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22/04/2020

KR'TNT ! 461 : SYNAPSES / GARY GUITAR LAMMIN / VARIATIONS / SENTENCED / TORTURE WHEEL / ROBERT JOHNSON

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 461

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

23 / 04 / 2020

 

SYNAPSES / GARY GUITAR LAMMIN

VARIATIONS / SENTENCED

TORTURE WHEEL / ROBERT JOHNSON

TEXTES + PHOTOS : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Pas de synode pour les Synapses

 

— Wouah ! C’est sûr ! On va faire fureur !

— Wouah ! C’est sûr ! Ils vont tous nous envier !

— Ils vont crier vive les minets ! On a l’air vraiment super !

C’est vrai, on dirait vraiment que Martine et Éric sortent des pages de mode de Salut les Copains. Ils finissent de se coiffer en écoutant le hit parade de SLC Salut les Copains.

—SLC Sa/lut les Co/pains ! Et maintenant, voici le numéro un du hit/parade ! Michel Pol/nareff avec «L’Oiseau de Nuit» !

—Wouah, j’adore Michel !

—Wouah j’adore son shetland rose !

— Wouah ! Et son Levis noir en velours côtelé !

Martine ajuste sa belle frange blonde en dansant le jerk. Elle porte un col roulé blanc en laine peignée et un taille basse rouge comme son idole Brian Jones. Le gros transistor Telefunken posé sur la commode vibre :

—Parmi tous ces inconnus ‘ki ren/trent/ Re-trouver la femme et le ‘kou/vert !

— Wouah ! Michel est un super rocker !

— Et je vois aussi ‘kou/ler tes larmes/ Toi ‘ki vins danser avec le jour !

Et ils reprennent à tue-tête en chœur avec Michel :

— Mais il valait mieux rom/pre le charme/ Que de laisser croâre à not’ amuuur !

Et ils éclatent de rire.

— Wouah ! C’est sûr ! On va faire fureur !

Éric porte un col en V rouge vif passé sur une chemise en soie blanche et un taille basse jaune à grosses côtes. Ce dont il est le plus fier, ce sont ses boots vernies trouvées chez Myris pour vraiment pas cher.

— Et voici main/tenant le Chouchou de la se/maine ! Ronnie Bird avec son nou/veau 45 tours «Chante » !

Martine saute en l’air. C’est son idole numéro deux. Le transistor crache un gros riff de fuzz. Ronnie attaque d’une voix ferme :

— Voilà ‘ke la chanson/ Devient un vrai ‘kon/cours !

Martine et Éric se mettent à jerker comme des automates abandonnés de Dieu.

— Les zi/doles à Centrale/ Viennent suivre des ‘kours !/ Chaaaante !

Martine et Éric semblent possédés par le diable. Ils secouent tellement leurs têtes qu’ils se décoiffent.

— L’autoroute à présent devient remplie de gens/ Chaaaante !/ Puisqu’il paraît ‘k’elle ‘kondui/tà/ La Tour d’Argent !

Dix ans avant Sid Vicious, Martine et Éric inventent le pogo.

— Et moi je pleure/ Oh oui le pleure... Hélas/ Trois fois hélas...

Et ils reprennent en chœur avec Ronnie :

— PARCE QUE JE N’AI PA/ ZÉ-TUDIÉ !

 

Une heure plus tard, ils sont dans la rue. Ils prennent le métro et sortent à Pigalle. D’un pas alerte, ils descendent la rue Pigalle jusqu’à l’angle de la rue Fontaine.

— Wouah Teenie Weenie, tu aimes la nitroglycérine ?

— Wouah Riton, j’adore tout ce qui est In !

— C’est au Bus Palladium que ça s’écoute !

— Wouah Riton, j’adore tout ce qui est Out !

Les gens font la queue sur le trottoir :

— Wouah Teenie Weenie, il y a foule pour les petits gars de Liverpool !

Une gigantesque affiche dévore la façade du Bus Palladium : The Synapses !

— Wouah Riton, ça va jerker aussi sec qu’au Papagayo de Saint-Trop !

— Wouah t’as raison Teenie Weenie ! Comme dirait David Alexandre Winter, qu’est-ce que j’ai dansé !

Ils entrent et filent directement aux toilettes. Il y a déjà du monde. Ils réussissent à trouver un coin tranquille. Éric sort de sa poche un petit sac en plastique.

— Ferme les yeux et ouvre la bouche, Teenie Weenie !

Martine tire la langue.

— Tiens Teenie Weenie, avale ça ! C’est une dose de LSdiiii !

— Wouah Riton, j’adore les triiips !

— Wouah Teenie Weenie, ya pas plus in !

— Wouah Riton, je suis déjà out ! Je crois à la vérité des couleurs !

— Wouah Teenie Weenie, je suis un garçon très doux ! Je veux aimer le monde !

Ils reviennent se fondre dans la fournaise. Sur scène les Synapses font un tabac :

— Je m’en vais vivre/ Comme dans un livre/ Dans le ventre d’une/ Énorme baleine !

Au pied de la scène, les filles et les garçons semblent pris de frénésie.

— Je vais descendre/ Pour me détendre/ Dans le ventre d’une/ Énorme baleine !

Tout vêtu de rouge, le chanteur des Synapses mène le bal des vampires en secouant son tambourin. Il a le visage couvert de cheveux mouillés de sueur. C’est le jerk du diable ! Le guitariste prend un court solo freakbeat à faire pâlir d’envie le John Du Cann du temps où il jouait dans The Attack !

— Il fera beau/ Il fera chaud/ Plus personne pour nous/ Causer de pei/ne !

Le batteur joue les dynamiteurs et le bassman tricote sur sa basse vintage des gammes véloces des quatre doigts de la main gauche. Nouvelle dégelée de solo psychout ! Too far-out !

— Nous verrons plus/ Tous les abus/ De la te/herre qui est/ Remplie de haine !

Sur la piste de danse, ça gesticule à qui mieux-mieux. Les Synapses enchaînent avec un nouveau brûlot :

— Tu es ma bombe ana/tomique/ Mi-andro/gyne/ Mi-hydro/gène !

Les filles chaloupent comme des sirènes de train fantôme et les garçons s’entortillent les rotules.

— Ce mélange hété/rogène/ Fait de toi un modèle unique !

— Wouah Riton, pfff pfff, ils sont terribles !

— Wouah Teenie Weenie, pfff pfff, ils sont in et on est out !

Éric tend les bras pour voir ses mains se fondre dans le jeu des lumières psychédéliques.

— Aaaahhhh que c’est bon tout ça ! Aaaahhhh que c’est bon tout ça !

Les Synapses enchaînent avec un beau «Souci Détail» nappé d’orgue. À la fin du morceau, le chanteur demande à la foule si ça va :

— Ça va ?

— Ouaiisssssss !

Alors le batteur tatapoume le super beat et le chanteur attrape son micro d’un geste rageur :

— Durand a eu un accident/ Dupont a perdu toutes ses dents/ Machin a un dixième enfant !

Les garçons et les filles ondulent comme des danseuses égyptiennes atteintes d’épilepsie. Les Synapses lèvent un vrai vent de folie.

— Wouah Riton, pfff pfff, y font Dutronc !

— Wouah Teenie Weenie, pfff pfff, j’aime bien tes antennes et tes huit paires d’yeux !

— Wouah Riton, tu trippes comme un malade !

— Je suis content/ C’est pas à moi que c’est arrivé/ Je suis content/ C’est pas à moi que c’est arrivé !

Les Synapses claquent encore une série de jerks terribles à la nasillarde d’Antoine et ils Hectorisent le Bus Palladium jusqu’au trognon. Pendant l’entracte, Éric va au bar chercher un verre.

— Un whisky coca !

Il s’amuse de voir le serveur avec des oreilles et une trompe d’éléphant.

— Merci Babar !

— M’appelle pas Babar ! M’appelle Jean-Claude, connard !

 

Au petit matin, Éric se retrouve sur le trottoir, devant le Bus palladium. Il frissonne et il a les oreilles qui sifflent. Il réalise subitement que Martine a disparu.

— Wouah la sal/ope, elle est par/tie avec un autre gar/çon !

Soudain, une ambulance et une estafette de police arrivent et se garent juste devant lui. Un flic descend l’air mauvais :

— Circulez ! Ya rien à voir ! Allez ouste !

Les infirmiers et les policiers se ruent à l’intérieur du Bus. Éric a une espèce de flash et il entre à leur suite. Ils vont directement aux toilettes. Il y a un attroupement. Éric se hisse pour essayer de voir par dessus les épaules. Il a une sorte de pressentiment. Mais il ne peut rien voir. Il reconnaît une copine dans l’attroupement.

— Dis donc Poupée de cire, tu sais ce qui se passe ?

— Teenie Weenie Boppie est morte dans la nuit...

— De quoi ?

— Mais d’avoir pris une dose de LSDiiiii !

Signé : Cazengler, Synoque

Synapses. Le trois Pièces. Rouen (76). 6 novembre 2015

 

Lammin d’or

Un seul canard au monde consacre des pages à Gary Guitar Lammin. Il s’agit bien sûr de Vive le Rock, dernier bastion d’un certain underground britannique. Bruce Turnbull ne tourne pas longtemps autour du pot : pour lui, l’album solo de Gary Guitar Lammin est l’une des finest releases of the year. Dans l’article qui suit ce dithyrambe échevelé, Gary s’épanche. Il dit avoir commencé par craquer sur la version de «Little Red Rooster» que jouaient les Stones à une époque lointaine. Puis il découvrit Juicy Lucy, et tout particulièrement ce rescapé des Misunderstood, Glenn Ross Campbell qui jouait de la slide. C’est là que naquit son obsession pour la slide.

Gary joua dans les Little Red Roosters puis dans Garrie & The Roosters. Il ne s’intéressait qu’à ce qu’il appelle le straight rock’n’roll. À la fin des seventies, il était l’un des seuls à vouloir encore sonner comme les Who, alors que tout le monde louchait sur ce qu’il appelle the intellectual music, the prog stuff des Yes et des No. Quand il découvrit les New York Dolls, il s’aperçut qu’il n’était plus seul au monde. Il venait de découvrir qu’il existait des gens pensant la même chose que lui ! Et quand le punk explosa en Angleterre, tout changea - Everything changed completely - Tous ceux qui ont grandi dans les sixties connaissent cette succession d’épisodes par cœur.

En farfouillant dans les pages du NME, Gary tomba sur le nom de McLaren, un nom qu’il connaissait pour s’être intéressé de très près aux Dolls. Il découvrit que McLaren tenait une boutique de fringues sur King’s Road et il s’y rendit. Il rappelle qu’à l’époque il n’y avait ni web ni smartphones, alors il fallait faire les choses physiquement. Mais il ne parvint pas à rencontrer McLaren, alors il dut laisser une cassette de démos à son intention, avec un numéro de téléphone. Et puis un beau jour, drrrring ! McLaren lui dit de rappliquer au magasin avec sa gratte. C’est là que Gary rencontra Dave Goodman avec lequel il enregistra cet album solo qui vient tout juste de refaire surface.

Gary Lammin apparaît sur la pochette avec un air menaçant. On retrouve très vite l’environnement des Pink Fairies dans «Lost & Falling», ce qui semble logique, vu que Dave Goodman et George Butler sont de la partie. Mais le disk erre dans le nowhere land du London underground. C’est avec «Value» que ça se corse, Gary joue au big far out et on le voit driver sa vieille chique dans «Is That Alright With You». La grosse viande arrive enfin avec «Memo To Anita», il joue du bottleneck infected avec du big bass drum in tow. C’est assez spectaculaire. Gary gratte tout ce qu’il peut gratter. On comprend alors ce qu’il veut dire quand il évoque son obsession de la slide. Et puis voilà le coup de tonnerre : «Hey Mr John Sinclair». Ride on ! C’est John Sinclair qui ride on. Il explose le walk away, Gary travaille ça au heavy riffing, ride on John Sinclair, ride on, ça roule sur un heavy bassmatic anglais digne de ceux qu’on jouait à Detroit. Les filles font «Mr John Sinclair/ Change the people everywhere !», les descentes de basse sont d’un rare demento, Hey Mr Sinclair, don’t be square, Gary nous empapaoute ça comme un crack.

Puis il va revenir dans l’actu avec les Bermondsey Joyriders. La presse anglaise présente les Joyriders comme des héritiers des Sex Pistols croisés avec le MC5, une hypothèse que confirmerait presque la présence de John Sinclair : il fait des transitions entre tous les cuts de Noise And Revolution, comme le fit en son temps Stanley Unwin dans l’Ogdens’ Nut Gone Flake des Small Faces. Gary fait du punk-rock dès «Society Is Rapidly Changing». Il y va de bon cœur, il faut le signaler. Il prend bel et bien la suite des Pistols, mais sans la voix de Rotten, ni l’éclat des compos. Sa démarche est pourtant très sérieuse. Society ! Quand il envoie ses solos en coulée douce sur le chant, il rafle presque la mise. «Right Now» sonne bien les cloches, heavy steamboat in the brick walls, ce dingue de Lammin lamine sa chique avec les accords des Stooges. Lui et son copain bassman Martin Stacey sont des fous dangereux. Mine de rien Lammin la ramène bien, il claque sa stoogerie au ‘scuse me while I fuck the queen. Avec «1977», il tente de refaire les Pistols, mais ça bande mou. Même avec le lance-flammes. Par contre, il redresse bien la situation avec «Tru Punk». Plus loin, il sort son meilleur accent cockney pour «Proper English». Pur jus d’East End. On se régalera encore de «Shaking Leaves», une vraie dégelée, mais en même temps, ce n’est pas le hit du siècle. Il manque toujours à Gary le petit quelque chose qui fait la différence. Il veut exister en tant que légende obscure, mais ce n’est pas gagné. À la limite, John Sinclair a plus d’allant. Les Joyriders tentent encore de passer en force avec «Rock Star», côté jus, ils n’ont pas de problème et on voit John Sinclair amener merveilleusement «Rock N Roll Demon». Du coup, ça frôle le cut mythique. Gary chante tout ce qu’il peut chanter, comme il l’a toujours fait.

Il existe un autre album des Bermondsey Joyriders nommé Flamboyant Thugs. On retrouve sur la pochette la bagnole bleue et blanche de l’album précédent plus nos trois Joyriders qui ont fière allure. Ça explose en bonne et due forme dès «Sonic Underground». Ils ont du son, ça crame dans la cave. On voit Gary Lammin jouer au kill kill kill et prendre des virages dévastateurs. Ils sont très énervés, ça joue aux dents branlantes et au vomi rose. On croirait qu’ils jouent leur vie aux dés. Mais quand on va sur les cuts suivants, on sent une usure. Pas facile d’être une légende vivante en Angleterre. Ce genre de plan peut vite tomber dans le pathétique. Gary tente de faire le méchant, mais on n’y croit pas un seul instant. Il chante si mal son «Here Come The People» qu’il le condamne aux ténèbres. Son vieux copain John Sinclair tente de sauver l’album avec des transitions, mais le morceau titre est encore si mal chanté que ça retombe comme un soufflé. Gary flingue toutes ses chances une par une. Il n’est ni Johnny Rotten, ni Rob Tyner, ni Liam Gallagher. Il sauve les meubles avec «It’s Nice To Be Important» et tape ça aux big British rock, il redevient l’espace d’un cut the cockney Lord of the night. Fantastique énergie ! C’est un chef-d’œuvre de cockney brawl. Il sauve son album une deuxième fois un peu plus loin avec «Throw The Dice», joué au big guitar raunch et aux clap-hands. C’est une pure merveille de rock anglais, ça joue à la bonne allure de la revoyure avec un Lammin lâché dans les rues et ça devient fascinant - Lets’ throw the dice/ Let’s watch him roll - Plus il avance dans son album et plus il gagne des points dans les sondages, comme disent les cons du petit écran. Son «Gentlemen Please» est plutôt bien balancé. L’important est de ne pas perdre de vue un vieux dur à cuire comme Gary Guitar Lammin. Même s’il n’est pas parfait, il a au moins le mérite d’exister dans l’inconscient collectif

Signé : Cazengler, Gary Lamerde

Bermondsey Joyriders. Noise And Revolution. Fuel Injection Records 2012

Bermondsey Joyriders. Flamboyant Thugs. Fuel Injection Records 2014

Gary Guitar Lammin. ST. Requestone 2017

Bruce Turnbull : Sling The Axe. Vive le Rock #42

 

31 DECEMBRE 1968

LES VARIATIONS

Où traînais-je le soir du 31 décembre 1968, certainement pas à Joinville, ni sur le pont, ni au bataillon. J'ai une bonne excuse, eux non plus ils n'y étaient pas. Devant leur poste de télé. Donnaient un concert. Et celui de Joinville ils l'ont visionné quarante ans plus tard, vous en rajoutez douze de plus et on y arrive. Un demi-siècle de passé depuis cet instant fatidique qui révéla au grand public l'existence des Variations. Et Julien Deléglise - auteur de Moroccan Roll : La fascinante histoire des Variations - signale fort à propos qu'il existe une vidéo de l'évènement bien meilleure que l'habituelle. Autant aller y faire un tour, puisque l'on est privé de festivités rock'n'roll et que rien ne bouge dans les bouges depuis un mois, autant s'en mettre plein la vue et plein les oreilles, pour pas un rond de friture sur les ondes électro-magnétiques.

L'anecdote est connue. N'étaient pas invités. La télévision française préparait la soirée du réveillon du Nouvel An. Se sont radinés au tournage, l'air de rien, au cas où. Nul besoin d'eux. Il y avait du lourd, les Who, le Jeff Beck Group, les Troggs, Booker T and the M.G. ( Memphis Group, pour les ignorants ) Fleetwood Mac ( en leur période blues, pas la daube populaire terminale ), plus plein d'autres qui font moins saliver. J'allais oublier Traffic – mais qui se souvient encore de Traffic aujourd'hui - avec Steve Winwood et Jim Capaldi. Ne sont pas là – mais que trafiquent-ils - et c'est le dernier jour de mise en boîte. Essayez de trouver une formation au pied levé... Bingo, les Variations sont là ! Comme quoi dans les Evangiles, il n'y a pas que des craques, ils sont arrivés en dernier, ils seront les premiers. En fait les derniers au montage, mais avoir les Who et consorts en première partie, pour un petit groupe français inconnu, ce n'est pas mal.

Pas de panique, enfourchons la machine à monter le temps et zieutons à quoi ressemblait la France éternelle en ces époques antédiluviennes. Je vous rassure, non vous ne risquez pas de rencontrer de vilaines grosses bestioles, ce n'est que plusieurs années après que certains groupe se sont transformés en dinosaures.

