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04/01/2017

KR'TNT ! ¤ 310 : BLUES PILLS / JUSTIN LAVASH / POGO CAR CRASH CONTROL / MICHEL LANCELOT / NEGUS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 310

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

05 / 01 / 2017

BLUES PILLS / JUSTIN LAVASH /

POGO CAR CRASH CONTROL /

MICHEL LANCELOT / NEGUS

 Les Blues Pills tombent-ils pile ?

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Oui, on peut dire ça comme ça : les Blues Pills tombent bien pile. Voilà un groupe sorti de nulle part qui non seulement se retrouve en tête d’affiche d’un concert subventionné, mais qui en plus joue dans la grande salle, un privilège qui est d’ordinaire réservé aux artistes téléramés bon chic bon genre. On a remarqué depuis un certain temps que plus le ventre du rock est mou, plus ça plait. On a le choix entre deux solutions : soit l’accepter, soit dire non et continuer de courir les petites salles trash où on ne mesure pas les décibels avec le fucking appareil.
C’est donc par simple curiosité qu’on se retrouve au concert des Blues Pills. Le hasard fait parfois très bien les choses, puisqu’une fille arrive avec une pinte à la main et trébuche. Elle renverse sa mousse. Ouf ! On renoue avec ce bon vieux trash qu’on aime tant : la flaque de bière et les semelles qui collent. Mais personne dans les parages n’ose allumer un spliff. Les gens maintenant sont bien dressés. On ne doit plus être très nombreux à rouler avec un gros nez rouge. Quelle époque !
Le vrai souci, c’est qu’on a déjà les oreilles chauffées par Kadavar, le trio poilu qui jouait en première partie. Nos amis les Pills vont-ils pouvoir monter d’un cran ? Ça paraît plus qu’hypothétique, car mine de rien, il vaut mieux éviter de jouer après un power-trio comme Kadavar. On pourrait disserter à l’infini sur la sauvagerie des programmations. La meilleure illustration de cette tare, c’est probablement un concert des Demolition Doll Rods à l’Abordage. Ce soir-là, on les fit jouer AVANT les Black Keys. Incroyable ! Aucun groupe à l’époque ne pouvait rivaliser de classe, de son et tout ce qu’on veut avec les Demolition Doll Rods, et surtout pas les Black Keys qui jouaient encore une sorte de punk-blues professoral, du genre regardez-les gars comme je joue bien de la guitare vintage, alors que Margaret et Dan rallumaient le brasier du Detroit Sound. On ne rigole pas avec ces choses-là. Et paf, les pauvres Blues Pills se retrouvent dans le même type de configuration. Ils montent sur scène APRÈS un power-trio qui vient en droite ligne de Blue Cheer et de Sabbath. Les Blues Pills eux viennent en droite ligne de rien. Ils jouent un rock très seventies et bien foutu, c’est vrai, mais qui sonne comme tous les albums des seventies qu’on achetait et qu’on ne réécoutait jamais, parce qu’ils n’avaient qu’un intérêt anecdotique. La survie de tous ces mauvais albums qu’on payait deux livres dans les second-hand shops de Golborne Road ne tient plus aujourd’hui qu’à un fil : la spéculation. On bâtit aujourd’hui des fortunes en trafiquant tous ces mauvais disques. Mais comme dirait l’autre, ceux qui les veulent et qui mettent un billet, on ne va pas les en empêcher, hein ?

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Alors les voilà. Ils arrivent sur scène, avec leurs cheveux longs et leur look seventies. Le guitariste Dorian Sorriaux a sur scène la même tête à claques que sur les pochettes. Il joue sur une SG avec un style très doux et en même temps très présent, et pas mal de coups de wha-wha, comme le veut la loi du genre. Ce mec a des petites manies qui agacent un peu au début, comme de lever le bras droit chaque fois qu’il joue un bout de phrasé, mais il finit par s’imposer. On comprend qu’il n’est pas là par hasard. Sa physionomie bizarre ajoute un brin de mystère. Avec son visage fermé de petite gouape pasolinienne, il semble venir d’une autre époque, celle du Decameron de Boccace, par exemple. Ou encore d’une cave du Palais du Saint-Office, au temps où on y questionnait l’hérétique.

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La bête du groupe, c’est le bassman Zack Anderson, un ex-Radio Moscow, et lui, il fait pas mal de ravages sur sa Thunderbird. Extraordinaire bourlingueur de drives ! Il faut quand même se souvenir que dans les années soixante-dix, les bassmen étaient souvent exceptionnels. Pour jouer de la basse dans un groupe, il fallait être aussi bon que le guitariste. Zack Anderson vient de cette école, celle des Jack Bruce et des James Dewar, des Phil Lynott et des John Entwsitle.

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Et puis on a la petite chanteuse, une Suédoise qui s’appelle Elin Larsson. Blonde, bien sûr. Elle arrive sur scène vêtue d’un monokini-short noir. On croit qu’elle est pieds nus, mais non, elle porte un collant sous son short. Et puis, elle se met à faire du sport sur scène et ça tourne vite à la farce. Elle saute comme si elle faisait des exercices de gym, on dirait qu’avant de chanter, elle songe à perdre du poids. Son jeu de scène est assez grotesque, mais elle s’impose par sa voix. À certains moments, elle shoute comme une black et ça redevient intéressant, car on pense à des shouteuses comme Maggie Bell ou Elkie Brooks qui elles aussi savaient pousser des pointes, dans les années soixante-dix.

