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08/02/2020

KR'TNT ! 451: ALLY & THE GATORS / JAY VONS / BLOUE / JOSE MARTINEZ

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 451

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

13 / 02 / 2020

 

ALLY &THE GATORS / JAY VONS

BLOUE / JOSE MARTINEZ

 

AVIS A LA POPULATION

CETTE LIVRAISON 451 ARRIVE EN AVANCE

LA 452 AURA DEUX JOURS DE RETARD

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME !

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Ally Baba

 

C’est pas des conneries, Ally vous laissera baba. Chaque fois qu’elle grimpe sur scène, elle semble gagner en whole lotta shaking, avec cette façon de danser sur place tout en menant la charge au chant. Ally a le feu sacré, ça ne fait aucun doute et les Gators qui l’accompagnent le savent. Alors comme on dit chez les usuriers, c’est tout bénef que de l’accompagner. Ally dispose de ce petit quelque chose qui fait la différence, un mélange de présence, de tatouages, de plaisir à chanter, d’assurance, de féminité, de petite gouaille. On pourrait même parler de féminité victorieuse et de gouaille havraise oui, car Ally vient du Havre. Elle met toute la conviction du monde dans son tour de chant et taille admirablement la route d’un set très court mais sans le moindre déchet. Les Gators ont affiné leur presta et trouvé leur vitesse de croisière. Ils se montrent redoutables et même aussi carnassiers que tous ces vieux crocos qu’on voit parader sur scène du marigot de Béthune. Quelle belle triplette de Belleville que ces Gators qui exubèrent dans les règles de l’art ! La section rythmique est un modèle du genre, avec les interactions stand-up/drumbeat dignes de la meilleure tradition et un Telecaster-man qui pique des petites crises de killer flashy flasho ici et là. Ils gonflent les voiles d’un rockab bien fuselé qui file sous le vent, facile à manœuvrer et capable de filer trente nœuds à la moindre alerte. Bon, d’accord, les Gators n’inventent pas la poudre, mais ce n’est pas non plus ce qu’on leur demande. Ils aiment assez la tradition pour avoir appris à la respecter et par conséquent, l’amateur y trouve lar-ge-ment son compte.

D’ailleurs, pour bien remettre les pendules à l’heure, ils démarrent sur un joli clin d’œil à Charlie Feathers et un «Bottle To The Baby» qui vaut bien celui que nous servit royalement Don Cavalli l’été dernier à Béthune. Les Gators le shakent dans la couenne du shook, ils le swinguent au mieux de la swingabilité des choses, c’est takaté dans l’âme et Ally le ba-ba-ba-ba-baby-tiddy-whop-ba-boppe avec une faaaaantastique ferveur. Comme si elle ne savait faire que ça dans la vie. Elle entre dans Charlie Feathers comme on entre en ville conquise, et il paraît évident qu’un Charlie encore de ce monde serait ravi de voir Ally roucouler son vieux coulou-coucou.

Il se pourrait très bien que le «Too Much Lovin’» qui suit soit celui des 5 Royales, un antique classique de swing tombé dans l’oubli et ressuscité pour les besoins de la cause. Bon d’accord, ça sent l’érudition à la petite semaine, car ce type de swing date du début des années cinquante, mais le résultat vaut le détour. Ally sait le driver aussi bien qu’un classique de Charlie Feathers. On reste dans les parages de Mathusalem avec le «Voodoo Voodoo» de LaVern Baker. Elle et les 5 Royales font partie des ancêtres du rhythm & blues. Ça date d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, Montmartre en ce temps-là accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres. Aux yeux de Jerry Wexler, qui transforme the race music en rhythm and blues, LaVern Baker était avec Ray Charles et Clyde McPhatter l’une des plus grandes stars d’Amérique. Rien n’est plus difficile aujourd’hui que d’entrer dans cette période musicale, sans doute à cause de son côté kitsch et bon enfant, alors jouer ce type de cut sur scène doit être particulièrement périlleux. Car tout repose sur la qualité du swing. Les Wise Guyz l’ont. Brian Stetzer aussi, avec son Orchestra. Les Gators font leur truc et ça passe comme une lettre à la poste. Sur ce genre de cut à risque, Ally met le paquet et passe en force. Elle s’installe dans l’ère sacrée du jump avec «Eeny Meeny Meny Mo» qu’à chanté Billie Holliday en son temps. Ça reste du beau jump slappé derrière les oreilles. Les Gators plongent leurs crocs dans la couenne du lard et ça bouge bien dans le bayou. Sacrés Gators, si vous leur tendez la main, ils vous mangeront le bras. Faites gaffe ! S’ensuit un bel hommage au vieux Joe Clay, avec l’excellent «Sixteen Chicks». Pas de meilleur rockab swagger que celui du vieux Clay, celui du mystère, c’est cogné sec et Ally chickane ses seize Chicks avec une hargne qui en dit long sur l’indomptabilité de son tempérament. Avec «Number Nine Train», on plonge encore un peu plus dans l’inconnu. Tarheel Slim est un rockab black new-yorkais pas très connu et c’est dommage, car en plus de son fantastique «Number Nine Train», on lui doit aussi l’imparable «Wildcat Tamer» rendu célèbre par Dale Hawkins.

