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13/04/2017

KR'TNT ! ¤ 324 : TOY / NEGRO SPIRITUALS / JAMES BALDWIN / JIMI HENDRIX / RONNIE BIRD

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 324

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 04 / 2017

 

TOY / NEGRO SPIRITUALS / JAMES BALDWIN /

JIMI HENDRIX / RONNIE BIRD

TEXTES + PHOTOS sur

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

I’ll be your plastic Toy

Tom Dougall et ses amis de Toy aimeraient bien sortir d’une belle chanson des Mary Chain, mais il leur faudrait des épaules. Ils n’ont ni la démesure, ni le son qui permet d’atteindre le niveau d’un blaster comme «Just Like Honey». Les grands spécialistes classent Toy dans les noisy, c’est-à-dire les bruitistes, une catégorie aussi fourre-tout que ce qu’on appelle aujourd’hui la scène psyché et qui ne veut rien dire. Toy est tout bêtement un quintette de rock anglais basé à Brighton et qui propose, au long de ses trois albums, un rock ambitieux et atmosphérique typique d’une scène anglaise qui cherche à se renouveler sans y parvenir. Trois albums, c’est la distance idéale pour montrer qu’on tourne en rond. Ils rappellent les mauvais souvenirs de la fameuse scène Shoegaze anglaise, celle des mecs qui regardaient leurs pompes pendant une heure lorsqu’ils montaient sur scène, les Slowdive et autres Ride, des gens qui se prenaient alors pour les héritiers du early Floyd et de Spacemen 3, mais qui n’en avaient ni les moyens, ni les épaules.
Les Toy affichent pourtant un look qui met en confiance. Quand on voit les images, on se pourlèche les babines. Ils ont ce qu’on appelle des gueules et portent les cheveux longs. Deux d’entre eux ont mêmes des faux airs de Pretty Things, et pas n’importe quels Pretties, ceux de 1964. Le conseil qu’on peut donner, c’est de les voir jouer sur scène avant d’écouter leurs trois albums. Toy est véritablement un groupe de scène, même si le petit chanteur Tom Dougall ne semble pas à l’aise. L’âme du groupe s’appelle Dominic O’Dair. Il joue de la guitare, mais avec une sorte de virtuosité qui finit par fasciner. Ce mec empoche tous les suffrages à lui tout seul. En plus, il a une petite gueule de rock star, il est d’une beauté angélique. Il joue des figures extrêmement biscornues pour créer des climats byzantins, il plaque des accords jusque-là inconnus et combine ses notes avec les gestes mesurés d’un alchimiste. On finit par ne plus quitter sa main gauche des yeux, car il ne fait jamais deux fois la même chose. Il joue sur Telecaster et s’énerve parfois tellement qu’il casse des cordes. Tout l’édifice de Toy semble reposer sur lui. Et sur le bassiste Maxim Barron, dont le visage disparaît sous une cascade de cheveux blonds. Il porte une sorte de combinaison de sky noir et joue des basslines extrêmement sophistiquées. Il est l’élément le plus visuel du groupe, car il bouge énormément et secoue sa tignasse en permanence. Quelqu’un disait qu’il portait une croix de fer parce qu’il est fan de Metallica. Enfin bref. Le mec qui fait battre le cœur de Toy, c’est le batteur, l’excellent Chris Salvidge aux joues mangées par d’énormes rouflaquettes. Au centre, se tient le fluet Tom Dougall, avec sa petite tête de pivert. Il joue sur Fender Jaguar et un cinquième larron complète les effectifs, debout derrière le clavier d’un petit orgue. Il remplace donc Alejandra Diez qui, quand on écoute les deux premiers albums, semblait être l’âme du groupe, au niveau du son. Alors oui, sur scène, Toy peut en mettre plein la vue. Ils ont des cuts taillés sur mesure pour créer la sensation, comme «Dream Orchestrator», un joli cut en up-tempo tiré du troisième album, ou encore «Join The Dots» le morceau titre du deuxième album qu’ils jouent en fin de set. Choix judicieux, puisque ce cut explose littéralement. Ils jettent des paquets de mer sur les Dots et le cut sonne comme le messie qu’attend le public. Ils jouent ça à l’hypno aventurier, c’est claqué à la basse sur deux notes par un Maxim Barron surexcité qui descend aussi dans des sous-régimes de basse assez déments. Ils savent très bien ce qu’ils font. On voit ce bassman fou gratter ses notes à l’étage en dessous. On comprend alors pourquoi ils finissent avec les Dots : rien n’est plus possible après ça. On assiste là à une véritable dégelée de mad psychedelia.
Alors, si on s’est régalé du Dots final, on peut écouter leur deuxième album, Join The Dots, histoire de revivre ces minutes palpitantes. Le cut est bien là, tout aussi grandiose, mais avec les stroboscopes en moins. On se re-régale du jeu de basse extraordinaire de Maxim Barron. Puis on part à la découverte des autres cuts, les sens en éveil. Ils démarrent cet album avec un «Conductor» un brin floydien dans l’esprit de Seltz, très voyagiste, du type set the controls. Puis on voit les cuts suivants s’étaler en longueur, et ce n’est pas bon signe. Il ne se passe rien d’intéressant dans «You Won’t Be The Same», ni dans «As We Turn». C’est là que Dots intervient en sauveur d’album. Il faut ensuite attendre «Endlessly» pour retrouver un peu de pop intéressante, car ça sonne comme un hit pop oblique. C’est Alejandra qui noie «Left The Wander» de nappes de synthé. Sur cet album, Dominic O’Dair semble un peu en retrait, malgré quelques petites performances guitaristiques. Et puis ils tombent dans le panneau de la shoegaze avec «Too Far Gone To Know», beaucoup trop formel, perdu dans l’écho du temps. Plutôt que de chercher une voie vers la lumière, ils cherchent la petite bête. Quelle erreur ! À part le morceau titre, tout est très spécial sur cet album. Il faut vraiment céder à la curiosité pour l’écouter en entier. Les Toy sont durs à pénétrer, âpres au gain, trop opaques. «The Frozen Atmosphere» sonne pourtant comme une bénédiction, on y sent l’embryon d’une volonté d’en imposer au firmament, mais avec un vieux relent d’inspiration mélodique. Ce cut semble même vouloir se poser dans la paume de Dieu. Leur seule chance de s’affirmer reste bien la scène. Ils terminent cet album tendancieux avec «Fall Out Of Love», le cut d’ouverture du set. Ils y démultiplient les retours de vitesse, c’est overdrivé avec un certain tact. C’est l’un de leurs rares hits, dommage que les ponts soient si maladroits.
On passe aussi à travers leur premier album. On y retrouve du cousu de fil blanc à base de beat rapide et de pop noyée de nappes de synthé fantômes. Maxim Barron et Alejandra font le son à eux tout seuls. Elle crée de la magie dans «The Reason Why», un cut noyé de fog, comme la route de Pont-Audemer une nuit de mars. Au fil des cuts, on s’enfonce dans la shoegaze. Ils sont très forts pour créer des petites émotions caractérielles à coups de beat répétitif et de nappes incongrues. Avec «Motoring», ils visent les incontinences gravitales sur un beat sévère. Alejandra re-noie le groupe dans la magie synthétique d’«Heart Skips A Beat». Elle était bel et bien la petite reine du jouet. Le cut ne tient que par la beauté des nappes qui se dressent au fond du son comme des tornades de bandes dessinées. Elle embarque tout, y compris le peu de mélodie. Les Toy sont parfois crédibles, mais jamais énormes. Tout ce qu’on peut éprouver pour eux se limite à une certaine forme de sympathie psychédélique.
Leur set comprend bien sûr un certain nombre de titres de leur troisième album intitulé Clear Spot, dont l’excellent «Dream Orchestrator» qu’on ne se lasse pas de ré-écouter. Avec «Another Dimension», on les sent déterminés à relever les vieux défis orgasmiques et ils finissent par dégager une certaine forme de majesté. Au final, le cut rayonne et on sent une nette évolution. Ce troisième album est plus pop, au sens où ils reviennent au format chanson. «I’m Still Believing» sonne quasiment comme un hit. C’est à la fois poppy, allègre et joliment balancé au bassmatic. Ils se situent là dans la distance de la pop et montrent qu’il savent travailler cette matière généreuse. Encore une pièce joliment harmonique avec «Clouds That Cover The Sun», joué aussi sur scène, en milieu de set. C’est très hanté, au plan psyché. Voilà un cut qui colle bien au palais. Cette comptine coule comme de l’or liquide dans le gosier du consul capturé par les Parthes. On se re-régale aussi en B du fameux «Dream Orchestrator». Maxim Barron joue sa bassline avec frénésie et le cut passionne, aussi bien sur scène que sur le disque. On voit même le cut se développer, tellement ça grouille de son et d’idées de son. Ça monte comme une marée louvoyante et joyeuse. Ils reviennent à la pop anglaise (enfin !) avec «Spirits Don’t Lie», et avec un certain panache. Cette druggy song se montre digne des Spacemen 3. Étonnant et fiable. Ils finissent cet album réconfortant avec «Cinema», une pop de shoegaze dotée d’un final éblouissant. Dominic O’Dair y fait des miracles, de manière indéniablement indéniable.

Signé : Cazengler, petit joueur


Toy. Le 106. Rouen (76). 10 mars 2017
Toy. Toy. Heavenly 2012
Toy. Join The Dots. Heavenly 2013
Toy. Clear Shot. Heavenly 2016
De gauche à droite sur l’illusse : Chris Salvidge, Maxim Barron, Tom Dougall, Dominic O’Dair et Alejandra Diez.

 

 

LE GRAND LIVRE DES NEGRO SPIRITUALS

BRUNO CHENU

( BAYARD EDITIONS / 2OOO )


Le terme Negro Spiritual a été banni par la nova-langue politiquement correcte. Remplacé par celui de gospel, plus propre sur lui. Bruno Chenu se hâte d’établir la différence sémantique dès les premières pages de son livre. Negro spirituals et gospel sont tout deux des chants religieux nés dans la communauté noire des USA, mais aussi différents que peuvent l’être le country blues du blues électrique de Chicago. Deux époques, deux matrices différentes. Les negro spirituals sont nés dans les plantations, le gospel dans les ghetto des grandes villes du nord. Mais la différence n’est pas que géographique. L’on ressent dans les negro spirituals la prégnance de l’Ancien Testament, cette partie de la Bible qui raconte la sortie d’Egypte, modèle divin d’espérance et promesse de la programmation inéluctable de la fin de l’esclavage de tout un peuple asservi… Le gospel s’adresse à l’individu perdu dans la jungle des villes. L’on ne s’adresse plus au dieu tout-puissant, vengeur et libérateur, mais au Christ rédempteur qui vous apportera la délivrance et la lumière. Les mauvais esprits feront remarquer qu’il y met autant de mauvaise volonté que votre précepteur pour vous rembourser vos impôts, mais il paraît qu’il suffit d’y croire pour être heureux.
En tout cas Bruno Chenu n’en doute pas une seconde. A la foi chevillée au corps. Suffit de lire le pédigrée de ses publications pour être convaincu de son engagement pour le Seigneur, l’a même été rédacteur religieux en chef de la Croix et professeur à la faculté de théologie de Lyon. Bref quelqu’un qui ne flirte pas avec la musique du diable. N’ai point trouvé le mot blues dans le bouquin et ce n’est qu’incidemment vers la cent cinquantième page que vous apprenez sans aucune explication complémentaire l’existence des blue notes. Le mentionne aussi dans sa conclusion en le définissant comme du spiritual sécularisé. Sans plus.

Le livre est divisé en trois parties, un disque qui regroupe vingt spirituals interprété par la chorale et les chanteurs de Moses Hogan. N’en dirai rien, car le bouquiniste ne le possédait pas. Outre cette absente de tous bouquets comme l’écrivit Mallarmé, la fin du volume réunit une anthologie de deux cents dix negro spirituals en langue originale et non traduits, et plus de trois cents pages très documentées relatives à l’émergence du christianisme parmi les esclaves.
Contrairement à ce que l’on pourrait accroire la christianisation a pris du temps, plusieurs siècles. Pour la simple et bonne raison que les propriétaires d’esclaves n’étaient guère portés vers la chose religieuse. A peine dix pour cent des maîtres blancs se réclamaient du petit Jésus à la fin du dix-septième siècle. Passaient leur temps en cette vallée de larmes à forniquer sans fin, à boire de l’alcool et à amasser de l’argent. Fallut qu’au dix-huitième siècle dans l’Est des Etats Unis, les bonnes âmes s’inquiétassent de redresser les vices de ces mécréants. Les Eglises se hâtèrent de lancer les campagne de Réveil pour civiliser ces contrées sudistes.
Cela ne se fit pas sans résistance. Les maîtres voulaient bien se repentir de leurs mauvaises actions - sans pour cela abandonner leur si agréables façons de vivre - mais ils tiquèrent méchamment lorsque les prédicateurs leur proposèrent d’évangéliser leurs esclaves. On leur expliqua que l’essence de la religion chrétienne était l’obéissance aux loi de Dieu et qu’un esclave qui respecterait le Seigneur ne pourrait se révolter contre ses maîtres. On voulut bien essayer, et tout compte fait dans un premier temps le résultat ne fut pas désastreux. Persuader par un prêche théorique les esclaves des bienfaits de Dieu ne provoqua guère de vocation dans la population noire. Mais méthodistes et baptistes avaient plus d’un tour dans leur sac à mensonges. Inventèrent le camp meeting. Réunion en pleine nature, blancs et noirs mélangés, tout le monde chantant ensemble les louanges du Seigneur et parole donnée à tout individu qui voulait témoigner de sa foi. Ferveurs, cris, chaleurs, le Créateur se dépêcha de donner un coup de pouce en provoquant transes et apparitions chez les impétrants.
Faut être logique, ces nouveaux chrétiens noirâtres fallut bien les accueillir dans les Eglises et les appeler Frères et Sœurs. Ce qui n’empêchait pas de leur distribuer quelques coups de fouets en semaine. Car comme l’enseigne la Bible, qui aime bien, châtie bien. N’avaient pas le droit de s’asseoir devant, relégués à l’arrière et encore mieux au balcon quand le bâtiment en possédait un. N’empêche qu’ils étaient bruyants, qu’il fallait les recadrer sans cesse, et puis malgré les eaux du baptême leur peau restait irrémédiablement noire. D’un autre côté les noirs ressentaient de plus en plus fortement le côté ubuesque de la situation, l’amour des maîtres ne se manifestant qu’une heure par semaine fleurait un peu trop l’hypocrisie. D’autant plus qu’ils s’aperçurent que les maîtres ayant embrassé la foi chrétienne changeaient de comportement : leur mauvaise conscience soulagée, certains d’être agréés par le Tout-puissant, ils adoptaient une attitude empreinte d’une plus grande sévérité et cruauté envers leurs frères noirs qu’il convenait de maintenir dans le droit chemin... Les noirs ne tardèrent pas à réaliser qu’ils étaient selon leur cœur le véritable peuple de Dieu, bref l’on se sépara dès le début du dix-neuvième siècle de plein accord. Y eut désormais des églises pour les blancs et des églises pour les noirs.
Les nègres surent saisir l’occasion. L’Eglise devint un mini contre-pouvoir. Un lieu où l’on pouvait se retrouver et parler librement. Les prédicateurs noirs devinrent une espèce de sous-autorité tacite, plus ou moins reconnue par les blancs. En cachette ils participaient aux filières d’évasion vers le nord, et apprirent à leurs paroissiens les plus doués à lire et à écrire. L’était nécessaire de savoir déchiffrer quelques versets de la Bible ou les paroles d’un nouveau chant. Les blancs fermèrent plus ou moins les yeux sur cette auto-éducation forcément à long terme libératrice mais encore très minoritaire.
Pourquoi les noirs adhérèrent-ils à ce mouvement de christianisation ? Parce qu’ils n’avaient rien d’autre à se mettre sous la dent. Les trois révoltes de peu d’importance qu’ils fomentèrent furent à chaque fois réprimées en moins d’une semaine. Faute de fusils, l’on se contente de patenôtres. Théologiquement parlant la religion africaine en ses nombreuses déclinaisons régionales et tribales pose bien la figure d’un dieu-soleil unique qui délègue ses pouvoirs à des milliers d’esprits, mais dont la primauté est indéniable. Débarrassés du regard des maîtres les esclaves parfumèrent les cérémonies chrétiennes un peu coincées du cul de relents des rituels africains enfouis dans leur mémoire. Les questions angoissées des prédicateurs et les réponses survoltées des ouailles correspondaient miraculeusement aux structures questions / réponses qui formaient la base des cultes païens. Très vite s’installa le shouting qui correspond à l’incarnation d’un esprit en votre personne. Quiconque était ainsi visité déambulait en hurlant dans l’assemblée sans que personne s’en montrât indisposé. De quoi susciter des vocations. Le jeu devint collectif, ce fut le ring shout : un questionneur en transe au milieu et le reste de l’assemblée qui hurlait à qui mieux-mieux en tournant autour, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Les habitués des études sur le paganisme retrouveront là une structure fondamentale des anciennes cérémonies pratiquées dans toutes les ethnies de la planète, des peaux-rouges aux Indiens d’Inde, des Innuits au fin-fond de l’Afrique… C’étaient-là de grands moments de libération catharsiques des colères et des tensions accumulées au service des maîtres adorés… Ne pas oublier de noter que cette chenille collective rondement menée était aussi une espèce de danse du canard durant laquelle l’on n’avait pas le droit de lever les pieds. Après avoir rappelé l’hypothèse souvent émise par les spécialiste que cette étrange démarche de palmipède baudelairien était le résultat de l’interdiction de danser faite aux esclaves, Bruno Chenu propose une autre explication. Cette démarche malaisée et fatigante qui pouvait s’accélérer telle une tarentelle était une manière dans les locaux relativement exigus de l’Eglise de faire participer le corps aux muscles durement sollicités à cette fête spirituelle…
Dès ses prolégomènes européens, la religion réformée remplaça le faste des célébrations catholiques par le chant. Cantiques et psaumes à tire-larigot. Les noirs s’emparèrent de cette coutume en l’adaptant à leurs organes. Basses profondes et barytons s’en donnèrent à coeur joie, mais furent vite rejoints par le reste de la congrégation qui tint à apporter son grain de gros sel. Trop facile de chanter en canon ou d’attendre sagement son tour, l’on précipita les variations de rythme et surtout l’on se dépêcha de donner dans la sophistification puisque l’on savait faire simple. L’on entremêla les voix, les tonalités, les timbres, et les tempos tout en respectant la place de chacun. Du travail instinctif d’orfèvre. Plus tard, bien plus tard, lorsque vint la possibilité d’enregistrer, l’on privilégia la beauté des voix les plus pures, à ce jeu-là, le negro-spiritual se rapprocha de la musique classique européenne… Adorée par la clientèle des petits bourgeois blancs. J’aurais tendance à penser que si l’on veut entendre un équivalent de cette ferveur noire des negro spirituals originaux, c’est vers l’exercice de haute voltige libératoire du scat jazz qu’il faut tendre l’oreille. Surtout pas vers ces chorales nauséeuses de gospel qui s’en viennent régulièrement prêcher dans nos contrées depuis plusieurs années. Tellement mauvaises qu’à les écouter elles vous feraient désespérer de Dieu, si par faiblesse d‘esprit et d‘intelligence vous croiriez en lui…
Bruno Chenu consacre une centaine de pages à analyse le contenu des negro spirituals. La camelote christique habituelle. Plus près de toi mon dieu, c’est là où je suis le mieux. Délivre-moi du péché et laisse-moi monter au ciel. Genre de sempiternelles fadaises que répètent les curés depuis deux mille ans. Tirez votre mouchoir, versez des larmes de repentir, ici ce sont de pauvres esclaves qui espèrent être libérés de l’esclavage. Bla-bla-bla. Apparemment vu la situation actuelle des noirs aux Etats-Unis aujourd’hui, me semble qu’ils se sont trompés de logiciel. Peut-être n’aurais-je pas fait mieux à leur place, mais ce n’est pas une excuse. Préfère penser à cette séparation des églises noire et blanche si bien développée par notre auteur. Elle eut ses conséquences idéologiques et politiques qui nous expliquent comment s’ancra dans les mouvements noirs l’idée d’une partition géographique ( voire d’un retour vers l’Afrique ) des deux communautés. Qu’un Malcolm X ait prêché pendant très longtemps la nécessité de l’Islam s’explique aussi par le fait que les premières libertés acquises par les noirs fut actée sur un fonds religieux.
Je n’ai point parlé de la guerre de Sécession pour la simple raison que Chenu contourne le sujet. Cause de l’esclavage mais ne s’intéresse pas à la ségrégation occasionnée par les lois de Jim Crow. Ce parti-pris de limiter l’éclosion du Negro Spiritual en tant que genre comme la musique mère de toutes les musiques d’obédience noire qui suivirent, blues, jazz, rhythm & blues, soul, funk relève évidemment d’un projet non anodin. Agissant ainsi, il coupe la mauvaise herbe des chansons, mélodies, airs populaires et airs profanes apportés par les colons anglais, irlandais, français et allemands qu’entendirent, adoptèrent et transformèrent les premiers songsters et musiciens… En d’autres termes notre auteur s'acharne à pourvoir d’une origine chrétienne toute la musique noire…