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D’ailleurs c’est marrant de voir revenir ces chanteuses, car les albums de Vinegar Joe et de Stone The Crows font partie de ceux qu’on ne réécoutait jamais et qui finissaient par dégager.
Les Blues Pills parviennent à s’imposer, en dépit de quelques petits aspects caricaturaux, mais au fond, ce n’est pas méchant. On ne peut pas demander à tous les groupes de monter sur scène avec la prestance d’un Cyril Jordan. Ce groupe finit par forcer la sympathie en créant son monde, mais aucune chanson ne frappe l’imaginaire. Leur prestance se limite à un son, mais ils n’ont pas de hits, à la différence des Midnight Scavengers qui eux en ont, mais personne ne le sait.

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Le spectacle n’est pas que sur scène. Il est aussi dans le public. Nous voilà sur la barrière, coude à coude avec LA fan, la vraie, une jeune femme brune à lunettes, smartphone à la main, qui connaît tous les cuts par cœur, qui traduit à son copain les commentaires de transition que fait Elin Larsson, et qui applaudit à chaque fin de morceau en explosant de joie. La magie du rock reste bien réelle, puisqu’elle rend toujours des gens heureux, et c’est bien là sa raison d’être.
En deux ans, ce groupe américano-franco-suédois a enregistré deux albums, Blues Pills et Lady In Cold. Chaque album s’accompagne d’un DVD. Le premier propose un concert filmé en Allemagne et le deuxième sent l’arnaque, car il s’agit aussi d’un concert filmé en Allemagne à la même époque, avec quasiment les mêmes morceaux.

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Le hit du premier album s’appelle «Gypsy», une fantastique explosion de soul-rock - I’m a gyspsy/ That’s what I am - Elle gueule aussi pour de vrai dans «Astral Plane» et dans l’«High Class Woman» qui ouvre le bal. C’est le gratté de basse bien mixé qui fait le charme du cut. Elin Larsson reste très saute-au-paf des barricades dans sa façon de chanter, avec une voix verte à la Savage Rose. Et puis on note une belle facture guitaristique et aventurière. On sent un son et une vraie volonté d’en découdre. L’autre gros cut de l’album s’appelle «Jupiter», joué au stomp, bardé de son et whawhaté dans l’esprit de Seltz. Elin Larsson fait toujours sa Slick cosmopolite, elle lance un how this world should have been avant de plonger dans un abîme de son. C’est excellent car balayé aux quatre vents, intense et préempté dans les pires conditions événementielles. On aura aussi un faible pour «Black Smoke» attaqué au boogie blues dès le second couplet, et puis après une crise nerveuse, ils retombent dans l’apathie des hippies. Ils jouent avec les extrêmes, l’eau et le feu, le sucré et le salé, le pire et le meilleur, ils se paient de violentes crises de fièvre jaune et rallument au passage les vieux braseros de la toundra. Ce guitariste est un fin limier. Il fait aussi pas mal de ravages dans «No Hope Left For Me». Il en sort grandi, en guitariste puissant et valeureux. Dans le film qui accompagne ce premier album, il joue sur une Flying V. Elin Larsson fait sa Maggie/Janis/Grace en robe longue et le visage du bassman Zack disparaît sous une véritable cascade de cheveux ondulés. Ils sortent une version solide de «Devil Man», le cut qui se rapproche le plus de ce qu’on sait du blues-rock des seventies. Quand on voit ce groupe jouer sur scène, on comprend à quel point les années soixante-dix sont loin, c’est-à-dire sans lien avec notre époque. Sociologiquement, tout a changé, les comportements, les mentalités, les façons de se cultiver. Voir ce groupe jouer sur scène permet de voir à quel point le rock peut parfois devenir anecdotique.

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Il n’empêche que Lady In Gold est un excellent album. Le morceau titre qui ouvre le bal sonne comme un hit. Elin Larsson va droit au but, avec une niaque impressionnante. Rien de plus admirable que la puissance d’une femme. Les Pills rallument les brasiers et lors du final éblouissant, Elin Larsson monte au créneau. Coup de génie avec «Bad Talkers», une pop r’n’b bien popotinée et jouée à l’étuve, presque stompée. On croirait entendre Merry Clayton ! Notre petite Suédoise est très forte. Elle ramène toute l’énergie de «Gimme Shelter» et relance aux hey hey ! Admirable. Rien que pour ce cut, l’album vaut largement l’emplette. On trouve aussi du climat chauffé à blanc dans «Little Boy Preacher». Ils sont sûrs de vaincre, alors ils jouent fièrement. Quelle fabuleuse shouteuse ! Comme on le disait à une autre époque, rock’n’roll is here to stay ! Encore de l’éruption en pagaille dans «Burned Out», littéralement chauffé à blanc. Ils sont tellement bons qu’il intensifient aussi à l’extrême un balladif comme «I Felt A Change». S’ensuit un «Gone So Long» amené au pinacle de la débâcle, charrié dans une dégelée de son qui grimpe dans les Andes jusqu’au temple du soleil. C’est radieux, puissant, bien intentionné, au service du peuple qui en a bien besoin. Il semble que ce groupe soit bienvenu, on les sent sincères et doués. Encore du fabuleusement hot avec un «You Gotta Try» tellement explosif qu’il finit par exploser, coïtal en diable et drivé vers l’enfer. Franchement, on se goinfre des gueulantes d’Elin Larsson. S’ensuit un «Won’t Go Back» tout aussi fiévreux, mené par cette harpie pleine de jus. Les deux derniers cuts de l’album vous enverront au tapis, si ce n’est pas déjà fait. «Rejection» sonne comme un stomp de r’n’b, mais le plus décidé qui soit. Ils nous pulsent ça à l’admirabilité des choses, dans la puissance de la démence et pour corser l’affaire, le batteur double. On retrouve enfin l’énergie de «Gimme Sheter» dans «Elements & Things». Tout vient du ventre du rock et ça gicle en direction du firmament. Si les Blues Pills deviennent énormes, ce ne sera pas uniquement à cause de cette ridicule mode d’un retour aux seventies.