Et tout le monde reconnaît «Bertha Lou», un vieux classique signé Johnny Burnette et popularisé plus tard par Tav Falco. Ally l’ulule et le glousse, elle le chabadate et le roule dans sa farine, c’est un régal pour tous les amateurs de rockab que de voir cette gonzesse faire sa Bertha Lou avec autant d’astuce. Si vous voulez entendre la belle version de Clint Miller, elle se trouve sur le volume 13 de la série That’ll Flat Git It, le volume que Bear consacre à ABC Records. Reconnaissable entre mille, «Bertha Lou» fait partie des increvables du rockab. Comme Ally et ses Gators sont limités dans le temps, ils doivent conclure et vont le faire à la havraise, avec une honnête reprise de «Long Tall Sally» puis une compo à eux qu’Ally prend le temps de présenter, «Rockin’ With My Gators», un joli développé de rockab qui tinte bien aux oreilles. Comme on dit lorsqu’on est à table et qu’on se régale : «Miam miam, ça fait du bien par où ça passe». Oui, car voilà encore un shoot de rockab qui file droit, qui ne prétend pas rivaliser avec Johnny Powers et qui sent bon le havrisme tel qu’on l’a connu, celui du temps où chacun considérait le Havre comme la première ville rock de France. Ally & ses Gators finissent en beauté, sans se rouler par terre, simplement en dépotant une composition originale qui devrait faire la joie de tous les jeunes de 7 à 77 ans.

Signé : Cazengler, Alli Allo Allah

Ally & The Gators. Le 106. Rouen (76). 17 janvier 2020

 

Jay Vons bien ensemble

En feuilletant Shindig, l’autre jour, on est tombé sur un chapô intéressant : «Paul Osborne s’intéresse de près aux Jay Vons, un quartet new-yorkais qui réactualise sur son premier album le blue-eyed sound des Young Rascals et des Zombies.» Tiens, tiens, pour une fois, on échappe aux griffes de Moloch le Psyché.

Alors effectivement, quand on examine la photo des Jay Vons, on reconnaît la terrine de l’organiste de Reigning Sound, Dave Amels, qui n’est plus tout jeune, et celle de Benny Trokan qu’on avait déjà vu sur scène voici quelques années dans le backing band de Lee Fields. Un mec qu’on repère facilement, car c’est l’héritier direct de James Jamerson. Peu de gens savent aussi bien jouer de la basse. Osborne confirme, ces gens tournent depuis des années avec Charles Bradley, Lee Fields et Sharon Jones, c’est-à-dire l’écurie Daptone. Une bonne écurie, soit dit en passant, même si aujourd’hui elle semble réduite à portion congrue puisque décimée par des cancers. Mais le lien des Jay Vons avec ce label reste très fort puisqu’ils ont enregistré leur premier album The Word au studio Daptone.

Le chanteur du groupe s’appelle Michael Catanese, lui aussi ex-Reigning Sound. Il joue avec les autres sur l’album Shattered, qui date de 2014. Avec Catanese, on a l’anti-rock star par excellence, brun, petit, un peu rond, moustachu mais passionné de Soul. Et de Young Rascals qui, faut-il le rappeler, fut l’un des très grands groupes américains de blue-eyed pop, un groupe emmené par Felix Caveliere, vétéran de toutes les guerres et toujours en activité. Le batteur des Jay Vons s’appelle Mickey Post. Il rappelle qu’il travaille pour Daptone depuis onze ans et qu’il a commencé à enregistrer des bricoles durant les heures creuses. Il profite de son passage dans Shindig pour saluer les producteurs maison Wayne Gordon et Thomas Brenneck. Bien sûr, Osborne conclut en recommandant chaudement à ses lecteurs d’aller voir les Jay Vons sur scène.

Oh ça tombe bien, ils passent justement en première partie de Lee Fields sur la grande scène. Le fait qu’ils jouaient dans Reigning Sound leur confère une petite aura légendaire. C’est pour ça qu’on les prend au sérieux dès le coup d’envoi. Michael Catanese attache sa demi-caisse assez haut sur la poitrine et se jette tout entier dans la bataille pour attaquer un set de Soul blanche à la fois plaisant et ardent. Mais ce n’est pas lui qui va rendre le set des Jay Vons mémorable. Ni le petit brun qui remplace Dave Amels aux claviers. Et encore moins Mickey Post derrière sa batterie riquiqui. Celui qui va vraiment tirer son épingle du jeu, c’est Benny Trokan, avec son air de ne pas y toucher, cette espèce de désinvolture d’adolescent attardé, un singulier mélange de classe, de distanciation et d’anti-frime. Ce mec joue comme un dieu et il ne la ramène pas. Comme un dieu, oui, c’est-à-dire James Jamerson, le bassdriver qui a dynamité tous les grands hits des Four Tops, des Supremes et des Temptations. Jamerson, le bassman le plus respecté d’Amérique et le diable sait si les bons bassistes pullulaient à l’époque dans cette région du monde. Une fois encore, on se retrouve dans un spectacle un peu spécial, puisque l’un des musiciens focalise toute l’attention. On ne peut pas quitter les mains de Benny Trokan des yeux, de la même façon qu’on ne pouvait pas décrocher son regard du cirque de Clem Burke l’autre soir dans les Split Squad. Ces mecs sont de véritables vampires, ils choperaient tout, jusqu’à leur reflet. Benny Trokan n’hérite pas seulement d’une technique de jeu, il hérite d’un son et d’une attitude. Il groove en permanence et joue rarement au médiator. Il descend littéralement ses lignes de basse et n’en rajoute pas, il reste sur des schémas simples et profondément jamersoniens, avec juste ce qu’il faut de rebondissement pour donner vie à ses relances. Il réactualise toute cette dynamique du son, celle qui fit la grandeur de Tamla, jusqu’en 1972. Dans ses mémoires, Dennis Coffey fait un éloge fantastique de Jamerson : «Il joue de la basse comme un dieu. Lui et le batteur Benny Benjamin sont le cœur battant du Motown Sound. Jamerson joue ses grosses lignes de basse et Benny amène le groove et le shuffle de caisse claire et de cymbales. Jamerson porte généralement un béret noir, un T-shirt noir, un Levis et un ceinturon de cuir avec une boucle western.» Benny Trokan semble réincarner cette magie désormais enfouie dans le passé. Seuls les amateurs de Soul savent qui est James Jamerson. À tel point qu’on finit par écouter les grands albums de Motown rien que pour lui, comme on réécoute les albums des Stones rien que pour entendre ce que fait Charlie Watts. Le plus terrible dans cette histoire, c’est que ni Jamerson ni les autres Funk Brothers n’étaient crédités sur les pochettes Motown. On devine la présence de Jamerson. Berry Gordy craignait qu’on ne lui pique ses musiciens, alors personne ne devait savoir qui accompagnait les Four Tops, les Tempts ou les Supremes.

