27/05/2015
KR'TNT ! ¤ 237. B.B. KING /SPUNYBOYS / RIVALS / SCOTTSBORO BOYS / MORT DE TINTAGILES /ERVIN TRAVIS NEWS
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
LIVRAISON 237
A ROCK LIT PR ODUCTION
28 / 05 / 2015
B. B. KING / SPUNYBOYS / RIVALS / SCOTTSBORO BOYS / LA MORT DE TINTAGILES / ERVIN TRAVIS NEWS |
ERVIN TRAVIS NEWS ( Un simple petit extrait du FB : Lyme – Solidarité Ervin Travis ) ) Alain Maury : Salut bon courage et une question.... vous en êtes où financièrement parlant, y a t il toujours des dons car nous ne voyons plus d' infos à ce sujet. Lyme - Solidarité Ervin Travis : çà va çà vient avec des dons des achats de cd de livres et de disques ... et des ventes persos que nous déposons sur le compte. Prochainement un enregistrement studio de notre duo "Betises Boop" avec ma fille et le cd sera mis en vente pour l'assoc. à 15 euros Nous allons en avoir besoin pour les prochaines analyses en Allemagne et ensuite le Rdv à la clinique ainsi que le traitement non remboursé en partie qu'il suit actuellement ... Merci Alain ! Bises de nous deux. Evelyne. |
LA VALLEE DES ROIS : B. B. 1er
Part One
— T’as vu ? B.B. King il est mort...
— Ouais, ils en ont parlé aux infos...
— Ça m’en a foutu un coup... C’est raide, hein ?
— Putain c’est dur...
— Ce matin, au café, je me suis mis «Everyday I Have The Blues».
— Ouais, moi j’ai ouvert le magasin avec «Singin’ The Blues» sur Crown...
— Super ! Où qu’il est ?
— Il n’est pas à vendre. Première presse de 57. T’as pas les moyens, Bernard.
— Ah ben zut.
Agacé par ce qu’il entendait, un voyageur en transit ajouta :
— Il est mort pour de vrai ? Ouf ! Bon débarras ! Place aux jeunes !
Ce qui ne manqua de plomber l’ambiance. La scène se déroulait chez un petit disquaire de province.
Deux jours plus tard au bar du Régalia, en face du pont Mirabeau.
— Bien content de te revoir, Guillaume... Cela fait une éternité...
— Oh oui, notre dernière rencontre remonte à la nuit des temps... N’étions-nous pas en compagnie de Moreas aux Halles ?
— Ah quelle nuit ! Toi qui baffrais comme un régiment de hussards et le menton de Moreas qui bleuissait sous le fard, au petit matin. Alors dis-moi Guillaume, qu’est-ce qui t’amène de ce côté-ci de la Seine ?
— Cher ami, me voilà bien enquiquiné. Le directeur du journal me demande de lui pondre pour ce soir un hommage à B.B. King dont on vient d’apprendre le décès. Or, je ne sais que fort peu de choses de ce pauvre homme. Me voilà donc coincé entre le marteau et l’enclume. D’un côté, je n’ai pas les moyens de refuser une commande, fût-elle digne de la rubrique des chiens écrasés comme c’est ici le cas, et de l’autre, l’intégrité morale qui me régit m’impose de ne pas saloper la besogne. Puisque je ne suis pas aussi bien informé des talents de ce pauvre monsieur King que de ceux de mon ami Pablo, je dois solliciter la bienveillance d’une âme charitable. En outre, je n’ai ni le temps ni la patience d’écouter tous les disques que ce pauvre monsieur King a pu enregistrer en 88 ans de carrière. Accepterais-tu d’éclairer ma pauvre vieille lanterne ? Le journal m’octroie une colonne en dernière page. J’aimerais brosser un portrait léger, une sorte de médaillon, dans l’esprit de celui que je fis voici quelques années en mémoire d’Alfred Jarry.
— Je crains cher Guillaume que la tâche ne s’avère épineuse. À la différence de celle de Jarry, la personnalité de B.B. King ne présente quasiment pas de relief. B.B. King n’est pas un provocateur mais au contraire, un musicien noir en quête de reconnaissance. Oh tu me diras que Jarry le fut aussi, d’une certaine façon, mais B.B. King ne sifflait pas d’absinthe et ne tirait pas des coups de pistolet dans des miroirs de brasseries. Tu vas devoir trouver un angle plus... américain. L’histoire habituelle, celle d’un négrillon né sur une plantation de coton du Mississippi dans les années 20. Mais avant d’entrer dans le détail, permets-moi de t’offrir un verre.
— Excellente initiative, compère. Un mandarin !
— Garçon ! Deux mandarins, s’il vous plaît ! Bon, revenons à nos moutons. Pour simplifier, nous dirons que les blancs d’Amérique considèrent B.B. King comme un bon nègre puisqu’il est le bluesman qui a reçu le plus d’hommages officiels, me semble-t-il. Je te dis cela pour situer le personnage, mais il n’est pas utile de le répéter dans ton oraison funèbre. L’objet n’est pas de ternir sa réputation. Par contre, tes lecteurs doivent savoir qu’il a entamé sa carrière chez Sam Phillips, en même temps qu’Howlin’ Wolf et Ike Turner. Tu vois, en 1949, le jeune B.B forgeait déjà son destin en fréquentant la crème de la crème. Il traînait aussi avec le vénérable Bukka White. Pour l’anecdote, sache que Bukka, Ike et Wolf frisaient la délinquance. Pas B.B.
