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27/01/2016

KR'TNT ! ¤ 266 : BRIAN JAMES / MEGATONS / STEVEN TYLER / CHARLES MINGUS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN'

TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 266

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

28 / 01 / 2016

 


BRIAN JAMES / MEGATONS

STEVEN TYLER / CHARLES MINGUS
 

LE HIPSTER / ROUEN ( 76 ) / 21- 01 - 2016

BRIAN JAMES GANG


BRILLANT JAMES

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L’histoire de Brian James commence bien sûr avec les Damned - bon souvenir - et se poursuit avec les Lords Of The New Church - moins bon souvenir - mais sa carrière solo, comme on dit dans la presse, s’inscrit dans la lignée du premier album des Damned.

Brian James et Wayne Kramer ont un sacré point commun : rescapés de deux groupes majeurs du XXe siècle, ils se sont lancés par la suite dans une traversée du temps et des modes en solitaires. Comme Brian, Wayne a su honorer nos oreilles de très beaux albums souvent dignes de ceux des Damned ou du MC5. Tous les deux sont par la force des choses redégringolés dans l’underground, et il se pourrait que leurs derniers fans fassent partie de ceux qui étaient les premiers, ce qui est souvent le cas dans ce genre de configuration. Par la force des choses, Brian et Wayne drainent un public de gens fidèles qui vont probablement disparaître avec eux. Brian et Wayne ne rempliront jamais Bercy. Ils laissent ce privilège aux arrivistes. Et c’est tant mieux. Quoi de plus horrible que cette salle de Bercy ?

En 1990, Brian James faisait déjà partie des laisser-pour-compte, puisqu’il se retrouva sur New Rose. Patrick Mathé avait à l’époque une âme particulièrement charitable, puisqu’il recueillait sur son label tous les bras cassés de l’histoire de rock et leur offrait une chance unique de relancer leur carrière. Dans cette horde de malheureux se trouvaient des gens du calibre de Chris Bailey et d’Alex Chilton, de Johnny Thunders et de Jeffrey Lee Pierce, de Chris Spedding et de Roky Erickson, de Tav Falco et de Moe Tucker. Les gros labels n’en voulaient plus.

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Ce premier album sur New Rose est solide, car Brian avait une idée précise du son qu’il voulait sortir, qui était bien sûr le son du MC5. C’est ce qu’on entend dans «The Twist», on y retrouve ce son si particulier d’accords plombés et de petites incursions acides. Pas de problème, c’est bien dans l’esprit, Brian connaît le secret des belles remontées à la surface. Il a une autre obsession, comme d’ailleurs tous les guitaristes anglais de sa génération : la stonesy. «Slow It Down» somme comme l’hymne des dandies de la stonesy. On voit bien que Brian a adoré les Stones. On trouve une autre trace d’influence majeure dans «Another Time Another Crime» : celle de Dylan, Dans les couplets, Brian ramène les inflexions du cauchemar psychomoteur. On tombe en face B sur «Ain’t That A Shame», un joli classique et c’est là qu’on reconnaît la patte d’une star du rock anglais, à travers cette merveilleuse facilité à ficeler une cover de grand standing. Il traite ça avec une légèreté qui relève plus de l’élégance que de l’arrogance. On trouve plus loin deux autres gros cuts, «You Try», insidieux dans la démarche et bien cocoté, et «Polka Dot Shot», un heavy mid-tempo à l’Anglaise.

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Brian va ensuite tenter de monter des groupes à vocations légendaires, comme par exemple Dripping Lips ou les Racketeers avec - comme par hasard - Wayne Kramer. C’est Jimmy Miller qui produit l’album des Dripping Lips, sorti sur Alive, le label d’un autre sauveur de légendes en mal de contrat. Grosso-modo, Patrick Boissel et Patrick Mathé ont fait le même genre de travail de sauvetage, de part et d’autre de l’Atlantique. On trouve sur l’album des Dripping Lips une pure stoogerie, «Damn You». Back to the Damned sound ! On a là en effet une fantastique évanescence damnique. On sent en Brian l’amateur de petites fournaises indicibles. Ses départs en solo sont proprement stoogiens. Rien d’aussi dépravé que ce jeu extatique. «Never Too Old» est aussi claqué à l’accord stoogien. Brian ne fait pas dans la dentelle. Robbie Kolman chante avec une petite hargne et on entend ce fauve de Brian partir en vadrouille dans la jungle. Quel prédateur ! Belle pièce aussi que ce «Powerful» d’ouverture ! Brian nous zèbre ça de coups malveillants. Comme toujours chez lui, c’est solidement visité. On retrouve la fine mouche sur cette espèce de boogie-blues qu’est «You Treat Me Too Kind» et «Hell Girl» sonne vraiment comme un vieux hit des Damned.

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L’album des Racketeers est encore meilleur. Brian et Wayne se partagent les morceaux, mais curieusement, ce sont ceux que signe Brian qui accrochent le mieux. C’est lui qui ouvre le bal des vampires avec «Chewed». Il allume ça aux flammes de l’enfer et place un killer solo d’ambivalence expectative. Brian revient plus loin avec «Trouble Bones», un heavy stomp garage à la Thirteen Floor Elevators. C’est incendié sur les pourtours de la pourlèche et chanté aux chœurs de soudard avinés. Franchement, Brian se conduit comme un prince répudié, empreint d’une certaine décadence. Il revient plus loin pour jouer la carte de l’insidieux avec «Tell A Lie». C’est un sacré renard. L’autre cloche de McKagan fait les backing vocals et l’ami Wayne part en solo liquidifié d’exaction patibulaire. Il retrouve là ses apanages de killer suprême. Brian reprend plus loin le leadership pour «I Want It» - Oooh baby - Il chante comme un Dorian Gray désarticulé. Il devient extraordinaire d’assise moribonde. Il s’étale dans le bullshit going down et gratte un solo de dingue dans un climat de want it en suspension. Il continue son festival avec «Blame It». Il démontre que l’Anglais reste supérieur en tout. Sur ce disque, c’est Brian qui ramène la viande - Blame it on the mountain/ Blame it on the sea/ Blame it on the sunrise, but don’t blame it on me - et il passe un solo d’apocalypse. Hélas, les compos de Wayne et de son copain Brock Avery ne fonctionnent pas. Par contre, celles de Brian sonnent comme des classiques. Il boucle avec «I Fall» et un «Ooh Baby» qui est un véritable coup de génie. Brian y touille une stoogerie sur fond de chœurs extraordinaires. Voilà un disque dont on ressort groggy, c’est sûr, mais aussi à quatre pattes.