Signé : Cazengler, Bouse Pill


Blues Pills. Le 106. Rouen (76). 29 octobre 2016
Blues Pills. Blues Pills. Nuclear Blast 2014
Blues Pills. Lady In Cold. Nuclear Blast 2016

 

*


Au secours ! Je suis englué dans un ramassis de jeunes bonnes femmes en extase devant les légumes d'un producteur bio. Sur le marché de Mirepoix. Moi la contemplation des potimarrons, c'est avec modération. Mais où que je me tourne d'énormes cabas ventrus me barrent le chemin. Je suis perdu, condamné à poireauter sans fin. C'est alors que Dieu a entendu ma détresse. Enfin plutôt le Diable qui se faufile dans le conduit auditif de mes oreilles. De rocker. Non, ce glapissement, ce n'est pas un orgasme féminin suscité sur l'étalage par la raideur écologique d'un radis noir, mais bien le glissement d'un tube métallique sur les cordes d'une acoustique. N'ai plus qu'à suivre ce fil sonore et providentiel pour m'extraire de cette gluance légumière pour me retrouver devant mon sauveteur.

JUSTIN LAVASH


Ah, la vache ! L'est beau comme un dieu grec. Qui a beaucoup vécu. Une gueule de baroudeur taillée à la serpe et un sourire désarmant. L'on sent le gars à qui on ne la fait pas. Un rouleur de bosse. Un boss. Et une belle voix en plus. Toutes les expériences de la vie accumulée, mais pas du tout usée, au contraire, prête à mordre dans tous les fruits de la passion qui passeraient à sa portée. Chante le blues. Le vrai celui qui perle comme les gouttes de sang des colères non rentrées et des fureurs jaillissantes. Et les doigts affairés qui courent comme des mains de marins sur les élingues les jours de déglingue et de naufrage. Miaule en slide. Sans fin. Picke en as. Six cordes, une cassée, et une orchestration ébouriffante. Un vocal qui monte et descend le toboggan des émotions. Ne fait pas chaud sur cette place centrale, mais elle vous brûle la peau et l'âme.
L'on ne s'attarde guère autour de lui, because aglagla, mais les oboles de deux euros pleuvent dans son étui de guitare. Je lui prends un CD – voir ci-dessous – et échangeons quelques mots, anglais qui vit à Prague mais qui passe selon d'affectives raisons régulièrement à Mirepoix – deux concerts prévus dans les environs, pas de chance, je serai à ces dates proximales retourné dans ma Brie ni côtière ni natale – une espèce de hobo des temps modernes qui a choisi la marge et les pistes ombreuses de la libre existence.

PROGRAMMED / JUSTIN LAVASH

, Negus N° 2, Pogo Car Crash Control, Michel Lancelot, Justin Lavash,

Fistfulla Snake / The Story so Far / Programmed / EZ in CZ / Just Before / Meditation Gong / This is Now / Gonna Raise A Racket / Alittle too Soon / Affluenza.

Justin Lavash : guitare, vocal / Ian Kelosky : programmation / David Landstof : drums / Beata Hlavenkova / Karl Kwashivie : guitar / Mike Kyselka : harmonica / Stepan Janousek : Trombone. Choeurs et vocal : Kristina Zakuciova / Kristine Bornholtz / James Motherdale / Joe Cook
Enregistrement : Juin - Juillet 2016 / Subs Studio / Prague.

Belle pochette cartonnée openfield avec livret des paroles.

 

Fistfulla Snakes : Peux faire n'importe quoi avait déclaré le Roi Lézard. O. K., mais quoi au juste ? Un demi-siècle après Justin Lavash nous apporte la réponse. On la connaissait déjà, mais tout l'art gît dans la manière de la signifier de façon crédible. Attention, c'est du condensé, une poignée de secondes et de serpents, mais des méchants genre de ceux qui se dressent sur la tête de la Méduse chez Caravage. Vous avez le lieu et la formule, l'essentiel et le superflu, le ciel et l'Enfer, le mojo, l'électricité et les canines du crocodile. Du pur Lavash mais la force souterraine d'un Howlin' Wolf. The Story so Far : instrumental, presque joyeux, une bourrée auvergnate martelée comme quand l'on tire la langue à son ennemi pour le narguer, la slide qui grimace comme une gargouille d'église. Programmed : changement de programme. Le vocal reste chargé d'ironie et l'orchestration résonne comme les cloches à la sortie des mariés, oui mais les paroles démentent cette bonne jovialité, notre monde court à l'abîme, nous nous déshumanisons, des idéologies meurtrières s'emparent des commandes de notre cerveau, sourions, nous sommes filmés, tous devant la caméra du fascisme qui ne rampe plus. La voix se change en message radio. Attention à l'infantilisation de nos âmes. EZ in CZ : Historic blues, le passé de la République tchèque défile sous nos yeux. Politic blues. L'on se trimballe des valises lourdes à porter, nazisme et communisme, mais le présent n'est guère brillant, pourtant Justin avoue l'inavouable, pour lui la Tchéquie est une terre où planter son tipi même si ce n'est pas facile d'y vivre. Just Before : slide paranoïaque, part dans tous les coins. Mais en fait c'est plutôt une attaque schizophrénique. Le rêve qui se barre d'un côté et la réalité qui s'enquille une mauvaise direction. La musique devient un gros trait noir interminable qui raye. All the good is goin'gone. Groove Total : En français dans le texte pour que la subtile bastonnade de la réalité n'échappe point à votre vigilance. L'humanité s'effrite, les banques ne vous laisseront que les os pour pleurer. Grève ou groove. Ne vous trompez pas dans vos choix. Meditation Gong : peu transcendantale. Ne s'agit pas de laisser passer. Plutôt médication que méditation. La pression augmente dans les artères. La batterie s'éclate et les choeurs coagulent votre sang. Marche funèbre endiablée. Rien ne tombe. This is Now : C'est maintenant et pas après, le rythme devient fou, faut arrêter de tourner en rond devant les millions de solutions qui se pressent dans votre tête, la musique est presque froissée, se transforme en comptine enfantine pour mieux être hachée sur les cymbales d'une espèce de cantique de noël qui confine à la folie. Gonna Raise A Racket : le dernier chant d'espoir, pratiquement à cappella. Plus de grain à moudre. A Little too Soon : electronic sound, tout fout le camp un peu trop tôt, une manière de dire que rien ne va plus, ni l'estime de soi-même ni l'amour. Rythme précipité, le robinet d'eau chaude a la tiédeur des larmes du passé qui s'enfuit. Douche froide des amers constats. La guitare larmoie. Pas de quoi pleurer non plus. Affluenza : Joie et airs de mirliton. Tout va bien. Les filles du backing vocal s'en donnent à plein choeur, les boys ont du fric plein les poches. Le monde danse sur un volcan. Ce n'est pas une plaisanterie. Le disque se termine ici. Attention aux fissures dans les murs.

