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22/02/2020

KR'TNT ! 452 : HILLBILLY MOON EXPLOSION / TIMMY'S ORGANISM / NICK TOSHES / JEAN-MICHEL ESPERET / BLOOD AXIS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 452

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

20 / 02 / 2020

 

HILLBILLY MOON EXPLOSION / TIMMY'S ORGANISM

NICK TOSHES / JEAN-MICHEL ESPERET

BLOOD AXIS

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Rock on the Moon Explosion

 

Les Hillbilly Moon Explosion ne facilitent pas les choses. Ils restent assis le cul entre cinq chaises : rockabilly, pop, fado, blue beat et western spaghetti à la sauce tomate. Ça tombe bien, vu qu’ils se réclament du melting pot. Ils passent d’un genre à l’autre sans coup férir et ne s’en sortent que parce qu’ils tiennent la dragée haute à la versatilité des choses. Le fan de rockab se régale sur deux ou trois prestigieuses flambées, et même les deux big boogie blasts qu’Oliver Baroni prend au chant, mais ce même fan fait la grimace quand Emanuela attaque la cover d’un hit pop à la mormoille, du style «Call Me» de Blondie. Elle use et abuse du petit sucré de sa voix et frôle la catastrophe quand elle va chercher le chat perché de l’archiduchesse archi-chèche. Par contre, elle met l’assemblée à genoux avec une brillante reprise du «Baby I Love You» des Ronettes. Elle s’y révèle spectaculairement juste. Elle tape en plein dans le mille et recrée la magie de ce vieux hit jadis imaginé par Phil Spector. Elle y passe en plus un mini-solo de scuzz fuzz sur sa mini-guitare customisée à paillettes. C’est sa façon d’en boucher un coin à tous les mauvais coucheurs. Dommage que l’Anglais Duncan James ne chante pas plus souvent. On le voit faire son cirque au fond de la scène, avec ses faux airs de Christopher Lee. De la même façon que les Cramps se voulaient a eight-legged bopping machine et les Wildhearts a seven-legged rocking beast, les Moon Explosion se veulent the eight-legged melting pot aux roses. Les poins forts du set sont l’excellent «Live The Life» monté sur le riff de «Please Don’t Touch», chargé de rockab comme une mule, et «The Long Way Down», capiteux mélange de fado et de beat rockab. Ils tapent dans le garage avec «Down On Your Knees» et le heavy rumble de rockab avec «You Miss Something You Never Had». Et puis bien sûr les hot shouts d’Hooky Lee Baroni, «Heartbreak Boogie» et «Love You Better». C’est avec leur rappel qu’ils finissent d’enfoncer le clou de leur melting pot et qu’ils emportent la partie haut la main. Et même très haut la main. Après «Baby I Love You», ils nous emmènent à la fête foraine pour un petit tour d’«Enola Gay» et Emanuela conclut avec une rengaine portugaise d’une infinie mélancolie. Alors on dit : «Chapeau !». Force est de s’incliner jusqu’à terre devant la manifestation d’un tel panache. C’est un peu comme s’ils effaçaient le souvenir des toutes ces premières parties qui nous parurent jadis si peu convaincantes. Alors du coup, on ressort les albums de l’étagère, histoire de bien remettre les pendules à l’heure. Le tout est de savoir si on commence par les pires ou par les meilleurs.

Tiens, les pires. On en dénombre deux : Damn Right Honey et French Kiss. Des deux, le moins pire est sans doute le premier. Leur version de «Perfidia» sauve les meubles. C’est le hit d’exotica le plus exotique de l’histoire de l’exotica. Par contre, les photos du livret ruinent tout. Ils se prennent tous les trois pour des rock stars hollywoodiennes et le côté dérisoire de la démarche passe complètement à la trappe. Dommage, car ils attaquaient avec «Drive This Truck No More», big cocktail de heavy beat rockab et de voix sucrée. C’est un cocktail qui présente l’immense avantage d’être unique au monde. Alors ils en profitent. Ils adorent leur formule. Ils la peaufinent. Ils lui donnent les atours d’une princesse et font même entrer des cuivres sur le tard. Avec «Cool String Breeze», ils partent en mode cajun. Ils bouffent à tous les râteliers et pensent même à ramener des violons. Il n’y a pas de train dans leur «Westbound Train». C’est un pétard mouillé, une fausse alerte, avec cette voix qui refroidit au lieu de réchauffer. C’est leur problème numéro un. Elle peut glacer les sangs. On ne devrait pas dire ça, mais c’est une réalité. On claque des dents dès qu’elle arrive. C’est Oliver Baroni qui réchauffe l’album avec ses petits exercices de style en mode rockab. Puis on les voit se vautrer avec une reprise d’«I Hear You Knocking». Ils auraient mieux fait d’éviter de toucher à ce truc là. Il appartient à Dave Edmunds. Ils le massacrent, ils jouent la carte d’un mauvais son alors que Dave Edmunds y faisait au contraire des miracles. On atteint le comble le l’horreur avec «Motorhead Girl». C’est grotesque. Elle n’a aucune crédibilité. Ils sont à dix mille années lumières de Motörhead, même si sur scène elle porte un T-shirt Motörhead. Leur pop fait insulte à la mémoire de Lemmy. Heureusement, Sparky de Demented Are Go vole à leur secours avec «Northern Crown». Il les sauve du naufrage à coups de yeah yeah. Il surgit hors de la nuit pour zébrer d’un Z qui veut dire Zorro un album affreusement putassier. Sparky chante son gut out, c’est lui qui redore le blason de la Suisse, du chocolat blanc et des horloges en bois. Fabuleux Sparky ! Vas-y mon gars !

Et tout s’écroule avec French Kiss, qu’ils ont enregistré en collaboration avec Arielle Dombasle. Ça commence assez mal, avec un «Walk Italian» chanté à deux voix sur un beat rockab arrosé de trompettes blue beat. Certain disent : «Quel drôle de mélange !», et d’autres : «N’importe quoi !». Puis ça se gâte atrocement avec «My Love For Evermore». Les Hillbilly y coulent une réputation durement acquise. Les amateurs de rockab ne leur pardonneront jamais cette tarte à la crème. On descend encore dans l’horreur avec «Johnny Are You Gay». Rien qu’avec le titre, on frise l’indisposition. Ils ne se rendent plus compte de rien. L’appât du gain ? Allez savoir. Il faut surmonter une sorte de nausée pour continuer à écouter ce truc là. Jamais Jake Calypso ne se serait prêté à une telle mascarade. Au passage, ils réussissent même à massacrer le «Chick Habit» de Gainsbarre et se vautrent dans la médiocrité avec «Westbound Train». Tout sens artistique semble avoir disparu. Ils font même de la diskö avec «I’m Gonna Dry My Eye». Mettez-vous à la place des fans de rockab qui écoutent ça. Il y a de quoi sortir le fusil de chasse pour tirer dans le disk à bout portant. Baroni essaye de sauver l’album avec «Maniac Lover», et c’est tout à son honneur.

Après le musée des horreurs, voici venu le temps des splendeurs, avec notamment l’effarant Sparky Sessions paru l’an passé. Oui, Zorro Sparky déjà venu à leur secours au temps des calamités et qui avec cet album redore le blason du rockab contemporain. L’album est une bombe. Il faut aller directement sur «Stumble Through The Darkness», monté sur un riff de hard boogie et ce démon de Sparky rôde à la surface en poussant des yeah yeah yeah. On assiste à une fabuleuse descente de slap dans le boogie. Pure genius ! Ils font du deep throat slappé dans l’âme. L’autre coup de génie s’appelle «Can’t Take My Eyes Off You». C’est un vieux hit rococo de l’âge d’or - You’re just too good to be true - Ils rendent un bel hommage à cette merveille - I love you baby - C’est demented are go à gogo ! Ils remontent aux sources des Four Seasons et des Supremes, et ce démon de Sparky explose les sources. Ils terminent cette stupéfiante cover en mode apocalyptique. Autre reprise de taille : le «Baby I Love You» qu’Emanuela chantait en rappel, sur scène. C’est là où les Athéniens ooh-oohtèrent, elle rentre dedans comme dans du beurre et Sparky fait l’ogre au coin du bois. Ah comme c’est powerful ! Elle fait Baby I love you et Sparky fait c’mon baby. Il rentre dans le lard du couplet 2 avec une grosse voix d’Hulk atroce, mais quelle grandeur ! Tiens, encore une reprise spectaculaire : «Jackson». Pas un hasard, Balthazar, si Mr. G l’a programmé dans son mighty Dig It radio show. C’est une cover de premier choix, l’une de celles qu’on oublie pas. Belle version un peu blue beat, avec un Sparky éclaté au chant derrière Emanuela, le tout servi sur une solide pulsion rockab. À noter aussi un excellent «Broken Love» d’ouverture de bal et un beau hit rockab, «Teddy Boy Flick Knife Rock ‘N’ Roll». Sparky donne la réplique à Oliver Baroni, aw c’mon et Duncan James circoncit bien son solo jazz.

Très bel album que ce Buy Beg Or Steal paru en 2011, ne serait-ce que pour «She Kicked Me To The Curb», gorgé de tout le power rockab. C’est le boogie d’Oliver Baroni. Ce mec est excellent, il slappe son boogie jusqu’à l’os de l’ass et il manie bien les ding-a-ding-a-ding-a-ding de relance rockab. Autre énormité : «Goin’ To Milano». Ce slappeur né qu’est Baroni veille au bon grain de l’ivresse. C’est chanté à l’arrache, celle qui décolle le cut du sol. Magnifique élan digne de Tav Falco. Même genre de kitsch, avec ce mélange sucré salé qui fait la spécificité des Moon Explosion. Duncan James passe même un solo gras, histoire de. Emanuela finit par devenir érotique. Avec «Natascia», elle nous replonge dans un kitsch de tango à la Tav Falco et Duncan James illumine le tout d’un solo jazz. L’autre coup de bluff de l’album, c’est le fameux «Enola Gay» d’Orchestral Manœuvres In The Dark joué aussi en rappel sur scène. Ils nous emmènent à la fête foraine. C’est jumpé dans l’ass de la radio et ça dégage autant qu’un hit des Ventures, bien claqué par Christopher Lee. Oh on trouve d’autres bons cuts sur cet album, tiens par exemple le morceau titre d’ouverture de bal, monté sur une impeccable rythmique rockab. On peut dire la même chose de «Trouble & Strife». Ils sont toujours dessus et elle est toujours devant. Sparky vient faire le con dans «My Love For Evermore» et Emanuela finit par emporter la partie avec ses élans nubiles dans «Imagine A World». C’est terrifiant de présence humide. Elle drive aussi avec tact «Touch Me» et porte le kitsch nubile au délire, bien aidée par la coulée jazz de Duncan James. Il fait aussi un carton avec «Chalk Farm Breakdown», monté sur une sorte de big Memphis beat, avec un slap qui prédomine effrontément.

Autre album de poids : With Monsters & Gods, paru en 2016. On y dénombre pas moins de cinq pures merveilles, à commencer par «Depression», bien slappé derrière les oreilles. Ils virent ensuite garage avec «Down On Your Knees». Ils savent allumer la gueule d’un cut, même à la voix sucrée. Pas de problème. Ils nous sortent ici un vrai hit de juke. Retour au big rockab avec «Desperation». Baroni nous claque ça sec et net et sans bavure. Ils restent dans l’énergie du son pour «Love You Better». Baroni adore rocker le boogie dans l’os. Bel hommage à Hooky, the king of it all. Retour au big romp de rockab avec «You Miss Something You Never Had», une sorte de clin d’œil à Eddie Cochran monté sur un heavy drive rockab. On trouve aussi sur cet album la reprise de «Jackson» chantée en duo avec Sparky. «In Space» fait aussi dresser l’oreille car l’ambiance rappelle un peu celle du beat monster de Carter USM. Il faut cependant faire gaffe à ne pas trop glorifier Emanuela sur ce coup-là, car ça ne lui rendrait pas service. D’ailleurs, elle exaspère un peu sur «Temptation». Elle sucre un peu trop les fraises du Hillbilly. C’est à la fois ravissant et insupportable. Plutôt que de choisir Emanuela, les Moon Explosion auraient dû choisir Dusty Springfield ou Cilla Black. Le problème d’Emanuela, c’est qu’elle a parfois tendance à se prendre pour une femme fatale, une sorte de Diana Ross, mais si nos souvenirs sont exacts, ce n’est pas Diana Ross qui fit la grandeur des Supremes, mais Florence Ballard. Avec «Midnight Blues», ils jouent la carte Moon Martin, et le morceau titre nous renvoie aux délices du thé dansant. Retour fracassant au boogie avec «Heartbreak Boogie» et c’est hélas sur cet album qu’on croise la reprise de «Call Me» qui nous fit horreur lors du concert. Mais l’un dans l’autre, c’est un excellent album.

Tout aussi excellent, voici All Grown Up qui date de 2007. On peut y aller les yeux fermés. Dès «Need You To Stay», on sent l’omniprésence du blue beat, cette espèce de beat précipité qui finit par devenir captivant. On retrouve aussi le «Live The Life» qu’ils jouent sur scène, monté sur le riff de «Please Don’t Touch» et embarqué à la belle ferveur rockab avec des cuivres à gogo. Ils restent aux frontières du blue beat. Autre cut interprété sur scène : «The Long Way Down», un mélange de fado et de beat rockab. Elle chante ça à la langueur monotone et c’est excellent. Ils doivent être les seuls à savoir servir un tel cocktail. Il faut dire que d’album en album, Emanuela grandit et finit par impressionner. Ils jouaient aussi «Brow-Eyed Boy» sur scène. Elle drive cette merveilleuse petite pop à la plaintive convaincue. En réalité, les Moon Explosion sont un groupe très ambitieux et ils savent se donner les moyens de leurs ambitions. Après Eddie Cochran et Johnny Kidd, ils rendent aussi un superbe hommage à Buddy Holly avec «Tornado». En B, elle se couronne impératrice de l’exotica avec «Bamboo». Elle sait tirer ses s de fins de syllabes et chalouper des hanches sur un air de cha cha cha. Encore une belle aventure de beat rockab avec le morceau titre de l’album. Voilà leur formule gagnante : heavy beat rockab zurichois nappé du sucre d’Emanuela.

La pochette de leur premier album, Introducing The Hillbilly Moon Explosion, est assez bizarre : le logo est monté derrière le cul d’Emanuela. On dirait qu’elle est en train de péter. Mais elle reprend vite le contrôle de la situation avec le «Chick Habit» de Gainsbarre, jadis repris par April March et encore avant sanctifié par France Gall. Il s’agit bien sûr du hit yéyé «Laisse Tomber Les Filles». Alors Emanuela nappe de sucre le heavy beat rockab d’Oliver Baroni. Pur jus de petite greluche sucrée, c’est en plein dans l’esprit bien frais des bonbons à l’anis, et même assez pointu dans le suggestif. Et puis Oliver Baroni revient tout démolir avec ce qu’il faut bien appeler un hit rockab : l’implacable «Maniac Lover». Ce mec est assez authentique, il sait driver son truc. On peut même le taxer de slappeur fou, ça ne lui fera pas ombrage. Il sait amener son Lover. Admirable bravado. Côté reprises, on a une autre bonne surprise : le «Remember (Walking In The Sand)» des Shangri-Las. On entend même les mouettes. Les Moon Explosion soignent bien les détails. Ils savent charger la mule du pathos. Emanuela fait sa Mary Weiss et bizarrement elle bouffe le cut tout cru. Ils montrent qu’il savent faire du swing avec un «Raw Deal» bien paradoxé dans l’os du crotch. Oliver Baroni dispose de réserves naturelles aussi importantes que celles de Brian Setzer. Rien n’est plus difficile à réussir que les coups de swing. Ils repartent en mode Emanuela avec «I’m Gonna Dry My Eyes». Elle gère ça au petit sucré des fraises de sa jeunesse. Elle peut vite devenir pop, au sens de l’égérie. Puis ils nous resservent l’horrible «Johnny Are You Gay» qui sonne comme une vieille freluquette de Richard Anthony, une espèce de vieux twist bizarre monté sur le beat de Moon habituel. On se croirait dans une surboom des early sixties. Ils savent aussi manier le groove, comme le montre «All She Wants». C’est même une merveille de slop de slap. Back to the big ferveur avec «All I Can Do Is Cry» : mélange habituel de beat explosif et de sucre. Comme si Emanuela montait un taureau pour essayer de le dompter. Ah elle est bonne à ce petit jeu là. On garde le meilleur pour la fin : «Clarksdale Boogie». Oliver Baroni nous fait du Hooky pur et dur. Il a compris que le rockab et le boogie puisaient dans la même énergie, mais le boogie peut être encore plus hot, all nite long ! Voilà le pur jus de Baroni. Comme Jake Calypso, il connaît tous les secrets de la Mirandole. Il amène ça doucement à l’autel. Tu veux communier ? C’est là - Everybody boogie all nite long - Bien vu, Lord Baroni !

Encore un big album avec Bourgeois Baby qui date de 15 ans déjà, puisque paru en 2004. C’est même un album qui déborde d’énormités, à commencer par l’infernal «XKE», avec une Emanuela à dada sur le heavy beat rockab habituel. Elle finit par t’enlasser la cervelle. Le sucre se marie bien au beat et c’est même assez demented, comme dirait Sparky. Elle finit en vocalises de foolish girl. Le mélange du sucre et du bop fonctionne ici à merveille. On voit aussi qu’avec le morceau titre, Oliver Baroni sait pulser son train-train. Il passe ensuite au boogie à la Hooky avec «Dead Cat Boogie». Emanuela a raison de chanter qu’elle est une real kool kitty dans «Real Kool Kitty», car c’est vrai, et puis on prend en pleine gueule une grosse giclée de rockab avec «Get High Get Low». Hard beat on the run, comme dirait McCartney. C’est le Baroni de l’An Mil qui bat le beat pur et dur. Il est dans l’énergie du bop de base, il sait ravaler une façade, aw baby let’s get high. Excellent, pulsé au meilleur beat de rockab moderne. Puis ils passent au groove de round midnite avec «How Can You». Ces gens-là savent tout faire. Elle sait entrer dans le chant avec le meilleur tranchant possible. On la voit plus loin driver le mambo italiano de «Mambo Italiano». Elle y shoote toute sa gouaille de demented craze. Encore un fabuleux shoot de boogie rockab avec «Holy Coochie Coo». Il y mettent tout leur gut d’undergut et c’est peut-être là qu’ils se distinguent le plus, sur le boogie rockab qu’Oliver Baroni joue à l’exacerbée. Ils n’ont aucun problème. Ils sont très forts, il faudrait les féliciter. One two three four ! Et voilà «Boy In Blue», une virée à perdre haleine, nouveau shoot de rockab craze avec une Emanuela qui entre au ralenti dans le bop du moon. C’est très réussi. Et ça finit comme ça doit finir, avec un «Many Years Ago» en forme de groove de jazz de round midnite. Elle est juste, incroyablement juste.

L’air de rien, By Popular Demand figure parmi les bons artefacts de l’Explosion, rien que par la présence de ce «Spiderman» monté sur un vrai beat roackab et joué à la tension maximaliste - Look out/ Here comes Spiderman ! - Emanula fait son retour aux affaires dans «Nobody’s Babies», une samba rockab qui s’étend jusqu’à l’horizon. On comprend que le suave aigu de sa voix puisse ne pas laisser indifférent : soit on adore, soit on déteste. Ils retapent dans Gainsbarre avec «Pouppée (sic) De Cire Pouppée (sic) De Son». Ils savent parfaitement shaker les genres dans leur shaker d’argent : beat + rose bonbon, sucre + organdi. Elle fait bien sa France Gall. Ils claquent un «Won’t Somebody Love Me» au banjo punk et drivent «Bad Motorcycle» au bah-bah-bah ventre à terre. C’est très spectaculaire. Ils rendent aussi hommage à George Harrison avec un «Holy Hoochie Coo» qu’ils sous-titrent «1961 George Version». Si ces Moon Explosion n’existaient pas, il faudrait les inventer.

Signé : Cazengler, Morve explosion

Hillbilly Moon Explosion. Le 106. Rouen (76). 17 janvier 2020

Hillbilly Moon Explosion. Introducing The Hillbilly Moon Explosion. Crazy Love Records 2002

Hillbilly Moon Explosion. Bourgeois Baby. Crazy Love Records 2004

Hillbilly Moon Explosion. By Popular Demand. Crazy Love Records 2005

Hillbilly Moon Explosion. All Grown Up. Not On label 2007

Hillbilly Moon Explosion. Buy Beg Or Steal. Jungle Records 2011

Hillbilly Moon Explosion. Damn Right Honey. Goldtop Recordings 2013

Hillbilly Moon Explosion. French Kiss. Mercury 2015

Hillbilly Moon Explosion. With Monsters & Gods. Jungle Records 2016

Hillbilly Moon Explosion. The Sparky Sessions. Jungle Records 2019

Lampinen ne lampine pas

 

Timmy Lampinen ne traîne pas en chemin. On le sait depuis le temps des mighty Clone Defects, dont les deux albums ont sonné quelques cloches à la volée. Le bordel a commencé avec Shapes Of Venus, paru sur In The Red Recordings. Il fut un temps où on ramassait systématiquement tout ce qui sortait sur In The Red. On faisait aveuglément confiance à Larry Hardy, mais en 2002, il rompit le contrat de confiance en sortant l’album pourri des Piranahs, Electric Grit Movies. Après il fallut trier. Shapes Of Venus sortit vainqueur du tri.

Avant même d’avoir commencer à jouer, Tim Lampinen a tout bon : il vit à Detroit. Et pour entériner l’affaire, Shapes Of Venus sent bon la stoogerie. Les Clone enchaînent trois cuts qui pourraient sortir de Raw Power : «Stray Boy», «Still Poor» et «Fill My Fridge» - I’m a stray boy looking for you - On croit entendre le fameux walking cheetah with a heart full of napalm de «Search And Destroy». Tim martèle bien sa stoogerie. Et ça continue avec «Ain’t No New Buzz», un cut qu’Iggy aurait pu enregistrer à l’âge d’or. Avec «Rabid Animal Detector», l’indicible Tim passe au heavy blues de blues rock psyché-psycho, celui du Michigan, le plus chargé du monde. En B, les Clones vont plus sur la pop. Ils semblent s’intéresser à un pan considérable de la pop culture. Avec «Calm You Down», ils sonnent comme les Heartbreakers : même énergie, même sens du low-down. S’ensuit un «I Rock I Ran» battu comme plâtre, gorgé d’énergie, énorme shout de blasting brew. Quel album !

Ce n’est qu’un peu plus tard qu’on a découvert l’existence d’un autre album des Clone Defects, Blood On Jupiter, qui est antérieur à Venus. Et là, attention ! C’est du Detroit Sound gicleur ! On voit dès le morceau titre qui ouvre les hostilités que c’est battu à la sévère. Timmy et ses sbires sont des brutes ignobles. Ils attaquent à la manière du MC5, mais avec encore plus de sauvagerie. Ce Lampinen est un fou dangereux. Il faudrait que quelqu’un téléphone là-bas à Detroit pour demander à le faire enfermer. Il fabrique une sorte de frichti de garage épouvantable. Aucun barrage ne peut endiguer sa purée, même pas celui de Marguerite Duras. Il sort une purée à la fois fluctuante et complètement défenestrée. Il prend plus loin «Don’t Care If You Come» au pire boogie blast de Detroit. Il ne recule devant aucune crise d’épilepsie. Cet enfoiré joue aussi du piano dégénéré, comme on le constate à l’écoute d’«Eyeballs Poppin’». Il va trop loin dans la surenchère. Oh il tâte aussi du glam, comme on le voit avec «Little Ms Lori» et «Deep End». On croirait entendre des glamsters britanniques. On s’extasie de l’incroyable insistance du riff et du clap-handing. Toute l’artillerie du glam se pointe au rendez-vous - I need your love/ I want your love - C’mon ! Ce mec peut se comporter comme un démon, c’est en tous les cas ce que prouve «Tropically Hot». Il nous fait ici le coup du garage de Detroit, avec les clameurs stoogiennes. On est convaincu d’avance. Il trébuche même sur des pieds d’alexandrins. Cet ignoble Timmy est un sacré scavenger des bas-fonds de Detroit. Il existe un dicton populaire dans le Michigan qui dit : «Rien n’est pire ni plus atroce qu’un Lampinen». Alors faites gaffe...

Il se fait aussi appeler Timmy Vulgar. Ça veut bien dire ce que ça veut dire.

Après l’expérience Clone Defects, ce monstre monte un power trio avec Blake Hill et Jeff Fournier et se lance dans une nouvelle aventure baptisée Timmy’s Organism. On entend le gargouillement d’organes avant même d’avoir commencé à écouter les albums. Et comme ce monstre se veut multi-cartes et qu’il peint, il barbouille ses pochettes d’albums d’art trash, certainement le trash le plus dégueulasse qu’on ait vu depuis les horreurs peintes par David Lynch ou les monstrueuses exactions scatologiques de Paul McCarthy.

