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18/01/2017

KR'TNT ! ¤ 312 : LEMMY KILMISTER / BARNY AND THE RHYTM ALL STARS / TAQWACORE - PUNK MUSULMAN / JOHNNY HALLYDAY / ELVIS PRESLEY

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 312

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

19 / 01 / 2017

LEMMY KILMISTER

BARNY AND THE RHYTHM ALL STARS

TAQWACORE - PUNK MUSULMAN

JOHNNY HALLYDAY / ELVIS PRESLEY /

Lemmy some news

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Miracle, nous avons des nouvelles de Lemmy qu’on croyait disparu. Disparu ? Ha ha ha ! Il suffit d’ouvrir ce petit punky paper anglais qui s’appelle Vive le Rock pour refaire un bout de chemin en compagnie du meilleur des hommes. Fast Eddie Clarke se souvient des premières fois où il vit Lemmy à Kensington Market. Incroyable ! Il s’en souvient comme si c’était hier.

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Kensington Market ? Il fallait descendre à High Street Kensington et remonter jusqu’au 49, et là, on entrait au paradis, mais un paradis sur trois étages. On allait tous acheter nos boots à talons clairs et nos vestes en velours peau de pêche là-bas. Fantastique endroit, propice aux rencontres. C’est l’époque où Londres est la capitale de l’empire glam et où on n’écoute plus que les Dolls, Silverhead et Transformer.
Eddie connaît déjà Phil Taylor.
— Oh Eddie !
— Hey Phil, comment ça va-t-y ?
— Impec ! Dis-moi, mec, tu m’avais pas dit que t’avais une pelle ?
— Ben oui !
— Tu tombes à pic, mec, figure-toi que je cherche un guitareux !
— Ah bon ?
— Ben oui, on a enregistré un album avec Lem et Larry Wallis mais Larry a mis trop de guitares en re-re et si on veut jouer ça sur scène, ben faudra une deuxième pelle !
— Ben dis donc !
Phil étant Phil, les choses ne se déroulent pas comme prévu. Eddie débarque à la répète et chope Lemmy :
— Hey Lem, on m’a dit de venir passer une audition pour la deuxième pelle !
— Non, sans blague !
Eddie se retrouve donc roadie. Il doit s’occuper de trimballer et d’installer la batterie de Phil et l’ampli de Lem. Mais il est content, car il est avec des gens du même monde : cheveux longs, blousons de cuir. À cette époque, c’est ainsi qu’on choisit son camp. Eddie est incapable de dissimuler sa fierté. Et en même temps, il en rigole encore :
— On est des hors-la-loi, on a les cheveux longs et on fume de la dope !
Voilà, c’est pas compliqué de jouer dans Motörhead.
Les flicards de Notting Hill connaissent bien Lemmy. Ils prennent un malin plaisir à le coincer régulièrement avec des familiarités du genre Hi Lem ! Eddie nomme les ennuis avec la loi des run-ins with the law. Motörhead les collectionne. Celui dont Eddie est le plus fier est celui qui s’est produit en Finlande ! Ah quelle rigolade ! C’est le plan classique, ils jouent dans un festival et détruisent tout le matériel. Les flics les arrêtent et les envoient au ballon pendant trois jours. Mais c’est un ballon finlandais construit au milieu de nulle part et personne ne parle anglais. Ils sont six, Lemmy, Phil et Eddie, plus trois road crew. Pendant 36 heures, on les enferme dans des cages individuelles et ils commencent à flipper pour de bon. Puis on les met ensemble. Phil claque des dents :
— Oh la la, Ed, tu sais pas c’qui était écrit au plafond de ma cellule ?
— Ben non !
— Avec son briquet, un mec avait écrit qu’ils peuvent t’enfermer là-dedans pendant 17 jours sans procès !
— Ben shit !
— Y vont jamais nous r’lâcher !
— Won’t they ?
Comme il fait nuit 24 h sur 24, impossible de savoir l’heure qu’il est.
Le manager de Motörhead s’appelle Zorro. Il arrive au galop dans la nuit finlandaise pour les délivrer. Il explique aux flics finlandais que Motörhead est un groupe à succès en Angleterre et qu’il doit passer à Top Of The Pops, ce qui est bien sûr un gros tas de bullshit. Les flics réclament du blé pour payer les dégâts, alors Zorro doit leur donner les 3500 $ de cachet du groupe. Parfait, ça couvre les dégâts et les frais d’hébergement. La police raccompagne la fine équipe de Pieds Nickelés jusqu’à l’avion. On les fait asseoir dans leurs sièges et on leur enlève les menottes. Ouf ! Dès que ces abrutis sont descendus de l’avion, toute la bande se met à faire la fête. Vive la liberté ! Mort aux vaches ! Ça picole à tout va, ça chante, ça danse et ça gueule, jusqu’au moment où le fucking pilote fait irruption dans la travée centrale :
— Si vous n’arrêtez pas immédiatement de faire les cons et de gueuler, j’avertis la police de Gatwick qui viendra vous cueillir !
— Hooola bijou, du calme !
Meanwhile back in London...
Slim Jim Phantom aime bien Lemmy, lui aussi. Il le connaît depuis l’été 80.
— C’est sans doute Pete Farndon ou Crazy Charlie qui nous a présentés, je ne me souviens plus très bien, j’ai la mémoire qui flanche. On a causé de rockabilly, on a fait plein de parties de machines à sous et on est allés boire des coups dans un pub de Gloucester Road, puis après on est allés dans un after-hour du genre Funny Farm. Quand le soleil s’est levé, on est allés chez Lem écouter plein de disques. Pas de question de dormir, avec un mec comme Lem.
Slim Jim ricane comme un vieux capitaine de flibuste.
— Avec Lem, chaque nuit était techniquement une wild night. Avec le temps, les nuits sont devenues un peu plus sereines mais elles sont quand même restées assez wild. Lem se comporte toujours de la même façon, rien ne change. Quand j’ai arrêté de faire le con et de passer mes nuits à faire la fête, notre amitié est restée intacte. C’est un sacré test, pas vrai ?
Quand Lem s’installe à Los Angeles, Slim Jim et lui sont voisins. Le hasard fait parfois bien les choses. L’arrière de l’immeuble où vit Slim Jim sur Doheny Drive fait face à l’immeuble où vit Lem sur Harratt Street. Ils sont à deux pas de Sunset Strip. Lemmy est un peu comme Slim Jim, il déteste le froid. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne roule pas en moto.
En guise de rideau, Lem a accroché un drapeau de pirate à sa fenêtre et quand Slim Jim descend promener son chien et qu’il passe sous sa fenêtre, il appelle Lem et ils discutent le bout de gras. Lem le fait souvent monter et ils regardent ensemble quelques conneries à la télé. Lem adore regarder la chaîne d’histoire ou la série Law & Order.
— Quand j’arrive chez Lem, je reste toujours beaucoup plus longtemps que prévu. J’adore ce mec, franchement. Je ne crois pas qu’on puisse voir un jour débarquer un nouveau Lem, car celui-là est le fruit d’une combinaison très spéciale : l’après-guerre en Angleterre, le rock’n’roll des pionniers, le british beat et les seventies londoniennes. Il est vraiment le fruit de ce mélange unique au monde. En plus, c’est un cat généreux et smart enveloppé dans une douille en acier.
Lem et Slim Jim ont monté un trio de rock’n’roll avec Danny B. Harvey, le fameux Headcat. Comme Slim Jim, Danny connaît Lem depuis 1980. À l’époque, Danny jouait dans Levi Dexter & the Ripchords, un combo de revival rockab. Lem venait les voir jouer au Dingwalls.
— J’ai appris à jouer «Motorhead Baby» de Johnny Guitar Watson pour le dédicacer à Lem, chaque fois qu’il venait nous voir. Lem est un vrai fan de rock’n’roll. On l’a vu aux premiers concerts des Stray Cats à Londres, à la même époque.
Danny est parfaitement incapable de maîtriser son admiration pour Lem :
— Il a une cervelle incroyable ! Il retient tout qu’il voit, tout ce qu’il entend et tout ce qu’il lit. Tout, tout, tout ! Il connaît des tonnes de paroles de chansons. Il connaît des tonnes d’accords et de lignes de basse, il sait exactement quand le tambourin va arriver, ce que va faire le batteur. Sa passion pour le rock’n’roll est restée celle d’un gosse, complètement pure et innocente. Quand la fille de Jerry Lee nous a présentés Lem et moi à son père en 2010, Lem lui a serré la pince et m’a gueulé dans l’oreille : «C’est le fucking killer !». Lem était en transe.
Danny adore se retrouver en studio avec Lem, ils jouent du vieux rock’n’roll et sifflent des tas de Jack & Cokes. Ils passent leur temps à jouer, à siffler des verres et à rigoler comme des bossus.
— Quand j’ai commencé à jouer dans un groupe, j’avais 13 ans et on reprenait des morceaux de Hawkwind. Je savais que Lem était leur bassman. C’est dingue de penser qu’on a fini par jouer ensemble. Eh oui, ça fait 16 ans qu’on fait Headcat avec Slim Jim et Lem. Ça fait un sacré bout de temps, pas vrai ? Mais le plus important, c’est que je suis extrêmement fier d’être devenu son pote. Il me paraît essentiel de rappeler que Lem est le plus honnête homme qu’il m’ait été donné de rencontrer. Il n’est jamais tombé dans les pièges du star-sytem. Chez lui, aucune trace d’égocentrisme, de goût pour les drames ni de complexe de supériorité. Lem est un mec qui a toujours su garder la tête sur les épaules. Figure-toi que le Lem de 2015, c’est exactement le même que celui de 1980, il est assis au bar, il fait un jeu vidéo, entouré de potes à lui, pas de garde corps, et quand un fan vient le saluer, tu verrais sa gueule ! Il est ravi !


