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18/11/2015

KR'TNT ! ¤ 256 : EAGLES OF DEATH METAL / L7 / HOT SLAP / BLUE TEARS TRIO / SPUNYBOYS /OL' BRY / F. J. OSSANG / VINYLS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 256

A ROCK LIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

19 / 11 / 2015

EAGLES OF DEATH METAL

L7 / HOT SLAP / SPUNYBOYS / OL' BRY /

F.J. OSSANG / VINYLS

 

C'est une ancienne kronic de l'ami Cat Zengler qui date du 18 juin 2015 parue dans la deux cent quarantième livraison de KR'TNT ! Pas besoin d'expliquer pour quelle raison nous la remettons en ligne cette semaine. Il semble que dans notre monde le rock and roll dérange encore. Etrange force symbolique de cette musique qui est aussi un art de vivre et de résistance ! Cette livraison 256 est dédiée à tous ceux qui n'assisteront plus à un concert.

LE TRIANON - PARIS 18° - 09 / 06 / 2015

EAGLES OF DEATH METAL

LES AVENTURES DE

BOOTS ELECTRIC ET DE BABY DUCK

 

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Boots Electric se recoiffe d’un coup de peigne vers l’arrière du crâne. Quelle étuve !

— Bonsoâr paris ! Don’t you know ? I loooooove you !

Boots Electric roule un énorme pelle au public.

— Hey Paris, tu veux danser avec Boots Electric ? Alors, enlève ton blouson et rejoins-moi sur la piste !

Quel héros fantastique ! Boots Electric est le Travolta du rock moderne, un tortilleur de cul coiffé comme un greaser et tatoué comme un taulard. Il porte la moustache en croc du docker et les Ray-ban oranges de Peter Fonda dans «Easy Rider». Son costume de scène ? Marcel, jean moulant délavé, bretelles et santiags des bars interlopes. Il plaque en prime des power-chords sur sa grosse guitare blanche, comme Sylvain Sylvain jadis au temps béni des Dolls. Boots Electric ? Pur rock’n’roll animal. Aussi racé et ambigu que pouvait l’être Lou Reed en 1967 - waiting for my man/ twenty-six dollars in my hand.

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— I came to LA to make rock n roll !

Wow ! Le plancher de la salle du Trianon se met à onduler. Paris saute en l’air.

— Along the way I had to sell my soul !

On se croirait dans l’océan en pleine tempête. Les cœurs chavirent ! Paris tombe sous le charme fatal de Boots Electric. Eh oui, ma poule, tu vois bien que c’est du cock-rock.

— I made some good friends that make me say/ I really wanna be in LA.

Tempête ? Fête païenne ? Rituel antique ? Émeute urbaine ? C’est tout cela à la fois. Et même beaucoup plus car derrière Boots Electric, Baby Duck bat le beat du marteau-pilon. Coiffé comme un G.I. en partance pour le Mékong, il frappe le menton en avant, en pur idéaliste de l’extrémisme. Il redouble de violence tribale. Il frappe comme un damné. Il veut sonner comme ces terribles batteurs de cadences des galères de l’antiquité. Il s’agit cette fois non pas de couler la flotte perse à Salamine, mais de prendre Paris d’assaut. Tu veux du beat, Paris ? Baaaam ! Écarte les cuisses, Paris ! Baby Duck redouble de violence. Et comme il ne parvient toujours pas à écrouler les colonnes du temple, un séide vient battre à côté de lui. Double dose de beat turgescent ! Des poules se pâment ici et là ! D’incroyables brunes en lunettes noires et jeans taille basse ondulent au balcon. Babylone, baby ! Babylone’s burning !

— I take the city in the dead of the night.

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Pendant que Baby Duck met Paris à genoux, l’énorme Darlin’ Dave Catching roule ses riffs dans une stupéfiante mélasse gluante de distorse. Cet ogre au crâne luisant porte une barbe blanche de Père Noël et une grosse chemise à carreaux de bûcheron canadien. Il joue sur une Flyin’ G et sort un son mirobolant. Il connaît tous les secrets des coups de hanche et sait esquisser à la perfection les pas du desperado. Paris voit bouger l’ogre sur scène et n’en revient pas d’assister au spectacle d’une telle classe. L’ogre monte au micro comme s’il montait à l’assaut d’un rempart et bave ses chœurs avec la mine contrite d’un Saint-Sébastien percé de flèches.

— I’m burning gas until I feel alright.

Et Paris danse ! Paris chavire. Paris tangue. Paris chancelle. Paris adore. Boots Electric galvanise Paris. Il l’emmène danser la farandole sous la boule à miroirs d’un temple imaginaire. Alors Paris ne résiste plus. Paris se livre. Paris s’enivre. Paris se désinhibe. Paris bascule dans l’autre camp. Paris découvre la vraie vie.

— Clowns to the left of me, jokers to the right.

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Boots Electric pose sa guitare pour danser. Paris lui tend les bras. Danse avec moi ! Boots Electric travolte et virevolte. Il chaloupe et offre son cul à Paris. Shake your booty ! Il vire tout le pathos du rock. T’es viré le pathos ! Seule compte la rigolade. On est là pour prendre du bon temps, pas vrai les gars ? Sex and drugs and rock’n’roll ! Alors danse Paris, danse ! Et Paris redanse de plus belle. Paris n’avait plus dansé comme ça depuis quand ?

— Here I am, stuck in the metal with you !

Ça tourne à la carmagnole du diable. Au grand carrousel de la fin du monde. Ça saute toujours plus haut. Paris rebondit sur un plancher qui menace de céder. Dance Kalinda boum ! Dance to the Music ! Dancing with the Eagles of Death Metal ! Dancing the night away ! Dancing with myself ! Le tumulte bat son plein. Boots Electric mène la danse. De l’autre côté de la scène, le bassman McJunkins devient fou. Il court en tous sens, le visage noyé dans ses mèches de cheveux. Le beat l’emporte, il en est à la fois l’acteur et la proie. Cruel destin !

— Just make believe.

Le pauvre Trianon n’avait pas vu un tel ramshackle depuis belle lurette. Paris transpire à grosses gouttes. Des femmes galbées comme des amphores hantent le bar. Boots Electric n’en finit plus d’allumer Paris. Il est à la fois Joel Grey, le Maître de Cérémonie de «Cabaret» et Roy Sheider, le chorégraphe de «All That Jazz», deux coups de Jarnac signés Bob Fosse. Il est aussi le Chaucer Pasolini des «Contes de Canterbury» et le trafiquant Fassbinder du «Le Mariage de Maria Braun». Boots Electric ? Entertainer number one, baby ! Grand-prêtre du rigodon. Meneur de sabbat. Grand ordonnateur des danses de Saint-Guy. Matelot échappé d’un chapitre de «Querelle de Brest» de Jean Genet. Transfuge des Village People passé au meilleur rock d’Amérique. Clin d’œil à deux pattes et incarnation des vieux mythes patiemment dépouillés par Jean Cocteau. Boots Electric injecte dans le gros cul de Paris un énorme shoot de modernité, tellement énorme que ça vire instantanément au classicisme. Il se dégage du set un mélange de déjà-vu et de nouveauté, capiteux mélange qui caractérisait déjà les sets et les disques des Queens Of The Stone Age, l’autre mamelle de cette fascinante scène californienne. Eagles Of Death Metal ? Baby Duck déborde d’imagination. Il sait trouver LE nom qui sonne bien. Au temps de la rue Keller, on entendait l’album «Death By Sexy» tourner en boucle chez Born Bad. Et pour cause. Cet album fonctionne comme un traquenard. On s’y gave de chant tremblé monté sur des gros romps d’accords vénaux. Boots Electric et Baby Duck y bardent un «Don’t Speak» d’accords pompés dans le premier album de Black Sabbath et posent par dessus un chant maniéré jusqu’à la nausée. Il traitent «Shasta Beast» au petit falsetto de proximité et jouent avec la perversité comme d’autres jouent avec le feu. Et puis il faut entendre au moins une fois dans sa vie cet étonnant «Nasty Notion», pris au chat perché de velours, encore une jolie pièce de rock interlope qui se glisse entre deux genres avec l’horrible aisance visqueuse d’une anguille.

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Leur premier album s’appelait «Peace Love & Metal». Ils jouaient déjà la carte de la provocation et truffaient leur heavy-glam de viande rouge. Dès «I Only Want You», on sentait l’odeur de l’album classique, avec ce ramassis d’accords secs et de soupirs indignes de la morale chrétienne. Ils se montraient experts dans la pratique des petits beats comprimés, ceux qu’affectionnaient particulièrement tous les pauvres hères de la scène post-punk des années quatre-vingt. Boots et Baby Duck revenaient aussi vite que possible aux bons beats râblés et livraient avec «So Easy» une sorte de glam à l’esprit de Seltz. Et Baby Duck nous battait tout ça au tribal amérindien. Avec «English Girls», ils proposaient ce qu’il faut bien appeler un classical Eagles Death-Metaller chanté à la gnognote dépravée. C’est sur cet album qu’on trouve l’irrésistible reprise du «Stuck In The Middle With You» de Stealers Wheel, avec un Middle transformé en Metal. Mais c’est «Already Died» qui nous sonnait vraiment les cloches. Il s’agissait là d’un cut effarant d’ingéniosité sonique, emmené au miel de chant et porté aux nues par une distorse panaméenne. Ils nous emmenaient là dans leur logique de l’isthme, la fine langue de terre qui sépare deux océans. D’un côté l’océan classique et de l’autre la modernité. Ces deux farfouilleurs de génie allaient puiser aux racines du blues en chantant comme le fantôme de Marc Bolan.

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Leur troisième album plonge encore plus profondément dans le spongieux de la consanguinité. «Heart On» restera dans l’histoire du rock pour un cut intitulé «How Can A Man With So Many Friends Feel So All Alone». Le velouté du chant insidieux s’y élève au rang d’œuvre d’art. On songe immédiatement aux grandes heures de Jack Bruce dans «Disraeli Gears». Peu de gens osent s’aventurer dans une telle direction. Baby Duck y atteint la pure excellence harmonique de tremblé psyché. Il flirte avec le génie - Left with nothing at all. Les autres gros cuts de l’album sont «Pussy Prancin’», chanté au mitoyen pervers de voix humides et «I’m Your Torpedo», un joli stomper du bout de la nuit battu au tribal et chanté à l’ambivalence. On y retrouve tout ce qu’on aime, le soin du son, l’impact de l’idée, le fléchage du talent et le don du dedans.

Signé : Cazengler, Eagle of Death Mental

Eagles Of Death Metal. Le Trianon. Paris XVIIIe. 9 juin 2015

Eagles Of Death Metal. Peace Love & Metal. AntAcidAudio 2004

Eagles Of Death Metal. Death By Sexy. Downtown Music 2006

Eagles Of Death Metal. Heart On. Ipecac Recordings 2008

Le Bataclan fut une salle magique. J’y mis les pieds la première fois en 1977 pour le concert qu’on peut bien qualifier d’historique des Heartbreakers. Et la dernière fois, pour le fantastique concert des L7. Maintenant, c’est devenu un lieu de mort. On chiale en pensant à tous ces pauvres gens fauchés comme les blés. Les concerts de rock avaient un caractère sacré. Rien ne sera plus jamais comme avant.

BATACLAN / PARIS XI / 17 – 06 - 2015

A L'ENFER DU PARADIS ( avec L7 )

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Un Bataclan plein à craquer. Paris est venu fêter le retour des Californiennes. Autant dire qu’il règne dans cette salle au passé chargé une ambiance exceptionnelle. On sent un public venu chercher sa dose, comme au bon vieux temps des grands concerts. Finalement, rien n’a changé, l’électricité dans l’air reste la même qu’au temps des concerts de Captain Beefheart à Bornemouth, des Pink Fairies à Londres ou des Heartbreakers au Bataclan. Let’s go where the action is, comme dirait un compilateur chez Kent. Une ovation les salue quand elles arrivent sur scène.

 

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Suzi Gardner, habillée en noir et coiffée d’un stetson noir salue Paris. Jennifer Finch s’est teint les cheveux en rouge. Elle passe une basse aérodynamique en bandoulière. Dee Plakas prend place sur son estrade et voilà qu’arrive Donita Sparks, fine et blonde, vêtue d’un gilet noir et d’un jean vert d’eau. Elle brandit une Flying V. On sent que ça va barder. Voilà encore l’un de ces petits rock’n’roll animals dont l’Amérique est si prodigue. Et bam, «Deathwish» tombe sur la foule comme l’une des sept plaies d’Égypte. Le son est là, immédiatement. On sent les vétérantes de toutes les guerres et bien sûr de toutes les polémiques. Elles sonnent merveilleusement bien les cloches. Elles font leur numéro de cirque et ça gigote dans la fosse. Il règne dans l’étuve du Bataclan une atmosphère de rêve. Des punks s’embrassent sur la bouche et des gamines sautillent comme des zébulons. Suzi, Donita et Jennifer chantent à tour de rôle, mais Donita reste la patronne. Entre deux cuts, elle s’arrose les cheveux. Les filles enfilent les hits comme des perles, «I Need» avec ses petits chœurs pevers, «Shove» et le bombast de «Shitlist», tout y passe. Ces morceaux datent de vingt ans et ils gardent tout leur jus. En attendant un peu après le concert, on verra les filles sortir une par une pour rejoindre le bus garé devant la salle. Et comme c’est d’usage, elles se prêteront au petit jeu des photos avec les fans. Quand on approche Donita Sparks de près, on est frappé par sa classe. Elle incarne l’Américaine de rêve au regard clair et à la voix cassée. On voit sa dent en or et son sourire carnassier. D’évidence, elle ne fait pas semblant. Tout en elle n’est que rock’n’roll, avec ce léger soupçon de démesure qui caractérise si bien les rockers américains.

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Leur premier album paru en 1988 sur Epitah fit illusion le temps de deux morceaux. À commencer par «Bite The Wax Tadpole», doté d’un très gros son. On voit rapidement sourdre des idées, comme cette queue de solo à l’étranglée qui troue le mur du son, suivi plus loin d’un autre encore plus atrophié et qui semble couler comme un filet d’acide dans la raie d’un cul. Ces folles cherchent des noises à la noise, c’est indéniable. Elles maintiennent l’illusion avec «Cat O Nine Tails». Elles sortent un vrai son et on connaît beaucoup de groupes qui auraient aimé en faire autant. Mais ensuite, les choses se dégradent. Derrière le rideau du son, les idées brillent par leur absence et la pauvre Donita Sparks chante souvent comme une casserole. Un cut comme «Runnin’ From The Law» est aussi mal foutu que les mauvais cuts des Runaways.