La pochette d’Heartless Heathen paru en 2015 choque par son chaos de bleu et d’organes charcutées à vif, sans anesthésie. Quant à la musique, berk, c’est encore pire. «Get Up Get Out» sonne comme un vieux coup de mayo de mayem. Ça flirte avec l’incongru. Le batteur qui joue là-dedans est un vrai dingue. Jamais un mec n’a frappé ses fûts avec une telle violence. Ils jouent le morceau titre au gras du bulbe, ils visent l’extrême du garage qui tâche et ça cisaille à tout va. Cette immonde crapule de Lampinen achève son cut à coups de solo trash. Ah la vache ! Ils noient ce heavy blues de blues-rock qu’est «Mental Boy» dans du gras de distorse infecte et le wahtent jusqu’à l’os de l’ass. Tout est complètement saturé de son, ici. Ils attaquent «Wicked Man» à la frenzy d’accords des seventies, c’est encore une fois noyé de gras et joué au solo suspensif de génie pur. Ils n’en finissent plus de revenir au gut du bœuf. Ils tapent leur «Back To The Dungeon» à la sale distorse de petit délinquant qui pue le tabac et le sperme - Mixing up the potion/ Way down in the dungeon - Ils disposent des atouts majeurs : le son, la crasse, le gras, la braguette ouverte et les mauvaises intentions. L’atroce Lampinen profite de notre crédulité pour repasser un solo de gras double. Il travaille ses riffs au corps. Ce glam-stomp qu’est «Weather Woman» ne respecte rien ni personne et se situe au-delà de toutes les normes - Oh weather woman/ The sun is out - Ils jouent le garage de Detroit dans toute sa splendeur caviardée - Caught a cold/ Got da flu/ Pneumonia/ I’m sick and blue - Non seulement c’est claqué du beignet de crevette, mais c’est aussi suivi au filet de bave et ça donne une sorte de merveille apoplectique. Le solo sonne encore une fois comme une stoogerie définitive, un truc à se damner pour l’éternité. Lorsqu’ils attaquent «Hey Eddie», ils sont à bout d’énergie, mais ils se lancent tout de même dans une cavalcade insensée. Tim salue Eddie qui a choisi de quitter cette vie comme the antumn leaves that fall. Il redore le blason du Detroit Sound et se paye le luxe d’un shuffle sur le tard. Voilà encore un cut dynamité. Ça se termine avec «Wanted White Dove», amené au heavy groove, en mode gras double. On sent chez eux une prédilection pour la providence déliquescente. Tim Lampinen a le génie du gras, celui qui fait du bien par où ça passe. Il raconte dans la chanson qu’il soigne une mouette blessée et il la soigne si bien qu’elle lui sourit, et un jour elle devient son amante - Heal those ugly blues/ Hold your head up/ Save your love and truth - Il est extrêmement rare de voir autant de frénésie exacerbée sur un seul disque. Si vous n’y croyez pas, allez jeter un œil.

Paru en 2010, le premier album de Timmy’s Organism s’appelle Rise Of The Green Gorilla. La pochette est heureusement un peu moins agressive. L’atroce Lampinen parvient une fois de plus à proposer un album fascinant, ne serait-ce que par l’impact d’un cut comme «Gorilla Golden Pt 1», cut d’attaque frontale joué au son de destruction massive et saturé de menace sonique. Il fait même entrer les congas de Congo Square dans la danse. Avec «Ugly Dream», il pousse tout dans les orties. Lampinen ne fait pas dans la dentelle de Calais, il faut le savoir. C’est un Detroiter extrémiste, un vénérable pousseur de bouchon, une sale graine de violence, il adore faire craquer son jack et rire comme le diable, ha ha ha sweet dreams ! Avec «Pretty Stare», il se veut plus pop, mais solidement charpenté. Lampinen sait ramener de la viande dans sa caverne, même si sa viande n’est pas toujours très fraîche. On le voit descendre dans son gosier pour produire quelques effets déflagratoires. Retour de la grande violence percussive dans «Oafeus Clods». Oui, on croit entendre les tambours du Bronx. Il sait générer des éruptions soniques dignes du Krakatoa. On l’entend aussi répandre des couches de son infectueux dans «Building The Friend Ship». Comme d’autres aventuriers, il crée son monde. Parti de rien, comme Alexandre le Grand, il bâtit un empire à travers tout le Moyen Orient. Il tâte un peu d’electro dans «Give It To Me Babe», il sature tellement sa soupe qu’elle manque d’air, du coup. Méfions-nous de Lampinen. Même quand il fait joujou avec les instrus et les spoutnicks, il sature l’air. Il sature tout, même son empire. Il boucle cet album pugnace avec «The Traveler». Pour bien brouiller les pistes, il va chercher la beauté mélodique. Il ne veut pas qu’on le prenne pour un débile stoogien. Sa quête du hit vaut bien celle du Graal.

Quelques bonnes surprises guettent l’imprudent voyageur sur Raw Sewage Roq, le deuxième album de Timmy’s Organism. À commencer par «Cats On The Moon». De l’idée, que de l’idée ! Voilà un superbe panache de détritus de boogie-rock de bons potes. Ça bombe du torse, ça nivelle par le bas et ça chante au fond du studio. Quel impact ! Le coup de génie se niche en B : «Low Cut Surgery», encore un heavy romp de Roq saturé de guitare. Tim rebondit sur le beat bondissant. Extraordinaire approche ! Il adore partir en solo vers le néant et mine de rien, il sort la meilleure distorse du Michigan. Il faut aussi écouter l’excellent «Mind Over Matter» lancé aux clameurs d’Elseneur. On croirait entendre des Dolls du Michigan - My car radio baby/ It speaks to me - C’est un hit. L’idée est là. Avec «Bouncing Boobies», Tim fait l’apologie des seins - I took her to the movies/ Nipples like rugbys - Bien sûr, il chante ça à l’insidieuse, sur un beat impérieux comme une bite au printemps. Dans «Monster Walk», il balance un killer solo flash yeah yeah. Tim ne mégote pas avec le flesh du flash - Give the monster/ Somethint to eat - Et il revient à son cher heavy blues avec «Drunken Man». Il en profite pour couler un bronze de son atrocement beau et fumant, toujours dans la démesure du Michigan. Avec «Take The Castle», il semble faire un clin d’œil à Bevis Frond, car il s’embarque dans une histoire épique d’assaut.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, il monte une nouvelle équipe de space-punk avec Brad Hales, Colin Simon et Johnny LZR qu’il baptise Human Eye. Quatre albums au compteur, avec des pochettes de graphiste fou. Tim sévit sur tous les fronts : son, image.

Leur premier tir sobrement intitulé Human Eye est complètement foiré. C’est pourtant sorti sur In The Red. Comme dirait l’autre, l’habit ne fait pas le moine. Si on voulait se montrer charitable, on pourrait parler d’album Dada, à cause d’une fâcheuse tendance à l’expérimentation. Tim cultive ses choux et ne cherche pas à plaire aux ménagères. Mais il se montre beaucoup trop aventureux. C’est un vrai bordel. On va fouiner en B mais quand on écoute «Sly Glass Foam», on baisse les bras. C’est sans espoir. Pas de son, pas de rien. On croit parfois entendre du mauvais Devo. «Chew Raw Meat» est à peu près le seul cut décent de l’album. S’ensuit un «Kill Pop Culture» bien subversif et bardé de clameurs d’accords de braseros.

Fragments Of The Universe Nurse vaut le rapatriement pour au moins une raison : «Gorilla Garden». Voilà du grand Lampinen gorgé de son et de wah, battu à la sauvage et joué au meilleur déboîtage de méthodologie. Une fois encore, il enfreint les règles et se donne libre cours. Il part en solo de gras double sous le boisseau. Il ne vit que dans l’excès, il n’en finit plus de créer son sale petit monde, il laborantine le tintouin, il organism son labour of love. Il nous sert une autre rasade d’énormité sonique avec «Rare Little Creature». Ce mec va là où bon lui chante. Oh et puis ce «Slot Culture» d’ouverture du bal d’A. Tim joue tout à l’idée conquérante. Il multiplie les effets de style et fourre le croupion de sa dinde de tortillette psychédélique. Il tape «Two Headed Woman» à la vieille mélasse. Ils sont quatre à touiller cette soupe du diable. Ils nous hantent, avec ce son épicé, pointu, bordélique, un peu rouillé et si spécial. Tim adore le psyché organique, comme on le constate à l’écoute de «Lightning In Her Eyes». Grâce à son imaginaire tentaculaire, il crée des mondes à chaque coin de rue, il invente même ce psychout liquide qui coule sur les doigts. Il faut entendre les phrasés de fournaise d’orgue dans «Dinosaur Bones». Infernal ! Pur jus de Detroit Sound.

Un drôle de vagin psychédélique orne la pochette de They Came From The Sky. Attention, cet album pue l’urgence sonique. Ça démarre avec «Alien Creeps», un heavy psych complètement irresponsable et visité par l’âme du diable, c’est-à-dire la guitare électrique de Timmy. Non seulement c’est balayé par de forts vents d’Oust, mais les rafales atteignent des proportions anormales. Et ça continue avec «Brain Zip», lancé au popotin lampinien. Le drummer bat le train et la machine fonce dans la nuit industrielle avec un panache clochardisé extrêmement séduisant. Tim joue son va-tout glou-glou habituel - Won’t you heal my pain/ Shine your light - Puis il revient à son cher génie avec «Impregnate The Martian Queen», pur stomp cocasse et industriel. Welcome in Vulgarland, le meilleur parc d’attraction des temps modernes. Le cut avance à marche forcée, stomping all over the world. Tim raconte qu’on lui a pris son sperme pour engrosser la reine et quand il revient sur terre, ses copains ne le croient pas - The Marian Queen/ She has a kid - Tim n’en finit plus de créer son sale petit monde avec du son, du texte, des idées et de la cocasserie juvénile. «Junkyard Heart» se montre digne de l’early Hawkwind, c’est en effet un spectaculaire brasero de tourmente sonique. Tim règne sans partage sur son empire de création purulente. Il s’élève jusqu’au ciel, dressé sur un piton noir. C’est joué à l’atmo foutraque d’une Arletty des bas-fonds d’Amérique. Terrific ! C’est littéralement bombardé de son. En B, on tombe sur «The Movie Was Real», un vrai chef-d’œuvre de boisseau ondoyé, une menace intrinsèque, un mauvais plan latent, une senteur mortifère. Tim sait ménager la chèvre de son chou. Il revient au heavy blues de blues-rock avec «Serpent Shadow». Il pèse de tout son poids dans la balance, il ne déçoit pas, il incarne le sonic trash du Miche, il annonce que Dieu descendra combattre the beast - Cast this creature in the lake of fire/ That he breathes - Solo d’étranglement pulsatif à la clé de sol par là-dessus. Avec un titre comme «They Came From The Sky», le cut est forcément épique et il passe un solo de trash pur en guise de cerise sur le gâteau.

Le dernier album en date de Human Eye est sorti sur Goner. Il s’appelle 4: Into Unknown. On a du son immédiatement, dès «Gettin’ Man». C’est la grande différence avec les disques prétendument garage qu’on croise ici et là dans les bacs. Tim Lampinen va chercher le meilleur gras double de l’univers connu - The worls is bad/ And it only gets worse - Il va droit au but, c’est inspiré et terriblement rockalama fa fa fa. Rien qu’avec cet amuse-gueule, l’album s’annonce comme un festin de roi. Voilà un «Immortal Soldier» surchargé de son, et du meilleur - I see in the sky/ See all the suns that have died - Et selon Tim, les anges ne restent pas longtemps sur terre. C’est encore une chanson d’adieu, à la mémoire d’un certain Tim Van Esley. «Buzzin’ Flies» goutte de jus - All these flies/ All these flies - Quelle horreur de trash punk ! Tim saccage tout. Trois belles pièces lampiniennes se planquent en B, à commencer par «Juicy Jaw», envoyé au punch de cave - You make stick out - complètement dévasté de la ciboulette avec un solo de congestion abdominale, évidemment. Back to the true heavyness avec «Faces In The Shadows», admirable heavy-blues préhistorique de faces in the dark. C’est l’archétype du genre, joué au meilleur gras-double de charcutier d’Auvergne. Dans «Outlaw Lone Wolf», Tim raconte l’histoire d’une vengeance. Après le massacre des habitants de son village, Lone Wolf part à la recherche du Blacksmith - Hell bent killing every man - Solo de jachère dégueulasse et Wolf coince le Blacksmith qui essaye de se faire passer pour son père. Mais Wolf l’abat comme un chien. Les histoires sont chaque fois fantastiques !

Back to Timmy’s Organism avec Eating Colors. Trois violentes sirènes guettent Ulysse. Alors attache-toi au mât, mon gars ! Un, «Lick Up Your Town». Detroit Sound de base et de rigueur, morve de guitare verte et beat serré. Ça bat sec et dru et Timmy chante à la petite stoogerie. Il enroule ses boucles. Il a de la suite dans les idées et pelote le cul rebondi de la bonne franquette. Deux, «Crawling Through The Future» : on croirait entendre Blue Cheer. Timmy connaît toutes les ficelles de la sainte trinité du gras double. La troisième bombe se trouve en B : «Revolution Eyes» - I see revolution/ In your diamond eyes - Lyrics de rêve, comme au temps des Stooges, fantastique attaque de ramalama comme au temps du MC5 - Get down on my knees yeah - Quel coup de bravado ! S’ensuit un «Wolfman Running» embarqué aux power chords de Detroiter - Skin/ Start/ To rip - Timmy crée bien son monde, comme d’autres avant lui. Ses départs en solo sont des petites merveilles d’anticipation malovélante. Il se montre bon même avec de la pop, comme on le constate à l’écoute de «Four Leaf Clover» : voilà un cut gratté à coups d’acou, joyeux et enlevé. Il boucle ce bel album jaune avec «Chemical Make Up», une sorte de long cut médicalement assisté. Timmy joue de beaux solos de congestion orbitale, il ne cherche pas à défrayer la chronique, elle se défraie toute seule, il agrège les gréements et appareille les continents, et il repart en solo alors que tout le monde a quitté la salle, et c’est là qu’il va jouer son meilleur solo de trash guitahhh. C’est tout Tim.

Ah tiens, en voilà encore un ! Il s’appelle Survival Of The Fiendish. Tout est là dès «Guzzle Gazoline» : la bécane, la brutalité du Detroit blitz et la guitare saturée à l’extrême. Ce démon de Tim Vulgar laboure ses champs comme mille charrues en folie. Il ressort ses vieilles recettes de fudge, ça coule de partout comme s’il branlait son rock. Avec ce genre de dingoïde patenté, on est obligé de métaphorer plus que de coutume, il faut incendier les mots au phosphore, car c’est exactement ce qu’il induit dans le conduit. Ses alright sont d’une véracité troublante, il ne rigole pas avec l’authenticité. Cet homme ne vit que pour la purée, c’est évident. Avec «Green Grass», il nous plonge dans sa vision des seventies, avec un son aussi ambitieux que peut l’être un clerc de notaire provincial. Il délire bien - Now I can live in peace/ Filled my turtle belly with a feast - Il attaque violemment sa B avec «Selfish Little Queen» - You’re a catastrophe of greed/ I ain’t blind to see/ Ya see ? - S’il monte un psychodrame, c’est uniquement pour l’exploser par la panse - I ain’t your king ! - C’est du Shakespeare de Detroit. Fantastique ! Il passe à la heavy melancholia de bitter pill don’t cha kill avec «Bitter Pill». Il se demande pourquoi la pill ne kill pas et il part la gueule au vent comme s’il chevauchait en tête de brigade sous le feu des artilleurs russes. Quelle bravado ! - Now I’m a zombie standing in line at the pharmacy - Solo surperbe - Lobotomize the poor/ Keep em down forever more - Sa guitare sature tellement qu’elle s’étrangle dans les poussées de fièvre. Il crée une confusion extrême avec «The God Of Comedy» et au beau milieu de cette confusion, il part en solo de wah-wah et explose le cortex du contexte. Il surjoue sa purée et déblatère à terre, les quatre fers en l’air. C’est très spectaculaire, il développe la même énergie que Pat Schizo. Les Timmys jouent tous les trois chacun dans leur coin comme Cream, et comme s’ils avaient chacun dix bras comme Khali. Les voix et les fumées évoquent le premier album de Black Sabbath. Tim Vulgar termine avec «Missunderstood». Il se plaint qu’elle le considère mal - In your eyes I’ve never done good - Et pour cause, Tim est un outcast - I will never change/ This is how I will stay/ I’m an outcast - Et c’est tant mieux.

Signé : Cazengler, Clown défèque

Clone Defects. Blood On Jupiter. Superior Sounds 2001

Clone Defects. Shapes Of Venus. In The Red Recordings 2003

Timmy’s Organism. Rise Of The Green Gorilla. Sacred Bones Records 2010

Timmy’s Organism. Raw Sewage Roq. In The Red Recordings 2012

Timmy’s Organism. Heartless Heathen. Third Man Records 2015

Human Eye. Human Eye. In The Red Recordings 2005

Human Eye. Fragments Of The Universe Nurse. Hook Or Crook Records 2008

Human Eye. They Came From The Sky. Sacred Bones Records 2011

Human Eye. 4: Into Unknown. Goner Records 2011

Timmy’s Organism. Eating Colors. Detroit Magnetic Tape Co 2017

Timmy’s Organism. Survival Of The Fiendish. Burger Records 2018

 

RESERVE TA DERNIERE DANSE

POUR SATAN

NICK TOSHES

( Allia / 2012 )

PART ONEGENERALITES

 

Le bon vieux temps du rock ‘n’ roll ! C’était quand au juste ? Les débuts d’Elvis en 1954 ? Vous ne connaissez donc pas l’histoire des quatre-vingt-dix pour cent de l’iceberg ? Pas de chance pour vous, 1954 c’est juste le début de la fin. Sans vouloir remonter aux calendes grecques, officiellement cela vient au monde en 1945, oui l’on pourrait descendre jusqu’aux belles années du Delta, mais soyons sérieux, 1945 est une belle date, historique et musicale. Inutile de vous faire un cours d’histoire par contre aux lendemains de la guerre le jazz se trouve à la croisée du chemin. Vous avez ceux qui vont le dynamiter de l’intérieur et ce sera l’éclosion avec Charlie Parker et la génération Be Bop. Et puis les autres. Les hauts sommets c’est comme la peinture à l’huile c’est bien plus difficile. La peinture à l’eau c’est nettement moins beau mais c’est plus démocratique. Entendons-nous sur ce gros mot adoré des politiciens, essayons de le traduire en termes plus simples : n’importe quel bon à rien est capable de vous torcher une chansonnette sur un bout de trottoir ou de comptoir. C’est que l’on appelle du brut de brut. Faut obligatoirement passer par les industries de transformation pour la suite.

Si vous pensez vous retrouver en studio avec ingénieurs du son inventifs et musiciens de génie, vous faites fausse route, c’est un problème quasi-secondaire, tout le monde est capable de brailler dans un micro et les musiciens prêt à vous torcher un simili-arrangement entre deux sandwichs ce n’est pas ce qui manque.

Pensez aux choses sérieuses, une chanson n’existe que parce qu’elle passe à la radio. Vous avez donc vos entrées chez les disc-jockeys. Certes c’est eux qui drivent, mais vous leur fournissez le canasson. Qui lui vous appartient. L’est enregistré sous votre nom. Pas de méprise, aucune allusion au gars qui aurait composé le morceau. Vous avez sauté un étage. Celui des éditeurs, ceux qui détiennent les droits. Ceux qui empocheront le pactole.

Etrange comme au bout de la chaîne vous trouvez le fric ! Le pire c’est que généralement à l’autre bout de la chaîne se tient - ne soyez pas idéaliste, ne proposez pas l’Artiste - le fisc. Un monstre qui a encore les dents plus longues que vous. Bonheur inouï, pendant longtemps les agents patentés de l’Administration ne se sont guère préoccupés des chansonnettes. Personne ne venait fourrer son nez dans le marigot. Les crocodiles se débrouillaient très bien entre eux. Ce n’était pas non plus l’amour fou entre nos amphibiens, y avait de terribles bagarres et de sacrés coups bas pour les terrains de chasse, on lavait son linge sale - voire carrément crasseux - en famille… Hélas, sur notre terre le bonheur ne dure jamais longtemps. La réussite attise les jalousies. Au début des années soixante éclate le scandale de la payola, une méchante paella.

Mais reprenons au début. Le Be Bop d’un côté et le Rock ‘n’ Roll de l’autre. Du Rhythm ’n’ Blues si vous préférez. Les rescapés de l’aventure auprès de qui Nick Toshes mène l’enquête ne sont guère tatillons sur l’emploi des termes, vous pensez peut-être pureté R ‘n’ R ou authenticité R ‘n’ B, mais eux derrière ces deux appellations incontrôlées ils ne voient que l’argent qu’elles génèrent. Dès la fin du dix-neuvième siècle les affairistes blancs traditionnels ont manqué sinon de flair du moins de prospective. Ont laissé aux juifs et aux noirs le bizness de la chansonnette. Les juifs avaient le fric et les noirs une créativité stylistique différentes des patterns issus musicaux issus de la vieille Europe. Avec le Brill les juifs ont jeté les bases du modèle économique. Détenaient l’édition des morceaux et alimentaient les grosses majors de disques telle RCA Victor et Columbia qui proposaient au grand public de la musique sentimentale… Comme l’on ne gagne jamais assez une partie du catalogue était aussi dévolue à la musique des noirs. Pas bêtes pour trois sous, les noirs ont compris la combine. Se sont mis à créer leurs labels et surtout leurs maisons d’éditions.

Ensuite ça été la chasse aux titres et enfin aux disc-jokeys. Imaginez un aquarium remplis de requins. Tous les coups sont permis. Menaces, chantages, passages à tabacs, combines de haut vol… Pour ceux qui ont besoin d’appui financiers ou de porte-flingues opératifs, en dernier recours vous avez la mafia. Entre gens de bons sentiments l’on arrive toujours à trouver un arrangement. C’est-ce que Nick Toshes appelle les temps d’innocence du rock ’n’ roll. Tout le monde y trouve son compte, le gamin qui enregistre son disque, le D. J. qui le programme dans son émission moyennant une petite ( tout est relatif ) commission. Les patrons récoltent les droits. Tout baigne dans l’huile. Tout le monde a des goûts simples : de l’alcool, du tabac et des putes. Que voulez-vous de plus. Aujourd’hui vous collectionnez les labels mythiques qui se sont montés à l’époque : King, Vee-jay ( qui se sont adjugés les Beatles pour leurs premiers pas en Amérique ) ,Aladin, Sparks…

La jalousie est la rançon su succès. Des petits blancs aux idées larges se posent les bonnes questions : pourquoi est-ce que les blancs ne pourraient pas chanter eux aussi du rock ‘n’ roll ? Un gars futé, un certain Sam Phillips décroche le jackpot avec Elvis. Sur ce les gros cachalots radinent leurs fraises et RCA lance une OPA fracassante sur Presley. Le King ne tarde pas à engranger son premier million de dollars. Beaucoup de maille pour des chansonnettes. Le FBI, la politique et les impôts s’en mêlent… Le rock ‘n’ roll a perdu son innocence.

L’on soulève le lièvre. Pas besoin de le chercher bien loin. Tout le monde est au courant de la combine, sous la pression des commissions d’enquête les D. J. tombent dans le piège, ils reconnaissent, en toute bonne foi pour les plus naïfs, recevoir de la money pour passer les records… Alan Freed sera la victime expiatoire. Tout le monde se détourne du mouton noir. Crèvera tout seul chez lui en attendant son procès. Pas dans un deux-pièces-cuisine, non dans son ranch de… 700 hectares. Ce qui change un peu les perspectives. Pourquoi lui ? Parce que avec ses shows qui mélangeaient artistes noirs et blancs il dérangeait un peu, parce qu’il était un peu trop sûr de lui, un peu trop provocant, ne savait pas tout à fait la fermer quand il vaut mieux ne pas l‘ouvrir, l’a un petit peu cherché… Les perdants n’attirent pas la pitié.

Certains moralistes prétendront que l’expression innocence du rock ‘n’roll, s’avère toutefois un tantinet exagérée. Certes nos héros de l’ombre dont l’histoire a oublié les noms - Nick Toshes leur donne la parole - n’étaient pas des anges, parfois ce ne sont pas les bons musiciens qui sont crédités sur les pochettes, idem pour les chanteuses, et la photo ne correspond pas. Bien entendu personne - ceux qui étaient présents comme ceux qui n’y étaient pas - n’a touché le moindre dollar pour le titre qui s’est vendu à des centaines de milliers d’exemplaires. C’est la vie.

Si vous croyez que les profiteurs se sont arrêtés de travailler au milieu des années soixante, l’on peut citer les noms d’un tel qui s’est occupé de Madona, et d’un autre de Prince… Mieux vaut arrêter la liste. Et la payola continue sous d’autres formes… Tel groupe possède tel label, telle radio, telle TV… L’échelle a changé. Les principes restent les mêmes, les pratiques se sont en quelque sorte affinées et standardisées, l’on ne parle plus de dessous de table mais de promotion, de publicité, de contrats, d’accords mis au point par des bataillons d’avocats.

Question d’innocence, vaudrait mieux fermer les yeux. Dans les années cinquante, les petits labels ne quittaient pas le quartier qui les avait vu naître. Tout le monde se connaissait et se tenait à la culotte de l’autre. Vous pouviez faire un coup foireux, mais le boomerang vous revenait en pleine gueule, tôt ou tard. Cela permettait à chacun de s’y retrouver à condition d’y mettre un peu du sien. Il n’est pas de meilleure pédagogie que l’expérience. Les petits gars et les petites garces qui entraient dans la marmite étaient surveillés par les vieux brigands. L’on faisait attention à ce qu’ils ne se brûlent pas du premier coup les ailes. L’école de la vie, mais avec de bons maîtres soucieux de votre survie… Aujourd’hui c’est David contre Goliath revêtu d’une armure anti-fronde.

