03/06/2015
KR'TNT ! ¤ 238. GRAHAM DAY / JALLIES / PULSE LAG / SCORES / LE FAISEUR D'ECLIPSES / ROCK STORY / DOCUMENT EDDIE COCHRAN /ERVIN TRAVIS NEWS
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
LIVRAISON 238
A ROCK LIT PR ODUCTION
04 / 06 / 2015
GRAHAM DAY / JALLIES / PULSE LAG / SCORES LE FAISEUR D'ECLIPSES / ROCK STORY DOCUMENT EDDIE COCHRAN ERVIN TRAVIS NEWS |
ERVIN TRAVIS NEWS Puisque l'argent est une denrée maléfique mais utile nous partageons l'annonce suivante : Á LA VENTE POUR L'ASSOCIATION Lyme - Solidarité Ervin Travis COURAGE ERVIN !
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BOURGES ( 18 ) - 15 / 05 / 2015
COSMIC TRIP FESTIVAL
THE WILD 'N'CRAZY ROCK'N'ROLL FESTIVAL
DAY TRIPPER
Trente ans après l’âge d’or des Prisoners, Graham Day n’a rien perdu de son panache. Souvenez-vous, les mighty Prisoners s’étaient jetés dans la nasse des groupes cultes, grâce à leur brouet mod-psyché-garage. Quatre albums irréprochables n’ont pas réussi à les tirer de là. Ils s’enfoncèrent ensuite dans les fameuses ténèbres de l’underground britannique, réapparaissant ici et là avec des effectifs remaniés et de nouveaux noms : les SolarFlares, les Prime Movers et plus récemment les Goalers. Les Prisoners pouvaient prétendre égaler les Who et les Small Faces, mais ils n’ont pas su canaliser leur talent et leur énergie dans un rock plus direct, comme a su le faire Oasis, un groupe que les Britanniques ont à juste raison porté aux nues. Graham Day navigue aujourd’hui en eaux troubles. Il enregistre sur des petits labels et croise dans le circuit des clubs des gens aussi doués et aussi malchanceux que lui : Wild Billy Childish, Sir Bald Diddley, James Johnston ou encore Mickey Hampshire des Masonics. Quand Graham Day monte sur scène, on voit bien qu’il a depuis longtemps perdu toutes ses illusions. Il affiche une sorte de distance qui le protège certainement de l’amertume. Mais le garage britannique a la peau dure. Heureusement que ces gens-là continent de s’agiter, car après eux s’étend le vide sidéral.
Graham Day jouait au Cosmic Trip le vendredi soir, en milieu de soirée. Franchement, on plaignait d’avance les pauvres Warlocks qui devaient jouer à la suite. Graham Day était avec les Gories et Big Boss Man l’un des héros de cette édition 2015 du Cosmic Trip. Il venait de remonter Graham Day & the Forefathers avec ses deux vieux complices des Prime Movers, Wolf Howard et Alan Crockford pour enregistrer un album. Ils affichaient donc la même prestance qu’à la Boule Noire, en mai 2013, mais le son sur la grande scène du Cosmic était un peu foireux. Graham Day tenta de sauver le set à la force du poignet. Le brouet mod-psyché semblait se dépiauter parmi les soucoupes volantes qui pendouillaient au dessus de la scène. Ceux qui connaissent bien les Anglais savent que ceux-ci ne renoncent jamais et ce fantastique power-trio réussit à retourner la situation à son avantage. Les mauvaises langues diront que ce n’est pas difficile quand on dispose d’un stock aussi énorme de grosses compos. Ils jouaient en effet les morceaux rassemblés sur l’album «Good Things» paru l’an dernier, sur lequel ils reprennent un choix de classiques des SolarFlares, des Prime Movers, des Prisoners et des Goalers. Pourquoi s’embêter à composer des morceaux quand on dispose d’un stock aussi mirobolant ? L’album est d’autant plus convainquant que la basse d’Alan Crockford est poussée devant dans le mix. Il faut entendre ce mec jouer. Il navigue quasiment en solo, comme jadis John Entwistle. Graham Day, Wolf et lui ont réussi à retrouver le secret de la pierre philosophale du rock anglais qui est le son des Who. Wolf génère une sorte de perpétuelle évanescence de cymbales pendant qu’Alan joue la mélodie volubile. Et Graham Day jette dans cette fournaise des palanquées d’accords moddish, des tortillettes de fuzz et un chant d’invective.
Sous son petit chapeau, Alan Crockford a des allures d’habitué du PMU. On aurait tendance à ne pas le prendre au sérieux, car il n’a pas vraiment le look d’un bassman anglais. On est d’accord, ce n’est pas Captain Sensible ni Danny McCormack des Wildhearts, mais c’est un mec qui navigue au niveau de Jack Bruce et de John Entwistle. Quant à Wolf, c’est autre chose. Jusqu’alors, il portait une barbe taillée qui lui donnait un faux-air de baron d’industrie de la Rhur. En plus, c’est un mec qui monte toujours sur scène avec des bouteilles. En se rasant la barbe, il a complètement changé de look.
— Hey Wolf ! What happened to your face ?
— Oh, I’ve shaved it !
Et du coup, il paraît maigri et rajeuni de vingt ans. Il ressemble désormais à un petit clerc de notaire du Dorset échappé d’un roman de Thomas Hardy.
Comme le set, l’album des Forefathers est d’une rare densité, le genre de densité qui peut noyer le poisson. «The Good Things» donne le La, porté par l’énorme bassline d’Alan Crockford. Quand on connaît bien les albums des Prisoners, on n’est pas surpris d’entendre une telle énormité. S’ensuit «Mary» qui date de l’époque des SolarFlares. Voilà du pur jus de psyché dévastateur bardé de coups de guitare, des grosses notes de basse et d’un perpétuel scintillement de cymbales. Nos trois amis jouent des ponts qui sonnent exactement comme ceux des Small Faces. On aurait tendance à les voir ancrés dans le passé, mais non, Graham Day est un esprit moderne tourné vers le futur. Il reshoote dans l’actualité toute l’énergie du grand rock anglais des sixties, car pour lui, il n’existe pas d’autre forme de rock crédible. Graham Day se veut l’héritier des Creation, des Wimple Witch, de The Attack et de tous ces groupes freakbeat qui ont à une époque très précise chatouillé les colonnes du temple. Sur l’album, Graham et ses amis tapent aussi dans les classiques des Prisoners, avec ce fantastique «Whenever I’m Gone», tordu à l’extrême et joué à la densité ultime. Pas de pitié pour les accords boiteux. Ils s’inspirent véritablement de l’énergie foutraque des Who et leurs morceaux cherchent désespérément à exploser. Ils reprennent aussi le fatidique «Be On Your Way» qui est monté sur les accords de «Midnight To Six Man». C’est d’une classe qui pourrait paraître arrogante, mais en fait, Graham et ses amis sont tellement imprégnés de ce son qu’ils le restituent le plus naturellement du monde. Ils retapissent aussi «You Want Blood», l’un des hits les plus violent des SolarFares. Ils n’en finissent plus de prévenir - Si tu veux la shoote, tu vas l’avoir - Curieusement, ils reprennent aussi deux morceaux des Goalers, la formation précédente. «Begging You» et ««Get Off My Track» n’ont pas le même son que sur les albums des Goalers, car Alan Crockford instille une énergie considérable dans ces deux bêtes de juke. On a là un son incroyablement poissonneux. Il n’en existe aucun équivalent sur le marché.
C’est vrai que les deux albums des Goalers, «Soundtrack Of The Daily Grind» et «Triple Distilled» valaient largement le détour. Johnny Barker, Dan Elektro et Buzz Hagstrom y accompagnaient un Graham Day rescapé de la fameuse traversée du désert. «Get Off My Track» faisait d’ailleurs l’ouverture de Soundtrack, joué à l’up-tempo et grouillant d’accords. En entendant ça, on avait l’impression de tomber dans le chaudron d’une sorcière. Le morceau titre qui suivait renvoyait directement à l’âge d’or du rock anglais, à cette pop miraculeuse des Move, des Hollies et des Creation, cette pop bardée de chœurs de rêve, et en plein milieu de ce tout ce foisonnement, Graham Day balançait un solo atrocement perforant. Dès le deuxième cut de l’album, on ressentait le même malaise qu’à l’époque des Prisoners, : trop de densité dans la qualité. La seule chose qu’on pouvait reprocher à Graham Day était justement d’en faire trop. Il nourrissait tellement d’ambition pour ses compos qu’elles prenaient vite des tournures épiques et grandioses, au sens psyché de ces deux termes, bien sûr. Sur «Too Few Things», Graham Day renouait avec la grande veine moddish du rock anglais, grâce des chœurs dignes de ceux des Who et des Hollies. Puis il envoyait le foutraque «Dreaming My Life Away» exploser au firmament, tellement il l’arrosait de sauce montante et de nappes de cuivres. En face B, il chantait «Part-Time Dad» à la façon de Phil May et en prime, il riffait ça brutalement - It’s not easy to be part-time dad - Avec «Forgetten», on avait l’impression de tenir l’un des hits du siècle. C’est le genre du cut dont rêvent tous les jukes du monde, un cut plein d’une fantastique exubérance, d’une vraie fluorescence, d’une prolifération incontrôlable d’accords et d’éclats moddish, un cut gimmické à tous les coins de rues, effrayant de santé viscérale, nappé d’orgue et repris aux chœurs malins. Graham Day est sans doute le dernier musicien anglais osant orchestrer de tels maelströms. Et quand on entend «Too Busy To Try», on se pose des questions à la con. Ultime prétendant au trône ? Dernier porteur du flambeau ? Ultime gardien du temple ? Dernier alchimiste freakbeat ?
«Triple Distilled» pullule aussi de coups de génie, comme ce «Wanna Smoke» d’une violence dignes des Pretties - Yeah I wanna smoke - et les chœurs font - Wanna smoke/ Wanna smoke - Nous voilà plongés au cœur du vieux garage anglais, celui des Pretties, des Downliners et des VIPs, mais avec une dimension Dayienne en plus. Et le voilà qui screame pour introduire le solo ! Il nous aura tout fait ! La version de «Begging You» qui se trouve sur cet album est plus pop que celle des Forefathers. Elle est bardée des meilleurs chœurs d’Angleterre et agrémentée de jolis breaks de bongos. Nouveau coup d’éclat avec «Pass The Whiskey», traité à la Love Affair. Magnifique épicentre de l’art britannique. Graham Day éclate au grand jour. Et puis il faut écouter et ré-écouter «I’m Glad I’m Not Young» qui fait l’ouverture du bal, car voilà un cut riffé avec une belle brutalité. On sent l’âpreté de la brique rouge et du destin working class. C’est de la pure violence intrinsèque. La flamme de Prisoners brûle encore en Graham Day, car il passe un solo vitriolique à la mode de Tottenham. Tous les autres titres de l’album sont d’un niveau irréprochable, nappés d’orgue comme au temps où James Taylor jouait dans le groupe. Oui, ils sont durs comme l’épaule d’agneau qu’on vous sert dans les fermes du Kent. Oui, ils sont littéralement blastés au compteur, comme jadis, au tableau de bord d’une Triumph TR3. Graham Day défoncerait n’importe quelle rondelle, surtout celle des annales. S’il devait monter sur le trône, il se ferait appeler Virulent 1er et, aussitôt après les acclamations du peuple d’Angleterre, il balancerait sa couronne dans le miroir aux alouettes.
Signé : Cazengler le posséDay
Cosmic Trip Festival. The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival. Bourges (18). 15 mai 2015.
Graham Day & the Goalers. Soundtrack Of The Daily Grind. Damaged Goods 2007
Graham Day & the Goalers. Triple Distilled. Damaged Goods 2008
Graham Day & the Forefathers. Good Things. Own Up 2014
De gauche à droite sur l’illustration : Graham Day, Wolf Howardet Alan Crockford
MAROLLES-SUR-SEINE
29 / 30 / 31 MAI
UN MAX DE SOUVENIRS
C'est nettement moins classe que le « J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans » de Baudelaire, mais à trente minutes de la maison, on ne résiste pas. L'on a laissé les filles à leur sortie culturelle et ni une, ni deux le grand Phil nous emmène au fin fond de la Brie agreste. A peine croyable, mais de loin, en fermant les yeux, ça ressemble à la Louisiane. Trois ponts successifs qui enjambent des bras d'eau glauques, mais si étroits que deux voitures ne peuvent s'y croiser. Remarquez ce n'est pas très grave, c'est un peu le désert aquatique par là-bas, l'on débouche enfin dans le village de Marolles-sur-Seine. Le paysage change, nous voici en Californie dans la banlieue de Los Angeles, rangées de maisons identiques des deux côtés de la rue avec le jardinet devant. Une grosse différence, ça ne s'étend pas sur des kilomètres carrés, une simple artère de trois cents mètres de long, le rond-point au bout et la flèche jaune qui indique le festival.
En vieux rockers chevronnés l'on est passé sans encombre, comme une lettre d'amour-toujours à la corbeille à papiers. Un quart d'heure plus tard, il y aura le comité d'accueil aux regards suspicieux. La maréchaussée veille sur le bien-être des citoyens. Attention, ce soir ce n'est pas le même public qu'à Vézelay, ici les cathos coincés du cul on ne les compte même pas sur l'unique doigt d'une seule main d'un mutilé du travail. Voyez-vous, c'est plutôt les décoincés du joint. Amis rocker, ne faites pas les hypocrites, l'existe des photos d'Eddie Cochran où il est manifeste qu'il n'est pas en train de fumer des gauloises bleues. De toutes les manières, si vous aperceviez le programme, vous programmeriez un suicide sans assistance respiratoire. Du reggae, du dub, de l'électro, du rap, du hip-hop, que des affreusités sans nom. Vous vous demandez ce que nous sommes venus faire sur cette galère.
Primo : c'est organisé par des militants anartistes – chef ! Je ne sais pas ce que c'est au juste, mais je subodore des drogués. Secondo : vous les avez déjà rencontrés dans KR'TNT puisque le noyau dur de cette terrible organisation – chef ! Je pressentimente des séditieux – forment le groupe Natural Respect. Tertio : leur association étant implantée à Marolles-sur-Seine, pour ne pas avoir à trop se fatiguer – chef ! Je parie que tous ces jeunes chevelus sont des feignasses qui encombrent les statistiques du chômage ! - ils ont décidé de créer sur leur lieu de turpitudes habituelles, leur premier festival.
L'on débarque avec la pluie qui saura rester discrète de toute la soirée. De toutes les manières, pour les concerts ils ont squatté la salle des fêtes municipale ma foi assez vaste. Heureusement que nous sommes là, à nous tout seuls en fin de soirée l'on aura représenté au minimum deux pour cent du public. Je pensons que le samedi, il y aura eu un max de monde, mais on n'était plus là. Pour incompatibilité musicale. On le leur souhaite, car c'était super bien organisé – c'est le paradoxe des anarchistes – pas cher du tout, cinq euros pour trois jours avec possibilité de camper et bouffe pas chérotte du tout.
C'est bien beau, mais je n'ai pas encore répondu à votre question angoissée. Que faisions-nous parmi cette faune de rastas seine-et-marnais. On n'était tout de même pas là pour chanter No Woman No Cry, tous en choeur ! Bien sûr que non ! Mais les anartistes avaient battu le rappel de tous les groupes du coin qu'ils avaient croisés lors de leurs précédents concerts. Et pour ce samedi soir, d'un bloc, ils avaient regroupés trois de nos groupes locaux préférés que l'on suit régulièrement dans KR'TNT ! Je vous laisse juger par vous-mêmes de l'affiche :
JALLIES / PULSE LAG / SCORES
Rien de plus. Mais rien de moins. Vous excuserez le mensonge. Après les Scores on s'est carapatés en douce, car nous le reggae on aime bien. Mais c'est encore mieux quand on n'en entend pas. Avant les Jallies, il y eut aussi un autre groupe. On ne l'a pas vu, on s'occupait d'une chose plus sérieuse – de la cuisson de nos hamburgers frites – mais les malheureux échos qui nous en parvenaient étaient assez calamiteux pour nous dissuader de toute bienveillante curiosité. Nous tairons le nom de ces impétrants, nous ne sommes point des adeptes de la dénonciation.