— Que veux-tu dire ?
— Ike s’offrait les faveurs de femmes blanches, ce qui à cette époque était puni de mort par le KKK. De leur côté, Bukka et Wolf eurent maille à partir avec la justice expéditive des États du Sud, suite à des altercations qui ont mal tourné.
— Alors comment ce pauvre monsieur King a-t-il réussi à se tailler une telle réputation ?
— Grâce à son talent, bien sûr, et à son endurance. Il s’inspirait de T-Bone Walker et jouait le blues électrique classique. Pour simplifier, disons qu’il sut développer un style basé sur le toucher de notes. Mais tu le sais bien, il n’y a pas de hasard en matière d’art. Seul un grand artiste peut atteindre une telle renommée. Pour apprécier l’immense talent de B.B. King, il suffit d’écouter «Live At The Regal». J’avais acheté cet album en 68, à l’époque où sortaient tous ces fringants albums de British Blues, ceux de Fleetwood Mac, des Chicken Shacks ou des Bluesbreakers.
— Mais pourquoi as-tu acheté ce fameux album ?
— Tout simplement parce que le disquaire, un nommé Buis, me le recommandait avec insistance. Et il ne se trompait pas. Cet album extraverti te plairait, je n’en doute pas un seul instant. Il s’agit en fait d’un concert enregistré en 1964 dans un club de Chicago qui s’appelle le Regal. Dès la première note de «Everyday (I Have The Blues)», on sent le souffle du grand spectacle : tu as une extraordinaire profusion de cuivres, tu sens une énergie considérable et B.B. King chante fan-tas-ti-que-ment bien ! Là dessus, je suis formel. De la même façon que son homonyme Albert, B.B. discute avec le public. Il fait ses annonces à la mode américaine, avec des formules du genre : «and it sounds something like that...» Quand tu entends «Sweet Little Angel», tu crois voir couler la fameuse rivière de miel dont parlaient les navigateurs de la Haute Antiquité, ceux qui exploraient au péril de leur vie les confins du monde connu. Fantastique artiste que ce B.B. King, tu peux me croire sur parole ! Il jouait alors son blues avec une passion dévorante. Comme tous les grands artistes américains, il faisait chanter des choristes et la température montait d’un seul coup. À travers tout ce fourbi, on devinait l’exigence d’un roi. Et tu entends le public acclamer ses départs en solo. B.B. King misait tout sur la limpidité. Il en a fait ce modèle qu’ont copié les Anglais. «It’s My Own Fault» fait partie des grands standards du blues électrique. Tu y savoures de grosses poussées de fièvre ponctuées par une fantasmatique descente de gamme de blues. Tu l’entends remercier le public - Hank you ! - Cet homme se révèle tout simplement confondant d’humilité. Tu te régaleras aussi de «You Upset Me Baby», tapé sur une caisse claire par un obsédé du tempo. Là, tu as tout ce que tu peux attendre d’un orchestre noir : le boogie woogie, la pétaudière du big band, l’énergie du rhythm & Blues et le swing le plus pur, celui qui génère de l’allégresse. Sur scène, B.B. King n’est pas homme à mégoter. Tu l’entends aussi jouer «Worry Worry» tout seul et le public l’acclame à n’en plus finir - Hey you hurt me so bad babe ! - S’il faut recommander un disque de B.B. King, c’est de toute évidence «Live At The Regal». Le grand art de B.B. King se révèle sur scène.
— Ouf, tu me rassures, je craignais de devoir éplucher sa plantureuse discographie.
— Surtout pas, tu briserais l’élan de ta colonne. C’est l’une de ces discographies qui donnent le vertige et qui chassent le profane. Dans son catalogue, Ace Records ne propose pas moins de 40 articles pour B.B. King. En dehors de cette profusion, le reproche qu’on pourrait adresser à B.B. King serait d’avoir institué la forme classique du blues électrique qui à force de resucées et de ressassements finit par générer l’ennui le plus mortel. J’insiste beaucoup sur l’aspect scénique, car c’est à mon sens le seul moyen de pouvoir mesurer la hauteur d’un tel artiste. Je me souviens d’un concert de B.B. King aux Banlieues Bleues, sous un chapiteau à Saint-Denis. On le vit arriver sur scène, s’aidant à marcher avec des béquilles et guidé par une infirmière. Une fois stationné derrière son pied de micro, un membre de l’orchestre lui passa la bandoulière de sa Gibson sur l’épaule. Alors B.B. King jeta ses béquilles au loin et se mit à jouer comme un démon. Je peux t’affirmer cher Guillaume que ce fut un set infernal, à l’américaine, dans l’esprit de ce qu’on appelait autrefois les revues. On voyait bien que ces gens-là étaient rodés par des années d’âpres tournées aux États-Unis. Derrière B.B. King jouait un orchestre au grand complet en costume de scène, dont une fabuleuse section de cuivres. Un gros noir aux cheveux gominés soufflait dans une trompette, et entre deux chapelets de pouet-pouet, il secouait la tête en rythme. Mais on aurait dit que sa tête se désolidarisait de son corps, comme s’il avait eu un cou en caoutchouc. Ce côté Muppet Show nous amusait prodigieusement. Et puis avec l’âge et les méfaits du diabète, B.B. King s’est calmé. Il a fini par jouer affalé sur une chaise, comme Solomon Burke.