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Si on ne collectionne que les albums énormes, il faut sauter sur «Smell The Magic» paru en 1990. Ce disque bat tous les records de monstruosité sonique. Exagération ? Commencez par écouter cette ouverture de bal des vampires qui s’appelle «Shove», montée sur un riff hendrixien et chanté au trash baveux. On se croirait à Londres en 1967. C’est du pur jus de blues rock. Les filles ont tout compris. Une riff de blues rock bien senti passe toujours comme une lettre à la poste, tous les guitaristes du monde le savent. Et elles agrémentent ça d’un solo à la coulante. Il faut voir comme elles déboîtent le cornet, comme elles vérolent la posture, comme elles arrachent la mainmise ! Quelles fabuleuses poulettes ! Elles jouent le rock du ventre, le rock viscéral, elles visent l’origine du monde, la spirale du Père Ubu, l’amorce du grand tourbillon tel que dessiné par Alfred Jarry. Et ça continue avec un «Fast & Frightening» d’une puissance sans égale, monté au beat rapide et orné des coulures de solos infernaux. Elles fonctionnent comme un bélier, la poterne ne tient pas longtemps. Elles démontent tout sur leur passage. Les solos raniment les morts sous les remparts. Donita roule des r et le cut file au ras du sol. Monstrueux. Suite du carnage avec «(Right On) Thru» perforé par un solo de wha-wha et joué au mur du son. Idéal pour s’exploser la tête au casque. Rien ne peut freiner ces Californiennes, surtout quand elles attaquent «Deathvision». Elles progressent dans la plaine comme une division infernale. Le solo coule entre les jambes et file se fondre dans l’embrasement du crépuscule. Il n’existe rien d’aussi démentoïde. Voilà encore un cut en forme d’exaction modèle. Excellent jusqu’à l’os du jambon. Ces filles sont folles. Elles démarrent «Till The Wheels Fall Off» en trombe, évidemment. Elles flirtent un peu avec le son hardos, mais non, qu’on se rassure, elles restent dans le high speed rock’n’roll. À ce niveau d’intensité, on est obligé de conclure qu’elles sont possédées par le diable, ce qui les rend automatiquement sympathiques. Elle savent se tenir. Donita chante ça à la hurlette et c’est tenu à l’accord de rock bien jaune et bien visqueux. Mais tout cela n’est rien à côté de «Broomstick» - I got a broomstick baby - Elles tapent là dans le heavy de l’énormity, celui des dingoïdes. Elles décapitent tous les archétypes. Elles sortent un son qui coule comme l’acier liquide d’un four Bessemer. Elles inventent l’aciérie du trash-blues, les pluies d’étincelles soloïdales, le trashoïdal élémentaire, et Donita refait une passe de solo à la Wayne Kramer. Elles nous emmènent dans leur monde. Elles pourraient apprendre le rock à pas mal de groupes. Si on aime ce qui fume et ce qui tend vers l’infini, alors il faut écouter cet album. Elles donnent une belle leçon de punkitude avec «Packin’ A Rod». Rien qu’avec ça, elles balayent tous les groupes de Los Angeles d’un seul revers de la main. Elles déboîtent les clavicules de Salomon. Ce disque est une métaphore de l’envergure. On entend un solo de rêve dans «Just Like Me», encore un cut touillé dans la bouillasse. Chez L7, on trouve tout ce qu’on aime : les vols planés d’accords mortifères et le goût de la dévastation. Elles finissent avec «American Society» - I don’t wanna drown in American society yaeh yeah - traversé par un solo sinusoïdal et il faut voir comme ces cocottes cocotent.

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Pas facile de revenir en studio après un album comme «Smell The Magic». Elles tentent pourtant le coup deux ans plus tard avec «Bricks Are Heavy». On y trouve une pure énormité : «Shit List», un cut qu’elles bombardent à la basse fuzz. On y entend un vrai solo à la déglingue et des chœurs déments - Shit list ! Slit list ! - Donita part en vrille au chant et cherche des noises à la noise. L’autre gros cut de l’album s’appelle «Slide», où elles sortent des chœurs à la Buzzcocks. Donita revient rouler des r dans «Scrap», petite pièce de heavyness exceptionnelle et elles restent dans la heavyness pour «Diet Pills» et ses solos chargés de soufre. Ça court-circuite dans la centrale. Ça perfore les couches d’ozone. Mais force est d’admettre que cet album ne vaut pas le précédent.

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Retour en force en 1994 avec «Hungry For Stink». Dès l’intro d’«Andres», pas compliqué, elles te plongent le museau dans la distorse. De là à penser que ces filles ont le génie du son, il n’y a qu’un pas qu’on franchit allègrement. Voilà ce qu’il faut bien appeler du bombardé de mid-tempo tourmenté et soulevé par des vagues géantes de chœurs - Oooh Oooh ! - S’ensuit un «Baggage» de heavyness maximaliste qui s’en va exploser au sommet de l’Everest. Il semble que Donita ne vit que pour les extrêmes. Et ça part en solo, mais pas n’importe quel solo, un solo courbaturé de fuzzeries malveillantes. Rien d’aussi radical que cette heavyness compressée dans la purée par des reines du trash. L’autre énormité de cet album s’appelle «Questioning My Sanity». Après une intro de riffage de bonne augure, le questioning en question se révèle im-pa-rable. Donira la sparkeuse explose tout au riff vengeur. Voilà un cut terrible, grandiose et bourré de son. Plus on entend dire du mal des filles et plus on les adore. «Riding With A Movie Star» sonne exactement comme une énormité dévastée d’avance. Donita n’insiste pas. Elle laisse filer les nappes d’orgue - Get Out ! - Elle n’y croit pas mais elle participe au carnage d’un instro tatapoumé. Quelles fulgurantes chipies ! Attention à «Fuel My Fire» ! Voilà un cut étonnant de violence sonique. Suzi Gardner chante. Elle sort un pur punk-rock de girls, sans retour, comme la rivière. On pourra qualifier le solo de forestier car il prend feu. Ces filles sont des diablesses. S’ensuit un «Freak Magnet» heavy as hell. Voilà le vieux coup de grunge ultra-saturé qu’on attendait. Ces quatre filles sont folles et elles cultivent l’art du solo vrilleur à la Jeff Beck. Elles ont vraiment tout ce qu’il faut pour rendre un homme heureux, non ?

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On retrouve Donita, Suzi Gardner et Dee Plakas sur «The Beauty Process» paru en 1996. Attention, c’est encore un album énorme. Avec «Drama», on retrouve le meilleur son d’Amérique. Encore un cut victime de l’élongation des ailes du son. Le solo sort en glougloutant du robinet du diable et ça repart au cahot sur les pavés des mauvaises intentions qui luisent aux lueurs du four béant d’Hadès, dieu des enfers. Ces dames dégagent. Avec «Off The Wagon», elles se positionnent largement au dessus de la moyenne. Elles sont magnifiques d’essence adventiste. Elles avancent dans le bleu d’acier urbain avec une audace digne des troupes d’élite. Elles tapent dans le cœur du process et elles enchaînent avec un «I Need» monté sur des crises ambulatoires et balayé par des solos désordonnés. Encore une pure énormité. Une de plus. Mais le pire est à venir, à commencer par «The Masses Are Asses», et le grand retour au son d’ivoire de la tour maudite. Elles cognent sur le bulbe et foncent au ras du bitume. Ça sonne comme un leitmotiv soutenu aux chœurs de dingues et le solo traverse le cut comme un paquebot fellinien. Pur génie. Et ça continue avec «Bad Things» bardé de retours de flammes. Elles cocotent comme des folles et Donita vitupère comme une possédée. Jamais une fille n’a chanté avec autant de mauvaiseté dans l’interjection. Pire encore : «Must Have More», heavy as hell, véritable purée de son brûlante. Ce cut glisse comme une infamie. Attention, «Non Existant Patricia» a l’air pépère, mais les filles l’explosent au final, à coups de cornes de brume. L7 est certainement l’un des groupes les plus intéressants d’Amérique. Ce que vient confirmer «Lorenza Giada Alessandra», nouveau coup de génie, nouvelle explosion de violence riffique horrifique. C’est du Bowie nucléaire, une pure latence de la démence. Donita pousse le bouchon de Bowie beaucoup trop loin et ça tourne à l’émeute.

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Comme Suzi Quatro et Cheap Trick avent elles, les filles sont allées enregistrer quelques titre au Japon. On les retrouve sur «Omaha To Osaka» - Hello Osaka ! - et paf, elles envoient «Andres» dans les dents de l’empire du soleil levant et ça tourne à la pétaudière inexorable. Elles sont déchaînées. Avec «Fast And Frightening», on assiste à une véritable explosion du beat de cocotage. Leur énergie effare au plus haut point. On se régale aussi de la fantastique attaque de «Little One». On imagine que les Japonais n’avaient jamais entendu pire punk-rock. Elles finissent ce mini-set japonais avec un «Lorenza Giada Allesandra» tout aussi spectaculaire. L’autre moitié de l’album est enregistrée à Omaha et on entend Donita cisailler «Bad Things» comme une damnée. C’est incroyable ce qu’elle cocote bien, la cocote. Leur version de «Must Have More» est heavy as hell et elles jouent «Death Wish» au heavy dub de guitares. Suzi Gardner part en solo liquide. Franchement, ces filles sont excellentes, au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Suzi joue des incursions seigneuriales et l’ensemble sonne comme un blast tentaculaire explosif. Donita drive le beat féroce de «Drama» comme une vraie driveuse. Elle sait hurler dans la fournaise et garder le cap sous le vent brûlant. Le solo coule comme d’habitude, c’est-à-dire comme un fleuve de lave en pleine éruption, et ça coule, ça coule, et ça remonte même les pentes. Ces filles sont folles ! Elles finissent le set d’Omaha avec «Shit List», du pur jus de garage épouvantable, plombé au bass drum et traversé de part en part par des solos atrocement vénéneux.

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«Hollywood Palladium» est un album live un peu énervé qui pue l’occasion ratée. Elles auraient pu sortir un live du niveau de «No Sleep Till Hammersmith», mais leur live sonne beaucoup trop bourrin, comme on dit dans les cercles hippiques. Elles attaquent avec un «(Right On) Thru» solide et bien tapé, mais Dee Plakas n’est pas Denise Dufort, l’âme de Girlschool. On sent bien qu’elles n’ont ni dieu, ni maître, ni grunge, ni riot grrrrl. Donita Sparks fait son truc No club, lone wolf. We were considered grunge but somehow in history we’re not in that gang. We’re not riot grrrl. We’re not that gang. It’s weird. We were always our own thing - On assiste à un gros guitar interplay entre Donita et Suzi Gardner dans «Broomstick». On tombe un peu plus loin sur le point fort de l’album, «Freak Magnet». Quelle énergie ! Elles nettoient tout sur leur passage. D’une certaine manière, cet album est dense et il paraît bien illusoire de vouloir échapper à leur rouleau compresseur. On trouve deux jolies choses en face B, «Deathwish», pour commencer, empli de toute la détermination du monde. On sent bien les enfonceuses de poternes patentées. Et puis «Shove» qui sonne comme un classique seventies, pas loin du «Time Has Come Today» des Chamber Brothers, sans doute à cause des chœurs qui font «shove !»

Signé : Cazengler, L76

L7. Bataclan. Paris XIe. 17 juin 2015

L7. L7. Epitaph 1988

L7. Smell The Magic. Sub Pop 1990

L7. Bricks Are Heavy. Slash 1992

L7. Hungry For Stink. Slash 1994

L7. The Beauty Process. Slash 1996

L7. Live. Omaha To Osaka. Man’s Ruin Records 1998

L7. Hollywood Palladium. Easy Action 2014

De gauche à droite sur l’illustration : Donita Sparks, Suzi Gardner, Jennifer Finch et Dee Plakas



ROUEN / HOT SLAP / BLUE TEARS

07 / 11 / 2015LES TROIS PIECES

08 / 11 / 2015 - LE VINTAGE

RUMBLE IN ROUEN

HOT SLAP

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Hey rocky tu crois ça possible un wild rockab week-end in Klacos-city ? Hey rockah, tu crois ça possible un boppin’ ballroom blast in Rotomagot ? Les dieux du bop ne s’embananent pas avec les détails, s’ils décident de stormer l’embassy, rien ne pourra les full-stopper. Et ça démarre par un beau vendredi soir de fall à la cave, pour une séance de basement bop orchestrée par les Hot Slap qui portent bien leur nom. Avec Dédé et son trio, les junkies du slap sont servis. Double dose ! Endroit idéal pour un shoot de bop, c’est ultra-concentré et bien hot car pas d’air, et la stand-up fait swinguer les vieilles briques qui en voient pourtant des vertes et des pas mûres, mais rien ne vaut un bon coup de retour aux sources. Prends ton temps, take it easy, amigo, tu vas l’avoir ton fix de swing, il va te monter droit au cerveau, tu vas voir. Les Hot Slap jouent vite et bien, ils tapent dans les évangiles du rockab, ils tapent dans Carl comme d’autres tapent la belote, ils redonnent une nouvelle chance à «Honey Don’t» et à «Matchbox» qu’ils jouent serré dans les virages, et si Carl traînait dans les parages, c’est sûr qu’il serait là, dégoulinant de sueur au premier rang en train de snapper comme un mad pink pedal pusher. Dédé incarne le rockab, il est dedans comme ce n’est pas permis et ses deux amis, Martin, le chanteur Gretscheur et Franky le drummer l’aident à pulser du bop comme s’il en pleuvait. Tout le monde le sait bien, dans un trio de rockabilly, le slap dicte sa loi. Tout le monde sait bien que sans James Kirkland, Bob Luman aurait roulé sur trois pattes. Tout le monde sait bien que Ray Campi doit plus sa légende à sa fuckin’ stand-up qu’à sa voix et que Ron Weiser doit absolument tout à Ray qui venait bopper dans son salon pour accompagner le pote Mac. Dédé, c’est l’œil du cyclone, il diffuse l’essence même de la sauvagerie du rockab, le son, rien que le son, le stomp des pionniers. Ah c’est sûr, Martin est dessus et il joue comme un crack. Avec une rythmique aussi parfaite, c’est du gâteau et il fait le cake, la cave swingue et les corps sweat, ça boppe et ça dig le bop. Ils croquent dans Cochran, histoire de rester dans le pré carré de la classe infernale, et ils vont même aller jusqu’à rendre hommage à son héritier spirituel, le petit chanteur des Wise Guyz d’Ukraine dont ils reprennent l’imparable «Don’t Touch My Greasy Hair», cover qu’on retrouve d’ailleurs sur le Hot Slap Disk, brillamment intitulé «Play Legends». Quelle aventure ! Ils tapent dans le jive ukrainien comme ils tapent dans le stomp d’Ubangi, et Martin truffe ça de solos dévastateurs. Les attaques au chant sont des modèles du genre. Ils sont dessus, comme l’aigle royal sur la belette.

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C’est l’hot étuve dans la cave et ils enfilent les hits du bop comme des perles. La machine est bien rodée et les Hot Slap vont pouvoir aller stormer les salles à l’étranger, c’est prévu. Ils sont désormais à l’abri des déconfitures et des critiques, car Martin sait chanter avec autorité et poser sa voix d’accent tranchant sur une belle rythmique dépouille. Dédé et son batteur rendraient n’importe quelle star du rockab heureuse. Mais attention, ces mecs sont dangereux. Ils posent des bombes. Quoi ? Mais oui, quand ils tapent dans «Boogie Bop Dame», leur set explose. Voilà la pure folie rockab, le cœur de l’atome sauvage. La preuve ? Elle est aussi sur leur album. Tout ceux qui par goût ou par lassitude veulent se faire sauter le caisson n’ont qu’à essayer. On trouve aussi sur l’album le «Boppin’ The Blues» du grand Carl. Voilà encore une vraie dégelée, car ils boppent sec ce classique à la cloche de bois. Martin le truffe d’un chorus saturé de son. Ils tapent aussi une reprise des Mystery Gang - un groupe hongrois qui fit crépiter Crépy - avec un «Rockabilly Star» qui ne se voile pas la face.

BLUE TEARS TRIO

Le lendemain, un petit bar situé à deux pas de la cave accueillait le Blue Tears Trio pour deux sets de quatre-vingt dix minutes. Overdose assurée pour les junkies du slap, tant mieux car comme dirait Ian Fleming, on ne vit que deux fois.