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Ne m'attendais pas à un truc si novateur, si jouissif. Justin Lavash ne nous refait pas le coup du guitariste imparable. N'est pas le dernier puriste du blues. L'envoie aux orties le monstre sacré, l'intouchable. Le malmène salement. Pas de respect pour les vieilles lunes. Fussent-elles bleues. Se balade dans notre modernité. Pas belle à voir. S'agit plus de se contenter d'un fil de fer tendu entre deux clous. Etrangement ce bricolage m'évoque les distorsions que Led Zeppe faisait subir au folk sur son volume trois. Pas d'apparence, mais l'esprit. Le monde est devenu plus complexe. Les couleurs du serpent n'ont jamais été aussi rutilantes, aussi flashantes. Aussi fascinantes. Contre ses anneaux puissants, vous êtes désormais désarmés. Lavash possède son arme secrète, la dernière. L'ironie, qu'il inocule dans le timbre de sa voix. Brouille les pistes d'étranges sonorités. Rien n'est plus sublime que la catastrophe. Dernière valse sur le beau Danube blues.


Damie Chad.

CONSENSUEL
POGO CAR CASH CONTROL
( Clip Officiel / Romain Perno )

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Rien de plus Consensuel que les réveillons de fin d'année. Surtout quand le gentil papa Noël descend de la cheminée pour mettre des milliers de cadeaux dans vos petits souliers. Les Pogo Car Crash Control ont décidé de donner leur version de ces festivités. Sous la direction de Romain Perno qui pousse le groin de sa caméra jusqu'à les transformer en Pogo Car Trash Faustroll. L'histoire commence bien. Une famille unie comme les quatre doigts de la main qui boustifaille à en vomir. Sur la nappe. Ce n'est pas le plus grave. Tout se passe dans les yeux. Ces miroirs phantasmatiques qui trahissent haines et désirs rentrés. Cette douce cellule à la base de notre société est un noeud de vipères. Lubriques. Âmes sensibles s'abstenir. Cela commence comme une grosse farce. Rien ne vous sera épargné. Même pas le foie gras transformé en merde de chien. Ni le crime, ni le viol, ni l'inceste. Le carnaval tourne au burlesque. Grand guignol et stupre néronien. Mais ce n'est pas le plus grave. Romain Perno nous grise d'un grésil d'images tournoyantes. La réalité est une fiction loufrocke. Suffit de faire un tout petit peu attention pour s'apercevoir que derrière le vernis des apparences, tout n'est que tumulte et fragmentations, fracas de miroir brisé coupants et saignants. Tout est parfait si ce n'est ce cadavre de dinde qui fait signe que quelque chose s'est détraqué dans nos sociétés d'abondance. La rigolade au service de la méditation métaphysique. Question essentielle : au-delà de la mort pourquoi le sang du Père Noël est-il d'un rose aussi cru que le saumon fumé ? Champagne pour tout le monde. Cruauté pour les autres. Vous n'êtes pas obligés de regarder. Le monde dans lequel vous habitez n'est pas toujours beau à voir. A rocksommer sans modération.

Damie Chad.

 

MICHEL LANCELOT

LE JEUNE LION DORT AVEC SES DENTS

GENIES ET FAUSSAIRES
DE LA
CONTRECULTURE

( ALBIN MICHEL / 1974 )

