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20/04/2015

KR'TNT ! ¤ 232. GUTTERCATS / NELSON CARRERA & THE SCOUNDRELS ( + FRIENDS ) / ROCKABILLY FEVER / VILLIERS DE L'ISLE-ADAM / ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 232

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

23 / 04 / 2015

 

GUTTERCATS / NELSON CARRERA & THE SCOUNDRELS ( + FRIENDS ) / ROCKABILLY FEVER / VILLIERS DE L'ISLE ADAM / ERVIN TRAVIS NEWS

 

 

AVIS AU LECTEUR

Nous partons en vacances ( îles vierges, cocotiers, cigares, whisky, jeunes filles dénudées, rock and roll ) c'est pour cela que nous mettons sur le blog

dès ce lundi 20 avril

la 232 ° livraison du jeudi 23 avril.

N'oubliez pas d'apprendre par cœur la 231° !

Pour la 233 ° livraison, si nous ne sommes pas épuisés par nos efforts,

vous la retrouverez le jeudi 30 avril au soir.

Amusons-nous bien.

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

 

Simplement le dernier message de la soeur d'Ervin qui fait le point sur la situation de son frère et qui nous aide à comprendre que l'aide que nous devons apporter à Ervin ne doit pas s'arrêter. Courage Ervin, nous avons besoin de toi !

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CE QU'IL EN EST DE LA SITUATION
Ervin a les tissus cellulaires du cerveau qui ont été gravement endommagés, c'est le point le plus important puisque je ne rentrerai pas dans les détails physiques et les douleurs infernales qui mènent à une intense fatigue et une grave dépression qui baissera dans le temps mais sera toujours à traiter.
Il en résulte un traitement spécial qu'il va falloir adapter avec grande vigilance et observations minutieuses au jour le jour puisque des effets secondaires sont à prévoir. Il ne doit donc pas rester seul sinon la clinique refuse le traitement. Il est entre de bonnes mains et j'irai le rejoindre très bientôt. (Merci à Hervé )
Son traitement va être dur et long et plus onéreux que prévu mais pas question de lâcher bien au contraire !
Il commencera à retrouver une légère amélioration d'ici 3 ou 4 mois mais on ne peut en prédire la vitesse. Une guérison totale est peu probable mais selon l'efficacité du traitement une nette amélioration sera observée après deux ans de thérapie (celle-ci continuera en liaison avec le médecin, en France après les 3 semaines et demie en Allemagne) et surtout une vie digne de ce nom d'ici quelques mois
Pour l'heure le début du traitement commence demain matin à 8h15 alors nous penserons toutes et tous TRES FORT à lui et nous lui enverrons tout plein de bonnes énergies afin qu'il le supporte bien.
Ervin me demande de vous exprimer sa gratitude et tient à vous dire qu'il s'accroche grâce à votre aide et votre soutien à toutes et tous !
Nous pouvons tous être fières de lui car je peux vous assurer que sa vie est un enfer 24/24 En tous cas j'en suis personnellement extrêmement fière et c'est un honneur pour moi que d'être sa sœur ! Merci belle âme et bats toi jusqu'au bout !
You're the best brother !!
MERCI MERCI A VOUS !
Evelyne

 

LE KALIF / ROUEN / 14 - 03 - 15

 

GUTTERCATS

 

LE RONRON DES GUTTERCATS

 

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— C’est cool ici ! Les mousses y sont vraiment pas chères ! Deux euros ! Finis la tienne, on va s’en r’prendre deux, faut en profiter à c’prix là ! En plus, la petite gonzesse qui les sert a un joli sourire...

 

— Alors, t’en penses quoi du premier groupe ?

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— C’est pas ma came. Y sont bien gentils, bien dans leur trip poppy-popette à foulards, ballades hétérogènes et trucs romantiques à la mords-moi-l’nœud... Non, j’préfère les groupes qu’ont du poil aux pattes et des taches sur la ch’mise. Comment qu’y s’appelle déjà, ton groupe ?

 

— Les Guttercats...

 

— Y viennent d’où ?

 

— Ce sont des parisiens.

 

— Z’auraient p’t-être mieux fait d’rester chez eux, tu crois pas ?

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— Vas-y, prends ta guitare et monte sur scène, puisque t’es si malin !

 

— Ah ouais, ça c’est facile ! On disait déjà ça y’a trente ans aux rock critics qui chiaient sur les groupes parce qu’y étaient même pas capables d’en faire un. Mais c’est pas là l’problème ! Le problème, c’est que si tout l’monde grimpe sur scène avec sa pelle et fait n’import’ quoi, tu vois un peu l’enfer que ça va d’venir ? Tiens, tu veux que j’te dise un truc ? Mais là j’suis sérieux. Les moyens d’expression, y devraient être réservés à ceux qui savent s’exprimer, tu piges, camarade ?

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— Où veux-tu en venir ?

 

— Tu sais écrire, tu fais un bouquin. Tu sais chanter, tu trouves trois potos, tu fais un groupe et tu sors un 45 tours. Mais si tu sais pas écrire, si tu sais pas chanter, alors tu laisses la place aux autres. J’suis peut-être un peu lourdingue, mais je suis persuadé d’ça : le moyen d’expression, c’est sacré. Un dixe, c’est sacré. Un bon bouquin, c’est sacré. Y’a du boulot derrière et pis aussi du talent. Alors j’veux même pas savoir que les mauvais dixes et les mauvais bouquins y existent. Ça peut pas m’intéresser. R’garde, depuis qu’on a tous des ordis, tout le monde, y compris les curés, les débiles et les pervers, y font des fesse-book avec des commentaires à n’en plus finir, on ne parle même pas du niveau, t’es d’accord, hein ? Et toute cette matière d’expression, ça gargouille dans internet comme dans un gros intestin. Pour moi, ça sent pas bon. Et zy-va que j’suis écrivain, et zy-va que j’suis musicos. Et j’te parle pas du reste !

 

— Qu’est-ce tu racontes ? Tu parles comme un beauf ! On croirait entendre mon père ! Les gens ont le droit de s’exprimer. Et puis tu n’es pas obligé d’aller voir des pages sur facebook.

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— Mais bien sûr que si, mon con joli ! Maint’nant, si tu veux savoir quand y a un concert, faut aller sur le fesse-book du rade. Avant t’avais des affiches en ville, maintenant, c’est cuit, faut tout surveiller à l’ordi, et des fois y annoncent le concert du soir deux heures avant ! T’as intérêt à rester sur l’qui-vive. Pour moi, c’est pas des manières.

 

— Les choses évoluent, mon vieux.

 

— Ouais, c’est ça, prends-moi bien pour une burne...

 

— Si tu le prends comme ça, je préfère qu’on arrête de discuter.

 

— Toi, t’es l’roi des embrouilleurs. Je t’explique un truc important et paf - (il claque le bar du plat de la main) - t’arrives à m’faire passer pour un su-per-con !

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— Mais non, pas du tout ! Je réagis à ce que tu dis, c’est tout. Tu ne vois que le mauvais côté des choses. L’aspect positif du web, c’est le côté vivant, justement. Tu as des mecs qui décident de faire un concert, et hop, c’est organisé vite fait en deux heures, pas besoin de passer par une agence qui va se sucrer sur le dos du groupe. Grâce au web, les intermédiaires véreux et les maisons de disques disparaissent, et du coup, ça assainit l’atmosphère. Les groupes sont moins riches, mais ils sont libres. Tu vois, un groupe comme les Guttercats, c’est intéressant, car ils ont le mérite d’exister. Tout repose sur la personnalité du chanteur. Contrairement à ce que tu dis, ce mec chante très bien et il fait comme tous les autres, il travaille une vision et tente de trouver un son à lui. Rien n’est plus difficile que de monter un groupe et de le faire exister. Alors, tu as raison quand tu dis que des groupes comme ça, il en existe des ribambelles, sauf que le mec des Guttercats fait la différence par la qualité de ses influences. C’est un fan de Nikki Sudden, des Only Ones et des Dogs d’Amour. Sur son premier album, il a une chanson qui s’appelle «Angels In Paradise» et qui est un bel hommage à Nikki Sudden.

 

— C’est l’mec des Jacobites ?

 

— Entre autres...

 

— Pas mon truc. Déjà que Nikki Sudden y l’attirait pas des masses des gens, alors tu imagines que ceux qui s’en réclament vont en attirer encore moins. Ouais, les Jacobites... Pffff ! Tu parles d’un nom ! Y s’prenaient trop pour les Stones. J’comprenais pas à quoi y servaient. Et tu peux m’raconter tout c’que tu veux, j’m’en tape. Tes Guttercats y z’ont pas d’son, ça veut dire qu’y z’ont pas d’son, faut que j’te fasse un dessin ? Leur truc ça manque de viande. Dommage, car le guitariste, c’est le sosie de Cheetah Chrome !

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— C’est vrai que leurs deux premiers albums manquent un peu de densité. C’est tout le problème du manque de moyens. Quand un disque n’est pas produit, les chansons doivent se débrouiller toutes seules et ça peut vite tourner au carnage. Par contre, celles qui survivent imposent le respect. Tu en trouves deux sur le premier album : «Memories», monté sur un beau boogie à l’Anglaise et «In The Middle Of Nowhere», soutenu par un beat étonnamment sourd et surligné d’un solo extatique, et c’est tellement bon qu’on ne comprend pas pourquoi les autres morceaux n’ont pas la même profondeur de son. Pareil avec le second album, tu as deux morceaux bien foutus, «Last Dance Loser», qui tournoie un peu sur des manèges, et «Comin’ Too Slow», hirsute et bougrement intéressant. Mais pour revenir au set, il y a bien un morceau qui t’a plu, non ?

 

— Ouais... un truc où y dit «oh the fire»...

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— C’est «Fire», un morceau du troisième album qui vient de sortir. Ça sonne vraiment comme un classique, avec le solo à l’Anglaise et tu as vu comme ça grimpe dans la mélodie ? Avec ce genre de titre, les Guttercats font la différence avec les groupes garage, car c’est une vraie compo, au sens où l’entend quelqu’un comme Chris Bailey, par exemple. C’est très inspiré et bien amené, couplet après couplet, et au troisième, tu as la guitare qui accompagne l’échappée belle. Leur troisième album est bourré de rengaines désemparées, comme cette confession intitulée «Slow Down». Tu vois, ces rengaines rappellent un peu celles de Johnny Thunders, lorsqu’il arrivait en fin de parcours.

 

— Justement, celui que j’aime pas. Branche-moi sur les Dolls ou les Heartbreakers, mais pas sur les ballades de la fin. En plus, y chantait pas juste. Tiens j’préfère mille fois Kevin K. Voilà un mec qui te balance «Chinese Rocks» sans faire de chichis !

 

— Justement, le mec des Guttercats et Kevin K ont des amis en commun : les chats. Quand son chat Joey est mort, Kevin K lui a dédié une chanson fantastique, «Joey And Me». Pareil pour le mec des Guttercats. C’est son chat Sleepy qu’on voit sur la pochette de «Black Sorrow», son deuxième album. Et sur son troisième album, celui qui vient de sortir, tu retrouves «Black Sorrow», la chanson dédiée au chat Sleepy.

 

— Oh super ! Du coup, y r’monte dans mon estime. J’t’ai déjà raconté l’histoire du chat Pompon ?

 

— Non.

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— C’est quand on était mômes et qu’on créchait à Clichy. Mon frère et moi on avait not’ chat, le chat Pompon. Y f’sait régner la terreur dans tout’le quartier. Y coursait même les clébards ! Y l’adorait s’rouler dans les flaques. T’as déjà vu ça, toi, un greffier qui s’roule dans une mare ? Not’ dabe y f’sait le taxi et y rentrait pas souvent à la maison. Not’ mère elle prenait des cachets pour dormir toute la journée car elle savait que l’dabe y courait la gueuse. Y’avait pas une thune à la maison. Fallait qu’on chourave des boîtes de cassoulet à la supérette si on voulait béqueter. Une fois à Noël, dans la marmite y’avait un peu de viande avec des patates pour le réveillon. C’était Byzance ! On suçait les os et on appelait le chat Pompon pour lui r’filer les p’tits os. Mais y répondait pas. Le dabe y disait rien. Y suçait ses os avec un drôle de sourire en coin. Pendant trois jours, on a cherché le chat Pompon dans tout l’quartier. Pompon ? Pompon ? Pas d’Pompon, pas de rien.

 

— Il était dans la casserole ?

 

— J’ai jamais pardonné c’coup-là à mon dabe. Cet enculé d’sa race y peut crever et j’irai pas à son enterrement, même si l’oncle me supplie.

 

— Tu te souviens du chat Chouia ?

 

— Le chat avec la grosse moumoute blanche et les yeux jaunes ?

 

— Oui, c’est le patron d’un restau berbère au rond-point des Bergères à Puteaux qui m’avait demandé un soir après manger si je voulais un chat. Il avait une portée et il les distribuait à ses clients. À l’époque, j’avais encore la braque et le cocker et pourtant j’ai dit oui. Il m’a mis le chat dans un carton et m’a dit de faire gaffe, car il essayait de s’enfuir. Le lendemain, j’ai fait les présentations. Comme tous les autres chiens, les miens s’amusaient à courser les chats, mais là, ils sont tombés sur un os. Chouia leur a sauté dessus. Qui a dit que la meilleure défense était l’attaque ? J’ai dû décrocher le chat de l’oreille du cocker qui couinait comme un fantôme d’Écosse. Ce petit animal s’est imposé et les chiens l’ont respecté. Et en très peu de temps, Chouia est devenu le chef du gang. Je les emmenais tous les trois faire un tour matin et soir, au long du chemin de halage. Ils se suivaient à la queue-leu-leu, c’était comique. Parfois, Chouia passait devant, grimpait dans un arbre, se mettait sur la branche au dessus du chemin et quand le cocker arrivait, Chouia lui tombait dessus, comme Robin des Bois. Les gens qu’on croisait sur le chemin et qui assistaient à la scène rigolaient comme des bossus. Quand j’ai dû vendre la maison, j’ai cherché un appart sur l’autre rive. Je voulais que les animaux conservent leur environnement. J’ai commencé par déménager les meubles, les livres et les disques, et en dernier, les animaux. Tu aurais vu leur bobine dans le petit appart ! On est sortis pour la première promenade et Chouia s’est sauvé ! Au dessus de l’immeuble, tu as une colline boisée qu’on appelle la colline de Bougival. Pendant des jours et des jours, on a cherché Chouia avec les chiens. Pareil que toi avec le chat Pompon. Rien, pas une trace. Je gueulais Chouia ! Chouia ! dans les bois. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Puis la braque est morte et un an plus tard, le cocker s’est volatilisé. Il remontait la source d’un petit cours d’eau à la poursuite d’une poule d’eau. Pffff ! Disparu.

 

— Des fois, j’me demande si les chats c’est pas plus intéressant que tout l’reste.

 

Signé : Cat Zengler

 

Guttercats. Le Kalif. Rouen. 14 mars 2015

 

Guttercat & The Milkmen. Pandora’s Box. Band Records 2008

 

Guttercats. Black Sorrow. Wishing Well Records 2012

 

Guttercats. Beautiful Curse. Closer Records 2015

 

 

 

LOCAL DES LONERS / 18 - 04 - 15

 

LAGNY-SUR-MARNE

 

NELSON CARRERA & THE SCOUNDRELS

 

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La teuf-teuf ronronne comme un chaton sur l'édredon. Chez les Loners elle sait trouver un boulevard pour stationner et l'accueil est ultra-sympa. Fait encore jour et chaud, z'ont quand même mis le bidon qui crache des flammes devant l'entrée, impossible de ne pas le remarquer. Peu de monde, mais chez les Loners c'est à partir de vingt-deux heures que ça se remplit comme par enchantement. Pas le temps de s'ennuyer, beaucoup d'habitués. Surtout que Mimile essaie de nous refourguer les derniers vingt-cinq derniers T-shirts Sureshots qu'il vient de recevoir. L'emporte un tout beau, tout noir, mais je préfère le rose qu'arbore Marie, l'est toute belle dedans, mais je ne pense pas que ce soit à cause du t-shirt.