Les Blue Tears proposent aussi un set de pur rockabilly. Ils ne cherchent pas à écrouler le bar, ils travaillent à la viet, sur la distance, avec un son qui pourrait servir de modèle tellement ça swingue. Il semble qu’ils se bonifient à chaque concert. On a vraiment cette impression qu’ils sont chaque fois plus fins et plus denses que la fois précédente. Mais où s’arrêteront-ils ? Seul le diable le sait. Didier joue lui aussi sur une Gretsch blanche, la fameuse White Falcon qui fait rêver tous les guitaristes de rock. Il mène le bal pendant trois heures et il roule à la décontracte, car il s’appuie sur une section rythmique de rêve. Il pourrait même jouer les yeux fermés, car derrière lui règne l’infaillibilité des choses. Et même plus, car Frank et Aymé s’amusent à bricoler des montées de fièvre, histoire d’amener un peu de relief sur un set que guette le danger du faux plat en roue libre. Un critique d’art appellerait ça du très grand art. Ils combinent à merveille le bop de base et la gestion des climats, et si on suit leur cirque à la trace, alors le set devient captivant. On voit trop de sets classiques nivelés par l’orthodoxie. Bon nombre de groupes programmés à Béthune Rétro passent ainsi à la trappe, victimes de leur vice routinier. Ils misent sur la culture du public, et c’est une grave erreur, car les érudits du rockab ne courent plus les rues. Les disquaires sont d’ailleurs les premiers à admettre que leurs clients se raréfient. Alors pour déjouer toutes les avanies - Avanie et Framboise comme dirait Boby - les Blue Tears misent sur le double concentré de tomate. Leur truc c’est de frapper les imaginations et de redonner une nouvelle vie à cette vieille culture délavée par le temps et les intempéries. Le fait de jouer dans un bar renforce encore l’impact du set. Ils sont mille fois plus présents dans cette salle bien ramassée que sur la place du soixante-treizième où un vent cruel dispersait leurs maigres efforts. Et bien sûr, il suffit qu’ils tapent dans le «Coming Home» de Johnny Horton pour faire sauter les pompes à bière. On goûte à ce moment-là le fruit d’une sacrée expérience mâtinée de passion purulente. They rock this town, pas de doute. Ils tapent aussi dans l’intapable avec «Love Me» du Phantom, et ça passe comme une lettre à la poste, car Didier évite de se rouler par terre, ce qui viendrait à l’esprit de tout autre repreneur - et le mec des Sure-Can Rock en particulier. Un set de cette qualité devient irréel au bout de trois heures. Mais qui s’en plaindrait ? C’est comme un manège, lorsqu’on est gosse, on aime bien les tours gratuits. Il faut souhaiter à tous les amateurs de rockab de voir un tel double set. Et surtout de mettre le grappin sur le 25 cm qu’ils viennent d’enregistrer à Honfleur, car on y retrouve la dépouille de rythmique qui fait les grands singles de rockabilly.

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Ils attaquent avec un «Shadow My baby» swingué jusqu’à l’os du genou, bien sec et comme trié sur le volet. Pas un seul gramme de gras là-dedans. S’ensuit le fameux «Love Me» joliment bien amené au slap. Bien sûr on a tous en tête la version originale, mais ils imposent leur vision de la chose qui est bonne, car encore une fois, c’est pris à la pure dépouille et Didier va chercher quelques beaux accents renégats au fond de son gosier. On trouve aussi deux autres reprises de choc, le «Right String Baby» - but the wrong yo-yo - du bon Carl et l’imparable «One Hand Loose» du tip top daddy Charlie Feathers dont on ne se lassera jamais. Et comme si cela ne suffisait pas, ils balancent en ouverture de face B une solide compo intitulée «Rockers Gang» qui s’appuie sur la meilleur des sections rythmiques et bien sûr Didier en profite pour placer un solo d’une indécente légèreté. Vous n’en feriez pas autant ?

Signé : Cazengler, rocâblé

Hot Slap. Le trois Pièces. Rouen (76). 7 novembre 2015

Hot Slap. Play Legends. Smap Records 2015

Blue Tears Trio. Le Vintage. Rouen (76). 8 novembre 2015

Blue Tears Trio. Million Tears. 2015

13 / 11 / 2015LE 3 BTROYES

SPUNYBOYS

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Faut suivre les groupes. En découvrir de nouveaux – abondance de biens ne nuit pas - mais ne pas abandonner les déjà-vus sur le bord herbeux du chemin. La route du rock est longue et étroite. Ne mène pas obligatoirement au paradis de la célébrité mondiale ou aux cérémonies souvent faisandées du Hall of Fame. Mais si nous voulons conserver notre musique vivante, faut soutenir les combos qui se battent pour perpétuer la flamme.

Ce qui est certain, c'est qu'avec les Spuny, l'on ne prend pas beaucoup de risque. C'est un peu comme quand vous jouez au poker avec des cargaisons de quintes-flush dans les revers de votre veste ou au double-six avec des dés truqués. Vous êtes sûr de remporter la mise. Nous ne devons pas être les seuls à penser ainsi car le 3 B est plein à ras-bord. Il y a même des parisiens qui sont descendus dans la capitale de l'Aube pour assister au concert.

THE BOP THAT JUST WON'T STOP

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C'est un album de Gene Vincent paru en 1956, chez Capitol, surtout prévu pour l'exportation, et dont le titre fut repris en 1974, pour l'une des toutes premières rééditions de la firme américaine après la mort du Screamin' Kid. Je l'emploie ici, car ce soir, d'après mon oreille les Spunyboys ont joué davantage bop que rock. Spunybop en quelque sorte. Encore reste-t-il à définir ce qu'est le bop. Hypocritement serais tenté de dire, la même chose que le rock. Avec un petit truc en plus, ajouterais-je vite pour ne pas me faire huer. Un rien du tout, un minuscule fragment de seconde qui précipite le retard du contretemps. Un espace surajouté qui fait toute la différence. Le balcon de quinze centimètres de large de la cuisine qui vous augmente le prix de l'appartement de trente pour cent. Une élasticité respiratoire qui ralentit tout en propulsant. Un cœur qui bat plus lentement mais en accentuant le ressenti de la cadence. Vous imaginez ce que les Spuny peuvent se permettre de broder sur un tel programme. Batterie-contrebasse, la section rythmique a de quoi s'amuser. Quant à la guitare n'imaginez pas qu'elle fait la tête de son côté en refusant de participer à ce balancement binaire très légèrement claudiquant. C'est dans l'irrégularité toute régulière du rythme que se déploie un espace trapéozïdal, le quatrième côté du rectangle rythmique biseauté, dans lequel elle peut à l'envi faire preuve de son élasticité, de sa plasticité. Attention, pour jouer bop, faut des musiciens qui ne soient pas manchots et qui se connaissent. La surprise est à tous les étages mais il ne faut surtout pas se laisser surprendre, sinon l'on tombe dans les plans foireux.

CONCERT

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Avec les Spuny ça tombe bien. Se dirigent allègrement vers leurs six cent cinquantième concerts, se connaissent mieux que bien, et sont prêts à toutes les déclinaisons. D'autant plus que ce soir le public est à dominante ted, ce rockabilly typiquement british réinventé à la fin des années soixante-dix, qui entremêle sans le dire explicitement des réminiscences souterraines de skiffle avec un appuyé binaire beaucoup plus électrifié que l'original américain. La guitare n'a ni le droit de rugir, ni de feuler, ni de miauler, juste le balancement hypnotique de la croupe du léopard qui ondule dans la grâce féline de sa dangerosité.

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Ne vous étonnez pas si Eddie est concentré. Doit s'immiscer entre le jeu de ses deux acolytes. Avec le monde collé au poteau devant lui, doit lui manquer de l'air pour respirer. C'est que dès qu'il est à la guitare sa personnalité est victime d'un étrange dédoublement de la personnalité. Classieux et teigneux. Ne laisse jamais l'occasion d'être vindicatif et jusqu'au boutiste. Balance des boulons de cinquante à la fronde. Un par un. Dans l'intention évidente de vous faire du mal. Le problème c'est que vous ne pouvez pas lui en vouloir. La beauté du geste excuse tout. Ne jette pas à tout vent. Procède d'une chorégraphie mentale. La musique est une affaire de proportion et le rock de sauvagerie. Vous marie les termes de cette contradiction avec le savoir faire d'un pasteur qui unit un couple d'amoureux à l'Eglise. Aux douceurs de l'harmonium succèderont les flonflons du baston conjugal mais il vous assemble le feu et la dynamite avec un tel brio, que c'en devient une partie de plaisir. Luxe, tonitruance et volupté aurait dit Baudelaire. Mais quel est cet énergumène sur sa contrebasse perché ? Non, ce n'est pas qu'il cherche spécialement à se faire remarquer, c'est naturel chez lui. Ses parents ne lui ont jamais appris que ce n'était pas un perchoir, mais un ins-tru-ment-de-mu-si-que-pré-ci-eux que l'on époussette avec un chiffon de soie chaque soir avant de se coucher et le matin avant le petit déjeuner. En plus en indignes géniteurs pour ne pas être dérangés ils l'ont collé à longueur de journée devant la télévision en lui passant en boucle les cassettes filmées des shows de Bill Haley. Ça lui est monté à la tête, et du coup il escalade à tout propos sa big mama aux jointures fatiguées. Souvent il la fait tourner en bourrique, accroché à son flanc, il l'entraîne dans une valse statique et méphistophélesque. Se permet aussi quelques gracieusetés facétieuses, s'en sert par exemple pour défoncer le crâne d'Eddie ou alors essaie en franc camarade de l'étrangler d'une clé meurtrière en refermant l'articulation de son genou autour de son cou. Tout à l'heure il se vautrera de tout son long sur le comptoir ( pendant la folie la vente continue ) la contrebasse reposant sur son abdomen. Tout ce qu'il y a de plus sérieux et gentil comme garçon. Poli, gentil respectueux. Mais dès qu'il voit une contrebasse l'est atteint de fureur dionysiaque. Les Spuny seraient-ils un groupe de forcenés bipolaires ?

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La question est angoissante mais la réponse d'une extrême concision. Oui. Si vous n'êtes pas convaincus prenez le temps de regarder Guillaume. En théorie, il a tout pigé. Le temps, le contretemps, le boum / silence / boum / silence. Mais il vous l'exécute en vitesse accélérée. Boum / Boum / Boum / Boum, le silence, il le respecte mais sans perdre de temps ( et sans perdre le temps ). Encore un bon copain. Le pauvre Rémy n'a pas terminé son dernier lyric que déjà il embraye sur le titre suivant. Les Spuny, ils ont l'air de vouloir achever le morceau à peine l'ont-ils commencé. Ce n'est pas qu'ils sont pressés de finir mais ils ont un petit Charlie Feather à vous caler dans les gencives, ou un vieil Horton de derrière les fagots à vous faire entendre. A la sauce Spuny, bien sûr. Haché menu et épicé à la tartare. Terrible efficacité.

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C'est à l'interset que l'ambiance se plombe. Des messages sont arrivés sur les portables et des nouvelles alarmantes circulent sur le Bataclan... Les Spunyboys mettent le turbo pour le deuxième set, le temps de reculer pour une heure encore la terrible réalité. Mais la fête est gâtée. Fêlure imperceptible dans le cœur. Un dernier Matchbox réclamé par l'assistance pour clore la session. N'y aura pas de troisième set. Tout le monde a envie de rentrer à la maison... Inquiétude générale. Certes, ce n'est que partie remise. Nous reverrons un jour ou l'autre les Spunyboys, en une conjoncture beaucoup moins glauque, mais ce soir, l'on a l'impression d'avoir perdu un peu d'innocence. Hard times are comin'. Rock and Roll fever never die.

Damie Chad.

( Photos : FB : Christophe Banjac )

14 / 11 / 2015TROYES

TROYES TATTOO SHOW

OL' BRY

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C'est au Cube nous avait-on dit. Alors on est allé au Cube. Je vous entends avec vos sous-entendus sur le goût immodérés des rockers pour les apéritifs-cubes. Du genre le sky au mètre cube. Devant de si basses insinuations je préfère ne pas répondre. Arrivés devant le Cube, nous avons poussé un cri d'horreur. Au moins mille cinq cents personnes devant les portes de verre du bâtiment, la foule parquée dans le labyrinthe des barrières métalliques et la police qui filtre les entrées. Stationnement en catastrophe et galopade jusqu'à la billeterie, charmante jeune fille blonde dans sa cage de verre. Le concert des Ol' Bry, non jamais entendu parler, ce soir c'est un illusionniste. En attendant c'est nous qui perdons nos illusions. Mister B vérifie sur son portable. C'est pourtant la bonne adresse et la bonne date ! Devant cet épais mystère, je prends la situation en mains. Je démarre et je me dirige en brûlant les feux rouges vers le 3 B, sis à cinq cent mètres de là. Non je ne vais pas m'en jeter un derrière la cravate pour me remettre de mes émotions, mieux à faire, je file réveiller mon réseau dormant.

L'appellation n'est pas des mieux appropriées, le réseau dormant ne dort guère. Fait même la fête toute la nuit. Au premier étage d'une maison devant laquelle je gare la teuf-teuf à chaque soirée organisée par le 3B. Une vingtaine de jeunes gens qui trinquent, crient, éclatent de rire, chahutent, écoutent des musiques innommables, le tout en gardant les fenêtres systématiquement ouvertes. Perso, je les trouve sympas. Leurs voisins je ne sais pas. Je les hèle depuis la rue, me confirment l'adresse, la date, et le cube ( magique ). La teuf-teuf repasse les feux rouges en sens inverse, nous tombons sur une escouade d'hôtesses en goguette qui nous livrent la clef du mystère. L'existe un Hall B !

Nous traversons les stands tattoo en courant. Beaucoup sont fermés. Certains encore ouverts, l'accunpuncture graphique possèdes ses acharnés. Enfin nous voici devant le podium où officient les Ol' Bry. Nous retrouvons l'escouade des habitués du 3 B.

OL' BRY

Faut d'abord nous accoutumer à l'acoustique, aller chercher la voix d'Eddie tout là haut dans les structures métalliques et les briques du plafond. Et puis opérer nous-mêmes le mixage des instruments dont les vibrations sonores s'éparpillent un peu de tous les côtés. Cette ré-initialisation de l'oreille interne effectuée, l'on peut enfin s'adonner à l'écoute du concert.

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Tout nouveau, tout jeune, tout beau. Thomas, sur son mini kit de batterie. Réduction à l'essentiel. Caisse claire et semi-grosse caisse Gretsch. Une charley sur laquelle il ne met pas tous les Watts, joue principalement en rythmique. Frappe légère mais juste. Diego le surveille du coin de l'oeil pour les passages les plus périlleux où la syncope s'en vient batifoler gaiement dans les breaks. Thomas passe les gués sans désagrément même lorsque la déclivité de la pente s'accentue. C'est que les OL'Bry c'est un peu les montagnes russes, l'on saute du Sinatra-swing au rockabilly le plus sauvage, du doo-wap le plus allègre au blues le plus appuyé. C'est le fil rouge de la guitare de Diego qui permet de descendre et monter les pentes à toute vitesse. Medium jazz, avec cette pulsation noire agrémentée d'une pointe latine si besoin, Diego Yagin Parada possède toutes les parades nécessaires à ces différentes acclimatations. D'autant plus qu'il est fortement épaulé par Rémy au sax. Bien sûr que le sax fait sa star, attendez que je vous plante mon solo, et puis je vous laisse vous débrouiller tout seuls, quand je me tais. C'est le rôle rutilant et habituel du saxophone. Ecoutez-moi pendant que j'astique le cuivre, et essayez de survivre quand je me claquemure dans le silence. Mais Rémy a horreur de se retirer dans sa tour d'ivoire. Intervention continue. Pousse sa note au gros grain de sel sans interruption. Souffle perpétuel. Parfois en sourdine, et le son du saxo se mélange alors si bien au pizzicato de la guitare que les deux instruments se confondent et n'en forment plus qu'un. Un duo qui ne tourne pas au duel. Superbe et pharamineux. L'on oublierait d'écouter les autres. J'aimerais être un ingénieur du son du prochain disque pour mixer ces deux vouivres entrelacées en avant.

