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22/03/2017

KR'TNT ! ¤ 321 : CHUCK BERRY / SUFFERS / BILL CRANE / ABK6 / MICK RAVASSAT & TRISTAN / ROCK ANGLAIS / ROLLING STONES

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 321

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

23 / 03 / 2017

... en attendant notre prochain site...

TEXTE + IMAGES

sur

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

CHUCK BERRY / SUFFERS

BILL CRANE + ABK6

MICK RAVASSAT & TRISTAN

ROCK ANGLAIS / ROLLING STONES

 

SEMAINE NOIRE POUR LES ROCKERS, JAMES COTTON QUI AVALE SON HARMONICA DE TRAVERS ET CHUCK BERRY, NOTRE CHUCK CHERRI, ABATTU EN PLEIN VOL DE CANARD PAR LA GRIPPE AVIAIRE. EN HOMMAGE A CE PIONNIER ESSENTIEL NOUS REDONNONS LA KRO QUE NOUS LUI AVIONS CONSACREE DANS NOTRE LIVRAISON 117 DU 08 / 11 / 2012.

KEEP ON ROCKIN' TILL THE DEATH !

HAIL ! HAIL ! ROCK'N'ROLL !

CHUCK BERRY / LE PIONNIER DU ROCK

JOHN COLLIS / Camion Blanc 2008

Nous retrouvons avec plaisir John Collis dont nous avons déjà chroniqué en notre livraison N° 36 le livre Rock'n'roll Revolutionaries consacré à la fatale tournée anglaise d'Eddie Cochran et Gene Vincent. S'attaque cette fois-ci à un autre pionnier, pas n'importe lequel puisque dans une courte préface il nous avertit qu'il en est un fan britannique transi de la première heure.

TOULOUSE 1977


Z'étaient pas fiers les copains. Z'avaient la gorge nouée. Mais ce n'était pas leur connaissance approximative de l'anglais qui les inquiétait. Se débrouilleraient bien au moment voulu. Non c'était l'avion qui amorçait la descente vers le tarmac de l'aéroport de Blagnac. Haute-Garonne, pour les français qui ne connaissent pas leur géographie. Quand on est jeune, on a parfois des coups de folie. Etait-ce vraiment une bonne idée d'organiser ce concert à Toulouse ? Et puis il y avait le monsieur à accueillir à la sortie passagers. Pas tout à fait n'importe qui. Une légende vivante. Chuck Berry, le roi du rock en personne !
La réception fut glaciale. Poignée de mains hâtives. Juste un «  hello » jeté du bout des lèvres. N'en avait rien à foutre des discours, le grand Chuck. Pas le genre de gars à vouloir se rincer tout de suite le gosier au bistrot du coin en vous envoyant de grandes claques amicales dans le dos. Le chemin jusqu'à la voiture leur a paru interminable à nos trois organisateurs. Pas un mot. Rien. Silence de mort. Question mort Chuck s'est d'ailleurs assis à sa place, bouche cousue, tu parles à mon cul, cause toujours mais tu ferais mieux de la fermer.
Ils ont bien tenté de détendre l'atmosphère en décrivant - façon de parler, pour entamer la conversation - le paysage. Mais apparemment le grand Chuck, les commentaires géographiques sur l'habitat pré-urbain de la région toulousaine, ça ne l'emballait pas trop. Un silence sépulcral s'est peu à peu installé dans l'habitacle... Dans la tête des trois organisateurs, ça carburait sec, vite une idée pour sortir de cette impasse ! La vérité historique nous oblige à avouer qu'ils avaient beau se creuser la cervelle, rien ne venait.
Ne restait plus que quelques kilomètres pour atteindre la ville, quand la situation s'est débloquée. Subitement Chuck qui avait gardé obstinément les yeux fixés devant lui s'est retourné vers la banquette arrière. L'a posé sa main droite ouverte sur son épaule gauche. Ce n'était pas pour révéler le secret de la position des doigts sur l'intro de Johnny B. Goode. Non simplement pour prononcer un mot. Rien qu'un seul mot, satisfaction ! ( version 1965 d'Eddy Mitchell ).
Je vous voir venir, prêts à parier l'héritage de votre grand-mère qu'il s'est écrié : rock'n'roll ! Pas du tout. A juste employé un synonyme. En prononçant le s final, des fois qu'il y aurait embrouille. «  Dollars ! ». C'est court, c'est bref, mais très compréhensible. Le trésorier s'est dépêché de lui refiler le sac, avec le pognon. C'était stipulé sur le contrat que le fric devait lui être versé à son arrivée. Les copains qui attendaient l'intimité de l'hôtel pour scrupuleusement honorer leur engagement en sont restés un peu estomaqués. Quant à Chuck il a enfin laissé filtrer un sourire sur ses lèvres ironiques. Nique les petits blancs jusqu'au trognon !

SAINT LOUIS BLUES


Saint Louis. Missouri. Sur la rive du Mississippi, mais ce n'est déjà plus le Sud et son racisme outrancier. C'est là que naît Charles Berry en 1926. Famille noire dans un quartier noir. Les temps sont durs, mais ce ne sera pas la misère noire. Les Berry sont un couple uni et la situation familiale ira s'améliorant d'année en année. Travaillent sans arrêt mais appartiennent à la petite bourgeoisie noire.
Saint Louis sera marquée par le blues. Située à moins de 500 kilomètres de Chicago, la ville sera une étape importante pour les émigrants du delta qui remontent depuis Memphis vers le nord. Ce n'est pas un hasard si après avoir composé Memphis Blues, WC Handy – né en 1873 , ses parents furent esclaves en leur jeunesse - publie en 1917 St Louis Blues qui sera repris par Bessie Smith et Louis Armstrong. Ce morceau aux confluences du jazz et du blues inspira aussi le poète Langston Hughes ( voir notre livraison N° 21 du 07 / 10 2010 ). Les accointances entre W. C. Handy et Chuck Berry sont nombreuses : à plusieurs générations de distances tous deux se considèreront plutôt comme des professionnels que comme des artistes en proie à leurs états d'âmes. W. C. Handy, sachant écrire la musique codifia les chants – notamment les work songs - qu'il entendait autour de lui. Il délimita en quelque sorte les douze mesures fondatrices de tout blues qui se respecte et fixa les diminutions de ton des célèbres blue-notes.
L'apport principal de Chuck Berry à la musique populaire américaine réside en la création des principaux standards du rock'n'roll. Les puristes se plaisent à remonter jusqu'à Robert Johnson, John Collis attire notre attention sur les mains des deux guitaristes : tous deux possèdent le même genre de doigts, longs et souples comme des serpents. Chuck s'inspirera surtout de T-Bone Walker né en 1910 et initiateur de la guitare blues électrique. Ceux qui ont cru que Jimi Hendrix avait été le premier à jouer de la gratte derrière sa tête sont bien naïfs, T-Bone Walker s'amusait à ce genre de facétie dès le début des années quarante... Chuck reproduira ce jeu de scène. Par contre il n'atteindra jamais à la dextérité de Charlie Christian. L'on ne sait s'il le vit quand il se produisit à St Louis avec l'orchestre de Benny Goodman, mais il est sûr que toute une partie du savoir-faire de Chuck fut acquise en écoutant les enregistrements de la guitare jazz électrique.

PIANO BLUES


C'est un instrument beaucoup plus difficile à transporter qu'une guitare. Chuck en comprendra toute l'importance en admirant dans l'orchestre de Louis Jordan le dialogue incessant entretenu par la guitare de Carl Hogan et le clavier de Bill Dogget. Qui dit piano, dit rag-time et boogie-woogie. Le rock est né du rythme endiablé de ce dernier. Le succès aidant Louis Jordan s'éloigna peu à peu du rythme sauvage et initial que déroulait son Tympany Five. Pouvant s'offrir davantage de musiciens sa formation ressembla de plus en plus à un big band jazz. La codification instrumentale de chacun se faisait aux dépens de la virulence d'une petite formation. Retour vers la simplicité, Louis Jordan se fit peu peu rattraper par un certain Bill Haley et ses Comets. Toute la différence entre une incisive frégate de combat et un balourd porte-avions d'appui tactique.
Lorsqu'il rencontra en 1952 le pianiste Johnnie Johnson, Chuck Berry avait la formule. Fallut procéder à de nombreuses mises au point. Restait le problème de la voix. Car un groupe de rock sans chanteur c'est comme un civet sans lapin. Suffit de transformer la problématique en particularité. Ce n'est pas qu'il avait une mauvaise voix Chuck, non mais en ces temps de prohibition raciale, elle ne sonnait pas noir. Pas assez grasseyante. Trop hachée. Ne bouffait pas les mots. Au contraire détachait les syllabes. Du note par note serait-on tenté de dire. Et puisqu'il faut appeler le chat blanc que l'on a dans la gorge un chat, autant assumer tout de suite l'anomalie : résonnait comme celle d'un blanc.
Pour un chanteur de blues ou même de rhythm and blues, ça la foutait un peu mal à l'époque.
Mais il y avait une contre-partie morale : au moins Chuck ne ressemblait à personne d'autre dans la communauté. Et un deuxième avantage sonore et trébuchant : le public blanc plus fortuné et donc plus apte à consommer davantage aimait bien cela. Les patrons de clubs et de bars ne tardèrent pas à le remarquer. Chuck et Johnnie ne manquaient pas d'engagements. En plus nos deux lascars jouaient plutôt mieux que les autres.

CHICAGO CHESS


La montée vers le sommet ne fut pas une partie de plaisir. Aucune fulgurance. Chuck a déjà vingt-huit ans lorsque les portes de studio Chess s'ouvrent devant lui. Pouvez faire confiance à John Collis : son livre sur la maison de disques The Story of Chess Recors fait autorité. L'était monté à Chicago, l'avait traîné le soir dans les endroits où ça bougeait. L'avait déjà vu Howlin Wolf et Elmore James quand il tomba enfin sur Muddy Waters. L'est des moments plus symboliques que d'autres, c'est Muddy Waters qui donne à Chuck Berry l'adresse des studios Chess. Passage de témoin historique du blues au rock.

L'EQUIPEE SAUVAGE


C'est un des épisodes les moins connus de la vie de Chuck. Il adorait les bagnoles. Dès qu'il a eu l'âge de conduire a toujours investi à fonds perdus dans les voitures. Du vieux trascle pourrave, à la cadillac d'occase payable en diverses mensualités... Jusqu'au jour ou à dix-sept ans il est parti avec deux copains on the road, courir la gueuse et l'aventure. Une virée d'adolescents, comme cela se faisait beaucoup à l'époque, chez les jeunes blancs qui voyageaient avec la voiture prêtée par Papa, les poches gonflées d'argent de poche... à part que Chuck et ses potes ils étaient plutôt noirs et désargentés.
Quand l'argent vint à manquer – très vite – résolurent le problème en faisant la caisse des stations services ou boutiques diverses. Excitant au possible. Rigolaient comme des fous. Z'étaient les rois. Jusqu'à ce la teuf-teuf mobile n'en pouvant plus de cette vie de patachon cassa son moteur en pleine nuit au milieu de la campagne. Se demandaient comment ils allaient rentrer quand un automobiliste compatissant s'arrêta pour les dépanner. Mal lui en pris, en trente secondes ils lui confisquent sa voiture et s'éloignent à toute vitesse...
Le mieux est l'ennemi du bien. Revinrent quelques minutes plus tard sur le lieu de leur crapulerie. Avec une idée lumineuse, celle de ramener leur tacot à St Louis en le poussant par derrière avec leur prise de guerre. C'est en cet étrange attelage que les aperçut la patrouille de police qui les recherchait...
Le juge n'apprécia pas le gag. N'avait sans doute jamais lu les Pieds Nikelés. Par contre il connaissait le tarif de la peine maximale. Dix ans de prison. Chuck fit profil bas. Accepta de former un orchestre avec les copains et d'apporter contribution musicale à la messe du dimanche. D'abord celle des prisonniers noirs. Puis des blancs... ce n'était pas tout à fait le bagne, eut même une petite aventure avec la femme du directeur-adjoint... Fut enfin relâché grâce à sa conduite modèle pour le jour de ses vingt-et-un ans...
La plaisanterie avait duré plus de trois ans, aurait-elle été si longue pour un fils de bonne famille blanc ? Poser la question équivaut à y répondre. En attendant Chuck court mille petits boulots durant la journée et accumule les cachets le soir, derrière sa guitare... Ne dit rien, mais n'en pense pas moins.

JOHNNIE JOHNSON


C'est Johnnie Johnson qui téléphona à Chuck Berry pour qu'il se joigne à son orchestre en dépannage, le soir de la Saint-Sylvestre 1952. C'était introduire le loup dans la bergerie. Très vite Chuck se comporte en maître, donne son nom au trio, et conduit les répétitions selon ses directives. Johnnie n'est pas un has been, produit un fabuleux boogie. A de l'instinct, comprend toujours au quart de note les intentions du patron. Suggère des idées, n'est pas un suiveur, mais plutôt un complice. Un alter-ego. Un dynamiseur. C'est le boss qui bientôt se chargera de la comptabilité.
Lorsque Brian Jones disparut au fond de sa piscine, Keith Richards et Mick Jagger, épluchant les papiers laissés par le blondinet s'aperçurent qu'il touchait systématiquement sur tous les contrats passés au nom des Rolling Stones une part de plus que ses camarades. La chose ne dut pas leur paraître scandaleuse car tout de suite ils appliquèrent le même système vis-à-vis de leurs collègues de travail. Sans leur en souffler mot, évidemment.
C'est peut-être pour cette part d'ombre que Keith Richards éprouva d'emblée et d'instinct depuis la première écoute d'un de ses disques une grande admiration pour le jeu de guitare de Berry. Les grandes âmes se reconnaissent toujours. Plus tard, lorsque Chuck laissa tomber Johnnie comme une vielle chaussette après en avoir tiré tout le jus possible, et que le pauvre Johnson clochardisait gaiement, soir après soir, de soupe populaire en refuge de nuit, il se forma autour du malheureux pianiste tout un groupe amical d'admirateurs– dont fit partie John Collis – qui le poussèrent à revendiquer haut et fort sinon les royalties que Chuck ne lui versa jamais, au moins la reconnaissance que sa participation à l'élaboration des morceaux les plus connus de Chuck signés du seul nom de Berry. A partir des années 90, Johnnie Johnson put enfin entamer une véritable carrière sous son propre nom. De nombreux guitaristes eurent l'honneur d'enregistrer avec lui comme Eric Clapton, Buddy Guy, Al Kooper et bien d'autres tous aussi prestigieux. Un certain Keih Richards aussi, le chevalier blanc de la justice du big business...

MAYBELLENE


Passerai pas trois heures à vous décortiquer Maybellene. Offrez-vous le disque. Si vous n'êtes pas frappé par la grâce. Absolument personne ne peut quelque chose pour vous. Retranchez-vous de la communauté humaine, allez vivre parmi les cloportes, mais je vous en supplie arrêtez de me faire prendre mon temps. Soyons simple : Maybellene, c'est du blues supersonique. C'est enregistré chez Chess, autrement dit à la Mecque du blues, avec Willie Dixon aux manettes. Question spécialistes blues, vous ne pouvez pas trouver mieux que Chess. A peine débarqués aux States, les Stones imploreront qu'on les emmène visiter les studio Chess. Bon prenez une chess et écoutez bien ce qui va suivre.
Se sont salement plantés chez Chess. Leur a fait un sacré coup de vice Chuck. Maybellene, c'est tout sauf du blues. C'est même exactement son contraire. Du country. Que Chuck a tricoté à partir de deux vieux titres country. Faut pas prendre les frères Chess pour des imbéciles. Se sont aperçus en trente-six secondes du cadeau que leur façonnait le Chuck. Fini de se crever à enregistrer des disques de blackos que n'achetaient que les blackloss Avec Chuck le jeu changeait de règle : désormais ce serait les petits blancos qui achèteraient les disques de nègres. L'ont pas su tout de suite mais Maybellene passait tout juste à la radio qu'un jeune chanteur blanc l'incluait dans son tour de chant. Un inconnu certes, mais qui s'appelait Elvis Presley. C'est ainsi qu'un certain Sam Phillips, qui - dans son petit local Sun de Memphis - n'était qu'un talent scout pour Chess, se vit confirmé dans sa stratégie de jeu de go musical qu'il essayait d'affiner, retourner les pions noirs pour en faire des pions blancs...
Vous pouvez arrêter de faire la marche du canard devant votre électrophone en gratouillant une guitare imaginaire devant les yeux horrifiés de votre belle-mère. Encore une fois, vous n'avez rien compris. Pensiez qu'il suffisait d'écouter la Gibson de Chuck pour avoir la révélation. Petits frenchies qui n'entendaient goutte à l'anglais, vous passez à côté du véritable prodige. Chuck chante, oui mais chut ! Chuck écrit ses propres paroles. Et là c'est un peu mystérieux, pas de simplets lyrics à la mord-moi le noeud du genre Baby I love you, yes Ido, non mais des vers beaucoup plus subtils, en sept ou huit monosyllabes assemblés à la hâte il vous agence une réalité du monde qui sous sa plume devient indiscutable. Des formules d'une simplicité absolue mais de ces bijoux à la Keats comme vous n'avez jamais osé rêver en fignoler.

OTHERS


Des pépites comme Maybellene, Berry en pondra une chiée plus une. Roll Over Beethoven – à cause de sa soeur qui monopolisait le piano à la maison pour jouer du classique alors que le petit frère aurait bien aimé taper l'incruste blues sur le clavier. Johnny B goode, adressée à Johnson qui buvait un peu trop, avec en même temps cette évidence que ce Johnnie qui n'est pas très sage ressemble beaucoup à un certain Chuck Berry...
Etrangement Chuck n'est pas attiré que par le rock'n'roll. L'on se demande même s'il ne préfère pas l'autre versant de son oeuvre. Je ne parle ni du blues, ni du surfin'. Mais des espagnolades. Calypso et boléro à gogo. Pas du tout le côté flamenco sauvage et gitan qui vous prend aux tripes, non la variétoche latino à la Bing Crosby. Ne s'est pas contenté d'en couver un ou deux pour la couleur locale, l'en a glissé dans toutes les séances d'enregistrement. Pour une réussite comme Havana Moon – parfaite pour la bande son de Gatzby le Magnifique – que d'exotiques mièvreries !
C'est le moment d'aborder un sujet pénible. Pas celui que contient ce paragraphe. Un nègre bourré de fric qui roule à toute vitesse dans des cadillacs neuves avec à ses côtés une jeune et jolie jeune femme blanche, vous avouerez qu'il y a de quoi faire faire râler le fascit pig de base qui ne gagne que le minimum vital. Chuck remarque qu'il a tendance à être arrêté plus souvent qu'à son tour, et que les flics ne sont guère réglos... Ne dit rien mais continue de n'en penser pas moins...

RETOUR A LA CASE PRISON


Avec tout l'argent qu'il gagne s'est acheté un terrain pas très loin de ST Louis dans l'idée d'y construire un park de loisirs interracial. Pas un Disney rempli de manèges, plutôt un truc avec lac pour la pêche et le pique-nique, piscine et boutiques, du personnel à votre service, ambiance familiale...
En 1959, les flics ont une bonne prise. Une indienne qui se révèlera beaucoup plus jeune qu'il n'y paraît, quatorze ans et qui travaille au Berry's Park. Il est sûr que notre afro-américain n'est pas blanc comme la neige sur ce coup-là. Est indubitablement sorti avec elle. Chuck avait ce terrible défaut uniquement partagé par la race noire comme chacun sait de préférer les filles jeunes et jolies. Les juges demeureront intraitables, il est sûr que vu sur leur angle l'artiste est coupable, il est indubitablement noir de peau. Quant à la petite Janice, elle ne pèse pas lourd dans la balance. Faut dire que le cas de la petite indienne mexicaine ne les émeut pas trop. Après deux longues années de procédure en tout début des sixties, Chuck entra en prison le 19 février 1962...

