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29/08/2020

KR'TNT ! 473 : PETER GREEN / PETER GURALNICK / VELIBOR COLIC / LUCIEN MALSON / HARRY JAMES PLUMLEE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 473

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

29 / 08 / 20

PETER GREEN / PETER GURALNICK

VELIBOR COLIC / LUCIEN MALSON

HARRY JAMES PLUMLEE

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Vert de Green

 

Les commentaires sur Peter Green sont souvent laconiques. Pas de glamour chez ce punk passé au blues. Ça s’est corsé quand il a décroché, alors que son groupe Fleetwood Mac commençait à devenir énorme et à bien marcher aux États-Unis. Peter Green avait tout simplement renoncé au star system. Il s’était débarrassé de ses guitares et de ses droits d’auteur pour entrer dans une communauté religieuse et y trouver la paix. Bizarrement, il est arrivé la même chose à son collègue Jeremy Spencer un peu plus tard. Les deux autres membres de Fleetwood Mac, Mick Fleetwood et John McVie, avaient plus de suite dans les idées. Ils réussirent à faire fortune aux États-Unis en concevant une mouture de Fleetwood Mac spécialement adaptée au rock FM.

Ce repli stratégique n’a pas empêché Peter Green d’enregistrer un paquet d’albums solo. Comme il était particulièrement doué, ça pouvait se comprendre. Les fans en redemandaient. Dans une démocratie, il faut toujours laisser l’artiste s’exprimer.

On se souvient très bien de la pochette du premier Fleetwood Mac, dans la vitrine d’un disquaire de province. Elle déplaisait. Le chien, la poubelle, les détritus, c’était absurde. Rien à voir avec celle de Mr Wonderful. Le premier Fleetwood était tout de même un bon disque de boogie blues, pour l’époque. Peter portait de grosses rouflaquettes et plantait le décor en deux couplets. On retrouvait les pompages d’Elmore James, une reprise ratée de Wolf (« No Place To Go ») et du grand Green avec « My Baby’s Good To Me », un boogie blues de rêve avec une intro sauvage, rêche et rauque, boogie dans lequel Peter Pan jouait un solo liquide fabuleux. Puis il donnait un avant-goût de ce qui allait devenir sa spécialité, le velouté, avec « I Loved Another Woman ». Et pour les amateurs de blues-rock solide, il y avait ce « Cold Black Night » d’antho à Toto, une compo du petit Jeremy, dix mille fois plus heavy que le heavy rock de Black Sabbath. Tout y était, même le suitcase in the hand.

Le véritable événement, ce fut la sortie de Mr Wonderful, avec Mick Fleetwood à poil sur la pochette et un son révolutionnaire. Mike Vernon les avait enregistrés live dans le studio et on peut dire que ça sonnait bien les cloches. Des critiques anglais ont descendu ce disque en reprochant au groupe d’avoir joué quatre fois le « Dust My Blues » d’Elmore James, ce qui n’est pas tout à fait faux, mais le son est tellement bon, la niaque de Peter Green tellement énorme, que ça passe comme une lettre à la poste. S’il faut retenir un album de British Blues, c’est bien celui-là (avec le Truth du Jeff Beck Group, of course). Les autres sont très loin derrière. À des centaines de kilomètres. Peter Pan embarque « Stop Messin’ Round » avec un son jusque-là inconnu, à la fois agressif et puissant, criard et saturé. Une sorte d’absolu du son avec des vocaux teigneux. Contre-breaks juteux et pulsatif carabiné. Bienvenue dans la pétaudière ! Peter Pan s’appuyait sur une rythmique solide. N’oublions pas qu’à cette époque, John McVie portait un perfecto. Avec « Rollin’ Man », ils tapent dans le jumpy-jumpah, et Peter réembarque tout le monde à l’instro, c’est un véritable festival de punk-blues incendiaire. Il joue comme un dieu. Il tourbillonne de façon hallucinante, il tire ses cordes, il sème la panique, il ne dépasse pas les bornes mais les défonce, puis file comme une comète. Clapton a dû prendre des notes en écoutant ça. Ils passent ensuite Elmore James à la casserole du punk-blues. Cette version de « Dust My Broom » est certainement la meilleure qui existe sur le marché, chantée au guttural, presque haineuse, rocaillée à souhait et bringuebalée par la rythmique, percée de toutes parts par des incursions vénéneuses. Cette sale petite canaille de Jeremy Spencer bave de l’écume. Il recrache sa fascination pour le vieil Elmore. Blues torride avec « Love That Burns », où Peter intervient sur le tard, sous-pesé et précis à la fois, insidieux et inventif, maître et esclave du blues, pensant et pensé, ambitieux et tendre, doux et dur, prenant qui se croyait pris. En B, on retrouve du Elmore dans « Need Your Love Tonight ». Puis on tombe sur une perle rare, « If You Be My Baby », un blues lent et bien soutenu. On sent la présence de Peter derrière et son départ en solo se fait par giclées - yeah yeah - pas besoin de faire un dessin. Il provoque un vrai frisson organique. Il insuffle à son jeu une sorte de puissance hallucinée. Encore une jolie petite pétaudière avec « Lazy Poker Blues ». Tempo infernal. Peter Pan reprend son procédé d’emballement à la note tirée. C’est vertigineusement bon. Son solo ruisselle de panache.

Avec ce disque, on atteint ce qu’il faut bien appeler un sommet, en matière de blues électrique. Ce sera l’apothéose du mighty Mac. La prestation de Peter Pan sur le Hard Road de John Mayall est aussi très pertinente, mais le son de Hard Road n’est pas aussi bon que celui de Mr Wonderful.

Peter Pan va enregistrer un dernier album avec Fleetwood Mac. Then Play On sort un an plus tard et on sent une baisse de régime. C’est une façon de dire que l’album est complètement foireux. Pour les accros de Mr Wonderful, ce sera une atroce déception. Il n’y a que trois bons morceaux sur ce disque. Avec « Coming Your Way » monté sur un jungle beat, on retrouve la douceur du jeu de Peter Pan, cette finesse unique au monde. C’est un byzantin, comme Arthur Lee. Sa mise en place des accords est parfaite, le son et les notes sont au bon endroit. Ici, tout sonne juste. On se retrouve bien en face d’un vrai pro. Il sait jouer. Avec « Underway », il fait l’albatros, histoire d’aérer un peu le studio. Il joue sa mélodie avec tellement de feeling qu’on sent bien qu’il l’entend. Il se contente de reproduire le fil d’une idée lumineuse. Peter Green joue en cinémascope. Il libère l’espace plus qu’il ne le déchire. Ses notes ressemblent à ces bulles de savon qu’on voit éclater dans le ciel d’été. Il dose savamment ses ralentis, il peuple l’univers de jolis spermatozoïdes irisés qui incarnent l’innocence. On se consolera avec « Rattle Snake Shake », le heavy blues inattendu. C’est un cut qui fume en sortant du four, une vraie pièce de consistance comme les aime Tante Hortense et Peter fait claquer ses notes. Comme l’indique le titre du cut, c’est rampant. Il renoue avec le rauque. C’est de la grosse bave du Delta. Ce raw-blues est la pépite de ce pauvre album, certainement le dernier sursaut du punk Peter Green. Avec Jeff Beck, Peter Pan fut le guitariste anglais le plus inventif et le plus tough. Do the shake !

Par simple curiosité, on est allé voir à quoi ressemblait Fleetwood Mac SANS Peter Pan. On confia au petit Danny Kirwan la rude mission de remplacer Peter et on vit ce que ça pouvait donner avec l’album Kiln House. Le groupe évoluait vers un son beaucoup plus américain. Un cut comme « Station Man » pourrait très bien figurer sur un album de Leon Russell. Ou encore pire : sur Exile On Main Street. On sentait bien que le petit Kirwan en voulait, mais il n’avait tout simplement pas le talent de son prédécesseur. Jeremy Spencer par contre s’y croyait, il chantait pas mal du gras de la glotte et tapait dans le rock’n’roll ou la country. Son hommage à Buddy Holly (« Buddy’s Song ») est solide. On sent vraiment le fan, mais qu’est-ce ça vient faire ici ? On fit une ultime tentative avec Penguin. C’est John McVie qui était un admirateur des pingouins, et du coup, il redevint éminemment sympathique. Avec cet album, le groupe procède à de nouveaux remaniements. Danny Kirwan est viré et à sa place, on trouve Bob Weston qui vient de Savoy Brown, et Dave Walker, un ex-Idle Race. Plus Bob Welch. On peut dire qu’ils ont mis le paquet. Ils font désormais de la bonne pop. « Bright Fire » est même une pop groovy haut de gamme. Plus aucune trace de blues. Ils tapent dans « Roadrunner » et se couvrent de ridicule en voulant sonner comme Junior Walker & The All Stars. Ils sont encore plus ridicules en attaquant « The Derelict » au banjo. C’est un vrai disque pingouin. Une belle source de canulars. Et ce n’est pas fini. Avec « Revelation », ils se prennent pour Santana. C’est pourtant un morceau de Bob Welch qui n’est pas un amateur. Avec « Did You Ever Love Me », ils battent tous les records de nullité en faisant de la soul de Monoprix. Cette pauvre Christine se prend pour Etta James. On aura tout vu. Et dire que ces gens-là vont devenir millionnaires ! Pauvre Fleetwood Mac. On les voit sur la photo de l’album, assis sur une grosse branche, au bord du fleuve, John McVie et sa femme, Mick, deux chiens et les nouvelles recrues. Leur « Caught In The Rain » est bien foutu dans les harmonies vocales, c’est indéniable, ça frise le Crosby Stills & Nash, et c’est même confondant de beauté. Alors, restons sur une note positive pour leur dire adieu et bon vent.

Peter Pan entame sa longue carrière solo en 1970. Il s’efforcera de ne pas renier ses premières amours, qui sont le blues, le blues et le blues.

Premier album solo en 1970 avec The End Of The Game. On sauve un seul morceau sur cet album, « Bottoms Up », pièce étrange et fascinante. Peter Pan semble jouer dans son coin alors que de l’autre côté, la rythmique monte un autre plan. C’est admirable de déconnexion réussie. Bel exemple de double vue faciale de bonne instance. On voit rarement des exercices de cette nature. Dans l’idée, c’est superbe. Quelle belle pièce insolite ! On peut très bien la juger digne de grands rêvasseurs des années trente de type Léon-Paul Fargue. La pièce se révèle en outre interminablement bonne. Par contre, après, ça se dégrade terriblement. Avis aux amateurs. On se croirait parfois chez John McLaughin ou sur l’un de ces mauvais albums de jazz expérimental qui ne servent à rien. Et dire qu’on considère ce disque comme un disque culte ! Franchement, il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard. Mais en vieux fan, on se doit d’écouter ce disque. Avec le morceau titre, il finit par sortir son son, comme d’autres sortent leur bite. La vie continue.

Dix ans plus tard paraît In The Skies. On retrouve le petit groove mambo que Peter Pan affectionne tout particulièrement. Mais c’est Sonny White qui joue lead. Peter gratte ses accords. Heureusement, il revient au lead pour « A Fool No More », un blues lourd de sens. On sent nettement la différence de toucher. Rien à voir. Il laisse planer le doute sur ses intentions. Peter Pan est un visionnaire de la tendance latérale, un perclus d’illusions, un voyeur d’horizons intérieurs, un paumé de la flottaison, un heureux élu de la dérive, un amateur de coulures éloignées, un poinçonneur des lilas mauves, un extradé du bulbe et surtout un intrinsèque du blues. Il joue le blues dans l’essence de la lenteur et construit l’édifice d’un son spatial, note à note, oui, il édifie l’esprit sacré, il ne cherche pas la démesure, il cherche au contraire la distance. Il cultive la perception d’un lointain incertain dans lequel il peut enfin respirer. C’est le Peter Pan dont on s’abreuve, celui des notes infinies, celui du temps qui s’écoule dans une extrême lenteur. Sur la B, il propose de drôles de trucs. Il embarque « Funky Chunk » au thème et joue un petit groove sympathique intitulé « Just For You ». On l’écoute, parce que c’est lui qui joue. Un autre guitariste n’aurait aucune chance. Et comme Peter Pan est un héros, il a carte blanche. D’ailleurs, on sera bien récompensé avec « Proud Pinto », un petit mambo mexicain à travers lequel il se restitue. Il redevient le maître des limbes de la partance, il travaille ce son de notes suspendues et incroyablement pures. Il a ce toucher que lui envient tous les autres guitaristes de blues. C’est une sorte de souplesse de tripote que n’a même pas BB King. Peter Pan s’installe au niveau supérieur de l’expression corporelle du blues. Il va même chercher la lévitation transcendée. Ce cut est du pur jus greenien, le vrai blues vert de Green.

Little Dreamer arrive dans les étals un an plus tard. L’album est un peu passe partout. « Loser Two Times » est une petite pièce auto-biographique : « I lost my money/ I lost my baby/ And now I almost lost my mind. » Oui, Peter a tout perdu, y compris la tête. Comme entrée en matière, ce n’est pas terrible. Il rate sa reprise de « Born Under A Bad Sign », et les morceaux suivants permettent de constater qu’il n’a plus de jus. Il balance tout de même un joli boogie blues en B, « Walkin’ The Road », qu’il sertit d’un solo light. Avec « Cryin’ Won’t Bring You Back », il renoue avec ces grooves exotiques qu’il affectionne tout particulièrement, et il revient à ses moutons avec « Little Dreamer », un mélopif qu’il envoie planer au dessus d’un océan qu’embrase le crépuscule des Caraïbes.

Quand on retourne la pochette Watcha Gonna Do sorti aussi en 1981, on tombe sur une photo de Peter Pan. Oh ! Il ne va pas bien du tout. Il a terriblement grossi de la figure, il porte les cheveux courts, une barbe et un gros foulard noué autour du cou. Il ressemble à un ranchero échappé d’un asile de fous. Sur cet album, le pauvre Peter Pan n’a pas grand chose à nous apprendre. Il se contente de groover. Il reste en laid-back. Pas de gestes inutiles. On retrouve des choses déjà entendues, il fait son petit coup de guitare vite fait, et hop, c’est terminé. « Last Train To San Antone » se distingue par ses qualités de balladif bluessy extrêmement racé. Avec « To Break My Heart », il semble s’amuser un peu. On le voit danser doucement au bord de la plage, dans la tiédeur du crépuscule. Il revient au blues avec « Lost My Love ». Sa voix éteinte se prête merveilleusement bien à l’exercice. On l’attend au virage du solo. Il s’y prend adroitement et joue furtivement, avec ce sens inné du minimalisme qui l’honore.

On trouve de jolies choses sur White Sky. Retour au gros son avec « Shining Star », un cut passionnant, une sorte de heavy prog solide comme on savait le faire dans les seventies. Il y place un solo classique à la Green, direct et d’une sobriété flagrante. Morceau bizarre que ce « White Sky (Love That Evil Woman) » qui semble préfigurer Suicide. Même ambiance, c’est étonnant et bon, sérieux et soutenu. Il frise le génie urbain d’Alan Vega. Son « Born On The Wild Side » n’a rien à voir avec Lou Reed. Peter Pan drive son petit boogie blues à sa manière, le pique d’un solo bref et sobre, à petites touches. Pas de dérive. Comme sur quasiment tous ses albums, il conclut avec un instro lévitatif. Avec « Just Another Guy », il suit un fil mélodique connu de lui seul.

Dans un texte étrange (paru dans I Was Elvis Presley’s bastard Love-child & Other Stories Of Rock’n’Roll Excess), Andrew Darlington raconte sa visite à Peter Green qui le reçoit en pyjama bleu et en robe de chambre. Il a reconstitué sa collection de guitares. Sa préférée est une Berlioz Flying V noire. Il ne supporte pas qu’on lui parle des années de folie, quand il portait une robe blanche et qu’il se laissait pousser les ongles pour s’interdire de continuer à jouer de la guitare. Il avoue détester les héros et affirme à son interlocuteur médusé qu’il n’en est pas un et surtout qu’il ne veut pas en être un. Il réaffirme ses racines working-class et sa haine profonde de l’école. Se lever le matin, apprendre des conneries ? Berk ! Il rappelle que c’est slowhand Clapton qui lui a mis le pied à l’étrier. Puis quand toutes les conditions étaient réunies pour atteindre la gloire, il développa un sérieux appétit pour l’auto-destruction, doublé d’une sérieuse aversion pour le star system. Et comme par hasard, il rencontra Stanley Owsley à New York et goûta aux acides, comme Syd Barrett, Skip Spence et Roky Erickson. Après avoir quitté le mighty Mac, il est devenu gardien de cimetière et s’est illustré en tirant un coup de fusil sur un huissier venu lui remettre un chèque de 30 000 livres. Du coup, on l’a interné et, comme le copain Roky de l’autre côté de l’Atlantique, on l’a soigné aux électrochocs. Alors, avec le recul, il critique le LSD qui rend très docile. D’ailleurs, il rappelle que sous LSD, il est devenu anti-matérialiste, qu’il jouait gratuitement, qu’il avait légué 80 000 livres à War On Want, et qu’il cherchait à vivre sans argent, en utilisant des coquillages.

Énorme album que ce Kolors paru en 1983. Il suffit d’un cut pour faire la légende d’un album et dans le cas de Kolors, il s’agit de « Funk Jam » qui se niche en fin de B. On a le gros son et un délicieux groove de basse. Mais attention, d’autres cuts réveillent les bas instincts, comme ce « Bad Bad Feeling » qui renoue avec le boogie-blues bien buté de Fleetwood Mac. Pour Peter Pan, c’est l’idéal d’autant qu’on l’épaule solidement. Il prend un fantastique solo et le gorge d’énergie pénultième. Puis il revient à ce groove mambique dont il s’est fait une spécialité avec « Big Boy Now » et raconte son éducation. On retrouve le grand Peter Pan. Avec « Bandit », il s’amuse avec le folklore des falaises du Grand Canyon, des cactus et de l’aigle dans le ciel. Mais c’est la B qui emporte la victoire, avec des cuts imparables comme « Same Old Blues », véritable festival de claqué de notes aristocratiques. On reconnaît son style immédiatement. De toute évidence, ce mec est hanté par l’esprit du blues. Il craque son solo comme on craque une allumette. Bien vu. Autre merveille : « Liquor And You », doté d’un solo classique au son unique et des notes qui tirent vers l’infini. On a là le pur jus greenien. La précision dans la pureté, c’est ainsi qu’on pourrait définir son style. Avec « Gotta Do It With Me », il propose un joli groove surligné aux phrasés magiques. Encore une fois, on a là un cut de bonne tenue - c’mon babe - Peter Pan suit chacun de ses cuts attentivement et tisse son fil d’Ariane qu’il enlumine à l’infini. C’est ainsi qu’on le voit filer vers des horizons incendiés.

Curieusement, Peter Pan enregistre A Case For The Blues en 1985 avec Vincent Crane. Il attaque le disque avec le vieux loup blanc de Mr Wonderful, « Dust My Blues », mais sans la niaque d’antan. Avec « Once More Night Without You », il décore son blues traîne-savates de notes lumineuses. Puis Vincent Crane fait son joli numéro de cirque avec un « Crane’s Train Boogie » et ils enchaînent avec le meilleur boogie d’Angleterre, « Boogie All The Way », musculeux et sourd, bien serré dans sa coque - We’re gonna boogie ! - On peut leur faire confiance. Mais les autres morceaux n’éveillent pas l’intérêt. Vincent Crane joue ses petits grooves passe-partout et Peter Pan y pose trois ou quatre notes à la volée. Il faut attendre « Who’s That Knocking » pour retrouver un vrai cut hypnotico, le hit de l’album, pour sûr. On voit encore le génie de Peter Pan briller faiblement dans le brouillard. Vincent Crane y joue une sacrée partie de piano, renouant ainsi avec la belle tradition d’Atomic Rooster et un goût prononcé pour l’hypno.

Peter Pan disparaît pendant douze ans. Puis il revient avec un groupe baptisé Splinter Group et un album du même nom. C’est un peu le début d’une nouvelle carrière. Un graphiste lui dessine un beau symbole cabalistique pour la pochette. Cet album a des faux airs de retour de convalescence, car Peter Pan revient à ses vieux classiques, comme ce vieux coucou de Freddy King, « The Stumble » qu’il jouait jadis sur le meilleur album des Bluebreakers, A Hard Road, oui Caen 1968 et une vie pleine d’espoirs révolutionnaires. Peter le rejoue à la perfe, c’est un cut béni des dieux, un instro juteux et vivace. Quel shoot de nostalgia carbonara ! Il joue aussi une fantastique reprise de « Going Down », le vieux classique de Don Nix, et il rivalise d’ardeur avec Jeff Beck qui en fit jadis la version définitive. Peter Pan fait rugir sa guitare, mas il n’a pas les coups de Beck. Il descend néanmoins dans les tréfonds du solo. Par contre, il rate sa reprise du vieux « Help Me » de Sonny Boy Williamson rendu célèbre par Alvin Lee sur le premier album des Ten Years After. Il redevient prévisible avec le « Look On Yonder Wall » d’Elmore James, mais c’est du bon son accueilli à bras ouverts. « Entre donc ! », comme on dit à un copain prévisible. Il tape aussi dans le « Watch Your Step » de Bobby Parker mais sans s’énerver. Il transforme cette bombe en petit groove copain copain. On n’échappe pas aux reprises de Robert Johnson. Il sort un « From 4 Till Late » très beau, incroyablement mélodique et il revient à Otis avec « It Takes Time ». C’est le Rush qu’il préfère. Peter Pan revient toujours à ce blues passe-partout. Mais ce n’est pas à nous de lui dire ce qu’il doit faire. Peter Pan est un grand garçon. Il a fait le tour du blues depuis des lustres, inutile de vouloir lui donner des conseils, ce serait perdre son temps.

Paraît dans la foulée le double album Soho Sessions, toujours avec le Splinter Group. Il retape dans tous ses vieux succès, comme « It Takes Time », « Black Magic Woman », « The Supernatural » et le vieux heavy blues de serpent à sonnettes, « Rattlesnake Shake ». On n’échappe pas à « Albatross » qui sonne toujours comme un coup de génie. On trouve aussi sur le premier disque une version envoûtante de « Hey Mama Keep Your Big Mouth Shut » et un « Shake Your Hips » de Slim Harpo bien torché. Sur le disk 2, il gratte le « Traveling Riverside Blues » à l’ongle sec et fait claquer de sacrées notes. On retrouve la touche unique de Peter Pan dans l’intro de « Steady Rollin’ Man ». On le sent fasciné par le toucher du blues. Il joue comme une libellule. Peter Pan est sans doute le guitariste le plus fin d’Angleterre, le magicien du jardin d’Alice. Version terrible de « Terraplane Blues », montée sur un gros beat de bass/drum qui embarque notre Peter au paradis. Ce disque est franchement passionnant, tous les morceaux ont du relief. Il faut entendre ce « Last Fair Deal Gone Down » bien musclé. Le public tape des mains. C’est du gospel à l’Anglaise et ça continue avec « If I Had Possession Over Judgement Day ». Peter tape Robert au gospel batch. Tout le monde y va de bon cœur. Incroyable mais vrai ! Ça vaut tous le gospel batch de Ferryday et de Shreveport. On reste dans la meilleure des spiritualités avec « Green Manalishi ». Peter y parle des street angels. Il les a vus. Il revient à ses vieux rêves de rock blues évanescent, alors ça décolle. Il retrouve sa voix et passe un solo complètement liquidifié. On trouve des choses extraordinaires sur ce disk 2. Et pouf, il enchaîne avec « Goin’ Down » et roule ses notes. Il chante à la douceur du groove, pas du tout comme Pete Trench qui le chantait au guttural, dans le Jeff Beck Group. Peter ne s’intéresse qu’au feeling. On retrouve là cet immense cavaleur de manche doux qu’est Peter Green. Il passe un solo de classe impérieuse, on sent le doigté pur, l’onctueux du British Blues. On croyait l’affaire classée, eh bien pas du tout ! Peter Green joue comme au bon vieux temps et avec de belles montées d’adrénaline. Il explose son « Goin’ Down », il devient même féroce et acariâtre, il descend ses notes comme des otages. Version fantastique ! S’ensuit la version de « Help Me » qui sonne comme un retour à Londres en 1968, avec ses coups d’harmo et son nappé d’orgue. Peter prend ça à la voix blanche - You got to help me Lord - Il joue le jeu, mais ne lève pas de tempête, il reste dans le softy softah, Peter préfère vivre ça de l’intérieur. Pas de grain de folie, Peter la joue pépère. Un bon conseil : ne perdez jamais de vue Peter Green. C’est un seigneur du blues.

Deux beaux cuts guettent l’amateur de beaux cuts sur Destiny Road. « Turn Your Love Away » approche de la vérité du son, par sa profondeur. Peter Pan le chante sous un certain boisseau cosmique. Il mène son cut par le bout du nez. Avec « Hiding In Shadows », il cherche à retrouver la voie d’Albatross. Pas de problème, il sait se montrer inspiré. Il sait s’évader et grimper dans la stratosphère. Il joue tout au feeling. C’est un maître rêveur, comme J. Mascis. On trouve d’autres cuts attirants sur cet album, comme par exemple « Big Change Is Gonna Come » qui ouvre le bal, mais ce boogie flirte un peu trop avec le rock FM. C’est trop produit et ça rappelle les disques putassiers de Clapton, cousus de fil blanc. Peter revient cependant au blues avec « You’ll Be Sorry Some Day», qui sonne comme « Someday After A While » - I must be a fool/ To take it from you - Rien de pire que de souffrir à cause d’une femme - You don’t love me no more/ And I guess it’s a shame - Peter Pan exprime bien la douleur. Il se réveille un peu plus loin avec l’excellent « Madison Blues » allumé aux Yeah Yeah et saxé à outrance.

On trouve une fabuleuse version de « Matted Milk » sur l’album Hot Foot Powder - Matted Milk keeps rushin’ to my head - Peter le gratte à la corde vibrante. Buddy Guy vient rôder sur « Cross Road Blues » et Peter chante « Come On In My Kitchen » de l’intérieur du menton, comme un homme qui aime le blues à la folie. On a un très beau son sur ce disque. Dès l’ouverture avec « I’m A Steady Rollin’ Man », on tombe sous le charme. En effet, Peter ramène sa fraise fêlée sur ce boogie d’ambiance sourde. Il chante aussi « From Four Until Late » en laid-back de rocking chair et au feeling de backing-room de rhum. Voilà ce qu’il faut bien appeler du swing de bonne humeur. Dr John rôde dans les parages et c’est tant mieux. Autre invité de marque : Hubert Sumlin sur « Dead Shrimp Blues ». On tombe dans le ragtime de Kansas City avec « (They’re) Red Hot ». Peter adore le son de la vieille école. Dr John joue dans les coins du cut et amène la petite touche saloon. On tombe plus loin sur un fantastique heavy blues, « Hell Hound On My Trail » - Blues falling down my key - On sent le poids de la stand-up. Plus loin, Peter s’adonne à son jeu favori, le laid-back, sur « Drunken Hearted Man » - I’m a poor drunken hearted man - la chanson du clochard céleste abandonné de Dieu.

Time Traders paraît en 2001 et Peter l’attaque avec un joli coup d’« Until The Well Runs Dry ». Notre héros est toujours vert et il passe un fabuleux brouet de jazz blues. C’est tout simplement stupéfiant de profondeur et de cohésion. Le vieux Peter vise le groove maximum et ça sonne. D’autant que c’est très orchestré et soutenu aux chœurs de filles. Il enchaîne avec un « Real World » brûlant d’aise. Il enfile les morceaux qui sont tous de bonne facture, il chante au timbre fêlé, mais on finit par s’ennuyer car ça sonne parfois comme du Clapton. Il revient au blues du désert avec « Shadow On My Door ». Bien sûr, Peter se fout du désert, il recherche l’effet panoramique en chantant sur ses phrasés de guitare. Il a vraiment quelque chose de spécial. Mais petit à petit on perd de vue la sensiblerie qui le caractérisait. Il bascule dans le boogie rock FM. La magie disparaît complètement. Il revient au heavy blues avec « Feeling Good », mais on ne voit point paraître l’albatros à l’horizon. « Time Keeps Slipping Away » sauve un peu l’album, grâce à son tempo de rocking blues bien énervé et le hit du disque se trouve vers la fin : « Underway ». Peter Green retrouve un ton mélodique digne d’Albatross.

Me And The Devil se présente comme un petit coffret trois disques dédié à Robert Johnson. Le disk 1 qui donne son titre au coffret se distingue par deux cuts : « Milkcow’s Calf Blues » et « Come On In My Kitchen ». Milkcow est une pur blues de stomp, Peter y pousse des ouh-ouh de bonne augure. Il chante Kitchen de l’intérieur du menton, c’est très fin. On a là du pur Peter Green. Il est capable de finasser jusqu’à la fin des temps. Les autres cuts de l’album restent dans la veine délicate, dans le tasty qui le caractérise si bien, comme par exemple l’admirable « Little Queen Of Spades », softy blues de classe supérieure. Le disk 2 s’intitule The Robert Johnson Songbook. Il prend « 32-20 Blues » au boogie de Kansas City. Version étonnante car pleine de son. La section rythmique est une vraie merveille. Peter prend « Phonograph Blues » à la voix blanche. Il chante ça avec toute l’intériorité dont il est capable. Et c’est relayé au groove de basse magique. Quelle incroyable transformation ! On a l’impression d’entendre jouer un groupe fantôme qui rôde dans le move. On trouve à la suite une fantastique version de « Last Fair Deal Gone Down », embarquée au train d’enfer du gospel batch. Dans « Walkin’ Blues », Peter appelle the Lord à l’aide. Par contre, avec « Me And The Devil Blues », il rend hommage au diable. Il chante ça à la glotte tremblante et fait des woooh de rêve. Il adore son vieux devil. Il lui voue son âme. Et bien sûr, les classiques originaux de Robert Johnson figurent sur le disk 3.

On trouve deux merveilles sur Blues Don’t Change paru en 2001. À commencer par « Honey Bee » que Peter chante au yodell du delta - Sail on little honey bee/ Sail on - Il chante à l’intimisme et renoue avec sa légende. L’autre merveille, c’est le « Crawling King Snake » de fermeture. Peter joue Hooky sous le boisseau, en traître, à l’insidieuse. Quelle fabuleuse version fourbasse grattée à l’ongle sec ! Plus rien à voir avec le belle version des Doors. On trouve d’autres belles choses sur cet album comme par exemple « When It All Comes Down » - My favourite song, murmure-t-il. Il chante ça d’une voix à l’abandon et il part au petit solo pur de notes claires, mais il le joue en pointillé. Il traite « Little Red Rooster » au heavy blues du British Blues et retrouve sa bonne vieille voix de traîne pour « Help Me Through The Day ». C’est un passionné, on le sent bien, sa voix ne trompe pas. Il fait aussi une belle version du « Honest I Do » de Jimmy Reed, montée sur un groove respectueux des origines. Et dans le morceau titre, il place l’un de ces solos lumineux dont il a le secret.

Dernier album en date du Splinter Group : Reaching The Cold. Attention c’est encore un gros disque, notamment pour ce « Don’t Walk Away » digne de la grande époque de Peter Green. C’est à fois puissant et sensible - I miss your smile in the morning - magnifique balladif - Your sounds will surround me/ Your whiter shade of pale - Et il prend un fantastique solo crépusculaire. Les vieux artistes légendaires finissent par sortir des disques bourrés de cuts complètement fascinants comme ce « Spiritual Thief  », chanté au laid-back de traîne-savate, apothéose du National sound - There’s a spiritual thief in this house / Somewhere - Autre merveille : « Can You Tell Me Why », boogie supérieur et même énorme, avec de fabuleux retours de National. Quel son ! Encore du heavy blues avec « Must Be A Fool ». Lorsque Peter part en solo, il semble partir dans le cosmos. Et dans les bonus, on retrouve une version magistrale de « Black Magic Woman », pleine de son, gonflée à bloc.

En 1995 arriva chez les marchands une curieuse compile, Peter Green Songbook. Des gens divers et variés interprétaient des compos de Peter Pan. Ça démarre plutôt mal, car « Oh Well » est massacré par des gens qui n’ont même pas eu la présence d’esprit de réfléchir à ce qui faisait la spécificité d’un guitariste comme Peter Green. On a même des versions atroces qui sont d’une rare vulgarité. Il faut attendre l’arrivée de Mick Abrahams et sa version de « The Same Way » pour que les choses reprennent du sens. Mick Abrahams est le grand guitariste oublié du British Blues. Il fut pendant peu de temps le guitariste de Jethro Tull avant de devenir l’âme de Blodwyn Pig. Il fait une version éclatante du classique de Peter Pan. Il va être le seul sur cette compile à savoir se montrer digne de l’enjeu. Sur « Albatross », Paul Jones et ses amis font une approche honorable. Il faut dire aussi que l’original est si parfait que ça devient compliqué d’en faire une resucée. L’honneur de la petite réussite revient à Zoot Money qui fait une version groovy de « Watcha Gonna Do » étonnante de qualité. Avec Zoot, Peter Pan est entre de bonnes mains. On sent que Zoot chante avec vénération.

