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10/02/2016

KR'TNT ! ¤ 268 : COOKINGWITHELVIS / BE BOP CREEK / PSYCHEDELIC / JODOROWSKY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 268

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 02 / 2016

 
COOKINKWITHELVIS / BE BOP CREEK

PSYCHEDELIC / JODOROWSKY

 

ROUEN ( 76 )

LES TROIS PIECES / 24 – 10 – 2015

LE KALIF / 5 – 02 - 2016

COOKINGWITHELVIS

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A DATE WITHCOOKINGWITHELVIS

Un jour, un bon ami disquaire me colla dans les pattes un LP et deux singles.

— ‘Coute ça !

Le connaissant pour son flair de cocker, j’obtempérai, malgré un a-priori défavorable concernant le LP : la pochette noire ornée d’une sorte de graphe de pendu me déplaisait par son côté sommaire. Par contre, la pochette intérieure semblait plus alléchante : on y voyait la photo d’un mec coiffé d’une pompadour qu’encadraient deux pulpeuses chanteuses black. On aurait dit un Esquerita à la peau blanche pris en sandwich entre deux clonettes de Tina Turner. Miam miam.

Alors je fis ce qu’on doit faire dans ces cas-là : une écoute au casque. Mais rien n’est plus difficile que de s’enthousiasmer à froid, à partir d’un disque dont on ne sait rien. Un morceau accroche, et puis le suivant déçoit. Le troisième, puis le quatrième. J’ai rangé l’album dans sa pochette. Même chose pour les deux singles et retour au comptoir.

— Alors ?

Il fallait trouver quelque chose à répondre.

— Ben bah bof...

No comment. Le disquaire remit l’album et les singles dans la pile. Histoire de ne pas rester sur un malentendu, je fis l’hypocrite :

— Ya des trucs intéressants... D’où ça sort ?

— Ils sont parisiens. Le label s’appelle Bullit. Un mec est venu les mettre en dépôt.

Comme toujours dans ces cas-là, on sent que pour les disques, c’est foutu d’avance. Le vrai boulot n’est pas fait. Personne ne sait raconter l’histoire du groupe. Il y a forcément une histoire. Mettre des disques en dépôt chez un disquaire, ça ne sert strictement à rien. C’est exactement la même chose que de laisser des flyers pour le concert d’un groupe que personne ne connaît. Qui va aller risquer de s’emmerder pendant une heure comme un rat mort ? Seuls les curieux viendront et encore, c’est une race en voie de disparition. L’underground est un monde extraordinairement difficile et donc mortifère. Les groupes ne doivent le plus souvent leur survie qu’à leur seule réputation. Et qui fabrique les réputations ? Les fanzines, bien sûr.

Les fanzines ont toujours su cultiver la réputation des groupes, car ce sont des fans qui les publient. C’est le rôle que se sont assigné Dig It et Rock Hardi depuis des lustres, et que s’assigne à une autre échelle Ugly Things. Mike Stax et l’équipe de Dig It défendent une culture et des artistes fragilisés ou happés par l’oubli. Avec leurs petits bras et avec leur petites jambes, ces gens qui sont des fans savent consacrer quatre pages à un loser dont on ne verra jamais les disques à la FNAC, qui, faut-il le rappeler, n’a jamais été un disquaire. Quand on parle de disquaires, on parle bien sûr d’endroits comme l’Open Market, Music Action ou Born Bad au temps de la rue Keller, ou encore Rock On à Londres.

On rejette un coup d’œil à la pochette noire. Au fait, c’est quoi, le nom de groupe ? Wow ! CookingWithElvis ! Plutôt bizarre. Et même incompréhensible. Et puis cette histoire de choristes black ne passe pas, tout simplement parce qu’on vient de se faire avoir avec les deux albums des Excitements, un groupe de soul-funk basé en Espagne et mené par une tigresse qui aimerait bien chanter comme Tina à l’époque de la Revue. Mais les Excitements ne sont pas les Buttshakers. Il leur manque le petit quelque chose qui fait la différence.

Les mois passent et voilà qu’on annonce une soirée Bullit en ville. Tiens tiens... Un vague souvenir de quelque chose, mais rien de précis. Souvenir d’un joli son sur un single, quelque chose de bien rock, mais rien de plus. On mène l’enquête et voilà qu’on découvre que le leader de Rikkha joue dans Western Machine, en première partie de CookingWithElvis. Oh on verra bien. Tous ceux qui ont vu Rikkha ne seront pas déçus par Western Machine : le trio sort le gros son. Seb le Bison porte un Stetson fatigué, un collier de chien et un costard rouge. Il offre au maigre public rouennais cette touche de rock glamour à laquelle nous avaient habitués les Dolls. On retrouve à la basse Marion la Vidange qui cette fois est coiffée comme un greaser chicano. Elle s’est dessiné des rouflaquettes et une moustache au feutre. Ça fait illusion. Elle ne trahit sa féminité que lorsqu’elle parle au public.

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Dans le petit backstage de la cave, on aperçoit une sorte d’Alice Cooper surmonté par une pompadour de vingt centimètres. L’étrange individu porte l’un de ces costumes trois pièces très cintré qu’on portait dans les années soixante-dix et les bottines de frimeur qui vont avec. Et soudain arrivent deux plantureuses blackettes en jupes courtes.