LE RETOUR A LA LUMIERE


En ressortit le 18 octobre 1963. Lennon s'est rendu célèbre en affirmant que le rock'n'roll est mort le jour où Elvis partit à l'armée. En tout cas ce séjour loin de la maison a peut-être permis de sauver le soldat Presley. C'était une loi du showbiz. Au bout de deux ans de succès, un chanteur quel qu'il fût voyait sa cote diminuer. Lentement pour les meilleurs, mais sûrement pour tous. Fauché en pleine gloire, Elvis devint dans le coeur des fans le martyre du rock'n'roll. Resté a Memphis, il aurait fini par lasser les foules oublieuses, dans la froide Germanie il devint un mythe.
Mais Berry n'était pas Presley. Dès 1958 sa carrière commença à décliner. Ne parvenait plus à accoucher d'hymnes aussi sublimes que ses premiers morceaux. La prison le sauva. Au lieu de courir les contrats et les minettes, Chuck eut tout le temps d'écrire de nouveaux morceaux de qualité bien supérieures à ceux que depuis plusieurs mois il bâclait quelque peu dans le tourbillon d'une popularité toute nouvelle pour lui. Nadine, You Never Can Tell, Promised Land lui permirent de relancer sa carrière.

LA DIVINE SURPRISE


Mais la reconnaissance vint d'ailleurs. D'Angleterre. Incroyable mais vrai, dans ce pays lointain toute une frange de la jeunesse s'était mise à la guitare en essayant, plutôt mal que bien, de recopier les accords de Mister Chuck Berry. Dès 1964, ils débarquaient aux USA pour réapprendre le rock'n'roll aux américains. Rolling Stones, Animals, Yardbirds, Pretty Things... le rock anglais investissait le devant de la scène.
De tous les premiers rockers Chuck Berry fut celui qui profita le plus du tsunami britannique, car très vite les pionniers furent balayés par cette vague sans mémoire. L'aurait pu y trouver un baume pour son coeur. Mais non au fond de lui-même Chuck ne parvint jamais à surmonter le ressentiment de ses précédents déboires juridiques. Profita de l'aubaine oui, vint tourner en Europe, donna quelques prestations magnifiques que plusieurs télévisions nationales surent archiver et que l'on peut retrouver sur le net. Le coeur n'y était plus. D'abord ce fut par intermittences, puis peu à peu il prit l'habitude de n'envisager ses concerts que comme des sources de revenus.
Prit l'habitude des gigs sans rappels, chronométrés à la minute près, si possible avec des groupes locaux, la plupart du temps dispensé de répétitions. Ce qu'il y a de terrible c'est qu'aujourd'hui encore il continue le même topo. Dans son optique il n'a pas tort, les gens ne viennent pas pour l'entendre jouer, mais pour voir le roi du rock, la légende vivante, le mythe immortel. Après un concert de Chuck, si chiatique qu'il ait été, les seuls mécontents sont ceux qui l'ont raté. En plus parfois, il est dans un de ses bons jours philanthropiques et il vous régale d'une prestation incomparable.

TOULOUSE 1977


Stadium de Toulouse. La scène est installé dans le virage, le public nombreux a posé son cul sur les gradins. L'on n'a pas voulu abîmer la pelouse. Aussi a-t-on installé des barrières pour que personne ne vienne piétiner l'herbe sacrée. Enfin pas tout à fait. Car l'on a laissé rentrer les rockers, les vrais revêtus de leurs perfectos, les organisateurs ont pensé à la couleur locale. Peut-être aussi se sont-ils dits qu'il vaut mieux offrir aux excités ce qu'ils veulent avant qu'ils ne décident de le prendre tout seuls.
Ce n'est pas sympa ce que je veux dire mais c'est la stricte vérité. En vedette américaine, il y a des anglais – et pas n'importe qui Flying Saucers avec Sandy Ford, l'autre groupe avec Crazy Cavan du renouveau rockabilly en Angleterre ). On ne les a pas entendus. Ils auraient pu chanter la messe en latin tout nus sur un stradivarius on ne s'en serait pas aperçu. Tellement l'énervement était grand.
Enfin Chuck les rejoint sur scène. Pour nous c'est du petit lait. Pour les Flying Saucers le supplice commence. Vicelard le Chuck, j'annonce Johnny B. Goode et je lance l'intro de Maybelline. L'en rigole. Puis il leur fait le coup du rythme donné en frappant le plancher du pied. Les Flying Saucers embrayent comme à la manoeuvre tous ensemble, pas de chance Chuck se lance dans un morceau dont l'assise rythmique est d'une toute autre facture. Chuck jubile. Doit pas croire aux soucoupes volantes le Chuck puisqu'il fait tout pour qu'elles s'écrasent au sol. Les englishes vous tirent une de ces gueules, si leurs yeux pouvaient tirer serait mort depuis longtemps, le Chuck.
Entre parenthèses s'en tirent mieux que bien, les Flyers Attention aux retournements en épingles à cheveux, ça mord sur les bas-côtés mais ils rattrapent toujours le goudron l'on ne sait pas trop comment. Chuck a beau mener la course en tête et emprunter des raccourcis impromptus, lui collent sans cesse au cul et ne le laissent pas s'échapper. Ça caracole dur. Ce magnifique salaud de Chuck nous la met bien profond. Et l'on aime ça, cette désinvolture de malappris qui vous repasse des riffs en carton-pâte en étant sûr que ce sont les soutiers qui l'accompagnent qui vont vous les tremper en acier suédois de première catégorie.
La preuve que ce doit être bien, j'ai trouvé sur le net un témoignage d' Anquetil – non pas le cycliste, l'autre Thierry, un de nos plus fins guitaristes de blues français – qui avoue que venu un peu par hasard au concert, avait eu ce jour-là, grâce à la guitare magique de Chuck, la révélation du blues et de son futur métier de musicien...
Aussi quand Chuck quitte la scène, ni une, ni deux, les rockers lui font une haie d'honneur triomphale. Parfois je regarde ma main droite et je me dis que bien sûr elle n'a pas touché le Christ, mais qu'elle a connu beaucoup mieux que ça, puisqu'elle a serré la paluche à Chuck Berry. On applaudit aussi les Flying Saucers qui invitent tout le monde à les suivre dans les vestiaires pour partager la suite des festivités. Chuck disparaît en trois secondes, cela ne nous empêche pas de nous jeter sur le buffet, les Flyings maudissent Chuck, mais comme ils ne parlent pas français et que toute la bande de rockers qui se trouvent là ne possèdent que de maigre rudiments de la langue de Shakespeare, Sandy Ford sauve la situation en s'emparant d'une gratte et tout le monde se met à chanter en choeur ( et parfois en yaourt ) les grands standards du rock américain. L'on finira par Be Bop A Lula de Gene Vincent. L'extase.

TEL QU'EN LUI-MÊME LE BRONZE LE CHANGE


Les Flying Saucers ne furent pas les seuls à subir de telles déconvenues. Dans Life son autobiographie Keith Richards raconte comment il s'est fait virer de sçène parce qu'il jouait trop fort, et le calvaire que fut pour lui le tournage de Hail ! Hail ! Rock'n'Roll, film à la gloire de Chuck, dans lequel ce dernier fut d'un désagréable à toute épreuve !
Le plus terrible c'est qu'aujourd'hui tout le monde en rit et que personne ne peut lui en vouloir. On l'a intronisé en grande pompe au Rock'n'Roll Hall of Fame de Cleveland, le 29 juin 2011 la ville de Saint Louis a inauguré une statue en bronze et grandeur nature de son enfant le plus célèbre. Le plus terrible aussi, puisqu'il défrayé la chronique grâce aux caméras qu'il avait installées dans les toilettes pour dames... des histoires comme cela il en court à toison, pardon à foison, et des bien plus croustillantes jusqu'à des vidéos « légèrement » indécentes sur internet...
Les flics ont réussi à le renvoyer deux mois en prison pour quelques signatures oubliées sur un papier officiel, une broutille qui normalement se serait arrangée sur un simple coup de téléphone, mais pour Chuck ce fut la peine maximale. Je vous accorde que l'homme n'est guère sympathique. Pingre, tricheur, mauvais joueur, retors, je-m'en-foutiste, profiteur. Le genre de gars qui non seulement ne vous renvoie jamais l'ascenseur mais qui le garde alors qu'il n'en a plus besoin, et même qu'il préfère y mettre le feu rien que pour vous embêter. Une sale mentalité. Escrock'n'roll !
Oui, mais dès que vous entendez l'intro de Johnny B. Goode, vous n'en avez plus rien à faire. L'individu est mauvais. Mais le rocker est insurpassable. Ça tombe bien car sur KR'TNT l'on n'aime que le rock'n'roll.

Damie Chad.

Suffers USA

Les Suffers ne viennent pas de Californie, mais du Texas, et pour être plus précis, de Houston. Ils ne jouent pas le Surfing USA mais la Soul USA et quelle Soul, baby blue ! La Soul qui monte droit au cerveau et qui flatte l’intellect, la Soul qui surprend par la pureté de ses harmoniques et qui ne force pas la main, une Soul qui est à la Soul ce que Rolls Royce est à Renault, une Soul qui fait la différence sans trop la ramener. Les Suffers proposent une Soul tellement élégante qu’on aurait tendance à la croire anglaise, mais non, cette grosse équipe puise dans la culture artistique du peuple noir et crée les conditions du miracle. Sans surenchère. C’est là où ils sont très forts.
Les voilà sur scène. Comme tous les groupes de Soul, ils sont nombreux, batterie, percus, claviers, guitare, basse, deux cuivres, ça en fait déjà huit, plus une chanteuse, la grosse Kam Franklin qui comme la petite chanteuse black des Seratones ne fait rien pour arranger les choses, puisque pesant au bas mot 150 kg, elle arrive sur scène en jupe courte et en santiags avec un haut en dentelle noire transparente. Elle est énorme, au propre comme au figuré. Elle fait en effet partie de ces artistes fabuleux qui savent se lancer à la conquête d’un public. Cut après cut, elle se met en effet tous les petits culs blancs dans la poche. Kam Franklin est une superstar en devenir. On espère secrètement qu’elle trônera un jour en tête des charts, car même si elle n’a pas la carrure d’une Aretha ni la niaque d’une Sharon Jones, elle n’en propose pas moins d’un truc qui lui est propre, une sorte de feeling sous-jacent qui l’expédie vers le firmament lorsque ça s’avère nécessaire. Kam Franklin est une Soul Sister d’une très rare intensité. Comme Bettye Swann, elle ne passe jamais en force. Elle passe en beauté. Son style paraît unique. Le côté sophistiqué de sa Soul évoque aussi celle du grand William Bell. En fait, ce qui frappe le plus quand on voit jouer les Suffers, c’est leur authenticité. Ils jouent avec une innocence qu’on croyait disparue. Ils sont sur scène pour shaker le shook et tout le monde danse, à commencer par John Durbin et Michael Razo, les deux cuivres. Ce qui rend leur Soul encore plus capiteuse, c’est qu’ils tapent aussi dans le latino et là ça prend des proportions d’une fête au village, mais pas un village du Cantal, non, il faut imaginer une fête au pays cajun.
Les Suffers n’ont enregistré qu’un seul album, mais ils disposent déjà de deux hits planétaires : «Make Some Room» qu’ils jouent en rappel et l’infernal «Giver» que Kam explose sur scène. Elle prend «Make Some Room» au softah du groove et on assiste à une sorte de petit miracle mélodique, dans la rosée d’un matin des magiciens, elle pauwelle son envol et cristallise l’essence du hit de Soul tel qu’on l’entend - Can’t you see - Alors, oui, on lui répond oui, on ne voit qu’elle et l’infernal bassman chicano, le petit Adam Castaneda qui yaquite la Soul sous la forme tangible de basslines monstrueusement élégantes, tellement élégantes qu’on pense à James Jamerson. Oh, Adam ne pulse pas le beat avec la bravado du seigneur des anales, il joue plutôt en retrait, mais il joue à l’instinct et c’est là, très précisément, que s’opère le rapprochement avec l’âme damnée du Tamla Sound. Rien de plus merveilleux que de voir jouer un bassman instinctif. Il place ses triplettes au pitch de bout des doigts et roule sa Soul dans l’argent d’une pluie d’étoiles molles. Il joue sur une basse Gibson rouge à cornes et sort le plus rond des sons. La Soul semble s’offrir aux caresses de ses petits doigts boudinés et il lui arrive parfois de titiller certaines notes d’un petit geste spasmatique. Il mystifie la Soul et sous ses doigts, le son plonge ses racines dans les profondeurs de la terre pour ressurgir et flatter la narine du lapin blanc à la façon d’une petite fumée. On parle ici de l’herbe du diable, bien évidemment.
Avec «Giver», on passe au nec plus ultra de l’ultraïsme ontologique, car quand Kam chuinte hey baby I’ll be your giver, on tombe amoureux d’elle, même si elle pèse une tonne. Elle devient soudain une tonne adorable, une tonne érogène chargée d’hydrogène, on dirait qu’elle crée des stratosphères pour loger sa Soul tellement l’ampleur submerge l’entendement. L’ami John Durbin passe un solo de trompette magique et la tonne revient pour arracher la Soul du sol et l’envoyer crever l’œil du firmament, c’est exactement ce qui se passe, la Soul entre en lévitation et lévinasse jusqu’à plus soif, car Kam gueule des tonnes de cum, elle n’en peut plus de te gaver de Giver, elle finit par mettre sa Soul en pièces et franchement, on ne voit pas souvent des gens s’investir autant dans une mission. Kam Franklin relève de l’admirabilité sensorielle des choses. Elle est la tonne de rêve, la machine molle du Matching mou, la patate à la tonne pataphysique, la grande Satrape archéménide du collège amovible, elle pèse vraiment une tonne de très riches heures de la Soul moderne, elle surgit dans l’actualité comme une comète tombée du ciel, et le plus incroyable de toute cette histoire, c’est qu’elle n’écrase personne. L’insoutenable légèreté de la tonne relève du mystère. Elle échappe totalement aux lois de la physique. Elle shéhérazade la Soul, la mystifie, oh il faut l’entendre implorer ce mec dans «Stay», elle colle au culte et fait sa Nina si bonne, elle convaincrait n’importe quelle bordille de rester dans son lit. Le temps d’un cut Kam crie et crée les conditions de l’ampleur intercontinentale, elle ah-ooohhhte et en entonne des tonnes, elle incarne si bien l’esprit de la tonne qu’on s’en étonne. Quand on entend un classique comme «Dutch», on réalise subitement que ce gang texan relève de l’exemplarité cabalistique, car ils échappent totalement à la réalité. Encore une fois, Kam ne force pas la main, elle passe en finesse et John Durbin nous turbine l’un de ces petits solos de trompette dont il a le secret. On entend encore le premier homme, c’est-à-dire Adam Castaneda, faire des ravages sur «Better» - Be my shelter - un slow groove de séduction suprême. Allez, tiens, encore un fabuleux shoot de groove avec «Midtown», joué aux petites montées en température. On se fait baiser à tous les coups, c’est tellement bien nappé aux trompettes qu’on se pince pour revenir à la réalité et vivre le rêve à l’endroit. Cette musique vaut toute la Soul du monde et franchement, les amateurs éclairés devraient tous se jeter sur cet album qui n’est même pas sorti sur un label. Les Suffers se sont cotisés pour sortir leur album et on les remercie d’avoir pensé à nous. L’un des temps forts de cet album est un cut nommé non pas désir comme le tramway mais «Good Day» comme le sunshine du même nom. S’il monte au cerveau, c’est sans doute parce qu’il dégage un puissant parfum de reggae et même si on n’aime pas le reggae, on se prosternera car Kam chante ça avec un souci constant de retenue, avec ce feeling qui n’appartient qu’à elle. La bassline des profondeurs de la terre que joue Adam Castaneda sur «Good Day» relève du sortilège amérindien. C’est là, à ce moment très précis, qu’on réalise qu’Adam Castaneda est l’âme des Suffers.

Signé : Cazengler, sucker
Suffers. Le 106. Rouen (76). 16 mars 2017
Suffers. The Suffers. The Suffers 2016

18 / 03 / 2017MONTREUIL
L'ARMONY
BILL CRANE + ABK6

Je ne suis pas débile chantonne la teuf-teuf, elle crâne un tantinet. Mire-moi cet emplacement, en plein Montreuil, de quoi mouiller quatre porte-avions les yeux fermés. Je la remercie, lui tapote gentiment l'aile gauche et me dirige vers l'Armony.
Je ne vois que lui. Sur son piédestal, rutilant de mille feux, l'instrument le plus dangereux du combo rock. Le saxophone baryton ! Le cuivre de tous les dangers. Je ne parle pas du décollement de la plèvre du poumon contactée à force d'impulser votre souffle dans la tuyauterie, ce sont les risques du métier, mais ceux occasionnés par son transport. Vous n'avez qu'à essayer, vous m'en direz des nouvelles. Vous le tenez innocemment par le coude supérieur, dans le but innocent de le coucher sur la banquette arrière de votre voiture stationnée à trente mètres, vous voici entouré par les fins limiers de l'anti-gang, flingues aux poings, tout tremblants d'excitation, persuadés que vous alliez vous en prendre au bazooka sur l'habituel véhicule de transport de fonds du mercredi soir. Vous prenez donc l'habitude de le glisser dans son bel étui que vous baladez à bout de bras, tous les matins pour la répète hebdomadaire. Vous pensez passer incognito, peine perdue, vos voisins vous ont dénoncé pour transport régulier de cadavre de petites filles dans mini-cercueil ignominieusement aménagé à seule fin d'assouvir vos inqualifiables turpitudes à l'abri de tout soupçon.
D'ailleurs Pat, le saxophoniste fait semblant de ne pas en être le propriétaire, s'est assis derrière la batterie et accompagne ABK6 qui chauffe sa voix. Petit groupe de rockers qui discutent, Csaka, soixante-douze printemps au compteur et une fougue de jeune homme, conte les années d'or des french sixties, évoque longuement son ami Moustique qui passa en première partie des Beatles et des Yardbirds. La conversation dévie sur les pionniers - et appréciez le flair des rockers, l'est à peine vingt heures et la nouvelle n'est pas encore sortie - nous nous attardons, chacun y allant de son anecdote croustillante, longuement sur Chuck Berry... Bye-bye Johnny B. Goode, ce soir c'est Johnny very bad.

ABK6


Rien à voir avec le code secret d'identification d'un sous-marin nucléaire, c'est Daniel Abecassis, et sa guitare. L'a un son fabuleux, une atmosphère à lui-tout seul, on l'écouterait jusqu'au petit matin sans se lasser. Une épaisseur, une dimension. Et la voix. Très rock'n'roll. Vous auriez dû entendre les compliments dont les filles l'ont couvert à la fin du set. Nous, on n'existait plus. En plus, il nous a fusillés, on ne connaissait pas, ce ne pouvait être que des reprises, de qui ? De quoi ? L'on n'aime pas jouer les ignorants alors on a posé la question l'air de rien, euh au fait c'est de qui le dernier morceau ? Toutes des compos, de mon prochain disque, je les ai essayées pour voir si elles passaient bien. Une petite dizaine de titres, et puis l'a rangé son matos, et s'est éclipsé, météorite qui ne laisse que le souvenir de son passage. J'ai un groupe aussi nous a-t-il avoué, The Daniels, mais là c'est plus rock. Faudra examiner de plus près.