Si on admire Peter Green, le mieux est d’investir dans le petit coffret quatre disques paru chez Salvo en 2008 : The Anthology. C’est du super concentré de tomate. Tout y est, l’époque Bluesbreakers avec « The Stumble » et « The Supernatural » où on assiste au grand départ de Peter dans l’instro voyageur. C’est l’absolu du décollage, un véritable départ pour le diable vauvert. Voilà l’une des pièces instrumentales les plus parfaites de l’histoire de la musicologie, et on la doit à un génie sensible nommé Peter Green. Quel superbe inventeur ! Il joue sur canapé dans le salon des dieux. C’est quelque chose de très spécial qui va bien au-delà des conjonctures abdominales. Peter Green évoluait alors dans un monde différent du nôtre, il échappait même à l’hagiographie et ces porcs du music-business ne s’en sont même pas aperçu. On trouve aussi « Greeny » joué à l’entourloupe, par en dessous. Peter fut certainement le guitariste le plus liquide de son temps. D’autres épouvantables merveilles comme « No Place To Go » (sacrément vachard) et « You Don’t Love Me » (swingué jusqu’à l’os) nous renvoient au temps béni du British Blues. Et puis on traverse l’époque Fleetwood Mac avec de fabuleux boogie-blues comme « Long Gray Mare » et « Stop Messin’ Around ». On retrouve la chaude atmosphère swinguée de Mr Wonderful, l’un des grands albums du siècle passé, doté d’un son ultime. C’est du pur jus de Peter, du vrai Peter d’enfer. On réécoute aussi avec émotion ce fantastique « Lazy Poker Blues » et son solo dément. Sur le disk 2, Peter se calme. Il s’adonne à la découverte des grands espaces et nous embarque dans « Albatross ». C’est là qu’il réside, dans le néant. Il accompagne Otis Spann sur « Ain’t Nobody Business ». Otis s’arrache la glotte et Peter reste placide et tactile. Il devient en quelque sorte le lézard d’Angleterre. Il part doucement en solo. Voilà son truc : partir. Il n’y a que ça qui l’intéresse. Sur « Someday Baby », Otis chante comme un diable. Pour « Watch Out », ils sont chez Chess. Peter n’a aucun problème, car il a des antécédents dans le blues. Il claque son solo à la note haute et pince ses cordes comme un amateur de fesses. On a là une fantastique atmosphère : les Anglais débarquent à Chicago. Ils s’appliquent, c’est vrai, sauf Peter qui joue comme il joue, avec tout le panache des slums du slam. Toujours avec Fleetwood Mac : « Need Your Love So Bad », cette belle dégelée de heavy blues coulée dans le moule du non-retour. On trouve ensuite quelques morceaux de l’album enregistré avec Peter Bardens, comme ce « Don’t Goof With The Spook » joué aux percus, dans l’effarance d’un dos rond sur lequel Peter fait rouler quelques notes aériennes. Il boucle ce disk 2 avec « Oh Well Part 1 & Part 2 ». Belle éclosion de lignes de violence contiguë, notes spongieuses et énorme dynamique. Peter Green ne fait jamais rien au hasard.

Pas mal de bonnes choses sur le disk 3, comme ce « Before The Beginning » intronisé à l’Oh Well. Peter tire sur ses vieilles cordes. « Underway » relève du planning familial. On y gratte des notes dans le cosmos orangé des pochettes d’époque. Peter Green sait encore créer des atmosphères extraordinaires, comme celles de Croz, d’ailleurs. Ils se retrouvent dans le delta du Mekong, avec le même état d’esprit, le même goût pour la liberté. Puis il revient au heavy blues avec le fameux « Rattlesnake Shake » - Do the shake - ça claque des mains à mi-chemin. Ce coffret est une belle occasion de revisiter toutes les facettes du génie de Peter Green. On retombe aussi sur « White Sky », une fantastique embarquée du beat cinglé des grandes écartelades - Love that evil woman - Il joue ça à l’arpège lumineux down by the river - c’est terrifiant de tenue. Dans « The Green Manalishi », on sent la prescience de la grosse compo et les derniers vestiges de l’Occident. Avec « In The Skies », il embarque son monde avec des percus. C’est un groove imparable. On retrouve du gros solo dans « Watcha Gonna Do », belle pièce intermédiaire. On le sent vaguement pétri de génie. Mais son truc, c’est le paradis, comme on le voit avec « Carry My Love ». Il revient à la barre avec « Corners Of My Mind ». Ce coffret est si bien foutu qu’on ne s’ennuie pas un seul instant. Il faut vraiment partir du principe que des mecs comme Peter Green ne laissent aucune chance au hasard. On arrive au disk 4. Il joue « I’m A Steady Rollin Man » avec Otis Rush. Peter monte au boogie blues. C’est toujours Otis Rush qui crache au bassinet pour « Don’t Walk Away » et Peter s’enfonce dans la puissance ténébreuse d’une proximité fatale. Dr John vient donner un coup de main sur « From Four Until Late », un fantastique heavy blues des bas-fonds de la légende. On est dans l’absolu. Peter reste dans le heavy blues avec « I’m Ready For You ». On l’entend jouer seul « Me And The Devil Blues » et on voit bien qu’il est possédé. Il joue ensuite « Cross Road Blues » avec Buddy Guy, et c’est pulsé par Buddy le killer. Puis c’est Hubert Sumlin qui ramène sa fraise dans « Dead Shrimp Blues », élégant et bien mis. Il partage ensuite le micro avec Joe Louis Walker pour « Travelling Riverside Blues ». Peter vieillit bien. « Time Keeps Slipping Away » vaut tout l’or du monde. Il a du feeling plein la voix. Il continue de s’accrocher à la muraille avec « Look Out For Yourself ». Pour Peter, il n’est pas question de baisser les bras.

Il figurait parmi les artistes les plus accomplis de l’histoire du rock anglais.

Signé : Cazengler, pépère gris

Peter Green. Disparu le 25 juillet 2020

Fleetwood Mac. Peter Green’s Fleetwood Mac. Blue Horizon 1968

Fleetwood Mac. Mr Wonderful. Blue Horizon 1968

Fleetwood Mac. Then Play On. Reprise Records 1969

Peter Green. The End Of The Game. Reprise Records 1970

Peter Green. In The Skies. PVK Records 1979

Peter Green. Little Dreamer. Creole Records 1980

Peter Green. Watcha Gonna Do ? Creole Records 1981

Peter Green. White Sky. PVK Records 1982

Peter Green. Kolors. Creole Records 1983

Peter Green. A Case For The Blues. Platinum 1985

Peter Green Splinter Group. Peter Green Splinter Group. Artisan Recordings 1997

Peter Green Splinter Group. The Robert Johnson Songbook. Artisan Recordings 1998

Peter Green Splinter Group. Soho Session. Artisan Recordings1998

Peter Green Splinter Group. Destiny Road. Artisan Recordings 1999

Peter Green Splinter Group. Hot Foot Powder Artisan Recordings 2000

Peter Green Splinter Group. Time Traders. Eagle Records 2001

Peter Green Splinter Group. Me and the Devil. Snapper Music 2001

Peter Green Splinter Group. Blues Don’t Change . Eagle Records 2001

Peter Green Splinter Group. Reaching the Cold. Eagle Records 2003

Peter Green Songbook. Viceroy Music 1995

Peter Green. The Anthology. Salvo 2008

Andrew Darlington. I Was Elvis Presley’s Bastard Love-child & Other Stories Of Rock’n’Roll Excess. Headpress 2001

 

Guralnick plus ultra

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Part One : Soul toujours

 

Mine de rien, Peter Guralnick écrit des bibles. L’une d’elles s’appelle Sweet Soul Music. Il y brasse toute l’histoire de la Southern Soul. Quand il parle de Southern Soul, il parle du triangle magique Memphis/Muscle Shoals/Macon et donc de Stax, James Brown, Fame et de tout ce qui gravite autour de cette sainte trinité. L’effarant de cette histoire est que Sweet Soul Music n’entre pas en concurrence avec la Stax Story de Robert Gordon. Sweet Soul Music ne fait que complémenter ardemment cet autre ouvrage biblique.

Avant de descendre dans le Deep South, Guralnick fait un crochet chez les Yankees. Il y dessine un autre triangle magique, celui de la genèse de la Soul, le triangle Sam Cooke/Ray Charles/Atlantic. Ce sont les pionniers, les inventeurs d’un genre musical qui va révolutionner le monde moderne, au moins autant que le firent les Beatles et les Stones. Sam Cooke et Ray Charles viennent du gospel, comme d’ailleurs Aretha et Solomon Burke, auxquels Guralnick consacre de gros versets bien dodus. Ce qui fait la singularité et l’exemplarité de la Soul, nous dit Guralnick, c’est qu’à l’origine, on n’y trouvait pas de blancs, à deux exceptions près : Wayne Cochran et les Righteous Brothers. C’est donc un phénomène mythico-culturel entièrement noir.

Selon Wexler, Sam Cooke fut le plus grand chanteur de tous les temps. Il essaya en vain de le signer sur Atlantic. Wexler dit de Cooke qu’il se servait de sa voix comme d’un instrument et personne ne pouvait chanter comme lui - Everything about him was perfection. A perfect case - On ne pouvait que le comparer à Elvis, qui était lui aussi capable de transformer n’importe quelle chanson en hit planétaire. Live At The Copa est considéré comme l’un des albums les plus influents de tous les temps, au même titre que le premier Live At The Apollo de James Brown, celui qui date de 1963. Guralnick insiste beaucoup sur le rôle que joua le mentor de Sam Cooke, J.W. Alexander. Un Alexander qui fut dévasté par la fin tragique de son poulain. Il resta néanmoins dans le business en lançant Lou Rawls, en essayant ensuite de relancer les carrières de Little Richard et de Solomon Burke, puis en prenant sous son aile un petit prodige nommé Willie Hutch. Un autre point fondamental concernant Sam Cooke : autour de lui grouillaient des futures stars, que ce soit sur son label SAR ou dans les Soul Stirrers. Lou Rawls et Johnnie Taylor le remplacèrent dans les Soul Stirrers et sur SAR, on trouvaient les Valentinos, c’est-à-dire Bobby Womack - qui d’ailleurs épousa la veuve Cooke - N’oublions pas non plus que Guralnick est l’un des grands spécialistes de Sam Cooke : il lui consacre une bible intitulée Dream Boogie - The Triumph Of Sam Cooke. Avant de refermer le verset Cooke, il est bon de noter qu’Allen Klein fit gagner tellement de blé à Sam Cooke que Sam le remercia en lui proposant le job du manager.

Ouvrons à présent le verset Ray - Ray Charles. The legend. Black. Blind. A heroin addict for nearly two decades - Ray Charles fascine Guralnick au moins autant qu’il a fasciné Wexler. En tant que popular entertainer, Ray devint un héros de la communauté noire à un point jamais égalé, sauf peut-être par Louis Armstrong. Guralnick lui prête l’invention du gospel blues style, parfaite évocation du gospel batch, avec ses grognements, ses gémissements, les échos de langues inconnues, en un mot comme en cent, une joyeuse célébration de l’amour profane. Si Ray Charles quitte Atlantic, c’est parce qu’on lui fait le coup de la fameuse proposition qui ne se refuse pas. Guralnick évoque le fantasque Guitar Slim pour insinuer que Ray Charles s’en serait inspiré, lors d’une session à la Nouvelle Orleans, ce que réfute Ray. Il se trouvait là par hasard et acceptait à l’époque de jouer du piano en session pour ramasser du cash.

Plus pieux que jamais, Guralnick entreprend alors le verset Solomon Burke, l’un des plus explosifs de la genèse. Wexler, nous dit l’auteur, était à l’époque à l’affût d’unspoiled energy et d’eccentricity of expression, c’est-à-dire d’énergie primale et d’expressionnisme excentrique. Fin 1960, l’incarnation de sa quête se présenta à la porte de son bureau en la personne de Solomon Burke. Wexler le connaissait de réputation : depuis l’âge de 9 ans, the Wonder Boy Preacher écumait les congrégations. Wexler le vit comme une combinaison de Sam Cooke et de Ray Charles, dans ce qu’il pouvait avoir de plus funky. Solomon savait tout faire. Surtout se reproduire - I got lost on one of the Bible verses that said ‘Be fruitful and multiply’. I didn’t read no further - Père de 21 enfants, grand-père de 24. Fondé par sa grand-mère, the Solomon’s Temple, The House of God for All People, comptait 40.000 fidèles. Solomon pouvait chanter comme Elvis, grimper comme le plus pur des ténors et redescendre dans les barytons qui donnent le frisson. Entre 1961 et 1964, il a littéralement maintenu Atlantic à flot. Programmé à l’Apollo de Harlem, Solomon demanda à Frank Schiffman une concession de vente, sans rien préciser. Il l’obtint et vendit en plus du mersh habituel du popcorn, des boissons et des bonbons. Le patron de l’Apollo fut horrifié. Oui, Solomon faisait du business à sa façon, c’est-à-dire du business pataphysique. Mais il ne fut jamais reprogrammé à l’Apollo - J’ai voulu racheter l’Apollo pour en faire une église, mais ils n’ont même pas voulu me le vendre - Son business pataphysique allait loin : il racheta un hangard rempli de popcorn. Comment l’écouler ? Ça devint une obsession. Comme toutes les grandes histoires bibliques, celle-ci est entrée dans la légende. Apparemment, tous les gens du business new-yorkais ont bouffé du popcorn de Solomon. Il finit d’écouler son stock en distribuant des paquets de popcorn dans les rues. Partout où il se rendait, Solomon trouvait des trucs intéressants à faire, soit du business, soit réconforter des brebis égarées - et souvent les satisfaire (Guralnick n’est pas avare de sous-entendus croustillants) - Mais il recherchait principalement le contact - hommes, femmes, fans, freaks, quiconque avait une histoire à lui raconter - Solomon aurait pu naître en Galilée environ mille neuf cent quarante ans auparavant. C’est de ce genre d’homme hors du temps dont nous parle Guralnick.

Avec Rufus Thomas, Guralnick entame le verset Stax. Selon l’auteur, s’il en est un dans le business qui mérite d’être taxé de survivant, c’est Rufus, celui qui se surnommait the world’s oldest teenager, qui portait un costume de pingouin, qui débuta dans les fameux minstrel shows et qui expliqua aux Stones how to walk the dog. Quand on écoute les compiles Stax, les hits de Rufus et ceux de Sam & Dave sont vraiment ceux qui sautent à la gueule. Si on cherche du raw r&b, c’est là que ça se passe. Autre personnage clé de la saga Stax, Packy Axton, qui selon Dickinson fut one of the most transracial individuals I’ve ever met - toute l’histoire de Stax repose là-dessus : une poignée de rednecks qui non seulement n’étaient pas racistes, mais qui en plus vénéraient la musique noire. Le pauvre Packy allait créer des tentions entre sa mère Estelle qui le protégeait et son oncle Jim qui ne pouvait pas l’encadrer. On considérait généralement Packy comme un esprit libre, hipper than everybody else, qui réussit à transformer la boutique de disques de sa mère en ‘center for vice’ in South Memphis. Comme Dickinson, Isaac l’admirait, parce qu’il adorait les fêtes, mais c’était justement son talon d’Achille. Packy n’était pas très ponctuel et uncle Jim faisait appel à des gens plus fiables. Duck raconte qu’il était triste quand il voyait que Packy manquait dans le studio. Parmi les pères fondateurs du mythe Stax, Guralnick cite les noms de Steve Cropper, bien sûr, et celui d’un William Bell si injustement méconnu. Sans doute trop intellectuel. William Bell voulait devenir médecin. Comme Albert King, il fumait la pipe sur ses pochettes. Bell se distinguait des autres Soul Brothers par son élégance. Il devint Stax’s first real solo star, mais avec une désarmante modestie, nous dit Guralnick. Grâce à ses tournées en compagnie de gens du calibre de Solomon Burke, James Brown et Jerry Butler, il avait acquis a professional polish and education que personne d’autre chez Stax n’a pu égaler. Cette élégance de ton saute encore à la figure quand on ressort les albums de William Bell, comme d’ailleurs ceux de Clarence Reid ou de Freddie Scott.

Et puis voilà l’un des blancs légendaires de la Stax saga : Chips Moman, viré très tôt par Jim qui lui crache en pleine figure : «I’m fucking you out of it !». Chips va mettre des années à s’en relever. Steve et Chips ne s’estimaient pas beaucoup. Steve lui reprochait son goût pour le jeu - Chips would bet his grandma in a poker game - c’est pas gentil. Chips allait devenir pote avec Dan Penn, démarrer l’American Studio et enregistrer des hits à la chaîne, de Neil Diamond à Elvis en passant par tout le reste. Il réussit l’exploit de former un house-band équivalent à celui de Stax, avec Reggie Young et Tommy Cogbill. Guralnick insiste beaucoup sur l’amitié qui liait ces deux héros de la Southern Soul, Chips et Dan : ils étaient tellement in tune qu’ils n’avaient même plus besoin de parler pour communiquer. Chips le hustler avec ses tatouages de taulard (Memphis sur un bras et un gros cœur rouge sur l’autre) et Dan le redneck excentrique qui adorait s’habiller en country boy. Dan rappelle cependant qu’ils n’étaient jamais du même avis sur les enregistrements. Quand Dan conseillait un truc, Chips faisait le contraire.

Guralnick admire tellement Dan Penn qu’il en fait the secret hero of this book. À 16 ans, Dan Penn débarque chez Rick Hall. Il chante déjà comme Ray Charles et bluffe tout le monde - He was the real thing - s’exclame Rick Hall qui ajoute : «Il en savait plus sur la musique noire que nous tous ici réunis.» Quand adolescent Dan découvre Ray Charles et Bobby Blue Bland à la radio, il devient dingue de cette musique. Et comme il vit à la campagne en Alabama, il ne peut pas acheter les disques car il n’existe pas d’endroit où les acheter. Alors il devient Bobby Blue Penn. À l’école, on l’appelle Emmett the Singing Ranger, parce qu’il était the guy with the guitar. Et Dan Penn va très loin dans sa foi en la Soul : «Je ne connaissais rien avant de découvrir la musique noire. Je n’aurais jamais rien appris dans ma vie si j’avais passé mon temps à écouter des chanteurs blancs.» Selon Guralnick, Dan Penn vivait, respirait, mangeait, rêvait et buvait de la musique noire. Il en était obsédé. Comme Chips. D’ailleurs, il rencontre Chips juste avant la première session de Wilson Pickett chez Rick Hall, au studio Fame. Ça clique immédiatement entre eux. On les prend même pour des frères. Ils composent ensemble et ça donne «Dark End Of The Street», qui va devenir un hit pour James Carr, ou encore «Do Right Woman, Do Right Man» pour Aretha. Rick Hall surnomme Dan the white Ray Charles et enregistre des sessions restées inédites. Quand Dan part s’installer à Memphis en 1966 avec Chips, c’est principalement pour échapper à la tyrannie de Rick Hall, dont Wexler dit aussi le plus grand mal : «He treated his musicians like shit !»

Ça chauffe dans le verset Stax. La foi de Peter Guralnick s’y embrase. Stax fut au départ une vraie famille, avec Jim dans le rôle du père austère et fier, Estelle la mère poule, Steve et Packy, le bon et le mauvais fils, et quand la Revue Stax débarqua en Europe, les journalistes titraient : «The rave show to end them All.» En effet, qui pouvait rivaliser avec Sam & Dave ? Oui, tout ce raw sound, Stax le devait en grande partie à Steve Cropper et Isaac Hayes. Guralnick estime qu’Otis était trop country, que William Bell était trop contrôlé pour le marché pop, mais Sam & Dave le bouffèrent tout cru. Joe McEwen déclarait : «The Sam & Dave Revue was an awsome, well-oiled machine that virtually defined the ‘60s staging concept of soul.» Oui, la Soul sur scène, c’était Sam & Dave. Otis était furieux après eux, car il se retrouvait en tête d’affiche et devait passer après ces deux dingos - Those motherfuckers are killing me ! They’re killing me, I’m going as fast as I can but they’re still killing me. Goddam ! - Et puis quand Al Bell prit les rênes, Stax se mit à grossir comme la crapaud qui voulait ressembler à un bœuf. On connaît la fin de l’histoire. Au passage, Estelle, Steve et Packy furent recrachés comme des noyaux. Pour le détail de cette tragédie, il est nécessaire de lire le Stax story de Robert Gordon.

Guralnick entame alors un nouveau verset : Muscle Shoals. Qui dit Muscle Shoals dit Rick Hall. Guralnick le voit plus comme un personnage très controversé que comme un héros. Ni le docu qui lui est consacré ni bien sûr l’autobiographie qu’il nous laisse ne font référence à son despotisme. À côté d’un Rick Hall déterminé coûte que coûte à réussir, grenouille un trio qui privilégie la liberté d’esprit : Dan Penn et ses amis Spooner Oldham et Donnie Fritts. Ils se considèrent d’ailleurs comme a bunch of niggers. Guralnick parle aussi des drogues - de vastes quantités de drogues - Pour ces trois-là, les trips sont aussi importants que les chansons - Behind every great song is a great pill, dit-on - et selon l’auteur, the Muscle Shoals element undoubtedly tried them all. Ils se développent sur une période de trois ans, de 1963 à 1965, they were young, they were crazy, they were all mad about rhythm & blues. Comme le rappelle Dan Penn, pour eux, il s’agissait avant tout d’une croisade. Guralnick revient aussi sur l’affaire du fameux house-band de Rick Hall, qui, après le house-band de Stax, fit tant baver Wexler. Quand eut lieu l’incident de la session Aretha Franklin, et donc le pugilat entre Rick Hall et Ted White, la mari d’Aretha, Wexler coupa les ponts avec Rick Hall, auquel il avait interdit d’intervenir. Mais les rednecks ne reçoivent d’ordre de personne, surtout pas d’un Yankee. On croit généralement que Wexler se vengea en soudoyant le house-band de Fame et en l’installant à l’autre bout de la ville pour mettre Rick Hall sur la paille. C’est beaucoup plus complexe que ça, nous dit Guralnick. En réalité, Jimmy Johnson, David Hood et Roger Hawkins se plaignaient d’être très mal payés par le boss Hall. Ils voulaient de toute façon le quitter et Wexler vint à leur aide, en finançant leur installation. Ce vieux singe transforma ses représailles en bonne action. Ce house-band devint les Swampers. Wexler leur envoya dans la foulée un gros paquet d’artistes signés sur Atlantic. Le Swampers dépendaient à 100% de tonton Wexler. Et quand tonton Wexler vendit Atlantic et qu’il alla s’installer à Miami pour y mener la vie de rentier au soleil dont il avait toujours rêvé, il voulut faire venir les Swampers. Ceux-ci refusèrent. Alors Wexler leur coupa les vivres, ce qui faillit les détruire. Wexler proposa le job à Dickinson et aux Dixie Flyers qui vinrent s’installer à Miami. Ils ne tinrent que six mois. They did everything in the drugstore, croasse Wexler.

S’il est une existence qui donne une dimension tragique à cette bible, c’est bien celle de Rick Hall, qui perdit sa femme dans un accident de voiture (il conduisait) puis qui fut viré par ses deux associés parce qu’ils travaillait trop. Rick Hall était un sauvage, il avait grandi dans les bois d’Alabama. Ambiance Délivrance. On lui reprochait essentiellement son manque de diplomatie et sa trop forte personnalité. Pas étonnant que la fréquentation d’un Wexler tout aussi colérique ait fait des étincelles. De toute façon, le ressentiment des rednecks envers les Yankees existe encore. Rick Hall voyait Wexler comme un exploiteur - a carpetbagger - attiré par une scène en plein développement - Wexler came on the cream - Ça ne pouvait que mal se terminer, Rick Hall étant un perfectionniste et Wexler un homme pressé. Wexler : «Le problème avec Rick est qu’il est trop autoritaire dans le studio.» Pour beaucoup, Rick Hall était l’oppresseur et Wexler l’ange de la délivrance. Apparemment, chaque historiographe propose sa version des faits.

Deux autres personnages clés de toute cette époque restent indéfectiblement attachés à Muscle Shoals : Percy Sledge et Wilson Pickett. Le succès dégommera le pauvre Percy, l’envoyant se remettre dans l’hôpital où il travaillait avant de devenir chanteur. Par la suite, il deviendra une star en Afrique du Sud, mais son protecteur/découvreur Quin Ivy ne parviendra jamais à en faire un Otis ou un James Brown aux États-Unis. Quant à Wilson Pickett, c’est une autre paire de manches. Wexler l’envoya chez Rick Hall, et voyant arriver Hall à l’aéroport de Muscle Shoals, Wilson le prit pour un shérif qui le recherchait. En plus, par les hublots de l’avion, Wilson avait vu des nègres cueillir le coton dans les champs. Il n’en revenait pas. Oui, ça existait encore ! Pas question de descendre de l’avion. Mais the big guy Rick Hall vient le déloger : «Fuck that. Come on Pickett, let’s go make some fucking hit records !» Wilson ajoute : «Je ne savais pas que Rick Hall était blanc.»

Après les versets Stax et Solomon, le verset James Brown bat de nouveaux records d’explosivité spirituelle. Ça consubstansue à tous les coins de pages. Guralnick en fait la plus grande star de tous les temps : «Le fait que Brown soit parvenu à s’inscrire dans le temps reste un mystère, comme ça l’était déjà en 1964 et 1965 quand «Out Of Sight» et «Papa’s Got A Brand New Bag» explosèrent avec ces nouvelles conceptions du rythme qu’il avait inventées. Peut-être n’y a-t-il pas d’explication. Peut-être est-ce tout simplement ce que James Brown disait souvent lui-même : qu’il était un être rare, un pur original, un homme qui avait créé sa propre légende, un capitaliste noir, qui comme dans bien d’autres histoires de réussite, avait créé ses règles au fur et à mesure.» Comme Chuck, James fait un séjour au ballon des rednecks, puis il hésite entre une carrière de sportif et la scène. Mais une fois qu’il prend la décision de devenir chanteur, il s’y tient. Guralnick indique qu’un certain Ben Bart l’aide à devenir James Brown, celui que le monde connaît. Le destin de James Brown est aussi lié à celui du boss de King, Syd Nathan qui était déjà dans le business avant l’arrivée du rock’n’roll. Il est l’un des ces pionniers du disque qui selon Wexler ‘got the job done’. Nathan est producteur par défaut, il paye les gens et les factures. Il signe James Brown et le destine au marché du mainstream r&b où Hank Ballard & the Midnighters, Little Willie John, les Five Royales, Billy Ward & the Dominoes lui rapportent déjà pas mal de blé. Mais James voit les choses autrement. Quand Syd Nathan refuse de financer un album Live, James et Ben Bart se cotisent, rassemblent 6 000 $ et enregistrent un show à l’Apollo en 1962. C’est l’un des albums les plus révolutionnaires de l’histoire de la Soul - C’est une performance exceptionnelle, qui doit être le plus grand album d’apocalyptic nongospel jamais enregistré - Personne n’aurait pu arrêter James Brown. Après ce coup-là, Syd Nathan va lui foutre une paix royale et ne plus se mêler de ses affaires. D’ailleurs, James finit par quitter King, en se moquant éperdument des conséquences contractuelles. Il se déclare homme libre et signe sur Smash à Chicago. Dans la communauté noire, il prend la succession de Ray Charles et devient l’entertainer le plus populaire d’Amérique. Il ne connaît pas d’autre limite que celle de son ambition - My source is undying dedication - et ils ajoute : «Parfois, je regarde le chemin parcouru et je m’émerveille de voir qu’un homme puisse accomplir tout ce que j’ai accompli.» Guralnick s’amuse bien dans ce verset : il fait l’apologie d’un 45 tours, «Oh Baby Don’t You Weep», et des excursions de James dans le pur gospel batch et il ajoute : «Retournez le disque si vous voulez entendre le futur.» Le futur s’appelle «Out Of Sight». C’est là que tout change. James Brown va laisser tomber les changements d’accords, ne travailler que sur le rythme, et donc faire remonter les racines africaines. Selon Robert Palmer, les éléments rythmiques deviennent la chanson. James transforme les voix et les instruments en tambours. C’est là que James Brown entreprend de restituer sa fierté au peuple noir. Au fameux TAMI Show, il vole la vedette à tous les autres, les Stones, les Beach Boys, Marvin Gaye, Chuck et les Supremes. Guralnick rappelle que James Brown was so hot qu’il fut interdit à Boston. Il devenait mythique. Comme dans les églises où on chantait le gospel, en présence de James Brown, les hommes tombaient dans les pommes et les femmes pleuraient.

Pauvre Guralnick. Entamer un nouveau verset après le verset James Brown fut sans doute l’éprouve la plus difficile de son œuvre. Comment réussir à maintenir l’intérêt spirituel du lecteur après un séjour prolongé dans le buisson ardent ? Le verset Joe Tex fonctionne comme un douche froide, de Dieu sait si Joe Tex tient bien la route, sur ses albums. Comme Guralnick sait qu’il ne peut pas s’épancher aussi fiévreusement sur la musique de Joe Tex que sur celle de James Brown, il crée de l’intérêt par la bande, en expliquant tout simplement que la seule ambition de Joe Tex était de construire une maison pour sa mère et sa grand-mère. La célébrité ne l’intéressait pas. La grande force de ce Soul Brother est sa modestie à toute épreuve. Il invente par hasard un jeu avec le pied de micro consistant à le faire tomber pour le récupérer de la pointe du pied. Dès lors, les gens se foutent des chansons et veulent voir le stage trick - C’est devenu un trademark. Partout où j’allais, ils ne voulaient pas entendre this hoarse voice of mine, ils gueulaient ‘Work that mike ! Work that mike !’ - Guralnick doit recourir aux comparaisons pour situer Joe Tex à l’âge d’or de la Soul : «Là où James Brown s’épuisait à vouloir être the hardest working man in show business soir après soir, là où on attendait de Solomon qu’il crée chaque soir the spiritual catharsis, Joe Tex s’efforçait de rester tel qu’il était, veillant à offrir un bon spectacle à son public, blanc comme noir, dans la joie et la bonne humeur, dansant un peu et jouant avec son pied de micro.» Guralnick ajoute que Joe Tex vendit énormément de disques, moins que James Brown, c’est vrai. Joe Tex est resté un Soul Brother sous-estimé, sans doute était-il trop sérieux, trop sincère - Material things have never been what I was looking for - Son désintéressement est un modèle du genre. Sans doute est-ce ce qui le rend si attachant. Il est certain que ce profond désintéressement l’a sauvé, corps et âme. En 1968, il se convertit à l’Islam, comme Cassius Clay et Malcolm X - Je recherchais autre chose que ce que le Christianisme pouvait offrir. Pour le dire autrement : je me posais beaucoup de questions auxquelles je ne trouvais pas de réponse - Il se met au service du fameux Elijah Muhammad et s’en va prêcher dans les mosquées d’Amérique. On applaudit Guralnick, car le verset Joe Tex bat tous les records de spiritualité. Les choses ne sont jamais celles qu’on croit.

En réalité, le verset Joe Tex se verse dans un verset beaucoup plus dodu, celui du Soul Clan, un épisode qui relève du mythe. Le Soul Clan rassemblait Ben E. King, Solomon, Joe Tex, Wilson Pickett et Don Covay. C’est un peu l’équivalent du Million Dollar Quartet (Elvis/Cash/Jerry Lee/Carl Perkins), mais en black. Pour Guralnick, c’est l’occasion rêvée d’évoquer Don Covay que Wilson Pickett traitait de worst entertainer - On le payait pour qu’il quitte la scène - Avant de devenir le compositeur célèbre que l’on sait, Don fut le protégé de Little Richard qu’il rencontra en 1957, alors qu’il jouait en première partie. Parmi les grands hits de Don, on peut citer «Chain Of Fools» qu’Aretha propulsa en tête des charts.

Guralnick revient aux sources vives avec un verset Memphis, une ville qui, comme chacun sait depuis cinquante ans, grouille de gens talentueux. Guralnick dit d’ailleurs que les fleurons culturels de Memphis, Stax et Sun, sont considérés par les habitants de cette ville comme les emblèmes de l’indépendance d’esprit. Et Dickinson ajoute : «Memphis est une ville très laide, mais je l’adore. Le gens qui ont enregistré ici n’auraient jamais pu le faire ailleurs. Et s’ils sont venus ici, c’est à cause de la réputation de Memphis qui a toujours été la capitale des dingues.» Et pouf, Guralnick embraye directement sur Quinton Claunch, le boss d’un petit label devenu mythique chez les amateurs de bonne musique, Goldwax Records. Quand Claunch voit Jim Stewart et Rick Hall réussir dans le business du disque et s’en mettre plein les poches, il décide de se lancer et de monter un label. Il faut dire qu’à l’âge d’or de la Soul, tout est possible. Il suffit d’installer un studio, de trouver des chanteurs, des musiciens, des chansons et un distributeur. Enfantin. Claunch prend Stax comme modèle, mais il veut un son plus gras, plus downhome, un peu comme l’était Meteor comparé à Sun. Il démarre avec un emprunt de 600 $. Comme Jim Stewart, il connaît mieux la country et le rockab que le r&b. Mais c’est le r&b qui a le vent en poupe, alors il farfouille. Il finit par tomber sur le pot aux roses, the Harmony Echoes, un quartet dans lequel chantent O.V. Wright et James Carr. Claunch enregistre O.V. Wright, mais il ne sait pas qu’O.V. est sous contrat avec Don Robey, le boss de Duke, un black à la peau claire qui sort facilement son flingue et qu’une réputation de brutalité précède partout où il va. Quand Claunch comprend que Robey ne va rien lâcher et qu’il annonce son arrivée, il décide de laisser tomber et de se concentrer sur James Carr, et là on entre dans la poésie. Guralnick qualifie Carr de big-voiced singer avec un trémolo dans la voix qu’il pouvait contrôler - Il pouvait sonner comme un Otis plus musclé ou un Percy plus explosif - Même O.V. rêvait d’avoir la voix de Carr - Là où O.V. était agressif, Carr était kind of slow, une élégante manière de dire qu’il était lent. Mais il savait chanter. Il pouvait provoquer de l’émotion et atteindre des sommets de subtilité que Percy ne put jamais égaler. Mais le problème nous dit Guralnick est que Carr n’était pas fait pour cette vie - He was no more equipped for success than Johnny Jenkins or Arthur Alexander in Muscle Shoals - James Carr ne savait pas écrire. Se retrouver dans le circuit, ce fut pour le pauvre Carr comme de passer brutalement de l’âge de quatre ans à l’âge adulte. Il n’y parvenait pas. Roosevelt Jamison essaya de l’aider en tournée. Il lui lisait des histoires et l’aidait à apprendre à écrire son nom. Quand Jamison se retira du circuit, Carr s’écroula comme un château de cartes. En studio, Carr est une catastrophe. Il reste prostré dans un coin pendant des heures. Mais Chips sait comment le sortir de son état de prostration : «Just get Dan Penn to sing it for him !» Dan chante et soudain, Carr sort de sa torpeur, car Dan chante si bien. Et il chante à son tour. Mais pour Claunch, ça devient impraticable : «Une fois à Muscle Shoals, je n’ai eu qu’une chanson au bout de six heures de session. Je voulais l’étrangler, il restait assis sur un tabouret, il ne disait rien. Il ne faisait que te regarder. Et trois heures plus tard, il chantait la chanson d’une seule traite sans aucune hésitation et ça nous émerveillait.» Stan Kesler se souvient d’un jour où les musiciens travaillaient un arrangement, et soudain, il s’aperçut que Carr avait disparu. «On s’est dit qu’il était parti aux gogues et on l’a attendu. Mais il ne revenait pas. On a fouillé tout l’immeuble. On ne l’a jamais trouvé. On est allés dans la rue. Rien. Finalement, on l’a vu sur le toit. Sa tête dépassait. Il observait le paysage. La plupart du temps, il restait assis sur sa chaise et Quinton lui disait : ‘James, es-tu prêt à chanter ?’ Il levait les yeux et ne disait rien. Il restait assis sur sa chaise.» On le soupçonnait de prendre des drogues, mais Roosevelt Jamison est formel : «Il fumait de l’herbe dans une pipe, mais c’est tout. Rien d’autre.» Et comme Claunch ne trouve pas de suite à Carr, il met la clé sous la porte en 1969. Fin de Goldwax. La carrière de Carr se termine par une tournée désastreuse au Japon : il prend une double dose d’anti-dépresseurs avant de monter sur scène et reste tétanisé face au public. Merveilleuse histoire. Appelons ça le verset de l’innocence.