C’est du moins ainsi que Nick Toshes le raconte. Répète avec une certaine complaisance les propos des principaux activistes de l’époque. Ça sonne vrai de vrai. Vous avez envie d’y croire. Mais la croyance n’a rien à voir avec la pensée, assuraient les philosophes grecs. Ce qui est sûr c’est que ça se lit comme un roman. Avec victimes innocentes et malandrins au grand cœur. Pour tout dire il y a même un D. J. honnête.

Damie Chad.

 

*

Un rocker n’a jamais peur. Mais là, j’avoue avoir fait un pas arrière. Vous ne devinerez jamais ce qu’il y avait dans ma boîte à lettres : une enveloppe ! Ne vous gaussez point, pas une misérable pelure de moins que rien, non un véritable monstre, hors-norme. Le facteur avait dû se donner du mal, l’avait lovée amoureusement, à la manière d’un boa constrictor imperator, il en avait capitonné tout le pourtour intérieur de mon coffre à messages, en prenant bien soin de ne pas en fragmenter le contenu. En plus, ça pesait un max. Un bon kilogramme. Rien à voir avec les minimales vingt grammes réglementaires. En montant l’escalier je supputais le pire, une lettre d’insultes et de menaces envoyée par un ennemi enragé, je subodorais néanmoins le meilleur, une missive d’amour postée par une admiratrice inconnue qui me déclarait sa flamme et son impatience passionnée. M’a fallu débarrasser le bureau pour pouvoir la poser. J’ai jeté un regard suspicieux sur les timbres, cela venait de Suisse, sans doute un banquier qui me faisait don d’un fond de lourde valise de billets de cinq cents dollars - au poids, plus d’un million - mais mes hypothèses se sont effondrées lorsque au dos de l’envoi j’ai lu le nom de l’expéditeur.

Pas n’importe qui. Jean-Michel Esperet. Un bienfaiteur de l’humanité-rock qui nous a légué une superbe biographie de Vince Taylor. Jean-Michel Esperet est un esprit curieux, n’a-t-il pas organisé dans un autre de ses livres une rencontre improbable entre Vince Taylor et Jean-Paul Sartre, ne nous a-t-il pas aussi fait part en deux de ses ouvrages de ses idées critiques un tantinet diaboliques sur notre monde et sa modernité. Tout cela, nous l’avons soigneusement répertorié dans nos chroniques. Jusque-là Jean-Michel Esperet était resté dans ce qu’il faudrait se résoudre à appeler le littérairement correct. Mais là, manifestement, rien qu’aux sidérantes dimensions de l’enveloppe je compris qu’il avait entrepris de dépasser les bornes de la démesure humaine. J’ai donc extrait de sa gangue enveloppeuse l’objet de ma curiosité, long comme trois cent soixante-six jours sans pain. Ceci n’est pas une comparaison, jugez-en par vous-mêmes, c’était un… calendrier.

 

HAPPY LEGS YEARS 2020

¨Literary ¨ Edition

ZIOLELE FEAT JAMIE

 

Les esprits primesautiers hausseront les épaules, un calendrier au moins c’est vite vu, vite lu. Certes ils n’ont pas tort, mais il y a calendrier et calendrier. Celui-ci s’apparenterait plutôt au Double assassinat de la rue Morgue d’Edgar Poe, entre la mort et l'amour la distance à enjamber n'est jamais grande, mais ici il s’agit non d'un double mais de douze assassinats. Considérés comme un des beaux-arts ajouterait Thomas de Quincey.

Chacun se distrait comme il peut. Nous avons tous nos marottes innocentes. Le passe-temps de Jean-Michel Esperet ici reconnaissable sous le pseudonyme de Jamie consiste à doctement deviser sur des morceaux de femmes. Sereinement découpées en deux parties que je m’abstiendrai de qualifier, n’étant pas mathématicien, d’égales. En tout cas ne nous est présenté ici que l` inférieure. Cet adjectif avant tout géographique se doit d’être dépouillé de toute nuance péjorative. Cette activité ludique n’est pas sans rappeler ces numéros de cirque durant lesquels une femme ( de préférence jeune et jolie ) allongée dans une caisse de bois se voit proprement sciée en deux par un magicien généralement secondé par son aide non moins jolie et charmante que la sanglante victime. En homme galant Jamie a préféré laisser à sa demoiselle d’apparat la noble tâche d’accomplir l’irrémissible et toutefois jouissif forfait de la double séparation, c’est donc elle qui s’est chargée du soin de manier la scie séparative, en l’occurrence ici un appareil photographique. Cette artiste de la découpe dénommée ZioLele est qualifiée dans une courte présentation d’Anne-Emmmanuelle de Bonaval de ¨ feminist photographer ¨.

Sans doute est-il temps de se pencher sur les legs-d’œuvres de l’artiste. Bottines, escarpins, talons aiguilles, bas résilles. J’oubliais les jambes. Fines. Elégantes. Souvent cachées ou recouvertes. Seul le mois de juillet vous offrira en coin de photo un prélassement de jambes dénudées échappées d’un fessier même pas nu. Beaucoup de jambes conquérantes qui s’éloignent, paires de ciseaux qui s’amusent à couper le désir qu’elles suscitent. Celle d’avril est pointue comme une tête d’aspic menaçante et celle pommelée de décembre évoque les dessins d’une mue de boa qui s’écarte de sa victime, l’on n'aperçoit qu’une main d’amant mortuaire qui gît dans les draps blancs d’un lit désormais inutile.

Point d’affriolance ou de frivolité dans les photos de ZioLele. Pas des vues saisies au viol hasardeux de la beauté. Des mises en scène froides dénudées de tout sentimentalisme. Chez ZioLele la femme ne cherche pas à vous taper pas dans l’œil, si elle pouvait vous le crever d’un coup de talon elle ne s’en priverait pas. Au mois de mai, le large coutelas irradiant de lumière qu’elle tient d’une main ferme vous incite à ne pas lui laisser faire ce qui lui plaît. Sans doute aimeriez-vous remonter vers la source chaude du sexe, mais par ses prises de vues ZioLele vous incite à baisser les yeux, votre désir s’incline vers le sol, l’amazone est impitoyable, elle dévoile davantage d’asphalte, de goudron, de carrelage que de chair. Peut-être parce que la rareté multiplie la demande et crée la cherté de l’absence. Le fruit fuit. Ou alors il parlemente mais donne l'impression qu'il ment beaucoup plus qu'il ne parle. Aucun pied invisible ne régule l'offre et la demande.

Nous sommes loin de ces calendriers que les sympathiques routiers étalent dans la cabine de leur camion. Les amateurs de pom-pom girls risquent d’être déçus. Il y a une explication à tant de froideur, à tant de refus. Anne-Emmanuelle de Bonaval nous la fournit en sa courte présentation. Si la photographer is feminist c’est parce que le writer qui légendifie les photos est misogynist. Artistes antagonistes. Attention l’on sent qu’ils se sont amusés, qu’ils se sont affrontés, un peu comme quand on est enfant on joue à bataille fermée, chacun pose sa carte en espérant qu’elle sera la plus forte. Ni le chat, ni la souris ne veulent perdre la face. L’enjeu est clair : pas de chatte mais le sourire. Il semblerait que Jamie-Esperet parte perdant. Il n’a que quelques mots à opposer aux grands espaces occupées par les photos. Mais ZioLele n’a pas abusé de l’exubérant chromatisme des teintures. Etrangement chez elle la couleur tend vers le blanc comme si elle voulait que se détache avant tout le compas des jambes dressées comme les mystérieux jambages de quelques lettres isolées victorieusement calligraphiées.

Les trois Horace furent opposés aux trois Curiace. Le combat était à armes égales, mais à ces aigres-douces paires de gambettes agitées comme des sabres d’abordage Jamie-Esperet n’a que la dague pointue de sa langue à opposer. A l’amour qui se refuse il oppose l’humour qui fuse. Je vous laisse découvrir ces petits dialogues, encore plus courts que celui des Mimes des Courtisanes de Lucien. Rédigés en anglais, l’idiome de la perfide Albion qui frise le non-sense et la cruauté sadique. Car le sexe est cru et cruel. L’amante et l’amant, auprès du lit - avant, pendant, après - il n’y a pas d’heure pour ne pas taire les vacheries. Bien sûr c’est Elle qui attaque, et Lui qui répond. Mais ce n’est pas un long duel. Il sait que c’est à la première répartie que l’on cloue le bec de la lutteuse, au premier coup que l’on embroche - symboliquement - l’ennemie. Joue fair-play, il reconnaît ses défaites, même les plus piteuses. Mais il a l’art de les présenter de telle manière qu’Elle en soit en partie responsable. N’est-ce pas Aristote qui a dit que toute chose possède une cause.

Le problème empédocléen c’est que au-delà de toutes les différences les sexes s’attirent autant qu’ils se repoussent. Et ici, tous deux sont décidés de rester sur leur quant à soi. Mais ces ¨ je te hais, moi non plus ¨ font partie d’une parade dans lequel les deux protagonistes cherchent à garder le premier rôle. Ces réparties de jambes-en-l’air orales auxquelles nous invite Jamie-Esperet nous aident à croire qu’elles nous éloignent de notre part animale, qu’elles nous rendent davantage humains en nous permettant de goûter le sel de notre intelligence, puisque nous sommes capables de rire de nous-mêmes.

Damie Chad.

 

BLOOD AXIS

DAY OF BLOOD

MAX RIBARIC

( Camion Noir / Septembre 2012 )

 

Non il ne s’agit pas d’une erreur adjectivale. Noir c’est noir comme l’affirmait Johnny Hallyday, ce camion n’est pas blanc même si nous avons à plusieurs reprises chroniqué en notre blogue plusieurs livres de la Collection Camion Blanc, même que notre Cazengler à nous s’est chargé de la traduction de plusieurs ouvrages, notamment le There’s one in every town de Mike Farren consacré à Gene Vincent, et dirigé avec maestria Le Petit Abécédaire de la Crampologie, tout ce que vous n’auriez jamais aimé savoir sur les Cramps, toutes ces choses vénéneuses que vous ne pouvez vous empêcher de feuilleter chaque soir avant de vous coucher afin de cauchemarder toute la nuit. Peut-être avez-vous éprouvez le même étonnement que mon immodeste personne le jour où un exemplaire de la collection Camion Blanc, vous est passé pour la première fois entre les mains, mais pourquoi cette couleur blanche bien trop innocente pour qualifier les turpitudes du rock ‘n’ roll. Le noir ne serait-il pas mieux approprié !

Simplement parce qu’il existe une collection parallèle qui porte ce titre. Camion Noir parce que certainement certaines propensions humaines ne méritent aucune lumière. Chez Camion Noir vous trouvez par exemples maints volumes sur les serial killers, des documents, des lettres, des récits qui pourraient déclencher chez vous de fautifs désirs. L’on a aussi pensé aux rares parmi vous qui auraient des prétentions intellectuelles, des reproductions de vieux grimoires alchimistes des siècles passés qui vous demanderont des années d’étude juste pour comprendre la signification du titre. Autre sujet d’expériences diverses, la magie. Surtout la noire. Moins la blanche. La rouge uniquement si elle a la couleur du sang. Camion Noir s’intéresse aussi aux mouvements ésotériques, par exemple aux sociétés secrètes qui ont proliféré durant la période nazie. Thèmes marécageux par excellence. Les livres de Camion Noir sont réservés aux esprits avertis. Sont à manipuler avec précaution.

Camion Noir propose aussi quelques titres dévolus à des groupes de rock extrême. Musicalement et politiquement. Pour le premier adverbe pas de problème, pour le second c’est là où le bât blesse, comme disent les ânes. Que le rock soit fun ou hard ne choque que les oreilles fragiles. Mais que le rock s’aventure en politique, beaucoup préfèrent faire semblant de ne pas voir. Il est des itinéraires qui empruntent des chemins d’une orthodoxie radicale que la majorité réprouve.

Michael Jenkins Moynihan est né en 1969 à Boston. L’est un des enfants aimés de cette middle class américaine sans histoire. Un avenir anonyme tracé d’avance s’offre à lui. Mais il est des individus qui ne sont pas comme les autres. L’on ne sait pour quelles raisons. Le monde dans lequel il vit, lui semble fade et mensonger. Gamin, deux films impressionnent fortement son imagination, Orange Mécanique et Rosemary’s baby… enfin des personnages qui haïssent le monde embourgeoisé dans lequel ils vivent et qui professent des idées en accord avec leurs actes. A douze ans il devient fan de punk et de hardcore, mais l’anarchisme de ces groupes lui apparaît très vite comme une façade, une pause, qui n’est pas vraiment vécue de l’intérieur et qui ne débouche sur aucun acte de révolte significative. L’adolescent sèche les cours, s’enferme chez lui, lit beaucoup, est fasciné par tout texte qui aborde des thématiques violentes notamment le personnage de Charles Manson, le satanisme, et l’histoire des fascismes européens…

COUP DE GRÂCE

Ce sera le nom de son premier projet. Pour le nommer il ouvrira un dictionnaire au hasard, cette manière de faire est étrangement similaire à celle qui prévalut pour le baptême de Dada. Avec Coup de Grâce Mickael Moynihan met au point et adopte sa méthode ( comprendre ce vocable en le sens où Paul Valéry l’emploie pour signifier le génie de Léonard de Vinci ) dont il ne se départira jamais. Il n’a que quatorze ans mais il détient les clés de la conquête ( propagande ) et le Graal ( expérimentation ). Dans son garage, il produit du son, il bidouille, il traficote, à partir de ces vrombissements glougloutiques que l’on entendait en faisant défiler le curseur d’un poste de radio sur les ondes courtes, et qu’il passe sur de vieux magnétos sur-enregistrés en décalé, auxquels il ajoute des notes de guitare acoustique et de ces synthétiseurs pour gamin que tout le monde possédait. Ces premières créations seront diffusées sous cassettes. Mais la musique ne suffit pas. Il faut travailler l’esthétique de la pochette. Et bientôt s’impose la nécessité d’un livret. Son but n’est pas de donner des explications mais d’accrocher d’hypothétiques auditeurs, de leur donner l’envie d’entrer en contact avec lui. Le texte est une chose, mais la façon dont il est présenté est peut-être encore plus importante, plus décisive. Les couleurs rouge, noire et blanches seront privilégiées, ce sont celles de l’alchimie et aussi de l’iconographie nazie. Recherches graphiques expressionnistes, utilisation de symboles archétypaux empruntés aux propagandes fascistes et aux vieux engrammes païens.

Coup de grâce se terminera en 1989. Moynihan entre dans sa vingtième année. Ce qui pourrait apparaître comme un jeu d’adolescent attardé, une espèce de fourre-tout idéologique de bas étage et une création artistique de bric et de broc lui a permis d’atteindre ses objectifs. Il n’est plus isolé. Il a reçu du courrier, il a rencontré des frères d’armes, il possède une certaine expérience musicale non négligeable, il a donné quelques concerts, il a voyagé, il a tissé un réseau commercial de vente par correspondance qui lui a appris la corrélation qui existe entre la force de persuasion d’un objet ( phonique ou imprimé ) et sa charge esthétique. En plus de tout cela, il n’a cessé de lire ( philosophie, religions, poésie, histoire ), de découvrir, de compiler des documents, de traduire, de se questionner, d’apporter des réponses…

BLOOD AXIS ( I )

Dès 1990, le nouveau projet nommé Blood Axix est sur les rails. Ce sera celui de la maturité. Coup de Grâce trahissait en son titre le nihilisme et l’arrogance de l’adolescence. Il s’agissait d’en finir définitivement avec le vieux monde. Ou tu changes, ou je te tue. Rien n’a changé et la société est encore vivante. Michael Moynihan a compris que le refus solitaire de l’individu ne suffit pas. Que l’on n’en viendra à bout qu’en proposant un véritable projet. Pas un nouveau contrat social mais une philosophie qui permette de se tenir debout. De ne plus subir. Chacun se doit de devenir un axe de sang, l’axe vital par excellence, que c’est seulement ainsi que l’on réunira une élite chargée de l’œuvre sacrée de destruction. L’on est en plein romantisme fasciste. Les photos de Moynihan ne sont pas sans évoquer l’outrecuidance martiale des jeunesses mussoliniennes et nazies. Ce sont des soldats. Prêts à se battre. A mourir, mais surtout à vaincre. Blood Axis possède son emblème, la croix potencée des croisés à mi-chemin imaginal et symbolique entre l’emblème nazi, la croix de Malte et le logo du groupe Occident. La Kruckenkreuz.

A proprement parler Blood Axis ne produira qu’un seul véritable album The Gospel of Inhumanity ( 1996 ) mais qui reste un des piliers fondamentaux de la musique industrielle. Un disque se rage et de destruction. Qui marquera les esprits. Peut-être parce que dans le kaos sonore délivré se décèle un chemin vers un autre pays, un pays qui a toujours existé, qui n’est plus, mais dont on a la prescience de son existence.

Le groupe participera aussi à plusieurs anthologies composées de formations de mêmes types, rares sont celles capables de rivaliser avec lui… Ces disques ( CD, DVD, CD-Rom, vinyles ) très souvent édités par Blood Axix sont agrémentés de luxueux fascicules et tirés à petit nombre d’exemplaires… De même seront offerts des Lives enregistrés lors de tournées européennes et américaines. Parfois les concerts sont annulés ou précédés de manifestations organisées par des groupes antifas.

BLOOD AXIX ( II )

Le groupe évolue. Des musiciens vont et viennent. Mais la musique change. La réflexion de Michael Moynihan s’est approfondie. Son aspect physique n’est plus le même. Certes il a pris de l’âge. On sent un apaisement. Il n’est plus le va-t-en guerre du début, le soldat intraitable s‘est métamorphosé, le militant idéologique a mûri. Il n’a rien renié mais la nostalgie des groupes fascistes de l’entre-deux guerres, n’est plus de mise. La donne n’est plus la même. L’Allemagne et l’Italie des années 20, ne sont plus des exemples, l’Europe a été la première victime des deux guerres mondiales, une véritable guerre civile dans laquelle elle s’est coupée de ses racines les plus profondes. Le pays, le grand pays, reste celui des anciens Dieux, nordiques, grecs, et même peut-être certains aspects de la spiritualité chrétienne… Mickael Moynihan tient des discours de philosophe. Des propos empreints d‘une sagesse éruptive… Peut-être la venue d’Annabel Lee y est-elle pour quelque chose. Elle lui donnera un fils, et apportera au groupe une véritable connaissance de la musique classique. Elle joue du violon, et de l’accordéon. Il ne faut pas parler d’influence mais de conjonction. Le bruitisme culturo-phonique de la musique industrielle cède le pas à un néo-folk industriel qui aux avalanches sonores préfère désormais des morceaux plus traditionnels. L’on ne mixe plus des discours idéologiques, l’on exalte de préférence des poèmes… Une musique qui se donne pour mission de rétablir une ouverture avec le vieux fond du paganisme européen originel.

Le livre s’achève en 2007. Son auteur italien Max Ribaric a pu puiser directement aux archives accumulées par Mickael Moynihan. Une véritable somme iconographique et textuelle. Par contre les lyrics du groupe qu’ils soient en anglais ou en allemand ne sont pas traduits. Certains lecteurs penseront qu’il s’agit d’un ouvrage de propagande ( pré-pro-post-) fasciste... Sa lecture s’en révèlerait alors d’autant plus nécessaire.

Damie Chad.

08/02/2020

KR'TNT ! 451: ALLY & THE GATORS / JAY VONS / BLOUE / JOSE MARTINEZ

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 451

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

13 / 02 / 2020

 

ALLY &THE GATORS / JAY VONS

BLOUE / JOSE MARTINEZ

 

AVIS A LA POPULATION

CETTE LIVRAISON 451 ARRIVE EN AVANCE

LA 452 AURA DEUX JOURS DE RETARD

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME !

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Ally Baba

 

C’est pas des conneries, Ally vous laissera baba. Chaque fois qu’elle grimpe sur scène, elle semble gagner en whole lotta shaking, avec cette façon de danser sur place tout en menant la charge au chant. Ally a le feu sacré, ça ne fait aucun doute et les Gators qui l’accompagnent le savent. Alors comme on dit chez les usuriers, c’est tout bénef que de l’accompagner. Ally dispose de ce petit quelque chose qui fait la différence, un mélange de présence, de tatouages, de plaisir à chanter, d’assurance, de féminité, de petite gouaille. On pourrait même parler de féminité victorieuse et de gouaille havraise oui, car Ally vient du Havre. Elle met toute la conviction du monde dans son tour de chant et taille admirablement la route d’un set très court mais sans le moindre déchet. Les Gators ont affiné leur presta et trouvé leur vitesse de croisière. Ils se montrent redoutables et même aussi carnassiers que tous ces vieux crocos qu’on voit parader sur scène du marigot de Béthune. Quelle belle triplette de Belleville que ces Gators qui exubèrent dans les règles de l’art ! La section rythmique est un modèle du genre, avec les interactions stand-up/drumbeat dignes de la meilleure tradition et un Telecaster-man qui pique des petites crises de killer flashy flasho ici et là. Ils gonflent les voiles d’un rockab bien fuselé qui file sous le vent, facile à manœuvrer et capable de filer trente nœuds à la moindre alerte. Bon, d’accord, les Gators n’inventent pas la poudre, mais ce n’est pas non plus ce qu’on leur demande. Ils aiment assez la tradition pour avoir appris à la respecter et par conséquent, l’amateur y trouve lar-ge-ment son compte.

D’ailleurs, pour bien remettre les pendules à l’heure, ils démarrent sur un joli clin d’œil à Charlie Feathers et un «Bottle To The Baby» qui vaut bien celui que nous servit royalement Don Cavalli l’été dernier à Béthune. Les Gators le shakent dans la couenne du shook, ils le swinguent au mieux de la swingabilité des choses, c’est takaté dans l’âme et Ally le ba-ba-ba-ba-baby-tiddy-whop-ba-boppe avec une faaaaantastique ferveur. Comme si elle ne savait faire que ça dans la vie. Elle entre dans Charlie Feathers comme on entre en ville conquise, et il paraît évident qu’un Charlie encore de ce monde serait ravi de voir Ally roucouler son vieux coulou-coucou.

Il se pourrait très bien que le «Too Much Lovin’» qui suit soit celui des 5 Royales, un antique classique de swing tombé dans l’oubli et ressuscité pour les besoins de la cause. Bon d’accord, ça sent l’érudition à la petite semaine, car ce type de swing date du début des années cinquante, mais le résultat vaut le détour. Ally sait le driver aussi bien qu’un classique de Charlie Feathers. On reste dans les parages de Mathusalem avec le «Voodoo Voodoo» de LaVern Baker. Elle et les 5 Royales font partie des ancêtres du rhythm & blues. Ça date d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, Montmartre en ce temps-là accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres. Aux yeux de Jerry Wexler, qui transforme the race music en rhythm and blues, LaVern Baker était avec Ray Charles et Clyde McPhatter l’une des plus grandes stars d’Amérique. Rien n’est plus difficile aujourd’hui que d’entrer dans cette période musicale, sans doute à cause de son côté kitsch et bon enfant, alors jouer ce type de cut sur scène doit être particulièrement périlleux. Car tout repose sur la qualité du swing. Les Wise Guyz l’ont. Brian Stetzer aussi, avec son Orchestra. Les Gators font leur truc et ça passe comme une lettre à la poste. Sur ce genre de cut à risque, Ally met le paquet et passe en force. Elle s’installe dans l’ère sacrée du jump avec «Eeny Meeny Meny Mo» qu’à chanté Billie Holliday en son temps. Ça reste du beau jump slappé derrière les oreilles. Les Gators plongent leurs crocs dans la couenne du lard et ça bouge bien dans le bayou. Sacrés Gators, si vous leur tendez la main, ils vous mangeront le bras. Faites gaffe ! S’ensuit un bel hommage au vieux Joe Clay, avec l’excellent «Sixteen Chicks». Pas de meilleur rockab swagger que celui du vieux Clay, celui du mystère, c’est cogné sec et Ally chickane ses seize Chicks avec une hargne qui en dit long sur l’indomptabilité de son tempérament. Avec «Number Nine Train», on plonge encore un peu plus dans l’inconnu. Tarheel Slim est un rockab black new-yorkais pas très connu et c’est dommage, car en plus de son fantastique «Number Nine Train», on lui doit aussi l’imparable «Wildcat Tamer» rendu célèbre par Dale Hawkins.

Et tout le monde reconnaît «Bertha Lou», un vieux classique signé Johnny Burnette et popularisé plus tard par Tav Falco. Ally l’ulule et le glousse, elle le chabadate et le roule dans sa farine, c’est un régal pour tous les amateurs de rockab que de voir cette gonzesse faire sa Bertha Lou avec autant d’astuce. Si vous voulez entendre la belle version de Clint Miller, elle se trouve sur le volume 13 de la série That’ll Flat Git It, le volume que Bear consacre à ABC Records. Reconnaissable entre mille, «Bertha Lou» fait partie des increvables du rockab. Comme Ally et ses Gators sont limités dans le temps, ils doivent conclure et vont le faire à la havraise, avec une honnête reprise de «Long Tall Sally» puis une compo à eux qu’Ally prend le temps de présenter, «Rockin’ With My Gators», un joli développé de rockab qui tinte bien aux oreilles. Comme on dit lorsqu’on est à table et qu’on se régale : «Miam miam, ça fait du bien par où ça passe». Oui, car voilà encore un shoot de rockab qui file droit, qui ne prétend pas rivaliser avec Johnny Powers et qui sent bon le havrisme tel qu’on l’a connu, celui du temps où chacun considérait le Havre comme la première ville rock de France. Ally & ses Gators finissent en beauté, sans se rouler par terre, simplement en dépotant une composition originale qui devrait faire la joie de tous les jeunes de 7 à 77 ans.