— Retrouve-t-on le nom de ce pauvre monsieur King dans les propos de personnages célèbres ? J’aimerais bien conclure par une citation ou deux. Tu me diras que ce procédé pèche par son manque d’élégance, mais vu le peu de matière dont on dispose, c’est à priori le seul moyen de garnir l’os de ma colonne d’un peu de viande.
— Oui, tu peux par exemple reprendre une anecdote célèbre. Quand Bob Dylan engagea Michael Bloomfield pour jouer sur «Highway 61 Revisited», il ne lui fit qu’une seule recommandation : «I don’t want no B.B. King shit !» Dylan ne voulait pas d’un jeu à la B.B. King, il voulait le Bloomfield sauvage qu’on entend sur l’album «So Many Roads» de John Hammond. De toute évidence, Dylan ne voulait pas blesser B.B. King, mais le mal était fait. Au fond, ce n’était pas si grave car B.B. King fait partie des grands artistes noirs qui ont connu les pires aspects de la ségrégation. La bêtise et la brutalité des blancs les aura considérablement endurcis. D’une certaine façon, ça leur aura même rendu la dignité que l’esclavage leur avait ôté. Alors une vacherie de plus ou de moins, quelle importance ? Tu peux aussi citer le nom de Mike Figgis.
— Qui est ce monsieur Figgis ?
— Un cinéaste. L’auteur de «Red White & Blues», l’un des sept films consacrés à la mémoire du blues que produisit Martin Scorsese. Figgis caressait l’ambitieux projet de raconter le blues non pas d’un point de vue américain, mais d’un point de vue britannique. Il a donc demandé aux acteurs du fameux British Blues Boom de témoigner.
— Comment se fait-il que les Anglais aient eu leur mot à dire sur le blues ?
— Voilà l’explication : à la fin du film, tu vois B.B. King rendre un hommage spectaculaire aux petits blanc-becs d’Angleterre : «Grâce aux Anglais, beaucoup de portes se sont ouvertes. Sans eux, on aurait continué à en baver, comme avant. Je n’aurais pas cru cette embellie possible de mon vivant.» Et tu le vois remercier les Anglais : «Thank you very much.» Émouvant. Ne regarde jamais cette scène, car comme tu as le cœur sensible, elle te ferait pleurer.
Signé : Cazengler, baba King
B.B. King. Disparu le 14 mai 2015
B.B. King. Live At The Regal. ABC 1965
Mike Figgis. Red White And Blues. The Blues, A Musical Journey Vol 5. DVD 2004
FONTAINEBLEAU –21 / 05 / 15
PUB LE GLASGOW
SPUNYBOYS
Pour Léa et Patrick,
L'est des jours où le malheur fond sur sur vous comme l'aigle cruel sur la pauvre souris innocente. Jugez-en plutôt par vous-mêmes. J'étais tranquille chez moi, les pieds sur la table, le verre de scotch à portée de la main, le havane au coin de la bouche, Eddie Cochran sur la platine. Le bonheur ! Qui ne dure jamais longtemps ! La porte s'est ouverte et ce fut le déferlement, les Cimbres et les Teutons ravageant le couloir rhodanien, les Wisigoths s'emparant de Toulouse, les Vandales déferlant sur la Gaule, les hordes Hunique ravageant l'Europe. En fait ce fut plus terrible que tout cela. Certes c'étaient des amis, mais des jazzeux qui illico se mirent à souffler dans leurs cornets maudits. Et personne à l'horizon pour m'extirper de cette engeance jazzistique fléautique. J'étais donc délaissé par les dieux, et le monde entier ne se souciait guère de sauver le rocker Damie. J'allais succomber, lorsque au loin – comme dans les westerns de John Wayne – retentit le clairon du Septième de Cavalerie. Les dieux du rock avaient eu pitié de moi ! Ce n'était pas une escouade de cavaliers fringants qui volaient à mon secours mais le Grand Phil qui klaxonnait comme un malade devant le portail. Dépêche ! hurla-t-il, il y a les Spuny qui passent au Glasgow ! J'accourus et c'est ainsi que j'échappais à une super jazz home party. Ce n'est pas que je n'aime pas le jazz, c'est que je préfère le rock and roll.
Jeudi soir à Fontainebleau. Vingt et une heure. Du monde partout, ça se balade dans tous les coins, les terrasses des restaux sont archibondées, drôle de contraste avec Provins. L'on a même l'insigne honneur de rencontrer Leslie des Jallies et sa copine Anaïs, bien entendu venues pour les Spuny... Le Glagow est encore vide mais l'on reconnaît – quel hasard – un groupe de fans rencontrés aux Loners. Sont en train de raconter la folle exhibition des Hot Chikens du samedi précédent ( voir KR'TNT 236 ). Rien à dire, ce soir le public sera en partie composé de connaisseurs.