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NELSON AND THE SCOUNDRELS

 

Love is a Trap, c'est la chanson fétiche de Nelson. Un piège qu'il annonce après nous avoir salués et dédié ce concert à la mémoire de Carl... et plouf, l'on a beau être avertis, l'on tombe dans la trappe. Ah ! Cette voix, au premier abord rien d'extraordinaire mais à peine au milieu du premier couplet, que déjà vous êtes pris. Englué. Et bien content de l'être. L'est vrai que derrière ça tricote dans le bon sens. Jorge ( des Spykers ) dont la basse bourdonne à plein régime, Pascal sur sa batterie qui veille à ce que rien ne dépasse sur les côtés, et Raph qui fait mumuse sur sa Fender. Ces deux derniers tout droit issus des Atomics. Le décor est posé, n'y a plus qu'à laisser chauffer le lait pour qu'il déborde.

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En fait c'est l'alambic qui explose. Trois morceaux plus tard, Blue Moon of Kentucky, d'abord il y a Raph qui pulvérise la lune et le Kentucky à coups de cordes tendues à l'extrême, l'est survolté et pas à court d'imagination, un plaisir de le voir malmener ses élastiques, préfère ne pas parler de Nelson qui sème à tout vents sur sa rythmique pendant que Jorge staccatise à coups de pognes sur la big mama et Pascal qui recolle les morceaux avec ses baguettes magiques on ne sait comment. Mazette quel ensemble ! L'on est entré dans le vif du sujet, et l'on va y rester pour un bon moment. Je sais que je vais me faire des ennemis, que je vais y perdre ma crédibilité, mais ce lever bleuissant de lune m'a semblé sacrément plus en place que celle d'Elvis qui m'a toujours paru bien pagailleuse. Et comme ce sont des hommes de goût, ils nous donnent le When My Baby Left Me de Sid King, me demande comment Nelson parvient à entremêler sa voix dans l'orchestration, a l'air de suivre la musique tout en menant le jeu. De l'art majeur. On recule d'une petite case dans l'histoire du rockabilly et voici Hank Williams qui nous promet de rester célibataire jusqu'à sa mort. L'on sait que ce genre de promesse n'engage que les filles qui veulent ne pas y croire. Nelson rappelle en souriant que le grand Hank s'est marié trois fois et aussitôt sa voix se teinte de ces tristes inflexions désabusées du prince mythique des countrymen, créateur du blues blanc. Première surprise, une admiratrice s'en vient parler à l'oreille de Nelson qui lui laisse le micro, et Alice – si j'ai bien entendu son prénom - nous mitonne un gumbo de première catégorie. Eût-elle chanté plus fort dans le micro, nous lui eussions décerné le ruban bleu de la soirée, car elle s'en tire fort bien et nous sert une jambalaya cuite à point.

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Sera suivie de José des Spykers, deux morceaux dont le classique des classiques de Johnny Cash, faut voir comment Raph organise la grave évasion du riff, l'arrive en fanfare et détale en cavale, on l'attend de pied ferme et il nous passe entre les mains sans que l'on puisse l'attraper. Et un second, beaucoup plus rhythm and blues que je n'ai pas reconnu. Heureusement que nous sommes devant car le micro est un peu faiblard. En tout cas José s'en tire avec les honneurs de la guerre vu la teneur des applaudissements qui saluent son intervention.

 

Déjà les derniers morceaux, un Thirty Days dans lequel Raph se surpasse, normal c'est que l'on attend les guitaristes au coin du manche dès qu'un titre de Chuck Berry se profile à l'horizon, la cadence s'accélère et c'est un feu d'artifice final, un Shake rattle and Roll de Big Joe Turner plus que remuant, et un Hey Santa Claus à décoiffer les clochers des églises un jour de grand vent. La salle rugit de plaisir et Mister Carrera se joue de nous. L'a une facilité extrême, aborde tous les registres et passe de l'un à l'autre sans difficulté ni appréhension.

 

DEUXIEME PARTIE

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Les revoici. Je sais que ce n'est pas vrai, que c'est un mensonge, mais c'est juste une image pour vous faire comprendre. Le premier set imaginez-le en western swing, et le deuxième en rockabilly pur et dur. C'est une ineptie car ça n'a pas mal déménagé en première partie, mais la deuxième est encore plus enlevée. Plus nerveuse. Nelson nous a charmé avec sa voix roucoulante, et maintenant il nous plaque contre le mur et nous compte nos abattis. Commence par un Cindy Lou aiguisé comme un cran d'arrêt, le combo tout hérissé comme un chat en colère, et ça se terminera par un Crazy Crazy Lovin de Ronnie Self totalement déjanté. Entre temps des petites compos comme Thanks A Lot ou Proud Of You qui vous cisaillent comme des lanières de cuir qui vous découperaient la peau du dos. Jorge ne sent plus ses doigts, Pascal se démène par derrière et quant à Raph donnez lui un barré sur Johnny B Goode et il vous soulève le monde et une salle comme rien. Dans toute cette fureur Nelson est aussi à l'aise que s'il vous chantait Fais Dodo, Mon Petit Frère, une telle facilité que c'en devient énervant et ahurissant. Quand vous pensez au mal que vous donnez dans votre salle de bain pour sortir un vilain petit canard de votre bouche, et que lui aucune trille ne l'arrête, vous en concluez que le monde est mal fait. Et vous ne pouvez même pas lui en vouloir, tellement il fait cela si naturellement. Pas une once de frime.

 

Et partageur avec cela. Demande à Laurent des Be Bop Creek de le rejoindre sur scène pour lui céder le micro. L'en avait hérité d'un de défaillant lors de la soirée au Picolo consacrée à Ervin Travis ( voir KR'TNT 230 ), ce coup-ci Laurent va pouvoir donner toute la mesure de son talent. Matchbox pour allumer le feu, vocal puissant et de toute finesse, sait chanter, des inflexions à vous faire péter les fusibles, avec en plus une indéniable présence physique. Chante avec le corps, tous ses muscles marquent le rythme. A le rockabilly dans la peau.

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Non, je ne l'ai pas oublié, mais je l'ai gardé pour la fin, car pour moi ce fut la révélation de la soirée : Jean-Claude des Vinyls s'est installée à la batterie. Ça s'entend. Se contente pas de marquer le rythme, il cogne, il amplifie, il structure. Se sert de sa grosse caisse comme d'une bombe atomique et de sa charley comme d'un obus à fragmentation. Frappe stonienne, qui édifie des murs porteurs sans jamais manger ou écraser les autres instruments qui n'hésitent pas non plus à hausser le son. Un style qui ne répond pas à l'orthodoxie du rockabilly mais beaucoup plus en prise avec ce que font les groupes qui ne détestent pas une certaine ouverture vers la modernité, comme les Spuny Boys par exemple.

 

FIN DE SOIREE

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Un troisième set, tout improvisé, qui se révèlera plus long que les précédents. Nelson ne résiste pas à nous refaire une fois Love Is A trap en ouverture, et ensuite c'est à l'aventure. Comme la veille, c'était le 17 avril, un Cochran s'impose, choix difficile, après trente secondes de tergiversation, Nelson se lance tout seul a cappella dans une époustouflante version de Coton Picker. Faut oser. C'est au pied de l'arbre abattu que l'on reconnaît le bûcheron, et Nelson peut être fier de son ouvrage. De même plus tard, quand Raph lancera le riff de Somethin' Else presque en sourdine Nelson reprendra encore pratiquement a cappella, la voix bien plus en avant que la guitare, et lorsque tout le combo le rattrape, il survole toujours en tête. Un très bel hommage à Eddie Cochran. L'évocation de l'absence de l'un ne venant jamais sans celle de l'autre, c'est Raph qui entonnera sur sa guitare le Oh Boy ! de Buddy Holly. Laurent revient pour chanter en duo avec Nelson. Je n'aimerais point m'y risquer, mais le phrasé des deux complices s'épousent si parfaitement qu'aucune dissonance d'amplitude ne vient rompre l'harmonie des couplets alternés.

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L'est deux heures du matin et il faut bien arrêter la fête sur un dernier Tear It Up endiablé à vous faire verser des larmes. D'alligators. Etrange comme tout le monde est satisfait de sa soirée. Nelson Carrera et ses Scoundrels, et ses amis, nous ont rendus heureux. Merveilleux et rare cadeau par les temps qui courent, dont nous les remercions.

 

Damie Chad.

 



 

ROCKABILLY FEVER

 

DE MEMPHIS, TENNESSEE

 

A AUSTIN, TEXAS

 

MICHEL ROSE

 

( Camion Blanc / Mars 2015 )

 

 

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Réédition d'un livre mythique Rockabilly Fever de Michel Rose paru en 1983. Michel Rose fait partie de cette première génération de fans français comme les frères Barbat, Alain Mallaret, pour n'en citer que quelques uns, qui de la seconde moitié des années soixante à la décennie quatre-vingt portèrent à bout de bras dans un environnement que l'on peut qualifier d'hostile le rock and roll des pionniers submergés par la mouvance pop. Comme l'on ne peut pas passer sa vie à réécouter tous les jours la discographie d'Elvis Presley, de Gene Vincent et de Johnny Burnette, ils en sont tout naturellement venus à explorer l'espace oublié que les projecteurs de la gloire laissent dans l'ombre. Ne tardèrent pas à se rendre compte qu'ils s'engouffraient dans une mine d'or...

 

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Michel Rose a aussi écrit Les Pionniers du Rock parus chez Albin Michel en 1981, que je cherche vainement dans mes cartons afin de le chroniquer dans KR'TNT, et L'Encyclopédie de la Country et du Rockabilly de 1986 dument répertoriée dans notre livraison 40 du 16 / 02 / 11. Michel Rose est aussi connu en tant que chanteur sous le nom de Buddy Chessman... Bref un amateur au sens noble de ce terme.

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Un pavé, près de quatre cents pages. Camion Blanc adore ce genre de poids-lourds. Une couverture que perso je ne trouve pas géniale – l'aurait été plus judicieux de photographier un amoncellement désordonné de pochettes - et le papier habituel de la collection qui mange l'encre des repros des photos en noir et blanc à l'intérieur. Soyons justes, comparés à d'autres titres un effort de dégrisement a été effectué pour ce volume. N'empêche qu'avec ses deux-cent quatre-vingts volumes dédiés au rock sous toutes ses formes, Camion Blanc est irremplaçable. Rappelons que notre Cat Zengler préféré se glisse de temps en temps dans la cabine pour la traduction d'un ouvrage essentiel comme par exemple le Gene Vincent de Mick Farren, ou alors pour se livrer à d'interminables turpitudes morales sous le couvert de Contes Rock ou de Nouvelles Roll...

 

COLLECTIONNEUR

 

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Autant le dire tout de suite, le livre date. Je ne parle pas du contenu. Là-dessus le bouquin n'a pas pris une ride. Mais il fut écrit en 1983 et les ajouts ne dépassent guère le millésime 1995. Ce n'est pas qu'il est passé de l'eau sous les ponts depuis ces deux dates, c'est que l'on n'emprunte plus ces obsolètes moyens de communication pour aller fureter sur les rives de la connaissance. Nous sommes en présence d'un interminable catalogue de disques et de titres. Les cotes des originaux et des rééditions. Rééditions que l'on trouvait dans les années 80. Qui de nos jours sont devenues à leur tour des pièces de collection. Pour beaucoup re-dispatchées en CD, ou alors en écoute libre sur internet, sur You Tube ou sur des sites spécialisés... Mais le CD et la toile, le livre n'en cause point. L'est vrai que le rockabilly s'est diffusé en son temps sur le vinyl. Principalement en 45 tours simples – laissons les 78 tours à nos élites fortunées – des milliers de disques, pour beaucoup tirés à très peu d'exemplaires... un continent englouti. Lorsque à la fin des années soixante dix vint le temps des compilations exhumatoires, la donne a changé. Les maisons de disques qui se spécialisèrent dans ces retrouvailles redistribuèrent les cartes : à vous de jongler avec les trente-trois tours pour récupérer sur celui-ci les deux titres de l'artiste dont vous essayez de retrouver un maximum d'enregistrements, sans oublier qu'il existe une alternate take de tel morceau sur telle autre anthologie... Reconnaissons qu'aucune épine de ce genre ne décourage Michel Rose, reconstitue les discographies avec la minutie d'un archéologue qui recolle les morceaux épars d'une poterie grecque écrabouillée au fond d'une tombe qui fut pillée au moins une trentaine de fois... Travail de très grande patience. Côté tatillon et puriste qui rend la lecture d'autant plus monotone que Michel Rose évacue la chair anecdotique de toutes les rapides biographies qu'il évoque.

 

GENERATION PERDUE

 

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Les rockab boys ne firent pas long feu. Z'avaient autour de vingt ans en 1956 quand le succès d'Elvis les révéla à eux-mêmes. Beaucoup n'enregistrèrent qu'un disque. Certains triplèrent ou quadruplèrent la mise. N'en furent pas plus célèbres pour autant. Rangèrent leur guitare et trouvèrent un boulot de plombier. La cinquantaine se profilait lorsque une incroyable nouvelle leur parvint aux oreilles, là-bas, en des pays lointains, en Angleterre et en France leurs noms étaient connus et leurs disques étaient recherchés. Ce fut un beau voyage et certains parvinrent à redémarrer une seconde carrière ou du moins à vivre pendant quelques courtes années leur rêve d'adolescent... A près de quatre-vingts balais Charlie Gracie trouvait encore l'année dernière un auditoire attentif à Attignat...

 

ROCKABILLY

 

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Miracle du rockabilly ! Le rockabilly c'est un peu le monstre du Loch Ness américain. Tout le monde l'entend batifoler dans les sillons de cire, mais personne ne peut dire exactement ce que c'est. C'est un peu le serpent de mer du rock and roll qui se mord la queue. L'existe toutefois des repères que personne ne remet en question. Les premiers enregistrements d'Elvis, chez Sun. Une fois que vous avez dit cela, votre mission est accomplie. Vous avez localisé le Graal, vous pouvez dormir tranquille sur vos deux oreilles. Mais laissez les deux pavillons grand ouverts car par un satané manque de chance qui n'arrive qu'à vous, vous venez d'emprunter l'entrée d'un sacré labyrinthe. N'essayez pas de revenir en arrière, vous êtes déjà perdu, un véritable cat errant, sans collier.

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C'est un peu la materia prima, la fameuse matière noire des alchimistes. Vous connaissez les ingrédients mais pas la formule. Du blues, de la country, du blue grass, du western swing, du hillbilly, du western bop, c'est le dosage qui demande une préparation aussi longue que l'obtention de la pierre philosophale. Comme vous êtes de gros maladroits, une fois votre mélange effectué, vous devez convenir que vous n'êtes arrivé qu'à produire un grossier ersatz de faussaire. Très connu, sous le rude et communautaire nom de rock and roll. C'est que voyez-vous le rockabilly est au rock and roll ce qu'est un sonnet de Mallarmé à un roman de Paul Bourget. Incomparable. Vous ne pouvez pas vous tromper, cela tombe sous le sens. Le problème c'est que souvent vous parachutez à côté. Ceux qui aiment les certitudes ont trouvé leur certitruc, un détail, mais un gros qui se remarque au premier coup d'oreille, la nécessaire présence d'une contrebasse, avec obligation d'un slapin' game. Pas de slap, pas de rockab. Imagineriez-vous un whisky sans alcool ? Oui, mais attention ce n'est pas parce que vous slappez comme un fou du début à la fin de votre prestation que vous méritez l'authentifique label rockabilly, nous prévient Michel Rose. Méfiez-vous des imitations. Si vous voulez mon avis perso, ce n'est pas du côté des instruments que réside la morsure de la chimère rockabilienne, mais dans la bouche du singer. Et même plus bas. Dans le souffle, voyez-vous le rockabilly c'est le yoga du rock and roll. Pas de technique respiratoire, pas de rockab. Faut aller chercher le serpent de la kundalini et le recracher aussi sec sur le plancher devant les auditeurs. D'où cette impression ( et cette expression ) de chanter avec ses tripes, le rockab singer vous envoie ses intestins à la figure, s'enroulent autour de votre cou et se faufilent dans vos conduits auditifs et vous remontent directement au cerveau, d'où cette impression d'extase et de bien être que mille lignes de coke sniffées en seule fois n'égaleront jamais. En 1956, sont légion à chanter avec l'énergie du désespoir, à tout jeter en bloc, une bonne fois pour toutes, toutes les frustrations accumulées, tous les rêves avortés par l'impitoyable réalité des existences calibrées par les normes sociales. Crachent leur venin, une bonne fois pour toutes. Ne leur en reste plus pour la suite. Quarante cinq petits tours et puis s'en vont. Les plus combatifs feront du rock and roll, les plus sentimentaux du country... Chacun sauve sa peau comme il peut. Les serpents muent, c'est la loi de la nature.