Damie Chad.

 

RETOUR DANS L’ŒIL DU CYCLONE
JAMES BALDWIN

( Christian Bourgois Editeur / 2015 )

Le mot anthologie serait malvenu. Il vaut mieux parler d’une réunion de quinze textes de combat écrits ente août 196O et 1985 par James Baldwin. Un militant de la cause noire certes, mais avant tout un écrivain. Doté d’un style inimitable, une écriture et une parole - une des contributions est la simple retranscription d’une conférence prononcée - envoûtantes. Une espèce de long talkin’ blues qui puise aux sources mélangées de la situation historiale des noirs aux USA et au vécu de l’auteur dévoilé dans sa plus extrême intimité.
Baldwin est son propre sujet d’étude. Aucun égotisme, aucune infatuation suprématiste d’un Moi haïssable, aucune vantardise, aucune fanfaronnade claironnante. Baldwin se juge même sévèrement. Ne cesse de se demander pour quelles mystérieuses raisons tant d’individus lui ont tendu la main et aidé à prendre confiance en lui-même tout le long de son parcours existentiel. Se présente comme un jeune homme laid et ignorant. Un pauvre petit nègre voué aux gémonies des misères sociales et culturelles. Mais il use de ce charbon opaque comme d’un prisme diamantaire. Focalise les rayons de la connaissance analytique sur les ténèbres de son vécu. Transforme celui-ci en expérience exemplaire. Ô insensé qui crois que je suis pas toi, dixit Victor Hugo en tête de ses Contemplations. Mais pour Baldwin, il ne s’agit ni de s’écouter pleurnicher, ni de se regarder ramper. L’Action directe est le seul levier qui permet d’avancer. A rebours de Stirner, Baldwin s’il a basé sa Cause sur l’épanouissement de son individuation, ne l’a pas assise sur Rien mais sur un contrat tacite et associatif avec l’ensemble de la Communauté Noire. Ce qui n’exclut en rien l’Alma Mater de l’Amérique dominante blanche. Ne parle pas contre mais du milieu d’un tout. Expression d’une fierté noire qui très souvent passe sous silence les souffrances passées et de ce fait risque de tomber en une revendication identitaire stérile et pratiquement raciale. Un raidissement idéologique qui par exemple a empêché le Black Panther Party de mordre sur une large frange de l’opinion américaine . James Baldwin est beaucoup plus stratège. Retourne l’arme de l’auto-culpabilité noire sur les blancs. Les premières victimes de l’esclavage et de la ségrégation ne sont pas les noirs mais les blancs qui se sont chargés d’un poids caïnique bien plus lourd à porter, car il leur sera toujours impossible de s’en démettre. Raisonnement imparable, boomerang - return to the sender - qui renvoie l’oppresseur à la contradiction de ses constitutifs préceptes religieux. L’on voit ici comment cette position est bien moins ambigüe que celle préconisée pendant longtemps par Malcolm X, partisan de la vision séparative bloc contre bloc, alors que Baldwin préfère l’éclatement du monolithe de l’intérieur par infiltration et explosive glaciation dans la fissures eidétiques. Rien à voir avec une quelconque moraline d’essence soit-disant supérieure qui vous permet de vous cacher derrière le petit doigt de votre bonne conscience. Que vous soyez blancs ou noirs.
Baldwin n’est pas dupe de l’ampleur de la tâche. Ne s’illusionne pas. C’est en cela qu’il n’est pas un illusionniste. N’écrit pas pour enjoliver la situation et endormir le lecteur sous de fallacieuses promesses. Ne se satisfait pas des oripeaux des progrès réalisés. Un contre-feu ne retiendra jamais la catastrophe du feu qui couve. N’est pas un optimiste. Ni à court terme, ni à long terme. Les derniers événements de Bâton-Rouge, ce jour-même où je rédige cette chronique éclaire les prédictions de Baldwin d’une inquiétante lueur. Les braises ne dorment jamais sous la cendre des hypocrisies.
Ce livre est un merveilleux miroir d’une conscience en mouvement qui ne recule devant aucun interdit. Serait aujourd’hui cloué au pilori pour son analyse du rôle différentiels des juifs dans l’oppression économique dont sont victimes les noirs. L’antisémitisme ne saurait être une excuse pour s’enrichir sur le dos de plus faible que soi. Baldwin est malin comme un chat qui retombe toujours sur ses pattes, au moment où vous le croyez englué dans ses contradictions trouve toujours une parade pour s’en tirer sans dommage. Un satané bretteur qui possède plus d’une botte de Nevers en réserve. Foudroie l’ennemie au moment où il s’y attend le moins, lui enfonce la pointe raide de son intraitable intelligence jusqu’au fond du cerveau afin de lui court-circuiter les raisonnements les plus perversement fallacieux. Dialecticien de haut-niveau.
Se permet de raconter deux histoires parallèle qui se coupent en diagonale. La sienne et celle de son temps. Chronologiquement l’on commence par le pasteur Martin Luther King pour finir par… Boy George. Le siècle en kinopanorama. Du protest song à l’after-punk. A croire que le Christ n’était qu’un vil pédéraste. De la colère des masses à la libération sexuelle de l’individu. Un résumé condensatif exposé en toute innocence. Le pire c’est que Baldwin ne revendique rien : expose et impose. Vous dresse le constat avec un tel naturel qu’il ne vous reste plus qu’à déposer le bilan. Blancs et noirs dans les colonnes capitolines des pertes et profits.
Un livre à lire pour votre édification immorale. Je vous laisse la jubilation post-coïtale de la découverte de cette espèce d’autobiographie intellectuelle. Narcisse et Goldmund réunis en un seul personnage. Une splendide coalescence de l’hermaphrodisme platonicien, non pas l’éternel féminin goethéen enfin réuni au désir infini du masculin, mais les liaisons explosives du tout avec la partie. L’altérité de l’unité enfin réalisée. Rouge sang de l’intérieur de tout épiderme humain. Une alchimie transfigurative de l’écriture. Le jour où le verbe poétique s’est réalisé en déploiement du politique.
Une leçon de coups de bâtons pour nos élites transnationales. Puisque apparemment c’est bien cela qu’elles recherchent.


Damie Chad.

JIMI HENDRIX
LYRICS & PAROLES
DERNIERE EXPERIENCE ROCK

PETER RIGGS


( Editions Pages Ouvertes / Février 2015 )

Pour les lyrics, j’ai cherché partout, feuille par feuille et ne les ai point trouvés. De mes longues recherches infructueuses j’en suis ressorti hagard, du merle me conterai donc, faute de grives. L’ensemble des paroles se présente sous forme d’un collage d’extraits d’interviews - Jimi n’en refusait que très rarement la demande - classés en onze grands thèmes et regroupés à l’intérieur de chaque chapitre selon l’ordre chronologique de leur donné. L’aurait été plus logique de les exhumer en leur intégralité mais l’est sûr que cette façon de faire transforme le prince exalté et vaporeux du psyché en maître à penser des plus sérieux dont il convient de suivre les irréfutables enseignements qu’il aura tirés de ses expériences tant musicales qu’existentielles. Une démarche dont nous n’approuvons guère l’artificialité.
Rien à voir avec les Pensées de Pascal. Jimi n’est pas un idéologue. Se retranche toujours sur la subjectivité de ses opinions, ce qui est bon pour lui ne le sera peut-être pas pour vous. Et vice-versa. Autant d’individus, autant de choix ou de préférences. L’est un adepte de la théorie psychologique de la relativité généraliséE. Encore faut-il relativiser ses assertions. Pour différentes raisons.
L’homme n’était pas méchant, dès qu’il égratigne un tant soit peu une personne - connue ou pas - il évasive aussitôt son propos en s’empressant de mentionner qu’il existe des types d’individus qui agissent ainsi. Détestait jouer la star, l’on sent le mec que l’on peut aborder facilement, n’en est pas moins pudique et secret. Déteste se mettre en avant et au lieu de vous livrer des sentences d’une précision absolue il noie le poisson en l’enfermant dans le bocal opaque d’une comparaison plus mystérieuse qu’éclairante… S’excuse souvent, de ne pas être là, de penser à autre chose, d’être ailleurs, une manière élégante de dévoiler les petites ( et les grandes ) fumettes qui le positionnent en un état second…
Question musique difficile de trouver plus humble. Le plus créatif des guitaristes de sa génération ne se vante jamais. Quand on lui demande quelque précision ou un commentaire sur tel ou tel morceau, ah, oui, on avait essayé un truc, une idée qui était venue un peu n’importe comment l’on ne sait pas pourquoi, à l’écouter parler, Hendrix - seul ou avec quelques musiciens - a passé son temps à bricoler, un rafistoleur du dimanche qui ne ignore ce qu'il veut, et qui est toujours désolé du résultat. Aurait pu mieux faire. Ne cherche pas la perfection, tente l’amélioration continue. S’il a quitté tous les groupes auxquels il a participé dans sa jeunesse, c’est parce qu’il s’ennuyait à répéter à chaque spectacle le moindre riff. L’a pourtant accompagné des cadors comme les Isley Brothers ou Little Richard, mais l’a fini par se faire virer pour ses excentricités, un riff un peu trop malmené, un vêtement un peu trop voyant… En l’entendant, l’on se dit que le titre de son album Are You Experienced ? correspond davantage à sa méthode de création musicale qu’aux allusions aux produits récréatifs que l’on a voulu y voir à l’époque de sa sortie.
Jimi Hendrix est le plus grand guitariste de rock qui ait existé sur cette planète. Peut-être en préférez-vous un autre. Votre droit le plus absolu. Hendrix sera le premier à vous soutenir. Tellement de musiciens, tellement de styles, tellement de goûts. Pas le gars contrariant pour deux sous(-produits). Plus foxy mister que vous le croyez Jimi. L’emploie bien le mot rock and roll de temps en temps, mais il suffit de lire sur les lignes pour s’apercevoir qu’il se définit non pas comme un guitariste de rock, mais de blues. Le dit si naturellement qu’il faut soi-même avoir l’œil bleu pour y prêter attention. Se revendique d’une lignée blues, point celle de B. B. King si claptonienne - apollinienne puisque tendant vers une certaine limpidité de note - mais celle d’Elmore James, davantage rentre-dedans, chargée de plus grandes fureurs et criarde de frustrations. Paroles à méditer, lorsque Hendrix est mort beaucoup de spécialistes prophétisaient que s’il était resté vivant, il aurait évolué en une direction qui l’aurait emmené vers le jazz-rock…
Hendrix évite le sujet, ne l’aborde que par la bande, incidemment, sans employer de mots trop explicites, mais l’origine de sa musique n’est point tout à fait celle qu’il écoutait à la radio, celle-ci n’étant qu’un cache-misère, que la conséquence de la situation ségrégative imposée aux noirs et autres colorés. Savait aussi que sa musique était aux confluences du blues, du jazz et du rock and roll. Ces trois nœuds gordiens de la musique populaire n’étant que les rameaux multiples des deux branches maîtresses que sont la misère et le racisme. Sa musique charriait trop de colères noires et d’éclairs oragiques pour se diluer dans l’éther d’une séraphinité paradisiaque.


Damie Chad.

 

RONNIE BIRD
EN DIRECT !


ROUTE 66 / JE NE MENS PAS / ELLE M'ATTEND / TU PERDS TON TEMPS / FAIS ATTENTION / I CAN'T STAND IT / CHANTE / FA FA FA FA FA FA ( Sad Song ) / C'EST UN HOLD UP / I WILL LOVE YOU
25 cm JBM 027 / 2014

La discographie de Ronnie Bird n'est pas des plus étoffées. C'est que sa carrière fut malencontreusement écourtée. Un accident de voiture non assurée qui trancha la jambe d'un de ses musiciens se révéla catastrophique. Ronnie préféra se faire oublier aux Etats Unis. Par contre nombre de ses fans de la première heure lui sont restés fidèles. Avec le temps Ronnie Bird est devenue une légende du rock'n'roll français. Il fit partie de cette génération - dont il est avec Noël Deschamps un des représentants les plus emblématiques - qui assura la transition du rock national originellement et historiquement marqué au fer rouge par une dévotion absolue aux pionniers à l'allégeance sans retour des neo-convertis aux groupes anglais. Saluons JukeBox Magazine de ce 25 centimètres rempli d'inédits.