ROCK ON !
Z'ont commencé depuis un moment, mais mon esprit vagabonde. Dire qu'il y en a qui ont dépensé quatre-vingt euros pour voir AC / DC de loin dans un stade, je n'ai rien contre AC / DC mais à leur concert je n'ai aucune chance de me faire éborgner par un manche de guitare, alors qu'ici, au Glasgow je suis au plus près de l'action, à moins de vingt centimètres d'Eddie et de la chance insigne d'arborer fièrement un œil de verre pour le restant de mon existence... Le genre de blessure rock qui vous classe pour la vie. C'est cela, le rock and roll, cette proximité physique avec la musique. Sinon, c'est du spectacle, de l'amusement, du divertissement pascalien. Allez à l'Opéra et achetez-vous une lorgnette. Il est tout de même temps que j'arrête de philosopher car les Garçons Tourbillonnant n'ont pas l'habitude d'attendre dans les abribus. Sont déjà loin devant. Remarquez, ils n'iront pas jusqu'au bout du monde, parce qu'avec le cercle d'admirateurs qui se pressent devant eux, ils sont prisonniers d'une nasse de fans enthousiastes qui s'est refermée sur eux et qui ne sont pas prêts de leur rendre la liberté. Pas de chance ( uniquement selon les numérologues tarotiques de l'arcane de la mort ) c'est la treizième fois – ainsi que l'annonce Rémi - qu'ils passent dans le pub et chacune de leur prestation a laissé des traces. Pas du tout un hasard, si beaucoup reviennent systématiquement dès que leur nom est à l'affiche.
Les Spuny, c'est quoi ? D'abord c'est le sourire de Rémi. Suffit qu'il actionne ses zygomatiques pour que tout le monde soit heureux. Préfère ne pas m'attarder sur les ondulations qui parcourent à chaque fois le corps des filles. N'a pas vraiment le temps de nous adresser de grands discours, car Guillaume ne lui en laisse pas placer une, deux coups de grosse caisse et hop on enchaîne, en voiture Suzette et la monnaie par ici. Et le Rémi ( pas du tout plégique ) se dépêche d'enchaîner. L'a du travail, le chant et la contrebasse. La pauvre, à la retraite grâce toutes ses balafres scotchée, elle aura droit à ses primes de pénibilité, parce que si Rémi se souvient qu'un tel instrument sert avant tout à faire de la musique, il en use pour tout autre cérémoniee. Encore que dans le Glasgow il doit se restreindre. Madame de Récamier recevait ses invités nonchalamment couchée sur son sofa, Rémi lui préfère se percher sur sa contrebasse, l'est comme le corbeau de la fable et son ramage est aussi appétissant qu'un fromage fondant. Car oui, il chante. Il vous décanille des rocks à tire-larigot. N'en a pas terminé un qu'il enfile déjà le suivant. Du chaud, du bon, du brûlant. L'a intérêt à aligner les victoires d'étape parce que derrière Guillaume pratique la politique de la terre brûlée. Là où il frappe, le rock ne repousse pas. Faut toujours aller de l'avant, plus loin et plus vite. Un set des Spuny, ça filoche, vingt morceaux et vous n'avez pas le temps de voir passer. L'on ne sait plus où donner des oreilles, pour un peu l'on en oublierait Eddie. Encore un qui turbine, les deux autres peuvent caracoler, lui il les double par l'extérieur dans les courbes, ah ! ces descentes frémissantes de guitare, le peuple applaudit, encore ! Encore ! Mais il est déjà barré dans un autre plan, pas un foireux, non un subtil, un rusé que l'on n'a jamais entendu et qui vous surprend en dernier ressort. A la manière dont je vous les décris vous pourriez croire qu'ils se tirent la bourre et passent leur temps à se tailler des croupières, que nenni, c'est un trio qui joue parfaitement ensemble, avec un mutuel respect, une superbe entente, une générosité qui fait chaud au cœur, chez les Spuny on n'empiète pas sur les plate-bandes du copain mais on le pousse dans le dos pour qu'il les traverse au plus vite.
Finissent sur une tempétueuse version de I'm Going home, avec feulements semi-pornographiques qui font hurler de plaisir le public. Vingt minutes de pose. Méritées. Pour tout le monde. Le temps de me lancer dans une seconde méditation – que voulez-vous il est des soirs où l'âme aime à rouler de vastes et sublimes sujets. J'établis un parallèle entre la set-list de ce soir et celle du mois précédent aux 3 B. A Troyes le public était moins composite, quatre-vingt-quinze pour cent d'amateurs de rockabilly, les Boys avaient privilégié le repertoire pionnier et teddy, ici ils l'entrecoupent de quelques morceaux plus country à la Cash, à la Horton, mais rassurez-vous débités à la tronçonneuse.