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Wow, on se dit qu’Alice Cooper dispose vraiment des gros moyens s’il peut se payer des choristes de cet acabit ! Elles sont toutes les deux magnifiques, imposantes, avec tout ce qu’il faut pour faire lever un sourcil de macho. Ils s’installent sur scène. Pas de cuivres ? Non juste un backing-band traditionnel guitare basse batterie, mais comme on va le voir, quel backing-band ! Alors attention, ce que ces gens-là proposent est tout simplement exceptionnel. Leur set est une pétaudière. Ça ressemble à un gag au départ mais on s’aperçoit très vite qu’ils jouent comme de vrais soul-shakers. C’est même par moment complètement explosif, car monté en épingle par les deux choristes qui bouffent littéralement la scène, qui dansent et qui shoutent, trempées de sueur et possédées par les dieux de la Soul.

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Elvis fait lui aussi le cake et il danse comme on savait danser dans Soul Train, l’émission mythique de Don Cornelius. Il faut voir cet Elvis coordonner ses pas avec ceux des deux blackettes et pirouetter comme un Travolta de train fantôme. Il plonge son regard de fou dans ceux des spectateurs, exactement de la même manière que Screamin’ Jay Hawkins en son temps au Méridien - les filles criaient car il leur faisait peur, mais c’était pour rire - Musicalement, ils tapent dans le western gothique et les balladifs élégiaques, au cours desquels ils se livrent à des ballets sulfureux. Quand Elvis danse le slow avec ses deux partenaires, ça tourne à la grosse partie de froti-frota, mais bon esprit. L’incroyable est qu’ils parviennent à danser sur du country rock up-tempo comme s’il s’agissait d’un hit de James Brown. Et ça marche !

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Les filles font tourner les chœurs et les cœurs en bourrique - Johnny my lover ! - Oh et ce balladif indécent de classe qui s’appelle «Pretty Girl» mené à la baguette par une Flora déterminée à vaincre. Et sur «I Was A Bird», entre deux couplets gluants de western gothic, Elvis twiste comme un Chubby Checker de Muppet Show, fantastiquement tatapoumé par derrière. Le genre de spectacle que l’on voudrait sans fin.

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Du coup, on récupère le fameux «Fireman» à la pochette noire. Ça s’ouvre sur un «I Carry The Sun» digne des Rezillos et du chant de menton vainqueur. Voilà un cut joliment profilé sur un drive de basse avantageux. C’est la dame en noir qui prend au chant «Fucking Girl» pour lui faire sa fête. On voit avec «Funeral Blues» que Jype sait très bien crooner à la surface des balladifs élancés. «Ma Complainte» est une reprise du hit de Joachim Du Bellay, la fantastique «Complainte du Désespéré». Mais c’est avec «I Was A Bird» que le groupe décolle véritablement. Sur scène, on les voit danser à trois sur le refrain. Il règne dans ce cut la même atmosphère de western gothique - I want a bird/ The sun was out - C’est un vrai coup de Jarnac apparemment tiré d’un poème de Richard Brautigan. Quelles belles dynamiques internes ! En face B, le «Lipstick» qui fait l’ouverture sonne comme du Marianne Faithfull. C’est Flora qui chante et qui s’en sort avec les honneurs. Et on retrouve la fantastique frénésie avec un «Fireman» chanté à trois voix. Quelle énergie ! On les sent bien montés sur le beat, bien ramassés sur eux-mêmes et prêts à intervenir pour en découdre sévèrement. Ils retapent dans Brautigan pour un «Madeleine» qui ne doit absolument rien du tout à Brel. Pour «Johnny» ils créent une ambiance musicale extrêmement sophistiquée. Toutes leurs ambiances sont typiques du Southern Gothic de banlieue, avec un mélange bouleversant de pulsions motrices et de chœurs d’artichaut, de dance in the dark et de beat gluant.

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Jype et ses amis sont revenus secouer les cocotiers rouennais. Pour remercier Louen de son accueil, il lut sur scène un petit poème de Pablo Neruda et jeta son Folio dans la foule. Il n’y avait rien de nouveau par rapport au set précédent, le groupe jouait avec le même enthousiasme, la même cohésion et le même sens de la fête, avec de sacrées montées de fièvres et des pas de danses à trois fabuleux. Oh, il n’y avait pas foule, mais on sentait que Jype et ses amis gagnaient les sympathies une par une. La version de «Pretty Girl» fut absolument magique. C’est l’un des hits de Cooking, comme ce «I Was A Bird» qui embarque systématiquement la salle en voyage pour Cythère. Ils firent un simili rappel avec une reprise d’Elvis, le fameux «Viva Las Vegas» qui prit des tournures de carnaval à Rio, avec cette force d’enchantement et cette conviction qu’on retrouve chez Tav Falco lorsqu’il tape dans «Brazil». Les filles dansaient en rigolant et on se sentait une fois de plus dans le meilleur des mondes. Si on aime le rock et le spectacle, le bon esprit et la modernité, il faut aller voir les Cooking.

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Signé : Cazengler, CookingWithL’Avis


CookingWithElvis. Le Trois Pièces. Rouen (76). 24 octobre 2015

CookingWithElvis. Le Kalif. Rouen (76). 5 février 2016

CookingWithElvis. Fireman. Bullit 2015


MIDWAY SHOOTER BAR

TROYES / 07 / 02 / 2016

BE BOP CREEK


De retour au Midway Shooter bar, aux canapés aussi profonds que la mer, celle que l'homme libre toujours chérira. Premiers arrivés, nous qui venons du plus loin, les Be Bop sont encore attablés et dégustent leur part de pizza. Toutefois le pub se remplira doucettement mais avec une constance qui fit plaisir à voir.