Signé : Cazengler, Lemmiteux.


We are Motörhead. Vive le Rock #41. 2016/2017

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13 / 01 / 2017TROYES
LE 3B
BARNY AND THE RYTHM ALL STARS

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Cette fois-ci, ça devient sérieux. Les amis tentent de m'en dissuader. Funestes prédictions et avertissements funèbres ne cessent de pleuvoir. Pardon de neiger. A gros flocons. Jusqu'à des copains de copains qui m'adressent des messages alarmants. A les écouter la capitale de l'Aube sera dès ce vendredi soir ensevelie sous les névés. Je consulte les cartes météo avec le regard acéré de Surcouf matant désespérément l'horizon marin en vue d'un navire battant le pavillon anglois. D'après mes relevés, rien de grave à condition d'être de retour avant quatre heures du matin. Je consulte la teuf-teuf qui en rigole. Me révèle que sur les parkings ses congénères la surnomment le brise-glace de la Baltique. Alors pas d'hésitation, cap sur Troyes au plus vite.
Me voici au coeur de la forteresse locale du rockabilly. Pas mal de monde déjà. Mais comme disait Alphonse de Lamartine quand il manque l'orchestre les concerts de rock sont dépeuplés. Béatrice nous rassure. Sont sur l'autoroute du côté de Paris. N'y a plus qu'à patienter. Pas trop longtemps, car les voici et les Barny installent au plus vite leur barnum, ce qui permet d'assister au sound-check. Ne sont pas du genre approximatifs, point de tâtonnements à l'aveugle, en trois mini reprises vous sortent un son d'une limpidité absolue. La perfection existe donc en ce bas monde. Voudraient entamer le concert illico, mais Béatrice la patronne insiste pour qu'ils se restaurent d'abord. Pas de problème. Le bar et la sono qui diffuse de petites merveilles de la discographie rockab combleront sans difficulté notre attente. D'autant plus que les trois amuse-gueules de la balance laissent augurer un menu roboratif.