JALLIES
Pourront pas se plaindre qu'elles n'avaient pas d'espace. Le plateau est aussi vaste que la Sierra Nevada. Nos trois mignonnettes sont devant, de noir vêtues. Mais leurs sourires repeindraient le monde de mille couleurs. Dans la salle c'est la multiplication des petits pains. Mathématiquement parlant lorsqu'elles ont attaqué la première note, l'on était quatre devant la scène. Trois minutes plus tard les terrains aux alentours ont dû subitement se vider car la salle s'est remplie.
Antépénultième concert de la saison, pour les Jallies, un peu fatigués mais ils ont la frite. Un petit Be Bop A Lula fuselé comme carène d'avion de chasse et le set décolle vers les plus hautes altitudes. Nos trois lulettes - nos trois échappées de la bande dessinée rockabilly -par devant et les deux navigateurs par derrière qui déterminent les azimuts les plus incroyables. Tom ne tarde pas à se faire remarquer. Doit changer de guitare – corde cassée, pan-pan fessée - en plein vol. Ne comptez pas sur les filles pour l'attendre. Elles essaient de se racheter une conduite en entonnant Rehab, mais c'est de la pure gallopante hypocrisie-swing – que les garçons se débrouillent comme ils peuvent, elles, elles filent sur la route et n'ont pas de temps à perdre. Pauvres gars, vont prendre tous les risques pour rester à la hauteur, autant dire que ça carbure sec.
Leslie est à la fête, elle adore les tempos rapides, avec elle faut que ça glisse comme sur ski-nautique quand vous êtes remorqué par un hors-bord surpuissant. Les deux copines s'amusent comme des petites folles, Nathalie nous fait le coup du kazou et Vanessa s'empare de la caisse claire. Pour les petits soli de basse et de guitare, Cros et Tom iront se faire cuire un oeuf à la barre fixe. Ce soir, les filles ont pris les commandes. Ne peuvent pas en placer une. Mais avec les boys la vengeance est un plat qui se mange brûlant. Dogs are on the tin heat roof. Vous ne voulez pas nous laisser nos trois petites minutes de gloire, tant pis pour vous, l'on sera aussi présents que l'oeil du remords dans la tombe de Caïn. Pas des menteurs, tiennent leur promesse. Ca bourdonne sec par derrière et les abeilles chantonnent dans un véritable halo de cordes vrombrissantes. Ce qui les met en joie, sautent par-dessus comme quand elles étaient mômes dans la cour de récréation.
Le grand Phil esquisse un sourire béat. Vient de découvrir une facette du groupe qu'il ne connaissait pas. Le vite fait, excellemment fait. La montagne change d'aspect, les sirènes changent de vibrato. Toujours aussi envoûtantes, mais plus tout à fait les mêmes. Jolis minois, mais visage différent. Peut-être plus swing que rock, mais je n'en mettrai pas ma main à couper. Le public gigote comme l'agneau innocent qui découvre l'herbe fraîche du printemps. Salves d'applaudissements, et avant, et après, et pendant, et entre chaque morceau. Un grand Goin'Up To The Country, une véritable cavalcade de Hell's Angels particulièrement pressés, et le bonheur s'achève.
Un tourbillon, une tornade, vous n'avez pas le temps de dire ouf, et elles s'en vont en emportant votre coeur, votre cerveau, et vos viscères. Ne vous reste plus rien que les yeux pour pleurer. Des hypnotiseuses, vous les voyez et hop elles sont déjà parties. Vos oreilles n'ont pas eu la berlue, c'est juste les Jallies, ont disparu dans un coup de vent. Un nuage de sauterelles qui s'abattent sur vous et vous rongent l'âme jusqu'à ce qu'il n'en reste rien, en trois minutes. Se sont fait la malle. Des Indes.
Ce dernier mot juste pour rebondir sur une bien triste nouvelle. Va falloir déclarer la guerre à l'Inde. Je sais, il y aura des millions de victimes innocentes. Me mets à la place des Indiens, si j'étais à leur place j'agirais comme eux. Pas l'ombre d'un millimètre de doute. Vous aussi. Hélas ! L'engrenage fatidique du destin est déjà en marche et personne ne l'arrêtera. Figurez-vous que Vanessa, notre Vanessa, a signé un contrat pour aller restaurer une fresque dans un ashram. En Inde. Six semaines pour recouvrir de peinture un dessin mural que le temps, l'humidité et les mites, ont en quelques siècles sérieusement endommagé. Souci artistique devant lequel je m'incline. Mais soyons sérieux quelques instants, vous croyez que les bonzes qui passent vingt-trois heures par jour à prier et la quatrième à se nourrir de riz blanc à l'eau, ils vont la laisser repartir, notre blondinette, pas fou ils vont la garder pour eux. Elle a promis qu'elle serait de retour pour le premier août, depuis je ne dors plus.
PULSE LAG
Portent bien leur nom, car ça pulse large. Trois mois que je n'avais pas vu le groupe, mais que de progrès. C'est la nature, Margot a grandi. Peut-être deux ou trois centimètres, mais c'est sans importance. Que de maturité acquise en si peu de temps. L'occupe la scène même quand elle ne bouge pas, qu'elle reste immobile, penchée en avant, le micro pendant dans sa main. S'approche bien de temps en temps de Théo ou de Thomas, mais elle n'en a plus besoin. En contre-partie, faut dire que les garçons n'ont pas le temps de s'ennuyer car ils envoient grave. Pulse Lag, c'est d'abord une chanteuse, et puis deux musiciens. Deux guitaristes. Ensuite c'est un jeu : je chante et puis tu joues, ou alors je chante et nous jouons. Ensemble mais aussi chacun notre tour. Donc Margot chante. Ne dites pas qu'elle ne sait faire que cela, car elle crie aussi. Phénoménalement bien. Sort la voix de gorge du fond de ses tripes. Pas un cri de fille qui s'égosille ou qu'un rien émoustille, non un cri du corps qui met tout le monde d'accord. Une houle profonde qui monte de la chair, et qui s'épanouit dans l'air. Où a-t-elle bien pu apprendre à crier comme cela ? C'est nouveau chez elle, c'est sa voix qui se cuivre, étincelle et resplendit. Et à chaque fois, qu'elle sort son péan de triomphe elle emporte le public qui se met à hurler avec elle, mais bien en-dessous, coincé à l'étage inférieur. Sa voix comme un arc-en-ciel qui enjambe le vide pour joindre le blues au funk.
Mais Pulse Lag, ce n'est pas la diva et ses accompagnateurs. Margot sait se taire et laisser tout l'espace désiré à ses gratteux. Et ils ne s'en privent pas. Savent parler, s'expriment, prennent leur temps et ne nous ennuient jamais. Plus funk qu'eux tu meurs, mais ils ont retrouvé la liberté instrumentale du jazz, sont un ensemble et aucun des trois ne prévaut sur l'autre. Ne se passent pas le bébé, chacun le prend quand il en éprouve la nécessité. Nous sommes loin des misérables petits égoïsmes qui se feraient la guerre pour avoir le meilleur temps de parole. D'ailleurs l'en est un autre, tellement prégnant, tellement essentiel, que l'on aurait tendance à l'oublier. Tristan sur sa batterie. Il colle aux trois autres, il bâtit leur colonne vertébrale, il les façonne, les pétrit, les sculpte, les ponctue, les délimite. Sait tout faire, soutenir le gosier de Margot, dribbler à mort les atémis de Théo sur sa Gretsch, section rythmique demi-tour droite ! et la basse de Thomas exécute son mouvement de conserve avec le halètement sec des peaux tendues.
N'alignent pas les titres. Les interprètent, les recomposent, les symphonisent à mort. Selon l'inspiration, selon l'humeur, selon la fièvre qui s'instaure entre eux et le public. Faut avoir entendu leur labyrinthique version de I Shot The Sheriff. Quelle aventure ! Z'ont eu cinq fois l'occasion de casser le fil d'Ariane de la compo, mais ont retrouvé leur chemin, tâtonnant dans le noir, mais jamais à l'aveuglette. Dans la bonne direction, même si vous vous avez égaré votre boussole depuis longtemps. Too Low, Find my way, Movin'on, autant de monuments qu'ils ont construits, devant nous, assemblés pierre par pierre. Ne sont que quatre mais ils orchestrent comme s'ils étaient un big band. A l'énergie, ils ne sont qu'un trio de rock emmené par leur lead singer.
Evidemment, ça se termine trop vite. C'est l'horreur des festivals. Même pas le temps d'un rappel. Faut laisser la place au suivant. Etaient en train de nous délivrer les lois de la grammaire du rhythm and blues et ils nous quittent au milieu de leur démonstration. Pas assez long, mais si bon.
SCORES
L'on change de registre. Swing, funk et maintenant carrément hard. De celui qui vous rentre dans le lard. Personne sur scène si ce n'est une guitare qui fuzze toute seule, et les voici qui chacun à son tour s'installe derrière son instrument. Nous rappellent que le hard est la combinaison de deux taureaux furieux, l'énergie brute du rock and roll et l'orchestration de la masse sonore. Certains n'y voient que du bruit alors que cette musique repose malgré son haut volume sonique sur un équilibre musical somme toute mozartien. Les détracteurs du hard ne l'admettront jamais, mais les Scores sont en train de le comprendre. Une moyenne de dix-huit années, des concerts dans tous les azimuts de la région, un mini CD à leur actif, pourraient se laisser emporter par la machine de la facilité, mais ils sont en train de se poser, à l'exubérance de leur prime jeunesse ils substituent une volonté de progression et d'affinage. Sont en train de rechercher leur son, de recalibrer le passé, pas question de se renier mais au contraire de se recentrer sur soi-même comme la main se referme en poing à la ligne afin de distribuer des coups plus violents et plus efficaces.
Et cela se voit tout de suite. Jusqu'à lors Scores c'était un chanteur, Benjamin avec des musiciens autour. Mais le groupe a gagné en puissance, la voix est moins devant, elle se fond dans les autres instruments. Un peu trop peut-être, mais l'on ne parvient pas à la formule idéale en peu de temps. Ce qui est remarquable, c'est qu'à aucun moment elle n'a été engloutie dans l'ébullition instrumentale. C'est que le groupe s'est vraiment soudé, produisent une musique, une seule, la leur qui devient beaucoup plus musclée et de plus en plus en place. S'agit plus de s'embarquer dans des courses folles de guitares, sans trop se préoccuper de ce qui reste en arrière. Faut une pulsation primordiale, un moteur qui ne s'éteigne jamais, et qui soit capable à tout moment d'accélérer la cadence. Nico s'est emparé de ce rôle. Ayez une bonne batterie – pardon, un bon batteur - et vous n'avez plus besoin de rien. Je n'irai pas jusqu'à dire que les guitares sont superfétatoires, qu'elles ne sont que les guirlandes de la fête, qu'elles pourraient rester dans leur étuis, mais que seraient les chevaux fous s'il n'y avait pas le char et son conducteur pour les atteler au succès de leur performance. J'ai pris un plaisir fou à voir officier Nico. Sait toujours où il faut aller. Les autres ont beau courir devant, c'est lui qui prévoit les chemins à suivre, les sentes à emprunter. Lui qui impulse le rythme fornicateur par derrière, a comme un coup d'avance sur ses coéquipiers. L'a l'intelligence stratégiques de la succession des plans.
Du coup les trois autres n'ont plus de souci à se faire. Peuvent se concentrer sur leur établi. Elie est à la basse. La position la plus difficile, à cheval entre les deux guitares et la jonction obligatoire avec le batteur. De quoi devenir bi-polaire. Un grand batteur doit être à heure fixe victime dune crise schizophrénique en phase maniaque. C'est le seul moyen pour lui de n'être le groom de personne. Elie n'en est pas encore à ce stade-là de surpuissance, se contente d'essayer d'accorder son violon sur les parcours parallèles des guitares de Léo et de Simon. Se tiennent tous deux à la cravate, Léo plus nerveux, Simon plus posé. A chacun sa méthode. Ce qui est sûr c'est que la vitesse impulsée par Nico exige davantage de roll que de riff. Pour les articulations rythmiques destinées à assurer les brisures en quelque sorte répétitives, Elie retrouve en ces instants cruciaux un rôle de pivot central. Bref un set à fond la caisse qui demande à chacun un maximum de concentration opérative. Du coup leur répertoire en sort transfiguré, Grave, Hero, Fire, Free, Road, défilent vitesse grand V. Les morceaux ont perdu de leur grandiloquence, sont plus vifs, plus nerveux, emplis d'une plus grande violence. Scores a dépassé le stade de la frime adolescente, je fais les gros bras pour impressionner et les filles et les garçons. La ramènent moins mais en sont d'autant plus crédibles et dangereux. Un très beau set, très puissant et prometteur. Signe qui ne trompe pas, toute une partie du public habituée à écouter des musiques moins primordiale s'est retirée lentement. Le rock and roll nécessite des âmes d'acier trempé. Tempéraments fragiles s'abstenir. Pour nous nous crions, enScores ! Enscores ! Enscores !
RETOUR
Nous sommes revenus sans problèmes. Certains n'auront pas notre chance. La maréchaussée a fait preuve de vigilance, contrôles d'alcoolémie et tests de glandes salivaires. C'est fou comme l'on prend soin de notre santé. Si ça continue, l'on va diminuer nos horaires de travail pour que nous ne nous épuisions plus au boulot, et augmenter nos salaires pour ne plus avoir à subir les stress cancérigènes des fins de mois sans un flèche. Nous vivons décidément dans un monde merveilleux.
Damie Chad.
( Les photos ne correspondent pas au concert )
LE FAISEUR D'ECLIPSES
Si je ne m'abuse, vous aimez le rock and roll et les guitares. Alors tapez sur wwwlefaiseurdeclipses.fr . Vous y retrouverez deux personnes que vous aimez bien. Hervé Picart pour commencer, celui qui tenait la kro des disques de hard rock dans Best, il y a plus de trente années. Un connaisseur, un amateur. Le nom du second ne vous dira peut-être rien : Vernon Gabriel. Cela vous rappelle quelque chose ? Mais oui ! c'est lui, le tenancier de l'Angel Music Shop, boutique de rêve spécialisée en guitares vintage ! Vous l'avez rencontré dans sa première aventure L'Arpeggio Oscuro, une histoire aussi ébouriffante que la crête de Sid Vicious, et vous croyiez que c'était terminé, et bien non, c'est reparti comme un riff sur la guitare de Keith Richards... toujours le même principe, chaque semaine une livraison. Un véritable work in progress ! Urgez, la huitième tranche du saucisson vient de sortir, une intrigue encore mille fois plus ténébreuse et mille fois plus rock and roll ! Et vous êtes encore en train de me lire, gros bêtas !
Damie Chad.
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* *
S'est entortillé deux fois plus dans sa paire de draps le Jean-Michel, l'a même rabattu l'édredon sur sa tête. Ne voulait rien entendre, l'est sûr qu'avec la biture de la veille et les cloches qui carillonnaient dans sa boîte crânienne il n'avait pas besoin qu'on en rajoute. Mais la voix s'est de nouveau faite entendre, pour la troisième fois, et méchamment cinglante : « C'est ton Seigneur qui te parle, Jean-Michel, lève-toi, saute sur ton ardent coursier et fonce à travers champs jusqu'à l'aire de repos de mes enfants chéris, va sans crainte un rayon de lumière céleste t'indiquera le chemin. » L'a essayé de parlementer : « Seigneur, je jure que je mets le réveil à neuf heures pas plus tard, un bon café, une douche et... ». N'a pas fini sa phrase, issue de nulle part un main surgie du néant tenant une bombe de peinture a tracé les trois mots comminatoires et maudits du suprême commandement, sur la tapisserie de la chambre qu'il avait juste terminée le week end précédent : Dépêche ! Sale bâtard !
