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11/04/2013

KR'TNT ! ¤ 139. / HISTOIRE DU ROCKABILLY / MAX DéCHARNé

 

KR'TNT ! ¤ 139

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

15 / 04 / 2013

 

 

WILD WILD PARTY

 

 

LA GLORIEUSE HISTOIRE

 

DU

 

ROCKABILLY

 

 

D'ELVIS AUX CRAMPS

 

 

MAX DECHARNE

 

 

( RIVAGE ROUGE / Février 2013 )

 

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A Rocket In My Pocket, telle est l'appellation anglaise originale. L'on a préféré un titre plus explicite pour le public français qui n'est pas censé réchauffer ses longues soirées d'hiver en dansant le rock'n'roll acrobatique sur le I Got A Rocket In My Pocket de Jimmy Lloyd. Pour la petite histoire c'est à ce même Jimmy Lloyd que les Ghost Highway ont emprunté leur reprise de When The Rio De Rosa Flows, il n'y a pas de doute nous nous trouvons en terrain connu.

 

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Remarquons qu'avec ce volume consacré au rockabilly la collection Rivage Rouge qui en est à sa seizième parution apporte un complément de poids aux deux précédents opus de Peter Guralnick Feel Like Going Home, Légendes Du Blues & Pionniers Du Rock et Lost Highway, Sur Les Routes Du Rockabilly, Du Blues & De La Country Music respectivement chroniqués dans nos livraisons 32 et 37 du 23 / 12 /10 et du 27 / 01 /11.

 

 

Tout un programme se démarque aussi du titre choisi par Max Décharné – avec un tel patronyme doit y avoir de l'ascendance française parmi les ancêtres – A Rocket In My Pocket fut aussi un des tous premiers rockabilly adoptés et adaptés par les Cramps. Certains se détournent et froncent des sourcils. A peine admettent-ils les Stray Cats, alors vous pensez les Cramps, ces adeptes d'un psyckobilly déjanté, vaudrait mieux ne pas en parler.

 

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MAX DéCHARNé

 

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Oui mais voilà Max Décharné n'a pas de ces préventions. L'a déboulé tout jeune dans la musique au début des années soixante-dix. L'a suivi les deux chemins. Celui de son temps et celui perdu du rock'n'roll que nous nommerons classique. S'est débrouillé comme il a pu dans sa ville de Portmouth, entre les pubs télés sur les compilations rock bon marché qui lui ont donné accès à Gene Vincent et à Wanda Jackson – une façon d'attraper le chat par la queue et de ne plus jamais le lâcher – les bandes de Teddy Boys pas toujours sympathiques et compréhensives, les feuilletons Happy Days, une inlassable curiosité pour les origines du rock... et la musique de son époque, le punk qui bouscule tout sur son passage.

 

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Max Décharné sera d'entrée dans les marges, et officiera dans la mouvance punk-garage, d'abord en tant que batteur avec les Gallon Drunk, puis en tant que chanteur en 1991, et dès 1994 avec son propre groupe les Flaming Stars. Pour situer quelque peu le courant musical il fut l'ami de Spider Tracy des Pogues. Rappelons que Shane MacGowan le leader des Pogues officia d'abord chez les Nipple Erectors, groupe punk qui dès 1978 greffera le punk de surgeons rockabilly... Tout ce qui entre fait ventre, serait-on tenté de dire. Derrière ce melting pot musical l'on retrouve le présentateur de radio John Peel qui durant quatre décennies sur Radio London puis sur Radio One se dépensa sans compter pour pousser sur le devant des ondes toute la musique qu'il aimait, du Punk au Death Metal en passant par toutes les déclinaisons marginales ou pop possibles. De David Bowie aux Sex Pistols, beaucoup lui doivent leur carrière. Comme par hasard le dernier passage en direct live sur l'antenne d'un groupe qu'il ait enregistré lors de de ses célèbres John Peel Sessions furent les Flaming Stars de Max Décharné...

 

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Lorsqu'il ne chante pas Max Décharné écrit. S'intéresse à ce que l'on pourrait appeler les cultures populaires. D'abord comme journaliste chez Mojo – une version française de ce mensuel rock tente de se faire une place en France depuis quelques mois – et Bizarre magazine qui s'intéresse à diverses cultures alternatives notamment aux pratiques sexuelles dites on ne sait pourquoi minoritaires. Mais il a aussi commis quelques livres d'imagination ou d'investigation dont le plus célèbre, très remarqué in the UK, Straight From The Fridge, A Dictionary Slang Hipster est consacré à l'argot londonien. Et bien sûr ce Rocket In My Pocket sur le Rockabilly qui nous interpelle particulièrement.