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Thierry est aux choeurs. Ah ! le velouté de cette voix sur les wap doo wap ! Une tendresse de satin, rehaussée de profondeurs de ventre de contrebasse à faire fondre les dessous féminins. Une parfaite illustration sonore de L'Insinuant de Paul Valéry «  Ô courbes, méandres / Secrets du menteur / Je veux faire attendre / Le mot le plus tendre », humidités des lingeries féminines... Mais ne nous égarons point. Dans son costume lamé, Eddie est au micro. Tient sa guitare haut perchée, la manipule sans ménagement, sa voie est tracée, elle est au service de sa voix. Eddie tourbillon. Eddie papillon qui nous brûle les ailes. Sait tout faire. Et l'orchestre épouse ses caprices, adopte des allures de big forty band puis de combo rockab des appalaches perdues, un peu de typique avec Baila Conmigo, un My Babe à la vaquero texano, un Bim Bam comme deux paires de gifles, un boppin'and shakin' enlevé comme un tapis volant, un Rainin'in my Heart à pleurer et un Im going home à vouloir rester jusqu'au bout de la nuit à entendre encore et encore de ces petites splendeurs qui vous réconcilient avec la vie. Mais non, c'est la fin, l'orga tapote son chrono, il faut arrêter de vivre.

Faut laisser la place à l'effeuilleuse de service. Je sais bien que c'est l'automne, mais l'on aurait préféré une demi-heure supplémentaire de Ol' Bry. On les reverra. Soyez sans crainte.

Damie Chad.

F. J. OSSANG

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Né en 1956, F. J. Ossang fut le chanteur du groupe M. K. B. Fraction Provisoire ( Messageros Killers Boys ), mais il est également poète, écrivain, cinéaste. Nous lui devons notamment le bréviaire de la génération punk française, le roman Génération Néant publié en 1993 et le film Dharma Guns présenté au festival de Venise en 2010. Nous donnons ici, les chroniques de trois de ses premiers livres parus en en 1993 et 1994, répertoriés dans les N° 4, 6 et 7 des mois de juin, août et septembre 1995, dans Alexandre, mensuel de Littérature Polycontemporaine. Avis au lecteur : rock métaphysique.

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GENERATION NEANT

F. J. OSSANG

( Blockhaus & Warvillers / 1993 )

Toujours retour.

Essentiel du poète à disposer de l'impétueuse nécessité d'inscrire l'ordre catatonique des choses violentées. L'interruption n'est plus de mise, seule compte l'absolue perversion des visages émaciés hurlant à l'autre ( de lui à son miroir dans la suspecte vision du malsain ) l'intime déraison de l'apocalypse survenu.

Parce que l'outrage photogénique resplendit plus encore dans le cercle verbal, ellipse du tracé, raccourci du ténébreux dans l'irrespect des esquisses du monde épelé. Qu'épelé le concert des questions sans interrogation, la ponctuation n'existe pas dans l'excès des phrases, seuls se dévisagent les interdits.

«  Les plaintes et les pardons ne servent plus à rien, il n'y aura ni pardon, ni salut. Les dieux sont morts et leurs fantômes sont des radiations mortelles.

La continuité des lignes semble s'être rompue pour toujours. Il reste des emblèmes funéraires, et le trouble que procurent les dessous féminins.

Apatrides transeuropéens. Revenants. Revenants néant. Nous sommes les revenants de la Génération Néant »

( F. J. Ossang )

Epitaphe / épigraphe du livre, Ossang réalise dans Génération Néant la synthèse illuminée du lent inexorable. Cercueil intraduisible porté à même la matière de celle dont on recouvre le corps bien longtemps après qu'on ait subi la métamorphose et ne soit plus que reste vitrifié, les textes s'abjurent devant l'atrocité malade du monde de l'enfermement. Le nôtre pas seulement, mais bien celui-ci, dénoncé par Artaud et les autres. Ceux que l'enfer a bouffés avant de régurgiter l'ultime trace à se prendre dans la gueule.

« La mer est sauvage. Même s'il est possible de détruire une partie de sa faune et de sa flore, les abysses demeurent insondables. Les aviateurs l'ont appris à leurs dépens : ils savent aujourd'hui que le ciel est comme le miroir de la mer profonde, et que l'enfer ne renonce jamais, il veilleen deçà de l'image. Qui oserait mettre en doute l'existence du Triangle de l'Enfer... »

( F. J. Ossang )



Êtrémité enfin acquise, comme refluée dans l'éventaire des rognures à se mettre sous la dent; un livre à posséder.

Eric Morandi ( Alexandre 7 / Septembre 1993 )

 

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AU BORD DE L'AURORE

F.J. OSSANG

( Editions Warvillers / 1994 )

F. J. Ossang is not an unknown soldier. Son précédent roman, Génération Néant, est à la génération punk ce que l'Anabase fut aux dix mille. Time to take a cigaret. Messagero Killer Boy. Voici les temps à venir. Après le no future. Il faut survivre. Encore reste-t-il à savoir sur quel bord de l'aurore on tente de forer son trou. Exit or indoor. Au bout de la nuit le sommeil est-il occidenté ou orienté ? Européen sous nos latitudes. Au bord oublié de l'Europe. Run ! Run ! Run ! Paris, Madrid, Lisboa. Rock and roll. Litt&rature. Tout est pourri, Johnny. Le pistolet du sexe dans la braguette d'Elvire. Film. Bonnie and Clyde. Se vouloir soi F.J. Ossang. Se vomir. Se reconstituer Ange de l'Angoisse. Les friends ne sont jamais au rendez-vous. Juste le couple androgynique. Aller au peep show pour se regarder vivre. Le gai savoir n'est pas joyeux. Nada destructor. Le taylorisme de la middle-class européenne n'évincera pas Vince Taylor. Mais à l'aise dans leur racket les desesperados font les commissions de la culture. Casa Velasquez à Madrid, c'est un peu comme la villa Medicis en Italie. Les fastes romains sont simplement remplacés par los Caidos ( traduisez les vaincus ). I do not just be a rock'n'roll star. Il est minuit Docteur Misère. Ne pas commencer comme James Dean. Ne pas finir comme Marlon Brando. Entre les deux. L'Histoire. L'histoire européenne. La colonne Durruti. L'aigle viennois. Baiser mais pas biaiser. Droit. On the line. On the road. Suivre. Poursuivre. Refuse l'attrape couillon. Se débattre avec l'esthétique de sa propre fureur. Bander son énergie, sa vie, son vit. Etre encore. Malgré tout. Par-dessus tout. Kick out the jams. Foutre en l'air. Foutre partout. Le corps comme ultime expérience de l'esprit. Vivre bite et ne pas mourir. Tristan chanteur de groupe. Iseult sa groupie. L'occident n'a-t-il inventé que l'amour ? Break on through. To the other door. Dernière page. Ultime rage. Promesse folle d'aller de l'avant. Petits matins blêmes. Lendemains qui chantent. A l'W rien de nouveau. Le livre se ferme. Le jour se lève. C'est un grand livre. Evangiles du désespoir. Apparition d'aube.

Damie Chad( Alexandre 4 / Juin 1995 ).

 

AU BORD DE L'AURORE

F.J. OSSANG

( Editions Warvillers / 1994 )

La pureté n'est-elle pas dans l'impureté ? Ne faut-il pas descendre au tréfonds de l'impur pour toucher le pur ? Dernier héros desesperados dans cette Europe en décadence, signant sa décomposition. Elle, l'impure à la chair blanche, lui, le terroriste de l'écriture essayant en train d'écrire en vain un roman. Tout est mort, nevermore, rien n'est plus. La mystique de la chair encore et encore revisitée, l'acte charnel est ce qui reste après le néant. Il est des Cantos qui naissent de ces chants de chair, rock and roll, sexe et drogue, les illuminations de l'orgasme toujours recommencées. Pute ou Madone, pourquoi choisir ? Elle est l'au-delà de la chair et l'au-delà du bien et du mal. L'écriture comme un orgasme, le cinéma, l'image tuée par le fric, misère du fric. Pourquoi dire que ce monde est, s'il le hait, nevermore, no future, extrémité de l'Europe. La péninsule ibérique, dernier rêve, rien que des voyages dans le temps, toujours plus d'espace.

Beatriz Gutierrez ( Alexandre 6 / Août 1995 )

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L'ODE A PRONTO RUSHTONSKY

F. J. OSSANG

( Warvillers / 1994 )

Froide comme la morgue où repose mon ami. Ce corps de jeune fille dénudée morte. Scalpel. Autopsie. Pronto rush on sky. Il était le dernier Messagero Killers Boys. Lamento. Pronto. Ode gronde. Ode grande. Poème nu. Dix jours de corps froid dans un tiroir de l'institut. Un viento triste entre los ramos de los olivos. Mort. Parti seul. Volontaire. Commando suicide. Un seul objectif. Le pôle intérieur du nord perdu. Olivier. Imputrescible. Qui résiste mille ans. Et ce corps cassé. Jeté au bas des nervures de fer de cette gare sin partenza. Retour avant l'enfance. Pronto s'est extrait du monde. Pose et envol. Les feuillets d'Ossang. Hommage. Point d'orgue. Tombeau. In memoriam.

Damie Chad. ( Alexandre 4 / Juin 1995 )



LES 100 VINYLS

INCONTOURNABLES

PHILIPPE MANOEUVRE

JERÔME SOLIGNY

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C'est le stiker qui m'est entré dans l'oeil, le gauche pour ceux qui aiment les précisions historiques. Le premier disque d'Elvis Presley ! J'ai tout de suite pensé qu'ils avaient fait un duplicata des deux premières chansons enregistrée par Elvis dans un photomaton à son. Celui que Jack White a offert aux mille premiers premiers acheteurs pour le disquaire Day. Aux States, je préfère ne pas vous parler de ma rage à moi qui n'avais au fond de mes poches trouées même pas assez de monnaie pour m'acheter une bouée afin de traverser au plus vite l'Atlantique à la nage. Sûr j'aurais eu l'air un peu ridicule avec mon flotteur gonflable, dans le magasin de disques, mais j'aurais pris un canard ce qui m'aurait donné l'air vaguement Chuck berryen. Mon honneur de rocker en aurait été sauvé.

Les jours sont passés et ma colère retombée. Et là sans crier gare, dans ma librairie provinoise préférée ( il n'y en qu'une ) le stiker planté dans mon oeil gauche ! Mon coeur commençait à me faire mal, mais c'était mon bonheur. Me suis approché tout tremblant de fièvre. Que voulez vous, n'y a pas qu'un âne qui s'appelle Martin. Circus. Premier désenchantement, c'est un disque souple à peine protégé par le cellophane d'emballage. Z'auraient au moins pu mettre une pochette papier. C'est alors que je n'ai pas fini de m'étonner, ce n'est pas Elvis Presley qui est marqué dessus mais Philippe Manoeuvre. Vous conviendrez avec moi qu'il n'est pas spécialement connu pour ses talents de chanteur. En tout cas moi, je déchante. Et Jérôme Soligny en petit en dessous. C'est ça la hiérarchie, le rédac-chef de Rock & Folk en gros et la piétaille journalistique en arrière-garde. Je réalise, mais non ce n'est pas un disque, c'est la couverture du bouquin LES 100 VINYLS INCONTOURNABLES.

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Soyons juste, à l'intérieur dans la troisième de couverture, vous trouverez la réplique inexacte du premier single d'Elvis chez Sun : That's All Right / Blue Moon of Kentucky. Attention les collectionneurs : fond jaune, petit trou central, pas de logo Sun, mais l'ombre de Presley micro penché. Une tirage unique, il vous en coûtera une quinzaine d'euros maximum, mais vous l'avez déjà, puisque c'est sorti... voici un an. Réassort tardif ou nouveauté en retard ?

Mais le contenu du bouquin ? Pas de quoi se défenestrer de plaisir. Refermez votre lucarne. Faut comprendre. Ce n'est pas un livre pour les rockers purs et durs. Le grand public est visé. Et pas n'importe lequel. Celui de la FNAC. Croyez-vous que ce soit un hasard si Philippe Manoeuvre cite dix fois de suite son magasin préféré ? Nous tirerait la larme de l'œil. Nous fait le coup de la nostalgie. Quand il était jeune et qu'il venait fouiner dans les bacs de la ? Fnac ! Ouï ! très bien vous commencez à comprendre. Moi j'imaginais qu'il serait plutôt aller rendre visite à l'Open Market, mais tout le monde peut se tromper. Non ce n'est pas une erreur – ni orthographique, ni typographique – le tréma sur le i de Ouï. S'agit de la radio, la soit-disant radio-rock française. Un peu trop pop à mon goût. C'est là que Philippe Manoeuvre présente son émission rock, toutes les semaines, fait écouter des vinyls à la population émerveillée. Pas bestiou pour deux sous le Manoeuvre, deux sponsors rien que pour son bouquin, la radio pour la pub et la Fnac pour la vente. Du coup, on débouche le champagne pour deux anniversaires, les soixante ans du rock and roll et les soixante ans de la Fnac. Merveilleux hasard qui tombe pile poil. Dans le tiroir-caisse. Il n'y a pas de petits profits ! Il n'y a que de grosses entreprises.

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En avant la music, maestro ! Donc une sélection de cent trente-trois tours étalés sur soixante longues années. Enfin presque, parce que ces vingt dernières années l'on ne se bouscule pas au portillon. Beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. L'est vrai que dans notre pays le rock a tendance à s'évaporer des préférences du public. Du grand, celui qui suit les modes. N'ayez crainte l'on ne donnera pas le micro au rock sauvage des bars exaltés et des salles enfumées. Ne faut tout de même pas exagérer, déjà pour les premiers rockers on les calfeutre, à deux par page, faut attendre les Beach Boys pour qu'un groupe ou artiste ait droit à une pleine page. Même Elvis n'a droit qu'à une page et demi.

Z'ensuite tout le monde est là. Tous ceux que l'on attend, Beatles, Dylan, Stones, Zeppelin, Who, Doors, Bowie, Pink Floyd, rien à dire, les incontournables, les marronniers, les séquoias. Ceux qui traversent la chaussée devant vous, sans crier gare, dès que vous empruntez l'autoroute. Pour certains qui passent deux fois, John and Paul, ne vous gênez pas, enfoncez l'accélérateur au plancher et ne les ratez pas. A la place d'honneur sur le siège du condamné faites monter par exemple, au hasard, Johnny Thunder et Gene Vincent. Les pauvres gars ils n'ont pas eu de quoi acquitter le péage. Et pourtant plus rockers qu'eux, tu meurs. D'ailleurs ils sont morts.

De bonnes surprises tout de même, Booker T and the MG, Dr Feelgood, Ian Dury, ceux-ci nous agréent, les seconds couteaux du rock and roll qui sont systématiquement chargés des missions de la dernière chance. Les commandos de l'ombre qui vivent sur l'ennemi et ravissent le coeur des fans.

Oui mais aussi des insanités sans nom, Chic ( sans Sheila ), ABC, Depeche Mode, U2, Air... le genre de truc infâmes et informes que vous n'emporterez jamais sur une île déserte. Sur un continent surpeuplé non plus. L'on a tout de même échappé à NTM et Daft Punk ( très crétin mais du tout punk ). Z'ont fait aussi un effort : pour Led Zeppe ils ont choisi le III, moins attendu que le II mégalomaniaque ou le IV aussi majestueux qu'une crue du Mississippi. Pour James Brown pas de Live à l'Apollo, un truc plus rare, Soul On Top, qui était passé un peu inaperçu par chez nous en 1970.

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Un genre de bouquin qui ne révolutionnera pas la critique rock ! Un peu comme ces glaces qui s'étalent dans la devanture du marchand de cornets, sans dès. De belles couleurs qui donnent envie de gerber dans le caniveau rien qu'à les voir. Et puis d'autres au parfum subtil ou vigoureux dont vous ne vous lasserez jamais. C'est cela le rock and roll, vous ne savez jamais si c'est de l'arnaque ou du forever. Mais en réalité, l'on s'en fou, l'on sent fort, c'est tout de même du rock and roll. Et puis, surtout ne pas oublier le disque d'Elvis. My happiness !