Pourront-ils faire mieux que tout à l'heure ? La réponse sera oui, sans ambages, sans équivoque. Ce deuxième set fut fabuleux, pharamineux. Une énergie à enfoncer les portes nervaliennes de corne et d'ivoire du rêve. De tous, ce fut Rémi le plus heureux. Par deux fois il s'échappa de la fournaise brûlante pour s'en aller batifoler dans la rue, plus tard on le retrouva la tête collée aux poutres du plafond, accroché aux flancs de sa big mama elle même juchée sur uns des grosses barriques qui servent de table. L'en profitera même pour nous régaler d'un solo époustouflant. Mais le cercle se refermera sur lui dès qu'il aura rejoint ses acolytes. Car c'est-là que ça se passe au cœur même du trio indéfectible, dans ce parfait triangle équilatéral du rock and roll. L'on aimerait connaître leur secret, savoir comment dans leur creuset trépidant ils parviennent à réaliser cette alchimie de la vitesse et de la syncope. L'on n'en saura rien, montrent tout, mais ne dévoilent rien. Maintenant c'est Eddie qui relance la course, Guillaume embraye derrière mais c'est bien Eddie qui place la première estocade. Du rock and roll à l'état pur. Le robinet est ouvert et personne n'oserait se proposerait pour le fermer.
Ne croyez pas que le public attend sagement son tour comme pour aller à la confesse. Va falloir essorer t-shirt et chemises après le concert car ça moutonne comme les vagues de la mer. Parfois dans un ondoiement spasmodique de la foule en transe le corps de la divine Leslie se colle à moi et je pense à Shave Your Pussy que les Jallies ont composé en l'honneur des Spunyboys et qu'elles ne manquent jamais d'inclure non sans apporter toutes les précisions nécessaires dans leur répertoire... Ne nous égarons pas. Les born again américains ont raison : le rock and roll est bien la musique tentatrice et pernicieuse du diable.
One, Two, Three, Four, Five, Rock and Roll Is Still Alive ! C'est le cri de guerre et de ralliement que les Spuniboys aiment à répéter, un mantra protecteur pour la survie du rock and roll jusqu'au prochain siècle. Au minimum. Car il n'est pas permis de laisser refroidir la colle. Ni maintenant, ni jamais. Et les Spuny s'y emploient de fort belle manière. Ne restent plus que vingt minutes avant l'heure fatidique du couvre-feu, mais la pression et la tension montent encore d'un cran. Ca crie, ça hurle de tous côtés, et les Spuny nous livrent un final étourdissant, des éclats de batteries, des stridences de guitare, des raquellements rauques de contre-basse et les paillettes d'or de la voix de Rémi. Z'ont tout donné, et on a tout pris. Un signe qui ne trompe pas, lorsqu'ils coupent le son, on les applaudit pas, on les remercie. Car ce soir, ce fut vraiment le grand partage du rock and roll.
Ce soir l'on est comblés, cette sensation de manque d'on ne sait quoi qui nous grignote sans cesse, ce sentiment de nous cogner aux barrières trop étroites de notre finitude, a disparu. Ne nous manque plus rien. Pour quelques heures seulement – nous ne nous faisons aucune illusion. Mais toute cette plénitude que nous ressentons, nous la devons à ces trois têtes folles des Spunyboys. Et quand il passe la porte du bar, Eddie ajoute en toute humilité, sans vous, nous ne sommes rien. Sont déjà un des grands groupes de pure rock and roll actuel. Des passeurs d'énergie.
Damie Chad.
MONTREUIL / 24 – 05 - 15
SOUTIEN AU REMOULEUR
RIVALS
Encore un truc d'anarchistes. Les rockers ont vraiment de mauvaises fréquentations. Pour une bonne cause. Le Rémouleur est un local associatif de quartier qui accueille de nombreux collectifs de lutte contre nos vies précaires. Entrée libre, vous donnez ce que vous voulez, l'on vous rend la monnaie, idem pour la bouffe et les boissons. En plus, concerts en soirée. Un bon milliers de personnes se pressent dans les lieux. L'on comprend pourquoi le Conseil Général a décidé de fermer ce chaudron en ébullition permanente.
TARACE BOULBA
Fanfare funk. Un beau début, une vingtaine de cuivres qui s'en vont faire un tour dans les jardins, un beau son, très rhythm and blues. Quand ils reviennent, ils ont disparu. On ne les entend plus. Sont pourtant bien là, trompettes, trombones, saxophones, parqués sur l'estrade, mais derrière eux, il y a deux percussionnistes qui font un bruit du diable. Coupent du bois, très méthodiquement sans varier de rythme ni opérer brisures ou respirations. L'on ne perçoit qu'eux. Les souffleurs devraient rentrer chez eux, sans plus attendre. Entre fanfare et batucada il faut choisir. Tarace Boulba n'offre aucun des deux. Très ennuyant.
ROCKAB FREUDIEN
C'est la copine qui voulait voir Fantasio, moi j'aurais évité. Je l'ai déjà supporté dans un festival de hippies en Ariège. Ne me souviens de rien de sa prestation mais j'ai encore la sensation d'ennui mortel ( enrobé de reggae alternatif ) qui m'avait enveloppé. Ce soir l'on m'assure qu'il est accompagné d'un groupe de rock. Je veux bien, mais je demande à voir. Et à entendre.