 

ROCK AND ROLL

 

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C'est en ce point que Michel Rose trace la ligne de partage des eaux. Le rockabilly sur le rail droit du Mystery Train d'Elvis, et le rock and roll sur le rail de gauche. Et vous n'ignorez pas que les destins parallèles selon une sublime loi géométrique ne se rejoignent jamais. C'est du moins ce que l'on dit, mais tout le monde sait bien qu'il existe des nœuds ferroviaires qui ont tendance à embrouiller le problème. Disons qu'il y a rock and roll dès que la guitare électrique en prend un peu trop à ses aises et écrase les autres instruments à tel point que la big mama elle-même est obligée de prendre un abonnement compteur bleu. Ou alors c'est le piano qui pompe toute l'énergie et qui s'impose comme le roi de la fête. Jerry Lou est le premier visé dans ce cas, mais Michel Rose n'en pense pas moins de tous les autres pionniers. Fait même une subtile différence entre la première version des Blue Caps qui lui semble beaucoup plus rockab que leur lead singer Gene Vincent. Je lui donne raison, ce n'est pas un hasard si Joe Meeks, le second guitar heros des Blue Caps s'est si bien intégré à l'évolution cat and roll du patron. Même réticence sur Eddie Cochran, le travail en studio de celui-ci s'écarte du dogme rockab d'une façon irrémissible. Ne vous parle pas des rockers noirs trop près du blues et du rhythm and blues, même si le premier album de Chuck Berry arbore fièrement la mention rockabilly, à croire que nul n'est prophète en son pays. Etrangement c'est vers l'ascendance de Bill Haley que Michel Rose se tourne lorsqu'il se met en recherche des racines du rockabilly. Défend bien son morceau et apporte des arguments qui ne sont pas à dédaigner. Certes le style de Bill procède du western swing, mais le swing lui-même a beaucoup à voir avec la pulsation noire du jazz, édulcorée ou simplifiée, répétitive et amoindrie de toute volition d'improvisation. Rien n'est simple mais ce méandre souterrain et occulté de la mise en source du fleuve rockab n'est pas à dédaigner, a aussi l'avantage de mieux comprendre l'appellation rockabilly employée en ses débuts pour qualifier la musique de Chuck. A plusieurs reprises Michel Rose tire la sonnette d'alarme, beaucoup de fans de la musique des petits blancs du Tennessee ne revendiquent qu'une origine cent pour cent blanche du rockabilly et en viennent à adopter l'idéologie raciale des états sécessionnistes... L'eau avec laquelle on se lave est beaucoup moins transparente qu'on ne le voudrait.

 

PETITS ET GROS LABELS

 

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Le soleil a tendance à nous éblouir, regardez-le droit dans les yeux et vous ne voyez plus rien. Reconnaissons que lorsque l'on porte son regard sur le catalogue Sun, vous avez de quoi écouter pour toute une vie, délaissez Elvis et vous vous trouvez nez à nez avec Carl Perkins. Un géant, beaucoup plus rockabilly boy qu'Elvis qui a très vite perdu ses manières de péquenots en raison de son énorme succès. Carl était compositeur, guitariste et chanteur, les trois à la fois, Elvis n'ayant tendu que la troisième ficelle à son arc. Oui, mais plus beau, plus stylé, plus à l'aise. Un peu moins hill-billy-boy descendu de ses collines pour la grande foire du mois. Pour Sonny Burgess, Billy Riley et Waren Smith je vous laisse vous débrouillez tout seul. Pour tout le reste aussi. Suivez Michel Rose c'est un guide incomparable. N'oublie rien ni personne, impressionnante visite de labels, Decca, Coral, King, Starday, Imperial, Dot, RCA Victor, Mercury, Capitol, Roulette, Chess, Arcade, Sarg, Michel Rose ouvre toutes les armoires et vous dévoile tous les trésors – un conseil prenez un stylo et un cahier pour les notes – à chaque page surgira le détail de votre ignorance, celui qui tue, et vous cloue au pilori de votre propre honte. Vérifiez aussi le rouge de votre compte-en banque, car trop de désir tue le désir.

 

ET LA SUITE ?

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Après quelques heures de saine lecture vous abordez les dernières pages du livre. En ce monde imparfait, rien ne dure. Le rockabilly a connu des périodes de sommeil. Mais aussi de nombreux réveils. L'a évolué, les hommes et les techniques ont changé, a subi de nouvelles influences. Devant ces métamorphose, Michel Rose devient plus prudent et davantage circonspect. Ne s'en cache pas, le rockabilly non américain le fait tiquer. Le champagne peut-il être californien ? Ses millésimes grand crus sont cantonnés en 54, 55, 56, 57, même s'il s'est fait d'excellentes récoltes en d'autres années en des terroirs particuliers. Mais enfin, on le sent réticent à s'éloigner des portes du paradis. N'ignore rien de ce qui s'est passé par la suite, les différents revivals, la renaissance Teddy avec Crazy Cavan, l'explosion Stray Cats, les errements du psychobilly... apprécie du bout des lèvres, ce n'est pas tout à fait sa tasse de Southern Comfort préférée. L'on peut le déplorer, mais pas le lui reprocher. Ne cache rien de ses a-priori. L'est un peu le gardien du temple et peut-être même un de ses bâtisseurs. L'est surtout ce que l'on aime chez KR'TNT, un passionné de la première heure, quelqu'un qui n'a jamais dévié pour suivre la dernière mode, droit dans ses bottes, sans aucune fanfaronnerie mal placée.

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Vous filera peut-être un peu le tournis – surtout si vous êtes un néophyte et que dans votre tête il ne devrait exister qu'une quinzaine d'attardés mentaux qui se soient adonnés à ce genre de sport de combat. Dans ce cas-là préparez-vous à explorer une nouvelle Atlantide. Si vous êtes fans, vous n'en finirez pas de vous alarmer de ces incessants rappels de morceaux écoutés, achetés, revendus, oubliés, passés à des amis, qui firent partie de vos découvertes et de vos émerveillements. Michel Rose a retrouvé tous les os du mythique dinosaurockabylus, les a classés, décrits, étiquetés et remontés. L'on en parlait, mais personne n'était certain de son existence. N'était-ce pas un nouveau concept pour fourguer tous les invendus des fifties qui dormaient dans les caves des maisons de disques et des grossistes ? Un coup de pub de génie comme le beaujolais nouveau qui vous a boosté les ventes d'un breuvage aigre-doux qui n'était jusqu'à lors considéré que comme une horrible piquette à offrir à tante Alberte. Mais devant le résultat vous êtes obligé de reconnaître que ce n'était pas une légende que l'on raconte aux rockers pour les endormir, les soirs de grand blues. Non seulement la bête a réellement existé mais elle est encore vivante. Suffit de tendre l'oreille pour l'entendre vagir au fond de nos campagnes.

 

Le rockabilly existe, et vous l'avez rencontré. Grâce à Michel Rose. Pouvez lui dire merci.

 

Damie Chad.

 



 

AUGUSTE VILLIERS DE L'ISLE-ADAM

 

LA REVOLTE

 

THEÄTRE DES BOuFFES DU NORD - 17 / 04 / 15

 

 

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Comte Jean-Marie-Mathias-Philippe-Auguste de Villiers de L'Isle-Adam, je ne connais pas un rocker qui ait osé apposer une nomenclature aussi importante sur la jaquette d'un de ses disques. Je vous rassure tout de suite, Villiers – ainsi le nommaient ceux – entre nous soit dit, peu nombreux – qui l'aimaient et qu'il éblouissait par l'extrême magnificence de ses rêves. Pour ma part je tiens Villiers pour le Gene Vincent de notre littérature. Même existence chaotique et flamboyante, un artiste prodigieux auquel – à part une infime phalange d'inconditionnels – les contemporains ont été au mieux indifférents, le plus souvent hostiles. Villiers qui survivait en squattant en plein hiver les chantiers des maisons en construction, qui gagna quelques sous en servant de sparing partner dans les clubs de boxe... Villiers un des prosateurs les plus purs de notre langue, un des esprits les plus lucides, les plus exaltés, les plus en avance de son temps. L'est mort en 1889 après une vie d'échecs, et la postérité n'a jamais été tendre avec sa mémoire. N'a jamais composé avec son époque, n'a jamais recherché le consensus mou du politiquement correct, a participé à la Commune tout en se réclamant d'un royalisme principiel, a dénoncé la montée de l'utilitarisme bourgeois et pronostiqué l'arraisonnement de notre humanité par une technique menaçante et irréversible. Tout cela dans des oeuvres d'imagination qui échappent à tout calibrage littéraire dont sont si friands les scholiastes universitaires actuels. Villiers ne rentre pas dans les petites cases.

 

Bref La Révolte de Villiers au programme des Bouffes du Nord, tout ce mois d'avril. Villiers fidèle à sa légende qui voit une de ses pièces représentée dans un théâtre longtemps laissé à l'abandon, qui offre encore les stigmates de l'incendie qui le ravagea voici plus d'un demi-siècle.

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En 1870, La Révolte n'alla pas plus loin que cinq représentations. Un four cinglant. L'on comprend pourquoi dès les premières répliques. Une femme fait part à son mari de son intention de le quitter dans les minutes qui suivent. Attention, ne vous égarez pas, pas de batifolage en dessous des jupons. Le sujet est sérieux. Porte sur les nécessités dont on nous rabat les oreilles dans nos médias, le primat de l'économie sur tout sentiment humain. Une prose limpide qui semble sortie du dernier éditorial du Figaro. En plus acidulé, en plus décapant, au plus près des réalités sociales et psychologiques. Les mécanismes de l'exploitation capitaliste ( Villiers n'emploie pas ce mot ) décrits et analysés avec une froideur et rigueur que Karl Marx lui-même n'a jamais égalé en si peu de pages. Pas étonnant que son époque n'en ait pas voulu, et que la nôtre tienne Villiers pour un pestiféré. Nous tend un miroir non déformant qui nous ressemble trop.

 

Elle s'en va. Mais elle revient au petit matin. Villiers n'est pas un optimiste. Une fois que vous avez mis la main dans l'engrenage, c'est trop tard, vous êtes humilié, écrasé, démembré, fini, foutu. Poil au cul. Ces trois derniers mots ne sont pas de trop, faut toujours une pointe de cruelle ironie pour que puissiez prendre conscience de votre déchéance. Villiers ne fait pas de cadeau. Une pièce pas rose du tout. Dépourvue de toute théâtralité. De longs monologues. Un cigare et une table pour tout accessoire. Deux acteurs, un peu de lumière, un peu de musique. Point à la ligne. Pas de quoi briller en société lorsque vous racontez. Evidemment, c'est du Villiers. Evidemment, c'est un chef-d'oeuvre. Très rock and roll dans l'esprit.

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Quatre cents personnes. Beaucoup de jeunes. Espérons qu'ils y viennent chercher la nécessité de la révolte.

 

Damie Chad.

 

Pour ceux qui veulent en savoir plus, Villiers est accessible en Pléiade. Pour ceux qui aiment à être déstabilisés nous recommandons Axël ( pièce de théâtre ) préfacé par Luc-Olivier d'Algange aux éditions Arma Artis. Bonne lecture.

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15/04/2015

KR'TNT ! ¤ 231.THE LOVE ME NOTS / KING BAKER'S COMBO / RON HACKER / MUDDY WATERS / DOCUMENT GENE VINCENT / ERVIN TRAVIS

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 231

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

16 / 04 / 2015

 

THE LOVE ME NOTS / KING BAKER'S COMBO /

ERVIN TRAVIS NEWS / RON HACKER

MUDDY WATERS / DOCUMENT GENE VINCENT

 

DEUX CONCERTS POUR ERVIN TRAVIS

 

LE SAMEDI 18 AVRIL

 

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( L'élan de solidarité autour d'Ervin ne faiblit pas. Pour plus de renseignements se reporter au fb : Lyme – Solidarité Ervin Travis. Et dire que je serai à Gap le mardi 22 avril ! )

 

 

THE LOVE ME NOTS

 

LA TRAVERSE / CLEON ( 76 ) / 04- 04-15

WE LOVE THE LOVE ME NOTS

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Déjà six albums au compteur ! Pour un groupe venu du fin fond arizonien des États-Unis, c’est pas si mal. Il faut savoir que cet ancien territoire apache est désertique. Les Love Me Nots étaient venus jouer en Normandie, voici trois ans, précédés par quelques bons albums et une réputation d’excellent groupe garage paritaire : deux mecs et deux filles. Sur scène, le guitariste Michael Johnny Walker incarnait l’âme du groupe. La chanteuse farfisiste Nicole Laurenne en était la figure de proue. Mais la vraie star du groupe était la bassiste remplaçante, une jeune femme blonde nommée Kyle Rose Stokes. Elle avait souri de la première à la dernière seconde du set. Et quel sourire !

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Pour la promo de «Sucker», nouvel album, les Love Me Nots reviennent jouer en Europe et Christine Nunez, première bassiste du groupe, a repris sa place. Sur scène, elle en impose, avec son look gothique à la Tura Santana et son jeu de basse bien claqué au médiator. True bass monster ! Elle s’immerge dans le son du gros Ampeg et chaque atome de corps vibre au doux ringing des infrabasses. Elle est tellement bonne qu’elle vole la vedette à sa copine Nicole.

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Les Love Me Nots sont revenus jouer au même endroit, à Cléon, juste à côté de l’usine Renault qui se désertifie, cette usine qui pendant plusieurs générations a avalé toutes les classes de terminale du lycée technique d’Elbeuf. Ce cursus ressemblait aux trains qui emmenaient les prisonniers en Pologne et pour s’en échapper, il fallait sauter en marche.

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Sur scène, le groupe dégage toujours autant d’énergie garage. Comme leurs six albums regorgent de classiques imparables, ils n’ont rien à craindre et nous non plus. «Move In Tight» tiré du premier album, ou encore «You’re Really Something» tiré de «Detroit» valent tous les grands classiques garage. Nicole passe toujours la gambette par dessus son Farfisa et Michael Johnny Walker continue de farcir ses stompers de killer solos imparables. Ils sortent deux monstruosités accablantes du nouvel album, «Falling Down» et «I Blame You». Leur garage sonne tellement juste, côté blast, qu’on ne doute pas de leur crédibilité. On les sent nourris de Seeds, de Headcoatees, de Pandoras, de DMZ, mais leur son taille sa route tout seul. Bonne shouteuse, bonne section ryhtmique, bonnes compos, soliste bien killérique : l’équation parfaite.

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«Sucker» est un très bon album de garage. Le son des Love Me Nots se nourrit principalement de power chords et de farfisa. Dès le premier cut, «Don’t Let Him», on comprend qu’on fait face à des gens sérieux. Nicole Laurenne joue les brunes incendiaires et chante comme une reine de Nubie, au sens schwobien de la chose. Leur son est plein comme un œuf de Pâques, mais il est vrai qu’aujourd’hui, les sons pleins ça court les rues. Les choses se corsent avec «You Gotta Go». C’est une folle. Elle arrache le garage comme Tina arrachait la soul au temps béni de la Revue. Elle embarque tout à l’énergie. Elle fait à la fois sa Tina, sa Lisa (Kekaula) et sa Etta. Et là, on commence vraiment à la prendre au sérieux. On sort du petit monde garage pour entrer dans la cour des grands. Avec «Midnight», elle explose le spinash d’un shuffle insurrectionnel puis Johnny Walker vient nous cisailler «You’re Not Giving Enough», en bon killer de la conquête qui se respecte. Alors on voit Nicole Laurenne enfourcher son dragon en toute impunité. C’est une battante, elle ne lâche rien. On revient au garage pur avec «Falling Down». Cette fille est beaucoup trop douée. Pour beaucoup de mecs, une fille comme ça à la maison, ce serait insupportable. Mais elle s’en fout, elle démonte la gueule du garage, soutenue par un riffage désordonné. Ils sortent là une fusion intensive et Nicole Laurenne remonte le courant de lave comme un saumon invincible. Et la fête continue avec «I Blame You», c’est du garage ultime blasté à la basse et riffé à la base du tronc par l’ami Walker. Voilà le garage des temps modernes, la fière allure qui pue l’inspiration à dix kilomètres à la ronde, comme celui des Dirtbombs. Et Johnny Walker nous liquide ça d’un coup de solo sale. Inutile d’espérer un répit, ça continue comme ça jusqu’à la fin du disque. Nicole Laurenne allume tout si bien que ça finit par devenir lassant. Trop d’excellence tue l’excellence. Les explosions se succèdent assez mécaniquement. On va de tourbillon d’orgue en tourbillon d’orgue. Si on aime le bon shuffle, on est gavé.