S'est grimpé tant bien que mal sur son BMX et suivant le maigre rayon de sa pile électrique scotchée sur son casque de chantier, l'a coupé ( péniblement ) par bois et forêts, guérets et marécages en bougonnant. Ne savait pas où il allait mais s'est retrouvé devant le portail marquée d'une pierre d'abbé blanche. L'a pénétré dans le capharnaüm en ouvrant tout grand les yeux. Les enfants chéris du bon dieu sont logés à mauvaise enseigne, se dit-il tout bas. L'endroit ressemblait à un camp de roms, après le passage d'une colonne de CRS. Mais il n'a pas eu le réfléchir plus avant. Une force mystérieuse le poussait vers le deuxième bâtiment, il poussa un cri d'effroi, un demi-hectare de piles de livres hautes comme la tour Eiffel s'étendait devant lui. Il sut que c'était-là, tout au fond. Un vieux grimoire épais comme une armoire normande ! S'en empara, le glissa sous son tricot et reprit sa route comme un forcené. L'était sûr qu'il emportait avec lui, le Cinquième Evangile, celui dont l'ouverture déclencherait les trompettes de l'Apocalypse.
C'est le lendemain au boulot que Jean-Michel m'a tendu le bouquin : « Tiens Damie, j'ai trouvé ce truc chez les Emmaüs, je ne vois que toi que ça peut t'intéresser. Garde-le tant que tu veux, pas le temps de le lire, il faut que je retapisse ma chambre à coucher. »
ROCK STORY
JEAN-JACQUES JELOT-BLANC
PAC / 1985
N'en avais jamais entendu causer, ignorais jusqu'à la possibilité de son existence, tout de même avec ses trente centimètres de hauteur et ses huit centimètres d'épaisseur il s'était débrouillé pour échapper à mes radars ! Comme quoi, nul n'est parfait. Même moi. Ce qui – entre nous soit dit - m'étonne tout de même. Jean-Jacques Jelot-Blanc, l'est surtout connu pour ses livres sur les cadors du cinéma français Bourvil, Gabin, de Funès, toutes ces vieilles barbes qui me rasent un peu, gratis et en plus sans que je leur demande. L'a tapé dans tous les râteliers le Jelot-Blanc, la presse, la télévision, le ciné, les séries. Que voulez-vous, faut savoir s'adapter pour survivre sur cette immonde planète. Tout le monde ne peut pas être Françis Viélé-Griffin.
Les polygraphes multirédactionnels me sont suspects par nature. Mais devant un livre sur le rock and roll toutes mes préventions tombent comme une robe de jeune vierge au soir de ses noces. L'est vrai qu'au premier feuilletage j'ai tiqué par deux fois. D'abord les photos. En noir et blanc. Y a en plein. Toutes les vingt pages, un cahier. Classées par ordre alphabétiques et leur choix totalement indépendant du texte. La sélection n'est pas mauvaise, avec une prédilection marquée pour les visages en gros plan. Autre cause de diffus mécontentement : plusieurs fois en ouvrant la pagination me sont apparus de vastes feuillets aux trois-quarts vides, composés de noms de groupes + nom des musiciens + la date de fondation et de dissolution, quelques rares mentions de tubes pour les plus heureux. Je l'avoue avant que je ne jetasse dans une lecture méthodique, la méfiance m'avait gagné.
Quand j'aurai rajouté que le livre est sorti en plein milieu des eighties – la funeste décennie qui marqua le reflux du rock – vous comprendrez pourquoi je n'en menais pas large. Je m'attendais au pire. A tort, nous avons affaire à quelqu'un qui a connu les différentes étapes de l'épopée du rock. Pas du genre à se contenter d'un petit hommage obligé à Presley pour se reporter en un bond prodigieux au début des années 70 et pop music. Marqué par les pionniers et l'écurie Sun, Mister Jean-Jacques Jelot-Blanc, commence par deux belles pages sur Gene Vincent – ce qui classe son homme – et poursuit sans oublier Charlie Gracie, Buddy Knox, PJ Proby, Chalie Rich, Billy Lee Riley et quelques autres du même tonneau. Ne délaisse pas non plus le revival, de Robert Gordon à Crazy Cavan, tout ça mélangé à tout le monde, de Ted Nuggent à New York Dolls, dans un ordre alphabétique qui a pour parfait corollaire la plus grande pagaille musicale... Tout le monde n'est pas traité à égalité. Johnny Cash n'a droit qu'à dix lignes, à peine cinq de plus que Glen Campbell. Parfois, les partis-pris frisent l'inconscience : deux tiers de page sur Duran Duran et pas une ligne de commentaire sur Led Zeppelin. Je veux bien que charbonnier soit le maître chez lui, mais ce n'est pas une raison pour se mal chauffer.
Chose terrible quand on analyse les choix de Jelot-Blanc, c'est en prenant de l'âge qu'il a perdu de la bouteille. L'on ne devrait pas vieillir : commence par adorer les pionniers et finit par idolâtrer Village People qui en surface rédactionnelle rivalise fort bien avec les Rolling Stones. Décadence et déliquescence du goût. Je sais bien qu'il faut flatter les ondoiements du public, mais est-il vraiment utile de se livrer à de telles abjections ? Autre exemple, cite trente groupes français – les plus connus, en oublie les Dogs et Little Bob Story -– mais ne consacre une chronique qu'à Téléphone qui en 1985 n'avait pas besoin de lui pour lustrer son étoile ( déjà moribonde ). Ne faut pas s'aliéner les acheteurs captifs de leurs propres représentations, inutile de les déstabiliser. L'on sent que l'éditeur a su veiller à ce que l'ouvrage ne dérape pas dans l'ultra-spécialisation...
Si vous tenez à acquérir cette curiosité, vous le trouverez facilement sur internet, entre trente et quinze euros. Cette dernière dent de la fourchette est déjà sur-évaluée, à trois euros dans une brocante, ce sera parfait. Ne vaut guère plus. Depuis l'on a fait beaucoup mieux. A taper dans ce genre de bouquins préférez le Spécial Pop édité en 1968 chez Albin Michel et le Vingt Ans de Rock Français de Christian Victor et Julien Régoli paru en 1978, toujours chez Albin Michel – tous deux chroniqués chez KR'TNT - peut-être pas meilleurs mais plus authentiques. Si tant est qu'un produit destiné à la vente puisse être prisé selon son authenticité. Méfions-nous de la fétichisation de toute marchandise. Fût-elle estampillée rock. Notre passé nous joue des tours. Aime bien se repasser les mêmes scènes. C'est plus rassurant. L'on a l'impression de maîtriser.
Le livre se termine sur Vince Taylor, qui est encore un survivant en 1985. Comme il est encore vivant en nos rêves. The never ending rock and roll dream !
Damie Chad.
DOCUMENT EDDIE COCHRAN
Letter: Remarkable that Eddie Cochran fans still send donations to St Martin's Hospital
By Bath Chronicle | Posted: May 28, 2015
Someone told me about the Eddie Cochran Memorial stone and sundial placed at St Martin's Hospital in Bath. When I went up to the hospital I saw the memorial stone and the design is on the same lines as a star on the Hollywood Walk of Fame. The sundial was the original memorial. It is remarkable that its loyal fans still send donations in his memory and the address is the Sirona Foundation Trust, St Martin's Hospital, Clara Cross Lane, Bath BA2 5RP.
This is a worthwhile project and all the money given to this hospital is spent on the care of the older people. With public support, we will ensure this hospital doesn't close in years to come.
Chris Jones
Lower Bristol Road, Bath.
22:22 | Lien permanent | Commentaires (0)
27/05/2015
KR'TNT ! ¤ 237. B.B. KING /SPUNYBOYS / RIVALS / SCOTTSBORO BOYS / MORT DE TINTAGILES /ERVIN TRAVIS NEWS
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
LIVRAISON 237
A ROCK LIT PR ODUCTION
28 / 05 / 2015
B. B. KING / SPUNYBOYS / RIVALS / SCOTTSBORO BOYS / LA MORT DE TINTAGILES / ERVIN TRAVIS NEWS |
ERVIN TRAVIS NEWS ( Un simple petit extrait du FB : Lyme – Solidarité Ervin Travis ) ) Alain Maury : Salut bon courage et une question.... vous en êtes où financièrement parlant, y a t il toujours des dons car nous ne voyons plus d' infos à ce sujet. Lyme - Solidarité Ervin Travis : çà va çà vient avec des dons des achats de cd de livres et de disques ... et des ventes persos que nous déposons sur le compte. Prochainement un enregistrement studio de notre duo "Betises Boop" avec ma fille et le cd sera mis en vente pour l'assoc. à 15 euros Nous allons en avoir besoin pour les prochaines analyses en Allemagne et ensuite le Rdv à la clinique ainsi que le traitement non remboursé en partie qu'il suit actuellement ... Merci Alain ! Bises de nous deux. Evelyne. |
LA VALLEE DES ROIS : B. B. 1er
Part One
— T’as vu ? B.B. King il est mort...
— Ouais, ils en ont parlé aux infos...
— Ça m’en a foutu un coup... C’est raide, hein ?
— Putain c’est dur...
— Ce matin, au café, je me suis mis «Everyday I Have The Blues».
— Ouais, moi j’ai ouvert le magasin avec «Singin’ The Blues» sur Crown...
— Super ! Où qu’il est ?
— Il n’est pas à vendre. Première presse de 57. T’as pas les moyens, Bernard.
— Ah ben zut.
Agacé par ce qu’il entendait, un voyageur en transit ajouta :
— Il est mort pour de vrai ? Ouf ! Bon débarras ! Place aux jeunes !
Ce qui ne manqua de plomber l’ambiance. La scène se déroulait chez un petit disquaire de province.
Deux jours plus tard au bar du Régalia, en face du pont Mirabeau.
— Bien content de te revoir, Guillaume... Cela fait une éternité...
— Oh oui, notre dernière rencontre remonte à la nuit des temps... N’étions-nous pas en compagnie de Moreas aux Halles ?
— Ah quelle nuit ! Toi qui baffrais comme un régiment de hussards et le menton de Moreas qui bleuissait sous le fard, au petit matin. Alors dis-moi Guillaume, qu’est-ce qui t’amène de ce côté-ci de la Seine ?
— Cher ami, me voilà bien enquiquiné. Le directeur du journal me demande de lui pondre pour ce soir un hommage à B.B. King dont on vient d’apprendre le décès. Or, je ne sais que fort peu de choses de ce pauvre homme. Me voilà donc coincé entre le marteau et l’enclume. D’un côté, je n’ai pas les moyens de refuser une commande, fût-elle digne de la rubrique des chiens écrasés comme c’est ici le cas, et de l’autre, l’intégrité morale qui me régit m’impose de ne pas saloper la besogne. Puisque je ne suis pas aussi bien informé des talents de ce pauvre monsieur King que de ceux de mon ami Pablo, je dois solliciter la bienveillance d’une âme charitable. En outre, je n’ai ni le temps ni la patience d’écouter tous les disques que ce pauvre monsieur King a pu enregistrer en 88 ans de carrière. Accepterais-tu d’éclairer ma pauvre vieille lanterne ? Le journal m’octroie une colonne en dernière page. J’aimerais brosser un portrait léger, une sorte de médaillon, dans l’esprit de celui que je fis voici quelques années en mémoire d’Alfred Jarry.
— Je crains cher Guillaume que la tâche ne s’avère épineuse. À la différence de celle de Jarry, la personnalité de B.B. King ne présente quasiment pas de relief. B.B. King n’est pas un provocateur mais au contraire, un musicien noir en quête de reconnaissance. Oh tu me diras que Jarry le fut aussi, d’une certaine façon, mais B.B. King ne sifflait pas d’absinthe et ne tirait pas des coups de pistolet dans des miroirs de brasseries. Tu vas devoir trouver un angle plus... américain. L’histoire habituelle, celle d’un négrillon né sur une plantation de coton du Mississippi dans les années 20. Mais avant d’entrer dans le détail, permets-moi de t’offrir un verre.
— Excellente initiative, compère. Un mandarin !
— Garçon ! Deux mandarins, s’il vous plaît ! Bon, revenons à nos moutons. Pour simplifier, nous dirons que les blancs d’Amérique considèrent B.B. King comme un bon nègre puisqu’il est le bluesman qui a reçu le plus d’hommages officiels, me semble-t-il. Je te dis cela pour situer le personnage, mais il n’est pas utile de le répéter dans ton oraison funèbre. L’objet n’est pas de ternir sa réputation. Par contre, tes lecteurs doivent savoir qu’il a entamé sa carrière chez Sam Phillips, en même temps qu’Howlin’ Wolf et Ike Turner. Tu vois, en 1949, le jeune B.B forgeait déjà son destin en fréquentant la crème de la crème. Il traînait aussi avec le vénérable Bukka White. Pour l’anecdote, sache que Bukka, Ike et Wolf frisaient la délinquance. Pas B.B.
— Que veux-tu dire ?
— Ike s’offrait les faveurs de femmes blanches, ce qui à cette époque était puni de mort par le KKK. De leur côté, Bukka et Wolf eurent maille à partir avec la justice expéditive des États du Sud, suite à des altercations qui ont mal tourné.
— Alors comment ce pauvre monsieur King a-t-il réussi à se tailler une telle réputation ?
— Grâce à son talent, bien sûr, et à son endurance. Il s’inspirait de T-Bone Walker et jouait le blues électrique classique. Pour simplifier, disons qu’il sut développer un style basé sur le toucher de notes. Mais tu le sais bien, il n’y a pas de hasard en matière d’art. Seul un grand artiste peut atteindre une telle renommée. Pour apprécier l’immense talent de B.B. King, il suffit d’écouter «Live At The Regal». J’avais acheté cet album en 68, à l’époque où sortaient tous ces fringants albums de British Blues, ceux de Fleetwood Mac, des Chicken Shacks ou des Bluesbreakers.
— Mais pourquoi as-tu acheté ce fameux album ?
— Tout simplement parce que le disquaire, un nommé Buis, me le recommandait avec insistance. Et il ne se trompait pas. Cet album extraverti te plairait, je n’en doute pas un seul instant. Il s’agit en fait d’un concert enregistré en 1964 dans un club de Chicago qui s’appelle le Regal. Dès la première note de «Everyday (I Have The Blues)», on sent le souffle du grand spectacle : tu as une extraordinaire profusion de cuivres, tu sens une énergie considérable et B.B. King chante fan-tas-ti-que-ment bien ! Là dessus, je suis formel. De la même façon que son homonyme Albert, B.B. discute avec le public. Il fait ses annonces à la mode américaine, avec des formules du genre : «and it sounds something like that...» Quand tu entends «Sweet Little Angel», tu crois voir couler la fameuse rivière de miel dont parlaient les navigateurs de la Haute Antiquité, ceux qui exploraient au péril de leur vie les confins du monde connu. Fantastique artiste que ce B.B. King, tu peux me croire sur parole ! Il jouait alors son blues avec une passion dévorante. Comme tous les grands artistes américains, il faisait chanter des choristes et la température montait d’un seul coup. À travers tout ce fourbi, on devinait l’exigence d’un roi. Et tu entends le public acclamer ses départs en solo. B.B. King misait tout sur la limpidité. Il en a fait ce modèle qu’ont copié les Anglais. «It’s My Own Fault» fait partie des grands standards du blues électrique. Tu y savoures de grosses poussées de fièvre ponctuées par une fantasmatique descente de gamme de blues. Tu l’entends remercier le public - Hank you ! - Cet homme se révèle tout simplement confondant d’humilité. Tu te régaleras aussi de «You Upset Me Baby», tapé sur une caisse claire par un obsédé du tempo. Là, tu as tout ce que tu peux attendre d’un orchestre noir : le boogie woogie, la pétaudière du big band, l’énergie du rhythm & Blues et le swing le plus pur, celui qui génère de l’allégresse. Sur scène, B.B. King n’est pas homme à mégoter. Tu l’entends aussi jouer «Worry Worry» tout seul et le public l’acclame à n’en plus finir - Hey you hurt me so bad babe ! - S’il faut recommander un disque de B.B. King, c’est de toute évidence «Live At The Regal». Le grand art de B.B. King se révèle sur scène.