Route 66 : ( en anglais sur scène à l'Olympia en février 65 en première partie de Chuck Berry), étonamment si l'accompagnement est des plus électriques le vocal reste tributaire d'un phrasé beaucoup plus rock'n'roll, la proximité physique de Chuck Berry n'est vraisemblablement pas étrangère à cette disparité, lorsque l'on rajoutera que l'instrumentation est stonienne en diable et que l'on se rappellera l'amour immodéré que les Stones portaient à Chuck l'on comprendra plus facilement comment en ayant débuté par un hommage à Buddy Holly ( Adieu à un Ami ), Ronnie Bird devint notre premier rocker à avoir introduit la prééminence du son électrique aux pays des mille fromages. Je ne mens pas : ( émission Âge Tendre et Tête de bois du 10 / 04 / 65 ) s'en tire plutôt bien le Ronnie, paroles un peu passe-partout mais le vocal haché les met bien en relief, batterie et guitares se passent le témoin comme des sprinters professionnels, le fait que Mickey Baker ait participé à l'écriture du morceau a dû aider à mettre les points sur le I de la ryhtmique. Elle m'attend : ( quatrième prise ), celle du quarante-cinq original est bien meilleure. S'attaquait à un gros morceau, l'Oiseau, le Last Time des Stones, mais ici l'alchimixage est fautif, le vocal est devant et l'orchestre derrière. S'en est rendu compte, au final ils réaliseront le miracle la voix semblant n'être qu'une guitare de plus parvenant ainsi à réaliser l'osmose sonore stonienne qui à l'époque arracha des cris d'admiration. Tu perds ton temps : ( Âge Tendre et Tête de Bois, 28 / 03 / 1966 ) des Pretty Things, le jungle sound de Bo Diddley pour structurer le morceau, un harmonica démoniac-blues qui marque les accélérations de la locomotive et le phrasé de Ronnie qui emmène le public. Fais attention : ( public Music-Hall de France, des Nashville Teens ). L'orchestre n'est pas au top, trop lointain - parti pris de jouer comme les Nashville Teens sur le live de Jerry Lee à Hambourg ? - n'atteint en rien à la magie subordinatrice et dévastratrice de la version du quarante-cinq tours. L'inanité des paroles et les yeah-yeah qui relançaient les lyrics toutes les vingt secondes en firent le premier titre proto punk. I can't stand it : ( public Music-Hall, reprise de Traffic ) en anglais, l'orchestration se contentant de marquer le rythme, tout le morceau repose sur la voix de Ronnie qui s'oriente de plus en plus vers un vocal qui emprunte davantage au rhythm and blues qu'au rock'n'roll. Chante : ( public, été 67 ) une reprise des Troggs mais cette dimension reste occultée par le texte de la chanson qui s'en prend à Antoine ( l'élucubratif ), cette version est supérieure à l'originale du 45 Tours. Lui reproche un peu maladroitement de chercher à faire de l'argent et incidemment de surfer sur des thèmes politiques à la mode. Le troisième couplet un peu énigmatique cinquante ans plus tard. Rien ne se démode davantage que l'actualité. Le parallèle avec Cheveux longs et Idées Courtes de Johnny Hallyday s'impose, mais pas en faveur de Ronnie. Surtout si l'on se rappelle qu'il termina sa carrière en reprenant le rôle de Julien Clerc dans Hair, la comédie musicale hippie grand public... FA FA FA FA FA FA : ( public accompagné par les Sharks, 01 / 31 / 1967 ). En l'année 1967, les rockers nationaux adhérèrent en bloc au Rhythm and Blues cuivré des studios Stax, l'aboie bien l'oiseau. Roquet furieux qui vous déchirera le bas de votre futal si vous vous obstinez. La section cuivrique reste un peu maigre et imite davantage le sax vrillé à la rumble rock'n'roll que les architectures sonores des Memphis horns. C'est un hold up : ( public, accompagné par les Sharks, 01 / 31 / 1967 ) Ronnie en forme, c'est son premier hold up mais peut être fier de son coup, les cuivres assurent une couverture sans faille et vous avez envie de lui prêter main forte pour faire main basse sur les coffre-forts. Chef de gang. Une petite curiosité : la voix qui épouse des intonations à la Noël Deschamps. I will love you : ( fin 1967, maquette ), Tommy Brown qui s'en donne à coeur joie sur une étrange frappe – un ternaire contre-rythmé ? - et Micky Jones à la guitare. La voix en arrière-plan. Ensemble un peu confus, mais toutes les chances pour que cela soit voulu. Recherche pour une future évolution ?

Que dire de tout cela ? L'impression d'un grand gâchis, certes le disque est rempli de tâtonnements et de maladresses, mais il y avait là un chemin plein de promesses qui s'entrouvrait. Acculé par le sort, peu aidé, Ronnie a préféré jeter l'éponge. Notons que Noël Deschamps a agi de même en de dissemblables mais sommes toute similaires différences. Ne faisait pas bon d'être un rocker dans les années 1964 – 1968. Ont essuyé les plâtres et tout le monde s'en fichait. Fatalitas !

Damie Chad.

 

02/04/2017

KR'TNT ! ¤ 323 : CHUCK BERRY / JALLIES / POETES ROCK /

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 323

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

06 / 04 / 2017

CHUCK BERRY / JALLIES / POETES DU ROCK

 ATTENTION !

Nous donnons , cause départ vacances, cette livraison 323 avec trois jours d'avance.

La 324 aura deux jours de jours de retard

La version 323 avec illustrations est visible sur :

   : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/…/chronique-de-...

 

Chuck chose en son temps

Chuck Berry fait partie des gens qui meurent mais qui ne disparaîtront jamais. Sa musique est partout depuis soixante-cinq ans. Elle est à l’image d’une vie, à la fois trop longue et trop brève. Il fut un temps où on se plaignait de trop l’entendre, l’époque où les Stones jouaient «Carol» et «Little Queenie», mais depuis deux jours, c’est un peu comme s’il nous manquait. Comme si sa longue histoire n’avait duré que le temps d’une chanson.
Si tu veux te payer une petite overdose de Chuck, fais-toi offrir à Noël le coffret Bear paru en 2014, Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear qui ne fait pas les choses à moitié propose avec ce coffret tout Chuck gravé sur seize rondelles, c’est-à-dire TOUS les cuts enregistrés entre 1954 et 1979, et du live à la pelle, environ quatre-vingt titres regroupés sur les quatre dernières rondelles. Tout ça s’écoute avec autant de plaisir que les albums originaux sur Chess, mais attention, ce sont les deux livres emboîtés dans le coffret qui vont t’envoyer directement au tapis. À commencer par le Harry Davis Photos book. Un nommé Bill Greensmith est allé fouiner dans le grenier d’Harry Davis, un cousin photographe de Chuck. On a là quatre-vingt dix pages d’images fan-tas-tiques, celles du Chuck d’avant Chess, déjà prodigieusement photogénique. L’une des images les plus connues est celle d’un Chuck engoncé dans un costard blanc mal taillé et grattant une belle pelle noire. Il sourit comme un ange de miséricorde, la bouche surlignée d’une moustache taillée à la cordelette. On ne trouve pas moins de sept poses de cette image, dont une agenouillée. Ce qui frappe le plus sur ces images magiques, c’est la taille des mains de Chuck. C’est là qu’un parallèle avec Jimi Hendrix s’interpose : les deux hommes avaient énormément de choses en commun, hormis la taille des mains : ils avaient tous les deux du sang indien dans les veines, un appétit sexuel démesuré et l’équipement qui leur permettait de l’assouvir, et le génie qui leur permit à deux époques différentes de façonner le rock à leur image. On tombe aussi dans le Harry Davis Photos book sur des images romantiques de Chuck avec des belles poules noires. En 1948, Chuck n’a que 22 ans et il est aux noirs ce qu’Elvis fut aux blancs à la même époque : une perfection à deux pattes. On tombe à la page suivante sur sa photo de mariage avec Themetta, qui doit elle aussi avoir du sang indien dans les veines, tellement l’aspect sauvage de sa beauté fascine. Harry Davis shoota aussi pas mal d’images dans les clubs de Saint-Louis où se produisait son cousin Chuck. On le voit gratter une Les Paul noire au Cosmopolitan Club en 1954. Et devant lui dansent des couples de blacks. On se dit : Oh les veinards ! Le cousin Harry en profita aussi pour shooter Johnnie Johnson assis devant son piano et le batteur Ebby Hardy fouettant le beat avec ses balais. Ce book fatidique se termine avec quelques images en couleurs. Chuck pose avec sa Gibson crème et tortille un peu les pattes : image après image, il crée sa légende. Ses chansons lui serviront de bande son.
L’autre livre donne le vertige, car il résume en images toute l’histoire de Chuck Berry. On a beau se dire qu’on connaît tout ça par cœur, depuis Disco-Revue et tous ces canards qu’on a eu dans les pattes, cette imagerie frénétique impressionne de plus belle. Toutes ces images sont graphiquement parfaites. Quelle que fut l’époque, Chuck Berry s’est toujours débrouillé pour rester un pur rock’n’roll animal. Il a toujours su se donner les moyens de sa légende. Certains personnages ont cette faculté de pouvoir rester conformes à l’image qu’on se fait d’eux. Dylan et Lemmy illustrent eux aussi ce principe de longévité vampirique. D’ailleurs, quand on ouvre ce deuxième volume, on tombe dès la page 4 sur Chuck le vampire ! Il ne prend même pas la peine de dissimuler ses deux crocs. Et le phénomène tourbillonnaire se reproduit : année après année, Chuck pose guitare en main avec la même élégance, le même filiformisme congénital, le visage toujours expressif d’un showman vétéran de toutes les guerres, et puis il multiplie les figures de styles, le duck-walk en costume blanc et le grand écart en pantalon rouge. Photos extraordinaires que celles d’un Chuck en béret au Star Club de Hambourg en 1964, puis les images incroyables de la tournée américaine de 1964 avec les Animals, puis on passe en 1967 avec des images de plus en plus acrobatiques shootées à Manchester, et même quand il commence à se laisser pousser les cheveux en 1972, il incarne le rock’n’roll mieux que quiconque sur cette planète. Il a ce côté gyspsy qu’avait Jimi Hendrix en débarquant à Londres. Souvenez-vous : subjugués par son apparition, les journalistes anglais crurent que Jimi sortait des bois de Bornéo.
Tous les fans de Chuck Berry entassent des tonnes de souvenirs de concert. Celui qui fut sans doute le plus spectaculaire fut le fameux concert-émeute de la Fête de l’Huma en 1973. Chuck arriva sur scène en pantalon rouge avec sa Gibson ES355 rouge et quelques heures de retard. La section rythmique d’Osibisa l’accompagnait. Tout se passa bien pendant un cut, puis un barbu en Stetson et lunettes noires débarqua sur scène pour dégager le batteur black et prendre sa place. La rumeur courut aussitôt : c’est Jerry Lee ! Et au lieu d’accompagner son vieux rival nègre, Jerry Lee lança ses baguettes en l’air et ruina brutalement le set de Chuck qui posa sa guitare pour quitter la scène. C’est là que la fête bascula dans le chaos. On vit un ciel noir de projectiles et un gang de bikers chargea la foule en brandissant des armes blanches. Panique générale ! Sauve qui peut les rats ! Les gens se levèrent par vagues. Même pas le temps de ramasser les sacs ! On marchait sur ceux qui n’étaient plus en état de se lever. Quelle rigolade ! On ne remerciera jamais assez Jerry Lee d’avoir créé un si beau chaos.
D’autres rendez-vous encore, comme ce concert fantastique de Chuck aux Banlieues Bleues à Saint-Denis et ce poto qui n’en finissait plus de glousser : «Gad’ le saucisson !». Chuck portait un pantalon rouge très moulant et on voyait bien qu’il était monté comme un âne. Un Marseillais dirait que sa bite descendait jusqu’au genou. Mais ce qui frappait le plus, c’était sa carrure. On comprenait mieux comment il avait réussi à sortir indemne des taules des blancs : Chuck Berry est bâti comme un géant. C’est ce que Steve Jones appelle la «structure osseuse», et il insiste beaucoup là-dessus dans Lonely Boy, son recueil de souvenirs.
Alors justement, Steve Jones n’arrive pas là par hasard. Chuck et lui ont quelque chose en commun, un goût prononcé pour la délinquance et le sexe. Comment pourrait-on imaginer les Sex Pistols ou Chuck Berry sans sexe et sans une petite pointe de délinquance ? L’ado Chuck et l’ado Steve débutent leurs carrières d’obsédés sexuels très tôt. Ça titille d’autant plus Chuck que son cousin Harry Davis shoote déjà des pin-ups et arrondit ses fins de mois avec des photos porno. Quand Chuck commence à tripoter les petites gonzesses du voisinage, son père l’apprend et lui colle une belle rouste. L’erreur à ne pas faire ! Alors l’ado entre en rébellion et décide de fuguer avec ses copains Lawrence Hutchinson et James Williams. Ils se carapatent tous les trois à bord d’une vieille Oldsmobile. Direction la Californie. Ils font cinquante bornes et s’arrêtent pour casser une croûte dans un patelin nommé Wentzville (là où Chuck installera plus tard son fameux Berry Park). Comme ils sont noirs, le porc blanc du restau leur dit d’aller chercher leur bouffe derrière, à la fenêtre de la cuisine. En 1944, les noirs n’ont pas le droit d’entrer dans les gastos des blancs. C’est là que l’ado Chuck fait la connaissance de Jim Crow, le fantôme ségrégationniste qui plane sur tout le Deep South. Quand ils arrivent à Kansas City, ils n’ont plus un flèche en poche. Alors Chuck sort son calibre 22 et ils braquent des commerçants. Envoie l’oseille, whitey ! En l’espace de cinq jours, ils en braquent trois, dont un coiffeur. Ça tourne au sac d’embrouilles, aussi décident-ils de rentrer à Saint-Louis. Hélas, la vieille Oldsmobile tombe en carafe à mi-chemin, juste à la sortie de Columbia. Ils font signe aux bagnoles qui passent. Un mec s’arrête. Plutôt que de lui demander gentiment son aide, cette crapule de Chuck lui met son calibre 22 sous le nez et lui dit de calter vite fait. Ils repartent en poussant l’Oldsmobile jusqu’à ce qu’un flic suspicieux les voie passer et les poire. Ils se retrouvent tous les trois au Boone County jail et un juge leur en colle pour dix piges dans la barbe. On est dans le Missouri et à cette époque, on mène la vie dure aux nègres qui sortent du droit chemin, aux antisociaux comme Chuck qui chient sur la règle d’or, le fameux ferme-ta-gueule-et-travaille-pour-le-patron-blanc. Chuck va tirer trois piges à Algoa.
Quand on le vit arriver sur scène à l’Olympia en 2005, on n’en revenait pas ! Cet homme de quatre-vingt ans déboulait sur scène en rigolant, vêtu d’une chemise bleue pailletée d’or. Et pendant plus d’une heure, il allait aligner la plus belle série de golden hits de tous les temps. En fait, ce qui frappait le plus dans son style, c’était l’économie de moyens. Il jouait une sorte de stripped down rock’n’roll, il ramenait tout à l’essentiel qui était la mélodie chant - Roll over Beetho/ ven/ And tell Tchaikov/ ski/ the news - D’ailleurs, il nous fit ce soir-là le coup de la panne, plus de son dans la guitare, alors il prit la basse pour s’accompagner et continua de chanter son cut comme si de rien n’était. Pour éclairer la lanterne du public, il expliqua qu’il jouait avec un émetteur, et que la pile du relais d’antenne était morte. Puis il éclata de rire : «Avant, on avait des câbles, and it never failed !». Et là-dessus, il embraya directement sur «Carol». Tout ceci pour montrer qu’au fond il n’a jamais eu besoin d’orchestre. Son principal instrument est sa voix. Il n’empêche qu’on se régalait quand même de le voir jouer ses plans de swing sur la Gibson rouge. Personne ne jouait de la guitare avec autant d’élégance. Il pliait les genoux et plaquait tranquillement ses accords dissonants sur son manche. The birth of cool ! Et puis ses textes sont tellement bien écrits qu’ils swinguent naturellement. Ça fait trente ans qu’on entend tous les coqs de basse-cour répéter à qui mieux-mieux que Chuck est le plus grand poète américain. Quelle aberration ! Quand on voit ce vieux pépère hilare sur scène, on comprend qu’il a inventé son rock’n’roll sans le faire exprès. Chez Chuck, la moindre phrase est simplement prétexte à rock. Ce concert de l’Olympia en 2005 fut un exemple parmi tant d’autres. Chuck savait doser ses effets et créer de violentes montées en température. On le vit soudain passer aux choses sérieuses avec «Memphis Tennessee», le fameux Long distance information, l’un des cuts les plus mythiques de l’histoire du rock, et là, à cet instant précis, on sut que Chuck régnait sur la terre comme au ciel. Il jouait des accords si épais qu’ils semblaient charrier des grumeaux de distorse. Il envoyait sa purée avec une sorte de bonhomie du delta. Puis il raconta l’histoire du country boy, un nommé Johnny qui savait jouer de la guitare comme on sonne à la porte. Évidemment, ça a l’air con, dit comme ça, mais le truc est là : il suffit simplement de raconter l’histoire d’un mec qui gratte sa guitare pour créer du mythe.
On le vit pour la dernière fois à Paris en 2008 en tête d’affiche au Zénith, après Linda Gail et Jerry Lee. Pas mal pour une vieux pépère de 82 ans. Comme Bobby Bland, il portait une casquette blanche d’officier de marine et son fils beefait le son sur une deuxième guitare. Du coup, le groupe sortait un son fabuleusement heavy, qui déroutait un peu, mais des hits comme «Around & Around» filaient comme des torpilles jusqu’à nos cervelles. Baaam ! On sentit ce soir-là qu’une page d’histoire se tournait. La critique s’empressa de massacrer le concert, histoire de redorer le blason de son incurie. Comment peut-on reprocher à Chuck Berry de jouer quelques plans foireux ?
La meilleure approche de Chuck Berry se trouve sans doute dans le film de Taylor Hackford, l’excellent Hail Hail Rock’n’Roll financé par Universal en 1986 pour le soixantième anniversaire de notre héros. C’est un film à deux facettes, et si on veut voir les deux, il faut se procurer l’édition spéciale du film parue en 2006 : le disk 1 propose la version originale du film et le disk 2 les interviews des principaux protagonistes, dont la productrice Stephanie Bennett et Taylor Hackford. Pour eux, ce tournage fut un épouvantable cauchemar, ce que ne montre pas du tout le film. Stephanie Bennett explique que Chuck Berry profitait de la moindre occasion pour renégocier son contrat. Si on ne lui apportait pas le blé en cash dans une enveloppe, il restait chez lui. Chaque fois, Stephanie Bennett lui demandait : «Combien ?». Et il fixait la somme. Quand ça tombait sur un samedi ou un dimanche et que les banques étaient fermées, elle devait se débrouiller pour trouver du cash. En plein tournage, Chuck prenait aussi des engagements pour jouer ailleurs. Si Taylor lui disait que ce n’était pas prévu et qu’une journée de tournage coûtait une fortune, Chuck lui répondait qu’il ne pouvait pas cracher sur un cachet de 25 000 $. Stephanie Bennett affirme que Chuck Berry est obsédé par le blé. Elle explique qu’il y avait deux concerts prévus au Fox Theater pour la fin du film et Chuck refusait de jouer le deuxième qui n’était pas prévu dans le contrat si on ne lui versait pas un complément. «Combien ?». Elle trouva le cash et lui balança l’enveloppe en pleine gueule. Elle n’en pouvait plus. Alors combien au total ? Le premier jour, Chuck empocha 25 000 $ en cash, et au final, elle estime qu’il aurait empoché 800 000 $. Chuck Berry a eu bien raison d’étriller ces blancs qui de toute façon allaient encore se faire du blé sur son dos, comme ils l’ont fait au temps de Leonard Chess et de tous les autres qui ont suivi. Dans une séquence du film, on voit Chuck discuter avec Bo Diddley et Little Richard. Bo explique qu’au temps de Chess, on leur donnait un demi-cent par disque vendu. Chuck rappelle qu’un disque se vendait 49 cents et il demande : où sont passés les 48 autres cents ? Mais dans la poche de ces porcs blancs, bien sûr ! On tente de faire passer Chuck pour un sale mec dans ces interviews et dans la presse, mais les sales mecs, c’est ni Chuck, ni Bo, ni Little Richard. On se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Les sales mecs sont tous ces gros porcs blancs qui ont bâti des fortunes sur le dos des nègres, exactement comme à l’âge d’or de l’esclavage et des plantations. Oh les belles demeures de caractère ! Et tous ces pauvres nègres qui ont bossé toute leur vie là-dedans pour des nèfles ? Non mais vous rigolez ou quoi ? Chuck Berry un sale mec ? Chuck, c’est Zorro ! Il leur fait cracher tout leur blé, à ces fils de putes. Il a plus de courage que les autres qui n’osaient pas, ceux de Chicago élevés dans la terreur du patron blanc. Dans le film, on voit Chuck entrer au Fox Theater et raconter qu’il y était venu étant gosse pour y voir un film. Comment l’accueillit la gentille caissière ? Dégage, sale nègre ! Bien sûr, Chuck mettra un point d’honneur à revenir jouer en tête d’affiche dans cette salle où on l’a humilié quand il était petit, mais il profite surtout de cette séquence pour rappeler au monde entier qu’on a vendu ses ascendants à quelques blocs d’ici, sur les marches du tribunal. Sold ! répète-t-il d’une voix sourde. Et il ajoute, avec un drôle de sourire en coin : depuis, les choses ont bien changé, n’est-ce pas ? Autre anecdote croustillante : quand il enregistre «Maybelene», le hit qui va le rendre célèbre dans tout le pays, il voit trois noms crédités sur la rondelle du single : Chuck Berry, Russ Freto et Alan Freed. Chuck demande : «Qui est Russ Freto ?» Pas de réponse. Il découvre un peu plus tard que Russ Freto est un employé de Leonard Chess, ‘est-à-dire un homme de paille. Chuck a beau être délinquant, il découvre que les frères Chess sont bien plus balèzes que lui en matière de délinquance. Ils méritaient d’aller faire un stage dans la taule d’Algoa.
Alors bien sûr, si on regarde le film, on a l’autre pendant de cette histoire, avec toute la crème de la crème, Keith Richards, Clapton, Robert Cray, c’est à qui va frimer le plus, avec des solos à la mormoille. On voit aussi Jerry Lee rendre hommage à son vieux rival et ses rares apparitions dans le film remontent bien le moral. On revoit aussi avec un bonheur incommensurable la fameuse scène où Chuck fait rejouer trois fois l’intro de «Carol» au vieux Keef. Il dit à Keef : «Si tu veux le faire, il faut le faire bien !». C’est sa façon de régler ses comptes, car les Stones et les Beatles lui ont tout pompé. Chuck Berry n’est jamais devenu aussi énorme que les Beatles et les Stones. On peut comprendre qu’il puise en éprouver une certaine forme de ressentiment. Tiens, encore un coup de charme fatal : il rappelle qu’au temps de sa jeunesse, on n’entendait que des artistes blancs dans les quartiers blancs de Saint-Louis, des gens comme Sinatra ou Pat Booooooone, mais jamais Elmore James, ni Muddy Waters, ni Howlin’ Wolf. Alors il se dit : Pourquoi ne pas écrire de la sweeeeeet music pour entrer chez les white people ? «Alors j’ai écrit «School Days» et ça a marché !» Il faut voir le sourie de Chuck à ce moment-là.
L’autre gros avantage du disque de bonus, c’est qu’on y voit Etta James chanter une version démente d’«Hoochie Coochie Gal», le pendant féminin du fameux «Hoochie Coochie Man». Taylor Hackford rappelle que Chuck ne voulait pas d’Etta dans son film mais Keef réussit à l’imposer. À la fin de la chanson, visiblement ému, Chuck vient serrer Etta dans ses bras. Il dit ne pas la connaître, mais elle lui rappelle qu’au temps de ses débuts chez Chess, elle a fait les backings vocals pour lui sur quatre titres, en compagnie d’Harvey Fuqua des Moonglows et de Minnie Ripperton qui était alors réceptionniste chez Chess. L’autre sommet du bonus disk est l’épisode d’Algoa State County Jail, où Chuck séjourna de 18 à 21 ans. Taylor raconte qu’ils sont entrés dans la taule comme dans un moulin, car Chuck y est un héros. Pas besoin de papelards ! Un petit groupe accompagne Chuck et dans ce petit groupe se trouvent des femmes, dont la fameuse Stephanie Bennett. Ça flippe un peu dans le groupe de visiteurs, car ils doivent traverser la cour à pieds et des centaines de taulards arrivent pour les accompagner. Certains commencent même à mettre la main au panier de Stephanie Bennett pour la mettre à l’aise. My crutch ! Ça fait marrer Chuck ! Hilare, il rappelle que les taulards sont privés de pussy pendant looooongtemps. Puis il donne un concert gratuit pour ses copains taulards. GRATUIT ! Eh oui, tout arrive. Quelle rigolade ! Mais on ne voit hélas pas les images, car Chuck les a confisquées. À la suite de cette séquence pour le moins insolite, Taylor Hackford rappelle que Chuck fit trois séjours au ballon : pendant le premier, il apprit la poésie, pendant le second (suite au Mann Act, une vieille loi raciste qui interdit aux nègres de traverser des frontières d’états en compagnie d’une mineure blanche), il termina ses études, et pendant le troisième (poursuivi par le fisc pour non-déclaration de revenus), il obtint un diplôme de compta, histoire de dire : vous ne me baiserez plus. And he could play guitar like a-ringing a bell. Fabuleux personnage.

Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

Chuck Berry. Disparu le 18 mars 2017
Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear Family 2014
Taylor Hackford. Hail hail Rock’n’Roll. DVD 2006

 

REUNION AU SOMMET

Le monde se tait. Les papillons arrêtent de voler pour ne pas corrompre du silence de leur vol les vastes pensées que Zeus tonnant tourne infiniment dans son grandiose cerveau. Nul bruit ne se permettrait d'interrompre, les sombres méditations du Maître des Cieux. Il a par hasard jeté un regard sur le monde hagard des hommes. Le désolant spectacle de cette race chétive et débile vient de s'offrir à ses yeux. Heureusement, marmonne-t-il, qu'il existe les rockers pour relever le niveau de cette humanité contingente. Certes l'on trouve sur cette triste planète quelques êtres supérieurs tels le Cat Zengler et le Damie Chad, chaque semaine j'avoue prendre plaisir à la lecture de leurs chroniques, mais quand je les compare à Achille, à Hector, à Ajax, à Ulysse, je me dis que face à ses héros ce ne sont que des poids plume... peut-être devrais-je les soumettre à une terrible épreuve, oui l'idée me semble bonne, tiens je commencerai par ce Damie Chad qui ne se prend pas pour une semi-bouse de vache sacrée...

C'est à ce moment précis que les deux battants de la salle du trône s'ouvrent violemment et qu'un sinistre hurlement d'exaspération féminine retentit :
- AUHUIHUOIAÎ !!! Assez ! J'en ai assez – l'épouse du monarque de l'univers projette violemment sur le sol trois douzaines de poteries grecques dignes de figurer dans les collections du British Museum – Zeus, je t'ordonne de réagir !
- Ma douce Héra, ma tendre, mon bébé, ma pantoufle, mon nanan, que se passe-t-il ? Que puis-je pour apaiser la fulmination de tes tourments, parle sans crainte ma chérie !
- Toujours les mêmes, les trois cousines, Athéna, Artémis et Aphrodite qui n'arrêtent pas de se chamailler, et c'est moi la plus belle, mais non c'est moi, non tu mens c'est moi, si tu n'interviens pas, bientôt l'on sera bon pour une nouvelle guerre de Troie, et j'en ai plus qu'assez de leurs criailleries de gamines pourries jusqu'au trognon !
- Ne t'inquiète pas ma toute bonne, tu m'apportes sur un plateau l'idée à laquelle j'aspirais sans parvenir à la formuler. Calme-toi, prends un peu de repos, retire-toi dans ta chambre mais avant introduis nos trois insupportables péronnelles, que je leur inflige la plus terrible des punitions.

L'oeil de Zeus étincèle. Les trois donzelles baissent la tête et ne mouftent pas. Zeus décide et décrète :
- Huit jours que vous importunez Héra par vos stupides enfantillages. Cela suffit. Puisque vous ne savez pas qui est la plus belle, primo : je vous transforme en jeunes femmes, secundo : je vous expédie sur la terre, tertio : je nommerai un juge pour vous départager. Et vous n'avez pas intérêt à venir réclamer par la suite. Exécution immédiate. Ah, non j'oubliai, Hermès c'est bien toi qui as inventé la lyre ?
- Oui Père !
- Et toi Apollon, tu sais en jouer ?
- Oui Père !
- Vous partirez avec vos soeurs, veillez sur elles comme sur la prunelle de vos yeux, la lubricité humaine est infinie.

Je dors du sommeil du juste lorsque dans mon songe retentit une voix assourdissante et comminatoire :

- Réveille-toi Damie, c'est moi Zeus qui vient t'affronter à une cruelle épreuve qui te montrera en quelle estime je te tiens pour te l'avoir imposée.
- Zeus je suis prêt, commande et j'obéirai.
- Bien, je savais que tu serais digne de ma confiance. Ce samedi 01 AVRIL 2017, dirige tes pas vers BARBIZON, va jusqu'au BLACKSTONE, là tu trouveras, trois jeunes femmes, attention n'y porte pas la main, ce sont de véritables déesses, elles se présenteront sous le nom de JALLIES, tu les laisseras chanter, tu leur prêteras une grande attention, et à la fin tu éliras la plus laide !
- La plus laide Zeus, je demande de l'aide ! Ce jour est à marquer d'une pierre noire, comment oserais-je me montrer si malotru !
- Tais-toi sombre vermisseau ! C'est là ta mission, ainsi tu assèneras un coup mortel à leur orgueil, et ma digne épouse ne viendra plus hurler à mes oreilles pour que je punisse ces trois calamités bruitistes !

Je n'en menais pas large lorsque la teuf-teuf me déposa devant le BlackStone. Affirmer à une jeune fille qu'elle n'est qu'un laideron n'est guère élégant. Ce n'est pas dans ma nature, ma maman m'a appris à rester toujours poli avec les dames. En plus s'adresser de cette manière fort discourtoise à des déesses immortelles, comment réagiront-elles ! Imaginez leur colère, moi qui ne suis à leurs yeux qu'un simple mortel aussi insignifiant qu'un moustique sans ailes.

Je tremblais un peu lorsque j'ai coupé le moteur de la teuf-teuf devant le BlackStone. J'avais pris mes précautions, j'avais emmené le Grand Phil avec moi, me semblait être de toutes mes connaissances l'individu le plus apte à me seconder dans cette périlleuse mission, un gars diplômé en grec ancien, c'est tout de même idéal pour tailler le bout de gras avec des déesses grecques. Nous les avons trouvées, accompagnée de leurs deux chaperons devant un poulet frites, les pauvrettes habituées à l'ambroisie divine ! Mais les voici sur scène !
Quel ravissant spectacle ! Elles ressemblaient à s'y méprendre aux Jallies habituelles, mais il y a des détails qui ne trompent pas. Plus de rouge, plus de noir, s'étaient revêtues de la couleur de l'Empyrée, ce bleu-azur qui est la teinte des plafonds de l'Olympe. Difficile de savoir qui était au juste Artémis, Aphrodite, Athéna aussi me contenterai-je de les nommer par le prénom des simples mortelles qu'elles incarnaient si radieusement.
Par contre pour les boys, n'ai pas eu la moindre hésitation. Apollon se cachait sous l'aspect de Kross. L'a commencé par arriver en retard au début des trois sets. La lenteur est la marque de la grandeur des Dieux, nous a appris Aristote. Habillé tout de noir, une casquette de malfaiteur sur la tête. L'était évident que ce soir ce n'était pas l'Apollon lumineux qui nous regardait, mais l'autre aspect du dieu, le côté obscur de la force, le lycaon, le loup cruel et sans pitié, je puis vous en apporter la preuve, à ma connaissance le seul contrebassiste qui se soit permis de jouer de la contrebasse... en la mordant, et puis ses soli, vous aviez l'impression qu'à chaque fois qu'il touchait une corde il écrasait la tête d'un serpent. A peine a-t-il commencé à jouer que les photographes se sont précipités pour le prendre en photos.
Hermès se cachait sous le chapeau et la chemise blanche de Tom, nous a donné un festival de guitare rock, en verve et le sourire aux lèvres le jeune dieu, imaginez Hendrix avec une tronçonneuse, l'a fait ronfler son engin comme un moteur de spitfire en plein combat, l'a survolé les trois sets, vous a piqué de ces soli en rase-mottes à vous donner le tournis, un moulin d'enfer, c'était bien un dieu qui jouait, l'a malmené ses cordes comme les élastiques d'une fronde, et détail qui ne trompe, n'en a même pas cassé une, alors qu'il a les a tirées plus vite que son ombre, plus fort que jamais, à chaque solo l'arrachait des cris d'admiration à la salle...
S'étaient tous les deux rangés sur le côté droit de la scène afin que les déesses soient en face des spectateurs, n'étaient-elles pas l'enjeu crucial de cette soirée ! Si vous croyez que le train d'enfer mené par leurs chaperons les ait mis ne serait-ce qu'une demi-seconde en danger, vous vous trompez. Elles ont survolé sans effort cette tonitruance impulsée par les mâles, s'en sont amusé comme l'oiseau se laisse emporter par les courants ascendants des cyclones les plus violents.
Céline, les bras nus, aussi blancs et harmonieux que ceux de Nausicaa qui accueillit Ulysse au royaume d'Alkinoos, l'était le chant et la danse, trilles swing de sa voix, un ascenseur fou qui se perdait dans les ramures vertigineuses de la beauté pour redescendre vers la plasticité condescendante des racines impulsives, un escalator hors de tout contrôle qui vous trimballait des cieux à la terre d'une seconde à l'autre, et puis cette manière d'immobiliser soudain son corps la guitare sur son épaule comme si elle revenait de la fontaine de Castalie une amphore légère délicatement posée sur sa clavicule. Ô Zeus cruel, comment pourrais-je associer la notion de laideur à tant de grâce !
Leslie, la large échancrure de sa tunique qui dévoilait des épaules de reine, tantôt cachant la droite, tantôt voilant la gauche, comme si nul oeil humain n'aurait pu supporter l'éclat irradiant de ses deux rondeurs ivoirines en un même temps, et sa voix mutine qui enflammait les rocks les plus torrides, des cercles de feu qui vous brûlait l'âme comme les forges volcaniques d'Héphaïstos, cette voix de petite fille égarée et perverse sur Funnel of Love, auriez vous déjà entendu une telle délicatesse empoisonnée ! La souplesse étincelante du serpent alliée à sa morsure la plus dangereuse. Ô Zeus sans coeur, faut-il que tu sois soit pitié pour m'obliger à mêler à cette étincelle de bonheur l'idée de laideur !
Vanessa, et son clair regard de diamant, suffit que vous vous sentiez le dard pétillant des ses yeux se poser sur vous pour vous sentir meilleur, ses réparties railleuses qui cascadent sur vous comme l'aigle des nuées qui tombe sur vous et vous déchire de ses serres puissante, et sa voix une pluie de grêlons brûlants qui s'abat et vous fracasse la tête, tour à tour Koré printanière du blond soleil et Perséphone des ires infernales, malmène la caisse claire comme si vous étiez l'objet de sa plus cruelle vindicte et puis vous adresse un de ces sourires ensorceleurs qui vous embaume l'esprit. Ô Zeus méchant, en quoi le concept de laideur aurait-il quelque prise sur vision de vie énergisante !