D'UN AUTRE ÂGE

Me suis reconnu sur le plateau. En plein dans le public. Sont tous comme moi à l'époque, très beau avec des cheveux longs. J'ai dû lancer la mode sans m'en apercevoir. En tout cas, ça vous fout un sacré coup de vieux. Le pire c'est que l'on n'a pas l'air plus intelligent que les jeunes gens de maintenant. Peut-être plus heureux, on venait de rater la révolution, mais il semblait qu'un futur radieux se profilait encore à l'horizon. Ça jerke dur, les mauvaises langues prétendront que comme c'est la dernière séquence, tout le monde sur le plateau, techniciens et figurants, se laisse aller. Le grand défouloir. Pour le tournage, ils n'ont pas fait appel à Jean-Christophe Averty, le décadreur siphonné, qui vous aurait déglingué le montage en trente secondes. Z'ont choisi Guy le mec qui roule pour vous et fait son Job proprement. Une caméra face à la scène. Plutôt étroite, genre éclair au chocolat, pas de profondeur pour les zicos, de temps en temps un zoom sur un artiste, heureusement parce que devant c'est le rideau mouvant des danseurs qui voilent beaucoup et dévoilent un petit peu. C'est la fête. De l'an neuf, faut que le français moyen comprenne que l'ambiance est torride. Encore quelques minutes et ce sera l'année érotique. La prise de son n'est pas terrible. Ne venez pas vous plaindre, songez que l'on ne possède aucun document sonore des plaidoiries de Cicéron sur le forum romain. Sachez apprécier ce que vous avez !

ROUND UP

Un round de vingt minutes, pas bésef, mais les autres groupes n'ont eu droit qu'à une portion de dix minutes, ont attaqué sec avec Around and around, Jo Leb – une coupe à la Keith, se jette sur le micro et à l'eau, il montre qu'il est doué pour le crawl, l'a intérêt car à la guitare Marc Tobaly verse de ces rasades chuck berriennes si bien imitées, si fortement poivrées, qu'elles ressemblent à des claquements de becs de squales géants qui se lancent à sa poursuite d'un innocent baigneur pour lui cisailler les jambes. En quinze secondes, ils ont gagné, derrière Jacky Bitton bastonne sur ces bidons, un bruit pas possible, vous ramone les oreilles à la rémoulade de cèleri, vous passent en prime le rythme de Brown Eyed Handsome man et vous embarquent dans un de ces cafouillis grabugique dont les Stones avaient le secret à l'époque, le genre de guet-apent sonore dans lequel normalement tout le monde devrait se viander, mais dont vous ressortez aussi frais que le bouton de rose passé à la boutonnière du coup du surin que vous avez reçu dans l'abdomen. Essayez de saisir dans vos mirettes P'tit Pois, oui les filles il est très beau, par contre il a une manière peu orthodoxe de slapper sa basse électrique, un visage d'ange et une frappe exaltée de blouson noir. Jo Leb nous fait le coup du feel ( à couper les méninges ) all right, joue au sorcier indien qui dirige et éloigne de la voix le nuage de sauterelles géantes, manière de montrer qu'il maîtrise la fracture du morceau et le public règle illico la facture électrique sous forme de forts dandinements spasmodiques.

Vous aimez le rock'n'roll, donc vous aurez du rhythm'n'blues et ils s'engouffrent au pas de course dans Everybody needs somebody to love, mais certains l'aiment plus chaud que d'autres alors ils vous le servent brûlant, la pression monte dans la cocote-minute des danseurs, z'avez un individu qui s'exhausse à bout de bras, du coup Marc mord les cordes de la guitare et l'on dérive vers une de ses cacophonies bruitistes qui rendent fous de joie ces êtres simples et candides que sont les amateurs de rock, derrière Jacky Bitton bétonne à mort, Tobaly mouline totally à la Townshend, l'on ne voit plus Jo Leb prostré sur son micro, le navire donne de la bande, les vagues brisent le gouvernail, le vent arrache les voiles, c'est étrange, mais on a l'impression de vivre plus intensément. C'est partie pour l'hystérie collective le jeu des questions réponses, sans queues ni têtes, mais farcies de cris et de hurlements. Bitton à la batterie tribale, et Leb qui vous trimbale où il veut. Nous fait le coup de l'extase morrisonienne, et l'on aime cela, ce chuchotis de mots de désirs incandescents, ces reptiles gutturaux qui s'enroulent autour de nos corps en sueurs pour mieux resserrer leur étreinte par accoups irréguliers, tantôt doux, tantôt violents, les lèvres de Leb dégagent une lèpre mortelle, il n'est plus là, il gît en lui-même, en un autre monde, mais voici que son corps de supplicié abandonné à terre explose, c'est la catharsis salvatrice et l'ouragan de la folie ravage le monde entier. Une fille vient s'offrir au grand chaman et les voici partis en un tressautement orgasmique qui rend la gent féminine folle, se mettent à hululer comme ménades orphiques. Nous ont convaincus. Tout le monde a besoin de sexe.

Pas de temps à perdre, les Variations vous lancent le riff de Satisfaction comme s'ils avaient le cachalot blanc du rock'n'roll à harponner. Jo Leb, halète, il aboie, un roquet en chasse, vous avez dû marcher sur ses pattes de daim bleu, derrière Jacky lance ses torpilles riffiques de plus en plus désastreuses, touché-coulé à tous les coups, Grande à la basse qui gronde, visage pâle, il est l'archange de la mort qui mène les troupes sataniques à l'assaut, et Bitton dératise sa batterie, silence, et tonitruance en alternance, la fièvre monte jusqu'à ce que le thermomètre explose, Leb s'est saisi de son foulard qu'il exhibe comme le lacet de la mort, et brusquement surgit ce que l'on n'attendait pas, ces volutes orientales que le Zeppe n'utilisera que bien plus tard, more rock'n'roll is moroccan roll, Leb se métamorphose en bayadère, et le public ondule à la manière des serpents des flûtes de Joujouka, générique de fin, Leb en descente de transe et Jacky Bitton tambour battant, final extraordinaire, Jo Leb couché par terre entonnant une espèce de cantilène funèbre tandis que la batterie de Bitton avance vers vous telle une colonne de fourmis carnivores prêtes à dévorer le monde. Apocalypse terminale.

ET LES AUTRES ?

Des extraits de l'émission intitulée Surprise-partie ( titre déjà ultra-ringard à l'époque ) sont facilement visibles sur You tube. Commencez par taper Variations : New Yars's Eve Party on French TV et le reste viendra. Aucune prestation offerte ne possède cette incandescence. Pour comparer ce qui est comparable, les Troggs par exemple sont bien sympathiques, mais pas déchaînés, des pros qui assurent mais rien de bien transcendant. J'avais déjà vu cet extrait troggloditique à plusieurs reprises, mais ne l'avais pas gardé en mémoire...

Les Variations ont disparu. Sont venus trop tôt. In too much too soon, diraient d'autres. Restent une des plus séminales formations du rock français. C'était déjà trop beaucoup pour un trop jadis.

Damie Chad.

*

L'on a beau critiquer la société de consommation, l'on passe son temps à entasser les Cd's, juste pour les archives assure l'ami Mister B, bref ça escalade le ciel et les piles instables s'écroulent comme les colonnes du temple maudit dans un fascicule des aventures de Bob Morane... Alors de temps en temps, vous vous dites, what is it ? Celui-ci je ne l'ai jamais écouté, et vous vous faites une douce violence pour le glisser dans le bouffe-galettes, manière d'ajouter un peu de bruit et de grabuge dans ce monde de confusion.

AMOK / SENTENCED

( Century Media 77076-2 / 1995 )

 

Sami Lopakka : guitar / Vesa Ranta : drums / Miika Tenkula : lead guitar / Taneli Jarva : bass, vocals.

Celui-là, c'est la pochette rouge sang qui m'a séduit. Avec en bas de l'image, l'arc de cercle de cette sculpture ivoirine, issue des âges farouches, de deux lions attaquant et bondissant sur une antilope saisie en pleine course. Cruauté vitale ! Elan carnivore ! Amok, le titre de l'album resplendit de sa froidure chryséléphantine sous l'arc assassin de cette chasse impitoyable. Amok, folie furieuse malaisienne que l'on pourrait rapprocher des fureurs sacrées des berserkers nordiques. Le kr'tnt-reader se précipitera sur la nouvelle du même nom de Stefan Zweig dont la fin n'est pas sans corrélation avec celle de L'Eve Future de Villiers de l'Isle-Adam.

Sentenced est un groupe de Death Metal finlandais, qui se forma en1989 et mit fin à ses activités après la sortie de The Funeral Album leur huitième et terminal opus. Le groupe connut ses heures de gloire et préféra se séparer pour ne pas se répéter. Honnêteté artistique à révérer. Amok est le troisième album du groupe qui leur apporta une large notoriété. Il marque une rupture dans l'évolution du groupe, à la violence de leur death metal originel ils substituent une touche plus sombre, lyrique, romantique, quasi gothique...

The war ain't over ! : déflagrations guerrières. Tirs tous azimuts. La guerre n'est pas terminée, même si dans l'horreur sonore vous percevez une mélodie qui s'impose comme le contrepoint lyrique d'un chant bestial, le croassement hideux des corbeaux maléfiques sur les champs de ruines et les guitares te transpercent, elles portent en toi la désolation, il n'est pas question de te laisser un seul espoir, sois convaincu que tout est perdu, arpèges célestes qui se confondent avec des tirs nourris de mitraillettes. Phenix : à lire le texte l'on s'attendrait à une renaissance. Vos espoirs seront déçus. Dès les premières secondes le titre flambe et le vocal se dépêche d'avaler le mot du bonheur. Burned live in the flames of love. Il est des feux qui réchauffent et d'autres qui brûlent. C'est ce genre-là que vous allez traverser. L'amour ne dure qu'un vers, une piqûre de serpent qui cuira votre chair et votre esprit toute votre vie. Désormais la haine et la guerre vous habitent. Aucune illusion. Le phénix est juste l'inextinguible flamme de la destruction. Musique violente, cruellement composée un peu comme des leitmotive wagnériens qui s'embrasent et s'embrassent pour vous donner le baiser de la mort. New age of messiah : super production à la Cecil B DeMille, délaissez les dix commandements, écoutez les paroles du messie qui annonce le jour nouveau. Oyez son gargarisme prophétique, Dieu est mort et les guitares s'enflamment comme des violons, lui il est l'esprit de la terre, il n'apporte rien de bon, l'ivraie sera plus haute et l'ivresse plus courte, il ne promet rien, vous le suivrez et il vous emmènera sur les terres désolées du doom, et puis il s'en ira, et vous vous retrouverez seuls, sans espoir, sinon de réécouter sans fin ce chant de catastrophe bâtie à la manière d'un oratorio funèbre pour les jours sans espoir. Terrible promesse qui vous enroule et vous emprisonne dans un rouleau de fil de fer barbelé. Vous lècherez votre sang avec délice. Forever lost : au cas où n'auriez pas compris le message précédent, Sentenced vous ressert la même soupe aux cailloux aux piqûres d'orties empoisonnées. Mais avec un peu plus d'emphase. Un peu à la Jim Morrison pour l'esprit des paroles, et la musique qui cavale comme si elle devait atteindre le bout de la terre avant que la nuit couperet de guillotine définitive ne tombe. Même si connaître votre destin plus tôt ne le rendra pas davantage clément, laissez-vous emporter par cette cavalcade, car il vaudrait mieux ne pas prêter attention aux paroles. Vous avez vu que l'amour était un viatique qui ne durait qu'un bref laps de temps, désormais méfiez-vous des paroles amicales de celui qui chuchote des hurlements à vos oreilles. Rien ne vous sauvera. Mais ces chants de désespérance sont envoûtants, et cet opéra de transes maléfiques est magnifique. Funeral spring : cloches de cimetières dans le lointain, les guitares rampent, elles ressemblent aux vermines qui perforent les cadavres. Aucune saison ne vous sauvera. La neige de la mort tombera sur vous, un blanc linceul pour vous ensevelir. La voix menaçante est celle d'un curé qui promet le pire aux ouailles agenouillées, déjà rongées par l'extrême froidure de la mort. Il se délecte d'un certain plaisir vicieux à prophétiser votre disparition. Si vous étiez parmi les morts, vous préfèreriez être des premiers à vous saisir d'une pioche pour creuser votre propre tombe. Nepenthe : ah! Le carnivore népenthès si cher à Baudelaire, l'oubli de toutes les choses humaines, il vaut mieux mettre une croix dessus, tes instants de bonheur furent éphémères, ta vie fut un fleuve de haine, les belles flammes vives de l'instinct de survie que chantent les guitares sont écrasées par la grandiloquence battériale et par cette mélopée qui ricane en fin de morceau. Dance on the graves ( lil' siztah' ) : danse des morts, un blues haché au mixer de la disparition, la vie s'est enfuie, elle a retiré le linceul sordide de mes illusions. Et elle danse sur ma tombe, elle qui m'a abandonné, qui m'a laissé tomber, petite sœur de la chienne pourvoyeuse des enfers. Moon magick : obéis, du fond de ta tombe une voix sépulcrale t'enjoint de regarder, la guitare riffe et la batterie rafle tes espoirs, l'œil cyclopéen de la lune brille pâlement dans la nuit sombre, il vaudrait mieux qu'elle ne soit pas là, elle ne fait qu'accentuer le vide du néant, et souligner l'inanité incestueuse de ton existence avec le malheur. The golden stream of Lapland : musique noire qui s'amplifie et souffle à la manière du blizzard sur les paysages désolés du grand nord. Monde froid et blanc, un peu ce que dans le l'unique roman d'Edgar Poe, Arthur Gordon Pym a entrevu avant de cesser sa relation, sur sa page désormais blanche...

Des années que j'avais ce CD en attente, je regrette vivement de ne pas l'avoir auditionné plus tôt.

Damie Chad.

 

CRUSHED UNDER...

TORTURRE WHEEL

( Firedoom 005 / 2005 )

Viennent aussi de Finlande. Plutôt vient de Finlande. E. M. Hearst s'est chargé tout seul, des guitares, de la basse, du vocal, des divers synthés, et de l'enregistrement, avec le soutient d'une équipe qui gravite autour du label Nulll Records.

Une aventure en solitaire. Elle a été souvent qualifiée de funeral doom, mais elle mériterait aussi bien la mention de prog-doom...

Pochette fluide, que représente-t-elle au juste, une orbite creuse, une roue sans moyeu ou l'œil de l'ouragan ? A moins que ce ne soit le bleu du ciel au fond des sept cercles de l'enfer... Soulevez la rondelle du cd, étrange sensation d'anamorphose le temps que se révèle le portrait de M. E. Hearst. Juha Vuorma responsable de l'artwork, semble travailler sur l'indistinction des formes figées en une immobilité changeante...

Broken by the wheel : balle doom-doom, rien à voir avec les dum-dum, imaginez plutôt un groupe de doom qui se prendrait pour Pink Floyd, une véritable suite instrumentale qui m'évoque un peu une instrumentation à la Prokofiev, couleurs et ambiances, le morceau frôle les 10 minutes, il suffit de se laisser porter par son imagination, une longue introduction lente et grave comme il se doit, avec cette particularité d'une espèce de bruit de fond qui ressemble à l'inquiétant brouhaha que les grandes oreilles qui fouillent les espaces sidéraux détectent... La roue du supplice tourne lentement, même ligoté dessus vous aimeriez qu'elle accélère un peu, ce n'est pas que vous êtes pressé, c'est qu'à souffrir autant ne pas s'ennuyer en même temps. Ce qui est sûr c'est que soit vous allez adorer, sois vous détesterez. Pas de juste milieu. Je n'ose pas dire que tout dépend de ce que vous avez dans votre cerveau pour vous occuper, mais presque. Surtout quand tout s'arrête et que ne reste plus que l'appel angoissé du criquet abandonné par sa petite amie dans la nuit profonde. / Pas de panique, le morceau reprend mais en plus étouffé, obscured by clouds si vous voulez une métaphore haïssable. Si vous n'aimez pas, foncez vers le frigo chercher une bière, vous revenez, non rien de nouveau. Un tantinet longuet ? Je n'ose répondre non. Oui il a une idée, mais il n'en a qu'une. C'est mieux qu'aucune. Mais une seconde ne ferait pas de mal. Vous voyez parfois dire du mal, ça aide un peu, nous sommes dans un passage variationnel, des ombres nagent sous la mer, une espèce de pianos en notes détachées accélère le phénomène, ce coup-ci c'est parti, on ne sait pas où mais le bateau a quitté le quai et remonte le chenal, la sirène du remorqueur mugit au loin dans la brume et tout s'estompe. Pas de vague, calme plat. Mea culpa, je suis vexé, je suis au-dessous de tout, un être déplorable, un chroniqueur à la noix de coco, vous avez le droit de me secouer comme un palmier sur une pochette du Gun Cub, en fait depuis le slash que j'ai marqué en rouge plus haut l'on était passé dans le deuxième titre, Shadow sect : je promets de faire gaffe pour le prochain arrêt, pas la peine de vous moquer, j'aimerais vous y voir à ma place. Entre nous soit dit les rituels de la secte shadowienne n'ont pas la faculté d'attirer le diable dans la cérémonie. Le méchant cornu n'est pas apparu une seule seconde. Mary : oui c'est le 3, j'ai fait attention, je n'aime pas rester impassible lorsque une demoiselle se profile. Elle a mis un peu de temps pour se pointer, mais c'est elle. N'ayez crainte elle reste-là pour douze minutes. E. M. Hearst doit être intéressé par la petite Mary, certes la musique garde toujours son allure processionnaire de cimetière, mais au moins il fait un peu de bruit pour attirer son attention, l'a mis une cravate rouge et un pantalon vert olive pour la croiser, et ce bruit indistinct serait-ce son souffle trafiqué et ralenti au vocoder, le gars marne aux grandes orgues pour attirer son attention, vous l'entendez marcher dans l'église mais impossible de comprendre ce qu'elle dit, voix rendue inaudible par l'écho des voûtes sombres. C'est bête mais la petite Mary ne semble pas avoir tilté, ces coups de batterie tromboneuse sont-ils les soubresauts de la déception éprouvée par notre jeune héros. Va-t-il de rage enfiler un short noir olive du désespoir ? Dans le lointain l'on entend un chœur de jeunes moines... Crushed under... : quatrième mouvement, n'est plus distrait par la radieuse apparition de la donzelle, ou alors son mépris souverain a piqué son orgueil, la musique est plus forte, il crie, cela ressemble à une grenouille qui hurle sa détresse parce que le crapaud n'a pas voulu l'embrasser et qu'elle n'est pas devenue une princesse – imaginez la pauvre rainette qui coasse au bord de l'étang perdu, sommes-nous au plus près de l'essence du doom ou au plus loin, je vous laisse choisir, une batterie victoriale, est-ce Le chef d'œuvre inconnu de Balzac qui s'offre à nous sous sa forme doomesque, ou alors arpentons-nous les sentiers du grotesque musical, notes de musiques qui pleuvent sur notre ouïe suppliciée de langueur, l'on n'y croirait pas, mais le disque exerce une étrange fascination auditive, vous êtes un cosmonaute à qui l'on apprend à perdre son centre de gravité. Est-ce grave, faut-il s'en moquer, vous perdez vos points de repères musicaux, un peu le coup de la même note de John enfermée dans sa propre Cage qui ne varie pas, mais à l'envers, ici ce sont les entrelacements de la thématique qui reviennent sans cesse, qui se déclinent sous plusieurs manières, pratiquement identiques, mais toutes différentes, qui vous transforment en point d'écoute central immobile. Musique expérimentale qui risque de vous mettre en péril mental.