— Ouf, tu me rassures, je craignais de devoir éplucher sa plantureuse discographie.
— Surtout pas, tu briserais l’élan de ta colonne. C’est l’une de ces discographies qui donnent le vertige et qui chassent le profane. Dans son catalogue, Ace Records ne propose pas moins de 40 articles pour B.B. King. En dehors de cette profusion, le reproche qu’on pourrait adresser à B.B. King serait d’avoir institué la forme classique du blues électrique qui à force de resucées et de ressassements finit par générer l’ennui le plus mortel. J’insiste beaucoup sur l’aspect scénique, car c’est à mon sens le seul moyen de pouvoir mesurer la hauteur d’un tel artiste. Je me souviens d’un concert de B.B. King aux Banlieues Bleues, sous un chapiteau à Saint-Denis. On le vit arriver sur scène, s’aidant à marcher avec des béquilles et guidé par une infirmière. Une fois stationné derrière son pied de micro, un membre de l’orchestre lui passa la bandoulière de sa Gibson sur l’épaule. Alors B.B. King jeta ses béquilles au loin et se mit à jouer comme un démon. Je peux t’affirmer cher Guillaume que ce fut un set infernal, à l’américaine, dans l’esprit de ce qu’on appelait autrefois les revues. On voyait bien que ces gens-là étaient rodés par des années d’âpres tournées aux États-Unis. Derrière B.B. King jouait un orchestre au grand complet en costume de scène, dont une fabuleuse section de cuivres. Un gros noir aux cheveux gominés soufflait dans une trompette, et entre deux chapelets de pouet-pouet, il secouait la tête en rythme. Mais on aurait dit que sa tête se désolidarisait de son corps, comme s’il avait eu un cou en caoutchouc. Ce côté Muppet Show nous amusait prodigieusement. Et puis avec l’âge et les méfaits du diabète, B.B. King s’est calmé. Il a fini par jouer affalé sur une chaise, comme Solomon Burke.
— Retrouve-t-on le nom de ce pauvre monsieur King dans les propos de personnages célèbres ? J’aimerais bien conclure par une citation ou deux. Tu me diras que ce procédé pèche par son manque d’élégance, mais vu le peu de matière dont on dispose, c’est à priori le seul moyen de garnir l’os de ma colonne d’un peu de viande.
— Oui, tu peux par exemple reprendre une anecdote célèbre. Quand Bob Dylan engagea Michael Bloomfield pour jouer sur «Highway 61 Revisited», il ne lui fit qu’une seule recommandation : «I don’t want no B.B. King shit !» Dylan ne voulait pas d’un jeu à la B.B. King, il voulait le Bloomfield sauvage qu’on entend sur l’album «So Many Roads» de John Hammond. De toute évidence, Dylan ne voulait pas blesser B.B. King, mais le mal était fait. Au fond, ce n’était pas si grave car B.B. King fait partie des grands artistes noirs qui ont connu les pires aspects de la ségrégation. La bêtise et la brutalité des blancs les aura considérablement endurcis. D’une certaine façon, ça leur aura même rendu la dignité que l’esclavage leur avait ôté. Alors une vacherie de plus ou de moins, quelle importance ? Tu peux aussi citer le nom de Mike Figgis.
— Qui est ce monsieur Figgis ?
— Un cinéaste. L’auteur de «Red White & Blues», l’un des sept films consacrés à la mémoire du blues que produisit Martin Scorsese. Figgis caressait l’ambitieux projet de raconter le blues non pas d’un point de vue américain, mais d’un point de vue britannique. Il a donc demandé aux acteurs du fameux British Blues Boom de témoigner.
— Comment se fait-il que les Anglais aient eu leur mot à dire sur le blues ?
— Voilà l’explication : à la fin du film, tu vois B.B. King rendre un hommage spectaculaire aux petits blanc-becs d’Angleterre : «Grâce aux Anglais, beaucoup de portes se sont ouvertes. Sans eux, on aurait continué à en baver, comme avant. Je n’aurais pas cru cette embellie possible de mon vivant.» Et tu le vois remercier les Anglais : «Thank you very much.» Émouvant. Ne regarde jamais cette scène, car comme tu as le cœur sensible, elle te ferait pleurer.
Signé : Cazengler, baba King
B.B. King. Disparu le 14 mai 2015
B.B. King. Live At The Regal. ABC 1965
Mike Figgis. Red White And Blues. The Blues, A Musical Journey Vol 5. DVD 2004
FONTAINEBLEAU –21 / 05 / 15
PUB LE GLASGOW
SPUNYBOYS
Pour Léa et Patrick,
L'est des jours où le malheur fond sur sur vous comme l'aigle cruel sur la pauvre souris innocente. Jugez-en plutôt par vous-mêmes. J'étais tranquille chez moi, les pieds sur la table, le verre de scotch à portée de la main, le havane au coin de la bouche, Eddie Cochran sur la platine. Le bonheur ! Qui ne dure jamais longtemps ! La porte s'est ouverte et ce fut le déferlement, les Cimbres et les Teutons ravageant le couloir rhodanien, les Wisigoths s'emparant de Toulouse, les Vandales déferlant sur la Gaule, les hordes Hunique ravageant l'Europe. En fait ce fut plus terrible que tout cela. Certes c'étaient des amis, mais des jazzeux qui illico se mirent à souffler dans leurs cornets maudits. Et personne à l'horizon pour m'extirper de cette engeance jazzistique fléautique. J'étais donc délaissé par les dieux, et le monde entier ne se souciait guère de sauver le rocker Damie. J'allais succomber, lorsque au loin – comme dans les westerns de John Wayne – retentit le clairon du Septième de Cavalerie. Les dieux du rock avaient eu pitié de moi ! Ce n'était pas une escouade de cavaliers fringants qui volaient à mon secours mais le Grand Phil qui klaxonnait comme un malade devant le portail. Dépêche ! hurla-t-il, il y a les Spuny qui passent au Glasgow ! J'accourus et c'est ainsi que j'échappais à une super jazz home party. Ce n'est pas que je n'aime pas le jazz, c'est que je préfère le rock and roll.
Jeudi soir à Fontainebleau. Vingt et une heure. Du monde partout, ça se balade dans tous les coins, les terrasses des restaux sont archibondées, drôle de contraste avec Provins. L'on a même l'insigne honneur de rencontrer Leslie des Jallies et sa copine Anaïs, bien entendu venues pour les Spuny... Le Glagow est encore vide mais l'on reconnaît – quel hasard – un groupe de fans rencontrés aux Loners. Sont en train de raconter la folle exhibition des Hot Chikens du samedi précédent ( voir KR'TNT 236 ). Rien à dire, ce soir le public sera en partie composé de connaisseurs.
ROCK ON !
Z'ont commencé depuis un moment, mais mon esprit vagabonde. Dire qu'il y en a qui ont dépensé quatre-vingt euros pour voir AC / DC de loin dans un stade, je n'ai rien contre AC / DC mais à leur concert je n'ai aucune chance de me faire éborgner par un manche de guitare, alors qu'ici, au Glasgow je suis au plus près de l'action, à moins de vingt centimètres d'Eddie et de la chance insigne d'arborer fièrement un œil de verre pour le restant de mon existence... Le genre de blessure rock qui vous classe pour la vie. C'est cela, le rock and roll, cette proximité physique avec la musique. Sinon, c'est du spectacle, de l'amusement, du divertissement pascalien. Allez à l'Opéra et achetez-vous une lorgnette. Il est tout de même temps que j'arrête de philosopher car les Garçons Tourbillonnant n'ont pas l'habitude d'attendre dans les abribus. Sont déjà loin devant. Remarquez, ils n'iront pas jusqu'au bout du monde, parce qu'avec le cercle d'admirateurs qui se pressent devant eux, ils sont prisonniers d'une nasse de fans enthousiastes qui s'est refermée sur eux et qui ne sont pas prêts de leur rendre la liberté. Pas de chance ( uniquement selon les numérologues tarotiques de l'arcane de la mort ) c'est la treizième fois – ainsi que l'annonce Rémi - qu'ils passent dans le pub et chacune de leur prestation a laissé des traces. Pas du tout un hasard, si beaucoup reviennent systématiquement dès que leur nom est à l'affiche.
Les Spuny, c'est quoi ? D'abord c'est le sourire de Rémi. Suffit qu'il actionne ses zygomatiques pour que tout le monde soit heureux. Préfère ne pas m'attarder sur les ondulations qui parcourent à chaque fois le corps des filles. N'a pas vraiment le temps de nous adresser de grands discours, car Guillaume ne lui en laisse pas placer une, deux coups de grosse caisse et hop on enchaîne, en voiture Suzette et la monnaie par ici. Et le Rémi ( pas du tout plégique ) se dépêche d'enchaîner. L'a du travail, le chant et la contrebasse. La pauvre, à la retraite grâce toutes ses balafres scotchée, elle aura droit à ses primes de pénibilité, parce que si Rémi se souvient qu'un tel instrument sert avant tout à faire de la musique, il en use pour tout autre cérémoniee. Encore que dans le Glasgow il doit se restreindre. Madame de Récamier recevait ses invités nonchalamment couchée sur son sofa, Rémi lui préfère se percher sur sa contrebasse, l'est comme le corbeau de la fable et son ramage est aussi appétissant qu'un fromage fondant. Car oui, il chante. Il vous décanille des rocks à tire-larigot. N'en a pas terminé un qu'il enfile déjà le suivant. Du chaud, du bon, du brûlant. L'a intérêt à aligner les victoires d'étape parce que derrière Guillaume pratique la politique de la terre brûlée. Là où il frappe, le rock ne repousse pas. Faut toujours aller de l'avant, plus loin et plus vite. Un set des Spuny, ça filoche, vingt morceaux et vous n'avez pas le temps de voir passer. L'on ne sait plus où donner des oreilles, pour un peu l'on en oublierait Eddie. Encore un qui turbine, les deux autres peuvent caracoler, lui il les double par l'extérieur dans les courbes, ah ! ces descentes frémissantes de guitare, le peuple applaudit, encore ! Encore ! Mais il est déjà barré dans un autre plan, pas un foireux, non un subtil, un rusé que l'on n'a jamais entendu et qui vous surprend en dernier ressort. A la manière dont je vous les décris vous pourriez croire qu'ils se tirent la bourre et passent leur temps à se tailler des croupières, que nenni, c'est un trio qui joue parfaitement ensemble, avec un mutuel respect, une superbe entente, une générosité qui fait chaud au cœur, chez les Spuny on n'empiète pas sur les plate-bandes du copain mais on le pousse dans le dos pour qu'il les traverse au plus vite.
Finissent sur une tempétueuse version de I'm Going home, avec feulements semi-pornographiques qui font hurler de plaisir le public. Vingt minutes de pose. Méritées. Pour tout le monde. Le temps de me lancer dans une seconde méditation – que voulez-vous il est des soirs où l'âme aime à rouler de vastes et sublimes sujets. J'établis un parallèle entre la set-list de ce soir et celle du mois précédent aux 3 B. A Troyes le public était moins composite, quatre-vingt-quinze pour cent d'amateurs de rockabilly, les Boys avaient privilégié le repertoire pionnier et teddy, ici ils l'entrecoupent de quelques morceaux plus country à la Cash, à la Horton, mais rassurez-vous débités à la tronçonneuse.
Pourront-ils faire mieux que tout à l'heure ? La réponse sera oui, sans ambages, sans équivoque. Ce deuxième set fut fabuleux, pharamineux. Une énergie à enfoncer les portes nervaliennes de corne et d'ivoire du rêve. De tous, ce fut Rémi le plus heureux. Par deux fois il s'échappa de la fournaise brûlante pour s'en aller batifoler dans la rue, plus tard on le retrouva la tête collée aux poutres du plafond, accroché aux flancs de sa big mama elle même juchée sur uns des grosses barriques qui servent de table. L'en profitera même pour nous régaler d'un solo époustouflant. Mais le cercle se refermera sur lui dès qu'il aura rejoint ses acolytes. Car c'est-là que ça se passe au cœur même du trio indéfectible, dans ce parfait triangle équilatéral du rock and roll. L'on aimerait connaître leur secret, savoir comment dans leur creuset trépidant ils parviennent à réaliser cette alchimie de la vitesse et de la syncope. L'on n'en saura rien, montrent tout, mais ne dévoilent rien. Maintenant c'est Eddie qui relance la course, Guillaume embraye derrière mais c'est bien Eddie qui place la première estocade. Du rock and roll à l'état pur. Le robinet est ouvert et personne n'oserait se proposerait pour le fermer.
Ne croyez pas que le public attend sagement son tour comme pour aller à la confesse. Va falloir essorer t-shirt et chemises après le concert car ça moutonne comme les vagues de la mer. Parfois dans un ondoiement spasmodique de la foule en transe le corps de la divine Leslie se colle à moi et je pense à Shave Your Pussy que les Jallies ont composé en l'honneur des Spunyboys et qu'elles ne manquent jamais d'inclure non sans apporter toutes les précisions nécessaires dans leur répertoire... Ne nous égarons pas. Les born again américains ont raison : le rock and roll est bien la musique tentatrice et pernicieuse du diable.
One, Two, Three, Four, Five, Rock and Roll Is Still Alive ! C'est le cri de guerre et de ralliement que les Spuniboys aiment à répéter, un mantra protecteur pour la survie du rock and roll jusqu'au prochain siècle. Au minimum. Car il n'est pas permis de laisser refroidir la colle. Ni maintenant, ni jamais. Et les Spuny s'y emploient de fort belle manière. Ne restent plus que vingt minutes avant l'heure fatidique du couvre-feu, mais la pression et la tension montent encore d'un cran. Ca crie, ça hurle de tous côtés, et les Spuny nous livrent un final étourdissant, des éclats de batteries, des stridences de guitare, des raquellements rauques de contre-basse et les paillettes d'or de la voix de Rémi. Z'ont tout donné, et on a tout pris. Un signe qui ne trompe pas, lorsqu'ils coupent le son, on les applaudit pas, on les remercie. Car ce soir, ce fut vraiment le grand partage du rock and roll.
Ce soir l'on est comblés, cette sensation de manque d'on ne sait quoi qui nous grignote sans cesse, ce sentiment de nous cogner aux barrières trop étroites de notre finitude, a disparu. Ne nous manque plus rien. Pour quelques heures seulement – nous ne nous faisons aucune illusion. Mais toute cette plénitude que nous ressentons, nous la devons à ces trois têtes folles des Spunyboys. Et quand il passe la porte du bar, Eddie ajoute en toute humilité, sans vous, nous ne sommes rien. Sont déjà un des grands groupes de pure rock and roll actuel. Des passeurs d'énergie.
Damie Chad.
MONTREUIL / 24 – 05 - 15
SOUTIEN AU REMOULEUR
RIVALS
Encore un truc d'anarchistes. Les rockers ont vraiment de mauvaises fréquentations. Pour une bonne cause. Le Rémouleur est un local associatif de quartier qui accueille de nombreux collectifs de lutte contre nos vies précaires. Entrée libre, vous donnez ce que vous voulez, l'on vous rend la monnaie, idem pour la bouffe et les boissons. En plus, concerts en soirée. Un bon milliers de personnes se pressent dans les lieux. L'on comprend pourquoi le Conseil Général a décidé de fermer ce chaudron en ébullition permanente.
TARACE BOULBA
Fanfare funk. Un beau début, une vingtaine de cuivres qui s'en vont faire un tour dans les jardins, un beau son, très rhythm and blues. Quand ils reviennent, ils ont disparu. On ne les entend plus. Sont pourtant bien là, trompettes, trombones, saxophones, parqués sur l'estrade, mais derrière eux, il y a deux percussionnistes qui font un bruit du diable. Coupent du bois, très méthodiquement sans varier de rythme ni opérer brisures ou respirations. L'on ne perçoit qu'eux. Les souffleurs devraient rentrer chez eux, sans plus attendre. Entre fanfare et batucada il faut choisir. Tarace Boulba n'offre aucun des deux. Très ennuyant.
