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10/11/2011

KR'TNT ! ¤ 72. PHIL SPECTOR.

 

KR'TNT ! ¤ 72

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

10 / 11 / 2011

 

 

 

 

 

LE SPECTRE DU ROCK

 

PHIL SPECTOR / LE MUR DE SON

 

MICK BROWN

 

( SONATINE / 756 pp /2010 )

 

 

 

Le Phil est coupé, difficile de rencontrer des jeunes gens de moins de vingt (trente ? ) ans qui connaissent encore le nom de Spector. Il fut un Dieu au début des années soixante, à l'époque vous ne pouviez rencontrer un amateur de rock sans que les expressions Spector's Sound, ou Wall of sound ne s'imposent dans la discussion, souvent d'une manière assez fautive au détours d'un essai de description du son des Rolling Stones, aujourd'hui ces mots ne veulent plus rien dire du tout et Spector est davantage connu pour les murs de sa prison que pour ce fameux wall of sound que l'on traduisait d'ailleurs dans les conversations à bâtons rompus fort incorrectement par mur du son...

 

Félicitations à Mick Brown d'avoir su restituer une époque et donner vie à un personnage des plus prodigieusement controversés aujourd'hui enclouté en un cercueil vivant et surtout d'avoir témoigné d'une certaine fidélité admirative envers un artiste qu'il n'avait côtoyé que quelques heures.

 

EN LES DEBUTS DU ROCK'N'ROLL

 

Phil Spector naquit en 1939 – Elvis Presley et Gene Vincent en 1935, ce dernier détail devrait vous mettre la puce à l'oreille – n'a pas eu besoin de se demander sous quelle étoile il était né. Grosse, brillante et mauvaise. Son père lui fit la plus mauvaise farce que l'on puisse faire à un garçon, s'éclipsa dans sa voiture en le laissant seul avec sa mère et sa soeur. Ce n'était pas un accident selon la version qui circulait dans la famille, l'apprit plus tard qu'il s'était suicidé en inhalant les vapeurs méphitiques issues du pot d'échappement...

 

Neuf ans au moment des faits. Spector ne s'en remettra jamais. Un mouchoir dessus, pour que personne ne soit jamais témoin de sa douleur qui monta dans sa tête et lui rongea le cerveau, qui s'obstina à repousser tous les jours. Maintenant ne tirez pas le vôtre ( le mouchoir, pas le cerveau dont vous êtes dépourvu ) pour vous apitoyer. Toute sa jeunesse Spector ne fut qu'un infâme trou du cul. Le genre gringalet que la nature n'a pas comblé, ces graines d'adolescents, ce n'est pas que les filles ne les remarquent pas, c'est qu'elles ne s'aperçoivent même pas qu'ils existent, ou du moins pas plus que la corbeille à papier au fond de la salle de classe.

 

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Sera un spectateur obligé de la comédie inhumaine. Se contentera de rêver le rôle que les autres ne lui donnent pas. Un introverti de tapisserie qui se tait, observe et n'en pense pas moins. Un Monte-Cristo sans amour qui ne rêve que de vengeance et qui ne connaîtra pas la rédemption de l'amour. A la maison ce n'est pas la joie. Entre la mère hystérique qui lui reproche tout le temps la mort de son père – n'a pas fini au pénitencier pour rien à l'âge de 68 ans, sa culpabilité était prononcée depuis longtemps – et la soeur qui rêvait de devenir chanteuse et qui finira à l'asile, l'ambiance était cauchemardesque. Chez ces gens-là on ne parlait pas, l'on s'engueulait à n'en plus finir.

 

Une seule consolation la guitare. Ne nous lancez pas non plus sur les vertus apaisantes de la musique. Son instrument ne sera jamais une arme pour tuer les fachistes mais un sabre de samouraï destiné à faire place nette autour de lui. S'en sert plutôt pour vous le planter dans le dos que pour vous affronter de face. Spector a tout compris : dans l'aquarium de requins qu'est la vie, si vous désirez surnager soyez plus féroce que les autres. Pas de pitié, pas de regrets, pas de remords. Aide-moi et je te tuerai pour que ton cadavre me serve de marche-pied. Egorge celui qui t'a pris en stop, il ne pourra plus jamais te doubler.

