec dextérité dans l'abîme des creux dont il s'échappe sans même un sourire de commisération victorieuse à notre adresse. Le capitaine a la main sûre et ce n'est pas le typhon déchaîné par le reste de l'équipage qui pourrait le surprendre. Anneau de pirate à l'oreille gauche.

 

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Anneau de pirate à l'oreille droite. Rick, blue eyed hansome man, doit attirer le regard des filles avec son regard azuréen et ses cheveux blonds rejetés en arrière, guitare acoustique à résonateurs portée haut devant, malmenée avec frénésie – deux jolies cordières se précipiteront pour remplacer un câble défaillant qui aura lâché dès le quatrième morceau. Il ne chante pas, il jette les lyrics à la pelle, à toute vitesse, les propulse et les enchaîne sans ménagement. Un homme pressé, non pas de nous quitter, mais d'entonner un nouveau morceau encore plus furieux que le précédent.

 

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Le plus jeune. Sans anneau, une guitare à cornes – pas une Fender à tête de vache débonnaire – non plutôt celles du diable, resserrées et frondeuses, mais ce qui fait le plus peur c'est la tête en forme de proue de drakkar menaçante. Un engin taillé pour la rapine en haute mer. Bigsby Grady Martin. Enfin une Magnatone ( 57 ). Une reine des guitares rockabilly. Pour vous en convaincre réécoutez le Johnny Burnette Trio. Le genre de trophée qui se mérite. Sinon c'est un peu comme si vous vous promeniez avec un canon à particules mais que vous ne saviez pas vous en servir. Vous auriez très vite l'air si ridicule. L'est tout jeune Dusty Ciggaar, mais la valeur n'attend pas toujours le nombre des années. A la fin du set Edonald Duck viendra signifier que côté guitare l'on aura assisté à un moment historique.

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C'est que Dusty nous aura offert un véritable festival de guitare rockabilly. La technique du léopard moucheté. D'abord je me tiens en réserve, tapi à même le sol, une véritable descente de lit inoffensive. Pour les regards distraits seulement, car je suis le fauve qui ne quitte pas sa proie du regard. Les muscles bandés, prêts à se relever au moment propice. J'exulte, je suis impatient, je me retiens avec peine, trop tard vous ne m'avez pas vu bondir, mes griffes déchiquètent un troupeau de gazelles sanglantes, mais déjà, ni vu ni connu, je suis retourné à mon poste d'observation, le regard braqué vers la suite du film, les doigts en suspend au plus bas des cordes, au plus près du chevalet, afin d'obtenir la plus grande puissance lorsqu'il s'agira de faire claquer le riff comme une étamine pourpre au milieu du carnage. Entre eux trois c'est un jeu. C'est une tuerie. Rick et André qui ne laissent pas un interstice de libre. A eux deux ils remplissent l'espace sonore, poussez-vous d'ici puisque nous y sommes et nous n'avons besoin de personne. Et puis entre deux respirations séquentielles se crée comme un vide d'un millionième de seconde et Dusty, la main gauche en haut du manche et la droite qui ne dépasse que très rarement le nombril de son instrument, s'engouffre dans la fente, la guitare en effraction qui se fraye un chemin comme l'on ouvre une porte à coups de pied de biche, le temps d'allumer en guise de signature un incendie flamboyant dans l'appartement visité. Il rajoute le bruit et la fureur, la foudre et le tonnerre.

 

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Very Wild. L'on a eu droit à Pretty Baby, à Worried 'bout You, à Blue Moon mais avec All I Can Do Is Crying la salle explose et les Tinstars passent sur l'orbite supérieure. Ambiance de fou, avec Manu des Barfly qui torse nu nous fait une tattoo-parade délirante pendant que Dusty en embuscade piétine sur place avant d'intervenir de plus en plus fréquemment. Encore quelques fournaises et le groupe quitte la scène. Reviennent aussitôt en compagnie d'une des belles cordières.

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Au chant et à la guitare, Ruby Pearl, robe rouge froufroutante, tatouage arabesque en bout de jambe gauche, longue chevelure brune dans le dos. Quart d'heure countrysant. Après la tornade qui vient de s'achever elle parvient à s'imposer sans peine. Belle voix et agréables inflexions. L'orchestre la soutient et lui brode de petits napperons d'amour pour chacun de ses trois morceaux. Rick et Ruby, dos à dos, nous la jouent mamours à la Johnny Cash in love with June Carter. Dans la vie, comme sur scène, ils forment un beau couple.

 

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Le petit chaperon rouge passe en coulisse et les trois méchants loups hurlent à la mort sur un dernier morceau d'anthologie. Les Tinstars nous ont sonné. Merci Carlos.

Damie Chad.

( Plus de 100 photos sur le facebook de Edonald Duck )

CROCKCROCKDISC

 

THE SOUTHERNERS : ' R BIKE !!