Damie Chad.

23/05/2014

KR'TNT ! ¤ 190 : LISA AND THE LIPS / CHARLIE WEST / ORVILLE NASH / SUBWAY COWBOYS / OL' BRY / MARC SASTRE/

 

KR'TNT ! ¤ 190

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

23 / 05 / 2014

 

 

LISA AND THE LIPS + BELLRAYs / CHARLIE WEST

/ ORVILLE NASH / SUBWAY COWBOYS / OL' BRY /

 / MARC SASTRE /

 

 

ERRATA

Suite à ma chronique de la semaine dernière sur le concert des Ghost Highway, Zio me fait remarquer qu'il n'accompagne pas à la contrebasse Miss Regina Crown mais MISS VICTORIA CROWN. Donc acte, mes excuses à la jeune reine que j'espère avoir le plaisir de revoir en concert bientôt. ( DC)

 

 

LE BATOLUNE / HONFLEUR ( 76 ) ) / 30 -04-14

 

LISA AND THE LIPS

 

Mona Lisa

 

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Lisa Kekaula pourrait très bien prétendre à un trône africain. Elle a le port d’une reine et une voix d’airain. Elle pourrait très bien revêtir un boubou de soie tissée d’or et alourdir ses bras de bijoux antiques, mais non, elle se présente à nous coiffée d’un chignon dressé en gerbe et serrée dans un pantalon de cuir noir. Lisa Kekaula entre sur la scène du Batolune comme si elle entrait dans la salle du trône de l’empire Dogon du XVe siècle : elle se fait d’abord entendre puis elle se manifeste physiquement, imposant à tous et à toutes sa puissante prestance animale. Elle détient aujourd’hui le big soul power que détenait Aretha en 1968.

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Autour d’elle se dressent les Lips, une formation composée de musiciens espagnols relativement jeunes et de Bob Vennum, son vieux compagnon d’aventure. Lisa et Bob ont semble-t-il jeté l’ancre en Espagne pour se réinventer. Ces activistes du blast soul-punk qu’on connaissait sous le nom des BellRays se sont transmutés en Lisa & The Lips, une fière équipe de funksters dévastateurs. La high-energy est toujours au rendrez-vous mais désormais, Mona Lisa shout-balamalatte la meilleure soul du monde.

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Très grosse équipe, en vérité : trompette, sax, claviers, batterie, basse, deux guitares et Lisa embarque tout ça dans une bacchanale entêtante, cette espèce de pulsation hypnotique à laquelle les grands shouters noirs de r’n’b nous ont habitués. Écoutez n’importe quel album live de Wilson Pickett ou de Ike & Tina Turner, et vous retrouverez cette animalité de peau humide et de all night long. C’est toute la différence avec le garage qui s’arrête au bout de deux minutes, pour reprendre et s’arrêter encore deux minutes plus tard. Les géants de la soul traversent la nuit dans la fournaise des pulsions animales. Leur distance n’est pas la même. Lisa règne sur l’immense chaos de la sensualité avec une sorte de parfait mystère africain : pas de regard, la voix, rien que la chaleur de la voix, comme si les dieux primitifs s’exprimaient à travers elle.

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Et comme pour contrebalancer ce pathos, elle se livre à quelques pitreries en se roulant par terre. Bob place ici et là quelques solos de guitare dignes de ceux de Wayne Kramer, totalement incendiaires, et sur les morceaux plus funk, Pablo Rodas, un petit bassiste qui n’a l’air de rien avec ses cheveux longs bien peignés joue des lignes de basses stupéfiantes et dignes de celles de Bootsy Collins. Un drummer nommé Max Resnikosky bat un beurre technique très haut de gamme et joue à merveille le rôle clé du pulsateur. Avec une section rythmique aussi rutilante, Lisa et Bob jouent sur du velours.

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L’album de Lisa & The Lips ravira tous les amateurs de hot soul. Les vieux fans des BellRays y retrouveront aussi leur compte de bombes, avec par exemple «Come Back To Me», un mid-tempo fin et racé, gorgé de la meilleure soupe de soul, où on entend Bob prendre un solo rissolé aux flammes de l’enfer. Et puis on trouve aussi cette pataterie râblée, «You Might Say». Lisa monte à l’assaut, en puissante shouteuse. Voilà un rock-blast monté sur un groove seventies, craquant et bon comme le pain frais. Franchement, on ne peut pas espérer mieux. Puis Lisa prend «Trouble Mind» à la Esther Phillips, softy-sweety à la petite vitesse du beat bien doux. On la sent dans son élément - ease my trouble mind - on ne peut que vibrer, à condition bien sûr de considérer le genre comme supérieur. Et puis voilà ce «Stop The DJ» avec lequel ils ont bouclé leur deuxième rappel, monté sur un funky beat à la Bootsy. C’est un funk digne des nuits rouges de Harlem, finement shafty. On suit à la trace cette belle ligne de basse insistante et bien groovy, toujours affiliée au meilleur funk des ghettos d’antan. Pablo bombarde sa basse et part en vrille sur des coups de bas de manche affriolants. C’est un traverseur de manche en quinconce, il va chercher le tagada de gamme pulsatif. On retrouve un mid-tempo infernal - leur meilleure vitesse - avec «The Pick-Up», mélodique en diable - heaven goes around me yeah - une pièce de soul inspirée. Et on revient au funky strut avec «Push». Ils trottent dans les traces du push - you’re gonna have to push to make it all the way - Lisa grogne et Pablo se balade à longueur de manche. Il fait le grand jeu traversier du funkster impavide - push wouahhh - fabuleux et coulant. Ils terminent l’album avec une pièce mortellement ralentie et funkstée à la racine du poil, «The Player», exemplaire, précis et régulier comme un mercenaire bien payé - funky booty baby, pièce de rêve. Tout ceci pour dire que l’album vaut l’emplette.

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C’est vrai qu’on ne sortait jamais indemne d’un album des BellRays. Lisa et Bob ont monté le groupe en Californie en 1992. À l’époque, Tony Fate produisait et Bob jouait de la guitare. Leur premier album s’appelait «In The Light Of The Sun». Sacrée entrée en matière. Pour un premier album, c’était un véritable coup de maître. Dans «Crazy Water», on les sentait déjà très obsédés par le Tamla sound. Tony Bramel sonnait comme James Jammerson, le légendaire bassman des Funk Brothers, l’orchestre maison de Tamla. On ajoutait là-dedans une trompette à la Miles Davis et on se retrouvait avec un hit. On en trouvait un autre avec «Footprints On Water» que Lisa amenait d’une voix grave pour aller ensuite chercher une mélodie imparable. Pour «Same Ground», ils nous servaient sur un plateau un riff seventies et un shuffle hot et bien pushy. On retrouvait nos belles nuits rouges de Harlem, une musique puissante des reins, et tendue comme la peau d’un tambour africain. Il semblait que les BellRays avaient percé le secret du beat sourd d’Harlem Shuffle. Nouvelle horreur stupéfiante avec «You’d Better Find A Way» allumé au power-chord. Annonciateur d’incendies à venir. Ils donnaient leur vision du rock, celle d’un rock qui décollait avec un vent mélodique brûlé par une fournaise rythmique. On avait là de quoi se régaler - Inspiration ! You’d better find a way - modèle d’intégrité compositale, Lisa éclatait au firmament et Bob lui donnait la réplique. Encore plus somptueux : «In The Light Of The Sun», avec une belle entrée en matière de voix diffuses et embarqué très vite au plus haut niveau mélodique. Et ça grimpait dans l’éclat, soutenu par des cœurs. La force des BellRays, c’est que leurs grands hits sonnent comme des classiques intemporels. C’est encore ici le cas. Avec leur premier album, ils révélaient leur génie.

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«Let It Blast» est sorti six ans plus tard. C’est là que la presse a commencé à s’intéresser à eux. Pour décrire le phénomène, les journalistes avaient inventé cette formule : Aretha accompagnée par le MC5. Les BellRays se voulaient révolutionnaires, dans la veine du MC5, mais ils utilisaient un nouveau langage, le soul-punk. Petit à petit, les BellRays se sont élevés dans l’échelle sociale du rock. De petit combo exotique revendiquant l’héritage du MC5, ils sont passés au rang de maîtres suprêmes du blast-garage américain. Ils commencèrent à régner sans partage sur un immense territoire hérissé de petites oreilles de lutins.

 

Une chose est certaine : les BellRays sont essentiellement un groupe de scène. Ils furent pendant un temps la meilleure équipe de rockers californiens. Tony Fate ne se refusait rien, ni la riffalama à la Tony Iommi - ou pire encore, à la AC/DC - ni les incursions incendiaires à la Wayne Kramer. Ils avaient le drummer approprié, on s’en doute. L’articulation centrale de cette machine de guerre que furent les BellRays, c’était Bob Vennum. On l’a dit et répété à chaque fois, Bob Vennum était le meilleur bassiste de rock sur cette terre. Il dépassait en intensité ses vieux pairs, Tim Bogert et Jack Cassady. Bob Vennum avait un jeu de basse impulsif complètement exacerbé. Il pouvait bombarder comme dix Lemmy et jouer le jazz comme Charlie Mingus. Il fallait donc voir les BellRays sur scène. Bob Vennum faisait quasiment le spectacle à lui tout seul. Il jouait vraiment comme un dieu. Il sautait, il suait, il carambolait ses notes, comme Tim Bogert le faisait aux grandes heures de Cactus. Comme certains joueurs de tennis, il avait le bras droit beaucoup plus volumineux, à cause sans doute de la tension musculaire due au jeu de médiator. Pas de prisonniers. Bob Vennum fut un monstrueux showman doublé d’un technicien hors-pair. Et quand on aura compris que la dynamique d’un groupe repose sur le bassman, on aura tout compris. 

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Puisqu’on patauge dans les certitudes, en voici une autre : «Let It Blast» nettoie bien les oreilles. Lisa met son chien au service de l’un des plus effrayants carnages soniques de la fin du XXe siècle. Tony Fate fait subir les derniers outrages à sa bête à cornes. Il joue sur une SG Gibson bordeaux. Il peut jouer les machines à riffer quand ça lui chante et il fait parfois passer Tony Iommi pour une belette. Le maillon fort de cette fine équipe, c’est l’immense Bob Bass Boss Vennum. Il ne peut pas rester tranquille plus de cinq secondes. «Changing Colors», c’est un peu l’enfer sur la terre. Lisa arrive là-dedans en hurlant. On ne peut vraiment parler que de fournaise, avec une basse qui ronfle comme ça. Horrible. Le son est très peu soigné. Ils ont enregistré ça sur un radio-cassette. La basse sonne comme un battement de cœur. Chez Fate, ça tire les notes. Elles se baladent comme des serpents dans les fougères. C’est à tomber. Ça cafouille dans la farfouille. Voilà une entrée en matière qui ne pardonne pas. Encore du beau foutage de garage avec «Cold Man Night». Toujours plus motivé. La basse qui est sourde comme un pot passe devant, dans le mix. Lisa porte tout l’édifice à bouts de bras. Elle ne mégote pas. Bob fait tout le ramdam à lui tout seul. Il martèle et il pilonne. Tony Fate est au fond du studio, on l’entend à peine. C’est un cut explosé dans l’oignon, basse de Bob devant toute. Il gratte trop de notes. À l’époque, quand on le voyait sur scène, il jouait des milliards de notes, il sautait en l’air et faisait les chœurs, tout ça en même temps. «Today Was» reste dans la même lignée de titres volontaires et indomptables, fougueux comme des poneys indiens. Lisa tente de calmer le jeu. Avec des démons comme Tony Fate et Bob dans les parages, c’est impossible. Rien de plus infernal que «Kill The Messenger», monté sur un tempo dévasté type Motörhead. Trop de puissance. Lisa parvient à régner sur cette extravagance. C’est le chaos total, l’empire du trash, on entend les forces du mal nous rattraper à la course. «Blue Cirque» sonne la charge de la brigade légère. Les BellRays ont l’air de foncer dans la plaine sous le feu de l’artillerie russe. Ils ont cette capacité de susciter des images très fortes. C’est emmené à la batterie. Le pounding mène la danse. Il y a des petites zones de néant, mais le morceau repart toujours. Les BellRays développent de réelles capacités lysergiques en relation directe avec les tourments cosmiques des dieux antiques. Ils jazzifient «Testify» jusqu’à l’os du sternum. C’est un prêche de type Airplane ou MC5 - brothers and sister everywhere - retour en force du garage porté par une basse diabolique. Ce «Testify» évoque aussi les Flaming Sideburns. Les BellRays en font un morceau assez lourd, au moins aussi lourd qu’un heavy-blues de Nebula ou de Pentagram. Bob joue des lignes de jazz bass. Il est absolument spectaculaire. Il joue ces petites gammes rapides qui ont fait la gloire des grands contre-bassistes du XXe siècle. Bob et Tony sont capables de lever de grandes tempêtes jazzy. Peu de bassistes sont capables de jouer de tels boléros. L’équation du groupe est parfaite : une chanteuse colorée, un guitariste virtuose et une section rythmique d’avant-garde. Il n’y a pas de recette miracle. Et si on est pas encore tombé de sa chaise, alors on tombe avec «Black Honey», plaqué d’accords déments, gratté menu, emmené, intuitif, chanté à la vie à la mort. Les BellRays, le grand groupe américain du XXe siècle ? Allez savoir. Ce «Black Honey» vaut tout l’or du monde. Cerise sur le gâteau : un solo d’antho signé Tony Fate qui rappelle ceux de Victor Unitt dans l’album «Parachute» des Pretty Things. Le drive de basse emmène toute la bande au firmament. La basse ronfle comme un gros buveur assoupi.  «Black Honey» est une nouvelle preuve de la supériorité des BellRays sur tous leurs concurrents. C’est un garage qui tombe avec un jeu de questions-réponses - Black honey ! Black honey ! Voilà l’archétype du vrai hit garage. Placide, Bob répond : Black Honey ! Il joue l’un de ces riffs de basse qui font frémir. «Black Honey» n’est pas seulement le hit de ce disque des BellRays. Il est aussi l’un des hits majeurs du XXe siècle.

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Leur troisième album «Grand Fury» paraît en l’an 2000. L’apocalypse, c’est eux, évidemment. Nostradamus ne l’avait pas prévu. «Too Many Houses In Here» est une explosion collatérale. Pas d’équivalent nulle part ailleurs, inutile de chercher. C’est brûlé de l’intérieur, ils vont bien plus loin que les Stooges, on ne sait pas comment c’est possible, mais on l’entend, on sent une forte odeur de brûlé sonique. Lisa se prélasse dans une braise héritée directement de «Motor City’s Burning» du MC5. Pur génie. Et Bob pilonne tout ça comme un malade. Avec «Fire On The Moon», ça continue. Tony cocote sa mortelle randonnée. Ces gens-là sont des fous. Ils riffent dans la viande et Lisa règne sur ce carnage. Aucun groupe américain n’a jamais sonné comme ça et ne pourra jamais sonner comme ça. Lisa allume le feu sur la lune. Suite de l’aventure riffique avec «Snake City», la machine de guerre s’ébranle et Lisa est aux commandes. Ils explosent tout. Absolument tout. C’est comme des Stooges gonflés à l’hydrogène. Puis on se prend «Screwdriver» en pleine poire. Lisa nous envoie rissoler dans la Rôtisserie de la Reine Pédauque. Le duo Bob/Fate dépasse l’entendement rythmique. Ils ne jouent pas, ils blastent en permanence. «Heat Cage» n’a aucune chance d’en réchapper. Il vaut mieux avoir les oreilles solides pour écouter ça. On a là ce qui se fait de mieux dans le rock américain : la fournaise du Detroit sound explosée jusqu’au vertige et la voix d’une reine de la soul. Une véritable tornade d’embrasement. «Evil Morning» arrive et aucun répit n’est possible. Ces gens-là surjouent le destin du rock atomique. Rien ne saurait calmer leurs ardeurs sémantiques. Ils cherchent des voies nouvelles, comme le ver dans la pomme. Dès l’intro, «Stupid Fuckin’ People» est bombardé par les deux riffeurs fous. Rien ne peut les arrêter. Ils dépassent toutes les bornes, ils transcendent l’axe Blue Cheer-Motörhead-Stooges-MC5, ils vont encore plus loin, et Lisa hurle, elle s’empare des éclairs jaillis du ciel. On assiste au plus gros pilonnage sonique de tous les temps. Bob sort «Monkey House» à la note de bas de manche, puis c’est traité façon MC5. Nouvelle démence sonique à l’état pur. On a encore droit à un coup de génie avec les chœurs de «Under The Mountain» et on resssort de cet album à quatre pattes.