 

Sait ce qu'il veut et surtout comment y arriver. Par derrière. Ne sera pas le plus grand des guitaristes, ne sera pas le plus doué des chanteurs, sera l'homme de l'ombre, l'éminence grise, celui par qui tout arrive, le grand manipulateur. Comprend très vite que ceux qui gagnent le plus d'argent, ce ne sont ni ceux qui tiennent le micro ou les instruments, mais les sociétés qui détiennent les droits des chansons.

 

Pas la peine de s'attarder au bas de l'échelle. En plein milieu du panier de crabes, mais au côté des plus gros. Le menu fretin ne l'intéresse point. Un peu de chance et beaucoup d'entourloupe. Prend tout ce qu'il peut, absorbe le savoir des uns telle une éponge mais rejette les zestes dès que le citron est pressé. Se débrouille plutôt bien. Passons sur les échelons intermédiaires, ô combien de copains de lycée et étudiants rejetés très malproprement sans coup férir...

 

Puisque Presley est au zénith il entrera dans l'équipe de Doc Pomus ( le complice de Mort Shuman ), gonflera tellement Lee Hazlewood ( producteur de Duane Eddy et de cette merveille de Lady Bird avec Nancy Sinatra ) qu'il le refilera – à moins que ce ne soit l'inverse - au tandem Jerry Leiber et Mike Stoller ( paix à son âme ! ), flirtera avec les tandems Gerry Goffin /Carole King, Barry Mann / Cynthia Weil ( plus tard pourvoyeurs des Animals ) -et finira par faire ami-ami avec Ahmet Ertegün le patron d'Alantic ( le même pour qui Led Zeppelin acceptera de se reformer en 2007 pour un tribute concert mémorable )... rien que du beau monde. Nous sommes au coeur de l'industrie de la musique rock de la fin des années cinquante.

 

MUSIQUE NOIRE

 

L'ascendance juive de Phil Spector n'est pas étrangère à une ascension si foudroyante. Les juifs ont essaimé les maisons d'éditions musicales new-yorkaises, c'est une industrie dans laquelle on peut faire fortune rapidement et la communauté trustera en toute logique ses propres enfants. Mais cette concentration va aussi orienter la musique populaire américaine à regarder de plus près la musique noire de son pays. La communauté juive trouve en le racisme quotidien dont sont victimes les populations originaire d'Afrique de très fortes réminiscences avec les situations vécues par leurs parents européens pendant des siècles.

 

Black is beautiful ! Si le slogan des Black Panthers éclate avec tant de force en 1967 dans la société américaine, c'est aussi en partie parce que les élites artistiques blanches du pays en sont depuis longtemps persuadées. Presley s'est ingénié à copier les manières de chanter et de s'habiller des Noirs, Ike Turner dont nous reparlerons plus tard fut un chasseur de tête pour Sun où il enregistra Rocket 88 le morceau qui passe pour être le premier rock'n'roll jamais gravé dans la cire...

 

Les noirs ont dans leur voix une urgence qu'un blanc ne saura égaler. C'est un des crédos de Spector. Ajoutez-y la beauté féline de toute jeunes filles sorties du ghetto, le timbre magique de leur voix et vous obtenez la matière première du mur du son. Pour le reste Phil Spector se fait fort d'emmener les briques de son génie particulier. Lui faudra quelques années pour construire sa grande muraille de Chine ( qui lui retombera sur les orteils ) mais dès le début des années 60, la conception de base est arrêtée.

 

La virtuosité ne suffit pas. Eddie Cochran qui passa presque toute sa jeunesse dans les studios s'en convainquit assez vite. Le roi de la guitare possède un plus beau swing s'il double les cordes de sa Gretsch, de même il peut en étoffer le son en superposant deux ou trois fois le même riff sur la même bande... Le travail Lee Hazelwood pour faire sonner la guitare de Duane Eddy marche dans ce genre d'idées, l'on peut aussi accentuer la force d'un instrument en le positionnant plus ou moins loin du micro... Phil Spector sera le premier à considérer et à traiter le problème en son intégralité.