A écouter au moins une fois dans sa vie pour savoir si vous allez mourir idiot ou pas. Je me garde de faire un quelconque pronostic à votre encontre.

Damie Chad.

 

ROBERT JOHNSON

UNE LEGENDE RACONTEE PAR LE DIABLE

CHRISTIAN RAVASCO

( Camion Noir / Octobre 2011 )

 

Exhumé de mes cartons. Ne savais plus que je l'avais acheté. Le fantôme de Robert Johnson ne finira jamais de hanter les imaginaires. Y a tout de même un sacré problème avec Robert Johnson, l'on ne sait pas grand-chose de lui. L'est mort jeune, et n'a guère laissé de traces... Un véritable jeu de pistes. Une véritable foire d'empoigne planétaire lorsque par deux fois l'on a soit-disant retrouvé une troisième photo de ce courant d'air. Heureusement qu'il a enregistré une poignée de titres qui prouvent son existence... Mais de là à écrire une biographie de deux cents cinquante pages... C'est pourtant à cette gageure que s'est attelé Christian Ravasco.

Pas tout à fait un inconnu Christian Ravasco, il a enregistré deux albums, en 1979 et 1983, le peu que j'en ai entendu ne sonne pas blues du tout, l'a surtout composé pour les autres, Marie Laforêt, Françoise Hardy, Nicole Croisille, Pierre Grocolas, Dick Rivers et quelques pointures moins affriolantes à mon triste goût de rocker... a tourné dans quelques court-métrages, écrit quelques livres, nous retiendrons son Bob Dylan 13 à table, paru chez Camion Blanc,que nous n'avons pas feuilleté mais dont le résumé est attirant, qui semble bâti à la manière kaléidoscopique de I'm not There, le film de Todd Haynes sur les six vies du chat Zimmerman, sorti en 2007, j'avoue qu'après avoir lu ce Robert Johnson, une perverse curiosité me poussera à m'asseoir en quatorzième convive non invité à cette table ouverte. Ce Ravasco a tout le profil sympathique du gars qui a mené sa barque avec dextérité là où il lui a plu de la laisser dériver.

Christian Ravasco aurait dû être paléontologue. Serait actuellement au Collège de France en train de donner des cours devant un auditoire choisi. Je n'ai rien contre cette noble profession, mais elle m'a toujours sidéré, sont d'étranges personnes qui promènent paisiblement leur chien au milieu de la nature, au bout de trois heures d'une marche sereine, elles daignent se baisser afin de se saisir d'un vulgaire caillou sur lequel leur cabot vient de lever la patte, elles l'enveloppent soigneusement dans un mouchoir tout en poussant une exclamation à vous faire croire qu'elles viennent de mettre la main sur une relique du Saint-Sépulcre ou le sexe d'Osiris démembré et qui rentrent chez elles en courant. Quinze jours plus tard vous apprenez au journal télévisé que grâce à un fragment d'os retrouvé dans la forêt de Fontainebleau l'on a réussi à reconstituer la silhouette d'un dinosaure disparu depuis soixante millions d'années, et la photo du dessin du monstre s'affiche sur l'écran, la bestiole vous regarde si méchamment que vous en frissonnez de peur.

Ce qui précède correspond au discours de la méthode ravascocienne employée par notre écrivain. Vous vous méfiez. Votre petit cerveau de mouche charbonneuse n'y croit pas. Jamais de vous-même, vous jurez-vous, vous n'explorerez ce bouquin, Ravasco s'en doute, l'a déposé spécialement pour les esprits récalcitrants en caleçon citron un ruban gluant sur la couverture, en rouge pour vous attirer '' Une légende racontée par le Diable '', vous ne résistez plus, vous vous en emparez, trop tard, il ne vous lâchera plus. Et là vous êtes émerveillé. L'on vous a dit que l'on ne connaissait rien de Robert Johnson, et là Ravasco le Ravachol de la biographie garantie bio vous raconte tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Robert de vos rêves, et ce qu'il y a de terrible c'est que vous ne pouvez qu'acquiescer, tellement la moindre de ses lignes sonne plus vraie que vrai.

C'est que Christian Ravasco il a tout compris. A part quelques maigres détails comme tout le monde il ignore tout de Robert Johnson. Mais notre bluesman n'est pas un individu isolé. L'est comme vous et moi. A vécu à une époque donnée, en un lieu précis. Leroy Jones dirait qu'il n'est qu'un parmi des millions d'anonymes qui ont constitué Le peuple du blues. Certes un musicien génial. Mais qui a barboté ( sans aucune once de confinement ) dans la mare aux canards de milliers de messieurs-mesdames-tout-le-monde. L'a partagé leurs vies médiocres, leurs chagrins, leurs joies, leurs colères, leurs vicissitudes, il s'en est quelque peu extrait par une des facettes de sa personnalité, mais les mille autres alvéoles de son idiosyncrasie sont composés à la ressemblance de ceux de tous les autres. Tous uniques, tous interchangeables. Votre chat est certainement le plus beau chat du monde, mais il ressemble à tous les autres chats du monde. L'en est de même pour nous. Certes les époques et les civilisations ne sont pas les mêmes, mais il suffit de s'être documenté : les livres, les photographies, les témoignages, les films sur les conditions des noirs au début du siècle dernier aux USA sont multiples. C'est à partir de ce matériau que Christian Ravasco a construit son livre. Toutefois il ne suffit pas de bâtir les décors - pour prendre un exemple à ras le bitume, à l'époque de Johnson toutes les routes ne sont pas goudronnées - il faut encore posséder une connaissance intuitive de la psychologie humaine, garder en mémoire que les mêmes causes produisent les mêmes effets, que les mêmes maux provoquent de similaires blessures, que semblables manques engendrent les mêmes comportements, que des mêmes souffrances naissent les mêmes types de dérélictions. Ensuite c'est comme quand vous préparez un gâteau, faut du doigté pour introduire à bon escient dans la pâte les différents ingrédients.

Vous pourrez toujours chicaner, genre je la ramène car d'après votre opinion c'est deux mois plus tard que Robert rencontre Son House, désolé mais tout le monde s'en fout, ce qui compte c'est la présence de Son House, la manière de le présenter, de coller à sa personnalité, de rendre sa légende vraisemblable, et pour ces sortes de plans Ravasco est sacrément doué. Le lecteur qui lira ce livre en ignorant jusqu'au nom de Son House aura l'impression de le rencontrer en chair et en os au coin de sa rue, car le Ravasco il n'écrit pas seulement la vie de Robert Johnson mais il déploie la toile mouvante l'histoire du blues du Delta, dans le désordre hasardeux des rencontres fatidiques, mais cette habileté n'est pas la plus importante. Ravasco entre dans la tête de Robert, depuis son plus jeune âge, il ne le manœuvre pas, il ne lui dicte pas sa conduite, il le laisse agir à sa guise mais avec cette connaissance - cette déférence, cette justesse - de l'âme humaine en action, essayant de se diriger dans un monde hostile en naviguant sur le vide de ses propres ignorances. De ses propres manquements.

Quant au diable rouge de la couverture. Joue un peu le rôle de l'idée de Dieu dans l'existence des croyants. Coupable désigné. Se manifeste uniquement quand la vie est cruelle. L'est mis là pour le lecteur distrait, un peu comme quand vous soulignez un mot dans une lettre pour bien vous faire comprendre de votre correspondant. D'ailleurs Ravasco, vous traite l'entrevue avec sa Seigneurie des Ténèbres comme il se doit. Une parole en l'air. A mieux regarder, il fait plus noir dedans que dehors. Le plus important c'est le phénomène de maturation qui se produit chez Johnson, comment à un moment donné toutes les expériences fragmentaires et fractales qu'il a traversées se rassemblent et lui permettent de prendre conscience de qui il est. Ou plus exactement de ce qu'il est. Car il arrive un moment où ce qui importe ce n'est pas l'être un et indivisible que l'on est qui prime, mais la chose que l'on devient pour les autres.

Dernier coup de maître ravascageur, une chronologie annuelle de la vie de notre héros. Une ligne – quand il y a lieu – pour désigner un épisode connu de sa bio. Et sept ou huit autres sur les grands évènements historiaux qui se sont déroulés sur la surface de notre planète. Christian Ravasco nous avertit, l'on est bien peu de chose, même si l'on s'appelle Robert Johnson !

De tous les portraits que j'ai lus de Robert Johnson, c'est le plus beau. Celui qui semble coller le plus à l'incertitude du réel.

Damie Chad.

15/04/2020

KR'TNT ! 460 : ROBERT QUINE / MUDHONEY / JARS / THE PESTICIDES / ROLLING STONES / TREVOR FERGUSON / LOVESICK DUO

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 460

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

16 / 04 / 2020

 

ROBERT QUINE / MUDHONEY

JARS / THE PESTICIDES

ROLLING STONES / TREVOR FERGUSON

LOVESICK DUO

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

God save the Quine

 

Richard Hell n’en démord pas : le meilleur, c’est Robert Quine. Après avoir quitté les Television et les Heartbreakers, Hell décide tout reprendre tout à zéro.

Robert Quine et lui bossent tous les deux chez Cinemabilia, un libraire new-yorkais spécialisé dans le cinéma. Au début, Hell trouve Quine ‘pretty demoralized’ et s’aperçoit petit à petit qu’il est demoralized en permanence. Le seul truc qui semble l’intéresser, c’est jouer de la guitare. Vu qu’il a plus de trente ans et qu’il est chauve, Hell pense qu’aucun groupe ne voudrait de lui. Hell ajoute que Quine n’aurait jamais pardonné à Lenny Kaye ses remarques déplacées concernant sa calvitie. Si Hell s’intéresse tant à Quine, c’est pour une raison bien simple : Quine adore le raw rock’n’roll. Il écoute Jimmy Reed, Link Wray, Ike Turner, Fats Domino, les Everly Brothers, Bo Didddley, Richie Valens, Buddy Holly et Little Richard. Très peu de choses post-Beatles, excepté le Velvet, les Stooges, Jeff Beck, Roger McGuinn, Hendrix, Roy Buchanan et Harvey Mandel. Il adore aussi le premier album des 13th Floor Elevators, mais contrairement à Hell, il n’aime pas les albums des Ramones et des Pistols. Il s’intéresse de près à James Burton, au jeu de basse de Joe Osborne dans le Wrecking Crew et à celui de John McVie dans Fleetwood Mac, ou encore au style de Grant Green. Autre point commun avec Hell : la littérature. Quine adore Burroughs et Nabokov. Il possède des éditions originales, ce qui impressionne durablement Hell. Quine adore aussi les films de Samuel Fuller, de Hugo Haas et The Three Stooges. Hell ajoute que Quine marche comme un personnage de Robert Crumb, les épaules voûtées et le regard inquiet. Il porte en plus des lunettes noires d’opticien. «Il arborait un visage rond et anonyme qui le vieillissait. Il voulait passer inaperçu. Je l’ai interrogé une fois à ce sujet, en lui demandant s’il possédait une voiture et quand il a dit oui, je lui répondu qu’elle devait être marron ou grise. ‘Elle est marron !’» Avec l’aide de Quine, Hell monte les Voidoids. Ils recrutent Ivan Julian et le batteur Marc Bell qui ira ensuite rejoindre les Ramones. Comme les Voidoids deviennent la nouvelle coqueluche du CBGB, Sire les signe. Mais dès le début de la relation avec le record business, ça coince. Hell ne peut pas les supporter, ni Seymour Stein ni Gottehrer - The record business notoriously is one of the sleaziest there is - Hell cite même un auteur, Frederic Dannem, qui, après enquête, dit du record business qu’il est le moins éthique de tous. Mais bon, ils enregistrent un premier album en 1977.

Et là on entre dans le vif du sujet. Hell n’y va pas par quatre chemins : «I think Quine was the best rock and roll guitar soloist ever.» Selon, Hell, Quine mixe l’art et l’émotion comme nul autre au monde. Hell se désole aussi ne n’avoir enregistré que deux albums avec Quine. Il ajoute que les solistes intéressants ne courent pas les rues. Hell cite les noms de Mickey Baker, James Burton, Grady Martin, Link Wray, Jeff Beck, Jimi Hendrix, Lou Reed, ‘peut-être’ Jimmy Page, ‘peut-être’ Chuck Berry, ‘peut-être’ Tom Verlaine et Richard Thompson, par contre, il considère que Keith Richards et Pete Townshend sont des guitaristes rythmiques. Mais il précise que personne n’a su mixer le feeling et la créativité aussi bien que Quine. Pour Hell, le style de Quine relève du génie - Quine is the gap between skillful creative brillance and genius. Quine was a genius guitar player - En plus Quine adore la noise et bousculer les conventions. Pour Hell, Quine est le grand guitariste antisocial. Par la profondeur de son feeling, Quine se rapproche toujours selon Hell de Miles Davis et de Charlie Parker. Plus loin, Hell en rajoute une couche en expliquant que les enregistrements des Voidoids ‘se mettent vraiment à vivre quand Quine part en solo’. Il ne croit pas si bien dire, il suffit d’écouter le premier album de Richard Hell & The Voidoids, Blank Generation, paru en 1977, pour en avoir le cœur net. On entend clairement Quine partir à l’aventure dans «Love Comes In Spurts». C’est tout l’intérêt du Spurt. La godille de Quine. Le Quine dans le jeu de quilles. Le Quine qui couine à rebrousse poil. Et ça en dit long sur le génie d’Hell qui a compris ça à l’époque. Quine rebat la campagne dans «Liars» - Oh oh oh oh - Sacrée mélasse d’énergie considérable, Hell chante à outrance, pas de voix, rien que de l’outrance. Quine et lui font bien la paire. Quine rentre partout les deux doigts dans le nez. Le solo qu’il prend dans «Betrayal Takes Two» restera un modèle du genre jusqu’à la fin des temps. Les Voidoids sortent un son extrêmement osé, anti-commercial au possible, qui n’a aucune chance de plaire. Non seulement ils précèdent le post-punk d’une bonne année, mais ils l’inventent. Tout reste échevelé, pour ne pas dire tiré par les cheveux. Le «Blank Generation» qui ouvre le bal de la B vaut pour un classique entre les classiques. Hell incarne si parfaitement son concept de blankitude qu’on s’en effare. Quine part en solo de quinconce et va même le claquer aux accords de discorde et les Voidoids rajoutent dans la soupe les chœurs des Dolls ! Très spectaculaire ! Quine tord le cou de «Walk On The Water» avec l’un de ces solos de dépenaille dont il a le secret. Aw baby Aw, comme dit Hell dans «Another World». Quine fait le show avec son funk mutant.

Cinq ans plus tard, Hell et Quine remontent les Voidoids pour enregistrer un deuxième album, Destiny Street. Hell le trouve nettement supérieur au premier. «The Kid With The Replaceable Head» et «You Gotta Move» brouillent un peu les pistes, surtout le Move monté sur un riff catastrophiquement déclassé. Les choses se corsent avec «Lowest Common Denominator», bien défilé à la parade. Quine fait ses ravages et explose le cut en plein ciel. Il mène aussi le bal dans «Downtown At Dawn». Ça reste un bonheur que de l’entendre jouer. Il sort de sa cage et fuit vers des ailleurs. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio d’«I Can Only Give You Everything». Hell y croise la violence du rock anglais avec celle du New York Sound, il saute en l’air, il chante faux et c’est excellent. Tout l’esprit est là. Superbe surenchère avec un Quine dans l’ombre. Hell fait tituber ses syllabes, and I try and I try. Puis on le voit ignorer la porte dans «Ignore That Door», mais il le fait à coups de chœurs de Dolls, bien aidé par ce démon de Quine. Ils terminent avec le morceau titre que Quine prend en mode funky. Hell rappe dans le gras. Pendant qu’Hell rappe, Quine rôde.

Quine fera surface dans Dim Stars puis il avant de mourir d’une overdose d’hero, il va enregistrer quelques albums solo.

En 1981 paraît un album contributif intitulé Escape. Quine s’y acoquine avec Jody Harris. Ils développent tranquillement une belle ambiance d’electro-beat urbain. Quine surjoue son funk spectral sur fond d’electro sourde comme un pot. Un truc comme «Flagpole» finit par l’emporter, tellement c’est visité par les esprits. Avec Quine, il faut toujours laisser du temps au temps. Son cling-along se joue de l’electro-beat, disons plutôt qu’il l’étreint comme Jarry étreint Ubu, viens là gros lard que je te serre dans mes bras. Étrange spectacle : quelque part dans l’air du temps, l’espiègle finesse d’une guitare ouvertement funkoïde danse avec un gros beat electro mal embouché. Puis on voit Quine travailler en surface l’épais beat electro de «Don’t Throw That Knife». Il semble diffuser une dentelle de désinvolture sonique, comme s’il laissait traîner ses notes. Très Can dans l’esprit. Quine survole Babaluma. C’est en B que se joue véritablement le destin de l’album, notamment avec ce «Termites Of 1938» monté sur un beat tribal assez violent. Quine y voyage avec une allégresse contagieuse. Comme ce beat est beau, il dresse fièrement la tête, il semble venir de la nuit des temps, si sourd et si menaçant. Et puis voilà la coup de Jarnac : «Pardon My Clutch». Quine joue le rock’n’roll du futur, sur fond de belle propulsion electro. Il joue la clairvoyance au clair de lune et se fond dans le beat comme une ombre dans la nuit. Quel admirable exercice collectiviste ! Ils mêlent bien ces baves que sont le clair de Quine et l’electro-beat de Jody Harris. Quine semble réinventer le rock’n’roll en jouant une dérive de surface. C’est une pure merveille de New York Sound. Son cœur bat fort. Ainsi va la Quine à l’eau qu’à la fin elle s’embrase. Quine nous fait tout bonnement du Can new-yorkais.