 

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RESTONS FRANCAIS !

 

 

Le terme rockabilly est arrivé en France au début des années 80, s'est imposé petit à petit pour finir par désigner au début de notre siècle ce mouvement de retour vers les pionniers et tout ce qui avait accompagné et précédé cette vague musicale aux Etats-Unis. Jusqu'alors l'on ne se posait pas trop de problème, Eddie Cochran était un chanteur de rock'n'roll, des formations aussi diverses que les Rolling Stones, Led Zeppelin ou Emerson Lake et Palmer étaient englobées sous l'étiquette attrape-tout rock'n'roll, jusqu'à Gene Vincent qui dans une interview radio vous rangeait sans état d'âme Otis Redding parmi les artistes de rock'n'roll.

 

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C'est au milieu des années 70 que l'on a commencé à y voir plus clair : en même temps qu'arrivait dans les bacs des magasins spécialisés des grandes villes de province la déferlante punk, le rayon des pionniers, jusque là maigrelet, a commencé à prendre des proportions inquiétantes : pour la première fois l'on pouvait tenir entre nos doigts hagards des galettes aux noms mythiques d'Al Ferrier ou de Charlie Feathers, et miracle incroyable, des dizaines de compilations desquelles on ne connaissait à notre grande honte que un ou deux noms et parfois, je l'avoue à mon immense confusion, saturées d'illustres inconnus.

 

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En 1986, Michel Rose a tenté de mettre de l'ordre dans tout cela en sortant son indispensable Encyclopédie de la Country et du Rockabilly. Fut le premier de par chez nous qui réussit à définir d'une manière assez précise des termes comme Hillbilly ou Western Swing dont les contours restaient pour la majorité des amateurs baignés d'une brume mythique mais imprécise.

 

 

A ROCKET IN MY POCKET

 

 

L'ouvrage de Max Décharné a toutes les chances de devenir dans les mois qui viennent le complément indispensable à l'Encyclopédie de Michel Rose. L'Angleterre reste une nation bien plus rock que la France, la proximité culturelle et économique avec les USA a donné accès aux loyaux sujets de Sa Majesté Britannique à une masse de documents sonores et écrits sans commune mesure avec ceux qui nous sont longtemps parvenus au compte-goutte. Dans Rocket In My Pocket Max Décharné se livre à une analyse de fond du phénomène Rockabilly.

 

 

HONNEUR AU ROI ET AUX MANANTS

 

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Rien de plus facile que de définir le rockabilly. Les tables de la loi sont gravées pour l'éternité dans la cire des cinq singles d'Elvis Presley paru chez Sun entre 1954 et 1955. En peu de mots tout est dit. L'on peut rajouter un strapontin pour Sam Phillips, Scotty More, Bill Black et même D. J. Fontana. Mais comme tout grand créateur Elvis n'a rien inventé ex-nihilo, a simplement mis en place, un peu hasard et beaucoup par nécessité instinctive, de multiples éléments épars qui n'attendaient que la main qui les réunît.

 

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Tout vient des péquenauds, des gars des collines, simples garçons de ferme à ne pas confondre avec les cow-boys des westerns. Entre l'image de soi-même que d'autres projettent sur des écrans et la réalité de votre salopette de travail, il y a comme un hiatus. Tout le monde n'accède pas au statut de Jesse James. Ce qui ne vous interdit pas d'être fier de vous, d'avoir le sang chaud, d'aimer l'alcool, les filles et la danse le samedi soir. Un petit côté rebelle, et une mentalité de campagnard attaché pour les plus veinards aux dix hectares familiaux avec le même sens aigu de la propriété qu'un possesseur d'hacienda.

 

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Les hillbillies n'ont pas bonne réputation. Beaucoup de formations country n'aiment guère les voir débouler dans leurs prestations. Le public est versatile, une bagarre qui éclate entre deux jeunes coqs et hop l'attention se détourne des musiciens. Mais il y a déjà une image, un embryon de mythologie et dès les années 1925 beaucoup de formations commencent à glisser le mot hillbilly dans les titres comme dans leur dénomination. Les maisons de disques poussent à la roue, elles ne ratent jamais les niches écologiques d'implantation économique. Le profit n'a pas d'odeur, y décèlerait-on des fragrances de crottin, de bouse et de sueur.