Signé : Cazengler, Alli Allo Allah

Ally & The Gators. Le 106. Rouen (76). 17 janvier 2020

 

Jay Vons bien ensemble

En feuilletant Shindig, l’autre jour, on est tombé sur un chapô intéressant : «Paul Osborne s’intéresse de près aux Jay Vons, un quartet new-yorkais qui réactualise sur son premier album le blue-eyed sound des Young Rascals et des Zombies.» Tiens, tiens, pour une fois, on échappe aux griffes de Moloch le Psyché.

Alors effectivement, quand on examine la photo des Jay Vons, on reconnaît la terrine de l’organiste de Reigning Sound, Dave Amels, qui n’est plus tout jeune, et celle de Benny Trokan qu’on avait déjà vu sur scène voici quelques années dans le backing band de Lee Fields. Un mec qu’on repère facilement, car c’est l’héritier direct de James Jamerson. Peu de gens savent aussi bien jouer de la basse. Osborne confirme, ces gens tournent depuis des années avec Charles Bradley, Lee Fields et Sharon Jones, c’est-à-dire l’écurie Daptone. Une bonne écurie, soit dit en passant, même si aujourd’hui elle semble réduite à portion congrue puisque décimée par des cancers. Mais le lien des Jay Vons avec ce label reste très fort puisqu’ils ont enregistré leur premier album The Word au studio Daptone.

Le chanteur du groupe s’appelle Michael Catanese, lui aussi ex-Reigning Sound. Il joue avec les autres sur l’album Shattered, qui date de 2014. Avec Catanese, on a l’anti-rock star par excellence, brun, petit, un peu rond, moustachu mais passionné de Soul. Et de Young Rascals qui, faut-il le rappeler, fut l’un des très grands groupes américains de blue-eyed pop, un groupe emmené par Felix Caveliere, vétéran de toutes les guerres et toujours en activité. Le batteur des Jay Vons s’appelle Mickey Post. Il rappelle qu’il travaille pour Daptone depuis onze ans et qu’il a commencé à enregistrer des bricoles durant les heures creuses. Il profite de son passage dans Shindig pour saluer les producteurs maison Wayne Gordon et Thomas Brenneck. Bien sûr, Osborne conclut en recommandant chaudement à ses lecteurs d’aller voir les Jay Vons sur scène.

Oh ça tombe bien, ils passent justement en première partie de Lee Fields sur la grande scène. Le fait qu’ils jouaient dans Reigning Sound leur confère une petite aura légendaire. C’est pour ça qu’on les prend au sérieux dès le coup d’envoi. Michael Catanese attache sa demi-caisse assez haut sur la poitrine et se jette tout entier dans la bataille pour attaquer un set de Soul blanche à la fois plaisant et ardent. Mais ce n’est pas lui qui va rendre le set des Jay Vons mémorable. Ni le petit brun qui remplace Dave Amels aux claviers. Et encore moins Mickey Post derrière sa batterie riquiqui. Celui qui va vraiment tirer son épingle du jeu, c’est Benny Trokan, avec son air de ne pas y toucher, cette espèce de désinvolture d’adolescent attardé, un singulier mélange de classe, de distanciation et d’anti-frime. Ce mec joue comme un dieu et il ne la ramène pas. Comme un dieu, oui, c’est-à-dire James Jamerson, le bassdriver qui a dynamité tous les grands hits des Four Tops, des Supremes et des Temptations. Jamerson, le bassman le plus respecté d’Amérique et le diable sait si les bons bassistes pullulaient à l’époque dans cette région du monde. Une fois encore, on se retrouve dans un spectacle un peu spécial, puisque l’un des musiciens focalise toute l’attention. On ne peut pas quitter les mains de Benny Trokan des yeux, de la même façon qu’on ne pouvait pas décrocher son regard du cirque de Clem Burke l’autre soir dans les Split Squad. Ces mecs sont de véritables vampires, ils choperaient tout, jusqu’à leur reflet. Benny Trokan n’hérite pas seulement d’une technique de jeu, il hérite d’un son et d’une attitude. Il groove en permanence et joue rarement au médiator. Il descend littéralement ses lignes de basse et n’en rajoute pas, il reste sur des schémas simples et profondément jamersoniens, avec juste ce qu’il faut de rebondissement pour donner vie à ses relances. Il réactualise toute cette dynamique du son, celle qui fit la grandeur de Tamla, jusqu’en 1972. Dans ses mémoires, Dennis Coffey fait un éloge fantastique de Jamerson : «Il joue de la basse comme un dieu. Lui et le batteur Benny Benjamin sont le cœur battant du Motown Sound. Jamerson joue ses grosses lignes de basse et Benny amène le groove et le shuffle de caisse claire et de cymbales. Jamerson porte généralement un béret noir, un T-shirt noir, un Levis et un ceinturon de cuir avec une boucle western.» Benny Trokan semble réincarner cette magie désormais enfouie dans le passé. Seuls les amateurs de Soul savent qui est James Jamerson. À tel point qu’on finit par écouter les grands albums de Motown rien que pour lui, comme on réécoute les albums des Stones rien que pour entendre ce que fait Charlie Watts. Le plus terrible dans cette histoire, c’est que ni Jamerson ni les autres Funk Brothers n’étaient crédités sur les pochettes Motown. On devine la présence de Jamerson. Berry Gordy craignait qu’on ne lui pique ses musiciens, alors personne ne devait savoir qui accompagnait les Four Tops, les Tempts ou les Supremes.

Et puis dans la salle, il y a aussi des bassistes. Eux se régalent encore plus de ce spectacle. On voit rarement un bassman aussi élégant, groovant le beat avec une telle aisance. La plupart des gens qui ont appris à jouer de la basse dans les années soixante avaient le choix entre trois modèles : Jamerson, si on vénérait la Soul, ou alors Jack Casady et John Entwistle si on préférait le rock. Des trois, Jamerson était le plus difficile d’accès, car extrêmement inventif, mais en voyant Benny Trokan, on tombe des nues, car toutes ces lignes de basse semblent d’une simplicité enfantine. Il ne va jamais chercher midi à quatorze heures. Le secret repose en fait sur une seule chose : la façon de jouer. L’anticipation.

Bon, nous n’irons pas par quatre chemins : l’album des Jay Vons est excellent. Il devrait intéresser tout fan de Soul blanche, c’est-à-dire Reigning Sound/Rascals/Dan Penn. Le coup de génie de l’album s’appelle «Want You Tomorrow». On se croirait chez Tamla, ils descendent à coups d’ah ah ah dans l’incroyable déversoir de heavy Soul new-yorkaise. Ces petits mecs se situent au confluent des genres. Le drive de basse qui emmène cette merveille fait rêver. «Changing Seasons» sonne comme un hit des Rascals, le cut devient vite passionnant, digne des grandes heures de Felix Caveliere, avec un Benny Trokan qui bourre le mou du groove. C’est une merveille, ils semblent s’élever au rang de stars car leur cut s’en va exploser au firmament. Voilà ce que les afficionados appellent une grosse compo. C’est explosif de beauté marmoréenne, porté par un drive de basse exubérant, orchestré au-delà de tout ce qu’on peut raisonnablement imaginer et cuivré de frais. Ils ont tout, même le génie du son. Michael Catanese en rajoute avec ses Seasons et il s’écroule enfin sur ses lauriers. Avec «Keep On Moving», ils proposent un fantastique shoot de Soul new-yorkaise. Ces mecs ont un allant considérable. Ils se re-positionnent en plein âge d’or des Young Rascals - Ah ah ah/ Keep on moving - et ils semblent encore cavaler dans les hit parades avec «My Mama (She Was Right)», c’est excellent, bien-au delà des espérances du Cap de Bonne Aventure, bien bassdrivé par Benny The Trokan. Encore un solide hit de Soul pop a mettre dans ton Juke, Jack. Ce mec fait encore de sacrés ravages dans «Take It This Far», mais c’est Dave Amels qui se tape la part du lion dans «Days Undone», il joue de l’orgue à l’éperdue. Michael Catanese est un peu trop blanc pour la Soul du morceau titre qui ouvre le bal de l’album, il gueule et croit bien faire, mais il devrait écouter Al Green. Heureusement, Benny The Trokan arrondit bien les angles derrière. Il fait une partie de bassmatic assez demented are gogo. Curieux mélange : devant, tu en as un qui gueule comme un veau et derrière ça groovve au meilleur smooth de smash. Avec «Night», ils passent au garage Soul un peu énervé, et même exacerbé. C’est peut-être ce côté énervé qui les sauvera de l’anémie. Leur énergie peut les porter au pouvoir. On entend bien la pulsation du bassmatic derrière. Tout leur charme repose là-dessus. Ils finissent cet album passionnant avec «Did You See Her», un groove digne de Rascals. Retour chez Felix. Ils tapent dans l’excellence de ce son si injustement oublié et tellement vertueux. On note chez eux une fabuleuse aisance. L’If you see her perfore l’ombilic des limbes, c’est excellent, relentlessed au gimmick de Wurlitzer eraser, ah quelle belle dose d’extasy new-yorkaise, tu vois fondre les glaçons aux douze coups de minuit.

Signé : Cazengler, Jay Vomi

Jay Vons. Le 106. Rouen (76). 21 janvier 2020

Jay Vons. The Word. La Castanya 2019

Paul Osborne : Spread the word. Shindig # 98 - December 2019

 

 

BLOUE

 

j'étais un peu dans le noir, celui de mon café, mais assez éveillé pour comprendre qu'il y avait un truc qui n'allait pas. Ce n'était pas moi, ni le café, mais la radio. Comment dire, la programmation n'était pas à la hauteur du cahier de charge supposé. Certes, c'était de bon matin, et la radio était en grève – ce qui n'est guère grave, à mon humble avis, elle devrait l'être un peu plus souvent, systématiquement aux heures informatives. Cela nous empêcherait d'entendre les billevesées ordurières de notre gouvernement, il vaut mieux une mauvaise chanson qu'un mensonge d'état, en plus parfois ils passent de la bonne zique – pas toujours, je ne sais pas qui choisit, mais certains devraient s'abstenir, ce n'était pas le cas, c'était plutôt bien foutu, mais j'ai enfin réalisé ce qui ne cadrait pas, c'étaient les paroles. Méchamment méchantes et en plus intelligentes. Double dangerosité. Séro-négativité purulente. Evidemment pas de nom d'artiste à la fin du morceau. J'en avais fait mon deuil, lorsque huit jours plus tard ma fille m'envoie deux vidéos disponibles sur You Tube.

LA PETITE HISTOIRE / BLOUE

Tout doux. La musique, ces cordes qui grincent, cette batterie qui s'asthmatise, et cette voix faussement geignarde qui attise les braises de la colère, des lyrics qui se tiennent sur le fil du rasoir et dans la ligne de mire du fusil-mitrailleur et qui chantent aussi bien les rêves détruits que la nécessité de la lutte. La petite histoire touche à la grande. Du blues comme l'on n'en fait plus par chez nous. Comme peut-être l'on n'en a jamais fait. Du blues politique. Parce que la réalité n'est pas souvent rose. Trop bluezy, trop flou, trop bloue. Des lyrics qui touchent un peu à la poésie. L'on allume aussi le feu avec l'eau des fleuves qui coulent.

( Armand : voix / Nico : banjo, harmonica / Lolo : tambour / Antoine : basse. )

ALORS TU REVIENS / BLOUE

( Clip / Réalisation : La Lézarde )

Blues-rap. Pas râpeux ni sirupeux. L'histoire d'un mauvais choix. Celui de ces fils du prolétariat qui s'engagent du mauvais côté et qui ont du mal à s'y retrouver lorsque eux aussi deviennent la proie des balles. L'on n'est pas toujours du côté des plus forts et l'on ne décide pas toujours des règles du jeu. Le banjo grince comme un grain de sable dans les rouages africains. Groupes en pleine action, images en blanc et noir, avec un subtil travail sur les contrastes noir, des noirceurs chatoyantes qui prennent subitement corps sur des ombres et puis disparaissent, et des blancs trop lactescents pour ne pas cacher de profonds poisons, le tout entrecoupé de vision bleues subloueminales qui défilent à toute vitesse.

Bloue vient de naître fin 2019. Ses quatre lascars se réclament encore de Wu Tang Clan de Marc Ribot et de Tom Waits. Leur premier EP intitulé Mange ( une bande de moins de d'une minute est visible sur You tube ) sortira le 25 février jour de Mardi-Gras précisent-ils sans doute pour insinuer que le blues-rap de Bloue ne déteste pas la terre des alligators. D'ailleurs Armand et Nico n'appartiennent-ils pas à la compagnie théâtrale Bloue Bayou. Quatre musiciens qui ne s'inscrivent pas dans une seule tradition mais dans plusieurs expériences, pour mieux inventer une nouvelle mixture qui leur ira comme un gant puisque adéquate à leurs propres personnalités. Ce qui n'exclut, ni partage, ni fureurs.

Bloue n'est pas sans accointances avec l'ancienne formatio folk : Bloue Krasse.

Damie Chad.

 

*

Avertissement aux Kr'tnt readers : en ce monde il n'existe que trois choses :

ce qui n'est pas du rock'n'roll dont il convient de ne pas parler

le rock'n'roll

et celles qui possèdent un indéniable esprit rock'n'roll

comme ces :

FRESQUES & MARTINEZQUES

24 FRAGMENTS MYTHOLOGIQUES

DE JOSE MARTINEZ

 

Les anciens aimaient à penser que les rêves et les dieux se déplaçaient sous forme de filaments tentaculaires d'immortalité dans toutes sortes d'espaces. Ils les considéraient comme des espèces d'ADN athanatiques élémentales qui flottaient ainsi dans les airs les plus subtils. Parfois, vous aviez de la chance, ils entraient en vous par les pores ouvertes de votre sensibilité astrale. La plupart du temps ils prenaient bien garde de ne pas s'engluer dans le piège mortel de vos carcasses humaines promises à la destruction. Rainer Maria Rilke nous parle dans les Elégies de Duino de cette phénoménisation singulière du monde, Qui, si je criais, m'entendrait donc parmi les ordres des anges ? demande-t-il.

Toutefois il reste des traces de leur passage. Dans nos têtes et nos actes. Pour qui sait les lire, dans les agglutinations des mots. Pour qui sait les entendre, dans la musique. Pour qui sait les voir, dans les dessins. En voici un témoignage. Celui de José Martinez qui vit en Ariège, vous en retrouverez d'autres sous des formes différentes – peintures, encres, sculptures - dans la rubrique Photos de son F.B. José Martinez Pamiers.

Nous présentons ici dans leur ordre d'apparition chronologique les vingt-quatre premiers jalons d'un chemin qui peut-être s'arrêtera-là, ou qui continuera. De toutes les manières les pistes ombreuses surgissent d'on ne sait où pour se terminer en des lieux dont on a bien du mal à décrypter le mystère de leur implantation. Peut-être sont-elles à désigner comme les ombres fugaces et fossilisées d'ouraniques linéaments par nature inaccessibles. Il suffit de se perdre dans les réseaux mouvants des capillarités du monde et des scissiparités de l'imaginaire pour suivre une longue route qui ne va jamais plus loin que nous-mêmes.

Ces Fresques et Martinesques – ainsi nous plaisons-nous à les surnommer, José Martinez ne réside-t-il pas en la ville de Pamiers dans laquelle naquit Gabriel Fauré qui composa Masques et Bergamasques – nous sont offerts sous le titre générique de Dessins blanc et noir. Nous avons pris la liberté de les numéroter et de leur octroyer la date de leur mise à disposition d'un public d'amis et de proches.

1 - 10 / 11 / 2016

Cheval dans la nuit du dessin. Paisible dans le pré des étoiles noires. Il est le maître et le destin. Cheval de guerre et de foudre. Au-repos. Tout est dans la puissance. La violence rassemblée dans sa musculature. Etalon d'Epinal sage comme une image, refermé sur sa chair de songes clos qui dorment. Il n'est qu'une fleur de prairie dont le soleil n'a pas encore épanoui la corolle. Tout est calme car rien n'est encore advenu. Il n'est-là que pour donner davantage de profondeur et de mystère au noir qui l'entoure. Et peut-être même qui l'assaille. Par en-dessous et de tous les côtés. Nous sommes en moment d'attente. Toutes les forces sont annihilées. Rien ne se résorbe que l'impavide présence de ce qui est. Peut-être est-il simplement une représentation du silence. Une statique vision de l'absence de l'espace. Une goutte de sperme létal. Ossifiée, congelée. Tombée d'une autre planète. Sur un territoire inconnu. Gestation éhontée des possibles.

2 - 26 / 11 / 16

Noir et blanc plus que jamais. Tout s'éclaire. Nous avions le cheval. Voici l'indien . Est-ce un déplacement de sens ou d'image. Sommes-nous au centre d'un triptyque ou ailleurs. Que vaut-il mieux avoir. Qui vaut-il mieux être. Un cheval sans indien ? Ou un indien sans cheval ? Lequel des deux est-il le songe de l'autre. L'ouragan de l'un ? C'était un cheval de nuit et voici un indien de jour. Pourquoi le blanc paraît-il n'être que la lumière du vide. Seuls des signes énigmatiques pourraient nous renseigner. Des boutons dans l’œillère  du mystère. L'impavidité du guerrier. Nulle arme sinon une plume. La force est dans le corps. Elle ne s'aventure pas dans le monde. Tout au plus affleure-t-elle la fermeté du visage. Et pourtant il est des scolopendres décoratifs qui nous inquiètent. Des fariboles de dentelles qui s'exhaussent du noir des formes, l'on pense à des maniérismes de peintres baroques qui se perdent dans les flatuosités de leurs arabesques, mais ne serait-ce pas plutôt le signe avant-coureur des amibes du néant désagrégationiste, et pire encore, le grouillement proximal des scorpions de la réalité.

3 - 02 / 12 / 2016 

Profusion, la grenade du monde s'est entrouverte. Tout de suite c'est le capharnaüm. Une chatte n'y reconnaîtrait pas ses petits. Comme nous sommes des hommes nous sommes moralement obligés de faire semblant de nous intéresser d'abord à nos semblables. Pas de chance, nous n'apercevons qu'un de nos dissemblables. L'idiot qui se prenait pour Dieu et il n'est même pas capable de s'accrocher correctement à sa croix. Une crucifixion ratée. Par un peintre espagnol en plus ! C'est la première chose qu'il note sur son FB : provient de Venta Quemada. Une véritable cruci-fiction plutôt. L'a voulu se la jouer tradition et pas de chance chez cet andalou ce sont les ascendances indiennes imaginales qui bouillonnent dans son sang. Son tableau est une tranche de pastèque truffé de motifs aztèques. C'est le chef indien du deuxième arcane de ce jeu de tarot kahotique qui a gagné la guerre. Le petit Jésus a beau tenté de se raccrocher à sa croix, c'est fini pour lui. La termitière du monde lui a déjà bouffé un bras.

4 - 09 / 12 / 2016

L'apparence de la sagesse. Le chamane par excellence. Vous n'aurez pas assez de votre vie pour étudier les motifs dessinés sur l'amulette de son oreille gauche. L'est au centre, le Le king Yin du blanc à sa gauche, le khan Yang du noir à sa droite. L'est l'épée de justice sur le juste milieu de la balance. Les yeux fixés sur la ligne de la première montagne qui passe à l'horizon, son chapeau au pourtour de faux triskels  lui octroie une impression de puissance inaliénable. Vous avez son nom dans un coin, pour lui écrire ou vous inscrire dans le prochain stage de médiation active auquel vous participerez pour vos vacances d'été. Ne soyez pas bête, cherchez plutôt les petites bébêtes qui grouillent sur les bords. Sont-ce des insectes inoffensifs ou des représentations de forces nuisibles qui attendent que vous entriez en méditation pour pénétrer en effraction dans vos pensées et les submerger.

5 - 15 / 12 / 2016

Que croyiez-vous donc trouver ? Que ce soit dans la tête des plus sages ou à l'extérieur de leur orbe méditatif, c'est la même Idole qui règne. Depuis longtemps. Depuis toujours. C'est pour cela que la montre épouse les courbes du temps. Sur cette image c'est maintenant. Avez-vous remarqué qu'elle est vautrée sur la même chaise de bureau que votre secrétaire, et que c'est avec des talons de la dernière mode qu'elle écrase les horreurs de toutes les églises. Des hommes carbonisés d'envie dansent autour d'elle. Sans espoir. Elle n'est pas pour eux. Ni pour vous. Avez-vous lu le carton qu'elle tient, comme ces réservations de table dans les restaurants. C'est José Martinez l'invité du soir. Qui mangera l'autre ? Avant de vous perdre en vaines supputations regardez l'endroit précis où se croisent les deux diagonales du tableau. Même pas la peine que je vous fasse un dessin pour désigner le lieu de tous les dangers !

6 - 23 / 12 / 2016

Nous y sommes. Ne faites pas semblant d'être surpris. Le vous l'ai répété à multiples reprises. C'est partout pareil. Le microcosme et le macrocosme. Que vous soyez dans la tête du sage ou dans la sexe de la femme, c'est le spectacle du monde qui s'agite devant vos yeux. Tout est là, le stupre, la violence et la mort. Tout est donné en même temps. Il est inutile de vous enfuir de la réalité sur votre bicyclette car votre vélo n'est qu'un fragment de cette même réalité. Je vous concède que le monde est plein comme un œuf. Un maelström. Un tohu-bohu inimaginable. Tellement insupportable que les humains ne savent pas quoi faire pour le détruire. Les bombes n'y peuvent rien. C'est une plante qui repousse à la vitesse du chiendent. Que l'épée de Damoclès se tienne immobile au-dessus de vous, ou qu'elle vous transperce comme un papillon, si vous agitez vos bras en un   soubresaut convulsif, que vous soyez à moitié mort ou encore vif, vous n'en déclencherez pas moins une catastrophe à l'autre bout du monde. Manque de chance c'est exactement là où vous agonisez.

7 - 31 / 12 / 2016

L'on est vite déçu. Puisque il n'y avait apparemment pas de place pour vous dans ce bas-monde, vous avez essayé d'aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Votre cheval avait eu la même idée, vous le retrouvez avec plaisir quoiqu'il soit un peu efflanqué et si vous êtes le cavalier ossuaire à ses côtés - à moins que ce ne soit que votre allégorie - vous n'avez pas l'air en meilleure forme. Le plus surprenant c'est que vous avez fait ce long voyage pour rien. Il y a autant de monde que de l'autre côté du miroir. A croire que l'enfer et le paradis ne sont que les deux étages de la même maison, celle de la réalité. Pas la peine de tirer la tronche dans le coin droit de l'estampe, les filles sont aussi belles ici que là-bas. Le même amoncellement d'objets indéfinissables vous cerne. Jusqu' à une voiture dont vous n'avez que faire car vous avez un cheval. Le seul truc en plus, c'est la mort. Un presque rien, totalement inutile pour vivre.

8 - 11 / 01 / 2017

Coucou vous revoilou. Comme vous avez changé. Une véritable métamorphose. Vous êtes revenu. Vous avez décidé que la mort n'est pas pour vous, la vie non plus. Désormais vous marchez sur la voie du guerrier. Plus rien ne vous fait peur. Vous êtes fort et puissant. Vous êtes invincible. Vous vous êtes emparé du serpent de l'immortalité. Pas bien difficile. Vous l'aviez entraperçu dans l'entassement hétéroclite des objets du monde. Un anneau par-ci, une anse multicolore par-là, encore fallait-il savoir. José Martinez a compris le grand secret de l'univers : il suffit de vouloir pour être. Et l'autre, le deuxième, que le monde est une cire sur laquelle les doigts de votre pensée modèlent la forme que vous désirez engendrer. Regardez, il n'utilise que le blanc et le noir mais il vous oblige à ressentir la chatoyance colorée du monde par la seule force de son dessin.

09 - 25 / 01 /2017

Plus que la mort. Plus que la vie. Ils sont tous là. Dans l'empyrée. Tous les Dieux sans exception. De l'ancienne Hellade. Jusqu'à l'espion Sebek le Dieu crocodile cher à Philippe Pissier. Vous les reconnaissez tous. Il y a même celui qui n'a même pas réussi à mourir sur sa croix. Il va mieux. Il a retrouvé son bras. Il fume même la pipe ce qui lui donne un petit air à la Conan Doyle qui ne lui va pas si mal que cela. Bien sûr, celui qui grignote ce BarbaPapa sorti tout droit des imaginations enfantines, c'est la Mort vivante et immortelle, puisque l'on ne peut plus mourir une fois que l'on est mort. Maintenant, il reste une ombre au tableau. C'est étrange l'on se disait que les dieux seraient à l'aise chez eux, mais non règne ici la même promiscuité que sur la terre. Et puis surtout pas un seul espace vide. Foisonnement infini  d'objets jetés un peu partout. Des bacs à solde chez les grands magasins de notre modernité.

10 - 20 / 02 / 2017

Le voici. Enfin seul. Seul au monde. C'est du moins l'apparence qu'il donne. Il ne s'est pas dissous dans le néant. Mais il le cantonne à s'étaler là où porte son regard. Loin. Très loin. Si loin qu'on ne le voit pas. Au-dessus de lui il a affiché ses animaux totem. La baleine et l'oiseau. De feu. Ils sont là en tant que présences tutélaires. Des pensées issues de son cerveau et en quelque sorte matérialisées. Aucune détresse. Mais des tresses. A moins que ce ne soient les circonvolutions du serpent soumis au plus près de son maître. Sera-t-il tour à tour selon les nécessités du moment  la flèche qui tue ou le bâton de commandement ? Tourne-t-il autour de la tête du guerrier comme s'il tenait le monde entre ses anneaux ? Et que sont ces entrelacements de courbes tantôt blanches, tantôt noires à l'image de la dernière nuit de Gérard de Nerval. Peut-être des décorations pour pallier le vide du monde.