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Nouvelle monstruosité en 2003 avec «The Red White And Black». Comme ils l’indiquent sur la pochette, la soul est le professeur et le punk est le prêcheur (Soul is the teacher and punk is the preacher). Folie pure avec le cut d’ouverture, «Remember», un truc de dingue qui perd ses roues, ils foncent de travers, comme s’ils roulaient avec des pneus crevés. Léger parfum de free. Puis on retrouve le riffage du Destin mortel dans «Street Corner» et «Sister Disaster». Fate hache tout ça menu. Voilà l’équation magique du rock moderne : voix + riffage + inspiration. «You’re Sorry Now» est une belle compo de Bob. C’est même un hit planétaire. Ambiance dramatique, accords descendants, foggy motion de riffs terribles. Voilà un hit fabuleux et gargantuesque. C’est un heavy-rock rendu mélodique par les descentes d’accords et le chant perçant de la reine Lisa. On revient au MC5 avec «Revolution Get Down». Bob fait grimper les ponts sur des lignes de basse effarantes. Il faut l’entendre traverser la fournaise révolutionnaire. Le cut est farci de breaks terribles. Bob croise au large comme un requin à lunettes. Faramineux. Pop explosive avec «Find Someone To Believe In». C’est l’une de leurs spécialités. Ils savent faire du mélodif explosif. «Some Confusion City» est un magnifique morceau de batteur. C’est Eric Algood qui bat le beurre. Bob fait hey-hey et il gratte sa basse comme un con. Quelle magnifique équipe, franchement ! Les relances sont impitoyables. Les BellRays nous emmènent en enfer et on adore ça. Punk in the flesh avec «Black Is The Colour». Lisa bat tous les records - bein’ shot down on the blue side of town. Quand on entend «Stone Rain», on se dit : mais ce sont des malades ! La basse devient folle. Il faut entendre Bob perdre les pédale - I feel so lonely I could die - il va dans tous les sens. Il multiplie les descentes de manche. C’est lui le bassman le plus dingue de l’univers, il va là, et là, et il remonte ensuite par des ponts insalubres, quelle brute. On l’entend faire d’autres prodiges dans «Rude Awakening» et ils finissent avec un punk-rock qui envoie au tapis, «Voodoo Train». Inutile d’ajouter que cet album compte parmi les grands albums classiques du rock.

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«Have A Little Faith» sort en 2006. On démarre sur un gros groove joué à la manière des Temptations, «Tell The Lie». Tony Fate fait son funky wha wha king. Par derrière, Bob coud sa toile avec un doigté caoutchouteux qui en dit long sur sa culture groovy. Tony Fate a donc écrit le nouveau hit des Temptations. Ils renouent avec la grande sauce funky des eighties. Un saxophone vient sopraner dans l’air torride. Lisa rassemble tout l’air de ses poumons pour honorer la mémoire des divas de la soul. C’est réussi. «Time Is Gone» est un gros groove salace. Le tempo est bizarre, un peu mambique, comme mal embouché. Tony Fate fait monter la petite pression. Il rentre dans le trou du track en jouant un extravagant chorus jazzy. Ce mec a des ressources. Il joue un solo à la Zappa. Il semble que les BellRays mettent un peu d’eau dans leur vin. C’est Tony Fate qui écrit les morceaux. Il devient un compositeur ambitieux. «Chainsong» cumule les fonctions. Dans le cours du couplet, on passe du hardcore à la jazzitude béate. On sent une quête de sophistication. Ça ne peut pas leur faire de mal. Ils cassent bien l’ambiance, avec des zones éthérées à la John McLaughin. Et puis voilà «Pay The Cobra», une remontée en température typique des BellRays de la première heure. Le problème, c’est que tous leurs morceaux musclés se ressemblent. Et puis voilà un couplet en apesanteur. Tony Fate le relève immédiatement avec sa rythmique à la Tony Iommi. Il adore gratter sa bête à cornes. Ça le réconcilie avec la vie. «Snotgun» est aussi une speederie bien fuselée. C’est une revendication de la liberté. Cette chanson est très politisée. «Everybody look at my snotgun/ Tune your guitar to the snotgun/ The alphabet ends with the snotgun/ And all I wanna do is to be free. All I wanna.» «Change The World» est une chanson de Bob. On change de registre. Les BellRays font claquer l’étendard sanglant de la révolte. C’est riffé à mort - I don’t think I can kill myself - éclat du génie bellrique. Et voilà «Detroit Breakdown» qui est le gros cut du disque. Pur Motor City sound - «No more Iggy or the MC5/ Wayne’s been doin’ it in LA now, so you’re just livin’ a lie.» Les BellRays remettent les pendules à l’heure. Effectivement, il ne reste rien du Detroit shakedown. «Maniac Blues» sonne comme une grosse affaire. Effarant de maîtrise. Lisa tire sur ses syllabes et Tony mitraille, bien soutenu par Bob l’inéluctable. Il faut que la gloire des BellRays resplendisse sur la terre comme au ciel. Ils terminent avec une bravado suprême - ah-la-la palabalalah - une reprise des Cornichons de Nino Ferrer. Lisa la swingue à mort. Elle envoie les cornichons, les tomates et les ouvre-boîtes danser dans la fournaise - ba-la-la-la - elle s’amuse comme une folle et elle embarque le swing sauvage.    

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«Raw Collection» est une compile des singles parus entre 1995 et 2002. Et là, il est recommandé d’attacher sa petite ceinture. Le un s’appelle «You’re Sorry Now». C’est un son caverneux, ambiance soul sixties, avec une basse rampante qui arrive derrière Lisa. Il s’agit d’une belle compo psyché de Bob, nappée d’accords crépusculaires. C’est absolument magistral et ça peut hanter l’esprit. Lisa dispose de tellement de feeling qu’elle ne sait plus quoi en faire. Attention : ils s’attaquent ensuite à un classique vénéneux : «Nights In Venice» des Saints. L’énergie dévastatrice dans un classique dévastateur, ça donne du dévasté dévastateur. Les deux riffeurs fous s’en donnent à cœur joie. Tony cisaille comme un fou. Il est dans son élément. La voix de Lisa colle parfaitement à ce classique de l’apocalypse. Ils vont même finir dans la collision. Bob tricote ses déflagrations souterraines. Franchement, sans les BellRays, que deviendrions-nous ? Ils nous font le coup de la fausse sortie et reviennent comme des barbares. Bob reste sur une note, Tony se roule par terre et se tortille. Il faut aux barbares des compos terribles, voilà le secret. «Half A Mind» sonne illico comme un classique pop, et même comme un hymne. Tony joue tout en fuzz. La mélodie est là, évidente, montée sur une dynamique de basse décisive. C’est une véritable splendeur. Avec sa mélodie enchantée, «Mind’s Eyes» pourrait aussi sonner comme un classique des sixties. Bob joue une bassline de r’n’b et Lisa rayonne comme un soleil dans le ciel bleu des sixties. Les BellRays tapent dans le très haut de gamme. «Pinball City» est un punk-rock sauvage. Lisa prend le chant par en-dessous. La rythmique est du pur MC5. Ils poussent des Hey ! d’anthologie. Bob se balade. Il a la note facile. On reste dans le pinball avec «Mother Pinball», un shuffle de la Nouvelle Orleans - Come on ! Do the pinball, baby ! «Tie Me Down» bascule dans la frénésie. Ils vont si vite qu’on doit s’accrocher à la rambarde. «Say What You Mean» sonne comme un classique épais et dévastateur. On plonge dans cette heaviness jubilatoire comme dans un bain de jouvence. Les foules reprennent le refrain en chœur. On nage dans l’énormité bardée de clameurs. Ho ! Ho ! Ho ! On lève le poing ! Quelle poigne ils ont ! Ils tiennent leurs hits par les couilles. Tony plonge dans un chorus d’une monstruosité hallucinée. Flip, flop, ils pataugent dans le génie. Lisa est au maximum de ses possibilités. Et le morceau repart, en défonçant tout. Lisa et ses amis reprennent les choses là où le MC5 les avait laissées.

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«Hard Sweet And Sticky» sort en 2008 avec une belle pochette gourmande. Ils attaquent ça avec un nouveau hit planétaire, «The Same Way», une pop éclatante envoyée avec tout le chien de sa chienne. Compo de l’immense Bob Vennum. C’est quand même autre chose qu’Aerosmith. Au moins, il y a de la tenue dans ce balladif. «Infection» est heavy comme l’enfer. Bob qui joue désormais de la guitare envoie un solo monstrueux. Avec les BellRays, c’est pas compliqué : si on leur demande de faire un album de rock, alors ils font un album de rock. Leurs albums font partie de ceux qu’on réécoute à intervalles réguliers, car on sait qu’on y trouve de la substance. «Infection» est un morceau incommensurable qui se répand dans l’univers. «Comin’ Down» est un mid-tempo poussé par une rythmique ingrate et brutale. Bob repart en solo liquide. Il compte désormais parmi les solistes les plus brillants d’Amérique. Ils reprennent leur vieux hit «Footprints On Water». L’élégance de leur pop restera dans les annales. Lisa et Bob emportent leur soul pop au firmament, à coups de cris, d’éclats et de prodigieuse élégance. «That’s Not The Way It Should B» est du typical BellRays : Lisa devant et derrière, deux riffeurs fous, avec des relances diaboliques et une dynamique exceptionnelle. C’est un cocktail dont on ne se lasse plus.

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Le dernier album paru des BellRays s’appelle «Black Lightning». Il est sorti enveloppé du mystère d’une pochette noire traversée d’un éclair anthracite. Comme on l’imagine, cet album recèle son petit lot de bombes. Et notamment le morceau titre qui fait l’ouverture. Ça reste carré et Bob envoie des solos dignes de ceux de Wayne Kramer. Lisa reste cette fabuleuse shouteuse qu’on suit depuis le début. Le paradoxe, c’est qu’il n’y a pas de surprise. C’est aussi énorme qu’on le supputait. Même chose pour «Hell On Earth», nouvelle pièce fumante de rock incendiaire. On entend moins le double riffage d’antan. Le son est plus fusionnel, dans l’esprit de la lave qui s’écoule des flancs du Krakatoa. «On Top» est un cut extrêmement punchy. Lisa l’expédie au firmament, elle a l’habitude. On note au passage que la puissance des BellRays est intacte. «Power To Burn» est une pièce de belle pop mentalement élevée, montée à coups de mélodie, de power chorus et d’un ramassis disparate d’accords cavaleurs. Bob ne faiblit pas, ce n’est pas dans ses habitudes. Il revient toujours placer un chorus intéressant. Avec «Power To Burn», les BellRays nous offrent un modèle de power pop californienne. «Living A Lie» est du pur BellRays, une énormité rockée à la cantonade, vite troussée et enfilée à sec par un gros solo garage. «Everybody Get Up» est cocoté d’avance. Lisa chauffe la marmite. Et ça part dans l’épaisseur de la clameur. Dans la verdeur de la lourdeur. Dans l’éclat de la puissance. C’est une fois de plus une véritable source de jouvence. Toujours aussi épais et bon, voilà «Close Your Eyes» - c’mon take my hand and close your eyes - et Bob part en vrille, c’est un démon du bonheur séculaire, il laisse filer son solo de feu liquide. Rien d’aussi magistral que les BellRays. Huit albums et pas un seul déchet. Qui dit mieux ?

 

Signé : Cazengler, amateur de belles raies.

 

Lisa & the Lips. Le Batolune. Honfleur (76). 30 avril 2014

 

BellRays. In The Light Of The Sun. In Music We Trust 1992

 

BellRays. Let It Blast. Vital Gesture Records 1998

 

BellRays. Grand Fury. Uppercut Records 2000

 

BellRays. Raw Collection. Uppercut Records 2003

 

BellRays. The Red White And Black. Poptones 2003

 

BellRays. Have A Little Faith. Cheap Lullaby Records 2006

 

BellRays. Hard Sweet And Sticky. Vicious Circles 2008

 

BellRays. Black Lightning. Fargo Records 2010

 

Lisa & The Lips. Lisa & The Lips. Vicious Circle 2013

 



 

18 / 05 / 2014 / AVON 77

 

AMERICAN COUNTRY ROCK AVON

 

CHARLY WEST / ORVILLE NASH

 

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C'est la faute au Cat Zangler, qui ici même dans KR'TNT 148 au doux mois de juin 2013 nous avait dressé un tel dithyrambe d'un concert d'Orville Nash que nous ne nous pouvions pas faire semblant d'ignorer qu'il passait à trente-cinq minutes de la maison. Sur le papier ce n'était pas donné, ouverture à dix heures du matin avec initiation à la danse counry toute la journée. Douze heures western swing sans le swing, c'est un peu craignos, alors prudents comme des séminoles sur le sentier de la guerre qui se préparent à sortir de leurs marécages, Mister B and Aïe ! Avons, à Avon, décidé de nous introduire dans le camp des visages pâles à la tombée de la nuit, juste pour le concert.

 

Judicieuse décision ! Le soleil rasait la cime des arbres lorsque nous pénétrâmes dans le ranch des envahisseurs, poétiquement nommée La Maison des Vallées. Un centre culturel communal composé d'immenses bâtiments et entouré de vastes parkings ombragés, disposé si délicatement au pied d'un interminable et impressionnant aqueduc ferroviaire que l'on se croirait transporté dans une maquette géante.

 

L'on arrive à l'heure incertaine entre chiens de prairie et loups du grand nord, les garçons vachers finissent leur repas, les hommes ont gardé leur chapeau sur la tête et les filles leur longue robe volante, des regards surpris se posent sur la tenue fifty de Mister B et mon blouson simili-skaï, manifestement l'on se demande ce que nous sommes venus faire là, nous aussi, mais on se rappelle que l'on est ici pour Orville Nash. Ouf !

 

Annonce au micro : démonstration de danse country catalane dans la salle de spectacle. Je ne voudrais pas me lancer dans une catalinaire dévastatrice à l'encontre de la sardane catalane mais je me suis toujours demandé pourquoi l'Onu n'avait pas inscrit sur la liste des organisations terroristes tout ce qui a un rapport quelconque avec cette stupide pantomime débilitante qui se pratique du côté de Perpignan. Si vous ne me croyez pas, profitez de vos vacances pour vérifier l'étendue des dégâts.

 

Je tire Mister B de ce guet-apens génocidaire culturel en l'emmenant finir sa bière à l'extérieur. Silhouette connue à l'horizon, incroyable mais vrai, un troisième rocker, et pas n'importe lequel, Raphaël le guitariste des Atomics, le pistoléro sans reproche à la Gretsch de nacre blanche et d'or ! Mais le concert commence...