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Les Arizoniens avaient démarré en force avec «In Black & White», un album produit par Jim Diamond. Ce premier album eut à l’époque le même impact que leur set. On fut surpris par l’extrême qualité de leur garage embarqué à l’orgue et par leur maturité. Leur son nous rappelait évidemment les grandes heures de DMZ et cette folle de Nicole Laurenne chantait atrocement bien. Le premier cut de l’album, «Move In Tight» était excellent car pulsé par une reine du groove. Et on assistait au même genre de phénomène, les tourbillons se succédaient les uns aux autres et on se retrouvait embarqué pour une virée de tape-cul exceptionnelle. Nicole Laurenne chantait ses hits d’une voix ferme. «Voice In My Head» sonnait comme du garage au sang bleu et elle n’en finissait plus de pulser ses nappes. Puis Johnny Walker embarquait «Mine» à la fuzz et nous clouait comme des chouettes aux portes des églises. Nicole Laurenne revenait à la charge avec ses accents voraces et ses nappes d’orgue pour sublimer le vieux garage américain. On sentait la pogne, la vraie, celle d’une femme qui rassure les mecs à la dérive. Avec Nicole Laurenne, aucun problème. Sur ce disque, tout était puissant, ramassé et inspiré. «Come On Over» était le hit du disk, avec son intro de basse et l’arrivée brutale des nappes de shuffle - I wanna lose my mind ! - suivies des chœurs et de la fuzz qui surgissaient comme le Huitième de Cavalerie à l’entrée du canyon, causant la déroute des Chiricahuas.

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En fait, on a tellement écouté de garage depuis trente ou quarante ans qu’on croit souvent en avoir fait le tour. À l’époque où on écoutait les Standells et le «Babe Please Don’t Go» des Them, on plaignait déjà ceux qui allaient tenter de s’aligner. Les Pretty Things, les Downliners Sect, les Sonics, les Shadows Of Knight et les Gories constituaient avec les Standells et les Them l’aristocratie du garage. On s’est parfois demandé à quoi servaient tous ces albums garage qui continuaient de paraître, puisque la messe avait été dite. Mais on les écoutait, tout simplement parce que cette scène restait bien vivante. À sa façon, chacun de ses groupes portait le flambeau, comme c’est le cas dans la scène rockab contemporaine. C’est ce qui fait à la fois la valeur et la force de cette scène. Brancher sa guitare sur une pédale fuzz et plaquer les trois accords de «Gloria», c’est un geste de résistance. Pas question de renoncer.

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Et c’est aussi parce qu’on se croit un peu blasé que les Love Me Nots sont très forts, car ils parviennent à générer non seulement de l’admiration, mais aussi une véritable émotion.

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Dans «Detroit» paru en 2008, on tombe sur un cut pulvérisateur digne du MC5, «Shuffle», vrillé par un solo dément de Johnny Walker. Bon ça c’est une chose, mais tout le reste du disque est bon, vraiment très bon. D’ailleurs, cet album est aussi bon que le précédent et fatalement aussi bon que le suivant. Écoutez «Walk Around» qui ouvre le bal et vous allez voir trente-six chandelles. Ça sonne comme les Detroit Cobras. C’est pourri de dynamiques internes qui s’expatrient les unes les autres. On n’avait encore jamais assisté à un tel spectacle. Nicole Laurenne explose son chant à l’aune de ses petites cuisses fermes. Pure démence, ma chère Hortense ! En Arizona, il n’existe certainement pas de plus grosse équipe que celle-là. Il faut voir comment ils traitent «Secret Packet» ! Ils trépident littéralement. Nicole Laurenne réactive ses pulsions fantasmatiques et dresse le beat comme ce n’est pas permis. Elle est aussi dégoulinante de classe que Rachel Nagy, ah yeah ! Et pendant qu’on discute, les nappes d’orgue virevoltent et Johnny Walker scie tout ce qu’il croise. Encore une fois, leur truc est d’un niveau beaucoup trop élevé. On a l’impression qu’ils veulent nous faire plaisir, mais ils en font beaucoup trop. On aimerait qu’ils deviennent un peu médiocres, mais c’est impossible, d’autant que cette brute de Johnny Walker place des petits solos vitrioliques et bat des records de violence intentionnelle. Ritchie Blackmore qui est pourtant réputé pour sa brutalité est en comparaison un enfant de chœur. Et le Walker continue, on ne pleut plus l’arrêter. Il glougloute dans « Love Letter» et cette délinquante de Nicole Laurenne prend le relais dans «Work», une nouvelle monstruosité saccagée aux tambourins. Walker y glisse un solo diabolique. Ces gens-là ne sont pas normaux. Entre un Johnny Walker qui triture ses notes comme un sadique et une Nicole Laurenne qui joue les soul sisters échappées de l’asile, franchement, on ne sait plus quoi penser. Attention à «Black & Blue». C’est un cut qui envoie directement au tapis. Et jusqu’au bout de l’album, elle chante à s’en arracher les ovaires.

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Comme ils savent qu’ils sont bons, alors ils continuent d’enregistrer des disques. Et ils ont raison. «Upsidedown Insideout» sort un an plus tard et on retrouve sensiblement les mêmes énormités. Nicole Laurenne semble même shouter de mieux en mieux. Ils reviennent à l’inexorabilité des choses avec «Karen (Get Yourself Out)», un chef-d’œuvre garage à la fois excité et excitant, balayé par des vents de fuzz. On a parfois l’impression que le shuffle tournicote autour du cut comme une troupe de requins autour d’une barque de naufragés. Un cut comme «You’re Bringing Me Down» relève du pur génie. Johnny Walker le cisaille à la base du tronc et on le reçoit sur la carafe. Quel génie purulent ! C’est claqué à l’accord sec. Puis il fait ce qu’on attend de lui, il place un solo de déconstruction épouvantable, un véritable chorus hallucinant d’exonération intersidérale. Si on aime les surprises dans la vie, il faut écouter les albums des Love Me Nots, car pour surprendre, ils sont particulièrement doués. Nicole Laurenne écrase le champignon pour «He’s What I Want» et ils enchaînent avec une nouvelle énorme compo intitulée «Rosie». Elle s’y transforme en soul sister et on voit luire ses petites canines de caniche. Quand elle attaque «Not That Kind Of Girl», on a l’impression que la terre entière s’agenouille devant elle. Et elle redevient l’espace d’un cut la shuffleuse ultime, elle exécute ses couplets avec un génie perverti. C’est incroyable ce qu’elle est bonne. Tout le monde est prévenu.

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«The Demon & The Devotee» sort dans la foulée. Avec «The End Of The Line» on a l’intro de basse du siècle, encore plus belle que celle de John Stax dans le «Come See Me» des Pretty Things. Nicole Laurenne chante ça à pleine voix et elle bouffe le monde. C’est une dévoreuse. Avec «She’s Nothing Like Me», elle nous envoie valser dans les ardeurs du Brill et nous fait chalouper dans la bruine au gré des vagues de classe. C’est tellement bien produit qu’on pense aux Raveonettes. C’est envoyé en plein dans les gencives de la démesure mélodique. Johnny Walker revient aux affaires avec un riff de la mortadelle pour «I’m Not Okay». Wow, quel ambassadeur ! Le garage de Phoenix serait-il le plus violent du monde ? La réponse est oui. On a ensuite une nouvelle pièce de pur garage avec «He Doesn’t Share Well». Le buzz est taillé dans la masse de l’orgue et plombé par une fuzz dégénérée. Nicole Laurenne se plonge sur la question, elle furète de son museau humide et soudain, ça part en vrille, ça s’asperge d’orgue et ça devient totémique, comme si le diable s’en mêlait.

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Et puis voilà le petit avant-dernier, «Let’s Get Wrecked», avec sa pochette ornée d’une guillotine. Vraiment sexy. Nicole Laurenne revient faire sa reine mauve de mauvais trip dans un «Do What You Do» d’ouverture fusillé par des rafales de fuzz. Il faudra attendre «You Don’t Know A Thing About Me» pour renouer avec l’excitation, la vraie, celle qui donne des boutons. Et quelle excitation car Johnny Walker envoie un riffing qui scie les falaises de marbre. Alors Nicole Laurenne s’accroche désespérément aux démences de la partance, mais c’est impossible car tout le cut se déconstruit, comme dans un cauchemar. Se sachant perdue, elle chauffe le cut à blanc. Elle fait ensuite sa April March dans «On Va s’Défoncer». Elle chante en Français et s’en sort bien. Ça continue avec «Cette Femme Là» - t’es jamais content - et ils profitent de l’occasion pour sortir un garage de rêve. Cette sacrée Nicole se montre une fois encore effarante de classe - Tu fuis les conflits et on ne comprend pas bien la suite, mais ce n’est pas grave, car ils jouent comme des dieux, les genoux pliés et le bustes à la renverse, sur de gros accords clairs et nets.

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Dans la vie civile, Nicole Laurenne fait l’avocate, et Michael Johnny Walker partage sa vie. On leur souhaite bien du garage.

 

Signé : Cazengler, the lave-me not

 

The Love Me Nots. La Traverse. Cléon (76). 4 avril 2015

 

Love Me Nots. In Black And White. Atomic A Go Go Records 2006

 

Love Me Nots. Detroit. Project Infinity Records 2008

 

Love Me Nots. Upsidedown Insideout. May Cause Dizziness Records 2009

 

Love Me Nots. The Demon And The Devotee. Atomic A Go Go Records 2011

 

Love Me Nots. Let’s Get Wrecked. Bad Reputation 2011

 

Love Me Nots. Sucker. Bad Reputation 2014

 

TROYES / Le 3 B11 / 04 / 15

 

KING BAKER'S COMBO

 

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KBC A3 0 3B. Ce n'est ni un code ultra-secret du KGB, ni une SMS Kronic, simplement le King Baker's Combo à Troyes au 3B. Vous raconte pas le chemin, cela fait plusieurs fois que nous le parcourons ensemble. La vie est parfois difficile, y avait la troisième manche qualificative pour le passage au festival Confluences des jeunes groupes au Be Bop à Montereau, et aussi Earl and the Overtones à Paris au Corcoran's, faut faire son choix. Je ne regrette pas le mien.

 

J'arrive à temps pour la fin de la balance. A première oreille c'est du lourd. Envoyé c'est pesé. Le temps de papoter, de raconter ses malheurs, et de réciter la liste de ses concerts les plus extraordinaires auxquels on a assisté, le café se remplit, clientèle habituelle d'amateurs et d'un public plus jeune venu for having some fun tonight, yeah.

 

FIRST ROUND

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King Boxer's Combo, c'est nous les punching balls. Mettent pas de gants pour annoncer la couleur. Sonnés dès le troisième morceau. Méfiez-vous, ne paraissent pas dangereux au premier abord. Vince retourné vers sa contrebasse comme un grand garçon timide qui aurait peur des regards du public, Jim engoncé dans une barbe de sapeur napoléonien qui lui mange le visage le regard concentré sur sa guitare, Carlos derrière son kit de batterie l'air placide, et Blanco tout souriant derrière le micro, à la rythmique. Vous leur donneriez une image comme à des enfants sages. Faudrait une loi qui interdise le jet de rockab vivant avec une telle violence. Un, deux, trois, quatre, un, deux, et c'est parti mon kiki, sur les chapeaux de roue. Une équation fort simple, un rockab comme une gifle, deux comme une pluie de coups, trois comme un KO technique qui vous scie l'estomac et vous coupe le souffle vital. Tellement bon que vous survivez et que vous attendez la prochaine avoinée avec plaisir. Le font avec finesse, l'air d'hésiter un peu, s'interrogent du bout des yeux, positionnent les doigts sur les cordes, prennent une profonde inspiration et hop c'est derechef une deuxième guerre intergalactique qui recommence. Carlos ne quitte pas son équipage des yeux. Quand il embraye en premier il hausse le tom et les autres ont intérêt à ne pas descendre d'un étage. Pas de danger, sont plutôt du genre à escalader les marches par paquets de cinq à fond la caisse. La big mama de Vince fait un bond en avant, l'est expert en interrogatoire poussé, il la traumamatise avec méthode. N'arrête pas de jacter la mémère, connaît son dixionnaire par coeur. D'autant plus méritoire que le King Baker's Combo, il serait plutôt à inscrire dans la mouvance white rockak, type déjante à la Ronnie Self ou Johnny Carroll. Pas d'effusion électrique, Jim est plutôt ce que j'appellerai un syncopeur fou, vous fait de ses trifouillis sur sa gratte à vous couper les jambes, fait penser à un torero qui se serait assis sur l'encolure du taureau pour lui passer la cape devant les yeux afin d'énerver encore plus la grosse bestiole et la rendre complètement branque, mais pourquoi aller chercher si loin une comparaison en Espagne alors que les States sont les spécialistes des broncos-rodéos. Blanco connaît l'évangile du rockab, au commencement était le verbe, et le verbe se fit rockabilly. S'agit pas d'avoir une belle voix, pouvez avoir l'organe de velours ou rockailleux, ce n'est pas ce qui compte, faut simplement savoir donner la langue au cat, au bon endroit, au bon moment. Le rockab, c'est à la fraction de seconde près, ou vous le sentez d'instinct, ou vous changez de métier. Le grand art est imperceptible, un blanc pour entendre résonner une corde de guitare, un vide où s'immisce un brelan de notes contrebassées qui resplendissent comme une coulée d'or, un silence ponctué d'un coup de baquette de fée, et déjà el cantaor relance la dynamite. Hoquet, rafale ascendantes d'onomatopées, fin de lyrics agonisants, tout est dans la manière d'introduire le feu dans le baril d'essence. Et là-dessus, Blanco en connaît un brin de baobab, vous dégringole dessus comme la cavalerie d'Alexandre les pentes abruptes du Granique. Vous n'avez pas réalisé que déjà il escalade la rive opposée.

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Dans la salle personne ne s'ennuie. Ça danse - mais pas de salon - de tous les côtés. Tourniquets de couples vibrionnant et solitaires déchaînés communient dans une sarabande folle. Le set s'arrête au bout de quinze morceaux, Jim vient de casser une corde, l'est temps de penser à se réhydrater.

 

DEUXIEME ROUND

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Pas de chance pour les cardiaques. Ne laissent pas retomber la mayonnaise au piment rouge. Ont envie d'en découdre. Et l'enfer sur terre recommence. Pas à l'identique. En plus fort, en plus rapide, en plus tout ce que vous voulez. Les articles du magasin ressemblent à ce qui est exposé en vitrine. Avec peut-être des passages instrumentaux plus longs. Je ne le certifierai pas, pas eu le temps de déclencher le chrocknomètre. Peut-être simplement y fait-on davantage attention, car on sait maintenant que ça brûle au troisième degré. Avec tout ce monde qui bouge de partout l'on ne sait plus trop où commence et où finit le combo. Un de ces moments rares où tout le monde a l'illusion de faire partie d'un groupe homogène, une osmose bienfaisante de plaisir partagé. Deux filles se sont emparées des percussions et nous font un numéro de maracas pom-pom girls pas du tout dégoûtant. S'en tirent très bien et Carlos sur sa batterie ne leur fait pas de cadeau. C'est à Jim de jouer, guitare et chant. Nous interprète une compo de son groupe Jim And The Beans, sauvage et rugueuses à souhait. Juste le temps de préciser que ses Haricots sauteurs nous pèteront un petit tour de chant dans quinze jours, ici même au 3 B, et c'est le moment de la grande communion philosophique pour la défense des valeurs occidentales, l'hymne dionysiaque I Found A Friend In Alcohol des Wildcat repris en cœur dans ce café bourré de brothers and sisters assoiffés...