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C’est chaque fois pareil. Tous les dimanches matin, sur la brocante. Je prends deux ou trois bouquins de poche à un euro, et lorsque je paie, la tenancière du stand me dit : attendez, je vais vous en rajouter un peu. Mais cette fois-ci elle en a rempli à ras bord une grosse poche plastifiée. Me suis traîné le sac lourd comme le barda d’un légionnaire romain toute la matinée. De retour à la maison, j’ai exploré le coffre aux merveilles. Une collection complète du Point ( heureusement que le Seigneur qui nous aime beaucoup a inventé les bennes à ordures pour nous débarrasser de ces horreurs ), une espèce d’in-folio géant, genre bible en exposition sur les offertoires dans les cathédrales qui s’avéra être un roman de quinze cent pages, quelques babioles de moindre envergure et oh! Tiens ! Surprise, un bouquin de Michel Lancelot. L’est mort, pas longtemps de cela Lancelot et je doute que son nom dise quelque chose aux jeunes générations. Officiait tous les soirs sur Europe 1, entre 1968 et 1974. De la bonne musique, de la pop music comme l’on disait à l’époque, mais ce n’était pas le plus important, le plus intéressant se passait entre les disques, Lancelot parlait de réalités inatteignables, San Francisco, les hippies, la beat generation, évoquait des personnages dont souvent on entendait causer pour la première fois, avait ses invités qu’il interviewait avec passion, Michel Lancelot fut ce que l’on appelle un passeur. Le Jeune Lion Dort avec ses Dents ( proverbe bantou ) est le troisième d’une trilogie qui débuta avec Je Veux Regarder Dieu en Face, un titre qui m’a toujours horripilé - comme s’il n’y avait pas des milliers de choses bien plus passionnantes que ce stupide fantoche - consacré au phénomène hippie et Campus qui pose le problème violence /non violence… faut dire qu’en la France de ces douces et folles années l’était temps d’arrêter l’incendie allumé par une jeunesse peu studieuse et en révolte… Un bel exemple à suivre en ce bas monde où la police est partout et la justice nulle part.

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Que faire ? Comme ne disait pas Lénine. C’est que si l’on refuse la violence, la voie est étroite pour tous les insatisfaits du Système que Lancelot nomme la Machine. L’a sa sortie de secours toute prête. Son nom est écrit sur la porte. La Contre-Culture. Je vous admire, déjà vous êtes en train de tirer sur un joint, un vieil exemplaire d’Actuel sur les genoux tandis que derrière vous grésille un trente-trois tours du Grateful Dead. Rangez votre panoplie. Lancelot nous refait le coup de Greil Marcus devisant sur les Sex Pistols en 1986 ( voir KR’TNT ! 136 du 21 / 03 / 2013 ). Ne soyons pas chronologiquement stupide, c’est à croire que Greil Marcus aurait feuilleté Le Jeune Lion Dort avec Ses Dents avant de se mettre à rédiger son Lipstick Traces.

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L’arrive un moment dans la vie où les illusions vous tombent du cerveau comme les feuilles des arbres en automne. La Contre-Culture n’est pas née en Amérique, ni à Memphis, ni à New-York, ni à Los Angeles, entre 1956 et 1966. Même que ceux qui l’ont initiée ne savaient même pas qu’un jour viendrait au monde un truc tumultueux que l’on appellerait le rock and roll. Notre orgueil de rocker en prend un coup, mais cocoricou, la Contre-Culture vient de chez nous. L’a commencé juste à côté en Suisse, mais les principales batailles se sont déroulées à Paris.
Dada, Lettrisme, Surréalisme, sont les trois premières mamelles du ventre de la bête féconde. Rien à voir avec trois regroupement successifs d’artistes en mal de reconnaissance. De jeunes gens qui se cacheraient derrière un manifeste plus ou moins faussement séditieux pour gagner leur place au banquet de l’écuelle littéraire. Le propos est beaucoup plus sérieux. S’agit de bouter hors du champ de la rationalité affligeante les vieilles lunes de la Culture Académique, celle qui s’achève, comme La Montagne Magique de Thomas Mann sur les champs de bataille de la guerre de quatorze. Rejeter à la mer de l’oubli vingt-cinq siècles d’une civilisation qui a démontré l’inanité de ses principes moraux soi-disant supérieurs. Briser l’aiguille de la boussole, se laisser dériver dans les zones interdites du non-sens, du rêve, de la folie… L’analyse de Michel Lancelot est prémonitoire en le sens où il présente l’entreprise de ces pionniers comme un travail méthodique de destruction qui vise autant à dynamiter les assises sociales de l’être humain que la base idéologique de cette grotesque marionnette infatuée d’elle-même qu’est l’animal-homme qui s’est auto-institué le Sujet Pensant de l’Univers. Lancelot nous présente la tâche effectuée par ces avant-gardes poétiques de la première moitié du siècle précédent en des termes qui conviendraient pour décrire le travail de dé-construction opéré par la génération derridienne en fin de gestation dans le moment où il écrit son livre.
Reste que la littérature se doit de mettre ses théories à l’épreuve de la vie. S’étaler pompeusement sur des pages et des pages est facile, mais il est utile d’en sortir pour transformer le monde. Lancelot possède son as de pique soigneusement arboré sur sa manche. S’il privilégie tout au long de son livre le lettrisme c’est que celui-ci a engendré un bâtard qui sut faire parler de lui. Le Situationnisme en tant que déclic théorique qui déclencha Mai 68. C’est ainsi que l’on aime à présenter les évènements. Z’oui, mais n’empêche qu’il y eut un autre foyer d’infection.
En Amérique. Ce que l’on célèbre aujourd’hui sous le nom de Beat Generation. Sacrés amerloques, tirent toujours la couverture à eux. Ont recréé, tout seuls, dans leur coin lointain, ce que les pauvres européens avaient mis un demi-siècle à faire émerger. Un phénomène de génération spontanée ? Point du tout. De 1959 à 1963, y a du beau monde qui se presse à Paris pour écouter les lettriques lectures d’Isidore Isou.