ROCKAB FREUDIEN
C'est la copine qui voulait voir Fantasio, moi j'aurais évité. Je l'ai déjà supporté dans un festival de hippies en Ariège. Ne me souviens de rien de sa prestation mais j'ai encore la sensation d'ennui mortel ( enrobé de reggae alternatif ) qui m'avait enveloppé. Ce soir l'on m'assure qu'il est accompagné d'un groupe de rock. Je veux bien, mais je demande à voir. Et à entendre.
Un batteur qui s'entoure d'une ribambelle de percus – généralement très mauvais signe – un guitariste, et une jeune japonaise devant un tambour, à eux trois ils forment les Pantacaldi présentés sur l'affiche en tant que groupe de Rock freudien, Fantasio est à la contrebasse. Je n'aime guère tonton Freud, mais questions rockab il leur faudra pousser l'analyse. Le cauchemar commence par dix minutes de battements effrénés assénés par l'auguste représentante du pays du Soleil Levant. Derrière le batteur fait de la figuration libre. Au bout de dix minutes Fantasio commence à chanter. En espagnol, avec un fort accent roumain, plus tard il passera au français mais ce ne sera guère plus audible, il déblatère sans rythme ni raison. Fatiguant et lassant. D'autant plus que le groupe s'engouffre dans un tempo binaire des plus simplistes. En fait, l'ensemble ressemble à de la Dance Music. Avec une basse asthmatique. Le public a l'air d'apprécier. J'en conclus qu'avant de faire la révolution dans la société, faudra d'abord la faire dans les goûts musicaux. Pas étonnant que le mouvement soit si atone. Si ennuyant que la copine demande à partir au bout d'une heure de torture auditive...
RIVALS
Heureusement entre les deux catastrophes évoquées ci-dessus se sont glissés les Rivals, groupe montreuillois psyché garage. Enfin de la musique à visage inhumain ! Du rock and roll ! Psyché, je veux bien, mais la musique des Rivals me semble trop maîtrisée pour participer des efflorescences psychés, voici un adjectif que l'on emploie dès qu'un combo pousse une de ses racines dans la deuxième moitié des sixties. D'ailleurs le premier morceau, avec ses passages clavier assurés par Clem, Take You Out évoque irrésistiblement les Animals, pas les premiers avec Alan Price mais la troisième mouture davantage rentre-dedans avec Dave Rowberry. Mais ce qui fit le fondement du style psychédélique, ses grands errements de délires turgescents, ses guitares en folie, et ses intumescences d'instrumentations boursoufflées, les Rivals n'y adhèrent point.
Garage, en quarante ans le garage a tellement évolué qu'il n'est plus qu'une appellation symbolique. Un choix en quelque sorte philosophique de votre attitude rock. Rivals ce n'est pas non plus, en avant toute, toute la gomme et l'on ne se soucie pas de la mesure suivante. Dispensent une musique quelque part chevillée à ses origines noires mais reblanchies au rhythm and blues anglo-saxon, un refus du lyrisme au profit d'une recherche de l'efficacité. Rien de trop. L'on est souvent surpris par la fin des morceaux qui arrivent brutalement alors que l'on s'attendrait à quelques développements supplémentaires.
Les Rivals c'est d'abord Matt au vocal. Debout devant ces deux micros, peu de jeu de scène, une attitude sereine qui ne cherche pas à amadouer le public. Il envoie et il assure. Peu de gesticulation, totalement enté dans ses lyrics, se refusant à toute sentimentalité communicative. Le rock n'est pas un sourire adressé aux gens bêtement heureux de vivre. L'accompagnement est en parfait unisson avec cette démarche, Hervé, Sam, Dom, Clem, délivrent une musique engagée en elle-même, refermée en quelque sorte comme les écailles qui enserrent le serpent. Pas de soli à la guitar hero, pas de break bavard de batterie, les Rivals envoient sec, et sans fioritures. Ont déjà quelques disques derrière eux, ne sont pas nés de la dernière pluie, puisent dans leur répertoire, Finger On The Trigger, Take Me For A ride, Hard Rock, New Punk, défilent au pas de course. Dommage que le public ne soit pas vraiment rock, le groupe aurait mérité que ça bougeât davantage. On les reverra avec plaisir et intérêt.
Damie Chad.
SCOTTSBORO ALABAMA
DE L'ESCLAVAGE A LA REVOLUTION
PARLIN SHI KHAN / TONY PEREZ
( L'ECHAPPEE / 2014 )
S'il est un livre qui retiendra votre attention par sa couverture, ce sera bien ce Scottsboro Alabama, pas besoin de la tenir entre ses doigts pour saisir son épaisseur cartonnée qui ne correspond pas à un caprice de l'éditeur. L'a essayé de rendre l'impression des matrices de toute oeuvre qui emprunte à l'art de la linogravure. La linogravure c'est un peu l'art de la gravure sur bois du pauvre. Le matériel de base est peu onéreux et son impression offre un noir qui possède cette singularité d'être en même temps extrêmement mat quant à la qualité des aplats et extrêmement brillant quant à son épanouissement visuel. A l'intérieur du livre, la reproduction des planches ne bénéficie point de la brillance occasionnée par le relief contrastée de la couverture, mais la blancheur du papier alliée à la violence des images amplifie la force noire de l'encrage.
a
Dans l'imaginaire français la bourgade de Scottsboro ne représente rien. Sise dans l'Alabama – réputé pour être l'état le plus raciste des USA – elle fut en 1931 le départ d'une affaire judiciaire qui marqua un jalon important dans la lutte des noirs pour leur émancipation. Nous sommes aux joyeux temps de colossale misère qui suivit la crise de 1929, des milliers de travailleurs empruntent le chemin de fer pour voir si ailleurs ils ne trouveraient pas avec quelque chance un patron qui accepterait de les exploiter pour quelques misérables cents... Les hobos – le lecteur se reportera à notre kronic du livre IWW. Wobblies & Hobos de Joyce Kornbluh in KR'TNT ! 118 du 18 / 10 12 pour en savoir davantage sur cette étrange faune – qui ne payent pas leur trajet, poursuivi au mieux en des situations rocambolesques, ne sont guère en odeur de sainteté lorsqu'ils débarquent plus ou moins au hasard dans une bourgade perdue... Un hobo blanc possède l'immense avantage – c'est le seul - de ne pas être un hobo noir. La libre circulation des voyageurs n'a jamais été bien vu par le Capital... et puis ces nègres qui se promènent sans rien payer ressemblent à s'y méprendre aux esclaves en fuite du bon vieux temps de l'esclavage.
Heureusement à Scottsboro la police et la justice veillent sur la tranquillité des honnêtes citoyens. Elle en arrête neuf d'un coup – les plus jeunes ont tout juste treize ans – l'on pourrait organiser un lynchage de groupe, mais ça ferait beaucoup en une seule fois, alors l'on force deux jeunes femmes blanches qui voyageaient dans un autre wagon à avouer que les peaux d'ébène les ont violées à tour de bras, enfin avec un de leurs cinq membres, je vous laisse deviner lequel. Honte et indignation ! Ces séminaux sauvageons méritent la mort, l'on se dépêche de les y condamner en un procès mené tambour battant. Il va de soi que pour un procès de viol, il n'est nullement besoin d'enquête à décharge.
L'histoire aurait pu se terminer rapidement. Romantiquement même, puisque le cas du plus jeunot de la bande avait été ajourné par des juges compatissants qui dans un souci d'humanité évident hésitaient entre l'envoyer à la chaise électrique ou lui octroyer la prison à vie. Une incompréhensible mansuétude. Mais il est toujours des individus qui n'ont de cesse de mettre des bâtons dans les roues de ceux qui mènent rondement la marche en avant de la caravane humaine vers le progrès. Le Parti Communiste et des militants syndicaux de l'International Labor Defense, s'en mêlèrent, bientôt rejoints par des mouvements de défense moins extrémistes... L'affaire fit grand bruit. Dans un premier temps ils obtinrent un procès en appel, puis un troisième... La cour suprême des Etats Unis intervint par deux fois pour rappeler que la justice doit être rendue avec un minimum d'impartialité... Les fameux droits démocratiques de l'individu... Au bout de sept ans de lutte, les innocents finirent par sortir de prison... Scottsboro reste un jalon essentiel de la lutte des noirs aux USA, elle est un peu oubliée par chez nous. L'on comprend pourquoi, le problème de la libération fut posée d'une manière par trop politique, l'on est loin des rêves de fraternité christo-universelle d'un Luther King. Dans les années trente une campagne de sensibilisation se développa jusqu'en Europe... Le livre et ses quatre présentations de Robin D. G. Kelley, Andrew H. Lee, Michael Gold et Frank Veyro – qui est aussi le traducteur de l'ouvrage publié en 2002 aux USA - expliquent à foison et en détail les évènements.
Mais nous sommes encore loin du cœur du livre : celui-ci est constitué de la reproduction de gravures consacrées à cette affaire et réalisées par deux artistes Parlin Shi Khan et Tony Perez – nous remarquons les patronymes d'obédience étrangère en ces temps de lutte finale et internationale – desquels l'on ne sait presque rien, si ce n'est leurs accointances avec la revue New Masses d'obédience communiste... Leur travail resta inédit jusqu'à sa redécouverte dans le fonds des documents acquis par l'Université de New York.
C'est une oeuvre de militants qui présente le combat de la cause noire en la liant non pas à une simple question de racisme mais à la réalité englobante de l'exploitation capitaliste des pauvres qu'ils soient noirs ou blancs. Le livre débute en Afrique et se termine par la nécessité de la lutte révolutionnaire cotre le capitalisme international sans âme et apatride. Nous sommes dans les années trente et la lutte contre le fachisme en tant que variante économico-politique du développement capitalisme est clairement indiquée. De belles leçons à méditer encore d'actualité aujourd'hui, car si les formes d'oppression se transforment, elles n'ont jamais été aussi férocement dominantes...
Je vous laisse admirer le travail graphique des deux artistes. La simplicité du trait qui accentue la force tourbillonnante des vues de groupes, et l'expressivité animale d'une technique au service de l'idée. Car ici, c'est bien le message qui est le média et non le contraire comme se complaisent à le théoriser les songe-creux des techniques de communication moderne au service de l'ignorance généralisée induite par l'idéologie libérale actuelle. Celle qui tend à vider les cerveaux des masses des travailleurs, des précaires et des chômeurs, afin d'éradiquer de leur pensée en friche la nécessaire pratique de la révolte et de la réappropriation active de leur vie...
Damie Chad.
THEÂTRE DES BOUFFES DU NORD - 23 / 05 / 15
LA MORT DE TINTAGILES
MAURICE MAETERLINCK
Le symbolisme reviendrait-il à la mode ? Après Villiers de L'Isle-Adam ( voir KR'TNT ! 232 du 23 / 04 / 15 ) Maurice Maeterlinck. Maeterlinck un drôle de coco, il aimait tout ce qu'aiment les rockers, les autos qui vont vite, les femmes qui sont belles, la vie à pleines dents. Une espèce de géant au sourire engageant. C'est à l'intérieur qu'il y avait un sacré micmac. Evitez sa poésie : avec Les Serres Chaudes, vous agoniserez d'un cancer de l'âme tout le restant de votre vie, ne parcourez jamais ses Chansons, vous ne trouverez plus jamais une fille à votre goût, son théâtre est une invitation désespérée et permanente au suicide, ses ouvrages de prose sont des précis de sciences naturelles ésotériques qui oscillent entre les logorrhées New Age et la subtilité des visions quantiques d'analyse de l'univers les plus avancées. Aujourd'hui l'aura de Maeterlinck a fortement décliné, pour éviter tout embarras mental nos contemporains ne le lisent plus. De temps en temps l'on ressort en catimini une de ses pièces – le nihilisme poétique étant la chose culturelle qui se partage le mieux – une tous les dix ans, et pas très longtemps à l'affiche, car cela pourrait induire de mauvaises idées au public. Donc, La Mort de Tintagiles étant programmée aux Bouffes du Nord pour une quinzaine de représentations, l'on a foncé sans plus réfléchir.
LA MORT DE TINTAGILES
Ce n'est pas difficile de raconter La Mort de Tintagiles, au début de la pièce Tintagiles est un enfant malade, à la fin de la pièce il est mort. Je vous le résume en moins de deux lignes, Maeterlink qui est plus doué que moi, vous en pond vingt pages.
TOMBEAU POUR ANATOLE
Pas bésef, me direz-vous. Oui d'autant plus qu'entre temps il ne se passe rien de bien concret. Alors pour rallonger la sauce, en hors d'œuvre à ce repas funéraire, manière de vous mettre dans l'ambiance mortelle, Denis Podalydès, qui a mis en scène le spectacle, le fait précéder d'une lecture de quelques pages du brouillon du Tombeau d'Anatole de Stéphane Mallarmé. Anatole était le fils du poète mort à huit ans, Mallarmé rompu par le chagrin ne parvint jamais à terminer le poème que l'on retrouva bien plus tard dans ses papiers. Le texte s'inscrit en lettres blanches sur le fond noir de la scène, Polydadès le lit sans en faire trop, tout en faisant ressortir la gravité du propos. Perso je trouvons qu'il a privilégié les feuillets qui analysent le deuil familial au détriment de ceux qui proposent une vision plus métaphysique – entendez ce vocable débarrassé de toute confluence religieuse - de l'épisode terminal de nos existences.
LA MORT DE TINTAGILES
Pour les décors : rien. Le noir des murs, la noirceur de la salle que troue de temps en temps un projecteur. Je n'aurais pas aimé être à la place du technicien car les effets sont à la seconde près. Tintagiles n'est pas présent en chair et en os, son corps est une marionnette manipulée avec une doucereuse affection par ses deux soeurs, Ygraine et Bellangère. Depuis les coulisses un acteur lui prête sa voix. Deux musiciens, violoncelle et barytons à cordes pour l'un, l'autre est à l'alto et armé d'une viole d'amour. Ce dernier joue aussi le rôle du professeur fidèle à ses deux anciennes élèves. Rien d'autre si ce n'est la peur qui s'installe et que l'on ressent physiquement. Une frousse bleue, une panique qui vous étreint le cœur. Car elle est là, dans le donjon maléfique du château, rampant dans votre esprit, la Reine des lieux qui conduit la chasse nocturne, que vous connaissez sous de nombreux avatars, la souveraine impitoyable, la Cruella d'enfer, les Trois Parques, l'Hécate des carrefours mais toutes ces appellations poétiques ne sont que des mots pour désigner la Mort. C'est elle qui mène la danse. Même lorsqu'elle n'est pas là. Sa venue est inéluctable, vous ne la verrez pas, vous entendrez ses rires et ses chuchotements, et puis c'est tout. Tintagiles est mort. Ses soeurs ont tout essayé, la ruse, la révolte, l'imploration, rien ne saurait l'arrêter. Le suaire de la mort est cousu de fil blanc.
Une cruche, une lampe, une trappe, une corde. Rien de plus. La scène est vide, ou alors les personnages arrêtés dans un immobilisme désolé. Le déroulement de la pièce est entrecoupé de longs passages musicaux ( Satie, Bartok ) qui loin d'interrompre sa progression en augmentent l'angoisse. Rien à faire de Tintagiles, c'est vous qui êtes au fond du tombeau, vous ressentez le froid de la mort, tellement puissant que vous ne pouvez ni claquer des dents, ni même frissonner. La jeu des acteurs, l'obscurité, les trombes de musique – car les harmoniques pulsent à tout berzingue – tout concourt à vous faire vivre à l'avance votre future mise en terre. La froide fixité qui s'emparera de vous pour toujours...
Lorsque la lumière se rallume c'est un tonnerre d'applaudissements pour Christophe Colin Adrien Gamba Gontard, Garth Knox, Lesle Menu, Clara Noël, longs et chaleureux. N'empêche qu'à la sortie je remarque que de nombreux spectateurs ont les yeux rouges. Existe-t-il vraiment une catharsis libératoire à la mort ?
Damie Chad.