Et les trois ensemble, ô dieux, quelle harmonie suprême, un entremêlement de tout ce qu'il y a de plus beau sur cette terre. Comment pourrais-je m'acquitter de cette mission. Mais les dieux aiment à faire durer la souffrance humaine. Ne voilà-t-il pas que la porte s'ouvre au milieu du troisième set et que José, Didier et Ludo, le redoutable trio des Eight Ball se précipite devant la scène. Se sont dépêchés de finir leur concert à Réau pour voir les Jallies à Barbizon, et sur l'invitation de Tom – l'Hermès sardonique – après s'être emparés tour à tour de la contrebasse de Kross avec l'agilité d'un chat – normal les Jallies sont en train de miauler un souverainiste Stray Cats - ils nous offriront un mini set de quatre morceaux qui se terminera par une reprise hommagiale de Johnny B. Goode, mais vous avez raté leurs vacances au pays des vampires, un truc frissonnant d'horreur désopilante.

Une bien belle soirée avec deux groupes pour le prix d'un, remarquez que comme l'entrée est gratuite... En tout cas, pour moi ce n'est pas fini, le plus dur reste à faire. Zeus m'a fourré - sans chocolat – dans une épineuse affaire. Comment pourrais-je m'en tirer sans offenser ni le maître des Dieux ni les trois plus belles déesses de l'Olympe. Je consulte en douce le Grand Phil qui m'assure qu'à ma place il s'inspirerait non pas de la philosophie de l'Hellade – car quel humain pourrait se vanter d'être plus sage qu'un dieu – mais de la grande sophistique, cette invention typiquement grecque – donc humaine - qui égale par ses perfides argumentations la duplicité des dieux.

Toutes les trois devant moi, les yeux baissés attendant que mes lèvres proférassent l'assassine sentence. Elles n'en menaient pas large, ce qui était normal vu l'adorable taille de guêpe de leur divine silhouette. Enfin Céline prit son courage de ses deux menottes si fines :
- Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
- Oui Céline, la plus led de toutes, ta grâce est l'ampoule illuminescente qui éclaire le monde et éclipse les soleils de toutes les galaxies !
- Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise au premier de l'an !
- Quelle merveilleuse manière de commencer l'année, ô déesse !

C'était au tour de Leslie. Elle n'osait pas, son pied gauche tout mignon tambourina par trois fois le sol, et d'une voix étreinte par l'anxiété, elle demanda :
- Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
- Oui Leslie, la plus la laid back de toutes, ta décontraction est cette douce musique qui meut les sphères et permet de maintenir l'équilibre de l'univers !
- Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise pour ton anniversaire !
- Ce sera l'a-pic vertigineux de mon existence, ô déesse !

Il ne restait plus que Vanessa. A sa place vous auriez tremblé de peur. Ses deux copines s'en étaient bien tiré, que lui réserverait le sort fatidique ? C'est d'une voix légèrement altérée mais aussi suave que le miel de l'Hymette qu'elle posa la question rituelle :
- Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
- Oui Vanessa, la plus led Zeppelin de toutes, tu es l'acier brillant dont on forge les armes des Héros et le glaive de justice de Zeus qui commande l'ordonnancement des étoiles !
- Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise pour la Noël !
- Ce sera le plus inestimable présent que je ne recevrais jamais, ô déesse !

Et, hop, toute contentes, sans plus me jeter un regard, elles s'envolèrent vers le ciel.

N'étais pas trop fier de moi lorsque je me suis couché. Comment Zeus allait-il réagir ? Je n'avais pas fermé les yeux qu'il apparut.
- Damie, ne fais pas semblant de ne pas me voir !
- Oui Zeus ! J'écoute ta sentence !
Il y eut un lourd silence, j'eus l'impression qu'il dura au moins deux siècles. Enfin Zeus s'éclaircit la voix :
- Hum - hum ! Pas très courageux mon petit Damie, même pas l'audace de te payer la tête d'une fille, un conseil, ne te marie jamais, pauvre Damie, sinon tu essuieras la vaisselle matin, midi et soir ! Tu n'arriveras jamais à la cheville d'Achille.
- Oui Zeus, je l'admets, je suis timide, c'est ma faiblesse, sur le baromètre achilléen je ne ne monte pas plus haut que le talon !
- Dès que tu as ouvert la bouche j'ai saisi la perfidie de tes paroles à double sens, tu as une langue de reptile venimeux !
- Je te promets que je ne recommencerai pas, ô Zeus !
- Ne crains rien, j'ai reconnu en ton verbe ambigu l'ingéniosité trompeuse et les mille détours souverains du subtil Ulysse cher à mon coeur, aussi ne t'en veux-je point !
- Merci Zeus, mais puis-je te poser une question ?
- Fais-vite, je suis pressé, l'univers a besoin de moi.
- Tu viens de me dire que ma parole possède la grâce ondoyante des discours d'Ulysse, mais que penses-tu de ma plume, serait-elle l'égale de celle d'Homère ?
- Ta plume Damie ? tu peux te la mettre au cul !

Et le dieu des Dieux s'évanouit en moins d'une seconde. Lorsque je m'éveillai, résonnait encore dans mes oreilles son rire tonitruant.


Damie Chad

 

 

LES POETES DU ROCK
JEAN-MICHEL VARENNE
( Seghers / 1975 )

Attendait sur l'étagère depuis quelque temps, l'ai souvent pris en mains, mais la petitesse du caractère me rebutait. Plus de trois cents pages minuscules... Quatre décennies que je n'y avais jeté un coup d'oeil, n'étais pas pressé, une de plus ou une de moins... Mais enfin l'autre soir n'écoutant que mon devoir je m'y suis collé. N'en ai pas décollé jusqu'à la fin. M'attendais pas à si fort, avais tout oublié – merci cher alzheimer – vous cite quatre lignes de l'introduction :


«  … Être hanté des nuits entières par le cuir blanc de Gene Vincent, sa jambe droite scellée dans le fer, sa tête balancée le long des épaules glissant jusqu'au ras du sol, levant les yeux fous vers la clarté glauque d'un spot perdu dans la nuit... »


Du coup suis allé voir sur le net qui était ce Jean-Michel Varenne. N'ai pas trouvé grand-chose. A écrit une trentaine de bouquins – certains d'après moi alimentaires – mais des centres d'intérêt convergents, spiritualité, ésotérisme, alchimie, bref des voies d'accès directes à la poésie, bien plus signifiantes que les dissections sémiotiques universitaires, question rock son intro est le meilleur des passeports.


BOB DYLAN


L'a placé Bob Dylan à part, en tête de volume, L'Histoire lui a donné raison, le prix Nobel de Littérature est tombé dans son escarcelle sans qu'il ait intrigué pour le percevoir. Perso, j'aurais placé tout devant Jim Morrison. Me semble davantage correspondre à un voleur de foudre que Dylan. Tout sépare les deux hommes, Dylan c'est encore la vieille écriture européenne qui ne s'écarte guère de l'antique imagerie biblique, avec lui l'on n'est jamais très loin de l'Apocalypse christologique de saint Jean. Trimballe dans ses textes torrentueux toute l'arrière-fond du puritanisme américain, un oeil sur le péché et l'autre sur le feu de Sodome et Gomorrhe, le désir dans la tête et la peur au ventre. Morrison est un fils du paganisme, au travers de ses poèmes l'on sent la pulsation de l'animisme primordial, le culte du Serpent originel, son sang noir charrie les cultes orphiques de convocation des esprits et les rituels ophites du vaudou. Présente Dylan comme l'héritier du Harrar, appellation qui correspondrait me semble-t-il davantage à Morrison duquel les écrits entrent beaucoup plus en résonance avec la sauvagerie native et retrouvée des Illuminations de Rimbaud.
Ceci mis à part, il est temps de louer la méthode de Jean-Michel Varenne. Se livre à chaque fois à une explication de texte qui déborde dans les marges de la biographie sans jamais remettre en question la centralité de l'œuvre. Le texte est là, sans cesse, d'abord dans sa traduction française, immédiatement suivi de l'original – parfait pour améliorer votre anglais – mais enchâssé dans le décryptage entrepris par Jean-Michel Varenne qui resitue et restitue le contexte existentiel qui a généré son écriture. Lecture des plus éclairantes, des plus pertinentes, au milieu des années soixante-dix, ces textes n'étaient généralement accessibles qu'en songbooks pirates, les lire n'était guère facile, l'on se trouvait souvent confronté à une débauche d'images hétéroclites dont la logique qui avait présidé à leur entremêlement s'avérait inatteignable. Nous les jugions gratuites, filles d'un surréalisme éculé, et les plus sévères n'hésitaient pas à parler de facilité d'écriture relâchée, une espèce de sous-littérature largement surévaluée.
Donc Dylan dont Jean-Michel Varenne suit le parcours d'album en album. Le prophète de la Nouvelle Gauche américaine, contestation radicale du Système et donneur de leçons de morale. Ecoutez la parole du Grand Folkleux ! Lui faudra du temps pour percevoir l'aspect désagréable de cette bonne conscience. De tout repos et dispensatrice de beaux cadeaux. La célébrité, l'argent, le star system chérit ses bénéficiaires. Devient l'aboyeur appointé du Système, celui qui vous avertit à la porte d'entrée. Pousse des grognements terribles mais peu efficaces, l'est solidement arrimé au cou par une chaîne d'or. De surcroît beaucoup le flattent et lui glissent un sucre entre les dents. L'est enserré dans un anneau étrangleur de contradictions, s'en délivrera à coups d'électricités et de drogues. La liberté chèrement acquise le coupe du monde, s'enfonce en lui-même dans le carnaval qui tourne dans sa tête. L'a des visions. L'aurait pu finir comme un Saint, mais cette ascèse est trop difficile, endossera le rôle du repenti, désormais il portera sans fin la croix de la culpabilisation. Parfois il la dépose dans un coin et nous fait le coup du red neck born again, une vie simple et honnête, la femme aimée et les enfants qui jouent dans le jardin, mais il reprend vite son fardeau, car celui qui faute connaît d'abord les joies de la damnation... Nous avons un avantage sur le bouquin, nous connaissons une grande partie de la suite de l'histoire, se finit en queue de poisson, point christique, simplement cynique. Revenu de tout et de lui-même, Dylan cultive son jardin, n'aime guère que l'on vienne enquêter sur ses plate-bandes. Nous laisse en paix. Se contente de faire régulièrement la tournée des guichets.

JIMI HENDRIX


Entre Dylan et Morrison, Varenne intercale Jimi. Bien joué. Les deux autres ont beau s'agiter, restent avant tout des intellos. Hendrix est l'homme de la pratique. Issu d'un croisement de sang rouge et noir – les deux couleurs fondamentales de l'alchimie – le résultat en a été un bleu sombre, vient des bas-fonds, de ceux qui triment ou chôment dans l'anonymat. Pas question de la leur mettre. Les promesses savent qu'elles s'équivalent au zéro. Veulent du concret. Le rock n'est pas une musique. Certains écrivent de la poésie. D'autres la vivent. Le rock sera une expérience. Un voyage de l'autre côté. Apprendre à percevoir ce qui n'est pas directement accessible. En concomitance avec son époque. Les buvard bleus, les trips qui vous mènent hors de la triste réalité quotidienne. Une démarche cousine de celle des Doors. Au début, c'est magnifique. Aussi beau que le déchaînement des rubans multicolores de la fin d'Odyssée de l'Espace. Mais les chatoyances colorées se révèlent être un feu qui n'éclaire plus. Qui brûle. Dans Electric Ladyland Hendrix recherche le secours de l'eau, l'électricité déguisée en Dame du Lac, pour éteindre les irrémédiables brûlures des drogues qui vous embrument et du sexe qui s'attiédit. Maintenant qu'il a subi toutes les épreuves auto-rituelles qu'il s'est imposées les distances se sont abolies, il n'a jamais été aussi loin et aussi près du passage. Qui peut dire ce qu'il a trouvé. Jean-Michel Varenne nous apprend que les mots d'Hendrix sont aussi importants que ses notes. Une découverte. Ecoutez ce que le vent crie et pleure.

BEATLES


Trop gentillets à mon goût. Varenne s'intéresse avant tout au Sergent Poivre. Ce n'est pas chez moi qu'il recevra le grade de général cinq étoiles. Quant à leur poésie... les Déroulède du psychédélisme. Les trompettes de la renommée qu'ils ont embouchée, je les soupçonne de n'être que de vulgaires tubas asthmatiques. Ou alors d'un hélicon qui se prend pour un hélicoptère. Une fanfare hétéroclite. Beaucoup de bruit pour rien. Jean-Michel Varenne – qui les aime beaucoup – cueillent les fab four à la fin de Revolver. Le disque annonciateur des grands bazars hétéroclites de la modernité musicale. L'on rassemble tout ce qui existe, la musique classique, les gammes orientales, le poivre du rock, le travail stockhauseneriste du studio, l'on touille, et l'on sert chaud. Une fuite en avant. Les Beatles ne gèrent plus leur célébrité. Sont portés par la vague, mais ils ne contrôlent plus rien. Ce n'est pas leur canot de sauvetage pneumatique qui prend l'eau, c'est leur tête. Drogues douces et drogues dures. Au milieu du sandwich une tranche de mortadelle spirituelle. Pas excellent. Finiront par recracher les morceaux. L'équipage se révolte contre lui-même. Pourraient faire sauter la soute à munitions pour finir en beauté. Mais non, pas si fous. Trop sages. Sauve-qui-peut général mais pas de panique. Tout le monde descend au prochain port.

ROLLING STONES


Une autre dimension. Les dandies du mal. Les dignes héritiers d'Oscar Wilde, de Lord Byron, de Thomas de Quincey. Et des nègres. Que voulez-vous rien n'est plus explosif que la poudre noire. Car oui, non contents de se vautrer dans le stupre et la drogue, ils sont les adeptes de la musique noire, le blues. La musique honteuse. Font tout pour se faire mal voir : sales et habillés comme des clodos. La police les guette et le gouvernement les enverrait avec plaisir en prison. Ce n'est pas qu'ils aiment, c'est qu'ils vous haïssent. Se sentent supérieurs, et très vite ils vous méprisent. Et de là, ils se foutent de vous, vous utilisent, vous exploitent, vous rendent soupe de chèvre, vous manipulent sans regret. A chacun sa ration. Super-vitaminée dans les deux cas. Et pour les fans et pour les ennemis. Se foutent de votre gueule et pactisent avec vous. Crachent sur la gentry et rejoignent la Jet-set ! Un parcours diabolique ! Un œil sur Lucifer et l'autre sur le portefeuille. Après Altamont, à l'heure cruciale, ils choisiront le côté du cœur. Jean-Michel Varenne ne les porte pas aux nues. Mais quoiqu'ils fassent ils restent le soleil noir du rock'n'roll.

JIM MORRISON


Nous le présente comme un solitaire. Un ovni égaré échoué sur la planète du rock'n'roll. Qui repartira dégoûté de cette race humaine dégénérée vers d'autres cieux. Qui ne se révélèrent guère plus cléments. Le vaisseau s'écrasera lamentablement. Mais peut-être était-ce la seule manière non pas d'ouvrir la porte sur une autre dimension, mais de la refermer définitivement sur celle-ci. N'a pas eu le public qu'il méritait. Ou plus exactement le plus en âge de flairer la bête et le moins apte à le sentir. Des petites filles, des adolescentes pas du tout attardées, plutôt en avance, dégagées de l'enfance sans avoir encore atteint leur maturité intellectuelle. Morrison a fait avec. Saurien qui prêche dans le désert. Qui tue le père afin de les libérer du carcan de la déglingue civilisatrice. N'appelle pas au retour du bon sauvage rousseauiste, mais met en scène une dramaturgie de la cruauté innocente à la Antonin Artaud. Jim Morrison traverse le rock en passant considérable. Vient d'ailleurs mais ne sait pas exactement où il va. Expérience hendrixienne. Par excellence. Observation de la chute d'un corps équivalente à celle de la chute d'un astre. Parabole. Sinuosités étincelantes du serpent. Ondulations maléfiques des reptiles. Peut tout faire. Mais n'accomplira rien. Pas un exemple. Une trajectoire. Souvent je pense que son existence provient des atomes subtils d'un rêve de Nietzsche qui se serait condensé et coagulé dans la matière de notre monde. Certains nommeront cela un cauchemar ambulant. Gardez-vous d'y tirer dessus. Les balles ricochent sur sa carapace. Vous pourriez vous blesser. La bête morte tue encore. Normal, c'est un poëte.