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Autre disque terrible : «The Brian James Gang» sorti en 2007. Il attaque avec un «Catch That Bird» terrifiant. Le son est là. Il joue avec des ongles peints en noir et règne sur l’empire du rock anglais comme au temps du premier album des Damned. D’ailleurs, «Bad Boy» pourrait bien figurer sur ce premier album. C’est du garage punk à la dérive qui se cogne dans les murs et qui ne marche pas droit, balayé par le bourdon sonique d’un riff tiré à la note méchante. Brian James a toujours su créer les conditions du génie ratiboiseur. Il claque un solo dément dans «Green Worms» et on revient au riffage d’exaction majeure avec «Nurse». Terrific ! - Yeah I’m a nurse - Encore un cut digne de figurer sur le premier album des Damned. Il sème la confusion sur toute la plaine et l’enflamme à coups d’incursions délibérées. Il pousse des petits cris qui en disent long sur son talent de harpie - Oooouh stick it up - Franchement, c’est à se damner pour l’éternité. Brian James est l’un des joyaux de la couronne d’Angleterre. Plus loin, il claque «Time To Go» d’entrée, alors forcément, ça part en vrille définitive. Il nous barde ça d’accords de blitzkrieg et troue le mur du son de solos incendiaires. Trop de son. Trop de panache. Trop d’éclat. Il en fait beaucoup trop.

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Pour les gens qui ont besoin de laisser reposer leurs oreilles, «Chateau Brian» est un disque idéal. Brian joue acoustique et il ne se passe pas grand-chose sur l’album. Il gratte un peu de blues et se fait insistant sur «Somethin’ Floatin’». Il a raison, c’est une façon de rester vivant. Quand on écoute «Starin’ At Me», on réalise soudainement que cet album n’est pas l’album du siècle. Son «Such A Lot Of Stars» sonne comme l’un de ces vieux balladifs de rockers, ridicules et insupportables.

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Par contre on se réveille en sursaut avec «Damned If I Do», un album paru en 2013. Parce qu’il y reprend son vieux «New Rose», mais sur fond d’apocalypse. Il faut imaginer l’un des hits majeurs du XXe siècle complètement saturé d’énergie électrique. C’est insurpassable et complètement soniqué du ciboulot. Il enchaîne avec «Born To Kill», certainement le cut le plus insidieux de l’histoire du rock, l’un des plus dévastés de l’intérieur. Il joue ça à la rampette lysergique, la pire qui soit. On retourne en enfer avec «Sick Of Being Sick», encore un cut explosif comme pas deux. Son «Alone» est gratté aux power-chords de l’ancien temps. Encore une stoogerie gorgée de jus jaune. Brian James semble jouer son va-tout depuis quarante ans, mais avec une classe écœurante. Son cut se noie dans des nappes de trucs bruyants et la bienséance qu’il affiche a quelque chose de dérangeant. On retrouve aussi le fatidique «I Fall», posé sur un beat à moitié décidé et tous les fans des Damned vont se régaler du retour de «Fan Club», qui fut autant que les autres classiques un cut de rêve - Form a fan club ! - Brian le pleurniche dans sa fournaise bienheureuse, c’est joué dans la désaille des Damned, dans la convalescence d’accords décavés, on retrouve ce goût des Damned pour la déroute magnifique, on se laisse cavaler dessus - Form a fan club ! - Pure genius ! Et bien sûr, avec «Neat Neat Neat», il allume la mèche qui conduit à la sainte-barbe. Alors on saute.

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Infatigable, Brian revient au bloody blast avec «The Guitar That Dripped Blood», un autre disque terrible. Ça démarre évidemment sur une pure stoogerie, «Becoming A Nuisance». Cheetah Chrome participe à la curée. Ces mecs sont complètement fous. Ils sortent le cut que les Stooges n’ont pas réussi à sortir sur leur dernier album, «The Weirdness». Encore une belle fournaise avec «The Regulator». Brian connaît toutes les ficelles du rock incendiaire. Il sait bricoler un riff malveillant et remplir un son jusqu’à la gueule, comme un canon de flibuste - It’s the regulator ! - «Not Invited» est sacrément bien déboîté du bénitier. Brian reste dans le gros son d’efficacité maximaliste. Il sait noyer un cut dans la fournaise outrancière et larguer des chorus qui se perdent dans des clameurs. Et voilà «Hindsight», stoogy en diable, sabré aux riffs acides et porte ouverte à toute forme de dérive. La musique de Brian James court sur la lande comme une langue de feu. Il renoue avec la vielle violence garage pour «Baby She Crazy». Il nous stompe ça dans l’estomac des civilisations. Il se fait aussi virulent que les Them de Van Morrison. Il rapatrie pour l’occasion toute la folie du british beat. Il termine avec «Mean Streak», un heavy groove d’allure positiviste.

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Bien sûr, tout ça prend des proportions hallucinantes sur scène. Et pourtant, Brian n’a plus l’éclat de cette rock star entourée de courtisans qu’on aperçut backstage à Mont-de-Marsan, voici presque quarante ans. Brian était alors un type dont le regard incroyablement clair s’abritait sous une fange de cheveux noirs. Il portait du denim et franchement on ne voyait que lui. Comme chez tout un chacun, le temps a fait ses ravages et Brian débarque maintenant sur scène la bedaine en avant toute, en chemisette de touriste, coiffé d’un petit chapeau de romanichel et dès qu’il se met à chanter, on constate qu’il n’a plus les moyens d’aller chez le dentiste. Mais il s’en bat l’œil, il fait ce qu’il a toujours fait dans sa vie, il fout le feu à la baraque.

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Très vite, il ressort le vieux «Born To Kill» et il joue ça aux accords de doigts pliés comme au temps béni des arènes de Mont-de-Marsan. En trois morceaux, il reconquiert la France. Tout le monde sait que Brian James a inventé le punk anglais avec «New Rose» en 1976, et d’ailleurs, il le joue en fin de set, il en fait une version expéditive qui ne peut pas décevoir les fans de la première heure. Il reprend aussi «The Regulator» et cette horreur qui s’appelle «Becoming A Nuisance» qui sort de son dernier album. Tout est joué au mieux du smoking beat désorbiteur, dans l’esprit des Damned, c’est-dire de l’uptempo stoogy-MC5. Brian est encore aujourd’hui le gardien du temple, l’un des derniers prescripteurs de l’orgie sonique et pour asseoir définitivement sa suprématie, il revient en rappel expurger un «Neat Neat Neat» qui transforme les Rouennais en statues de sel.