Puis il s’acoquine avec Fred Maher pour enregistrer Basic en 1985. Ce qui frappe le plus dans la démarche de Quine, c’est l’étrangeté des idées de son. On pourrait même parler de brillante étrangeté. Il sort le Grand Jeu avec «Bluffer», sur fond de background obsédant à la Can. Quine choisit cette fois de vitupérer. Comme le back-beat reste bien hypno, «Bluffer» passe comme une lettre à la poste. On retrouve plus loin un «Summer Storm» très Babaluma. En B, Quine va se fourvoyer dans des ambiances protéiformes, notamment celle d’un «Bandage Bait» bien travaillé au groove urbain volontariste et consommé. Quine gratte ses grooves aux accords impromptus, il vise l’épisodique impitoyable. Il revient au big guitar sound avec «Despair» et redevient le temps d’un cut the guitar slinger extraordinaire. Il faut le voir tirer ses notes à la vitesse d’un char à bœufs.

L’équipe Robert Quine/Ikue Mori/Marc Robot enregistre le bien nommé Painted Desert en 1995. Avec «Mojave», on y est. En plein cœur du désert. Pas besoin de téter une fiole, ils sont spaced out d’eux-mêmes. T’as voulu voir le cul de la reine et t’as vu la raie du Quine, c’est bien plus intéressant. Quine joue au doux d’accords de réverb et il faut l’écouter soigneusement, car on ne croise pas souvent des mecs de son niveau. On entend un tabla derrière lui. Une fois encore, il sort le Grand Jeu du son tempéré. Avec «Medecine Man», ils tapent dans un bruitisme archaïque. Quine rôde dans le son d’une manière très équivoque. Puis on le voit chevaucher en tête de «Desperado». Comme s’il était décidé à en imposer. Quine est le Sade du rock, il entraîne ses amis dans les vices de la vertu. Avec «El Dorado», ils explorent la Vallée de la Mort. Tout est acquis d’avance sur cet album, surtout la violence du «Gundown». Quine veut en découdre, alors il en découd. À sa place, on ferait tous la même chose.

Signé : Cazengler, Robert Gouine

Richard Hell & The Voidoids. Blank Generation. Sire 1977

Richard Hell & The Voidoids. Destiny Street. Red Star Records 1982

Robert Quine/Jody Harris. Escape. Infedility 1981

Robert Quine/Fred Maher. Basic. Editions EG 1985

Robert Quine/Ikue Mori/Marc Robot. Painted Desert. Avant 1995

Richard Hell. I Dreamed I Was A Very Clean Tramp. Harper Collins Publishers 2013

 

Just like Mudhoney

 

Tout le monde a connu ça : on erre comme une âme en peine dans la cave d’un disquaire parisien et soudain un cut qui passe sur la sono du magasin fait dresser l’oreille. Plop ! Le vendeur pose toujours la pochette en évidence sur son guichet pour qu’on puisse choper l’info. Quand le disk est bon, c’est vendu d’avance. Surtout quand le chanteur sonne comme Iggy. Même genre d’arrogance et de bouteille, même timbre chaud et autoritaire, mais ce n’est pas exactement Iggy. Alors pour mettre fin à la devinette, on se rapproche pour voir la pochette.

Vanishing Point, le nouvel album de Mudhoney !

Incroyable. Qui l’eut cru ? Quel retour en force !

Écoute de l’album aussitôt le retour au bercail. Blasting all over ! Ça barde pour les matricules dès le premier cut. Steve Turner arrose «Slipping Away» d’une dégelée royale de guitare liquide. Immédiate effarance de l’excellence. Mark Arm touille son brasier à la fourche, et ce n’est pas un petit brasier. On est là dans le gras du rock à guitares, dans le glissant du slinging, dans l’über-shoot de wah et l’extrême pertinence du blues-rock. Et c’est avec le second cut qu’arrive le simili Iggy. «I Like It Small» sonne vraiment comme un morceau des Stooges, avec en plus l’aspect sexué du signifiant. Petite chatte. L’Arm refait son Iggy dans «What To Do With The Neutral». Ça renvoie directement au fameux «Bored» d’un Ig qui croonait jadis son chairman of the bored. Quelle fantastique ambiance ! Et ça devient encore plus stoogy avec une chanson de pinard, «Chardonnay». L’Arm bouscule ça dans les orties, c’est sacrément endiablé et énervé au possible. Quel ramalama, les amis ! En B se nichent deux horreurs tentaculaires : «I Don’t Remember You» (pur garage stoogy) et «The Only Son Of The Widow From Main», une fantastique parade d’accords distordus. Et du coup, on se retrouve avec un nouveau classique de heavy duty américain sur les bras.

Mudhoney ? Ça remonte au temps de Nirvana et de la scène de Seattle, mais Mark Arm et ses collègues n’avaient pas le panache composital de Nirvana. On écoutait leurs albums consciencieusement, mais il était difficile d’en garder des souvenirs précis, ce qui est en général assez mauvais signe.

En concert, ils continuent de jouer le fameux «Touch Me I’m Sick» qui les rendit célèbres et qui figure sur la compile Superfuzz Bigmuff Plus Early Singles. C’est un peu l’emblème du fuzz-scuzz de Seattle, une belle leçon de fuzzillade et de riffage trépigné - C’mon ! - Ils poussent en prime de jolis appels à l’insurrection. Mais le reste vieillit mal. Sur les autres morceaux, il leur arrivait de hurler comme des bouchers ivres de mauvais vin et ce n’était pas beau à voir. Il fallait attendre «Need» pour trouver un brin de heavyness, mais à l’époque, l’Arm chantait assez mal. Cette compile n’était en fait qu’une sombre collection d’erreurs de jeunesse.

Leur premier album sort en 1989 et s’appelle tout bêtement Mudhoney. Il présente tous les défauts de l’époque : des compos aléatoires qui ne savent pas dans quelle direction avancer et un côté foutoir qui semble imposé par le hasard. Le cœur battant de cet album trouve en B : il s’agit du fatidique «Dead Love», une stoogerie montée sur le meilleur riff ashtonien qui soit ici bas. Oh, on trouve aussi deux ou trois bonnes rasades grungy-grunjo comme «This Gift», un cut vaillamment bardé de guitares congestionnées et surtout «Here Comes Sickness» qui ouvre le bal de la B. On sent une nouvelle volonté de stooger mais l’Arm hurle comme un dératé et perd le fil. Le groupe joue son va-tout en épaississant le son à outrance et ça vire au fulminant. L’Arm adore plonger dans un cratère de volcan. C’est plus fort que lui. Il préfère les volcans aux piscines. On retrouve Steve Turner et son riffing tenace dans «Running Loaded», un cut bien lancinant qui prend des airs plaintifs, histoire de montrer qu’il n’est pas heureux dans sa vie de cut.

Lors d’un voyage à Londres en 1991, Every Good Boy Deserves Fudge fut à peu près le seul disque potable trouvé dans une grande surface d’Oxford Street. Ce petit grungy-grunjo des années de vaches maigres n’allait d’ailleurs pas laisser de souvenirs impérissables. Dans ce foisonnement ridicule, rien n’accrochait. Seuls «Who You Drivin’ Now» et «Fuzz Gun» renouaient avec le fuzz-scuzz. Avec son air de ne toucher à rien, Steve Turner remuait pas mal d’air. On notait pour essayer de s’en souvenir que le hit de l’album s’appelait «Don’t Fade VI», et puis on rangeait ce pauvre Fudge sur l’étagère avant de passer à autre chose.

Piece Of Cake parut l’année suivante et malgré la pochette ratée (comme celle d’Every Good Boy, d’ailleurs), on fit l’emplette. Et quelle emplette ! Ce Cake infernalement bon arrivait au moment où on n’y croyait plus. La fête commençait avec «No End In Sight», un shoot de grungy-grunjo solide, bien gonflé au riff de basse et monté sur le beat Pacific NorthWest. Matt Lunkin bassmatiquait comme une brute. Steve Turner démarrait ensuite «Make It Now» en mode psycho-psyché. Comme Leigh Stephens, il s’enfermait dans une carapace de larsen retardataire. Il visait l’ambivalence inter-galactique. Plus loin, ils fuzzaient «Suck You Dry» jusqu’à l’os. Steve Turner jouait comme un diable. Il se dressait au carrefour de toutes les confluences. Le carnage se poursuivait avec «Blinding Sun». Ils semblaient réinventer le psyché californien. On voyait ce groupe taper dans des registres différents et richissimes. Ils allaient psychetter dans les champs de tournesols. Steve Turner faisait tout le boulot. On les retrouvait englués dans l’heavy-psyché de «Thirteen Floor Opening», nouvelle exaction complètement barrée à la Barrett et grattée au sang. On tombait plus loin sur une vraie bombe avec «I’m Spun» et l’Arm prenait les armes. Il cédait à la violence et il en devenait admirable. Et ça continuait avec un «Take Me There» riffé en mode Pacific Northwest. Il fallait les entendre hurler dans le néant et s’immoler sur le pal de leur ambition démesurée. Steve Turner se prenait encore une fois pour Leigh Stephens avec «Living Wreck». Pur jus de Blue Cheer. À force de montées de fièvre, ces mecs finissaient par saigner leur cut à blanc.

Nouvel épisode remarquable avec My Brother The Cow paru en 1995. Ces fringants blasters ouvrent le bal avec «Judgment Rage Retribution and Thyme», un garage délinquant d’une grande violence et monté sur un riff de malade mental. Ça donne le garage de ces temps modernes qui vont si mal. Idéal pour ceux qui cultivent le mal être. Mark Arm refait son Iggy dans «Generation Spokesmodel» et se livre au même genre d’abandon. Et en prime, Steve Turner nous lâche l’un de ces solos bien gluants dont il a le secret. Oh bien sûr, on trouve ici quelques cuts plus faibles, mais ils se laissent écouter. Retour au rock d’envolée retenue avec «Today Is Good Day». Dan Peters bat ça sec et Steve Turner n’en finit plus de cultiver son goût pour la déviance solotique. Avec ça, ils frisent le Nirvana. Nouvelle horreur avec «Into The Shtik» - C’mon down - L’Arm parle d’un asshole et les chœurs lui répondent Just like you. Le cut se veut délicieusement rampant, grossier et bardé de chœurs d’antho à Toto. Nous voilà en plein Pacific Northwest. Et puis ça part en final d’apocalypse. Ils poussent le bouchon très loin - Kiss my ass - Final dément, L’Arm what the hell embarque son cut au firmament - Fuck you ! - En B se nichent deux ou trois autres gros monstres poilus, à commencer par «Orange Ball-Peen Hammer», une heavy bouillasse de grunge. Excellent car inspiré par les trous de nez. Ces mecs sont très forts. Ils font les bons albums qu’Iggy ne fait plus. Ils dépotent ensuite «Execution Style». L’Arm hurle dans la ville en flammes. Pur jus de garage détraqué. L’Arm peut fondre l’atome du rock en le serrant dans son poing pendant que ce psychopathe de Steve Turner étrangle son solo à la wah. Cette bande de dingues continue avec «Dissolve», une nouvelle fournaise viscérale. Leur gros psyché s’ébranle en cours de gadouillage. L’Arm hurle comme un condamné qu’on emmure vivant. Et ils bouclent cette sombre affaire avec un «1995» qui sonne comme le meilleur garage du monde, celui qui titille la glande et qui préside au bouleversement de tous les sens. Voilà encore une pure dégelée de heavyness lavée à la morve de guitare. Terrible ! Irrévocable. Insécurisant et complètement galvanique.

C’est Jim Dickinson qui produit Tomorrow Hit Today en 1998. Ils attaquent avec une belle heavyness de Tombstone, «A Thousand Forms Of Mind», vrillée par un killer solo. Admirable, beaucoup trop admirable. Au fil des albums, Mark Arm est devenu un excellent chanteur. Ils virent bluesy dans l’esprit de sel avec «Try To Be Kind». Ce vieux gimmick de bues et les fantastiques progressions d’accords ont dû beaucoup plaire à Dickinson - Cry me a river - Il régnait sur le Tennessee se soir-là une fantastique ambiance crépusculaire - Try try try - Et l’Arm partait en sucette comme Question Mark. «Real Low Vive» marquait le retour à la heavyness, géré une fois encore par ce diable de Steve Turner. Il suivait le cut à la trace comme un chasseur Séminole. Et soudain, la fuzz explosait. Mudhoney fascinait et pavait l’enfer de bonnes intentions. Encore une pure merveille : «Night Of The Hunted». Hit seigneurial doté du big heavy sound, bardé de dynamiques extraordinaires et dans un spasme ultime, l’Arm jetait son cut au ciel. On restait dans la pure heavyness avec «Move With The Wind» que l’Arm chantait à la manière d’Iggy. Ils tapaient ensuite une reprise des Cheater Slicks, «Ghost» et ça sonnait comme le «Death Party» du Gun Club. Pas moins. Pur génie stompique d’un groupe au dessus de tout soupçon. Steve Turner y glougloutait. Avec Dickinson aux manettes, tu imagines le tableau ! Il n’existe pas d’autre réalisme que celui du son. Ils bouclaient cet album superbe avec un nouvel assaut, «Beneath The Valley Of The Underdog». Ils vont là dans la pire heavyness qu’il soit permis d’imaginer, celle du psychout des origines du monde. Ils nous précipitent dans un puits sans fond.

S’ensuit Since We’ve Become Translucent, un album nettement moins bon. Avec «The Straight Life», ils tapaient dans du garage privé d’ambition. On se posait alors la question : «Mais à quoi sert Mudhoney ?» On avait la réponse avec «When The Flavor Is» qui sonnait comme un classique des Stooges. Mark Arm adore tellement les Stooges qu’il réussit à sonner comme Iggy. Mais on se souvient aussi que Mudhoney est parfaitement capable de sortir des albums inutiles et celui-ci en est un, même si «Inside Job» somme comme «Lust For Life». Il est bien certain que l’Arm aime Iggy d’amour pur.

Ils redressent un peu le cap en 2006 avec Under A Billion Sun et démarrent avec un heavy doom chargé d’angoisse, «Where Is The Future» - I was born on an Air Force base/ Nineteen sixty-two - Et Steve Turner explose - splaaaaassh - I’m sick to death of this one - L’Arm parle bien sûr du futur qu’on lui propose. Non, il n’en veut pas. Il faut attendre «Hard On War» pour revibrer. Ils sonnent carrément comme Monster Magnet. On voit des serpents ramper sous le lit - C’mon little girl - Et Steve Turner prend une fois de plus un solo dément - I’ve become a dirty old man with a hard-on for you - Il reste deux bombes sur ce disque : «In Search Of», que Steve Turner sauve à coups de psychout psychomoteur, et «Blindspots», musclé à outrance. Steve Turner se déchaîne, il riffe comme Jean Gabin aux manettes de sa loco. Il emmène tout à la force du poignet. C’est bardé de gros paquets d’accords américains - Senselessness is the best defense !

Quand on écoute The Lucky Ones, on en déduit que ces surdoués privés de look sont devenus des aventuriers du garage. On trouve trois bombes sur The Lucky Ones, dont deux stoogeries efflanquées : le morceau titre et «Next Time». «The Lucky Ones» brûle autant que le magma des Stooges. Ils recyclent le riff de «No Fun». Steve Turner torture sa distorse. Leur plan, c’est de tout brûler, alors ils brûlent tout. Même chose avec «Next Time». L’Arm se prélasse dans la mélasse. Il tire ses syllabes à l’infini - Next tiiiiiime aïe aïe ya ya ya - Il est complètement stoogé du ciboulot. Ils font rôtir leur cut en enfer et Steve Tuner vomit son magma sanglant. Voilà ce qu’il faut bien appeler un bel hommage. Et c’est Guy Maddison, le bassmaster, qui fait tout le travail. L’autre gros cut de l’album est l’«I’m Now» d’ouverture de bal. Guy Maddison mène le bal au bassmatic. Ses notes tombent en cascade dans les breaks. Spectacle hallucinant. Clap-hands au centre et basse ultra-ronde. On sent un net retour au radicalisme. Ils investissent dans la viande. Encore une belle pièce avec «The One Mind» - the O Mind comme dirait Iggy - avec une intro de basse. Steve Turner y prend un solo au vitriol. Sa note guette comme un prédateur. Ils terminent cet album solide avec «New Meaning», en cavalant à travers la plaine en feu. Des riffs miraculeusement infernaux font le gros du boulot et Dan Peters bat comme un démon.

Curieusement, c’est dans les side-projects que Mark Arm semblait donner sa pleine mesure. Il rendit hommage aux Sonics en montant les New Strychnines et en enregistrant un album de reprises qui a le même son et la même énergie que les albums classiques des Sonics. Il fit aussi partie avec Dan Peters et Steve Turner de Monkeywrench, un super-groupe monté par Tim Kerr dans les années 90. À la limite, les albums de Monkeywrench sont bien plus intéressants que les premiers albums de Mudhoney. Mais là où Mark Arm épata vraiment la galerie, ce fut en montant sur scène avec les trois rescapés du MC5, rebaptisés DTK MC5 (Davies/Thompson/Kramer). L’Arm remplaçait tout simplement Rob Tyner et il s’en sortait avec les honneurs.

Voilà donc le vrai talent de Mark Arm : il peut à la fois sonner comme Gerry Roslie, Iggy ou Rob Tyner, c’est à dire trois des plus grands chanteurs de rock. Et c’est la raison pour laquelle il faut aller le voir, lorsqu’il passe dans le coin.

Mudhoney arrive enfin en Normandie. Mark Arm et ses amis ne gaspillent pas leur fric en tenues de scène. Ils sont à la ville comme à la scène, ils portent des jeans aux couleurs improbables et des T-shirts dont ne voudraient même pas les clochards du foyer. Mais côté mise en place, rien à redire. Mudhoney, c’est le quatuor de surdoués américains parfait, bien rôdé. Avec ses cheveux courts, Mark Arm a l’air d’un collégien, mais il chante comme un dieu et screame comme un démon. Il imite Iggy quand ça lui chante. Ce mec à la glotte en feu. Dan Peters bat le beurre depuis 1988, année de formation du groupe, et Steve Turner continue de bricoler sur sa petite demi-caisse rouge. Avec sa barbe, ses lunettes, son air de sainte-nitouche et son look d’étudiant en psycho-socio, on lui donnerait presque le bon dieu sans confession, mais Steve Turner est un virulent, un mec qui plie les genoux quand il envoie gicler sa morve de distorse. L’autre pointure du groupe, c’est Guy Maddison, le remplaçant Matt Lukin. Il faut le voir jouer de la basse, c’est une féérie à deux pattes. Il joue des huit doigts comme John Entwistle et plaque des accords quand ça lui chante. On voit rarement des bassmen dotés d’une telle vélocité et d’une telle force de frappe. Au fil de ce set magistral, on retrouve les stoogeries du dernier album - «I Like It Small», «What Do You Do With The Neutral», «The Final Course» et «Chardonnay» - l’«I’m Now» tiré de The Lucky Ones, l’«Inside Job» tiré de Translucent, «Beneath The Valley Of The Underdog», tiré de Tomorrow, et bien sûr «Touch Me I’m Sick» que tout le monde attend au virage.