ROUND ONE

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Trois pas plus. Caisse claire, tambour, cymbale. Le strict minimum. Le royaume de Laurent. Rocky est à sa gauche à la contrebasse, et William à droite à la guitare. Formation équilatérale. A trois il ne peut pas y avoir d'angle mort. Chez BBC, le wait and see n'est pas de mode. Pas question de glander dans son coin, pendant que les copains ramonent la cheminée. Trio rockab, rien de plus simple, rien de plus difficile. Arcs-boutants sur le mur porteur. Un seul qui flanche et l'ensemble s'écroule. Pouvez suivre l'apport de chacun à l'oreille. Pas de droit à l'erreur. Surtout qu'ils poussent le challenge plutôt haut. Les exercices les plus difficiles. The earlier rock. Le rock des débuts. Celui inimitable des pionniers, ces gars surgis de nulle part. Une génération spontanée, beaucoup retombés dans l'anonymat d'où ils étaient venus, dont il ne reste que quelques disques comme autant de traces éparses et perdues. Un miracle qui s'est joué entre 1954 et 1960. Quelque chose qui n'est déjà plus du tout le western bop et que les bricolos de la génération suivante s'en iront turbiner et surfiner à leur guise dans les garages parentaux. Un instant de grâce musicale, mais tempétueuse. Le monde en a été bousculé.

Reprises et contrepartie. Ne pas copier. Be Bop Creek relève le défi, deux originaux d'entrée, No Squares Allowed suivi d'Emelynn Gal. Laurent donne le rythme et chante. Et tout de suite, c'est l'enchantement, la justesse du phrasé et ce balancement inimitable du beat lancinant que l'on hache à toutes les sauces. Pas le temps de musarder. William vous lâche de ces banderilles dans les oreilles, c'est ce que j'appelle du Peavey Picking, une note égale une balle traçante, l'en lance comme s'il en pleuvait des piques et des hallebardes. Impossible de confondre les épines lacérantes du rockab avec les romances à l'eau de rose. Trois minutes pour conquérir le monde. Et l'on recommence tout de suite après.

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Rocky vous tient sa big mama droite comme I. Ne doit pas aimer la tour de Pise, au moindre écart de son axe de symétrie, un soupçon à gauche, un semi-tantinet en arrière, il vous la remet droit debout, aussi rectiligne qu'un fil-à-plomb, stable comme le donjon d'un château-fort. Ne penche pas un chouïa du côté par où elle va tomber. Je vous préviens, Rocky est un faux-calme. D'apparence le gars sérieux qui marne dur pour ramener la paye à la maison. Mais il a ses moments de folie. Pas douce du tout. Sans préavis il la jette à terre, s'allonge dessus sa cavalière de bois verni ou s'étend dessous. Continue d'en jouer méthodiquement, imperturbable, pour un peu il nous ferait croire qu'il est en train d'officier une messe en Ré Mineur dans le London Symphonicum. Ne trompe personne, l'a un arrachage de cordes un peu trop sauvage pour donner le change. Tout cela ne sera rien lorsqu'il entreprendra, plus tard, une danse du scalp échevelée autour de la prisonnière du désert – genre trip lakotas en colère à la bataille de Little Big Horn – qui nous arrache des hurlements de peaux-rouges.

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Je n'aimerais pas être à la place de Laurent entre ces deux acolytes. Les mecs les plus sérieux du monde, s'inquiètent de la tonalité, quémandent pour qu'il indique le rythme initial, et... s'amusent à démarrer avant ou après. Just for fun, et la seconde suivante ça fuse en trombe, accrochez-vous aux petites branches, il n'y a sûrement pas de frein. Nous servent un festin. Des plats exquis aux saveurs rares, du Terry Fell, du Lonnie Lillie, du Doc Palmer, du Bill Bowen, du Van Brothers. Palais sensibles s'abstenir, petits régals superbement asticotés et épicés à souhait. Laurent est au four et au moulin, bat le beurre au lait de dinosaure sur sa maigre batterie de cuisine, et infléchit de sa voix le boulot des deux marmitons qui récurent leur casserole avec une énergie sans cesse renouvelée.

Et puis il y a les cadeaux maison, un Lonely Heart de Carl Perkins, un Crazy Legs de Gégène Patte Folle Craddock, un Teenage Cutie d'Eddie Cochran et un Stuck On You du Pelvis expédié à coups de pompes dans le croupion, comme jamais Elvis n'a osé le faire.


ROUND 2

Je ne l'ai pas vu passer. Trop bon. De petites merveilles, un Big Fool de Ronnie Self, un Shake 'um Up Rock de Benny Cliff, un Jilted Again des Collins Coins ( celui-là, je ne sais pas d'où ils l'ont sorti, ils ont dû le déterrer avec la hache de guerre ), un Alone and Crying de Johnny Fortune, remastérisé à la Johnny Burnette, nous supposons pour lui inoculer un plus de nocivité. Plus leurs propres compos qu'ils pourraient nous faire facilement passer pour des morceaux de célèbres inconnus.

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Laurent est à la fête, baguette fichée sur la caisse claire, immobile, et le balai qui fait le ménage autour. Inimaginable toutes les nuances que l'on peut exfuser d'une simple peau tendue. En fait ce n'est pas l'instrument qui résonne, mais la façon de l'aborder qui pulse la différence. C'est l'énergie de la frappe qui modifie le quanta sonore. L'a dû écouter au moins dix mille fois Dickie Harrel pour arriver à ce nuancier de touches, ces traînées d'échos comme un camaïeu de frappes dont le dégradé serait atteint d'autochromophonophagie sismique opérant ces glissandi si particuliers, d'autant plus que si William joue à la note, il ne suit en rien les longs silences syncopiques du jeu qu'imposait Cliff Gallup, et en cela le son de Be Bop Creek acquiert sa légitime originalité. Lorsque William s'emparera de son bottleneck, la donne ne changera pas, malgré les longs rubans d'acier dévalés dont il enchaîne ses rafales de notes discordantes et détachées qui vous clouent au sol en des postures extatiques. Be Bop Creek, ce sont les flèches meurtrières d'Héraklès qui se fichent dans les sternums d'airain des oiseaux du Lac de Stymphale.