BILL CRANE


Eric Calassou est au centre de la scène et du projet Bill Crane. Une espèce d'hétéronyme collectif. Quand on rajoutera qu'Eric Calassou écrit aussi de la poésie, qu'il peint et fait de la photographie, l'on s'aperçoit que le personnage n'est pas dépourvu de ressources. L'attitude rock'n'roll est aussi une esthétique qui flirte avec la notion d'art total wagnérienne. Pour ce soir Bill Crane dévoile le rocker dans sa nudité d'expression, le rocker réduit à sa guitare et à son micro. En rock, tout est révélé dès le riff du premier morceau. C'est comme dans le poème de Parménide, vous n'avez que deux chemins, Black Cat Town, ou le matou ventripotent ronronne sur le canapé du salon, ou le greffier affamé court la gueuse sur les toits vertigineux du désir en feu. Calassou ne déçoit pas, vous passe les riffs en contrebande sur les sentiers de haute montagne, là où les douaniers refusent de s'engager, pentes glissantes et névés accumulés. Un rock qui vous brûle à la peau, acéré comme une lame de rasoir, la voix qui halète, froide, impersonnelle, tranchante, la grande déglingue sur les pitons rocheux. Un rock à la limite du punk, moins rapide, mais plus soutenu. Enfile les titres comme des cheminées de pierres branlantes, Loverman, Nipa, Travelin' man, et à ses côtés le band s'abandonne. Gwen à la basse tout de noir vêtu, pratiquement immobile, mais ses doigts pitonnent les parois glacées, l'enfonce un long clou chaque fois qu'un de ses doigts agrippe une corde dans le basalte sonore. Pat est au baryton, chie de l'or, de courtes ponctuations, semble à chaque expiration vous estampiller le visage d'un lingot du métal le plus précieux celui que Cipango mûrit dans ses mines, dixit José-Maria de Hérédia, ou alors de longues coulées métalliques qui s'étalent prodigieusement, vous enserrent à la manière des boas constrictors qui vous étreignent en une fatale embrassade. Se surnomme Bobo, vraisemblablement parce qu'il fait mal. Cheveux bouclés, yeux clairs et forte silhouette. Chez lui un coup de baguette équivaut à une rafale de kalachnikov. Un pousseur, vous talonne et vous envoie de ces coups de pieds dans l'arrière-train qui vous propulsent droit devant. Un batteur qui ne monte pas les oeufs en dentelle de neige translucide, vous les pond tout durs, des projectiles idéaux, des grenades que les troupes d'assaut utilisent pour mettre un peu d'ordre dans les bastions ennemis. Une frappe puissante, à la fin du deuxième set nous offrira un de ces petits solos comme on les aime bien, du genre Jupiter qui joue aux castagnettes avec le tonnerre. Pas du tout la sombre brute qui tape sans s'arrêter sans s'apercevoir que le pauvre gars qu'il martèle est mort depuis dix minutes, non, un subtil, qui allie la finesse incisive du percussionniste à la puissance du pusher. Rapière et sabre d'abordage.
Tous en choeur sur Alabama Song, le pauvre Kurt Weill, passé au laminoir. Vous leur montrez le chemin, mais ne s'attardent pas, le prochain whisky bar et the next little girl, ne sont pas des stations prolongées ou gourmandes. Vous nettoient les verres et les sexes en trois coups de langue et hop on passe à la suivante. Calassou ne donne pas dans la délectation morissonnienne, ne s'alanguit pas sur l'onctuosité doorsienne, le rock'n'roll est une affaire trop sérieuse pour s'attarder on the road. Nous avait déjà dynamité le Maybe Baby de façon peu respectueuse, Bill Crane n'est pas un fan transi de l'hagiographie respectueuse. Le combo pulse et propulse. Lonely, She's my Baby, The Train, Move it, les titres se suivent et se ressemblent, un groupe de loups qui chassent en meutes, mais attention, chacun possède sa morsure particulière, quand ils se ruent sur vous et se disputent vos tripes vous avez l'occasion de différencier les types de dentition qui vous fouillent le ventre.
Une interruption, perso j'eusse préféré que les deux sets – le dernier relativement court – n'en formassent qu'un. Dès qu'ils reprennent, recollent les deux bouts du bâton de dynamite en trente secondes. Magie du rock'nroll, une mixture brûlante qui ne refroidit jamais si vous la laissez reposer. Evidemment faut être un grand chef pour que la cuisson se prolonge tous feux éteints. Et Bill Crane possède le secret. C'est reparti comme en soixante, ce soir l'on touche à l'essentiel, le rockband au fond d'un rade de banlieue qui assure plus que grave. Qui vous troue la peau à chaque morceau, qui vous déglingue le cerveau à chaque riff, qui vous envoie dans les cordes, puis vous pend, puis vous étrille, puis vous ligote, puis vous ficelle sur le bord de la route et vous passe dessus à toute vitesse. Bref quand c'est terminé vous n'êtes pas déçus. Vous avez participé à un épisode de plus de la grande histoire du rock'n'roll. En victimes consentantes. C'est ça le rock. Et l'on aime. Merci à Bill Crane de nous l'avoir rappelé.

Damie Chad.


BARBIZON / 15 – 03 – 2015
SCENE OUVERTE DU BLACKSTONE
MICK RAVASSAT & TRISTAN

Peu de monde ce soir au Blackstone mais l'on s'en fout car la musique est bonne. Petite discussion avec Thomas des Jallies – non les demoiselles ne sont pas là, les a laissées, cruelle épreuve, à la maison faire la vaisselle – mais l'on a Tristan de Lizard Queen juché sur son tabouret, tient – non pas un fromage en son bec – mais une acoustique sur secteur en ses mains. N'est pas triste Tristan, éclate de rire à tous moments et vous envoie sans arrêt de ces rudiments de riffs qui vous poinçonnent les oreilles de fort agréable manière. En face de lui, Mick Ravassat – l'on m'avait prévenu, le meilleur guitariste de la Seine & Marne – le meilleur je ne sais pas, mais sûrement un des plus fins renards du manche, se faufile partout et vous débusque la note bleue au fin-fond des terriers les plus profonds. Avec une assurance et une aisance renversante. Sans esbroufe, les doigts qui courent sans se presser, qui se posent à l'endroit adéquat sans ostentation ni cinéma et le blues qui coule comme un robinet d'eau soufrée. N'est pas un manchot du tube non plus. Un style à la Clapton, ces notes infinies sans clap de fin qui s'allongent démesurément comme la pâte de verre à qui le souffleur donne vie et forme. Bien sûr que l'on tuera le sheriff, que l'on caressera la femme noire et magique, que l'on construira the wall, que l'on déroulera le tapis rouge sous les pieds du sultan du swing, bref tout ce qui permet à l'oiseau bleu de s'envoler vers le ciel zénithal, et de l'autre côté Maître Tristan ne se contente pas de regarder passer les oies sauvages, vous les fusille à bout portant, les mitraille d'impressionnantes volées de mains rageuses sur sa guitare, ne seront pas seuls Julien s'installe à la batterie et épaissit la sauce, Olivier prend la basse et puis la guitare – faut oser et s'en tire avec les honneurs - aux côtés de Mick Ravassat, Jean-Pierre s'en vient pousser deux ou trois soli de sax et la soirée s'écoule trop vite. Amandine et sa copine se chargent des vocaux pour deux morceaux, les autres assurés en alternance par Mick et Tristan. Deux petites heures magiques, qui vous requinquent pour la semaine.
Et une petite douceur finale avant de partir, une redécouverte sur grand écran et gros son, ce qui change la donne, le clip de Doom and Gloom, totalement déjanté. Petite merveille filmique. Pas de lézard, les Stones assurent comme au temps de leur vingt ans.

Damie Chad.

LE ROCK ANGLAIS
ALAIN DISTER


( Albin Michel / Rock & Folk / 1973 )

Alain Dister ! Belle plume et œil incisif. Un témoin décisif. En 1966 traînait ses guêtres en Californie. L'a assisté de près à la grande mutation du rock'n'roll. L'on suivait ses aventures dans Rock & Folk, n'a jamais lâché prisé, se mouvait dans les marges, du phénomène hippie à l'explosion punk, l'a toujours suivi les pistes les plus broussailleuses. Le stylo à la main, la photo-box dans l'autre. Le lecteur se rapportera à notre présentation de son livre Punk, Rockers ! In Kr'tnt ! 38 du 04 / 02 / 2010, un de ses derniers livres. L'en a publié une quarantaine, Le Rock Anglais est un de ses premiers parus en octobre 1973, dans cette même collection d'où nous avons exhumé la semaine dernière les Pionniers du Rock'n'Roll de Michel Rose.
Le reconnaît lui-même, l'histoire du british rock en moins de deux cents pages, une gageure impossible. Cela nécessiterait au minimum une encyclopédie ! Les temps lui ont donné raison, en plus de quarante ans les rayons de bibliothèque ont vu s'entasser nombre d'ouvrages consacrés à la période des débuts du rock britanniques, mais ce modeste fascicule de Dister n'est pas à regarder d'un air distrait. D'abord l'est un des rares – et en notre langue à ma connaissance the first – à porter témoignage de l'intérieur du cyclone. Ne s'agit pas d'une tardive remémoration plus ou moins mythifiée et mythifiante. Genre témoignage irremplaçable de ceux qui ont vu de près la bête du Gévaudan et ont même subi quelques uns de ses assauts. Rares sont ceux qui gardent la tête froide en ces occasions. L'adrénaline à gros flots brouille la vision d'ensemble. Vous ne pouvez récuser ces dires issus d'une confrontation indéniable mais au-dedans de vous êtes déçu, rien de décisif quand vous y réfléchissez à tête reposée...
Ce qui n'était pas le cas lorsque je me suis dépêché d'acheter le bouquin à sa sortie. Le rock anglais, on n'y nageait dedans, une patrie d'adoption, on ne vivait que par lui, que pour lui. C'était encore pire pour l'amerloque, mais ceci est une autre histoire. L'ai lu au premier degré. Un ravissement continuel. Vous tourniez la page, et vous vous rengorgiez, bien sûr que je connais ! L'impression de feuilleter l'album photos de famille, vous identifiez sans peine tous les personnages et vous aviez leur musique dans la tête. Vous vous payiez même la moue désapprobatrice du connaisseur scrupuleux, la photo d'Action c'est sympa, mais l'aurait pu leur consacrer une dizaine de lignes, l'a quand même marqué son temps ce groupe. Bref vous en ressortiez gonflé à bloc. La preuve était faite : vous veniez de recevoir votre confirmation d'initié supérieur de la secte. Le regard condescendant que vous jetiez sur la triste foule fantomatique de vos contemporains, triste humanité dont le coeur n'avait pas été transpercé par le glaive du rock'n'roll, n'en devenait que plus méprisant, ce livre équivalait à une caution morale.
L'ai donc relu. Première constatation, le premier chapitre Tommy Steele, Cliff et les Shadows, manque un peu de consistance. Beaucoup de noms – certains empruntés à Jacques Barsamian – et peu de matière. L'os mais pas la chair. Etrangement à l'époque la geste des pionniers était moins connue que de nos jours. Semblait reléguée en des temps préhistoriques. Le tsunami déclenché par l'apparition des Beatles avait englouti dans l'oubli ces temps de vieilleries obsolètes. Cette disparition peut aussi s'expliquer sociologiquement : les premiers fans de rock'n'roll issus des milieux prolétariens ne furent pas des plus efficaces lorsqu'il aurait fallut fixer par écrit les chocs émotionnels qu'ils avaient vécus. Eurent un réflexe contractif de repli sur soi. Formèrent une société fermée, la citadelle assiégée, qui se transmirent de bouche à oreille la grande légende émerveillante, prenant bien soin à ce que rien de ce savoir secret se transmette au-dehors. De toutes les manières, cela n'intéressait personne. L'est vrai aussi que les rares rockers qui avaient survécu et étaient encore visibles au second tiers des sixties avaient été salement châtrés par le showbizz qui s'était empressé d'arrondir leur aspect anguleux. Les aigles sauvages roucoulaient désormais d'insipides chansonnettes d'amour tiédasse...
Deuxième constatation, le livre fleure bon son époque. Son aspect principal n'est pas musical. Même s'il ne parle que de musique. Alain Dister entrevoit le rock'n'roll en tant que phénomène social. Ce n'est pas un artiste qui se réveille un beau matin en trouvant sur sa guitare un riff particulièrement entraînant et dans sa tête l'idée toute fraîche d'un style tout neuf. La réalité est plus complexe. La superstructure évolue au rythme des changements de l'infrastructure. C'est ainsi que Marx aurait présenté la chose. N'oublions pas qu'au début des seventies ce genre d'analyse a pénétré bien des mentalités et s'impose plus ou moins consciemment comme la vulgate idéologique de base qui préside à toute réflexion synoptique. Les transformations des modes de production influent sur les métamorphoses comportementales des individus et des groupes. Nos goûts et nos couleurs ne nous appartiennent pas en totalité. Nous sommes davantage actés qu'acteurs de nos propres existences. Notre liberté est déterminée par les circonstances dont elle essaie de se libérer. La prison de nos enracinements dans l'ici et maintenant existentiel est l'espace nécessaire à l'exercice de nos volitions.
L'émergence du rock anglais, nous l'avons vécu dans le désordre. Vous allumiez la radio et deux ou trois nouveautés vous tombaient sur le museau illico. Vous aimiez, vous détestiez. D'instinct. Par ignorance incompréhensive. Par reconnaissance rassurante. Vous naviguiez à vue. Vous vous laissiez griser par cette surabondance. Des groupes comme s'il en pleuvait. Vous n'aviez plus qu'à faire votre choix. Un véritable rayon de supermarché. Abondance de biens ne nuit pas, et vous remplissiez le caddie de vos oreilles sans trop réfléchir. Dans les situations d'urgence, Dieu ne reconnaît-il pas les siens ? Et vous viviez sur le nuage rose de votre égo jouissivement divin.
Tout le monde agissait ainsi. Sauf Alain Dister apparemment. Ne s'ébattait comme un poulain fou dans un pré d'herbe tendre. Mettait de l'ordre dans le chaos. Etiquettes sur les flacons et précision d'entomologiste qui avec une diabolique perspicacité vous décrit les moeurs de reproduction du moindre scarabée qui passe à sa portée. Le pire c'est qu'à le lire vous ne cassez pas la verroterie d'un coup de main désinvolte, vous vous inclinez devant la subtilité du travail. N'enferme pas dans des petites cases, vous explique comment comment se sont constituées les petites icônes du jeu de l'oie du rock'n'roll. Et surtout comment et pourquoi elles se suivent dans tel ordre et non autrement.
Ne s'agit pas d'un fondu-enchaîné, l'on n'évolue pas insensiblement vers le mieux ou le pire. Le phénomène procède par accoups. Les cases prisons sont des impasses, des cul-de-sac de dormition profonde. Un jour ou l'autre vous vous réveillerez et vous en sortirez. Entre temps, d'autres ont continué le chemin qui se révèle être un labyrinthe aux galeries finement entrecroisées. Résurgences et sauts qualitatifs. Le même se répète et engendre son contraire. Les rockers boudent dans leur coin. Les étudiants s'adonnent aux sages joies du trad-jazz. Cours camarade le vieux monde est devant toi et tu le rattrapera sans problème. Trois ans plus tard, les nouveaux inscrits à l'alma mater ont des impatiences dans les jambes. Ma petite-bourgeoisie tient à profiter au plus vite de la société de consommation qui se met en place. Il ne s'agit plus de vivre vite pour mourir jeune, mais d'être jeune pour consommer à outrance. Les Who seront les parangons musicaux de cette fièvre de modernité qui n'en n'est pas moins émancipatrice. Du coup se sont les rockers prolétariens qui se réveillent. Se sentent doublés sur leur gauche par ces classes de petits-besogneux à prétention intellectuelle. Rien de pire que vos ennemis de classe qui s'en viennent brouter vos plates-bandes. La tension monte et Brigthon connaîtra ces bagarres entre mods et rockers qui l'ont rendu plus célèbre que ses fameux rochers de sucre d'orge.
Les Beatles à l'origine des rockers, mais Brian Epstein saura les dissuader de briser le mythe prolétarien de l'auto-enfermement de la révolte inutile et peu productive. Faut savoir mettre de l'eau dans son vin. Auront l'intelligence d'user de la bonne dose. La première génération des rockers est un exemple parlant. Des concessions, oui. Mais une reddition complète, non. Le succès leur permettra de s'essayer à de nouveaux mélanges. Les avancées technologiques, l'ouverture à d'autres cultures musicales, leur permettront de briser les barreaux de la cage du rock'n'roll pour s'en aller flirter dans les banlieues de la musique contemporaine. Seront très vite dépassés par des groupes pourvu d'une solide culture classique.
Leurs frères ennemis, les Rolling Stones, musicalement sont issus de cette frange d'amateurs de trad-jazz qui s'en sont allés explorer le blues rudimentaire. De superbes manipulateurs, cultivent l'arrogance natale du petit-bourgeois en la faisant prendre pour l'expression des révoltes larvées des plus humbles rebelles, vous transforment les lanternes en vessies et se servent de ces dernières pour vous pisser dessus. Pas de problème, vous aimez ça. Même que vous ouvrez la bouche pour ne rien laisser perdre de cette onction régénératrice.
Le blues séminalise le rock. Requinque le bâtard à coups de grandes claques sur la gueule et de forts coups de pieds au cul. Genre de médicamentation qui ne peut faire de mal. Ce retour aux fondamentaux est nécessaire. C'est que plus haut que vos fesses, dans votre tête, ça barjote salement. Un peu trop de fumée embrouille vos synapses. Les soirées à planer dans les light-shows planant du Pink Floy ne faut pas en abuser. Les flamants c'est comme les éléphants quand ils se teintent de rose, c'est l'alerte rouge. Foutez-les doigts dans la prise, rien de tel qu'une bonne décharge d'électricité pour vous refiler du jus. Hendrix et Cream sont là pour vous le rappeler. Hendrix, pas de problème, c'est le torrent impétueux, le déluge de notes qui recouvre tout. Avec Cream se repose l'éternel problème que les débuts d'Elvis avaient solutionné à leur manière. L'équation est simple. Prenez trois musicos, que font les autres quand l'un est au fourneau ? Pas question de laisser le copain tout seul, faut remplir les vides qu'obligatoirement il laisse. Course à la cuillère. Z'avez intérêt question dextérité à être né avec une golden spoonfull dans le bec pour l'ouvrir toute grande car maintenant les poteaux n'ont plus envie de vous laisser jacter à leur aise.
Epoque des rock'n'roll stars. Ceux qui vous en donnent plus et ceux qui en offrent le moins. La ligne de partage s'avère être une course à la démesure. Les égos enflent et c'est le combat des red roosters qui montent sur leurs ergots. A ce petit jeu, Led Zeppelin se révèlera gagnant. Le rock se boursouffle, s'appesantit. Vous prend des allures symphoniques. Pompières dénigrent certains. Et face à la fastueuse pompe instrumentale apparaît la nécessité d'un rock plus dur, plus métallique. L'orgue de Deep Purple fait passer le reptile de fer, mais l'on pressent que la ravissante bébête ne va pas se contenter de se lover tranquillement au chaud dans votre estomac.
Le livre se termine sur les débuts de David Bowie. Tiendra-t-il ses promesses? Roxy Music est présenté comme le crépuscule des décadents. Expression ambigüe. Début ou fin ? Dister ne donne pas la réponse. Se souvient en extrême minute qu'il habite du mauvais côté de la Manche. N'y a pas que la perfide Albion en ce bas-monde. L'Europe se réveille, en Allemagne certes mais chez nous commencent à sévir Gong, Crium Delirium, Magma, Alpes... peut-être que la montagne n'accouchera pas d'une souris !
Je vous laisse à vos rêves. Ou à vos démentis. Si ce bouquin vous tombe sous la main, lisez-le, l'est très bien fait.