 

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Maintenant faut être clair. Ce n'est pas avec des chansons d'amour romantiques et de douces mélodies sirupeuses que vous allez satisfaire ce public un peu remuant. Faut que ça bouge un peu. Ni une ni deux, le musicien country s'en va piquer tout naturellement– l'on dit emprunter mais une fois prêté c'est comme si c'était donné - leur science du rythme aux pianistes noirs qui sont en train d'inventer le boogie woogie. Avec ce bémol, s'il est facile d'installer à domicile un piano dans le salon d'entrée d'un bordel, l'est plus difficile de courir les bals de campagne avec cet instrument sur le dos. C'est la mandoline ou la guitare qui ne pèsent rien qui seront chargées de marquer le rythme dans les formations country. Remarquons qu'à la même époque les chanteurs itinérants de blues font le même choix, ne se déplacent pas à toute vitesse de juke joint en juke joint sur leur piano à roulettes, marchent à pied la guitare sur le dos.

 

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Des noms commencent à se faire entendre. A la radio. Au début le phénomène nuit gravement à l'industrie phonographique. Les States ne sont pas encore rentrés dans le cycle d'une large consommation de masse, pourquoi payer le disque que l'on vous passe gratuitement sur les ondes ? Ce sont les mêmes artistes que l'on vous donne comme les grands fondateurs de la Country music, Jimmie Rodgers, le cheminot qui discute aussi avec les employés noirs de la compagnie, la Carter Family, le modèle majorité silencieuse de l'establishment blanc américain, Hank Williams, déjà borderline, la première rock'n'roll star avant l'invention du rock'n'roll, que l'on retrouve comme premiers ancêtres du rockabilly.

 

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Lorsque l'on aura dit que Johnny Cash se mariera avec June Carter, la plus belle rejetonne de la célèbre family, l'on comprendra pourquoi le plus grand artiste de la country music du vingtième siècle s'est retrouvé dans le même bateau qu'Elvis le rocker, chez Sun. N'étaient pas en train d'inventer le rock'n'roll – Bill Haley l'avait déjà fait en tournant autour d'une pendule - étaient en train, avec quelques autres, de poser les bases du rockabilly.

 

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CASES NOIRES / CASES BLANCHES

 

 

Faut pas croire que les noirs se sont laissés voler le boogie woogie sans rien dire. Z'ont repris l'oeuf qu'on leur avait dérobé et ont même emporté la paille qui l'entourait. L'ont choyé et n'ont pas tardé à faire sortir de l'ogive blanche un poussin aux ailes noires qu'ils se sont empêchés de baptiser Hillbily Boogie.

 

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Rien ne se vole, tout se transforme. A la tête de ses Texas Player, Bob Wills dans les années quarante louche d'un peu trop près sur les orchestres noirs de jazz, très vite son hillbilly s'accélère et se transforme en Hillbilly Swing que l'on qualifiera bientôt de Westernn Swing. Ce sont les groupes de Western Swing qui introduisent la contrebasse qui deviendra, jusqu'à nos jours encore, l'oriflamme congénital des combos de rockabilly.

 

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Très symboliquement certains prétendent que le passage du rockabilly au rock'n'roll est consommé quand Elvis quitte Sun pour RCA ou quand Gene Vincent en tournée avec les Blue Caps décidera d'abandonner la doublebass par trop encombrante pour une simple basse électrique qui se range plus aisément dans un coffre de voiture...

 

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Tout seul dans son coin Bill Monroe en 1946, s'en va inventer le Blue Grass. Il reprend le hillbilly noir très sautillant, mais le blanchit en mettant en avant les instruments traditionnels du folklore d'origine européenne, mandoline et violon – il manie les deux en virtuose sans égal - avec aussi cette arrière-pensée délétère : non au black hillbilly, colorons ce noir que nous ne saurions voir en bleu herbu du Kentucky...

 

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Sur son premier single Elvis adaptera Blue Moon of Kentucky de Bill Monroe mais son chant erratique n'est pas sans évoquer les plaintes des esclaves dans les champs de coton. Comme pour enfoncer le clou idéologique la face une, That's All Right Mama, est directement emprunté au répertoire d'Arthur Big Boy Crudup, blues man noir.