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Signé : Cazengler, damné pour l’éternité

Brian James Gang. Le Hipster. Rouen (76). 21 janvier 2016

Brian James. ST. New Rose Records 1990

Dripping Lips. Ready To Crack ? Alive Records 1998

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Racketeers. Mad For The Racket. MuscleTone Records 2000

Brian James Gang. ST. Easy Action 2007

Brian James And Grand Cru. Chateau Brian. Troubadour 2012

Brian James. Damned If I Do. Easy Action 2013

Brian James. The Guitar That Dripped Blood. Easy Action 2015


3 B / TROYES / 18 - 01 - 16

MEGATONS

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Quatre heures du matin, la teuf-teuf soupire d'aise devant le portail de la maison. Mission accomplie. L'était garée devant le 3 B, elle a tout vu, et n'en revient pas. Les Megatons en font des tonnes, alors pour ne pas être en reste elle a appuyé à fond sur les pistons. Le moteur et les radars en fument encore. Au début lorsque Charlie a proclamé que c'était parti pour cinq heures, personne ne l'avait cru. Déclaration à classer dans les exagérations lyriques, en avait-on conclu. Moi encore plus que les autres. J'étais devant, le nez collé sur la setlist. Vingt-trois morceaux pour le premier set, vingt trois pour le deuxième. Ont tout éclusé méthodiquement, ne devait pas leur rester grand-chose.


TROIS

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Charlie gratouille sa guitare l'air distrait. Et satisfait de lui-même. Normal, l'est le maître du temps. « C'est reparti pour trois heures ! » annonce-t-il. Et puis la question qui tue. «  Vous voulez que l'on joue quoi ? » Le genre de truc(ulence) qu'il ne faut jamais demandé à un groupe de rockers chauffés à blanc par deux sets précédents. Tout le monde possède sa petite idée sur le sujet. Les doigts se lèvent et les propositions fusent. Inutile de se précipiter, ce soir, c'est groupe ouvert, jukebox à la demande. Avec exécution immédiate. Il y a ceux qui tapent dans le classique, Presley, Vincent, Holly, et ceux qui ont des envies de demoiselles enceintes et qui demandent après des minuits des gâteries hors-saison, par exemple Mister B qui tient à un Shan Romero, et d'attaque les Megatons nous servent un Hippy Hippy Shake à faire bondir jusqu'à la stratosphère les kangourous de l'Australie... L'on va en avoir des petites merveilles à foison, un Heartbreak Hotel concassé aux petits oignons, ceux qui vous tirent des larmes de joie au coin des yeux, une véritable invitation au chagrin tempétueux d'amour, immédiatement suivi d'un Mystery Train échevelé, avec la loco qui quitte les rails pour emprunter les sentes rocheuses fréquentées par les tribus apaches en état de rébellion armée.

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Et puis très vite devant l'assistance enfiévrée qui remue, jerke, rocke, dans tous les sens et dans tous les coins, en hurlant de joie, Charlie se montre un franc partisan du Do it Yourself, abandonne le micro aux volontaires. Moment de stupeur lorsque Jean-François, secondé par Gil à l'harmonica, s'aperçoit dès l'introduction terminée, qu'il ne connaît pas les lyrics de Be Bop A Lula ( un véritable crime contre l'humanité ), y a un grand silence, les Megatons pétrifiés, les mains inertes suspendues au-dessus de leurs instruments, petit rire nerveux de l'impétrant... Cris de déception et chuchotements de haine, qu'il soit maudit jusqu'à la soixantaine génération, mais stupeur et tremblement, il trouve la parade et nous livre la version la plus déjantée de l'hymne national des rockers que je n'aie jamais entendue de ma vie, en un globuleux yogourt bulgare agglutiné, et tout le monde accompagne en choeur le charivari, ce charivaran des îles Galapagos miraculeusement épargnées lors de la disparition des dinosaures.

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L'on ressort les antiquité du grenier : «  Celui-là je ne l'ai plus joué depuis l'âge de quinze ans » - ( comptez un tiers de siècle en plus ), « On le fait en mi, ou en sol ? », les Megatons improvisent sur le champ et sur le chant, Jerry trouve toujours un endroit pour planter ses banderilles de saxo, Didac joue au fildefériste sur les cordes de sa Goya, Charlie réécrit les paroles, Stéphane se réfugie auprès du bar pour écluser une bière, Lulu assure la rythmique de main de maître. Une ambiance foutraquement rock and roll. Les grands-pères lutinent les jeunes filles, les verres se vident à la cadence d'un pipeline au fond du golfe du Mexique. C'est Béatrice, qui survient les bras en croix pour rappeler qu'il est deux heures du matin, et qu'il ne faut pas plaisanter avec la maréchaussée, déjà que l'on a précautionneusement baissé les rideaux depuis un bon moment... Billy trouve la parade, l'est exactement deux heures moins sept, encore sept minutes pour monter au septième ciel, alors Jean-François se précipite sur le micro pour le blues final du lundi matin. C'est lundi psalmodie-t-il, avec les Mégatons qui assurent la dernière bille du billard électrique. Tilt. Game Over. Féérie pour une autre fois, comme dirait Céline.


DEUX

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Les Megatons n'aiment guère les temps morts. Avalent leur verre, mais la musique les rappelle, ne peuvent pas résister au chant des Sirènes. Deuxième set. Music maestros ! Lulu est au fond. Question batterie, si vous n'avez pas vu Lulu, vous n'avez rien vu. Impressionnant. J'en raffole mais lui rien ne l'affole. L'arrive à faire deux choses sur le même temps, l'une et son contraire. Il suit le mouvement et le précède. Pile à l'heure et un tour de plus. Lulu c'est le théorème d'incertitude d'Heisenberg revu et corrigé en apophtegme de certitude. Oui je peux être ici et en même temps légèrement ailleurs. Jamais en retard, jamais en avance, l'infinitésimale différence entre le lieu et le temps. Ici et pas maintenant. Avec ses accélérations foudroyantes. Vitesse et épaisseur. Se dépêcher est à la portée de tous, tout est question de volume à déplacer. Avec Lulu, c'est tout de suite imposant, les autres devant peuvent être tranquilles, lui il pousse et ne laisse aucun interstice pour que l'on puisse entrevoir l'improbable possibilité de souffler un peu. Les Megatons, ça pulse, et Lulu est à la manoeuvre. Lulu c'est de l'instinct intellectualisé, il agit sans sembler réfléchir ou être le moindrement préoccupé par la mise en place des gestes qu'il est en train d'effectuer, mais il a déjà le prochain roulement développé dans sa tête. Comme ces joueurs d'échecs qui voient plus loin que vous.