 

L'instrument de base sera le studio. Musiciens et chanteurs sont interchangeables. Se débrouillera tout de même pour choisir des bons. Pour le producteur, il n'y en a qu'un: Pil Spector. Tous les autres sont de vulgaires exécutants. Qu'ils obéissent au doigt et à l'oeil. En attendant qu'ils la ferment, le Maître pose les micros un peu partout, mais pas n'importe où. Réglages qui prennent des heures. Et puis on rejoue imperturbablement les mêmes notes. Durant des heures encore. Ta gueule et va te faire enculer si tu oses la moitié d'une suggestion. Tout le monde la ferme devant le tyran. Imbuvable, impitoyable, torture chinoise et crises de nerf. Si t'es pas content, tu fous le camp.

 

On le tuerait volontiers, mais les résultats sont là, un son splendide. Wagnérien. Quatre guitares pour un simple gratouillis, trois pianistes sur un seul piano, une batterie réduite à la grosse caisse, mais l'ensemble est plus près d'une symphonie de Mahler que de la rusticité d'un combo de rockabilly. Avec Spector, la musique change de spectre.

 

Pour les paroles, on est tout de suite dans le mélodrame des amours adolescentes, des rires et des pleurs, énormément de larmes, l'amour infini est toujours perdu, l'hôtel des jeunes filles au rut brisé... le fan transi de base peut s'y reconnaître. L'histoire de Phil Spector tient en trois morceaux. Da doo Ron Ron des Crystals. Pas du verre fêlé, à l'écoute une chose est claire, la chanson possède un plus : la manière dont elle est enregistrée. Ce n'est pas un titre des Crystals mais un morceau de Phil Spector, le sorcier des studios.

 

Le deuxième : You've lost that lovin' feelin'. Ne dites pas que vous ignorez, c'est la chanson au monde qui est le plus passée à la radio. Des Righteous Brothers, un truc à vous brûler le coeur que vous n'avez pas. A mon avis, pas le meilleur de Spector – même que je préfère la version 65 de Mitchell - plein de petites babioles entre 58 et 64 lui sont supérieures, mais il n'y a pas d'enregistrement qui ait été réalisé avec davantage de virtuosité. Les Beatles qui avaient compris d'où venaient le vent et qui se sont beaucoup inspirés de Spector pour Rubber Soul, ne sont jamais parvenus à une telle aisance. Entre George Martin et Phil Spector, toute la différence entre un artisan et un artiste.

 

Et puis le summum. Le chant du Cygne, River Deep - Mountain High de Ike et Tina Turner. Ce coup-ci Ike s'est contenté de fournir Tina. Le titre de trop, celui que la profession ne lui pardonnera pas. Les imbéciles qui citent Good Vibrations des Beach Boys comme point ultime de l'enregistrement rock, peuvent se rhabiller. Faut pas confondre une inondation avec un tsunami. River Deep – Mountain High est une avalanche de beauté, une ovnilanche de stupeur, le genre de truc qui vous tombe sur le coin du museau et vous empêche de l'ouvrir pour le restant de vos jours. Même Mick Brown notre auteur qui est des plus favorables à Phil Spector ne comprend rien à la génialité de cette fulgurance.

 

INCOMPREHENSION

 

Devant tant d'ingratitude du milieu pro et d'incompréhension de la part du public Phil Spector se retire. Que peut-il espérer de mieux ? Il lui faut un monstre de la taille d'Elvis Presley. Qui l'ignore. Se contentera des Beatles. Sauvera les bandes de Let it be, l'album que les Beatles en pleine crise avaient laissé tomber. Peu après il s'occupera du Plastic Ono Band et en 1974 de l'album Rock'n'roll de John Lennon.

 

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Mais Spector est devenu invivable, Lennon retournera à Londres terminer son oeuvre hommagial aux héros de son adolescence Gene Vincent et Buddy Holly ( encore lui ! ). Spector s'enferme dans sa parano-mégalomaniaque et sa bi-polarité schizophrénique. Toute sa vie il fut un solitaire, incapable d'établir une véritable relation humaine avec quiconque. Sa possessivité maladive lui interdit d'avoir un semblant de complicité amoureuse avec une femme. A plus forte raison, la sienne. Toute amitié dans laquelle il essaie de s'impliquer tourne vite au rapport de force. Il blesse systématiquement ceux qui lui sont les plus attachés.