Signé : Cazengler, Madonné (la gerbe)

Mudhoney. Au 106, Rouen (76). 2 mai 2015

Mudhoney. Mudhoney. Sub Pop 1989

Mudhoney. Every Good Boy Deserves Fudge. Sub Pop 1991

Mudhoney. Piece Of Cake. Reprise Records 1992

Mudhoney. My Brother The Cow. Reprise Records 1995

Mudhoney. Tomorrow Hit Today. Reprise Records 1998

Mudhoney. Since We’ve Become Translucent. Sub Pop 2002

Mudhoney. Under A Billion Suns. Sub Pop 2006

Mudhoney. The Lucky Ones. Sub Pop 2008

Mudhoney. Vanishing Point. Sub Pop 2013

Mudhoney. Superfuzz Bigmuff Plus Early Singles. Sub Pop 1990

De gauche à droite sur l’illusse : Steve Turner, Guy Maddison, Mark Arm et Dan Peters.

VILNIUS IV

JARS

( 03 / 04 / 2020 )

 

Enregistré en public à Vilnius ( Lithuanie ) le 28 novembre 2019. Disponible sur Bandcamp.

Pochette : photo : Valery Suslov / artwork : Vova Sedykh

Jars : Anton / Pavel / Alexander

Le 12 novembre 2019, les Jars donnaient un concert à La Comedia, non ce n'est pas tout à fait cela je ne rédige pas une note de service comme un agent du FFS, donc je reprends : les Jars larguaient une bombe atomique sur La Comedia. Repartaient le lendemain vers le grand est, d'ailleurs le 26 ils étaient tout près de chez eux, Moscou la noire, un arrêt à Vilnius pour une prestation sauvage dans la capitale de la Lithuanie patrie du poëte Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz. Ce Vilnius IV est un live tiré de leur set.

L'European Tour des Jars fut éprouvant : Alexander le batteur en fut particulièrement épuisé, c'est un peu de sa faute, vous auriez dû le voir à l'œuvre, je n'ai jamais ouï un travailleur de horrible avec une frappe aussi féroce, nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

Ce 20 mars dernier un post de Jars nous apprend que le nouveau forgeron de Jars se nomme : Mikael Rakaev. Mais c'est bien Alexander que nous entendons sur Vinius IV. Si vous ne savez pas quoi faire de vos vacances, voici un renseignement utile : les Jars sont en concert le 20 août prochain au Power House de Moscou.

Nos connaissances en la langue de Pouchkine étant malheureusement limitées nous n'avons qu'une confiance relative en notre traducteur automatique.

1 : Tribal : de quelle tribu s'agit-il, d'une féroce. Alexander tape comme un forcené, bat le rappel des guerriers dont vous entendez la clameur des guitares, arrêt brusque, l'on n'ouït plus que le bruissement du vent qui murmure dans les feuillages, et l'on repart plus vite, le piétinement lourd s'enhardit, plis sourds, la batterie halète, comme quand l'on attaque une montée, longues plaintes de guitares qui haussent le ton, l'on aborde une désagrégation abstraite du souffle, arrêt brutal, ils ont encerclé l'ennemi, les arbres flambent et le réduiront en cendres, la musique se fait victoire et une dégringolade de battements assomment ceux qui voudraient échapper. Victoire. 2 : Flic : à fond la caisse. Rythmique impitoyable, vous avez l'impression que les guitares lancent des grenades des deux côtés de la barricade. La voix surgit, lance-flamme de haine, qui pousse les guitares dans un tumulte indescriptible, des cris de rage, l'ombre rouge de la destruction enflamme l'oronge suicidaire des cocktails molotov, une orgie sonore gigantesque s'empare du monde. Arrêt brutal, personne ne descend. 3 : Touche noire : que nous comprenons en tant que côté obscur de la force. Doivent avoir des cordes en fil de fer barbelé pour que ça clinque et chuinte aussi déglingué, une voix d'échappé de l'asile qui a quelque compte à régler avec les gardiens. Les tambours d'Alexandre poussent au crime, musique de zombies engendrée par les nuits les plus ténébreuses lorsque les pierres des cimetières se soulèvent parmi les rafales des ouragans. Peut-être n'arriverez-vous pas à écouter le morceau jusqu'au bout. La lâcheté est parfois excusable, mais si vous désirez traverser le rideau de la grande faucheuse continuez. Il ne vous reste plus qu'à tourner en rond dans les marécages de la folie humaine, attention au maelström final dans lequel vous serez englouti. Exploration de vos gouffres intérieurs garantie. 4 : Brûle : courage ce morceau dépasse de six secondes la minute, une ordalie de feu toutefois. Danse bengale et scalp mental. Si vous y êtes rentré vraiment jamais le temps ne vous aura paru aussi long. Ce n'est pas votre corps qui brûle, mais l'âme que vous n'avez jamais eue. 5 : Besoin d'ennemis : une espèce de tourbillon de sable brûlant qui s'arrête aussitôt car l'épreuve ne fait que débuter. Le temps de respirer et de comprendre que l'ennemi attaque toujours par derrière, l'aigle monstrueux vous tombe sur les épaules et vous fend le crâne de son bac inquisiteur. Picore votre cervelle et la voix s'élève, elle vous menace et vous nargue, une douleur bruitiste se propage le long de vos nerfs enflammés. Roulez-vous par terre, emprisonnez-le de vos deux mains et hurlez plus fort que lui, l'on entend les cris des spectateurs qui assistent au combat, vous voici seul contre vous-même, il n'est pas sûr que vous gagnerez, l'instinct de mort vous submerge, les guitares gémissent lorsque vous vous arrachez vos organes un à un, vous vous relevez et vous battez des ailes. Vous avez gagné. Si vous ne vous tuez pas, vous deviendrez plus fort. 6 : Preuve : plus de chant, des aboiements, ça jappe et ça roquette, sont-ce des cris de victoire ou des métamorphoses sauvages, peut-être êtes-vous devenu la férocité du monde animal. Chamanisme tribal. Mais vous quittez la terre, envol final. Tout ceci n'est qu'un conte de fées pour enfants et assassins. Fatidique terminal. 7 : Non : le chant du refus, de ce qui est et de ce qui n'est pas. Trop de colères accumulées, trop de faussetés agglutinées, la musique court après elle-même pour se rattraper, se dépasser, se fuir. Faire de sa vie une imprécation à l'existence, une salutation au soleil noir de la haine, un hymne à la joie de la destruction. Alors et alors seulement on peut vivre et envoyer l'univers valser dans les gouffres noirs du vide intersidéral. Connaissez-vous plaisir plus profond ? 8 : Sabotage : pandémonium général, une vague monumentale qui vient de nulle part sinon de l'appel du néant, un déluge qui emporte le dépotoir sociétal dans les catacombes des décombres amoncelés. Des coups de guitare comme des couvercles sur les marmites du diable, cuisson rapide, œuvre alchimique au rouge sang, récitation des rituels enragés et inopérants, tout y passe et rien n'en ressort, vendangeurs ivres qui écrasent le vieux monde sous leurs pieds transformés en battoirs. Sabotez la vie, sabotez la mort, sabotez le nihilisme. Plus de respect. Plus d'obéissance. Appel à l'innocence des plus grandes sauvageries. La musique roule et monte comme le crépuscule des dieux. Capharnaüm orgiaque. Amoncellements d'orages terrifiants. Fin des illusions.

A ne pas mettre entre toutes les oreilles. Une œuvre. Vous avez le droit de ne pas aimer. De toutes les manières, une fois que vous l'aurez écoutée, il ne vous restera plus grand-chose d'autre. Sinon de rêver à quelque chose de plus grand que vous.

Damie Chad.

THE PESTICIDES

 

Un groupe de rock ne produit pas uniquement de la musique. Sans doute est-ce-là sa première finalité. Encore faut-il se doter d'une image. Nous entendons dans cette chronique ce vocable selon son acception la plus primaire. Un logo pour employer une expression des plus commerciales. Nous lui préférons de beaucoup le terme de totem, cet insigne opératif des légions romaines. Les Stones nous tirent la langue depuis un demi-siècle, nous ne nous en lassons guère, il est vrai qu'ils l'ont au fil des années déclinée sous de multiples formes. The Pesticides se sont formés en septembre 2019, n'en ont pas moins utilisé en quelques mois, trois différentes moutures de leur signe de ralliement.

Une première constatation. On les reconnaît de loin. Vous les avez vus une fois cela suffit. Question de dramaturgie, un guitariste unique et deux filles. Habillées à l'identique. Ce n'est pas un uniforme qui vise à une lointaine ressemblance, pas de tricherie elles sont jumelles. De visu l'une est l'autre, l'autre est l'une. Vu de l'intérieur ce n'est vraisemblablement pas la même identité, ne serait-ce parce qu'elles occupent des portions différentes de l'espace. A la limite, de tous les combos que nous avons rencontrés, c'est celui-ci qui avait le moins besoin d'un gonfanon. Mais ce sont de fines guêpes. Elles ont compris qu'il fallait piquer les yeux.

Nous nous attarderons d'abord sur le motif qui apparaît en premier lorsque vous vous rendez sur leur facebook. Cette espèce de drapeau pirate qui s'inscrit dans le rond de votre lorgnette lorsque vous naviguez sur le net. Pas besoin d'avoir fait de longues études d'héraldique rock 'n' roll pour avoir une idée du profil de la goélette que vous venez de repérer. Les lettres détachées en un savant désordre, et affranchies des règles typographiques élémentaires , les E tournant carrément le dos à l'ordre naturel de la lecture, et puis ces couleurs, rose-cru et jaune-bollocks-pisseux, la référence sex pistolienne saute aux yeux. Si par hasard le ver rongeur du doute vous habite, vous n'avez qu'à regarder la bannière de titre pour en être convaincu. Deux jeunes filles chaudes comme moiteur d'été à l'assaut du Kraken, car parfois les Andromède n'aiment pas être sauvées par un valeureux défenseur de la dignité outragée.

Faute de concerts dans la période actuelle, The Pesticides ont créé une nouvelle bannière. Le rose érotique a disparu, même si le support présente l'aspect un drap de lit froissé, le jaune est avivé, peut-être pour faire resplendir la noirceur de ces deux grands coups de rouleau de peinture, sur laquelle ont été disposées les lames blanches des lettres d'imprimerie noire, les E toujours récalcitrants, mais le reste de l'alphabet davantage civilisé. L'arboreront-elles en vue de nouvelles conquêtes. L'avenir nous le dira.

En attendant abîmons-nous dans la contemplation de leur toute première bannière qui remonte au mois de septembre. Pour le bas de l'image, pas de surprise, nous retrouvons l'étamine rose langue-de-chatte sur laquelle le nom du groupe est tracé en jaune. Le fond de l'affiche est du même or urinaire. Pour le reste c'est l'horreur absolue. Trois cariatides échappées de l'Erechthéion, trois Vénus de Milo démembrées comme il se doit, trois écorchés vifs. Des suppliciés échappés de la table de dissection. Pourquoi, quand comment, aucune explication n'est fournie. Est-ce l'effet que l'écoute du prochain EP six titres des Pesticides aura sur vous, est-ce une dénonciation écologique des méfaits des pesticides agricoles, ou alors une auto-représentation de soi-même, en pantin désarticulé, un regard au-delà de toute chair, au plus profond de l'être dans le dégoût de la carne, malgré les seins d'albâtre des deux premières statues défigurées, à croire que l'on ait voulu décapsuler la beauté du monde en leur arrachant le visage, ce serait donc les deux représentations des jumelles, le troisième étant l'homme craqué ouvert de partout, qui n'est plus rien que l'horreur des organes mis à jour.

Mais une vision plus attentive aux détails nous enjoint de penser que ces horreurs debout ne sont que des mannequins, trois fois le même, des pantins interchangeables, déshabillés, de leur peau pour voir la vérité plus profond que lorsqu'elle s'exhibe en sa nudité déclamatoire. Faut-il prendre cette carte de visite que nous tendent The Pesticides pour nous enjoindre à les regarder du dedans, au-delà de la barrière de leur apparence physique. Nous enjoignent-ils à une expérience métaphysique plus profonde. Sur scène s'agitent-elles telles des sémaphores pour nous avertir des dangers à les écouter, nous refont-elles le coup du chant des sirènes, où s'amusent-ils tous les trois à singer les marionnettes de Kleist.

Regarder une image est un acte quasi-automatique que l'on opère sans réflexion, mais parfois il est bon de s'interroger sur ce qu'elle signifie. Savoir comment elle s'insère dans le spectacle du monde auquel elle nous invite. Les Pesticides distribuent des cartes méchamment biseautées. Et la partie ne fait que commencer. Nous sommes prévenus, nous avons hâte de miser. Le jeu nous réserve bien des surprises.

En attendant nous serons sages comme des images.

Damie Chad.

P. S. : j'étais content, j'avais terminé ma chronique, j'aurais dû me méfier, en règle générale les filles sont de véritables pestes, mais celles-ci pire encore, des pesticides. J'étais content de mes petites élucubrations sur les images, je n'avais pas posé un point final sur mes divagations imaginales depuis deux heures qu'un post m'a annoncé du nouveau. Changement non pas de direction, mais de dimension. The Pesticides sont passées à vitesse supérieure. Fini les images, c'est bon pour les premières communions, désormais l'on quitte la figuration plate pour le volume. Bye-bye la peinture, bonjour la sculpture. Pas in vivo. In morto. Désormais elles ont une mascotte. Un pantin. ( C'est fou comme j'avais visé juste en évoquant Kleist ).Vous aimeriez le voir, c'est impossible. A peine né, déjà mort. Personne ne l'a tué. Il s'est pendu. Pas au premier lampadaire qui passait dans la rue. A la bannière, la numéro 3, celle qui est évoquée en deuxième dans la chro. Je tente de vous décrire l'objet du délit, ou le sujet du délire, un gros poupon – les garçons auraient fabriqué un camion – tout noir, une couleur qui lui a porté malheur, le torse transpercé d'épingle-doubles – fortes tendances auto-mutilatoires dixit Doctor Freud – vous reconnaissez les teintes fétiches des Pesticides, un tau-rose-potence et une croix-cimetière-jaune pour signifier ses yeux, fermés à jamais, n'a même pas eu le temps de terminer sa première cigarette, l'a utilisé une grosse corde de chanvre pour être sûr de ne pas se rater, l'on se croirait en balade dans un poème de François Villon. Désormais vous ne pourrez plus aller à un concert des Pesticides sans ramener un petit Pesticidor à votre filleule. Elle se sentira obligée de le bercer pour l'endormir lui qui dort pour l'éternité : ''Fais dodo mon p'tit Pesticidor, Fais dodo t'auras de l'exterminator''.

Les âmes tendres vont s'émouvoir : Mais pourquoi l'ont-ils tué ?

  • Parce que les pesticides qui laissent vivre leurs victimes ne valent rien !

  • Je ne savais pas que le rock'n'roll c'était si cruel, si vicieux !

  • Pourtant c'est exactement cela, les anglais disent sid vicious !

  • Mais ce n'est pas un jouet pour les enfants !

  • Pas spécialement peut-être, mais formellement interdit aux adultes comme vous !

Damie Chad.

 

ROLLING STONES

POURQUOI JE LES AIME

 

Une vente aux enchères en province. Rien de grandiose. Bien des cartons auraient pu atterrir chez l'Abbé Pierre, peut-être que le commissaire priseur raclait les fonds de tiroir. Bref une énorme caisse de livres pour quinze euros. L'heureux acquéreur demande à un jeune homme, qui était venu en curieux, accompagné de son épouse et d'une fillette, de l'aider à porter le paquet jusques dans le coffre de sa voiture. Pour le remercier le gars lui refile un livre sur les animaux, grand format : J'ai vu que vous avez une petite fille, tenez pour vous remercier, le jeune homme refuse mais la fifille les a rejoints, Papa, prends-le, c'est un livre sur les tigres, je les adore ! L'histoire pourrait s'arrêter-là.

Mais non. A la maison la petite fille feuillette le bouquin. Une photo s'en échappe, pas très belle, un peu floue, petit format, des musiciens avec des guitares électriques. Ce n'est pas des tigres, je n'en veux pas ! Le papa intervient : Ne la jette pas, on la donnera à ton cousin Paul, il aime ce genre de musique. La semaine suivante la photo est refilée à Paul. 'Wouah, un vieux truc, bien sûr que je connais, c'est les Rolling Stones ! Et Paul retourne chez lui, s'en sert comme marque-page pour un livre qu'il n'achèvera jamais, à tel point que quelques années plus tard, il refile le bouquin à sa copine dont les parents tiennent un stand de brocante. C'est leur passion dominicale.

Le lendemain, la copine lui rend Le dictionnaire des idées reçues, personne n'en a voulu, par contre la photo dedans, il y a un mec qui l'a prise, ma mère lui en demandait deux euros, le gars n'a pas pris la monnaie de son billet de dix que maman lui rendait. L'est parti presque en courant, les gens sont un peu mabouls, dix euros pour une photo format carte postale, ratée par dessus le marché. Profitant de l'aubaine nos jeunes gens partent boire un pot...

Le gars n'était pas fou. Je le connais, nous l'appellerons Théodore. L'a déboulé chez moi, deux jours après, n'a même pas pris la peine de frapper. Regarde ! La photo sous les yeux. Ouais, pas très nette, même aux enchères sur internet tu n'en tireras pas dix euros ! M'a regardé avec commisération. Tu peux sortir tes bouquins et tes DVD's sur les Stones, j'allume ton ordi, dépêche-toi, bougre d'idiot. A quatre heures du matin, l'on y était encore. On n'y croyait pas, tout concordait. Mais si ! Mais non ! Il faudrait un grand écran ! Philippe, il en a un super-géant, ses parents sont absents !

On l'a tiré du lit. Je prendrais bien un jus, pas question, on te met au jus. Dix minutes plus tard l'on avait des yeux comme des soucoupes, c'est au matin, vers 11 heures moins dix que l'on a été sûrs, là, pile, stop, recule, avance ! Pas de doute, ça baigne grave disait Théodore. Il ne croyait pas si bien dire. L'on était comme des rois !

On en a discuté pendant deux jours. Un plan d'enfer. Que faire. On envoie à Rock 'n' Folk ? Non, pas à ces blaireaux ! On se charge du binz, tous les trois. Damie, cette nuit tu écris un texte, rendez-vous demain chez toi à quatorze heures pile. Et à quatorze heures une, on plonge, on bazarde tout sur cent sites rock en même temps, plus les quotidiens. La com du siècle, c'est nous.

A quatorze heures, Théodore n'était pas là. A quinze heures non plus. Pas de nouvelle. Son portable restait muet. A quinze heures trente Philippe a téléphoné chez lui. Sa mère était en pleurs, on vient de le découvrir, après le repas il est sorti pour aller chez des copains, il a dû glisser sur le rebord de la piscine, c'est le chien qui n'en finissait pas d'aboyer dans le jardin, on l'a retrouvé noyé à quatorze heures.