LA CLASSE ET LA CLAQUE


N'ont pas commencé depuis trente secondes que Barny s'est déjà jeté à genoux. Donne le ton, pas le temps de folâtrer en chemin. Dix minutes plus tard c'est une corde de sa rythmique qui a rendu l'âme, si vous croyez que cela ait ralenti la chevauchée, tant pis pour vous. Mais avant de parler de Barny attardons-nous sur les trois autres mousquetaires. Pas des perdreaux de l'année, étaient déjà avec Carl, et maintenant sont derrière le fils.

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Claude Placet, grande taille mais talent encore plus grand. La guitare, la fait sonner méchant. A peine intervient-il que vos oreilles prennent la dégelée, l'est le Portos de la portée, l'a le style conquérant de celui qui à raison ne doute jamais, à sa gauche plus réservé, Renaud Lens, la sombre retenue d'Athos, genre de gars

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qui ne cherche pas la noise mais évitez de passer trop près de lui, quand il se fâche il ne vous lâche plus, ce soir c'est la contrebasse qui prend, la pauvre, il la slappe à mort, un trois-ponts de quatre-vingt dix canons qui tire des bordées sans interruption, à chaque coup qu'il assène c'est comme si vous concassiez à la pelleteuse mille stravidarius d'un seul coup, on le verra peu ce soir, car la haute silhouette de Claude le cache, mais n'ayez crainte c'est Pedro Pena, le gars pas du tout à la peine, l'est aussi retors et perfide qu'Aramis, vous ne savez jamais où il va vous mener, à la baguette, le genre de gars qui allie l'éblouissance de l'efficacité et les circonvolutions de l'invention. Bref trois cadors. Dorés sur tranche. Mais ce n'est pas tout. Non, ce n'est pas encore Barny. Ce sont les trois mêmes. Vous les ai présentés séparément. Une vue de l'esprit. Une abstraction stupide. Possèdent cette terrible carte biseautée qui a elle toute seule vaut une collection d'as dans la manche. Tout simple. Tout bête. Comment les autres musicos n'y ont-ils pas encore pensé ? Ne suffit pas d'être les meilleurs. Faut jouer ensemble. Et les All Stars du rythme, ils ne s'en privent pas. Une mécanique de précision. Enchaînent les plans à une vitesse folle, ont dû recevoir une formation spéciale, un entraînement pour devenir le premier combo de rockabilly destiné à être catapulté dans l'espace. Imparables. Invincibles. Si j'étais Barny, je n'aurais jamais osé. Les aurais laissé bosser tout seuls. D'ailleurs c'est ce qu'il fait au début du deuxième set. Et nous avons droit à un instrumental à déraciner les chênes. Une de ces fricassées qui vous rompt les os à coups de hachoirs non réfrigérés. Désolé de le rappeler, je ne ne suis pas Barny. J'aimerais bien mais ceci est une problématique peu intéressante.

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Donc Barny dans la cage aux fauves. Tout jeune. Normalement devrait s'enfuir en courant. Mais non, ce n'est pas qu'il est aussi à l'aise que vous lorsque vous caressez un mignonitou petitou chatounou sur le canapé du salon, l'est comme un tigre altéré de sang dans la jungle sans merci. Faut le voir, il crache le vocal comme s'il voulait vous transpercer de ses dents, l'est partout à la fois, devant le micro, ou alors il danse entre ses trois congénères, le fou furieux descendu dans la fosse aux serpents, et sa guitare, certes il la déglingue à coups de griffes mais surtout il s'en sert comme d'un drapeau, l'est le porte-enseigne du rockabilly, le centurion qui tenait l'enseigne totémique de la légion en première ligne pour mieux exciter la convoitise des ennemis. L'a tout compris. D'instinct. Transmission paternelle et génie personnel. Les trois fous furieux ils jouent ensemble, non c'est une erreur de perceptive, style le bâton plongé dans l'eau qui vous semble brisé, sont quatre ensemble. Quel savoir-faire ! Ou plutôt de l'intuition. Le rockabilly de nos mousquetaires, c'est du sauvage. Pas le genre de mayonnaise avachie qui coule péniblement du tube, plutôt ces éruptions spermatiques de cachalots en rut. Quand c'est parti, vous n'avez plus le temps de réfléchir, z'avez intérêt à avoir branché le pilotage automatique, vous vous n'intervenez que pour appuyer sur l'accélérateur, et ensuite comme à la parade, attention les trois escogriffes vous préparent un alunissage sans douceur sur la face cachée de la lune, pas de problème, le capitaine Barny accentue la dérive de son équipage d'un haussement de guitare sur la gauche et vous avez l'impression que le monde s'écroule, pas le temps de larmoyer sur cette apocalypse, Captain' Barny vous induit le même haussement d'épaule, mais sur la droite cette fois, pour vous signifier le crash mooning sur la face brillante.

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Guitare oriflamme portée à bout de bras au coeur ardent de la mêlée. Ils ont leur titres à la Young and Wild – tout un programme – ou alors ils piquent dans le répertoire des outlaws du rockabilly de Johnny Horton à Charlie Feathers. Mais l'on s'en moque. Ne vous laissent pas le temps de batifoler dans les arguties. Ce n'est pas qu'ils se débarrassent des morceaux comme vous éparpillez les moineaux d'un revers de la main irrité, au contraire ne bâclent pas le travail. Quand ils en tiennent un ne le laissent pas repartir sans en avoir exploiter toutes les facettes, chacun vous le triture à sa manière, chacun s'en donne à coeur joie, n'ont pas besoin d'une demi-heure, huit secondes chacun, mais à tour de rôle, vous l'assomment à la doubble bass, vous l'électrocutent à la lead, vos l'estabousillent à la batterie, mettent du coeur à l'ouvrage, et pour finir Barny vous l'éviscère avec les dents. Ah ! les chacals, vous émiettent le vieux rockab des familles sans sourciller. Le Barny est plus que pressé. Tellement que parfois il plaque sa guitare et continue au micro, pour jeter sa hargne encore plus fort. S'avance dans le public et tout le monde hurle comme une meute de loup à qui on offrirait la lune sur un plateau.