11 - 11 / 03 / 2017

La force ne sert à rien si elle n'est pas employée. Retour dans le monde. En bas à droite le lion qui ornait la porte de Babylone. Moins royal, davantage carnassier. Mais les temps ont changé. A ces escarpements sans fin qui montent vers le ciel telle une tour d'ordure, nous situons la scène à New York. L'Empire a envoyé ses meilleurs agents. Ils ne portent pas d'armes. Elles sont nues. Et ont revêtu la couronne d'épines de la liberté. Elles rejouent la scène immémoriale de la tentation charnelle, celle qui s'offre pour mieux vous acheter au prix de l'or des filles du Rhin. Elles ne sont que l'autre visage de la camarde, au bec de charognard. Mais au plus haut, le gouffre noir et sans fond d'un ciel lointain. Un appel infini à se surpasser ou à se perdre. Juste un rempart de chair qu'un vieux chef indien n'a pas su surmonter.

12 - 10 / 07 / 2017

Rentrer par la grande porte. Certains hommes ont des sourires qui ressemblent à des crachats et d'autres ne se tiennent plus de joie. Dans les quartiers les plus glauques de la Grande Prostituée rien ne saurait s'opposer à son emprise. Elle tient les hommes sur sa poitrine. A la manière des insignes du pouvoir des pharaons. Ou alors comme s'ils étaient de vulgaires godemichets. Certains jettent des regards d'envie sur les auréoles de ses seins à croire qu'ils les confondent avec les étoiles de la nuit. José Martinez a laissé son graphe à hauteur de ses cuisses. Est-ce une inscription magique pour l'ouverture des piliers charnels. Son cerveau a-t-il vu ce que son œil ne devait pas voir. A-t-il craqué l'allumette du désir ou psalmodié l'amulette du renoncement. Des signes partout. Qui se contredisent. Mais le sourire de l'idole.

13 - 14 / 09 / 2017

La sortie n'est plus très loin. Mais il reste-là assis. A savourer sa victoire peut-être. Il a changé d'allure. Il n'est plus le guerrier indien. Il arbore le look moderne un tant soit peu avachi de la jeunesse actuelle. Mais le reptile royal s'affiche sur son blouson. Peut-être n'est-il qu'un charmeur de serpents qui joue et raconte du pipeau. Il porte des lunettes noires, peut-être ne veut-il pas voir les ombres noires qui rôdent autour de lui. Dans les vingt-deux arcanes du tarot, il serait le bateleur. Un beau parleur qui ici ne parle pas. Il se tait pour mieux pour vous embobiner. Refermé sur lui-même mais les jambes entrouvertes. Promesse ou délassement. Appel ou fatigue. Des flèches convergent vers une de ses représentations. Tout est déchiffrable et rien ne se devine. L'image est un fleuve dessiné dont aucun détail n'indique de quel côté il coule.

14 - 7 / 12 / 2017

Elle attend. Elle se sait de force égale. Elle a confiance en l'impact de ses seins. Son pagne s'effiloche. Elle est l'idole reine au plus haut de la tour. Plus bas, sur les remparts, les sentinelles immobiles dans leurs niches de pierre veillent. Il n'est pas là. Elle est prête pour le combat mental. Il a matérialisé ses totems intérieurs et protecteurs. Dans un large cartouche, d'abord le serpent victorieux et invincible. Plus bas une tarasque océane et quelques animaux naïfs pour donner le change. Sur le pourtour de la porte il a cloué les têtes coupées de ses ennemis, c'est ainsi et seulement de cette manière que l'on s'attire le respect aussi incapacitant que la foudre qui brûle et aveugle. Elle, elle n'a projeté à hauteur de ses pieds qu'une représentations d'elle-même qui danse et s'amuse avec l'insouciance d'une enfant.

15 - 17 / 01 / 2018

Ça ne marche pas à tous les coups, parfois les dieux sont mortels. Il a enfin au moins réussi sa crucifixion. Les mauvaises langues diront que ce n'était pas trop tôt. Les bras tendus entre les deux piliers de la porte. Très haute. Son corps est tout blanc. Et blancs aussi les soubassements de pierre sculptée qui représentent divers animaux. Nous ne les nommerons pas. Cela n'a pas d'importance. L'ensemble est monumental. L'entablement des colonnes monte jusqu'au ciel. Les dieux sont-ils plus grands morts que vivants. Il repose sur un néant noir. Le voici crucifié sur du vide. Comme sur une fissure. Peut-être vit-il encore. Mais cela n'a pas d'importance. Ses yeux se perdent sur le cadavre de son serpent. Protecteur et invincible. L'idole a le sens de l'humour. Elle l'a entortillé comme un linge, un lange pour cacher et souligner l'absente royauté  du sexe.

16 - 22 / 01 / 2018

Quand il n'y en a plus, il y en a encore. On prend les mêmes et l'on recommence. Le grand quetzalcoalt, le serpent à plumes domine la scène. Ses rémiges il les a perdues lors de ses précédentes et improbables aventures. Le monde peut continuer à tourner comme avant. Une espèce d'ange armé vole au-dessous des planètes. A moins qu'il ne soit déjà en train de tomber tout grillé dans les flammes de l'enfer. Peu de monde se soucie de son sort. Un spectacle beaucoup plus jouissif accapare les regards. Plus on descend, plus on se rapproche des églises et de la Bible. Sur le piédestal à antiphonaires géants point de livre saint. Mais un couple malsain qui s'ébat fort gaillardement. Tout autour de ces deux qui forniquent sans remord ça fourmille de partout, de ces milliards de détails insignifiants qui n'intéressent personne tant que vous n'y êtes en rien personnellement associé.

17 - 30 / 07 / 2018

Au plus près de l'action. Tout vous  est dévoilé. Au cœur de la matrice originelle. Ce grand quetzalcoalt ce grand serpent censé régenter l'univers n'était donc qu'un maigrelet spermatozoïde qui s'est lové bien au chaud dans un ovule reproducteur. Il épouse un peu la forme du point G. Le fœtus fétide est encore en gestation. Ressemble étonnamment à un cosmonaute dans sa capsule Apollo. Doit se croire tombé des étoiles. Le liquide amniotique dans lequel il baigne et navigue possède toutes les qualités d'un véritable bouillon de culture. Vibrionne de partout. A l'image de notre monde. Certains voudront y voir l'inscription symbolique du karma de l'individu unique en gestation dans la goutte mirifique qui l'enveloppe et le protège. D'autres affirmeront qu'il possède la même teneur que tout autre élément du monde.

18 - 04 / 08 / 2018

L'enfant royal est né. Au mois d'août. Sous le signe du lion. Réjouissez-vous.  Il est destiné à gouverner le monde. C'est une fille. Une guerrière. Déjà toute petite elle ne s'amusait qu'avec des armes. Vous l'examinez ici en son adolescence post-pubère. Elle est belle comme la représentation de la Reine de Cœur dans un jeu de cartes. Mais évitez ses yeux en amande. Elle détient le sceptre du monde. Une épée d'amazone aux bords dentelés genre de joujou qui plongé dans le ventre de la victime en arrache les boyaux lorsqu'elle le retire. Sur ses genoux elle tient la tête du Baptiste qu'elle vient de faire décapiter. Elle est la Reine des Dieux du Nord qui arpentent les mers sur leurs drakkars sanglants et les Dieux du Sud lui ont offert la couronne de pierre des cités fabuleusement riches, cet Eldorado mythique que les hommes ont vainement recherché durant des siècles.

19 - 04 - 2019

Un jour elle a quitté les robes de l'enfance, de l'adolescence, et de la prime jeunesse. Elle a revêtu les habits sacrés de la puissance : sa nudité. La seule capable de lui offrir la transparence impérieuse de ses actes. Le peintre officiel de l'Empire, le grand José Martinez, l'a représenté en cette scène de couronnement : elle s'est accroupie, et des doigts de sa senestre elle a pris possession de la terre et du monde. Une ombre noire barre le diaphragme de son sexe, elle ne cache rien, une simple parallèle pour faire ressortir le tatouage inscrit sur la peau de son avant-bras. Les esprits avertis y reconnaissent stylisée la marque du grand serpent, sa tête pointue et son corps d'oiseau. Plus haut un étrange calligramme, personne ne sait prononcer l'entrelacs des runes sécrètes qui le composent, des savants prétendent qu'il est l'aleph d'or qui numérise l'ensemble des animaux, des hommes et des symboles agissants qui régissent le monde.

20 - 22 / 08 / 2019

Une des images les plus mélancoliques de cette suite. Certains exégètes se sont complus à insister sur l'aspect androgynique de la représentation précédente. Si ce n'était les deux coupelles des seins fortement marquées cette image ne serait-elle pas l'expression d'une grâce éphébique... Cet arcane dissipe l'équivoque. Tout en créant d'autres. Ce sont bien deux corps de femmes qui se font face. Mais vieillies et aux chairs par trop flasques.  Signifie-t-il que la Reine n'élira jamais d'âme sieur, qu'elle ne trouvera de gémellité plus parfaite que sa propre idée d'elle-même. Oui, sans doute. Mais aussi cette réalité plus profonde. Que le monde court à sa destruction. Que si la corne d'abondance de la vie est si profuse, c'est qu'elle est incessamment obligée de remplacer ce qui a disparu, et que si l'arrière-fond des amas monstrueux des dessins de José Martinez sont si fréquents c'est que l'artiste se livre à une lutte incessante contre l'effacement du monde.

21 - 14 / 11 / 2019

Que ne disions-nous ! Cette image est à considérer comme le décor absent de la précédente. Le grouillement du monde et des Dieux dans toute sa splendeur. S'en détache  le grand serpent. Il a changé d'avatar. Il a perdu toute ses plumes. Et même ses écailles. Une forme au trait filiforme. Pour mieux souligner son unicité. Représenté ici en tant que cobra royal. Dressé sur lui-même. Prêt à tuer. Fascinant. Il domine tous les autres. Encadrés en des cloisonnements comme les caissons de la chapelle Sixtine, comme si ces Fresques et Martinesques se donnaient à lire telle une œuvre majeure  ou comme ces boîtes de Vache Qui Rit qui représente une vache qui rit avec des pendants d'oreilles qui ne sont que des boîtes de Vache Qui Rit qui représentent... Une représentation de l'Infini représenté à l'infini... chaque lame de ce tarot mythologique contenant toutes les autres.

22 - 07 / 01 / 2020

Ici le dessin vous arrache la vue. Vous auriez mieux fait de vous attarder sur le précédent afin d'y décerner la silhouette pratiquement rendue invisible par cette myriade de petites formes vermicelliques qui la composent. Celle d'un chef indien dans la position même du fœtus initial. Pas de doute les formes féminines s'imposent ici dans la grouillance du monde. N'y voyez que la prégnance de cette Reine dont nous avons assisté à la gestation et qui est partout dans le monde. Une domination constitutionnelle aberrante. Grattez l'ordure de la réalité, sous l'écorce de cette cosse d'orange grumeleuse c'est la peau de sa chair pulpeuse qui s'offre à vous en un gigantesque lupanar. Tout à portée de la main. Ces fruits goûteux sont en libre accès sur cet étalage géant. Est-ce parce que la montre du temps est toute molle que vous accédez à l'éternité ?

23 - 19 / 01 / 2020

Que croyez-vous que le monde était ouvert à tous. Que chacun y puisait à convenance, à concupiscence. Qu'il était une espèce de vente-flash gratuite et éternelle dont vous profiteriez toujours. La Souveraine s'est dressée - comme le cobra royal - elle n'est plus une fleur que l'on cueille à satiété, elle a apposé sur son sexe la jarretelle de la cruauté, elle a posé un masque sur son visage, celui du vieux Chef indien qui avait transformé son ovule initial en tipi afin de déclarer la guerre,  qui entonne le chant de la danse du scalp autour du poteau de torture, et qui brandit le tomahawk de la destruction universelle. Elle lâche les fauves de sa vengeance, elle ouvre les corolles des aconits carnivores, elle décroche les étoiles zodiacales de la voûte du ciel, elle se fait précéder des écussons héraldiques de sa puissance. Le magma du monde se resserre sur lui-même traversé par des frissons de l'horrible peur qui vient. 

24 - 27 / 01 / 2020

Victoire la SouveReine danse sur les décombres amoncelés du monde. C'est le grand compressage. L'entassement irrémédiable. La mort se pourlèche les babines. Le temps zigzague sur lui-même Et l'Innommable est arrivé. Dans ces dessins noir et blanc voici que la couleur apparaît. Depuis le temps que les prébendes de l'arc-en-ciel miroitaient dans les encres de José Martinez !  Nous les suggérait par leur seule absence et la floraison exponentielle de ses graphes glyphiques.  La Reine se moque de nous. Elle a choisi le jaune comme le maillot du tour de France. Elle s'est affublée d'un de ses caleçons ridicules dont les garçons sur les plages enveloppent la protubérance dérisoire de leur virilité. En tout cas sous cette pelure jaunâtre, c'est elle qui a la banane. La Reine nous ressemble. Sur sa tête transparaît son rêve intérieur de grand sachem, mais dessous, le corps qui s'agite reste celui d'une gamine solitaire engoncée dans une rave-party. Est-ce que ces estampes de José Martinez seraient à décrypter comme des cartes postales nostalgiques de nos rêves éteints. Les Dieux ne seraient-ils plus ce qu'ils étaient !

Damie Chad.

05/02/2020

KR'TNT ! 450 : GENE VINCENT / SLEEPY LABEEF / LEE FIELDS / CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP / JOHNNY MAFIA / NOT SCIENTISTS / A CONTRA BLUES / POP MUSIQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 450

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

06 / 02 / 2020

 

GENE VINCENT / SLEEPY LABEEF / LEE FIELDS

CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP / JOHNNY MAFIA

NOT SCIENTISTS / A CONTRA BLUES / POP MUSIQUES

TEXTES + PHOTOS : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Il Gene en hiver

 

Vous avez déjà entendu parler de Luke Haines, plus connu sous le nom de Luke la Main Froide. Il fit jadis la une de l’actualité avec une tripotée d’albums dont ceux des Auteurs et deux romans que tout fan de rock anglais doit se faire un devoir de lire, Bad Vibes/Britpop And My Part In Its Downfall et Post Everything/Outsider Rock And Roll.

Mais nous sommes là aujourd’hui pour une autre raison : ses chroniques dans Record Collector qui, chaque mois, lui accorde généreusement une page. Oh, ce n’est pas grand chose, mais c’est souvent très intéressant. On lui doit de brillantes chroniques consacrées aux Pink Fairies, à Robert Calvert, ou encore à Steve Peregrin Took. Ce mois-ci, il consacre sa chronique à Gene Vincent et plus précisément à un petit film documentaire réalisé en 1970 qu’on peut aller voir sur YouTube, The Rock And Roll Singer. Quatre jours de tournage. Gene était alors de retour en Angleterre pour la promo de son album I’m Back And I’m Proud. Il avait 34 ans. Attention, ce film sans prétention est extrêmement émouvant. On y voit une ancienne star du rock nommée Gene Vincent qui tente de faire son retour.

Luke la Main Froide n’y va pas de main morte : «Si vous êtes une rock star et qu’une équipe de télé vous a suivi pendant quelques jours, ça veut dire que votre carrière a été balancée au vide-ordures. Soit on va vous sortir du trash, soit vous êtes carrément le trash. Le docu rock n’est pas fait pour sauver une carrière.» Il fait ensuite la distinction entre deux genres de docus rock : ceux consacrés aux gens qui vont bien et qui n’intéressent personne, et ceux consacrés à ceux qui vont mal et qui vont mourir, et là bingo, coco !

Quand il débarque à l’aéroport, Gene est content : des Teds viennent l’accueillir et lui demander des autographes. Mais on sent tout de suite qu’il y a un problème, déjà en 1969 : Gene est passé de mode. Luke Haines : «Eugene Craddock was too much for rock». Ça, tous les fans de Gene Vincent le savent. Mais Haines va encore plus loin quand il suggère que le rock aurait pu s’arrêter à «Be-Bop-A-Lula». Car c’est après Be-Bop que commence son déclin. Haines rappelle brièvement l’accident de Chippeham où Eddie Cochran perdit la vie : «By now, Gene Vincent was a dead man barely walking and an almost living legend». C’est ce mec-là, un mort vivant et en même temps une légende vivante qu’on voit débarquer à Heathrow et aller répéter avec les Wild Angels dans une cave de Croydon.

Lucky Luke rappelle que Gene est complètement fauché quand il décide de repartir en tournée en Angleterre. Il doit du blé aux impôts. Il est accro aux anti-douleurs et siffle trois bouteilles de Martini par jour. Selon Luke la Main Froide, The Rock And Roll Singer is the greatest rock documentary ever made. Oui, le plus grand docu rock jamais réalisé, simplement parce que, dit-il, on y voit the greatest rock singer who ever lived, et que c’est du cinéma vérité, filmé dans l’instant. Gene, nous rappelle Haines, ne vivait que dans l’instant.

On le voit boiter et s’arrêter pour répondre à des questions :

— Pourquoi ce retour en Angleterre ?

— I’ve got a new album out.

Il est affable et il est rincé. Haines le décrit comme «un Ratso Rizzo qui a grossi, une icône brisée qui boitille dans les couloirs et qui disparaît, avalé par les portes de l’oubli, en trimballant un pauvre étui à guitare». On retrouve Gene plus loin dans l’un des pires endroits d’Angleterre, nous dit Haines, le Dukes B&B. Une fois de plus, Gene se fait enculer par le promoteur, mais ce n’est pas si grave, vu qu’il s’est fait enculer toute sa vie : par des promoteurs, par son ex-femme et par sa rotten luck, c’est-à-dire la poisse. Il réclame son blé, mais le mec lui dit que le blé est dans un bureau fermé jusqu’à lundi. Gene est le roi des poissards, c’est l’une des raisons pour lesquelles on s’attache à lui depuis plus de cinquante ans - Our rock’n’roll hero is somewhat melancholic - Disant cela, Haines semble se marrer, mais pas tant que ça. Il aurait plutôt envie de chialer. La poisse continue : comme il arrive en retard au studio de télé, l’émission est annulée. Alors Gene prévient qu’il va aller se soûler la gueule, puisque ces cons ont annulé le show télé. Le film s’enfonce dans une insondable tristesse.

Un journaliste lui demande :

— What are your loves and hates ?

— My loves are my wife and my dog, and my hates are the French groups. ‘Cause they never turn up.

Oui, il se plaint des groupes français qu’on attend pour des prunes avant les concerts. Ces branleurs ne viennent même pas. La caméra le filme assis à l’avant d’une bagnole qui roule dans Londres. Fantastiques images. Gene explique au chauffeur que la CIA a pris le pouvoir aux États-Unis. Le lendemain, l’émission est re-programmée. No alcohol, lui dit un responsable de Thames TV. Dans la loge, une dame lui lave les cheveux et les sèche au casque. Gene monte enfin sur scène avec les Wild Angels. Un mec annonce :

— Tonite with the Wild Angels he gives you Be-Bop-A-Lula !

Alors on voit Gene penché sur son micro, la patte folle en arrière, all dressed in black. Les gens dansent dans le studio, ça fait partie du show, comme le veut la coutume de l’époque. Gene prend sa petite voix d’hermine frelatée et susurre my baby doll/ My baby doll. Il porte un gilet de cuir noir et médaillon pendouille au bout d’une grosse chaîne passée autour de son cou. À la fin, il est content. Un vrai gamin.

Retour en loge et aux sempiternels problèmes de fric. Gene réclame son blé. Que dalle.

— Tell’ em I want my money caus’ ther’s gonna be trouble.

Il est gentil, il prévient que si on ne lui file pas son blé, ça va mal très tourner. Il va quand même jouer sur l’île de Wight. On le voit poireauter sur le ferry et poireauter encore. Il se plaint du poireau :

— This is the hard part. Waiting to rehearse, waiting to get on.

Sur scène, Gene dégringole son vieux «Say Mama». Puis «My Baby Left Me».

En fin de chronique, Haines nous rassure. Le film pourrait être très pénible, mais il ne l’est pas tant que ça, à cause dit-il du charisme de Gene Vincent (other-wordly magnetic charisma). C’est avec les extraits du set de l’île de Wight que tout finit par se remettre en place, avec un Gene singing like an angel from heaven. Après Be-Bop, les gens en veulent encore. One more ! One more ! Alors il revient EXPLOSER «Long Tall Sally». Le mot de la fin revient à cet aimable franc-tireur qu’est Luke la Main Froide :

— Commencez par visionner The Rock And Roll Singer puis écoutez sa version d’«Over The Rainbow». Et quand vous aurez séché les larmes de vos yeux, vous maudirez Dieu d’avoir autant maltraité le plus authentique de tous les chanteurs de rock’n’roll.»

Signé : Cazengler, Gene vin rouge

Gene Vincent. The Rock and Roll Singer. 1969

Luke Haines. Sweet Gene Vincent. Record Collector # 501 - January 2020

 

Hang on Sleepy

 

Peter Guralnick rencontra Sleepy LaBeef pour la première fois en 1977. Sleepy se produisait chez Alan’s Fifth Wheel Lounge, l’équivalent d’un resto routier situé à une heure de route au Nord de Boston. Ce truckstop est le genre d’endroit que les Américains appellent un honky tonk. Michael Bane : «Vous pouvez appeler ce genre d’endroit honky tonk si vous voulez. Mais dans ce genre de bar éclairé aux néons qui vend de la bière pas chère, les habitués du samedi soir se sentent chez eux. Le honky tonk est aussi américain que peut l’être la tarte aux pommes. Il est aussi profondément ancré dans notre inconscient collectif que peut l’être la pute au cœur d’or. C’est un repaire prisé par la classe ouvrière qui pourrait se situer quelque part entre le passé et l’avenir, une zone tampon entre le trash alcoolique et le désespoir. Lumières tamisées et hard country music : un bon honky tonk, c’est tout ça et même beaucoup plus encore. C’est un endroit magique où toutes les règles sont temporairement suspendues. C’est vrai, vous pouvez danser dans un honky tonk, mais c’est beaucoup plus qu’une salle de bal, vous pouvez écouter de la musique, mais c’est beaucoup plus qu’une salle de concert, vous pouvez boire au point de sombrer dans un coma éthylique, mais c’est beaucoup plus qu’un bar où on va se soûler la gueule. Un bon honky tonk, c’est l’American dream limité à de la bière, des gonzesses et de la loud music.»

Si Guralnick cite Bane, c’est pour bien situer les choses : Sleepy LaBeef se produisait à longueur d’année dans des honky tonks un peu partout aux États-Unis : au Texas, puis autour d’Atlanta, près de Boston, ou alors au Kansas ou dans le Michigan. Il vivait de ses concerts. S’il a fini par s’installer dans le Massachusetts, c’est simplement parce que son bus de tournée avait pris feu sur la route et qu’il avait perdu tout ce qu’il possédait : fringues, disques, souvenirs, tout. Alors il s’est installé dans le motel derrière l’Alan’s Fifth Wheel Lounge et devint pour trois mois le house-band du truckstop. Depuis lors, il est resté basé dans la région.

Sleepy connaissait 6 000 chansons, il lui suffisait d’en entendre une dans un jukebox et si elle lui plaisait, il la retenait dès la deuxième écoute. Aux yeux de Guralnick, Sleepy LaBeef est un artiste considérable : «En une soirée, Sleepy LaBeef pouvait donner un cours d’histoire du rock’n’roll, en allant de Jimmie Rodgers à Jimmy Reed, en passant par Woodie Guthrie, Chuck Berry, Joe Tex et Willie Nelson. Ce multi-instrumentiste pouvait jouer de la guitare avec la niaque d’Albert King. En plus de sa connaissance encyclopédique de la musique, Sleepy avait du flair, de l’originalité et de la conviction.» Sleepy cultivait une autre particularité : il ne jouait jamais deux fois le même set.

Guralnick insiste beaucoup sur le côté «force de la nature» de Sleepy qui ne mesurait pas moins de deux mètres pour 120 kilos et qui fut the only rockabilly baritone, car oui, c’est ce qui frappe le plus à l’écoute de ses disques : la puissante gravité de sa voix. Guralnick va même jusqu’à comparer Sleepy à Wolf, tant par la présence que par la stature musicale. Mais tout ceci n’était rien comparé aux moments où, nous dit Guralnick, Sleepy prenait feu sur scène, tapant dans «Worried Man Blues» ou «You Can Have Her» avec une rare violence. Il entrait paraît-il en transe.

En référence, Sleepy cite principalement Sister Rosetta Tharpe, qui fut aussi la muse de Cash et de Carl Perkins. Il cite aussi les noms de Lefty Frizzell, de Big Joe Turner et de Floyd Tillman. Mais il y en a d’autres. Quand on lui pose la question des autres, il demande de combien de temps il dispose, car la liste est longue. Et quand il entendit Elvis chanter «Blue Moon Of Kentucky» à la radio, il éprouva un choc, car il savait exactement d’où venait Elvis : de l’église. Car Sleepy avait chanté comme ça à l’église pendant des années.