Deux jours après l'enterrement, en pleine nuit l'on est retourné au cimetière pour brûler la photo sur sa tombe. Philippe a sorti son briquet, elle a pris feu instantanément dès que la flamme s'en est approchée, en cinq secondes elle n'était plus que cendres, mais sur la photo, les Rolling Stones sur scène à Altamont, le gars au milieu avec son tambourin, m'a souri, sournoisement d'un air complice, Brian Jones.

Damie Chad.

 

SOUS L'AILE DU CORBEAU

TREVOR FERGUSON

( Le Serpent A Plumes / 2015 )

 

Corbeau et serpent, une belle ménagerie totémique, le volatile cher à Edgar Poe, une maison d'édition de qualité, et en prime sur la quatrième de couverture ce rapide résumé de quatre lignes illisibles, car écrasée par l'amarante agressive de l'arrière-fond, ce lambeau de phrase que mon œil obstiné parvient à prélever par miracle '' chef de la tribu des Corbeaux '', par l'esprit de Wakan Tanka, un roman sur la tribu des Crows sur laquelle je cherche des renseignements depuis des années, je prends. J'ai pris, l'ai posé et n'y ai plus pensé jusqu'à hier soir. J'ai dévoré les trois cents pages sans m'arrêter.

C'était une erreur. Pas le moindre guerrier Crow à l'horizon des Grandes Plaines. Non, l'action se déroule quelque part au Canada, sur une île fictive, à quelque centaines de kilomètres de Vancouver, le genre d'endroit où vous n'auriez jamais envie d'aller, il y pleut sans arrêt. A ce désagrément ajoutons qu'au début vous n'y pigez rien. Mais alors rien du tout. C'est le cas de le dire vous ne reconnaissez personne en Trevor Ferguson. Une grande figure du roman américain me dit wikipedia, Sous l'aile du Corbeau est son premier livre. L'en a écrit d'autres, notamment une série de policiers. All right, mais cela ne nous aide guère.

Au bout de quelques chapitres la chose prend l'aspect d'un western, à pieds, à cheval ou en canoë, tous les protagonistes de l'histoire se dirigent vers un coin sauvage quelque part dans la montagne. Il n'y a en qu'un seul qui possède un fusil, mais il est méchant. Les autres sont ce que l'on appelle des anti-héros, l'un qui a tout raté et l'autre qui n'a rien entrepris. L'un boîte de la jambe et l'autre dans sa tête. Oui il y a un chef indien. C'est le plus équilibré. L'a laissé sa tribu sur son île. C'est qu'il essaie de la préserver, de l'isoler de l'homme blanc, un combat dont il se doute qu'il est perdu d'avance. Faut avancer dans le roman pour comprendre l'enjeu. Ne comptez pas sur moi pour vous le révéler. Faut bien une histoire avec un début, un milieu et une fin pour attirer le lecteur.

Ce n'est pas là le plus important. Dès les premières pages vous sentez l'embrouille, c'est un peu comme dans Faulkner, entre Le bruit et la fureur et Les palmiers sauvages. Certes ce n'est pas un idiot qui parle, mais le Ferguson il a l'art et la manière d'éviter les transitions, tantôt vous êtes dans un récit des plus classiques, tantôt dans le monologue intérieur rapporté à la troisième personne d'un des personnages. A vous de vous comprendre lequel exactement. D'une phrase sur l'autre ça peut changer, sans aller à la ligne évidemment. Ou alors l'un d'entre eux prend la parole en disant je sans avertissement. Un truc d'écrivain qui connaît par cœur les codes de la déconstruction d'un récit à la Joyce, soupirerez-vous, un intello qui fait son malin.

Pas du tout. Cette écriture n'est en rien un exercice de style. Elle colle au sujet, elle est dictée par lui, rien à voir avec la pelote de laine que vous emmêlez à plaisir pour déboussoler le lecteur et faire durer le suspense. Tu veux savoir la fin, coco, lis jusqu'au bout. Artifice commercial et rien de plus. Vous êtes pressé alors je vais vous révéler le sujet du bouquin en quelques phrases. Pas de chance, il y en a deux. Le premier qui a motivé le succès du livre, je vous le décline de deux manières. D'abord la grosse tarte à la crème baveuse, moussante et mousseuse : la préservation de la nature, la critique de notre civilisation, plus écologique que cela tu meurs. Que voulez-vous il faut bien attirer les mouches avec de la confiture à bas prix. Ce qu'il y a de bien, c'est que Ferguson ne s'attarde point à cette œuvre pieuse, c'est surtout le lecteur primaire qui se satisfera de cette lecture de surface. Ensuite l'on passe dans du plus subtil, certes vous pouvez vous glorifier du résultat de la première analyse qui prouve la faible pertinence de votre pensée. Mais les choses sont plus complexes. Votre pensée n'est que le fil d'une trame, constituée de la pensée des autres et aussi de cette présence du monde autour de vous, une espèce d'animisme collectif qui fait que la pensée individuelle n'a que peu de valeur si l'on ne la met pas en relation avec cette sphère spirituelle qui se dégage de la nature et de tous les artefacts humains. Objets inanimés avez-vous donc une âme s'écriait Lamartine, là n'est pas vraiment le problème répond Ferguson , l'important c'est de saisir les corrélations entre vous, les autres et le monde, celles qui se font et celles qui ne se font pas, et malheureusement ces dernières sont les plus fréquentes...

Il y a plus profond. Sous l'aile du Corbeau raconte une terrible histoire. De sang et de sexe. Quand vous arrivez à la fin, si vous êtes un joyeux optimiste vous concluez par un tout est bien qui finit bien, si vous êtes un pessimiste invétéré vous déclarerez tout est mal qui finit mal. Dans les deux cas vous avez tort. Ni mal, ni bien, ne finissent jamais, le sujet de ce livre n'est autre que la persistance des choses mortes, ou détruites ou passées. Quelque chose subsiste toujours. Tout acte survit dans son propre oubli comme dans sa propre survivance. Vous pouvez en être conscient, vous pouvez vous en détourner, vous pouvez en être ignorant, cela n'enlève ou ne retranche rien à la complexité du monde. Peut-être en conclurez-vous à la nécessité de l'équivoque d'une pensée analogique, mais cela ne regarde que vos propres conclusions. Sous l'aile du corbeau est à lire comme un roman de pensée métaphysique, si ces termes vous effraient dites-vous que Trevor Ferguson a tenté de traduire par sa manière d'écrire un essai transcriptif des modalités de ce que les ethnologues de salon désignent sous l'appellation fourre-tout de '' pensée indienne''.

Le titre anglais original est : High Water Chants. Le roman est traversée en effet par une rivière torrentueuse qui descend des montagnes. Je me plais à y voir la chute sans fin et dans le vide des atomes de Démocrite. Etrange, ou hasardeuse corrélation, Ivan Steehout n'a t-il pas traduit un livre de James P Campbell intitulé La poursuite de l'Être.

Damie Chad.

LOVESICK DUO

 

Je ne les cherchais pas. J'ignorais qu'ils existaient. C'est en trifouillant sur le net sur un tout autre sujet, qu'une photo m'a sauté aux yeux. Des horreurs absolues. Des mongolitos arriérés. Le garçon et la fille. J'ai voulu en savoir plus. Un cas d'espèce. J'ai cliqué dessus et je suis tombé sur la légende Lovesick Duo, je savais depuis le Lovesick Blues d'Hank Williams que l'amour rend malade, mais enfin, il y a des limites. De pauvres bêtes bonnes à abattre. Bon mais il y avait le mot duo, alors j'ai cliqué dessus et me suis retrouvé sur leur F. B. Je vous rassure tout de suite, des jeunes gens beaux comme des sous neufs, mais z'aiment bien se prendre en contre-plongée avec une application qui vous grossit la tête.

Sont italiens. Des voisins, des cousins. Suis tombé sur l'épisode vingt-quatre, tiens me suis-je dit, font comme tous les groupes confinés de par chez nous, tous les jours ils enregistrent en direct un titre, un trait-d'union sonore et amical pour resserrer les rangs contre le Corona-virus. Apparemment non parce que '' ognedi lunedie'' en langue de Dante signifie chaque lundi, j'ai imaginé le pire, confinés depuis vingt-cinq semaines, notre avenir à tous. Pas grave, une fois que l'on sera mort, il restera toujours le rock'n'roll. Puis je me suis aperçu qu'ils faisaient cela aussi le friday et le wednesday...

En regardant la photo de tête j'ai immédiatement écarté le pire, le parfait duo de canziones della amore de la ringarda tradiziona italiana, un super indice m'a permis de comprendre que le hasard m'avait en fait emmené du bon côté de la musique que j'aime. M'a suffi de regarder la robe de Francesca Alinovi. Pas la sienne, je ne déshabille pas les filles des yeux, moi je suis bien élevé, celle de sa contrebasse. Ramages country. Pas d'erreur possible, avec son chapeau de cowgirl de bonne famille pionnière et ses cheveux longs qui pendent, elle semble sortir tout droit d'un western. J'ai lancé au hasard une vidéo, elle ne faisait pas grand-chose, tournée de biais, absorbée dans un tripotage de je ne sais quoi, de la sono peut-être. A ses côtés Paolo Roberto Pianezza essayait d'imiter le gars qui se donne une contenance. Mais non, elle ne s'occupait pas de lui. Il a effleuré les cordes de sa guitare, un bling, juste pour dire que la séance avait commencé, que ça allait commencer bientôt, incessamment sous peu, l'aurait pu lui adresser la parole en japonais, elle était manifestement obnubilée par ailleurs, alors faute de mieux il s'est mis au turbin tout seul. L'a caressé le manche de son acoustique et miraculeusement elle s'est mise à miauler like a cat on a tin heat roof, on a tin hit roof, vous a écorché le matou durant cinq minutes, un slide de toute beauté, un bottleneck de première classe, une merveille, du feeling et du toucher.

Après cet instrumental introductif Francesca a consenti à se servir de sa contrebasse. Z'au début, j'ai cru que le son avait baissé d'un cran, mais non la fine mouche touchait les cordes mais ne jouait pas – parfois les filles sont effrontées – le Paolo au boulot todo solo, au bout de trente secondes elle s'est mise à swinguer, pas un truc à la mord-moi le noeud-jazzeux, non, comme il faut, ce bruissement de bourdon dans les bourgeons des rhododendrons, et puis crac ! le Paolo a cassé l'ambiance. Ce n'est pas de sa faute. Ce n'est pas qu'il chante mal, c'est qu'il est italien, et comme tout italien qui se respecte il s'est mis à chanter en... italien, faut deux minutes pour s'habituer, le western swing des Appalaches à la mode ritale, c'est un peu trop al dente, mais on s'y fait et il faut reconnaître qu'ils se débrouillent bien, de toutes les manières pour le troisième morceau ils ont utilisé l'anglais... si vous voulez savoir la suite, allez-y voir par vous-mêmes, sont doués et sympathiques, de ce que j'ai vu ils triturent les racines jusqu'à Chuck Berry.

Damie Chad.

08/04/2020

KR'TNT ! 459 : ROKY ERICKSON + FRIENDS / THE SPRITES / SAINT JAMES INFIRMARY / ROCK ' N 'DANCE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 459

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

09 / 04 / 2020

 

 

HANNI EL KHATIB / ROKY ERICKSON + FRIENDS

THE SPRITES

SAINT JAMES INFIRMARY / ROCK 'N' DANCE

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Qu’as-tu Khatib ?

 

En fait, Hanni El Khatib va très bien. Il faudrait plutôt poser la question à deux de ses sidemen qui ont l’air drôlement bizarres. Le bassiste et le guitariste rythmique ont des têtes de gosses renfermés. Ils semblent atteints de l’autisme du Midwest, le plus incurable du monde. Ces deux-là fixent le sol en permanence et tentent de coincer derrière leurs oreilles de grands cheveux raides qu’on suspecte de n’être pas très soignés. Ils parachèvent le spectacle de leur désolation avec des mines fermées à double tour et d’innommables vêtements. On dirait même qu’ils font tout pour que ça aille encore plus mal. On irait presque leur demander : «Comment peut-on vous aider ?». On sait à l’avance qu’ils ne répondront pas. Pourtant ces gens-là viennent de Californie, mais les deux loustics en question se situent aux antipodes du look des golden boys des plages de surf. Ils semblent même avoir des têtes à craindre le soleil, comme certains châtelains des montagnes de Transylvanie.

Étant donné qu’un petit buzz remue l’air autour d’Hanni El Khatib et que son premier album se défend plutôt bien face à deux tympans ruinés par quelques décennies de tambourinage, on est allé le voir jouer sur scène. Comme dit le maquignon, c’est là qu’on jauge la bête. Si en plus elle rue et tire la langue, alors c’est bon signe.

En fin limier, Hanni El Khatib a tapé dans le mille. Il est passé en deux temps trois mouvement du statut d’inconnu d’origine vaguement palestinienne au statut plus enviable de petite star du garage californien. En tous les cas, on ne peut pas lui reprocher de jouer des mauvais cuts, car son set tient remarquablement la route. Il gratte une Les Paul noire et chante comme un cake. Il attaque son set avec «Moonlight», le premier cut de son troisième album et enfile ses petites perles pendant une heure. Son garage est un garage qui ne veut pas dire son nom. Hanni El Khatib ne fait ni du Dirtbombs, ni du Makers, ni du JSBX, ni du BBQ, on pourrait peut-être parfois penser aux Black Keys, à cause de son deuxième album produit par Dan Auerbach, mais en règle générale, son style semble n’appartenir qu’à lui, ce qui relève du prodige, vu qu’on n’en finit plus de croire que tout a déjà été dit ou fait, dans ce domaine. Hanni El Khatib sur scène ? Oh, mais c’est tout bêtement la garantie de passer une bonne soirée. On ne risque pas de se décrocher la mâchoire en bâillant au bout de deux morceaux. On aurait plutôt tendance à sautiller, comme le font les voisins et les voisines.

L’ami Hanni tire bien ses marrons du feu. Pour son set, il tape dans ses trois albums et n’en finit plus d’allumer un public qui de toute façon est convaincu d’avance. Ce n’est pas la faune des concerts garage habituels, non, le public est différent. En tous les cas, aucun poto n’a radiné sa tirelire. Hanni va-t-il devenir énorme et faire partie d’une sorte de nouvelle aristocratie du rock avec des gens comme les Black Keys, les Black Lips, les Black Widows, les Black Crowes, les Black Stone Cherry, les Black Angels, les Black Flag, les Black Mountain, les Black Sabot et les Black Is Black ? Allez savoir. C’est fort possible, car d’ici dix ans, il ne restera plus rien ni de la première ni de la seconde vague des rockers qui constituaient l’aristocratie du rock, celle des années 70. Il semble bien qu’Hanni El Khatib soit partisan d’un maintien des traditions garagistes, ce qui devrait nous sécuriser. En tous les cas, la scène ne trompe pas. Il terminait son set par un cut brillant tiré lui aussi du troisième album, «Two Brothers», une espèce de groove ensorcelant qu’il alla jouer dans la fosse au milieu de ses admirateurs fascinés. Ce fut pour le jeune bassiste renfermé l’occasion de sortir de ses gonds car il se mit à sauter partout avec sa basse et à jouer une redoutable ligne de funky strut. Franchement, il y avait là de quoi faire baver tous les bassistes présents dans la salle. Deux morceaux tout aussi spectaculaires en rappel et l’affaire était dans le sac.

Son premier album mit les amateurs de garage en confiance. Will The Guns Come Out proposait en effet une belle série de petits blasters, tiens comme ce «Build Destroy Rebuild» tout fumant de distorse. L’ami Hanni chantait ça d’une voix de folle échappée de l’asile et on le voyait chevaucher son Diddley beat avec une fière allure. Il passait ensuite aux grossièretés avec «Fuck It You Win» et nous tarpouinait ça avec un beau gras-double. On le voyait piétiner les plates-bandes de Jon Spencer et emprunter les accords d’«Under My Thumb», mais ça restait pertinent. Il savait très bien faire dérailler son chat perché. Puis il singeait Lou Reed pour raconter ses virées dans «Dead Wrong» et ça passait comme une lettre à la poste, car il s’appuyait sur une structure basique doublée de chœurs à la Dion. Non seulement ce mec montrait qu’il avait des ressources, mais il révélait en même temps une solide culture. Il cocotait ensuite le riff de «Locomotive Breath» pour emmener son «Come Alive» en enfer. Ce fin renard du désert recyclait toute l’aventure intellectuelle du rock dans des petits cameos irréprochables. C’mon ! Il passait ensuite au vieux garage avec «Loved One» qu’il traitait en mode Kinky. Pour sabrer, on peut dire qu’il savait sabrer, aussi bien que les Cosaques envoyés par le Tsar Alexandre à la chasse aux traînards de la Grande Armée, lors de la Retraite de Russie. Avec «You Rascal You», l’ami Hanni se prenait carrément pour Gary Glitter en titillant son stomp, mais il sauvait sa réputation avec un brillant solo vrillé. Il finissait avec une superbe pièce de puke de duke, «I Got A Thing», montée sur un riff d’attaque violente, et traversée par un solo à la coule. Berk !

Sans doute attiré par les feux de la rampe, il s’associe ensuite avec l’Auerbach des Black Keys pour enregistrer son deuxième album, Head In The Dirt. Comme l’Auerbach a le vent en poupe, l’ami Hanni imagine qu’il va pouvoir profiter de ce petit vent d’Ouest pour gagner le large. Les mauvaises langues appellent ça de l’opportunisme. Les âmes bienveillantes appelleront ça un échange de compétences. Les Black Keys ont en effet des profils de winners, et au rythme d’un album par an, ils causent pas mal de dégâts dans le porte-monnaie des ménagères. Dès «Family», on sent leur présence. L’ami Hanni se retrouve complètement phagocyté par l’Auerbach et son complice. T’as voulu voir Vesoul ? Eh bien t’as vu l’Auerbach ! Au passage, on note que le pauvre Hanni a perdu le joli son qu’il avait sur son premier album. La fine équipe bascule ensuite dans la pop avec «Skinny Little Girl» et le batteur des Black Keys tape comme un sourd. Il cogne encore plus fort que Denise, la batteuse de Schoolgirl. Après deux ou trois morceaux ineptes, on revient enfin aux choses sérieuses avec un «Can’t Win Em All» stompé au seuil des saturations catégorielles. Étant donné qu’Hanni chante comme Marc Bolan, ça vire glam. Et du coup, leur truc devient drôlement intéressant, d’autant que le mastering patauge dans la choucroute, ce qui donne une superbe trasherie. Quelle horreur ! «Pay No Mind» fait gamberger. Eh oui, ce mec ne devrait faire que du glam. Il a les muscles et les tatouages pour ça. En plus, il en pince pour le gros beat, celui qui craque les capotes. Attention à «Save Me» : ça part avec le beau gimmick des Them et des clap-hands dignes des bas-fonds de Soho. On croirait vraiment entendre les Stones qui reprennent Bo Diddley en 1963. On a en prime un solo d’antho à Toto. C’est même le meilleur coup de chapeau aux racines du British Beat qu’on ait entendu depuis belle lurette. Quelle efficacité ! Solo de désaille et pur riffing. Hallucinant ! Nouveau coup de Jarnac avec un «Sinking In The Sand» qui avance comme une Panzer Division. Motörhead n’est pas loin. L’ami Hanni pousse des aah aah aah de girl group. Il sait investir l’espace.