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Ne vous font pas le paquet cadeau les Barny and The Rythm All Stars, vous refilent le poison directement en pleine main, vous bombardent au napalm et vous saupoudrent à l'agent orange. Du bop de fou. Frappez le sol du pied. A en faire surgir le spectre de la désolation. Barny et ses acolytes vous démantibulent le rockab, vous l'explosent et vous l'atomisent, pour qu'il retombe sur vous, un ravage diluvien, plus beau, plus dur, plus fort, plus électrique. Deux set, de toute beauté. Pas des plus longs. Mais une dose de cheval de course à chaque fois. A vous renverser. A vous moudre les os. Du métier mais pas de tricherie. Une aisance qui transcende tout. Barny se jette à terre dans le dernier stomp de l'enfer. Tombe lourdement, mais se relève sans baragouiner et mène la danse endiablée jusqu'au bout. D'abord le rockabilly. Ensuite sa petite personne. Le plus bel hommage qu'il pouvait rendre à Carl qui s'est runaway in the sky. Plus qu'un concert. Une démonstration sans concession de ce à quoi un concert doit ressembler.


Damie Chad.

P.S. : retour sans problème. Les radiations émises ont empêché la neige de tomber.

( Photos : noir et blanc : FB : Sergio Kazh
couleur : FB : Béatrice Berlot )

PUNK YOU

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Regarde ce que je t'ai trouvé ! J'adore les filles qui m'offrent des cadeaux. C'est un DVD sur le punk. Il m'a tout de même coûté un euro cinquante. Elle ne veut pas que la rembourse aussi en plus de lui dire merci ! J'inspecte l'objet, la silhouette d'une mosquée qui se profile au dos de la couverture, par Sheitan, du punk musulman ! Je connaissais ce bouquin paru chez Camion Blanc sur le rock à Téhéran, mais là j'avoue mon ignorance, apparemment cela se passe aux USA. Pour l'Iran-Rock j'avais visionné quelques vidéos, pas de quoi sauter au plafond. Résultat final moins que médiocre, mais abstenons-nous de critiquer, faire du rock sous la pression des Mollahs et dans le viseur de leur police politique, je ne sais pas si j'en aurais le courage. Bref, je ne demande qu'à voir. Car il s'agit d'un film. Et en plus on ne se moque pas du client, rempli de bonus, arrêtons de bavasser, ouvrons notre computer.

PUNK YOU

THE TAQWACORES

Réalisé par EYAD ZAHRA

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Ne peut rien vous dire sur Eyad Zahra d'origine syrienne ce film sorti en 2007 est apparemment son plus célèbre fait d'arme. Pas le genre d'artefact filmique destiné à révolutionner l'art cinématographique... Zahra l'avoue dans une interview, n'était pas un grand fan du punk lorsqu'il s'est décidé à le réaliser, par contre l'on comprend que sa relation personnelle à l'islam a dû le motiver fortement. Le sujet est assez simple, un étudiant bon élève, d'origine arabo-musulmane, s'en vient louer une chambre en ville – nous sommes à Buffalo dans l'Etat de New York – afin de fuir l'ambiance un peu trop libre du campus universitaire. Mauvais choix, se retrouve en pleine communauté punk !
Rien à voir avec les ambiances débridées des squats parisiens des années quatre-vingt. Nous sommes au milieu de déchirés. On boit, on fume, on shite, on jure, mais grattez le perfecto clouté et la réalité est beaucoup plus contrastée. Nous ne sommes pas en présence de révoltés mais d'écartés. Certes ce sont eux qui ont fait le grand écart, qui se sont séparés de la Communauté des Croyants, mais ils souffrent de ce rejet. Essayent d'assumer les contradictions. Mener une vie dissolue tout en respectant les commandements du Coran. Pas évident. L'une ne quitte jamais sa burqa tout en professant un féminisme outrancier, l'autre arbore une magnifique crête. Ne sont pas tous à l'unisson. L'un ne supporte pas les impuretés de ses camarades et les autres s'adonnent à de théoriques dérives interprétatives du message du prophète... L'on comprend leur problématique, sont rongés par la mauvaise conscience, aspirent à vivre comme les jeunes américains de leur âge mais se heurtent à tous les interdits de leur religion qui leur ont été inculqués durant leur enfance et leur prime adolescence. Ne tournent pas leurs désirs vers une seule Mecque, à un niveau intime sont polarisés par l'Orient du sexe qu'ils ont du mal à pratiquer, et culturellement par l'Eldorado mythique de la Californie où sévissent des groupes punks musulmans. L'herbe est toujours plus verte ailleurs. Puisqu'ils ne peuvent aller à la montagne, ils décident de la faire venir, en organisant un festival punk dans leur maison...