Ce n’est qu’en 1968 qu’il rencontre Shelby Singleton, l’acquéreur de Sun Records et qu’il devient the last Sun recording artist. Mais c’est dix ans trop tard, même si Colin Escott voit en Sleepy le gardien de la flamme. Bad timing, disent les Anglais. Au lieu d’aller à Memphis comme le firent Jerry Lee, Roy Orbison et tous les autres, Sleepy préféra aller à Houston. Fatale erreur. Ça explique en partie qu’il ne soit jamais devenu une star, alors qu’il en avait la carrure, notamment grâce à son ‘basso profundo’. Le fait qu’il ne soit pas devenu une star tient aussi au fait qu’il n’ait pas bénéficié de l’aide d’un producteur du calibre d’Uncle Sam, ou, comme le suggère Guralnick, du calibre d’Art Rupe, le boss de Specialty, qui avait l’oreille pour le r’n’b et le gospel.

Selon Guralnick, Sleepy n’aurait jamais gagné un rond avec ses disques. Pour vivre et élever ses enfants, Sleepy fut obligé de tourner en permanence. Mais bon, pas de problème. Il le dit d’ailleurs très bien lui-même : «I never sold out. Nobody owns me. I know I’m good. I wouldn’t be honest if I didn’t tell you that.» (Je n’ai jamais vendu mon cul. Je n’appartiens à personne. Je sais que je suis bon. Je ne serais pas honnête avec toi si je ne te disais pas tout ça) (...) «Well quand j’ai débuté dans le business, je ne savais même pas qu’on pouvait y faire du blé. Et je pense que demain, je continuerai de monter sur scène, même si je ne fais pas de blé. Voilà comment je vois les choses.» Guralnick est en tous les cas convaincu que Sleepy était l’un des douze artistes les plus brillants qu’on pouvait voir sur scène aux États-Unis. Il lui consacre d’ailleurs dans Lost Highway un chapitre aussi important que ceux qu’il consacre à Elvis et Charlie Feathers. Et l’une des premières images du livre, c’est Sleepy en train de gratter sa gratte.

Les fans de Sleepy se sont tous jetés sur la belle box éditée par Bear Family, Larger Than Life. Cette box est une véritable caverne d’Ali Baba. On y trouve cinq CDs et un livret grand format aussi écœurant qu’un gros gâteau au chocolat : ça dégouline d’une crème de détails. Chacun sait que les Allemands ne font jamais les choses à moitié. Le disk 1 est sans doute le plus précieux car il rassemble tous les singles enregistrés par Sleepy entre 1955 et 1965 à Houston, Texas. On vendrait son âme au diable pour ce «Baby Let’s Play House» enregistré en 1956. Sleepy s’y montre digne de Charlie Feathers : même sens aigu du hiccup, jolis guitares claironnantes, slap in the face (Wendall Clayton), admirable déboulade - Bbbabe/ babebabe/ bum bum bum - Sacré Sleepy ! La B-side de ce premier single est un balladif atrocement efficace, «Don’t Make Me Go» : Sleepy impose sa présence aussi nettement qu’Elvis période Sun. Il enregistre aussi «I’m Through» en 1956. C’est admirable de vraie voix. L’accompagnement est un modèle de discrétion. Du biz à la Cash. On se régale à écouter chanter ce mec, même ses heavy balladifs texans passent comme des lettres à la poste. Toujours en 1956, il enregistre «All The Time» sur fond de barouf d’accords. Sleepy est le winner of the game, il allume comme un cake du ring, c’est énorme et fabuleusement hot, let’s get it now et solo de Charlie Busby, un mec qu’on peut voir en photo dans le livret, avec sa vilaine trogne et sa chemise à carreaux. Et crac, en 1957, il enregistre «I Ain’t Gonna Take It», ça slappe sous le menton, toujours Wendall Clayton, un môme de 13 ans. Sleepy amène «Little Bit More» à la folie Méricourt, il en veut encore - I’m gonna kiss you a little bit more/ Weeeehhh/ All nite long - Zyva Mouloud Labeef ! En 1958, Sleepy enregistre «The Ways Of A Woman In Love» sur un takatak à la Cash, mais il détient le power véritable. Il reprend d’ailleurs le «Home Of The Blues» de Cash. Durant la même session, il enregistre le «Guess Things Happen That Way» de Jack Clement, fabuleux popopoh de Deep sounding popopoh. Le single suivant s’appelle «Can’t Get You Off My Mind». On sent le rockab qui règne sur son empire. Fantastique cavalcade. Sleepy est un mec idéal pour Bernadette Soubirou. Ce big heavy shuffle texan est si bon qu’on hoche la tête en suçant le beat. Il fait aussi un «Turn Me Loose» digne de Buddy Holly. Ah ça sent bon le Texas ! En 1959, il reprend le «Tore Up» d’Hank Ballard et le racle bien au guttural. Il se prend d’ailleurs pour Billy Lee Riley. Il rend aussi un superbe hommage à Bo Diddley avec une reprise de «Ride On Josephine». Comment tu veux résister à ça ? Impossible.

Le disk 2 démarre avec sa reprise du big «Goodnight Irene» de Leadbelly. Wendall Clayton la slappe derrière les oreilles ! Sleepy est un weird outcast, il chevauche en marge de la société, il fait comme Jerr, il swingue son Leadbelly avec un max de gusto, good nite Iriiiiiine, tout ça sur fond des wild guitars de Red Robinson et Toby Torrey. Il faut voir aussi Sleepy bouffer la heavy country de «Oh So Many Years». C’est un vrai gator ! Il croutche tout ce qui traîne. Powerus maximalus, comme dirait Cicéron. Encore un fabuleux coup de heavy downhome baryton dans «Somebody’s Been Beatin’ My Time». En 1965, Sleepy enregistre pour Columbia à Nashville et ça s’entend. Il chante au creux de son baryton et son «Completely Destroyed» se révèle d’une puissance inexorable. Il adore ces vieux shoots de rengaines tagada. Il passe aux choses sérieuses avec une reprise de Chucky Chuckah, «You Can’t Catch Me». Véritable shoot de rockabollah, suivi d’une mise en coupe réglée du «Shame Shame Shame» de Jimmy Reed. Et voilà qu’il plonge dans le New Orleans Sound avec l’«Ain’t Got No Home» de Clarence Frogman Henry, ouh-woo-woo-woo, il le fait pour rire, il passe par tous les tons, même le cro-magnon. Sleppy éclate tout. Rien ne lui résiste. C’est sans doute là, dans sa première époque, qu’il montre à quel point il domine la situation. Il faut le voir attaquer «A Man In My Position», Goodbye Mary/ Goodbye Suzi, il fonce vers d’autres crémeries, d’autres chattes bien poisseuses. Sa voix transperce les murailles. De cut en cut, on s’effare de la qualité du stuff, comme par exemple ce «Sure Beats The Heck Outta Settlin’ Down», solide merveille pleine d’allant et de punch, country festive à la bonne franquette, un vrai joyau de good time music. On pourrait dire la même chose de «Too Young To Die» et de «Two Hundred Pounds Of Hurt», joués au fantastique swagger. Ce sacré Sleepy accroche bien son audimat. On le voit ressasser la vieille country d’«Everyday» à la poigne de fer. Powerful country dude ! Il termine sa période Columbia avec un sidérant «Man Alone». Ce mec sait chanter son bout de gras. Avec son Stetson noir et son blazer blanc, il fait figure d’aristo. Alors attention, en 1970, il enregistre chez Shelby Singleton. Il entre dans sa période Sun avec «Too Much Monkey Business» qu’il prend à la voix de heavy dude. Avec le «Sixteen Tons» de Merle Travis, il passe au ringing de wild rockab. Il sait de quoi il parle. Et puis voilà qu’on tombe sur un coup de génie : «Asphalt Cowboy». Fantastique résurgence de la source ! Il sonne comme Elvis dans le Polk Salad schtoumphing, Sleepy tape son Cowboy au dur du Deep South et le tempère à la pire aménité. Il en fait du big beat à ras la motte, typique d’un Tony Joe sous amphètes, sur fond de slidin’ du diable. L’un de quatre guitaristes présents dans le studio joue au picking demented. Sleepy ?

Le disk 3 démarre sur la suite de la période Sun et ça chauffe très vite avec «Buying A Book» que Sleepy chante du haut de la tour de Babylone puis il explose le vieux «Me And Bobby McGee» de Kris Kristofferson. Il l’emmène avec l’autorité d’un King. C’est la version qu’il faut écouter, car montée sur un heavy drive de slap. C’est plein de jus et gratté sec, lalala lalala ! En plein dans le mille. Sleepy laisse bien son Bobby en suspension - Good enough for me and/ ...Bobby McGee - Il rend ensuite hommage à Hooky avec «Boom Boom Boom» qu’il chante d’une voix de gator, croack croack, au right out of my feet du marais. Hooky devait bien se marrer en écoutant ça. S’ensuit un hommage torride à Joe Tex avec «It Ain’t Sanitary». Comme Elvis, Sleepy ne travaille qu’au feeling pur. Et bham, voilà l’«Honey Hush» de Big Joe Turner. Sleepy le yakety-yake d’entrée de jeu, il fonce dans le tas. Just perfect. Avec «A Hundred Pounds Of Hurt», il renoue avec le country power. En tant que Southern dude, Sleepy vaut mille fois Cash. On le voit ensuite monter sur le coup d’«I’m Ragged But I’m Right» comme on monte sur un braco. Sleepy monte sur tous les coups, comme Jerr. Il n’a pas froid aux yeux. Il va même exploser le cul de la pauvre country. Nouvel hommage, cette fois à T Bone Walker avec «Stormy Monday Blues». Ça pianote au fond du saloon. Sleepy honore ce géant du blues et l’hommage prend une sacrée tournure, c’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Il faut voir ce chanteur passionnant monter dans ses gammes. Il ne fait qu’une seule bouchée de «Streets of Laredo» et va loin au fond de son baryton pour interpréter «Bury Me Not On The Lone Prairie». Il chante aussi «Tumbling Tumbleweeds» à la carafe implicite et barytonne de plus en plus. En 1974, il se tourne résolument vers la country, mais il est si bon qu’on l’écoute attentivement, même quand on n’est pas fan de country. Il reprend aussi le «Good Rocking Boogie» de Roy Brown qui est en fait le «Good Rockin’ Tonight» - Well I heard the news/ We’re gonna boogie tonite - Énorme swagger.

Suite de la période Sun sur le disk 4. Avec «Mathilda», il enfonce son clou cajun à coups de poing. Même niveau qu’Elvis question prestance et ça violonne à perdre haleine. Sleepy reste dans le cajun avec «Faded Love» - I miss you darling more & more - Très haut niveau d’instrumentation avec un Sleepy qui solote au glouglou dans le flow. Toute la session de mai 1977 est cajun, même la reprise de «You Can’t Judge A Book By Its Cover». C’est très spécial, rien à voir avec Cactus. Sleepy opte pour le mode cavalier léger, c’mon, can’t you see. S’ensuit un «Young Fashioned Ways» bien slappé derrière les oreilles décollées. Sleepy et ses amis n’en finissent plus d’allumer les vieux coucous : c’est le tour du «Sittin’ On Top Of The World» des Mississippi Sheiks, un heavy blues popularisé par Wolf et plus tard Cream. Sleepy does it right. Facile quand on est monté comme un âne. Ah qui dira la violence du country beat, avec la petite incision qui ne fait pas mal, cette guitare scalpel qui entre dans le cul du beat. Ces mecs y vont de bon cœur. Plus rien à voir avec Cream. Sleepy fait aussi une version royale de «Matchbox». Puis il rend hommage à Lowell Fulson avec une version superbe de «Reconsider Baby». Il en fait un carnage, même si la bite blanche est moins exposée aux aléas sentimentaux que la bite noire - I hate to see you go - Mais au fond, Sleepy ne manquerait-il pas un peu de crédibilité, si on compare sa version avec celle du géant Lowel Fulson ? Et la valse des covers de choix reprend avec «Polk Salad Annie», c’est une version ultra-musculeuse, Sleepy et ses copains ont décidé de fracasser la Salad, ils jouent au big Southern brawl. Fantastique énergie ! Ça bat sec et net, sur un beat bien tendu vers l’avenir. Sleepy crée l’événement en permanence. Il brame son «Queen Of The Silver Dollar» au fond du saloon et tape son «Stay All Night Stay A Little Longer» au Diddley beat, avec des chœurs. Wow, ils sont en plein dans Bo ! C’est un véritable coup de génie : Sleepy fond l’énergie country dans le cœur de Bo ! Du coup, ils retapent un coup de «Baby Let’s Play House» - Babbb/ I’ll play house for you - Sleepy tape aussi dans l’extraordinaire «Tall Oak Tree» de Dorsey Burnette, joli shoot de black country rock. Quelle autorité et quel son ! Ces sessions Sun rangées chronologiquement dans la box sont de vraies merveilles. Sleepy eut la chance de ne pas tomber dans les pattes du Colonel Parker et de RCA. Il put ainsi préserver son intégrité.

On continue avec le disk 5 qui propose ses chansons de gospel et notamment une reprise de son tout premier single, enregistré en 1955 et resté inédit, «I Won’t Have To Cross The Jordan Alone»/«Just A Closer Walk With Thee» : vieux gospel country demented. Il explose sa ‘old time religion’. Il prend aussi «Ezekiel’s Boneyard» en mode jumpy et occipute «I Saw The Light». Il chante tout ça d’autorité avec une insolente profondeur de ton. Sleepy ravage les églises en bois. Il joue tout son gospel batch à la country effervescente, avec une incroyable énergie du beat. On tombe plus loin sur les sessions d’un album plus rock, avec notamment des reprises musclées de «Rock’n’Roll Ruby» et de «Big Boss Man». Il les groove sous la carpette du boisseau, il leur fouette la croupe au mieux des possibilités du fouettage, et ça donne un vrai swing d’American craze. Sleepy y va toujours de bon cœur, il faut le savoir. Il claque aussi l’«I’m Coming Home» de Johnny Horton au country power et riffe en sourdine à l’huile. Tout est alarmant de power et de classe. Sleepy is all over. Il prend son «Boogie Woogie Country Girl» ventre à terre et devient violent avec son killer solo flash. On ne parle même pas de la version demented de «Mystery Train». Il va droit sur Elvis 56. Encore plus demented, voici «Jack & Jill Boogie» avec un Cliff Parker qui a le diable au corps. Hommage à Lee Hazlewood avec «Honly Tonk Hardwood Floor», beau brin de son of a gun, pas de problème, ça reste du Grand Jeu. Il gratte aussi son «Tore Up» au sec de Nashville et termine avec la doublette infernale de Billy Boy, «Flying Saucer Rock’n’Roll» et «Red Hot».

Quant au disk 6, il propose l’album enregistré à Londres avec l’excellent Dave Travis Bad River band. Cet album est un véritable festival de rythmique et de sawgger rockab. On ne saurait rêver mieux dans le genre. Pour les Anglais, ça devait être un rêve que d’accompagner un mec aussi brillant que Sleepy LaBeef. Sur cet album, tout est bon, il n’y a rien à jeter, ils tapent «Ride Ride Ride» au fouette cocher et envoient un fabuleux shoot de virtuosité avec «LaBœuf’s Cajun Boogie» : figures de style bien carrées et somptueuses descentes de gammes cajunes. Sleepy joue ça au gratté sauvage. Il faut dire que le mix de Bear ravive encore la fraîcheur enivrante de l’album. Avec «Go Ahead On Baby», Sleepy prend les choses au débotté et embarque «Mind Your Own Business» au heavy drive. Sleepy travaille ça en profondeur et passe une espèce de killer solo flash qui laisse rêveur. Cet album est une vraie bombe atomique. Sleepy saute sur le râble de tous ses solos, il joue tout à l’ouverture d’esprit. Il embarque son «Shame Shame Shame» au rumble rockab et se paye une belle dégringolade de bass drive avec «Cigarettes And Coffee Blues». Sleepy est dans son délire de swing et bat absolument tous les records de désinvolture.

On retrouve toutes les merveilles Sun sur les deux premiers albums de Sleepy, The Bull’s Night Out et Western Gold. Le plus diabolique des deux albums Sun est le premier qui s’ouvre sur la version nerveuse de «Too Much Monkey Business». On sent le cat accompli. Mais c’est en B qu’ils chauffent la marmite avec cette fantastique version de «Me And Bobby McGee» que Sleepy prend d’une voix de big guy. C’est gratté à l’efflanquée d’acou tutélaire. Sleepy fait son stentor terminator, il bat même Elvis à la course. Il charge ensuite la barque de la B avec «Boom Boom Boom», puis l’«It Ain’t Sanitary» de Joe Tex qu’il fait sonner comme du Tony Joe White avec le même sens du come along, puis «Honey Hush» qu’il prend à la cosaque d’une voix d’Ivan Rebroff. Cette B fulminante se termine avec l’excellent «Asphalt Cowboy» monté sur l’attaque de takatak Telecasté et on voit Sleepy naviguer à la surface du beat, fier comme un amiral de la Royal Navy. Le Western Gold est plus country, avec un «Mule Train» bien cavalé et un «Cool Water» bien monté dans les gammes de chant. Sleepy fait là de la country de cornac. Il fait sa barrique avec «Tumbling Tumbleweeds» et retombe dans la vieille country de poids avec «Strawberry Roan». Il sort son meilleur baryton, celui de la prairie, pour «Wagon Wheels» - Carry me over the hills - et sombre dans un océan de nostalgie avec «Home On The Range». Et tout cela se termine avec «Ghost Riders In The Sky» qui sonne comme une cavalcade de cowboys à la mormoille. Avec cet album, on a disons l’équivalent des grands albums country de Jerr parus sur Smash.

Encore du Sun en 1979 avec Downhome Rockabilly et une série de reprises assez magistrales de «Rock’n’Roll Ruby» et surtout de «Big Boss Man» qu’il fait sonner comme une bombarde. Sleepy chante comme Hulk, du haut du ventre et ça swingue fabuleusement. Autre belle surprise : «Boogie Woogie Country Girls», un hit de Doc Pomus que Sleepy taille au swagger et ça slappe dur derrière lui. Belle version de «Mystery Train». Sleepy se positionne sur celle d’Elvis et il en a la carrure. Sa version lèche bien les orteils de l’original signé Junior Parker. En B, il salue Lee Hazlewood avec une cover d’«Honky Tonk Hardwood Floor» puis Hank Ballard avec un «Tore Up» hautement énergétique. S’ensuivent deux clins d’yeux à Billy Boy avec «Flying Saucer Rock & Roll» et «Red Hot». Ces mecs ont le diable chevillé au corps. Puis Sleepy va exploser le vieux «I’m Coming Home» de Johnny Horton. Il tape ça au fouette cocher. On se régale de l’incroyable carapatage de Sleepy LaBeef. Ça joue au meilleur country jive de derrière les fagots. Et cet album qu’il faut bien qualifier de miraculeux se termine sur le «Shot Gun Boogie» de Tennessee Ernie Ford. Wow shot gun boogie !

Charly s’est aussi jeté sur les sessions de Sleepy pour remplir deux albums, Beefy Rockabilly et Rockabilly Heavyweight, parus en 1978 et 79. Comme à son habitude, Charly tape dans le tas pour vendre. On retrouve sur Beefy Rockabilly toute la ribambelle : «Good Rockin’ Boogie», «Blue Moon Of Kentucky», «Corine Corina» qu’il chante dans les règles du meilleur art, «Matchbox», joué sec et net et sans bavure, «Party Doll» monté sur un solide drive de Nashville et l’irremplaçable «Baby Let’s Play House». Franchement, cette A vaut le détour et ça continue en B avec un «Too Much Monkey Business» chanté à la poigne d’acier, un «Roll Over Beethoven» irréprochable et un «Boom Boom Boom» transformé en big drive nashvillais. C’est joué à la frénétique, bien fouetté de la croupe, au vrai tagada. Charly charge bien la barque en ajoutant «Honey Hush» et «Polk Salad Annie», ce qui donne au final un album hélas beaucoup trop parfait. Sleepy ne vit que pour allumer les vieux cigares. Notez bien que les liners notes au dos de la pochette sont signées Guralnick. Il insiste : «Écoutez bien cet album. Avec ces morceaux qui s’inspirent du blues, du cajun, du swing, de la country et de la pure church-rocking Soul, on a une idée parfaite de ce que sont les racines du rockabilly, et comme dans le cas des géants du rockab original, Sleepy marie tout ça grâce à un incroyable style personnel.» Il s’enfièvre et compare le style vocal de Sleepy à ceux d’Elvis, de Big Joe Turner et de Wolf.

Et puis revoilà l’excellent Rockabilly Heavyweight enregistré à Londres avec le Dave Travis Bad River Band, repris dans la Bear Box en son intégralité. On y trouve des versions fringantes de «Shame Shame Shame» ou «Milk Cow Blues» que Sleepy arrose de killer solos flash. Au dos de la pochette, Max Needham nous raconte dans le détail ce concert donné au Regent Street studio, sur Denmark Street. Alors âgé de 44 ans, Sleepy ouvre le bal : «Come on bopcats, let’s rock !» et il attaque avec «Sick & Tired». La perle de l’album est sans doute «LaBœuf’s Cajun Boogie», un instro qui swingue de manière fantastique. Joli shoot de swing aussi dans «Mind Your Own Business», monté sur un drumming rockab de coin de caisse et des chœurs de mecs frivoles. Ah comme c’est fin et rusé ! Les Anglais se révèlent excellents, ils swinguent aussi «Lonesome For A Letter» et nous envoient au tapis avec un «Smoking Cigarettes & Drinking Coffee Blues» monté sur un drive infernal. Sleepy a bien raison de travailler avec Dave Travis. Ils font bien la paire. Sleepy prend plus loin «I’m Feeling Sorry» au gras d’attaque à la Jerr. C’est un album réjouissant bardé d’ol’ rock’n’roll furia del sol. Sleepy rafle la mise sans jamais forcer. Le festin se poursuit en B avec «Honky Tonk Man» et sa belle aisance swinguy - Hey hey mama/ Don’t you dare to come home - Sleepy n’en finit plus de jouer comme un dieu, surtout dans «My Sweet Love Ain’t Around».

En 1981, Sleepy entame sa période Rounder Records avec It Ain’t What You Eat It’s The Way You Chew It. C’est encore Guralnick qui signe le texte au dos de la pochette. Il décrit dans le détail toute la session d’enregistrement qui eut lieu au Shook’s Shack de Nashville. Il rappelle dans ce texte qu’il a fréquenté Sleepy pendant trois ou quatre ans et qu’il fut charmé à la fois par sa dimension musicale et sa dimension intellectuelle. Sleepy est un homme qui lit énormément. Une fois de plus Guralnick sort les noms d’obscurs contemporains de Sleepy, Frenchy D et Johnny Spain. Le reproche qu’on pourrait faire à cet album, c’est son côté trop Nashville. Sleepy perd son edge, même si Guralnick prétend le contraire. Même si «I Got It» (chanté aussi par Little Richard) sonne comme le rock’n’roll du diable. Il rocke bien son «I’m Ready», c’est fouetté et cravaché en toute connaissance de cause, mais sans surprise. Il tente en B le coup du heavy boogie avec «Shake A Hand» et reprend l’«If I Ever Had A Good Thing» de Tony Joe. Il fait aussi une belle version de «Let’s talk About Us», mais le «Walking Slowly» d’Earl King retombe à plat. Notons aussi qu’avec cet album, on sort de la période couverte par la Bear box.

Toujours sur Rounder, voici Electricity, paru en 1982. Steve Morse signe le texte au dos de la pochette. Il rappelle que Sleepy peut reproduite n’importe quel roots style : blues, country, cajun ou gospel. Mais s’empresse-t-il d’ajouter, c’est quand il rocke que ça devient intéressant - You’re under the spell of the real thing - À quoi Sleepy ajoute : «La seule musique qui m’intéresse est celle qui donne la chair de poule.» Alors en voiture Simone pour un album plein d’edgy boogie-woogie, de wild rockabilly et de pure overdrive rock’n’roll, nous dit Morse. Il ajoute que le soir d’un concert au Mudd Club à New York, Lux Interior vint trouver Sleepy pour lui demander un autographe. Première bonne surprise avec «Low Down Dog» repris jadis par Smiley Lewis et Big Joe Turner. Le beat rebondit aussi bien qu’une balle en caoutchouc dans la chaleur de la nuit et Sleepy transperce son Low Down en plein cœur d’un sale petit killer solo flash. C’est avec «Alabam» qu’il rafle la mise - I’m going back/ To Alabam - C’est cavalé ventre à terre, Sleepy fonce à la cravacharde. Morse précise que Sleppy reprend la version de Cowboy Copas. Puis il s’en va swinguer son vieux «I’m Through» qui date du temps où il chantait avec Hal harris et George Jones au Houston Jamboree, dans le milieu des années cinquante - Cause I’m blue/ I’m through with you - Il attaque sa B avec une cover de «These Boots Are Made For Walking» - The perfect rockabilly song, dit Sleepy - et il s’endort sur ses lauriers avec «You’re Humbuggin’ Me’» de Lefty Frizzell. Réveil en sursaut avec «Cut It Out» de Joe Tex, mais la prod ne met pas assez le cut en valeur. On a un problème avec cet album qui sonne comme le point bas d’une carrière.