LOU REED


Lou Reed sort de la dernière exit - est-ce excitant ! - from Brooklin, ne s'est pas sorti tout seul du chapeau du magicien, du chaudron maléfiques des pommes pourries du paradis, un bonimenteur l'en a tiré – vous tire aussi votre portrait et votre argent – s'appelle Andy Warhol le pape du pop art, une variation new yorkaise du Colonel Parker, mais le décor du cirque rentre dans le couvre-chef et touille Loulou, le gentil petit lapin en gibelotte fricassée aux fines herbes. Fausse recette. A la poudre qui n'est pas de perlimpinpin. C'est elle l'héroïne de la comédie inhumaine qui va suivre. Défilé des spectres, cherchent leur dose, maxidose dans les veines, et myxomatose généralisée des comportements. N'y a pas que les yeux qui sont rouges de sang sur les trottoirs de New York. Entrez dan le souterrain de velours et admirez les portraits de cire fondante et vivante. La collection des dépravés. Le sexe comme ultime alimentation. Il suffit de réaliser ses propres fantasmes pour ne pas être plus heureux. Ou plus malheureux. Ce qui peut-être considéré comme un mieux quand on y pense. Lou Reed, l'autre côté des décors du rock'n'roll. Circulez, il y a tout à voir. Prodigieusement ennuyant. Répétitif et traînant en longueur. Le vice monotone.

TROIS GROUPES ANGLAIS


Une introduction qui manifestement a lu le chapitre du Rock Anglais d'Alain Dister ( voir KR'TNT ! 321 du 23 / 03 / 2017 ) – la littérature rock use aussi de l'esthétique du recyclage chère à sa musique – la poésie tipically british. Par ordre d'entrée en scène : Les WHO. Assez bien vu, la ligne de partage des eaux, la furia et la finesse. Live at Leeds, le bruit et la fureur et Tommy, l'intellect rock en action qui demande davantage d'harmonie. D'un côté la révolte adolescence sous forme de tornade, et de l'autre une réflexion sur la société anglaise. Des voyous philosophes d'un genre nouveau. Tombent dans toutes les chausse-trappes de la pensée pompière mais avec un volontarisme et une fougue qui emporte l'adhésion. En deux les Kinks mais un degré en dessous. Du rock sauvage en leurs débuts mais très vite nostalgie et tendresse désabusée sur l'avenir sans futur qui s'annonce sur les petites gens, prolétaires du pays vous allez en prendre plein la gueule. Procol Harum, s'éloignent de la réalité, construisent un monde intérieur merveilleux de chevaliers et licornes hors du temps.

ACID-TEST


Si les anglais semblent s'enfermer dans les fastes d'un passé mythique, l'Amérique ouvre les portes d'un futur prometteur. Hélas, elles seront vite refermées. Un moment capital de l'histoire du rock. Pour faire une équivalence nous dirons que ce qui se passe durant quelques mois à San Francisco et puis à Londres, n'est pas s'en rappeler l'expérience de collectivisation des terres en Aragon durant la guerre d'Espagne. L'apparition des Diggers qui reprend les théories de Kropotkine sur l'économie du tas basée non plus sur l'offre et la demande mais sur le besoin individuel et l'apport au collectif nous montre que notre comparaison n'est pas sans fondement. Varenne ne remonte pas si loin. S'arrête au mouvement beat, cette espèce de coupure épistémologique poétique et littéraire, ce moment où la poésie sort des livres et des bibliothèques pour prendre la route. Une tradition américaine dont Walt Whitman et Jack London sont les promoteurs. En France, Albert Glatigny et Arthur Rimbaud en sont les précurseurs.
Les beatniks étaient des marginaux, des intellectuels coupés des masses. Des délinquants intellectuels d'un genre nouveau que la société regarde d'un mauvais oeil mais trop peu nombreux pour l'inquiéter sérieusement. Une deuxième génération instantanée, on l'appellera la génération hip, apparaît sur les campus universitaires. Ces nouvelles troupes n'ont pas été séduites par un quelconque éblouissement poétique au cours de leurs études. C'est l'Etat qui met le feu aux poudres en permettant en toute légalité l'expérimentation de l'acide lysergique. Remue-ménage dans les méninges. D'autres perspectives s'offrent à vous. Il existe d'autres urgences que le travail et la reproduction familiale des générations. Faut se tirer de ces carcans. Le mot d'ordre est simple, lâchez prise, drop out généralisé.
La Chine était en train de vivre sa révolution culturelle. La Californie aussi, mais très différente. Le rock en est l'étendard. Mais on ne vit pas que d'amour et d'eau fraîche. Toute société repose sur un couple économique de base. Production et distribution des richesses. Pour la répartition le mode de partage sera des plus simples : partage et entraide. Concerts gratuits et comme l'on ne partage que ce que l'on a, ce sera le partage – très christique – des corps et l'amour libre. Les modalités industrielles seront artistiques : dessins, musiques, affiches, light-shows, concerts, sagesses orientales et écologiques, créativité tous azimuts... L'on ne sait comment cela se serait terminé, le mythe des Communautés en était à ses prolégomènes expérimentaux... Lorsque les medias tuèrent la poule aux oeufs d'or avant qu'elle n'arrive en âge de pondre. De magnifiques articles décrivirent cet ordre nouveau en train de s'installer en Californie. Promettez la bouffe gratuite et la baise ouverte à une classe de troisième et vous allez voir comment vos élèves vont prendre des notes et faire leurs devoirs all the night long... des milliers d'adolescents se ruèrent sur la Californie. Déchantèrent vite, mais c'était trop tard.
Cette armée d'idéalistes emmena dans ses bagages des requins aux dents particulièrement longues armés d'une arme irrésistible : la loi du profit. Musicalement les effets de cette logique pécuniaire se firent vite sentir : fini les love-parade-musicales-gratuites, le festival pop de Monterey sera payant. Les groupes signeront des contrats et seront soumis à des impératifs commerciaux. Les hips cèdent la place aux hippies, un mouvement contrôlé par l'industrie du disque et de l'entertainment. Les deux groupes phares du son calfornien subiront de plein fouet ce remaniement structurel. Le Gratefull Dead résistera du mieux qu'il put, l'avait pour lui le soutien originel de cette communauté d'une centaine de personnes dont il était le noyau constructeur et l'émanation idéologique. Mais les jams interminables sous acide ne correspondaient guère au format des trente-trois tours, fallut s'adapter et arrondir les angles, en 1976 le Dead à bout de force arrêta les frais... Le Jefferson Airplane suivit un autre chemin, celui de la compromission acceptée. La musique plana de moins en moins haut. Les délires aux pays des merveilles d'Alice sous acide laissèrent la place à une idéologie gauchiste va-t-en guère, il ne s'agissait plus d'expérimenter une utopie sociale mais de suivre le goût des générations montantes déçues par les promesses hippies non-tenues qui recherchaient un affrontement beaucoup plus direct avec le système.
En ésotériste convaincu, Jean-Michel n'aime guère les soubresauts révolutionnaires. La révolution est avant tout intérieure. Partisan des évolutions lentes. Ce n'est pas un hasard s'il passe sous silence dans le reste de son livre MC 5, Stooges, Steppenwolf, Black Panthers et oppositions à la guerre du Vietnam.

RETOUR AUX POETES


Deux âmes torturées. Neil Young et Van Morrison. Cheminements bien analysés mais la bifurcation envisagée n'offre guère de grands espaces à dévorer. Les dépressions de nos deux troubadours électriques ne seraient-elles pas des impasses ? Tout le monde n'est pas Gérard de Nerval. Nos chevaliers de l'apocalypse intérieure ont tout de même une propension régulière à chausser les pantoufles du retrait sécuritaire lorsque les eaux de l'Achéron s'avère par trop tumultueuses...

RETOUR AU ROCK'N'ROLL


Entre deux extrêmes, le futur et le passé. The Band, l'ancien groupe de Ronnie Hawkins et le nouveau de Dylan. La dureté du rock et le regard socio-critique du folk. Un monde dur désespéré. Portraits d'individus qui vont jusqu'au bout d'eux-mêmes. Pas bien loin quand on y réfléchit. Cette partie a choisi de mettre l'optimisme novateur en tête de gondole. Les Byrds, la représentation mythiques des grands espaces, intérieurs, géographiques, interstellaires, le tout violemment éclairé à l'électricité. Lumière crue qui accentue surtout les défauts.
Mieux vaut en rire qu'en pleurer. Zappa ne respecte ni rien ni personne. Regard scrutateur et acerbe. Le rock'n'roll n'échappe pas à la découpe. Le constat est amer. Beaucoup de fric et peu d'imagination. Jeunesse manipulée sans vergogne. Le rock n'est qu'un produit parmi tant d'autres de la société de consommation. Peut-être un peu plus pernicieux car il s'habille encore dans les habits de la rébellion. Attention, c'est cette même toile qui sert à la confection standardisée des linceuls.
Quand la mort est si proche, il est urgent de s'en éloigner à toute vitesse et de sauter à pieds joints dans les terres d'origine. Chuck Berry, sa musique oui, mais surtout son amour des grosses voitures et des petites filles. Little queenies, les lieux originels de l'émergence du désir du rock'n'roll. Indépassables. Insurpassables. Eternelle jeunesse.

DERNIERES POIGNEES DE CENDRES


Les idoles oubliées sur le bord du chemin, les rescapés de l'aventure, Syd Barret, John Cale, Nico, qui n'ont même plus envie de raccrocher les wagons. Vivent en autarcie dans les chapelles écroulées, et les cryptes oubliées du tsunami rock'n'roll.
Et puis les nouveaux venus qui ne sont que les derniers arrivés. David Bowie le plus doué, Bryan Ferry davantage factice. Essaient de recoller les morceaux du joujou rock'n'roll brisé. Font ce qu'ils peuvent. Des faiseurs. Qui recyclent la marchandise périmée. Proviennent d'Europe, la seconde patrie du rock'n'roll, rongée par un insurmontable complexe d'infériorité. La bête n'est pas née chez eux. Ne se résignent pas à l'inscrire sur la liste des espèces disparues. Essaient de créer des clones.

THE END


Le livre se termine comme les Fleurs du Mal. Mais en plus désespéré. Le vieux monde n'a plus rien à offrir, n'espère plus à trouver du Nouveau. Marchandise définitivement avariée. Jean-Michel Varenne n'y croit plus. Le livre se termine avant la renaissance punk et sur la plus haute tour de la désillusion Soeur Anne ne voit rien venir à l'horizon. Alors comme cadeau, Varenne nous refile une courte anthologie de textes traduits en extenso. Mais étrangement, nous semblent sonner faux, nous les préférions lorsqu'il ne nous les dispensait fragmentés, sous forme de citations lacunaires, enchâssés dans ses présentations. Et ce sera notre dernier compliment, ils affectent alors un aspect mille fois plus rock'n'roll.


Damie Chad.

 

 

29/03/2017

KR'TNT ! ¤ 322 : BUZZCOCKS / WISE GUYS / TRISTAN & THOMAS / JIM MORRISON ( + DOORS ) / ELVIS PRESLEY / GROUPES KR'TNT !

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 322

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

30 / 03 / 2017

 

BUZZCOCKS / WISE GUYS / TRISTAN & THOMAS /

JIM MORRISON ( + DOORS ) / ELVIS PRESLEY

GROUPES KR'TNT !

 

Mêmes textes + photos sur

www.chroniquesdepourpre.hautetfort.com

 

Alors, ça Buzz, Cock ?

— Alors, ça Buzz, Cock ?
— Ouais, ça Buzz bien, Cake !
— Wow, Cock, comme t’es cool !
— Ça Buzz même the Jerk, Cake !
— Ben dis Cock, quelle classe !
Vroaaaarrrrrr ! Une Diabolica GTI passe dans la rue à 200 à l’heure, pétaradant de ses vingt cylindres en double flight W. Cock se met à chanter :
— Fast cars ! I hate/ fast cars !
Cake reprend en faisant les chœurs :
— Fast Cars ! Fast cars ! Fast cars ! I hate/ Fast cars !
— Wow, ça Buzz bad, Cock !
— Tu crois pas si bien dire, Cake ! Figure-toi que les Buzzcocks ont fast-starté leur set avec ce dingo cut !
— Fast Cars ?
— Ho-ho/ Fast cars ! I hate/ Fast cars !
— Wow, Cock, t’as ça dans la peau !
— Ouais, quarante ans que ça clique ! Et j’hate toujours autant les fast cars ! Wow, Cake, ils jouent ça avec la même niaque qu’au début ! Tu vois Steve Diggle ramener sa fraise sur scène et paf, il te claque un vieux Do de Manchester United sur sa Télé crème et à côté, t’as Pite la pine tout en noir qui crie sa haine des cars ! Ho-ho/ Fast cars ! I hate/ Fast cars ! T’as pas idée de la classe qu’ont ces deux clampins de crack-boum city ! Ils claquent cette pop de cracks depuis quarante piges, Cake, tu captes ?
— Wow, quel bail, Cock !
— Ah ouais, bail que bail, Cake !
— T’as vraiment ça dans la couenne, Cock !
— Quand je les entends, j’ai le chibre qui chuinte, j’ai la dorsale qui shiver, j’ai le chinois qui chouine, j’ai la goutte au gland, ah ça, Cake, c’est réglé comme du papier à musique ! Quand tu mates Pete la bête mouliner ses barrés mancuniens sur sa small black pelle, tu recommandes ta couenne à God car tu sais que tu peux claquer une valve et mourir de plaisir ! Un truc comme Harmony In My Head, ça te troue le cul, oh-oooh/ But it’s a harmony in my head !
— Ho-oh/ It’s a harmony in my head !
— Ha-ah/ ça t’harmonise aussi sec, Cake, ça te cale, ça te cuit, ça t’encule, t’es là à miauler à la lune avec Pete la pâte, le boss du Buzz, le pif du pop, le pape du paf, ça fait quarante ans qu’il te balance sa giclée magique sans débander. Le pote Pete, il te fait Lennon et McCartney à lui tout seul, et son vieux compère Diggle n’en finit plus de rigoler tellement il jouit du pur bonheur de jouer tous ces hits sur scène ! Tu veux du bon régal ? Des bonbons du passage Démogé ? Fuck it, Cake, va voir les Buzzcocks buzzer leur bazar, ils vont te baiser jusqu’à la garde, tu cliqueras comme une clock en pâte ! Jamais tu verras un guitariste aussi content d’être sur scène que Steve Diggle, il fait des clins d’yeux à tous les fans tassés sur la barrière, et il couine en chœur avec Pete le pote It’s a harmony in my head ! Franchement, t’as là un hit aussi hot que Baby You Can Drive My Car !
— Ho-ho/ Fast cars ! I hate/ Fast cars !
— T’es con, Cake !
— Yes I’m gonna be a star !
— C’est le même drive, en fait, la même énergie pop et la même classe. Tous ces mecs viennent du Nord de l’Angleterre. Quand Cilla Black dit que Liverpool doit que dalle à Londres, on peut dire exactement la même chose de Manchester. Rien à cirer du Clochemerle londonien ! Les Buzzcocks ont toujours buzzé dans leur coin !
— Leur coin coin ?
— Ah t’es con, Cake !
— Putain, ça te Buzz plus au casque, Cock ? Coin coin ! Coin coin ! Coin coin !
Cake imite Pete qui joue deux notes sur sa guitare sciée :
— Coin coin ! Coin coin ! Coin coin ! C’est le solo sur deux notes dans «Boredom» !
Cock clame le chorus :
— Boredom boredom boredom !
Et Cake reprend la chute au baryton :
— Bodom’ Bodom’ !
— Coup de génie ! Coin coin ! Coin coin ! Coin coin ! Quel coup, Cake !
Cake rejoue deux coups vite fait :
— Coin coin ! Coin coin !
— Tu sais qui qu’il dit dans Boredom, Cake ? Il dit qu’il vit dans un movie qui ne l’intéresse pas ! Et qu’il attend que le téléphone sonne !
— Bodom’ Bodom’ !
— Il dit qu’y a rien derrière lui et qu’il est déjà un has-been. Il dit que son avenir n’est plus ce qu’il était !
— Bodom’ Bodom’ !
— Quelle claque, Cake !
— Coin coin ! Coin coin ! Coin coin !
— Oh mais attends, t’as un autre truc dément sur Spiral Scratch : Time’s Up ! Tu sais quoi ? Ils jouent ça en rappel ! Là t’as plus qu’à appeler ta mère !
Cake claque le chœur :
— Time’s Up
— Non attends, Cake ! D’abord, tu retrouves Pete la pite au supermarché. Il poireaute à la caisse avec sa box de beans !
— Cash up !
— Et après, il fait la queue à la Poste pour acheter des timbres avec la tronche de Queen...
— Stick up !
— Et pis il attend après sa poule qui se ravale la façade !
— Make up !
— C’est là qu’il se demande pourquoi il passe son temps à poireauter !
— Break up !
— Puis il refait la queue pour des clopes !
— Stood up !
— Il en a vraiment ras la motte de poireauter tout le temps !
— Give up !
— Alors il passe un coup de fil à sa belle-mère qui lui dit que ben non, cocote n’est pas encore levée !
— Get up !
— Mais cocote vient quand même lui répondre au téléphone avec sa voix sexy !
— Shut up !
— Ah ces chœurs me fendent le cœur, Cake !
— Quelle claque Cock !
— Sûr Cake, t’as là les chœurs les plus déments de l’empire du milieu.
— Rien de pire que l’empire, Cock !
— Ah t’es con, Cake ! Mais dans le fond, t’as pas tort car What Do I Get, c’est quatre fois pire que l’empire ! Pete s’y plaint. Il veut un lover qui reste jusqu’au bout et qu’est-ce qu’il a ? Des nèfles ! Des nuits sans sommeil dans un lit à moitié vide !
— Ho Hooo !
— Il avoue sa détresse, il a besoin d’une caresse, What do I get ?
— Ho Hooo !
— Que dalle, Cake !
— Ho Hooo !
— La vie est dure, Cake ! Et Pete n’aime pas les promesses, These Promises are made for us !
— Promises/ Ho Hooo !
— How could you ever let me down ?
— How How !
— Elle devait changer, mais elle est restée la même, what a shame !
— Shame shame shame !
— Ha t’es vraiment con, Cake ! Comment qu’y font les gens pour causer avec un con comme toi ?