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Quatre groupes punk californiens débarquent au domicile. Sont à leur image. Mais avec des options davantage cristallisées. Trois d'entre eux sont idéologiquement des plus virulents, mais le quatrième habillé tout de blanc professe un islam rigoriste. Préfèreront passer la nuit à se geler dans le bus que dans cette maison remplie de filles... La soirée suivante sera démentielle, groupes à fond, musiques sauvages, paroles au bord du sacrilège, public exalté, dansant et sautant partout, miss Burqa qui s'offre une fellation aux yeux de tous, en tout bien tout honneur puisqu'elle ne quitte pas sa noire tenue, excitation et frénésie à leur comble, trop de contradictions, bagarre générale, un mort. Notre étudiant sage qui s'est quelque peu dévergondé fait ses cartons pour rentrer dans sa très croyante famille. Clap de fin.
Résultat des opérations, ce n'est pas gagné d'avance. Le film laisse une impression bizarre. O. K. pour l'aspect punky-festif, mais ce qui ressort avant tout de toutes ces images c'est la prégnance de l'Islam sur les actes, les idées et le comportement de cette jeunesse. Ne parviennent pas à couper le cordon. Restent prisonnier de leur éducation, tout cela ressemble à une révolte d'adolescent, un mauvais passage, mais les bons fils qui ne prient plus que du bout des ablutions, et les petites filles coquines qui auront préservé leur hymen, tout ce petit monde a toutes les chances de réintégrer la normalité musulmane...

THE TAQWACORES
MICHAEL MUHAMMAD KNIGHT

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Après le film, le documentaire qui relate la naissance historiale de ce mouvement punk musulman aux Etats-Unis. Etrangement la musique n'est pas au départ de cette aventure. Tout débute par le livre Taqwacore – disponible en français aux éditions Babel – écrit par Michael Muhammad Knight. Le film de Eyad Zarah n'est que l'adaptation de son roman. Le document tourne autour de sa personne. Il est jeune, il est beau, il est ouvert, il est sympathique, il est intelligent, il est intellectuellement honnête, il ne cache rien. Il possède toutes les qualités. Mais je le trouve terriblement inquiétant.
Le film raconte l'histoire du livre. Nous avons droit dans les surplus à une lecture publique du roman, il est facile de s'apercevoir que certains dialogues sont des extraits pratiquement repris tel quels du bouquin. Fut reçu et lu par une fraction de la jeunesse arabo-musulmane américaine qui entrant en relation épistolaire avec l'auteur fut très surprise d'apprendre qu'il s'agissait d'une fiction. La déception fut de courte durée. Puisque cela n'existait pas, il suffisait de le créer, et des groupes de punk Taqwacore se formèrent illico. Michael Knight n'hésita pas à les rejoindre pour une mémorable tournée en bus au travers des Etats-Unis à la rencontre d'un public qui fut au rendez-vous.

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Musicalement l'islam-punk prôné par des groupes comme Dead Buthos ou Vote Hezbollah, se révéla être un mélange explosif de style Rude Boy, Oï, Skin, Riot Grrrls, avec tout de même peut-être, inidentifiable à l'oreille mais agissant comme le plus savoureux des répulsifs, une écorce de Straight Edge. Le rythme est rapide mais le son n'est pas amplifié à outrance et ce sont surtout les paroles qui sont explosives, revendiquent le droit de boire, de fumer, de baiser, la liberté d'expression et n'hésitent pas à dresser des portraits peu orthodoxes du prophète car tout le monde le sait, Mahomet était un punk dégénéré. Sex Pistols revisités en Anarchie dans le Califat. Cela nous fait rire, mais il faut le replacer dans le rigorisme intransigeant des Communautés musulmanes pour en goûter le sel et l'audace. Ce qui est sûr à voir les images des concerts c'est que la jeunesse musulmane – garçons et filles mêlés - apprécie.
Michael Muhammad Knight se raconte. Fils d'un suprématiste blanc et d'une mère pakistanaise qui s'enfuit de son mari ultra-violent avec son marmot de deux ans. Adolescent mal dans sa peau, Michael se convertit à l'Islam, et à dix-sept ans il fera un séjour de deux années au Pakistan pour approfondir sa foi. Mais le résultat obtenu ne fut pas celui escompté. Les rigueurs de l'Islam le dégoûtèrent. L'écriture de Taqwacore procède de cette déception. Mouvement de révolte et recherche d'un islam hardcore. Taqwa signifie extase, un peu ce que l'ésotérisme appelle la voie de la main gauche. La recherche de dieu au travers de l'ivresse dionysiaque. Dieu n'est-il pas le désir et le plaisir suprêmes ? Il n'est pas interdit de ressentir des relents de soufisme dans cette théologie no border. L'islam est traversé d'une foule de positions interprétatives divergentes. Une manière très ambigüe aussi de poser le problème autrement : plus islam que moi tu meurs.

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La première mamelle du Taqwacore c'est la provocation. Je refuse le discours des imans, je suis mon propre iman, je fais ce que je veux. Personne ne me dit ce que je dois faire. Allez vous faire foutre. Michael Knight et ses sbires n'hésitent pas à se présenter en concert dans un immense congrès musulman des plus orthodoxes. Parole provocantes, chanteuse lesbienne qui harangue le public composé de jeunes filles sous voile et foulard qui reprennent les paroles en choeur. Se feront expulser... Ne sont pas les premiers musulmans américains qui ont élevé la voix, les voici donc à Detroit et à Harlem sur les traces de Malcom X et d'Elijah Mohammad et peut-être encore plus de Wallace Fard Muhammad le créateur de la Nation Of Islam que certains prenaient pour une incarnation du prophète si ce n'est pour Allah en personne... L'islam punk américain retrouve ainsi une inscription historiale des plus traditionnelles qui recoupe la lutte de libération des minorités opprimées...

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Le deuxième pis de la vache, c'est l'islam. Avec ses compagnons de route musicale, les Kominas, Michael Knight retournent au Pakistan. S'aperçoivent vite que leurs concerts ne drainent que la minorité de la jeunesse issue des hautes familles friquées. Parviendront tout de même à donner une prestation publique qui attirera une assistance beaucoup plus populaire. Mais l'important se passe sur un autre plan. Le Pakistan est un pays de cocagne. Shit et beuh à consommer sans modération. L'excès entraîne la saturation. Le corps a ses limites, l'esprit aspire à un autre état. Michael Knight revient sur ses pas. Rend visite à la mosquée de ses dix-sept ans. L'on sent que s'opère dans sa tête un retour à un désir de spiritualité. L'islam ne laisse pas s'échapper ses fidèles comme cela... Le DVD n'en dit pas plus. Mais les livres qu'il a publiés depuis cette date le confirment.