Damie Chad.

LES ROLLING STONES
PHILIPPE BAS-RABERIN


( Albin Michel / Rock & Folk / 1976 )

Encore une exhumation des fouilles du garage à la recherche du rock'n 'roll perdu. Me souviens très précisément de ma réflexion lorsque je m'en étais emparé sur l'étagère de la librairie : «  Un livre sur les Stones, n'en ont pas besoin !  » Et hop malgré cette pensée désabusée m'étais empressé de le mettre dans ma besace. Un petit faible pour le format de la collection quasi identique ( à cinq millimètres près ) à celle des Poètes d'Aujourd'hui de Seghers, ce qui tout de suite en votre esprit créait une espèce d'équivalence entre rock'n'roll et poésie. Bas-Raberin, spécialiste du blues et journaliste chez Rock & Folk, à l'époque une carte de visite qui garantissait le sérieux du topo.
Bon en 1976, les Stones n'étaient plus les Rolling Stones. Exile On Main Street ressemblait un peu trop à ce qu'il était : une longue jam entre copains, sympathique mais en rien décisif. Cantine qui visait davantage la quantité que la qualité. Oui, mais enfin les Stones ! Pour le suivant, le potage était moins bon, la soupe à la tête de chèvre, comme on était poli et pour ne pas vexer les maîtres de la maison rock'n'roll, l'on a félicité les cuistots, mais l'on n'a pas tendu l'assiette pour que l'on nous remplisse une deuxième fois l'auge. Le suivant nous avait ravis. Enfin la pochette. Un délire pompier de Guy Pellaert, le summum du kitch rock'n'roll ! Et puis le titre, putain ce titre, c'était toute notre vie. It's Only Rock'n'roll ! Une véritable profession de foi, une affirmation souveraine, une déclaration d'utilité publique, une revendication tripale et tribale, et l'on aimait cela. A l'intérieur ce n'était pas Versailles, ni les slums de Londres. Une habitation à loyer modéré. Livré avec eau, chauffage, électricité, taxe ordures ménagères, franchement que pourriez-vous exiger de mieux ? De toutes les manières avec une façade de maison aussi belle que le fronton du temple de Delphes, qui aurait pu avoir l'idée saugrenue de squatter la kitchenette !
Bas-Raberin avait du flair, la première édition de 1972 évitait les deux derniers albums et la mise à jour de celle-ci de 1976 échappait par miracle au désastre écrocklogique de la catastrophe ( planétaire ) de Black and Blue qui sortit une semaine après le travail des rotatives... Inutile de vous faire du souci rétrospectif pour Bas-Raberin, le gars avait de la ressource, l'aurait facilement contourné l'obstacle, l'aurait régurgité la couleuvre du genre, cet étron bleu foncé confirme la thèse que j'ai développée tout le long de ce livre, vous voyez bien que le cynisme des Rolling s'avère au final la composante essentielle de l'esthétique stonienne ! Je l'avais dit, bouffis, honni soit qui mal y pense.
Car les Stones à l'époque tout le monde connaissait par coeur. La date de l'anniversaire de votre maman, heu... heu... ? Celle de l'enregistrement de Paint It Black, facile ! Entre les 3 et 6 Mars 1966 ! Même mon petit frère de six ans le sait ! Alors Bas-Raberin ne nous raconte pas l'histoire, la résume rapidement en fin du book, la fait suivre d'un commentaire non exhaustif des albums, vous rajoute en annexe le régal des spécialistes, l'incontournable discographie, terminé je coupon(sans réponse)s. La partie la plus grosse et la plus importante, l'a placée en première ligne, sur les cent premières pages pour ne pas pas prendre l'expression précédente au pied de la lettre. Se présente comme une étude littéraire du phénomène Stones au-travers de leur œuvre. Du style, Vision de l'Italie Stendhalienne dans La Chartreuse de Parme et Promenades dans Rome. Le rock était en train d'acquérir ses lettres de noblesse.
Vous résume sa thèse. Les premiers à ne pas être fans des Stones sont les Stones eux-mêmes. Sont les derniers à mythifier sur leurs productions discographiques. Pire ne voient pas en quoi leurs concerts – leurs fabuleuses prestations – pourraient être créditées d'une quelconque valeur ajoutée. Un véritable foutoir, ça crie, ça hurle, ça s'égosille, eux ils essaient de maintenir la barque sur les flots. Généralement ils y réussissent assez bien – gros raté à Altamont – mais ils aiment bien cette ambiance de folie. Ne vont pas cracher dans la soupe. En dernier ressort c'est eux qui ramassent l'oseille. Pour les disques, au début ils ont tout pompé en moins bien. Les fans feraient mieux d'écouter les originaux. Leur apport personnel : au bout de trois ans, l'on ne pouvait plus se contenter de sortir un tribute blues à chaque album. Obligés de se mettre à composer. Gardent la tête froide. Mais les larrons profitent de l'occasion. Puisque le public en redemande, l'on va leur fournir de la marchandise jusqu'à plus soif. Tant pis pour eux. Léger rictus méprisant. Comble de chance, z'ont pu z'imposer un max de leur quatre-vingt-douze volontés à leurs partenaires. Quand on leur a refusé la cuvette des WC sur la pochette du Banquet des Mendiants, ont tiré la chasse et ont crée Rolling Stones Records, leur propre chasse-gardée. C'est ainsi que marche le monde. Ou vous êtes en haut, ou vous êtes en bas. Si vous vous contentez d'un strapontin, le service sera inexistant. Ne venez pas vous plaindre. Les jérémiades des pauvres c'est comme les larmes des filles, désolé ma princesse si je te traite comme une pouffiasse, mais tu n'es pas la seule qui se presse devant la porte d'entrée. Circulez tant que vous voulez, ne vous inquiétez pas les couloirs sont payants.
Philippe Bas-Raberin module un peu. Ont quand même apporté leurs petites pierres au rock'n'roll. N'ont pas repris platement les perles noires. Les ont serties d'une parure d'or et d'arrogance, ensuite ils ont créé leurs propres diamants artificiels, bruts de décoffrage mais rayonnants d'énergie. Des futés ont essayé de ne jamais péter plus haut que le cul du blues. Ni de pisser plus bas que le sexe du rock. Chaque fois qu'ils ont essayé, ils ont foiré. Se le tiennent pour dit. Ces derniers temps, relâchent même la pression, relax, cool, sont en train de devenir une institution. Hot rods en roue libre. Plus rien ne peut les atteindre. N'ont plus rien à prouver, la vie est belle.
Se foutent un peu de notre gueule. Oui, mais on aime ça. Après tout, c'est juste du rock'n'roll.
Ne cherchez pas à comprendre, ça vous rendrait malheureux.


Damie Chad.

 

 

15/03/2017

KR'TNT ! ¤ 320 : GALILEO 7 / WASTELAND / NAKHT / ACROSS THE DIVIDE / GUITAR-ROCK + TONY MARLOW / PIONNIERS DU ROCK + MICHEL ROSE

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 320

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

16 / 03 / 2017

 

GALILEO 7

WASTELAND / NAKHT / ACROSS THE DIVIDE

/ GUITAR ROCK + TONY MARLOW /

PIONNIERS DU ROCK + MICHEL ROSE

AMIS ROCKERS !

Nous sommes arrivés au bout de l'espace contingenté par notre hébergeur hautetfort.

Vous trouverez ici notre livraison 320 dépourvue de photos.

Vous retrouvez la livraison 320 + photos

sur le blogue

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

qui nous héberge en attendant notre nouveau site en construction.

 

Et pourtant elle tourne


En dépit des apparences, Galileo 7 ne doit rien à Galilée. Comme le précisait Allan Crockford après le concert, le Galileo 7 est un vaisseau spatial qui sort d’un film de science fiction bien connu, le fameux Star Treck. Par contre, Allan Crockford ne sort pas d’un film de science fiction mais de la légende du rock anglais des années quatre-vingt et plus précisément des Prisoners. Ces derniers temps, on le vit en France avec les Primes Movers à la Boule Noire, puis avec Graham Day & the Forefathers au Cosmic. Il jouait chaque fois en trio avec Graham Day et Wolf derrière au beurre.
Galileo 7 est donc ce qu’on appelle dans le jargon des Argonautes un side-project. Et quel project ! On ne se méfie pas et pouf, on tombe sur le pot-aux-roses. On savait Allan Crockford extrêmement doué, mais pas à ce point. Comme son vieux complice Graham Day, Allan Crockford travaille sa Mod pop au corps, dans un jaillissement continu d’effluves de freakout sixties et d’early Floyd. C’est d’autant plus spectaculaire que le petit batteur (Mole) fait son Keith Moon, c’est-à-dire qu’il dynamite le son, même lorsqu’on ne lui demande rien. Et donc, quand on voit jouer ce quatuor, on a parfois l’impression d’entendre les Who qui accompagneraient Syd Barrett. Ces noms-là n’arrivent pas non plus par hasard, Balthazar, puisque questionné sur ses influences, Allan répond : «Oh, the ‘Hooooo and Syd Barrett !» C’est vrai qu’en matière de pop psyché anglaise, on n’a jamais fait mieux. Allan rappelle aussi que les Prisoners furent les seuls dans les années quatre-vingt à défendre l’idée d’une vraie pop anglaise héritée des sixties. Tant et si bien que ce groupe est devenu culte, et c’est bien là le problème. Le culte ne nourrit pas son homme, tout le monde le sait, à commencer par les premiers concernés. Et on se retrouve une fois de plus confronté à un phénomène paranormal : voilà un groupe de très gros calibre qui joue dans un bar pour environ trente personnes. Et quel set ! Explosif de bout en bout, dynamique en diable, poppy comme un étalon sauvage psychédélique et petite cerise sur le gâteau, ils sont d’une prestance indécente. Allan gratte rageusement sa Rickenbacker et comme Graham, il travaille ses compos au corps, il pousse tout dans les retranchements du Chocolate Soup For Diabetics, il rue dans le rumble de Rubble, on assiste à un festin de freakbeat et derrière, le Moon du jour n’en finit plus de saccager le beat à tours de bras, il pétarade à bras raccourcis, il télescope ses relances et badaboume le beat dans les orties, ce dingue joue sec et donne le vertige, on ne sait plus s’il tient du psychopathe ou du drummer de rêve, mais il fait exactement ce que Keith Moon fit au temps béni des early ‘Hooooo : il joue quasiment en solo. Depuis Toru, le batteur fou de Guitar Wolf, on n’avait pas revu un tel phénomène de foire. Comme Allan apprécie l’ambiance, il fait plusieurs cuts en rappel dont une version admirable de «Him Or Me» de Paul Revere & the Raiders, jadis magnifiée par les Groovies, mais aussi par le Wedding Present.
Allan est un personnage d’une extrême gentillesse. Quand on évoque le concert du Cosmic avec les Forefathers, il se souvient que le son était catastrophique et donc il préfère les endroits plus petits. On sent en lui le vétéran de toutes les guerres, mais pas la moindre trace d’amertume. Le son de ses albums est à son image : tourné vers l’avenir et lumineux. Commencez par écouter Staring At The Sound, et vous serez surpris par la qualité des cuts et l’ampleur du son. Dès «Anna Hedonna», on se croit sur The Piper At The Gates Of Town, on retrouve les mêmes dynamiques et les mêmes effets psychédéliques. Et pour corser l’affaire, Allan charge son chant d’accents qui frisent le cockney. Bienvenue au royaume enchanté de la pop anglaise ! Avec «The Man Who Wasn’t There», on passe au pur freakout barrettien et Mole bat ça si sec ! Quant à Viv Bonsels, eh bien elle joue des nappes d’orgue si belles qu’elles semblent encore enrichir l’ampleur de cette fantastique ardeur. Et quand on tombe sur «Paradise», on croit vraiment entendre Syd Barrett. Ils démarrent la B avec le morceau titre, un chef-d’œuvre de psychedelia à la sauce Crockford, il emmène ça au la-la, la-la-la et ça atteint vite l’effervescence de la fascinance. Ils sonnent beaucoup plus américains sur «Not Gonna Miss You» et ça tourne à la mad psychedelia grâce à de faux accents des Byrds et une bassline prolifique en filigrane. Encore plus éclatant, voilà «Don’t Fly Too High», gorgé de véracité psychédélique. Allan Crockford passe un solo de foogy motion indécent de qualité. Voilà encore un classique digne de l’âge d’or. Ils bouclent avec l’excellent «Ella», bouquet d’échos de Bowie et d’Easybeats. Flamboyant !
Un cosmonaute se balade sur la pochette de False Memory Lane. Si on commence par la fin, on tombe sur une belle énormité intitulée «Little By Little», un groove furieux solidement harnaché, baveux de son, une véritable révélation. Allan chante ça sous le boisseau, la basse éclate les cartilages et ça avance dans la nuit noire comme une menace. Voilà encore un album bourré de belle pop noueuse. Rien ne vaut les vétérans de toutes les guerres. Ils savent donner de la voix et du son. On se régalera de «My Cover Is Blown», belle pièce de pop déliée et surchargée de chœurs, bien enracinée dans les sixties, avec des accents chantants à la Dave Dee Dozy Bicky Mitch and Titch. Allez, tiens, encore une merveille mirobolante avec le morceau titre qu’Allan chante au sucré des sixties pour mieux nous enchanter, et il enchaîne avec une pièce de psyché délicat intitulée «Nobody Told You». Il recourt aux pah pah pah d’antan et nous voilà tous en chemises à fleurs en train de jerker dans les stroboscopes du Palladium. Il finit l’A en colère avec «Don’t Know What I’m Waiting For». Ça sonne comme une charge de cavalerie qui enfonce les lignes ennemies. Les Popsters sont de retour, back to the sugar lump, baby, la pop sous speed. On s’en doute, le festin se poursuit en B avec l’effarant «I’m Still Here», pop de rêve bien déployée. Allan Crockford chante à la lumière du Swingin’ London, c’est riche et même beaucoup trop riche. C’était d’ailleurs le seul reproche qu’on pouvait adresser aux Prisoners : trop de son, trop de d’exaltation, trop d’harmonies vocales. Puis Allan prend «Tide’s Rising» aux accords revanchards. C’est un coup à tomber dans l’addiction. Allan tire parfois sur sa voix comme le faisait John Lennon en 1966. De toute évidence, Allan a beaucoup écouté Revolver.
Leur dernier album s’appelle Live-O-Graphic. Il s’agit d’une sorte de Best Of avec quelques inédits. On y retrouve par exemple le fameux «Not Gonna Miss You» qui se niche sur Staring. Deux cuts tirés du premier album sold-out valent le déplacement : «Never Go Back» et surtout «Orangery Lane», qui sonne encore une fois comme du early Floyd, qui se situe exactement dans la même veine qu’«Arnold Lane». On a là une extraordinaire réminiscence cathartique. Quant à «Never Go Back», c’est tout simplement digne des early ‘Hoooo. Voilà une parfaite apologie du Mod sound. La grosse surprise de cet album est un cut intitulé «Cruel Bird». On renoue avec l’excellence de la partance des Prisoners, ça bouillonne de son et d’énergie. Allan passe ses solos sur de fantastiques nappes d’orgue et on assiste une fois encore au spectacle d’extraordinaires dynamiques internes. Tout est bon sur ce disque, l’amateur de pop psyché y retrouvera tous ses petits. Ils attaquent la B avec l’«Anna Hedonna» tiré de Staring et on s’effare une fois encore de l’indéniable pureté de la mélodie chant. Avec «Nowhere People», on est à la fois dans les ‘Hoooo et les Creation, dans l’exemplarité du son et dans un véritable bouquet de jaillissements énergétiques. Le «Don’t Follow Me» qui suit sort aussi de l’album au cosmonaute. Voilà encore un cut échevelé, nappé d’orgue et secoué de prodigieux coups de Jarnac. On retrouve l’esprit pop des Prisoners dans «Modern Love Affair» : même jus, même énergie, parfaitement digne des early ‘Hoooo et la fête s’achève sur l’excellent «Don’t Fly Too High», avec ses cœurs d’artiche de rêve. C’est tout simplement un hit des temps modernes.


Signé : Cazengler, galeux 7


Galileo 7. Le Trois Pièces. Rouen (76). 17 février 2017
Galileo 7. Staring At The Sound. State Records 2012
Galileo 7. False Memory Lane. Fools Paradise Records 2014
Galileo 7. Live-O-Graphic. Fools Paradise Records 2016

 

11 – 03 – 2017 / VILLENOY ( 77 )
BRUTAL METAL NIGHT
WASTELAND / NAKHT / ACROSS THE DIVIDE

Logique imparable. Pour aller à Villenoy, surtout ne pas rentrer dans Villenoy, rester sur Meaux, passer devant la gare et continuer tout droit. Ne pas s'affoler si la route s'étroitise, et si la zone s'industrialise, vous êtes sur le bon chemin désertique. Personne, si ! deux jeunes gens qui marchent paisiblement, devinent tout seuls que je cherche le concert, continuer tout droit, m'arrêter quand je verrai les voitures stationnées.
EightBall Society Studio de loin présente tous les aspects d'un hangar, de fait c'est une espèce de fourmilière musicale, deux studios de répétition, un atelier de lutherie, trois salles de cours dans lesquelles vous pouvez vous initier à de multiples instruments, guitare, basse, batterie, piano... et une salle de concert pas bien grande, relativement basse de plafond mais l'on s'y sent bien. Ce soir l'association Wild Pig Music qui œuvre à la diffusion des groupes metal du département ( voir Kr'tnt ! 296 du 29 / 09 / 2016 ) organise selon de saines habitudes une nuit sonore un tantinet brutale. Le temps de saluer Mlle Lazurite que nous remercions pour les photos qui ont illustré de précédentes chroniques.