Signé : Cazengler, buzzé comme un bleu


Buzzcocks. Le 106. Rouen (76). 22 mars 2017

 

TROYES / 24 – 03 – 2017
3 B

WISE GUYS

Wise Guys, ce soir au 3 B. Soyons aussi avisés que ces gars venus d'Ukraine qui en plein milieu de leur tournée européenne s'arrêtent à Troyes. Le bar de Béatrice Berlot commence à devenir un des lieux incontournables du rockab. La classe internationale. La Teuf-teuf galope, elle a saisi l'enjeu, ou la casse ou les Wize Guys. J'arrivons à l'heure, ne sommes pas nombreux, une petite dizaine, par contre à table au fond il y a du monde. En attendant le début des festivités, afin que vous ne vous ennuyiez point, je me permets de vous refiler une petite recette ukrainienne.

LES PÂTES UKRAINIENNES


Facile et pas cher. Prenez une casserole, remplissez d'eau du robinet jusqu'à une hauteur de vingt centimètres. Soyez précis, ni dix-neuf, ni vingt et un. Portez à ébullition. L'opération suivante demande un peu de doigté et de self-control. Eventrez sauvagement deux paquets de pâtes ( semoule dure ) et versez brutalement leur contenu dans le liquide brûlant. Les grosses bulles qui crèvent à la surface doivent impérativement produire de bruyants cloc ! cloc ! Touillez délicatement, jusqu'à complète absorption de l'eau. Baissez le feu, continuer la cuisson à feu doux durant vingt-six minutes dix-sept secondes. Si la lame de votre couteau s'enfonce dans la tambouille, plein gaz durant dix minutes. La cuisson est effective quand votre opinel ne parvient plus à entamer l'espèce de gâteau obtenu. Démoulez en frappant à coups de marteau sur le fond de la casserole. Voilà, c'est fini, demandez à vos amis de s'assembler autour de la table.
Comment c'est dur ? Comment vous y avez laissé deux dents ! Vous êtes totalement fous ! Ne vous ai jamais dit que c'était pour manger, soyez un peu raisonnables, c'est juste pour l'idée.
Admirez la magmatique masse compacte et extasiez-vous ! Ressemble en tous points à celle formée par cet agglomérat impénétrable du public qui s'est pressé devant les Wise Guys durant toute la soirée, à l'image de ces bouchons de roches volcaniques qui empêchent tout jaillissement impromptu et éruptif des cratères dits en sommeil. A part que les Wise Guys, z'étaient salement réveillés et qu'ils nous offert un technicolor quadriphonique digne des derniers jours de Pompéi.

WIZE GUYS


Quatre gars, Rebel casquette sur la tête, mine inquiète, s'agenouille près de sa contrebasse dont le dos s'ornemente d'une éraflure, Gluck s'arme de sa rythmique, au fond Ozzy, le plus carré des trois s'assoit placidement derrière ses caisses, et Chic Bird semble marqué d'un doute. Nous refera le coup à chaque morceau, un oeil sur la set-list qui gît sur le plancher, se tourne vers ses camarades l'air préoccupé, lève la tête en quête d'inspiration, ça semble lui revenir, esquisse une moitié de riff, se rapproche du micro, un, deux, trois, et hop il envoie le drop entre les poteaux. C'est parti pour le galop cosaque.
Trois sets, pas très longs ou alors ils sont passé comme trois rêves plus délicieux les uns que les autres. Mais vu la presse et chaleur qui règnent ces brèves coupures sont appréciables et personne ne s'en plaint. S'il fallait les distinguer, nous dirions le premier plus swing, le deuxième plus bop et le troisième un tantinet pro sixties. Ce ne sont que des indications, pas des étiquettes, les Wise se baladent, pas dans l'histoire du rockabilly, dans celle de la musique populaire si vous entrevoyez la différence.
Rebel fournit le swing, l'élastique, la pulsation originelle, pas du tout un adepte du slap tomahawk, accroche les cordes du bout de ses longs doigts afin de les ramener vers lui, sa main caresse davantage qu'elle ne frappe, vous ne pouvez pas parler d'une assise rythmique, ou alors mouvante, chantante, l'aisance du surfer qui passe les vagues comme vous quand vous descendez les escaliers sur la rampe, mais lui il sait aussi les remonter à la même vitesse sur la même glissière. Serait parfaitement à l'aise dans un combo de jazz, mais nous sommes bien dans un rockabilly brain storming.
La différence est simple à saisir. Pas le temps de s'ennuyer. A peine sommes-nous en voiture et qu'il faut déjà s'arrêter en pleine vitesse de pointe. C'est Ozzy qui se charge du frein. N'appuie pas comme un malade sur la pédale, sous prétexte que ça fonce droit vers un a-pic de quatre-vingts mètres, se contente de couper le moteur. En roue libre, Paulette ! je lève les bâtons et je ne touche plus à rien. Et hop il tourne d'une chiquenaude le volant d'un coup de baguette magique et le quatuor fabuleux remet les gaz pour une nouvelle courbe de la mort. Ah ! ces moments où le coeur de l'orchestre cesse de battre, définitivement, trois dixièmes de secondes mais de celles qui touchent à l'éternité de la beauté.
Le troisième fautif se nomme Chic Bird. Chic parce que le rockab c'est de la voyouterie choc. Et Bird parce qu'il manie sa guitare avec autant de dextérité que Charlie Parker son saxophone. Là c'est moi qui invente. Vaudrait mieux dire que Charlie Christian et Django Reinhardt leurs guitares. Christian, pour la cohésion de l'ensemble. Ne cherche pas à tirer tous les rayons du soleil sur sa propre gloire, Miter Chic Bird, joue collectif, avec les autres et pour les autres, ne bavarde pas, il intervient, il propulse ou il clôt, il encapsule ou il fait sauter le bouchon du champagne, mais ne se sert jamais en premier. La tournée est d'abord pour les copains. Django parce que c'est le plus court chemin pour comprendre le jeu de Cliff Gallup lorsqu'il se mit en tête d'inventer la guitare rock en trente six morceaux, en trente-six chandelles crépitantes. Toute la sauvagerie concentrée en trois notes et ensuite la chute des météorites explosives au ralenti.
Chic Bird m'a scotché. Gluck aussi, mais avec du double-face. Ce mec-là, c'est un mutant. Je le soupçonne, je le dénonce, s'est fait greffer un bras automatique. Un robot infatigable qui lui file deux siècles et demi d'avance sur tous les guitaristes rythmiques du monde. Avec un tel outil qui bosse pour lui il peut faire le malin, et hop je hisse la guitare vers le haut, et houps ! je la tends vers la gauche et puis tiens je fais semblant de planter le manche sur le sol. Souvent j'ai eu envie de débrancher Chic Bird, rien que pour le plaisir égoïste de me délecter de ces riffs – joue en riffthmique – increvable, l'a l'air de sucrer les fraises de sa main droite, de la gauche je ne sais comment il se débrouille mais il vous trifouille de ses mélodies imparables qui vous font peur. Imperturbable, une machine à remonter le rockab, n'y a que lorsque Duduche pressé par la foule, et aventuré sur les fils des guitares, qui pour se faire pardonner lui a collé un gros bisou de petite fille sur la joue pour lui montrer combien à Troyes l'on aime le rock'n'roll qu'il a paru décontenancé, du coup Duduche en a profité pour glisser le well introductif de Be Bop A Lula dans le micro.
Quatre super musiciens. Nés de la cuisse de Jupiter. En ai oublié de préciser que Chic Bird, comme tout oiseau qui se respecte, chante. Une précision extrême, ne se contente pas de pousser la goualante, c'est sa guitare d'un bleu-pétrole étincelant qui délimite l'espace du vocal, fin de riff, en sandwich entre deux, en plein milieu d'un, ses doigts ouvrent les vannes et les referment à l'instant voulu. N'empiète jamais, ni avant, ni après. Ni avance, ni retard. Ce n'est pas un chanteur qui timbre et tamponne la musique, le chant est considéré comme le cinquième instrument, ne monopolise pas l'attention, joue sa partition, participe de la cohérence totale au même titre que les quatre autres.
Le rockabilly est une interpénétration musicale, les Wise Guys délaissent le blues, sont entés dans l'instrumentalité originaire du jazz, dévissent selon le bop et ses accoups frénétiques et ses ricochets foldingues qui visent davantage aux effets spectaculaires, et enfin abordent l'éclatement délié du surfin' dans cette manière parfois, de prolonger les notes, de les faire vibrer à l'unisson dans une auto-réverbe frissonnante, leur musique ne s'échappe jamais de ce triangle d'or, se cogne aux murs de cette trinité qui se perpétue comme une partie sans fin de billard à trois bandes, mais se refuse à les abattre.
Apparemment avec raison. Puisqu'ils ont mis tout le monde d'accord. Clientèle du 3 B éberluée.


CLAP DE FIN


Comme d'hab ! Normal c'est du rockab ! Merci Béatrice pour toutes ces soirées. Et à Fabien et ses deux copains pour la superbe sonorisation.

Damie Chad.

BLACKSTONE / 22 – 03 – 2017
la jam de
THOMAS + TRISTAN

L'invasion des fourmis rouges. Celles qui piquent. Celles que l'on aime. Ça avait bien commencé. Intimiste. Ne manquait que le feu de bois. Tristan et Thomas sur leurs tabourets. Deux morceaux de country. Celui du texan qui avoue que les filles de Memphis valent le détour. Tristan se hâte de confirmer, suit celui du énième cœur brisé. Si poignante que pour un peu vous salopègeriez votre whisky avec des larmes de crocodile. Dernier arpège et la porte s'ouvre, un, deux, trois, une bonne douzaine de musicos, la plupart armés de leur étui à guitares, l'on se croirait à une réunion de la mafia, Tom se réfugie derrière la batterie et c'est le grand déballage. La scène est prise d'assaut, à la bonne franquette, mais l'on a vu le moment où il aurait fallu distribuer des numéros d'attente comme aux guichets de la Sécurité Sociale.
En tout cas que du bon, un peu de groove mais pas les mornes plaines infinies, c'est qu'il y a un énergumène – j'ai oublié son prénom – qui au chant et dans un deuxième temps à la batterie – a quelque peu dynamisé le tempo. Rien de tel que les balles rapides pour vous débarrassez du shérif. Voulait enchaîner sur Presley, mais personne ne connaissait A Little Less Conversation dont il proposait une version un peu trashy. Dommage ! En contrepartie l'on a eu deux filles au micro qui chacune dans son style, soul et rock, ont cassé la baraque. Mais la palme à Julien – guitare et voix- qui nous a balancé deux interprétations habitées du Floyd – et pourtant je ne suis pas un fan – un gars habité, l'on sent que chez lui le rock touche à des zones sensibles essentielles.
Me suis sauvé subrepticement, l'était une heure trente et devais me lever à quatre, alors qu'un contingent de trappeurs se préparait à vanter les mérites de l'Alabama. Je sais sur ce coup-là je n'ai pas fait fort mais si vous connaissiez la dure vie des rockers... Merci à Tristan et à Thomas, pour une jam ouverte, c'était les deux battants du partage amical !
Et puis une découverte, Tristan et son répertoire country, de la belle ouvrage, faudrait qu'il organise une soirée spéciale...

Damie Chad.

JIM MORRISON
AU-DELA DES DOORS


HERVE MULLER

( Albin Michel / Rock & Folk / 1974 )

Le cadavre remue encore. L'on ne compte plus les livres publiés sur Jim Morrison. Mais celui-ci est spécial. Ecrit en français, achevé d'imprimer en décembre 1973 - avant que Jerry Hopkins ait terminé Personne ne Sortira Vivant d'Ici, la première bio qui fut suivie d'une flopée d'autres - et rédigé par un témoin direct, de première main, qui avait côtoyé la star en rupture de ban durant ses dernières semaines à Paris. Hervé Muller, journaliste à Rock & Folk, en les années fastueuses de la revue.
L'ai relu – fait partie de ces ouvrages redécouverts dans le garage lors de ma recherche des Pionniers du Rock'n'roll de Michel Rose – avec plaisir et surprise. J'en gardais un excellent souvenir, mais je ne m'attendais pas à ce qu'il soit si bon. En près de quarante ans l'on a exhumé tant d'anecdotes et apporté tant de précisions sur les Doors et Jim Morrison, qu'il doit sonner un tantinet creux, me disais-je, rien que les circonstances de sa mort... eh, bien pas du tout !
Le bouquin est sauvé par là où il pèche. Questions éléments biographiques, au total il n'y a pas grand chose. Rien que l'on ne sût déjà à l'époque, et Hervé Muller parvient à remplir cent quatre-vingt pages avec trois fois rien. Comment réussit-il à accomplir ce miracle ? En se cantonnant strictement à ce qu'il était. Un petit français. Ne décelez point une quelconque manifestation de fierté nationaliste en cette assertion. Entendez l'expression en tant que jeune individu baigné d'une certaine approche culturelle et linguistique. Pas un amerloque qui décrit de sang-froid le monde tel qu'il est. Mais la tête farcie d'un enseignement littéraire qui lui permet de saisir l'un des aspects les plus essentiels de la personnalité de Morrison.
Morrison, chanteur de rock ? Sans nul doute. Et extrêmement doué par-dessus le marché. Ne le nie pas. L'aurait du mal. Fut conscient de la qualité de ses prestations tant discographiques que scéniques. Mais il considère cette séquence existentielle dont il venait de déterminer la closure comme un incident de parcours, un détour, une opportunité, une expérience. Qui l'a dévoré, et bouffé tout cru. Ce n'était pas là l'essentiel pour Morrison. Un autre projet lui tenait à cœur. Ne comptait plus sur le rock'n'roll pour forcer la porte qui donnait accès à cet autre pays qu'il rêvait d'atteindre. N'était pas du genre à se contenter de frapper au portail du paradis en attendant sagement que quelqu'un vienne lui ouvrir.
S'était entiché d'un autre chemin. Un peu vieillot. Déserté par la modernité. Suranné. Avait commencé par y mettre un pied, et puis un autre. Et s'obstinait à s'y engager. Voulait être poète. En toute innocence. L'avait déjà publié deux livres. Le public n'en avait fait aucun cas. Le faux pas à ne pas recommencer. Une provocation stupide. Abandonner le statut d'icône rock pour vendre péniblement deux cents exemplaires à l'année d'un opuscule incompréhensible qui n'intéresse personne. Admirez le fada.
Certes il existe un lien entre la poésie et la musique. Qui remonte à la plus haute antiquité. La lyre d'Orphée. Comment se fait-il que personne n'ait jamais remarqué que le cheminement de The End n'est ni plus ni moins qu'une descente orphique ? A la recherche de l'âme soeur ( he paid a visit to his sister ), que le meurtre du père n'est pas la mise en scène d'un complexe d'Oedipe mais une mise au tombeau et le viol de la mère un passage en force dans les souterrains infernaux. Mais au contraire de Gérard de Nerval, il n'y a pas de remontée victorieuse.
Autre question. Que se passe-t-il quand la musique est terminée ? Genre de questionnement insidieuse à la Robert Graves, je le reconnais. Pourtant quand Pince-mi tombe du bateau, il reste bien quelqu'un sur le bateau. Même mouvement de recul que pour la fausse end. Marche arrière toute. L'on revient à son point de départ la queue entre les jambes. Pas question de rester sur une défaite. L'on bombe le torse, l'on se frappe la poitrine et l'on déclare la guerre au monde entier. Sans tarder. C'est sur le rocher de son impuissance que Prométhée est le plus fort. We want the world and we want it now !
Hervé Muller s'attarde sur ces deux premiers grands textes de Morrison. Pour le troisième, il tourne un peu autour de la peau. Il y a sûrement un lézard dans la boite à surprise. L'est aussi mal à l'aise que les trois musiciens du groupe qui au moment de l'enregistrer décident que cette Célébration ne tient pas la route. Le poème n'est-il pas par trop hétéroclite ! Des fragments mal assemblés qui ne s'adaptent pas parfaitement. Il s'agit là pourtant du mode d'écriture habituel de Morrison, une perpétuelle oscillation entre collage et inspiration, rien de bien nouveau pour qui se donne la peine de faire un tour dans la soul kitchen de l'atelier de fabrication du poète.
The End est le drame de l'échec. Descendre aux enfers, passer les portes de la mort et ne pas réussir à mourir ! De quoi acquérir le sens de l'humour noir. When the Music is Over est le poème de l'échappatoire, le mort vivant qui revient au monde, mais La Célélébration est la métamorphose ultime. Mourir homme pour renaître lézard. L'animal virtuel de tous les possibles. Le serpent qui se mord la queue, l'éternel retour du même, en tant que sommitale puissance. L'homme accède au stade suprême du poète, l'oeil limpide de l'univers.
La poésie de Morrison se donne à lire sous forme d'images. Procédé de voyeur qui guigne par le trou de la serrure. Le cinéma est une de ses obsessions. Mais Morrison voit plus loin que la réalité. Là où vous décrivez des choses et des bêtes il aperçoit la superstructure mythique des objets, invisible pour beaucoup, qui les englobe. La vision de l'astral n'est pas de tout repos. Certains enfants ont peur du noir. D'autres de ce qu'ils décèlent. L'alcool aide les plus fines particules translucides du songe à se déposer au fond du verre de la conscience.