17:29 | Lien permanent | Commentaires (0)
20/05/2015
KR'TNT ! ¤ 236. GORIES / HOT CHICKENS / EARL AND THE OVERTONES / BILLIE HOLIDAY /ERVIN TRAVIS NEWS
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
LIVRAISON 236
A ROCK LIT PR ODUCTION
21 / 05 / 2015
GORIES / HOT CHIKENS / EARL AND THE OVERTONES / BILLIE HOLIDAY / ERVIN TRAVIS NEWS |
ERVIN TRAVIS NEWS Toujours pas la grande forme pour Ervin. Ce sera long et cher. Peut-être faudrait-il relancer quelques concerts dont les bénéfices seraient versés à l'Association Lyme-Solidarité Ervin Travis. Les participations individuelles ne sont évidemment pas à exclure. Ervin nous a beaucoup donné durant de nombreuses années en ravivant la présence de Gene Vincent parmi nous. Qu'il en soit remercié en ces moments de combat contre la maladie serait un juste retour des flammes du rock and roll. |
BOURGES ( 18 ) - 16 / 05 / 15
COSMIC TRIP FESTIVAL
THE WILD 'N' CRAZY ROCK'N'ROLL FESTIVAL
THE GORIES
FANTASMAGORIES
Eh oui, on revient toujours aux Gories. Ce trio de Detroit pourrait se vanter d’avoir inventé le garage moderne, mais ce n’est pas leur genre. Ils se contentent de blaster. Tous les garagistes se souviennent du choc que produisit la parution de «Houserocking». On ne comprenait pas bien d’où sortait ce son réinventé. On se demandait même pourquoi le chanteur était noir. Mick Collins aura dû monter pas mal de coups fumants pour enfin s’imposer. Il est aux vingt dernières années ce que Jimi Hendrix fut aux seventies : un prodigieux réinventeur doublé d’un showman spectaculaire. «Thunderbird ESQ», c’est exactement la même chose que «Purple Haze» : l’un de ces hits bombastico qui font la légende du rock.
Les trois albums des Gories font partie des grandes triplettes fatales de l’histoire du rock, au même titre que les trois albums des Stooges, les trois Velvet, les trois MC5 ou encore les trois Jimi Hendrix Experience. Dès qu’on pose l’aiguille sur «Houserocking», un truc nommé «Feral» nous saute à la gueule - You’re feral wouahhhh - Mick Collins traîne ça dans un jus de délinquance et s’arroge la couronne rouillée de roi du garage américain. Et toute la face A s’écroule comme un immeuble dans un délire de trash. On n’avait jamais rien revu de tel depuis les Sonics. Avec «I Think I Had It», Mick Collins nous plonge le museau dans la pire killerrerie de désossement inimaginable et c’est servi fumant avec des chœurs complètement déboîtés. Pire encore : il y colle un solo squelettique qui sonne comme une offense aux dieux de l’Olympe. Il détruit tout simplement le vieux mythe du solo de guitare. Avant Mick Collins, seuls les Godz (ESP) avaient eu l’idée saugrenue de s’attaquer à ce mythe. Puis il passe au sombre cannibalisme garage avec «Charm Bag». Mick chante ça dans l’ombre d’un recoin, soutenu par des chœurs à la con - Hey yeah yeah yeah - Les Gories n’en finissent plus de démantibuler tous les vieux plans garage pour les réinventer. Non seulement il fallait y penser et oser le faire, mais il faut surtout savoir le faire. Dès ce premier album, Mick Collins donnait un avant-goût de son génie déstructurateur. «Sovenreignty Flight» fait aussi partie des grands classiques goriques, car monté sur un beat hypnotic bien poundé par Peg. Un modèle du genre, probablement destiné aux jukes des Zoulous. On trouve deux reprises de Big Dix sur cet album mirobolant : «Hidden Charms» et «You’ll Be Mine». Mick Collins en fait du pâté swingué à la sauce de Detroit. C’est aussi sur ce disque qu’on trouve le cut le plus wild de l’histoire du garage : «Give Me Love». C’est tellement saturé de violence que le morceau se congestionne. Et nous aussi, d’ailleurs.
Écouter les albums des Gories, c’est exactement la même chose que d’écouter les trois albums des Stooges : chaque cut envoie de l’oxygène au cerveau. Le second album «I Know You Fine But How You’re Doin’» parut d’abord sur New Rose, puis fut réédité par Tim Warren sur son label Crypt en 1994. C’est là qu’on trouve «Thunderbird ESQ», monté comme le «Boom Boom» de John Lee Hooker, mais Mick Collins rajoute une énorme couche de génie suspensif. C’est l’un des hits du XXe siècle, à la fois simple et dévastateur. On pressentait à travers ce cut toute la grandeur des Gories et leur écrasante supériorité. Quand on écoute «Detroit Breakdown», on note que Peg bat sec. Elle bat tout droit comme Moe Tucker, elle ne se casse pas la tête. L’autre hit du disque est «You Make It Move», fuzzé jusqu’au croupion et battu à la ramasserie déconstructiviste. Mick yeah-yeah-yeahte à la Gloria et tire tout ça vers le tribal buté, vers le bombage de bulbe. Quel beat, Bob ! Curieusement, les cuts que chante Dan Kroha sont nettement moins présents. Il devrait laisser le micro à Mick. C’est Mick qu’on va voir sur scène. Mick is the real deal. Tous ceux qui ont vu les Dirtbombs le savent. Autre monstruosité : «Let Your Daddy Ride». Mick bricole des tortillettes invétérées sur sa guitare pendant que Dan maille le cut avec la précision d’un métronome. Et ça donne une ambiance menaçante d’attentisme garage, un fleuron de la perdition. C’est là que les Gories inventent le garage moderne. Comme disait William Reid dans une interview au NME, pour sortir un hit, il suffit simplement d’avoir un peu d’imagination. Et sur «Smashed» Mick chante comme l’ami Jimi, c’est exactement le même timbre, mais il se veut plus menaçant et plus incontrôlable. Les Gories inventent même le néant du garage avec la reprise du «Ghostrider» de Suicide. Ils bouclent cet album indécent de classe avec «View From Here», un garage carnivore qui s’auto-dévore. Celui-ci, personne à part Mick Collins n’aurait jamais pensé à l’inventer, d’où l’intérêt d’écouter les albums de Gories. Son garage cannibale échappe à Dieu et au diable, c’est une sorte de stade ultime du garage. D’ailleurs, le solo de Mick finit par s’égarer, complètement paumé.
C’est à Tim Warren que revint l’honneur de sortir le troisième album, «Outta Here». On y retrouvait tout ce qui nous avait chatouillé dans les deux premiers albums, ce trash detroitique trempé d’huile comme un vieux chiffon, qu’on retrouve dans «There But For The Grace Of God», le pire trash-garage qui se puisse imaginer, celui qu’on voit traîner au fond de la fosse à vidange avec des mégots et des vieux pansements. Mick tâte un peu de rockab avec son «Crawdad» - Hey crawdaddy ! - et «Stormy» préfigure les horreurs à venir de Blacktop. Il faut attendre la face B pour renouer avec le garage des damnés. Dan chante «Telepathic», mais le beat est tellement heavy que ça passe comme une lettre à la poste. Mick sauve cet album un peu plus faible que les précédents avec «Drowning», du pur trash trempé de désespoir - I’m drowning/ Somebody please/ Somebody save me/ Caus’ I’m drowning !
On a vu arriver récemment dans les bacs un album live des Gories enregistré en 1988 : «The Shaw Tapes». On y trouve quelques reprises du type «Leaving Here» (vieux coucou repris par les Birds et Motörhead, et que chante Dan, dommage) et «Real Cool Time» des Stooges (les hurlements de Dan ne cachent pas la misère). Comme le son est pourri, on doit se contenter de plâtrées de bouillie infâme, type «Sovereignty Flight», «Thunderbird ESQ» ou encore «I Think I Had It».
Les Gories jouaient au Cosmic Trip Festival de Bourges le deuxième soir, pris en sandwich entre les Movie Star Junkies et Big Boss Man. Comme d’habitude, pas de roadies pour les Gories. Mick et Dan viennent brancher les Stratos sur les Twin Reverb. Clic clac, direct. Ils ne passent pas une heure à exaspérer le public avec des petits réglages à la mormoille. Dan le pivert porte un T-shirt Flamin' Groovies et Mick l’un de ces T-shirts sac à patates dont il s’est fait une spécialité. Mick Collins ? L’anti-rock star - dans les apparences, mais rock star dans l’action - Peg vérifie la sonorisation de sa batterie minimaliste, un tom basse et une autre caisse. Rien au pied. Pas de cymbales à la mormoille. De toute façon, la mormoille n’intéresse pas les Gories. Ça ne peut pas les intéresser. Pourquoi ? Parce que. Peg joue tribal, elle n’a donc pas besoin de tout l’attirail. Dan porte le cheveu court et semble avoir rajeuni de vingt ans. Il paraît plus jeune qu’au temps béni des Demolition Doll Rods. Quant à Mick, c’est un énergumène toujours aussi haut et massif. Il ressemble encore un peu à un prof de gym d’université américaine et de plus en plus à un grand jazzman à l’ancienne, croisement de Monk et de Roland Kirk, à cause d’une barbe en jachère qui lui allonge le profil comme une presqu’île. Lorsqu’il part dans ses solos pétrificateurs de foules, sa tête est si mobile qu’elle devient un objet biscornu qui tournoie anarchiquement au sommet d’un buste renversé vers l’arrière. Mick Collins incarne le garage, de la même façon que Charlie Feathers incarnait l’esprit rockab.
Sur scène, les Gories ont toujours veillé à rester très spéciaux. Ils sonnent tout simplement comme un groupe qui ne répète pas. Les incidents techniques font même partie du set. Pendant une heure, Mick Collins a joué avec un court-cicuit dans sa prise de jack et ce bruit atrocement parasite qu’aucun guitariste n’aurait pu tolérer, il a su l’intégrer dans la purée de son trash-beat. Ce genre d’incident aurait même plutôt tendance à les amuser. Quand Mick se débranche et se rebranche pour tenter d’éradiquer la friture, Dan et Peg continuent à jouer, imperturbables, comme si de rien n’était. Chez les Gories, pas de breaks techniques à la mormoille, avec le technicien barbu qui ramène une guitare propre. N’importe quel autre groupe s’arrêterait. Certainement pas les Gories. Tu veux voir du garage, camarade ? Tiens en voilà ! Et tu as de la chance, car en plus t’auras pas mieux ailleurs, sauf peut-être chez les Monsters. Ici, on parle de purée de garage, de binaire dévoyé, d’explosions orgasmiques et de solos déliquants, oui ces solos qui échappent à toutes les lois et à toutes les normes et qui sont l’antithèse des endormeurs professionnels de type Clapton.
Les Gories ont un son qui ne peut pas intéresser les amateurs de préciosité et les coupeurs de cheveux en quatre. Mick Collins va au cœur du viscéral et c’est là que se situe son génie de garagiste. Quand il part en solo, il part physiquement. Son énorme carcasse vibre. On pense à Artaud ligoté sanglé sur un lit rodézien pendant les électro-chocs. On voit l’espèce de grosse cacahuète de son crâne tournoyer et arroser les alentours d’une pluie de gouttes se sueur. Il atteint une sorte de point de non-retour, un absolu de violence sonique qu’on croyait réservé à des gens comme Wayne Kramer ou Ron Asheton. C’est même encore pire puisqu’il transcende le vitriolique en claquant ses notes à coups rageurs de vibrato. On avait encore jamais vu une chose pareille. Dans une sorte de transe, il se rapproche de son Twin Reverb pour le défier. Comme l’ami Jimi, il continue de jouer ses notes au manche de la main gauche et lève son bras droit en l’air, comme s’il donnait le signal d’une charge de cavalerie. Puis il attrape la poignée de son ampli pour le secouer. Sur scène, Mick Collins est de plus en plus spectaculaire. On voit ses doigts immenses barrer le manche et bien sûr, on songe à Jimi Hendrix qui utilisait exactement la même technique de pincement de cordes, avec la même classe intrinsèque dans les cuisses et la même animalité de hanches. Mick Collins reste le blow fatal, la sauvagerie à deux pattes, l’archétype du trash, le wildman par excellence, le meilleur killer de sa génération, une bête qui n’en finira plus de nous fasciner. Avec ses lunettes à la Ray Charles, il passe Link Wray, Bo Didlley, John Lee Hooker, Thunderbird, Daddy Ride et tout le saint-frusquin trempé de sueur à la moulinette. Et il ne la ramène pas. Il s’en fout. Il joue. Thank you for bein’ there ! - Et il ajoute aussitôt - Thank you for staying !
Signé : Cazengler, le gorikiki
Cosmic Trip Festival. The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival. Bourges (18). 16 mai 2015.
Gories. Houserockin’. Crypt Records 1994
Gories. I Know You Fine But How You’re Doin’. Crypt Records 1994
Gories. Outta Here. Crypt Records 1992
Gories. The Shaw Tapes. Live In Detroit 5/27/88. Third Man Records 2013
LAGNY-SUR-MARNE - 15 / 05 / 2015
LOCAL DES LONERS
HOT CHICKENS
Quand on est monté dans la teuf-teuf mobile, direction les Loners, pour la soirée Hot Chickens l'on ne s'attendait guère à assister à une représentation du Dialogue des Carmélites sur une musique de Francis Poulenc. Avec ces satanés Poulets Frits venus du Nord l'on entrevoyait dans nos pensées les plus aventureusement rationnelles la soirée plutôt comme une joyeuse farandole style Dansons la Carmagnole. L'on était pourtant loin du compte. Parking pratiquement vide, même pas le tonneau habituel enflammé devant l'entrée du local, cinq ou six silhouettes devant la porte. Que se passait-il ? L'on n'allait pas tarder à le savoir.
J'éteignais le moteur de la teuf-teuf lorsque une voiture est venue se ranger à côté de la Teuf-Teuf. L'on aurait voulu le faire exprès que l'on n'y serait point arrivé, millimétrée à la fraction de seconde près, l'on a ouvert notre portière pour se retrouver face à face avec Billy et Nathalie rencontrés le samedi précédent au concert des Jallies la semaine précédente. Eclats de rire, salutations, embrassades, et puis c'est tout. Si, cinq heures plus tard, l'on est repartis après un dernier bisou, Billy et sa tribu vers Troyes et nous sur Provins.
Pour le reste, ce n'est pas la peine. D'abord vous ne me croirez pas, ensuite c'est inracontable et enfin ce moment s'est glissé dans une de ces failles temporelles dans laquelle la réalité se métamorphose en délire dionysiaque. Tout cela de la faute des Hot Chikens. Puisque vous insistez, je vais vous révéler l'innommable. Une demi-heure plus tard c'était le grand cirque. La barrique qui crachait un feu de tous les diables, des Harley par dizaines, des carrosseries rutilantes ( mais non, teuf-teuf chérie et préférée, de vulgaires boîtes de conserves aux couleurs criardes ) et une impressionnante armée de blousons de bikers et de rockers, à croire que l'on tournait la scène de l'Armée des Morts dans Le Seigneur des Anneaux 3. La salle ne tarderait pas être pleine comme un huître, me suis faufilé devant la scène.
ACTE 1
Très cool au début. Thierry Sellier s'en est venu le premier cajoler sa batterie, très vite suivi par Hervé Loison en veste rouge qui s'est tout de suite préoccupé de brancher sa contrebasse pivoine écarlate. N'en manquait plus qu'un. L'on a attendu pénardos, sages comme des images d'Epinal. Frémissement dans la foule. Pas d'affolement, mais l'on s'écarte précipitamment pour laisser passer le fauve. Parmi les blousons noirs l'on n'aperçoit qu'une haute stature de léopard qui se fraie son chemin. Pas de panique, ce n'est que Christophe Gillet enserré dans la magnifique étoffe de sa chemise au motif panthère-plus-rockabilly-que moi-tu-meurs qui rejoint ses acolytes.