Hanni El Khatib tournait en France pour la promo de son troisième album Moonlight. Un conseil : il vaut mieux écouter cet album après le concert, car si l’on l’écoute avant, on économise un billet de quinze en n’allant pas voir le concert. L’album n’est pas bon. Mais curieusement, les morceaux passent bien sur scène. On retrouve le fameux «Moonlight» d’intro qui se veut stompique, mais qui sur le disque reste en suspension et refuse obstinément d’avancer. Avec «Melt Me», l’ami Hanni cherche la petite bête, mais le son n’y est pas et ça retombe comme un soufflé. Il tape dans l’esprit boogie des Status Quo pour jouer «The Teeth» et flirte à nouveau avec le glam de carton-pâte. S’ensuivent quelques morceaux ineptes. Avec «All Black», il riffe à qui mieux-mieux mais ça manque tragiquement de poids. L’esprit brille par son absence. On atteint les limites du système avec «Dance Hall». Hanni El Kahtib n’est pas Frank Black. Ni Graham Day. Encore moins Jon Spencer. Et ça ne pardonne pas. Car pour enregistrer des albums à la chaîne, il vaut mieux savoir écrire des chansons. Sinon, à quoi ça sert ? Il termine ce pauvre Moonlight avec le «Two Brothers» de fin de set, monté sur un joli thème. C’est d’ailleurs le seul cut intéressant de l’album, car d’esprit très moderne et battu en brèche au bassmatic. L’ami Hanni tape dans le registre du groove qui se met en route, accompagné de clap-hands et d’une bassline funky. Même effet que sur scène : le cut nous embarque pour Cythère. Rien à voir avec la daube qui précède. Hanni joue la carte du groove et ça redevient lumineux. Il nous embarque littéralement dans son trip de tripe et ça tourne à l’énormité. Voilà un cut salvateur qui s’insinue partout et qui, comme un serpent corail de Guyanne, remonte par la jambe du pantalon.

Signé : Cazengler, le Kathinibé.

Hanni El Khatib. Au 106, Rouen (76). 3 mars 2015

Hanni El Khatib. Will The Guns Come Out. Innovative Leisure Records 2011

Hanni El Khatib. Head In The Dirt. Innovative Leisure Records 2013

Hanni El Khatib. Moonlight. Innovative Leisure Records 2015

Roky le Roquet - Part Three

En attaquant au petit bonheur la chance sa carrière solo, Roky Erickson provoqua en son temps un shaking all over digne de celui des Cramps ou le Gun Club. Il entrait dans le clan des cultes. Sur la foi de deux choses : son antériorité dans les 13th Floor et un premier single so far out paru sur Sponge en 1977, le fameux Mine Mine Mind EP violet quatre titres, sur lequel se trouvait «Two-Headed Dog», l’un des hymnes du XXe siècle.

Il faudra attendre trois ans pour recroiser «Two-Headed Dog» sur un album, le fameux Roky Erickson & The Aliens, paru sur CBS UK en 1980, et qui reparaîtra au moins à deux reprises sous le nom de The Evil One, avec des variantes de track-list. Roky a la chance de tomber sur des bons Aliens, notamment le guitar slinger Duane Aslaken qui grouille de bon psyché. On entend aussi Steve Burgess ponctuer un beau bassmatic sur le «Two-Headed Dog» qui ouvre le bal de cet album haut en couleurs. C’est d’ailleurs une sorte de best of avant la lettre, puisque Roky enfile ses hits comme des perles. En fait, il va les rejouer pendant trente ans, mais personne ne s’en plaindra, bien au contraire. On le voit monter un hit («I Walked With A Zombie») avec une seule phrase. Il vire rock’n’roll avec «Shake Me Lucifer» et propose déjà une version extrêmement heavy de «Bloody Hammer» dont on va entendre par la suite des versions de plus en plus monstrueuses. En B, on voit Aslak faire le show dans «White Faces». Il multiplie les départs en vrilles acidulées. Il ne se refuse aucune tortillette. Roky ne bronche pas, il continue d’avancer, le regard fixe. Aslak fait encore des siennes dans «Creature With The Atom Brain». Il multiplie les climats délétères, c’est admirable de mise en place. Roky n’en finit plus de créer son monde. Il taille sa route dans le meilleur boogaloo qui soit ici bas. Il ramène tout l’éclat de l’excellence psyché des 13th Floor.

C’est Muff Winwood qui s’est occupé du premier album de Roky. Les ventes ne sont pas extravagantes, mais il demande un deuxième album. Winwood demande à Craig Luckin de ramener Roky en studio. Mais Roky ne va pas bien. Les tournées l’ont déglingué mentalement. Luckin a déjà beaucoup investi dans The Evil One, et il doit attendre un an avant que Roky n’accepte d’enregistrer Don’t Slander Me. Aslak accepte de revenir en studio avec Roky. Ils commencent à enregistrer en 1983. L’incroyable de cette histoire est que Jack Casady participe aux sessions. Il fascine Roky - Roky and Jack got along very well - Le batteur s’appelle Paul Zahl et joue avec Casady dans SVT. Comme Aslak produit, la guitare monte bien au devant du mix. L’album finit par sortir en 1986, trois ans plus tard, mais pas sur CBS UK, car Winwood n’y trouve pas son compte. Luckin réussit à trouver un label en Californie (Pink Dust) et Demon Records pour l’Europe. Aux yeux de Luckin, Don’t Slander Me est le meilleur album de Roky. Eh oui, dès le morceau titre, ça bouge. Aslak gratte sa gratte et derrière Jack Casady drive le Slander en enfer. Roky est en forme, mama ah-ah ! Il chante à la prodigieuse exacerbée. Retour en force au rock’n’roll avec «Crazy Crazy Mama», idéal pour un bassman comme Casady. Il faut l’entendre voyager dans la gum des gammes. Ça devient même très sensuel. On tombe en B sur l’effarant «Bermuda» qu’on retrouvera sur pas mal de boots. Fantastique pulsation. Jack the ripper rôde dans le beat. Ça ultra-joue à la Texane, dans l’esprit originel. Roky rend hommage à Buddy Holly avec «You Drive Me Crazy» et envoie son «Starry Eyes» exploser dans l’azur immaculé de la pop. C’est l’un de ses plus beaux hits. Aslak se positionne bien au centre du son. Encore un hit faramineux avec «The Damn Thing». La basse de Jack ronfle dans le son. Il se pose dans les passages d’accords avec tout le tact Tuna.

La même année paraît sur Pink Dust Gremlins Have Pictures, une espèce de compile où on retrouve The Explosives, The Aliens et quelques cuts enregistrés en studio avec Jack Johnson. C’est là qu’apparaît pour la première fois sa reprise d’«Heroin». Roky la prend au chat très perché, il en fait une version intraveineuse, bien tapée à l’hypno. On retrouve Aslak sur «The Interpreter». Si Roky chante «Night Of The Vampire», c’est parce qu’il est le plus habilité à chanter les louanges des vampires, sans doute à cause de son chat perché dans les ténèbres. Roky est le dark prince du boogaloo. Sur cette version live, The Explosives explosent. Ils explosent aussi «John Lawman». Roky adore la bonne bourre, ça se sent. Nouvelle dégelée avec «Cold Night For Alligators». Tous les hits de Roky sonnent comme des hits, c’est un peu le problème. Plus on l’écoute et plus il fascine. On finirait presque par aduler ce pauvre Texan. Il fait une version acou d’«I Have Always Been Here Before». Cet album de bric et de broc est d’une grande intensité. Wow ? Oui, mille fois wow.

On tient généralement Casting The Runes paru en 1987 pour le meilleur live de Roky & the Explosives. Forcément, ça démarre sur cette belle dégelée de gelée royale, «The Wind And More». Roky avale le rock comme d’autres avalent le bitume. Quelle cavalcade ! Cam King fait un festival dans «For You». Il joue des foisonnements mirobolants, il semble bien plus prolifique qu’Aslak. Nouveau coup de tonnerre avec «Mine Mine Mind». Roky tient son rock par la barbichette et il boucle l’A en beauté avec l’imparable Gonna Miss Me. Roky le screame à la vie à la mort. Belle section rythmique, Water Collie on bass et Fred KRC on drums. Alors Cam peut partir en maraude sonique. On B, on croise le Zombie puis les Explosives explosent avec «Bloody Hammer». Pour finir, Cam crame le fond de «Stand For The Fire Demon» et propose une belle extrapolation de Texana sonique.

Pendant ce temps, Patrick Mathé œuvre pour le compte de Roky et réussit à sortir plusieurs albums, à commencer par Clear Night For Love en 1985. Ce mini-album s’ouvre sur la pop parfaite de «You Don’t Love Me Yet». Puis le morceau titre semble venir en droite ligne de Buddy Holly. On a un vrai son. En B, «The Haunt» sonne comme du rock texan, mais sans les Explosives. Les deux guitaristes Harry Hess et John Reed ramènent du big sound. Roky boucle avec «Don’t Slander Me», mama ! Mini-album idéal. Roky sait ramener du gusto.

Mathé propose ensuite deux albums coup sur coup, The Holiday Inn Tapes, en 1987 et le premier grand live officiel, Live At The Ritz 1987 en 1988. Les deux valent le détour. Mathé est à Austin le 1er décembre 1986 et Roky vient le voir dans sa chambre à l’Holiday Inn pour lui jouer quelques chansons. C’est une promesse qu’il avait faite au téléphone et il la tient. Mathé n’en revient pas. Roky s’accompagne à l’acou aléatoire. Il fait un festival sur «The Singing Grandfather» et joue quelques cascades d’arpèges circulaires. On sent une présence extrême. Sur «The Times I’ve Had», il gratte quelques millions de notes en diguili des quatre doigts. Il rend un bel hommage à Buddy Holly en chantant «Peggy Sue Got Married» à l’encorbellement savant et chante comme un dieu sur «Mighty Is Our Love». Il n’en finit plus d’en imposer. En fin de B, Mathé complète avec la session Sponge, les quatre titres du fameux EP mauve, où trône «Two-Headed Dog», à la fois somptueux et impérial. Ça reste l’une des cimes de l’Everest, ever.

Live At The Ritz 1987 vaut aussi le détour, d’autant que Roky démarre avec «You’re Gonna Miss Me». Le guitariste s’appelle Will Sexton. Roky semble redorer son blason avec «Night Of The Vampire», car voilà une version terriblement psychédélique, il chante à la clameur des ténèbres et à la grandeur des candélabres. Il attaque la B avec «Two-Headed Dog», et le screame d’entrée de jeu. Il fait partie des wildest of them all. Encore une fois, ce cut sonne comme l’emblème du rock et l’étendard du Walking in the Kremlin with a two-headed dog n’en finira plus de claquer dans l’écho du temps. Will Sexton fait un joli festival dans «Take A Good Look At Yourself». Il joue des dégelées de gelée royale. Ce mec est un torrent à deux pattes. S’ensuit «Clear Night For Love», où Roky fait régner sa loi de la pop dans un rock à lui. Un rock parfaitement personnalisé qui ne doit rien à personne. Il devient férocement bloody avec «Bloody Hammer» et retrouve la vieille niaque texane des défenseurs d’Alamo face aux 50 000 hommes de Santa-Ana. Le beat est si bon qu’il rebondit, non, il n’a pas de bloody hammer, clame-t-il dans les volutes torrentielles, Roky et ses hommes jouent comme si c’était leur dernière chance de repousser Santa-Ana, Roky chante avec la foi de l’insecte qui croit pouvoir échapper au pied de l’éléphant qu’il voit arriver droit sur lui, un éléphant si énorme qu’il cache le soleil.

Paru en 1990, Reverend Of Karmic Youth fait partie des albums dispensables. Roky gratte l’A à coups d’acou et en B on retrouve les traditionnelles flambées d’Explosives.

Patrick Mathé ramène Roky dans le rond du projecteur en 1992 avec l’excellent Live In Dallas 1979. Cette fois, ce sont les Nervebreakers qui l’accompagnent - Please welcome the legendary Roky Erickson ! - Eh oui, pas plus legendary que la bravado d’accords de «The Wind And More». On a là le meilleur son de l’univers, ça tourne comme un moteur bien gonflé. Roky est au sommet de son beautiful power. Les Nervebreakers dégagent une énergie considérable. Roky a toujours la chance d’être bien accompagné. Ces mecs manient la mad psychedelia avec une maestria qui laisse coi. Encore un hit fulgurant avec «Mine Mine Mind». Roky l’avale tout cru. Les Nervebreakers riffent avec une violence terrible. Ils tapent plus loin un «Cold Night For The Alligators» au headbang, le soliste des Nerve joue dans le flux du move et tout explose avec «The Interpreter». Effarant de power ! Derrière Roky, le mec des Nerve titille à gogo. Ils tapent directement dans «You’re Gonna Miss Me». En plein museau. L’hymne d’un temps. Imparable. Roky taille sa route. You didn’t realise. Roky chante plus loin «Bo Diddley Was A Headhunter» à la glotte rouge, et explose «Two Headed Dog» d’entrée de jeu. C’est joué au power maximaliste. «Bloody Hammer» restera sans doute le hit le plus dévastateur de Roky Erickson. Il jure qu’il n’a jamais eu le bloody hammer. Il faut le croire. On a là le génie psychédélique du stomp texan, never had ! Never had ! Derrière, le Nerve shoote dans le bras du cut un solo au long cours. Chaque album live de Roky est un blast, il faut vite s’habituer à cette idée, car des tas d’autres vont suivre.

Tiens comme par exemple l’excellent Beauty & The Beast paru l’année suivante. Sur la pochette, on lit Roky Erickson & The Resurrectionists. Dès «Two Headed Dog», c’est l’horreur ! Le son coule partout. Roky le sent. Un démon nommé Jimmy Jones joue en purée continue. C’est une véritable insulte aux dieux de l’Olympe. Tous les hits de Roky redeviennent des énormités palpitantes. La soupe de «Cold Night For Alligators» devient effervescente. Les incursions de Jimmy Jones sont maléfiques. Ils enchaînent avec un «Hasn’t Anyone Told You» joué à la big energy. Ça devient une sorte de pop ultraïque. S’ensuit un «Mine Mine Mind» shaké du ciboulot, avec des éclairs dans le ciel. Stupéfiant ! Les Resurrectionnists jouent dans l’enfer de leur fournaise. Roky chante liquide. Effarant ! Roky shake le shit de Lucifer un peu plus loin, il invite tous les démons de l’univers à danser la gigue du diable. Oh, il faut les voir taper «You’re Gonna Miss Me» à la punky motion ! On a rarement vu des groupes déclencher un tel enfer sur la terre. Tout est saturé de chaos sonique et les hits de Roky resplendissent dans l’écho du temps. Il parvient même à transformer une chanson comme «Angel» en fournaise. Roky sort pour l’occasion son meilleur guttural. On revient au power suprême de «Bloody Hammer» et ces fous soniques repartent de plus belle avec «I Walked With A Zombie Last Night». Ils jouent le pire vrac sonique qu’on ait entendu ici bas. Tout est plombé de fournaise et ça ne s’arrange pas avec les derniers cuts. Explosif, pas d’autre mot possible.

On fait une petite pause avec Demon Angel. A Day And Night With Roky Erickson paru l’année suivante. L’album est enregistré à Halloween 1984 et Roky gratte tout à coups d’acou. Il joue «Bloody Hammer», «Two Headed Dog» et «Night Of The Vampire» au coin du feu. Force est de crier au génie quand Roky attaque «Cold Night For Alligators». On ne peut écouter ça que si la cervelle est ramollie. Derrière Roky, Mike Alvarez joue des coups d’acou à la Wilko. C’est d’une beauté désespérante. Fabuleux ! Le couple Roky/Alvarez décroche la timbale. À partir de là, le live devient fascinant. Roky attaque «The Interpreter» sans big sound, mais l’esprit est là. On entend Mike Alvarez voyager dans le fond de «Clear Night For Love» et on sent Roky au sommet de son art dans «Starry Eyes». On sent qu’il en bave avec «The Damn Thing», avec son vieux battage sophistiqué. Mike Alvarez revient pour «Hungry For Love #2» et shoote du junk dans le bras du cut. Roky devient fou avec cette version de «You’re Gonna Miss Me» travaillée aux deux guitares. Comme il est texan, il a le sang chaud, alors wouah yeah ! Il screame son ass off. Il hurle à la lune - This is the way it must be done - Il termine avec une belle version de «Blowin’ In The Wind». Roky est un artiste complet.

En 1995 paraît un nouvel album solo de Roky, All That May Do My Rhyme. Il démarre avec «I’m Gonna Free Her», un joli slab de heavy pop. C’est la grande force du troubadour psychédélique. Il est de la même engeance que Ron Asheton : kid brillant destiné aux couches supérieures. Il chante «Starry Eyes» avec Lou Ann Barton. Merveilleux hit pop, très jingle jangle. Lou Ann Barton entre au nasal pur dans la danse. Mais l’émotion vient de Roky. Avec «You Don’t Love Me Yet», Roky fait du pur dylanex. L’immédiateté de la mélodie en dit long sur le génie de Roky Erickson. Il se prend pour François Villon avec «Please Judge», il demande au juge de ne point le pendre et il appelle sa Mama dans «Don’t Slander Me». Killer tune, haché menu, paradis de la cisaille. Big version. La grande force de Roky c’est aussi d’allumer ses compos. Un bel exemple avec «We Are Never Talking». Roky rocks it. On pourrait même le qualifier d’empereur du balladif romantique. Kidding ? Non, il suffit d’écouter «For You (I’d Do Anything)». Il fait son petit bonhomme de chemin. Il est l’un des héritiers de Buddy Holly, avec ce côté romantique texan exacerbé. Il reprend aussi son vieux hit New Rose, «Clear Night For Love» et le claque aux accords secs. Il tourne un peu en rond. Il s’en va ensuite chasser sur les terres du Comte Zaroff avec un «Haunt» électrique en diable, chargé de menace. Roky sait créer les conditions.