WASTELAND


Les lumières s'éteignent et nous plongent dans l'obscurité. A peine si l'on distingue les trois musiciens. Sample apocalyptique, entre Clément Simanio engoncé dans un parka vaguement militaire, à la main une lampe de mineur qu'il tient haut levée, les joues barbouillées de noir, le visage noyé dans ses cheveux, une expression inquiétante, évoque Silfax le héros vernien des Indes Noires à la recherche de son harfang blanc, mais nous sommes après la grande catastrophe, les hommes survivent sous terre et se battent entre eux pour essayer de s'adapter à ce nouvel environnement peu écologique.
Clément se saisit du micro et entonne le cri suprême de la désolation. Derrière lui, Simon Tiercelin à la guitare, Thomas Beauquier à la basse, et Kevin Gasparetto à la batterie, fracturent l'épaisseur des ténèbres, nous laissant entrevoir des noirceurs encore plus profondes. Musique, épaisse, dure, sans pitié, un magma fossilisé d'anthracite désespéré aux aspérités astringentes. Sons sans pitié, qui vous glacent l'âme et rompent les dernières attaches avec votre ancienne condition d'hominidé à peu près évolué. Stade post-natal de régression vers une sauvagerie dévastatrice. Ce n'est pas qu'il n'y a plus de futur, c'est qu'il n'y a plus de présent.
Clément dédaigne la scène, arpente le no man's land qui le sépare des spectateurs et dans lequel personne n'ose s'aventurer, parfois il s'avance, menaçant, et vous jette brutalement, le micro en pleine figure comme s'il tenait une hache d'abordage, mouvement de recul des spectateurs, il chante comme le tigre feule sur les éteules de la cruauté, un infini grognement rauque et bestial qui ne vous incline guère à un optimisme débordant. Wasteland vous tend le miroir de votre avenir. Ne reflète que la noirceur du monde. L'on a l'impression que le groupe est parvenu à coaguler sous forme d'ondes sonores malfaisantes la matière noire de l'univers qu'ils déversent sur vous, elle s'agglutine à vos pieds, monte inexorablement le long de votre corps et vous fige dans une gangue qui vous transforme en statue de suie. Alchimie régressive qui métamorphose la poudre écarlate de vos rêves en ces terres noires détritiques qu'exhument les archéologues lorsqu'ils fouillent les fondements de nos civilisations détruites.
Mais c'est déjà la fin. Les musiciens quittent la scène, Clément éteint sa lampe tempête et disparaît dans les coulisses. Très belle performance, un peu courte, mais d'une parfaite netteté. Un iceberg de glace noire qui s'en vient percuter la coque titanique de votre existence douillette. Mauvaise promesse et sombre prophétie. Wasteland nous a démontré combien nous sommes fragiles. Une performance assénée comme la matérialisation d'une image poétique de mauvais aloi qui vous enserrerait dans ses mots diffractés pour mieux vous briser. Grosse impression. Très fort.

INTERLUDE


Très court. En de rapides minutes Nakht est fin prêt. L'assistance fait un saut quantitatif, beaucoup de monde s'est visiblement déplacé pour voir le groupe. Les forgerons qui trempaient les lames des glaives et des épées nous l'ont appris, il faut battre le métal tant qu'il est chaud.


NAKHT


Elytres de scarabées. Force intrusive et domination. Danny debout déploie sa grande taille vindicative sur le caisson placé devant la scène. Appelle le peuple à se rapprocher car l'on n'édifie pas des pyramides sans main-d'œuvre exaltée. Et docile la foule s'avance pour participer au rituel des pharaons du Métal. Tout le long du set il commandera à ses troupes subjuguées de tourbillonner tel un essaim de guêpes folles acharnées à se rentrer dedans, une espèce de rituel orgiaque selon lequel la fusion érotique s'altère en confusion entrechoquante.
La musique de Nakht opère comme ces fournaises de vents brûlants qui parcourent les étendues désertiques. Nakht est une torchère, un affleurement de naphte enflammé qui brûle dans la nuit comme la colère de Seth le dieu des désolations trisomiques. Nakht saque et saccage tel le ressac des sables du désert qui dévore la végétation de la vie rampante.
Clément agite sa crête blonde de guerrier hyksôs en transe, galope sur place comme un cheval fou, il est l'énergie non contenue qui n'obéit qu'à elle-même, élément de cavalerie légère que l'on lance d'abord pour disloquer les rangs ennemis, alors qu'Alexis et Christopher aux guitares érigent des remparts de monolithes qui découragent tout assaut. Damien drume sans faillir, dessine les contours des temples inviolés et les anfractuosités des tombeaux secrets.
Lyrique de la désespérance entrevue au bout du chemin de la vie. Vous aurez beau faire, vous tomberez toujours dans la chausse-trappe de votre cerveau. Arpentez tant que vous voulez les confins les plus lointains, escaladez les dunes les plus hautes, vous n'irez jamais plus loin que vous même. La musique de Nakht est solipsiste. Vous offre les fastes des plus belles légendes. Attendez The Messenger, ou croyez en un New Breath, les images les plus chatoyantes défileront à l'intérieur de vous. Elles ont la beauté des peaux de cobras tétanisés mais elles ne sont que des serpents imaginaires qui disparaissent et dont vous ne vous restent dans les mains que les mues vides dans lesquelles vous glissez vos doigts et puis votre bras pour ne saisir en fin de compte que le néant des songes évanouis. Fallen Life et vie foutue. La puissance de Nakht n'est que l'autre face de votre impuissance humaine. L'est un groupe sangsue qui suce votre sang et vampirise votre énergie pour se nourrir d'elle. Nakht a cette troublante particularité de vous prendre plus qu'il ne vous donne. Et cette exfusion de lymphe êtrale palpitante vous rend heureux. Danny hurle dans son micro et l'aboiement d'Anubis résonne délicieusement dans vos oreilles. Vous n'éprouvez plus que l'envie de suivre la sente interdite de l'oasis perdu de Siwa. Celle qui mène dans les catacombes de votre esprit fatigué et maladif.
Musique sombre mais brillant des mille feux d'un soleil implacable. Métal noir mais rubescent. Nakht dégage des ondes qui ne sont ni maléfiques, ni bénéfiques, une puissance neutre qui s'impose par sa seule existence, un artefact d'un style inconnu dont vous ne savez s'il procède d'un passé oublié ou d'un avenir mystérieux. Méfiez-vous toutefois des radiations sonores qu'émet cet étrange artefact. Peut-être sont-elles en train de vous coloniser. L'accueil enthousiaste réservé au groupe semble confirmer cette hypothèse.

ACROSS THE DIVIDE


Longue introduction samplique. Dans le noir. Immobiles. Encore un groupe qui se plaît dans les explorations fractales. Qui s'engage dans les failles spatio-temporelles pour en explorer les abords déchiquetés. Mais se retire très vite. Vocal, musique. Musique, vocal. Jamais très longtemps. Chacun jette sa gourme et se retire cinq sec. Les morceaux eux-mêmes se terminent abruptement. Vous surprennent à chaque fois. Vous semblent interrompus comme partagés en deux à la hache d'une manière quasi-aléatoire. Across The Divide privilégie les cassures. Cassent les briques en plein milieu et breakent sans arrêt. Esthétique tranchée. En ce cas l'on préfère le couteau aiguisé au rond de mortadelle. Par ces atermoiements répétés entre les morceaux le groupe réfrène son impact. A rupture franche devraient succéder des démarrages fulgurants. Mais non, ça traîne un peu. Pas longtemps mais assez pour déséquilibrer et parer le choc attendu.
Alexandre Lhéritier, visière de casquette en arrière est au micro. Tantôt se déplaçant de tous côtés, tantôt juché sur le piédestal. Eructe gravement. Phrasé, net, impeccable, irréprochable mais il ne pourra jamais vraiment formaliser cet ascendant sur le public à cause de ces temps morts entre les titres qui fragmentent le rythme. C'est dommage car la musique souple et violente se prêterait bien à quelques entremêlements festifs de longue haleine de l'assistance.
Dur travail pour Maxime Weber derrière sa batterie, c'est lui qui marque les brisures et trace les angles saillants de ces morceaux hérissés d'un incessant glacis d'escarpes et contrescarpes. Lance aussi la mécanique et Régis Sainte Rose à la basse, Jonathan Lefeuvre et Axel Biodore aux guitares ne sont jamais plus spectaculaires quand tous trois, jambes écartées, bustes baissés dodelinent de la tête en cadence accélérée. L'éruption du son jaillit droite et violente comme un jet de cendre et de pierres recrachées par un volcan. Les deux guitaristes changeront deux fois en même temps de guitare, l'amplitude sonore de la formation est alors dévolue à un court intermède samplé destiné à ne pas atténuer la puissance du groupe, solution qui paraît tout de même un peu artificielle.
Les titres se succèdent, XXI, Still the Same, Never Enough, The Lake of Sins, the Escape, propulsés par Alexandre qui bénéficie souvent de la seconde voix d'un de ses guitaristes. Soit le vocal est doublé et le résultat est saisissant soit le chant continue alors que qu'Alexandre ne se sert plus de son micro, ce qui produit un effet visuel étonnant pas du tout désagréable.
Across the Divide n'a pas démérité. Les deux derniers morceaux Nowhere I belong et Back Again furent les meilleurs un peu comme si le groupe parvenait à sa vitesse de croisière. Mais il leur a manqué ce petit quelque chose qui transforme une bonne prestation en instant magique. Peut-être les trois groupes étaient-ils adeptes de genres musicaux explorant un peu trop le même style de métal hardcore quoique je ne pense point que cela ait pu désarçonné le public manifestement friand de cette musique. J'incriminerai plutôt la rapidité avec laquelle les combos se sont succédé. A onze heures trente, les trois concerts étaient terminés. Engloutir des friandises à la va-vite ne vous laisse point le temps de déguster.


Damie Chad.


ROCK'N'ROLL GUITARE HEROS
TONY MARLOW

JUKEBOX
( H. S. Trimestriel N° 37 )


Longtemps qu'on l'attendait. C'est une spécialité de la revue Jukebox. La reprise en un Spécial Hors Série de toute une série d'articles regroupés autour d'une thématique commune. Et ce mois-ci, agréable surprise, ce sont les longs topos que Tony Marlow a consacrés depuis plusieurs années aux grands guitaristes du rock'n'roll. Entendons-nous sur ce mot magique de rock'n'roll, car il y a rock'n'roll et rock'n'roll. Mais pour les amoureux de cette musique, il n'en n'existe qu'un, le rock'n'roll des pionniers. Ce n'est pas que toutes les autres sortes de rock'n'roll soient mauvaises. Il en est d'excellentes, mais les pionniers sont arrivés les premiers et ils ont défriché le style. Bien sûr avant eux, il y avait eu d'autres sorciers de la six-cordes, dans le blues, dans le jazz, dans le country, d'extraordinaires figures aux doigts d'or, des personnalités attachantes et des destins exceptionnels, qui ont préparé le terrain, et permis l'éclosion des années cinquante. Et tout compte fait les pionniers ont-ils vraiment mérité la vénération extatique dont on les entoure ? Ont eu la chance d'être là au bon moment, et comme ils étaient les premiers ils se sont servis en abondance. A part qu'ils ont davantage donné que pris.
Nous les avons déjà tous lus ces articles de Tony Marlow, certains ont même déjà été recensés dans nos chroniques, mais présentés les uns à la suite des autres, ils acquièrent une importance et une force surprenante. Les quatre-vingt-quatre pages de la revue ne forment pas une simple compilation d'artistes disparates. Tony Marlow nous offre une véritable histoire de la naissance du rock'n'roll, d'autant plus précieuse que si les américains possèdent une incroyable somme de volumes plus pointus les uns que les autres, hélas rédigés en leur monstrueux sabir incompréhensible pour beaucoup, la bibliographie de langue française, ce doux babillage divin universel, qui traite du même sujet est des plus maigres. Photos couleurs pratiquement à toutes les pages, et longues colonnes de textes d'une richesse exceptionnelle. Les faits et les dates, mais aussi une analyse technique de chaque musicien et au travers de cet amoncellement d'éléments biographiques, de descriptions, d'anecdotes, d'interviews, de réflexions, c'est à la lecture séminale d'un véritable roman que nous convie Tony Marlow. Un récit passionnant, qui vous tient en haleine de bout en bout. Une merveilleuse histoire dont aucun épisode n'a été inventé. Joyeuse car elle nous met en contact avec toute une génération animée d'un insatiable appétit de vivre qui se réveille, qui prend conscience que le vieux monde dont elle est issue craque de tous côtés, et triste aussi car soixante-dix années plus tard elle commence à encombrer quelque peu les cimetières, et chose pire, les fruits espérés et cueillis, aussi beaux, juteux, et goûteux furent-ils, n'ont pas tenu leur promesse. Une amère constatation, sur les huit noms en couvertures, tous sont décédés. Si le rock'n'roll a la vie dure, comme le chantait Eddy Mitchell en 1966 dans L'Epopée du Rock, il semble que les rockers ne font pas de vieux os...
Elvis et puis Bill Haley. Chronologiquement il aurait fallu inverser. La pendule du rock'n'roll sonne l'heure avant que le train mystérieux n'entre en gare. Oui mais l'origine d'un phénomène ne se situe pas obligatoirement au début de son déploiement. Toutefois c'est chez Elvis que la racine noire du rock'n'roll pousse davantage ses ramilles souterraines. Et puis surtout chez Bill Haley le problème ne se pose pas de la même manière. L'orchestre emmené par son rythme endiablé fait naturellement du bruit serait-on tenté de dire. Chez Elvis et ses deux compagnons, si l'on ne s'aperçoit de rien dans le studio où tout commence, c'est grâce à Sam Phillips qui possède son arme secrète pour combler les vides, sa fameuse réverbe, cette espèce de tremblé sonore qui occupe tous les interstices. Mais en public, c'est une autre affaire, ne sont que trois, une guitare qui pousse les estocades chaque fois qu'il faut tuer le taureau, mais après faut se la mettre en sourdine en attente du deuxième solo, le moment crucial que survienne le temps de la mise à mort du prochain fauve sauvage, pour la voix d'Elvis idem, l'a besoin de respirer de temps en temps le chat des collines qui miaule si bizarrement, d'où ces instants de silence obligatoire, c'est donc à Bill Black le contrebassiste de remplir les blancs, doit étaler la sonorité dans les trous, comme si elle était un chewing-gum, rallonge le son en faisant résonner la corde en la frappant. Fait aussi un peu le pitre et Presley détourne les oreilles du public en s'agitant comme Valentin le Désossé au bon temps du french can-can. Plus tard Buddy Holly et ses Crickets auront le même problème, peut-être pour cela que Buddy adoucira son rock, le rendra plus coulant, trichera en étirant la mélodie. Le Hillbilly Cat et ses deux congénères inventent le rockabilly, la pulsation incoercible, tout cracher et tout de suite. Mais entre deux crachats il faut parvenir à boucher la fente. Dans les studios RCA, l'on intensifiera l'impédence électrique. Le rockabilly électrifié donnera naissance au rock'n'roll. Pas tout-à-fait le boogie de Bill Haley. Plus besoin de Bill Black. Congédié. S'en remettra, deviendra le bassiste le plus demandé de son temps. Qui fut court, un gros méchant fibrome se développera dans son cerveau. 1965, end of the road. Triste histoire. Tony Marlow déroge à son programme. Il n'y a pas que des guitaristes dans le rock.
Nous nous contenterons de parcourir hâtivement la revue. Nous ne voudrions pas déflorer les présentations de Tony. Cet article juste pour vous donner envie de lire. Bill Haley, Chuck Berry, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, et plus tard Brian Setzer, nous vous laissons découvrir par vous-mêmes. Nous nous sommes penchés sur ces articles lors de leurs premières parutions. Bo Diddley de tous les pionniers le plus méconnu par chez nous. A tort. L'inventeur du jungle beat était aussi un superbe crieur de blues. Plus près de Muddy Waters que Chuck Berry. Tony Marlow s'attarde sur sa discographie qui ne se réduit pas à deux trente-trois tours. Nous parle aussi longuement Lady Bo, la première guitariste rock, que l'on retrouvera plus tard avec Eric Burdon. Car ce qui se ressemble s'assemble.
Passons rapidement sur Ricky Nelson et James Burton qui rejoindra Presley et restera avec le King jusqu'à la fin. Très belle évocation de Carl Perkins, le véritable roi du rockabilly, Tony s'attarde sur Roland Janes que l'on retrouve sur tous les morceaux d'anthologie du studio Sun dont il devint le musicien attitré. Nous fournit l'occasion d'apercevoir Jerry Lou... Très belle analyse de Luther Perkins, le gars peu doué – regardez ses yeux affolés sur les vidéos lorsqu'il accompagne Johnny Cash - qui surmonte son handicap de départ en se créant un style minimaliste d'une efficacité redoutable.
Link Wray et Mickey Baker deux guitars héros dont les cotes sont réévaluées à la hausse ces dernières années. Joe Moretti ( Brand New Cadillac, Shakin All Over ) et Big Jim Sullivan qui préféra tourner avec Tom Jones que de rejoindre Led Zeppelin... Et enfin Danny Gaton, l'on sent Tony ému. Guitariste virtuose qui surpasse tous les autres et qui finit par se tirer une balle dans la tête à quarante-neuf ans, à croire que le rock'n'roll ne fait pas le bonheur de tout le monde.
Un numéro à se procurer sans faute. Indispensable aux amateurs comme aux néophytes. Certes Tony Marlow parle en passionné de rock, mais il est aussi un de nos meilleurs guitaristes, connaît parfaitement ce dont il parle. A l'écouter détailler le jeu de ces héros de la guitare, il vous donne l'illusion que techniquement vous en connaissez autant que les plus grands maestrocks du manche.
En lisant cet ouvrage si bien écrit et à la démarche pétrie d'intelligence nous est venu à l'esprit qu'un similaire opus sur les principaux batteurs serait le bienvenu. Justement Monsieur Marlow, vous n'auriez pas débuté en tant que batteur chez les Rockin' Rebels ?


Damie Chad.