Et puis dans la salle, il y a aussi des bassistes. Eux se régalent encore plus de ce spectacle. On voit rarement un bassman aussi élégant, groovant le beat avec une telle aisance. La plupart des gens qui ont appris à jouer de la basse dans les années soixante avaient le choix entre trois modèles : Jamerson, si on vénérait la Soul, ou alors Jack Casady et John Entwistle si on préférait le rock. Des trois, Jamerson était le plus difficile d’accès, car extrêmement inventif, mais en voyant Benny Trokan, on tombe des nues, car toutes ces lignes de basse semblent d’une simplicité enfantine. Il ne va jamais chercher midi à quatorze heures. Le secret repose en fait sur une seule chose : la façon de jouer. L’anticipation.

Bon, nous n’irons pas par quatre chemins : l’album des Jay Vons est excellent. Il devrait intéresser tout fan de Soul blanche, c’est-à-dire Reigning Sound/Rascals/Dan Penn. Le coup de génie de l’album s’appelle «Want You Tomorrow». On se croirait chez Tamla, ils descendent à coups d’ah ah ah dans l’incroyable déversoir de heavy Soul new-yorkaise. Ces petits mecs se situent au confluent des genres. Le drive de basse qui emmène cette merveille fait rêver. «Changing Seasons» sonne comme un hit des Rascals, le cut devient vite passionnant, digne des grandes heures de Felix Caveliere, avec un Benny Trokan qui bourre le mou du groove. C’est une merveille, ils semblent s’élever au rang de stars car leur cut s’en va exploser au firmament. Voilà ce que les afficionados appellent une grosse compo. C’est explosif de beauté marmoréenne, porté par un drive de basse exubérant, orchestré au-delà de tout ce qu’on peut raisonnablement imaginer et cuivré de frais. Ils ont tout, même le génie du son. Michael Catanese en rajoute avec ses Seasons et il s’écroule enfin sur ses lauriers. Avec «Keep On Moving», ils proposent un fantastique shoot de Soul new-yorkaise. Ces mecs ont un allant considérable. Ils se re-positionnent en plein âge d’or des Young Rascals - Ah ah ah/ Keep on moving - et ils semblent encore cavaler dans les hit parades avec «My Mama (She Was Right)», c’est excellent, bien-au delà des espérances du Cap de Bonne Aventure, bien bassdrivé par Benny The Trokan. Encore un solide hit de Soul pop a mettre dans ton Juke, Jack. Ce mec fait encore de sacrés ravages dans «Take It This Far», mais c’est Dave Amels qui se tape la part du lion dans «Days Undone», il joue de l’orgue à l’éperdue. Michael Catanese est un peu trop blanc pour la Soul du morceau titre qui ouvre le bal de l’album, il gueule et croit bien faire, mais il devrait écouter Al Green. Heureusement, Benny The Trokan arrondit bien les angles derrière. Il fait une partie de bassmatic assez demented are gogo. Curieux mélange : devant, tu en as un qui gueule comme un veau et derrière ça groovve au meilleur smooth de smash. Avec «Night», ils passent au garage Soul un peu énervé, et même exacerbé. C’est peut-être ce côté énervé qui les sauvera de l’anémie. Leur énergie peut les porter au pouvoir. On entend bien la pulsation du bassmatic derrière. Tout leur charme repose là-dessus. Ils finissent cet album passionnant avec «Did You See Her», un groove digne de Rascals. Retour chez Felix. Ils tapent dans l’excellence de ce son si injustement oublié et tellement vertueux. On note chez eux une fabuleuse aisance. L’If you see her perfore l’ombilic des limbes, c’est excellent, relentlessed au gimmick de Wurlitzer eraser, ah quelle belle dose d’extasy new-yorkaise, tu vois fondre les glaçons aux douze coups de minuit.

Signé : Cazengler, Jay Vomi

Jay Vons. Le 106. Rouen (76). 21 janvier 2020

Jay Vons. The Word. La Castanya 2019

Paul Osborne : Spread the word. Shindig # 98 - December 2019

 

 

BLOUE

 

j'étais un peu dans le noir, celui de mon café, mais assez éveillé pour comprendre qu'il y avait un truc qui n'allait pas. Ce n'était pas moi, ni le café, mais la radio. Comment dire, la programmation n'était pas à la hauteur du cahier de charge supposé. Certes, c'était de bon matin, et la radio était en grève – ce qui n'est guère grave, à mon humble avis, elle devrait l'être un peu plus souvent, systématiquement aux heures informatives. Cela nous empêcherait d'entendre les billevesées ordurières de notre gouvernement, il vaut mieux une mauvaise chanson qu'un mensonge d'état, en plus parfois ils passent de la bonne zique – pas toujours, je ne sais pas qui choisit, mais certains devraient s'abstenir, ce n'était pas le cas, c'était plutôt bien foutu, mais j'ai enfin réalisé ce qui ne cadrait pas, c'étaient les paroles. Méchamment méchantes et en plus intelligentes. Double dangerosité. Séro-négativité purulente. Evidemment pas de nom d'artiste à la fin du morceau. J'en avais fait mon deuil, lorsque huit jours plus tard ma fille m'envoie deux vidéos disponibles sur You Tube.