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Parmi ces aficionados quelques noms connus, des peintres comme Liechenstein et Indiana, futurs rois du pop art, des écrivains reconnus de tous les rockers, Gregory Corso, Allen Ginsberg, William Burroughs, les chantres de la Beat Generation. Les Anglais qui n’en sont jamais à un coup de Trafalgar près adopteront une jeune japonaise qui fréquentait ces lieux de perdition mentale, destinée à devenir la compagne d’un célèbre prolétaire, Yoko Ono.
N’est pas question de se disputer pour savoir qui possède la plus grosse beat générative. Le mal vient de plus loin que le siècle précédent. Lancelot remonte les escaliers de l’Histoire, descend les marches jusqu’à la Rome Antique. Ce n’est pas qu’il soit un émule de Jules César. Nous entraîne dans le stupre de la décadence. Hélas, nous n’avons pas droit à quelques scènes de banquet orgiaques, nous ne sommes pas là pour nous amuser ou nous rincer l’œil à grandes eaux, mais pour apprendre à identifier nos ennemis. Le christianisme, son moralisme étroit, son puritanisme puant, son étroitesse idéologique qui brûla bien plus de livres que ne le firent les Nazis… Histoire ancienne diront les esprits conciliants. Pas tant que cela. Rappelez-vous les mouvements de protestation contre la guerre au Vietnam, dans les universités américaines. Comme par hasard, très vite fleurit sur les campus de la docte America les Jesus freaks qui s’employèrent à répandre les préceptes de non-engagement politique prêché par le dieu d’amour et de paix… Faisons vite une croix sur ce cauchemar de résignation pateline.

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La Contre-Culture n’est pas là où on l’attend. La fumette est un agréable passe-temps à ne pas confondre avec les expériences du LSD prônée par Timothy Leary. Ne s’agit pas de se faire sauter la tête en quête d’une jouissance sans entraves. L’acide est un moyen de Connaissance, une gnose qui permet de gravir les arcs-en-ciel qui donnent accès à l’auto-divinité. L’interdiction de la drogue repose sur d’autres inquiétudes que la préservation de la santé physique de ces adeptes. Celui qui parvient à un niveau de conscience sur-élevée ne croit plus en les préceptes de la comédie sociale. Devient un ingouvernable, un incontrôlable sur lequel la loi commune n’a plus aucune prise. Il serait extrêmement dangereux pour un Etat que se développe une trop large frange de tels individus. Big Brother veille sur vous. Ne vous quitte pas de l’œil.
C’est dans les ouvrages de science-fiction d’un Bradburry ou d'un Philip K. Dick que se développera la critique la plus radicale des institutions. Une simple distorsion temporelle permet d’évoquer des problèmes ou de soulever des problématiques les plus actuelles. Retour en France, Lancelot évoque longuement Le Matin des Magiciens - plus d’un million d’exemplaires vendus, et l’aventure de la revue Planète qui s’ensuivit. Un phénomène éditorial qui ouvrit en grand les portes de l’ésotérisme à une génération avide de nouveautés. Le livre devint la Bible du mouvement hippie français, déclencha des prises de conscience et des décisions existentielles innombrables. Elargit le champ des possibles. Prudence, nous avertit Lancelot, confiez les plus hauts secrets, donnez les meilleures potentialités à un imbécile, il n’en ressortira que des imbécillités. Papa Freud devenu la tarte à la crème de la psychologie du pauvre.
Nous donne l’impression que la Contre-Culture n’est pas un mouvement de masse. Notre époque ne manquera pas de l’accuser d’élitisme ! Porte l’accent sur les novateurs, les Kandinsky qui font exploser les schémas de la représentation, les anonymes qui se servent du faible coût et de la maniabilité du super-huit pour s’emparer du cinéma. Est à l’affût des arts nouveaux : la bande dessinée qui prend son essor au tout début des seventies par exemple…
Quarante ans après, le bouquin date un peu. La bombe atomique ne nous fait plus peur. L’extinction de l’espèce humaine nous l’avons congédiée pour parer au plus pressé, ces fous dangereux qui attaquent nos petites personnes à coups de hache dans le train, nous nous méfions davantage de l’islam que du christianisme... Les Etats l’ont compris, l’important ce n’est pas la cause, mais que la peur continue à habiter les esprits. Le vieux lion a longtemps dormi, en se réveillant s’est aperçu que ses griffes étaient émoussées.


Damie Chad.

M’en a voulu à mort. Cette vieille baudruche crevée de dieu. N’a pas dû goûter mes blasphèmes. N’avais pas fini cette chronique depuis deux jours, qu’en entrant chez le premier bouquiniste venu mon œil fut attiré par une chatoyante couverture, à ne pas y croire, quel hasard saint Balthazard, quelle providence, négligemment posé sur un tas informel de bouquins, qui me regardait droit dans les yeux, de Michel Lancelot :

JE VEUX REGARDER DIEU EN FACE
( LE PHENOMENE HIPPIE )

( Albin Michel / 1972 )

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La première édition date de 1968, en prise directe sur les évènements, n’y avait pas beaucoup de monde sur le coup à l’époque, à part Alain Dister de Rock & Folk que Lancelot cite avec respect à plusieurs reprises. Mais tout ce que je vous raconte ne vous intéresse pas, la question purulente vous brûle les lèvres, et Dieu dans tout ça, my dear Damie Chad ?