ROUND 3

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Ce devrait être interdit de prévoir uniquement dix titres pour le final. Surtout quand on allume le feu avec deux petits Cochran à vous faire dépaver les rues et deux Elvis incandescents en générique de fin. Mais ce n'était qu'une infâme ruse de coyote pour mieux s'approcher du soleil rougeoyant du rock and roll. William sort de derrière son ampli, sa petite liste personnelle. A prendre et à ne pas laisser. Les deux autres n'ont qu'à suivre. Ce qu'ils font en courant. Façon toute symbolique de parler puisque Rocky rampe par terre sous sa contrebasse comme un escargot, William assis sur l'instrument jouant manifestement la coquille du gastéropode. Skinny Jim, Little Girl, un Stray Cat, Blue Jean Bop, Red Bluejean and a Pony Tail, défilent dans un délirium final. Le public collé au trio infernal, aboie et hoquette sans fin. Justement ce n'est pas la fin, dernier morceau. William appelle Raphaël, c'est le patron, un gars discret et souriant. Je n'ai aucun reproche à lui adresser, mais des voix s'élèvent, manifestement personne ne veut l'entendre chanter. Laurent est là pour ce noble exercice. Raphaël s'avance sous la bronca, dédaigne le micro, tend le bras vers William et lui en coupe deux d'un geste vif et assuré. Rassurez-vous demoiselles. Puis trois autres. Pas avec les mains comme un saguoin, avec une pince coupante, ne lui en reste plus qu'une. Corde à sa guitare, qu'à cela ne tienne, l'on aura droit encore à un dernier classique et pour finir en beauté un instrumental à fond les manettes qui ressemble pas mal au Get Rhythm de Johnny Cash. Sur une seule corde sans filet. Je ne vous raconte pas comment Rocky a dû pédaler pour rétablir l'équilibre.

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GROUND 0

Ce coup-ci, c'est terminé pour de vrai. Nous reste même plus assez de cordes pour nous pendre de désespoir. Les Be Bop Creek nous ont scotchés. Puissants et affûtés, le bon vieux rockab des familles, comme on l'aime. Survitaminé et décapant. Un ruisseau où il fera bon de retourner boire.

Damie Chad.

( Photos : FB : Nathalie Gundall )

 
ROCK & FOLK / H. S. 32.

PSYCHEDELIC SHIT

( Décembre 2015 )

 
JEROME SOLIGNY / BERTRAND BOUARD / ERIC DELSART / THOMAS FLORIN

PHILIPPE MANOEUVRE / BUSTY /DOMINIQUE TARLE / OLIVIER CACHIN

THOMAS E. FLORIN / PATRICK EUDELINE / CHARLES CIANFARANI

EVE BABITZ / PHILIPPE GARNIER /ALEXANDRE JODOROWSKY

ROBERT CRUMB / PHILIPPE THIEYRE / NICOLAS UNGEMUTH

JOE BANKS / BENOIT SABATIER / BASILE FARKAS

JONAZTHAN WITT / JEAN SOLE

 

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Cent soixante-deux pages, des illustrations à la veux-tu en voilà, et du texte en petits caractères, quelques heures de lecture, toute l'équipe ( ou presque ) de Rock & Folk y a contribué. C'est que le sujet est ample. Touche à la période sacrée du rock classic, prend son essor au milieu des sixties et mord sur le début des seventies. Et puis il y a le retour du rock psychédélique, ces derniers mois. Le psychédélisme est dans l'air du temps. Trois destins exceptionnels en couverture, Janis Joplin, Jimi Hendrix, Jim Morrison, trois figures iconiques du rock, mais il ne faudrait pas que les baobabs géants cachent la forêt de broussailles impénétrables, peuplée encore davantage de reptiles étranges et miraculeux que les bayous de la Louisiane d'alligators voraces.

Le rock, le blues, le rhythm and blues, jusqu'en 1965 la zoosphère roucoulait pépère. Parfois cela prenait des aspects de pierres roulantes qui dévalaient les pentes en un sublimissime tohu-bohu dévastateur, mais chacun y retrouvait ses petits assez facilement. C'était un domaine réservé. Aux parias de la société. Les rejetés, les réprouvés, les marginaux. Subitement ce fut l'invasion. Jusqu'à lors il s'agissait essentiellement de musique. Et brusquement les hordes barbares et chevelues entraient dans l'empire. Un phénomène nouveau et inquiétant. Ne venaient pas squatter un endroit strictement délimité, pas question de s'entasser entre les hautes murailles du Domaine d'Arnheim, plus il en arrivait, plus les murs reculaient, l'impression d'un ballon de baudruche dont les parois s'écartent de plus en plus au fur et à mesure que l'on y souffle de l'air. Univers en expansion.