On reste à Memphis avec Willie Mitchell - S’il en est un qui peut se prévaloir d’un pedigree impeccable en matière de Memphis music, c’est bien Willie Mitchell, nous dit Guralnick. Willie commence par accompagner Wolf dans les bals populaires, et Wolf n’est pas tendre avec les joueurs de cuivres : «Godammit, boy, I don’t want no more of that blee-blop stuff, ain’t you got no soul ?» Eh oui, c’est là que Willie intègre la notion de Soul et il se retrouve un peu plus tard dans le house-band d’un lieu mythique de West Memphis, de l’autre côté du fleuve, the Plantation Inn - Aux yeux de petits blancs comme Steve Cropper, Duck Dunn, Jim Dickinson et Packy Axton, qui firent du Plantation Inn leur deuxième maison, des groupes comme celui de Willie incarnaient le summum du cool et leur fournissaient le modèle d’élégance et de technicité auquel ils allaient aspirer - Willie commence à travailler pour Home of the Blues, le label de Reuben Cherry et produit les Five Royales dont le guitariste devient le modèle absolu de Steve Cropper. Willie s’amourache de la Soul music et du Memphis beat - C’est la paresse du rythme. Ces vieux cuivres traînards arrivent un demi-temps après, tu crois qu’ils sont en retard, et soudain, ils swinguent le beat. Ils te font faire la belle, tu décolles - Quand il monte son studio Hi, on lui amène O.V. Wright et Bobby Blue Bland - Je voulais enregistrer un disque destiné aux deux publics, le blanc et le noir. A pleasant kind of music. O.V. Wright et Bobby Bland avaient tous les deux un style beaucoup trop affirmé. Je voulais qu’O.V. Wright aie plus de classe. Sa musique était un petit trop laid-back. Bobby avait l’étincelle en plus. Mais j’essayais d’obtenir une combinaison des deux styles - C’est Bowlegs Miller qui ramène Ann Peebles chez Willie. On appelle ça une bonne pioche, dans les cercles de jeu. Willie produit aussi Syl Johnson et Otis Clay. Mais son coup d’éclat s’appelle Al Green. Willie le repère sur scène au Texas et lui propose de venir s’installer à Memphis - You can be a star - Al lui demande combien de temps ça prendra pour devenir une star et Willie lui répond un an et demi. Al le regarde et lui dit que c’est trop long. Comme il n’a pas un rond pour rentrer à Flint, Michigan, Willie lui prête des sous. Puis Al revient sur l’histoire de Memphis. Il aimerait bien s’y installer, mais il doit d’abord payer ses dettes. Combien ? Environ 15 000 $. Willie lui file le blé. Pas de papier, rien de signé. Willie fait confiance. Al demande une semaine pour régler ses problèmes. Il débarque à Memphis six mois plus tard. Il sonne à la porte : «I’m Al Green, remember me ?» C’est là que Willie trouve sa voie et que le son de Memphis entre dans une nouvelle phase d’évolution. Au début des seventies, la Soul évolue terriblement vite. Willie fait du neuf avec du vieux, il recycle une vieille formule, une vision excentrique du style de Sam Cooke et une approche vocale plus fracturée du style d’Otis, le tout lié par le style très personnel d’Al Green. Willie Mitchell, nous dit Guralnick, savait exactement ce qu’il voulait. Il met en place son house-band, avec Al Jackson et Howard Grimes au beurre, et trois frères pour le reste, Teenie, Charles et Leroy Hodges. Willie les avait formés depuis le plus jeune âge. Il en avait fait des bêtes capables de rivaliser avec les meilleurs house-bands locaux. Willie a aussi travaillé sur un son, notamment le son de basse. Le son Hi se distingue immédiatement par son «bottom». Et pour finir, Willie a investi dans un huit pistes - Le son, le house-band, le chanteur, les chansons, il avait tout - Willie Mitchell was ready - Et comme il l’avait annoncé, il lui fallut très exactement dix-huit mois pour faire d’Al Green une star. Dans le cas de Willie Mitchell, comme dans le cas de Sam Phillips, on peut parler d’une vision. Nous voilà donc dans le verset visionnaire - Al Green incarnait cette vision d’un son en altitude, porté par une section de cordes mutante, une mélodie sophistiquée et un léger parfum de gospel - avec Al on utilisait de jolies neuvièmes diminuées - La couleur unique de la voix d’Al pouvait s’exprimer librement dans cette fragile beauté instrumentale, et ses pointes de falsetto renouaient avec l’essence précieuse de l’extase religieuse - Guralnick ajoute qu’Al pouvait passer cent heures sur une chanson. Willie Mitchell et Al Green allaient tirer la Soul vers de nouveaux degrés d’élégance - une Soul vivante, désinhibée, vers des stades de calme et de luxuriance qu’elle n’avait jamais pu atteindre auparavant - Selon l’auteur, Al Green connut une série de succès sans précédent dans l’histoire de Memphis, et peut-être même dans l’histoire de la Soul. Et bizarrement, Al se sépare de Willie Mitchell en 1976 pour retrouver le chemin de la foi. Il crée sa propre église, The Church of Full Gospel Tabernacle à Memphis et enregistre plusieurs albums de gospel, affirmant haut et fort son allégeance à Sam Cooke. Toujours aussi peu avare de ragots, Guralnick indique que parler avec Al Green aujourd’hui relève de la mission impossible : «Avec l’éloquence du professeur Irwin Covey, il aborde des thèmes qui ne sont pas évoqués, il saute d’un sujet à l’autre avec la frénésie d’un cerf surpris par des phares, et en un mot comme en cent, il ne semble vraiment pas faire partie de ce monde.»

Guralnick revient sur Stax le temps d’un court verset et donne la parole à Wayne Jackson, le trompettiste des Memphis Horns qui n’en revenait pas de se retrouver en Europe - Je croyais que je n’allais jamais pouvoir quitter la ferme pauvre où j’avais grandi en Arkansas. Si on m’avait dit que je le ferais un jour grâce à ma trompette, ça m’aurait bien fait rigoler - Personnage clé lui aussi, ce fantastique Wayne Jackson fit partie des Mar Keys avec Don Nix, Packy, Steve et Duck, en gros les pères fondateurs. Wayne Jackson vient de disparaître, mais on peut lire son autobiographie parue en trois volumes. Cette fameuse Revue Stax qu’évoque Jackson fit pas mal de dégâts dans la Stax Family, car Rufus Thomas ne fut même pas invité à y participer. Par contre, Arthur Conley se retrouva sur l’affiche, uniquement parce qu’Otis l’avait imposé, alors qu’ils n’était même pas sur Stax. Guralnick évoque rapidement la frêle silhouette du pauvre Arthur qui ne se remit jamais de la mort de son protecteur Otis. Selon Rodgers Redding, Arthur était un homme troublé de nature («confused»), une personnalité pas entièrement développée. Guralnick qui a pourtant le ragot facile n’entre pas dans les détails de son évasion vers l’Europe. Il faut savoir qu’Arthur se réfugia au Danemark et que peu de temps avant sa mort, il se préparait à changer de sexe.

Guralnick ouvre alors un nouveau verset qu’il faut qualifier de verset de l’espérance, puisqu’il l’intitule Aretha arrives. Otis était traumatisé par Aretha - I’ve just lost one of my songs - Aretha venait de lui barboter «Respect» - That girl took it away from me - Oui, mais comme le rappelle Guralnick, alors qu’Otis y parlait de règles sociales et domestiques, Aretha en fit un prétexte à transcender l’imagination et atteindre l’extase. L’auteur revient longuement sur la genèse d’Aretha, découverte par John Hammond qui la considérait comme un génie - The best voice I’ve heard since Billie Holiday - et véritablement lancée par Wexler. Guralnick revient aussi longuement sur le fameux épisode de Muscle Shoals qui rassembla dans une même pièce la crème de la crème de la Soul : Wexler, Rick Hall, Tom Dowd, Dan Penn, Chips Moman, Aretha, Spooner Oldham, Tommy Cogbill, et bien sûr le house-band de l’époque, David Hood, Jimmy Johnson et Roger Hawkins. Selon Wexler, Aretha faisait partie du petit nombre de genius around. Quant à Rick Hall, il comprit vite quand il entendit Aretha chanter qu’il vivait un moment historique. Guralnick apporte un nouvel éclairage sur cette scène maintes fois décrite. Selon lui, Wexler aurait expressément demandé à Rick Hall de prévoir une section de cuivres plus noire, histoire de ménager les susceptibilités. Mais il n’y avait que des blancs dans le studio, et Ted White le vécut très mal. Comme tout le monde picolait, Guralnick avance l’idée qu’un trompettiste aurait pincé la fesse d’Aretha. Et c’est là que les choses ont commencé à mal tourner, évidemment. Pugilat, suivi du départ d’Aretha le lendemain matin. Wexler rentra à New York avec un seul enregistrement «I Never Loved A Man (The Way I Love You)» et un autre titre que chante Dan Penn, car Aretha ne parvenait pas à la chanter. Wexler fit venir les musiciens de Muscle Shoals à New York sans le dire à Rick Hall. En l’apprenant, Hall sauta au plafond. Guralnick ne tarit pas d’éloges sur Aretha et sur le premier album qu’elle enregistra sur Atlantic, ornée d’une photo de Jerry Schatzberg : il parle d’un art éternel, eternally youthfull, eternally fresh. C’est vrai, Aretha n’a jamais pris une seule ride. Il va même la comparer à Elvis (dont il est LE grand spécialiste) pour sa capacité à se retirer dans l’ombre et à prendre du poids quand ça va mal. Ce qui frappe le plus Guralnick chez Aretha, c’est l’ingénuité. Il cite l’anecdote de l’Apollo où elle apparut sur scène vêtue d’un bikini serti de pierreries et s’adressa au public pour lui demander : «What do you think of these legs ?» Et puis bien sûr la valse des apologies se poursuit avec l’album de gospel batch, Amazing Grace, et Jump To It, produit par Luther Vandross.

S’ensuit le verset de la mort de tous les rêves, occasionnée par la fin tragique d’Otis, suivie cinq mois plus tard de l’exécution de Martin Luther King. Isaac dit qu’il lui fut impossible d’écrire pendant un an. Et pour Booker T, ce fut le tournant, une transformation radicale des relations entre les blancs et les noirs - And it happened in Memphis - Otis et le Dr King étaient les symboles de l’espoir. Au même moment, Atlantic fur racheté et ce rachat faillit bien couler Stax qui n’avait plus de distributeur. Mais ce ne fut qu’un court répit, car Stax allait finir par couler. La fin de la Stax saga est horrible. Duck dit qu’il ne savait pas que Jim Stewart avait revendu Stax à Al Bell - That’s how dumb they kept us - Le tragique de cette histoire est qu’on maintenait les pères fondateurs dans l’ignorance. Duck continuait à percevoir ses 55 000 $ annuels et il ne se rendait même plus au studio. Ils allaient enregistrer à Muscle Shoals. Il ajoute plus loin que les comportements avaient dramatiquement changé : on ne disait plus «Jim» ou «Al», mais «Monsieur Stewart» ou «Monsieur Bell». Ils avaient des gardes du corps armés de flingues. Duck finit par tous les envoyer chier. Wayne Jackson vit aussi l’ambiance se dégrader : «Duck, Cropper et moi étions blancs. Tout à coup, on nous faisait remarquer qu’on était blancs.» Et tout le monde avait la trouille de Johnny Baylor et de Boom Boom, que Jim avait engagés pour protéger Stax des voyous qui après la mort du Dr King commençaient à pulluler dans un quartier qui était auparavant si tranquille. C’est là que s’éteignit le rêve de Stax, d’Estelle, de Packy, de Steve, de Jim, de Booker, d’Isaac, d’Al Jackson, de David Porter et de tous les autres. Et puis, comme un charognard, Guralnick patauge dans la charogne de Stax, un rêve livré aux banquiers qui vont le dépecer vivant. Jim Stewart est le premier à reconnaître qu’il n’a fait que des conneries et que cette boîte était mal gérée : plus de dépenses que de revenus. Jusqu’à la fin, Stewart se bat, il remet tout son blé dans Stax, mais ça ne sert plus à rien : il va tout perdre, y compris sa maison qui sera vendue aux enchères. Le jour de la vente, il est dans sa cuisine en train de boire du café, comme s’il ne se passait rien. De son côté, Robert Gordon fait de l’épisode de la chute de la Maison Stax un travail digne des Rougon-Macquart. Guralnick reste plus proche des faits, il tripatouille la réalité, ce qui lui donne l’allure d’un charognard auréolé de génie.

Signé : Cazengler, Guralchnock

Peter Guralnick. Sweet Soul Music. Back Bay Books 1999

PERDIDO

VELIBOR COLIC

( Le Serpent à Plumes /Août 2005 )

 

Le titre est espagnol, le roman est traduit du serbo-croate. Velibor Colic surtout connu pour sa biographie La vie fantasmagoriquement brève et étrange d’Amadeo Modigliani le qualifie de Roman Roulette. Parce que comme au casino, le croupier a beau s’empresser autour du tapis vert, les numéros sortent dans le plus grand désordre. Certains refusent obstinément d’apparaître et d’autres reviennent sans préavis à plusieurs reprises dans la soirée… Un peu à la manière des jazzmen qui reprennent leurs plus beaux soli lors des concerts. Même que eux ils essaient de les pousser au maximum de leurs possibilités…

Ce qui tombe à merveille parce que Perdido est la biographie un peu spéciale d’un grand jazzman. Un vrai, qui a existé, moins connu que Ornette Coleman, que John Coltrane, qui a joué avec eux, le saxophoniste Ben Webster qui fit les beaux jours de l’orchestre de Duke Ellington. Amis rockers, ne faites pas la tête, du jazz y en a pas beaucoup dans le bouquin, pour la simple et bonne raison que dans la majeure partie du bouquin le Webster il a déjà revendu son saxophone pour s’acheter de l’alcool.

De temps en temps Webster se souvient qu’il a accompagné Billie Holiday ou enregistré avec Oscar Peterson et quelques autres pointures, mais tout cela c’est du passé, des souvenirs flamboyants éteints à tout jamais. Pourquoi ? Parce que le public a changé, préfère le rhythm’n’blues, que dans les juke-boxes s’entassent le plus souvent des simples de Bo Diddley, de Fats Domino et même d’Elvis Presley. C’est un fait, les générations se chevauchent et essaient de se distinguer des précédentes, l’on n’y peut rien. Ce n’est pas tout. Nos sympathiques musiciens de jazz ne sont pas des enfants de chœur. Jouer et enregistrer participent d’une fête sans fin, et rien de mieux pour en garder l’esprit que de fumer quelques cigarettes, d’écluser quelques verres, de s’adonner à quelques produits… Pour Neb ( = Ben ) Webster l’idéal serait d’être un peu soûl durant les séances, dans les moments de repos aussi. Pas besoin d’un dessin, l’engrenage est en marche, l’accoutumance induit le manque, Webster devient très vite un alcoolo… Sans remord. Sans regret. Assume sa déchéance. Ne se plaint pas.

C’est en ces moments-là que le cueille Velibor Colic. Les dernières années quand faute de trouver du boulot aux USA, il est venu en Europe vivre son indigence. Colic se tient au plus près du musicien. Il est inutile de dire qu’il ne porte aucun jugement moral sur son héros. Juste un homme qui a fort à faire avec les sept anges de l’Apocalypse qui soufflent dans les clairons de la fin du monde. Ne vous égarez pas sur une fausse piste. Aucune tartufade chrétienne dans le récit. Le combat contre les anges que Neb Webster va mener contre ces créatures venues du ciel est des plus charnels. Question souffle Neb en connaît un rayon, personne ne peut rien lui apprendre, n’a pas détruit le monde mais de sa propre existence il ne laissera pas un pan de mur debout. Roulette russe, l’est de ceux qui continuent à jouer tant que la balle n’est pas sortie du barillet. Jeu très dangereux surtout si l’on est seul avec sa pétoire.

L’on dit que le mot jazz proviendrait d’un mot africain qui désignerait l’acte sexuel, l’étymologie est incertaine mais il est indéniable que la vie del Perdido est orientée par le sexe. Depuis qu’il est tout petit. Par l’entremise de sa jolie et affriolante cousine, plus grande que lui mais qui a un faible pour lui… Dans les périodes de dèche les plus absolues, il y aura toujours une femme pour le suivre et le réconforter. Pas tout à fait des duchesses, plutôt des déclassées au grand cœur pour se servir d’une image d’Epinal qui cache davantage qu’elle ne montre.

Un peu de jazz, beaucoup d’alcool et de sexe. La fin est courue d’avance. Sans surprise. Le roman se résume en trois mots. Ne s’en détache jamais. Velibor Colic ne semble jamais s’écarter de son sujet. Mais à partir de rien, par exemple la description de rares photographies d’époque, pas très longues mais suffisantes pour dresser la tableau de la situation des noirs aux temps bénis de la ségrégation, sans en rajouter, Neb est issu d’une très médiocre petite bourgeoisie, l’on n’y meurt pas de faim, l’on se contente de cracher du sang, certains jouent du tubas d’autres du tubar. Ainsi va la vie. Ce n’est pas la joie, ce n’est pas un drame non plus, l’ordre naturel des choses.

Qu’est-ce qu’une écriture jazz ? Vaste question. Velibor choisit des chapitres courts. Vous en repasse quelques uns sous les yeux de temps en temps. Savoir si vous saurez apercevoir de subtiles variations. Le livre vous rebat les cartes dans le désordre. Rien n’est à sa place, tout est dans la tête du héros. Sacré mélange. Mais l’on n’échappe pas à son destin. Même si on l’a choisi. Même si on ne l’a pas choisi. A l’arrivée de la grande camarde, les chemins se confondent, rien n’aura eu d’importance que la manière dont on l’aura parcouru. Pour Neb Werster, pas de doute. Grand style.

Damie Chad.

 

HISTOIRE DU JAZZ

ET DE LA MUSIQUE

AFRO-AMERICAINE

LUCIEN MALSON

( Editions 10 - 18 / 1978 )

 

Si vous ne devez lire qu’un seul livre sur le jazz c’est celui-ci. Lucien Malson sait mener son monde, ne vous ennuie jamais, même quand il vous allonge des listes de vingt ou trente noms à la queue-leu-leu, vous avez l’impression d’en comprendre la nécessité tant ses dires respirent d’intelligence. Certes il connaît son sujet, son érudition est sans faille mais ce n’est pas le plus important, cela n’importe quel plumitif tant soit peu consciencieux en est capable, lui l’on sent qu’il a réfléchi, qu’il a réussi à comprendre l’articulation d’un mouvement musical d’une richesse et d’un foisonnement infinis.

Commence par un petit rappel d’historialité européenne qui ne fait pas de mal. Nous avons du mal à penser plus loin que notre dix-neuvième siècle, ah notre bel orchestre symphonique avec ses petits soldats rangés si méticuleusement… Nous a fallu des siècles pour y parvenir, pensez que Beethoven a dû batailler pour y faire rentrer la grosse caisse, que longtemps le violon a été exclu de la musique dite sérieuse, donc ne nous étonnons pas de ces premiers combos de jazz composés d’instruments ’’hétéroclites‘’. Une différence essentielle entre jazz et musique classique, l’improvisation ! Cette particularité qui semble laisser le champ libre à l’aléatoire a longtemps existé dans la plupart des pratiques musicales européennes tant folkloristes que savantes. Elle n’en a été finalement expurgée qu’à la fin du dix-huitième siècle. Sans doute aurait-elle persisté si en cette pas si lointaine époque avait déjà été inventée la possibilité de fixer sur disque les performances live des musiciens. Les jazzmen improvisent mais l’invention ne se perd pas, elle est conservée et ne périclite pas dans la mémoire incertaine des spectateurs. Paradoxalement la musique classique dut avant tout fixer les formes pour pouvoir évoluer. Ce qui différencie le jazz de la musique européenne c’est cette liberté de jeu qui est à la base du jazz, le musicien classique ne fait que reproduire ce qui est déjà codifié, il est limité dans ses efforts, le jazzman attaque tout azimut, c’est lui seul qui définit l’amplitude sonore de son instrument, d’où cette impression cacophonique ressentie par de nombreuses oreilles européennes au début des années 1920 lorsqu’elles auditionnèrent pour la première fois ce surgissement volcanique de l’instrumentation jazzistique.

On l’aura compris le premier chapitre a été écrit pour faire tomber les préventions des lecteurs réticents à cette musique de sauvages. Il est temps de sauter dans la marmite noire. Les premiers esclaves seront très vite initiés au chant choral protestant car l’on partage plus facilement son dieu que ses privilèges de propriétaire terrien. Ils y adjoignirent très rapidement leurs racines musicales africaines, un goût inné pour la syncope et une préséance rythmique persistante, modulée par cette manière mi-instinctive, mi-culturelle d’écraser le troisième et le septième degré de la gamme. Le chant religieux peut être compris comme un dialogue avec Dieu, ‘’ ô Lord ! ‘’, ce qui correspondait avec les modalités du chant africain originel arqué sur le ping-pong entre récitant et le chœur qu’il mène. Les noirs eurent très vite beaucoup de questions à adresser au Dieu des maîtres, comme l‘idole ne répondait pas ils se chargèrent aussi des réponses. Prirent l’habitude de hausser la voix. Les témoins blancs y virent de la ferveur, mais ce n’était que l’exutoire de la fureur. Les premiers negro spirituals, comme Roll, Jordan Roll publié en 1862, sont à la base de ce qui deviendra le gospel.

La prégnance du gospel se retrouve partout dans la musique populaire noire, elle imprègne la pratique du holler dans les work songs des champs de coton, c’est de là que naquit le blues qui subit une longue métamorphose instrumentale, jug ( cruche ), kazoo, washboards, banjo, guitare, piano, électrification, de Blind Blake à Big Bill Broonzy, de Muddy Waters à Howlin’Wolf… Nous sommes déjà sur la route bleue du rock mais notre sujet concerne le jazz.

A peine les prémices d’un chant noir commencèrent-elles à se développer que les blancs le parodièrent. Dès 1818 les black-faces s’amusent à contrefaire les noirs, la Bonja Song se moque des joueurs de banjo. Mais tel est pris qui croyait prendre, les esclaves se reconnaissent dans ce reflet discordant de leur triste réalité et n’hésitent pas à s’inspirer de cette première représentation d’eux-mêmes. Danniel Emmet et Stephen Foster en signant Dixie et Louisiana Belle reconnaissent en quelque sorte la particularité du Sud, le pays où vivent les noirs.

Un demi-siècle plus tard le même phénomène se reproduit avec ’’ l’adoption’’ du piano rag par les blancs. Il s’agissait de s’amuser à imiter la vélocité des banjoïstes et des pianistes noirs, la bouffonnerie n’est pas loin et n’est pas sans référence avec les pantomimes rythmiquement grossières des cake-walk que les esclaves donnaient en spectacle à leurs maitres les jours de fête sur les plantations. Les noirs mis en quelque sorte au défi par leurs imitateurs accélérèrent le tempo… Mais le rag n’est pas à l’origine du jazz, même s’il démontre la virtuosité instrumentale des noirs, les notes du rag alignées à la va-vite sont toutes interchangeables, des briques de même dimension, alignées méthodiquement les unes à la suite des autres, ce qui lui donne cet aspect de piano mécanique déjanté, car le rag emprunte à la musique européenne cette idée d’employer des notes d’une valeur égale, le jazz abandonnera ces répétitifs suivis de notes d’identique intensité, il allongera - ou raccourcira - à volonté les intervalles. Le musicien de jazz ne suit pas le modèle proposé il le modifie selon sa sensibilité. Le répertoire rag fournira aux premiers jazzistes les thèmes de leurs premiers morceaux, ce ne sont que des canevas, des tremplins, à partir desquels le musicien s’accorde toute liberté et toute fantaisie. L’écart de la norme sera l’essence du jazz.

C’est dans le chaudron de la Louisiane que le jazz s’élaborera. Ethnies et cultures se mélangent sans a priori, les rythmes africains dus aux percussions des assemblées dominicales de Congo Square, l’apport des chansonnettes françaises, le piano allemand, les tempos espagnols, tout cela forme un micmac indescriptible, les noirs y ajoutent la folie du ragtime et la fièvre des negro-spirituals. La musique est partout, la ville est parcourue de nombreuses fanfares qui accompagnent autant la vie civile que religieuse, le vaudou n’est pas très loin, détail d’importance : les fanfares sont de trois ordres, celles composées de blancs, celles qui ne comptent que des métis et celles dévolues aux nègres.

Question insidieusement oiseuse : dans tout ce bohu-bohu, qui fut le premier musicien de jazz ? Très simple l’historiographie a conservé son nom : Buddy Bolden. Pourquoi lui et pas un autre ? Parce qu’en 1898 il sortit vainqueur d’une joute instrumentale contre le cornetiste Emmanuel Perez. C’est ainsi qu’il fut sacré roi. Ce qui ne l’empêcha pas de finir sa vie dans un hôpital psychiatrique. Bolden fut sans doute le premier à improviser sur des thèmes de blues. Ne croyez pas que Bolden était seul, des dizaines d’autres noms de musiciens et de formations en activité entre 1890 et 1900 ont été conservés.

Le jazz ne resta pas confiné dans la bonne ville de la New Orleans, Jim Europe, un noir ouvre un club à New York, c’est son orchestre qui enregistre en décembre 1913 le premier morceau de jazz, Too Much Mustard chez Victor, que la Compagnie Française Gramophone édita sous le titre de Trémoutarde. En 1917 c’est La Rocca et ses compagnons venus de NY qui enregistrent Dixie jass band one step et Livery staple blues à Chicago… C’est cette même année que les autorités ferment les maisons closes du French Quartier, les musiciens émigrent un peu partout… L’étymologie du mot jazz reste des plus nébuleuses…

Entre 1918 et 1924 ceux qui sont appelés à devenir les futures grandes figures mythiques du jazz comme Jimmie Noone, Bix Beiderbecke, Armstrong, Sidney Bechet émergent, c’est à Chicago que le jazz subit une mutation essentielle, les musiciens originaires de la N. O. s’éloignent de leur musique première, ils abandonnent l’antique structuration des vieilles fanfares originelles qui transparaissait en filigrane dans les morceaux, en d’autres termes la musique tend à une première complexification, musiciens noirs et blancs s’influencent mutuellement.

Entre 1925 et 1929 les Etats-Unis baignent dans une fausse opulence, l’on danse au-dessus du volcan, ce sont des années d’opulence pour le jazz, l’alcool de contrebande coule à flot, Kid Ory et Louis Armstrong forment le premier Hot Five, mais les petites formations ne sont plus les seules, Fletcher Henderson et Duke Ellington drivent de grands orchestres, ils lancent la mode mais n’en profiteront guère dans les années suivantes. La grande crise sévira de 1930 à 1934, les goûts du public évoluent, pas en bien. L’on cherche à s’étourdir, à danser, à oublier. L’on refuse de se prendre la tête avec de nouvelles harmonies. La majorité des grandes formations servent de la daube et tout le monde s’en contente.

Les années 1935 - 1940 adossées au renouveau économique du New Deal peuvent être considérées comme l’âge d’or du jazz. Les plus fastueuses mais pas les plus créatrices. Le jazz s’institutionnalise. Les grands orchestres sont à leurs paroxysme, peu à peu ils osent mêler en une même formation musiciens noirs et blancs. Ce qui n’était pas gagné d’avance. Les grosses formation d’Ellington, de Count Basie, de Benny Goodman mettent en valeur les solistes, Charlie Christian et Lester Young sauront profiter de ces occasions, mais au fil des mois il apparaît nécessaire de posséder une section rythmique sans défaut, c’est en ces années que le couple contrebasse-batterie prend toute son ampleur, d’autre part l’on recherche de nouveaux alliages de timbres, les musiciens ont la possibilité d’expérimenter les potentialités de leurs instruments. Si une chanteuse comme Ella Fitzgerald est au diapason de cette heureuse période Billie Holiday exacerbe la beauté de cette musique. Elle teint la joie du swing fringuant d’une épaisseur dramatique sans précédent. Le jazz acquiert en cette période ses lettres de noblesse et de préséance. En retard d’une guerre des petits blancs s’essaient à rallumer la flamme du jazz New-Orléans. Les noirs ne s’en préoccupent guère.

De 1940 à 1944, guerre oblige il ne se passe pas grand-chose. Du moins en apparence car de grands changement s’opèrent. Alors que les grands orchestres continuent leur route, alors que les noms célèbres enregistrent les disques de la victoire pour le délassement des soldats, un certain Charlie Parker remet beaucoup de choses en question dans ses premières gravures. Mais il n’est pas le seul. Une révolution est en train de s’opérer tant au piano qu’à la batterie. Ce n’est ni plus ni moins que la célèbre réverbe qui sera mise au point par Sam Phillips dans les Studio Sun, mais ici ce sont les musiciens qui font le boulot : la technique est simple et n’est pas sans rappeler le rag, une main qui se charge d’un rythme et une autre qui se permet quelques variations, mais la tâche est beaucoup plus complexe, il s’agit de marquer un rythme mais de fignoler dans le même temps un contre-rythme qui contienne aussi le rythme original. L’on voudrait dynamiter la rythmique que l’on ne s’y prendrait pas autrement. L’on ouvre la porte de la bergerie au loup, pour le moment cela semble un jeu gratuit puisqu’il n’est pas encore rentré. Mais il ne tardera pas. C’est en ces années que la guitare électrifiée de Charlie Christian ne se contente plus de marquer le tempo, elle apparaît quand elle veut, où elle veut, comme elle veut. Bref elle ne suit pas, elle modifie à sa guise l’histoire qu’elle raconte. Si l’on rajoute aux baguettes-rythmiques de Kenny Clarke, le fait que l’appel sous les drapeaux de nombreux jeunes crée un manque de musiciens l’on ne s’étonnera pas que de petites formations remplacent les grandes : pour faire autant de bruit le jazz mélodique est remplacé par une tonitruance blues de forte intensité. Un certain T-Bone Walker adepte de Charlie Christian passe aussi à l’électricité. Entre nous soit dit, tous ces ‘’ subtils’’ changements préfigurent quelque peu le rock ‘n’roll ! Le monstre est en gestation !

En attendant c’est une autre révolution qui éclate. Celle du Be-bop. Au retour de la guerre les noirs commencent à s’émanciper. Musicalement Parker se chargera du travail. Le jazz est une musique d’improvisation, alors autant larguer les amarres. Pourquoi s’encombrer de thèmes de chansonnettes empruntées à la variété blanche. Parker réoriente le jazz vers le blues. Mais désormais il ne s’agit plus d’improviser, mais de créer, il ne joue pas de la musique, mais de la méta-musique, il ne s’agit plus de broder à partir de trois notes d’un morceau quelconque, mais d’isoler ces trois notes et établir les rapports qui existent entre elles, dans l’absolu de toute notation musicale, s’agit de mettre en évidence les intervalles qui les séparent, d’explorer les gouffres, de bâtir des passerelles improbables sur le néant qui les fonde. Son art est en même temps dé-construction et mise en évidence d’une structure initiale quelle qu’elle soit, d’où quelle provienne, car même la ritournelle la plus idiote est construite sur des lois musicales et les lois sont des incitations à leurs propres désobéissances. Thelonious Monk participera sur son piano à de telles dissociations. Les dissonances du Be-bop ne sont pas sans analogie avec Wagner. C’est ainsi que l’on peut entendre le travail qu’effectuera le grand orchestre de seize musiciens de Dizzy Gillespie en ces mêmes années.