Les Hot Chickens ! Christophe plaque trois accords, entre deux roulements de tambour Thierry fait naviguer ses deux baguettes entre ses doigts avec l'aisance d'une majorette accomplie et c'est parti pour le rock and roll. Deux Gene Vincent ( vous ne payez pas le premier, et vous emportez le second gratuitement ), deux Eddie Cochran, puis du Buddy Holly et du Little Richard avec entre les deux packs, deux titres des Chikens. C'est là que l'on a compris que les Chikens étaient particulièrement speed. Motorcycle quelque chose, un truc à vous faire passer le Born To Be Wild des Steppenwolf pour une berceuse hémiplégique. N'imaginez pas qu'Hervé se contente de gazouiller vroum-vroum sur un ruban d'asphalte, question harmonie imitative il est du genre mégaphonique, l'avale presque son micro et il en ressort une sirène de pétrolier en flammes qui fonce droit sur le rivage. Avec Sellier qui pousse les turbines à fond – l'on entend le martèlement fou des bielles - et Christophe qui lance les gilets de sauvetage à la mer pour être sûr que personne n'en réchappera, notre intime conviction est faite, il n'y aura pas de survivants.
Les Hot Chikens c'est un peu le poulailler en folie. Hervé ne trouve aucun perchoir à son goût. Les essaie tous en même temps, un pied sur la grosse caisse et l'autre dans l'échancrure de la contrebasse. Puis il s'accroche à sa big mama comme si elle était une danseuse de flamenco, finit par s'y vautrer dessus comme sur le divan du psychanalyste, la rejette par terre et décide de poser sa tête sur un des toms de la batterie. Thierry en profite pour varier les sonorités, un coup sur les drums et un second – comme si de rien n'y était - sur la tête du volatile effervescent. Le sang et la cervelle lui coulent par le trou des oreilles et se répandent sur le plancher, une aubaine pour ce guépard assoiffé de Christophe qui s'en vient lécher à coups de cordes râpeuses l'immonde flaque sanglante. Comme dirait Jean-Luc Godard, la phrase précédente n'est pas une image juste, c'est juste une image.
En plus il y manque le son. Ce qui est dommage, car les Chikens vous concassent le rock, vous le rendent à la fois convexe et concave, ce qui relève de la quadrature du cercle qu'ils réalisent parfaitement, un rock tordu de tous les côtés mais qui file droit devant sans demander son reste. Vince Taylor, Burnette, Chickens, passent tous à la moulinette, et ils vous les ressortent sous forme de gaufrettes. Détergentes et énergétiques. Comme je suis sympa, je vous donne la recette. Sont trois qui jouent ensemble, mais chacun dans son délire. Donc vous préparez trois cocotes-minute car c'est bien connu les Chikens apprécient particulièrement les cocotes. Feu violent sous les trois.
Dans la première vous épluchez un kit de batterie, vous faites cuire à toute vapeur, pas besoin de rajouter ail ou épices, un Sellier suffit. Attention aux clapotis, c'est comme le homard ça se cuit vivant et ça remue méchant, tenez bon le couvercle par dessus, la bestiole va y frapper dessus durant des heures. Infatigable, connaît toutes les ruses, essaiera peut-être de vous apitoyer avec le toc-toc-toc du Petit Chaperon Rouge, ne lui ouvrez-pas car il se transformera en loup et c'est vous qui lui servirez de repas. Le Sellier est un animal redoutable. Tous ses coups sont mortels.
Dans la deuxième marmite vous mijotez un Gillet. C'est un félin peu commode. Normalement ça se prépare comme un gigot d'agneau. Le plus dur c'est de le ficeler selon les règles de l'art. Six cordes, pas une de plus. Ne se laisse jamais faire, en avez-vous immobilisé cinq qu'il tire sur la sixième, retient les autres avec ses doigts nerveux pour montrer combien il n'est pas d'accord, - employez le terme idoine : ne dites pas il n'arrête pas de bouger, dites il jamesburtonise à la perfection. L'on n'amadoue pas un Gillet même s'il est doué d'un esprit taquin. Les meilleurs cuistots finissent par jouer et sauter à la corde avec lui. Comme quand ils étaient mômes durant les récréations. C'est un jeu auquel il gagne toujours. Passe le cordon derrière vous et vous étrangle.
Dernière casserole. Avant toutes choses, procurez-vous un Loison. C'est un volatile particulièrement malfaisant. Il est inutile d'essayer de lui mettre du sel sur la queue car il se laisse attraper relativement facilement. Le Loison ne cuit qu'à gros flocons. C'est au moment de l'ébullition que la situation se complique. Le Loison sentant qu'il va mourir lance son chant du cygne. Les connaisseurs en apprécient la suavité rockandrollienne, les néophytes s'en lassent vite, c'est que le Loison chante durant des heures. Les rares marmitons qui ont survécu à la cuisson d'un Loison racontent que son chant harmonieux est un piège terrible. EN mélomanes charmés vous perdez toute prudence, et c'est alors qu'il se jette sur vous avec des grognements de rock and porc affamé. Sur ce, après ces doctes conseils culinaires, nous nous permettons de vous souhaiter bon appétit.
Grosse crise de délirium sur scène. Mister Loison joue de la contrebasse les pieds en haut et la tête en bas. Se roule par terre, imite le poirier, pousse des grognements de verrat conduit à l'abattoir. Christophe Gillet est victime d'un étrange dédoublement de personnalité, parfois il lève la jambe droite très haut comme une danseuse classique sur le plateau de l'Opéra Garnier, parfois il file de méchants coups de savates tel Bruce Lee dans la Fureur du Dragon. Thierry Sellier n'arrête pas de rouler les mécaniques sur son kit drumique, du genre le prochain stoppeur sur le bord de la route, on l'écrase pour laver le pare-brise avec son sang. Dans la salle c'est la tension artérielle qui monte.
Stop : moment de recueillement. Hommage à B. B. King. Ne faites pas cette figure d'enterrement. Pensez à la New Orleans, les obsèques s'y déroulaient sous forme de grands moments festifs. On y dansait, on y chantait, on y fanfarait à foison. Everyday I have the blues, mais pas ce soir, le mojo s'est emparé des Hot Chikens. Hervé sort son harmonica, l'enfourne dans sa bouche, le ravale, le suce comme un sucre, le recrache comme un piment rouge, mais il a de l'appétit puisque c'est au tour du micro de subir le même traitement. Dans la salle ce n'est pas vraiment le blues qui domine, l'on donne dans la transe chamanique et la possession vaudou. Encore deux ou trois morceaux et les Hot décrètent qu'il est temps de se rafraîchir le gosier. Tout le monde consent car ils promettent de revenir.
ACTE 2
Pour beaucoup l'Acte 1 serait le concert de l'année. Celui qu'ils raconteront à leurs petits enfants qui ne les croiront pas – le pépé il débloque chaque fois qu'il parle de rock. Oui mais l'Acte 2 va pulvériser cette croyance. Encore une fois, le début est très cool, Thierry Sellier assis derrière sa batterie, devait ressembler à cela lors de la photo scolaire pour sa maman. Se penche en avant et extrait d'on ne sait trop où une petite boîte imitation peau de léopard ( le diable se cache dans les détails, ne l'oubliez pas ). L'en tire une magnifique paire de lunettes de soleil – nettement plus classe que les hublots noirs de de Ray Charles – désormais il ressemble à un acteur américain ! De série Z.
Un peu de Burnette pour remettre les idées en place, et c'est parti pour le grand safari à Jurassic Park. Les Hot sont brûlants, en grande forme. En forme de quoi, me demanderez-vous ? Difficile à définir. Quelque chose qui doit ressembler à la onzième plaie d'Egypte que dans sa colère le Seigneur avait omis d'utiliser, et que les Hot Chickens ont dû récupérer sur un stand de brocante. Une espèce de bacille qui vous coagule le cerveau et vous fait accéder à des états de conscience interdits. Les Hot ne sont plus qu'une machine à rythme haletante et spasmodique qui fonce dans la nuit. Et l'on suit derrière tels des renards glapissants. Et devant Loison essaie de percer le plafond bétonné à grands coups de cul de contrebasse... Se lancent dans un deuxième hommage à B. B. ( pas fricotin ) le King de la guitare, et Christophe Gillet se plantera par deux fois sur le rebord de la scène, et nous montrera non pas tout ce qu'il sait faire – l'a de réserve – mais ce que nous, nous ne savons pas réaliser. Sa Lucile miaule bien plus férocement que celle des Stray Cats, à chaque note l'on dirait qu'il vous arrache une dent, la lance devant lui, n'a pas le temps de retomber qu'il jette déjà la suivante, et encore, et encore, et encore... acclamations sans fin...
Hervé Loison, a enlevé sa chemise, se traîne par terre comme un gamin qui ne veut pas sortir de sous la table. C'est qu'il a un grand projet : veut sauver notre âme. Il y a du travail, mais il ne renâclera pas à la tache. S'y donne à fond. L'a foi en ses brothers et ses sisters rock. Semble avoir une légère préférence pour celles-ci. L'est vrai que depuis qu'il arbore la nudité de son torse musclé, elles se sont précipitées sur le devant de l'estrade et lèvent les bras vers lui aussi implorantes que les suppliantes d'Eschyle. Et voici qu'il leur tend la main et les fait monter sur scène, parvient à en caser dix sur la minuscule plate-forme. C'est donc cela, les Hot Chickens ? Un piège a filles ! Quelle triste moralité ! Mais non, ce n'était qu'une ruse, ce dont il a besoin, ce sont des hommes, de gaillards solides aux biscotos de fer et pas de fragiles péronnelles, en voici tout un groupe massé devant lui. Et Loison, fait le saut de l'ange et la cohorte de blousons lui fait visiter les locaux, tandis que Christophe et Thierry, troisiémés par un volontaire tout heureux qui a d'office été appelé pour tenir la contrebasse, mènent un boucan d'enfer.
Coucou, le revoilou. Save Your Soul ! Et la salle reprend ! Dix fois, vingt fois, cent fois, Thierry saccade le rythme, Christophe tape sur ses cordes, Hervé noircit sa voix, Mister James Brown est avec nous. Save Your Soul ! Deux cents fois, trois cents fois, le rock retrouve ses radicelles noires, transportés par la transe et la féroce psalmodie des répétitions, un dimanche après-midi, au coeur d'une plantation près de Clarksdale. Ferveur religieuse des negro-spirituals d'antan... Nous aurions pu être tous sauvés, hélas chassez le naturel et le grand Cornu rapplique au galop. Mes très chers frères le Mal nichonne dans le corps endiablé des gentes demoiselles. Et comme il y en a une dizaine qui shakent et rattlent and rollent avec frénésie sur le piédestal... notamment Nikky la panthère dans son fourreau de soie, à qui Hervé fourre sa basse entre les mains, lui pose les doigts sur les cordes et elle se débrouille mieux que bien pour une première fois. D'ailleurs à la plus légère hésitation, l'on se précipite pour lui venir en aide... Loison se repaie une visite des locaux, manière de vérifier si c'est toujours aussi bien de voler de ses propres ailes sur les bras ascendants des spectateurs. Quand il revient, je préfère ne pas vous dire. Sachez toutefois que l'on est passé pas très loin de l'orgie romaine et des antiques saturnales...
RETOUR
Dans la voiture Mister B ne tarit pas d'éloges sur Christophe Gillet et Thierry Sellier qu'il traite de sacrés musiciens. Entre mecs, on parle technique et feeling, Mister B épluche les deux sets, l'explique que derrière le délire, Loison et son gang cachent une superbe connaissance de l'histoire du rockabilly, et que... c'est à ce moment que la copine intervient, ô Jake Calypso – l'a pas encore compris la différence entre les Chickens et Jake – qu'est-ce qu'il est beau, quelle énergie, quelle classe, je l'adore ! ... L'est pas prête d'y retourner la prochaine fois.
Damie Chad.
( Superbes photos prises sur FB de Marcel Marcello )
TROYES - 16 / 05 / 2015
MIDWAY SHOOTER BAR
EARL & THE OVERTONES
Depuis le temps que nous entendons parler du Midway, l'occasion était trop bonne. Les Overtones, french groupe mythique des nineties – à l'époque, dixit Mister B, n'étaient pas très nombreux, et c'était une référence – viennent de se reformer et commencent à tourner dans la région. Un petit moment qu'on les a dans le collimateur et que l'on cherchait l'occasion – celle qui fait les larrons – de les voir de près. Donc nous voici à Troyes, face au Midway. Très simple pour le trouver, rue parallèle aux 3 B, avec évidemment dans l'embrasure de la porte, devinez qui ? Pile ! vous avez trouvé, Billy et Isabelle. Il n'y a pas de hasard, rien que des rencontres.
Le comptoir est au fond, l'orchestre bénéficie d'un assez vaste espace sur la gauche, un coin Deejay à droite juste en face, une avant-salle par-devant avec tables basses et banquettes profondes. Déco western, rebel rock, and rock'n'roll. Petits prix et grosses portions pour la restauration rapide.
PREMIERE PARTIE
Grand, guitare rythmique en bandoulière, Earl possède la classe innée. Ne reste pas en place. Transporte son micro avec lui. Des mouvements de félins qui ne laissent pas indifférents. Se fige brusquement, la gratte à la main, puis revient au micro qu'il domine de toute sa hauteur. Freddy est à la guitare. Perpétuels regards lancés à David derrière ses futs. Micka est à la basse, solitaire, comme détaché du groupe. L'on nous avait promis du white rock hyper électrique et nous avons droit à du Bison Bop, du country rock teinté de rockabilly si vous préférez. Sympa, mais pas exaltant. Les vaches qui batifolent dans les près clôturés si vous voulez, mais perso je préfère quand les Comanches brûlent les fermes, abattent le bétail et poursuivent la diligence. C'est la fatalité qui va clore cet épisode, Freddy casse une corde et le temps qu'il opère le changement l'on migre sur la terrasse. Earl nous rejoint et bougonne qu'il ne peut pas passer son temps à refaire Blue Suede Shoes.
DEUXIEME PARTIE
Bye bye les pâturages. La rumeur avait raison. Le set se white rockise à chaque morceau. Earl ne pioche pas dans la vitrine, file au fond du magasin dénicher des raretés sur Starday ou Decca, ces singles fabuleux que plus personne ne connaît. Enfin presque. L'on sent que depuis qu'il a quitté les Burning Dust, Earl a beaucoup écouté et farfouillé dans les mines d'or abandonnées du rockabilly, l'en ramène quelques lourdes pépites. Le tout c'est de les faire passer sans désarçonner le public. C'est pourtant facile. Je me comprends. Il suffit de s'y mettre et chaque fois que le combo se lance c'est parfait. Earl a tout ce qu'il faut, des déhanchements tayloriens, des jeux de micros très vincenal, et surtout cette souplesse elvisienne époustouflante. Le geste sûr et précis. Cette aisance, cette maîtrise et cette adéquation parfaite entre l'immobilité du corps et l'arrêt du chant. Et les trois shérifs derrière qui stoppent leur monture en plein galop, au moment où l'on s'y attend le moins. Et qui repartent à fond de train, six dixième de secondes plus tard. Reste tout de même un défaut. Trop de temps mort entre les titres, ces allées et venues, ces tournoiements à grandes enjambées, comme si Earl se parlait à lui-même, une espèce d'hésitante inquiétude, une transposition d'angoisse pratiquement métaphysique, et la machine repart, superbe, racée, jusqu'au prochain arrêt. Mais le guignon s'acharne sur Freddy qui casse une deuxième corde...