Jusques-là le rock était une musique. Point à la ligne. Et voici que s'ajoutaient des pelures qui n'avaient à voir avec : du graphisme, de la littérature, de la presse, des expériences existentielles, du cinéma, de l'électronique, de la couture... Total capharnaüm ! Les cats de base n'y retrouvaient plus leurs petits rockers chéris des origines. Les verrous avaient sauté. C'est que l'explosif employé était puissant. Nom de code : LSD 25. Provenance USA. Un acide qui ne rongeait pas ( enfin, pas obligatoirement ) le cerveau, mais qui vous le surmultipliait. Vous n'étiez plus vous, vous étiez en même temps et le vecteur cinétique de vos sensations, et le décor halluciné et coloré dans lequel vous vous mouviez, et l'incarnation des idées et des pulsions qui traînaient habituellement dans votre subconscient mémoriel. Le big trip. Intéressant. Ces essais pharmascopiques auraient pu s'arrêter là. Il n'en fut rien. Vous manquait la bande son. Elle s'imposa d'elle même. Le rock and roll et rien d'autre. Le classique trop pompeux, le jazz trop bavard, le rock était la bonne sur-vitesse.

Ce phénomène amena un changement du public, aux engagés un peu frustres des légions populaires de la première heure, s'adjoignirent les cohortes d'étudiants ouverts à d'autres réalités que la transe strictement binaire. Le rock acquit une dimension artistique qu'il ne possédait pas à ses débuts. Fut rejoint par des cohortes d'artistes en tout genre, qui sautèrent dans le Mystery Train du vieil Elvis en marche, dont ils ne tardèrent pas à repeindre, puis à réaménager les wagons. Se glissèrent aussi dans la cabine de la locomotive, et s'occupèrent à redessiner le tracé des rails. Ce fut le dernier grand mouvement culturel de masse du vingtième siècle, une sorte de surréalisme sauvage à la puissance mille, auprès duquel les Manifestes objurgatifs de Breton faisaient pâle figure et grise mine. Le psychédélisme ne promettait rien, ne tirait pas des plans sur la comète du futur d'une humanité à libérer. Il réalisait. Dans l'anarchie la plus complète. Et pas question de faire semblant de ne pas le voir, l'était trop flashy. Ni de ne pas l'entendre, le rock and roll était une caisse de résonance, trop stridente.

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Aux USA, la jeunesse n'eut pas le choix, ou l'amour libre ou la guerre. Ne voyez pas la réalité avec le petit trou de la lorgnette du sexe. Refuser le Vietnam, c'était choisir d'autres rapports humains, féminisme, droits civiques mais peut-être encore plus profond, le refus d'une consommation industrialisée, lutte armée, retour à la campagne, écologie, bouffe-bio, usage de stupéfiants, tout s'entremêlait, tout se mettait en place, rien ne restait fixe... Un profond bordel dans les consciences, les autorités eurent les chocottes, les tentatives d'instauration de zones de vie différentes dans les grandes villes comme Londres, Amsterdam, San Francisco, ne reçurent pas la bénédiction des pontifes politiciens... En Angleterre la revue IT ( International Time ) devint la bête noire des policiers... Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Faut lire l'article d'Eric Delsart, Ladbroke Groove, sur Notting Hill quartier londonien laboratoire existentiel et musical, avec parmi tant d'autres, la belle et exemplaire personnalité de Mick Farren ( dont notre Cat Zengler favori nous a longuement entretenu à plusieurs fois dans KR'TNT ! - voir par exemple Livraison 153 du 29 / 08 / 2013 ).

Mais avant de nous lancer dans l'exploration de toute la mouvance psychédélique internationale, je m'attarderai sur l'apport français au mouvement, tel que nous le rappelle Patrick Eudeline. Une kyrielle infinie de noms. Je doute fort qu'un lecteur d'une vingtaine d'années arrive à en identifier deux ou trois de plus que Johnny Hallyday et Antoine. Certes les radios et même la télévision ne furent pas totalement étanches, mais comme trop souvent, il n'y eut pas de véritable suivi. Des apparitions fugaces et puis plus rien. Déjà que les maisons de disques vous bridaient pas mal le cou, et qu'il n'était pas facile d'enregistrer exactement ce que vous désiriez... en résumé, le psyché national, maintenu par les programmateurs en une ombre cauteleuse, n'atteignit pas le grand public, comme toujours ce fut un rendez-vous manqué avec l'Histoire. La malédiction camembertique du franchouillard n'a pas omis de commettre ses ravages habituels.

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Par ordre chronologique, Thomas Florin nous cause du premier hippie. Le néanderthalien originel. Se nomme Eden Ahbez, un doux sauvage végétarien rousseauiste, né en 1908 et mort en 1995. Aimait à vivre dehors en pleine nature, faisait la route, fut l'immortel auteur de Nature Boy, un hit de Nat King Cole, qui rapporta tant d'argent à Capitol qu'avec les bénéfices l'entreprise fit construire la célèbre tour ( celle-là même où Gene Vincent... ). Enregistra en 1960 un disque Eden's Island, qui n'eut aucun succès, mais influença par ses parti-pris existentiels et musicaux les mouvements beatnik et hippie. Fut aperçu dans un studio avec Brian Wilson des Beach Boys...

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A tout seigneur, tout honneur. Les Beatles. Un groupe sur le départ. Implosif. Entamaient leur deuxième période par un grand voyage initiatique en Inde. S'étaient trouvés un gourou le grand Maharishi truc muche, le maître de la méditation transcendantale – perdait un peu de sa concentration dès qu'il entrevoyait des formes féminines un peu trop rebondies – mais il servit de caution philosophique au mouvement. N'apporta aucun nouveau message fracassant, nous y voyons la preuve d'une grande sagesse, mais les guitars boys désormais mués en sitar lovers surent imprimer au mouvement un semblant de spiritualité des plus exotiques. Désormais musicalement tout était possible : aucune retenue sur les lignes harmoniques, une bande à l'envers, une bande à l'endroit, choix d'instruments tous azimuts. De la flûte du charmeur de serpent aux bidouillages électroniques les plus ambitieux. Une superbe cacophonie. L'ensemble aurait pu virer à la catastrophe, mais il y eut une telle émulation, une telle inventivité, que la face du rock s'en trouva changée. Fini le culte de la note bleue. Désormais elle serait de toutes les couleurs. Le psychédélisme fut la mère de toutes les batailles. Le réservoir procréatif de tous les genres, la ligne de partage des eaux fut multiple; le néo-folk, le hard-rock, le progressive rock, l'électro-rock, toutes les musiques que nous aimons et même celles que nous détestons, elles viennent de là, elles viennent du psyché, c'est sans doute pour cela qu'elles y retournent, mais ceci est une autre histoire.