C’était trop fort pour durer. De 1948 à 1954, le jazz opère une marche arrière. Après les ruptures du Be-bop, l’on revient vers les mornes plaines de la joliesse. L’on s’inspire de Lester Young. Pour mieux le trahir. Lester n’était pas d’une grande éloquence, mais quelques notes éparpillées rendaient le silence dangereux. Une source dans le désert. Qui distille de l’eau empoisonnée. Le cool jazz va nous peindre de beautiful chromos, un monde d’harmonie et de tranquillité. Au mieux Miles Davis, au pire Chet Baker. Que dire de plus ? Le cool jazz est au jazz ce que la pop est au rock.

1955 - 1959, le début du chapitre donne l’impression que le jazz pédale dans la choucroute. Miles Davis semble revenir de son jeu éthéré, mais sait-il où il va au juste ? A la fin du chapitre apparaissent Bill Coleman et Charlie Mingus. Le jazz paraît sauvé. C’est au milieu du chapitre que tombent les applaudissements. Pas sur n’importe qui. On ne s’y attendait pas mais voici que Lucien Malson tresse des couronnes de laurier à Ray Charles, à Ike et Tina Turner, à B.B.King, à Chuck Berry et à Little Richard. Les rockers boivent du petit lait !

Vous avez aimé le chapitre précédent vous allez adorer celui consacré aux années 1960 - 1966. Après un chapeau introductif consacré à la déplorable situation des noirs aux USA, Lucien Malson passe en revue le catalogue de la Tamla Motown et de Stax. Cite tous les noms de Martha and the Vandellas à Curtis Mayfield, d’Otis Redding à Arthur Conley, puis s’intéresse à Wilson Pickett et à James Brown. Mais ce n’est pas tout, puisque Jimi Hendrix est parti en Angleterre voici les Beatles, les Rolling Stones, les Animals, les Yardbirds et Cream. Vous conviendrez que pour une histoire du jazz ce n’est pas mal. Mais que devient le jazz pendant cet épanouissement du rhythm ‘n’ blues et du rock ‘n’ roll ?

Le jazz se libère. De lui-même. Il jette par la fenêtre les vieilles structures du blues que le Be-bop avait épargnées, si le jazz était une fille l’on dirait qu’il fout au rancart son soutien-gorge et sa culotte et qu’il adopte la mini-jupe ultra-courte à ras du trognon. De surcroit pour choquer public, il perd toute mesure, il pète, il rote, il chie. C‘est un individu libéré, il devient une chose improbable, il se désignera sous les vocables de free-jazz et de new thing. Bill Coleman, Archie Shepp, Albert Ayler, Don Cherry seront les princes de cette apocalypse. Le free-jazz est-il la métaphore de l’esclave se libérant de ses chaînes ou marque-t-il la fin de l’aventure d’une forme musicale achevée et faisant désormais partie de l’obsolescence de l’Histoire.

Le free totalement livré à lui-même ne pourrait que se détruire de lui-même et s’anéantir dans le silence. Cette voie fait d’autant plus peur qu’elle paraît sans issue. Le jazz va revenir vers sa naissance, non pas en son berceau louisianais, il rebrousse chemin jusqu’en Europe, jusqu’à la musique classique, s’intéresse à Debussy et à Ravel. A cette musique qui marque l’aube de la dissonance classique, dans ces variations infinies d’une timbrologie qui flirte avec la dissémination phonique il y a là un territoire à explorer, ce sera par l’entremise d’un Bill Evans ou d’un Miles Davis celui du jazz-rock. Coltrane évitera les redondances bavarde du jazz-rock, et entre nous soit dit s’il est un jazz qui s’approche du rock c’est bien l’intensité luxuriante de cette pâte colorée qui jaillit de son saxophone à la manière de ces tubes de mayonnaise que l’on presse peut-être dans le secret désir de se prendre pour Van Gogh étalant son jaune désespéré sur ses toiles. Il m’a toujours paru que L’Amour Suprême de Coltrane est une œuvre qui n’est pas sans accointances avec le Boléro de Ravel.

Que dire de plus ? Comme l’Histoire ne s’arrête jamais, celle du jazz continue. La période 1967 - 1973 sera la plus noire ( beau jeu de mot ) de toute son épopée. Le rhythm ‘n’ blues a gagné la partie en le sens où il est désormais la musique des masses. Le jazz est devenu une musique savante. Même si l’éclatement phonique de free-jazz peut être considéré comme un écho lointain de l’effondrement politique des Black Panthers et des espoirs soulevés par l’idéologie du Black Power, il n’en reste pas moins une musique savante qui demande pour être compris toute une réflexion sur l’évolution historiale de la musique jazz aussi insondable pour un américain moyen que les dissensions théoriques qui peuvent exister entre deux groupuscules trotskystes chez un travailleur d’une usine européenne…

Le jazz n’en finit pas de mourir. Il court de Charybde en Scylla. Dans le sillage de la New Thing il s’intellectualise à mort, se revendique de la dé-construction deleuzienne voire de la négativité hegelienne. Ces vaticinateurs finissent par trouver Dieu ou deviennent des mystiques sans Dieu. Mais peu à peu, le jazz revient vers les hommes. Puisque ce sont des bipèdes il retrouve au moyen des musiques folklorique ses fondations binaires. Mais un binaire passé un peu à la moulinette. Lucien Malson nous le démontre en analysant quelques morceaux d’Aretha Franklin… Il revient sur Miles Davis qui persévère dans la voie étroite du jazz-rock entre l’ âpreté du Rhythm ‘’n’’ Blues et la folie de la New Thing. Un chemin qui d’après moi flirte sans vouloir le dire avec le rock ‘n’ roll, une musique peut-être trop blanche pour la fierté noire.

Le livre s’arrête en 1973. Vraisemblablement pour sa réédition en livre de poche Lucien Malson case après l’introduction sur les modalités de la discographie finale ( soixante pages + un index ) une dernière vue du paysage ambiant des années 1974 - 1978, c’est un peu du tout venant, l’influence de la salsa, Bob Marley, et Stevie Wonder. Encore le jazz-rock et Miles Davis… Le jazz se perd-il pour vraiment mieux se retrouver ?

Ma chronique est des plus partielles et des plus partiales, au bas mot Lucien Malson cite autour de 750 musiciens qui ont participé à l’aventure, j’ai pris pour option de nommer ceux auxquels nous avons pou la plupart déjà consacrés une ou plusieurs chroniques. Je n’ai fait qu’écorner le contenu de ce livre que je vous souhaite de découvrir.

Damie Chad.

L‘OMBRE DU LOUP

UNE ODYSSEE APACHE

HARRY JAMES PLUMLEE

( Collection : Nuage Rouge

Editions du Rocher / 1999 )

 

Rock’n’roll, country, western, la piste des derniers coyotes est facile à remonter. Ne vous laissez pas impressionner par le sous-titre français, l’original américain n’est pas aussi grandiose. Ulysse revient chez lui et retrouve sa fidèle Pénélope et son fiston Télémaque, ici le héros meurt piteusement sous les balles des soldats bleus qui adjoignent sans pitié à son cadavre celui de son épouse et de son fils, plus pragmatique le titre originel se contente de ramener l’épopée au niveau inférieur, un simple conte, An Apache Tale. L’on aurait envie de traduire à la Baudelaire : une extraordinaire histoire apache mais dans une très courte postface Harry James Williams a l’obligeance de nous prévenir : son personnage est historique, ne serait-ce que l’orthographe de son nom Nakaidoklinni beaucoup moins, tout au plus quelques lignes évasives dans deux ou trois chroniques incertaines…

Harry James Plumlee s’est attelé à reconstituer la biographie d’une ombre rouge oubliée depuis longtemps. Beaucoup de romanciers raffolent de ces zombies historiaux dont on ne sait rien ou si peu… l‘imagination s‘en donne à cœur joie, tout est possible, l’invraisemblable est le fil dont on tisse le suaire étincelant de leurs exploits sans nombre… Cavalcades infinies, magnifiques combats, sang, viol, cruauté, fureur apache à toutes les pages.

Plumlee n’use pas de cette plume. Facile, trop facile, le lecteur en haleine jusqu’au bout sur sept cents pages, et un tome II en préparation. Le sujet est traité - je n’ai pas dit expédié - en deux cents pages, honnêteté scrupuleuse, l’on ne sait rien, ne comptez pas sur notre auteur pour une fresque sanguinaire, l’horrible beauté des corps disloqués, le hennissement des chevaux fous, le crépitement des ranchs incendiés seront réduits au minimum, Harry James Plumlee se contente de décrire l’âme indienne au travers de celle de Nakaidoklinni, agit un peu à la manière des archéologues qui à partir de quelques tessons de poteries tentent de retrouver les techniques et les mentalités d’un peuple effacé de la surface de terre depuis longtemps…

Ne nous leurrons pas, notre auteur n’est pas un ethnologue, sait très bien depuis sa première ligne ce qu’il entend retracer : le récit d’une défaite. Le constat est clair : les Apaches ont perdu la guerre. Comment et pourquoi.

Comme dans toutes les histoires il y a un loup. Ce n’est pas celui du Petit Chaperon Rouge. Celui-ci est blanc. Il apparaît en rêve à Nakaidoklinni au retour d’un raid victorieux sur les Mexicains. Ne vient pas le dévorer, lui confère des pouvoirs de compréhension. En d’autres termes, deux voies s’offrent à notre jeune Apache, celle du guerrier, ou celle du visionnaire. Le sorcier, le porteur de sagesse, le medecine-man, le chaman, utilisez ke terme de votre choix. Un long apprentissage s‘impose, apprendre à soigner les maladies, à préparer les tisanes, à redonner force et vigueur aux chairs et aux esprits corrompus mais surtout à écouter ce que disent les éléments, la terre, le feu du soleil, le vent, les arbres et les collines. Aux moments difficiles de son existence, le loup le conseillera, le lecteur qui croit aux fables écologiques modernes aura le regret de remarquer que lorsque les évènements irréversiblement se précipitent, dans le dernier quart du bouquin, le loup n’est plus là, comme si la dure réalité prenait le pas sur la fluidité du rêve…

Rien de plus sympathique que le peuple apache. Tant que vous ne faites que passer assez loin de chez eux, ils s’en moquent éperdument. Ne sont pas plus bêtes que les autres non plus. De temps en temps pour montrer qu’ils n’aimaient pas qu’un charriot de colons vienne rouler un peu trop près de leurs mocassins, ils en pillaient quelques uns, attaquaient une diligence, brûlaient deux ou trois fermes, torturaient ( affreusement ) quelques prisonniers, adoptaient des enfants enlevés à leurs parents. De la broutille, leur truc ( en plumes à eux ) ce sont les mexicains. Vous montent régulièrement des expéditions punitives rien que pour leur apprendre à mourir, et voler leurs chevaux et leurs mules. Les amateurs des équidés seront déçus, s’ils ont besoin de montures c’est qu’ils ont la déplorable habitude de les manger.

Un peuple heureux. Sans histoires. Certes ils se disputent entre eux, se font la guerre, mais leur territoire est grand, quand on ne s’entend plus, chacun s’en va de son côté, ce qui limite et les dégâts mais aussi le sentiment sinon national du moins tribal. Des familles, des clans, des groupes géographiques, plutôt des peuplades dispersées qu’un peuple uni.

Ils se méfiaient des blancs, ils détesteront les bleus. Ces amis qui vous veulent du bien. Qui vous octroient le droit de stationner sur votre territoire. Qui ne vous en laissent sortir que muni d’une autorisation, question confinement les Apaches étaient un peu en avance sur nous, ils n’ont plus le droit de chasser les mexicains, ils n’ont même plus le droit de chasser tout court, à la place ils reçoivent des rations qui ont tendance à mystérieusement rapetisser…

Quant aux groupes hostiles, l’armée bleue se charge de les massacrer. Un petit problème toutefois, ces damnés apaches se cachent si bien que personne ne saurait les découvrir. Les blancs ne sont jamais à court d’une solution : ils engagent des ’’ volontaires’’ pris dans les tribus qui bon gré mal gré, se sont pliées à leurs exigences. Ils ont invité les chefs voir le grand-chef de Washington, Nakaidoklinni est du voyage, ils en reviennent anéantis, les blancs sont innombrables, ils possèdent des armes meurtrières, et leur dieu est plus fort que les Dieux apaches. Allez résister après cela !

Nakaidoklinni comprend qu’il doit sauver son peuple. Lui seul est capable d’imaginer, d’avoir la vision, qui apportera la solution. Il a l’intuition qu’elle ne passera pas par les armes, même si autour de lui les guerriers les plus vigilants ont tendance à se regrouper, l’est un Gramsci avant la lettre, d’abord il faut restaurer la culture apache, il emploie le mot Esprit, c’est de là que viendra la victoire. La danse sera le vecteur de ce ressaisissement, nous ne sommes pas loin de la Ghost Dance initiée par les tribus des plaines, le déroulement sera aussi rapide, intervention de l’armée, une vingtaine de morts, la résistance apache est terminée. This is the end beautifull friends.

Vous ne connaissiez pas précisément cette histoire. Mais elle ne vous surprend pas, elle correspond à tout ce que vous avez appris en lisant les récits des révoltes sioux, en moins grandiose, rien à voir avec Little Big Creek, Custer, Sitting Bull, Red Cloud, Wounded Knee, une geste colorée quasiment épique… Vouz avez raison. Mais Henry James Plumlee rajoute un plus, un fait d’importance auquel il ne fait aucune allusion. Mais si vous avez un flair tant soit peu indien, vous saurez relever la trace…

Deux manières de raisonner. La première est sans danger. Toute historique. Entre les Apaches qui résistèrent et ceux qui composèrent pour ne pas employer le verbe collaborer, le résultat est le même. Le goût amer de la défaite… Celle-ci se cache d’ailleurs parmi les armes que l’on essaie d’opposer à l‘ennemi. Nakaidoklinni ne s’oblige-t-il pas à s’aider de symboles chrétiens dans le but de les retourner contre les blancs… Une erreur funeste aux lourdes conséquences. Le christianisme est le cadeau non pas empoisonné mais empoisonneur que les blancs refilent systématiquement à tous les peuples dont-ils veulent réduire les capacités de résistance. Un venin à dissolution lente qui se transmet de génération en génération et dont les effets délétères et handicapants sont encore à l’œuvre dans les réserves indiennes de nos jours…

La seconde est beaucoup plus embêtante. Plumlee vous décrit si froidement l’imbroglio des contradictions dans lesquelles sont ligotés les Apaches que le lecteur ne tarde pas à éprouver un malaise. Ce n’est pas le malheur des Apaches qui nous attriste, c’est cette idée qui doucement s’instille en notre esprit, que nous aussi nous sommes des Apaches, ou plutôt pour éviter toute identification par trop romantique - en tant qu’individus confrontés à un système sociétal tant économique que politique qui n’a d’autre but que de nous asservir - nous sommes à leur instar sans cesse à louvoyer entre le pôle de l’acceptation et celui de la révolte, ce dernier se traduisant par des actes beaucoup plus symboliques que nos soumissions collaboratrices. Nos atermoiements ne sont-ils pas des ruses dérisoires pour nous donner bonne conscience… Le no future des Apaches ressemble à celui des punks…

Ce livre est une balle perdue qui pulvérise vos illusions. I can’t get no auto-satisfaction.

Damie Chad.

07/07/2020

KR'TNT ! 472 : ART RUPE / ROCK HARDI / SFAX RECORDS / THE TRUE DUKES / RED TRUCK / NASTY NEST / VAGRANTS / BLUES AGAIN !

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 472

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

09 / 07 / 20

 

ART RUPE / ROCK HARDI

SFAX RECORDS / YOUNG JESSIE

THE TRUE DUKES / RED TRUCK / NASTY NEST

VAGRANTS / BLUES AGAIN !

 

ATTENTION !

COMME CHAQUE ANNEE KR'TNT !

PREND SES DEUX MOIS DE VACANCES REGLEMENTAIRES

NOUS VOUS DONNONS RDV

POUR NOTRE LIVRAISON 473

LE SAMEDI 29 AOÛT

ET LE JEUDI 06 SEPTEMBRE

POUR LA LIVRAISON 474

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

 

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Rupe it up

 

Enfin un livre sur Art Rupe ! Enfin un label boss qui n’est pas un gangster ! Enfin un livre au format 45 tours ! Enfin des choses sur Percy Mayfield et Jesse Belvin ! Voilà enfin la vraie histoire de Specialty Records, un nom qui nous fait tous autant baver que celui de Sun Records, une histoire racontée de l’intérieur par Billy Vera, issu du sérail Specialty puisqu’il bossa pour Art Rupe dans les années 80, à l’âge d’or du business des rééditions de catalogues. Rip It Up: The Specialty Records Story est un book qui grouille de personnages captivants et de détails tout aussi captivants. Comme l’ont montré Seymour Stein (Sire), Peter Guralnick (Sun), Robert Gordon (Stax), ou encore Jerry Wexler (Atlantic), l’histoire d’un label légendaire n’est jamais une mince affaire, comme on serait tenté de le croire. Vu d’avion, un label légendaire ressemble à une succession d’artistes, de tubes et de verres de champagne, mais la réalité est plus proche de celle d’une arrière-boutique d’épicerie, où il faut faire chaque soir les comptes, relancer les fournisseurs, payer le personnel, surveiller la concurrence et essayer de prévoir le lendemain. L’histoire de Sun et celle de Specialty prouvent qu’il ne suffit pas de découvrir des talents et de vendre des millions de disques pour mettre le label à l’abri. Aussi étrange que cela puisse paraître, ça ne suffit pas. Comme Art Rupe, Uncle Sam finira par se lasser de cette besogne épuisante et deviendra riche en faisant autre chose que de signer des artistes et de vendre des disques. Il investira en achetant des actions Holiday Inn et deviendra millionnaire. Art Rupe investira dans les puits de pétrole et deviendra lui aussi millionnaire. Ils laisseront tous les deux les turpitudes du music business à d’autres. Bien sûr, l’aventure du lancement fut aussi excitante pour Uncle Sam que pour Art Rupe, mais au bout de dix ans, une forme de lassitude prit semble-t-il le pas sur l’excitation. C’est d’ailleurs ce qui se produit dans n’importe quel type de projet : vous montez une boîte, pendant quelques années, c’est assez rigolo, puis ça devient plus austère et ça bascule dans une sorte de fonctionnariat. Si on ne s’est pas cassé la gueule, il est alors grand temps soit de jeter l’éponge, soit de passer le relais.

Comme le rappelle Vera, Art Rupe n’est pas musicien, mais il adore la musique noire, notamment le gospel, le blues et le jazz. Ce Californien à lunettes monte ce qu’on appelait alors a one-man operation, un petit music business sans prétention sur Venice Boulevard, à Los Angeles. Exactement comme Uncle Sam sur Union Avenue, à Memphis : une petite boutique et quelques nègres au catalogue. Ils ont un autre point commun, et quel point commun ! Ils éprouvent tous les deux de l’empathie pour les artistes. Art Rupe : «Mon seul talent était d’avoir de l’empathie. Je savais que tout se passait dans le studio. Enregistrer un disque, c’est la même chose que de diriger une pièce de théâtre, il faut développer, trouver une fin et voilà. Je n’ai fait que suivre ce principe.» Non seulement Art Rupe produit les sessions d’enregistrement, mais il assure aussi 100% du mastering sur Specialty.

Il sait s’entourer et engage J. W. Alexander comme directeur artistique (talent scout). Les Soul Stirrers, célèbre quatuor de gospel, se retrouvent sur Specialty. Les disques se vendent bien. Et pouf, un jour, R. H. Harris, que tout le monde considère comme le plus grand chanteur de gospel, quitte le groupe. Alors Alexander ramène un jeune coq, Cooke. C’est là que démarre la carrière de Sam Cooke, sous l’œil rond d’Art Rupe. Sam grandit très vite artistiquement et Rupe sent qu’il va finir par mordre le trait, comme l’ont déjà fait Dinah Washington et Clyde McPhatter, pour aller vers la pop, ce qu’on appelle le cross over. Par la suite, Sam Cooke et J. W. Alexander vont monter un label ensemble, le fameux SAR label, qui sera d’ailleurs le premier label appartenant à des noirs. Lorsqu’en 1965, Andrew Loog Oldham voudra racheter les droits de «Good Times» pour les Stones, il rencontrera à Londres J. W. Alexander et Allen Klein, qui veille alors sur le business de Sam.

Et puis, un jour de l’été 1950, un jeune compositeur d’une trentaine d’années entre dans le bureau de Specialty, sur Venice Boulevard, et demande à interpréter ses chansons. Il s’agit de Percy Mayfield. Pour bon nombre d’amateurs de blues, Percy Mayfield est un monstre sacré. Il a le même genre de talent que Billie Holiday. Il enregistre quelques hits et tout s’arrête brusquement en 1952. Il se trouve à bord de sa Chrysler neuve avec son entourage. Son chauffeur conduit. Il fait nuit noire sur cette vieille route. La Chrysler arrive au sommet d’une colline et entame sa descente, mais un camion se trouve en travers de la route. Lancée à 100 km/h, la Chrysler s’encastre dans le camion. Percy est devant, à côté du chauffeur. Le moteur de la Chrysler traverse le pare-brise et Percy le prend en pleine gueule. Les secours arrivent. On le croit mort, jusqu’au moment où on l’entend geindre. Il va rester deux ans à l’hosto et mettre du temps à retrouver son équilibre. Il va se retirer dans l’ombre et le mystère va régner sur ses pochettes d’albums.

On connaît surtout Percy Mayfield pour «Hit The Road Jack», qu’il composa pour Ray Charles. Ray l’embauche en 1962 dans son équipe. Il vient de fonder son label Tangerine et comme Berry Gordy à Detroit, il constitue une équipe de compositeurs maison. C’est là que Percy commence à pondre tous ses hits. Etta James, Bumps, Lowell Fulsom, Lee Allen et Paul Gayten assisteront à ses funérailles et Little Richard y chantera «Amazing Grace». Le mot de la fin revient à Art Rupe : «Il n’avait pas fait d’études mais il était extrêmement intelligent. Si on l’avait un peu plus aidé, il serait devenu aussi célèbre que Langston Hughes.»

Art Rupe récupère aussi Jesse Belvin sur Specialty, un Belvin qu’on considère comme le plus grand chanteur de Soul de Los Angeles. Lou Rawls se souvient qu’il traînait avec une sacrée bande, Larry Williams, Les McCann, Sam Cooke, Gene McDaniels, Johnny Guitar Watson, mais le leader c’était Jesse. «Tout le monde s’inclinait devant lui, même Sam.» Jesse Belvin allait devenir une star, ça ne faisait aucun doute. Après Specialty, il est allé comme Elvis et Sam Cooke chez RCA, et alors que son album Mr. Easy allait sortir, sa femme et lui se tuèrent au volant sur une route du Texas. Encore un accident de voiture ! Uncle Sam a eu lui aussi sa dose avec l’accident de Carl Perkins qui était en route vers la gloire.

Le coup de génie d’Art Rupe fut d’aller prospecter à la Nouvelle Orleans. Pourquoi la Nouvelle Orleans ? Parce qu’il adore Fats Domino. Son concurrent Lew Chudd, boss d’Imperial, a d’ailleurs découvert Fatsy à la Nouvelle Orleans. Alors comme Chudd, Art est persuadé que cette ville qu’on appelle aussi the Big Easy grouille de talents. Il engage Dave Bartholomew comme chasseur de talents et en 1952, il organise pendant trois jours des auditions chez Cosimo Matassa, au fameux J&M Music Shop, sur Rampart Street. Pas mal de candidats. Chou blanc. Puis arrive un black nommé Lloyd Price. Rupe flaire le talent et demande à Dave Bartholomew d’organiser une session d’enregistrement. Fats vient même y jouer du piano. D’ailleurs Fats aime bien Rupe et lui demande s’il peut enregistrer sur Specialty, mais Rupe qui est un mec carré en affaires lui dit non, car Fats est déjà sous contrat avec Chudd. Rupe rappelle gentiment que beaucoup de ces artistes ne comprenaient pas ce que signifiait la signature d’un contrat.

Dans son autobio, Pricey amène un éclairage complémentaire. L’ouvrage s’appelle Sumdumhonky, ce qui signifie some dumb honky, honky étant l’homme blanc, évidemment. Lloyd Price qu’il faut considérer comme l’un des pionniers du rock («Lawdy Miss Clawdy», c’est lui) est un homme en colère. Son petit livre est un violent pamphlet contre le racisme des blancs du Sud, et plus particulièrement ceux de Kenner, une bourgade de Louisiane où il a grandi. Il confirme ce que dit Billy Vera, c’est Bartho qui l’a découvert alors qu’il jouait «Lawdy Miss Clawdy» sur un petit piano, dans la boutique de sa mère. Lloyd rappelle qu’en 1952, il était le heart and soul du new Beat in New Orleans - They say I was the first black teenage idol and Shirley Temple was the white one. Lloyd Price devient une star, mais il est appelé sous les drapeaux et envoyé en Corée. Quand il revient en 1956, il enregistre quelques bricoles pour Rupe, mais Rupe n’a plus le temps de s’occuper de lui, pas plus qu’il n’aura le temps de s’occuper de Clifton Chenier, lui aussi arrivé sur Specialty : Little Richard lui prend tout son temps. One man operation. Chudd a le même problème chez Imperial : il doit choisir entre Fatsy et Ricky Nelson qui est en train de devenir énorme. Le choix est vite fait. Bon, Pricey ne se formalise pas, il monte son label, KRC et s’installe à Washington DC. Il compose «Just Because» et quand son cousin qui est aussi son valet, Larry Williams, lui demande s’il peut l’enregistrer, Pricey lui répond : «Ferme ta gueule et conduis.» Par contre, il dit le plus grand bien d’Art Rupe : «Pendant tout le temps qu’Art Rupe fut le propriétaire de Specialty, j’ai reçu tous les six mois un chèque de royalties.» S’il est une chose que Pricey apprécie dans le business, c’est l’intégrité, surtout l’intégrité des blancs. Il restera aussi en très bons termes avec Allen Klein qui l’a aidé à une époque à récupérer tout le blé que lui devait ABC Paramount.

Bon, il faut ouvrir un bureau dans le Sud, se dit Rupe. Il ne choisit pas la Nouvelle Orleans, mais Jackson, Mississippi et confie le job à un certain John Vincent Imbragulio. Ce dernier fume des gros cigares. Rupe lui dit que la fumée le dérange et lui conseille de changer de nom, car le sien est imprononçable. Imbragulio devient Johnny Vincent, une légende à part entière. Le job de Johnny Vincent est de remplacer Dave Bartholomew et de repérer les talents, puis de les emmener enregistrer chez Cosimo. C’est encore du cœur de mythe. Le studio de Cosimo est à l’époque le seul endroit en ville où les noirs peuvent enregistrer. C’est chez lui que Lloyd Price, Fatsy, Smiley Lewis, Shirley & Lee et d’autres ont enregistré tous leurs hits. Johnny Vincent supervise la session historique de Guitar Slim puis il produit en 1954 un certain Earl Silas Johnson, plus connu sous le nom d’Earl King, un fan de Guitar Slim. Mais Rupe ne trouve pas Johnny Vincent très fiable. Bon d’accord. Johnny Vincent quitte Specialty et monte son label Ace Records. Earl King le suit. Ace Records devient à son tour légendaire, tellement légendaire que Roger Armstrong et Ted Carroll baptiseront leur label londonien du même nom.

C’est après l’épisode Johnny Vincent que Rupe engage Bumps Blackwell, originaire de Seattle et leader d’un big band dans les années 40. Bumps eut dans son orchestre un jeune pianiste nomme R. C. Robinson, qui allait changer de nom pour devenir Ray Charles. À Los Angeles, Rupe a trop de boulot et cherche quelqu’un pour l’aider. Arrivé à Los Angeles pour étudier la composition, Bumps accepte le job que lui propose Rupe. Specialty va exploser, avec Little Richard et Larry Williams.

Au début, ni Bumps ni Rupe ne sont convaincus par l’enregistrement que leur a envoyé Richard, sur la recommandation de Lloyd Price. Mais Richard les harcèle au téléphone et Rupe craque, demandant à Bumps de le signer, de racheter le contrat signé par Richard avec Don Robey et d’organiser une séance chez Cosimo. Ce sera une séance historique car Little Richard va éclater à la face du monde. Il est accompagné par le backing-band de Fatsy. Vera s’amuse à réactiver toute la légende de l’extravagant Little Richard, via Esquerita, The Thirteen Screaming Negroes à poil sous leurs impers et Billy Wright, autant de blacks fardés, coiffés et parfumés comme des poules et qui furent à leur façon des artistes d’avant-garde, terriblement en avance sur leur époque.

Le conte de fées prend brutalement fin lorsque Richard décide de se consacrer à Dieu et donc il met fin à sa carrière de rock’n’roll star. Rupe n’en revient pas. C’est une rupture de contrat. Richard reviendra aux affaires un peu plus tard, drivé par Don Arden. Accompagné de Billy Preston, Richard accepte le principe d’une tournée en Angleterre, à condition de pouvoir chanter du gospel, mais bien sûr, le public ne l’entend pas de cette oreille et Richard doit vite revenir à sa vieille pétaudière. Il retournera aussi en studio une fois avec Art Rupe, pour un résultat que Rupe trouve mauvais, puis chez OKeh avec Larry Williams.

Tout aussi tapageur, voici Larry Williams. Il arrive comme un plan B dans l’histoire de Specialty. Il faut quelqu’un pour remplacer Little Richard. Au même moment, Rupe engage un jeune compositeur blanc nommé Sonny Bono. Il pond «High School Dance» pour Larry Williams. Tapageur, Larry Williams ? Oui mais pas pour les mêmes raisons que Little Richard. Larry est un real bad boy, dealer et souteneur. Il fait travailler des filles et vend de la dope à des gens riches. Il est arrêté une première fois par les flics de Los Angeles et viré de Specialty. Libéré, il ira chez Chess puis reprendra son business. Le flics le rechopent en 1960 et le bouclent pour trois piges. À sa sortie, il devient A&R chez OKeh, filiale de Columbia spécialisée dans la musique black. Il y produit deux albums de Little Richard, The Explosive Little Richard et un faux live enregistré en studio à Hollywood, mais comme le dit Richard dans son autobio, il déteste le son OKeh, beaucoup trop Motown pour lui.

Mais c’est avec le dark side of business que Larry fait son vrai beurre. Il achète une maison de 500 000 $, il porte des boots avec des talons transparents dans lesquels nagent de vrais poissons rouges, il se pare de manteaux de fourrure et des bijoux. La fin des années 70 est l’âge d’or de la coke à Los Angeles. Larry achète et vend en quantités industrielles. Quand Richard oublie de payer ce qu’il lui doit, Larry lui colle son calibre sous le nez.

Etta James rend à Larry le meilleur des hommages dans son autobio. On trouve aussi des choses captivantes dans The Brothers de David Ritz. Larry est en effet le mentor d’Aaron Neville. C’est Charles Neville qui nous présente Larry Williams, l’un de ces new cats in rock’n’roll, qui porte un gangsta pimp hat et qui dispose d’un valet pour le servir. Il a des tas de gonzesses collées à ses basques et une Lincoln Continental Mark IV vert pastel. Sur la portière est collé un sticker qui annonce : I stop for all blondes. Larry Williams est une légende vivante. Pour Art Neville, Larry navigue exactement au même niveau que Fats et Little Richard - The man was a trendsetter, c’est-à-dire un mec qui lance les modes. Aaron Neville découvre rapidement qu’avant d’être une star, Larry est surtout un gangster - He had plenty guns and plenty attitude - Les guns, c’était surtout un moyen de se faire payer. Un jour, Larry explique tout à Aaron : «Baby bro, je fais la route comme un motherfucker depuis des lustres et j’en ai marre de me faire rouler. That’s all this business is. Les maisons de disques, les promoteurs, them fools do nothing but pimp your ass. Le mac, c’est celui qui ramasse du blé. Il vaut mieux être le mac que d’être maqué - makes more sense to be the pimp than be pimped.» Et Aaron ajoute : «Quand ses ventes de disques chutèrent et que ses fans n’allaient plus le voir sur scène, il devint un vrai mac. In the slick world of slick pimps, Larry Williams was the slickest of ‘em all», c’est-à-dire un mac très au point - J’étais aux première loges pour le constater.

Voilà pourquoi Larry Williams s’est recyclé - Just the way the record companies stole from me, I intend to steal from the world - Alors, sur la foi de cette morale infaillible, il s’entoure de voleurs et de putes. Il monte une agence artistique, mais il n’organise pas des spectacles, il organise des cambriolages. Aaron est souvent sur la banquette arrière. Il assiste aux grandes heures du duc de dude. Larry ne se fait jamais prendre. Il est capable de sauter du haut des falaises et de se planquer dans des ravins - Larry was a cowboy. I wasn’t - Aaron n’est par un cowboy, alors il se fait poirer.

En janvier 1980, on retrouve Larry dans sa Rolls. Il est garé dans l’allée de sa villa à Mullholland Drive, Hollywood, avec une balle dans la tempe. On parle de suicide, mais ceux qui le connaissent savent qu’il a été exécuté. Par un autre dealer ? Par un autre mac ? Par un flic ? Mais si Larry Williams reste bien vivant dans les mémoires, c’est essentiellement pour la qualité de son rock’n’roll.

C’est Sonny Bono qui va remplacer Bumps comme chasseur de talents et producteur chez Specialty. Quand Rupe se lasse du music business et qu’il ferme la boutique, Bono continue. Avec son pote Jack Nitzsche, il compose «Needles And Pins» pour Jackie DeShannon et travaille pour Phil Spector en tant que promotion man, percussionniste et coursier, avant de connaître le succès avec Sonny & Cher.