LA PETITE HISTOIRE / BLOUE

Tout doux. La musique, ces cordes qui grincent, cette batterie qui s'asthmatise, et cette voix faussement geignarde qui attise les braises de la colère, des lyrics qui se tiennent sur le fil du rasoir et dans la ligne de mire du fusil-mitrailleur et qui chantent aussi bien les rêves détruits que la nécessité de la lutte. La petite histoire touche à la grande. Du blues comme l'on n'en fait plus par chez nous. Comme peut-être l'on n'en a jamais fait. Du blues politique. Parce que la réalité n'est pas souvent rose. Trop bluezy, trop flou, trop bloue. Des lyrics qui touchent un peu à la poésie. L'on allume aussi le feu avec l'eau des fleuves qui coulent.

( Armand : voix / Nico : banjo, harmonica / Lolo : tambour / Antoine : basse. )

ALORS TU REVIENS / BLOUE

( Clip / Réalisation : La Lézarde )

Blues-rap. Pas râpeux ni sirupeux. L'histoire d'un mauvais choix. Celui de ces fils du prolétariat qui s'engagent du mauvais côté et qui ont du mal à s'y retrouver lorsque eux aussi deviennent la proie des balles. L'on n'est pas toujours du côté des plus forts et l'on ne décide pas toujours des règles du jeu. Le banjo grince comme un grain de sable dans les rouages africains. Groupes en pleine action, images en blanc et noir, avec un subtil travail sur les contrastes noir, des noirceurs chatoyantes qui prennent subitement corps sur des ombres et puis disparaissent, et des blancs trop lactescents pour ne pas cacher de profonds poisons, le tout entrecoupé de vision bleues subloueminales qui défilent à toute vitesse.

Bloue vient de naître fin 2019. Ses quatre lascars se réclament encore de Wu Tang Clan de Marc Ribot et de Tom Waits. Leur premier EP intitulé Mange ( une bande de moins de d'une minute est visible sur You tube ) sortira le 25 février jour de Mardi-Gras précisent-ils sans doute pour insinuer que le blues-rap de Bloue ne déteste pas la terre des alligators. D'ailleurs Armand et Nico n'appartiennent-ils pas à la compagnie théâtrale Bloue Bayou. Quatre musiciens qui ne s'inscrivent pas dans une seule tradition mais dans plusieurs expériences, pour mieux inventer une nouvelle mixture qui leur ira comme un gant puisque adéquate à leurs propres personnalités. Ce qui n'exclut, ni partage, ni fureurs.

Bloue n'est pas sans accointances avec l'ancienne formatio folk : Bloue Krasse.

Damie Chad.

 

*

Avertissement aux Kr'tnt readers : en ce monde il n'existe que trois choses :

ce qui n'est pas du rock'n'roll dont il convient de ne pas parler

le rock'n'roll

et celles qui possèdent un indéniable esprit rock'n'roll

comme ces :

FRESQUES & MARTINEZQUES

24 FRAGMENTS MYTHOLOGIQUES

DE JOSE MARTINEZ

 

Les anciens aimaient à penser que les rêves et les dieux se déplaçaient sous forme de filaments tentaculaires d'immortalité dans toutes sortes d'espaces. Ils les considéraient comme des espèces d'ADN athanatiques élémentales qui flottaient ainsi dans les airs les plus subtils. Parfois, vous aviez de la chance, ils entraient en vous par les pores ouvertes de votre sensibilité astrale. La plupart du temps ils prenaient bien garde de ne pas s'engluer dans le piège mortel de vos carcasses humaines promises à la destruction. Rainer Maria Rilke nous parle dans les Elégies de Duino de cette phénoménisation singulière du monde, Qui, si je criais, m'entendrait donc parmi les ordres des anges ? demande-t-il.

Toutefois il reste des traces de leur passage. Dans nos têtes et nos actes. Pour qui sait les lire, dans les agglutinations des mots. Pour qui sait les entendre, dans la musique. Pour qui sait les voir, dans les dessins. En voici un témoignage. Celui de José Martinez qui vit en Ariège, vous en retrouverez d'autres sous des formes différentes – peintures, encres, sculptures - dans la rubrique Photos de son F.B. José Martinez Pamiers.

Nous présentons ici dans leur ordre d'apparition chronologique les vingt-quatre premiers jalons d'un chemin qui peut-être s'arrêtera-là, ou qui continuera. De toutes les manières les pistes ombreuses surgissent d'on ne sait où pour se terminer en des lieux dont on a bien du mal à décrypter le mystère de leur implantation. Peut-être sont-elles à désigner comme les ombres fugaces et fossilisées d'ouraniques linéaments par nature inaccessibles. Il suffit de se perdre dans les réseaux mouvants des capillarités du monde et des scissiparités de l'imaginaire pour suivre une longue route qui ne va jamais plus loin que nous-mêmes.

Ces Fresques et Martinesques – ainsi nous plaisons-nous à les surnommer, José Martinez ne réside-t-il pas en la ville de Pamiers dans laquelle naquit Gabriel Fauré qui composa Masques et Bergamasques – nous sont offerts sous le titre générique de Dessins blanc et noir. Nous avons pris la liberté de les numéroter et de leur octroyer la date de leur mise à disposition d'un public d'amis et de proches.

1 - 10 / 11 / 2016

Cheval dans la nuit du dessin. Paisible dans le pré des étoiles noires. Il est le maître et le destin. Cheval de guerre et de foudre. Au-repos. Tout est dans la puissance. La violence rassemblée dans sa musculature. Etalon d'Epinal sage comme une image, refermé sur sa chair de songes clos qui dorment. Il n'est qu'une fleur de prairie dont le soleil n'a pas encore épanoui la corolle. Tout est calme car rien n'est encore advenu. Il n'est-là que pour donner davantage de profondeur et de mystère au noir qui l'entoure. Et peut-être même qui l'assaille. Par en-dessous et de tous les côtés. Nous sommes en moment d'attente. Toutes les forces sont annihilées. Rien ne se résorbe que l'impavide présence de ce qui est. Peut-être est-il simplement une représentation du silence. Une statique vision de l'absence de l'espace. Une goutte de sperme létal. Ossifiée, congelée. Tombée d'une autre planète. Sur un territoire inconnu. Gestation éhontée des possibles.