 

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Pour compléter la donne nous rajouterons qu'au tout début des années cinquante les artistes country comme Merle Travis et Tennessee Ernie Ford augmentent la dose de boogie dans leur country qui en devient plus appuyé, plus balancé. Les racines du rockabilly sont nombreuses. Elvis n'a pas tout inventé en un claquement de main, mais une chose est sûre c'est que déjà à dix-huit ans il avait beaucoup écouté et entendu et connaissait tout cela sur le bout des doigts. Ne lui restait plus qu'à réussir la synthèse.

 

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Elvis surprend tout le monde. C'est un ovni qui tombe de nulle part même s'il provient de partout à la fois. L'on cherchera un terme pour définir son nouveau style-étincelle qui met le feu à toute la plaine. Ce n'est pas le terme de rockabilly qui s'imposera de prime abord, les journalistes forgeront en un premier temps l'expression Western Bop...

 

 

SOLEIL COUCHANT

 

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Lorsque l'on étudie le catalogue Sun l'on ne peut être qu'effrayé. C'est comme les cafards. L'en sort de partout. D'où viennent-ils ? D'où sortent-ils ? L'éclosion d'Elvis dès 1954 libère la boîte à Pandore du rockabilly. Si par malheur l'on connaît un peu l'histoire de Sun, l'on se rend compte qu'il faut multiplier le chiffre par dix. Chaque chanteur, chaque musicien, chaque compositeur, est à lui tout seul l'arbre qui cache une forêt d'amis et de prétendants... Pas étonnant que Sam Phillips se laisse arracher si facilement Presley. L'interprète de Milkcow Blues est une vache à lait mais encore faut-il avoir les capacités de l'exploiter à un niveau national. Sun n'est qu'une petite compagnie régionale qui ne dispose ni des structures ni du personnel, ni des liquidités nécessaires.

 

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Phillips possède un fameux vivier à sa disposition. Elira d'abord Carl Perkins. L'on peut faire la fine bouche. Ce rustaud n'a pas la grâce de l'Hillbilly Cat. Les beaux garçons entraînent les filles aux concerts, leurs cris hystériques attirent les journalistes et les gamines savent faire les yeux doux à leur papa chéri pour qu'il se fende d'un billet à chaque sortie d'un nouveau 45 tours. Oui mais Carl Perkins possède d'autres atouts moins visibles mais qui peuvent rapporter autant et sinon plus de royalties. L'écrit ses propres morceaux, si vous montez une société d'édition par derrière vous pouvez récolter pas mal de fric... Même s'il s'avère que la star n'aspire pas trop de monde dans ses concerts, ce n'est pas très grave, vous lui confiez un crayon et un bureau et il continuera à pondre des titres pour les nouveaux poulains de l'entreprise. En plus un gars comme Carl est capable de mener des sessions d'enregistrement pour les copains...

 

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Les projets de Sam Phillips ne se concrétiseront pas. Un terrible accident de voiture coupe l'essor de la future carrière de Carl Perkins. Ne s'en relèvera physiquement que pour tomber sous la sévère dépendance de l'alcool. Carl ne remplacera pas le jeune premier de la classe. Restera l'éternel second, le Poulidor du rockabilly, the man behind Johnny Cash comme on se plaira à le dénommer. Ce coup de Trafalgar n'obère pas le moral de Sam Phillips. Peut-être même s'intègre-t-il à merveille dans ses plans secrets. Parfois le hasard fait bien les choses. Possède un sacré as de pique dans sa manche, le vieux Sam. A y réfléchir Elvis était trop gentil, trop poli, trop honnête. Le côté du paysous débarqué dans la grande ville qui essaie de ne pas trop se faire remarquer et qui sourit avec grâce et qui répond d'une manière des plus courtoises chaque fois qu'un journaliste lui pose une question. Un hillbilly cat endimanché en cherchant bien, son apparence ne correspond pas à l'image furibarde du rocker que véhicule sa musique. Tandis que l'ostrogoth là, le fou furieux, le crazy dingue qui déglingue son piano à tout bout de champ, en voici un capable de rendre les foules folles. S'appelle Jerry Lee Lewis.