En 1957, Rupe finit par ouvrir un bureau à la Nouvelle Orleans et propose le job à Harold Battiste, autre personnage clé dans l’histoire de la scène locale. Battiste tente de lancer des blancs locaux, suite au succès de Frankie Ford. Jerry Byrne ne parvient hélas pas à percer, mais il entrera dans la légende en enregistrant «Morgus The Magnificient» avec Morgus and the Three Ghouls, sur Vin, l’un des labels de Johnny Vincent. Mac Rebennack, Huey Piano Smith et Frankie Ford font aussi partie de ce groupe mythique. C’est Harold Battiste qui permettra à Mac Rebennack d’enregistrer Gris Gris, son premier album, à Los Angeles. Sonny Bonno et Battiste resteront en très bons termes après la fin de Specialty, puisque Bono changera Battiste de diriger son orchestre, aussi bien en studio que devant les caméras de télévision.

La dernière découverte de Rupe est un duo, Don & Dewey qui, vous dit Vera, sonnent comme du Little Richard on steroids. Il affirme que «Justine» est du niveau des grands disques de Little Richard et de Larry Williams. C’est donc à Don Sugarcane Harris et Dewey Terry que revient l’honneur d’avoir enregistré Specialty’s final truly rocking records.

Après avoir découvert Sam Cooke, Percy Mayfield, Lloyd Price, Guitar Slim, Little Richard, Larry Williams et Don & Dewey, et lancé les carrières de Johnny Vincent, Bumps Blackwell, Sonny Bono et Harold Battiste, Art Rupe déniche un autre phénomène. En 1967, il tombe sur une thèse qui le passionne : Negro Popular Musice 1945-52, rédigée par un étudiant nommé Barret Hansen. Rupe décide d’en savoir plus et recherche Hansen. Hansen deviendra Dr. Demento et travaillera pour Specialty dès 1968. Il écoute toutes les archives, y compris les outtakes et rédige les notes de pochettes destinées aux rééditions. Par la suite, Dr. Demento deviendra l’énorme spécialiste que l’on sait.

Signé : Cazengler, Art Pute

Billy Vera. Rip It Up: The Specialty Records Story. BMG Books 2019

 

Rock Hardi, moussaillon !

 

Les fanzines, c’est comme les concerts, ça se raréfie dangereusement. Dans la vie d’avant, les concerts et les fanzines abondaient tellement qu’il nous arrivait de nous plaindre. Oh la la, tous ces concerts, comment qu’on va faire ? Oh la la, tous ces fanzines, comment qu’on va faire ? Mais au sortir du désert, le moindre concert va ressembler à la bouteille de rhum du Capitaine Haddock, d’ailleurs il vous suffira pour vous en convaincre de lire la kro du concert de Tony Marlou mise en ligne la semaine dernière : Damie Chad en fait jaillir la pulpe jusqu’au délire, il en extrait tout le jus jusqu’à la dernière goutte. Après une telle période d’abstinence, on va certainement aller se jeter sur n’importe quoi, comme le troupier sur la pute au retour du front, histoire de renouer avec le vrai truc. Rien de tel qu’une scène avec des vrais gens dessus, des guitares et beaucoup de bruit.

Côté fanzines, c’est pareil, on se tourne vers les survivants. Avec la fin de Dig It! s’ouvre une nouvelle ère, une ère charmante et désolante, l’ère du néant. Comme Bomp! puis Ugly Things, Dig It! montait bien au cerveau, avec sa profusion d’infos, de chroniques, d’interviews, il arrivait même qu’on se plaigne de cette abondance, mais en même temps on tremblait à l’idée qu’elle put disparaître un jour. Voilà c’est fait. Glou-glou. Dig It! gît par deux mille mètres de fond dans les mémoires. L’underground existe encore, mais sur Internet... et dans Rock Hardi. Un Rock Hardi tout petit, qui semble tellement fragile qu’on craint pour sa santé ou qu’il ne se fasse écraser par les gros pneus caoutchouteux des vilains canards kiosqués. Mais comme Moïse dans son berceau, Rock Hardi remonte les fleuves, se taille un chemin à travers les roseaux et échappe aux claquements de mâchoires des crocodiles sacrés. Sous des apparences de petite fanzine riquiqui, Rock Hardi a la peau dure. Il vous suffira de feuilleter le dernier numéro pour vous en convaincre définitivement.

En plus des disques, Rock Hardi propose des chroniques de books, de polars et de bandes dessinées, histoire de nous rappeler que nous sommes tous des adolescents attardés et fiers de l’être. Côté interviews, on est gâté : les vieux coucous et les jeunes coucous se bousculent au portillon. Le gros Sal Canzonieri tombe à pic pour nous remonter le moral et nous rappeler qu’Electric Frankenstein fut dans les années 2000 l’un des fers de lance du garage revival, avec un petit côté edgy en plus, aux frontières du Dead-Boyo-Blag-Flagisme. Ils firent sauter la sainte-barbe du Nouveau Casino en 2005 et tous les rescapés de cette aventure en frissonnent encore. Le gros Sal nous renvoie aussi à nos étagères : ressortez votre collection de compiles A Fistful Of Rock’n’roll. Le cerveau de cette série légendaire, c’est lui ! Ces compiles trop denses ont causé la faillite de bien des budgets, car la plupart des cuts renvoyaient à d’excellents albums, la liste est sans fin, Supersuckers, Zeke, BellRays, Action Swingers, Von Zippers, Dexateens, Streetwalking Cheetahs, Black Halos, DGeneration, Quadrajets, Tricky Woo (remember ?), les fabuleux Toilet Boys, les Rocket 455 de Dan Kroha, Lazy Cowgirls, les Dragons, Turbonegro, Sonny Vincent, Dwarves, Mooney Suzuki, et ces rois de la fête qu’étaient les Upper Crust de Boston, et puis Zen Guerilla dont on a revu le chanteur récemment sur scène avec Wayne Kramer. À cette liste qui donne un peu le vertige, il faudrait ajouter Cherry Valence, les Lord High Fixers de Tim Kerr, Nebula, Hellacopters, les Powder Monkeys, les Superbees dont l’album est passé complètement inaperçu, Fu Manchu, les Sewergrooves et tous les autres. Les 13 volumes de la série équivalent en densité et en qualité au boulot qu’a abattu Tim Warren avec les 10 volumes de Back From The Grave. Tout amateur de garage se doit de posséder les deux séries. Elles constituent une sorte de double concentré de tables de la loi, pour rester dans l’imagerie de Moïse. Petite cerise sur la gâteau, le gros Sal connaît bien la scène française, puisqu’il cite un paquet de groupes, dont le Jerry Spider Gang (présent sur le volume 13) et les Badass Mother Fuzzers. Pas mal, non ? Rien qu’avec ce premier interview, on a l’estomac calé pour la journée. L’autre vieux coucou, c’est Pete Shelley. L’interview date de 2006. On y retrouve un homme effarant de modestie, alors que les Buzzcocks sont devenus un groupe culte. Ils constituaient sur scène le plus délicieux mélange qui se put concevoir : un Pete Shelley extrêmement sobre, un Steve Diggle tellement émerveillé de se retrouver sur scène qu’il se marrait comme un gamin et puis cette série de hits parfaits qui n’en finissent plus de nous donner des frissons. Mais leur plus beau coup de Jarnac reste Spiral Scratch, un EP paru à l’aube du mouvement punk anglais. Les Buzzcocks furent avec les Damned les pionniers d’un épi-phénomène qui allait réveiller brutalement la vieille Angleterre. Il est essentiel de rappeler que ces deux groupes partaient de rien : pas de blé mais ils avaient le bon goût d’écouter de bons disques, comme le rappellent d’une part Pete Shelley dans l’interview, et d’autre part Brian James dans le book que vient de lui consacrer John Wombat. Par sa sobriété, l’after Pete tombe sous le sens. Savoir que Steve Diggle continue est la meilleure des bonnes nouvelles, puisqu’il est l’anti-charognard par excellence et bien sûr le coffret à paraître va encore creuser un trou dans les phynances, cornegidouille ! Mais comme dirait la chandelle verte, les phynances sont faites pour ça, et ce qui nous fait baver à l’avance, c’est de savoir qu’on y trouvera un album inédit, The Infamous 1991 Demo. Miam miam & thanks for the news.

Côté jeunes coucous, on tombe plus loin sur King Khan qui se présente comme le roi des huîtres, un peu à manière de Nathan Roche (Villejuif Underground) qui dit préférer manger des huîtres à Oléron plutôt que de répondre à une question trop sérieuse. King Khan aime bien déconner lui aussi, mais il devrait se méfier car il pourrait bien devenir malgré lui le maître à penser du monde moderne, ce que refusa de faire Dylan en son temps. Les délires de King Khan sonnent étrangement comme de la sagesse bouddhico-punk. Il énonce ses quatre vérités comme le fit jadis Lao Tseu, par exemple : «Ne pas être pris pour un con». On rigole en lisant ça mais si on réfléchit ne serait-ce qu’un instant, force est de constater qu’il est bien plus fort que le Roquefort. D’ailleurs, il jongle fabuleusement avec les métaphores culinaires, affirmant à un moment que «s’il pouvait manger des tricandrilles tous les jours, il serait probablement décédé, mais son cadavre aurait la banane». King Khan a raison, alors que tous les rockers font des efforts désespérés pour ne pas ventripoter, lui ventripote à qui mieux-mieux et devient le vrai rocker, the larger than life louder than death. On ne peut pas lutter contre la puissance de son overdrive, et c’est parce qu’il a su tourner le dos à la connerie qu’il est devenu le King Ubu du rock, c’est-à-dire un héros mythologique. Comme Choron, Mocky, Gainsbarre, Marcel Duchamp, Marco Ferreri, Vivian Stanshall, Alfred Jarry et tellement d’autres, il a compris qu’il valait mieux prendre «ce monde déglingué» à la rigolade. Toutes les fois où on l’a vu sur scène, on s’est vraiment bien marré, et en même temps et quelle que soit la formation, King Khan a toujours veillé à bien foutre le souk dans la médina. On peut difficilement espérer plus in the face que The King Khan & BBQ Show.

On reste dans les jeunes coucous avec Destination Lonely dont l’interview est assez marrante. On la lisait l’autre jour dans le train avec un copain et on se bidonnait comme les marionnettes du Muppet Show. Parmi ses influences musicales, Wlad cite la Villageoise 11°. Par contre, Lo Spider veille à soigner la réputation du groupe en citant les Country Teasers, Cheater Slicks, les Chrome Cranks, la compile historique Rockabilly Psychosis & the Garage Disease parue sur Big Beat en 1984 et qui effectivement marqua les cervelles au fer rouge puisqu’on y trouve la crème de la crème du gratin dauphinois, à savoir le Gun Club, Panther Burns, Hasil Adkins, les Sonics, les Cramps et quelques autres belles breloques du même acabit. Et puis bien sûr les Saints dont il passait parfois un cut dans le Dig It! Radio Show. Côté influences, le groupe est irréprochable. Ne manque que le nom du ‘68 Comeback. Il n’est pas surprenant de retrouver dans leur process de faisabilité des choses les grands noms d’une certaine élite : Magnetix, Weird Omen et JC Satan. L’interview tient le lecteur par la barbichette. Aucune trace de prétention chez ces mecs-là, on peut y aller les yeux fermés. Leur talent pour l’auto-dérision les immunise. Mine de rien, ils sont en train de devenir des géants de la scène française, avec du son, beaucoup de son. On comprend que Beat-Man leur ait offert l’hospitalité sur son label.

D’autres trucs passionnants, comme par exemple l’histoire du tribute français à Roky Erickson, un projet sorti de la cervelle de Dom Lonesome Dog, l’histoire d’Ici Paris, un bel hommage à Gildas Cospérec, puis Shakin’Street et les bons souvenirs de Mont-de-Marsan, Marc Zermati et Sandy Pearlman. D’autres choses encore, et puis surtout le CD qui est à Rock Hardi ce que le Radio Show était à Dig It!, c’est-à-dire la bande son du zine. C’est l’occasion de recroiser le chemin d’Electric Frankenstein, autrement dit Attila & the Huns, qu’on voit foncer à travers les plaines à fond de train. L’occasion aussi de recroiser Destination Lonely avec «Nervous Breakdown», un back to the basics du heavy sound et une voix avalée par le riff de heavy sludge. Personne ne peut échapper à ça. L’occasion aussi de découvrir ou de redécouvrir Ici Paris et un «Désir» chanté d’une voix de suceuse, c’est excellent, plein de tonus de teenage lust moulé sous une gelée royale de viens-mon-lapin, elle chante à l’énergie du power glam de foie de canard, c’est bien percuté dans l’occiput, avec un son qui coule entre les cuisses de Jupiter. Imbattable, pur jus de sex & drugs & rock’n’roll. Ils visent l’horizon power-punk pour «Seule» et tapent ça au deux trois quatre. On vendrait son père et sa mère pour obtenir un tel son. Avec «If You Only Knew», les Night Times jouent à la racine du root, ils sont marrants avec ce petit chant impavide tartiné sur canapé de fuzz, trout mak replica de garage suckers. Bienvenue dans l’œuf de serpent. On recroise aussi Roky Erickson avec Phil Amar & the Lonesome Dogs. Là t’es baisé avec le «Bloody Hammer», ils te marchent sur la gueule, cover parfaite, bien ancrée dans l’écho du temps. Ce sont les Premonitions qui décrochent le pompon avec leur pur jus d’envoyade, «Zoot Suit». Ils passent un solo en note à note en plein tatapoum. Fuck, se dit le lecteur, ces mecs ont beaucoup de talent. Leur «Mary Lou Blues» qui va plus sur le garage-punk est même, n’ayons pas peur des mots, assez monstrueux. Ils sonnent comme les Lyres. C’est soutenu à l’orgue, mais violemment, avec une grosse teneur en uranium. Saluons aussi la belle heavy power pop de LB Goodson («She’s In The Way»), chantée à la traîne et arrosée d’harmo, et ce downhome strawberry sound de petite franquette qu’est «Desmond», petit chef-d’œuvre de trash lo-fi. Les becs fins du rock vont adorer ça.

Signé : Cazengler, Rock Harpic WC

Rock Hardi # 57. Fanzine libre et autonome.

 

Sfax similé - Part One

 

Pendant dix ans, un petit label français nommé Sfax redora avec un réel panache le blason du rockab français. C’est sur Sfax que parut en 2006 le premier album de Carl & The Rhythm All Stars, probablement l’un des meilleurs albums de rockab de tous les temps. Music To Live bat bien des records et fut même bien meilleur que leur troisième album pourtant paru sur Wild. Music To Live fut épluché sur KRTNT voici belle lurette.

L’autre grand nom de Sfax, ce sont bien sûr les Hot Chickens, avec trois tributes qu’il faut bien qualifier d’explosifs, Play Gene, tribute à Gene Vincent, Rock Therapy, tribute à Johnny Burnette et Speed King, tribute à Little Richard. Trois albums imbattables, de vrais modèles du genre, des albums de fans faits pour les fans. On ne peut pas rêver mieux. Ils furent eux aussi examinés en long, en large et en travers dans Hit The Road Jake - Part One, mis en ligne sur KRTNT à la suite du Béthune Rétro 2019.

Hichem - le boss de Sfax qu’on peut toujours voir aux Puces - n’en était pas à son coup d’essai. Il avait déjà à son catalogue une belle ribambelle de grosses équipes, à commencer par les Roadrunners de Russ Purdy, alias Russ Be Bop. Paru en 1996, Catch Us If You Can est le Sfax CD 01. Que de son, my son ! Ces Anglais attaquent bille en tête avec «Rock My Boogie», un superbe shake de deep boogie down slappé à cœur vaillant rien d’impossible. Ils sonnent comme des dieux du rockab. Russ Purdy a tout bon, il sait appeler une syllabe par son nom - She rocks my boogie now - Ils font quelques reprises comme par exemple «Strychnine» - où ils se vautrent - et «Proud Mary» qui accroche un peu mieux. Voilà en effet un bel hommage à Fog. Ah ces mecs ont du répondant dans la culasse. Ce solid romp est vraiment très bien vu. Une bonne chanson reste une bonne chanson, même quand elle est cousue de fil blanc comme neige. Ils font aussi du très bon raw to the bone avec «Somethin’ Baby» et «Buzz Me Babe». Quels jolis drives de strumming ! Ils ont tout compris, c’est wild at heart. Ces deux cuts relèvent de l’imparabilité des choses de la vie. C’est le bass boy Paul Cameron qui prend le chant sur Buzz - Well you buzz me babe - Leur «Voodoo Child No2» n’a rien à voir avec celui de Jimi Hendrix. Ils font leur propre voodoo. Puis ils grattent «The Blues Comes Around» au big clash de bottlerock monté sur un big beat rockab. Ces mecs sont experts dans l’art de manier le rootsy rockab feel, en voilà la preuve éclatante. C’est un régal que d’écouter des gens qui cumulent aussi bien les fonctions : le raw, le drive, le beat, le shuffle, le souffle et l’éclate de la patate. Real raw baby ! Chapeau bas ! Ils restent dans la belle affluence du raw pour un «Get Ready To Rock» traversé par un solo accidentaliste effarant de classe. Il faut saluer Russ Purdy, c’est un killer, ses solos sont des modèles de remote control. Les Roadrunners enfoncent les Stray Cats quand ils veulent. Encore une merveille avec «Blues Blues Blues» amené au big rumble de riff raff conquérant. Une véritable horreur. Russ Purdy est un démon renversant de posture. Il fait trembler la statue du blues. C’est énorme. Le ton est juste. On se souviendra de cet album et de sa qualité de son irréprochable. Leur cover de «Roadrunner» est aussi une merveille de real deal. Bip bip ! Comment s’appelle ce label au fait ? Sfax ? Wow !

Hichem n’allait pas en rester là. Un an après paraissait l’album des Runnin’ Wild, Northwind. Ça grouille de bombes là-dedans. Et ce dès «Schoolboy Blues», une samba mais avec du gut et même de l’undergut. Ces trois mecs y ramènent la hargne du heavy rockab demented. Le chanteur s’appelle Patrick Ouchene et il chante son schoolday blues off his ass, avec une mèche de Misfit sur la figure. Avec Carl, Jake Calypso, Russ Purdy et Patrick Ouchene, on peut dire que Sfax disposait alors d’une sacrée écurie de hot spots. Le morceau titre qui suit va plus sur Jacques Brel, mais ce démon gratte sa viande au vent mauvais du plat pays avec un violon tzigane en following. Imbattable ! Nouvelle surprise avec «Love’s In The Air» tapé au slap de rêve. On s’effare de tant de véracité artistique. Plus loin, il nous gratte «Wild Wild Lover» à la cocote sourde. Quand ils vont sous le boisseau, ils vont sous le boisseau. Ces mecs-là ne rigolent pas. Et puis ça explose, on ne sait pas pourquoi. C’est tellement parfait qu’il n’y a rien à redire. «Here Comes Johnny» vaut pour un vieux shuffle de rockab. Ces mecs sonnent tellement juste qu’on finit par se poser des questions : sont-ce vraiment des Belges ? Il y a chez eux une telle excellence de la prestance. Avec «Twixteen», ils sont encore en plein dedans. On entend Patrick Ouchene jouer un lead de jazz dans «Rock’n’ Ry» et il gave son «Catalina Push» de son comme une oie - Catalina push push - ça donne du Tino Rossi sous amphètes. Ils sont même capables de sonner Cajun comme le montre «There’s Nothing As Sweet As My Baby», avec les violons et les vertiges de l’atour. Attention à la section Bonus. C’est très explosif, notamment la version de «Milkcow Blues» qui est pleine de viande. Ouchene la saque bien sec. C’est l’une des meilleures covers de Milkcow jamais enregistrées, avec des poussées de fièvre plus vraies que nature. C’est joué au son pointu, mais à l’excédée. Encore plus sec : «You Got (Everything)». Bien claqué du beignet, embarqué au heavy bop. On peut bien le dire, ces mecs sont doués au-delà du raisonnable, comme le montre encore «I’ve Got To Jump On Johnny». Vas-y Johnny fais-moi mal, enfer et damnation, c’est encore un fuckin’ smoking beast ! S’ensuit un «Teenage Lover» assez bomped, ces mecs allument tous leurs cuts un par un, comme à confesse, et dans les règles de l’art. Retenez bien ce nom : Runnin’ Wild. Des gens aussi brillants, vous n’en croiserez pas tous les jours dans la rue.

Ouf ! Sfax nous donne un peu de répit en se vautrant avec l’album d’Ike & The Capers. I’m Not Shy To Do est un album raté. Dommage car ça partait d’une bonne intention : c’était le Sfax LP 01. Problème de production ? Le «What’s The Show» d’ouverture de bal d’A fait dresser l’oreille avec son solo de clairette et Ike impressionne avec «I’m Haddin’ Home», car il se poste à la pointe du progrès de la niaque. Mais après ça se gâte terriblement. Il ouvre son bal de B avec «She’s Gone», une belle tentative de commotion, on le sent très déterminé à jiver by the record machine, mais globalement, l’album souffre d’une dramatique carence compositale.

Heureusement, Russ Be-Bop et ses Roadrunners refont surface pour voler au secours de Sfax avec un deuxième album, Movers & Shakers. On retrouve l’extraordinaire qualité du son dès «Howlin’ For My Baby», raw as it goes, avec un slap incroyable de véracité, claqué sec avec du cha cha cha dans l’os de l’ass. Un vrai coup de génie. Sur cet album, toutes les parties de guitare sont exceptionnelles. Russ Purdy ne laisse rien au hasard. «Your Cheatin’ Me» sonne comme un petit cut de fête foraine, ou plutôt un cut qui ne veut pas dire son nom, même si la fièvre le parcourt tout au long de l’échine, on sent la poussée du slap derrière et ça bascule dans l’excellence du bop. Les scientifiques appellent ça le bop prévalent. On reste dans le décrochage de mâchoire avec «Castin’ My Spell», solide shake de shark. Peu de groupes savent sonner aussi bien. C’est un fabuleux shake d’à ras les pâquerettes, ils mixent le Diddley beat avec le raw to the bone, c’est dire s’ils ont bon goût. Impossible de résister à l’attaque de «Chicken Runner Blues». Heavy romp + gimmick perfide + slap des enfers, ça donne le Chicken shake dont on rêve. Ces mecs jouent leur va-tout en permanence. Ils changent de son avec «Take A Look At My World» joué aux heavy chords, ça tombe sur le pli, comme un pantalon, un son plus sixties. Retour au slap avec «Gone Blues Train». Ça pulse dans la gare, Edgard. Ils y vont franco de port. Le slap mène la danse. Avec «Killing Time», ils s’engagent dans le vieux groove de rockab bien gratté des puces. C’est sans appel. Ils passent à l’instro de frenzy avec «Hi Jack». Ils nous rockent ça out of it. Tu vois trente-six chandelles, c’est la piste aux étoiles, ils ne reculent devant aucun excès. Encore plus effarant, voilà «We Love To Boogie», amené au riff raff de slappy baby, ils rallument la flamme avec un son énorme, du raw of it all - Yes I love to boogie/ On a saturday night - C’est le son définitif, l’essence même du rockab. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec «Rocket Ship», une apothéose de bop it down.

Hichem retente le coup du vinyle avec l’I Want It Hot des Kentucky Boys. Ce Sfax LP 02 paraît en l’an 2000 avec cinq creepers alignés sur la pochette. On est là dans un son plus Ted, mais avec une belle énergie, comme le montre «Marie Marie», un joli drive digne des meilleurs jukes de banlieue. Ces jeunes coqs ont tout bon au plan du pulsatif de bopping machine. Mais après ça se gâte. Tout le monde n’est pas Jake Calypso ni Russ Purdy. Ils sauvent la mise de leur album avec un morceau titre bien embarqué au slap frénétique et on assiste en plein milieu à un sacré télescopage de solo et de gratté de slap. En B, on devra se contenter de trois bricoles, comme ce classique «Rock-a-Billy», ce «Cool Cool Baby» boppé sous le boisseau du kentucky alsacien et «Teddy Boy», bien chaloupé du bottom de beat, avec derrière ce bon son de slap clair et net. Ces mecs ont la main verte.

Tony Marlow est l’un des Bops de Betty And The Bops. Hot Wheels On The Trail date de 2005 et Marlow le marlou n’a pas encore les cheveux blancs. Betty slappe et chante. On sent la réalité de leur son dès «Hound Dog On My Trail». Tony Sasia bat son bord de caisse. Ils passent aux choses sérieuses avec «You Better Run». C’est plutôt wild avec un petit côté banlieue bien amené. Marlow le marlou joue du killer solo flash, il en a la carrure, il sait jouer au dératé. Betty reprend le lead au slap avec «Go Cat Go» et le marlou joue en clair derrière. Le niveau va hélas baisser pendant une petite série de cuts et ils font un retour en force avec «The Memphis Train» et sa belle descente de basse à la Bill Black. Betty chauffe comme Marcel, on peut lui faire confiance et soudain, le marlou rentre dans le lard du Train avec un solo demented. On reste dans l’énormité avec un «All I Can Do Is Cry» claqué au big riffing de marlou. C’est encore une fois slappé de frais et rempli à ras bord de big sound. Il faut voir ce marlou swinguer la cabane. Betty et ses amis ne font pas n’importe quoi, sur ce mighty label. Et paf, voilà la reprise fatale : «Please Don’t Touch». Betty rentre dans le lard du Kidd avec une niaque héroïque. Côté son et esprit, c’est absolument parfait. Ils font aussi une reprise du «Tear It Up» de Johnny Burnette. Betty la prend comme il faut, à la bonne franquette et boucle son bouclard avec «Bop Little Baby». Elle y va sans se poser de questions et le marlou sonne bien le tocsin du riff. On peut dire que ça shake sous la ceinture.

En 2006, Hichem publie son Sfax CD 08 : le Rockabilly Sauce des Hot Rocks. On les voit tous les trois sur la pochette avec des vestes en peau de zèbre. Désolé les gars, c’est encore un must. L’album grouille de son et de bonne humeur rockab. Le surdoué de service s’appelle Alexis Mazzoleni et quand on lit le feuillet intérieur, on tombe sur le nom de Jerry Dixie, crédité pour la photo du trio appuyé contre une grosse caisse américaine. Il faut dire que l’album démarre laborieusement avec un «Boogie Woogie All Night Long». Ça mon gars, all nite long, il faut la bite qui va avec. Ils tapent une reprise d’«All My Myself» au hiccup de saute mouton. De toute évidence, ces mecs y croient dur comme fer. Quand on écoute «Somebody’s Fool», on réalise qu’ils sont dans leur truc et qu’il ne faut pas les embêter. Ils ont la bénédiction du Pape Hichem. Ils font un peu de bop avec «Bop Bop Baby Bop». Au moins, ils ne risquent pas de se faire une entorse à la cervelle. Et soudain, les Hot Rocks prennent tout leur sens avec «Get Out Of This House», un vieux drive de rockab bien affûté. Et ça continue avec «Mama’s Little Baby». Quelle cavalcade et quel son parfait ! Alexis Mazzolini chante son «Rockin’ Around The Night» à la pointe de sa Cadillac. Ils distillent une science du son qui en impose. Vieux shoot apache avec «Geronimo’s Rock». Zy va baby boy ! C’est taillé dans la masse du rockab. «King Without A Crown» est plus festif, mais sacrément joué. On croirait entendre Gene Vincent un soir de fête. S’ensuit un «Baby Won’t You Come Out Tonight» bien foutu dans le bubble de sex, c’est du rock de hot slip, on a trop entendu ces burst-out de flaming desire, à l’image d’une bite qui n’en peut plus d’attendre. Ils retrouvent leur calme avec «Boogie Woogie Country Girl». On croit entendre une autre équipe. C’est du big dash de real sound tapé à la sécurité du riff fatal. Superbe ! Ils amènent leur «Rockabilly Fever» au bon niveau, ils rock-rockent ça net et sans bavure, ils connaissent toutes les ficelles de caleçon, c’est une vraie merveille de rock-rock et de fever. Puis avec «I Ain’t Gonna Take It», Alexis le grand rase les mottes au chant. C’est un cut de génie bien fouetté du slap au cul. Ce mec est un devil on the run, ça pulse comme chez Charlie Feathers, avec exactement le même gusto. Genius take ! Ils terminent leur bel album avec un clin d’œil à Billy Boy et une reprise de «Flying Saucers Rock’n’Roll». Le hot shot n’a décidément aucun secret pour ces vaillants Hot Rocks.

On retrouve des Bretons sur le Sfax CD 09 : The Dalann Fly-Cats avec l’excellent A Different Saturday Night Thrill. Ils mettent le paquet dès «B Ball Trouble», du pur jus de heavy bop de slap. Ils sont dedans jusqu’aux oreilles. C’est une arlésienne de beat des reins. Au chant Michel Pronost est héroïque. Ils reprennent plus loin le «Mean Little Mama» de Roy Orbison en mode rock-a-lama et un joli solo vient illuminer l’écho du temps. Ces mecs y croient eux aussi dur comme fer, au moins autant que les Hot Rocks. Leur version de «Mean Little Mama» est digne des énormités de Deep South. Ils jouent «Blue Sunday» au meilleur groove de good time Fly Cats. Ces mecs ont du son et une classe terrible, avec en plus des solos qui courent bien sur le haricot. Et paf, on prend en pleine poire l’«Oh Baby Don’t» slappé jusqu’à l’os. Ils sont tout compris, ils jouent avec le rrrr de la panthère et un big bad slap digne de celui de Lew Williams. Ils font une cover superbe du «Jungle Rock» de Hank Mizell. Ils se positionnent avec ça dans l’excellence du mythe. Il n’existe pas de cover plus démente que celle-ci. Ils tapent aussi dans le «Down the Line» de Buddy Holly et Bob Montgomery. Michel Pronost fait son cirque à la guitare. On se régale aussi de la qualité du son dans «Now That You’re Gone», un heavy rumble de Sfax. Tous les heavy grooves de slap sont imparables sur cet album. Ils terminent en bona fide de bop avec un «A Lifetime Without You» bien slappé derrière les oreilles, juste comme il faut, avec toute la tension et la pulsion, et là, ils deviennent invincibles, c’est le bop qui fait l’homme, les Fly Cats l’ont bien compris, ils bopperont jusqu’à l’aube et on vous le garantit, on ne risque pas de s’endormir.

On pourrait terminer ce petit tour d’horizon Sfaxy avec trois EPs, à commencer par le Sfax EP 001 : le groupe s’appelle King Size et l’EP Hot Rhythm & Rockabilly. Attention aux yeux, c’est un heavy shoot de rockab toulousain. Comme toujours sur Sfax, le son est impeccable. Ces mecs ont tout compris au film, il faut les entendre chanter «Little Green Man» sous le boisseau. Ils disposent du meilleur pulsatif rockab qui se puisse imaginer ici bas. Ils jouent aussi «Strange Little Linda» dans le deep du bop, ils le travaillent au corps et en extraient la substantifique moelle. Il terminent ce fantastique EP avec «Dark Eye», cut de fête foraine pulsé à la pompe de jazz manouche. Dans un style complètement différent, voici les Tennessee Rumblers, avec Down In Texas, le Sfax EP 004. Ces cowboys viennent du Havre et qui retrouve-t-on à la guitare ? Didier, l’âme du Blue Tears Trio. Sur cet EP, les Rumblers sonnent très country western, c’est gratté à coups d’acou et Dom le cowboy chante goulûment. Ils virent même cajun avec «Fireball Mail» quand un violon entre dans la danse. Très curieux. On pourrait qualifier ça d’Americana havraise. Et puis voilà Betty And The Bops again avec Be-Bop Bop, le Sfax EP 007. On y retrouve bien évidemment notre Marlou préféré qui passe un ravissant solo kill kill dans un «Be-Bop Bop» bien brossé dans le sens du bop. On tombe de l’autre côté sur «Crazy Little Lady», un joli rumble de big heavy rockab. Betty hiccuppe comme une reine de Saba du Tennessee et c’est pas peu dire. Oh et puis tiens, ça n’a rien à voir, ou plutôt si. L’autre joue, Hichem sort ça d’une boîte de 45 tours : The Corals. Pochette économique avec photo en noir et blanc. Quatre mecs habillés en blanc avec leurs guitares et une caisse claire.

— Tu ne le reconnais pas ?

— Beuuuhhh non...

— Regarde-le bien, celui-là, derrière, avec la basse...

— Beuuuhhhh... Dick Rivers ?

— Ha ha ha, non pas du tout. C’est Hervé !

Eh oui, le premier single d’Hervé Calypso, deux instros joués au tatapoum de derrière les fagots d’Annequin, mon tio quinquin. Le jeune Jake était alors dans autre chose, dans l’instro de fête foraine, dans l’instro de barbe à Papa rythmé par les booms des camors, quand les ados draguaient les adottes à coups de chocs frontaux et de gloussements de rire hystériques. Tout fan de Jake Calypso se doit d’écouter ça. Le single est loin d’être anecdotique. Merci à Hichem pour les Corals (qui ne sont pas sur son label) et pour tout cet impressionnant parcours de label boss. On y reviendra.

Signé : Cazengler, Sfart

Hot Chickens. Play Gene. Sfax Records

The Roadrunners. Catch Us If You Can. Sfax CD 01. Sfax Records 1996

Runnin’ Wild. Northwind. Sfax CD 02. Sfax Records 1997

Ike & The Capers. I’m Not Shy To Do. Sfax LP 01. Sfax Records 1997

Russ Be-Bop & The Roadrunners. Movers & Shakers. Sfax CD 03

The Kentucky Boys. I Want It Hot. Sfax LP 02. Sfax Records 2000

Betty And The Bops. Hot Wheels On The Trail. Sfax CD 06. Sfax Records 2005

Carl & The Rhythm All Stars. Music To Live. Sfax CD 07. Sfax Records 2006

The Hot Rocks. Rockabilly Sauce. Sfax CD 08. Sfax Records 2006

The Dalann Fly-Cats. A Different Saturday Night Thrill. Sfax CD 09. Sfax Records 2006

Hot Chickens. Speed King. Sfax CD 011. Sfax Records 2007

Hot Chickens. Rock Therapy (Tribute To Johnny Burnette). Sfax Records 2008

King Size. Hot Rhythm & Rockabilly. Sfax EP 001. Sfax Records

Tennessee Rumblers. Down In Texas. Sfax EP 004. Sfax Records

Betty And The Bops. Be-Bop Bop. Sfax EP 007. Sfax Records

 

All the Young Jessie dudes

 

Même Young Jessie qu’on croyait éternel a fini par casser sa pipe en bois. On pourrait gloser à l’infini sur la nature cruelle du destin. Mais ce n’est pas non plus une raison pour envier les vampires : il paraît évident que la jeunesse éternelle nous ferait tous crever d’ennui.