Guralnick est de retour au dos de la pochette de Nothin’ But The Truth, paru en 1986. Attention c’est un big album ! Guralnick dit même qu’on l’attendait depuis longtemps, car c’est l’album live tant espéré. Guralnick est tellement fasciné par Sleepy qu’il le range dans son panthéon à côté de James Brown, Jerr et Wolf, in his pure ability to tear up a stage. Il veut dire que Sleepy explose une scène aussi bien que James Brown, Jerr le Killer et Wolf. Sleepy : «I’ll garantee you something’ll be going on !» Eh oui, Sleepy nous fout la chair de poule avec son «Tore Up Over You», real rockab madness. Sleepy a le diable au corps et il tore up dans les brancards. Il enchaîne avec un extraordinaire shake de Beefy Beef nommé «Boogie At The Wayside Lounge». Il drive ça à la voix d’homme, comme son copain Jerr le Killer. Même jus. Il nous embarque dans un interminable drive de boogie blast. Il annonce a little bit of bluegrass & rhtyhm & blues pour présenter «Boogie Woogie Country Man» et emmène son «Milk Cow Blues» à la force du poignet. En B, il prévient les gens qu’il adore cette chanson et pouf, voilà «Let’s Talk About Us». Il l’embarque aussi à la poigne de fer. Ce mec rolls on the rock et pique une crise comme son copain Jerr le Killer. S’ensuit un magnifique hommage à Bo Diddley avec «Gunslinger». Il jette dans la balance toute sa sincérité d’homme blanc et les chœurs font «Hey Bo Diddley !». Alors on monte directement au paradis. Il annonce : «Got a little boogie for ya» et boom, «Ring Of Fire» qu’il prend en mode boogie blast. Ah il faut avoir vu ce cirque si on ne veut pas mourir idiot. Et c’est avec le medley final qu’il va s’inscrire dans la légende des siècles. Fantastique tenue de route ! Les mecs y vont franco de port en démarrant avec le «Jambalaya» d’Hank Williams. Ils restent sur le même beat pour «Whole Lotta Shaking Goin’ On» que Sleepy chante au sommet de son art, sans jamais céder un pouce à la faiblesse. Toujours le même beat pour «Let’s Turn Back The Years» et «Hey Good Looking», pas de variante, avec Sleepy, tout coule non pas de source mais de muddy water et il termine sur un vieux shoot de Folsom. Le seul mot qu’on puisse ajouter au sortir de cet album, c’est wow. Alors wow ! Et même mille fois wow !

Ce sont les frères Guralnick qui produisent l’excellent Strange Things Happening paru sur Rounder en 1994. Sleepy rafle la mise dès «Sittin’ On Top Of The World» qu’il attaque au takatak. Il faut voir ce roi du monde parader dans son groove en toute impunité. Il est le grand vainqueur du rock américain. S’il est un mec qui inspire confiance sur cette terre, c’est bien Sleepy. Tu peux entrer dans la danse, tu ne seras pas déçu, c’est du big American sound claqué aux mille guitares et chanté au meilleur basso profundo. Sleepy récidive plus loin avec «I’ll Be There». On croit que la messe est dite depuis belle lurette, en matière de heavy boogie, et pourtant Sleepy claque ça sec. Il développe un extraordinaire swing de jive qui n’appartient qu’à lui. C’est encore un hit de juke comme on n’ose plus en rêver, chargé de wild guitars. What a swagger ! Il finit au guttural. Avec «Trying To Get To You», il sonne comme Elvis. Pur Memphis jive. Idéal pour un ‘gator comme Sleepy. Le titre de l’album est bien sûr un clin d’œil à Sister Rosetta Tharpe. Il embarque le morceau titre au heavy beat pianoté. Le géant s’adresse à une géante et le beat est au rendez-vous. Oh every day ! Clameurs de gospel ! Every day, là mon gars tu en as pour ton argent. Solo à la coule. Merveilleux Sleepy LaBeef. Son «Playboy» sonne comme un boogie classique, mais Sleepy en rajoute des couches. Il rend aussi un bel hommage à Muddy avec «Young Fashoned Ways» et à Ernest Tubb avec «Waltz Across Texas». Il finit avec une version live de «Stagger Lee» - ‘This is Stagger Lee now ! - Cette façon d’embarquer un cut n’appartient qu’à lui. Il fait sa loco et embarque Stagger Lee sur les rails à travers l’Amérique.

On pourrait voir I’ll Never Lay My Guitar Down comme un album de plus. Simplement, il s’y passe des choses, du genre «Treat Me Like A Dog», vrai shuffle de rockab moderne. Sleepy l’embarque au train train d’enfer de Mystery Train et donne une belle leçon de heavy shuffle. Il finit son cut à la folie Méricourt, à la Jerr, stay away from you, il explose son final au guttural, il shoute le train du try to try comme s’il se trouvait au Star Club de Hambourg ! Wow ! Il fait aussi sur cet album une nouvelle version d’«I’m Coming Home». Ah il aime bien Johnny Horton. Ça tombe bien, nous aussi. Il le claque au heavy claqué de boisseau, il le joue en mode bluegrass avec une gratte qui sonne comme un crapaud buffle du bayou, c’est fin et racé, digne des trains en bois du bayou et des grenouilles de Monsieur Quintron. Spectaculaire ! Il nous remet une couche de magnifique aisance avec «Little Old Wine Drinker Me» qui sent bon le «Route 66». Tiens puisqu’on parlait du bayou, Sleepy reprend l’excellent «Roosevelt & Ira Lee» de Tony Joe. Même race d’aventuriers du son et du swamp. Violent shoot de hot boogie down avec «Hillbilly Guitar Boogie». Sleepy adore le hot hillbilly blast, il en fait ses choux gras. Et il prend prétexte d’un «You Know I Love You» pour soloter à bras raccourcis.

Tomorrow Never Comes pourrait bien être l’un des meilleurs albums de Sleepy. Le morceau titre est une reprise d’Ernest Tubb, l’une de ses idoles parmi tant d’autres. «I grew up listening to Hank Williasm, Howlin’ Wolf, Bill Monroe, Tommy Dorsey, Muddy Waters, Bob Wills, Roy Acuff and Big Joe Turner». Sa version de Tomorrow est un vrai slab de rockab arraché à l’oubli. Une merveille de power, slappé par ce démon de Jeff McKinley. Autre reprise de choc : «The Blues Come Around» d’Hank Williams. Fantastique drive de heavy junk, Sleepy joue ça à la main froide, et ça pulse au beat rockab, avec un killer solo à la fin. Le «Detour» d’ouverture de bal est aussi un sacré romp de rockab. Sleepy sait prendre le taureau rockab par les cornes. Il joue ça au country power blast. Nashville romp, baby. Cette session nashvillaise de l’an 2000 compte parmi les sommets de l’art, avec des mecs aussi brillants que Jeff McKinley et David Hughes. Il fait aussi une version incroyablement rockab de «Too Much Monkey Business». Là-dessus, Sleepy est imbattable. Il faut voir comme il sait driver son Monkey Business. C’est assez fascinant. Il transforme le plomb du Monkey Business en or rockab. Mais ce diable de Sleepy est bien trop américain pour l’alchimie. On note la belle ferveur de David Hughes au slap. Maria Muldaur vient duetter avec Sleepy sur «Will The Circle Be Unbroken». Elle se fond dans l’exégèse. Elle sait shaker un couplet de gospel batch, pas de problème. Elle sait comment il faut la ramener. Sleepy rend plus loin hommage à Tony Joe avec «Poke (sic) Salad Annie». Belle tension, Sleepy adore Tony Joe et ses racines rurales, parce qu’il a les mêmes. Il descend au fond de sa cave pour y chercher le meilleur baryton. Il revient à ses premières amours avec un vieux coup d’«Honey Hush». Il connaît le Yakety Yack par cœur, mais on se régale du beau slap de Nashville. Jeff McKinley fait même un beau numéro de slap à vide. C’est une version de rêve, avec des chœurs de potos derrière et un solo de wild guitar. Il termine avec un fantastique shoot de «Low Down Dog». McKinley slaps it all over. Sleepy LaBeef serait-il the last of the great original rockabillies on earth ? En tous les cas, il slappe son shit, oooh oui, ooh oui. Si tu veux du vrai rockab, mon gars, vas voir Sleepy. Ou Jake Calypso.

Paru en 2001, Rockabilly Blues est une compile concoctée par Rounder à partir de cuts de blues restés inédits et enregistrés lors des sessions antérieures, comme par exemple celles de Nashville avec D.J. Fontana et Cliff Parker. Sleepy rend un bel hommage à Jimmy Reed avec une cover de «Bright Lights Big City» et ramène du violon cajun dans un «Fool About You» qu’il finit au yodell, comme Jerr. Sleepy tape aussi dans Muddy avec une reprise de «Mannish Boy», mais sa version manque tragiquement de heavyness. Elle n’est ni assez grasse ni assez spongieuse. Trop plastique. Pareil, il se vautre avec «Rooster Blues». On croirait entendre un gamin de 15 ans dans une surprise-party. Il sauve l’album avec «Night Train To Memphis», oh yeah, hallelujah ! Duke Levine y fait pas mal de ravages sur sa guitare. Sleepy tape une joli coup de gospel avec «This Train», mais se vautre lamentablement avec «Long Tall Sally» et «Rip It Up». Comme quoi, il faut parfois laisser les outtakes dormir au fond de leur tiroir.

Sur Roots paru en 2008, Sleepy a pris un coup de vieux. Il porte des lunettes et sa main droite qu’on voit posée sur la guitare est celle d’un vieux bonhomme. Mais quand il swingue son «Cotton Fields», il le fait d’une voix qui fait rêver tous les chanteurs. Il ramène même du violon derrière. Il en fait une version diabolique et chante au mieux de son basso profundo. Ah comme ce mec peut être génial ! Il fait encore du swagger protectionniste avec «Baby To Cry» et atteint des summums d’artistry. Il claque ensuite ce vieux balladif de «What Am I Worth» avec une ferveur qui en bouche un coin. Il chante l’Americana au deepy rap. Ce démon de Sleepy lègue ses cuts à la postérité avec la générosité d’un seigneur déchu. L’autre sommet de l’album, c’est «Miller’s Grave» qu’il chante comme Cash au soir de sa vie. Même intensité que le vieux Cash tombé dans les pattes de l’horrible Rick Rubin. Même délire de fantastique présence. Sleepy revient à son cher heavy blues avec «Completely Destroyed» - I’m just a shell of a man - et tape son «Foggy River» au meilleur baryton de l’univers. Il gratte son «Dust On The Bible» à coup d’acou. Véritable shoot de country jive ! C’est énorme d’American fever et de die for it. Sleepy est encore pire que Cash à l’article de la mort. Il se veut immanquable. Il reprend aussi «Detroit City», comme l’a fait Jerr à une époque, et étend l’empire de sa nostalgie des cotton fields at home - I wanna go home - Puis il embellit «In The Pines» de Leadbelly à l’embellie - And you shiver when the cold wind blows - Il faut aussi le voir se plonger dans la Bible avec «Matthieu 24» - I believe the time has come for the Lord to come again - Il y croit dur comme fer et se livre avec «Have I Told You Lately» à un sacré ramage en son plumage. C’est encore une fois digne du Cash de la fin des haricots. Avec «Amazing Grace», il ne pouvait pas trouver meilleure fin de non recevoir.

Alors voilà son dernier album, Sleepy LaBeef Rides Again, paru en 2012 et doublé d’un DVD, l’excellent Live At Douglas Corner Café. L’idée de doubler la séance d’enregistrement de Rides Again au fameux RCA Studio B de Nashville est jaillie du cerveau de Dave Pomeroy, le bassman de Sleepy. Eh oui, il fallait y penser : on a donc la version studio ET la version live du même set. Sleepy sort le Grand Jeu puisqu’il tape dans ses vieux coucous, à commencer par «Honey Hush» - Umm honey hush - Il lui sonne bien les cloches et enchaîne avec un «Lost Highway» en père peinard sur la grand mare des canards. Look out ! Fantastique ramshakle ! Les points forts de l’album se trouvent vers la fin, à commencer par un medley explosif, «Tore Up Over You/ I Ain’t No Home/ Ring Of Fire» - Tore up ah ha ! - Il ne faut pas lui confier ce genre de truc, il va l’exploser ! Il embroche son Ain’t no home sur le même beat, Sleepy est un spécialiste du glissé de cut en cut sur le même beat, il sait aussi faire monter la température et pouf, voilà Ring of Fire qu’il explose. Sleepy est le roi des medleys. Juste derrière se trouve l’excellent «Willie & The Hand Jive», un vieux boogie de Johnny Otis. Sleepy lui fait honneur - Do the hand jive one more time ! - On retrouve aussi sur cet album de vaillantes versions de «Red Hot» et d’«Hello Josephine». Infernal ! How doo yoo dooo ! Sleepy sait pincer les fesses de Josephine, doo yoo remember me baby ? Il nous claque à la clé un sacré solo de belle gueule à la Clémenti - How doo yoo dooo - Il ressort tous ses vieux classiques, «Young Fashioned Ways», «Blues Stay Away From Me» et «Boogie Woogie Country Man» - I like a little rock, I like a little roll - Et pouf ! Il part bille en tête. On le voit gratter «Wolveron Mountain» avec un appétit de géant qui en dit long sur son admiration pour Rabelais. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de classique avec «Let’s Turn Back The Years». La fête continue. Il faut en profiter. Dans le film du concert au Douglas Corner Café, c’est Dave Pomeroy qui présente Sleepy, the one and only Sleepy LeBeef, oui, prononce le a de la le et cette grande baraque de Sleepy attaque son «Honey Hush» en vieux pro. Des témoins viennent dire la grandeur de Sleepy entre deux cuts, notamment Peter Guralnick : «Sleepy is the greatest performer I have ever seen.» On voit Kenny Vaughan soloter en alternance avec Sleepy. Tout est extrêmement carré, articulé sur ces trois musiciens exceptionnels que sont Sleepy, Kenny Vaughan et Gene Dunlap au piano. Sleepy : «I recorded it en 1959, a Hank Ballard twist.» Pouf, «Tore Up» ! Les témoins n’en finissent plus de saluer la grandeur de Sleepy : «It became a Sleepy trademark : he plays all nite long and never stops it !» Ils font de «Willie And The Hand Jive» un fantastique groove climatique, bien drivé par cet excellent batteur rockab qu’est Rick Lonow - Do the hand jive one more time - Tout le monde descend sauf Sleepy qui va continuer de gratter sa gratte jusqu’à la fin des temps.

Signé : Cazengler, Sleepy LaBave

Sleepy LaBeef. Disparu le 26 décembre 2019

Sleepy LaBeef. The Bull’s Night Out. Sun 1974

Sleepy LaBeef. Beefy Rockabilly. Charly Records 1978

Sleepy LaBeef. Downhome Rockabilly. Sun 1979

Sleepy LaBeef. Rockabilly Heavyweight. Charly Records 1979

Sleepy LaBeef. It Ain’t What You Eat It’s The Way You Chew It. Rounder Records 1981

Sleepy LaBeef. Electricity. Rounder Records 1982

Sleepy LaBeef. Nothin’ But The Truth. Rounder Records 1986

Sleepy LaBeef. Strange Things Happening. Rounder Records 1994

Sleepy LaBeef. I’ll Never Lay My Guitar Down. Rounder Records 1996

Sleepy LaBeef. Tomorrow Never Comes. M.C. Records 2000

Sleepy LaBeef. Rockabilly Blues. Bullseye Blues & Jazz 2001

Sleepy LaBeef. Roots. Ponk Media 2008

Sleepy LaBeef. Rides Again. Earwave Records 2012

Sleepy LaBeef. Larger Than Life. Bear Family Box 1996

Peter Guralnick. Lost Highway. Back Bay Books 1999

Seth Pomeroy. Sleepy Labeef Rides Again. Live At Douglas Corner Café. Earwave DVD 2012

Battle Fields - Part Two

Si on aime la Soul à en brûler bien qu’ayant tout brûlé, alors il faut écouter Lee Fields. Comme Brel, Lee Fields cherche l’inaccessible étoile. Telle est sa quête. Quand il vient chanter «Honey Dove» en rappel, il brûle du même feu que Brel, c’est en tous les cas ce que ressentent tous ceux qui eurent l’immense privilège de voir l’Homme de la Mancha au Théâtre des Champs Élysées. Lee Fields atteint lui aussi les niveaux supérieurs de l’interprétation dans ce qu’elle peut avoir de mercurial et d’implosif à la fois. Jacques Brel reste le modèle absolu de l’intensité interprétative, et Lee Fields dispose à la fois du talent et de «Honey Dove» pour le rejoindre dans ce lointain firmament. On pourrait aussi citer James Brown, bien sûr. Même genre de volcan, même genre de professionnalisme exacerbé, avec cette façon spectaculairement élégante de rappeler que la Soul et le funk sont avant toute chose une affaire de black power.

Bien sûr, si on veut prendre un coup de black power en pleine gueule, il faut faire l’effort d’aller voir Lee Field sur scène. Les mauvais clips mis en ligne font insulte à sa grandeur. Comme s’ils le ratatinaient.

À l’âge de 69, ce petit bonhomme rondouillard tournoie sur scène comme une toupie et shoute la meilleure Soul des temps modernes. Il est le spectacle, le monstre sacré, dans sa veste de smoking brodée de fil d’or, son pantalon noir à baguettes et ses boots argentées. Lee Fields vient d’une autre époque, celle des grandes revues de la Soul américaine d’antan, lorsque que les blackos prenaient leur revanche sur la société des blancs en conquérant le monde sans la moindre violence, avec un art qu’on appelle la Soul Music. C’est un point qui mérite d’être sérieusement médité. Les fils d’esclaves n’eurent pas besoin de B52 ni de fucking snipers pour conquérir le monde occidental et faire danser les petits culs blancs. Rien ne pouvait résister au rouleau-compresseur de cette Soul dont les figures de proue étaient Stax, Tamla et James Brown. Lee Fields perpétue la tradition avec en plus le punch de Cassius Clay. Il met le monde moderne KO en dix manches, et franchement, le monde moderne est ravi d’avoir été mis au tapis par un petit nègre aussi brillant que Lee Fields. Si on osait, on dirait même que c’est un honneur.

Oui, Lee Fields nous met KO. C’est une réalité. Il attaque son «Work To Do» au chaud d’intonation à la Otis, il perpétue cette vieille tradition d’émotion contenue qui fait la force de la Soul, il chante au chaud-bouillant de son âme. En cours de set on sent sa mâchoire se décrocher à plusieurs reprises, surtout quand Lee pique sa crise de hurlette de Hurlevent au terme d’un «Love Prisoner» lancinant et harassé par des brisures de rythme, set me free, implore-t-il, mais la Soul est un long parcours, c’est du all nite long, le nègre a l’endurance qu’un blanc n’a pas, même sous coke. Deux siècles d’esclavage, ce n’est pas rien. Set me free ! Il prend le prétexte d’un drame sentimental pour hurler son set me free/ I’m your love prisoner/ Set me free. Well done, Lee !

Il sait aussi enflammer les imaginaires avec du funk politicard - We can make the world better/ If we come together - Comme Mavis, il y croit encore. D’ailleurs il fait pas mal de participatif dans le show, il sollicite énormément le public, lui demande de chanter avec lui, de taper dans les mains, de remuer les bras en l’air ou d’embrasser sa voisine. Sacré Lee, il sait chauffer une salle. C’est son job, il le fait merveilleusement bien et son orchestre de petits blancs tient sacrément bien la route. À noter qu’on y trouve deux Jay Vons, le guitariste et le keyboardist - It’s time for me to sing that song called a Faithful Man and it goes like this - Il renoue avec le déchirement suprême, il rallume la chaudière de la Soul la plus hot de l’histoire, celle de James Brown. «Faithful Man» est l’un de ses tubes les plus convaincus d’avance. Il l’arrose de screams terribles et tire sa sauce à n’en plus finir. Typiquement le genre de cut qu’on aimerait voir continuer. Tank you ! Thank you ! Lee se montre éperdu de gratitude, il revient hurler comme James Brown dans son micro, please don’t baby ! Il faut pourtant se résoudre à le voir partir. Oh mais il va revenir !

Il faut écouter le nouvel album du dernier des grands Soul Brothers. Il ouvre le bal d’It Rains Love avec le morceau titre. Il n’a aucun problème de puissance. Il y va de bon cœur, porté par un bassmatic de rêve. On se retrouve dans une prod épaisse et bien cogitée, une prod à grumeaux, finement parfumée d’excellence de la pertinence. Cette Soul cabossée ressemble à l’étain blanc qui a vécu. Lee Fields sort un «Two Faces» aussi âpre et dense qu’un hit de James Brown. Il fait de la Soul à crampons qui accroche bien. Il finit son cut au beat défenestrateur. Il fait ensuite du Bobby Womack avec «You’re What’s Needed In My Life». Cet admirable Soul Brother avance dans le son à pas mesurés et en chaloupant des hanches, soutenu par des chœurs de filles saturnales. Ça sonne comme un hit des temps modernes. Tu as ça dans l’oreille et tu vas au paradis du Soul System. Quel aplomb ! Il envoie une nouvelle giclée de heavy Soul avec «Will I Get Off Easy». Il chante au ciel, c’est un perçant, un puissant seigneur, il n’a pas besoin de scream. Sur la pochette, il a l’air d’un pharaon serré dans une veste d’écaille. Il chante son «Love Prisoner» à l’avenant, dans les règles de l’art du set me free. Il fait du pur James Brown à coups de Please have mercy on me. Il reste dans cette Soul de pleine voix avec «A Promise Is A Promise», il la télescope en plein vol et revient à la profondeur avec «God Is Real». Il chante à outrance et nous laisse un bel album. Il termine avec «Don’t Give Up» et ne lâche pas la rampe. Il souffle la poussière des volcans et les nappes de violons. Ce petit black possède une voix qui nous dépasse.

My baby love/ My honey dove. Que ne donnerait-on pas pour le voir chanter cette merveille une fois encore. Lee Fields y atteint les niveaux jadis atteints par James Brown («It’s A Man’s Man’s World) ou Marvin Gaye («What’s Going On»), avec en plus un sens de l’extase combinatoire unique dans l’histoire de la Soul. Il finit en mode apocalyptique comme sut si bien le faire Otis en son temps dans «Try A Little Tendreness». À la fin, ce héros titube, comme vidé, mais il revient shooter get up ! Yeah yeah !

Signé : Cazengler, Lee Fiel

Lee Fields. Le 106. Rouen (76). 21 janvier 2020

Lee Fields & The Expressions. It Rains Love. Big Crown 2019

30 / 01 / 2020 – PARIS

SUPERSONIC

CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP

JOHNNY MAFIA

 

Rendez-vous au Supersonic. Qui fête ses quatre ans d'existence et lance son magasin de disques. Longtemps que je voulais voir Johnny Mafia, depuis qu'ils ont tourné avec Pogo Car Crash Control. Genre d'accointances prometteuses que j'aime bien. En plus deux groupes inconnus mais qui viennent du pays du Cat Zengler. De Rouen, une ville qui chauffe dur depuis au moins la sainte année 1431, le bûcher de Jeanne d'Arc. Pour ceux qui n'étaient pas présents le jour de ce funeste événement, la lecture de Le ravin du loup ( et autres histoires mystérieuses des Ardennes ) de Jean-Pierre Deloux s'impose.

CARIBOU BÂTARD

L'on n'a jamais su qui était le caribou et qui était le bâtard, mais vu qu'ils ne sont que deux sur scène nous n'avions qu'une chance sur deux pour nous tromper. Batterie + guitare, le binôme rock par excellence, peut-être économique. Sûrement pratique. C'est fou ce que l'on rencontre de caribous dans les romans d'aventures canadiens, se font systématiquement et bêtement abattre par des chasseurs émérites. Notre Caribou Bâtard a compris la leçon, la meilleure façon de ne pas mourir c'est de vivre et pour cela de se battre. Donc sur la droite vous avez un batteur fou. Vite, fort et bien. Peut faire mieux : très vite, très fort, très bien. Pas une seconde d'arrêt. Enchaîne les titres comme un forcené. En plus il chante, paroles sommaires et répétitives. A la cadence avec laquelle il frappe, vous comprenez qu'il ne lui reste plus assez de cerveau disponible pour se lancer dans la haute littérature. Un registre de voix plutôt étrange comme s'il la montait au plus haut de son octave naturel afin de se frayer un chemin dans le délicieux tintamarre qu'il déverse sur le public. Douche de décibels indélébiles dans vos oreilles. En plus il réussit ce tour de force de ne jamais vous ennuyer, à fond de train, à une cadence infernale, mais il sait varier les rythmes et les factures ( véritables coups de bambous ) architecturales de chacun des morceaux.

Mais que serait le rock sans guitare ? Le n'ai pas le temps de répondre à cette angoissante question métaphysique. Ce n'est pas que je ne connais pas la réponse, c'est que le guitariste m'en empêche. Vous voulez de la guitare, et vlan il vous file le grondement assourdissant qui accompagnera la fin du monde et dont Jean aurait dû noter la présence dans son Apocalypse. En tout cas chez Caribou Bâtard ils n'ont pas oublié son indispensable tonitruance. Cette machine tue les fascistes avaient noté Woodie Guthrie sur sa guitare, celle de Caribou elle ne se perd pas dans de subtiles et arachnéennes distinctions, elle tue tout le monde, c'est beaucoup plus efficace. Au moins ils sont sûrs de n'oublier personne. Je me risquerai à oser le concept de sonorité submergeante pour qualifier cette monstruosité sonore. Si vous êtes sonophobe, sortez fumer une clope, pas devant la porte, de l'autre côté de la rue, si vous êtes sonophile tentez de rester, si vous êtes mégasonophile ce set est pour vous. Les amateurs apprécieront cette guitare qui pétarade divinement dans votre cerveau, à la manière du générique de L'Equipée Sauvage, certes il ne vous restera plus beaucoup de neurones par la suite, mais au moins une fois dans votre vie, vous aurez vécu quelque chose, c'est si rare de nos jours que je pense que bientôt que tout le monde voudra un Rangifer Tarandus comme animal de compagnie. Précisez bien la sous-espèce, le caribou toundrique possède cette mauvaise habitude de bouffer la moquette, mais avec le Caribou Bâtard, il éliminera vos voisins indélicats avec une célérité ahurissante. Sont épuisés à la fin du set, alors pour les récompenser le public leur offre un bruit d'enfer.