 

ROUND THREE

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N'y a que Carlos et Jim fidèles au poste. C'est le patron qui courageusement se lance dans Blue Suede Shoes, comme c'est son anniversaire on le laisse faire, mais heureusement qu'Eric Duduche vient lui donner un petit coup de langue ( dans le micro, rassurez-vous ), s'en dépatouille mieux que bien, surtout que les deux retardataires ont rejoint leur poste et qu'il bénéficie d'une orchestration point trop maigriotte. Faut tout de suite marquer notre mécontentement. Set trop court. L'on aurait encore inhalé une quinzaine de bouffées délirantes de rockabilly de derrière les fagots. Mais les boulangers qui ont pétri la pâte toute la soirée sont épuisés. Comble du combo des bakers, c'est nous qui sommes dans le pétrin et qui devons nous contenter d'un petit pain. Ne jouons pas les affamés, nous ont plus que convenablement nourris ce soir. Un menu digne d'un roi. A dish fit for a king. A King Baker's Combo !

 

HORS DU RING

 

Sacrée soirée comme ils disent à la télévision. Festive, conviviale, mousseuse. La veille le King Baker's Combo était au Cross Diner de Montreuil, une soirée dédiée à Carl...

 

Damie Chad

 

 

WHITE TRASH BLUESMAN

 

RON HACKER

 

( Blues & co : Autrement Blues )

 

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White Trash People. La saloperie blanche. La plaie purulente de l'Amérique. Dieu les a bénis. Leur a donné la plus belle couleur. Celle que vous n'échangez ni contre deux barils de noir, ni contre deux tonneaux de jaune, ni contre deux bassines de rouge. Z'ont tout pour être heureux et ne savent pas en profiter. L'on n'a pas le droit d'être pauvre quand on est blanc. Il y a pourtant aux USA quelques millions de malheureux qui s'obstinent dans cette mauvaise voie. Des individus dénués de sécurité sociale et de tout sens moral. Du début à la fin. Naissent pauvres, et crèvent pauvres. Preuve qu'ils n'ont fait aucun effort pour s'en sortir, qu'ils y mettent même une indéniable mauvaise volonté. N'éprouvez aucune pitié, c'est de leur faute. Ces gens sont le crachat de dieu. Certains gauchistes assurent que s'ils n'ont pas pu se racheter, c'est parce qu'ils n'avaient pas d'argent. Sophisme éhonté. C'est la preuve de l'amour immodéré que notre Seigneur éprouve à l'encontre du peuple noir, puisqu'il lui réserve le même sort qu'à toute une partie du troupeau de ses blanches brebis adorées.

 

Ron Hacker ( né en 1945 ) fait donc partie de ces rebuts blancs de l'humanité. Son existence ne fait que confirmer les vues de notre divin sauveur, né blanc et pauvre, devrait selon les saintes lois de la rédemption et après une existence faite de rachat et de travail sous-payé trouver la paix intérieure de l'acceptation et revoir l'illumination de la grâce salvatrice en prenant conscience de faire partie de la candide tribu bienheureuse tribu des âmes délivrées de leur noirceur native, ben non, l'a sciemment tourné le dos à ce projet de repentance et persévérance intérieure vers la lumière supérieure, pour rentrer dans l'abomination la plus sombre, l'a franchi le Rubicon de l'Enfer, l'est devenu bluesman. Ne pouvait pas faire pire, vous en conviendrez, quelque chose ne tournait pas rond chez ce Hacker des mauvais quartiers d'Indianapolis.

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Son père meurt alors qu'il n'a que quatre ans. Va être balloté de tante en tante, et plus tard son beau-père ne le portera pas dans son cœur. Pourrait être malheureux, pleurer et gémir dans son coin, tout seul comme un grand. Développera en son esprit absent de toute contrition une haine sourde et tenace. Hélas, la chair est encore plus faible que le siège de l'intelligence. Est assailli de mauvais penchants. Dès sept ans l'on ne compte plus les cousines, les voisines et les copines qui le sucent à tire larigot. Et le petit vicieux se laisse faire. Ce n'est pas un pénis qu'il possède mais un sucre d'orge. Cette mauvaise habitude ne passera pas avec l'âge. Suit le mauvais exemple, se met sans plus de réflexion à pratiquer l'art latin du cunnilingus et très vite à introduire son pénis dans la tirelire ( en forme de cochon rose ) de ses jeunes amoureuses. Dépravantes habitudes qui influent sur ses résultats scolaires. Commence une longue dérive, quitte l'école et sa famille, a tout juste seize ans qu'il vit déjà en hors-la-loi, essayant de survivre seul alors qu'il n'a pas le droit de travailler... Apprend la dure loi de la rue, reçoit des coups, conduit sans permis, possède tout de même un projet d'adaptation sociale puisqu'il a une petite amie officielle et un projet professionnel : entrer dans l'armée.

 

Bref tout semble pour le mieux dans le meilleur des mondes. Fait ses classes in the US Army ( le gouvernement rêve d'une revancharde expédition militaire sur Cuba ) et se marie avec sa Lorain chérie. Hélas Lorain n'est pas la prude jeune fille des contes de fée, elle a la cuisse légère comme l'on disait au dix-neuvième siècle, la sexualité de groupe ne l'effraie guère non plus. Habitudes d'autant plus gênantes que notre jeune instructeur en conduite de char d'assaut est envoyé en Allemagne. Comme Elvis Presley, son idole ! N'y gagne pas des galons mais une dépression nerveuse carabinée qui nécessite hospitalisation et internement psychiatrique.

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L'armée américaine n'ayant plus besoin d'un tel soldat le démobilisera. Se retrouve à vingt-deux ans sur la case départ du jeu de l'oie de la vie. Fera de méritoires efforts pour se tirer de la galère. Mille petits boulots pénibles et très mal payés. Nous rejoue Les Raisins de la Colère avec émigration en Californie. C'est son Eldorado à lui. Y trouve de l'inspiration, un peu de drogue, traverse le rêve hippie, essaie de devenir voleur, ne se trouve pas assez doué pour cette noble cause, revient alors à ses premières amours, le sexe. Qu'il décide de pratiquer en professionnel. Sera souteneur. Fait le mac. A un peu de mal. Un peu trop sentimental. Tombe sur des filles qui ne veulent qu'en faire à leur tête. Alors que c'est leur cul qui devrait soutenir cette noble mission. Par un coup de génie, il parvient à synthétiser la solution idéale : pourquoi s'embêter avec des garces qu'il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam. Va chercher sa femme Lorain à qui il propose enfin un travail en plein dans ses cordes... L'histoire se terminera mal. Ah les femmes ! Mais en fait, Lorain qui le quitte ( un peu violemment ) lui permet de tourner en Ron Hacker.

 

Nous arrivons aux dix dernières pages du livre. Ne sachant plus trop quoi faire, Ron se rend chez un pote guitariste qui l'héberge et avec qui il commence à fréquenter les clubs de blues. Sans trop savoir de qui il s'agit il est invité à rendre visite à un certain Yank Rachell... Habite un immeuble sordide qui ressemble ( en moins bien ) aux quartiers de son enfance. N'a pas encore frappé à la porte qu'il se sent comme chez lui. La misère, la violence sourde... Ne rencontre pas Yank Rachell l'acompagnateur de Sonny Terry et de Sleepy John Estes mais le père qu'il n'a jamais eu. Les deux hommes se sont reconnus. Sont de la même race. Ni blanche, ni noire. Celle des parias. De la même classe.

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Quelques mois avant de mourir en 1997 à Indianapolis, James Yank Rachell confie à Ron Hacker l'héritage du blues du delta... c'est à lui de préserver l'esprit de révolte qui couve sous les braises. Ce blues qu'il avait écouté gamin chez une tante qui possédait des disques, qui l'avait marqué au fer bleu, qu'il avait perdu de vue, mais qui a su se rappeler à lui. Si tu ne vas pas au delta, le delta viendra à toi. Encore faut-il l'avoir mérité.

 

Un beau livre, âpre et rude. Ron Hacker ne s'y présente pas sous son meilleur jour. Se contente de rapporter. N'est pas un écrivain. Dévide le cocon. Le fil se brise parfois et il nous ramène en arrière. Ne tire de sa vie qu'une seule fierté, elle lui a refilé le blues en douce, qu'il se sent capable d'exprimer autant qu'un noir. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le blues est la seule arme disponible contre les morsures de cette chienne de vie. Permet de faire avec le manque. De dignité, de tendresse. Le blues remplit les intermittences des vies saccagées.

 

Comme tant d'artistes américains Ron Hacker tourne beaucoup en France, ne le ratez pas.

 

Dam Chad.

 

 

MUDDY WATERS

 

FROM MISSISSIPPI TO CHICAGO

 

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I FEEL LIKE GOING HOME / I CAN'T BE SATISFIED ( Looking For My Baby ) / GYPSI WOMAN / TRAIN FARE HOME BLUES / GOOD LOOKING WQMAN / STREAM LIME WOMAN / MEAN RED SPIDER / LITTLE ANNA MAE / MEAN DISPOSITION / WHISKEY BLUES ( Sittin' Here And Drinking ) / BURYING GROUND BLUES / DONW SOUTH BLUES / CANARY BIRD / COUNTRY BLUES N°1 / TAKE A WALK WITH ME / BURR COVER BLUES / I BE BOUND TO WRITE YOU / YOU GOT TO TAKE SICK AND DIE OF THESE DAYS / I BE'S TROUBLED / ROSALIE / COUNTRY N° 2 / KIND- HEARTED WOMAN / JITTERBUG BLUES / MADE DAYS BLUES.

 

PLATCO 470.

 

Muddy Waters, pas besoin de présentation. De Son House au Rolling Stones, un demi-siècle de blues. L'a tout connu, l'a tout traversé. Ce qui touche le plus dans sa musique, c''est l'équilibre magique obtenu avec quatre bouts de ficelles et des morceaux de bouteilles cassées serait-on tenté d'exagérer. Ecouter Muddy et vous n'avez besoin de rien d'autre. Il est l'articulation essentielle qui relie le vieux blues du delta au rock des villes. Tout ce qui est venu après est superfétatoire. De la saloperie blanche alluvionnée au sillon noir. Par dessus. Blues germinatif pour coroles pâles chlorotiques.

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1941 / Country Blues N° 1 même pas un titre, juste un genre et un numéro. C'est le tout début. Fait parti avec toute une flopée qui suit des séances d'enregistrement avec Alan Lomax. Une guitare, une voix et rien d'autre si ce n'est les cordes qui tressautent chacune à leurs tours. Originel. Vous ne trouverez pas plus nu, plus dépouillé. Mais la voix grondante, Muddy l'inconnu ne laisse pas passer sa chance. Donne tout ce qu'il dans le ventre. Et encore plus dans les doigts. En boxe, on appelle cela une démonstration. I Be's Troubled la même chose mais un peu mieux en scène, l'artiste perce sous le bouseux. La guitare gratte comme une démangeaison, c'est la voix qui accompagne et pas le contraire, un peu comme quand on fait sortir le pape au balcon pour prouver aux fidèles surpris que dieu existe. 1942 / Take A Walk With Me Lomax est de retour l'année suivante. Les bandes ne furent publiées que beaucoup plus tard. Muddy avait appelé les copains pour le soutenir. La voix est mise en avant. Normal faut montrer aux filles qui commande même si l'on fait semblant d'implorer. L'ensemble beaucoup plus country blues que blues. Presque joyeux. La vie est belle, Lomax est revenu. Burr Clover Blues retour au blues, avec les cordes qui grincent et la voix qui semble s'éloigner parfois du micro, comme pour parfaire l'idée de enregistrements des années 20. Frotti-frottas sur les aigus, Muddy est en train d'apprendre à poser sa voix, à jeter les fondations de son style si particulier. I Be Bound To Write To You autre exercice, Muddy s'essaie à la grosse voix, se cherche et ne se trouve pas, les basses sont mises à l'épreuve, c'est dans le pickin' que son organe comprend l'intérêt qu'il a à se fluettiser. . You Got To Take Sick And Die Some Of These Days se porte comme un charme et l'en fait voir de toutes les couleurs au docteur. N'a pas spécialement envie de crever mais joue au fort en thème qui vous assène les quatre vérités métaphysiques, c'est sa manière à lui de faire de l'humour. Rosalie pas question de laisser échapper la donzelle l'a rameuté ses potes, les Sim Four avec violon pour charmer la belle, l'a beau y sortir le grand jeu de la mandoline, n'en reste pas moins le rustaud de service qui parle du nez et qui se fait encourager par les copains pour tenter enfin le grand saut. Country Blues N° 2 se débrouille mieux tout seul, a la tchatche verbeuse et il vous fait péter les notes comme on crève les furoncles. Et quelques rasades de col de bouteille pour terminer le morceau, emballé, c'est pesé. Du travail de pro. 1946 / Burying Ground Blues quatre ans plus tard. Ne s'est pas embourgeoisé mais l'a rajouté un piano qui prend toute la place. L'on se croirait chez Memphis Slim. Jitterbug Blues l'est quand même le roi de la slide, alors nous débute l'engin comme si c'était un instrumental, fait la grosse voix du loup en colère et passe par-dessus avec sa guitare. Qui pourrait jouer mieux que moi ? C'est sur des mécaniques roulées à l'identique que Jagger a compris comment la voix doit surnager au même titre que la guitare. Faut jouer à jeu égal. Hard Day Blues Muddy c'est pas le roi de la pop, alors il vous ressert un vrai blues, comme on n'en fait plus. Cartonne ses notes au double-face. Du dur de chez dur. 1947 / Gypsi Woman un an de plus, et encore davantage d'assurance, chante et joue comme BB King, et l'on se dit qu'à sa manière d'entremêler les spaghetti dans la sauce le roi c'est plutôt Muddy et pas bibi fricotin. La belle gitane lui promet du bon temps. L'on sent qu'elle prophétise d'or. Little Anna Mae coup double, l'élève dépasse le maître, ce coup-ci il réunit les deux sur le même cut, et BB King et Memphis Slim, l'a trouvé la voix royale et l'orchestration n'y va pas piano-piano. Ces deux morceaux sont des coups de semonce, les deux premiers titres enregistrés pour Aristocrat, Muddy s'impose. 1948 / I Feel Like Going Home n'aura plus besoin d'insister pour qu'arrive la gloire. Muddy rentre chez lui. Dans son génie. Se surpasse. Du bleu plus noir de rage que celui-ci, vous n'en trouverez pas. C'est du slide et pas de la pédale wha-wha mais ça fuse à tous les étages. I Can't Be Satisfeid ( looking for my baby ) deuxième face du single qui l'intronise dans l'empyrée du blues. Une guitare aussi belle que la voix de Johnny Cash pour les graves, et des miaulements de cats erratiques pour les plus aigus.C'est là-dessus et pas ailleurs que Jagger a appris à chanter. Un disque deux chef d'oeuvres. Train Fare Home Blues trop bon, trop beau. L'on arrête le train dans le millésime et l'on n'en bouge plus jusqu'à la fin du CD. Good Looking Woman un piano à la honky tonk, juste manière de démontrer qu'une guitare possède davantage de champ qu'un piano et qu'elle peut même surpasser un saxophone. Si vous savez jouer, vous obtenez le vide sur la bande-son. Stream Life Woman l'orchestre en sourdine, la guitare et la voix, le reste est juste là pour s'effacer et s'écraser. Mean Red Spider I got a mean red spider qu'il vous annonce d'une voix rayonnante, c'est que le joujou extra l'araignée au museau rouge, elle court d'un bout à l'autre du manche comme si elle était chez elle. Mean Disposition la même avec le piano qui batifole derrière et toute la formation qui marque la rythmique, faut bien qu'elle trouve quelque chose d'inutile à broder, le sax souffle sans désemparer, vous tisse un tapis d'ambiance pour les danseurs dans le club. Whiskey Blues ( sittin here and drinkin ) Muddy nous la joue au romantique délaissé devant son botellon de whisky, en tout cas n'est pas ivre au point de sortir le doigt du goulot, tricote un max, le désespoir lui va si bien. Down South Blues retour vers le Sud, c'est de là que tout est parti et où tout retournera. L'homme de Chicago se penche sur son passé et mesure le chemin parcouru. Exercice de style. Parfaitement accompli. Canary Bird un ensorcellement, ah ! Ce solo, j'aimerais être le seul à l'avoir entendu. Hélas, il y a des centaines de guitaristes rock qui le pillent tous les soirs. Oui, mais en moins bien. Le monde n'est jamais parfait. C'est à cause de cela que l'on a inventé le blues. Kind-Hearted Woman juste au cas où vous n'auriez pas compris la leçon. Grande médecine. Le Muddy se moque de nous. Joue trop bien. Facilité déconcertante. Du coup il s'amuse avec sa voix. Nous en laisse pantois. Je ne vous recommande pas d'acheter ce disque, vous l'avez déjà.