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Deuxième ligne. Dans l'île du milieu, Jerry. N'est pas seul puisqu'il est accompagné de son saxophone. N'empêche que ce soir, l'est un peu coincé, ne peut pas venir faire le beau toutes les dix secondes comme d'habitude quand il est sur une scène plus vaste. S'avancera bien de temps en temps, mais il restera relativement discret. Je parle de sa personne, pas de son saxophone. Le saxo de Jerry, c'est un peu comme les cocotiers sur les plages de Tahiti. Quand il n'y en a pas, il manque et l'essentiel et la couleur locale. La Cadillac sans les chromes c'est comme le camembert – produisons français - sans l'odeur. Le sable fin sans les vahinés. La vie sans la joie de vivre. Les Megatons ont bien un morceau dans leur répertoire sans saxophone, genre on peut le faire, mais on ne le refera pas. La technique de Jerry est d'une simplicité absolue. En théorie, parce que en pratique vous avez intérêt à vous accrochez. Le sax à fond et salto avant pour les interventions. Une traînée de poudre, la mèche qui flambe et qui part en flèche.

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Première ligne. Les trois guitares. Didac est à votre gauche. Mauvais poste à responsabilité illimitée. Se fade le boulot et personne n'a le temps de le remercier. Faut assurer le surfin'. Glisser sans s'arrêter. A une telle vitesse, un rien vous grippe la machine. Pas le temps de prendre des vacances entre deux riffs. Pour la simple et bonne raison, qu'il n'y a qu'un seul et unique riff par morceau. A développer tout du long. Ce n'est pas rock latitude mais longitude surfin'. Ni arrêt pipi, ni pose caca. Ne pas se prendre les doigts de pied dans les cordes du parasol. Car il faut jouer plus vite que son ombre. Alors le Didac il nous joue du dictaphone comme une dactylo surfin', un jeu super fin, serré, sans accoups turbo car il ne faut pas gâter la sauce.

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En plus il doit avoir une oreille directement branché sur la guitare de Charlie. Une rythmique diabolique, dévolue à son usage exclusif. Ce n'est pas de l'égoïsme mais sa guitare est le moteur auxiliaire de son phrasé. L'appui vocal dont il a besoin pour ouvrir les vannes des lyrics. Car une fois que c'est parti, rien ne l'arrêtera, c'est à Didac de construire les digues de soutènement pour orienter le flot de l'impétueuse rivière. Deux lignes de guitare affûtées qui encadrent la crème de la gaufrette. Very speedy cantos, quand Charlie est parti, c'est pas du riquiqui, donne l'impression de chantonner alors qu'il dégobille les lyrics à toute vitesse.

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Je serai moins disert pour Stephan, l'est engoncé dans un recoin et de là où je suis je ne le vois pratiquement pas. Et ne peux me livrer à mon jeu favori d'examiner le travail des artistes, la résolution fascinante des problèmes qui se posent à eux et surtout qu'ils se posent à eux-mêmes, leur magie d'oiseleur qui me permet de rêver à mon aise. Le Traité de la Chasse au Faucon comme Jean Parvulesco avait titré son deuxième recueil de poèmes. Mais nous reverrons un jour ou l'autre les Megatons et je ne le lâcherai pas de yeux.


UN

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Un plaisir rare. Les Megatons s'accordent. Des stridences qui fusent de tous les côtés, une guitare qui se cale sur le riff d'Apache et Lulu qui prend le tempo au vol. Trente secondes d'une version minimaliste. Minorée mais enchanterresse. C'est parti. Inutile de courir après, vous ne les rattraperez jamais. Z'ont la ribambelle de titres et d'originaux à décharger, et question déménagement l'on ne fait pas attendre le client, Live It Up, Wild Wild Party, Wild Man, Rollin' Pin Mim, pour les titres faciles vous mettez baby et wild, vous accommodez avec au hasard girl ou boy et vous avez le futur standard. C'est que le Surfin' est une philosophie musicale qui répugne à se prendre la tête. L'innocence adolescente de nos premières surprise-party in the sixties, mais revue à l'américaine. Du sable, du soleil, des filles, et du rock and roll. Surtout ne pas perdre son temps. Vivre vite, conduire vite, baiser vite, et surtout ne pas cocher la seule option irrévocable. Ne pas se vautrer comme James Dean dans un cercueil pour faire un beau cadavre. Vaut mieux draguer vite que mourir vite. Le surfin c'est la joie de vivre. Roméo et Juliette autant de fois que vous pouvez par semaine mais pas question de finir en une morbide apothéose shakespearienne. Un peu de drame, les sanglots longs des violons de l'automne, si vous êtes un romantique obstiné mais il ne faut pas que la tragédie dure plus de trois heures. Plus de trois minutes pour les puristes. Alors les Mégatons ils vous balancent les titres sans perdre de temps à respirer.

Suffit de se laisser conduire. Les voitures sont larges, les banquettes arrière confortables et le temps est au bonheur fixe. Nous filons sur l'autoroute – fin cinquante-début soixante – à part le méchant loup de la bombe atomique qui ne sortira pas du bois, les prédictions sont bonnes, du boulot pour tout le monde et crédit illimité pour la consommation de masse. La pollution n'existe pas, les problèmes trouvent tous leur solution, le monde est beau comme une pièce de dix dollars toute brillante, toute neuve. C'est l'arrière-fond, le background des Megatons. Musique hédoniste. Alcool, filles et surfin', que pourriez-vous espérer de mieux pour votre bonheur ? Peut-être de ne pas vieillir, mais cela est une éventualité tellement lointaine que l'on n'y pense pas. De toutes les manières l'on pense peu, mais l'on vit beaucoup.

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Les meilleurs – pas en qualité – les plus symboliquement significatifs, sont les instrumentaux dont ils émaillent leurs sets. Une parfaite bande-son, de l'époque, pas besoin de paroles, la musique parle d'elle-même. Juste quelques cris pour exprimer cette énergie galvanisante qui bout à gros bouillons dans votre sang. Une fusée de vif-argent. Les guitares qui caracolent, le saxo qui piaffe, et la batterie qui galope comme une troupe de mustangs en liberté. En plus ce soir, les Megatons nous prouvent qu'ils ont raison. Nous rendent heureux et nous les en remercions.


PARTEZ !

Mister B saute dans la teuf-teuf. L'on a déjà raté les No Hit Makers hier soir à Montreuil, tous nos espoirs du week-end résident dans les Megatons. Mais l'on sait déjà qu'ils ne vont pas nous décevoir. Pari tenu et remporté.

Damie Chad.

( Photos : FB : Christophe Banjac )

 


EST- CE QUE CE BRUIT

DANS MA TÊTE

TE DERANGE ?