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Il arrive. Tout doucement. Peut-être pas comme vous l’imaginez. Mais il ne va pas tarder à vous éblouir. C’est comme dans la Bible, d’abord vous aurez droit aux prophètes. Le premier a déjà beaucoup vécu. L’est en fin de course. Mais l’est le précurseur. L’enfonceur des portes qui n’étaient pas encore ouvertes. Un oiseau de mauvais augure. Nous promettait un futur peu rigolo, aux alentours de 1984. Un fachisme d’état menaçant. George Orwell a foutu les chocottes à deux générations. Ce n’était pas l’annonce de la dictature totalitaire qui les faisait flipper. Mais la date symbolique choisie comme titre de son roman, celle de l’alignement des planètes et de la fin du monde qui s’en suivrait. Tenez un discours politique clair et les imbéciles s’adonneront aux croyances délétères des ésotérismes les plus fumeux. En ces temps-là, on entendait dire que le cerveau d’Einstein n’exploitait que dix pour cent de ses capacités, Aldous Huxley était encore plus catégorique, quand on aurait trouvé le désherbant qui nettoierait les mauvaises herbes du bien et du mal qui encombrent la cervelle de l’individu, nous entrerions de plain-pied avec les réalités sur-jacentes de l’Univers.

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Le problème avec les intellos - fussent-ils de génie - c’est qu’ils parlent beaucoup mais agissent peu. Dieu comprit la nécessité de la venue de son deuxième prophète. Un mec bien, sous tous rapports. Un professeur d’université avec une liste de diplômes aussi longue que celle des commissions. N’aimait pas les cours magistraux. L’était pour les méthodes d’enseignement actives. Un théoricien certes mais doublé d’un expérimentateur de génie. L’avait tout compris, si vous voulez que les élèves retiennent, c’est à eux d’emmagasiner dans leur boîte crânienne les savoirs indispensables à d’utiles compréhensions. Possédait son outil magique, le mystérieux LSD 25, un produit miracle qui surmultipliait votre perception du monde, un déluge de couleurs qui s'abat sur vous et vos représentations rétiniennes qui se tordent dans tous les sens avec la vivacité synesthétique d’un élastique fou. Mais Timothy Leary ne se contente pas de noter scrupuleusement vos réactions. N’est pas un simple observateur. Cet homme est aussi un poète. Au verbe aussi étincelant que vos visions lysergiques. Un séducteur. L’on sent que Michel Lancelot est fasciné par ce bateleur de l’invisible. C’est que Leary n’y va pas avec le dos de la cuillère à glace. Vous sert la soupe à la louche. Ne vous promet pas un bref instant de plaisir, une sensation forte, l’escalade de l’Everest en tongs trouées les yeux fermés. Non, l’est affirmatif, si vous devenez un adepte de la consommation du LSD, vous finirez par apercevoir la lumière blanche. J’entends le rire des sceptiques qui appuient sur le commutateur électrique. A la fosse, bande de mécréants ! La blancheur à laquelle vous avez accès n’est autre que celle qu’entrevirent les Mystiques. La splendeur divine qui se révèle à vous sous sa forme la plus lumineuse. Oui, vous regardez Dieu en face ! Vous atteignez à la sagesse supérieure, à la connaissance suprême ! Vous ne trouverez jamais mieux ailleurs. Leary invente une forme nouvelle de psychologie ébouriffée, philosophico-expérimentale, une espèce de do it yourself à la portée du plus grand nombre, le psychédélisme.

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Contrairement à ce que l’on pourrait accroire, les allégations de Timothy trouvèrent crédit auprès de nombreux étudiants. Les USA sont un pays pétri de religion. Les générations d’après-guerre avaient un peu de mal avec le dieu d’amour de leurs parents sous l’égide duquel deux conflits mondiaux avaient défiguré la première moitié du vingtième siècle. De plus on en avait rajouté, une bombe atomique apocalyptique et une intervention au Vietnam qui se profilait à l’horizon des fins d’études. Les injonctions de Leary étaient davantage réconfortantes, laissez tomber votre existence de merde programmée dans les états-majors du Pentagone et des multinationales, quittez tout, transformez votre vie en une quête d’absolu, retirez-vous de la confusion et des tracas du monde, devenez les adeptes de la nouvelle religion de l’acide et vous mènerez une paisible vie de sérénité accomplie. Un message qui n’est pas sans rappeler les injonctions des premiers chrétiens qui tombait à pic dans le substrat christianophile de l’inconscient national…

SAN FRANCISCO 1966


La mayonnaise - ou plutôt la béchamel pour respecter le code de la couleur dominante - prit au-delà de toute espérance. Sur les campus la bonne nouvelle se répandit à la vitesse d’un éclair au chocolat blanc. Pour une fois que l’on était investi d’une mission supérieure, l’on n’allait pas laisser passer l’occasion. D’autant plus qu’il y avait des à-côtés sympathiques : refus de la violence, ouverture aux autres, amour tous azimuts. L’on possédait non seulement the miraculous drug, l’on s’adonnait à la pratique philosophique du sex, et dans leurs coins des groupes de rock and roll commençaient à mettre au point la bande son du mouvement. La sainte trinité était retrouvée.
L’année 1966 débuta sous les meilleurs auspices. L’été fut merveilleux. La population accueillit sans déplaisir cette jeunesse aux habits colorés qui squattèrent la quartier Haight-Ashbury Park. Pas méchants pour un cent. Sourires aux lèvres, vous offraient dès fleurs dès que vous risquiez une réflexion déplaisante, passaient leur temps à bavarder sur les pelouses. Dans les hauts lieux gouvernementaux l’on s’inquiétait. Cette jeunesse qui refusait d’entrer dans le moule social, qui dédaignait de participer à la guerre du Vietnam et puis cette drogue qui catalysait ces refus d’obéissance anarchisante… Inquiétant d’autant plus que les media amplifiaient le mouvement…