 

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L'a du flair Sam Phillips. Sa bombe à retardement explose tout de suite. Ses singles atteignent le million d'exemplaires en un tour de main, ses shows sont des tornades épileptiques. Alors que le Colonel Parker couve son petit garçon sage en lui interdisant de sortir des frontières, Jerry Lee se prépare à devenir une star internationale. Les anglais feront exploser la fusée en pleine ascension. Ceux qui ne connaitraient pas l'histoire se rapporteront à notre précédente livraison 134 du 07 / 03 / 12.

 

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L'impact fut très dur pour la carrière de notre bien aimé Jerry Lou, mais j'ai surtout l'impression qu'elle a surtout démoli le moral de Sam Philips. L'on ne trouve pas un Jerry Lee Lewis chaque matin en se levant. C'est à partir de ce moment-là que Sam Phillips se désinvestit de l'aventure Sun. Peut faire semblant d'y croire encore, mais j'ai l'intime conviction qu'il n'y croit plus dès 1958. Quand en 1969 il vendra Sun à Shelby Singleton il y a déjà longtemps qu'il s'est désinvesti de l'aventure.

 

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L'EXPLOSION ROCKABILLY

 

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Le terme est ambigu. Peut désigner l'éternelle puissance irradiante de l'atome, sert aussi à exprimer l'idée d'éparpillement. Dès 1956, Sun n'est plus seul, RCA possède Elvis, Capitol déniche Gene Vincent, Liberty signe Eddie Cochran, Decca et sa filière Coral offrent deux contrats à Buddy Holly... Mais les majors ne sauront pas se débrouiller avec le rockabilly. Ces chanteurs nitroglycérines sont capables de faire sauter les institutions, l'on va s'employer à limiter leurs effets les plus nocifs, RCA poussera Elvis à tourner des films, Capitol se désintéressera de Vincent, Liberty tient Cochran au chaud en vue d'une évolution de carrière presleysienne, et Holly semble de lui-même se tourner vers des morceaux de moindre âpreté. L'on cache les moules originaux mais l'on recrée des flopées de clones aseptisés : Bobby Darin, Fabian, Dion... plus de cats, des minets aux griffes rognées.

 

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Depuis cinquante ans on tresse des couronnes de laurier à Sam Phillips, the man who Elvis Presley, the man who Carl Perkins, the man who Jerry Lee Lewis, the man who Johnny Cash, mais le même qui refusera Johnny Burnette et ne fera que peu de cas de Charlie Feathers que la plupart des connaisseurs classent au niveau du chant à égalité avec Elvis the Pelvis. Sun n'est plus la grande pourvoyeuse du rêve. Avoir enregistré chez Sun restera dans tous les esprits comme un certificat inaltérable d'authenticité rockabilly mais guère plus. J'ajouterai, mais c'est-là un avis personnel qui se discute – que la montée en puissance de Jack Clement comme producteur dans les années qui suivent n'est pas étrangère au déclin du label. Le cas typique du bon élève qui ne réussit pas ses examens.

 

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Faute de grives, l'on mange du merle. A Memphis lorsque l'on est déçu de Sun l'on atterrit chez Bihari. Lester de son prénom, l'est lesté d'un petit label qui s'appelle Meteor, c'est sur lui que se rabattra Charlie Feathers. Chacun dans son coin essaie de touver chaussure à son pied et micro à sa bouche. Sonny Fisher et Sleepy Labeef sur Starday, Eddie Bond dont Roll Call vient de nous apprendre la triste nouvelle de son décès ce triste 16 mars 2013 chez Mercury, Ronnie Self chez Columbia, mais nous sommes encore sur des labels prestigieux avec des artistes qui ont réussi à mener une carrière – souvent entrecoupée de grands vides mais dont le nom a réussi à surnager plus ou moins sereinement jusqu'à aujourd'hui.

 

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Mais ce n'est que la partie émergée au-dessus de l'océan de l'oubli de l'îlot rockabilly. Ne faut pas hésiter à plonger et à explorer les abysses. Dessous c'est tout un volumineux massif montagneux qui se cache. Ils sont des milliers qui descendent de leur collines éloignées ou qui s'échappent des quartiers populaires des villes. N'ont qu'un seul but, qu'une seule idée. Enregistrer ! Savent bien que personne ne les attend. Qu'à part leur grand-mère peu de gens se feront enterrer avec leur disque dans leur cercueil, mais ce n'est pas important, ils veulent de laisser une trace, si incertaine, si improbable soit-elle.