 


STEVEN TYLER


( Traduit de l'anglais par Philippe Mothe )


( Editions Michel Jalon / 2011 )

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L'est des inscriptions qui vous attirent immanquablement – le septième sens du rocker – je m'étais assis juste à la table à côté du gars, y avait des livres de cours qui traînaient dessus, on ne voyait rien, sauf l'inscription au bas de ce qu'il fallait bien identifier comme une pochette de trente-trois tours – élémentaire cher Watson, premier café en ligne droite que vous trouvez après Music-Action, l'antre du rock toulousain au début des seventies – Toys In The Attics, votre oreille n'a pas dévoré un centimètre du sillon de la galette, et déjà vous savez que ça va pulser sévère...

Quarante ans plus tard – ça ne nous rajeunit pas ma petite dame – en plein marché de Mirepoix, basse Ariège touristique – je tombe sur le camion de Mister Gibus, un allumé du bon vieux temps qui propose à une clientèle indifférente des quarante-cinq tours des Animals et des Kinks plus un assortiment de livres divers et d'occasion littérature et rayon rock ! Des ouvrages un peu trop branchouille pour ma pomme – nos contemporains s'enquièrent vraiment de mauvaise musique – et quand je demande à voir, Mister Gibus s'exclame : «  Bon choix, vous prenez le meilleur du lot ! ».

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Quand je pense que j'aurais pu être Steven Tyler ! Non je ne plaisante pas, je ne déraille pas non plus. Jusq'à hier soir, je l'ignorais. M'en suis aperçu dans les toutes dernières pages, lorsque Tyler jette un dernier coup d'œil rétrospectif sur sa vie. Exactement comme moi le Stevie, petit il a été marqué par le même livre que moi, Sambo le petit noir pourchassé par de méchants tigres qui lui volent ses habits et qui tournent, tournent autour de l'arbre sur lequel il s'est réfugié, tellement vite qu'ils fondent en une onctueuse pâte liquide avec laquelle la maman confectionnera de succulentes crêpes... Après un début si prometteur, j'ai dû rater une connexion. Je reprends donc toute l'histoire pour voir où j'ai déraillé.


MONTEE EN PUISSANCE

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Naît en 1948. Une enfance de petit sauvageon autour du lac de Sunapee. Un père musicien. Classique. Première initiation. Une maman qui adore son gamin, qui le laisse aller en toute liberté au bout de ses expériences de fumette, qui pense que ce serait bien pour lui S'il envisageait une carrière dans la musique... Le genre de proposition qui ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. A quatorze ans il carbure au speed comme un grand, prend sa première baffe en écoutant Johnny Horton, puis Elvis, Little Richard et Bo Diddley. La seconde vient d'Angleterre, Beatles, Kinks, Animals, Stones, et les meilleurs de tous : les Yardbirds. Résume l'apport anglais en un seul mot : l'arrogance ! L'a du goût, le petit Steve, ne reste pas à rêvasser devant son transistor, assiste au concert, forme un groupe avec les copains, devient une petite célébrité dans sa région, essaie tous les produits qui passent à portée de sa main et toutes les copines à portée de phalus... Une jeunesse de rêve, un jour il aide même les Yardbirds à décharger les amplis de leur camionnette, mais à vingt-quatre ans se retrouve un peu bloqué. Le sentiment d'avoir essayé et d'avoir tout raté. Les Chain Reaction, le groupe où il officie en tant que batteur, joue en quarante-deuxième division...


JOE PERRY

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C'est un gratteux du coin. L'habite à dix kilomètres de Sunapee mais ils ne se sont jamais rencontrés. Joe invite Steven à venir le voir en concert avec son groupe. Tyler n'en revient pas. L'a trouvé le guitariste de génie qu'il lui faut. C'est ainsi que naîtra Aerosmith. Frères de sang. Mais impur. Steven n'y va pas par quatre chemins. Joe a autant besoin de Steven que Steven de Joe, mais chacun voit l'autre comme son rival. En compétition constante. Davantage de haine que d'amour. Pour Steven, c'est l'idéal, cette confrontation permanente sera le moteur qui permettra d'avancer et de brûler les étapes. Joe Perry n'a pas manqué d'écrire lui aussi son autobiographie dans laquelle il donne sa version de l'histoire qui suit... Joe et Steven, c'est Keith et Jagger dans leurs mauvaises passes. Les Stones ont influencé les deux moitiés de la planète. Personne n'y échappe. Surtout pas Tyler le tigre qui a de nombreuses accointances avec le jaguar Jagger.


DREAM ON

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Aerosmith, le groupe commence à tourner. Tyler a quitté son poste de batteur pour prendre le micro. L'est le frontman. Tout repose sur lui. L'a des idées pour enregistrer. Ne s'agit pas de bien jouer, mais de créer un son. L'a de l'oreille, de l'intuition, l'esprit créatif, et subitement il se rend compte qu'il sait écrire des textes qui tiennent le coup. Son Dream On, une belle ballade, bien orchestrée, pas très originale, mais pour lui l'écriture de ce morceau lui donne l'impression d'être passé à une dimension supérieure. Quatre cents pages plus loin, l'en cause toujours, c'est son drapeau rouge d'auto-reconnaissance qu'il déploie à chaque instant de doute et de triomphe. A le lire, la composition de Drean On est l'équivalent de la composition du Corbeau par Edgar Poe...

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Le groupe tourne sans fin. Enregistre deux albums qui aident à asseoir une réputation grandissante auprès de la Blue Army des fans en jeans, mais c'est le troisième, Toys In The Attic, et le quatrième, Rocks, qui les classent parmi les grands groupes de hard du moment. Pour l'aspect musical vous puisez dans votre discothèque. Ce n'est pas le sujet du bouquin. La plupart du temps Tyler s'attarde davantage sur l'écriture des lyrics ( en relation avec sa vie ) que sur la musique.


DRUGS

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Mais le loup est entré dans la bergerie. Traînait dans les parages depuis le début, mais ne se faisait pas remarquer. Mais avec la notoriété et l'argent, les dealers rappliquent en courant. La cocaïne puis sa copine l'héroïne coulent à flots. Plus t'en as, plus t'en veux. Tyler n'éprouve aucune honte : il aime ça, et n'a pas l'envie de s'en passer. Pas de regrets, pas de ah! Si j'avais su ! Il sait et tout le groupe sait. Comme il arbore la plus grande gueule, il le revendique plus fort que les autres, beaucoup moins discret que Joe Perry par exemple...