 

Damie Chad.

 

DOCUMENT GENE VINCENT

 

BE BOP A LULA AT THE AMBASSADORS

 

In a special tribute to rock’n’roll, Be Bop a Lula is the one West End performance to rock the theatre’s seats with beloved music from the 50s and 60s.

 

Firstly, the show is a small-scale rock concert rather than a traditional play. That is, there is a band present on stage at all times (The Wild Caps), backing up four legendary rock’n’rollers, resulting in a production that easily gets its whole audience singing and dancing along.

 

As for the performers, the show pays tribute to four beloved stars: Americans Roy Orbison, Eddie Cochran and Gene Vincent, and Liverpool’s own Billy Fury. All of them are recreated on stage by Gavin Stanley and Lars Young. So, while Stanley gets under the skin of Eddie Cochran and Billy Fury, Lars Young plays Roy Orbison and Gene Vincent. Both of them do such a fine job in their effortless impersonations that they make the whole act entirely believable. From the costumes to the artists’ mannerisms, everything is polished to the finest detail, recreating the atmosphere of a rock concert from the past. That is, both Gavin Stanley and Lars Young know their original material very well, recreating the legendary musicians’ signature looks and moves almost to perfection. The result is a cheerful, bursting-with-energy show that includes popular songs such as Roy Orbison’s In Dreams, Crying, Mean Woman Blues and Billy Fury’s Wondrous Place.

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Apart from the great band and the two main artists, there is one more person on stage that gives the performance that special something, making it worthwhile. From the very beginning, the audience is introduced to the live broadcast by Rocking Reverend DJ Spencer, played by Spencer Evoy. Not only is he the host, but he also performs on the saxophone with an enviable energy, quickly turning into a showstopper and into the spectators’ favourite.

 

Be Bop a Lula offers real rock’n’roll entertainment, paying a lovely tribute to four legendary musicians, while also reviving their music one more time on stage. Although the act is targeted at a more mature audience, compelling them to revisit their own memories of carefree partying in the 60s, it will work a treat for any true rock’n’roll fan.

 

LYUBOMIRA KIRILOVA . ( Friday 3d April 2015 )

 

Be Bop a Lula is on at The Ambassadors Theatre on 6th May 2015 and 3rd June 2015, for further information or to book visit here.

 

Sur : www:the.upcoming.co.uk | read the news // live the culture

 

08/04/2015

KR'TNT ! ¤ 230. ROCKING FOR ERVIN with NESON CARRERA & THE SCOUNDRELS / ATOMICS / ALAIN CHENNEVIERE / CHRIS EVANS / BE BOP CREEK / TONY MARLOW / VIKTOR HUGANET / DON COVAY / EARLY SIXTY ROCK 1N VAUCLUSE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 230

A ROCK LIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

10 / 04 / 2015

NELSON CARRERA & THE SCOUNDRELS / ATOMICS /

ALAIN CHENNEVIERE / CHRIS EVANS / BE BOP CREEK 

VIKTOR HUGANET / TONY MARLOW

DON COWAY / EARLY SIXTY ROCK IN VAUCLUSE /

 

04 / 04 / 2015 / LE PICOLO

 

SAINT-OUEN ( 93 )

 

ROCKIN' FOR ERVIN

 

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Mille sabords ! Mister B va le jeter dehors ! Son portable ! Le misérable ! Quatre fois qu'il nous fait sortir et puis reprendre la même bretelle d'autoroute ! Recalcul de votre itinéraire, mon cul, il y a qui se perdent, des coups de pied dans le derrière ! Tant pis l'on fonce tout droit ! Grande victoire de l'esprit humain sur la machine. Un saut de Puces, et hop nous voici à Saint Ouen. Inutile de prier, dieu est mort.

Trente ans que je n'avais mis mes guêtres dans le dédale. Ça a bien changé ma bonne dame ! M'en parlez pas, la dernière fois m'étais trouvé sur un étalage à côté d'Hugues Aufray, depuis doit avoir la voix chevrotante notre skiffler ! Eh oui, n'est plus très frais ! Sept heures et demie du soir, ca remballe sec, ça baisse les rideaux, et ça trimballe des amoncellements de poubelles sur les trottoirs. Les devantures sont repeintes à la mode rap et hip-hop, dire qu'avant c'était banané de rockers impénitents ! Lost Paradise, Milton nous avait prévenus !

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Subsiste des points de résistance, le Picolo par exemple. Rien qu'au nom, l'on comprend qu'on n'y picole pas que de l'eau. Un rade comme l'on n'en fait plus, une terrasse, une salle avec comptoir sur la gauche, une deuxième salle en contrebas, une scène qu'il faut traverser pour atteindre les cuisines backstages. Un escalier en spirale dans le coin qui vous emmène je ne sais où. Ce n'est pas la Scala de Milan, mais tant qu'il y aura des rockers assoiffés, ça durera plus de mille ans. Ce n'est pas bâti en marbre de Carrare, mais ce soir ça regorge de rock and roll stars.

ROCKIN' FOR ERVIN

Huit heures pile : brève introduction de Tony Marlow qui nous donne quelques nouvelles d'Ervin qu'il a eu au téléphone et qui nous salue. Ce n'est pas la grande forme, mais déjà à pied d'oeuvre en Allemagne et a commencé sa batterie de tests. Encourageant mais pas la super joie. Va falloir scier les barreaux de la maladie à coups de lime et ce sera long. Et coûteux. C'est pour cela que nous sommes là ce soir, la recette de la soirée sera reversée entièrement à l'association Lyme – solidarité Ervin Travis. Comme dira Alain Chennevière, chacun apporte son écot et les musiciens l'écho de leurs voix et de leurs instruments.

Un fond de tristesse dans l'assistance pour Carl Da Silva qui est parti très tôt, mais beaucoup de retenue et de discrétion. Respect et émotion.

NELSON CARRERA & THE SCOUNDRELS

 

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C'est le bateau amiral de Nelson Carrera qui ouvre le feu. L'a posté ses deux malandrins, Georges à la doublebass et Raph à la guitare, avec ces deux-là il n'a besoin de personne à la batterie. Question rythmique, ils savent tricoter. Commence par Love is a trap – l'a bien raison, un véritable traquenard mais l'on aime sentir le piège se refermer sur nous. L'on pourrait écrire un livre de philosophie sur nos contradictions, mais Nelson nous en en raconte davantage qu'un traité de cinq cents pages avec ses seules inflexions mutines et ses faux apitoiements de tragédie antique. Toute la magie du rockabilly dans sa voix, l'espiègle gravité des situations mises en relief mélodique, mais le chant qui brûle comme une lame de rasoir. Du grand art. L'on est toujours surpris de la performance vocale de Nelson, prend des routes inattendues, nous amène aux antipodes de nos certitudes. Pas plutôt commencé que déjà terminé. N'a pas dû faire plus de dix morceaux.

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J'avoue que j'ai aussi concentré mon attention sur Georges. Magnifique boulot. Caresse bondissante de swing. Aux abois, véritable chien de chasse qui court après le sanglier et ne le lâche pas d'une patte. Du souffle et de la hargne. Ne s'économise pas. Beau duo avec Raph, le piqueur qui retient et harcèle, qui vise et qui tire, un jeu très différent de celui dont il use avec les Atomics. Nelson demande à Red Dennis de se mettre aux drums, peaufine sur deux morceaux deux légèretés aériennes qui s'en viennent se mêler à la subtile alchimie des Scoundrels, d'une manière si pertinente qu'il devient évident qu'il fallait taper avec cette délicatesse sans faille.

THE ATOMICS

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Ne mettent pas des heures à trancher la mortadelle. Dès l'intro Raph sonne comme Buddy Holly, mais électrifié comme le petit gars de Lubbock n'a jamais eu le temps de le parfaire. Préférait jouer sur la mise en avant de sa voix, laissant en background toute l'influence noire de sa musique. Le set des Atomics sera une montée progressive vers l'apocalypse. Du bop des Appalaches à la résurgence du jungle sound sublimée. Les trois derniers morceaux se termineront sur des salves nourries d'applaudissements approbateurs. Un Chuck Berry revisité en profondeur, non pas pour le plaisir de faire étinceler un riff accrocheur, mais pour faire luire le bleu-noir luisant des origines du rock and roll.

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Fallait les voir, Francis pulvérisant les lignes de basse, transformant le ronronnement régulier de sa big mama en salmigondis de loopings de grand huit, Pascal s'embarquant sur ses drums en des fricassées de figures de plus en plus complexes et Raph qui nous sert des rissolées brûlantes de guitare grondante. Les Atomics ont sorti le grand jeu, un show presque expérimental, qui tente de repousser les limites de l'orthodoxie rockabillesque. Le rock comme on l'aime, borderline, flirtant avec le côté sombre de la force obscure. Un rock aventureux qui ne se contente pas des coteaux modérés de l'autosatisfaction de la perfection accomplie. Ne servent pas le côté bien léché du teddy bear. Essaient de capturer l'animal en sa force brute, sauvage, et point du tout apprivoisée. Un trio qui se remet en question à chaque set. Qui reprend l'histoire là où ils se sont arrêtés la fois précédente et qui pousse l'écriture un peu plus loin. A work in progress qu'ils n'ont manifestement pas le désir de clore de sitôt.

ALAIN CHENNEVIERE

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Red Dennis à la batterie, Gil Tournon à la contrebasse, Tony Marlow à la guitare, Alain Chennevière au micro. Première fois que nous le chroniquons dans KR'TNT !, l'est pourtant une légende, l'était dans les Alligators – groupe phare de la naissance du mouvement rockabilly français qui ouvrirent en 1980 pour Eddy Mitchell – spectacle Olympia, le grand Schmoll y fête ses vingt ans de carrière - fut aussi dans le groupe local Pow-Wow qui se tailla une décennie de gloire dans les nineties... un curriculum vitae de plusieurs pages. Mais avec en prime des illustrations car Alain Chennevière dessine, fait de la bande dessinée, peint, expose. Pour rester en pays connu nous citerons la pochette du premier CD des Ghost Highway due à son pinceau prolifique...

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Un monsieur qui possède plusieurs cordes à son arc et au moins trois octaves dans ses vocalises. N'ont fait qu'une rapide répétition, mais il n'a qu'à ouvrir la bouche pour comprendre que c'est déjà gagné. Une voix d'or. Une voix de rêve. Une voix de crooner. Un véritable don des dieux. Vaut mieux que vous ne connaissiez pas, vous en deviendrez jaloux. L'a l'organe moelleux comme une crêpe chaude au sirop d'érable. Peut le durcir et nous tringler en fin de set un Dactylo Rock de derrière les machines à écrire et un Lotta Lovin enjoué. Mais s'est construit un répertoire ad hoc. Un Johnny Cash en début juste pour montrer qu'il a un timbre aussi caverneux que le roi du country, et puis un florilège de douceurs, de ces friandises à la Presley qui sont devenues les proustiennes madeleines de plusieurs générations. Du Teenager in Love, du I need Your Love Tonight, de la barre chocolatée de quinze mètres de long que vous avalez jusqu'au trognon. Pur sucre. Et le tout servi chaud brûlant et fondant, avec la classe du parfait gentleman, souriant, à l'aise, séducteur dans son habit noir...

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N'oubliera pas de remercier ses accompagnateurs qui lui ont surfilé, cousu main, un accompagnement de brocart et de satin. Pas le rock pur et dur, mais les déclinaisons adolescentes des années soixante. Pas le whisky des scènes de saloon juste avant que les colts n'aboient mais le muffin chocolaté à la framboise accompagné d'un cacao velouté.

CHRIS EVANS

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Une mine de jeune homme. L'était pourtant déjà là, dans les startin'blocs, en 1977. Stéphane Mouflier a remplacé Red Dennis à la batterie. Chris a déjà joué dans la journée au Cidisc, mais il vient pour Ervin. Débute par un Memphis Tennessee qui recueille d'emblée la satisfaction du public et qui m'évoque en l'écoutant je ne sais pourquoi la version française de Danyel Gérard. Ne suis pas tombé à côté. Pour la majorité des titres qui suivront, Chris Evans présente et choisit une adaptation française du morceau. Signé de Long Chris par exemple. Parti-pris des plus courageux. Il est de si bon ton de se moquer des efforts des pionniers nationaux. L'on oublie un peu facilement que si ces gamins inexpérimentés mais emplis d'enthousiasme énergisant ne nous avaient pas fait la courte échelle vers les fruits interdits du rock and roll américains, nous n'y aurions jamais eu accès...

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Chante en s'accompagnant sur sa Gretsch, nous étonne par sa prestance et sa mise en scène, les french tittles ne sont jamais ridicules, sa version de High Heel Sneakers transformée en Robe Rouge est des mieux venues et tient le vent. Mais n'a pas fini de nous étonner, nous affirme qu'il ne l'a pas chanté depuis longtemps mais il nous offre une splendide version de Baby Blue à pleurer. La bande à Marlow donne toute la gomme et vous martèle ce vieux blues comme Siegfried forgeant l'épée Nothung qui lui permettra de vaincre le dragon. Sera suivi un peu plus tard d'un Say Mama que les quatre vingt personnes personnes présentes dans la salle reprennent en choeur. Finit par une belle démonstration de rock français, le Nous Quand On S'embrasse de Johnny Hallyday aussi rapide et escarpée que la version de Gene Vincent. Chris Evans nous a convaincu de sa fidélité au rock et du tracé personnel de sa route. Un grand moment qui fut aussi un bel hommage à Ervin Travis via Gene Vincent.

BE BOP CREEK

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C'est un mensonge, le mien. Uniquement deux membres de Be Bop Creek, Larry Beachlane à la caisse claire et Rocky à la contrebasse qui laissera pour un morceau sa place à Francis des Alley Cats. Tony est à la guitare au côté de Larry. Ne jouent pas longtemps, mais suffisamment pour voir que Be Bop Creek n'a pas choisi son nom au hasard. Saccadent du Be-bop plus près du Bop Street que de Lula, pour les connaisseurs qui comprendront. Le rock minimal à la Vincent et peut-être même avant tout le rock à la Gallup. La pliure rythmique, la systole primale incohérente, le cœur en suspension à chaque battement. Un tour de force pour Tony qui s'adapte au fur et à mesure des arrivées ponctuales. Faut improviser dans les trous, au quart de seconde près. Et tomber juste. Beau travail sur scène, mais dans la salle le micro de Larry n'est pas assez porteur, ne marque pas les temps d'arrêt de la voix un peu voilée qui apparaît comme trop fredonnante. Pas le temps de peaufiner les réglages, une chose est sûre, faudra les voir au complet et en pleine action quand ils passeront par chez nous.

 

TONY MARLOW

 

GILLES TOURNON / STEPHANE MOUFLIER

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La pendule tourne. Les festivités doivent s'arrêter à vingt-trois heures trente, dernier carat. Nous les avons vus la semaine dernière en K'ptain Kidd, les voici tels qu'en eux mêmes. Effrayants. Speedés à mort. Course contre la mort. Slapin Gil – c'est ainsi que le surnomme Alain Chennevière – nous offre une démonstration de cordes aboyantes, ululant avec les loups, silhouette d'indien courbé sur le sentier de la guerre, danse de slap scalp. Stéphane Mouflier, part d'un principe simple : la batterie est un instrument bruyant. Si vous ne m'entendez pas, c'est que je ne joue pas. Et je peux vous certifier qu'il n'est pas en grève. Une frappe à dérégler les sonotones de la planète. Tony Marlow – t-shirt Sex Pistols Tour sur la poitrine, serait-ce une indication sur le niveau d'incandescence minimum exigée – pousse au crime avec ses riffs ravageurs. Rock and roll troubadur ! Hymnes à la vitesse et aux motos grondeuses. Notons que certains jeunes du Club 59, motorbike rock mythique qui sont venus aider à préparer, à tenir la caisse, et à vendre disques et revues généreusement offerts par Jukebox Magazine, en soutien à Ervin, ne seront pas les derniers à s'agiter lorsque Tony imite le grondement des motocyclettes en furie.