Un batteur qui s'entoure d'une ribambelle de percus – généralement très mauvais signe – un guitariste, et une jeune japonaise devant un tambour, à eux trois ils forment les Pantacaldi présentés sur l'affiche en tant que groupe de Rock freudien, Fantasio est à la contrebasse. Je n'aime guère tonton Freud, mais questions rockab il leur faudra pousser l'analyse. Le cauchemar commence par dix minutes de battements effrénés assénés par l'auguste représentante du pays du Soleil Levant. Derrière le batteur fait de la figuration libre. Au bout de dix minutes Fantasio commence à chanter. En espagnol, avec un fort accent roumain, plus tard il passera au français mais ce ne sera guère plus audible, il déblatère sans rythme ni raison. Fatiguant et lassant. D'autant plus que le groupe s'engouffre dans un tempo binaire des plus simplistes. En fait, l'ensemble ressemble à de la Dance Music. Avec une basse asthmatique. Le public a l'air d'apprécier. J'en conclus qu'avant de faire la révolution dans la société, faudra d'abord la faire dans les goûts musicaux. Pas étonnant que le mouvement soit si atone. Si ennuyant que la copine demande à partir au bout d'une heure de torture auditive...
RIVALS
Heureusement entre les deux catastrophes évoquées ci-dessus se sont glissés les Rivals, groupe montreuillois psyché garage. Enfin de la musique à visage inhumain ! Du rock and roll ! Psyché, je veux bien, mais la musique des Rivals me semble trop maîtrisée pour participer des efflorescences psychés, voici un adjectif que l'on emploie dès qu'un combo pousse une de ses racines dans la deuxième moitié des sixties. D'ailleurs le premier morceau, avec ses passages clavier assurés par Clem, Take You Out évoque irrésistiblement les Animals, pas les premiers avec Alan Price mais la troisième mouture davantage rentre-dedans avec Dave Rowberry. Mais ce qui fit le fondement du style psychédélique, ses grands errements de délires turgescents, ses guitares en folie, et ses intumescences d'instrumentations boursoufflées, les Rivals n'y adhèrent point.
Garage, en quarante ans le garage a tellement évolué qu'il n'est plus qu'une appellation symbolique. Un choix en quelque sorte philosophique de votre attitude rock. Rivals ce n'est pas non plus, en avant toute, toute la gomme et l'on ne se soucie pas de la mesure suivante. Dispensent une musique quelque part chevillée à ses origines noires mais reblanchies au rhythm and blues anglo-saxon, un refus du lyrisme au profit d'une recherche de l'efficacité. Rien de trop. L'on est souvent surpris par la fin des morceaux qui arrivent brutalement alors que l'on s'attendrait à quelques développements supplémentaires.
Les Rivals c'est d'abord Matt au vocal. Debout devant ces deux micros, peu de jeu de scène, une attitude sereine qui ne cherche pas à amadouer le public. Il envoie et il assure. Peu de gesticulation, totalement enté dans ses lyrics, se refusant à toute sentimentalité communicative. Le rock n'est pas un sourire adressé aux gens bêtement heureux de vivre. L'accompagnement est en parfait unisson avec cette démarche, Hervé, Sam, Dom, Clem, délivrent une musique engagée en elle-même, refermée en quelque sorte comme les écailles qui enserrent le serpent. Pas de soli à la guitar hero, pas de break bavard de batterie, les Rivals envoient sec, et sans fioritures. Ont déjà quelques disques derrière eux, ne sont pas nés de la dernière pluie, puisent dans leur répertoire, Finger On The Trigger, Take Me For A ride, Hard Rock, New Punk, défilent au pas de course. Dommage que le public ne soit pas vraiment rock, le groupe aurait mérité que ça bougeât davantage. On les reverra avec plaisir et intérêt.
Damie Chad.
SCOTTSBORO ALABAMA
DE L'ESCLAVAGE A LA REVOLUTION
PARLIN SHI KHAN / TONY PEREZ
( L'ECHAPPEE / 2014 )
S'il est un livre qui retiendra votre attention par sa couverture, ce sera bien ce Scottsboro Alabama, pas besoin de la tenir entre ses doigts pour saisir son épaisseur cartonnée qui ne correspond pas à un caprice de l'éditeur. L'a essayé de rendre l'impression des matrices de toute oeuvre qui emprunte à l'art de la linogravure. La linogravure c'est un peu l'art de la gravure sur bois du pauvre. Le matériel de base est peu onéreux et son impression offre un noir qui possède cette singularité d'être en même temps extrêmement mat quant à la qualité des aplats et extrêmement brillant quant à son épanouissement visuel. A l'intérieur du livre, la reproduction des planches ne bénéficie point de la brillance occasionnée par le relief contrastée de la couverture, mais la blancheur du papier alliée à la violence des images amplifie la force noire de l'encrage.
a
Dans l'imaginaire français la bourgade de Scottsboro ne représente rien. Sise dans l'Alabama – réputé pour être l'état le plus raciste des USA – elle fut en 1931 le départ d'une affaire judiciaire qui marqua un jalon important dans la lutte des noirs pour leur émancipation. Nous sommes aux joyeux temps de colossale misère qui suivit la crise de 1929, des milliers de travailleurs empruntent le chemin de fer pour voir si ailleurs ils ne trouveraient pas avec quelque chance un patron qui accepterait de les exploiter pour quelques misérables cents... Les hobos – le lecteur se reportera à notre kronic du livre IWW. Wobblies & Hobos de Joyce Kornbluh in KR'TNT ! 118 du 18 / 10 12 pour en savoir davantage sur cette étrange faune – qui ne payent pas leur trajet, poursuivi au mieux en des situations rocambolesques, ne sont guère en odeur de sainteté lorsqu'ils débarquent plus ou moins au hasard dans une bourgade perdue... Un hobo blanc possède l'immense avantage – c'est le seul - de ne pas être un hobo noir. La libre circulation des voyageurs n'a jamais été bien vu par le Capital... et puis ces nègres qui se promènent sans rien payer ressemblent à s'y méprendre aux esclaves en fuite du bon vieux temps de l'esclavage.