SEX

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Les tournées sont harassantes. Mais elles offrent des compensations. On imite Led Zeppelin, on jette les postes de télévision dans les piscines, on sniffe à gogo, on boit comme des trous, on fume comme des sapeurs. Et puis les filles. Sont là, toutes nues de préférence. Tyler raconte sans fausse pudeur, oui il aime l'amour physique, oui il adore brouter le minou des minettes, jeunes et jolies. Ne cherche aucune excuse, n'exprime aucun regret.


SCENES

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S'il est sur scène, c'est bien pour cela, hurler à s'en fusiller les cordes vocales, chasser les filles, et aspirer des rails de coke toutes les cinq minutes. Et le public semble apprécier. A chaque tournée l'on passe à la taille supérieure. Celle des stades, 20 000, 50 000, 80 000, spectateurs. Spirale inflationniste sans précédent. Aerosmith est entré dans l'aréopage des Dieux du rock...


DECHIREMENTS 1

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Sex et patachons à foison. Une vie de rêve. Mais tel est pris qui croyait prendre. Filles d'un jour, pas de problème. La petite fiancée que l'on garde quelques mois entraîne des fâcheries avec les copains. Jalousies et inégalités d'humeur. Le pire est à venir. Lorsque du sexe l'on passe à l'amour. Le mariage est la plaie du rocker. Vous emmenez Madame en tournée, plus question de faire la bise à la standardiste de l'hôtel, vous êtes un criminel, matou échaudé vous laissez votre mégère à la maison, Madame sait tout, des images qui traînent à la télévision, des photos dans les magazines, des coups de fil bien intentionnés d'ami(e)s qui vous veulent du mal. Le pire, si rien n'a transpiré, vous décidez de jouer franc jeu, vous avouez une petite incartade, pas le temps de vous excusez, tout de suite ce sont les grands mots, avocats, procès, pensions... Grandes interrogations philosophiques de Tyler, l'est un homme, un macho, pas un moine. Ses épouses pourraient tout de même faire un effort de compréhension. Lui qui reconnaît la supériorité naturelle des femmes.


DECHIREMENTS 2

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Deux étapes dans le cursus d'un accroc aux produits. Au début vous prenez de la drogue, mais ensuite c'est la drogue qui vous prend. Et qui ne vous lâche plus. Ce n'est pas un problème pour Tyler. Assume ses addictions. Mais cela peut devenir gênant, lorsque vous vous évanouissez sur scène par exemple. Cela ne fait pas sérieux. Surtout pour le chanteur. Le groupe finira par splitter. Tyler garde le nom, continue durant deux ans avec une autre équipe, mais l'on finira par se rabibocher.

Comédie humaine. Faut décrocher. En théorie. En pratique, l'envie n'est pas là. Tyler fréquentera les Addictifs Anonymes, il rentrera dans des institutions de sevrage. Expose les traitements psychologiques qui lui sont administrés. Les spécialistes en prennent pour leur grade. L'esprit pratique, analytique et caustique de Tyler est une arme de combat diablement efficace.

Tyler raconte qu'il arrivera à rester clean durant douze ans. Reconnaît de petits écarts. Mais la notion de petitesse est très relative. Il replongera. Si vous êtes étudiant en pharmacie, n'ayez aucun souci pour vos examens : tous les produits avec les effets désirables ( indésirables aussi ) et leur interaction sont longuement décrits. Vous apprenez en vous amusant.


DECHIREMENTS 3

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Bon an, mal an le groupe continue. Des disques un peu balourds ou d'autres qui s'écoulent à des millions d'exemplaires. Mais il y a pire que le sexe et la drogue. C'est le rock and roll. Hurler, sauter, danser, trépigner, tant que vous êtes jeune c'est un jeu d'enfant, dès que vous mettez le cap vers la soixantaine, le corps a ses faiblesses que le cœur ne connaît pas. Un vaisseau qui pète dans la gorge, un genou qui craque, un pied qui se tumérise, une hépatite qui s'incruste, les gros bobos se suivent et se ressemblent par leur gravité, repos obligatoires, interventions chirurgicale, opérations... Un conseil de Damie Chad : ne vieillissez jamais.


DECHIREMENTS 4

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Non ce n'est pas fini. Ceux-là sont les plus intimes. Le groupe qui essaie de vous remplacer, votre femme qui vous quitte pour un jeune plus costaud que vous... et puis les honneurs rendus aux stars vieillissantes, participation aux émissions de téléréalité, récompenses honorifiques diverses, peut-être pas encore une senteur de sapin, mais tout de même une certaine saveur de naphtaline... pour les mythes que l'on relègue dans les placards de l'avant-hier. Et peut-être le plus triste de tout : un essai avec Led Zeppelin pour remplacer Robert Plant. Tyler s'en tire avec les honneurs : avoue que Robert Plant est irremplaçable. Se démet de lui-même.

ECLATS DE RIRE

Rangez votre mouchoir. Tyler le rital, ne pleure pas sur son sort. E Perrycoloso e sporghesi sur soi-même. Ne se plaint pas, ne se vante pas, dit ce qu'il pense, et la seule personne à qui il ne fait pas de cadeau dans ce livre : c'est à sa petite personne... Content de lui, heureux de vivre, mais pas dupe. La vie lui a réservé de beaux cadeaux, les femmes ( les siennes et toutes les autres ) et ses enfants. Mauvais père, mais fiers d'eux. Et surtout cette chance extraordinaire mais recherchée, d'avoir fait partie d'un des groupes de rock les plus importants de son époque.

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Autobiographie de rock star. S'en tire mieux que Townshend un peu piteux Tommy pathétique, que Johnny Rotten qui court après la gloire tout en jurant qu'il n'en a rien à foutre, que Rod Stewart obsédé par sa coupe de cheveux, un peu moins roublard que Rollin' Keith, Steven Tyler se contente d'être la somme de ses défauts. Et quand on réalisé l'addition, l'on se dit que le total est impressionnant.

Damie Chad.

P.S. : mais pourquoi n'ai-je pas eu la chance de croiser les Yardbirds en train de décharger leur camionnette ? Je pense avoir trouvé le chaînon manquant.