2 - 26 / 11 / 16

Noir et blanc plus que jamais. Tout s'éclaire. Nous avions le cheval. Voici l'indien . Est-ce un déplacement de sens ou d'image. Sommes-nous au centre d'un triptyque ou ailleurs. Que vaut-il mieux avoir. Qui vaut-il mieux être. Un cheval sans indien ? Ou un indien sans cheval ? Lequel des deux est-il le songe de l'autre. L'ouragan de l'un ? C'était un cheval de nuit et voici un indien de jour. Pourquoi le blanc paraît-il n'être que la lumière du vide. Seuls des signes énigmatiques pourraient nous renseigner. Des boutons dans l’œillère  du mystère. L'impavidité du guerrier. Nulle arme sinon une plume. La force est dans le corps. Elle ne s'aventure pas dans le monde. Tout au plus affleure-t-elle la fermeté du visage. Et pourtant il est des scolopendres décoratifs qui nous inquiètent. Des fariboles de dentelles qui s'exhaussent du noir des formes, l'on pense à des maniérismes de peintres baroques qui se perdent dans les flatuosités de leurs arabesques, mais ne serait-ce pas plutôt le signe avant-coureur des amibes du néant désagrégationiste, et pire encore, le grouillement proximal des scorpions de la réalité.

3 - 02 / 12 / 2016 

Profusion, la grenade du monde s'est entrouverte. Tout de suite c'est le capharnaüm. Une chatte n'y reconnaîtrait pas ses petits. Comme nous sommes des hommes nous sommes moralement obligés de faire semblant de nous intéresser d'abord à nos semblables. Pas de chance, nous n'apercevons qu'un de nos dissemblables. L'idiot qui se prenait pour Dieu et il n'est même pas capable de s'accrocher correctement à sa croix. Une crucifixion ratée. Par un peintre espagnol en plus ! C'est la première chose qu'il note sur son FB : provient de Venta Quemada. Une véritable cruci-fiction plutôt. L'a voulu se la jouer tradition et pas de chance chez cet andalou ce sont les ascendances indiennes imaginales qui bouillonnent dans son sang. Son tableau est une tranche de pastèque truffé de motifs aztèques. C'est le chef indien du deuxième arcane de ce jeu de tarot kahotique qui a gagné la guerre. Le petit Jésus a beau tenté de se raccrocher à sa croix, c'est fini pour lui. La termitière du monde lui a déjà bouffé un bras.

4 - 09 / 12 / 2016

L'apparence de la sagesse. Le chamane par excellence. Vous n'aurez pas assez de votre vie pour étudier les motifs dessinés sur l'amulette de son oreille gauche. L'est au centre, le Le king Yin du blanc à sa gauche, le khan Yang du noir à sa droite. L'est l'épée de justice sur le juste milieu de la balance. Les yeux fixés sur la ligne de la première montagne qui passe à l'horizon, son chapeau au pourtour de faux triskels  lui octroie une impression de puissance inaliénable. Vous avez son nom dans un coin, pour lui écrire ou vous inscrire dans le prochain stage de médiation active auquel vous participerez pour vos vacances d'été. Ne soyez pas bête, cherchez plutôt les petites bébêtes qui grouillent sur les bords. Sont-ce des insectes inoffensifs ou des représentations de forces nuisibles qui attendent que vous entriez en méditation pour pénétrer en effraction dans vos pensées et les submerger.

5 - 15 / 12 / 2016

Que croyiez-vous donc trouver ? Que ce soit dans la tête des plus sages ou à l'extérieur de leur orbe méditatif, c'est la même Idole qui règne. Depuis longtemps. Depuis toujours. C'est pour cela que la montre épouse les courbes du temps. Sur cette image c'est maintenant. Avez-vous remarqué qu'elle est vautrée sur la même chaise de bureau que votre secrétaire, et que c'est avec des talons de la dernière mode qu'elle écrase les horreurs de toutes les églises. Des hommes carbonisés d'envie dansent autour d'elle. Sans espoir. Elle n'est pas pour eux. Ni pour vous. Avez-vous lu le carton qu'elle tient, comme ces réservations de table dans les restaurants. C'est José Martinez l'invité du soir. Qui mangera l'autre ? Avant de vous perdre en vaines supputations regardez l'endroit précis où se croisent les deux diagonales du tableau. Même pas la peine que je vous fasse un dessin pour désigner le lieu de tous les dangers !

6 - 23 / 12 / 2016

Nous y sommes. Ne faites pas semblant d'être surpris. Le vous l'ai répété à multiples reprises. C'est partout pareil. Le microcosme et le macrocosme. Que vous soyez dans la tête du sage ou dans la sexe de la femme, c'est le spectacle du monde qui s'agite devant vos yeux. Tout est là, le stupre, la violence et la mort. Tout est donné en même temps. Il est inutile de vous enfuir de la réalité sur votre bicyclette car votre vélo n'est qu'un fragment de cette même réalité. Je vous concède que le monde est plein comme un œuf. Un maelström. Un tohu-bohu inimaginable. Tellement insupportable que les humains ne savent pas quoi faire pour le détruire. Les bombes n'y peuvent rien. C'est une plante qui repousse à la vitesse du chiendent. Que l'épée de Damoclès se tienne immobile au-dessus de vous, ou qu'elle vous transperce comme un papillon, si vous agitez vos bras en un   soubresaut convulsif, que vous soyez à moitié mort ou encore vif, vous n'en déclencherez pas moins une catastrophe à l'autre bout du monde. Manque de chance c'est exactement là où vous agonisez.