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Le groupe est chaud de chez chaud, lorsque retentit la basse intumescente de Gilles sur l'intro de Bird Doggin'. Nos trois lascars nous en livrent une version tsunamique, la meilleure que je n'ai jamais entendue en live. Une espèce d'oiseau-tempête qui se lève pour l'éternité. La salle reprend en chœur mais ne parvient point à recouvrir ce tonnerre d'orage qui fond sur nous et passe en nos cœurs comme une tornade ravageuse. Ce n'est pas le dernier morceau mais la balle en or du destin que le destin a mis de côté pour les rockers.

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VIKTOR HUGANET

Onze heure vingt trois, l'heure de débrancher les jacks. Non, ultime surprise, ce sera Viktor Huganet, blondeur en bataille et guitare en main, sourire et joie de vivre en bandoulière, et pas le temps de finasser. Arpente la scène comme un tigre en colère. Alain Chenevière au micro. Pink Thunderbird et Johnny B. Goode, deux titres de feu que la guitare bousculante de Viktor enflamme avec une incomparable énergie. Dix petites minutes sur l'estrade, mais la trace fulgurante d'une météorite dans le ciel.

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ROCKIN' FOR ERVIN

C'était tout sauf un concert de charité. Les artistes se sont donnés, ont essayé de se surpasser, tous réunis pour Ervin que certains n'avaient jamais rencontrés. Un public multi-générationnel, des vieux de la vieille jusqu'à des jeunes attirés par l'ambiance festive et remuante des concerts rockab. Deux énormes regrets tout de même, que Carl et Ervin n'aient pas été avec nous pour partager cette fête au rock and roll.

Damie Chad.

( Photos prises sur le FB de Martine Fifties )

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UN DON AU CIEL

 

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C’est à tous les coins de rue qu’on retrouve l’immense Don Covay : chez Steppenwolf, chez Etta James, chez Aretha, chez Ben E. King, chez Gene Vincent et Wanda Jackson, enfin bref chez tous les géants de la terre. Comme Chuck Berry ou Ellie Greenwich, Don Covay fut une usine à tubes. Il les pondait à la chaîne avec un petit sourire au coin des lèvres. Pour l’anecdote, Don Covay fut le chauffeur de Little Richard. Il composa ses premiers hits pour Solomon Bruke et Gladys Knight. Monsieur Covay ne se mouchait pas avec le dos de la cuillère. Et comme Bobby Womack, il refilait ses meilleures chansons à Wilson Pickett. Quand il enregistra «Mercy Mercy», le jeune Jimi Hendrix l’accompagnait et bien sûr les Stones en firent une version fidèle. Tout ceci n’est que la partie visible de l’iceberg.

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Il enregistre son premier album en 1964 sur Atlantic. Inutile de dire qu’aujourd’hui on se l’arrache à prix d’or. C’est tout de même incroyable que les Stones aient craqué pour «Mercy Mercy», car on frise le groove gnan-gnan. Avec «I’ll Be Satisfied», la voix de Don se perd dans le fond du studio. Ah quel bricolage ! Hey you come on in, brame-t-il dans «Come On In» - Do you wanna date and have some fun ? - On est en plein dans l’excellence du superficialisme sixties - Come on in do the swim ! - Don joue les gros séducteurs, et dans «Can’t Stand Away», il chante même comme un castrat devenu fou. C’est en fin de face B qu’on trouve le hit que le monde entier attendait à l’époque : «Please Don’t Let Me Know». Après une merveilleuse intro, Don entre dans la danse de ce shuffle préhistorique, une vraie claquouille dans la gueule à la craquouille, une véritable fantasia d’énormité déviante, et voilà de quelle façon on tombe sous le charme de Don Covay.

Comme pas mal d’artistes signés sur Atlantic, Don Covay fut envoyé en 1966 en stage chez Stax par Ahmet et Jerry.

— Bon tu prends ta valise et ta brosse à dents et tu files chez Jim Stewart. Tiens voilà ton billet de train. Tu as six semaines pour décrocher un hit au Billboard. Vu ?

— Sure, boss !

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Comme ce veinard de Don s’entendait bien avec Steve Cropper, ils composèrent «See Saw» ensemble. Accessoirement, «See Saw» donna un titre à son premier album et devint l’un des plus gros classiques de l’histoire du r’n’b. «See Saw» est en effet une énorme pièce de remue-ménage. Impossible de rester assis devant le meuble de la stéréo. On se voit contraint de danser le jerk au Palladium. Au passage, on note un détail important : dans la voix de Don, il n’y a ni colère, ni rage, pas la moindre trace de scream. Il défonce les annales de la postérité en douceur. On reste dans le joli groove sixties avec «Everything Gonna Be Everything», idéal pour danser au bobinard de la plage, devant le juke, en tongs, avec la copine bronzée en bikini vert d’eau - Hey hey c’mon a movin’ - Don Covay est incroyablement doué, il passe tout en douceur et en profondeur, sans jamais hurler - Shake it ! - Et puis en face B, on passe au joli groove funky avec un «Please Do Something» plein d’allant et de partance, bien swingué aux guitares, tendancieux car profondément insidieux. Il rend un bel hommage à Sam Cooke avec «The Usual Place» et revient à l’ivresse avec «A Woman’s Love» qu’il chante d’une belle voix de femme grasse. En fait, il sonne comme Smokey. C’est édifiant. On n’aurait jamais cru Don capable d’une chose pareille. Puis on tombe sur «Sookie Sookie», le hit rendu célèbre par Steppenwolf. C’est encore une fois co-écrit avec Steve Cropper. Voilà un beau groove noyé d’orgue, un vrai rêve de teenager en rut. C’est l’ancêtre du heavy groove d’Atomic Rooster - You better watch your step ! - Le dernier cut de l’album n’est autre que le fameux «Mercy Mercy» repris par les Stones sur «Out Of Our Heads», encore un joli groove de r’n’b racé et doux comme un agneau - Have mercy baby/ Have mercy on me - Surprenant de groovitude et de feeling vocal.

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Avec Joe Richardson et JP Hammond, il monte le Jefferson Lemon Blues Band et enregistre «The House Of Blue Lights» en 1969. L’album est solide, mais pas déterminant. «Keys To The Highway» est un blues électrique très cuivré et Joe Richardson qui fut le guitariste des Shirelles joue le plus dépouillé des solos. Ils virent plus jazz pour «The Blues Don’t Knock» qu’une petite flûte tournoyante accompagne au long du chemin. Ça ne marche pas à tous les coups. John Hammond fait aussi partie de l’aventure. Il joue de l’harmo ici et là. Don revient au blues avec le morceau titre de l’album - Lord I was born in Mississippi/ Raised in Tennessee - John Hammond ramone ça à coups d’harmo, c’est nappé d’orgue et bien screamé. Idéal mais classique. Ravissant mais sans surprise. Don joue «Steady Roller» au pied, comme John Lee Hooker. C’est un fin renard car dans les transitions, il tape plus fort. Avec «Homemade Love», il va plus sur le r’n’b, mais les frontières entre les genres s’effacent puisque le r’n’b tire son jus du gospel. Don y va de bon cœur. Une nommée Margaret Williams vient mettre son grain de sel. Elle ramène tout le chien de sa chienne et ça donne une ambiance vraiment digne de Sly Stone. C’est ficelé au gospel sound avec toutes ces rivières qui font les grands ruisseaux. Puis on tombe sur «But I Forgive You Blues», un joli boogie blues à la Slim Harpo et voilà le travail.

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Les seventies sont une bonne période pour Don Covay. Il reste sur sa lancée et enregistre des albums somptueux, comme ce «Super Dude I» paru en 1973. Au dos de la pochette, il pilote une moto et sa fiancée se serre contre lui. Photo magnifique sous un ciel chargé de menace. Don attaque par un «Overtime Man» qui sonne comme une bombe des Famous Flames. Quelle tarte dans la hure ! C’est travaillé aux trompettes et au groove de basse, alors qu’une mystérieuse wha-wha œuvre dans la pénombre. Plus loin, Don continue de tisser le groove qui fait sa légende. Il adore chanter les morceaux lents car sa voix mielleuse s’y prête bien. On revient à la belle soul funky avec «I Stayed Away Too Long». Il se montre une fois de plus exemplaire de vitalité. Plus loin, il nous pond un vrai hit de r’n’b avec «Hold You To Your Promise». Voilà la soul de première main à laquelle Don Covay nous habitue depuis les early sixties. Comme Sir Mack Rice, Don sait composer des hits fondamentaux. Au premier abord, ils paraissent simplistic, mais ils constituent le gratin de la soul de juke. On trouve «The Pinch Hitters» en face B, un petit groove de r’n’b gratté aux petites guitares funky. Et puis loin «Bad Mouthy» qui sonne comme un hit des Temptations. Il tarpouille aussi une version de «Money» à la façon de James Brown.

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L’année suivante, il enregistre «Hot Blood» et démarre en trombe avec «It’s Better To Have (And I Don’t Need)», un joli groove de beat pressé et sacrément bien swingué à la charley. Don Covay se montre subtil et réconfortant. Il traite son groove avec humanité et ses amis jouent comme des princes. Sur les cuts suivants, les anges du paradis l’accompagnent. Si vous savez vous montrer patients, la face B vous récompensera. Car on y trouve «What’s Good To You», un groove de funk digne des Temptations, habilement violonné par derrière. C’est du grand Covay bardé de chœurs de sirènes. Attachez-vous au mât ! Puis il embarque «I Been Here All The Time» à la Marvin. Don Covay sait manier le groove angélique, pas de problème. C’est un enchanteur confirmé. Et voilà qu’avec «Hot Blood», il repond un hit séculaire. Plop ! C’est son destin, yo ! «Hot Blood» fait partie des hits du déficit des années antérieures.

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Don pose pour la pochette de «Travelin’ In Heavy Traffic». Il porte un costume brodé et un chapeau. On croirait voir l’empereur de la planète funk. Justement, il attaque avec deux monstruosités. «No Tell Motel», d’abord, the funk in the face, le beat des funksters qui ne rigolent pas. Les guitaristes fouettent leurs cordes et un bassman fou roule pour nous. Il s’appelle Michael Foreman et il joue comme un démon - You can boogie down - Encore plus endiablé : «Chocolate Honey», une véritable horreur de funk débridé. Ces mecs vont vite et derrière ça cuivre lourdement. Tout est sanglé serré et joué à la folie. Don Covay mouille sa litanie et chante la langue pendante. Il swingue un funk pulsé aux carbonates. Son cut est profilé pour vaincre, claqué à la dérobade de triplettes de basse et ça file sous le vent phillyque. Après, il revient au calme et à la good time music avec «You Owe It To Your Baby». Don transforme l’or du temps en or des philosophes et reste dans l’irréel.

Don Covay n’en finissait plus d’éblouir son siècle.

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Au moment où les punks déferlaient dans les rues de Londres, Don Covay enregistrait «Funky Yo Yo», un album une fois encore terrible, ne serait-ce que pour les deux «Yo Yo», Part 1 & Part 2. Il revient en effet à l’épouvantable funky strut de soul. Il se savait sans doute destiné à yo-yoter le funk du sel de la terre - Say what ? - et il dialogue avec de sacrées gonzesses. Fabuleuse énergie ! Il repend son vieux «Three Time Loser» à sa façon, en mid-tempo dégoulinant de sensualité et tape ensuite l’un de ces petits rocks secs dont il a le secret, «An Ugly Woman», encore une tarpouille de beat grattée à la guitare funk, mais Don reste dans les clous du steady beat. Retour à Enormity Ends avec «Yo Yo Part 2», invraisemblable de furibarderie. Don le héros tape dans James Brown, cette fois et c’est pourri de cris de funk sisters qui jouent le jeu à fond. Pur génie ! C’est gratté à l’aune de la fournaise. Toute l’industrie de la soul s’agenouille aux pieds du géant Don - gimme som’ gimme som’ - Il devient irrépressible. Plus loin, il tape dans le rock’n’roll des instances supérieures avec «You Can’t Get Somthing For Nothing». Il sait chauffer la paillasse d’un hit, voilà sa botte secrète, sa facilité.

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D’où sortait «Sweet Thang», paru sur un sous-label de Charly en 1985 ? Du ciel, probablement. On y trouve pas moins de quatre énormités, à commencer par «Why Did You Put Your Shoes Under My Bed» que Don le génie chante du menton, avec des heu ! à la James Brown. Il fait son funk uppercutiste rentre-dedans et tape en plein dans le mille. Il anime ça avec des petites montées de fièvre vicieuses et ô surprise, du petit scream, mais dans ce contexte surchauffé, ça s’impose. Il revient avec des uh ! de boxeur pour «Bad Luck». Pur funk de danse de cave de boum. On s’y croirait. Badoum badoum, cœur battant. Le funk de Don reste d’une brûlante actualité. Un pur régal pour l’amateur - Hard luck keep knockin’ at my door - Et on passe en face B au pur génie avec «Standing In The Grits Line». Don y cherche la petite bête de groove funky, il chante à l’énervée et reste dans un registre à la James Brown, avec une brin de déviance en prime. Son Grits Line vire à l’envoûtement. Voilà un cut terrible et généreux, barré et hypnotique, une pure merveille d’inventivité. L’autre pure énormité s’intitule «If There’s A Will There’s A Way», groove classique de blues-rock arrosé de coups de trompettes. Don s’y arrache la glotte et finit en screamer fou. Mais quand il tape dans le groove, Don redevient un ange de miséricorde. «In The Street Bye And Bye» suit un fil mélodique qui rappelle «Bridge Over Trouble Waters». Don chante ça avec une voix d’ange du paradis, un peu à la manière de Sam Cooke. Encore un groove de rêve avec «Daddy Please Don’t Go Tonight», finement teinté de country. Don est un être doux et cordial. Il sait se faire aimer des femmes et des blancs dégénérés.

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Le dernier album de Don Covay s’appelle «Don Covay & Friends». Ronnie Wood dessinait la pochette. Don y invitait des bons amis du genre Kim Simmons ou Paul Rodgers, avec lequel il reprend son vieux hit «Mercy Mercy». Avec «One Stop Woamn», on retrouvait le groover captivant, le roi du doo-wop moderne. Il chantait «Nine Times A Man» avec Wilson Pickett et se montrait aussi royal que le petit Bobby. Don Covay et Bobby Womack ? Même combat ! Cet album sonnait de façon extraordinaire car il était bourré de versions sensibles de tous ses grands hits. Wilson et Don travaillaient le groove magique au feeling et poussaient des roucoulades brûlantes. Don enchaînait avec «Chill Factory», un groove jazzy haut de gamme. Puis il revenait à ses chères monstruosités avec «The Red Comb Song», accompagné par Huey Lewis. Don duettait à la dure et un nommé Frederick Knight venait déposer sa voix de castrat. L’autre très gros hit signé Don Covay, c’est bien sûr «Chain Of Fools» qu’il reprend ici avec Ann Peebles. Elle éclate la mélasse et Don pleure ses chaiiin. Il donne la réplique à la belle Ann qui enfouit ses chain chain chain entre ses cuisses d’albâtre. Nous voilà projetés au sommet du groove le plus pur. Ces deux-là nous font rôtir en enfer - C’mon darling c’mon ! - What you want ? I want some peentang ! Back to the funky strut avec «Peentang», encore un groove signé Covay - I want some peentang - Et Don s’adresse à son guitar man - Hey guitar man I want what you want ! - Quel festival, les gars ! Puis Wilson Pickett retape dans le tas avec «Three Time Loser». Il rebouffe le cut tout cru, pendant que Don le chatouille. Nous voilà une fois de plus projetés au cœur de l’un des plus beaux mythes de l’histoire.