PIONNIERS DU ROCK'N'ROLL
MICHEL ROSE


( Albin Michel - Rock & Folk / 1981 )

 

Je l'ai retrouvé. Pas l'éternité chère à Arthur Rimbaud, quelque chose de beaucoup mieux. Je signalais au mois d'avril 2015 son enfouissement improbable au fond d'une montagne de cartons, lors du kroniquage de Rockabilly Fever de Michel Rose réédité chez Camion Blanc ( voir KR'TNT ! 232, du même coup filez à la livraison 40 jeter un coup d'oeil à L'Encyclopédie de la Country et du Rockabilly toujours de Michel Rose ), mais le voilà sur mon bureau, comme neuf, tout beau dans son petit format élégant, un des rares livres français consacrés aux Pionniers du Rock. La faute à Tony Marlow qui m'a incité à une sérieuse recherche archéologique dans mon garage. C'est que par chez nous, à part L'âge d'Or du Rock'n'roll de Jacques Barsamian et de François Jouffa ( in KR'TNT ! 42 du 02 / 02 / 2011 ) n'y a pas res comme disent les occitanistes. Bref, j'éprouvais comme un manquement du côté de la recension.
M'y replonge plus de trente ans après, je ne suis pas déçu, s'est amélioré avec l'âge. Ce petit ouvrage de près de deux cents pages offrait à l'époque ce qu'aucun autre n'était en mesure de fournir mais en plus il détaillait une synthèse de l'éclosion du rock'n'roll dont toutes les données ont été depuis confirmées par bien des articles en des revues spécialisées. L'est sûr qu'en 1980 Michel Rose a pu bénéficier des nombreuses rééditions qui ont déboulé en masse chez les disquaires français à partir de 1975. Ne se prive pas d'en faire cas en complément de toutes les éditions pirates entrées en sa possession sans doutes via les fans-clubs et les petits groupes d'amateurs en pleine ébullition. Mais sa connaissance et son intérêt pour le rock'n'roll remonte à bien plus tôt.
Aux années soixante. Comme tout un tas de petits français de sa génération, il accède au rock'n'roll par des intercesseurs nationaux. Pour lui ce sera en premier Johnny Hallyday, suivi des Chaussettes Noires d'Eddy Mitchell et des Chats Sauvages de Dick Rivers. Il est de bon ton de nos jours de brocarder nos trois pionniers, mais grâce aux pochettes de leurs disques ils ont permis aux esprits curieux de soulever le coin du voile. Fournissaient de maigres indices qui permettaient de remonter la piste américaine, chaque titre français était agrémenté de sa titulature originale et du patronyme de ses compositeurs. Au début ces noms restaient bien mystérieux, apparemment savoir qu'il existait quelque part de l'autre côté de l'Atlantique des gars qui s'appelaient par exemple Leiber et Stoller n'éclairait guère votre lanterne. Mais on les gardait religieusement dans l'endroit le plus secret de notre mémoire et nous nous les répétions comme des talismans sacrés. Remarquons que Marcel Proust n'a pas agi autrement que nous dans La Recherche du Temps Perdu, l'a chéri Venise et le Nom du Pays avant de pouvoir enfin visiter le Pays du Nom. Nous c'était pas les gondoles qui nous fascinaient, c'était le rock'n'roll un truc qui balance beaucoup plus grave que le Grand Canal j'ai couvé durant longtemps le nom de Billy Lee Riley avant d'avoir l'occasion d'entendre un de ses morceaux.
J'en profite pour tirer à mon grand plaisir une bordée de canons sur Boris Vian – amuseur public de troisième zone, ceci est un jugement personnel – qui en bon jazzman obtus du front s'est répandu en grossières injures sur le Rock et Presley et commis en compagnie d'Henri Salvador et Michel Legrand ce qu'une majorité d'imbéciles s'obstinent à appeler le premier disque de rock français. A cette époque le rock était une chose trop sérieuse pour être compris par les adultes. Surtout ceux à prétentions intellectuelles. C'est dans les fêtes foraines dans les baffles à plein volume des manèges d'autos-tampons et des toubillonnantes chenilles que le rock est parvenue dans les oreilles – rentrait dans l'une et ne ressortait pas par l'autre - d'une jeunesse populaire en attente d'émotions fortes...
Ne faut pas mythifier, pour la majorité ce ne fut qu'une mode, ont par la suite entonné l'air vicié et la mesure tempérée du tempo médiatique, extrêmement réticent à cette musique subversive... Mais une minorité active – de celles qui font l'Histoire – ont voulu en savoir davantage.
Tout sujet doit ériger ses frontières. Pour les mieux conquérir. Celle du Nord représentée par Bill Haley. Un tiers de swing jazzy, un tiers de rythm'n'blues, un tiers de danse, c'est ce mélange que Michel Rose définit comme rock'n'roll. Celle du Sud cornaquée par Elvis Presley, un tiers de blues, un tiers de country, un tiers de rebel-attitude, cette potion magique mise au point avec l'aide du bon docteur Sam, Michel Rose la nomme Rockabilly. Aujourd'hui cette appellation est une évidence, et le livre de Michel Rose doit y être de par chez nous pour beaucoup, durant des années je ne l'ai rencontrée que de très rares fois et toujours orthographiée Rock-A-Billy systématiquement référencée comme une variante d'ajustement à Hillbilly.
Les deux chapitres suivants sont successivement consacrés aux précurseurs noirs et blancs. Ségrégation oblige, aux USA l'on ne mélangeait pas les torchons avec les serviettes. Mais à la mid-fifty les noirs avaient une longueur d'avance. Blues, blues shouters, rythmn'n'blues, en moins de trente ans ils ont mis au point le rock'n'roll. Pas poteau, pas photo. Les blancs sont arrivés après la bataille. Chansons traditionnelles de cow-boys, hillbilly, western bop, honky-tonk, country, les visages pâles ont perdu du temps mais enfin sont arrivés eux aussi à isoler le boson et le boxon du rock'n'roll.
Deux barils au choix. Lequel choisissez-vous. Si vous n'êtes pas un imbécile vous prenez les deux, même pour le prix de trois, car la marchandise dans les deux cas est des meilleures. Michel Rose nous fait part de ces réflexions, lui qui tressera des couronnes de laurier à Bo Diddley, couvrira de fleurs Little Richard, s'incline avec respect devant Chuck Berry, n'hésite pas à dire que son coeur penche pour le rock'n'roll blanc.. Sans exclusive, et surtout sans arrière relent désagréable de racisme primaire ou inconscient. Question de prononciation, les noirs chantent les notes, les modulent, les allongent, les blancs au contraire s'en défont aussitôt en bouche, les jettent sans regret et s'empressent d'éjecter la suivante tout aussi rapidement. Voix mouillée ou voix rêche. Alchimie du verbe selon la voie humide pour les blacks et selon la voix sèche for the whites. Cette vision vaut ce qu'elle vaut. Nous remarquons toutefois que dans son extrême majorité le rockabilly restera une chasse gardée des petits blancs. Des déclassés qui à l'origine ont subi l'exode rural et une fois dans les centres urbains une deuxième relégation sociale à base de chômage et de petits boulots. La colère des noirs prendra une autre forme, celle de la revendication rap.
Hommage à Alan Freed, disc-jockey à qui le système ne pardonnera pas d'avoir osé l'impossible mixture. Des spectacles mêlant dans le même programme chanteurs noirs et blancs... Deux chapitres consacrés aux rockers blancs d'abord et noirs ensuite. Je bois du petit lait, Michel Rose préfère Gene Vincent à Elvis Presley, tous deux à leur manières démolis par leur succès, le premier pour avoir refusé de trop pactiser avec le système et le second pour s'être laissé dévorer à force de compromissions. Eddie Cochran mort trop jeune tout comme Buddy Holly, Eddie plein de promesses, Holly semblant se diriger vers un adoucissement de sa musique. Trajectoire empruntée aussi par Johnny Burnette qui passera du rock le plus sauvage à la chansonnette douce. Peut-être la palme de l'intégrité devrait-elle revenir à Carl Perkins. Sans conteste le grain de folie forte échoira à Jerry Lee Lewis.
Nous ne reviendrons pas sur la manière dont la phalange des grands pionniers fut décimée : prison, accidents, scandales, crises de foi intempestives... De fait le rockabilly deviendra une musique de niche. Un public d'inconditionnels mais peu nombreux. Les petits pionniers – c'est comme nos petits romantiques, sont parfois plus exaltés et bien moins empesés que les grands - Buddy Knox, Dale Hawkins, Conway Twwitty, Charlie Feathers, et bien d'autres connurent grâce à Elvis Presley une seconde carrière. Souvent européenne. Le NBC Show d'Elvis en 1968 ralluma l'intérêt pour le vieux rock, Le festival de Toronto en 1969, la réunion de Wembley en Angleterre enflammèrent les esprits en faveur de ce bon vieux rock'n'roll. Les rééditions s'empilent, in the old England de Whirlwind à Crazy Cavan un nouveau public générationnel prend fait et cause pour le rockabilly. Les lecteurs de KR'TNT ! ont régulièrement l'insigne honneur de lire des compte-rendus de groupes de french rockabilly issus de cette mouvance aussi initiée par les Stray Cats. Desquels Michel Rose ne pipe mot. Notons qu'il a terminé de rédiger so ouvrage en mai 1980 mais que le premier album des chats de gouttière est paru en 1981 ! Décrochage temporel significatif !
Le renouvellement des générations, chacune essayant de se démarquer quelque peu de la précédente n'est pas étrangère à la désaffection et à l'oubli relatif dans lequel sont tombés dans les seventies le rock'n'roll. La concurrence a été rude, les Beatles et l'invincible armada des groupes anglais qui les ont suivis, plus les nouvelles têtes qui ont surgi en masse dans tout le territoire américain ont filé un sacré coup de vieux aux pionniers. Pas tant musicalement, mais l'on a jeté le bébé avec l'eau du bain. Dans les années soixante la musique rock se transforme en culture rock. Toute une jeunesse ne se contente plus d'écouter de la musique, la rebel-attitude ne suffit plus, l'on cherche un nouvel art de vivre. Le rock aborde des problématiques plus sociales, davantage politiques.
Michel Rose n'en parle point. Accepte du bout de l'oreille les premiers disques des Beatles et des Rolling Stones, mais se hérisse à l'évocation des Who. Pour lui ce n'est plus du rock'n'roll. Un peu comme ces gens qui vénèrent la République Romaine mais qui détestent l'Empire, alors que le second n'est que la conduite d'une même politique mais sous une autre forme. Cette constation tant soit peu divergente ne remet nullement en cause l'extraordinaire richesse de ce livre. Ne vous énervez pas si je n'ai pas cité Chuck Willis, Johnny Horton ou Charlie Gracie, Michel Rose les présente – en compagnie de bien d'autres - et toujours à bon escient ne se contente pas d'ajouter un matricule à sa liste, il sait les mettre en scène de telle manière que l'on comprenne comment leur apparition individuelle s'articule avec le déploiement historial du rock'n'roll. D'ailleurs le seul défaut de ce livre réside en le manque d'un index.
Petite satisfaction kr'tntique, le dernier groupe présenté par Michel Rose s'avère être Jezebel-Rock que nous évoquions dans notre livraison 215 du 08 / 02 / 2017 lors du concert des Ennuis Commencent. Comme quoi les choses se terminent parfois très bien.


Damie Chad.

 

 

 

 

08/03/2017

KR'TNT ! ¤ 319 : DEARS / PEURS SECRETES / TONY MARLOW / MIKE FANTOM & THE B0P-A-TONES / ROCK FRANCAIS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 319

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

09 / 03 / 2017

DEARS / PEURS SECRETES / TONY MARLOW /

MIKE FANTOM & THE BOP-A-TUNES

ROCK FRANCAIS

PROBLEME !

AVIS AU LECTEUR !

Nous avons dépassé l'espace qui nous avait été imparti par  notre hébergeur. Cette 319° livraison de KR'TNT sera la dernière publiée sur ce blogue. Nous sommes dans l'incapacité d'illustrer les textes par les photos habituelles. Nous sommes en train de construire un nouveau site  mais le chantier vient tout juste de commencer...

En attendant nous vous proposons une solution de repli. Notre livraison 319 est donc aussi visible en son intégralité ( textes + photos ) sur le blogue

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

( ce blogue cornaqué par André Murcie ( = Damie Chad ) est principalement destiné à stocker des textes consacrés à l'antiquité gréco-romaine et à la littérature romantique. Pour quelques semaines nos livraisons seront donc  visibles en ce nouveau lieu qui nous offre l'hospitalité.  )

 

 

Dears que c’était la ville de mon premier amour

Lors de leur passage à Paris en 2006, les Dears avaient surpris par leur puissance de feu. Pour une fois, les buzzers de la presse anglaise s’était montrés à la hauteur de la situation. Ce groupe basé au Canada sonnait comme une sorte de renouveau de la pop atmosphérique. Le chanteur black du groupe s’appelle Murray Lightburn, et le petit conseil qu’on peut donner aux amateurs de vraies chansons, c’est de ne pas le perdre de vue.
Voilà en effet une sacrée rock star. Il électrisait, dès son arrivée sur scène. Un peu gras, les cheveux méchés, la barbe taillée, un gros costard, un foulard rouge noué autour du cou, il attaquait sans préambule, avec l’énergie du Richie Heavens de Woodstock. Il était aussi un mélange de Mick Collins, Ray Charles et de Jimi Hendrix. Il savait tout jouer, les accords comme les solos vertigineux. Il nous emmenait flotter dans un désespoir à l’état pur, comme le fit jadis Diane Dufresnes avec «Le Blues du Business Man». Il dérivait dans l’ombilic des limbes, comme le Marvin Gaye de «What’s Going On». Il allait chercher dans le fond de sa gorge des fluctuations inédites. Il dégageait des horizons. Il buvait du rouge au goulot, comme Lux Interior. En dépit de son gros pif en patate, une certaine majesté se dégageait du personnage. Par sa brutalité, il profanait l’excellence. Il jouait à l’acou «Gang Of Losers», l’une des plus belles chansons de l’histoire du rock, un hit aussi puissant que «Debaser», «Strawberry Fields», «Like A Rolling Stone», «Darklands», «A Whiter Shade Of Pale» ou encore le «Roscoe» de Midlake. Murray Lightburn faisait corps avec son génie. Il chantait penché en avant sur son micro, comme ces grands artistes noirs qui font du lard. Il entrait en transe, avec le regard fou du visionnaire. Malgré leur manque de sex-appeal, les Dears firent ce soir-là un terrible carnage dans les imaginaires. Ça reposait essentiellement sur la qualité des chansons. Ils sont capables de faire sauter tous les chapiteaux du monde.
Par chance, les Dears reviennent enchanter la ville lumière par un beau soir de l’hiver finissant. Bon d’accord, ils vont taper dans les morceaux de leur dernier album un peu raté, mais il n’est pas question de manquer l’occasion de revoir un géant black à l’œuvre.
Murray Lightburn ne porte plus de barbe. Autre détail physiologique important : il a une peau très noire. Plus noir, ça n’existe pas. Quand on pense que les noirs faisaient peur aux blancs, au XVIIème siècle ! Fallait-il que les blancs soient cons ! Il se peut que ça ne se soit pas amélioré, mais passons, car nous avons du travail. Il n’a pas trop grossi. Il est vrai qu’on avait secrètement espéré qu’il allait surveiller sa ligne, car il semblait parti pour ressembler à Fats Domino. Qu’on se rassure, il n’en est rien. Si le nouveau set met un peu de temps à trouver son régime de croisière, la raison en est fort simple : ils passent en priorité les cuts du dernier album qui sont des réfractaires, au sens où ils refusent obstinément de décoller. Quel gâchis, quand on connaît le prestige de leurs grands hits d’antan. Désolé, mais «We Lost Everything» et «I Used To Pray For The Heavens To Fall» ne sont pas si bons qu’on aimerait le croire. Il faut attendre le milieu du set pour enfin renouer avec la démesure mélodique qui constitue l’apanage de Murray Lightburn. Dès qu’il tape dans «The Death Of All The Romance» et «You And I Are A Gang Of Losers», le Petit Bain se met à valser sur les flots noirs. Et de quelle manière ! Murray Lightburn fait gicler l’intensité avec une sorte de brutalité corporelle, il y a quelque chose de terriblement sauvage en lui, de convulsif. Il ne doit pas être facile à vivre tous les jours. C’est un intensif qui nous rappelle quelqu’un de très particulier : Jacques Brel, évidemment ! Puis les Dears tapent dans cette merveille emblématique qu’est «Lost In The Plot». Murray descend dans sa cave à la recherche d’accents intéressants - Cause it’s the same old plot to those things - En fin de set, un ange passe dans la salle lorsque Natalia (claviers et compagne de Murray) prend «Onward And Downward» au chant. Elle chante cette merveille avec une infinie délicatesse.
Il n’est jamais simple de rester au sommet de ses possibilités. Tous les créatifs la savent. Un mauvais album peut non seulement ruiner un set, mais aussi instiller le doute dans un groupe et donc ruiner une carrière. Bon alors, inutile de tourner autour du pot : leur dernier album Times Infinity Volume One est complètement raté. Il retombe comme un soufflé. On sent qu’ils jouent un peu la montre dans «I Used To Pray For The Heavens To Fall». Après de longs préparatifs de départ, ils accrochent leur final au plafond, comme une ardoise de bar qu’on ne va pas payer. On s’ennuie un peu sur cet album, car au même titre que Frank Black et Greg Dulli, Murray Lightburn nous a habitués aux miracles. Mais ici le temps passe et quand on écoute «You Can’t Get Born Again», on s’inscrit tout naturellement dans le registre de la race ferroviaire qui voit passer les trains. En B, on a un «Someday All This Will Be Yours» joué à la petite tension nerveuse, mais l’étincelle brille par son absence. Aucun de ces cuts ne veut exploser. Murray ne parvient pas à sauver l’honneur. À force de tirer sur la corde et de jouer avec le feu des situations edgy, il finit par épuiser le stock. On attend de lui qu’il fasse encore des miracles. C’est la seule raison qui nous motive à continuer d’écouter ses disques. Alors Murray, qu’est-ce que tu fous ? Il s’enferme dans son système et va se noyer dans un verre d’eau. C’est Natalia qui sauve le disque avec l’«Onward And Downward» de fin. Elle impressionne et devient the Queen of Dears.
Le premier album des chers Dears parut en l’an 2000. End Of A Hollywood Bedtime Story compte vraiment parmi les classiques du grand rock atmosphérique. Murray Lightburn bluffe tout le monde avec «C’était Pour La Passion». Il nous embarque tous pour Cythère. Toute la grandeur de Broadway entre dans cette marée de mélancolie urbaine. C’est incroyablement noyé de son, chargé d’extravagance mélodique, ancré dans le vivant. Cette pop brise le brut de Moët et bat la Chamade de Sagan. Il y a quelque chose d’infernalement cosmopolite dans cette musique, mais au sens littéraire de la chose. Il est vrai que les Dears s’adressent plus aux rats de bibliothèques qu’aux garagistes. On retrouve cette espèce de mambo urbain dans «This Is A Broadcast», monté sur le vieux hit de Joe Dassin. Encore une splendeur unilatérale avec «When The World Begins And Ends». C’est même visité sur le tard par des guitares mauvaises. Murray Lightburn ne laisse absolument rien au hasard. Et là, il va enchaîner trois purs chefs-d’œuvre : «Heartless Romantic», le morceau titre et «There Is No Such Thing As Love». Avec «Heartless Romantic», un puissant beat surgit des profondeurs de l’histoire - I got very sad - Murray Lightburn rive le clou de la pop à sa façon. Voilà un cut effarant de monothéisme, d’une infinie puissance dévastatrice. La magie continue avec le morceau titre. On le voit négocier d’incroyables virages mélodiques au chant, on le sent dans la souffrance, mais il avance, il développe des exactions et chevauche ses démons cornus et ventrus. Il crée une fantastique ambiance expiatoire. Et il démarre «There Is No Such Thing As Love» avec une incommensurable lourdeur de groove, juste pour dire le poids de l’amour toujours. C’est tout simplement effarant d’ampleur dépressive. Il nous noie dans l’océan de son son et fait déraper sa voix, instituant une nouvelle dérive des continents. Rien d’aussi terriblement démentoïde dans l’univers pop, et c’est battu à la vie à la mort. Il semble même que les Dears jouent dans une tempête du Cap Horn, au cœur des éléments déchaînés, voilà dix minutes de tourmente sonique, un vrai bonheur pour qui sait goûter le charme capiteux d’une apocalypse. Ces gens savent vivre, il décrètent le sens de la vie.
Extraordinaire album que ce No Cities Left paru en 2003. Deux coups de génie y figurent : «Don’t Lose The Faith» et «Warm And Sunny Days» qui sonne comme une sorte de «Fletcher Honorama» des Sparks. Faith sonne comme un hit pop parfait. C’est un balladif incroyablement sexy joué à la guitare jazz. Murray et ses amis se promènent dans la vallée du bonheur, et comme on va le découvrir au fur et à mesure. Oui, ce disque fonctionne comme une suite d’événements extraordinaires. Impossible de résister à la fabuleuse ambiance de «Warm And Sunny Days». Murray devient là un merveilleux pourvoyeur de pop évangélique - Waiting for the phone to ring - Encore une histoire de gonzesse qui se fait la malle. Il l’appelle et met en œuvre un pur génie scénaristique de la mélodie - As I am willing to go/ Planning out the rest of both our lives/ Stay ! - Somptueux. Murray duette avec sa compagne Natalia sur «The Death Of All The Romance». C’est une pure merveille d’interactivité et leurs voix fusionnent dans la grandiloquence des arrangements. Autre chef d’œuvre d’anticipation mélodique : «Lost In The Plot». On a une belle intro de défonce-man - Take me for a drive to the coastline - Il est dans les vapes, mais les vapes d’un seigneur - I promise not yo cry - Il porte un jabot - Cos it’s the same old plot to these things - La tension monte et Murray met en œuvre un final explosif - Our love is so much stronger - Il peut grimper par dessus la montagne. On trouve plus loin un «Expect The Worst Cos’ She’s A Tourist» trop épique pour être honnête. On croirait entendre les Carmina Burana. Ce fantastique morceau de sept minutes s’étire dans les aurores boréales et jazze Wagner. Et soudain, tout s’arrête, comme chez Diane Dufresne. La musique semble flotter au-dessus du vide intersidéral. L’effet est saisissant. Murray Lightburn laisse filer les choses dans l’apesanteur. Ladies and gentlemen, we are floating in space, comme dirait Jason Pierce, c’est quasiment du Marvin Gaye - But I’m gonna try - et il ajoute - Maybe I’ll die, maybe I’ll die - c’est la science suprême de la connaissance, la supra-sensibilité, on aimerait partir mourir dans cet absolu de néant romantique, lorsque la vie ne vaut plus un clou, et que de toute façon il est mille fois préférable de partir - Maybe I’ll die - Il se pourrait fort bien que Murray Lightburn soit le Marvin Gaye du siècle nouveau. On le voit dans «Pinned Together Falling Apart», Le défaut du système est qu’il a besoin de temps pour manœuvrer ses énormes masses d’effets mélodiques. Il amène «Never Destroy Me» avec un groove de swinging London digne du Bongolian. C’est bardé de chœurs de filles déviantes, terrifiant de fraîcheur et violonné à outrance. C’est dirons-nous atrocement moderne. Puissant, oui mais puissant au-delà de tout ce qu’on peut imaginer ! Murray Lightburn est un diable noir en furie. Il finit cet album terrible avec le morceau titre, qui sonne comme une merveilleuse fin de non-recevoir. Il prend ça aux arpèges hardis. Comme Zingaro, il mène la fête sur la place du village. Il grattera jusqu’au bout la grappe de l’événement, il va ultra-jouer jusqu’à la nausée - We will make plans for life - C’est du Fellini, de la pure démesure, ça explose, planquez-vous car c’est terrible.
En studio, les Dears battent bien des records d’intensité. Live, dites-vous bien que c’est encore pire. La preuve ? Il suffit d’écouter Thank You Good Night Sold Out paru en 2004. Les chers Dears attaquent avec «Autonomy», un chef-d’œuvre hautement atmosphérique et d’une splendeur carnassière. Ce sont donc onze minutes d’un continent sonique à la dérive. Comme Frank Black, Murray met en mouvement des éléments considérables et il cherche la faille pour gagner des terres inconnues. Il file ventre à terre dans sa pop magique. Tout aussi spectaculaire, voici «C’était Pour la Passion», un cut qui libère les puissances des ténèbres de la pop. Il emmène son orchestre à la conquête du monde. Sa pop éclate au grand jour, comme celle de Brian Wilson. Son drive semble suicidaire, car il fonce vers le néant. En concert, ce cut vaut largement un shoot de magie pure. On reste dans les grandes manœuvres avec «End Of A Hollywood Bedtime Story» amené au martelé de la meilleure pop du continent nord-américain. C’est à la fois radical au sens du cisaillement, et classique par ses vagues enchanteresses. C’est même d’une extraordinaire cruauté véridique, on voit passer sous nos yeux le flux d’une pop infestée de Gulf Streams épouvantables. Tout aussi édifiant, voici «The Death Of All The Romance», qui sonne comme un hymne, énorme et têtu. Murray duette avec Natalia - I can’t believe the things you said - On retrouve ces fabuleuses ambiances dans «Warm And Sunny Days». L’ami Murray nous embarque dans l’un des ces grooves océaniques à la Croz, il a la même intelligence du cap et comme Croz, il veille au grain de la mélodie. Bref, cet album est une merveille qui ne vous lâche plus, à condition bien sûr d’aimer l’ambition.
Si vous aimez les coups de génie, vous en trouverez un autre sur l’album Gang Of Losers. Il s’appelle «You And I Are A Gang Of Losers». Murray y cherche la pointe du cap harmonique. Il allume son brasier, comme il l’a toujours fait et se lance dans sa pop imprécatoire. Il sonne comme une sorte de profond messie tétanique. Il met en route un joli ballet harmonique et ça vire très vite au coup de génie - You and I on the outside of almost everything - Tous les instruments semblent vivants, avec les drums qui explosent, c’est battu comme plâtre, martelé au-delà du raisonnable. Autre merveille : «There Goes My Outfit». Il attaque avec un awite you already got me. Il pose ses conditions. Tu veux de la pop ? En voilà, mais c’est la mienne. Sa pop tue les mouche, elle dégage de la chlorophylle. On sent chez lui une opiniâtreté très belle, très épurée, un peu oblongue, longue et fine comme une opale soudanaise. Il s’embarque dans un délire extraordinaire sans que personne ne lui ait rien demandé. C’est l’apanage des grands de ce monde.
Encore un énorme album avec Missiles paru en 2008. Ils ouvrent le bal avec un «Disclaimer» d’une très grande intensité. On sent le pouls de cette musique, on pourrait appeler ça de la pop jugulaire. Et il ajoute dans son délire : I called out to the son of God - Il implore sa copine de revenir - I’ll get through ya - et un sax part en solo dans la nuit des morts. C’est trop ambitieux pour le commun des mortels. Et si on y réfléchit bien, le stomp de Murray se révèle assez définitif. Dans «Money Babies», il est complètement barré - Cavalcades of losers losing their minds/ Is keeping us alive - Et il ajoute, hagard, en pur dada de Montreal - Do you remember that time/ When we thought we were going to die/ Well baby nothing much has changed - C’est l’univers d’un géant de la désaille, tu te souviens chérie, quand on a cru qu’on allait claquer, eh bien, ma poule, on en est toujours au même point. C’est complètement ex-plo-sé. Quand on écoute «Berlin Heart», il faut accepter l’idée d’un disque en forme de laboratoire d’idées, comme chez Robert Pollard. Et comme Robert, Murray expérimente des idées soniques et compositales exceptionnelles qu’il claque aux retours de guitare. Comme résultat, ça donne une effervescence démente. On reste dans la magie pure avec «Crisis 1 & 2». C’est Natalia qui attaque au chant et Murray la rejoint, en arrivant comme un requin d’eau froide, en pleine nuit. Oui, il semble arriver sans prévenir - Gonna find my way to the railways track - et ça explose, comme une symphonie de Mahler, oui, c’est exactement la même puissance dévastatrice. Attention, car voilà «Demons». Murray se doute bien que rôdent les démons - I ain’t that stupid - Il livre ici une fabuleuse digression sur la possession et les démons. Il est le seul sur cette terre à pouvoir fournir un tel élixir. Et ça explose une fois encore de manière imprévisible, mais alors complètement imprévisible. Il semble même que ce cut explose à l’infini. Alors forcément, quand on arrive au morceau titre, on frise l’overdose - This start might be the end/ There’s no drama here: psycho analysis/ For I’m a negro just tryin’ to go by on very little - Fantastique confession - You are as cool as a cucumber when you say Nigger don’t interrupt - Quel coup de Jarnac ! Il développe son délire au son des enfers de Dante - Negro ! No drama here/ Psycho - Il passe en heavy groove des enfers et crée un monde, comme Frank Black dans ses albums. Tout sur ce disque est gavé de son et de texte. Ainsi le cut final, «Saviour» commence par un quatrain maléfique - Could blame the devil/ He gave the shovel/ To dig my own grave - À force de sombres méfaits, Murray Lightburn est devenu un puissant entremetteur.
Encore un disque à toute épreuve avec Degeneration Street. Dès «5 Chords», ce diable noir de Murray nous plonge dans l’enfer d’une intensité maximaliste. Sa pop élégiaque monte directement au cerveau. C’est encore une chanson explosive qui s’encorbelle dans l’infini, comme chez Greg Dulli. Murray allie la folie sonique à la folie textuelle et il menace à chaque instant de nous échapper définitivement. Le «Blood» qui suit explose lui aussi au plafond - Since I was a baby/ I have always been this way - C’est d’une puissance effarante. Pas moyen d’échapper à ça. Ce mec sonne comme un empereur de l’Antiquité, il ne se reconnaît aucune limite, on est en plein Salambô, celui de Flaubert, bien sûr. Et ça continue avec «Thrones» qu’il explose de manière inconsidérée. Quant à «Galactic Tides», on se doute bien que ça va aussi dégénérer. Ses vagues galactiques sont incapables de la moindre retenue. Nous voilà en compagnie d’une tribu de sauvages élégiaques et même de screamin’ elegiacs ! Murray ne respecte aucune loi. Il va là où ça lui chante. Dans «Stick W/ Me Kid», il fait sonner sa pop énervée comme du punk rock. Il touche à tout avec un bonheur égal. Dès l’intro, «Easy Suffering» sonne comme un hit - I can’t grow up/ I’m just a kid looking for love - Murray ne fait que donner de précieuses leçons de pop. Il remplace John Lennon qui fait si gravement défaut. Murray Lightburn pourrait bien être considéré comme le roi de la pop ambitieuse. Il boucle d’ailleurs «Easy Suffering» avec un final apocalyptique digne de Brian Wilson. Encore de l’effarance garantie avec «Unsung». Murray Lightburn continue de créer des mondes extraordinaires - We’re too far gone - Il redevient le temps d’un hit le maître absolu des échappées belles. Il boucle cet album palpitant avec un morceau titre atmosphérique que vient noyer un solo fleuve de sax. Murray y sonne comme le capitaine d’un vaisseau qui coule. Effet grandiose, bien au-delà de tout ce qu’on connaît.