Heureusement à Scottsboro la police et la justice veillent sur la tranquillité des honnêtes citoyens. Elle en arrête neuf d'un coup – les plus jeunes ont tout juste treize ans – l'on pourrait organiser un lynchage de groupe, mais ça ferait beaucoup en une seule fois, alors l'on force deux jeunes femmes blanches qui voyageaient dans un autre wagon à avouer que les peaux d'ébène les ont violées à tour de bras, enfin avec un de leurs cinq membres, je vous laisse deviner lequel. Honte et indignation ! Ces séminaux sauvageons méritent la mort, l'on se dépêche de les y condamner en un procès mené tambour battant. Il va de soi que pour un procès de viol, il n'est nullement besoin d'enquête à décharge.
L'histoire aurait pu se terminer rapidement. Romantiquement même, puisque le cas du plus jeunot de la bande avait été ajourné par des juges compatissants qui dans un souci d'humanité évident hésitaient entre l'envoyer à la chaise électrique ou lui octroyer la prison à vie. Une incompréhensible mansuétude. Mais il est toujours des individus qui n'ont de cesse de mettre des bâtons dans les roues de ceux qui mènent rondement la marche en avant de la caravane humaine vers le progrès. Le Parti Communiste et des militants syndicaux de l'International Labor Defense, s'en mêlèrent, bientôt rejoints par des mouvements de défense moins extrémistes... L'affaire fit grand bruit. Dans un premier temps ils obtinrent un procès en appel, puis un troisième... La cour suprême des Etats Unis intervint par deux fois pour rappeler que la justice doit être rendue avec un minimum d'impartialité... Les fameux droits démocratiques de l'individu... Au bout de sept ans de lutte, les innocents finirent par sortir de prison... Scottsboro reste un jalon essentiel de la lutte des noirs aux USA, elle est un peu oubliée par chez nous. L'on comprend pourquoi, le problème de la libération fut posée d'une manière par trop politique, l'on est loin des rêves de fraternité christo-universelle d'un Luther King. Dans les années trente une campagne de sensibilisation se développa jusqu'en Europe... Le livre et ses quatre présentations de Robin D. G. Kelley, Andrew H. Lee, Michael Gold et Frank Veyro – qui est aussi le traducteur de l'ouvrage publié en 2002 aux USA - expliquent à foison et en détail les évènements.
Mais nous sommes encore loin du cœur du livre : celui-ci est constitué de la reproduction de gravures consacrées à cette affaire et réalisées par deux artistes Parlin Shi Khan et Tony Perez – nous remarquons les patronymes d'obédience étrangère en ces temps de lutte finale et internationale – desquels l'on ne sait presque rien, si ce n'est leurs accointances avec la revue New Masses d'obédience communiste... Leur travail resta inédit jusqu'à sa redécouverte dans le fonds des documents acquis par l'Université de New York.
C'est une oeuvre de militants qui présente le combat de la cause noire en la liant non pas à une simple question de racisme mais à la réalité englobante de l'exploitation capitaliste des pauvres qu'ils soient noirs ou blancs. Le livre débute en Afrique et se termine par la nécessité de la lutte révolutionnaire cotre le capitalisme international sans âme et apatride. Nous sommes dans les années trente et la lutte contre le fachisme en tant que variante économico-politique du développement capitalisme est clairement indiquée. De belles leçons à méditer encore d'actualité aujourd'hui, car si les formes d'oppression se transforment, elles n'ont jamais été aussi férocement dominantes...
Je vous laisse admirer le travail graphique des deux artistes. La simplicité du trait qui accentue la force tourbillonnante des vues de groupes, et l'expressivité animale d'une technique au service de l'idée. Car ici, c'est bien le message qui est le média et non le contraire comme se complaisent à le théoriser les songe-creux des techniques de communication moderne au service de l'ignorance généralisée induite par l'idéologie libérale actuelle. Celle qui tend à vider les cerveaux des masses des travailleurs, des précaires et des chômeurs, afin d'éradiquer de leur pensée en friche la nécessaire pratique de la révolte et de la réappropriation active de leur vie...
Damie Chad.