7 - 31 / 12 / 2016

L'on est vite déçu. Puisque il n'y avait apparemment pas de place pour vous dans ce bas-monde, vous avez essayé d'aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Votre cheval avait eu la même idée, vous le retrouvez avec plaisir quoiqu'il soit un peu efflanqué et si vous êtes le cavalier ossuaire à ses côtés - à moins que ce ne soit que votre allégorie - vous n'avez pas l'air en meilleure forme. Le plus surprenant c'est que vous avez fait ce long voyage pour rien. Il y a autant de monde que de l'autre côté du miroir. A croire que l'enfer et le paradis ne sont que les deux étages de la même maison, celle de la réalité. Pas la peine de tirer la tronche dans le coin droit de l'estampe, les filles sont aussi belles ici que là-bas. Le même amoncellement d'objets indéfinissables vous cerne. Jusqu' à une voiture dont vous n'avez que faire car vous avez un cheval. Le seul truc en plus, c'est la mort. Un presque rien, totalement inutile pour vivre.

8 - 11 / 01 / 2017

Coucou vous revoilou. Comme vous avez changé. Une véritable métamorphose. Vous êtes revenu. Vous avez décidé que la mort n'est pas pour vous, la vie non plus. Désormais vous marchez sur la voie du guerrier. Plus rien ne vous fait peur. Vous êtes fort et puissant. Vous êtes invincible. Vous vous êtes emparé du serpent de l'immortalité. Pas bien difficile. Vous l'aviez entraperçu dans l'entassement hétéroclite des objets du monde. Un anneau par-ci, une anse multicolore par-là, encore fallait-il savoir. José Martinez a compris le grand secret de l'univers : il suffit de vouloir pour être. Et l'autre, le deuxième, que le monde est une cire sur laquelle les doigts de votre pensée modèlent la forme que vous désirez engendrer. Regardez, il n'utilise que le blanc et le noir mais il vous oblige à ressentir la chatoyance colorée du monde par la seule force de son dessin.

09 - 25 / 01 /2017

Plus que la mort. Plus que la vie. Ils sont tous là. Dans l'empyrée. Tous les Dieux sans exception. De l'ancienne Hellade. Jusqu'à l'espion Sebek le Dieu crocodile cher à Philippe Pissier. Vous les reconnaissez tous. Il y a même celui qui n'a même pas réussi à mourir sur sa croix. Il va mieux. Il a retrouvé son bras. Il fume même la pipe ce qui lui donne un petit air à la Conan Doyle qui ne lui va pas si mal que cela. Bien sûr, celui qui grignote ce BarbaPapa sorti tout droit des imaginations enfantines, c'est la Mort vivante et immortelle, puisque l'on ne peut plus mourir une fois que l'on est mort. Maintenant, il reste une ombre au tableau. C'est étrange l'on se disait que les dieux seraient à l'aise chez eux, mais non règne ici la même promiscuité que sur la terre. Et puis surtout pas un seul espace vide. Foisonnement infini  d'objets jetés un peu partout. Des bacs à solde chez les grands magasins de notre modernité.

10 - 20 / 02 / 2017

Le voici. Enfin seul. Seul au monde. C'est du moins l'apparence qu'il donne. Il ne s'est pas dissous dans le néant. Mais il le cantonne à s'étaler là où porte son regard. Loin. Très loin. Si loin qu'on ne le voit pas. Au-dessus de lui il a affiché ses animaux totem. La baleine et l'oiseau. De feu. Ils sont là en tant que présences tutélaires. Des pensées issues de son cerveau et en quelque sorte matérialisées. Aucune détresse. Mais des tresses. A moins que ce ne soient les circonvolutions du serpent soumis au plus près de son maître. Sera-t-il tour à tour selon les nécessités du moment  la flèche qui tue ou le bâton de commandement ? Tourne-t-il autour de la tête du guerrier comme s'il tenait le monde entre ses anneaux ? Et que sont ces entrelacements de courbes tantôt blanches, tantôt noires à l'image de la dernière nuit de Gérard de Nerval. Peut-être des décorations pour pallier le vide du monde.

11 - 11 / 03 / 2017

La force ne sert à rien si elle n'est pas employée. Retour dans le monde. En bas à droite le lion qui ornait la porte de Babylone. Moins royal, davantage carnassier. Mais les temps ont changé. A ces escarpements sans fin qui montent vers le ciel telle une tour d'ordure, nous situons la scène à New York. L'Empire a envoyé ses meilleurs agents. Ils ne portent pas d'armes. Elles sont nues. Et ont revêtu la couronne d'épines de la liberté. Elles rejouent la scène immémoriale de la tentation charnelle, celle qui s'offre pour mieux vous acheter au prix de l'or des filles du Rhin. Elles ne sont que l'autre visage de la camarde, au bec de charognard. Mais au plus haut, le gouffre noir et sans fond d'un ciel lointain. Un appel infini à se surpasser ou à se perdre. Juste un rempart de chair qu'un vieux chef indien n'a pas su surmonter.

12 - 10 / 07 / 2017

Rentrer par la grande porte. Certains hommes ont des sourires qui ressemblent à des crachats et d'autres ne se tiennent plus de joie. Dans les quartiers les plus glauques de la Grande Prostituée rien ne saurait s'opposer à son emprise. Elle tient les hommes sur sa poitrine. A la manière des insignes du pouvoir des pharaons. Ou alors comme s'ils étaient de vulgaires godemichets. Certains jettent des regards d'envie sur les auréoles de ses seins à croire qu'ils les confondent avec les étoiles de la nuit. José Martinez a laissé son graphe à hauteur de ses cuisses. Est-ce une inscription magique pour l'ouverture des piliers charnels. Son cerveau a-t-il vu ce que son œil ne devait pas voir. A-t-il craqué l'allumette du désir ou psalmodié l'amulette du renoncement. Des signes partout. Qui se contredisent. Mais le sourire de l'idole.