 

CHARLIE WEST

 

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Une salle de concert comme on n'en fait plus depuis un demi-siècle, une scène surélevée aussi vaste qu'un champ de foire, et un plancher de petites lamelles de bois aussi glissant qu'un avon de Marseille, et un plafond si haut que vous oubliez qu'il existe, une véritable cathédrale. Au micro le présentateur s'inquiète de notre santé et pour nous éviter toute fatigue inutile il nous recommande d'aller chercher une chaise au réfectoire, ce qui occasionne une sortie en masse vers le susdit lieu de sustentation alimentaire. Bref au bout de cinq minutes tout le monde est sagement assis le long des murs. N'y a que Mister B et mon immodeste personne, qui tels des rocs immobiles dans la tempête, restons debout, collés contre une issue de secours. Ah, ces rockers ils ne peuvent pas faire comme tout le monde !

 

Tout est en ordre, Charlie West peut faire son apparition suivi de tous ses musicos. Charlie West n'est pas un bleu de la veille. Un véritable vétéran, dans les années soixante-dix il accompagna Vince Taylor, ce qui tout de suite vaut lettre et patente de noblesse. Longtemps axé vers le blues et le rock, en 1999 il effectue un changement de cap, il se tourne vers la country music. Depuis il écume avec son orchestre les festivals et réunions, country comme il se doit. L'orchestre est en place, petit problème Charlie recherche son jack qu'il finit par trouver sur le pupitre de son violoniste. Un, deux, trois et c'est parti. Pas besoin d'en entendre plus pour comprendre. Merveilleusement en place, de sacrés musicos, aussi précis qu'une montre suisse, de la qualité, de la haute définition. Rien à redire, rien à reprocher.

 

N'ont pas entamé depuis trente secondes Colorado Girl que la voisine de Mister B assise sur sa chaise lui demande – non pas de lui réserver la dernière danse – mais de se pousser légèrement afin qu'elle voie un peu mieux... Le public country nous réservera toujours des surprises... Tout à l'heure ce sera à Raphaël – venu de rejoindre – que sera réitérée la même demande... n'ont tout de même pas tous le cul vissé sur un poteau de barrière de corral. Beaucoup se lèvent et se mettent à danser. Assez joliment faut l'avouer, pas tous doués mais avec du coeur, certains couples se débrouillent plus que bien, et puis guetter les panties des demoiselles quand la robe tournoie et s'élève vers la voûte céleste est une occupation de rocker des plus émérites. Parfois c'est même western string.

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Evidemment nous nous intéressons avant tout à la musique. L'on en prend plein les oreilles pour pas un rond – façon de parler car le ticket d'entrée aurait fait fuir le septième de cavalerie – Claude pédale dur à la Steel Guitar, pas très spectaculaire de rester à table toute la soirée, mais il fait fondre les coeurs. La Pedal Steel Guitar c'est encore pire que la gravure de La Mélancolie d'Albert Dürer, ça vous essore le palpitant comme une machine à broyer, dans les films on vous montre toujours les outlaws de la mort en train de faire feu des deux gachettes, en fait ces killers n'étaient que de gros sentimentaux prêts à fondre en larmes dès qu'une minette capricieuse refusait de leur sourire... ils avaient l'âme bien moins aiguisée que la lame de leurs couteaux... heureusement que de l'autre côté de la scène Pascal tire les crins de son crin-crin à foison. Ne sera pas toujours fidèle à son fiddle car sur plusieurs titres il l'abandonnera pour la guitare, mais quand il s'empare de son archet, qu'il a coutume entre deux titres de tenir entre ses dents, ce n'est pas pour nous tirer des larmes de crocodile, nous entraîne sur son violon violent dans une sarabande effrénée. L'a le physique de l'emploi, blond le visage taillé à coups de serpes, genre Apollon qui a beaucoup souffert, et lorsqu'il descend de scène et qu'il entre dans le cercle des danseurs, il les mène jusqu'au bout du délire avec la ruée finale du rond diabolique qui se referme sur lui...

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Je traverse toute la salle pour jeter un oeil sur Styve le batteur. Assure aussi les choeurs, c'est lui la cheville ouvrière, si du groupe émane un si beau son, c'est en grande partie grâce à lui. Une frappe puissante mais aérée, qui n'écrase personne et qui laisse à chacun la possibilité de s'exprimer sans avoir à faire l'effort de pousser les meubles pour s'immiscer dans l'atmosphère architecturale qu'il ordonne.

 

C'est joli, mais nous les rockers l'on aime les ambiances un peu plus dures. Il y aura de très bons moments comme les reprises de Seminole Wind de John Anderson ou de The Wanderer de Dion & the Belmonts. Mais au bout d'une heure et quart nous nous éclipsons discrètement vers le bar. Ce n'est pas que ce soit mauvais, mais Charlie West – j'ai oublié de dire qu'il se débrouille plutôt bien au chant - a compris qu'il faut donner aux longhorns le fourrage conditionné qu'ils aiment. L'herbe sauvage leur causerait peut-être un peu trop mal aux dents. Je sais c'est un peu vache ce que je dis, mais Mister B est encore plus critique que moi, de la country commerciale marmonne-t-il, et il a l'impression que le public se moque totalement de l'histoire de la musique country... L'ajoute, je me demande comment il réagirait si à la place de Charlie West on leur proposait les Subway Cowboys, mille fois plus authentiques, plus roots et plus honky tonk...

 

ORVILLE NASH

 

En chemin – décidément tous n'atterrissent pas obligatoirement à Rome – nous rencontrons Patrick – un habitué des concerts rockabilly - qui lui aussi effectue – quel hasard ! - un repli stratégique vers le saloon. Formule à voix haute la question qui traverse nos cervelles depuis le début de la soirée. Comment un tel public réagira-t-il face à Orville Nash ? Surtout que la veille il a assisté au concert que d'Orville donnait au Saint Vincent à St Maximin, pas tout à fait le même whisky qui coulerait d'un même tonneau. Celui d'Orville c'est du véritable White Ligthning nous confie-t-il.

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D'ailleurs sur qui tombons-nous à la première table du café ? Orville Nash en personne qui se lève pour nous saluer. N'est pas tout seul, Raphaël et Francis qui fut le bassiste des Hot Rocks, sont à ses côtés. Ne reste plus qu'à attendre, mais Orville et les Gamblers s'éloignent pour aller revêtir leur tenue de scène, chapeau et foulard bleu savamment noué autour du cou. C'est ainsi que nous les retrouvons tous les trois sur la scène. Divine surprise, toute une partie du public s'est massé devant la scène et y restera durant tout le set. Quant à ceux qui ne se lèvent pas leur siège, ils seront encore là à la fin du show. Comme quoi il ne faut pas désespérer de l'humanité !

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La différence tout de suite. Dès les premières notes. L'on change d'étage. Et de musique. Ici pas d'enjolivements pour attirer le touriste. C'est du brut de brut. Guitare, rythmique et contrebasse, le trio dans toute sa rusticité et dans toute sa gloire. Impossible de tricher, tout le monde garde ses deux mains sur les cordes et personne ne va se pendre. Honky Tonk Mood pour donner le la. Nous sommes aux limites, à l'intersection de trois genres qui se suivent et se ressemblent tout en se différenciant, hillbilly, honky tonk, rockabilly. Campagne, bourgade, ville. Ruralité, sociabilité et fureur de vivre. A trop se côtoyer l'on ne supporte plus de se faire marcher sur les pieds. Bientôt chaussés de daim bleu. La musique populaire américaine est une longue marche qui nous conduit des grands territoires perdus aux concentrations citadines. Les musiciens haussent le ton au fur et à mesure que l'espace rétrécit.

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A part que Orville Nash vous fait l'aller-retour en trois minutes. Le temps d'envoyer un Swamp Child aussi gluant de vase verdâtre qu'un alligator qui sort du bayou et le voici déjà dans le poulailler de Charlie Feathers en train de glousser comme une poule qui couve son oeuf alors que le renard se faufile au travers du grillage. Autant vous dire que ça rocke dur et qu'il y a du remue-ménage. Je ne parviens pas à dénicher un adjectif pour qualifier la voix d'Orville, ce qui est certain, c'est que c'est exactement celle qui convient. Vit en France, mais être américain ça vous donne un satané plus pour ce genre de refrains. Vrille ses morceaux comme par chez nous les vieux vous causent en patois. Vous ne reconnaissez rien mais vous comprenez tout. La voix fait image. Vous propose ce que vous voulez voir. Et entendre. L'est terrible à la gratte, lorsqu'il lance ses morceaux ou que les Gamblers le laissent quelques secondes jouer seul, l'on s'aperçoit qu'il balance sans état d'âme. American efficacity. Garantie orvilienne.

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Raphaël confirme ce que nous pensions de lui. Un super guitariste. Pourrait nous envoyer des tonnes d'électricité, nous la jouer white rock à outrance, du genre vous n'en voulez plus, en voici encore, mais non il se souvient que l'électrification des campagnes ne s'est pas faite en un clic, alors il s'adapte. Ne bouscule pas le type de musique qu'il est en train de jouer. Ne tient pas être moderne. Se contente d'être en accord avec son sujet. L'est là pour servir mais pas pour se servir et dépasser devant tout le monde avec un plateau préparé. Ne passe pas une clôture sans la refermer car c'est ainsi que l'on respecte les antiques us et coutumes. L'a intégré qu'il joue une musique qui s'évade du country certes, mais qui n'emporte pas moins avec elle des brins de paille et un peu de crottin sous ses semelles.

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Francis Gomez agit de même. Nous l'avons vu avec sa stature de géant en un autre concert soulever des montagnes et faire dégringoler des tonnes de rockailles sur nos têtes, mais là il sait rester sobre. Déverse tout de même des cruches et des cruches de swing à vous couper le souffle. Même qu'à un moment n'y tenant plus il couchera sa fat mama à terre et s'y vautrera dessus comme pour une sodomie en public – faut dire qu'à ce moment-là Orville rockait comme un roquet en colère, et que Raphael malmenait salement son pickin', bref toutes les conditions étaient réunies pour passer le mur du son. Ce n'était plus du honky Tonk mais du Honky Tank, une division de blindés en train de charger toutes chenilles hurlantes.

 

Dans le public, ça applaudit de plus en plus frénétiquement à la fin des morceaux, et puis en plein milieu pour souligner tel passage particulièrement bien perçu. Je ne sais pas comment ils font mais lorsque je me retourne je m'aperçois que derrière nous une quarantaine d'amateurs de country dance improvisent un stroll un peu heurté car à la vitesse où Orville débite ses hits si vous avez envie de suivre la cadence vous n'avez guère le temps de compter les pattes des mouches qui volent.

 

Un rappel et c'est tout. Orville et ses deux condotierres nous laissent sur le bord du ring, sonnés comme les cloches de Notre-Dame, les bras entremêlés dans les cordes, essayant de reprendre notre souffle. Nous a estabouziés. Extase et catharsis. Merci à Raphaël et Francis pour leur vielle de Gamblers, merci à Orville Nash pour ce set impeccable. Ils ont gagné, par K.O technique, par K.O passion.

 

FIN DE PARTIE

 

Après un tel round de sorciers, impossible de rester à écouter les disques qui suivent. L'on sort se remettre les idées en place. Excellente idée. Rencontre avec Rudy, Nathalie et son copain qui viennent du Nord. Ne soyez pas surpris mais quand des rockers rencontrent d'autres rockers, de quoi voudriez-vous qu'ils jactent, si ce n'est d'histoires de rockers. L'on se sépare alors que les responsables ferment à clef la Maison des Vallées.

 

Damie Chad.

 

( Pour les photos : on a pris ce qu'on a trouvé, ne correspondent pas au concert )

 

 

L'ALIMENTATION GENERALE / PARIS / 19 – 05 – 14

 

SUBWAY COWBOYS / OL' BRY

 

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L'est des fois où un sort injuste s'acharne sur les rockers innocents comme l'agneau qui vient de naître. Z'avons pas pu voir les Cowboys du Souterrain qui jouaient dans un bled perdu de l'Oise, et des considérations familiales nous avont empêché d'assister au spectacle des Vieux Briards – peut-être braillards brillants, mais nos traductions sont très approximatives – chez les Loners. De quoi vous dégoûter de vivre. Mais ne voici-ti-pas que les deux groupes suce-nommés passent, non in an another time, neither in an another place comme le chante le diabolique Jerry Lou but en même temps et au même endroit. A Paris. A L'Alimentation Générale. Une occasion unique de faire nos courses.

 

La course c'est la teuf-teuf mobile qui s'en charge, nous dépose à vingt heures tapantes à moins de cent cinquante mètres de l'épicerie maréchale. Trois jours après je me demande encore comment elle a fait pour dénicher une place de stationnement. Un dimanche soir en plus. Alors que ces têtes de veaux de parigots se sont dépêchés de s'entasser dans leur vingt mètres carrés à mille euros mensuel afin d'être fin prêts le lundi matin à rejoindre au plus tôt leur boulot-métro-dodo. Ce qui explique l'assistance un peu maigriotte. Des amateurs et des connaisseurs, plus une colonie de jolies étudiantes que les rockers émoustillent toujours.

 

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Le patron doit être fatigué, début des hostilités à neuf heures tapantes, fin de partie un peu avant minuit. Ôtez un quart d'heure pour la mi-temps et calculez combien de temps il reste pour chacun des deux groupes.

 

SUBWAY COWBOYS

 

Les trois sur scène. De guingois. L'espace est si restreint et si encombré par le matos des Ol' Bry qu'ils ont été obligés de se disposer comme des pions sur un damier sur la seule diagonale libre du carré. Mat au fond, Will au milieu – vous le reconnaissez à son chapeau – et Fab devant, en avant file. Se sentent tellement à l'étroit dans cette minuscule cellule scénique qu'ils entament leur set par un morceau de circonstance, le Folsom Prison Blues de Johnny Cash. Ne les plaignez pas. A peine s'ils ont la place pour bouger les doigts sur leur cordage, vont donc sublimer leur désir d'espace et de verdure. Ce qu'ils ne peuvent vivre, ce sont leurs instrument qui l'exprimeront.

 

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Echec et mat en faveur de Matt. Apparemment un garçon calme et sérieux, soucieux de bien faire. Se penche avec sollicitude sur sa contrebasse qui a l'air trois fois plus épaisse que lui. L'on dirait qu'il joue au docteur et qu'il l'ausculte une dernière fois avant de décider une intervention chirurgicale, que l'on pressent fatale. Pour un peu on tirerait un mouchoir de sa poche dans le but d'écraser furtivement une larme sur la tristesse de notre joue. Faux-semblant. C'est un ponte, un spécialiste qui vous réveille les morts rien qu'en sortant son bistouri. Ca ruisselle de tous les côtés. A croire qu'il y a une dizaine de contrebassistes éparpillés dans la pièce qui s'amusent établir des effets stéréos et quadriphoniques dans tous les angles du local. Pluie orageuse de triples croches qui virevoltent comme des oiseaux moqueurs dans tous les azimuts. Un trio honky tonk, oui mais qui grâce à Matt résonne comme un quatuor de Bartock. Une batterie, pour quoi faire ? A lui tout seul Matt vous recrée le mur du son de Phil Spector.

 

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Ce serait dommage de ne pas profiter d'une telle architecture sonore. Ce n'est pas n'importe qui qui peut se targuer d'être digne de vivre dans la Maison Dorée de Néron. Les Subway Cowboys ont de la chance – mais celle-ci ne sourit qu'à ceux qui se donnent la peine de l'attraper – possèdent un prince de la guitare. Deux mois que nous ne l'avions pas vu et il a encore affiné ses licks de tueur. Foudroyants. L'était déjà très bon. S'inscrit désormais dans les meilleurs. L'a acquis l'intelligence et l'instinct du jeu. Ses doigts se posent d'eux-mêmes, n'a plus besoin de les commander, car il agit depuis un espace mental supérieur qui structure toutes ses intuitions. L'est arrivé à une corrélation d'intentions totale, l'esprit ne commande pas plus au corps que celui-ci n'obéit à celui-là. Comme des navires qui voguent de conserve. Comme tout a l'air simple, on le regarde jouer et sa maîtrise est si grande qu'il nous semblerait facile d'en faire autant. Leurre de magicien.