THEÂTRE DES BOUFFES DU NORD - 23 / 05 / 15
LA MORT DE TINTAGILES
MAURICE MAETERLINCK
Le symbolisme reviendrait-il à la mode ? Après Villiers de L'Isle-Adam ( voir KR'TNT ! 232 du 23 / 04 / 15 ) Maurice Maeterlinck. Maeterlinck un drôle de coco, il aimait tout ce qu'aiment les rockers, les autos qui vont vite, les femmes qui sont belles, la vie à pleines dents. Une espèce de géant au sourire engageant. C'est à l'intérieur qu'il y avait un sacré micmac. Evitez sa poésie : avec Les Serres Chaudes, vous agoniserez d'un cancer de l'âme tout le restant de votre vie, ne parcourez jamais ses Chansons, vous ne trouverez plus jamais une fille à votre goût, son théâtre est une invitation désespérée et permanente au suicide, ses ouvrages de prose sont des précis de sciences naturelles ésotériques qui oscillent entre les logorrhées New Age et la subtilité des visions quantiques d'analyse de l'univers les plus avancées. Aujourd'hui l'aura de Maeterlinck a fortement décliné, pour éviter tout embarras mental nos contemporains ne le lisent plus. De temps en temps l'on ressort en catimini une de ses pièces – le nihilisme poétique étant la chose culturelle qui se partage le mieux – une tous les dix ans, et pas très longtemps à l'affiche, car cela pourrait induire de mauvaises idées au public. Donc, La Mort de Tintagiles étant programmée aux Bouffes du Nord pour une quinzaine de représentations, l'on a foncé sans plus réfléchir.
LA MORT DE TINTAGILES
Ce n'est pas difficile de raconter La Mort de Tintagiles, au début de la pièce Tintagiles est un enfant malade, à la fin de la pièce il est mort. Je vous le résume en moins de deux lignes, Maeterlink qui est plus doué que moi, vous en pond vingt pages.
TOMBEAU POUR ANATOLE
Pas bésef, me direz-vous. Oui d'autant plus qu'entre temps il ne se passe rien de bien concret. Alors pour rallonger la sauce, en hors d'œuvre à ce repas funéraire, manière de vous mettre dans l'ambiance mortelle, Denis Podalydès, qui a mis en scène le spectacle, le fait précéder d'une lecture de quelques pages du brouillon du Tombeau d'Anatole de Stéphane Mallarmé. Anatole était le fils du poète mort à huit ans, Mallarmé rompu par le chagrin ne parvint jamais à terminer le poème que l'on retrouva bien plus tard dans ses papiers. Le texte s'inscrit en lettres blanches sur le fond noir de la scène, Polydadès le lit sans en faire trop, tout en faisant ressortir la gravité du propos. Perso je trouvons qu'il a privilégié les feuillets qui analysent le deuil familial au détriment de ceux qui proposent une vision plus métaphysique – entendez ce vocable débarrassé de toute confluence religieuse - de l'épisode terminal de nos existences.
LA MORT DE TINTAGILES
Pour les décors : rien. Le noir des murs, la noirceur de la salle que troue de temps en temps un projecteur. Je n'aurais pas aimé être à la place du technicien car les effets sont à la seconde près. Tintagiles n'est pas présent en chair et en os, son corps est une marionnette manipulée avec une doucereuse affection par ses deux soeurs, Ygraine et Bellangère. Depuis les coulisses un acteur lui prête sa voix. Deux musiciens, violoncelle et barytons à cordes pour l'un, l'autre est à l'alto et armé d'une viole d'amour. Ce dernier joue aussi le rôle du professeur fidèle à ses deux anciennes élèves. Rien d'autre si ce n'est la peur qui s'installe et que l'on ressent physiquement. Une frousse bleue, une panique qui vous étreint le cœur. Car elle est là, dans le donjon maléfique du château, rampant dans votre esprit, la Reine des lieux qui conduit la chasse nocturne, que vous connaissez sous de nombreux avatars, la souveraine impitoyable, la Cruella d'enfer, les Trois Parques, l'Hécate des carrefours mais toutes ces appellations poétiques ne sont que des mots pour désigner la Mort. C'est elle qui mène la danse. Même lorsqu'elle n'est pas là. Sa venue est inéluctable, vous ne la verrez pas, vous entendrez ses rires et ses chuchotements, et puis c'est tout. Tintagiles est mort. Ses soeurs ont tout essayé, la ruse, la révolte, l'imploration, rien ne saurait l'arrêter. Le suaire de la mort est cousu de fil blanc.
Une cruche, une lampe, une trappe, une corde. Rien de plus. La scène est vide, ou alors les personnages arrêtés dans un immobilisme désolé. Le déroulement de la pièce est entrecoupé de longs passages musicaux ( Satie, Bartok ) qui loin d'interrompre sa progression en augmentent l'angoisse. Rien à faire de Tintagiles, c'est vous qui êtes au fond du tombeau, vous ressentez le froid de la mort, tellement puissant que vous ne pouvez ni claquer des dents, ni même frissonner. La jeu des acteurs, l'obscurité, les trombes de musique – car les harmoniques pulsent à tout berzingue – tout concourt à vous faire vivre à l'avance votre future mise en terre. La froide fixité qui s'emparera de vous pour toujours...
Lorsque la lumière se rallume c'est un tonnerre d'applaudissements pour Christophe Colin Adrien Gamba Gontard, Garth Knox, Lesle Menu, Clara Noël, longs et chaleureux. N'empêche qu'à la sortie je remarque que de nombreux spectateurs ont les yeux rouges. Existe-t-il vraiment une catharsis libératoire à la mort ?
Damie Chad.
17:29 | Lien permanent | Commentaires (0)
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