13 - 14 / 09 / 2017

La sortie n'est plus très loin. Mais il reste-là assis. A savourer sa victoire peut-être. Il a changé d'allure. Il n'est plus le guerrier indien. Il arbore le look moderne un tant soit peu avachi de la jeunesse actuelle. Mais le reptile royal s'affiche sur son blouson. Peut-être n'est-il qu'un charmeur de serpents qui joue et raconte du pipeau. Il porte des lunettes noires, peut-être ne veut-il pas voir les ombres noires qui rôdent autour de lui. Dans les vingt-deux arcanes du tarot, il serait le bateleur. Un beau parleur qui ici ne parle pas. Il se tait pour mieux pour vous embobiner. Refermé sur lui-même mais les jambes entrouvertes. Promesse ou délassement. Appel ou fatigue. Des flèches convergent vers une de ses représentations. Tout est déchiffrable et rien ne se devine. L'image est un fleuve dessiné dont aucun détail n'indique de quel côté il coule.

14 - 7 / 12 / 2017

Elle attend. Elle se sait de force égale. Elle a confiance en l'impact de ses seins. Son pagne s'effiloche. Elle est l'idole reine au plus haut de la tour. Plus bas, sur les remparts, les sentinelles immobiles dans leurs niches de pierre veillent. Il n'est pas là. Elle est prête pour le combat mental. Il a matérialisé ses totems intérieurs et protecteurs. Dans un large cartouche, d'abord le serpent victorieux et invincible. Plus bas une tarasque océane et quelques animaux naïfs pour donner le change. Sur le pourtour de la porte il a cloué les têtes coupées de ses ennemis, c'est ainsi et seulement de cette manière que l'on s'attire le respect aussi incapacitant que la foudre qui brûle et aveugle. Elle, elle n'a projeté à hauteur de ses pieds qu'une représentations d'elle-même qui danse et s'amuse avec l'insouciance d'une enfant.

15 - 17 / 01 / 2018

Ça ne marche pas à tous les coups, parfois les dieux sont mortels. Il a enfin au moins réussi sa crucifixion. Les mauvaises langues diront que ce n'était pas trop tôt. Les bras tendus entre les deux piliers de la porte. Très haute. Son corps est tout blanc. Et blancs aussi les soubassements de pierre sculptée qui représentent divers animaux. Nous ne les nommerons pas. Cela n'a pas d'importance. L'ensemble est monumental. L'entablement des colonnes monte jusqu'au ciel. Les dieux sont-ils plus grands morts que vivants. Il repose sur un néant noir. Le voici crucifié sur du vide. Comme sur une fissure. Peut-être vit-il encore. Mais cela n'a pas d'importance. Ses yeux se perdent sur le cadavre de son serpent. Protecteur et invincible. L'idole a le sens de l'humour. Elle l'a entortillé comme un linge, un lange pour cacher et souligner l'absente royauté  du sexe.

16 - 22 / 01 / 2018

Quand il n'y en a plus, il y en a encore. On prend les mêmes et l'on recommence. Le grand quetzalcoalt, le serpent à plumes domine la scène. Ses rémiges il les a perdues lors de ses précédentes et improbables aventures. Le monde peut continuer à tourner comme avant. Une espèce d'ange armé vole au-dessous des planètes. A moins qu'il ne soit déjà en train de tomber tout grillé dans les flammes de l'enfer. Peu de monde se soucie de son sort. Un spectacle beaucoup plus jouissif accapare les regards. Plus on descend, plus on se rapproche des églises et de la Bible. Sur le piédestal à antiphonaires géants point de livre saint. Mais un couple malsain qui s'ébat fort gaillardement. Tout autour de ces deux qui forniquent sans remord ça fourmille de partout, de ces milliards de détails insignifiants qui n'intéressent personne tant que vous n'y êtes en rien personnellement associé.

17 - 30 / 07 / 2018

Au plus près de l'action. Tout vous  est dévoilé. Au cœur de la matrice originelle. Ce grand quetzalcoalt ce grand serpent censé régenter l'univers n'était donc qu'un maigrelet spermatozoïde qui s'est lové bien au chaud dans un ovule reproducteur. Il épouse un peu la forme du point G. Le fœtus fétide est encore en gestation. Ressemble étonnamment à un cosmonaute dans sa capsule Apollo. Doit se croire tombé des étoiles. Le liquide amniotique dans lequel il baigne et navigue possède toutes les qualités d'un véritable bouillon de culture. Vibrionne de partout. A l'image de notre monde. Certains voudront y voir l'inscription symbolique du karma de l'individu unique en gestation dans la goutte mirifique qui l'enveloppe et le protège. D'autres affirmeront qu'il possède la même teneur que tout autre élément du monde.

18 - 04 / 08 / 2018

L'enfant royal est né. Au mois d'août. Sous le signe du lion. Réjouissez-vous.  Il est destiné à gouverner le monde. C'est une fille. Une guerrière. Déjà toute petite elle ne s'amusait qu'avec des armes. Vous l'examinez ici en son adolescence post-pubère. Elle est belle comme la représentation de la Reine de Cœur dans un jeu de cartes. Mais évitez ses yeux en amande. Elle détient le sceptre du monde. Une épée d'amazone aux bords dentelés genre de joujou qui plongé dans le ventre de la victime en arrache les boyaux lorsqu'elle le retire. Sur ses genoux elle tient la tête du Baptiste qu'elle vient de faire décapiter. Elle est la Reine des Dieux du Nord qui arpentent les mers sur leurs drakkars sanglants et les Dieux du Sud lui ont offert la couronne de pierre des cités fabuleusement riches, cet Eldorado mythique que les hommes ont vainement recherché durant des siècles.