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La compile «Have Mercy. The Songs Of Don Covay» pourrait bien faire partie des disques indispensables. Hélas oui, un de plus. On se retrouve une fois encore en face d’un gros tas de dynamite. Eh oui, car ça commence avec le «Three Time Loser» de Wilson Pickett et on voit d’ici le désastre. Pickett lâche son gros batch de rock soul. Quelle pure merveille de raunch ! Cette énormité semble dater d’une autre époque. Pickett ramone le mid-tempo - one two three - il le fait rôtir aux flammes de l’enfer et on peut lui faire confiance pour le screaming. S’ensuit Aretha et «Chain Of Fools», pur genius de groove popotin avec des ahhh, des ohhhh et des chain-chain-chain. Et voilà, Don a déjà mêlé son destin à ceux de deux génies. Cet effarant festival se poursuit avec les Staple Singers et «This Old Town», un groove énorme. Ça prend des proportions terribles dès le premier coup de hanche car ça swingue sévèrement. Les Sisters y vont de bon cœur, elles éclatent le hit de Don, car elles sont des folles de swing. Personne ne peut les calmer. Dans le tas des interprètes de Don, on trouve aussi Solomon Burke et Little Richard. Mais aussi l’hallucinante pétaudière du Graham Bond ORGANization. Ginger et Jack Bruce jouent «Long Tall Shorty» à fond de train. On retrouve avec joie l’immense Chubby Checker pour «Pony Time», nouvelle énormité. On le sait, le vieux Chubby a toujours été un bon. C’est aux Wailers que revient l’honneur de taper dans «Mercy Mercy». Ils sont mille fois plus violents que les Stones. Awite et solo direct. Pas de fioritures. Parmi les autres grands interprètes, on compte Gladys Knight, Wanda Jackson, Brook Brenton, Ben E King et Connie Francis, excusez du peu. C’est à la petite Tina Britt que revient l’immense honneur de fracasser le vieux «Sookie Sookie» rendu célèbre par Steppenwolf. Elle n’en fait qu’une bouchée, normal puisque c’est le groove de l’éjaculation. Elle le chante à la pulpe, avec une audace indécente - Hangin’ in baby - Puis c’est au tour de Cliff Bennett & The Rebel Rousers de nous chauffer les oreilles avec «See Saw». Cliff sait ramoner le r’n’b, pas de problème. On dirait qu’il a fait ça toute sa vie. Il traite «See Saw» à la mode de Londres et quelle mode ! Plus loin Gene Vincent fait son chant du cygne avec «A Big Fat Saturday Night». La bonne surprise de cette compile, ce sont les Rollers avec «The Continental Walk», un heavy jive de juke - Let’s go now - un hit sous tension comme on les adore. Avec «She Said Yeah», Joe Tex tombe dans le panneau de la pop, mais il chante avec une telle énergie qu’on lui pardonne, car il transforme la pop en pure magie. Joe Tex est un monstre de talent, ne l’oublions pas. C’est à Millie jackson que revient l’honneur de fermer la marche avec «Watch The One Who Brings You The News», une pièce de r’n’b terrible. Elle y va la Millie, et elle a raison, car le cut de Don est bon comme le pain qui sort du four.

Signé : Cazengler, le bi-Don

Disparu le 31 janvier 2015

Don Covay & the Goodtimers. Mercy ! Atlantic 1964

Don Covay. See Saw. Atlantic 1966

Don Covay & The Jefferson Lemon Blues Band. The House Of Blue Lights. Atlantic 1969

Don Covay. Super Dude. Mercury 1973

Don Covay. Hot Blood. Mercury 1974

Don Covay. Travelin’In Heavy Traffic. Philadelphia International Records 1976

Don Covay. Funky Yo-Yo. Versatile 1977

Don Covay. Sweet Thang. Topline Records 1985

Don Covay & Friends. Cannonball Records 2000

Have Mercy. The Songs Of Don Covay. Ace Records 2012

 

LE ROCK C'EST CA !

ROCK & TWIST EN VAUCLUSE

( 1961 – 1965 )

JEAN-MARC QUINTANA

 

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L'on avait beaucoup aimé Décélération Punk paru chez Camion Blanc en février 2012 ( voir KR'TNT 94 du 20 / 04 / 12 ). Jean-Marc Quintana y relatait les années punk en Avignon. Un témoignage de première main, bourré d'informations et de documents rares et inédits. Ne fit pas partie à proprement ( salement conviendrait peut-être mieux ) parler de ces maigres hordes de ces desperados cloutés et crêtés qui défrayèrent la chronique dans le seizième lustre du vingtième siècle, mais les a côtoyés et n'a pu s'empêcher d'éprouver une secrète et profonde admiration pour ces guerriers du nihilisme rock.

Années 60, l'arrivée du rock en France. Et d'un bébé ( août 61 ) – nous subodorons joufflu et ravissant, nous adressons nos félicitations à l'heureuse maman - prénommé Jean-Marc. Autant dire que Mister Quintana n'a vécu que de très loin cette période faste du rock and roll français. Question souvenirs personnels pouvait pas nous en mettre plein la vue. Mémoire aussi vide et sèche que le fond de son premier biberon. L'aurait pu se décourager avant de commencer. Eh bien non ! Les rockers ne se laissent pas abattre par la difficulté. S'est transformé en bénédictin. L'a épluché toute la presse locale, l'a fouillé les archives départementales, et est allé interroger les survivants. Précisons que le Vaucluse n'est pas un quartier de Paris mais un département perdu du sud de la France. Avignon, Orange, Carpentras, Cavaillon, si vous parvenez à situer ces quatre villages sur une carte nous vous offrons un an de lecture gratuite sur KR'TNT ! Le rock en Avignon en 1962, c'est un peu comme l'existence des tavernes alsaciennes en Patagonie du nord entre 1922 et 1928. L'aurait voulu nous pondre une monographie sur le Golf-Drouot, on lui aurait refilé l'adresse de trois cents copains qui y ont usé leurs soquettes. Oui mais le Quintana, ne s'est pas dégonflé, et à l'arrivée il nous refile trois cent cinquante pages agrémentées de trois cahiers iconographiques. Et attention vous n'êtes pas au bout de vos surprises.

LE ROCK C'EST CA

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Le rock c'est ça ! C'est le titre du premier vingt-cinq centimètres de Vince Taylor, chez Barclay. En France. Pas étonnant que Jean-Marc Quintana ait repris cette célèbre déclaration pour son bouquin. Point parce que Vince Taylor a fait deux petits tours dans le Vaucluse à la belle époque et puis s'en est allé. Mais justement parce qu'il s'en est allé se perdre, se faire pendre. Ailleurs. En lui-même. Puisque partout ailleurs, l'on n'avait point besoin de lui. La carrière de notre premier rocker national, qui rappelons-le était anglais même s'il aimait à se faire passer pour américain, est très symbolique de l'histoire du rock français. L'expression rock français est un oxymore, une conjonction improbable aléatoirement hypothétique qui n'a aucune chance de se réaliser. Un peu comme le bosom de Higgs dont on parvient à prouver son existence en le désintégrant. Même aujourd'hui, un demi-siècle après le début de la saga nationale l'on doit racler les fonds de tiroir pour présenter quelques têtes d'affiches capables de rivaliser en originalité avec les grands frères de l'autre côté des mers. Et pourtant la France fut un des pays où l'on a le plus mythifié le rock. Peut-être parce que nous ne sommes jamais parvenus à l'acclimater chez nous. A le faire pousser à l'air libre et en liberté dans les jardins grand-public . Ne survit que dans d'étroites serres chaudes de fans transis. Le rock français est une chimère dont l'exaltation nous permet d'entrevoir quelques trop brèves secondes l'éclat vénéneux de sa toison de lion.

Mais, car il y a un mais comme dans tous les contes à dormir debout, fut un temps où ce ne fut pas pareil. Entre 1960 et 1964, la France fut la nation rock par excellence, en 62 l'on possédait davantage de groupes qu'en Angleterre ! A écouter la légende, les Beatles auraient dû s'appeler les Scarabées et les Rolling Stones, les Pierres Roulantes. C'est ici qu'intervient Jean-Marc Quintana, en chercheur fou et passionné, s'est juré de forer la couche de glace qui recouvre ces temps heureux du rock français et de ramener une carocktte témoin afin de parfaire à l'édification des générations futures.

JOHNNY

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Les comptes ronds faisant les bons amis, il serait légitime de se demander pourquoi notre auteur commence son récit en l'an de grâce 1961 et non pas en 60. Ne l'accusez pas d'ignorance, en quelques pages il raconte tout ce qui s'est passé auparavant. C'est à dire rien, si ce n'est les tristes pantalonnades de Boris Vian et de l'ensemble du showbiz franchouillard qui ne comprirent pas l'importance de l'ovni qui leur dégringolait sur le groin.

La venue de Johnny Hallyday le 20 avril 1961, fut l'agent de cristallisation et de propagation du rock and roll en pays vauclusois. L'était attendu par toute une jeunesse. Bien sûr l'on savait que le rock existait, qu'il était synonyme de folie, mais c'est comme une bombe atomique dont on ne peut mesurer et prendre conscience des effets qu'une fois qu'elle ait explosé. Vous me direz qu'après c'est trop tard, oui mais avant c'est trop tôt.

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En 1961, Johnny possède une voix de crécelle et ses adaptations ( tout comme ses originaux ) sont – soyons gentils – approximatives. Oui, mais il y croit. De toutes ces forces. Et toute une génération supputait son apparition. Tout le monde en rêvait sans le savoir. Une ère nouvelle s'annonçait, le cauchemar des années de guerre s'estompait. L'était plus que temps de bousculer la tristesse des mortes saisons révolues. Et Johnny était l'étincelle qui mettait le feu à toute la plaine.

REACTIONS

Ceux qui le comprirent le mieux et le plus vite ne furent pas nos jeunes gens. Mais leurs aînés. Les articles des journaux que reproduit Jean-Marc Quintana vous transforment la minuscule souris d'un concert rock en Everest d'opprobre et de virulentes condamnations. Messieurs les journalistes ont la plume dure. Défendent leurs acquis et leurs certitudes. Le monde change de logiciel et ils s'accrochent à leurs strapontins. Ce sont eux qui désignent les équipes : les voyous, les sauvages, les barbares, les sous-évolués, les blousons noirs du côté des méchants et eux, et leurs goûts musicaux qu'ils qualifient de valeurs humanistes, dans le camp des sauveurs de la civilisation occidentale. Ni plus, ni moins.

EN CHAÎNE

Un malheur ne venant seul, après Johnny surgirent les Chaussettes Noires, les Chats Sauvages, et la brebis galeuse Vince Taylor. Mais un vol de microbes qui frôle un corps sain, le pourrit jusqu'à la moelle. Les chevaliers de l'apocalypse repartis, une armée d'imitateurs se lève sur le sol infecté : voici Bob Arnold et ses Black Boys, les Shark's, les Dan's, les Dragons, les Anges Noirs, les Dominos, les Aiglons, Alan Be... c'est la ruée vers le rock. L'on ne sait pas jouer, l'on ne possède pas de matériel, l'on transforme les postes de radio et les transistors en amplis, l'on bricole, l'on essaie d'électrifier la guitare acoustique, c'est un peu à la vas-y comme je te pousse, passe devant tant bien que mal, je te suis de mon mieux.

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Et tout le monde s'y met. Des clubs pour accueillir cette nouvelle sorte de musiciens s'ouvrent de ci de là. Ce sont les organisateurs de concerts qui se frottent les mains. A l'époque le tour de chant n'existe pratiquement pas, les artistes se succèdent à la queue leu leu : chanteurs à voix, comiques, magiciens, jongleurs, tout ce qui gesticule fait scène. Ces groupes inconnus qui sont prêts à passer gratuitement sont une aubaine. En plus ils amènent du monde avec eux. Tous leurs copains. Un peu chahuteurs, mais qui mettent l'ambiance. Parfois le blousons noirs foutent un peu le souk, mais la police est là pour calmer les esprits. N'empêche que pour canaliser ces hordes remuantes mais nombreuses l'on sera amené à spécialiser quelque peu certains concerts, c'est ainsi que naissent les tremplins rock. L'existe aussi des concours plus généraux ouverts à tous ou à diverses catégories, avec éliminatoires, demi-finales et finales...

ROCK & TWIST

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Lorsque l'ennemi est trop fort, vaut mieux ruser et pactiser. Le rock fait peur, on lui préfèrera un succédané : le twist. C'est une danse extrêmement conviviale qu'un enfant de trois ans apprend en trente secondes. Beaucoup plus démocratique et moins élitiste que les dures sonorités du rock. Donne l'impression d'être plus rapide que le rock, mais de fait c'est une musique qui arrondit les angles. L'on ne s'en aperçoit pas tout de suite. Mais la fureur du rock s'adoucit. Le twist s'impose aussi parce qu'il est un retour au chant, la plupart des groupes amateurs français s'étant lancés dans une espèce de surenchère musicale en s'adonnant à des orchestrations à la Shadows. La guitare électrique subjugue une large frange de la population, même quand l'on n'aime guère, l'on est forcé de reconnaître que ce sont de nouvelles sonorités que l'on n'avait jamais entendues avant.

GLISSEMENTS

Les groupes sont éphémères. L'appel sous les drapeaux agit comme un véritable couperet. Le mariage est la deuxième guillotine du rock français. L'on vend sa guitare pour offrir une machine à laver à sa belle. Certes les deux appareils sont électriques mais leur bruit est différent, ne jouent pas la même musique. Mais il reste des forcenés, des individus entêtés qui continuent. Progressent et au bout de trois ans de répétitions, de concerts, et d'entraînements intensifs l'on finit par savoir jouer. C'est une autre forme de piège, le musicos qui a débuté sur le rock et qui maintenant a acquis une certaine virtuosité aimerait se lancer dans des musiques plus complexes, moins frustres... Et puis si l'on veut devenir professionnel et croûter tous les jours, il faut tenir compte de l'évolution des goûts du public...

Du rock l'on est passé au twist. Du twist l'on va s'acheminer doucement sans à-coups au Yé-Yé. Les maisons de disques et les médias vont s'employer à faire accepter ces renonciations. Le Yé-Yé c'est de la variété avec un léger parfum rock, parfois indiscernable... En trois ans la donne a irrémédiablement changé.

IRONIE

Résultats des courses. Rien ne sert de courir, il faut arriver le premier. 1961 – 1965, le Vaucluse est touché par le rock and roll hurricane. Les premiers groupes de rock partent à la conquête de la gloire. A laquelle ils n'accèderont pas. C'est que le rock est un produit d'importation, bénéficie d'un engouement des populations locales pour les radio-crochets, les concerts, les tournées et les spectacles en direct, sous chapiteau ou sur la place publique. Mais la boîte à images pénètre en ces saisons-là dans les foyers populaires. Le public perd l'habitude de sortir, reste captif à la maison, c'est plus sûr, moins fatiguant... la télé n'admettra jamais le rock sur ses antennes, les rockers perdent une bataille qu'ils n'auront même pas livrés...

Ne soyons pas défaitistes, de tous ces jeunes vauclusois qui ont participé au maelstrom des années soixante, deux vont sortir de l'anonymat et atteindre à une gloire nationale pour l'un et internationale pour l'autre. Je vous livre les noms de ces deux rock and roll stars. Michele Torr pour la première. Et... Mireille Mathieu pour la seconde. Que même les japonais nous l'envient ! ( Pourquoi donc ne la leur a-t-on pas donnée ? ).

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Jean-Marc Quintana enfonce le clou de l'amertume dans le pneu crevé de notre désespoir : le livre se termine sur Mireille Mathieu dans l'avion qui la mène aux States pour sa participation à l'Ed Sullivan Show.

AMERE POTION

Le Vaucluse ne représente que la centième partie des départements français. Un sur cent un, exactement. Quantité négligeable et statistiquement peu représentative. L'on est ainsi tenté de laisser Jean-Marc Quintina confit dans son Orange natale. Le malheur c'est que sa présentation sonne un peu comme une démonstration sans appel. Documents et témoignages en appui. A choisi la stratégie de l'effacement, ne promène pas son égo comme l'escargot sa coquille sur toutes les pages. Ne lâche pas la bride aux témoins de l'époque, refuse d'être le bureau des pleurs des occasions perdues ou le réceptacle des nostalgies de la jeunesse enfuie. Son constat lucide dégagé de tout romantisme n'en est que plus fort. La naissance du rock en France ressemble fort au récit d'une fausse couche. L'oiseau qui a couvé l'œuf du serpent qui le dévorera...

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A lire. Ne serait-ce que pour les deux belles évocations de Vince Taylor et de Gene Vincent, qui restent les deux poutres maîtresses du rock français. Jean-Marc Quintana s'impose comme l'un des plus fins et plus lucides connaisseurs du rock hexagonal.

Damie Chad

P.S. : pas d'éditeur, se trouve facilement chez les grands distributeurs tel Amazon. Si vous êtes pour la survie des petites librairies de province, insistez auprès de votre libraire. ( 24 € / Beau papier glacé. )