 

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Les labels éclosent comme des primevères au printemps. Leurs locaux ne sont guère plus vaste que la boîte postale qui affiche leur raison sociale. Un magnéto, un salon, une vieille grange, n'importe où pourvu que ça marche et qu'il y ait une prise électrique. Pas question d'overdubs et de multiples répétitions, l'on enregistre en direct live. Les techniciens ne sont pas au courant du dernier cri des nouveaux matériels, mais les musiciens et le chanteur suppléent par leur énergie à tous les manques. C'est ainsi que le rockabilly trouve son style, l'urgence. L'on chante comme si l'on n'avait plus que quinze minutes à vivre, l'on cogne sur les cordes comme si l'instrument allait s'auto-détruire dans les trois minutes suivantes.

 

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Une heure de sa vie dans laquelle il faut tout donner. L'occasion ne se représentera pas. Demain l'on se retrouvera au boulot à entasser des briques, a scier des planches, à distribuer de l'essence. Des occupations de merde dans laquelle vous vous engloutirez tout entier, sans que rien de vous ne dépasse. Alors l'on se hisse au plus haut de sa rage adulescente et l'on se surpasse. Au mieux on tirera à deux mille exemplaires. Avec un peu de chance vous deviendrez la gloire du patelin ou du pâté de maison. Pouvez crever heureux, vous avez toqué à la porte de l'Olympe et vous avez fait quelques pas dans le hall of fame.

 

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Aujourd'hui aux States les collectionneurs – beaucoup viennent d'Europe - sillonnent les brocantes ou fouillent les greniers des stations de radio qui se débarrassent des milliers de singles qui encombrent les locaux. Les érudits complètent des listes à rallonges. Chercheurs d'or qui recherchent la pépite perdue, le graal inconnu... Le pire c'est qu'il n'y a pas que les inconnus qui ont enregistré, maintes gloires – maintenant éteintes – de la country musique, à l'âge où le ventre commence à bedonner et les jambes à flageoler ont-elles aussi été touchées par le virus rockabilly. Même si on lorgnait vers la consécration Grand Ole Opry l'on n'hésite à s'enregistrer en douce un petit simple de rockab crémeux à souhait. C'est que l'on a de la bouteille et du métier et l'on montre à ces petits jeunes de quoi les vieux tontons sont capables. Pas trop fort, l'on cache la perle sur la dernière plage de la face B d'un trente-trois tours, parfois – ni vu ni connu, attention à ne pas déstabiliser le public – l'on prend un nom d'emprunt. Téméraires mais pas courageux !

 

 

Le rockabilly s'insinue partout, dans les émissions de radio, à la télévision, comme dans les films. Max Décharné décrit avec précision le fonctionnement des stations. Pécuniairement l'on vit sur les annonces publicitaires mais les micros sont ouverts à tout le monde. Même les gamins qui ont appris une chanson peuvent venir la débiter en direct. Ca fait plaisir aux parents et aux amis, mais les chercheurs de talents – les fameux talent-scouts – ont toujours une oreille dressée ver ce genre d'émission. Un gamin ça grandit, une voix mûrit avec l'âge, l'on ne compte pas les ados qui reviennent quelques années plus tard pousser leurs chansonnettes. Une multitude d'appelés mais un nombre infinitésimal d'élus. Toutefois le principe a du bon. Faut bien être meilleur que les concurrents potentiels. L'on s'applique et l'on travaille, insensiblement le niveau s'élève. Une des raisons de la suprématie de la musique populaire américaine réside en ce maillage de radio-crochets en perpétuels renouvellements sur l'ensemble du territoire. Le rockabilly n'est pas né du néant.

 

 

MORT ET RENAISSANCE

 

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En 1959, les institutions ont bien travaillé. Le rockabilly n'a pas été avalé par le système. L'a bien essayé, mais il a dû le recracher. Trop indigeste. Mais entre temps il avait eu le temps de fabriquer des ersatz de remplacement. Les deux derniers empêcheurs de tourner en rond Vincent et Cochran se sont exilés en Europe en attendant des jours meilleurs. Qui reviendront mais trop tard pour eux, ils seront morts avant. Quant aux derniers trappeurs qui résistent dans les collines comme Hasil Adkins, peuvent s'époumoner tant qu'ils veulent, sont si loin des médias que personne ne les entend.