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S'est senti proche du mouvement des Five Percenters issus d'une scission de la Nation of Islam, apparus en 1964, une espèce de secte de revendication de la supériorité de l'Homme Noir qui dispense un enseignement basé sur un alphabet mathématique suprême qui a beaucoup influencé l'écriture des chanteurs hip hop. Ajoutez un voyage à la Mecque, l'utilisation de drogues, tout cela dans le but de concilier la tradition de l'Islam avec une vision beaucoup plus libératoire... Une mission impossible. L'anarchisme islamique nous semble une notion aussi antithétique que l'anarchisme chrétien. Certes vous pouvez le concevoir comme un escalier qui permet d'accéder à la liberté humaine. Mais n'en reste pas moins que l'escalator qui permet de s'éloigner de Dieu... aide toiut aussi mécaniquement aussi à y remonter. La sortie de secours qui vous autorise à courir vous abriter au moindre pépin. La religion est ce qui vous relie à Dieu. Sympa, vous vous sentez privilégié par cette union directe avec ce qui fait de mieux dans le monde. Dans le même temps, la religion est ce qui vous lie, vous attache, vous ligote comme un rôti qui ne va pas tarder à être mis au four en vue d'une assujettissante ingurgitation. Un punk qui se respecte commence par clouer le christ sur sa croix et par égorger le prophète. Au passage il en profite pour faire du boudin avec le bouddha et passer l'élohim au hachoir. I'm the god's serialkiller. Un chien sans son maître reste un chien. Mais un maître sans son chien n'est plus un chien. Choisissez lequel des deux vous voulez noyer. Ne venez pas vous plaindre après s'il vous mord ou s'il vous siffle, assumez ! Epargnez-nous aussi l'hypocrisie larmoyante de vos regrets.

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Mais à la réflexion le punk musulman n'est-il pas une attitude sacrément, terriblement et pleinement punk ? Punk à cent pour cent. A la manière de la croix gammée sur le blouson de Sid Vicious ou de cette étoile de David qu'arbore ce punk musulman dans le film. Ou alors une contre-façon monothéique de l'athéisme ? Je vous laisse seuls juges. Prenez vos responsabilité. Vous êtes grands. Débrouillez-vous. Rompez vos chaînes ou passez-les autour de votre cou. Cela vous regarde. Agissez à votre guise. N'attendez de moi, aucun conseil. Think it by yourself. C'est ainsi que débutent les plus grandes sagesses,  les plus extravagantes folies, et les pire bêtises...


Damie Chad.

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J'adore les petits marché de province. Parmi les stands de fruits et légumes se cache fréquemment un bouquiniste ou un marchand de disques. Sur Lambesc, je bisque, des étals de vêtements à gogo – les filles en sont gaga – des marchands de chaussures qui marchent à côté de leurs pompes, des gâteaux et des jouets pour les gosses, et rien pour moi qui ai conservé mon âme d'enfant ! L'injustice gouverne le monde. Pas entièrement, un revendeur de DVD d'occase. L'air jovial et sympa. Non les classiques du cinéma, ce n'est pas mon genre, moi c'est plutôt le rock'n'roll, fait la grimace, me présente Genesis, non il n'est pas bien riche, farfouille un peu dans son stock, l'on en profite pour discuter un max, l'est de la vieille école, a vu pas mal de concerts dans les années soixante, mais le voici pris d'une illumination subite, ah! Oui j'ai un truc que vous ne trouverez nulle part, un film de Reichenback, sur Johnny. Saperlipopette, ne ment pas, voilà des années que je n'aie aperçu le susdit boîtier.

 

FRANCOIS REICHENBACH

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L'est passé à l'as de pique, le pauvre François. Façon de parler car il était l'illustre rejeton d'un famille plus que nantie. L'a quitté notre planète depuis bientôt un quart de siècle. Mais l'est aussi passé à l'as tout court. Lui qui fut une sommité en son temps a disparu des mémoires. N'accusons point nos contemporains, c'est en grande partie de sa faute. L'a partagé le lot des précurseurs. S'est intéressé sérieusement à des sujets qui sont devenus maintenant des tartes à la crème, du style les prisons aux Etats-Unis ou les rues de New York. A l'époque tout nouveau, tout beau. Ce genre de parti-pris conférait du respect. La caméra au poing en prise directe sur la réalité de la modernité. Il ne dénonçait pas, il lui suffisait de montrer. Mais s'est fourvoyé en des attitudes étranges. Ce fou de peinture et de musique classique, Rubinstein, Yehudi Menuhin était un esprit ouvert. S'intéressait aussi à la chanson populaire, Edith Piaf ce qui est pardonnable, Jean Cocteau lui-même donnait l'exemple, descendit d'un cran en s'attardant sur les jazzmen et déçut son monde en avouant des passions coupables pour les yé-yé et les chanteurs de rock'n'roll. Et pas qu'un peu. Pas pour honorer une commande lucrative. Caméra au poing, gâchait consciencieusement des kilomètres de pellicule. Le gars archivait méthodiquement. A l'époque il a vu et filmé pratiquement tout le monde, les anglais, les amerloques et les petits franzosen. A mon humble connaissance tout cela a disparu. Doit croupir et moisir dans des cartons. Ne reste que les sorties officielles, Sylvie Vartan, Vince Taylor et ce Johnny Hallyday sorti en 1971.