19 - 04 - 2019

Un jour elle a quitté les robes de l'enfance, de l'adolescence, et de la prime jeunesse. Elle a revêtu les habits sacrés de la puissance : sa nudité. La seule capable de lui offrir la transparence impérieuse de ses actes. Le peintre officiel de l'Empire, le grand José Martinez, l'a représenté en cette scène de couronnement : elle s'est accroupie, et des doigts de sa senestre elle a pris possession de la terre et du monde. Une ombre noire barre le diaphragme de son sexe, elle ne cache rien, une simple parallèle pour faire ressortir le tatouage inscrit sur la peau de son avant-bras. Les esprits avertis y reconnaissent stylisée la marque du grand serpent, sa tête pointue et son corps d'oiseau. Plus haut un étrange calligramme, personne ne sait prononcer l'entrelacs des runes sécrètes qui le composent, des savants prétendent qu'il est l'aleph d'or qui numérise l'ensemble des animaux, des hommes et des symboles agissants qui régissent le monde.

20 - 22 / 08 / 2019

Une des images les plus mélancoliques de cette suite. Certains exégètes se sont complus à insister sur l'aspect androgynique de la représentation précédente. Si ce n'était les deux coupelles des seins fortement marquées cette image ne serait-elle pas l'expression d'une grâce éphébique... Cet arcane dissipe l'équivoque. Tout en créant d'autres. Ce sont bien deux corps de femmes qui se font face. Mais vieillies et aux chairs par trop flasques.  Signifie-t-il que la Reine n'élira jamais d'âme sieur, qu'elle ne trouvera de gémellité plus parfaite que sa propre idée d'elle-même. Oui, sans doute. Mais aussi cette réalité plus profonde. Que le monde court à sa destruction. Que si la corne d'abondance de la vie est si profuse, c'est qu'elle est incessamment obligée de remplacer ce qui a disparu, et que si l'arrière-fond des amas monstrueux des dessins de José Martinez sont si fréquents c'est que l'artiste se livre à une lutte incessante contre l'effacement du monde.

21 - 14 / 11 / 2019

Que ne disions-nous ! Cette image est à considérer comme le décor absent de la précédente. Le grouillement du monde et des Dieux dans toute sa splendeur. S'en détache  le grand serpent. Il a changé d'avatar. Il a perdu toute ses plumes. Et même ses écailles. Une forme au trait filiforme. Pour mieux souligner son unicité. Représenté ici en tant que cobra royal. Dressé sur lui-même. Prêt à tuer. Fascinant. Il domine tous les autres. Encadrés en des cloisonnements comme les caissons de la chapelle Sixtine, comme si ces Fresques et Martinesques se donnaient à lire telle une œuvre majeure  ou comme ces boîtes de Vache Qui Rit qui représente une vache qui rit avec des pendants d'oreilles qui ne sont que des boîtes de Vache Qui Rit qui représentent... Une représentation de l'Infini représenté à l'infini... chaque lame de ce tarot mythologique contenant toutes les autres.

22 - 07 / 01 / 2020

Ici le dessin vous arrache la vue. Vous auriez mieux fait de vous attarder sur le précédent afin d'y décerner la silhouette pratiquement rendue invisible par cette myriade de petites formes vermicelliques qui la composent. Celle d'un chef indien dans la position même du fœtus initial. Pas de doute les formes féminines s'imposent ici dans la grouillance du monde. N'y voyez que la prégnance de cette Reine dont nous avons assisté à la gestation et qui est partout dans le monde. Une domination constitutionnelle aberrante. Grattez l'ordure de la réalité, sous l'écorce de cette cosse d'orange grumeleuse c'est la peau de sa chair pulpeuse qui s'offre à vous en un gigantesque lupanar. Tout à portée de la main. Ces fruits goûteux sont en libre accès sur cet étalage géant. Est-ce parce que la montre du temps est toute molle que vous accédez à l'éternité ?

23 - 19 / 01 / 2020

Que croyez-vous que le monde était ouvert à tous. Que chacun y puisait à convenance, à concupiscence. Qu'il était une espèce de vente-flash gratuite et éternelle dont vous profiteriez toujours. La Souveraine s'est dressée - comme le cobra royal - elle n'est plus une fleur que l'on cueille à satiété, elle a apposé sur son sexe la jarretelle de la cruauté, elle a posé un masque sur son visage, celui du vieux Chef indien qui avait transformé son ovule initial en tipi afin de déclarer la guerre,  qui entonne le chant de la danse du scalp autour du poteau de torture, et qui brandit le tomahawk de la destruction universelle. Elle lâche les fauves de sa vengeance, elle ouvre les corolles des aconits carnivores, elle décroche les étoiles zodiacales de la voûte du ciel, elle se fait précéder des écussons héraldiques de sa puissance. Le magma du monde se resserre sur lui-même traversé par des frissons de l'horrible peur qui vient. 

24 - 27 / 01 / 2020

Victoire la SouveReine danse sur les décombres amoncelés du monde. C'est le grand compressage. L'entassement irrémédiable. La mort se pourlèche les babines. Le temps zigzague sur lui-même Et l'Innommable est arrivé. Dans ces dessins noir et blanc voici que la couleur apparaît. Depuis le temps que les prébendes de l'arc-en-ciel miroitaient dans les encres de José Martinez !  Nous les suggérait par leur seule absence et la floraison exponentielle de ses graphes glyphiques.  La Reine se moque de nous. Elle a choisi le jaune comme le maillot du tour de France. Elle s'est affublée d'un de ses caleçons ridicules dont les garçons sur les plages enveloppent la protubérance dérisoire de leur virilité. En tout cas sous cette pelure jaunâtre, c'est elle qui a la banane. La Reine nous ressemble. Sur sa tête transparaît son rêve intérieur de grand sachem, mais dessous, le corps qui s'agite reste celui d'une gamine solitaire engoncée dans une rave-party. Est-ce que ces estampes de José Martinez seraient à décrypter comme des cartes postales nostalgiques de nos rêves éteints. Les Dieux ne seraient-ils plus ce qu'ils étaient !

Damie Chad.