MOTORBIKE / OKLAOMA BABY / LET'S GET IT ON / LOVE ME / GET RHYTHM / EILEEN / YOU ARE MY BABY / THE TRAIN KEPT A ROLLIN'

Vocal : Pascal « P'titLoup » Grolier / Vocal, Upright Bass : Pascal Albrecht / Drums, Backing Vocals : Yves « Vivi » Selem / Lead Guitar : Thierry Paulet / Rhythm Guitar : Michel Frugier

 

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Bien sûr je me drogue. Tous les matins en me levant. Une injection ou un sachet en poudre. Par voie auditive. Je peux vous refiler le nom du produit. The Southerners, 'R Bike. Si votre dealer ne l'a pas, changez de fournisseur. Attention c'est dangereux, beaucoup plus performant que les cachets qu'avalait Johnny Cash dans sa jeunesse. Ne faites pas comme moi, souvent j'abuse, je m'enfile quatre doses d'affilée dans la cambuse avant de partir au boulot ou le soir avant d'honorer une gente demoiselle. Une seule prise et ça vous file du tonus érectus pour la semaine entière.

Vous reconnaîtrez facilement le flacon, rose comme l'aurore radieuse et noir comme la pénombre de la nuit. A l'intérieur, peau de léopard royal et logo pin up au nombril apparent et prometteur sur fond de drapeau sudiste. Provenance estampillée pure rock'n'roll. Huit cristaux à l'intérieur. Vous pouvez sucer voluptueusement, faites gaffe tout de même, ça arrache sec, parfumé au venin de crotale.

Moteur. Motorbike. A peine le temps d'enfourcher la bête qu'elle est déjà partie au trente-deuxième de tour. Im gonna leave this town to-nigth, perdent pas de temps pour expliquer le trajet. Accrochez-vous comme vous pouvez car ils se refilent le guidon à tour de chant, et ces reprises incessantes ne font que maintenir le rythme effréné. Montée d'adrénaline confirmée.

Oklahoma Baby, les mauvais garçons ont ouvert la cage aux oiseaux, en sort une une reprise de Johnny and The Jail bird - il y en aura une deuxième plus tard - balancée à la perfection. Les guitares s'en donnent à coeur joie. Entre parenthèses ces oiseaux d'englishes, couvée des années 80, sont revenus de leur migration - les rockers à la retraite s'ennuient très vite - sont en train de sortir un nouveau disque.

Reprise de Let's Get It On, un morceau d'Hershel Almond de 1959 – n'en a pas sorti beaucoup car il s'est par la suite lancé dans la politique – un véritable plaidoyer pour prendre la vie à pleine dents, les Southerners s'y affutent les canines et l'on peut se rendre compte qu'ils les ont longues, solides, tranchantes et bien aiguisées. Vous croquent le tout en deux minutes.

L'on quitte un peu la rythmique ted pour quelque chose qui au premier abord pourrait paraître plus reposant, normal c'est Love Me, du Buddy Holly, mais il suffit d'écouter l'entrelac des cordes pour s'apercevoir qu'ici les Southerners avancent avec davantage de subtilité. Jeux de voix, mais toutes ces articulations entre les péripéties vocales et les parties de guitare se révèlent être du transport de nitroglycérine.

Get Rhythm, la gymnastique reprend, le morceau casse-gueule par excellence qui ne tolère aucune défaillance. Si vous attendez le déraillement c'est raté. Les Southerners nous offrent une version impeccable. L'on aimerait qu'elle dure un peu plus, mais personne ne vous empêche d'actionner la touche re-play.

Eileen, très style sixties la jeune oiselle échappée de chez Johnny et ses drôles d'emplumés avec ses vap doo wap, les Southerners se laissent un peu mener par le bout du nez avant de la malmener dans le bon sens, l'on préfère de beaucoup la suivante, le You Are My Baby, you are my sugar, sure mais on le dissout dans un verre de viril bourbon, et tout de suite l'on s'aperçoit qui est le maître du jeu amoureux. Sexy ways.

Finissent en beauté, une version explosive du Train qui n'arrête pas de rouler de Johnny Bunette. Sauvage et démesurée. Un must.

Le problème avec ce CD c'est que c'est si bon, tonifiant comme un rail de cocaïne énergisante, que vous êtes obligé de le réentendre une fois de plus, et encore encore... Respectent la règle des trois unités, unité de son, unité de ton, unité de fond. Ces huit morceaux forment un tout, une production identique pour chacun, un parfait équilibrage entre voix et instruments aucune des deux parties n'empiétant sur le territoire du voisin, une grande cohérence entre le choix du répertoire et l'alternance des titres. Un tout indivisible. Une parfaite réussite.

Moi accro, vous voulez rire ! J'suis simplement accrock !

Damie Chad