J'AI TOUT DONNE
JOHNNY HALLYDAY

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Johnny au meilleur de sa carrière. Le deuxième envol. En gros au milieu de sa décennie majeure 65-75. On ne devrait pas le dire mais en regardant l'on prend un sacré coup de poing de vieux dans la gueule. Tout le monde. Sauf Johnny. L'est tout beau. A l'acmé de la vie. Aborde la trentaine. Cheveux longs, blondeur, minceur du corps l'a tout pour plaire et séduire. Au passage l'on reconnaît des têtes connues, Rolling, Tommy Brown, Micky Jones, des pointures du rock français. Beaucoup de scène. Ce que la bête a toujours su faire de mieux. Une quarantaine de titres qui défilent, ce qui est un peu râlant, car nous n'avons droit qu'à des extraits, le montage habile n'esquive pas la sensation du pot-pourri. Vous laisse sur votre faim à chaque fois.
Séquence voyage aux Etats-Unis. Johnny parle. Des propos peu renversants. L'Amérique c'est sa vie. Les cow-boys, les bottes, les jeans, les indiens, les voitures, la moto. Ne nous livre que des évidences. En plus, il n'est guère bavard, notre Jojo. Plutôt du genre solitaire à ruminer ses rêves, en solitaire. Séquence émotion : téléphone avec Sylvie à David resté en France. Plutôt maladroit. J'espère que tu es sage. Original ! Pas très rock'n'roll !

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Promenons-nous dans les back stages, beaucoup plus intéressant, l'adrénaline qui monte avant de rentrer en scène. Les changements de costumes entre deux morceaux, chaque geste autour de lui manifestement au point au centimètre près, la logistique est d'une précision effrayante, une mécanique parfaitement huilée. Fin de concert, Johnny couché par terre sans force, à bout, exténué, les traits crispés, livide, et puis le sourire qui réapparaît peu à peu, l'énergie qui renaît, le sourire amusé qui point sur sa face, l'animal a repris du poil de la bête. Séquence filles à l'hôtel. La caméra reste pudique et n'insiste pas. Quelques demoiselles qui montent et dévalent des escaliers sans bruit. Voilà, c'était Johnny. Plus rien à voir. Le titre n'est pas mensonger, Johnny a tout donné. Pas de tricherie. Mais le rocker c'est comme les jolies filles, ne peut vous offrir que ce qu'il a.

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Au risque de décevoir les amateurs de Johnny je me dois de remettre les pendules à l'heure. La beauté du film ne tient pas à Johnny. En 1971, ce genre d'opus était rare. Aujourd'hui vous avez des centaines de DVD d'à peu près tous les chanteurs des soixante dernières années en circulation sur le net. Des officiels, des pirates, des rushes de particuliers. A l'époque les yeux étaient focalisés sur Johnny. Mais Reichenbach était trop intelligent pour ne pas regarder le phénomène avec un peu de distanciation. Johnny l'a toujours compris. Depuis un demi-siècle il le répète à chaque interview et à chaque concert. Lui n'existe que par son public. Reichenbach ne s'y trompe pas, les plus belles séquences sont celles où il tourne la caméra vers la foule des fans. Des milliers de jeunes, au bord du delirium tremens et en même temps très respectueux. La limousine ou le camion qui se fraie un chemin entre une haie d'honneur difficilement contenue par des policiers bon enfant, ça passe au centimètre près, mais ça ne casse pas. Il serait facile de submerger le véhicule, roule au pas, mais arrive sans encombre au pied de la scène ou parvient sans problème à franchir le le portail salvateur.
Le concert en lui-même. Le jeu du chat et la souris. Les filles qui montent sur scène pour embrasser l'idole. Les plus chanceuses s'enroulent autour de Johnny, se transforment en boas constricteurs, sont comme des sangsues, des ventouses, des pieuvres vampiriques, ne veulent plus le quitter. Faut trois costauds pour les détacher. Imperturbable Johnny ne lâche pas son micro et continue de chanter sans désemparer. Des garçons aussi, davantage de retenue virile, une petite tape sur l'épaule du chanteur leur suffit. Pour avoir assisté moi-même en 1972 à une semblable prestation je peux confirmer que le film n'en rajoute pas. J'ai vu de mes yeux dix fois pire, et n'ai jamais  depuis assisté à une telle folie dans aucun des concerts auxquels j'ai participé depuis.

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Ce sont-là les fans les plus exaltés. Certes, mais dans le reste de la salle, c'est encore plus troublant. Ça hurle, ça crie, ça gesticule, ça interpelle, ça tangue, mais ce n'est pas cela qui attire le regard. Ce sont les visages. Illuminés, transfigurés, on peut parler de ravissement au sens extatique et mystique de ce mot. Une expression de bonheur ineffable. Ne sont pas possédés. Sont dépossédés, donnent l'impression d'être sortis d'eux-mêmes, arrachés de la bulle chloroformique et de l'égotiste prison du Moi, sont en train de vivre une espèce d'émigration grégaire, un voyage collectif en astral. Ne vont pas loin, restent tout près d'eux-mêmes mais ils ont fait le pas décisif de la sortie hors de leur espace mental. N'en sont même pas conscients, la transe les a boostés de leurs corps comme le tire-bouchon qui arrache le bouchon du goulot de la bouteille.

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Et le dieu-Johnny dans tout ça ? En parle très bien. Non il ne voit rien, il a vu trop de visages en dix ans de carrière pour qu'il puisse se souvenir de l'un d'eux en particulier. Sont comme des monades de Leibnitz interchangeables mais humaines. S'agitent en tout sens, des particules chauffées lancées dans une sarabande endiablée... Lui c'est le contraire. S'il ne voit rien, c'est qu'il possède ses gestes d'auto-défense et de survie. S'enferme en lui-même. Descend au plus profond d'une solitude glaciale. Il est le moteur immobile qui déchaîne la ronde folle des atomes. En ressort brisé. Signe les autographes à la chaîne, sans regarder. Ce n'est pas du mépris. Simplement la lassitude de celui qui revient de loin et qui a tout donné. Pour les autres, pour les fans, et peut-être encore plus pour lui. Atteint le plus profond de lui-même. Le point ultime où le phénix termine le processus d'auto-destruction qui le retranche définitivement du monde, le moment où la braise devient cendre, tout est consommé mais en ce même instant point l'originel envol de cette fabuleuse résurrection, ce principe d'incandescence maximale que parfois l'on nomme rock'n'roll.