C’est grâce au big daddy catalog de Tim Warren qu’on fit la connaissance de Young Jessie dans les années 90. Le Cryptman en vantait tant et si bien les charmes qu’on finit par céder au chant des sirènes et par le lui commander, de la même manière qu’on lui commandait des trucs obscurs comme Frankie Lee Sims ou Jerry Boogie McCain et on ne s’en mordait jamais les doigts. Les choix du catalogue Crypt étaient d’une infaillibilité sans nom, comme dirait Lovecraft. Tim & Dirk faisaient ce travail de repérage que ne savent pas faire les canards kiosqués.

L’album de Young Jessie qu’ils proposaient s’appelait I’m Gone - The Legendary Modern Recordings, paru bien évidemment sur Ace. On avait donc en prime quelques infos de premier choix, sous la forme d’un livret signé Ray Topping. Ah, ça change la vie. Le vrai confort moderne, c’est d’écouter un disque en sachant ce qu’on écoute. Il est par exemple essentiel de savoir que Young Jessie tournait dans le Deep South avec Guitar Slim qui était alors le prince des grandes exubérances, puisqu’il sortait du club où il se produisait pour aller gratter sa Telecaster dans la rue, numéro que reprendront plus tard les Fleshtones. Young Jessie racontait aussi à Ray Topping que Guitar Slim ne voulait être payé qu’en billets de 1 dollar qu’il stockait dans les poches de sa veste rouge. Topping nous rappelle aussi que Young Jessie, qui aimait bien qu’on l’appelle Obie, était né dans les années trente au Texas, du côté de Dallas et que sa mère jouait du piano dans les clubs locaux. Pendant la guerre, la famille s’installe à Los Angeles et Young Jessie rencontre Johnny Guitar Watson qui va rester l’un de ses bons amis, puis Richard Berry, avec lequel il monte un groupe vocal, the Debonaires. Il n’a que 13 ans quand il flashe sur Roy Brown. C’est là qu’il prend la décision de devenir chanteur. Ils font un premier test avec un disquaire nommé Dolphin’s Of Hollywood, le résultat ne leur plaît pas, alors ils prennent leur bagnole et cherchent un autre label. À force de vadrouiller, ils finissent par tomber sur l’enseigne Modern/RPM Records, oui, le label de Jules et Joe Bihari. Les Bihari qui ont du métier rebaptisent le groupe The Flairs et sortent un premier single, «I Had A Love», qui n’est même pas sur la compile Ace.

Par contre le deuxième single, «Rabbit On A Log» s’y trouve - Look at that rabbit ! - Pour un cut datant de 1953, c’est excellent, plein de vie. Joe Bihari rebaptise le groupe The Hunters. C’est Richard Berry qui chante lead et Young Jessie fait les renvois. Dans le studio se trouvent Leiber & Stoller qui sont en stage d’apprentissage chez Modern. Ils suggèrent de rajouter des coups de pistolets sur la B-side du single, «All I Want To Do Is Rock», qui n’est pas non plus sur la compile Ace.

La même année, Richard Berry et Young Jessie décident d’entamer des carrières solo. Young Jessie démarre la sienne avec «I Smell A Rat» composé par Leiber & Stoller pour Big Mama Thornton. C’est avec ce vieux Smell que Jessie tente de se faire passer pour Little Richard. Il a du raunch à revendre et fait un beau numéro de wild shouting. Mais son seul grand hit s’appelle «Mary Lou» et c’est lui qui ouvre ce bal d’Ace. Jessie chante au rentre-dedans. C’est fou comme il s’implique, il n’a pas vraiment de voix mais il regorge de Cadillacs et de diamond rings. C’est du jump d’époque, chauffé au sax, mais hélas sans la magie de la Nouvelle Orleans. On a là l’archétype du black rock’n’roll de collectionneur. «Mary Lou» fit des ravages sur la west coast et au Texas. Ronnie Hawkins en fit même une cover sur Roulette.

Puis comme tous les autres, Jessie part en tournée avec les Platters et les Penguins. Pouf, les voilà à l’Apollo de Harlem. Joe Bihari profite de ce raid à Harlem pour organiser une session d’enregistrement avec la crème de la crème locale : Jessie enregistre «Pretty Soon», «Oochie Coochie» et «Don’t Happen No More» accompagné par Mickey Baker. C’est du pur jus de black rock’n’roll, avec un Mickey Baker on fire, mais ça reste du sous Little Richard. Quand les Bihari se cassent la gueule, Jessie s’en va bosser avec Leiber & Stoller et enregistre «Shuffle In The Gravel» sur Atco. Un peu plus tard, Bumps Blackwel le récupère et le fait signer sur Mercury, mais, nous dit Topping, le gros des enregistrements a disparu.

Il faut bien dire qu’un cut comme «Lonesome Desert» n’avait absolument aucune chance. Pourquoi ? Parce que mal chanté. Young Jessie se montre assez inégal, il atteint des sommets et aussi des bas-fonds. Une compile de Young Jessie, c’est un peu les montagnes russes. Il chante son «Nothing Seems Right» du menton, comme un vieux routier - Baby let me hear from you - Quand il tape du blues ou de gospel, il chante à la perfection. Sa dominante reste le jump, l’époque voulait ça.

Il existe un autre album de Young Jessie qu’on peut écouter les yeux fermés : le fameux Shuffle In The Gravel paru sur Mr R&B Records. Le gros intérêt est que Bill Millar noircit le dos de pochette de sa prose érudite. Il parle d’un primal blend of R&B and Rock’n’roll et quand il a dit ça, il a tout dit. Il situe admirablement les racines de Jessie dans le country blues de Blind Lemon Jefferson, le gospel et le slick jump’n’jive. Millar indique aussi que Jessie tourna dans le Deep South à trois reprises, et pas seulement avec Guitar Slim. Il fit partie de packages comprenant B.B. King, Bobby Bland et Little Willie John, pardonnez du peu. Millar ajoute que Ronnie Hawkins ne fut pas le seul à reprendre «Mary Lou» : Steve Miller, Zappa, Bob Seger, Sonny Burgess et Buddy Knox tapèrent aussi dedans. D’ailleurs, Jessie profite de l’occasion pour indiquer qu’il n’a jamais touché un seul kopeck pour «Mary Lou» et quand il posa la question à Ronnie Hawkins, celui-ci lui répondit : «Moi non plus».

En fait, Bill Millar et Ray Topping se connaissent très bien, puisqu’ils interviewaient ensemble Young Jessie quand il était de passage à Londres dans les années 80 pour ce qu’ils appellent tous les deux une charismatic perfomance à l’Electric Ballroom de Camden Town. Shuffle In The Gravel présente un gros intérêt : cette compile fait suite aux Legendary Modern Recordings. Le bal d’A s’ouvre avec les sessions produites par Leiber & Stoller en 1957. Le morceau titre sonne comme un fabuleux shoot de petit black rock’n’roll épicé de doo-wop : solide et ancien, digne de confiance et jumpy en diable. Jessie raconte qu’à une époque, on versait du sable sur la piste de danse et les bruits des pas des danseurs qui avançaient et reculaient donnaient le shuffle in the gravel. Quand Jessie chante «The Wrong Door», on sent chez lui une aisance indéniable, un truc de dude on the run, et même un certain parfum d’excellence. Il ouvre son bal de B avec «Big Chief», pur jus de comedy act à l’indienne, dans l’esprit des Coasters. Ça sent bon les gros moyens : les Rivingtons font les chœurs, Quincy Jones les arrangements et Bumps Blackwell produit. On monte encore d’un cran avec «Too Fine For Cryin’» : cette fois ce sont les Blossoms de Darlene Love qui wap-doo-wappent et Jack Nitzsche signe les arrangements. Que peut-on espérer de mieux ? Et ça continue avec «Bebop Country Boy» dans une fantastique ambiance de jumpin’ jive, ah-ah-ah fait Jessie, c’est arrangé à la hollywoodienne par ce démon de Quincy Jones. Nous voilà dans la magie des temps anciens. Le fait que ce cut ne soit pas devenu un hit mondial relève de l’inexplicabilité des choses. Encore pire que le mystère de Toutânkhamon. Jessie revient à son cher blues avec «Make Me Feel A Little Good». Ça date de 1962 et un certain Junior Rogers gratte sa gratte. Fabuleux car inspiré. Blues orchestré mais interprété à l’infernale conséquente, aw something’s wrong. La B se termine avec un «Young Jessie Bossa Nova» live. Vraiment bon, c’est pas du réchauffé, on a là du black artist en dur avec des folles qui crient derrière lui, Jessie chauffe sa salle à blanc, ça saxe dans les brancards, il y va, le vieux Young, il c’mon ses clous, il fait son hot shit à deux pattes. Goddamnit !

Signé : Cazengler, Young Vessie

Young Jessie. Disparu le 27 avril 2020

Young Jessie. I’m Gone. The Legendary Modern Recordings. Ace Records 1995

Young Jessie. Shuffle In The Gravel. Mr R&B Records 1986

MONTREUIL

COMEDIA / 04 – 07 - 2020

TRUE DUKES / RED TRUCK

 

Retour à la Comedia après trois mois d'absence. Enfin un vrai concert, du live de chez live avec un public friand, en osmose parfaite avec le lieu, qui s'est déplacé en masse. Rachid aux mille bras sourit derrière le comptoir, les amateurs jettent leur obole, rétribution des musiciens, dans le seau dévolu à cet usage léthéen... dans la diffuse lumière admirez les fresques poulpitiennes de maître Martin Peronard sur les murs, dans deux mille ans les archéologues et les universitaires ne manqueront pas de les comparer aux fresques de la Villa des Mystères de Pompéi, ils essaieront d'en décrypter le sens magique et d'en déduire l'étrange et incompréhensible psychologie de leurs ancêtres qui les poussait à se réunir dans ces lieux sombres afin de s'adonner à d'étranges pratiques dont le sens et la nature leur échappera. Il semblerait édicteront-ils doctement qu'ils offraient de mystérieuses libations à deux Dieux primitifs et dioscuriens aux attributions incertaines mais qui devaient se nommer Punk et Rock.

En attendant ces temps lointains où nous ne serons plus que des ombres incertaines dans les ordinateurs télécommandés et pré-programmés que seront devenus les cerveaux de nos descendants définitivement asservis adonnons-nous sans retenue à ces pratiques révoltantes.

THE TRUE DUKES

En langue shakespearienne le nom ne manque pas d'allure. Pour les malheureux qui ne possèdent que d'imparfaites notions d'anglais et qui auraient dans leur ignorance stupidement compris que nos cinq chevaliers se seraient décernés le titre de Véritables Ducs, ils se dépêchent de nous faire part de la seule traduction autorisée, the true dukes signifie les trouducs, et ils se hâtent d'ajouter pour les esprits nantis d'une lenteur rédhibitoire de la comprenette : les trous du cul en toutes lettres. Un peu provocatrice cette boule puante suscitée par les vents mauvais de la dérision étymologique qui sent si fort, non pas le roquefort, mais l'attitude punk.

Punk un jour, punk toujours. Z'ont de l'allure avec leur quatre guitare qui barrent d'un trait noir le batteur derrière elles. Ne restera pas longtemps invisible et point du tout inaudible. Une frappe dure sans fioriture, qui aplatit d'un seul coup le tube de la mayonnaise punk. Le bouchon gicle avec. Pas jaune fluo la mayo, couleur noir-rentre-dedans il n'y a plus d'espoir. Les trouducs ont la crotte charbonneuse, et chardonneuse, car si vous y goûtez – et vous n'y manquez pas, inutile de prendre cet air dégoûté - elle pique à la langue et vous démantibule le palais buccal mais aussi ducal car ils professent une idéologie peu favorable aux puissances autoritaires, sont du côté des Révoltés du bloc 9, et vous enferment dans Le mitard pour que vous touchiez un peu aux sombres réalités de la vie. Pas mal de reprises entre Trust et OTH, se permettent même quelques titres qui leur sont propres, ou plutôt sales comme notre quotidien. Il y a surtout ce son implacable, ce mur de parpaings soniques celui dont on fait les zonzons carcérales et morales, qui vous agresse, vous encercle, vous entoure, vous prend à la gorge, à la geôle, les trouducs vous pètent le son du canon à la figure.

Pour vous réveiller. Basse, rythmique, lead, ils ont le moyen de vous faire prendre conscience, d'autant plus que el cantaor aime ceindre sa zitare gratifiée d'un horrible sourire aux crocs menaçants, il la délaisse parfois pour un harmo dont il tire des sonorités aussi tranchantes qu'un larsen, ou alors où vous le fait bruisser à la manière d'un tigre blanc du Bengale qui ronronne à la pensée que vous allez lui servir de petit déjeuner. Comme tout chanteur qui se respecte il chante, sans trémolo, sans chichi, une voix bassement timbrée, un peu monocorde pour vous pendre, rase bitume et rase brisure, à l'effet dévastateur. Genre rouleau compresseur imperturbable et sans état d'âme qui vous roule exprès sur les pieds pour vous obliger à ressentir que le malheur existe et que vous êtes un Citoyen du monde.

Donc deux guitares. Pour assurer le roulement de fond. Filochent rapide, à votre droite sous son bonnet Rico vous sculpte quelques acanthes sur le chapiteau des colonnes doriques, genre branches de cactus carnivore aux épines acérées pour transpercer les serpents du désert, elles ont la particularité de s'insinuer dans vos oreilles sous forme d'acouphéniques délices dont vous vous surprenez à guetter les suaves ruades.

Il y en a deux - guitare et basse – qui ne doivent pas travailler dans la pub. Des discrets. Des bosseurs. Des taiseux. N'ouvrent pas le lèvres, n'aboient pas haut et fort toutes les deux minutes, une attitude rare chez les punks, leur revendication et leur colère ( rentrée ) envers le système ce sont leurs doigts pattes d'épeires appliquées qui l'expriment. Ne chôment pas, arrachent le chaume des notes, une par une, brin par brin, avec une régularité exemplaire. Jamais fatigués, toujours satisfaits. Travailleurs de force et de précision. Produisent ce son continu de bourdon à la base de multiples musiques folkloriques, pendant ce temps-là les trois autres pourraient faire des claquettes ou parti voir leurs vieilles grand-mères, eux ils assurent la continuité du groupe sans débander.

Certains titres n'auraient même pas besoin de paroles, Corruption, Rien à foutre, Rage, ( ces deux derniers déclenchèrent une vague frénétique d'acquiescements relativement inquiétants quant à confiance accordée par notre saine jeunesse au nouveau gouvernement ), The True Dukes les assènent à la volée et les érigent comme des barricades à venir. Une musique puissante, épaisse comme les remparts de Carcassonne, déployée tel l'étendard noir des orages désirés.

RED TRUCK

De noir l'on passe au rouge. Des couleurs quelque part complémentaires. Le Dominique ne bouge même pas de son trône, l'est le batteur des deux groupes. Deux combos, non identiques. Déjà ce ne sont pas aficionados de philologie, ne se vantent pas d'avoir le Truc Raide. Ce serait mal venu. An moins pour l'élément féminin. Cela confirmait mes intuitions personnelles. Lorsque j'ai lu Red Truck, j'ai intuité un groupe de la mouvance rockabilly – souvent ils ont une chanteuse – avec peut-être une pointe de country bas-du-front à la Dave Dudley, mais non j'avais tout faux.

Donc je manque à tous mes devoirs de gentleman, honte à moi de ne pas sacrifier aux vieux usages sacrés de la galanterie française, j'aurais dû vous la présenter dès le premier paragraphe, mea culpa, mea culpissima, mais je n'y suis pour rien, c'est de la faute des trois autres, Michel qui durant l'inter-set s'amusait à des roulements échevelés sur ses sets, Vincent qui vous tortillait deux ou trois riffs prometteurs, et Jean-Claude avec sa basse Louis XVI privée de tête. Oui ces trois damoiseaux sont les seuls coupables.

On ne va pas se la jouer hypocrite à la contrition Me Too toute la soirée. Elle a y mis un peu du sien, je ne voudrais pas critiquer, mais elle restait là immobile devant le micro aussi imperturbable qu'un horse-guard devant Buckingham Palace, dont le devoir sacré est de garder la reine. L'on ne le savait pas encore, mais la Reine c'était elle. Faut dire qu'elle ne nous aidait pas à le deviner. Avec ses cheveux blonds coupés courts, son agréable rondeur, et son look de dactylo, elle trompait bien son monde.

Highway Tune pour commencer. Le tube des Greta Van Fleet si je ne m'abuse dans la cambuse. Le binz a surpris son monde. Ce serait-y que mon sontone me joue un tour ? Est-ce possible ? Qu'ouïs-je dans mes écoutilles ? Serais-je victime d'une de ces hallucinations auditives dont on prétend qu'elle arrivent quelques heures avant notre mort ? Ces questions chacun se les est posées en son fort intérieur, mais dès que Vincent a lancé les premières trilles de Fortunate song, ce fut la ruée vers l'or, du fond de la salle jusqu'à la scène. Jamais assisté un tel déplacement de population à la Comedia, et sans me vanter j'affirme que j'en ai vu des vertes et des pas mûres à la Comedia, c'est que notre dactylo Isa fait partie de ces Dactylos-Rock que dès 1961 chantaient Les Chaussette Noires '' Elles sont les plus parfaites, Elles chantent en tapant à tue-tête''. L'avait raison le père Eddy, il existe des voix qui tuent.

Quelle splendeur. L'a enchaîné plus de vingt-cinq titres, l'aurait continué... vous connaissez la chanson des horaires municipalistes... que des reprises mais l'on s'en moque, vingt-cinq pépites, totalement magnifiées par sa voix. Que du lourd, l'a enchaîné sur Brown Sugar, Hard to Handle, Move over, Foxy lady, vous laisse imaginer la suite du bataclan, ce n'est pas possible, on a dû lui greffer des cordes vocales en tungstène préalablement modifiées selon les paramètres des grandes chanteuses soul américaines, pas une fêlure, pas une baisse de tension, un souffle prodigieux, une maîtrise parfaite, elle a subjugué l'assistance.

Faut être juste. Derrière elle, ça remuait sec. Dominique méconnaissable autant il bétonnait avec les Trouducs, l'est sûr qu'il vaut mieux rendre certains orifices particulièrement étanches, là il a détonné. S'est transformé. Changement de style, break sur break, un propulseur d'énergie, l'est rentré en éruption, une pluie de roches en fusion. L'a envoyé valser la valse aux mille temps, aux mille tambourinades, l'a balancé la drache rimbaldienne sans faillir.

Vincent a extirpé des ah! de satisfaction aux gosiers extasiés du public, Isa monopolise l'attention certes, mais il a eu de ces licks éberluants qui vous embrasent le périnée. Un artiste, corde raide, courant les yeux bandés sur un abîme de trente mètres, et cette habileté à se raccrocher au fil le plus fin sans utiliser les grosses ficelles facilitatrices, qui cisaillent les nœuds au lieu de les résoudre. L'est méchamment aidé par Jean-Claude, un jeu plus subtil, plus réfléchi, plus intellect, mais tout aussi efficace. Poursuit le lièvre de la lead, tient le galop à la même hauteur, mais en même temps il se ménage une deuxième sortie au terrier collectif, car il aime brouter son propre carré de luzerne à sa guise, car chez soi l'herbe est quelques fois plus verte et il vous moissonne du fourrage au serpolet d'une rare qualité.

Un Really got me comme vous ne l'avez jamais possédé, suivi d'une monstruosité qui fut peut-être le point culminant du concert, le Heartbreaker de Pat Benatar qui doit être une sacrée référence pour notre diva. La fin du concert je ne devrais pas en parler, cette reprise en chœur de Born To Be Wild et cette dilection cataractique de la foule qui hulule sur Sympathy for the devil, c'est en ces instants d'amour suprême que l'on regrette qu'il n'y ait pas eu un Tacite ou un Virgile pour fixer en une prose d'airain ou enune strophe de bronze la beauté de ces instants inoubliables.

Jeunes gens, si vous tapez du stop et qu'un camion rouge s'arrête devant vous, c'est la portière du paradis que vous ouvrez.

Damie Chad.

 

NASTY NEST

( M'COCO ENTERTAINMENT )

( COMPIL COMEDIA )

 

D'abord l'objet. Pochette carton fort et mat. Dessinée par Martin Peronard, un fou absolu incapable de voir une surface plane sans la recouvrir d'immondes sarabandes proto-cosmico-terrestres. La façade de la Comedia est devenue un lieu de passage obligatoire pour les cars de certaines agences touristiques qui tiennent à procurer des émotions fortes à leurs clients. Même que certains se risquent à pénétrer à leurs périls dans le local sulfureux.

Tous les nids ne sont pas douillets, Nasty Nest nous le rappelle : la nuit est hantée de rapaces nocturnes qui veillent à l'éclosion des œufs maudits d'où sortent ces animaux étranges et criards qui grouillent autant dans les poèmes de Jim Morrison, enfonceur de portes ouvertes sur des mondes obscurs, que dans les zones interlopes de l'espèce humaine sinistrée, qui peut-être ne devra sa survie qu'à ces êtres mutants issus de cauchemars les plus noirs et des rêves les plus insensés.

Déchirez le film plastique, cela ressemble à un livret, pratiquement les dimensions d'un vingt-cinq centimètres, mais non c'est une affiche qui occupera tout un pan de mur de votre chambre, une présentation des treize groupes, avec le texte du morceau de la compilation. Treize groupes, quatorze morceaux. Sur vinyle, 180 grammes au doigt mouillé, et pour ceux qui n'ont plus de platine à aiguille sillonnante, la version CD est offerte. En prime un badge Arriba la section comedista, idéal pour vous faire remarquer, arrêter et torturer par la police par les temps mauvais et approximatifs qui se profilent à l'horizon.

Nasty Nest est un projet collectif. Vous n'avez qu'à lire les listes des remerciements pour vous en rendre compte. Notamment celle des groupes qui ont joué à la Comedia, de Montreuil, de la région parisienne, de France, d'Europe, de Russie, d'Amérique, peut-être même des mondes sur-lunaires parce que certains étaient vraiment bizarres... les kr'tnt-readers pourront se vanter d'en connaître quelques uns parmi les deux cents ( chiffre minimal ) répertoriés. Qui a dit que le rock était mort ?

Pour les naïfs à l'esprit ouvert, avant qu'ils ne se précipitent pour se procurer cet opus maximus, rappelons que toute chose possède son défaut, et celui-ci est un peu marqué, non ce ne sont pas des traces malencontreuses de doigts sales, mais comment dire, les groupes de la Comedia, ils sont variés certes et de qualité, mais ils se réclament tous d'une certaine radicalité musicale, plutôt rock, souvent punk, sont des adeptes du Do It Yourself, ne sont pas trop amis avec le système commercial, beaucoup le honnissent et y pensent mal, les autres s'en détournent, sont en marge, underground, underwood, underdog, undertoutcequevousvoulez...

Comment le choix s'est-il opéré, d'abord ceux qui ont accepté la proposition, elle a été adressée à quelques formations qui ont joué cette dernière année à la Comedia. Le confinement a quelque peu retardé la réalisation de cette toxique galette, mais la voici, vous pouvez la grignoter à votre guise !

Toutefois pour mieux entendre, retirez le masque de vos oreilles. De votre cerveau aussi.

FACE A : est-ce l'A primal d'Anarchie ? Nous ne répondrons à cette question qu'en présence de notre avo-cat : THE DEAD RITONS : Pour la gloire : surprise, vous vous attendiez à une diarrhée vomiïque électrique et vlan l'on vous envoie un accordéon en pleine figure, pas celui de la fête à Neuneu, celui du bal des apaches au surin chatouilleur, tout de même ces punks ne respectent rien, même pas les règles du punk homologué selon les critères des services de renseignement. En plus vous comprenez ce qu'ils racontent, oui les textes sont en français, comme dans les disques Formidable R 'N' B avec une face rapide et une face lente, ben là tout un côté est en langue française et les sept titres de la face B en yoglourt britannique. Vous n'aurez même pas l'excuse de prétendre que vous n'avez pas compris. Ce titre est une reprise de Camera Silens. Un des tout premier groupes punk français. Si vous désirez en savoir plus, vient de paraître leur autobio signée par Patrick Scarzello au Castor Astral, mais peut-être avez-vous eu vent de Gilles Bertin bassiste et chanteur, économiste distingué qui avait décidé de faire rendre aux banques l'argent qu'elles nous volent, l'affaire a mal tourné, vingt-huit ans d'exil relaté dans Trente ans de cavale, ma vie de punk. Hymne aux branleurs qui feront exploser ce vieux monde, la gloire de tous, entendez ce mot en tant que geste de révolte et zeste beauté, surtout pas une rengaine en l'honneur d'un homme providentiel ! PRINCE ALBERT : Désinvolte : ( voir in kr'tnt : 424, 432 ), Un peu plus électrique, le portrait de l'individu normal, celui qui ne croit plus en l'évangile du travail et aux exigences d'une vie triste et monotone, l'est sur les routes de bar en bar, de plaisir en plaisir, se laisse vivre par la vie toute simple. Une espèce de pseudo-country dylanesque à la sauce frenchie. MONSIEUR SAMOU : 49.3 : vous avez eu l'art de vivre à la cool, à la coule toutes les mauvaises habitudes, voici les soubassements idéologiques de telles existences, musique sectionnante et appuyée, ne plus croire au masque de la démocratie, soyons autonome, soyons anarchiste, soyons libertaire, un morceau qui n'enfouit pas son mouchoir dans sa poche, qui brandit l'étamine noire, qui refuse d'être dupe des belles idées théoriques qui ne sont que des camisoles de force. CAUSA NOSTRA : Section M : ( voir in kr'tnt : 421 ) nos cinq lascars en rajoutent une couche, à fond les ballons, l'hymne de guerre des marmoulins qui ne se laissent pas faire, qui se serrent les coudes, qui vivent en marge de la société policée, faut entrer dans le lard des difficultés et trancher net, Stirner parlerait des bienfaits de l'association, sont au plus près des situations, quand on vous attaque faut savoir se défendre. Et gagner. COMMECONTENT : Normandie : petite leçon d'histoire, le débarquement de Normandie, vous connaissez, passons rapidement sur les dommages collatéraux, nos ricains ont réussi à renverser les nazis et à libérer l'Europe. Tout est bien, la population a juste changé de maître, les profits sont rois, tout le monde s'en fout tant que les mac-do sont ouverts, tout va bien. Voix colérique et musique qui fonce comme une panzer-division. BRANLEBAS2COMBAT : Retour d'enfer : ne resterait-il donc plus d'idéaux en notre société ? Si un, l'amour de la bière, les punks trépassés et assoiffés se la jouent zombies de la mort, apocalyptique retour musical, une véritable chanson houblonnée de pirates. LES CRITTERS : Rien à foutre : ( voir in kr'tnt : 420, 426, 433 ) : dégringolades de guitares et de batteries drôlement bien foutues, il est des moments où il vaut mieux ne pas discuter, incursion dans le solipsisme du nihilisme. FACE B : est-ce le Béta de la Bêtise humaine ? Nous ne répondrons à cette question qu'en présence de notre psychanalyste : GLORIY JIZZY : Tinder march : ( voir in kr'tnt : 409 ) : les paroles sont en anglais, mais elles parlent d'amour, ne vous laissez pas prendre à la fluidité de cette belle et violente musique qui risque de vous emporter plus loin que vos rêves dans le néant des relations humaines. Rien ne dure, tout se fissure, tout se claquemure en la masure des égoïsmes, l'être humain est nocif même dans ses intimités externalisées. WEIDR BRAINZ : Kicked out : ( voir in kr'tnt : 433 ) : pêche rock, Weird Brainz dégomme, vous conte sur un rythme d'enfer la solitude de l'être humain, qui attend, qui erre, qui ne sait pas, qui ne sait plus, c'est peut-être cela le rock'n'roll, s'enfoncer jusqu'au bout de soi-même. Ne jamais oublier les racines bluesy. RAW DOG : Julia : ( voir in kr'tnt : 402 ) : le texte qui fait mal, au cul et à l'âme, il est des moments à force de se vendre aux autres l'on ne sait si l'on est homme ou femme, musique super bien balancée, voix à l'arme blanche. Raw Dog nous avait impressionné sur scène, sur disque c'est la dégelée qui déglingue, une montée irréversible vers la perte de soi-même. THE REVEREND POWELL ORCHESTRA : At first sight : tiens une belle histoire d'amour, incroyable mais vrai, cela existerait-il donc, en tout cas les RPO, nous content la chose à une vitesse folle, à croire qu'elle est passée comme un rêve. Vu l'énervement général, z'en sont ressortis speedés pour la vie. PEACEFUL RIOT : Political apathy : un titre en colère qui décharge sa hargne et sa haine sur les mollusques qui nous servent de contemporains. Z'ont raison, il faut de temps en temps frapper fort dans les ventres-mous, cela ne fait peut-être pas progresser le schmillblick mais cela vous réconforte et les Peacefull Riot savent manier la volée de bois vert. LILIX & DIDI : Dumb : ( voir in kr'tnt : 424 ) : c'est fou ce qu'elles ont grandi en une année, c'est qu'aux âmes bien rock, l'esprit ne saurait manquer, ne pas confondre la parité démocratique avec les grrils en colère. La nouvelle génération ne se laisse pas faire, porte un regard critique sur la stupidité des idées et des attitudes toutes faites. THE DEAD RITONS : Jah war : le reggae à l'accordéon, ce n'est pas mal du tout, surtout si comme ici le vocal est à la hauteur des coups de semonce du piano du pauvre, la guerre je veux bien, mais perso Jah il est longtemps qu'on l'a tué et il est hors de question qu'il ressuscite.

Chassez le naturel il revient au galop : de l'ordre naît le désordre, principe évident : la preuve, un titre en français s'est glissé dans la face B, ce sont les Raw Dogs, on leur pardonne parce qu'ils aboient fort chaudement.

Une anthologie exemplaire.

Damie Chad.

 

THE VAGRANTS

 

Vous croyiez que vous en aviez fini avec Mountain, funeste erreur, il reste encore des épisodes à venir. Nous vous en distillerons à la rentrée de temps en temps quelques uns – si par hasard nous avions droit à un deuxième confinement nous reprendrons l'hebdomadaire overdose suicidaire du premier - en tout cas une petite piqûre de rappel pour l'été ne saurait faire de mal à personne, vous avez de la chance ce coup-ci, nous nous situons au début de l'histoire – n'ayez crainte une autre fois nous vous conterons la préhistoire - dans les pré-alpes pour employer un terme de géographe. Nous sommes en 1965, et le jeune Leslie West officie déjà à la guitare dans un tout jeune groupe nommé The Vagrants.

Le groupe ne doit pas être si mauvais que cela puisque la même année il enregistre un premier quarante cinq tours, chez Southern Sound. Pour la petite histoire, le premier disque paru chez Southern Sound en 1961 est de Chase Webster, il s'agit de Moody River en qui les fans de rock français reconnaîtront le Maudite Rivière de Johnny Hallyday qui entre parenthèses la chante avec plus d'aplomb. Les amateurs de pochettes ne manqueront pas de comparer la couve du 33 tours Chase Webster sings Country And Western avec celle du super 45 tours de Dick Rivers : Laisse parler ton cœur de septembre 1963, suivi de Mais oui baby, le Maybe baby de Buddy Holly , et de Mes ennuis, le Misery des Beatles de janvier 1963, mais le Dick il a rajouté un cheval ce qui fait tout de suite davantage western. Ces précisions pour signifier qu'en ces débuts le rock français regardait du bon côté mais que le public dans sa grande majorité ne savait pas lire – souvent par faute d'informations - les signes qu'on lui tendait.

 

THE VAGRANTS : Larry West : basse et vocal / Roger Mansour : drums / Leslie West : guitar et vocal / Jerry Torch : orgue et vocal / Robert Sabatino : vocal, percussion.

1965

Oh those eyes : oubliez Mountain ! Nous sommes encore dans l'insipide queue de la comète rock des années cinquante, ce rock abâtardi et aseptisé pour jeunes puceaux blancs qu'il convient de préserver des promiscuités négrophiles. Un balancement un tantinet jazz sauve le morceau de son insignifiance, l'empêche de mourir de sa propre inanition, une voix mièvre et mielleuse d'adolescent acnéique, le tout bien mis en place... You're too young : le côté slow du single, déjà que le côté rythmé n'était pas un chef-d'œuvre...

1966

I can't make a friend : ils ont écouté les Beatles et cela s'entend, rajoutez un petit côté pré-psyché, une véritable coupure épistémologique, ne sont pas encore dans le wagon de tête mais ils sont montés dans le bon train. Y a-t-il vraiment une terrible différence avec les deux crêpes flasquouillettes précédentes, qualitativement oui mais point quantitativement, à la base ce sont les mêmes ingrédients mais revisités par une simple transfusion sanguine qui a déclenché une mutation génétique. Young blues : un harmonica à la Love me do, chantent un peu en chœur mais sans véritables harmonies vocales, bref il manque l'allant de Lennon pour fuser le morceau.

Le single a été réalisé sous la houlette de Trade Martin, multi-instrumentiste, compositeur, et producteur. Il a travaillé avec ce que nous nommons aujourd'hui de célèbres inconnus mais il a aussi apporté sa contribution sur des galettes persillées de Solomon Burke, Dusty Springfield, BB King et Dave Edmunds...