MICHEL LANCELOT

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L’arrive un peu après la bataille. Tout est foutu. Le mouvement essaie de faire face. Pas à Dieu mais aux hommes. Les purs et durs fuient la nouvelle Babylone. Fondent des communautés à la campagne. Dans des coins perdus où l’on essaie d’inventer de nouveaux paradigmes existentiels. En 1968, il est trop tôt pour tirer un bilan sur ces expérimentations utopiales. Lancelot rentre en France, bien décidé à témoigner de ce qu’il a vu. N’est pas idiot, c’est qu’il écrit sur la corde raide. Aborde un sujet dangereux : celui de la drogue.
Comment n’en pas parler ? Et comment rester crédible ? N’est pas comme ces savants qui vous décrivent et dessinent par le menu les fameux dinosaures que personne n’a jamais vus. L’est un malin. Non, il n’a pas vu Dieu en face, ni de profil, mais il a pris du LSD. Le raconte dans les annexes. N’est pas un consommateur. Un expérimentateur. Un cobaye scientifique qui livre ses impressions mais aussi le rapport objectif des accompagnateurs qui ont programmé ces expériences. Peu affriolant. Ne se rappelle pas de grand-chose. Le paquet de lessive que vous avez acheté sur la fois des pubs à la télé et qui ne lave pas plus blanc que les autres. Fait suivre son récit de quatre exemples de very bad trips… des témoignages médicalisés qui ne sont guère incitatifs.
Se raccroche aux petites branches. Evoque l’art hippie. Pas vraiment emballé. Les fameuses affiches des annonces de concerts ne séduisent pas notre homme qui est un spécialiste de la peinture européenne. Pour la musique, l’est plutôt un aficionado du classique… L’est beaucoup plus intéressé par le détachement quasi monastique de ceux qui sont attirés par la spiritualité des pays d’Orient. Ceux qui partent pour l’Inde et qui en 1968 ne sont pas encore revenus… Les promesses n’engagent que ceux qui veulent y croire.
Le titre du bouquin est un peu tape-à-l’œil mais il n’en est pas moins intéressant. L’était difficile de faire mieux à l’époque me semble-t-il. Un document à chaud qui ouvrait bien des perspectives. Lancelot avait voulu comprendre son époque. Au plus près. Le livre démarre comme un essai, l’a été pensé avec le sérieux d’un pape hérétique, cinquante ans après il reste un document sans égal, rédigé au cœur même du désastre.


Damie Chad.

NEGUS N°2

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Ce qui s'appelle arriver après la bataille. Cette recension paraîtra alors que le ce numéro 2 de la revue devrait être retiré des kiosques en ce début d'année. Pour, espérons-le la mise en place de la troisième livraison. Nous avions présenté le premier fascicule ( voir KR'TNT ! 296 du 29 / 09 / 2016 ) et puis lassé d'attendre la deuxième parution, nous l'avons quelque peu oubliée. A notre décharge, elle n'a pas été vraiment mise en évidence dans les points presses que nous fréquentons. C'est en passant devant le bureau de tabac où je m'étais procuré le premier que l'idée m'est subitement venue de m'enquérir de son éventuelle parution. Sont allés me le chercher dans l'arrière-boutique. Ont peut-être trouvé la couve gênante : ce drapeau français qui vous arrache les yeux et le titre sans concession : Silence on tue les noirs. Pas étonnant si sur son facebook Negus invite systématiquement à chacun de leur post à s'abonner.
Negus ne pouvait pas passer sous silence le décès d'Adama Traoré suite à son interpellation par la police – tout le monde la déteste – donne la parole à sa soeur Assa Traoré qui mène un épuisant combat pour savoir enfin les conditions exactes de la mort de son frère. Police, Justice et Autorité sont bien embarrassées de ce cadavre de plus en plus encombrant. Une affaire à suivre.
Nous retrouvons la suite des aventures de notre couple suicidaire décidé à traverser l'Afrique du Sud en stop. On leur promet le viol et la mort dès qu'ils aborderont les townships grouillants de noirs assassins. Hélas, les prophéties se révélèrent vaines. Ne cachent point que parfois l'appréhension leur serre les fesses et qu'ils s'endorment sous la protection d'un couteau, mais même invités chez les autochtones tout se passe au mieux. Même pas étranglés en pleine nuit dans leur sommeil. De quoi désespérer de la noirceur humaine. Nos deux héros tirent la leçon de leur odyssée : les communautés blanches et noires qui vivent séparées, phantasment leurs peurs et leurs passés...
Retour en France, pardon en Guadeloupe, regard noir sur les méfaits de la colonisation passée et de la post-colonisation actuelle... L'on enfonce davantage le couteau dans la plaie avec la reproduction du discours de Thomas Sankara prononcé le 29 juillet 1987 au sommet de l'Organisation de l'Union Africaine. Une autre vision de l'Afrique libre et indépendante débarrassée de la tutelle de l'Occident. Des réalités et une vision si dérangeantes que trois mois plus tard ce président du Burkina Faso si politiquement incorrect fut promptement liquidé...
Passons sur les deux bandes dessinées qui accaparent trop de pages. La revue s'achève sur un long article consacré à 2pac. L'était déjà présent dans le premier numéro, mais cette fois-ci, l'on s'intéresse moins à sa musique et davantage à l'aspect politique de sa démarche. Negus poursuit sa marche en avant. Sont conscients - du moins nous le leur souhaitons - que l'expression laudative de la fierté noire tournera vite à vide, autant que les jérémiades victimaires, le salut réside en un projet politique qui n'est pas évident à définir. Pour le moment la revue s'enferme un peu trop dans le communautarisme. Ne s'agit pas de nier l'oppression subie par les peuples noirs, les pauvres et les opprimés sont de toutes les couleurs. Les riches et les oppresseurs aussi. Le racisme est un ferment de division des luttes des masses populaires savamment entretenue par la main-mise capitaliste sur les richesses et l'esprit corruptible des hommes.


Damie Chad.