L'est de bon ton, ces derniers temps, de se gausser des prétentions poétiques de Morisson. Lui-même nous en donne une explication. Le disque, ne demande pas d'effort. Suffit d'écouter. Lire est une opération de plus grande exigence. La musique est le miroir aux alouettes de la poésie. Les contemporains sont plus attirés par le bruit que le silence. Quel est donc de gentle sound que vous demande d'écouter Morrison ? Puisque l'on se détourne plus facilement de ses écrits que de ses disques l'on en déduit que ses recueils que l'on n'a pas pris le temps de lire attentivement sont de piètre qualité...
Beaucoup ne jugent la poésie que selon une grille interprétative surréaliste. Le déchaînement des images métaphoriques des textes de Morrison est un leurre. Ceux qui s'obstinent à une lecture andrébretonnante s'y cassent les dents. Au-delà des fulgurations ils ne perçoivent que du verbiage. Cela leur apprendra à rechercher le Verbe de l'Inconscient comme étalon logosique de compréhension entachée d'un christicisme qui n'ose dire son nom. Morrison se réclame à plusieurs reprise du Symbolisme. Ce qui implique une écriture de plus haute signifiance qui ne se contente pas d'éclater le réel pour en recoller les morceaux. Ce genre de poètes essaient du même coup d'identifier les mythifications structurelles de la matière et de son appréhension.
Une autre source de mésinterprétation de la poésie de Morrison c'est qu'au premier aspect, elle a le goût et la couleur d'Arthur Rimbaud, mais de fait elle serait davantage d'obédience verlainienne, laissez tomber les feuilles d'automne et les patenôtres de Sagesse, jetez un coup d'oeil sur les derniers recueils érotiques, Mes Prisons, et les Les Poëtes Maudits, et les textes de Valéry sur le culte bachique par lequel les groupes d'étudiants honoraient le vert vieillard, vous y trouverez parallèlement des accointances remarquables.
Pour la petite histoire je me dis que le volume de Pastel In Prose ( 1890 ) de Stuart Merril qui offre au public américain une anthologie de textes français fin de siècle a bien dû passer entre les mains de Morrison. L'on sait que les bibliothèques des Universités Américaines sont bien plus fournies sur cette période que la plupart des françaises.

Parce qu'il met l'accent sur le cheminement intellectuel de Jim Morrison ce livre d'Hervé Muller est des plus captivants. Va vraiment au-delà du simple chanteur des Doors. Me suis un peu baladé sur les blogues qui parlent de Jim. Suis un peu effaré de toutes ces analyses empêtrées de moraline qui émaillent de leurs crottes repoussantes les commentaires. L'était pas gentil. L'était arrogant. L'était indécent. L'était indélicat avec les demoiselles. Il frappait son frère. Il disait des gros mots. C'est vrai. Il a commis toutes ces atrocités et même pire. Vous oubliez deux tares congénitales. L'était poète. L'était rocker. Et aucune de ces deux revendications postulatoires n'excuse l'autre.
Allez en paix. Nous préparons la guerre.


Damie Chad.

AN AMERICAN PRAYER
JIM MORRISON

MUSIC BY
THE DOORS

( Elektra / 1995 )

AWAKE – GHOST SONG / DAWN HIGHWAY -NEWBORN AWAKENING / TO COME OF AGE – BLACK POLISHED CHROME – LATINO CHROME – ANGELS AND SAILOR S – STONED IMMACULATE / THE MOVIE – CURSES INVOCATIONS / AMERICAN NIGHT – ROADHOUSE BLUES – THE WORLD ON FIRE – LAMENT / THE HITCHHIKER / AN AMERICAN PRAYER – HOUR FOR MAGIC – FREEDOM EXISTS – A FEAST OF FRIENDS + BABYLON FADING – BIRD OF PREY – THE GHOS SONG.

Ce n'est pas un disque des Doors à proprement parler. Ont dû être pris d'un remords lorsqu'ils l'ont édité en 1978. L'aura de Jim ne cessait de grandir, devaient se sentir un peu penauds, le projecteur s'attardait de moins en moins sur leurs pâles figures, un peu comme quand votre voiture est morte et que vous avez beau faire des signes désespérés sur le bord de la Highway et que personne ne s'arrête pour s'inquiéter de votre sort. Morrison avait tenu à enregistrer ses poèmes avec ses musiciens, afin que ceux-ci l'aident à mettre en forme sa lecture. Devant le peu d'empressement de ses camarades, l'expérience avait vite foiré. Morrison mort, les bandes existaient, les survivants décidèrent de réaliser le projet de Jim.
Ont tripatouillé comme ils ont pu. Des poules bien embêtées de l'œuf de crocodile qu'elles viennent de trouver. Le grand mix, parfois la voix nue de Jim, souvent un accompagnement surajouté, le tout encadré par des extraits des disques enregistrés avec Jim. A l'époque l'on s'était jeté là-dessus comme les mites sur la robe d'un moine défroqué oubliée au fond de la sacristie. L'on en était ressorti déçus. On n'avait pas retrouvé notre dieu. On l'a écouté quelques fois et puis direct sur l'étagère des urgences qui ne pressent pas. L'ai ressorti à la suite de la lecture du book de Muller.
Une évidence. Ce n'est pas Morrison qui chante sur la musique des Doors. Ne s'appuie en rien – et pour cause – sur l'accompagnement musical. C'est juste le contraire, ce sont les Doors qui ont glissé leur musique sous la voix de Jim. Cela ressemble à un mauvais mixage. Une bande de démonstration effectué sur un magnéto deux pistes sur la table de la cuisine, juste pour donner à l'ingénieur du son une rapide idée de l'architecture du morceau qu'il est censé soniquement sculpter.
Mais il y a de quoi être troublé en écoutant les récitations de Morrison. Exit le rocker, l'on s'attend à des cris de haine, des mugissements de fauves, un entrechoquement de consonnes, des étranglements vocaliques, des hurlements de suppliciés, des halètements de serial killer, des susurrements pornographiques, des vaticinations de devin fou, toute la dramaturgie du théâtre de la cruauté d'Antonin Artaud. Fausse route. L'on se croirait dans un studio feutré de France-Culture. Morrison lit avec une gravité et une grâce lamartinienne. Pas d'emphase, mais un calme, une sérénité, sa voix au parfum d'ambre marine se fait caresse, douce, enchanteresse. Plus de tigre qui mugit dans les coins, ni de cobra menaçant qui siffle sur vos têtes. Le calme, le luxe voluptueux du rêve baudelairien. Je les comprends Manzarek, Krieger et Densmore, n'ont pas osé faire du bruit. Z'ont marché à pas feutré, pas question que la guitare se mette à vous piquer une colère flamenco à déraciner les arbres, ni que la batterie nique l'atmosphère de ses gros sabots de bois, n'y a que l'orgue qui vous tisse un nappage des plus discrets, du genre, chut, surtout ne vous dérangez pas, je ne fais que passer sur la pointe des pieds, inutile de me raccompagner à la porte, je m'éclipse. L'imprécateur est aux abonnés absents. Ne dégringole pas dans les escaliers comme Roger Blin dans Pour En Finir Avec le Jugement de Dieu. Pose sa voix comme Proust sa madeleine sur le rebord de la soucoupe. Un wagon de nostalgie qui passe sans bruit. Rien à voir avec un tramway tapageur qui se nommerait désir exacerbé.
Perso, je n'aurais pas insisté. La voix nue du poète et rien d'autre. Cela suffisait. Parfois après la tornade le vent se fait brise. C'est en ses moments de silence qu'il faut prêter l'oreille pour percevoir le chant des matelots qui vous appellent pour vous emporter vers l'île aux trésors perdus de pure innocence.


Damie Chad.

JAMES DIEU / Livre Premier
FRED PONTARLO

( Futuropolis / 2007 )

Encore pire que Jim Morrison. Ce n'est pas qu'il n'en finit pas de mourir, c'est que le gland qui engendrera le chêne multicentenaire dans le tronc duquel on prélèvera les planches pour son cercueil n'est pas encore né. Au bas mot, nous en avons encore pour au minimum un bon millénaire et demi. Remarquez ce n'est pas n'importe qui, pas de la petite friture pour chat malade. Immortel, qui nous met le doigt dans le cul. Sur la couverture se le plante, bonjour les morveux, de façon fort peu ragoûtante dans la narine. La droite pour les adeptes des précisions inutiles. Je ne voudrais pas en profiter pour me faire un peu de pub auprès de nos charmantes lectrices, mais qu'elles arrêtent de phantasmer, comparé à son portrait, je suis le plus beau mec de la terre, un prince inoubliable, l'ultime parangon de la beauté terrestre. Pourtant, en sa jeunesse il fut le roi, le rebelle à l'indépassable moue dédaigneuse, ses photos enflammèrent toute l'Amérique, l'Europe, le monde entier et peut-être même la moitié des imaginations féminines de trois cent trente quatre galaxies. Non je n'exagère pas. Vous en conviendrez lorsque j'aurais prononcé son nom talismanique, Elvis Presley.
Précision utile. Pas le jeune ténébreux de l'Hôtel des coeurs brisés, plutôt le patapouf rondouillard des derniers concerts de Las Vegas. N'habite plus à Graceland. Squatte une canette de coca-cola écrabouillée, lui, sa graisse et ses bagouses, l'en sort de temps en temps comme le génie de la lampe d'Aladin. Se livre alors à des déclarations qui risquent de vous chagriner, sachez qu'il a créé l'univers, la terre et les hommes – jusque-là tout va bien – pas à partir de rien comme Jéhovah – qui sur ce coup remonte en notre estime - mais de son vomi. Quoique métaphysiquement parlant ne vaut-il pas mieux être issus des vomissures d'Elvis que de rien ? Car au moins c'est déjà de quelque chose. Je laisse votre libre arbitre décider en votre âme et conscience de votre préférence.
Donc Elvis, le Retour. Un peu obsédé ne pense qu'à baiser. L'est sûr qu'à l'intérieur d'une boîte de coca – je ne sais pas, l'occasion ne s'est jamais présentée - l'on doit se sentir un peu à l'étroit pour la gymnastique d'éros. En plus l'a mal choisi son lieu d'atterrissage ou d'émergence. ( Avec Dieu les notions de haut et de bas sont contingentes. ). L'est tombé sur la face cachée de l'Amérique. Chez les pauvres, les déclassés, les chômeurs, les trafiquants à la petite semaine, bref chez tous ceux qui essaient de survivre de boulot précaires sous-payés en combines minables. Exemple, le personnage principal – notez la déchéance de l'idole, n'a pas le premier rôle – revend au rabais des canettes de coca-cola qu'il a chouravées.
Vous vous doutez que l'apparition d'Elvis jette le trouble dans ce milieu de bras cassés. Un coup de pied dans la termitière des gagne-minuscule. Sa présence aiguise les appétits, pécuniaires chez les messieurs, et sexuels chez les dames. L'on sent que ça va mal se passer. En effet à la fin de ce premier tome, l'on compte déjà un mort, une victime collatérale. Le deuxième volet de la saga s'annonce sous de mauvais auspices. ( A suivre )

 

JAMES DIEU / Livre Troisième
FRED PONTARLO

( Futuropolis / 2007 )

Pas pu mettre la main sur le deuxième. Cela m'aurait-il aidé à comprendre ce tiers-livre ? J'en doute, Elvis est sur la route au coeur de New York. N'a pas choisi le bon moment. En plein attentat des Twins Towers. Les presleysologues ne manqueront pas de rappeler l'histoire de Jesse Garon, le frère jumeau mort à sa naissance. Une grande énigme métaphysique parcourt le bouquin : le génie de la cannette est-il vraiment Dieu ? Avec en prime, celle-ci plus embarrassante pour les théologiens, pourquoi Dieu existe-t-il ? Et celle-ci, façon champignons à la grecque : pourquoi y a-t-il Dieu et non pas autre chose ? Les réponses vous semblent difficiles ? Alors n'entamez pas la lecture de ce troisième tome, l'action est encore plus embrouillée, le synopsis est un véritable labyrinthe, à peine sommes-nous débarrassés d'un personnage qu'il réapparaît aussi frais que Lazare de son tombeau. Ou qu'une sardine à l'huile sortie de sa boite. Pour les sentimentaux, un nouvel personnage, la prostituée aux lèvres aspirantes et au coeur aussi méchant que le diable. Celui-ci est d'ailleurs présent, Jésus aussi, et toute la smala déglinguée qui court avec : le faux Elvis, dieu le père, l'amoureux transi, les frères Bogdanoff et quelques autres du même tonneau des Danaïdes. L'on a dû emprunter le mauvais couloir car ce tome trois se termine exactement comme le tome un. Dessin à tonalité jaune, la couleur de l'or métaphysique, ces palominos que l'on trouve au fond des culottes des petits enfants. Vous reste tout de même cette ultime interrogation : mais que vient faire Elvis Presley dans cette foutue camionnette ? Prenez une double camomille ( parfaite contre les crises de foi ) avant d'aborder ce tohu-bohu des plus abstrus.
Peux vous filer un fil d'Ariane conceptuel : si l'on a les dieux que l'on mérite, méritons-noos Elvis Presley ?

Damie Chad.


GROUPES KR'TNT !

 

KR'TNT ! à la proue de l'actualité ! N'avais pas terminé les deux articles précédents sur Morrison depuis deux heures que chez mon buraliste le tout nouveau numéro de de Rock & Folk m'a interpellé. Jim Morrison et The Doors en couverture ! Les grands esprits se rencontreraient-ils ? Bien sûr. Mais plutôt les gros intérêts. La preuve : Elektra sort un coffret trois disques consacré au premier album des Doors. Version mono, version stéréo, et pour terminer, le coup du rhino féroce, non pas la quadriphonique, mais huit titres live au Matrix. Et hop, le mensuel sort l'olifant du rappel des fans qui avait déjà servi lors de la réédition de L.A. Woman en 2011, grand article et tout le tra-la-la... C'est fou comme les maisons de disques ont la main longue et le crochet du gauche fulgurant, le dernier titre de Chuck Berry sur France-Bleu hier soir à six heures trente... Par contre pas un mot sur le surprenant remerciement de Vincent Palmer qui quitte la revue par la petite porte...
Mais la grosse surprise, l'était avant, dans les premières feuilles, tiens je connais cette photo, mais oui, Pogo Car Crash Control en pleine page ! KR'TNT ! vous en a dit le plus grand bien ces derniers mois, trois concerts, la chro de leur premier morceau sur compilation, puis celle de leur splendide EP, et enfin de deux mortelles vidéos, et les voici en Tête d'Affiche ! Ce n'est qu'un début, ils continuent le combat !
N'y a pas si longtemps que cela, dans la même rubrique, Rock & Folk présentait Howlin' Jaws, qui nous fournissent épices et délices depuis plusieurs années...
Keer Rockin' Till Next Time !


Damie Chad.