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Soyons politiquement correct : pas question d'avoir notre unique chocolat de service, en l'occurrence le bel enfant vaudou Jimi Hendrix, c'est peu, alors on le mentionne à peine, Olivier Cachin dirige la lumière sur le Black Psyché, tous les spot-ligth braqués sur Albert Lee leader des Seeds, Sly and the Family Stone, le groupe détonateur, et puis George Clinton, la métamorphose en trois étapes ultra-rapide du binaire rock en la folie funkadélique... le tout s'acheva plus mal que le commencement ne le promettait, un glissement progressif vers le déplaisir du disco...

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Nul n'est parfait. Pas même Jim Morrison. Il ne faut jamais marcher sur la queue du serpent endormi. Une fois qu'il s'est réveillé il est difficile de le maîtriser. Eve Babitz sait de quoi elle parle. Elle est sortie avec Jim Morrison. Un gros nounours gêné aux entournures par son embonpoint. Un rat de bibliothèque, pas de quoi fasciner les étudiantes. Heureusement il a trouvé le régime idéal, vingt-cinq kilos en un an. Le phacochère vous a pris des allures de prince charmant. Je ne suis pas égoïste, je vous refile son truc. Facile, carburez au LSD, et la graisse fond d'elle-même. Attention, ce n'est pas le remède miracle, pour le physique c'est parfait, seul hic toc vous gardez le même mental. Aussi ringaros avant qu'après. Morisson ou pas, c'est pareil, vous êtes gros parce que vous êtes mal dans votre peau, une fois tout maigre vous vous sentez tout aussi mal. Comme Jim n'était pas bête, il s'en est aperçu, l'a abandonné l'acide pour l'alcool. S'est retrouvé avec sa carrure d'ours mal baisé ( et du coup mal baiseur ) antérieure, ce qui l'a rassuré. Ne savait plus trop ce qu'il faisait, tout partit en couilles, sur scène. Sur Seine à Paris où il se met à s'injecter l'héroïne de sa copine Pamela. Pas de veine, il ne savait pas doser... Un décès de has-been, dans le prolongement du personnage, l'a commencé à chanter avec les Doors, au Whisky-a-Gogo, dont le chanteur vedette était... bonjour l'angoisse, bonsoir la poisse... Johnny Rivers. Inutile de pleurnicher, le pire devait arriver, était programmé : personnalité suicidaire. Lui taille un beau costume d'enterrement, son ex ! Elle l'a tout de même un côté sympathique, c'est qu'elle ne se rate pas non plus. Elle arbore un petit côté moraliste larockefoulcadien désabusé du grand siècle, délicieux.

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De son vivant Morrison fut respecté comme un dieu. Un héros. Un poète. Un demi-siècle après sa mort, son cadavre ne fait plus l'unanimité. Remettez-moi une couche de terre sur sa tombe qu'il ne risque pas d'en ressortir. Beaucoup qui l'ont admiré ne considèreraient-ils pas son auto-effacement comme un reproche à leur survie vieillissante ? N'est-il pas ( le plus ) heureux celui à qui les Dieux ont donné la mort en pleine jeunesse comme nous l'annonçait Callimaque aux temps radieux de la Grèce ancienne ! Les morts sont encombrants. Busty analyse le dernier film d'Amy Berg sur Janis Joplin. Rien à reprocher à Janis. L'a vécu au plus près de son authenticité. Que reste-t-il à dire quarante-cinq ans après sa mort ? Ainsi débute l'article. Les disparus sont un poids mort au bout du fil de notre mauvaise conscience. Nous attirent. Nous retiennent. Nous appellent.

Jodorowsky est toujours vivant. Bon pied, bon oeil, ne regrette rien de ces folles années. Ne demande qu'une chose qu'elles recommencent. Un bon antidote à Philip K Dick. Ce ne fut pas un écrivain mais un prophète. Pas le Saint-Jean apocalyptique de la fin du monde grand spectacle avec trompettes du jugement dernier et retour final en grandes pompes au paradis ( pas du tout artificiel ). Juste l'époque où nous vivons. Pas très belle, nous évoluons dans un univers paranoïaque, dépressif, et schizophrénique. Heureusement que nous faisons semblant de ne pas nous en apercevoir. Plus que deux camps, les flics et les esclaves. Aucune illusion, votre nom est sur la liste des manipules serviles. Ce ne sont pas les planches de Crumb qui vous remettront le moral au beau fixe. L'épisode s'arrête juste au moment où le Retour de Mr Natural commençait à devenir intéressant... Un seul espoir, la grève mondiale générale, ce n'est pas moi qui lance le mot d'ordre mais Alejandro. Jodorowsky. Voir article suivant.