DYE CRAP

Quatre sur scène. Non ils ne sont pas là pour faire de la surenchère sonore. Même que pendant qu'ils attendent le batteur parti on ne sait où, l'on patiente à écouter les caresses cordiques bienfaisantes de la guitare Vox, la forme d'une mandoline ou d'une larme, mais de crocodile, car si elle peut vous émouvoir grâce à sa parfaite musicalité, elle sait devenir sans préavis aussi tranchante que l'ivoire de ces amphibiens somme toute peu sympathiques.

Les voici au complet. Démarrent sans plus attendre. Ils ont le son, ils ont l'énergie, ils ont le savoir-faire, vont vous dérouler le show comme un tapis rouge devant les grands hôtels parisiens de luxe. Ce n'est pas ce que j'appelle du rock, mais de la pop. La différence entre les deux peut sembler hasardeuse. Mais dans la pop même si le tapage nocturne a empêché le client de dormir, on lui offrira au petit matin une séance sauna-relaxation-épilation intégrale gratuite pour le dédommager. Que voulez-vous le caca coloré aux senteurs de rose ça fleure plus bon que bon. Alors Dye Crap ils ne ménagent pas leur peine, il y a des batteurs sur lesquels les groupes se reposent comme ces familles qui piquent-niquent sur la pierre tombale de leur cher défunt, et d'autres qui emportent les copains en un tourbillon de feu. Celui de Dye Crap est un escalator volant, fend l'air à la vitesse d'une fusée et comme les deux guitares lui emboîtent les réacteurs au quart de tour vous n'avez pas le temps de regarder votre montre. Bassiste et chanteur, le guy se défend bien, l'a une voix qui porte et qui accroche, lorsque le machine est lancé, Dye Crap est une belle machine de guerre. Mais ils vous ménagent aussi des instants d'autoroute, des aires pique-nique avec toboggans pour les enfants et des sous-bois pour promener le chien, c'est là où je m'ennuie un peu, mais autour de moi, l'on apprécie les jeunes filles ferment les yeux et se laissent bercer par cette houle de bon aloi, qui vous porte et vous balance sans brutalité. Mais au bout de cinq minutes, c'est encore une fois la séquence speed, qui vous fait traverser la moitié de l'Atlantique en moins d'un jour, et alors que vous croyiez toucher au but, retour au clapotis rassurant dans les moiteurs tropicales. Si vous avez rêvé de naufrage et d'un radeau de survie poursuivi par un cachalot affamé, c'est raté. Faut reconnaître qu'ils savent alterner le bien et le mal. Vous plongent en enfer mais vous renvoient au paradis. La salle adore, elle hurle dès que les flammes comminatoires s'approchent et ronronne de plaisir dès que les heaven gates s'entrouvrent. Un bon moment. Mais je préfère les mauvais. L'utile et agréable c'est bien mais l'inutile et le désagréable, c'est mieux.

Dans l'inter-set, sur ma gauche mon voisin opine, oui ça ressemble un peu à Muse ce qui m'amuse, mais sur ma droite une de mes voisines se rebelle contre cette comparaison qu'elle trouve profondément déplacée et injuste. Ô ma muse, je suis désolé !

JOHNNY MAFIA

La faute à leur réputation. M'attendais à des visages burinés de durs à cuire échappés du bagne, poursuivis en hélicoptères par des tueurs à gage, pactisant avec des tribus anthropophages, traversant les pieds nus sans sourciller des jungles luxuriantes infestées de serpents, mais non, Théo, Fabio, William, et Enzo, n'ont même pas l'insolence hautaine de la jeunesse, sont souriants, amènes, des looks de lycéens, pour certains d'entre eux un peu abruptement tignassés mais sans plus, par contre ils sont très mal entourés.

De jeunes gens très mal élevés. Les filles comme les garçons, vous savez ma bonne dame tout se perd en ce bas-monde. Ils ne savent pas se tenir. Et encore moins se retenir. Un signe qui ne trompe point. Très vite les photographes ont arrêté de photographier les artistes. Une photo par-ci, une autre par-là, parce que tout compte-fait ils étaient venus pour eux, mais ils ont préféré braquer leurs appareils reproducteurs sur cette masse d'agités. Les éditorialistes alarmistes ont raison, la mafia est partout et gangrène tout. Ce soir par exemple elle était aussi bien sur scène que dans le public.

'' Ce soir, exceptionnellement nous allons commencer par un solo de batterie'' nous ont-ils prévenus. Ultra-mensonger. Ils n'ont pas du tout débuté par un solo de batterie, ou alors z'ont juste fait un solo qui a duré tout le set. D'un bout à l'autre sans arrêt. Dans les tempêtes les plus dévastatrices, faut bien qu'il y en ait un qui se dévoue pour garder la barre. Chez Johnny Mafia, c'est le batteur. L'a mouliné grave et sec, de toutes ses forces, tant pis si parfois il a même recouvert basse et guitares. Le genre d'incidents totalement anodins. Pas de quoi en faire des gorges chaudes, de toutes les manières le spectacle n'était pas sur la scène quoique tous les yeux étaient braqués sur eux. Alors ils ont fait comme tout le monde. Non ils ne sont pas descendus dans le public. Mission impossible. Ça criait, ça hurlait, ça tanguait, ça s'écroulait, ça se relevait, ça tourneboulait, ça réclamait des titres, ça interpellait, l'on a même vu un soutient-gorge atterrir sur le manche de la basse, de temps en temps ça s'affaissait dangereusement d'un côté puis de l'autre, il y avait des poussées subites de fans pliés sur les retours, eux ils continuaient leur cirque, des morceaux courts méchamment jerkés, entre Ramones et Wampas, cent pour cent Johnny Mafia, puis il y a eu des gars qui se sont faits promener sur les mains des copains, des jambes en l'air désespérées, des têtes qui ont évité des poutrelles de fer par miracle, peut-être certaines se sont-elles entrouvertes en touchant le sol à la manière de ces coquilles d'œufs que vous fractionnez sur le rebord du saladier, des gens qui vous tombaient dans les bras, d'autres qui vous poussaient dans le gouffre, le public n'était plus qu'une masse gélatineuse mouvante se ruant tantôt dans un sens, refluant vers un autre au mépris de toutes les lois de la gravité. Preuve que c'était très grave. Alors comme ils ne pouvaient pas descendre parmi nous – je reprends le fil du récit – le chanteur est monté sur nous, il a refilé son micro à un quidam compressé dans le pudding humain, il a tout de même gardé sa guitare, et là il a été splendide, l'a joué à King Kong sur l'Empire State Building, certes il n'est pas allé plus haut que le premier étage, mais aucun avion de chasse n'est intervenu, s'est accroché comme il a pu et est parvenu à enjamber la rambarde du balcon. N'y avait plus qu'à attendre qu'il revienne, on l'a suivi à la trace auditive pendant qu'il descendait les escaliers.

Si vous croyez que cet exploit à calmé le public, vous avez tort. La horde de fans gesticulait tellement que nos johnnymen ont essayé la technique du bateau pirate qui se sert des pièces d'or de leurs sanglantes rapines pour mitrailler à bout portant le gros vaisseau de ligne qui fonce sur eux. Z'ont refilé leur guitare à l'assistance, tenez c'est pour vous faites-en ce que vous voulez, elle a voyagé de main en main, mais chacun s'est trouvé dans le cas du molosse meurtrier à qui vous avez jeté un os à moelle en peluche et qui ne sait comment se dépatouiller du cadeau trop mou pour ses canines, alors la guitare leur est revenue sagement. Ne sont pas restés sur cet échec, sont des pédagogues, ils savent que la répétition est la base d'une saine pratique éducative, en ont tendu une autre à un grand gaillard en lui désignant les retours, le gars a hésité deux secondes, allait-il la fracasser tout de go, l'a opté pour la production de larsen, une note délicate dans le remue-ménage collectif. Vous connaissez le principe centenaire des mafieux, tu travailles pour nous, nous on te couvre. Z'ont intimé à un gars de s'occuper du micro, et à un autre de riffer comme si sa seconde vie en dépendait. Sont malheureusement tombés sur des timides, alors ils se sont vengés sur un téméraire qui était grimpé sur scène, lui ont passé deux guitares autour du cou, le zigoto était ligoté comme Houdini, en mieux car pas enfermé dans une malle, l'on a pu assister à ces efforts maladroits pour retrouver la liberté.

La chienlit aurait dit un célèbre général. Un chahut-bahut-dahut comme l'on n'en fait plus. Musicalement, un peu foutraque, mais chaud, si chaud ! Un dernier conseil si vous voyez une annonce de leur concert dans votre patelin, mafiez-vous de Johnny. Ce sont des tueurs.

Damie Chad.

 

NOT SCIENTISTS & JOHNNY MAFIA

( 45 Tours / 2019 )

( Kicking Records / 112 )

L'ont annoncé durant le concert, 4 titres, 5 euros, après le concert ce fut la ruée, on se serait cru à l'amap du samedi matin quand on vous prévient que le kilo de topinambour a encore baissé. Chemise cartonnée présentée dans une pochette plastique. Design géométrique qui attire l'œil mais qui ne le retient pas assez longtemps. Le vinyle est d'un beau bleu tendre.

Side A : NOT SCIENTISTS : vous ne confondrez pas avec The Scientists groupe after-punk d'Australie, encore moins avec We-Are-Scientists des USA. Nos Not Scientists viennent de chez nous, sont composés d'Ed Scientist ( guitare, voix ), Jim Jim ( guitare, voix ), Thib Pressure ( basse ), Bizale le Bazile ( batterie ). Tournent en France et en Amérique du nord.

Bleed : entrée quasi-guillerette. Attention parfois la fausse joie est plus acerbe que l'acrimonie la plus violente. Une espèce de rocktournelle adolescente emplie d'énergie et de fierté blessée. D'autant plus dangereuse donc. Poison : Entrée emphatique et puis l'on se dépêche d'avaler la coupe de poison à pleins traits. Une rythmique qui galope et les voix qui explosent comme une caution mélodique. Comediante et tragediante, voici que la musique se met à retentir d'accents mélodramatiques à l'espagnole. Mais l'on revient à quelque chose de plus typiquement rock anglais avec fin échoïfiée.

Side B : JOHNNY MAFIA : On les entend beaucoup mieux qu'en concert. Surtout les guitares. Davantage mélodiques aussi. Voix comme épaissie. De beaux vrillés de guitares. Ressemblent un peu à des groupes anglais de la belle époque. Eyeball : des espèces d'allées et venues de guitares fabuleuses, ça s'en vient et ça s'en va. Au milieu du morceau une espèce de cafouillage mélodique inventif et l'on repart pour ne pas terminer, soyons précis le début du morceau suivant est comme enchâssé dans la fin du dernier. A moins que ce ne soit le contraire. Spirit : comme des tremblés de guitares et puis les voix surviennent, ce sont-elles qui prennent le lead. Qui mènent la mélodie, la batterie en oublie son battement par trop entêtant. Il y a encore une petite surprise dans ce morceau comme dans le précédent. Johnny Mafia quitte l'autoroute sur laquelle ils s'étaient lancés à pleine puissance, comme s'ils avaient un truc de trucker urgent à montrer à leur passager. Qui le changera de l'habitude de vivre.

Deux groupes qui ne se sont pas associés artificiellement. Se ressemblent même presque trop.

Damie Chad.

 

EN VIVO / A CONTRA BLUES

( Enregistré les 17 et 18 mars 2012

au Conservatoire de Liceo / Barcelone )

 

Souvenez-vous c'était au mois d'août 2016, je vous racontais l'histoire de cette petite fille écrasée de fatigue et de froid dans son camion, en pleine nuit ariégeoise, j'aurais parié pour sa mort sous hypotension prochaine, quand je l'ai vue installée derrière la batterie d'A Contra Blues, je me demandais si elle aurait la force de soulever une baguette, et tout de suite en trois coups elle a nous a offert Tchernobyl et Hiroshima sans amour, une frappe atomique, et à ses côtés cette espèce de géant issu d'un conte de sorcières, chaque fois qu'il ouvrait la bouche il y avait un building qui s'écroulait à Chicago, un des meilleurs concerts de blues que je n'aie jamais entendu. ( les amateurs se reporteront à la livraison 293 du 08 / 09 / 293. )

Et hier dans la pile de CD's, celui-ci encore enveloppé dans son emballage transparent ! Non ce n'est pas une malheureuse inadvertance, c'est pire qu'un crime contre l'humanité, c'est in crime contre le blues.

 

Alberto Noël Calvilla Mendiola : guitare / Hector Martin diaz : guitare / Joan Vigo Fajin : contrebasse / Jonathan Herrero Herreria : vocal / Nuria Perich chastang : batterie.

Everyday I have the blues : certains l'ont plus davantage que d'autres, l'on se souvient des versions inoubliables de B.B. King et de Memphis Slim, longues et lentes déclarations d'amour haineux au blues, chez A Contra Blues l'on ne flemmarde au lit au petit matin en se réveillant, pas question de s'apitoyer sur soi-même, ils n'ont pas à proprement parler le blues, mais la fièvre du blues, vous sentez la différence tout de suite, un tempo mid-jazz, mi-funk pour commencer, ensuite c'est la dégringolade, Jonathan vous jette son vocal comme s'il était en train d'invectiver un taureau qui retarde un max le moment de la mise à mort, ensuite une guitare qui s'énerve méchant, mais c'est Nuria qui vous exécute la bête avec le solo de batterie expéditif qui tue. Standing at the crossroad: attention avec un tel titre l'on rentre dans la mythologie blues par excellence, commencent par là où les autres finissent, le solo de guitare qui klaxonne d'habitude en fin de morceau vous arrache ici les oreilles dès le début, et puis shuffle vénéneux toujours parsemé de stridences cordiques et Jonathan qui vous mollarde le vocal comme une lettre d'insultes à votre banquier, ne s'attardent guère au milieu du carrefour, vous expédient le tout en un final définitif au diable vauvert. Yon never can tell : qui dit blues, dit rock, c'est logique, une association d'idées naturelle, et pan un classique, Jonathan nasille encore mieux que Chuck Berry, certes à la fin il n'y tient plus et vous jette les dernières pelletées de mots à la manière des croques-morts pressés de terminer le boulot avant la pause-déjeuner, et l'orchestre derrière, ben il n'oublie pas sa nationalité espagnole, n'ignore pas que le grand Chucky n'a pas fait que du rock, l'avait aussi une prédilection pour le calypso-caribean, alors il s'y colle à merveille, les guitares deviennent langoureuses et Nuria vous bat la marmelade comme si elle accompagnait Compay Segundo à la Havane. Guitar man : l'on connaît l'anecdote Jerry Reed convoqué par Elvis pour jouer de la guitare sur sa reprise de Guitar Man et le pauvre Jerry tellement ému qu'il est obligé de s'isoler dans sa bagnole pour retrouver le riff qu'il n'arrivait pas à sortir devant le King, Jonathan lui rend un bel hommage et puis se jette sur le vocal pour le bouffer tout cru, vous le descend à la vitesse de ces piliers de bistrots marseillais qui vous enfilent un mètre de pastis en moins de trente secondes, derrière guitares et contrebasse sont à la fête, vous expédient le bébé vitesse grand V. 44 : chasse gardée pour Jonathan, un morceau taillée à la démesure de sa voix, les musicos vous font un beau raffut sur les deux ponts, mais Jonathan se la joue un peu à la Tom Jones survitaminé, étale ses octaves comme d'autres le linge sale à la fenêtre. Spoonful : retour au blues le plus pur, le morceau roi du disque, du pain bénit pour la contrebasse de Joan, Un bel hommage à Howlin' Wolf, Jonathan ne tombe pas dans le piège de coller au phrasé enroué du loup du blues, nous la joue à Peggy Lee sur Fever, mais il reste fidèle à l'esprit du blues par deux longs passages de spoken words du meilleur effet, le public se prête au jeu et hulule en douceur pendant que Nuria caresse ses cymbales, les guitares restent discrètes se contentant de claquer en fin de vers comme les rimes des sonnets de José-Maria de Heredia. Wine : du blues alcoolisé au rock'n'roll, le shuffle parce que le corps tangue, mais le vocal explose car dans votre tête tout s'entremêle et les guitares deviennent folles. How blues can you get : dissipation des vapeurs, lendemains d'extase et jours de solitude, à la B. B. King, les guitares qui envoient des notes à l'économie, de temps en temps, mais qui font mouche à chaque fois. Toute la tristesse du monde tombe sur vous. Vous êtes foutus, heureusement qu'Alberto et Hector enfilent des perles sur les cordes de leur guitare et finissent par vous offrir un collier de rutilances qui ne tardent pas à se dissiper dans le néant du désespoir. Tempête en fin de morceau. Night time is the right time : longue présentation des musicos et de la team d'accompagnement en milieu de morceau, avaient commencé en force terminent en beauté accompagné par le public qui s'époumone avec plaisir.

Blues éclectique mais de la meilleure farine dont on fait les biscuits royaux. Un Regal !

Damie Chad.

UN SIECLE DE POP

HUGH GREGORY

( Vade Retro / 1998 )

 

Pas un livre de plus sur le rock'n'roll. Le titre n'est pas menteur. Pop au sens de musiques populaires. Pluriel non hasardeux. En entrouvrant le livre rapidement vous glanez au hasard quelques noms en grosses lettres, Glenn Miller, Buddy Holly, David Bowie, Rolling Stones... mais ce n'est pas le récapitulatif des grandes vedettes du rock'n'roll et de la pop qui sont chronologiquement épluchées une à une. Le book ne s'intéresse pas aux individus mais aux courants musicaux, exemple vous n'apprendrez pas l'essentiel que vous devez savoir sur Elvis Presley, juste quelques rudiments de base, et la notice ne s'attarde pas uniquement sur la divine personne du King, très vite elle embrasse toute la période et cite quelques pionniers, sans s'attarder outre mesure. En gros un amateur de rock connaît cela par cœur. N'empêche que le bouquin est bien fait.

Cela fonctionne à la manière d'une mosaïque labyrinthique mobile. Un jeu de go à vous rendre fou, à vous faire perdre vos certitudes. C'est qu'aucune tesselle ne possède un emplacement vraiment fixe dans le dessin final. Ce qui ne veut pas dire que vous pouvez la placer n'importe où. Même si en y réfléchissant quelque peu il point en vous le désir anarchisant de décréter que sa place pourrait se nicher en n'importe quel endroit et cette idée absurde n'est pas aussi idiote et illogique qu'il n'y paraîtrait.

Hugh Gregory vous vient en aide. Attardez-vous longuement sur les deux premières double-pages, à la limite vous n'avez plus besoin de lire la suite, la première ne vous sera compréhensible qu'après avoir vu la deuxième, mais prenez toutefois le temps de l'étudier. La tentation de passer très rapidement sera grande, ce n'est que la table des matières ! Première constatation, quel charcutier ce Gregory, ne voilà-t-il pas qu'il vous découpe l'histoire de la musique populaire en tranches égales à la manière d'un salami. La dernière est légèrement moins épaisse ( un dixième ) mais l'on ne peut lui en vouloir, elle s'arrête en 1999 et non en 2000, normal le livre est sorti en 1999 en sa version française. Je ne sais si en Angleterre elle s'arrêtait en 1998 !

Certes nous utilisons très facilement les expressions sixties, seventies... pour désigner les périodes de notre musique, mais ce découpage nous paraît à première vue bien superficiel. Et puis tout de même il y a des trucs qui clochent : pourquoi par exemple ranger les Rolling Stones dans la décennie 1980 – 1990 à côté de la House et du Hip-hop. Et cette fin en queue de poisson, terminer sur la rubrique La musique de films que vous n'attendiez pas obligatoirement, l'on a l'impression que l'auteur abandonne son armée de lecteurs en pleine campagne en ne leur spécifiant même pas qu'ils doivent maintenant se débrouiller par eux-mêmes pour rentrer chez eux. Leur a tout de même laissé quelques indices, les petits filets de couleurs différentes associés à chaque période temporelle.

Il est temps de tourner la page. Le plan s'étale devant vos yeux. Vingt-six rectangles de sept couleurs différentes, sagement alignés comme des petits soldats. Entre eux des flèches qui se dirigent de l'un à un autre et qui dessinent un véritable parcours labyrinthique. Et là tout s'éclaire. Remarquez toutefois que la lumière a peut-être été conçue pour donner plus d'importance à l'obscurité primordiale. Je prends un exemple réduit à l'état squelettique : avez-vous déjà pensé que l'influence des musiques orientales s'est exercée aussi bien sur le bhangra, le funk et le Heavy Metal... Certes vous pensez à Kashmir de Led Zeppelin, par contre si vous n'avez que des notions très floues quant au banghra faire un tour par ce bouquin, il pourrait vous aider. ( Vous le trouvez à moins de trois euros sur le net ) Tout ceci pour vous expliquer pourquoi les deux pages consacrées à Miles Davies se rencontrent dans la dernière décennie du siècle précédent alors que son chef d'œuvre Kind of blues date de 1959, et In a silent way de 1967. Hugh Gregory s'intéresse avant tout aux influences tant historiques ( transfert des populations, migrations ) que technologiques ( électrification de la guitare, apparition de l'appareillage électro-acoustique dans les foyers, apparition de la radio et de la télévision... ).

Reste que la lecture de l'ensemble de l'ouvrage se révèle enrichissante. Une étonnante constatation, les cinq premières décennies sont les plus passionnantes. Ce n'est pas que l'auteur ait bâclé les dernières, c'est que la première moitié du siècle est en quelque sorte quantitativement moins riche. Irremplaçable certes, et vraisemblablement musicalement la plus authentique, mais il n'y a pas la profusion d'artistes qui ira en un galop exponentiel par la suite. Pour le tout début manquent les enregistrements, ce qui est un énorme frein quant à la vision subséquemment parcellaire de ces époques lointaines quelque peu floutées. La synthèse des rares données s'en trouve de ce fait facilitée.

Deuxième constatation : le livre n'est pas partisan. Gregory nous parle de musiques populaires, ce que nous pouvons traduire par qui plaît au peuple, et l'on s'aperçoit que le rock ( en englobant ce que lui dissocie en Rock'n'roll / Rockabilly et Rock en un sens beaucoup plus large quasi-totalitaire ) n'est pas selon nos préférences le vecteur principal des goûts du public. Que votre fierté de rocker n'en prenne pas un coup, au contraire, plus le rock sera minoritaire plus il retrouvera sa pernicieuse faconde. Ce sont les minorités actives qui mènent le monde car elles portent en elles la faculté d'influencer les modes de vie. Même s'il brouille un peu le message en ne différenciant pas ce qui tient de la musique au sens strict et de la culture au sens large et surtout en employant le terme rock par trop générique pour traiter du travail des majors dont Hugh Gregory dénonce l'effet délétère sur sa transformation en musique grand public. Donne tout de même l'impression de plaider pour un affadissement de la production au cours des années. A le lire on se demande comment il envisage la production actuelle des cinq premiers lustres du troisième millénaire...

Remet un peu la hiérarchie des vaches sacrées en place. Par exemple pas de pages génériques consacrées au mouvement hippies, aux bikers, teds et autres '' mauvais garçons''. Entre musique blanche et musique noire, son cœur balance pour la noire, la soul au détriment du rock'n'roll, c'est elle qui mène le bal, plus organique, plus matricielle, plus morcelable, plus fertile, moins figée. La musique européennes dont il discerne les racines les plus profondes, la musique savante '' classique '' religieuse et profane, notamment l'Opéra, et la folklorique plus vivante mais un peu ossifiée par la préservation qu'en effectuèrent les générations venues du continent, une conservation formelle à comprendre comme un signe identitaire de rattachement à leurs origines, aurait par ses charpentes structurelles empêché toute liberté créatrice si ce n'est par une déliquescence des plus mortifères. Des chansonnettes de Tin Pan Alley à l'easy listenin d'aujourd'hui, la pente fatale se serait poursuivie sans anicroche. Pensons à Eno qui jouit d'une réputation de novateur et sa Music for Airports de 1978, comme si l'originalité aboutissait à la revendication de la notion d'insignifiance. Le savoir-faire se métamorphosant en manipulation mentale. Les originelles percussions africaines frappant encore à la porte du paradis pour demander à y entrer. Quand on entend le rap-variétoche que diffusent les stations nationales de par chez nous l'on se demande si elles n'ont pas réussi à s'asseoir à la droite du bon dieu blanc. Cantiques édulcorés pour tout le monde.

Livre qui pousse à réfléchir, pour aider à cela, un index final n'aurait pas été de trop. De même, parfois les photos deviennent envahissantes. Bizarrement la section que j'ai préférée traite de la house. Ce n'est pas que j'éprouve une quelconque satisfaction à l'écouter. Un son trop monotone et trop maigrichon à mon humble avis. Mais quand ce mouvement est apparu en nos vertes contrées je participais à une radio locale et deux jeunes collègues avaient réussi à fédérer autour de leur émission, je ne me souviens plus de son titre ( cinq fois par semaines, horaires en fin d'après-midi ) toute une jeunesse qui habitait dans des patelins perdus dans les fonds désertiques de la Seine & Marne, longtemps depuis les tout premiers disques des Rolling Stones que je n'avais ressenti une telle ferveur chez des ados d'une quinzaine d'années. Rassurez-vous, l'émission fut vite supprimée ! Pour une fois qu'une chronique offre une fin morale vous n'allez pas vous plaindre !

Damie Chad.