 

 

Lorsque la vague anglaise se lève les premiers rockers ne sont pas convoqués à la distribution des médailles. Les Beatles ne se vantent pas de leur provenance et les Rolling Stones qui ne jurent que par le blues soulèvent une tempête de gémissements scandalisés «  Ces pauvres chanteurs noirs qui ont été pillés par les vilains rocker blancs ! ». Mauvaise passe...

 

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C'est l'Hillbilly Cat de service qui remet le service dès 1967 avec ses reprises de Big Boss Man et de Guitar Man. En 1968, dans son accoutrement de cuir noir – mi-Gene Vincent, mi-Vince Taylor, le King boute le feu aux poudres. Comme dira Eddy Mitchell quand il consentira enfin à surfer sur la vague revival : «  Tu sais il m'arrive des choses drôles / Les gens oublient puis redécouvrent le rock'n'roll ». En 1969, le festival de Toronto éveille bien des consciences aux Etats-Unis où Singleton qui vient de racheter Sun entreprend un travail de fond de réédition du catalogue.

 

 

Mais c'est d'Europe que viendra le réveil définitif, en Angleterre le festival de Wembley catalyse le mouvement Teddy qui sort de sa léthargie et entame une phase de conquête musicale avec des groupes comme les Flyin' Saucers et Crazy Cavan La France ne sera pas absente, la plupart des rescapés américains des fifties viennent donner des concerts à Paris. Des pointures comme Scotty Moore sont tout heureuses de s'apercevoir que leurs noms et leurs rôles et leurs oeuvres sont connues par un public fervent...

 

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Fin seventies, début eighties des groupes naissent un peu partout en Europe : Angleterre, France – notamment les TeenKats avec Zio à la basse, le même qui officie de nos jours dans Ghost Highway – Pays-Bas, Allemagne, Scandinavie... Le mouvement ne cesse de s'étendre en Hongrie, en Corée, au Japon, et juste retour des choses aux Etats-Unis qui essaient de reconquérir leur leadership.

 

 

Nous en causons assez dans nos livraisons pour ne pas nous répéter. Clin d'oeil de l'histoire dans un des derniers chapitres de son livre Max Décharné nous parle de son plaisir au printemps de 1981 d'avoir pu rencontrer les Stargazers... le même groupe dont nous avons rendu compte d'un concert dans notre cent quinzième livraison du 25 / 12 / 2012...

 

 

PUNKABILLY

 

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Un cat retombe toujours sur ses pattes. Max Décharné ne manque pas de trouver de nombreuses analogies entre le surgissement rockabilly originel et la naissance du punk. Deux mouvements de révolte et de rébellion qui explosent à vingt années de distance en des circonstances historiques totalement différentes : à l'orée du déploiement heureux d'années économiquement fastes en le monde occidental pour le rockabilly, au commencement d'une crise économique sans précédent en Europe pour le punk.

 

 

On peut décrire les deux phénomènes d'une manière différente, l'explosion rockabilly se produit dans les moments où le capitalisme triomphant se prépare à étendre sous sa forme impérialiste son talon de fer sur l'ensemble de la planète. Le déchaînement punk survient en ces instants où le libéralisme économique s'apprête à projeter sa domination financière sur l'ensemble du monde. Certes le rockabilly peut être entrevu comme l'expression festive d'une libération de jeunes gens qui se révoltent contre les lois restrictives d'une société patriarcales sexuellement coincée et qui pensent bénéficier de l'expansion industrielle sans précédent, et le punk tout au contraire comme l'expression d'une colère désespérée d'une jeunesse qui prend conscience de la noirceur de son avenir.

 

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Dans les deux cas nous avons affaire à une même crispation de révolte de jeunes – moins consciente chez les rockabilly fans, davantage politiquement réfléchie chez les punks – qui s'aperçoivent que la sauce à laquelle ils seront mangés lorsqu'ils rentreront dans le monde aliénant de l'exploitation - consommation sur leur épaule gauche, travail sur leur épaule droite - ne peut sur le long terme les satisfaire. Les deux mouvements sont porteurs d'une même essence proto-révolutionnaire.

 

 

Cette gémellité se retrouvera musicalement symbolisé par la naissance du punkabilly initiée par les Cramps aux Etats-Unis et largement plébiscitée en Europe. Le livre de Max Décharné ouvre des perspectives d'analyse séminales capables de faire progresser bien des consciences. Nous le recommandons vivement.