Un petit coup porté à notre orgueil de rocker. Non ce ne sont pas des chevelus sous acide qui ont inventé les orgues Martenot, le thérémine, l'Ondioline, tous ces ancêtres des synthétiseurs ( quoique entre nous soit dit un bon vieux piano sans queue mais couillu à mort à la Jerry Lou... ) mais des scientifiques dans la première partie du vingtième siècle. Robert Johnson s'escrimait sur sa guitare que déjà des mecs en blouse blanche inventaient le futur du blues et du rock dans les laboratoires... Un dernier article sur les nouveaux héros d'aujourd'hui du psyché, Jacco Gardner, Wardocks, Black Angels, Melody's Echo Chamber, King Gizzard & the Lizard Wizard, TY Segall... sans parler les discographies d'avant-hier à après-demain, et les planches sur les graphiteurs et les photographeurs qui flashèrent et colorèrent la belle saison du psychédélisme...

Un numéro copieux. De quoi se rappeler le bon vieux temps pour les rescapés et les anciens combattants, et signifier aux pilleurs d'épaves des utopies disparues que certaines portes sont de véritables issues de secours pour ceux qui essaient de fuir la morosité des temps actuels... Un autre monde a bien été possible. Voici, pas si longtemps que cela. Pas un miracle, plutôt un mirage. Nombreuses sont les merveilles du rock. Mais la plus grande des merveilles reste le rock and roll lui-même.

Damie Chad.

 

LA MONTAGNE SACREE

ALEJANDRO JODOROWSKY

( Film / 1973 )

 

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Parfois l'esprit vous trahi. Il y a quelques cinq années de cela je m'étais persuadé que La Montagne Sacrée sur son étagère était un western. Une resucée de La Colline des Potences. Stupide confusion, entre El Topo de Jodorowsky, Gary Cooper et Delmer Daves, vraisemblablement due à l'époque à la trop grande absorption de feulements de guitares de Wilko Johnson. Les mois passant, les rayons du soleil ont eu raison du nom du réalisateur calligraphié en lettres jaunes. Total, mon cerveau a failli. Chaque fois que mes yeux tombaient par hasard sur le titre, je m'insurgeais contre cette idée stupide qui m'avait habité un jour de m'approprier le DVD de l'adaptation filmique ( 1982 ) de La Montagne Magique par Hans W. GeiBendorfer, comme s'il était possible de réduire ce splendide roman de Thomas Mann – méditation philosophiquo-nietzschéenne sur la décadence intellectuelle du monde occidental - en images colorées. C'est en lisant le Hors-Série Psychédélic Shit ( voir kronic précédente ) de Rock & Folk que l'aveuglante vérité s'est imposée : je possédais, chez moi, dans mon petit intérieur douillet de rocker, et ce depuis plus d'un lustre, La Montagne Sacrée d' Alejandro Jodorowsky, moi qui avais l'habitude de me plaindre très régulièrement de ne l'avoir jamais vue. Donc acte.

VISION-ÂGE

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A proprement parler ce n'est pas un film. C'est une suite d'images. Pour mieux comprendre, vous relisez la Kronic de la semaine précédente sur l'édition du livre de Thot de Crowley, je sais, cela devient fastidieux, vous devez vous taper laïus sur laïus, mais c'est un peu le sujet du canada-dry ( il ressemble à de l'alcool mais c'est de l'acide sulfureux ) de Jodorowsky qui se peut résumer en deux phrases lapidaires. L'on n'a rien sans rien. Et rien ne sert à rien. Difficilement conciliables, mais si vous désirez établir la coïncidence des oppositions, vous devrez faire avec. Donc une succession d'images abattues dans le désordre. A part qu'il faut bien entendre que la chronologie des abattis totalement aléatoire du chaos, est en elle-même la succession ordonnancée de séquences déroulées à la queue loi loi. Comme il est gentil, Jodorowsky vous offre une sortie de secours. Inutile de vous précipiter vers l'ascenseur. Il n'y en a pas. Votre montée d'adrénaline porte une appellation contrôlée. LSD. C'est pour les touristes, le consommateur de base qui veut une explication à tout. Délire assuré. Vous êtes rassuré. Tout s'éclaire.

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Sinon vous poussez l'intuition un tout petit plus loin. Jodo vous y aide, vous présente les images mentales de son tarot intérieur. N'est pas peintre comme Frieda Harris, cinéaste, il leur a donné l'apparence mobile de ce que l'on attend de lui : un film. Donc des arcanes qu'il déploie tour à tour devant vous. Pousse le vice jusqu'à vous commenter le déroulé en fin de bobine. C'est comme pour les échecs, les commentateurs en savent toujours plus que le maître qui a mené la partie. Mais au fait, seriez vous capables sans leur aide de désigner le vainqueur et le vaincu ?

C'est compliqué, oui. Mais prenons les choses par le commencement. En leur simplicité. Jodor étant mexicain, l'action se déroule très naturellement au Mexique. Un Mexique fantasmé, réduit à son essentiel : le sexe, la mort. Nous sortons tous du trou premier et nous finissons tous dans le trou de la dernière. Trajet existentiel réduit à l'essentiel. Entre les deux vous avez les forces qui vous attirent vers le sexe et celles qui vous poussent vers la mort. Difficile d'y échapper. Vous êtes leur jouet. Mais comme rien n'est simple, parfois c'est vous qui manipulez les joujoux. Pour la mort, en ces pays d'Amérique du Sud, les occasions sont pléthoriques : à tout moment, militaires, policiers, paramilitaires sont prêts à vous envoyer ad patres sans hésitation. Ce sont les grands pourvoyeurs de l'hémoglobine écarlate. Jodorowsky est un coloriste, vous peint des sanguines à seaux. Difficile de survivre en ces ambiances mortifères. Ne vous reste plus qu'à crever. Vous êtes un Christ en puissance. Tout le monde vous aime, tout le monde veut votre mort. L'on vous torture, et l'on vous caresse. Ne vous montez pas la tête. Pour avoir l'apparence du fils de Dieu, il y a de fortes chances que vous ne soyez qu'une réplique de plâtre, grandeur nature. Mais un crucifix n'est pas Jésus.