 

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Entre les deux Will. Pas du genre à se cacher pour se faire oublier. Qu'il le voudrait, qu'il ne pourrait pas, avec son organe turgescent, on le repère tout de suite. Ne peut pas ouvrir la bouche sans qu'aussitôt l'attention se focalise dessus. N'aime pas le yaourt, c'est du made in USA, d'importation directe. Mais timbré à son effigie. Tout ce qu'il touche il l'accapare. Sans le martyriser. Tape en plein dans le répertoire de l'americana, mais c'est si bien roulé que l'on n'a jamais l'impression, comme beaucoup d'autres, qu'il traduit avec de gros sabots bien de chez nous. Des godillots parfois sincères mais souvent pathétiques. Non, les versions des Subway Cowboys sont bottées de santiags d'origine ou de texanes d'importation. Mais elles sont comme la pantoufle de Cendrillon. Assez uniques en leurs genres pour exciter la convoitise de presque tous. C'est étrange, ne font que des reprises, avec par exemple ce soir l'accent mis sur Joe Hill, connues de presque tous, mais si bien foutues qu'elles semblent être des compos originales, tant leur interprétation sonne juste.

 

C'est un régal, on galope à fond de train derrière des bisons qui n'ont aucune envie de finir en boîtes de corn-beefs et le soir on écluse des décalitres de bière brune en pensant à toutes les filles blondes qui nous ont plaquées. Des vachardes, et il y en a un véritable troupeau. Très belle définition du honky tonk man, le mec entre deux vaches celle qu'il poursuit et celle qui s'éloigne... Une véritable postulation baudelairienne entre la réalité qui s'enfuit et le rêve qui s'évanouit. L'air de rien les Subway Cowboys sont en train de construire une phénoménologie du honky tonk.

 

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Mais revenons à la concrétude des choses. Avec sa boucle d'oreille ce garçon tourbillonnant parmi les spectateurs ne pouvaient que se faire remarquer. Tant pis pour lui, Will le rappelle à son destin de batteur des SpunyBoys, Guillaume se fait un peu prier mais il consent tout de même tout en s'excusant à s'asseoir derrière la batterie des Ol' Bry, à l'écouter il n'y arrivera jamais, ce n'est pas tout à fait son style, peut-être mais il y prend du plaisir, et nous avons pour la première fois l'occasion de voir les Subway avec un drummer derrière eux. Court interlude car le trio reprend de plus belle sa course effrénée.

 

Un dernier morceau et c'est fini. Les métropolitains descendent de leur estrade sous des cris de regret. Encore ! Encore ! One more ! One More ! Mais l'heure c'est l'heure et de toute évidence sur terre comme sous terre le bonheur ne dure pas éternellement !

 

OL' BRY

 

Pas évident de passer après les Subway. Alors que chacun de ses acolytes se glisse à sa place Eddie tient à préciser que les Ol' Bry ont un sacré gant à relever. Pas d'inquiétude à se faire, le set sera aussi bon, bien que très différent. Comme quoi il suffit d'être soi-même pour emporter l'assentiment de tous. Et ce soir-là les Ol' Bry furent magnifiquement les Ol' Bry.

 

Résumé des chapitres précédents. Depuis leur création les Ol' Bry avaient leur particularité, le groupe rockabilly fortement influencé par le do wap. Flirtaient un peu avec les années soixante, les tempos d'enfer et les sirops d'érable au pur jus de betterave. Les mois ont passé et le son a évolué. Le groupe a trouvé la formule idéale. Eddie à la rythmique et au chant au milieu, Rémy le saxo à sa gauche et Diego à la guitare à sa gauche. Un peu comme Odin, le dieu nordique, qui se baladait avec un corbeau sur l'épaule gauche et un autre sur l'épaule droite. Trois grands bavards, le corbac on the left qui racontait le passé, l'emplumé on the right qui prophétisait l'avenir, et le Dieu in person qui livrait ses sentences de vie et de mort. Trois verbiageurs émérites mais qui avaient pigé que quand l'un parlait les deux autres se la bouclaient.

 

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Pas question pour le sax et la guitare de se mettre aux abonnés absents, non mais ils y vont mollo-mollo – mezzo-soprano si vous désirez un terme musical – quand Eddie chante. En plus il ne se contente pas de vocaliser, il tape du pied comme un madurle, et maltraite sa guitare - qu'il tient très haut, à la Elvis des premières photos - tel un forcené qui arrache les barreaux de sa prison. A tel point qu'il fusillera le micro. Merci à l'ingé du son qui en improvisera un autre de fortune tout en assurant une parfaite sonorisation...

 

Quelques mois que je n'avais pas vu les Ol' Bry. Diego en a profité pour étudier. Pas la guitare, porque la toca muy bien, es un maestro, un matador, et vous auriez du mal à lui enseigner quelques trucs qu'il ne connaîtrait pas. Question mandoline, es un jefe. Un chef. Mais vient d'un pays étranger. Je ne parle pas en géographe. Provient carrément d'une autre planète. Du – tant pis je lâche le gros mot – infierno y damnacion – du jazz. Bref c'est un super musico, en connaît trois mille sept cent trente quatre fois plus que le guitariste moyen de rockab. A la différence près qu'il y a un esprit rockab que l'on n'apprend pas dans les écoles de jazz. Donc toutes ces dernières semaines l'a pointé ses oreilles sur les disques et les concerts rockab et comme c'est un super technicien il a retrouvé la notice de montage. En théorie c'est facile, en pratique c'est plus difficile. Alors que le guitariste de jazz n'en finit pas de nous éblouir, regardez-moi je suis le virtuose du quartier, je vous reprend le thème en la mineur et je vous l'étire durant dix minutes, le gratteux rockab n'occupe le devant de la scène que durant quinze secondes le temps de vous balancer un riff qui vous scalpe le cerveau et puis il passe le bébé à qui veut le prendre. Ne vous inquiétez pas, n'a pas jeté l'eau du bain, plus tard il vous en balance une louche à travers la figure, juste pour vous rappeler que sans lui votre vie deviendrait plus triste. Ne vous alimente pas en continu. Vous plante des injections de vitamine toutes les vingt secondes dans la chair, et vous donne de temps en temps une piqûre de rappel.

 

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Et Diego qui a compris impulse une nouvelle sonorité au groupe. Plus rock, plus rockab. En contrepartie le sax a aussi intuité la leçon. Souvent en sourdine à l'huile, mais quand il intervient c'est d'une manière d'autant plus tonitruante, prend toute la place, mène un remue-ménage de tous les diables, bouche le port de Marseille, et puis retourne se calfeutrer dans sa boîte sans faire plus de bruit qu'une souris. Pour revenir avec des miaulements de chats affamés. Et Eddie au milieu. Concentré sur le chant, il envoie les modulations sans modération, sans se soucier de rien, sûr qu'à la première respiration, ou le sax ou la guitara reprendront le flambeau.

 

Juste un problème. C'est que comme dans les légions romaines en formation de combat il y a une deuxième ligne derrière. La section rythmique, basse et contrebasse. Avec les jeunes rockers faut se méfier, Thierry qui n'est pas né de la dernière ondée, a trouvé le poste idéal pour surveiller en toute discrétion son gamin. L'a ressorti sa grosse doudoune à manche de son étui et s'est adjugé le poste de contrebassiste depuis lequel il ne lâche pas son rejeton, Eddie, des yeux. En plus comme il lui faut démontrer que les fils ne vaudront jamais les pères il écrit et refile ses compos au groupe. Question cordage rien à lui reprocher. Si les trois zozos de devant peuvent se repasser le témoin à tout bout de champ, c'est bien parce que derrière, Thierry leur bétonne un tapis rouge d'arrière-fond. Il y a encore un batteur, Marcelo. Me suis déplacé plusieurs fois pour tenter de l'apercevoir, mais en vain. L'espace est si exigu que je n'ai pu apercevoir qu'une fois deux spatules de caoutchouc qui batifolaient en l'air. Par contre je l'ai entendu. N'a pas arrêté une seconde de monter la mayonnaise. La prochaine fois je me cacherai dans la grosse caisse pour lui repiquer la recette. Pour aujourd'hui croyez-moi sur parole. Jamais en défaut, et pas cette fixité rythmique propre aux groupes rockab qui peut devenir vite impardonnable si elle n'est pas associée à une onctuosité lyrique qui donne davantage de volume à chaque battement.

 

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Un set féroce. Un Eddie trépignant, totalement à l'aise sur tout son répertoire. Des morceaux de leur premier CD mais dans des versions fiévreuses – North Side Girl, She Don't Care ou Let me dance – des classiques My Babe, Unchain My Heart, un You're sixteen superbement bien envoyé et j'avoue que je ne suis pas un grand fan de ce titre de Johnny Burnette que je trouve un peu trop midinette - et un I'm Comin' Home dédié à Mister B, très proche de la version de Gene Vincent grâce aux aboiements du saxophone de Rémy, mais aussi en hommage aux Ghost Highway qui ne sont pas là ce soir le somptueux Cause I Forgot écrit par Jull, et enfin, gâteaux à la crème chantilly sur les cerises précédentes, les nouveaux morceaux, enregistrés chez Mister Jull mais pas encore sortis, de véritables tueries qui sonnent plus rockab que tous les rockabs.

 

END OF THE ROAD

 

Minuit l'heure du crime. L'on coupe les micros et les rockers rentrent chez eux. Deux superbes concerts, l'on ne regrette pas d'être venus. Quand je pense que certains n'aiment pas les groupes français. Ne savent pas de quoi ils se privent. Subway Cowboys et Ol' Bry ont été magnifiques.

 

Damie Chad.

 

 

 

BOOKS

 

 

MARC SASTRE

 

 

L'HOMME PERCE / AUX BÂTARDS LA GRANDE SANTE

 

 

 

Fidèles lecteurs de KR'TNT, ne dites pas : Marc Sastre, inconnu au bataillon, ce serait mentir. L'on vous en a déjà parlé sur ce même blogue. Evidemment vous n'avez retenu que la moitié du fruit empoisonné que l'on vous tendait. Je vous excuse, Jeffrey Lee Pierce, ce n'est pas n'importe qui, les projecteurs des cerveaux humains ont tendance à focaliser sur sa personnalité, alors la bio au sulfure pas du tout biodégradable que nous avions chroniquée ( KR'TNT 160 DU 23 / 10 / 2013 ) vous avez oublié qu'elle était signée de Marc Sastre.

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Me définirai personnellement plutôt comme un acrate que comme un anarchiste, mais ce n'est pas par hasard si ce dimanche 11 mai, je batifolais dans les allées du Salon du Livre Anarchiste. Recherchai Les Fondeurs de Briques, la maison d'édition qui fit paraître en version française Le Pays où Naquit Le Blues d'Alan Lomax ( voir KR'TNT 119 du 22 / 11 / 2012 ) et le J'effraie Lee Pierce du susdit Sastre Marc. Avec ces deux titres à leur actif, ces gens-là ne peuvent pas être totalement mauvais. La preuve, ils présentaient même quelques livres de poésie de Marc Sastre, assemblés en d'autres maisons.

 

Donc deux plaquettes de Marc Sastre parues en 2011et 2013, aux Editions les Cyniques. Un nom qui ne peut que plaire aux rockers, depuis que les Stooges et Iggy Pop nous ont expliqué l'ultimité de la philosophie cynique dans leur titre fondateur I Wanna Be Your Dog.

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L'HOMME PERCé / MARC SASTRE

 

Vous suffit de regarder la couverture pour comprendre le contenu du bouquin. Pour ceux qui ne seraient pas versés en mécanique, vous avez la légende de la photo : engrenages à chevrons. Court d'ailleurs une étrange histoire à Toulouse sur l'inventeur du cardan à chevron, c'est un vieil ouvrier qui me l'a raconté lors de la pause déjeuner, mais je m'éloigne, d'autant plus que je n'ai pas donné le copyright du document : pas de surprise, Citroen Communication.

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En plein dans la matière du poème. L'usine, l'atelier, le chantier, les différentes déclinaisons de ce que l'on appelle communément le travail. Pas celui qui rend libre. L'aliénation, l'exploitation, la servitude, les synonymes sont légion. L'homme percé, c'est l'homme usiné comme les pièces qu'il produit. Le travail est une lèpre qui manufacture le travailleur. Vous transformez la matière par votre travail, mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg, la grande métamorphose c'est l'homme qui la subit. N'oublions jamais que la transformation de l'homme équivaut à une déshumanisation. Le travail ne vous grandit pas, il n'est pas le chemin nietzschéen qui mène au Surhomme, il est amoindrissement et usure sans possibilité de retour à l'état neuf.

 

Tout cela Marc Sastre ne le théorise pas, il le dit, l'énonce et l'annonce, sans complaisance. La poésie comme témoignage de la désanthropologisation de l'individu. Point de salut, point de fierté. Ne mange pas les médailles en chocolat du bon travailleur qui s'est échiné et esquinté durant un demi-siècle à perdre sa vie pour gagner le droit de survivre économiquement.

 

AUX BÂTARDS LA GRANDE SANTE / MARC SASTRE

 

Les non-lecteurs se contenteront encore une fois de la couverture. Dessin d'Anne Martel – comme toutes les autres illustrations. L'en existe un autre semblable, cher aux rockers, le doigt dressé que Johnny Cash pointe sur vous. Le rebelle métaphysique vous ordonne d'aller vous faire foutre.

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Ce recueil est plus tonique que le précédent qui ne vous laissait aucune échappatoire, fils de prolo tu es, fils d'esclave tu resteras. Forment tous les deux un diptyque. Ne vous faites pas d'illusion. Ce n'est pas : un, le mal ; deux, le bien. Même si ça commence bien. La révolte et l'éros. Deux bonnes addictions. Les nerfs opimes du bonheur et du bien-être. L'homme en marche vers sa liberté.

 

Un peu comme la nouvelle formation de Little Bob, les Little Blues Bastards. Pas dingue, le Little Bob, a assez bossé et vécu pour savoir qu'un bâtard heureux comme un chat de gouttière en liberté attrape aussi parfois le blues. Idem chez Marc Sastre, au début on relève la tête et l'on se croit assez fort pour conquérir le monde. Mais ce n'est pas si facile qu'il n'y paraîtrait. Ce n'est pas l'ennemi d'en face qui vous fait peur. La confrontation est prévue. Sera sanglante et l'on a toutes les chances de perdre. Mais le jeu en vaut la chandelle ( verte du père Ubu ).

 

Non, l'ennemi est en nous. Pire et mieux que cela. Nous sommes nous-mêmes notre ennemi. Le travail nous a façonnés à son image. Nous sommes, des bêtes de somme. Notre chair, notre peau, notre corps, notre pensée, sont altérés et édulcorés. La grande santé nietzschéenne nous la poursuivons, mais elle ne se laisse pas attraper. Ce qui s'installe en nous, c'est la maladie chronique de notre impuissance à changer le monde. Notre bâtardise rime avec vantardise. Nous sommes des guerriers vaincus, avant même d'avoir combattu.

 

Faudra tout de même faire avec nous-même puisque nous n'avons rien d'autre sous la main que nous-même. Les autres me ressemblant trop pour que je puisse en faire quelque chose. L'individu est un roi sans couronne. Mais un roi tout de même. J'ai intérêt à sortir de toutes mes contradictions et de moi-même. Si je veux me libérer de l'antique chaîne de l'esclavage, ne plus un être un chien d'élevage mais un bâtard au-delà de toute appartenance.

 

Deux recueils pour ne plus être dupe, ni de sa condition, ni de soi-même. Attitude rock par excellence.

 

Damie Chad.