Deuxième production de Trade Martin, les deux morceaux sont signés de Bert Sommer. Retenons bien ce nom.

The final hour : une belle confiture de celle dont raffolent les cochons, intro à l'orgue et l'on déroule l'alphabet dans l'ordre, entre Beatles et Byrds pour les harmonies, mais le meilleur est tout à la fin, ces couinements de guitares qui ressemblent à des appels au secours d'un caneton en train de boire la tasse. Jusqu'à lors Leslie suivait le mouvement... Your hasty heart : régression vers le slow de l'été, c'est mignon, c'est bien fait, c'est beau l'amour éternel des adolescents, n'y aurait-il pas quelque chose de plus précipité en magasin, vous savez ces arpèges organiques en rangées d'asperges c'est un peu flippant. Bonjour les râteaux !

Un détail de poids, ces deux simples ont été produits chez Vanguard qui plus tard signera Mountain...

1967

Ils ont changé de crèmerie. Ce qui est marrant c'est que si le disque est cent pour cent rhythm 'n' blues, David Brigati et Larry Vernieri qui produisent la session sont des anciens des années cinquante, ils ont été membres de Joey Dee and the Starlighters qui créèrent Pepermint Twist et Roly Poly, les admirateurs de Vince Taylor et des Chaussettes Noires connaissent... Jimi Hendrix a même joué de la guitare chez les Starlighters.

Respect : l'année est l'apogée de la révolution Stax, bye-bye les jolies ambiances post-Dion et les Belmonts, un orgue encore un peu trop gentillet, mais l'avion prend de l'altitude, le vocal se négrifie, plus près de Wilson Pickett que d'Otis Redding, c'est vers la fin du morceau que le groupe tient le bon bout de la queue du chat, ne reste plus qu'à la hacher menu, mais l'on arrête les frais trop vite. I love, love you ( Yes I do) : attention c'est la face A, ça s'entend et ça se mérite, même l'orgue commence à ressembler à celui de Booker T, rajoutez des chœurs qui battent la chamade et des semblants de cuivres qui jerkent, revers de la médaille : peu original, mais copie conforme de qualité.

L'on a un peu l'impression que les Vagrants courent après la nouvelle musique, sans trop savoir où elle se niche, ils sont sortis de la cave prison white-teen-rock démodé et cavalent sur les sentiers du rhythm 'n' blues à la mode, ils étaient pour les trois premiers simples carrément à la traîne et pour celui-ci en plein dans la dernière donne américaine, en progrès mais pendant ce temps-là en Angleterre...

Shadow Morton préside la séance du single suivant. Hasard, circonstance, simple logique n'a-t-il pas produit les Mar-keys, l'orchestre tout-terrain des écuries Stax – Last Night fut longtemps l'indicatif de Salut Les Copains – mais aussi les Shangri-Las groupe féminin early-mid sixtie, mais aussi Iron Butterfly, Vanila Fudge, Moot the Hople, et les New York Dolls, une parabole parfaite de l'histoire du rock'n'roll, que son chemin ait croisé les Vagrants entre en résonance avec la future mue du groupe qui deviendra Mountain.

And when it's over : c'est joli, normal c'est du Bert Sommer, mais il y a du nouveau quant au niveau, parmi ces belles harmonies c'est la guitare de Leslie, elle éclate dès l'intro, l'on n'écoute qu'elle, même si les arrangements essaient de la cacher par la suite, c'est elle qui tient le morceau comme la corde soutient le pendu, Leslie nous fait le coup du cygne noir dont l'œuf a été couvé par une tribu de rossignols. I don't need your loving : le morceau est signé par Jerry Torch, l'organiste, s'est servi en premier, son chant du cygne à lui, tout pour se mettre en valeur, n''est pas mauvais, l'est même indispensable puisque Leslie est en retrait, ce n'est pas pour rien que Mountain possèdera aussi un organiste, pensons aux Animals et aux Doors, juste un problème, Jerry maintenait malgré son talent et de remarquables progrès en deux années, les Vagrants dans l'ornière de la pop.

L'histoire s'accélère. Un nouveau venu croise le chemin des Vagrants. Il a été pressenti pour produire un album des Vagrants. Vient d'Angleterre où il a officié auprès de Cream, quelle meilleure carte de visite aurait pu présenter l'homme pour intéresser Leslie qui se jugeait ( à raison ) un peu ( énormément ) à l'étroit dans les Vagrants.

A sunny summer rain : Felix Papallardi ne touche à rien, il transforme tout. Ne se fâche même pas contre Bert Sommer, se contente de cosigner le morceau avec lui, un peu pop certes, mais voici que les Vagrants sonnent aussi splendidement que Cream. Imaginez que Picasso attrape un de vos lamentables dessins et qu'en trois coups de crayons il le transforme en un chef d'œuvre... Beside the sea : encore un morceau signé Bert et Felix, mais aussi Gail Collins, la constellation Mountain est en formation, à tel point que Leslie West reprendra le titre sur son premier disque intitulé Mountain... et que le groupe Mountain le jouera à Woodstock, un vocal à la Turtles mais la guitare de Leslie assène le riff et dépiaute le solo fort joliment. Lorsque le titre est achevé, les conclusions se tirent d'elles-mêmes, comme un hiatus dans le groupe, il y en a un qui est en trop, à moins que ce ne soient les autres qui ne soient pas à leurs places.

My babe : un instrumental, peu convaincant, le vieux morceau de Willie Dixon – mais à qui l'a-t-il emprunté ? – les versions de Buddy Holly et des Rolling Stones restent des pierres votives de tout cheminement rock – est ici traité à la Memphis sound, pas de cuivre, l'orgue remplace la fanfare, tambourinade drummique et le reste suit l'attelage. Ecoute dispensable. Vous trouvez ce morceau et le suivant sur : Mountain : First steps : Making of a Mountain 2009 Voiceprint

LIVE !

Les témoignages les plus authentiques peuvent induire en erreur. En horreur. Que déduire des morceaux précédemment écoutés ? Que les Vagrants n'étaient pas géniaux, même si l'on remarque qu'un titre comme I can't make a friend figure sur plusieurs compilations garage qui ont suivi la mode Nuggets, mais qu'heureusement Pappalardi est arrivé à la manière de Zorro pour sauver le pauvre Leslie attachés sur les rails de la médiocrité par ses quatre camarades. Il est une autre façon de lire l'histoire. Ce groupe sans imagination, propre sur lui, tel qu'on le retrouve par exemple sur Vagrants I can't make a friend 1965 – 1969 Lights in the Attics, 2011, ou sur Vagrants The great lost album, Arista, 1987, ne correspond pas tout à fait à ce que prétendent révéler ses enregistrements.

Le groupe avait une autre spécificité. Sur scène il sonnait totalement différemment. Les Vagrants étaient surtout prisés pour leurs morceaux longs, il nous reste une bande de douze minutes, de 1966, enregistré à Action House in New York, c'est en ce même parc de Long Island que Leslie vit Cream sur scène pour la première fois, peut-être cette soirée lui permit-elle d'établir un premier contact avec Pappalardi... Un titre que bien plus tard les fans retrouveront sur l'album Avalanche de 1974, Satisfaction des Pierres qui roulent, certes nos Vagrants n'ont pas la maturité ni l'épaisseur du son des Stones, sans doute n'était-ce pas ce qu'ils recherchaient, privilégiaient avant tout une espèce d'hypnose sonore semi-improvisative déjà psychédélique. L'on comprend mieux pourquoi Shadow Morton qui produisit Iron Butterfly et Vanila-Fudge s'est intéressé à nos Vagabonds. Si dans les premières minutes l'orgue de Jerry Torch flamboie, si son vocal ne se risque surtout pas à singer Jagger parvenant ainsi à ne pas être détestable, cette longue mouture repose sur la rythmique, ce qui permet d'apprécier le jeu rentre-dedans de la basse de Larry Weinstein. Voici la guitare de son frère Leslie, elle s'en vient d'abord modestement en contrefort, puis prend de plus en plus d'importance à tel point que le reste du groupe semble faire de la figuration. Malgré sa grosse figure d'adolescent sage, Leslie est déjà lui-même, en gestation avancée. Maître de guitare rock. La rage noire qui couve sous les braises rougeoyantes de l'orgue.

The Vagrants attirèrent l'attention, ils eurent l'audience d'un groupe local, mais à l'échelle américaine, désolé pour notre fierté nationale de petits frenchies infatués de notre universalité culturelle mais question notoriété rock vaut mieux être célèbre à Long Island qu'à Cherbourg !

Damie Chad.

BLUES AGAIN !

Le Blues dans tous ses états !

 

Me souviens de ma joie d'avoir découvert voici un lot pourri d'années une nouvelle revue à la devanture d'un point presse. Blues again ! Une belle petite revue qui finit par mettre la clef sous la porte. N'était pas sectaire, elle ne se contentait pas pourtant de tourner en rond dans la boue du Delta. L'était ouverte, n'était pas fermée au rock'n'roll. Des amateurs éclairés. Présentait un gros défaut pour une revue bleue, les comptes virèrent au rouge... C'était chaud, fallut arrêter les frais. Lecteurs qui ne l'avez jamais achetée il est inutile de vous lamenter et de verser de fausses larmes de crocodile empaillé.

Blues again ! N'est pas morte ! Inutile d'invoquer Baron Samedi afin de le remercier. Aucune magie bleue dans sa survie. Elle a émigré sous des climats favorables, au pays où le papier, les timbres et la distribution sont gratuits. Sur le net. Suffit de cliquer dessus, l'accès est libre et vous pouvez consulter toutes les livraisons, jusqu'en janvier 2011. Des bienfaiteurs de l'humanité.

La livraison de cet été – juillet-août 2020 – vient de sortir. A peine l'image se stabilise-t-elle que votre œil est happé par une vignette format timbre-poste, diantre Iggy Pop, quand je vous dis qu'ils ne sont pas sectaires, c'est la rubrique Nouveauté CD, Marc Jansen chronique les rééditions de The Idiot, et de Lust for life. L'est sûr que le capitalisme vous revendra en version améliorée les disques qui ne vous avaient pas plongé dans une extase délirante lorsque vous les aviez achetés lors de leur sortie originale. Power si vous voulez, mais pas Raw.

Juste au-dessus une signature s'impose, Julien Deléglise, cet homme ne peut pas être totalement mauvais puisqu'il a rédigé la biographie des Variations parue chez Camion Blanc, et là paf, encore une fois il tire droit au but la réédition de Hellhammer, groupe suisse, un des fondateurs du metal extrême...

J'en devine qui s'arrachent les poils du pubis qu'ils n'ont plus depuis longtemps, et le blues, le vrai blues, où est-il ? Pas d'affolement, juste à côté, Blind Lemon Jefferson, difficile de remonter plus loin, je le concède l'article n'est pas très long, mais il est signé par Christian Casoni, dans la lignée directe des portraits des premiers bluesmen qu'il avait fignolés pour Rock'n'Folk, ils ont été repris dans Juke paru en janvier de cette année chez Le mot et le reste, peut-être même est-ce la reprise d'une des pages du bouquin, mais je n'ai pas la force de chercher dans ma bibliothèque pour vérifier. Lorsque vous regardez la photo de Jefferson, avec ses joues rondes et ses lunettes de premier empoté de la classe, z'avez l'impression que Buddy Holly était un figurant de la série Sons of Anarchy, et le Casoni nous sert une belle cassonade parfumée au citron qu'il presse de toutes ses forces. L'aurait pu sous-titrer son article : j'ai rencontré un bluesman heureux, BLJ n'a pas connu la vie fastueuse des rock stars, mais fut auréolé d'estime et de gloire ( pâle ) de son vivant. Savait jouer de la guitare et ses enregistrements ont servi d'étalon pour tous ceux qui ont suivi. L'a défriché le blues ou ce qui allait devenir le blues, à sa manière, en toute liberté. Plus qu'un père, le géniteur de toute une descendance. Et sans doute en avait-il conscience...

Deux interviews découvertes : Junkyard Crew un trio à deux, se partagent la batterie l'un joue du sousaphone, espèce de gros tuba, l'autre chante et se charge de la guitare. Entre musique expérimentale et bricolage musical, le genre de curiosité qui captive l'attention. Le second groupe se nomme Maine in Habana, est basé à Montpellier et se définit en tant que Folk Psychédélique, je vous laisse découvrir...

Nous terminerons par un long article sur les débuts de King Crimson. Un beau papier qui couvre les premières années du groupe, les cinq premiers disques, mais Julien Deléglise aurait bien continué, nous refile fissa un maximum d'info sur la deuxième période du groupe. Le groupe prog par excellence. Perso j'ai toujours trouvé beaucoup plus d'authenticité aventureuse chez le Roi Pourpre que Pink Floyd, Yes, Emerson... Faudrait tout de même que l'on m'explique pourquoi le purpural souverain après avoir enfermé ses premières galettes dans de magnifiques pochettes parmi les plus réussies des seventies, s'est adonné par la suite à une esthétique spartiate du pauvre pour le restant de ses couves.

Tout cela pour vous enjoindre à folâtrer quelque peu sur le site de Blues again ! Pour les gros lecteurs dévorateurs de pâte à papier encrée, vous avez une vingtaine de chros de bouquins sur les musiques que l'on aime...

Damie Chad.

 

01/07/2020

KR'TNT ! 471 : EDDIE PILLER / MOSE ALISON / ALVIN GIBBS / THE PESTICIDES / THE JUKERS / ROCKABILLY GENERATION / MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS / POGO CAR CRASH CONTROL / SUICIDE COLLECTIF

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 471

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

02 / 07 / 20

 

EDDIE PILLER / MOSE ALLISON / ALVIN GIBBS

THE PESTICIDES / THE JUKERS

ROCKABILLY GENERATION 14

MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS

POGO CAR CRASH CONTROL / SUICIDE COLLECTIF

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Piller tombe pile

 

Trèèèèèèèèèèès belle compile que ce Soul On The Corner concoctée par deux vieux Mods anglais, Martin Freeman et Eddie Piller. Rappelons qu’Eddie le pillier dirige un label mythique nommé Acid Jazz. Puisque c’est un double album, ils ont chacun leur galette. On voit très vite qu’Eddie Piller préfère le smooth au pas smooth, alors que Martin Freeman va plus sur le pas smooth, mais il ne va quand même pas jusqu’au raw, n’exagérons pas. Ils veillent tous les deux à rester dans les clous d’une Soul on the Corner, celle dont parle si bien Piller dans ses commentaires, la Soul des clubs tard dans la nuit. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard s’il ouvre son petit bal de round midnite avec Bobby Womack et «How Could You Break My Heart», tiré de l’album Roads Of Life. Bobby y dégouline de classe, nous dit Eddie. Bobby tartine une fantastique ambiance de groove souverain, comme il l’a fait toute sa vie et passe même sur le pouce un solo final de Womack guitah. Eddie y va fort, puisqu’il enchaîne avec un autre monstre sacré, Willie Hutch et «Lucky To Be Loved By You», tiré de son premier album, Soul Portrait, paru en 1969. Eddie ne comprend toujours pas pourquoi Willie n’est pas devenu une superstar. Ça le dépasse complètement. Les bras lui en tombent. Il n’est pas le seul à qui ça arrive. Quand on écoute Soul Portrait, on tombe automatiquement de sa chaise. Alors oui, pourquoi Willie Hutch n’est-il pas devenu une superstar ? L’attaque de Loved By You vaut toutes celles des Supremes et même celles du grand Smokey. Willie nous fait le coup de la Soul des jours heureux. C’est un véritable chef-d’œuvre de good time music. Le message d’Eddie est clair : écoutez Willie ! Et ça continue avec l’extrême délicatesse de la sweet Soul de Tommy McGee, avec «Now That I Have You». C’est d’un raffiné ! On se délecte à l’écoute de cette perle noire posée dans l’écrin des falaises de marbre du lagon d’argent. Autant parler de magie de la Soul, ça ira plus vite. Puis Eddie va essayer de nous refourguer ses découvertes de label boss, du style Laville avec «Thirty One», un mec qu’il a découvert par hasard dans la rue et qu’il a signé sur Acid Jazz. Eddie privilégie le soft groove, celui qui coule comme de la crème anglaise bien tiède sur le banana split. Ce que vient d’ailleurs confirmer le «Love Music» de Sergio Mendes & Brazil 77. Comme tous les DJs, Eddie est une véritable caverne d’Ali Baba à deux pattes. Si on commence à l’écouter, on y passe la nuit. Il nous sort des trucs inconnus au bataillon comme Pajoma, puis un certain Goodie dont il ne nous viendrait jamais l’idée d’acheter l’album, au seul vu de la pochette. Ce fin limier d’Eddie nous sort même une Française, Patsy Gallant, qui chante une espèce de petite Soul moderniste. Les compiles servent à ça, mais en même temps, il faut avoir du temps et surtout une mémoire d’éléphant, pour emmagasiner toutes ces infos. Nouvelle découverte avec Arnold Blair et «Finally Made It Home». Eddie ne sait pas si Arnold est un homme ou une femme. C’est vrai qu’on se pose aussi la question. Arnold chante au smooth de classe humide, et pendant qu’on salive à l’écoute de cette merveille, Eddie le renard nous annonce qu’il y a more to come. Apparemment, il va sortir des trucs d’Arnold sur Acid Jazz. Sans doute rééditera-t-il l’exploit de Leroy Huston, dont l’intégrale est reparue sur Acid Jazz. En attendant, nous voilà avec un nouveau chanteur de rêve sur les bras, Arnold Blair chante à l’angle du biseau d’ange de miséricorde, un peu à la façon de Leroy Huston, justement. Cette manie du smooth conduira Eddie en enfer ! Et puis voilà une autre surprise de taille : The Reverend T.L. Barnett & The Youth For Christ Choir et «Like A Ship (Without A Sail)». Aux yeux d’Eddie, il n’existe que trois formes de spiritual music genius : Rastafarianism & Spirtual jazz, but especially gospel. True wall of Soulful Soul. Si on aime le real deal du gospel, on est servi. Il termine sa galette avec un autre roi du smotth, Jerry Butler qui fit partie des early Impressions, l’un des groupes qui a vraiment su marquer son époque au fer rouge.

Martin Freeman démarre sa galette avec l’inexorable Barbara Aklin et «A Raggedy Ride». Vintage 68 Soul avec un twist of something, nous dit Freeman la bouche en cœur. Sacré shoot de Barbara ! Elle shake ses envolées belles avec la niaque d’une vraie jerkeuse. Nouveau message : écoutez Barbara Aklin. C’est l’une des Soul Sisters de base. Freeman rend ensuite hommage à Georgie Fame avec un «Daylight» signé Bobby Womack. En bon DJ, Freeman sait que Georgie remplit any dancefloor, garanteed. C’est vrai qu’il ne faut pas prendre Georgie pour une brêle. La version de «Parchman Farm» qu’on trouve sur Mods Classics 1964-1966 est un passage obligé. Puis Freeman tire «Fan The Fire» du premier album d’Earth Wind & Fire et il s’exclame la main sur le cœur : «Good Lord, they were so good !». Il a raison, les premiers albums d’Earth Wind & Fire valent tout l’or du monde, si l’on peut dire. Et comme son copain Eddie, Freeman propose des choses moins intéressantes avant de revenir en force en B avec Donny Hathaway et «Voices Inside (Everything is Everything)». Là c’est facile, car Donny est imbattable. Et Freeman en rajoute une couche en déclarant qu’il est one of the best. Il recommande bien sûr le premier album sur ATCO, Everything Is Everything - Let’s get down now - Donny est avec Marvin l’un des rois du groove urbain, un groove gorgé de blackitude sensuelle. Freeman enchaîne avec Syreeta et «I’m Going Left». Elle sonne comme les Supremes, c’est presque un compliment. On le sait, Syreeta chante avec tout le petit chien de sa chienne et elle tient la dragée haute à G.C. Cameron sur un très bel album, Rich Love Poor Love. Il faut aussi aller l’écouter sur Mowest. Elle est sans doute l’une des dernières à brandir le flambeau du Motown Sound. Puis Curtis Mayfield sort son plus beau smooth pour «Love To Keep You In Mind». Freeman dit que d’écouter Curtis, ça le fait chialer. Il n’est pas le seul. C’est vrai que Curtis semble avoir inventé la délicatesse, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Freeman tente ensuite de nous refourguer Tower Of Power, mais bizarrement, ça ne marche pas. Ça ne marche jamais. Chaque fois que Tower Of Power apparaît sur une compile, c’est le bide assuré. Trop middle of the road ? Allez savoir ! Ceci dit, le principal c’est que ça plaise à Freeman. Nous on est là pour écouter, pas pour la ramener. Freeman tape ensuite dans la crème de la crème avec le Brook de Cotillon. Eh oui, ce hit se trouve sur l’excellent Story Teller de Brook Benton enregistré au Criteria de Miami avec les Dixie Flyers et produit par Jim Dickinson et Arif Mardin. Autant parler d’un méga-big classic. Brook parle de ses chaussures qui, nous dit Freeman, le ramènent inexorablement chez son ex. Nouvelle rasade de Soul avec Tommie Young et «Hit & Run Lover». On a là la good time music des jours heureux, Tommie est une reine de la rue, une soul Sister du Texas. Et comme tout a une fin, voilà Betty Wright qui vient tout juste de casser sa pipe en bois. Freeman nous propose l’un de ses vieux hits, «The Babysitter» tiré de l’énorme Hard To Stop paru en 1973. Freeman nous dit qu’elle n’avait même pas 20 ans, mais son Babysitter tape en plein dans le mille. D’ailleurs, il suffit de voir la pochette de l’album : Betty y réincarne la reine de Saba.

Signé : Cazengler, Eddie Pinard

Martin Freeman And Eddie Piller Present Soul On The Corner. Acid Jazz 2019

 

Fingers in the Mose

 

Dans le docu que lui consacre Paul Bernays, Mose Allison est salué par des fameux compères : Pete Townshend, Van Morrison, Joel Dorn, Frank Black et la belle Bonnie (Raitt) qui va jusqu’à déclarer : «He’s the one who can sing the blues.» Townshend s’émerveille du fait que Mose soit né dans le delta et qu’il ne soit pas noir - He was born in the delta but... he wasn’t black ! - Oui, Mose Allison naquit à Tippo, Mississippi, et il raconte qu’il y avait du country blues partout autour de lui. Son père tenait la grosse épicerie - Tippo General Store, that my father built - Et puis voilà le fin du fin de ce qu’on appelle le Mod Jazz, «Parchman Farm» que Mose enregistra en 1957. Bernays nous laisse en compagnie Gerogie Fame qui en fit certainement la version la plus légendaire - In my nose came the Mose sound - Nous voilà au Flamingo, à Soho, avec une chain-gang song de forçats transformée en hymne de la scène Mod anglaise.

Mose Allison vient à la fois du blues et du jazz. Il réalise assez vite que pour vivre de sa musique, il doit aller s’installer à New York. Il y débarque en plein dans la bohème des early sixties - Jazz was very much part of it - Il accompagne Stan Getz et Jerry Mulligan. Un témoin black du docu dit de Mose qu’il est white but soulful, ce qui vaut pour un compliment. Peter Townshend est l’un de ses early fans. Le «Young Man Blues» qu’il joue avec les Who est l’un des grands classiques de Mose, et Townshend avoue que «My Generation» vient de ce tempo jazzy bien rythmé, d’ailleurs il le chante sur un tempo jazz. L’autre grand admirateur de Mose devant l’éternel n’est autre que Frank Black. Souvenez-vous d’«Allison» sur Bossanova. Eh, oui, c’est un hommage à Mose. Frank Black considère même Mose comme un dieu - I know he’s just a man, but you know, I’m not sure about that - Le gros laisse planer le mystère de sa conception - And when the planet hit the sun/ I saw the face of Allison.

Bon, on va se calmer un peu, car les disques du vieux Mose ne sont pas des plus accessibles. D’ailleurs Atlantic lui fit remarquer à une époque qu’il allait devoir faire un petit effort pour que ses disques se vendent. Le son de Mose est un son très piano-jazz-shuffle, très entre-deux eaux, ni trop ni pas assez, complètement inclassable, moderne et ancien à la fois, dynamique et classique en même temps. Ses albums sont encore plus austères que ceux du James Taylor Quartet qui bénéficie aussi d’une certaine aura chez les connaisseurs, comme d’ailleurs tous les disques Mod Jazz un peu pointus. Mais ça reste un truc de spécialistes. Très compliqué de les recommander. Il ne vaut mieux pas s’y risquer.

Par contre, le tribute à Mose Allsion qui vient de paraître est chaudement recommandé, car des ténors du barreau se bousculent au portillon. On doit cette initiative à Fat Possum, le petit label indépendant spécialisé dans le Southern raw blues. L’album s’appelle If You’re Going To The City. A Tribute To Mose Allison, et dans le digi se trouve en complément le docu de Paul Bernays, Mose Allsion: Ever Since I Stole The Blues. L’ensemble constitue ce qu’on appelle généralement une merveille et pour approcher un artiste aussi complet que Mose, rien n’est plus indiqué. C’est Richard Thompson qui se tape «Parchman Farm» - It’s a song about a difficult work - Le vieux Richard joue le shuffle légendaire du pénitencier sur sa guitare, mais il ne décoince pas. Il aurait dû laisser la place à Georgie Fame. C’est Chrissie Hynde qui va décoincer le truc avec «Stop This World». Elle prend les choses au groove de jazz, elle a tout compris. Elle plonge dans le rêve de Mose et caresse le mythe d’une main experte. L’autre invité de marque est Iggy qui prend «If You’re Going To The City» au heavy dumbbeat. Rien à voir avec Mose, mais Iggy l’aime bien, alors il rigole, hé hé hé, il groove un hip-hop à la con. N’empêche qu’il faut faire confiance à Iggy, il chante pour toi, hé hé hé, il devient l’Iggy que l’on sait, Iggy the terrific. Toute aussi terrific, voilà Bonnie Raitt, avec «Everybody’s Crying Mercy». Elle en fait une énormité, elle bouffe Mose tout cru au petit déjeuner, Bonnie est une bonne, ça tout le monde le sait. Elle éclate sa Soul de jazz au Sénégal avec sa copine de cheval, elle est atrocement bonne, c’est une joie de la trouver à la suite de Chrissie Hynde et d’Iggy.

Taj Mahal ouvre le bal avec «Your Mind Is On Vacation». Il fracasse le vieux boogie comme il fracassait jadis celui de Sleepy John Estes. Ça joue à la stand-up, donc on a le vrai truc, Taj does it right et redonne vie au vieux boogie de Mose. C’est le disque de rêve des temps modernes : Taj Mahal + Mose Allison + la stand-up. Que peut-on espérer de mieux ? Encore un invité de marque avec Frank Black et «Numbers On Paper». Le vieux Magic Band boy Eric Drew Feldman l’accompagne. Le gros placarde son Mose à la poterne du palais. C’est comme ça et pas autrement. On entend aussi la fille de Mose, Amy Allison, accompagnée de Costello, chanter «Monsters Of The ID» d’une voix de canard médusé. Mais dès que Costello chante, ça devient comme avec Stong le contraire du rock. C’est très compliqué à écouter. On en voit d’autres se vautrer, comme par exemple les frères Alvin avec «Wildman On The Loose». Ils ramènent beaucoup trop de guitares, comme s’ils n’avaient rien compris au jazz de Mose. On a aussi Peter Case qui se prend pour un Jazz cat avec «I Don’t Worry About A Thing». Pas facile d’entrer dans l’univers très pur de Mose. Les Américains s’y cassent les dents un par un. Ils sont trop dans l’approximation. Difficile d’évaluer les dégâts. Il aurait fallu confier le dossier à un institut spécialisé dans les statistiques. Ou confier l’ensemble du tribute à Chrissie Hynde, Iggy, Taj et le gros. On voit aussi Loudon Wainwright et Fiona Apple se vautrer en beauté. Par contre, Robbie Fulks joue «My Brain» au dada strut et en fait de l’Americana de haut rang, avec un banjo qui prévaut comme un prévôt dans le mix. Quelle belle déveine de la dégaine ! Jackson Browne s’en sort lui aussi avec les honneurs, il tape «If You Live» au very big sound avec une voix à la Dylan. Il américanise lui aussi le vieux Mose, mais c’est idiot, vu que le vieux Mose est déjà américain. Si Jackson ne s’appelait pas Jackson, on pourrait croire qu’il s’appelle Bob. On tombe plus loin sur une curieuse association : Ben Harper & Charlie Musselwhite. Ils prennent «Nightclub» à la bonne franquette. Comme on l’a vu, l’oncle Ben bouffe à tous les râteliers, mais Charlie, c’est une autre dimension. Il est mille fois plus crédible que l’oncle Ben. Charlie est le punk de Chicago, il explose Mose à coups d’harmo. Il renoue avec l’énergie originelle du grand Mose Allison, et franchement, ça vaut le déplacement.

Signé : Cazengler, Morve Allison

If You’re Going To The City. A Tribute To Mose Allison. Fat Possum Records 2019

Paul Bernays. Mose Allison: Ever Since I Stole The Blues. DVD 2019

 

 

Le job de Gibbs

 

Après avoir quitté les UK Subs, Alvin Gibbs s’installe à Los Angeles pour redémarrer une nouvelle carrière. Un jour, il reçoit un drôle de coup de fil : Andy McCoy l’appelle pour lui proposer le job de bassman dans le groupe d’Iggy Pop. Wot ? C’est un big deal. On est en 1988, Iggy vient d’enregistrer Instinct et envisage une tournée mondiale de promo qui va durer huit mois. Donc il recrute des mercenaires, à commencer par Andy McCoy qui fit des siennes avec Hanoi Rocks. Et comme McCoy connaît Alvin Gibbs et qu’il le sait basé à Los Angeles, il le met sur le coup. Les autres mercenaires sont le guitariste Seamus Beaghen et le batteur Paul Garisto. Le job est bien payé et les tourneurs offrent des garanties d’hébergement dans les meilleurs hôtels. Le job de guitariste devait revenir initialement à Steve Jones qu’on entend sur Instinct, mais les tourneurs veulent des gens clean pour la tournée : pas de dope, pas d’alcool, pas de rien, et des papiers en règle. Comme Steve Jones n’est pas net, le job revient à Andy McCoy qui réussit miraculeusement à montrer patte blanche.

Alors, se régale-t-on de détails croustillants, de scènes de débauche dans les grands hôtels, de hard drive of sex drugs & rock’n’roll ? Curieusement, non. Alvin Gibbs porte sur le cirque de cette tournée mondiale un regard extrêmement puritain, ce qui, d’une certaine façon, l’honore. Pas de voyeurisme à la mormoille. Mais en contrepartie, il nous fait le coup des cartes postales, notamment à Tel Aviv et au Japon, et là, il perd un peu de son panache. Le seul intérêt du book est bien sûr Iggy qui est alors en plein redémarrage avec cet album inespéré que fut Instinct, du big hard drive d’Iggy bien moulé dans son pantalon de cuir. C’est aussi l’époque où Iggy a décidé de calmer le jeu et pour éviter toute forme de dérive, il emmène sa femme Sushi avec lui en tournée. No sex and no drugs, ou plutôt comme l’indique perfidement Alvin Gibbs, just a little bit of sex dès que Sushi s’absente 24 h et a little bit of drugs quand apparaît comme par miracle un joli tas de coke dans la chaleur du backstage.

On le sait, le journal de bord d’une tournée de rock est un genre difficile. Avant Gibbs, d’autres se sont frottés au genre, notamment Ian Hunter (Diary Of A Rock’n’Roll Star) et Robert Greenfield (STP Stones Touring Party). Le plus intéressant de tous étant certainement le livre que Noel Monk consacre à la tournée américaine des Sex Pistols (12 Days on The Road/The Sex Pistols And America). En comparaison de ce cauchemar génial que fut la seule tournée américaine des Pistols, le récit de Gibbs paraît un peu fadasse. Et les relents touristiques de certains épisodes ne font rien pour arranger les choses. À la limite, on est content qu’Iggy prenne soin de lui (sauf sur scène où il continue de prendre des risques en se jetant dans la foule), mais en même temps, il manque tout le Search & Destroy de son âge d’or. Mais au fond, la plupart des tournées de rock stars doivent ressembler à ça : séjours dans les capitales du monde entier, gros shows, parties d’after-show avec les célébrités locales et la crème de la crème des courtisanes agréées, grands hôtels et gamelles dans les meilleurs restos, trajets en première classe dans des avions avec des hôtesses coquines, petits écarts de conduite pour les hommes mariés, tout cela finit par être d’une effarante banalité, à tel point que ça ne fait même pas envie. Iggy a semble-t-il passé le cap des excès pour se professionnaliser, car il sait au fond de lui que c’est la seule façon de continuer à exister en tant qu’Iggy. De ce point de vue, il est excellent. Le fait d’engager des mercenaires fait aussi partie du jeu. Un album, une tournée et hop, on passe à autre chose : pas d’attachement, pas d’état d’âme. Iggy navigue en solitaire et tient son cap. Alvin Gibbs nous restitue un Iggy plus vrai que nature. Bon, on sait qu’il chante bien et qu’il est légendaire, mais ce portrait en demi-teinte d’Iggy est un petit chef-d’œuvre d’observation. Gibbs nous parle ici d’un homme extrêmement intelligent qui a choisi d’exercer l’un des métiers les plus difficiles qui soient au monde, celui de rock star, en évitant de se détruire. Et c’est parce qu’il s’est fait plumer par le showbiz qu’il a décidé de réagir en prenant son destin en main. Voilà ce que nous montre Alvin Gibbs, un Iggy en pleine possession de tous ses moyens et résolu à ne plus se faire enculer à sec par ces fucking suits qu’il hait profondément.