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Vous voici rejeté de votre divinité. Vous y aspiriez, votre rêve s'écaille, s'effiloche et se brise. Jodo se débarrasse des Evangiles, s'en fout, il possède un autre livre. L'oeuvre complète de Freud. Mais il fait son choix. Dans Totem et Tabou, l'a rejeté tout tabou. Par contre le Totem, il le dresse au milieu de la ville. Beaucoup plus haut que Big Ben, une tour rouge érigée vers le ciel tel un phallus monstrueux, oui même vous chers lecteurs, dans vos rêves les plus fous vous n'avez jamais eu l'idée de vous doter d'un tel attribut turgescent. Le tout est d'y pénétrer. Une fois tout en haut vous n'avez qu'à percer la membrane qui permet de découvrir les mystérieuses entrailles de l'échalas.

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D'abord les cours du soir. Petite leçon pratique d'alchimie. Caca au pot. Œuvre au noir. Œuvre au blanc. Œuvre au rouge. Fait même gaffe à ne pas oublier le rayon vert. Ce n'est pas un hasard si la pellicule est en couleurs. Laisser refroidir et servir avec dorure sur tranche. Le problème c'est que le fric ne règle pas tout. Enfin presque. Et là Jodo sort le grand jeu : les dix plus précieuses arcanes du tarot. Ce qu'elles peuvent vous apporter dans la vie : puissance, argent, sexe, gloire. Un univers très matériel. A la hauteur de la bassesse de l'Homme Matérialiste et Mercantile. Pitoyable de grossièreté. Un monde qui ressemble au nôtre. Un portrait peu flatteur de notre laideur morale, de notre hideur mentale. Ne vous regardez pas dans ce miroir. Vous y retrouveriez sans peine le calque de votre humanité.

L'est temps de prendre le bon chemin. Celui qui conduit à l'immortalité. Enfin on y arrive ! A la Montagne Sacrée. La tour avec son ascenseur n'était qu'une préfiguration. Pas une partie de plaisir. La pente est rude. Mais ce n'est pas le plus dur. Faut se délester de ses phobies, de ses angoisses, de ses vanités, de ses avidités, de ses croyances, et même de ses phantasmes ( hélas oui, charmantes lectrices ) au vestiaire de la commune humanité. C'est un homme nouveau qui doit parvenir sur la crête.

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Si vous vous lanciez dans une telle aventure, ne vous démunissez point de votre raison. Gardez la soigneusement en état de marche, sans boussole mentale vous risquez de vous embarquer dans des histoires insensées. Le coup était foireux dès le départ. Le plan était d'une rigueur absolue : s'agissait de tuer les Immortels qui crèchent tout là-haut pour prendre leur place. Mais comment peut-on tuer un Immortel ? Le projet n'est-il pas étymologiquement insensé ? Jodorowsky résout la contradiction avec une facilité déconcertante. Les Immortels n'existent pas. Vous n'irez pas plus loin que vous-même. Mortel vous êtes né. Mortel vous périrez. N'en faites pas une maladie, elle pourrait-être mortelle. Ce qui compte ce n'est pas le but, c'est le chemin pour y parvenir. Tao pantin !

Mais le Jodo est un vrai Jedi, un as, l'en a encore deux dans sa manche. Souriez, vous êtes filmé. Regardez, vous croyiez être dans une anabase de l'absolu, vous étiez juste un des acteurs d'un film. Mise en abyme, à profondeur plate : le spectateur regarde un film qui n'est qu'un film. Pour le savoir occulte, si vous pensez avoir mal saisi, relisez le scénario. Pour la sagesse suprême vous repasserez.

Oui, mais pour les déçus du jodorowkysme, il reste une bouée de sauvetage. L'amour, humain, mais avec un A majuscule. Une petite copine, un grand copain, et c'est reparti. Fini les plans cul, et la baise au drome, désormais c'est l'amour, si vous aviez su, vous ne vous seriez pas donné tant de mal. Un peu moins hard que de finir sur une croix, certes mais enfin, tout de même, un peu de sexe...

Se fout bien de votre gueule le Jodo. Vous promet de chevaucher la tigresse et vous vous retrouvez avec un tout petit mignon chaton au creux de vos mains. Vous avez la sensation de vous être fait avoir. Et ce n'est pas qu'une légère impression. Un sentiment aussi lourd qu'un éléphant. Et si le gentillou minou qui dort sur vos genoux était un petit de la chatte de Schrödinger ?

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Mais non, vous n'avez pas tout perdu. D'abord le film est magnifique. Une oeuvre d'art à part entière. Et puis ce n'est pas parce que vous n'avez pas mis la main sur la clef qui permet d'ouvrir la porte qu'il n'existe pas des doubles disséminés, par-ci, par-là. Tenez par exemple, si vous relisiez l'introduction de cette chronique, elle ne vous a pas paru un peu emberlificotée ? Non pas du tout : vous avez conservé votre âme d'enfant qui croit encore aux contes de fées. Si un peu, et vous avez continué votre lecture en passant outre, vous n'avez pas eu la présence d'esprit de suivre l'adage de Philippe Pissier, traducteur du Livre de Thot, de Crowley, qui dans sa jeunesse parlait de « faire péter les archétypes ». Et vous n'avez donc pas pris soin de vous munir d'une cartouche de dynamite mentale ? Tiens, quel est ce bruit ? Rien à redire : Jodorowsky, c'est méchamment rock.

Damie Chad.

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