Damie Chad.

DANS LA PEAU D'ELVIS
ISABELLE BONNET et RENAUD SAINT-CRICQ

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Joli petit-format carré édité par le Parisien / Aujourd'hui. Mais ça date d'hier. Et de toujours. Le King est immortel. Mais il est mort. Il y a trente ans. Le bouquin est paru en 2007. Ce n'est pas grave. L'a ressuscité, l'est partout. Des morts-vivants, d'une nouvelle race. On les appelle les sosies. Ont leur jour de fête à Memphis. Nous en avons plein en France. Surtout dans le Nord. Au pays des  ch'tis. Le rock est une musique populaire. De prolétaires. Et rien n'est pire que l'humour auto-satisfait du petit-bourgeois confit en sa vaniteuse médiocrité. L'est facile d'en rigoler. Eux les clones ils assument. En toute simplicité. Pas évident d'écrire dessus. D'ailleurs nos deux deux auteurs n'en pondent pas un roman. Esquissent de rapides portraits, des crayonnés aurait dit Stéphane Mallarmé. Ont privilégié la photo, qui déborde sur la deuxième page. Dix-huit Elvis sur sur leurs dix-huit canapés. Faut trouver le ton juste. Eviter la méchanceté, le précis de sociologie aussi. L'histoire est toujours la même. Elvis leur est tombé dessus. Souvent quand ils étaient tout petits. Ne s'en sont jamais relevés. N'ont pas vraiment choisi. L'occasion, celle qui fait le larron. Les circonstances qui vous poussent aux fesses. Lorsque la vie quotidienne ne vaut rien, Elvis se révèle être l'ultime refuge. La porte de sortie. La bouée de sauvetage. Quelques prestations par ci par là, ça vous met du beurre dans les épinards, parfois ça paie le loyer, Chris Agullo en vit.

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Sont des incarnations subsidiaires. Tout le temps dans leur tête et parfois sur scène. Certains ne vont guère plus loin que leur entourage immédiat. D'autres jamment régulièrement. Quelques uns procèdent par tournées. Ne faut pas rêver. Prennent leur pied sur scène, mais ne sont pas dupes du public. Quelquefois il se passe vraiment quelque chose. La nostalgie étreint le coeur des spectateurs. Mais ils ne doutent pas que l'assistance dans sa majorité s'en foute. Eux aussi. Vivent leur passion. Imaginez un christ masochiste qui trimballerait sa croix avec lui tous les week end parce qu'au fond le fait qu'on le cloue sur le bois lui procure un plaisir à nul autre pareil. Eux aussi ils traînent leur matériel. Perruque, maquillage, costumes. Ceux qui se prévalent d'une penderie pleine, qui se vantent de pouvoir couvrir toutes les époques du King, ceux qui les cousent eux-mêmes, ceux qui n'hésitent pas à lâcher trois mille euros pour une défroque commandée aux Etats-Unis, et ceux qui se contentent du rudimentaire déguisement fourni au vulgus pecum pour les festivités carnavalesques. L'habit ne fait pas le moine. Pour la voix, ils ne s'en vantent guère, deux ou trois insistent sur leur baryton, mais la plupart y vont à l'arrache, à l'énergie. Pour la musique, c'est internet qui fournit les play-back.
Sont des décalés. En ont pleinement conscience. Le mot rock revient plus d'une fois. Prononcé avec gourmandise. L'excuse suprême. Un peu collectionneurs, un peu fétichistes. Certains connaissent des milliers de détails de la vie du King, mais dans l'ensemble ce ne sont pas ce que l'on appelle des connaisseurs. Phantasment beaucoup. La réussite du King et leur propre vie. Mais pas en tant que deux réalités séparées. Opèrent le grand mix. Les proportions varient mais ils sont et eux-mêmes et un peu beaucoup Elvis à la folie. Mais leur Elvis à eux. Ce serait facile de jouer aux pim-pam-poum avec leur trombine. L'on sent une fragilité. Une fêlure. Isabelle Bonnet et Renaud Saint-Cricq la dévoilent. Sans ostentation. Ils ont le sourire et l'écriture pudiques. Journalistes de métier. Ne sont pas là pour déformer, salir ou louanger. Savent informer sans être infâmes. Trouvent le ton juste. La plume qui gratte mais qui n'envenime pas. Derrière ces Elvis, il y a des êtres humains, tout comme eux. Avec leurs grandeurs et leurs valeurs dérisoires si semblables à eux deux, et à nous tous. Se mettre dans la peau d'Elvis équivaut aussi à se déshabiller en public. Je est-il un autre comme l'affirmait Rimbaud ? Ce sont toujours les autres qui nous perdent. Nous ressemblons trop à nos rêves pour nous moquer de ceux des autres. De toutes les manières ils ne sont pas Elvis, ils sont Christian Gill, Eryl Prayer, Freddy Ley, Davy, Franck Danyel, Rick Cavan, Chris Agullo, Jessy Morgan, Marc Davisley, Teddy Boy, Chris Burlow, Phillipe Dubois, Jean-Marie Thomas, Richard Plonski, Jess Wade, Bill Looking, Wally, Tino Valentino. Respectez-les, ils ont le courage d'être ce que vous ne serez jamais. Même Julien Doré qui a écrit la préface a compris.


Damie Chad.