 

MOINS QU'UN CHIEN

CHARLES MINGUS

 
( Traduction : Jacques B. Hess )

( Editions Parenthèses 1985 )

 

Pouah ! Un jazzman ! Zoui, mais un grand, compositeur et instrumentiste. Ne se servait pas pas des cordes de sa contrebasse pour étendre le linge. Ou alors, uniquement les culottes et les soutient-gorges de ses petites amies. Je vois, que cela commence à vous intéresser. Quand j'ajouterai que cette autobiographie d'un des plus extraordinaires contrebassistes de jazz ne parle pratiquement pas de jazz, je vous sens réconciliés avec Mingus. Quand l'on a joué avec Louis Armstrong, Duke Ellington, Lionel Hampton, Thelonius Monk, Charlie Parker, Billie Holiday – je ne cite que les noms les plus connus – l'on a le droit de s'en vanter. Mingus le rappelle, mais sans forfanterie. Nous présente ces rencontres comme normales et logiques, vu son niveau, coulait de source qu'il pouvait s'acoquiner avec les meilleurs. N'en tire aucune gloriole, nous conte le déroulement sans prétention d'une vie de musicien conscient de sa valeur, de son apport personnel, qui ne profite pas de sa biographique relation pour se mettre en avant et démontrer les progrès mirifiques réalisés par le jazz grâce à son implication personnelle... Ne fait preuve d'aucune fausse modestie – la face cachée du cabotinage – n'endosse même pas l'attitude d'humilité de l'artiste sympathique qui rappelle la nécessité de travailler durement pour progresser quelque peu...

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Là n'est pas son problème. N'est pas un féru d'historicité pure. Se raconte lui : ce qu'il a vécu et ce qui s'est passé dans sa tête. Avec sans doute une prédilection avouée pour ce qui s'est déroulé dans sa caboche. C'est un parti-pris qui peut choquer. A sa sortie en 1971 le livre a surpris les amateurs de jazz. S'attendaient à du solide, du béton armé, des dates, des noms, des faits, quelques anecdotes graveleuses pour corser le tout, mais guère plus. Se sont retrouvés avec un truc classieux mais difficile à manier. Un chef d'oeuvre; mais explosif. Une oeuvre littéraire mais aussi instable qu'un flacon de nitroglycérine posé sur le rebord du capot de la voiture qui démarre sur les chapeaux de roue. Une autobiographie, yes Sir, mais totalement phantasmée. L'a tout dit : tout ce qu'il a vécu, et tout ce qu'il a rêvé de faire. Soyez sensibles à la différence. Nous possédons tous le sens des convenances, l'envie vous en démange mais vous ne crierez jamais sur les toits que vous turlupine l'idée de crever les yeux de votre voisin sous prétexte que vous ne pouvez plus le voir en peinture. Vos amis vous regarderaient d'un drôle d'air. Une légère gêne s'installerait...

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Mingus lui-même s'y est pris à trois fois. Commence son bouquin comme si c'était la transcription d'une analyse psychanalytique. Désirer le désir n'est pas accomplir le désir. Doktor Freud est votre garde-fou. Alors au bout de six pages il vire le praticien à grands coups de pompes dans le cul. N'assume pas encore tout à fait. Parle mais possède son censeur : lui-même, sa raison, sa conscience, sa petite voix personnelle qui temporise, qui explicite, qui prend du recul, qui reste des plus posées. Le hongre blanc de l'attelage qui tire le char de l'Esprit, selon Platon. L'est chargé d'éduquer le deuxième cheval du bige, l'étalon noir, qui n'en fait qu'à sa tête, qui tire à hue et à dia, qui ne pense qu'à vous entraîner dans de fougueux emballements déjantés ... Oui mais domptez le naturel et il repart au galop. Avancez de cent pages dans le livre et c'est le méchant noirâtre qui a pris le commandement. Le pâlichon gentillet pousse quelques hennissements de temps en temps, mais Mingus l'a remisé au fond de l'écurie d'où il ne le sort guère. La course folle s'achève comme il se doit : à l'asile. Même pas interné d'office, c'est Mingus qui insiste des heures et des heures pour qu'on lui permette d'être enfermé, de danser la camisole. De force.

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Pour le bouquin, l'on a pris les pincettes. Heureusement qu'il y avait le titre Moins Qu'un Chien. L'on a traduit : dénonciation du racisme. Ouf, l'on était sauvé ! En territoire connu. Pas très loin de Really The Blues ( paru en français sous le titre de La Rage de Vivre ) la bio de Mess Mezzrow. ( Voir notre chronique KR'TNT ! 106 du 12 / 07 / 12 ). Avec un avantage en plus : Mezzrow était un petit blanc, qui s'est battu pour ses frères noirs, mais avec Mingus c'était un noir qui prenait la parole. Ce qui expliquait quelques énervements, quelques débordements... L'on aime bien les cases toutes prêtes. On a fait semblant de ne pas le voir, mais on avait beau refermer le placard, y avait toujours un gros cul noir qui dépassait. Il est temps de reprendre l'histoire par le commencement.

Watts. Célèbre quartier de Los Angeles connu pour ses émeutes. En pleine communauté noire. Première fêlure. Mingus n'est pas un malheureux. Petite classe moyenne. Mais sentiment aristocratique de la différence. Mingus n'est pas noir. Son père non plus. Sont café au lait. Le teint clair. Le haut du panier. Rien à voir avec les moricauds à la peau d'ébène. Sont la crème du café-crème. Ne tardera pas à s'apercevoir que la réalité fait voler les préjugés en éclats. En attendant essaie de régler un problème de robinet. Le sien, qui fuit chaque nuit. Victime d'urémie et de la double courroie de son père qui le fouette consciencieusement chaque matin. Une correction salutaire qui vous forge le caractère. Même pas mal, même pas peur. Auprès des voyous du quartier l'est un peu la poule mouillée que l'on pourchasse, Jusqu'à ce que quelques rudiments de judo lui permettent de se défendre et d'attaquer. Sa taille et son poids deviendront aussi des atouts majeurs.

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Question physique les problèmes sont réglés. Niveau intellect se défend mieux que bien. Lit, réfléchit. L'on pressent l'adolescent futé qui cherche à comprendre et à ne pas s'en laisser conter. Musicalement, pour un musicien de jazz, ça bifurque très vite, très mal. Abandonne le trombone pour le... violoncelle. Avec archet. Joue du Beethoven et connaît Bartok. Formation classique. Qui lui servira. Plus tard il composera. Pondra des partoches. Sait écrire et lire la musique. Entre en conflit avec son professeur. L'a un rapport un peu plus intuitif avec la matière musicale, répéter à vitam aeternam une partition l'ennuie, l'existe une autre approche de l'instrument, plus intuitive, plus libre, plus créatrice, un thème de départ et hop, c'est parti pour les galipettes... Rejoint le jazz, naturellement. N'est-ce pas la musique des noirs ?

Car ses yeux se sont vite dessillés. Rappel à l'ordre. Barrière infranchissable celle qui sépare les nègres des blancs. Deux mondes séparés. L'en souffrira toute sa vie. Professionnellement parlant. A travail égal, salaire inégal. Un musicien blanc sera fêté. Un noir sera toléré. Ce n'est pas le plus grave. Ce qui l'exaspère c'est que les blancs sont à la traîne, pompent consciencieusement les noirs, s'inspirent des avancées techniques et des trouvailles stylistiques des blackos et finissent par s'en trouver crédités et récolter la gloire et le fric. De quoi vous mettre en colère et entretenir de forts ressentiments envers les blancs.