Alors évidemment, les épisodes un peu gratinés comme cette nuit de débauche avec les Guns N’ Roses dans un hôtel texan et les lignes d’héro d’Andy McCoy retombent comme des soufflés. Le personnage d’Iggy est mille fois plus rock’n’roll que tous ces rois du m’as-tu-vu. D’ailleurs, Alvin Gibbs boucle son book avec un bel hommage à Iggy, le qualifiant de borderline superman projective artist of rare talent, et il demande, dans le feu de l’action : «Qui d’autre que lui aurait pu écrire une phrase aussi sublime que ‘I wish life could be Swedish magazines ?’»

Il se fend aussi d’une belle intro : «Posez votre smartphone, fermez la tablette et la télé et tous ces outils infernaux qui vous bouffent la vie et prenez le temps de découvrir à quoi ça ressemblait d’être un musicien qui accompagne à travers toutes les grandes villes des cinq continents l’un des plus explosifs interprètes de rock et son double plus posé et plus lettré, James Newell Osterberg Jr.»

Quand il rencontre Iggy pour la première fois sur le balcon de l’appart d’Andy McCoy, Alvin Gibbs est frappé par sa musculature. Iggy ne porte pas de chemise sous sa veste en cuir. Gibbs découvre ensuite qu’Iggy se lève chaque matin à 6 h pour faire une heure d’exercices, avant de prendre son breakfast avec sa femme.

Pendant le segment américain de la tournée, le groupe voyage en bus. Alvin Gibbs s’assoit parfois à côté du chauffeur Jim Boatman et écoute ses histoires drôles :

— Qui a des cheveux décolorés, deux cents jambes poilues, deux cents bras tatoués et pas de dents ?

Alvin Gibbs donne sa langue au chat :

— J’en sais rien, Jim...

— C’est le premier rang d’un concert de Willie Nelson.

Jim Boatman en propose ensuite une autre qui concerne Julio Iglesias, mais elle est tellement trash qu’il est impossible de la révéler ici, pour ne pas salir le joli blog de Damie Chad.

Autre anecdote intéressante : Alvin Gibbs se retrouve dans une party à New York. Il repère Andy McCoy : il est installé dans un coin avec une gonzesse et fume de l’opium. Andy insiste pour qu’Alvin tire une bouffée sur sa pipe :

— Have some of this !

Connement, Alvin tire une grosse bouffée et ça lui monte aussitôt au cerveau. Le rush s’accompagne d’un violent mal de mer. Il fonce vers les gogues et en entrant, il tombe sur une blondasse en train de se faire tirer par Johnny Thunders, debout contre l’évier de la salle de bains. Entre deux coups de reins, Thunders lance :

— What chew want man ? (Quesse-tu veux, mec ?)

Alvin demande s’il peut gerber dans le lavabo. Thunders lui répond :

— Hey man take a look, I’m busy here, use the bath. (Hey mec, tu vois bien que je suis occupé, gerbe dans la baignoire).

Alvin gerbe dans la baignoire.

Mais c’est bien sûr à Iggy que revient la palme d’or. Dans un taxi qui les raccompagne à leur hôtel, il explique ceci à Alvin : «Je vivais dans une cave sans chauffage et pour bouffer, j’ai joué pendant huit mois de la batterie pour des bluesmen dans les south side clubs de Chicago. Au bout d’un moment, j’ai compris que seul un black pouvait vraiment jouer le blues, tu vois, ils ont ça dans le sang. C’est instinctif. Aucun petit cul blanc ne peut jouer aussi bien qu’eux. Lorsque j’ai compris ça, je suis rentré dans le Michigan pour former les Stooges.»

Quand ils se retrouvent à Sao Paulo, Iggy et ses mercenaires découvrent que la ville est coupée en deux : d’un côté les gens très riches et de l’autre, la grande majorité des millions d’habitants sont des gens très pauvres. Très très pauvres. Forcement, ce sont les riches qui assistent au concert d’Iggy qui leur lance : «Oui vous avez du blé, des grosses bagnoles, des baraques et des serviteurs, mais vous n’avez pas de cœur, pas de couilles, vous n’avez rien !» et Iggy se tourne vers son groupe et lance : «Play for these zombie motherfuckers ‘You Pretty Rich Face Is Going To Hell !»

Dans un lobby d’hôtel, Alvin Gibbs assiste à un échange gratiné entre Andy McCoy et Iggy :

— Hey McCoy, t’as jamais baisé une gonzesse avec une patte en moins ?

— O man, tu déconnes, je ne pourrais pas, c’est dégueulasse !

Iggy éclate de rire :

— T’es qu’une poule mouillée, McCoy, tu devrais essayer, tu vas adorer ça !

En parallèle à ses exploits éditoriaux, Alvin Gibbs à bouclé les 26 lettres de l’alphabet avec ses copains des UK Subs et enregistré en plus un album solo : Your Disobedient Servant. Son groupe s’appelle Alvin Gibbs & The Disobedient Servants. On s’en doute, c’est un album assez punk, comme le montre l’«Arterial Pressure» d’ouverture de bal. Il a du monde derrière, notamment Brian James. Joli son. Il faudra attendre «Back To Mayhem» pour vibrer sérieusement. Alvin Gibbs investit sa mission, la cavalcade punk. Il peut aussi faire du glam, comme le montre «I’m Not Crying Now». Il passe au glam avec la mâle assurance du Cid. C’est un régal. Il joue avec «Ghost Train» la carte de l’aristocratie et c’est bien vu. Il est dans le bon turn up de haut rang. Tout aussi bien vu, voici «Camdem Town Gigolo», un cut crépusculaire noyé de chœurs de Dolls. On voit aussi Brian James allumer «Clumsy Fingers». Ces mecs ont appris à ne pas s’arrêter en si bon chemin. Autre belle pièce de Gibbs juju : «Ma!», un cut powerful bardé de grosses guitares, heavy rock de cocote absolutiste - I said Ma! Ma! Ma! - Il sait atteindre des sommets d’exacerbation, il va là où vont peu de gens. Comme disent les Anglais, he delivers the goods. Tout au long de l’album, on le voit veiller sur la véracité de ses amis avec un œil de lynx. Et du son. Il termine avec le big rockalama de «Deep As Our Skin», il y fait son Slade à la petite semaine, au sein d’un beau brouet d’accords. Bien vu, bien flamming, digne des géants du genre. Il jette l’ancre dans l’excellence du British rock.

Signé : Cazengler, Alvin Gerbe

Alvin Gibbs & The Disobedient Servants. Your Disobedient Servant. Cleopatra Records 2020

Alvin Gibbs. Some Weird Sin. Extradition Books 2017

 

THE PESTICIDES FIX

 

L'EP est actuellement disponible sur toutes les plate-formes de chargement, l'artefact est en préparation. Mais que ce soit sous forme digitale ou objective cet EP nous serre la gorge, c'est en même temps une bonne surprise et un très mauvais tour du destin. La joie de retrouver nos deux pestes, et cette tristesse de savoir que nous assistons au dernier tour de piste de Djipi Kraken que la camarde peu camarade a radié du monde des vivants. Ecouter ce disque est une manière de le retenir encore parmi nous, en présence de ses deux grandes sœurtilèges, tous trois ils formèrent The Pesticides, nous les avons vus en concert, il leur a suffi d'une seule apparition pour séduire l'assemblée, nous les avions alors chroniqués, et une deuxième fois quelques morceaux trouvés sur le net, et aujourd'hui cet EP, comme un dernier signe de la main, depuis l'autre rivage que hante désormais le Kraken...

Death circle : il est des titres prémonitoires auxquels on n'échappe pas, mais l'on a pas le temps d'y songer, une envolée de guitare arracheuse qui emporte tout et dessus la voix des jumelles douce comme du venin de tarentule, et lorsque la fureur s'arrête c'est pour mieux reprendre sa course folle, Djipi et sa guitare jupitérienne vous emportent en un safari sauvage avec nos deux vestales qui rallument les feux de la destruction du monde chaque fois que les flammes semblent s'arrêter dans l'immobilité de l'éternité. Un morceau qui s'écoute et qui s'écoule en boucles fuyantes... Une merveille. Just hold on : avez-vous déjà entendu une guitare couiner le blues comme cela et des jérémiades de jumelles aussi bassement susurrantes et menaçantes, et bientôt voix et musique ne forment plus qu'un nœud de serpents qui s'entremêlent et qui enflent, enflent jusqu'à ce qu'il ne reste plus de place pour ce que nous appelons le monde. Sex share and song : plus joyeux, les fillettes font les fofolles et tirent la langue, Djipi les accompagne, essaie de les devancer, mais c'est déjà fini elles ont gagné la course. Des tricheuses, elle sont parties avant le top départ. Petite distance, une minute treize secondes ! Jessy : un must, voix processionnaires et guitare gouttière qui résonne sans fin, Une espèce de blues primal qui rampe par terre, un serpent sans queue ni tête d'autant plus dangereux que l'on ignore le sens de l'attaque qui viendra. J'ai si peur. Parfois le monde est étrange et l'on a besoin d'une berceuse pour se réveiller. Take me : le réveil des sens. Le poulpe du désir balance ses huit bras en rythme mais vous voudriez davantage, alors les voix se taisent et la guitare s'insinue, et la jouissance vous emporte. What's wrong with me : le Djipi n'en mène pas large, l'essaie de se défiler à l'anglaise, sur la pointe acérée des cordes de sa guitare, mais nos deux mégères vindicatives ne le lâchent pas, l'acculent de leurs voix comminatoires, alors il feule comme un chat en colère et sort ses griffes. Le tout tourne au pugilat, combat de trois tigres rugissants.

Dans les sixties avec une idée on faisait un morceau, dans les seventies avec une idée on faisait un album. Ici vous avez au moins trois idées pour chaque morceau. Le trio des Pesticides était un véritable groupe. Un son original, une présence sur scène qui attirait l'œil et médusait. Cet EP est plus que prometteur. Les deux premiers titres sont de véritables bijoux. Et les quatre autres ne déparent en rien.

Un rock vénéneux, un magnifique tombeau baudelairien pour Djipi Kraken. Qui restera. Mais la vie appartient aux vivants, nous sommes sûrs que les demoiselles Elise Bourdeau continueront le chemin. Leur chemin. Qui n'appartient qu'à elles.

Damie Chad.

 

CHÂTEAU- THIERRY / 27 - 06 – 2020

PUB LE BACCHUS

THE JUKERS

 

2 : PLEIN SUD

Par les temps qui courent les concerts sont encore rares, donc direction Château-Thierry. Sabine du Bacchus ne passe pas son temps  à se plaindre. Elle agit, trois concerts concerts rock en dix jours à son actif. Trop pris vendredi soir pour Boneshaker et leur Motörhead Tribute, donc pas question de rater les Jukers le samedi. Faites le joint étymologique avec juke et vous comprendrez que ce ce sont des amateurs de blues électrique. Ils ne l'ont pas fait exprès, ce n'est pas de leur faute, mais ce soir vous avez cette atmosphère lourde et poisseuse typique du Sud des Etats-Unis, z'avez l'impression d'être immergé dans un roman de William Faulkner, les vêtements collent au corps et dehors ce n'est guère mieux que dedans. Peu de monde au début mais la clientèle ne tardera pas à s'installer et même à s'affaler autour des tables et à consommer moultes boissons rafraîchissantes.

3 : JUKERS

Donnez-moi un point d'appui et je soulèverai la terre s'est exclamé Archimède. Pour le rock et le blues généralement il en faut davantage. Beaucoup d'amateurs pensent que le nombre trois est idéal pour mettre en branle ces boules jumelles de feu et de foudre que sont ces deux musiques du diable. Bref les Jukers sont trois. Ne sont pas tout jeunes, mais ne sont pas tout vieux non plus, aux âmes burinées l'expérience est une valeur sûre. Ne perdent pas de temps pour vous en convaincre. Sans tergiversation ils allument le fire avec Help me de Sonny Boy Williamson. On se demande bien pourquoi car ils n'ont nullement besoin d'aide.

Rico Masse s'est casé entre le mur et le piano. Question discrétion c'est raté, c'est le batteur et ça s'entend. Ce n'est pas qu'il se complaît à faire du bruit pour se faire remarquer, pas du tout, simplement dès la première frappe il pose son volume sonore. Parfait pour les acolytes. Il est là, toujours là, le magnolia géant en fleurs sur la pelouse d'une plantation, relisez Les étoiles du Sud de Julien Green, l'arbre de vie, une rythmique massive, et fidèle, que rien ne peut arrêter, ni même contrarier. Proposez-lui n'importe quel morceau, il démarre au quart de tour, et illico presto il vous file la cadence du blues, les douze mesures emblématiques du blues c'est un peu comme l'alexandrin dans la poésie française, une fois qu'il s'est infiltré dans votre oreille, vous le reconnaissez sans faute quelles que soient les fioritures rythmiques auxquelles s'amusent les poëtes.

Hello, voici Mars à la basse. Un mec sérieux. Rien à redire. Il bassmatique sans fin. En apparence dans la lignée mythique des bassistes refermés sur eux-mêmes comme les huîtres sur leur perle. Attention, sur ses cordes les doigts sont lourds et point gourds, mais de temps en temps il laisse tomber un mot, apparemment anodin, mais d'une ironie dévastatrice. Ou alors il se permet un court commentaire fort mal à propos qui comme mise en boîte révèle un grand sens du comique. Le blues ne pleurniche pas toujours, l'est rempli de sous-entendus drôlatiques, un bluesman digne de ce nom n'est jamais dupe de lui-même. Le blues casse et concasse mais sait aussi être cocasse.

Kris Guérin hérite de la double peine, vocal et guitare. L'est un peu le leader. Décide du choix des morceaux, mais Rico et Hello ne sont pas contrariants, alignent tout de suite la rythmique adéquate, genre muraille de Chine, pas style Jericho qui s'écroule après quelques coups de trompettes, parce que le Kris l'a les doigts qui crisent et qui crissent, vous passent des accords avec lesquels vous êtes obligés d'être d'accord, ne voudrais pas être à la place de sa Freatman bleu pâle, elle en voit de toutes les couleurs, vous la fait tinter comme ces écus d'or pur que dans les temps royaux les grands seigneurs faisaient cliqueter sur les comptoirs des auberges pour s'adjuger la plus belle chambre et la plus accorte des servantes, l'on sent qu'il y prend du plaisir, cherche les difficultés, de The wind cries Mary à Brown Sugar, certes sur Hendrix pas de problème pour une six-cordes mais sur le Rolling, le Keith remue les meubles mais c'est surtout Bobby Keys qui aboule le sbul avec son saxo, et là nos trois gaillards question cuivre ils font sale mine, alors Mister Guérin se démène joliment au four et au moulin, et comme il se charge du chant, il vous fait en prime l'article de la marchandise, pas de la camelote, de bonne came, le Rico n'est pas à la masse sur ses tambours, et Mars emprunte le sentier de la guerre, tellement heureux qu'il lance à la suite les premières mesures de Honky Tonk Woman.

Un groupe de reprises, du moins ce soir, avec tous les vieux hit-riffs, inusables que votre oreille reconnaît avant même qu'ils ne les aient commencés, mais en plus cette joie de jouer, de prendre un pied d'acier suédois nickelé, it's just bluesy electric rock'n'roll but we like it, et le public aime ça ! Trois sets, le premier bluesy, le deuxième davantage rock, plus le supplément crème chantilly à la poudre noire, les gars se laissent aller, nous montrent un peu de quoi ils sont capables, ce devait être un ou deux morceaux mais ils éternisent le groove. Lorsque vous avez glissé votre jambe dans la gueule d'un croco, il est difficile de la retirer. Personne ne se plaint, après deux mois de confinement l'on salive pour le live ! Bacchussimus ! Un jus de Jukers pour tout le monde !

1 : ARRIVEE

Retour au Bacchus. Du monde et du bruit dans l'artère centrale de Château-Thierry, serais-je impatiemment attendu par une population en liesse ! Hélas non, je dois déchanter, une grande fête foraine draine toute une partie de la population familiale de la ville vers ses clinquant manèges tire-fric... est-ce ainsi que les hommes vivent demandait Aragon...

4 : RETOUR

Pluies éparses sur le pare-brise. Dans la nuit profonde la teuf-teuf longe des étendues de champs entrecoupés de forêts, un renard traverse la route fort inopinément, plus loin ce sera une biche qui attendra d'être en plein dans le halo des phares pour rejoindre l'autre côté de la départementale, je songe à ce peuple invisible et discret de bêtes qui de terriers en terriers, de hallier en hallier, depuis des siècles et des siècles, vivent en parallèle à nos côtés, pas trop loin de nous, et surtout pas trop près, sans doute ont-elles des préoccupations moins frivoles que le bétail futile des humains, qui a perdu le goût de la vie sauvage.

5 : REFLEXIONS

Un regret tout de même, lorsque Rico a branché un petit ventilateur à quinze centimètres de son visage, ils auraient pu embrayer sur Ventilator blues, cela s'imposait ! On leur pardonne parce que leur version hyper deströy de Sunshine of your love valait le détour.

Damie Chad.

 

ROCKABILLY GENERATION 14

 

Pan, la semaine dernière le Cat Zengler s'occupait du 13, alors que le 14 tournait sous les rotatives et le voici ce matin dans la boîte à lettres ! Rockabilly rules, rockabilly brûle ! Un numéro maison, par la force du confinement. Pas de concerts, pas de déplacements, courrier au compte-goutte, situation idéale pour une revue-rock !

Hier soir une question insidieuse me trottait dans la tête, une fois que Saint Jerry Lou aura quitté cette planète l'on pourra clore définitivement la liste des grands pionniers, les figures tutélaires, j'en faisais le compte ; Bo Diddley, Chuck Berry, Little Richard, Bill Haley Elvis Presley, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, ceux-là sont indiscutables, l'Histoire les a désignés, neuf ce n'est pas mal mais le chiffre dix avec son assise récapitulative pytagoricienne s'impose. Avec le onze nous sombrons dans la dispersion. Depuis un certain temps dans les conversations, sur les réseaux sociaux, un nom revient avec insistance, Fats Domino, un grand artiste je ne le nie pas, mais trop cool, une certaine désinvolture qui à mon humble avis ne sied pas au style rock, je sens que l'on trépigne dans les milieux rockabillyens nationaux, ne suis-je pas en train de commettre le crime heideggerien de l'oubli de l'oubli, le premier de tous : Johnny Burnette ! O K ! boys ! mais alors que faites-vous alors de Carl Perkins !

En tout cas, il y en a un qui ne fera pas l'impasse sur Carl Perkins. C'est Greg Cattez, qui tient à chaque numéro la chronique des Grands Anciens, nous livre un splendide article sur Perkins et pour une fois Carl aura de la chance, vu l'interdiction des concerts, l'auteur de Blue Suede Shoes a droit à huit pleines pages, et parmi tous les articles que j'ai lus, celui-ci, qui couvre la carrière entière, tient sacrément la route.

Un autre veinard du même genre : 12 pages – magnifiques portraits de Sergio Khaz – dévolues à Cherry Casino, enfin pas tout à fait, à Axel Praefcke l'homme qui se tient sous la clinquance du pseudonyme qu'il arbore sur scène, guitariste qui officie notamment avec les Gamblers, Ike & the Capers, et The Round up boy, parle de sa naissance en Allemagne de l'Est, de sa vision du rockabilly qui le porte à rechercher les instruments, le matériel de studio d'époque... pourtant l'on ne sent pas dans ses paroles le puriste revanchard et puritain, un passionné qui raconte son vécu, un bel être humain qui se dévoile.

Le précédent interview est à mettre en relation avec celle d'une légende du rockabilly européen Sandy Ford, mené par Brayan Kazh, Sandy de la génération de Crazy Cavan, qui évoque bien sûr sa carrière, qui a tout vu et tout entendu, qui n'en garde pas moins les yeux fixés sur futur du rockabilly, l'a les yeux tournés vers demain, une sourde inquiétude entre les lignes, le public rockabilly qui au bout de quarante ans est composé d'amis... Sympathique mais aussi la preuve d'une certaine raréfaction...

Une première réponse : celle de Brandon âgé de vingt cinq ans batteur des Rough Boys Rockabilly composé de Jacky Lee ( guitare et chant ) et Jacko Vinour à la basse qui n'est autre que le père de Jacky Lee, un parfait exemple de transmission. Old style never dies !

Un beau numéro, moins d'articles ce qui a permis à chacun de nous faire part de ce qui lui tient le plus à cœur, ainsi ces réflexions de Cherry Casino sur l'évolution du rock'n'roll qui sont à relire et à méditer.

Une dernière annonce : la réédition augmentée du N° 4 sorti en janvier 2018, ajout de nombreux documents sur Crazy Cavan qui était déjà sur la couverture.

Pour terminer trois cerises sur le gâteau : lors de l'édito Sergio nous parle de la connexion qui est en train de s'établir entre Rockabilly Generation News et l'équipe de Big Beat Records, rappelons que BBR a beaucoup fait pour l'éclosion du mouvement rockabilly en France et en Europe. Une véritable épopée qu'il faudra raconter un jour. En attendant sont joints ) à la revue deux tracts-pub indépendants pour les amateurs et les collectionneurs : l'un consacré à Johnny Hallyday, et le deuxième à Elvis Presley, dans les deux cas de beaux joujoux, pack vinyle CD + picture disc. Rien que les tracts sont en eux-mêmes des collectors.

Damie Chad.

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,60 Euros + 3,88 de frais de port soit 8,48 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 33, 92 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Une bonne nouvelle tout de même : devant la demande générale, le numéros 4 avec la dernière interview de Cavan Grogan a été retiré. Si vous ne l'avez pas, c'est une erreur.

 

THE ROYAL

MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS

( CD : Ramblers Records / 2012 )

 

Will Duncan : drums, keyboards, vocals / Andy Wild : bass, saxophone, clarinet, vocals / RLS Cole Sackett : trumpet, vocals / Vaughn Macpherson : keyboards, accordion / Esme Paterson : vocals / Megan Fong : vocals / Charles Von Buremberg : mandolin, vocals / Aaron Collins : Vocals / Mike Neff : guitars, vocals

Ne faites pas les malins, ne dites pas que vous les connaissez. Moi-même jusqu'au moment où le copain – il a joué du banjo sur scène avec eux aux USA – me l'a mis entre les mains j'ignorais jusqu'à leur nom. Viennent de Denver. Colorado. L'état juste au-dessous du Wyoming. Ils ont sorti plusieurs disques. Celui-ci est intitulé The Royal parce qu'il a été enregistré à la New Orleans.

Place for us : du tout doux, surprenant sont une dizaine mais Mike Neff est tout seul pour évoquer sa tendre amie, à croire qu'il est dangereux de clamer haut et fort son bonheur. Country soft. Country folk. Des modulations vocales à la Dylan, innocence américaine. Blood-red bottle : country-road vers la New-Orleans, l'orchestration s'étoffe lentement tandis que la rythmique trottine sans faille. La voix raconte autant une chanson de route qu'à boire l'espace intérieur. Ponies : un peu de batterie mais l'harmonica prend son envol tandis que la voix égrène la sérénité de vivre selon ses propres envies. Cross-continent waltz : une voix qui gratte et une guitare qui ronronne, et tout s'apaise, suffit de se laisser bercer, impression de mélancolie, toute douceur comporte quelques relents amers. Typewriter : changement de climat, des cuivres sardoniques sur le rythme des touches de la machine à écrire que l'on enfonce pour donner la parole à ce que l'on a dans la tête, tout cette vie aigre-douce qui s'entête à embrumer et ennuager les souvenirs, petit solo jazzy manière de faire un clin d'œil au bon vieux temps qui est sans doute plus vieux que bon... Faire le point pour ne pas mettre un point final. Providence harbor : un départ dylanien, rien que le titre évoque le Zimmerman, la longueur du morceau, l'harmo la voix qui traîne, des intonations râpées sur les éboulis de la conscience. Toutes les âmes sont tuméfiées et traînent la blessure de ne pouvoir surmonter cette suppuration que rien ne pourra étouffer, même pas une fanfare dans la rue, et les échos perdureront par intermittence jusqu'au bout. Where I'm going : ballade à l'acoustique, tout est dans la voix à la Springteen du gars qui a beaucoup vécu. Après le pont, les zicos se regroupent en sourdine autour de lui, l'est accompagné en douceur, l'important est de faire un bout du chemin avec lui, mais il continuera très bien tout seul. Got a gal : vous croyez partir pour une ballade mais l'eau du blues monte lentement et s'étale comme un océan de tristesse. L'on n'est jamais sûr de rien. Davantage dans le delta que dans le bayou. Company store : parti pour une ballade dylanienne, la vie est comme un grand bazar qui vous offre tout ce dont vous avez besoin et tout ce que vous désirez, mais pourquoi ce rythme des enchaînés de Perchman, sont-ce vraiment vos propres désirs bien à vous, un solo vaseux et visqueux, pour vous faire comprendre que votre existence est engluée jusqu'au cou dans une drôle de manufacture où l'on vous reconfigure selon un modèle qui ne vous plaît pas. Old man winter : le seul morceau qui ne soit pas écrit par Mike Neff, mais par Will Duncan. Des notes aussi légères que des flocons mais la voix de Mike Neff en bleuit quelque peu la blancheur, à l'orée du blues, mais les pas sont étouffés, morceau que l'on serait tenté de nommer pièce musicale, au loin s'élève une une fanfare mortuaire, celle du dernier voyage. Un peu de gaité puisque l'on quitte une vallée de larmes... Let's get married : une chanson joyeuse ne saurait faire de mal après l'élégie funèbre précédente... Faut-il vraiment y croire ? Your love will come : longue introduction musicale, une voix désabusée qui veut encore espérer l'impossible. L'espoir rend les fous joyeux et les poëtes tristes.

Croyez-vous que la Remington un peu déglinguée sur la couve soit mise là au hasard ? Pourquoi privilégier cet appareil mythique de la littérature américaine et pas une guitare ? Enregistré à la New Orleans, mais cela est un peu anecdotique. L'aurait pu être mis en boîte aussi bien en Californie ou à New York, Mike Neff porte son monde dans sa tête, l'est l'escargot qui ne quitte pas sa coquille, se trimballe avec son monde intérieur dans la valise de ses méninges. Un côté irrémédiablement folk, qui louche un peu vers le blues et le country, comme tout american folk qui se respecte. Une belle voix tendrement éraillée, qui berce et réveille. Vous enferme chez lui, pas à double-tour, mais vous pouvez rester autant de temps que vous voulez. Suis sûr que certains vont en abuser.

Si vous voulez écouter c'est sur Bandcamp.

Damie Chad.

 

POGO CAR CRASH CONTROL

 

Je sens qu'une partie du lectorat tremble de peur. Il a raison. Avec les Pogo il faut toujours s'attendre au pire. Vous êtes prévenus. Toutefois nous allons procéder par étapes. Je ne voudrais pas gâcher vos vacances, certaines images pourraient hanter votre mémoire, vous troubler durant vos siestes estivales, vous réveiller en pleine nuit, vous empêcher de dormir, à la rentrée avec votre mine de papier mâché puis vomi, et remâché, votre patron vous mettra à la porte, un long avenir de SDF vous attend, c'est bien fait pour vous, vous n'aviez qu'à pas regarder les vidéos des Pogo Crash Car Control !

CREVE ! ( Clip )

( Novembre 2016 )

C'est un ancien clip, date de 2016, un de leurs premiers morceaux, certes les paroles n'ont pas été écrites par Madame de Sévigné, elles vont droit au but, '' Ta gueule ! Crève !'' , normal c'est du rock. La rage adolescente. Si vous voyez ce que je veux dire. Pour les images, au début c'est de tout repos, presque la photographie de campagne pour l'élection de François Mitterrand, l'église et son clocher, petit village de Seine & Marne. Toutefois une drôle d'atmosphère. Il ne se passe rien, comme dans les films avant l'attaque des zombies. Ne respirez pas c'est pire. Bruit de moteur compétition rodéo-car à l'américaine, quand on s'appelle Pogo Car Crash Control, normal on ne s'attend pas à des vues d'un dessin animé de Babar le gentil petit éléphant rose. Carambolages dans la boue. En supplément, protégé par de simple barrières métalliques vous avez le groupe qui joue. La musique colle à l'image. Merveilleusement. Sont énervés comme un troupeau de rhinoféroces dérangés dans leur sieste. Question zique les Pogo ce n'est pas la Petite Musique de Nuit de Wolfang Amadeus Mozart. Derrière eux les bagnoles se catapultent les une contre les autres à qui mieux-mieux. A qui pire-pire.

Le malheur c'est que dans un clip ce n'est pas ce qui est représenté qui est important mais la manière dont c'est filmé. Et là c'est le parti-pris gore ultime, des gros plans d'images saccadés et tressautant qui vous cisaillent les yeux. Ce qui est bien, car le mec accidenté, l'est totalement énucléé, les voitures lui ont roulé dessus, son visage sanglant vous est jeté à la figure à plusieurs reprises. Mais ce n'est pas le plus grave. Parmi la débauche sanglante d'images choc ce qui est subliminalement insupportable c'est la volupté qui se dégage de toute cette violence. La haine et le désir de mort de l'ennemi sont des jouissances supérieures, Les Pogo ne trichent pas dans l'expression des sentiments. Âmes sensibles s'abstenir. Décapant Rock 'n' roll !

 

Non, je ne vous le repasse pas une deuxième fois. Je ne suis pas cruel. Mais l'on trouve toujours pire. En l'occurrence ici Stazma The Junglechrist. Faudra qu'un de ces jours nous lui consacrions quelques chroniques. En attendant je vous laisse vous recueillir devant la photo du profil FB de Julien Stazmaz qui en compagnie de Romain Perno  s'est amusés – est-ce ce verbe qui convient – à proposer un remix de :

CREVE ! ( Clip )

( Juin 2019 )

Un pas de plus vers l'ignominie. Souhaiter la mort de son ennemi est somme toute très naturel. L'abattre d'un coup de fusil, lui planter un couteau dans le dos, l'écraser avec votre voiture, franchement c'est petit joueur, mesquin et médiocre. Lui en vouliez-vous vraiment pour vous débarrasser de lui si platement ? Non ! Il y a mieux, il y a pire ! En plus c'est vous qui allez vous retrouver très embarrassé avec un cadavre sur les bras ! Non une seule solution : la désintégration !

Pas si difficile que cela. Cela ne demande pas de gros moyens. Juste un peu d'imagination et de savoir faire. Julen Stazma the Junglechrist nous montre comment l'on peut empêcher la résurrection. Comme dans la Bible, '' Je détiens les clefs de la mort'' mais lui il ferme la porte à double-tour.

Reprend les mêmes images. En un autre désordre. Pas tout à fait la même musique. Beaucoup de batterie, un gros surplus d'agressivité sonore. Répétitif. Scandé. Un parti pris de débitage. N'est pas pour la réalité augmentée, mais fragmentée. L'image avance et recule. Moins de voitureS. Davantage la gueule twistante d'Oliver. La haine est un boomerang qui se retourne contre vous. Ne pas tuer pour avoir un mort, tuer jusqu'à l'idée de la mort. L'a des dents à la place des yeux, sa voix se déforme, devient barrissement, se mue en vagissement, logorrhée de dégueulis verbal, mais le pire c'est l'image qui se parcellise, qui s' émiette, qui déchire en confetti, un seau d'eau sale que l'on jette et qui emporte la réalité du monde avec elle.

Clip cannibale qui bouffe ses propres images et qui finit par se bouffer lui-même, faute de mieux, faute de pire.

 

Vous êtes un peu remués. Je comprends. Passons à un autre groupe. N'en soyez pas rassurés pour autant. N'y a que Lola qui n'est pas là. Toute confiante elle a quitté les garçons pour l'après-midi. Elle n'aurait pas dû. Se sont sentis tout bêtes, tout seuls, ils ont fondé un groupe parallèle, nous avons chroniqué leur Ep dans notre livraison 444 du 26 / 12 / 2019. Z'avaient des idées noires, l'ont appelé Suicide Collectif. Sur ce l'infâme Baptiste Groazil, un des dessinateurs les plus doués de sa génération responsable des couves ( trashy dirty mauvais goût ) de Pogo, s'est amusé à confectionner sur le quatrième morceau de l'EP, un petit dessin animé pour égayer les ennuyeuses vacances de nos charmantes têtes blondes.

MOTHER FACES 30 YEARS EN PRISON

SUICIDE COLLECTIF

( Clip de Baptiste Groazil / Juin 2020 )

Pour la musique toute la violence des Pogo, de toutes les manières les images de Baptiste Groazil sont si accaparantes que vous n'y faites plus très vitre attention. Un bruit de fond. Mais l'histoire est au rythme du morceau. Déboule à toute vitesse. Un prologue, et quatre scènes dument séparées, le tout en une minute et quarante-cinq secondes. Pour les couleurs principalement des verts glabres, des mauves nauséeux, des roses mortadelles périmées. Pour le sujet... En un siècle futur, enfin maintenant, le héros est mal parti, on lui ouvre le ventre pour voir ce qu'il y a dedans. Un brave garçon, un peu attardé, croit encore à l'amour, notre joli cœur ! L'est tout de suite livré à un groupuscule de ménades qui lui font subir une sacrée séance de massages sauvages. Ce n'est que le début, l'est réduit en esclavage, traité pire qu'un chien. Ravalé au rang d'une bête martyrisée. Consolation du pauvre. A la séquence suivante le voici réduit à l'état d'os du chien que les chiennes en chaleur lèchent avec ferveur. Séance viol collectif. L'est à bout de forces. Tremble de peur. Se retrouve encouronné sur le trône. Sur son front est marqué Suicide Collectif.

Sexe et société ? Les mâles heures du féminisme ? Par Groazizil ? Je vous laisse déchiffrer cet apologue. Sex  and society. Danger zone. Roi des cons, roi des connes... Débrouillez-vous pour ne pas finir dans les prisons de la bien-pensance.

Damie Chad.