 

La mort de son fils âgé de neuf ans le précipite dans l'alcool. Il n'est plus qu'une légende qui a mal vieilli. Enfermé dans une somptueuse demeure, entouré de ses gardes du corps, recouvert de perruques et de chemises à jabots de dentelles, il n'est plus qu'un has been décati qui ne jure que par la puissance de sa fortune.

 

N'est pas un monstre sans coeur ni courage. Sera le seul à défendre Lenny Bruce, le fantaisiste ( le mot pourfendeur conviendrait mieux ) américain qui durant les années cinquante et soixante dénonce la morale américaine et les vertueuses hypocrisies d'une société tournée vers le seul culte de l'argent. Alors que Lenny se retrouve sur la liste noire du FBI et de la CIA, Spector éditera ses disques et lui apportera aide morale et soutien financier. Sans compter, ce qui est très rare chez lui. Se chargera même de son enterrement et du discours mortuaire.

 

BOUQUET FINAL

 

Mais cet homme qui ne fut jamais heureux ne pouvait finir dans une lente décrépitude annoncée. Choisit une sortie très rock'n'roll. A son corps défendant. Surtout celui de Lana Clarkson, actrice hollywoodienne sur le retour retrouvée morte chez Phil Spector, d'une balle dans la bouche... Malgré ses millions de dollars, Phil Spector fut déclaré coupable de meurtre. Faut dire que quatre de ses anciennes liaisons témoignèrent d'avoir été menacée dans des circonstances similaires... Après cinq ans d'échappatoires diverses et deux procès, Phil Spector voit le 2 mai 2011 son jugement confirmé. Il devra purger une peine incompressible de dix-neuf ans de prisons.

 

Peu de chance d'en ressortir vivant, et pire que tout, même pas l'espoir que Johnny Cash vienne donner un concert.

 

Damie Chad.

 

PS : Au-delà de la poignée de hits que reste-t-il aujourd'hui de Phil Spector alors que les techniques d'enregistrement ont tellement progressé ? Une attitude rock'n'roll star, serais-je tenté de répondre. Il fut un homme certes détestable, infatué de lui-même, mais il a tracé un chemin, somme toute méritoire. Le rock'n'roll n'est pas un dîner de gala.

 

 

 

 

 

KRONIKROCK

 

RADIO EDIT. { 01 ]

 

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DJ BERU. FAMILY BUSINESS featurin' TOM CHARLES. NEIRDA. SISTA M. JMDEA-BEAT. CRIL SANS €. LUCIEN & NEIRDA. SYLPHONICS. DOVE M.L.E.H. CANDY. PEUCH.

 

Première production des Disques d'en Face ( www.denface.com ), une structure mixte coachée par Tony Fontaine et Julien Legrand à activités multiples, enregistrements, concerts, conseils, radio... fondée au mois d'avril de cette année 2011.

 

Radio Edit est leur première création d'envergure un CD compilation de 15 titres de onze participants réunis pour donner «  une vision éclectique de la musique électronique actuelle » .

 

Agréable à écouter, mais nous sommes loin du rock'n'roll, unité de ton malgré le mélange des genres, phrasé rap ou rock, musique orientale, funk doux, boîtes à rythmes, paroles ironiques, touches de house, jamais méchant, tonique et toujours pétillant.

 

S'il fallait définir l'ensemble du disque je le qualifierais de jazz moderne, à chaque morceau l'on entre dans des phases répétitives plus ou moins longues qui se succèdent comme une série de lied-motives habilement agencés. Mais il saute à l'oreille que l'imperturbabilité de la machine a remplacé la maîtrise de l'instrument.

 

Générationnellement très différent que ce que chez KR'TNT nous attendons de la musique. Ici elle agit en tant que transe hypnotique et vise à une certaine impersonnalité. Nous pouvons nous y glisser à l'intérieur et nous laisser emporter. Mais si nous préférons le rock c'est parce qu'il fabrique des héros qui nous ressemblent. Préférons être sur le devant de la scène que dans le bruit de fond de l'Histoire.

 

Réservé à ceux qui écoutent les musiques défendues par la revue Elégy présentée dans notre livraison précédente.

 

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DAMIE CHAD.

 

 

 

 

 

 

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