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N'y a pas que le boulot dans la vie. Tout homme possède sa vie privée. Avec des interpénétrations entre les deux sphères. Pour Mingus, ça commence tout petit, l'est émerveillée par la beauté des filles. Extase contemplative. En grandissant, le rêve perd de sa pureté. Montée des hormones. Musicien, et bien monté. Tout ce qu'il faut pour attirer les jeunes filles. Qui n'ont pas froid à la chatte. Ne s'en prive pas. Tout en poussant la romance romantique avec Lee-Marie. S'aiment d'un amour tendre de tourtereaux. Mais le méchant papa ne veut pas. Ne se voient pas. Se téléphonent en cachette. Se perdent. Se retrouvent. Sont éloignés. Se marient. L'histoire se règle à coups de fusil. Couple brisé. Pire que Roméo et Juliette. Surtout que Mingus n'a jamais fait voeu de chasteté. Une vie sentimentale agitée. Une existence pornographique tourbillonnante.

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Ce n'est pas sex and rock, mais jazz et cul. Entrevoyez la différence. Mingus vous aide : met les points sur les I, et la bite dans les vagins torrides. Avec en plus des considérations économiques. Les musiciens noirs sont sous-payés. Pourtant il existe des noirs très riches qui roulent en cadillacs flambant neuf. Les voyous qui s'adonnent à des trafics illicites. Un peu dangereux et pas tout à fait dans les cordes d'un contrebassiste. Les règlements de compte à coups de pétards pour une valise de cocke en litige, ça vous fait froid dans le dos des cadavres. Mais question professionnel, il y a plus douillet. Maquereau. Un beau métier. Mettez quelques copines au turbin et passez relever les compteurs en fin de soirée. Pas remboursé par la sécurité sociale, mais un boulot à portée de cul pour un musicien de jazz. Des admiratrices qui ont envie de se faire un musicien de jazz, n'en manque pas dans les boîtes. Un jeu d'enfant, et une constatation étonnante. Cela rapporte beaucoup plus que les engagements. La prostitution – Mingus n'emploie pas ce mot – comme un mode de survie économique. Avec en plus l'excuse toute trouvée : ce n'est pas de ma faute, j'y suis poussé par l'exploitation dont je suis victime.

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Jusque-là tout va bien. Mingus n'outrepasse pas les limitées de la bienséance. Va bientôt passer à la dimension supérieure. La prostitution comme élément de combat et de libération. N'y a pas que des petites noiraudes qui s'en viennent chercher un supplément d'affection dans les clubs de jazz. Beaucoup de jeunes femmes blanches. Qui possèdent un immense avantage : osent braver l'interdit inter-racial grâce à leur fric. Peuvent manifester leur intérêt pour les gros zobs noirs sans être reléguées à l'index de la leur société. L'argent couvre toutes les turpitudes. Chez les musiciens noirs, c'est le top du top érotique : baiser une blanche et lui prendre tout son fric. Mâle acquis profite bien. Revanche sociale. Regardez bien petits blancs, je nique vos femelles, les plus classieuses, et je pompe vos dollars.

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Un jeu jouissif et dangereux que Mingus va pervertir. Le cul est une chose, et l'Amour avec une majuscule une autre. Lui mélange tout. Une blanche et une noire. Le grand amour de sa jeunesse avec la nouvelle passion amoureuse. Scènes torrides. Avec glissement progressifs vers le plaisir. Du fric. Transforme ses maîtresses en call girls de luxe. Faut comprendre : l'émancipation des noirs passe par là. La prostitution comme moyen de lutte révolutionnaire de réappropriation de tous ce que les blancs ont volé aux noirs. Ce n'est pas une lutte strictement raciale : blancs contre noirs, mais une lutte de classes. Les noirs pauvres à l'assaut des blancs riches. Une théorisation qui dépasse sur sa gauche la servilité des Oncles Tom et sur sa droite la révolte des Black Panthers. La solution n'est pas au bout du fusil. Mais dans des draps de satin rose.

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Avec en filigrane ses réflexions théoriques sur la nature du Noir qui sait prendre la vie comme elle vient du bon côté et celle du Blanc coincé en une vision moralisatrice de la vie. Tout en se défendant d'être un vulgaire profiteur. Mingus flirte avec sa propre inconséquence morale : se défend d'être un simple maquereau, au fond de lui il est un libérateur de son peuple opprimé. Contradictions qui lui éclatera à la figure. Si violemment que sa schizophrénie le mènera à l'asile. Cette partie essentielle de l'autobiographie tourne au roman de la sublimation pornographique. Ses amoureuses prennent leur indépendance... Le lecteur s'amuse comme un fou et en vient à regretter de ne pas être né noir aux Etats-Unis au bon vieux temps de la ségrégation raciale qui présentée par Mingus devient l'expérimentation osée d'un melting pot américain vraiment entremêlé.

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Nous arrivons à la fin. Mingus fait du rétro-pédalage. Parle des difficultés pour un noir à assumer sa négritude. Son couple mixte est en proie à mille petites vexations journalières qui érodent son optimisme. Sur le plan professionnel la situation ne change pas. Un musicien noir reste moins bien payé qu'un blanc et les revues grand-public mettent systématiquement en valeur les visages pâles. Leur tressent des couronnes souvent imméritées. Prend conscience que s'il est difficile de faire l'impasse sur son jeu de basse lors des compte-rendus des concerts, son oeuvre de compositeur est systématiquement ignorée, tout au plus quelques mots rapides concédés en bout de plumes...

Ce n'est que dans les dernières lignes qu'il parle enfin du jazz. En cause avec une grande intelligence. Mais ce n'est pas l'essentiel du livre. Qui est avant tout le parcours existentiel d'un homme qui navigue à vue, entre les récifs de la réalité et les lames de fond de ses aspirations les plus intimes. Le partage des eaux entre la rugosité du réel et le diamant du rêve. Ce dernier étant aussi tranchant que les étocs du vécu. Une écriture shakespearienne, la truculence de Falstaff, la folie du Roi Lear, les mégères inapprivoisées, drame burlesque et comédie tragique. Moins qu'un chien. Mais un sacré bâtard qui ne se prive d'aucun os à moelle de la vie. Un corniaud enragé. Un mâtin câlineux. Un conseil, laissez-vous mordre. Jusqu'au sang. Vous ne le regretterez pas.

Damie Chad.

 

 

 

 

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