Signé : Cazengler, dear la dada


Dears. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 22 février 2017
Dears. End Of A Hollywood Bedtime Story. Grenadine Records 2000
Dears. No Cities Left. MapleMusic Recordings 2003
Dears. Thank You Good Night Sold Out. MapleMusic Recordings 2004
Dears. Gang Of Losers. MapleMusic Recordings 2006
Dears. Missiles. MapleMusic Recordings 2008
Dears. Degeneration Street. Dangerbird Records 2011
Dears. Times Infinity Volume One. Dangerbird Records 2014

 

03 / 03 / 2016 - MONTREUIL ( 93 )
L'ARMONY
PEURS SECRETES / TONY MARLOW

Ai commencé par me foirer comme un grand. C'est en sortant de la Teuf-Teuf que l'insidieuse question s'est posée. Au fait, Tony Marlow, c'est où ? Mon vaste et diligent cerveau m'a fourni l'adresse : 39 rue Paul-Vaillant-Couturier. Me suis enquillé tout Montreuil à pieds, pour finalement me remémorer le bon filon, Edouard Vaillant ! Evidemment à L'Armony ! A l'autre bout de la ville, d'où je viens. Suis arrivé à temps, Peurs Secrètes débutait son premier morceau.
N'aurais jamais pensé réunir Peur Secrètes et Tony Marlow sur un même plateau, tant les styles sont différents mais Raphaël Rinaldi, l'organisateur, doit penser que malgré ses chapelles, le rock n'a pas de frontières, à la réflexion ce n'est jamais un tort de repousser les cloisons par trop étroites.

PEURS SECRETES


Ce coup-ci Peurs Secrètes n'auront pas droit à un mini-set un peu riquiqui comme à la Comedia Michelet ( voir KR'TNT ! 305 du 01 / 12 / 2016 ), vont pouvoir s'étaler à foison. Nous les retrouvons tels qu'en eux-mêmes, porteurs de cette ironie désabusée qui fait leur charme. Malgré son nom Peurs Secrètes n'engendre aucune frayeur dans le public, encore maigre en début de show, mais qui ira s'étoffant peu à peu.
Une batterie entêtante, une guitare qui tricote sans arrêt, une basse qui bourdonne imperturbablement, un orgue qui accompagne, lorsque Peurs Secrètes s'engage dans un morceau, sont comme les chiens qui se sont emparés du gigot de Pâques et qui le mastiquent consciencieusement jusqu'à faire disparaître l'os. Partent du principe que plus c'est long plus c'est bon. Et ils n'ont pas tout à fait tort. Vous distillent le carambar sans se presser. Prennent leur temps. Résonances popies. Mais en arrière-goût. La friandise finit par se révéler à la longue plus acide que sucrée. Chantent souvent en français, genre réflexions sociologiques apparemment innocentes, pas de grandes déclarations tonitruantes, mais un commentaire doux-amer qui laisse une sensation d'Inachevé au fond du palais de vos illusions déçues. Même les rêves manquent d'un peu de sel chez Peurs Secrètes. C'est peut-être là la signification de leur nom : ne redoutent pas l'invasion des extra-terrestres ou des araignées géantes, expriment avant tout ce léger malaise d'insatisfaction généralisée dans laquelle baigne la médiocrité de nos existences. L'Empty Road de nos vies débouchent sur un cul-de-sac.
Irrémédiable constat. Même plus la peine de s'en émouvoir. Plutôt recouvrir la plaie béante de la sinistre réalité d'un faux-sourire. Sans acceptation. Marcher sans but ne saurait être une fin en soi. Reste une échappatoire. A l'intérieur de soi. L'orgue indique la sortie de route. Quitte l'allée rectiligne de cette espèce de mélancolie corrosive et prend les chemins de traverse, ceux qui mènent au bord du chaos bruitiste de la folie. Douce, car chez Peurs Secrètes la démence reste feutrée. La musique est davantage un placebo trompeur qu'un remède efficace.
Terminent sur un Chinese Rocks, en citant Johnny Thunders, une vie héroïque sous héroïne. Mais les temps légendaires du jusqu'au boutisme rock sont passés. A l'as de pique. Peurs Secrètes auraient pu aussi nous jouer No More Heroes pour raconter nos quotidiens étranglés. Survie dans le bas-fond de nos désillusions. Peurs Secrètes nous susurre un inquiétant message : ce n'est pas le rock qui est malade. C'est nous.

TONY MARLOW


Changement de registre. Avec Tony Marlow c'est toute une partie de la mythologie french rockabilly qui investit la scène. Fred et son auréole de cheveux blanc s'assoit et se quille derrière la batterie et Gilou Slap, mince et sec comme une lame de cran d'arrêt a pris les manettes de sa contrebasse. Un autre monde donc, celui d'une certaine insouciance énergétique, un crépitement de joie rebelle née aux Etats-Unis dans les fifties et qui s'est implanté de par chez nous au tout début des années quatre-vingts.
Honneur aux demoiselles, c'est parti avec Rock'n'roll Princess rapidement enchaîné avec Swing du Tennessee, pour ce premier set Tony a privilégié les titres en français. Nous sommes à Montreuil-sous-bois, aujourd'hui la ville rock'n'roll par excellence de l'Hexagone. Plus tard, lors de la présentation de Le Cuir et le Baston, Tony évoquera la légendaire figure de Johnny de Montreuil.
L'Armony est pleine comme un œuf dur d'alligator. Des têtes connues, Jean-William Thoury, Fifi Jurassic Ted, Carl de Souza, et beaucoup de jeunes qui se pressent devant la scène. Chemise noire à liserets blancs et guitare rouge, Tony lance le feu. Un jeu précis et sans faille, rehaussé par l'indomptable slapin' de Gilou. Une espèce de bronco fou qui galope en tête du troupeau sur les sentiers d'une liberté sauvage. Fred marque la cadence, pas d'emportement, mais une équité rythmique qui donne son assise au trio.
Tony est au chant, c'est toute l'imagerie rock qui défile dans les paroles, filles pulpeuses et érogènes, motos graisseuses et grondantes, bagarres struggle for youth, vie borderline, qu'il inclut dans une poétique mouture rock'n'roll troubadourienne. Un brin de nostalgie amusée en sourdine mais brûlée à la flamme d'une énergie inépuisable. French sixties dans le rétro, d'Eddie Cochran à Editfh Piaf en passant par Long Chris, mais toujours le rock'n'roll par devant en ligne de mire.
Aisance diabolique de Tony, regarde davantage le public que ses doigts. Passe les accords avec une facilité déconcertante, comme les cracks survolent les obstacles au Grand Prix de Liverpool. Sa voix exacte d'un velours des plus rêches, tel un speaker diabolique qui commenterait les phantasmes adolescents de nos rêves, nous entraîne dans le labyrinthe des jours perdus.
Le deuxième set trop court, heure limite et légale à ne pas dépasser, beaucoup plus électrique. Notamment un K'ptain' Kid et un Shakin' All Over ébouriffants. Le combo étincelle de mille pépites d'or. Moments de grâce et d'effulgence. Cette basse que Gilou tabasse sans merci et cette guitare qui trémolise chaque note, le son comme en suspend et puis qui se bise, un collier de perles diffractées qui roulent dans tous les sens. La voix de Tony souple comme une échine de panthère s'étire sur les syllabes pour mieux éclater par la suite. Du grand art. La salle bruit et ronronne de satisfaction, le rock'n'roll est là, incarné devant nous, l'on pressent que l'on est partis pour un gig gigantesque, mais non, la pendule policière a raison de ce moment magique. A hurler de rage. Mais pas tout à fait déçus, durant cinq morceaux l'on a chevauché le tigre. Merci Tony.


Damie Chad.

TONY MARLOW TRIO
ROCK'N'ROLL PRINCESS / SPANK !

TONY MARLOW : vocal, guitar / GILLES TOURNON : Bass, Doublebass / STEPHANE MOUFLIER : Drums.
Frénésie Records : FREN 102.

Rock'n'roll Princess : Séminal. Des talons prometteurs et décidés qui cliquètent en intro et ensuite une jetée de sperme dans l'endroit idoine et adéquat. Vite fait bien fait. Une touche méchamment anglaise dans le son, une voix en décharge de chevrotines et une guitare qui vous frictionne les oreilles. Des talons qui cliquètent. Dans l'autre sens. La princesse s'éloigne. Elle avait pourtant bien du talent. Les meilleures choses ont une fin. Même les titres de Tony Marlow. Spank ! : ce ne sera une surprise pour personne, entre la face A et la face B le Tony Marlow Trio ne s'est pas converti au boudhisme zen, nous balance un instrumental, Spank ! à la sixty feast, un truc juteux et jubilatoire en diable. Un de ces diamants rose pour la possession duquel vous ne reculerez devant rien. Nous non plus.


Damie Chad.

 

*


La Teuf-teuf mobile, est aussi embêtée que moi. Son phare gauche clignote vers la gauche. et le droit louche vers la droite. Non, elle ne suppute pas de quel côté penche son carburateur en vue des prochaines élections présidentielles. Le choix est beaucoup plus crucial. L'instant est décisif. Terrible incertitude Géographique. Est ? Ouest ? Le Mée-sur-Seine ou Troyes ? Le Chaudron ou le 3 B ? Choix cornélien. Hésitation du Destin. D'un côté Louder Evening # 3 jette toutes ses forces et six poids de fonte dans la balance : Artweg, FRCTDR, My Inks Lead Fools, U-BILAM, Crossed Hands, Artifex et de l'autre la seule vapeur évanescente d'un fantôme belge. La Teuf-Teuf m'interroge : maître, serait-il bon de délaisser les proies pour l'ombre ? Que répondre ? Les tonnerres du métal, ou un énième groupe rockab inconnu ? Il est temps que rentre en scène cette forme de divination incompréhensible que l'Humanité nous envie, le fameux flair du rocker.
J'abaisse les vitres et hume longuement les airs qui entrent. Un relent de tintamarre on my left, et une étrange odeur de frite on my right. J'analyse sans me presser. L'affaire est sérieuse. Alors maître ? Chère amie, l'instinct du rocker est infaillible. Ce soir, la guerre de Troyes aura bien lieu. En avant toute, capot droit au-devant des hostilités. Et la Teuf-Teuf rugit de tous ses moteurs.