 

 

Dernière cerise sur le gâteau, un index des noms propres en fin de bouquin ce qui est la moindre des attentions, mais un deuxième index alphabétique qui recouvre tous les titres des morceaux cités. La Bible inespérée des amateurs de rockab.

 

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Mais les anglais ont eu plus de chance que nous : la sortie du livre a été accompagnée d'un disque chez Ace Records, même titre, A Rocket In My Pocket, et une pochette qui reprend l'imagerie de la couverture du livre, avec bien sûr à l'intérieur une solide compilation de pépites rockabilly...

 

 

Damie Chad.

 

 

 

VINTAGE GUITAR N° 11.

 

Avril-juin 2013.

 

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Le nouveau Vintage est arrivé. Johnny Cash en couverture. Un super argument de vente. Pas gratuit puisque il tient entre ses mains une Martin, une D 28, non ce n'est pas une locomotive en modèle réduit, mais la mère de toutes les Dreadnougths – c'est ainsi que les anglophones nommaient les cuirassés – comprendre une grosse guitare acoustique avec une bonne puissance de feu sonore. Question formes, si vous vous êtes un adepte des hanches échancrées vous risquez d'être déçu. Un peu dodue la demoiselle. Si vous voulez en savoir plus et que vous êtes fauché, lisez l'article et n'embêtez pas le peuple.

 

 

Par contre si vos économies sont substantielles, allez vous en payer une chez Chicago Music Exchange. Un peu loin, Illinois, dans la métropole du blues électrique, mais l'accueil est de qualité, mur de Les Paul, mur de Rickenbaker, box d'essayage, canapés de cuir et boissons chaudes, que du vintage authentique, de la rareté, de la pièce unique fabriquée pour Jimmy Hendrix... Le rêve à portée de la main, mais pas de tous les portefeuilles, le patron a des dents de requins, sait vendre sa camelote, mais je le sens mal, quand je pense que quand j'étais mineau l'on pouvait gagner des guitares électriques dans les baraques de loterie des fêtes foraines. M'inspiraient davantage confiance...

 

 

Rock Aroud The Clock, titre alléchant. Hélas ce n'est qu'un marchand de montres. De luxe, je vous rassure tout de suite, Place Vendôme, pour situer le chacal. Nous parle de sa collection de guitares. Vous savez, moi les richards qui collectionnent les guitares j'ai un peu l'impression qu'ils investissent sur la montée des prix. Préfère encore un petit jeune qui se déniche une Dan Electro à deux cents cinquante euros...

 

 

Et quand je lis l'édito de Christian Séguret qui renchérit sur l'incompréhension dont sont victimes les gros collectionneurs de guitares, je deviens comme le philosophe. Je ne me demande pas si l'oeuf sort de la poule ou l'inverse, mais si c'est la guitare qui fait le rocker ou le rocker qui fait la guitare.

 

 

J'ai l'impression qu'avec ce numéro Vintage Guitare a franchi la fine frontière qui délimite la passion fric de la passion guitare.


 

 

GUITAR PART. N° 223.

 

Octobre 2012.

 

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Dans la même poche plastique que Vintage Guitar. Offert avec le CD de démonstration. Les deux titres appartiennent au même consortium Groupe Express Roularta, l'on file un ancien numéro gratis, avec un peu de chance vous achèterez le numéro payant du mois en cours dans les kiosques. Sont pour la récupération des déchets. Ils transforment les invendus en pub. C'est que dans le groupe ils s'y entendent en économie, sont propriétaires de L'Expansion, de Mieux Vivre Votre Argent, de L'entreprise et de L'Express et de tout un tas d'autres revues, notamment musicales. C'est ce que l'on appelle une gamme de produits, piano, guitares, batterie, tapent même dans le classique.

 

 

Pas de chance ce mois-ci ils interviewent les blaireaux de Kiss ( beaucoup de bruit pour rien ) et de Muse ( qui ne m'inspire pas ). Attention, je ne dis pas que tous les numéros sont nuls, qu'ils ne sont pas faits par des amateurs éclairés. Voudrais pas gâcher votre lecture. Juste réfléchir sur les notions de dépendance et d'autonomie...

 

 

Damie Chad.

 

 

 

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