TROISIEME MOMENT
Un peu plus hargneux. Earl se lâche et Freddy commence à se laisser aller à ses plus mauvais démons ( ce sont les meilleurs ). N'a pas écouté que Cliff Gallup, le Freddy peut s'aventurer où il veut, dans le heavy-metal comme dans le garage. Etrange mélange que cette obsession nostalgique d'une pureté rockabilesque perdue d'Earl et ce flirt très poussé de Freddy avec les dérives impures du rock and roll. Difficile de faire avancer un train sur des rails qui s'écartent sur la ligne d'horizon, mais se se rejoignent tous les deux sur la ligne de fuite du white rock des ados boutonneux des surfin' USA. Le Cindy Lou de Johnny Fay brandi comme un drapeau sur la ligne d'arrivée d'une course de hot rods. La voiture bleue carbure à l'énergie rockab et la rouge à la fureur électrique. Partent ensemble et arrivent ensemble. C'est la voix d'Earl qui cornaque la manœuvre. Bye-bye la tyrolienne, pas le temps d'étirer les sonorités, Earl avale la première syllabe des mots et bouffe la dernière, ce qui reste il le jette très vite, à peine sorti, déjà oublié, le chant comme une urgence. Et toujours ces postures lapidaires de toute beauté. Earl nous avertit qu'ils n'iront pas plus loin, mais comme tout le monde en redemande, ils resservent la soupe avec une telle abondance qu'ils reviennent aux premiers morceaux du répertoire...
QUATRIEME MOMENT
Un dernier verre sur la terrasse, l'on échange déjà les poignées de mains du départ, lorsque Earl revient sur ses déclarations finales. L'on va vous en faire quatre autres. ( Vous multipliez par quatre. ). L'a-t-il senti qu'il manquait quelque chose, une espèce de déséquilibre dans le répertoire ? Et vlan, liste pionniers à tout berzingue, tous ces classiques auxquels il avait juré de ne plus toucher : That's All Right Mama, Jerry Lou, et toute la sainte famille. Bizarrement la salle se remplit de jeunes gens peignés à la mode fifties et l'ambiance exulte. Echange humoristique avec le public dont les intervenants n'ont pas la langue dans la poche, ce qui tombe bien car Earl a la répartie facile. Ça pétille de rire, de malice, et de complicité. A la bonne franquette du rock and roll. Finissent exsangues mais heureux parmi les rires et les applaudissements. Earl and the Overtones, un groupe qui monte en puissance.
Damie Chad.
( Photos concert prises sur le FB Earl & the Overtones correspondent au concert donné au Club 931 de Chavin que nous saluons )
LADY IN SATIN
BILLIE HOLIDAY
PORTRAIT D'UNE DIVA PAR SES INTIMES
JULIA BLACKBURN
( RIVAGE ROUGE / Mars 2015 )
2015, c'est le centenaire de la naissance de Billie Holiday, on s'agite un peu autour du cadavre, réédition avec les outakes de son avant-dernier disque Lady In Satin et Rivage Rouge en profite pour titrer sa traduction de With Billie de Julia Blackburn, comme par hasard : Lady In Satin. Saint Marketing, priez pour nous ! Pour Billie ce n'est pas la peine. De toutes les façons, sûr de sûr qu'elle est en enfer !
LE FANTÔME DE LINDA KUEHL
Billie est morte en 1959, c'est en 1970 qu'une jeune journaliste amatrice de jazz décide de rassembler un maximum d'éléments – photos, disques, objets divers, papiers officiels et interviews - dans le but d'écrire par la suite une biographie de Billie. Linda Kuehl amasse un véritable trésor, cent cinquante entretiens avec des personnes qui ont côtoyé de près et même intimement Billie, amis, parents, amants, mari, musiciens, producteurs, policiers... Etrange personnalité que celle de Linda, l'est certain qu'au travers de Billie c'est elle-même qu'elle recherche. Mais cette entrée dans un monde chronologiquement proche mais en quelque sorte disparu après la tornade des sixties se révèlera très déstabilisante... En janvier 1977 après avoir assisté à un concert de Count Basie, elle monte dans sa chambre, rédige une lettre annonçant son suicide, s'assoit sur le rebord de la fenêtre et se lance dans le vide depuis le troisième étage... Difficile d'expliquer les motifs de cet acte qui n'appartiennent qu'à elle. Je ne pense pas qu'ils soient principalement dus à sa difficulté à transcrire et à mettre en forme les centaines d'heures de K7 réalisées, ni au fait que la dernière éditrice pressentie ne voyant venir rien de concret au bout de plusieurs années lui ait signifié qu'elle se retirait du projet... Plutôt à une insatisfaction profonde dont il faudrait rechercher les implications entre les composantes existentielles des morsures du sexe, de l'intellect et des paradis artificiels. Chair, esprit et rêve, trois chevaux fous qui emmêlent un peu trop souvent les rênes de l'attelage... Exit Linda Kuehl.
JULIA BLACKBURN
C'est en 2005 que parut le livre de Julia Blackburn consacré à Billie Holiday. Née en 1948, écrivain, intéressée par la manière dont chacun – anonymes ou célébrités – fait face à ses propres problèmes, elle a notamment écrit deux biographies sur Napoléon le titan déchu et Goya enfoncé dans sa surdité... Ayant eu accès à la somme de documents réunis par Linda Kuelh, elle a tenté de rédiger à partir de leur contenu une biographie des plus classiques de Billie Holiday. Mais elle s'est retrouvée face aux difficultés qu'avait déjà affrontées Linda Kuehl. Les serpents vivants ne se laissent pas découper en tranches aussi facilement qu'une bûche de Noël. Chacun des témoignages recueillis est une entité en soi. Ne rentrent pas dans les cases. Alors elle a opté pour la seule solution qui s'imposait : les donner tels quels, les uns à la suite des autres.
Petits bémols, ne donne qu'une grosse trentaine des cent cinquante interviews, la plupart résumés. L'accès aux véritables paroles prononcées ne nous est que trop rarement accordé. Nous explique que les conversations sont remplies de redites et de contradictions ( qu'elle signale dans les notes ) et que leur transcription est pénible à lire. Les régimes sans sel et sans sucre sont bons pour la santé mais ce qui donne le goût à la nourriture ce sont bien le sel et le sucre... Espérons qu'un jour l'intégralité des documents sera mis en ligne sur le net. Chacun aura alors la possibilité de se faire sa propre idée. Toutefois, tel qu'il est, le livre est une merveille.
UNE MERVEILLE
Qui n'est pas sans défauts inhérents à sa constitution. Ceux qui ne connaissent rien de Billie Holiday auront peut-être intérêt à lire une vie de la chanteuse car l'ouvrage souffre d'un manque cruel, donne la parole à ceux qui ont connu la chanteuse inconnue et à ceux qui ont rencontré la star, mais aucun des intervenants ne revient sur les moments où la chrysalide ignorée est devenue aux yeux de tous le papillon multicolore. Brutale transition, il suffit de tourner une page pour que le statut de Billie se soit métamorphosé. Certains répliqueront qu'ils ont déjà tout ce qu'il faut à la maison puisque depuis longtemps Lady Sings The Blues trône dans leur bibliothèque sur le rayon de leurs livres préférés. Pour le moment nous nous contenterons de rappeler que Billie n'aimait guère son autobiographie...
Le book est une descente prodigieuse aux joyeux temps de la ségrégation, de la prohibition, et du maccarthysme. Les interlocuteurs de Linda ne sont pas des anges, ne sont pas tout blancs et sont pour la plupart recouverts d'étranges zones de noirceurs. N'ont pas toujours été réglos avec Billie, ou avec d'autres, réécrivent l'histoire à leur façon, la mémoire leur fait défaut, comme chacun de nous ils possèdent quelques cadavres dans leur placard, sont convaincus que tout ce qu'ils pourront dire pourra être retenu à leur encontre... mais malgré tous ces atermoiements possibles, de la première à la dernière ligne l'ensemble pue l'authenticité. Moins le parfum des roses satinées que les fragrances des égouts qui débordent. Et puis il y a Linda, avec son charme et sa féminité qui ne laissent pas les hommes insensibles.
MISERE NOIRE
Si Billie avait été la seule petite fille noire à connaître la misère, cela aurait été regrettable mais pas dramatique. Mais Billie n'est qu'une pièce du puzzle. C'est tout le peuple noir qui est rejeté dans les marges de la société blanche. Pour chacun, un seul impératif : s'en sortir coûte que coûte. Quel que soit le moyen employé. Le travail très rare et excessivement mal payé, la débrouille, les combines, les trafics en tout genre, le vol, le banditisme, le crime, la prostitution, et autres frivolités du même acabit. La communauté noire est un panier de crabes. Les blancs sont inatteignables, détiennent la force, les règles du jeu et les cordons de la bourse. Le noir s'attaque d'abord aux noirs. L'entraide, la pitié, la solidarité, sont de belles idées mais avant de prendre soin des autres l'on pense d'abord à soi. N'y voyez ni bien, ni mal : ce sont-là des notions de deuxième nécessité.
A la misère sociale s'ajoute l'indigence affective que l'on rencontre aussi dans le quart-monde blanc – voir le récit de dans White Trash Blues de Ron Hacker in KR'TNT 234 du 16 / 04 / 15 – Sadie la mère de la petite Eleanor n'a pas une fibre maternelle très développée, sa fille lui sera toute sa vie un fardeau même lorsque l'enfant prodige pourvoira à ses besoins. Le père, joueur de banjo, Clarence Holiday, disparaît très vite, plus tard lorsqu'elle le retrouvera, ils s'entendront bien ensemble. Professent la même philosophie hédoniste de la vie... Sera en partie élevée par une grand-mère éloignée à Baltimore. C'est dans le nord, mais la cité est profondément raciste, les dernières émeutes noires survenues en avril 2015 témoignent encore d'une mentalité blanche très rétrograde.
FILLE ET FEMME
Violée à onze ans par un voisin, prostituée à quinze ans. Dans le bordel où travaille sa mère. Un parcours sans faute. De quoi vous étendre sur le divan d'un psychanalyste jusqu'à la fin de votre vie. Genre de plaisanterie que seuls se permettent les riches. Les évènements dépendent de l'importance qu'on leur accorde. Rien que de très normal dans le milieu où elle vit. Pour Billie c'est clair : elle a davantage de choses en tête que dans le cul. Il est inutile de s'arrêter aux petits détails de l'existence. Commence à chanter dans les bars. Une manière plus agréable de se faire de l'argent de poche. Nous sommes en 1930.
Billie grandit et apprend la vie facile, les bars, l'alcool, l'herbe, les pourboires... tapine un peu, c'est elle qui choisit, plutôt des gus qui lui plaisent et avec des dollars plein les poches, autant joindre l'utile à l'agréable. Les goûts de Billie s'affirment, ne fait pas la fine bouche devant une copine mais ce qu'elle préfère, ceux sur qui elle jettera son dévolu, la gloire venue, ce sont les hommes, les vrais, les durs, les mecs, les macs, ceux qui préfèrent vous filer un oeil au beurre noir que vous offrir une rose. Ou alors uniquement les épines. Un peu, beaucoup, passionnément maso, Billie.
LADY DAY
La célébrité arrive à partir de 1933, elle enregistre et chante avec Benny Goodman, Lester Young, Duke Ellington, Count Basie, Artie Show... le livre ne s'attarde guère sur l'aspect musical, s'intéresse plutôt aux rapports de Billie avec ses propres musiciens. C'est elle la patronne, une duchesse, tout le monde lui obéit, parce qu'elle le veut, parce que c'est Elle. Ne joue pas à la vierge effarouchée, se dénude entièrement dans les coulisses sans qu'aucun ne lui manque de respect. Pas bégueule, et généreuse. Donne de l'argent, offre des tournées gratuites, ne tient pas ses comptes, dépense sans compter... Une artiste accomplie.
STRANGE FRUIT
Les clubs de New York se l'arrachent. L'avenir s'annonce paisible et serein. Mais si Billie s'amuse beaucoup, elle n'en jette pas moins un regard aigu sur la société dans laquelle elle évolue, blanche et raciste. Elle refuse le privilège dû à sa célébrité de dormir dans un hôtel réservé aux blancs si l'on n'accepte pas ses musiciens, elle insulte ceux qui la traitent de négresse, les frappe, les chasse, leur jette son verre à la figure, n'hésite pas à les menacer de les égorger, geste à l'appui, une bouteille brisée à la main... Elle sait se faire respecter. Elle est la première noire, le premier noir, à ne pas baisser les yeux, à revendiquer sa négritude sans mot d'excuse... Par sa violence, par son intransigeance, elle préfigure davantage les Black Panthers que Martin Luther King.
Courageuse. Tous ses proches lui conseillent de ne pas enregistrer Strange Fruit, cet hymne qui dénonce ( très poétiquement ) le lynchage ne pourrait lui attirer que des ennuis. Nous sommes en 1939, et jusqu'à la fin de sa vie Billie inclura systématiquement le morceau dans tous ses tours de chant, dans tous ses concerts. Elle le paiera très cher.
FBI
Jusqu'à Strange Fruit en 1939, Billie n'est qu'une artiste. Les autorités surveillent, mais laissent faire. L'est vrai que ces nègres qui chantent et jouent cette musique d'entertainment qu'est le jazz se débrouillent pas mal pour des singes savants. Autour des cabarets l'argent coule à flots. Il graisse bien des mains et ferme bien les yeux. L'alcool, la drogue, la prostitution qui gravitent autour sont une économie parallèle qui enrichit beaucoup de monde. L'on daigne supporter cette musique de sauvage qui semble être l'ingrédient essentiel nécessaire à la confection de la potion magique.
Mais avec Strange Fruit, Billie Holiday change de registre. On ne la range plus parmi les amuseurs publics. Elle devient une activiste. Aujourd'hui on la taxerait de terroriste. La police s'intéresse désormais à elle. Puisque l'on ne peut pas l'assassiner – cela provoquerait trop de scandale – l'on appliquera la méthode lente. L'on attendra même plusieurs années avant de resserrer la nasse...
Suite à une perquisition des plus douteuses qui permet de découvrir des stupéfiants dans sa chambre d'hôtel, on lui retire sa carte de travail, celle qui lui permet de chanter dans les clubs de New York qui constituent l'essentiel de son gagne-pain. Mal défendue, elle sera en 1947 condamnée à un an de prison... Avec la bénédiction de J. Edgar Hoover, le patron très controversé du FBI...
LES DIX DERNIERES ANNEES
Ne pouvant exercer à New York, Billie s'épuise dans d'interminables tournées au travers des USA... Fatigues, dépressions, Billie devient accro à l'héroïne, sans dédaigner la cocaïne et le LSD... Les hippies n'ont décidément rien inventé... Ses amants ne sont pas de la meilleure fréquentation, les milieux jazz et la pègre entretiennent d'étranges relations de voisinage : les uns gagnent de l'argent, les autres fournissent des produits... La police ne la lâche pas d'une semelle. Sans cesse dans le collimateur. Elle donnera beaucoup de monnaie pour éviter le pire... Bientôt il ne lui restera plus rien. Les contrats se font rares, les campagnes de presse salissent son image, lorsqu'elle publiera son autobiographie en 1956, le livre sera expurgé de nombreuses pages, les anciens amis dont elle évoque en toute franchise le souvenir s'empressent de demander – au vu du manuscrit obligeamment fourni par l'éditeur – la suppression de nombreux passages sous peine de futures poursuites. La Lady a intérêt a chanté un blues d'un bleu très pâlichon...
L'enregistre encore quelques merveilles, donne aussi quelques concerts somptueux, mais le coeur n'y est plus. Bouffie, grossie, en manque perpétuel, le corps déglingué par ses multiples excès, elle n'est plus la grande Dame qu'elle fut... Lorsqu'elle s'effondre et qu'elle est admise à l'hôpital, la police envoie un de ses « amis » lui rendre visite et déposer très discrètement quelques grammes d'héroïne sous son oreiller... Elle aura l'honneur d'agoniser et de mourir avec un policier en faction devant la porte de sa chambre.
A LIRE
Je ne vous ai présenté que le squelette du livre. Faut entendre les voix qui racontent les fragments de la vie de Billie, ceux - assez rares - qui l'ont aimée et tenté de la protéger, ceux qui l'ont admirée sans mot dire, et ceux qui ont profité d'elle sans pitié ni regrets, ni remords. Une belle leçon d'humanité !
Billie n'y apparaît pas comme une blanche colombe innocente. D'ailleurs elle aurait détesté cela. L'on devine une personnalité entière, une forte individualité, très sûre d'elle-même, qui ne regrette rien, qui assume ses errements, ses choix. N'en fait qu'à sa tête et ne rejette les fautes sur personne. Un exemple pour les rockers.
Damie Chad.
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