04 / 03 / 2017TROYES
LE 3B
MIKE FANTOM & THE BOP-A-TONES

Je vous rassure tout de suite. Mike Fantom & The Bop-A-Tones ne sont pas atones. Pour le moment sont attablés au fond de la salle et ingurgitent de saines et roboratives nourritures. Le temps de saluer les vieux complices et de faire la bise aux jolies filles. Mais la fête commence.

TOO HOT


Mike est adossé au mur, ses trois co-équipiers lancent Fantomas Rock. Tout de suite quelque chose cloche. C'est quoi ce truc ! Z'avez l'impression qu'un troupeau de brontosaures patauge dans vos oreilles. Délectable sensation ! Et maintenant Mike au micro pour Too Hot To Bop. En cinq minutes le combo vient de clore une grande question métaphysique. Apporte la preuve définitive que dieu n'existe pas, puisqu'il n'aurait pas manquer de nous fabriquer avec quatre oreilles pour jouir convenablement de ces cristaux sonores. Analysons le phénomène avec ordre et méthode. Vim, remplace au pied levé Bart Crauwels indisponible. N'a même pas eu droit une répétition. Pas grave. N'en a pas besoin. Pas plus que d'une contrebasse monumentale. La sienne dépasse à peine la taille d'un grand violoncelle, mais elle sonne comme le bourdon de Notre-Dame les jours d'ouragan. Pour que ça résonne davantage lui a bouché les ouïes. Si vous croyez que cela l'a rendue coite, vous commettez une lamentable erreur, elle mugit comme la sirène du Titanic face à l'iceberg. Pas un son uniforme, un swing dur et violent, sans concession mélodique, chaque fois fois que Vim touche une corde, le tranchant d'une lame de guillotine s'abat sur vous, sans pitié.
A ses côtés Patrick est à la Gretsch. C'est ce qu'il prétend. Apparemment en effet l'objet ressemble à une guitare. Mais je doute que vous en ayez entendu une émettre une telle mélopée. Allure décidée, visage énergique, veste écarlate, pompes red suede shoes, cheveux noir de corbeau et banane en bataille qui lui retombe en sauvage pagaille sur les yeux, Patrick est l'archétype du libero rockab. Enfin presque. Parce que le rockab il vous le décline à toutes les sauces. L'a enrichi moultement la recette de base. C'est que le rockab pur, ça n'existe pas. L'est le résultat évolutif d'ingrédients successifs. L'est remonté dans les héritages et l'a fait son choix. Un seul critère, n'importe quoi de bon pourvu que ce soit violent et brutal. De la suffocation rat musqué jazz, de l'altération alligatorienne swamp, du grizzli hillbilly en colère, de la brillance électrique very british, un peu de piment étrangleur espagnol, que sais-je encore, bref l'a tout pris. A tout gardé et en use à profusion. Attention, pas la mixture épaisse et indistincte qui plombe l'estomac, ne sert pas la soupe à la louche. Découpe la volaille, vivante, avec un art consommé et une dextérité sans égale.
Sidérant le Patrick Ouchène, vous délivre de merveilleux acouphènes, pas le temps de vous ennuyer, tireur d'élite du riff, jamais deux fois le même, toutes les six secondes une intervention, autant dire une surprise, ce qui est sûr c'est qu'après trois morceaux vous avez compris : tout est ouvert, tout peut survenir, mais seulement des prouesses inimaginables, surgit toujours de là où vous ne l'attendez pas, la technique du shrapnels, ça fuse de tous les côtés, vous ne savez pas quoi, ni où, ni comment, ni pourquoi, mais il vous emporte avec lui, vous soulève comme une vague, et vous laisse retomber sans ménagement du haut de l'Empire State Building et tout de suite après un char de combat vous passe sur le corps, juste pour vous rappeler que le rock'n'roll n'est pas une musique de tout repos.
Pascal Lunari martèle. Petite barbichette et sourire tranquille. Derrière tous les autres, mais présence obstinée. L'on se tourne souvent vers lui, surtout pour les arrêts impromptus qui sont une des marques de fabrique des Bop-A-Tones. La machine est lancée comme un obus et crac plus rien. Où ils veulent, quand ils veulent. Toujours à contre-temps du rythme que votre tête dodeline. Pascal lève sa baguette et les arches du pont sur lequel vous êtes en train de passer n'existent plus. Inutile de rebrousser chemin, c'est terminé. L'on passe au suivant. Stoppe le stomp d'une manière fulgurante. Rencontre avec le néant. Vous vous demandez comment il opère, mais pas le temps de vous perdre en conjectures, vous fait tomber une cascade de roulements sur son tambour, and the beat goes on, pour une autre raclée d'enfer. Très tôt il viendra pousser la canzonette, le micro passé dans la bandoulière d'une guitare rythmique, nous sort une voix des Appalaches plus vraie que nature, traînante et nasillarde qui sent le crottin, le rustique, et le chant du coq à quatre heures du matin, du hillbilly pure souche comme l'on n'en a plus entendu depuis un demi-siècle.
Mike est au micro. Stature imposante et géant débonnaire. Tant qu'il n'a pas ouvert la bouche. Car en ces instants précis, il se fâche grave. Vous propulse les vocables comme une morsure de vampire. Entre deux morceaux redevient le mec cool et tranquille qu'il doit être. Mais ne faut pas lui en promettre, l'a le rockab fonceur, vous boufferait le cromi s'il ne se retenait pas, pas frimeur pour deux centimes d'euros, laisse ses copains chanter et Patrick n'est pas le premier à s'en priver. Mike n'use pas d'une voix évanescente de fantôme fatigué de courir les couloirs glacés d'un vieux château écossais, l'a le timbre charnel, ne bouge pas beaucoup, se campe sur ses deux jambes et ouvre ses écluses de stentor, ça coule comme un torrent qui descend des montagnes.
Quatre individualités, mais une entente parfaite. A la seconde près, ce qui est le grand secret du rockabilly, pas le droit de prendre un peu d'avance ou de retard, et à la vitesse et avec la violence avec laquelle les Bop-A-Tunes enfilent leurs propres compositions ou le défilé des classiques, d'Al Ferrier à Eddie Cochran, nos quatre voltigeurs font preuve d'une parfaite maîtrise. Un étonnant ensemble de binômes, Patrick et Mike, la guitare qui sait se la couler douce sous la voix comme un mocassin qui se glisse sous une botte de foin et qui relève la tête et vous plante par deux fois ses crochets dans le gras du mollet le temps que le cantaor reprenne sa respiration entre deux vers, et vous ne voyez plus que la trille étincelante de la fuite fascinante du reptile qui se traduit par un tranchant métallique de trois notes qui s'enfoncent comme autant de coups de poignard dans vos tympans subjugués. Ou Patrick et Vim, jouent en échos décalés, l'un qui fait la passe et l'autre qui marque, et la fois suivante l'autre qui dégage et l'un qui lobe dans la lucarne. Un entremêlement arachnéen d'une fluidité parfaite, et encore Patrick et Pascal, l'un qui traverse la voie en courant devant le train qui arrive et l'autre qui lui coupe le chemin en abaissant les barrières.
Mais ce n'est pas tout, sur Guitar Breaker et Jack the Ripper, Patrick se livre à deux démonstrations qui resteront dans les anales auditives des spectateurs éblouis, prend le commandes de l'avion et vous montre comment on fait l'amour avec une Gretsch, elle en miaule de plaisir, la bigsbylle de tous les côtés, lui en tire de ces feulements aériens qui vous froissent l'appareil auditif, joue autant avec ses doigts qu'avec le reste de son corps, la pousse dans ses derniers retranchement en donnant de violents coups de rein et de bustier, la laisse gémir toute seule, heureux de la caresser d'un doigt tout le long du manche, ou mieux encore se contentant de temps en temps d'appuyer, au hasard semble-t-il, sur une seule corde et elle laisse échapper de ces chuintements vaporeux ou de ces stridences de locomotive à vapeur lancée à toute vitesse. Défait sa courroie et s'en vient griffer le cordier sur le rebord des tables du café.
Et le public ? Azimuté, admiratif, fou de joie. Le deuxième set sera du même acabit. Toute la salle qui hurle avec Mike après la pauvre Justine, Pascal qui ne mollit pas du tout sur le vocal de Molly Brown, une espèce d'émeute qui nous consolide dans notre idée que Johnny was vraiment un Bad Boy, et un I Bopped The Blues With Marylou, pas vraiment une jérémiade bluesy mais il vaut mieux que vous ne sachiez pas ce que Marylou était en train de stratéger. Cela vous empêcherait de dormir, vous donnerait des idées malsaines. Un dernier Rumble et c'est terminé.

TIERCE GAGNANTE


Enfin pas tout à fait. Le 3 B a ses traditions. Béatrice la patronne se charge de les rappeler, ici ou l'on joue jusqu'à la mort, ou l'on meurt de ne pas jouer. Genre d'alternatives qui n'ont pas l'air de déplaire à nos quatre fantômes. Improviseront un troisième set, le temps de se désaltérer et que DJ Rockin, qui a magistralement assuré la sono, nous boppe quelques morceaux... Tellement de frénésie fourmillante dans les corps que danseurs et danseuses se précipitent...
C'est reparti, pour rester dans la continuité Mike et les Bop débutent par un Hasil ( de fous furieux ) Adkins, immédiatement suivi d'une ritournelle endiablée de Leadbally, une espèce de spirale démoniaque destinée à vous vriller irrémédiablement le cerveau. Un petit hymne rebel ted pour requinquer Billy qui sort de l'hopital. Très bonne médecine qui vous le regaillardit en quinze secondes. Y aurait-il un volontaire ? Nous en avons un, Duduche, notre Duduche à nous, que nous n'échangerions pour rien au monde.
Et là, c'est la classe, Duduche, flegmatique, tranquille, qui propose un petit Jerry Lou. Perso, je n'aurais jamais osé avec ces quatre cadors qui viennent de nous éblouir, faut avoir du courage. Ni une, ni deux, c'est parti et Eric impérial, micro incliné nous offre un Whole Lotta Shakin' goin' on magistralement mené de bout en bout, avec pointes de vitesses, atténuations et reprises sur les chapeaux de roue, de la belle ouvrage acclamée comme il se doit.
Un Say Mama avec Mike et la salle qui fait les choeurs, et Vim qui sur un Johnny B. Goode nous apprend ce que l'on savait déjà, qu'il chante aussi bien qu'il se joue de son up right bass, même style, les mots qui claquent comme ses cordes. Duduche revient pour un petit Elvis, mais il se fait tard, un dernier Too Hot To Bop pour définitivement marquer les esprits et c'est la fin définitive.
Comme l'on dit dans le Sud et par chez moi, Mike Fantom & The Bop-A-Tones nous ont estabousés. Estabousillés, même. Les avis sont unanimes, une des meilleures soirées vécues au 3 B qui en a déjà vu quelques unes particulièrement torrides. En plus nous apprennent que par chez eux, en Belgique, cette espèce de confetti territorial pas plus grand que nos quatre départements, il existe un vivier rockab d'une centaine de groupes. Peut-être faudrait-il envisager une demande de naturalisation ?


Damie Chad.

 

TOO HOT TO BOP !
MIKE FANTOM & THE BOP-A-TONES

MICHEL TEXIER : Lead Vocal / PATRICK OUCHENE : Guitar, Vocal / BART CRAUWELS : Upright Bass / PASCAL LUNARI : Drums.
El Toro Records. 2016.

Guitar Breaker : une giclée de guitare en début juste pour que vous ne vous trompiez pas d'adresse. Attention, pas question de couvrir la voix du chanteur, course de fond sprintée entre guitare et vocal, mais chacun commet ses exploits sans sortir de son couloir. Uurgence pour Mike, rapidité fractale pour Patrick. Vampire Baby : flexibilités tayloriennes en arrière-fond, la guitare rebondit et la voix se flexibilise, devient envoûtante comme une langue de serpent qui se délecte à l'avance de sa proie. (Coucou, c'est vous ) Fascination rock. Méfiez-vous, produit dangereux. Indispensable toutefois. Abus vivement conseillé. Rockin' Ball : le combo ratiboise le terrain, lâche un troupeau de bisons sauvages sur le gazon de vos plate-bandes, Mike fait tout ce qu'il peut pour vous avertir, trop tard les bestioles vous démolissent quelque peu. La guitare se moque de votre piteux état. Ne venez pas vous plaindre, suivre les recommandations d'usage prescrites au morceau précédent. Fire Of Love : ah, ce riff de malade, n'a pas commencé que le morceau vous semble déjà fini, ce que l'on doit appeler les intermittences du coeur, la guitare s'emballe comme la sirène des pompiers, n'ayez craint quand ils arriveront ce sera trop tard pour vous sortir du brasier. Tout compte fait vous aimez ces brûlures au troisième degré. Mettent du sel sur les plaies et dans votre existence. Connaissez-vous pire ? Down In The OL'Bayou : toujours gênant de devoir courir avec un alligator affamé à vos trousses qui en prime vous mordille les talons. La basse de Bart imprime la résonance molle de votre course dans les sentes humides de votre fuite. Les dents de la guitare se referment sur vous. Bon appétit. Tel est pris qui croyait prendre. Too Hot To Bop : un véritable manifeste rockab, un truc à vous rendre fou de jalousie, tout ce que vous avez toujours rêvé de réaliser et qu'ils vous assènent avec une facilité déconcertante, et la voix de Mike qui semble se moquer de vous. Bart et Pascal sont au premier plan, c'est ici que l'on mesure combien leur travail de forge est indispensable. Sur tout le disque. Pretty Eyed Baby : on presse un peu la cadence, ne faut pas s'endormir sur le rôti qui brûle, une sonorité plus roots américaines que brillance britannique, section rythmique au grand galop. Des yeux qui vous en font voir de toutes les couleurs. Vous aimez ce genre d'éclats aguicheurs qui vous déchirent le coeur. Nous aussi. Fantomas Rock : un instru de derrière les clochers, fantômes à la poursuite des ombres shadowiennes. Et ces sales bêtes vicieuses vous égalisent et synthétisent les records des maîtres. Poussent l'impertinence jusqu'à éclater de rire à la fin. Pascal tape sur ses peaux comme s'il voulait sauver la sienne. En tout cas, nous en ressortons plus forts. Johnny Was A Bad Boy : la lamentable existence du mauvais garçon, se conduit aussi mal avec les demoiselles que vous avec les feux rouges. Persiflage et ironie rockab sont au-rendez-vous. Ne croyez pas ce que je dis, vivez votre vie de rebelle, message subliminal. Seul le rock'n'roll est à même de donner un peu de sens à votre vie. I Bopped The Blues With Mary-Lou : every night qu'ils précisent, à coups de cymbales meurtrières. Un petit-chef-d'oeuvre, guitare froissée et section rythmique galopante. Mike s'en donne à coeur joie. Pourraient tout de même nous refiler l'adresse de la demoiselle. On squatterait avec plaisir sa maison au lieu de repasser trente fois le morceau. The Bop-A-Tones And Me : autoportrait des artistes en bâton de dynamite. Voix et instrumentation font du saut à l'élastique, une fois qu'ils se sont écrasés au sol, se relèvent et vous entraînent dans une danse de saint Guy trépidante. Pour ceux qui ne savent s'agit d'une infection du système nerveux contactée après une surconsommation exagérée de rock'n'roll. Ne se soigne pas. Inguérissable. Heureusement ! Why Are You Gone : la plainte du rocker qui nous la joue à la lonesome cowboy. Vous feraient presque pleurer. Attention au crocodile tapi dans les larmes, n'en a pas perdu son énergie pour autant. Un truc idéal pour lui faire croire qu'elle est unique. Grande hypocrisie. Très amoral, mais si finement ciselé au rock'n'roll que vous appréciez. La justice vous cataloguera comme dangereux récidiviste. I've Gotta Find Someone : Qu'est-ce donc qu'on disait, ont déjà trouvé une remplaçante et croyez-moi, ça leur émoustille la pastille. La vie est trop palpitante pour se passer du rock'n'roll.

A vous procurer de toute urgence. Grande médicamentation. Perfecto, comme disent les rockers.


Damie Chad.


P. S. : Attention pour les collectionneurs, les fans et les amoureux du vinyl : El Toro Records a auusi un super quarante-cinq tours ET 15 073 regroupant quatre titres du CD : TOO HOT TO BOP / ROCKIN' BALL / VAMPIRE BABY / FANTOMAS ROCK.

 

ANTHOLOGIE DU ROCK FRANCAIS ( I )
DOMINIQUE GRANDFILS
( Camion Blanc / 2017 )

Je n'ai guère la fibre nationaliste. Toutefois je ne nourris aucune prévention de principe envers le rock français. Même si en ce domaine les amerloques et les englishes occupent sans contexte les premières marches du podium. N'ai pas hésité une seconde pour me procurer le volume. L'est arrivé hier soir sur mon bureau, je ne l'ai pas encore lu en entier mais l'ai soigneusement examiné. Un pavé – une véritable arme anti-CRS – dépasse largement le kilogramme, plus de mille pages mais moins de mille groupes – z'auraient pu faire un effort. D'autant plus qu'avec une ligne systématiquement sautée entre deux paragraphes, l'on aurait facilement libéré de l'espace...
Ce genre de bouquins possède les défauts de ses qualités. Manquera toujours le groupe que vous tenez comme la perle rare, par contre vous en sont proposé une multitude que vous ne connaissez que de nom et une flopée qui pour de mystérieuses raisons incompréhensibles ont échappé aux antennes ultra-sensibles de vos recherches personnelles. N'oubliez pas que vous risquez à chaque détour de page l'anévrisme fulgurant : exemple : aucune trace des Maîtres du Monde mais une entrée pour Julien Doré. Rassurez-vous, j'ai survécu.
Un bon point : les clichés sont rares mais comme il n'est pas souvent coutume dans les productions de Camion Blanc, la reproduction ne ressemble en rien aux trames grisâtres et indistinctes habituelles.
L'anthologie use d'une méthodologie efficace mais sommaire : les groupes sont classés par ordre alphabétique. Idéal pour s'y retrouver mais peu évident pour que le lecteur puisse se faire une idée du déploiement historial du phénomène rock en douce France. Manque en début de bouquins quelques monographies qui expliqueraient, ne serait-ce que par décennie les conditions, l'évolution et les enjeux musicaux. D'autant plus que les articles dévolus à chaque groupe sont des plus succincts. Ce qui selon nous incite aux approximations. Lieu et date de formation, nom des membres, départs, arrivées, changements d'orientation, rapides mentions de tournées ou de participation à des festivals, publications discographiques, dissolution, quelques indications sur la suite des parcours individuels et puis c'est tout. Le style musical est réduit au minimum : exemple pris au hasard, Cat The Navel String : Groupe de post metal punk d'Angers.
Dominique Grandfils s'en tient à l'essentiel. Rédige en langage spartiato-laconique. Se limite à l'énumération prosaïque des faits. Ecriture blanche qui ne donne pas dans le délire romantique. L'on eût aimé un peu plus d'engagement. De la mauvaise foi rehaussée de fausse indignation, des passe-droits, des préférences vertigineuses, des dithyrambes cosmologiques, des silences coupables, des assassinats longuement prémédités, des haines et des fureurs, de la passion et de la fièvre, des exécutions télécommandées, des dessous de table honteux, des déclarations d'amour, des chantages malhonnêtes, des débordements intempestifs, mais non il adopte le ton de neutralité des compte-rendu de médecin légiste. Une collection de cadavres sans chair. Ne manque que deux choses, l'esprit rock et  l'outrecuidance rock'n'roll.


Damie Chad.


P. S. : dès que nous en aurons terminé la lecture nous donnerons avec les parti-pris malodorants qui nous caractérisent notre analyse des choix opérés.