En 1995, Sympathy For The Record Industry ressort, après celui de Roky Erickson & The Resurrectionists, un live intitulé Roky Erickson & Evil Hook Wildlife ET. Avec Crypt, In The Red et Norton, Sympathy fut en son temps l’un des quatre labels underground les plus prestigieux d’Amérique. On pourrait dire : «Bon ça va, les live de Roky c’est toujours la même chose !», et pourtant non, c’est à chaque fois très différent, comme si l’intensité de la fournaise variait. On est tout de suite frappé par cette version de «You Don’t Love Me Yet» d’ouverture et par son extraordinaire vibration. Roky tape dans le mille avec sa mélodie tordue. C’est un peu comme si Brian Jones chantait Jumpin’ Jack Flash accompagné par les Rolling Stones. On a là du pur jus d’énormité, avec des guitaristes aux noms inconnus. Roky sort son meilleur roaring. Comme c’est un radio slow, Roky parle dans un micro entre chaque cut. Dans le heavy blues de «The Beast», le guitariste Kerry Crafton fait des siennes. Puis Roky rend un sacré hommage à Lou Reed avec une version ultra cra-cra d’«Heroin». «Clear Night For Love» sonne comme un hit intemporel. On entre là dans le lagon de la magie ericksonienne. C’est mélodique et arrosé aux meilleures guitares d’Amérique. Cette pure merveille constitue l’apanage de l’underground. Plus loin, Roky incendie la plaine avec «Cold Night For Alligators». Il joue ça à la clameur et sans vergogne, au heavy beat de soudards à semelles de plomb. Il remet le l’huile sur le feu avec «Don’t Slander Me». Roky le diable secoue ses chaînes. Quelle violence ! Puis on prend en pleine gueule ce «Mine Mine Mind» explosé à coups de power chords. C’est noyé de son, dans l’appétence de l’effarence. Le riff surgit du chaos, pareil au saumon d’Écosse qui jaillit hors du torrent dans la lumière psychédélique d’un matin d’été. Ils écrasent ensuite «Starry Eyes» dans l’œuf du serpent et c’est tellement bardé de psychedelia qu’il semble que la messe soit dite.

Roky gratte sec sur Never Say Goodbye qui date de 1999. Il gratte même tout seul. La plupart des cuts sont enregistrés sur cassette à Rusk, par sa mère Evelyn. Il drive son drive à la déchirante nudité de son son, un peu à la manière de Skip Spence. Tout l’album est gratté aux poux, au somophore de son demeanor. Il gratte «I’ve Never Known This Till Now» dans la cage à poules. C’est sans doute l’album le plus barré de l’histoire du rock. Il tape dans Buddy Holly avec «Think Of As One» et fait avec «Birds’d Crash» du burn out sound. Sur la pochette, il a beaucoup de classe. Par contre, ses arpèges vont mal. Il faut se lever de bonne heure pour y trouver de la grâce. Le mythe a bon dos. On bâille mais on se dit en même temps que ce mec a la bonté de chanter pour des gens comme nous qui ne sommes rien. Harry Hess accompagne Roky sur «Something Extra» et ça sonne, Roky est couvert, on assiste au retour du grand esprit, celui du 13th Floor, c’est pulsé dans l’embryon du beat. Ce fleuron du psyché texan sauve l’album.

Paraît en 2004 sur Norton un très beau double album compilatoire de Roky Erickson & The Aliens : Don’t Knock The Rock. C’est d’autant plus un bel objet que Doug Hanners remplit tout le gatefold de notes sur Roky, du style : «One minute he’s a demonic fire hose, spraying 60,000 volts of wayward Sky Saxon qi, the next instant this son of an Episcopalian opera singer is crooning a Buddy Holly-ish Starry Eyes, not missing a note or failing to sustain the emotion.» (Pendant une minute il fait son Sky Saxon, crache le feu en dégageant 60 000 volts, et la minute d’après, il devient le fils d’un chanteur d’opéra pour crooner Starry Eyes à la manière de Buddy Holly, sans rater une note et en maintenant l’émotion). Turner révèle que Roky surnomme Aslak ‘Bird’, «a visual hybrid of James Williamson and Keith Richards, sort of, and plays like both of these archetypes put together.» (un hybride visuel de Williamson et de Keef qui jouerait comme les deux combinés). Turner n’en finit plus d’aduler les Aliens : «Let’s see, a Fuzzy, a Morgan, a Bird and an autoharp (later to be an) Angel, that sums up the Aliens.» Norton propose en fait une session inédite enregistrée en 1978 par Craig Luckin au studio de Creedence, Cosmo’s Factory. L’ingé son avait pour consigne de laisser tourner la bande pour TOUT choper. On entend Roky chanter «Angel Baby» à l’éplorée. Il adore faire le con, because I love, I love you yes I do. Puis il part en tagada Buddy Holly-ish avec «You Drive Me Crazy». Il fait ensuite sonner «Stand By me» comme le Kremlin, il chante ça au violent psyché et va chercher un niveau de chant stupéfiant. Cette version justifie à elle seule le rapatriement de ce double album. On entend aussi Aslak ramener du son dans «Untitled», du big heavy sound. En C, ils sonnent littéralement comme Moby Grape dans «Can’t Be Brought Down». Quelle vitalité ! Le son est très loosy sur l’ensemble, très libre. Ils sont en studio pour s’amuser.

Tiens, encore un live ! Il s’appelle Halloween et paraît en 2007. Cette fois, ce sont les Explosives qui accompagnent Roky. On peut compter ce live parmi les grands albums live de l’histoire du rock, car on en sort à quatre pattes. L’«I Walked With A Zombie» est la version définitive. Roky mord dans la chair de son mythe. Il plante ses crocs dans le zombie. Energy ! Fucking energy ! Pire encore, voici «Bloody Hammer», certainement l’un des plus gros blasts de tous les temps, quasi stoogien par les guitares, battu heavy et avec violence, à la Scott. Et Roky insiste une fois encore pour dire qu’il n’a jamais eu ce bloody hammer. Belle force de frappadingue et c’est bassmatiqué jusqu’à l’os. Bloody great ! Ils foutent le feu à la plaine avec «You’re Gonna Miss Me». Roky c’est Attila. On l’a reconnu. Il ne vit que pour la fournaise. Même chose avec «Creature With The Atom Brain». Roky s’élève au dessus du chaos monolithique pour glapir son texte. Véritable shoot de psych damage. Encore une terrifiante embardée avec «I Think Of Demons». Ils défoncent les culs de basse-fosse et tout passe au laminoir de l’assommoir. Trop de couenne de son. Trop de viande. Qui saura dire la violence de «The Interpreter» ? Ils nous riffent ça dans le gras du gras-double. Roky se jette dans la marmite et frit avec le son. Il est important de préciser que ce show est enregistré à Austin en 1979. Roky est alors au sommet de son art. Le guitariste s’appelle Cam King et il joue comme un fou. Il ravage les contrées dès «Two Headed Dog». Cam a une petite gueule, mais il bascule dans l’enfer de la véracité ericksonienne. Et on sait qu’il n’existe rien de comparable en matière de véracité. Cam gratte encore comme un démon dans «Bermuda». Il part en vrille sans prévenir - That’s the way in Bermuda - Ils enchaînent avec un «Starry Eyes» mirobolant. Cet Halloween va tout seul sur l’île déserte.

Roky Erickson enregistre un dernier album studio avec Okkervil River en 2010. Un portrait en gros plan de Roky orne la pochette de True Love Cast Out All Evil. Avec l’âge, Roky s’est assagi. Il va plus sur la mélodie, comme le montre cette merveille intitulée «Please Judge». C’est un plaidoyer d’une poignante beauté. Il nous refait le coup du cut hypno monté sur une phrase avec «John Lawman» - I sing my song/ Because I’m John Lawman - Seuls Lou Reed et Roky sont capables de tels prodiges. On retrouve ici cette fascinante facilité à pulser un hit. Avec «Goodbye Sweet Dreams», il retrouve son sens aigu du hit mélodique. Il s’agit là d’un album très poignant, très impliqué. En B, il tape un «Forever» qui flirte dangereusement avec la grandeur balladive, comme chez Mickey Newbury - Not for a little while/ Not for a day/ But forever/ One shows one the way - Fantastique «Think Of As One». Roky renoue avec l’inspiration.

Voici venu le moment d’entrer dans le monde des bootlegs. En ce qui concerne Roky, ils pullulent et certains valent le détour. En voici quatre, sélectionnés pour la qualité du son. Weird Tales date de 1982. Aslak accompagne Roky. Alors énorme ou pas énorme ? Énorme ! C’est un radio show de 1978. Bardé de son. Roky s’étrangle de froid dans «It’s A Cold Night For Alligators». Il chante «White Faces» à la bonne vieille exacerbée décervelée. Roky rocke son shit, tout est en place, l’univers, le son, Aslak, la légende, l’élan patriotique. Admirable ! Et tout explose avec «Bloody Hammer». Rokyky fleur de banlieue fout la pression et c’est bloody good. En B, il déclenche l’alerte rouge avec «Two-Headed Dog». C’est comme l’intro de «Born To Lose», on sait tout de suite qu’il s’agit d’un hit universel. Aslak et les autres bardent tout ça du son et du meilleur. Ils font bander le beat Texan. On retombe de sa chaise avec «Mine Mine Mind», ce big bad rock serti d’un refrain pop éclatant. Puis on tombe sous l’hypnose d’«I Walked With A Zombie», impossible d’y échapper, Roky dit qu’il a marché avec un zombie cette nuit, et on le croit sur parole. Oh mais ce n’est pas fini, car voilà «The Wind And Me», Aslak joue comme une bête, il fore sa voie dans le son comme une grosse termite. Et ça se termine avec «If You Have Ghosts». Sacré Roky, il joue dans l’infinie cohérence d’un rock éclatant de vie et de créativité. Chaque album de Roky Erickson est une leçon se savoir vivre.

Le voici avec The Explosives sur ce Live At Oyafestivalen paru 2007. On trouvait ces boots chez le Born Bad de la rue Keller. Belle photo de Roky sur la pochette, il s’est rasé la barbe et ressemble à un charcutier de la planète Mars. L’enregistrement est d’une qualité irréprochable et on se régale du son de la basse dès «Cold Night For Alligators». Ça boome bien dans l’air norvégien. La basse dévore aussi le «Don’t Shake Me Lucifer» qu’on croise plus loin. Belle version de «Bloody Hammer», bien pulsée des reins. Ces mecs ne font pas n’importe quoi. Ça pourrait sembler cousu de fil blanc comme neige, mais non, Roky veille toujours à secouer les colonnes du temple. Il aime le rock, ça se sent. Autre boot chopé chez Born Bad, The Evil One Returns, qui propose un concert enregistré au Louxor à Cologne en 2010. On trouve en B une version de «John Lawman» déchirante de verdeur, criante de vérité. On sent qu’on atteint les limites du piratage. Roky propose aussi une version de «Roller Coaster». Un certain Jon Sanchez joue lead. Voici enfin un boot russe de Roky Erickson & The Explosives : The Interpreter. San Francisco 2007. Joli son. Roky tape une version de «The Interpreter» somptueuse, le guitar slinger y multiplie les figures de style psyché. Roky enchaîne avec l’imparable «Bermuda» - That’s the way in Bermuda !

Inutile d’imaginer qu’on puisse faire l’impasse sur les tributes à Roky Erickson. Ils sont aussi indispensables à l’équilibre d’une cervelle psychédélique que le sont les albums du 13th Floor et le Alien stuff. Where The Pyramid Meets The Eye - A Tribute To Roky Erickson date de 1990 et ne propose pas moins de cinq coups de génie, ce qui semble logique vu la qualité des compos. La palme du coup de génie revient bien sûr à ZZ Top et à cette totémique reprise de «Reverberation». Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie si on ne veut pas mourir idiot. Ils la saturent de reverb et transfigurent le beat texan, ils en font une version alarmante de solarisation. Billy Gibbons roule sa Reverberation dans sa farine de Texas Junk. Il n’existe rien de plus fidèle au monde que les vieilles barbes. Plus loin Doug Sahm & Sons tapent une version explosive de «You’re Gonna Miss Me». Doug sait. Il sait l’exploser. Sans doute a-t-on là la version de Miss Me la plus hargneuse jamais imaginée. Il n’y a décidément que des Texans pour aller jouer ça. Doug is the real deal. Encore des Texans, les Butthole Surfers, avec «Earthquake». On ne devrait jamais trop s’éloigner des ces Texas Gods of trash. Leur Earthquake est battu dans la matière de l’art. À part les Texans, personne ne s’autoriserait des arrêts en pleine course. On les voit même se faire rattraper par les solos. Sister Double Happiness propose un «Two Headed Dog» chanté au sommet d’un certain art. Il faut admirer la démarche. On a là un singer extraordinaire. Les Mary Chain font une autre mouture de «Reverberation» histoire de finir cette compile en beauté. Par contre, on voit les Primal Scream se vautrer avec une version electro de «Slip Inside This House». On voit aussi Bongwater rendre hommage à cette pop-song parfaite qu’est «You Don’t Love Me Yet», puis Julian Cope se vautrer avec «I Have Always Been Here Before» parce qu’il n’a pas de son et, égaux à eux-mêmes, les REM viennent frimer trois minutes avec «I Walked With A Zombie».

L’autre grand hommage collectif à Roky s’appelle Children Of The Night - What Music They Make. Ça date de 1997. On y croise les Nomads qui pulvérisent «Red Temple Prayer», qui est le sous-titre de «Two-Headed Dog». Les Nomads savent rocker Roky. Un groupe nommé Naked envoie «Roller Coaster» rouler au paradis du sonic trash. Ils délivrent là un excellent brouet de mad psychedelia. En fin d’A, un groupe nommé Shake Appeal tape dans «You’re Gonna Miss Me» et s’en tire avec les honneurs. Tous ces groupes se régalent, c’est évident. On trouve en B une belle giclée de sonic hell avec une version de «Don’t Shake Me Lucifer» troussée par Bates Motel. Power !

On trouve aussi dans le commerce deux films consacrés à Roky. Le premier est un docu signé Keven McAlester : You’re Gonna Miss Me, évoqué dans le Part Two mis en ligne la semaine dernière. L’autre film est un concert filmé de Roky Erickson & The Black Angels : Night Of The Vampire. Paru en 2010, ce film met très mal à l’aise. Les Black Angels offrent une version désespérément pauvre du 13th Floor. Une fille bat tout ce qu’elle peut en rebondissant sur son tabouret et un stupide barbu singe Tommy Hall en soufflant dans une fausse cruche, alors ça tourne au gag pathétique, ce qui bien sûr contredit l’essence même du phénomène qu’ont incarné les 13th Floor. Au milieu de cette absurdité, Roky chante du haut de sa voix, mais il doit forcément penser à ses anciens compagnons et à leur fulgurance à jamais perdue. Roky essaye désespérément de sauver «Roller Coaster» et «Reverberation», en vain, car le réalisateur utilise «Reverberation» pour le générique de fin. Insupportable.

Signé : Cazengler, Riquiqui Erickson

Roky Erickson & The Aliens. CBS 1980 (= The Evil One)

Roky Erickson. Clear Night For Love. New Rose Records 1985

Roky Erickson. Don’t Slander Me. Pink Dust 1986

Roky Erickson. Gremlins Have Pictures. Pink Dust 1986

Roky Erickson & The Explosives. Casting The Runes. 5 Hours Back 1987

Roky Erickson. The Holiday Inn Tapes. Fan Club 1987

Roky Erickson. Live At The Ritz 1987. Fan Club 1988

Roky Erickson. Reverend Of Karmic Youth. Skyclad Records 1990

Roky Erickson & The Nervebreakers. Live In Dallas 1979. Fan Club 1992

Roky Erickson & The Resurrectionists. Beauty & The Beast. Sympathy For The Record Ind 1993

Roky Erickson. Demon Angel. A Day And Night With Roky Erickson. Texas Records 1994

Roky Erickson. All That May Do My Rhyme. Trance Syndicate Records 1995

Roky Erickson & Evil Hook Wildlife ET. Sympathy For The Record Industry 1995

Roky Erickson. Never Say Goodbye. Emperor Jones 1999

Roky Erickson & The Aliens. Don’t Knock The Rock. Norton Records 2004

Roky Erickson & The Explosives. Halloween. SteadyBoy Records 2007

Roky Erickson & Okkervil River. True Love Cast Out All Evil. Chemikal Underground 2010

Rocky & The Aliens. Weird Tales. Not On Label 1982

Roky Erickson & The Explosives. Live At Oyafestivalen. Not On Label 2007

Roky Erickson. The Evil One Returns. Not On Label 2007

Roky Erickson & The Explosives. San Francisco 2007. Cheburashka Electric Records 2007

Where The Pyramid Meets The Eye. A Tribute To Roky Erickson. Sire Records 1990

Children Of The Night - What Music They Make. El Sound 1997

Roky Erickson & The Black Angels. Night Of The Vampire. DVD 2010

 

THE SPRITES ON 85 's

GENE VINCENT IN MIND

( Crazy Cat Records / AL CD / 1985 )

Les Sprites restent un groupe mythique du rock'n'roll français. Section Rockabilly. Les premiers à leur époque à avoir atteint l'international upper-class. Pas de chance pour eux : ils étaient malheureusement français, autant dire que les compagnies de disques ne se précipitèrent pas pour les enregistrer. Faute de perspectives le groupe se sépara. Les kr'tntreaders connaissent au moins les deux premiers membres de l'équipage déjà croisés en concerts : Red Dennis à la batterie – nous l'avons chroniqué en concerts à plusieurs reprises et espérons le refaire fin juin à Lusigny-sur-Barse avec Al Willis dans la Rock'n'roll Party II organisée par Billy – Pascal Guimbard à la lead que l'on retrouvera plus tard dans les Capitol's, Phillipe Servente au chant, François Gadotti à la double-bass, et Lionel Decaix à la rythmique.

Les Sprites n'ont même pas eu la chance d'enregistrer un disque. Ont seulement gravé Share of love et White Lighting sur une compilation vinyle de onze titres intitulée Big Noise Northwood sortie en Angleterre en 1983 et au Japon sous forme de CD en l'an 2000. En 1991 in the UK est également sorti B-i-bichey-bi-bo-bo-go sur la compil de vingt titres The Northwood Story disponible sous forme de CD et vinyle.

Il existe quelques vidéos des The Sprites sur You Tube, il faut insister car elles sont ''mangées'' par un duo toulousain du même nom. Le mieux est de se procurer le Cd ci-dessous chroniqué, ce bel artefact qui ne court pas les rues, parvenues par les routes de l'amitié jusque dans mes mains.

STUDIO TRACKS

Warm love : reprise des frères Burnette en ouverture, à l'identique, mais avec les burnes en plus, certes la batterie un peu trop devant, mais ils évitent le côté chansonnette du refrain qui parfume désagréablement l'original sorti sur Imperial en 1958, et surtout ce solo de guitare qui déchire, directement inspiré des Blue Caps de Cliff Gallup. Une belle mise en appétit. Well, I knocked bim bam : tant qu'à s'inspirer autant puiser directement sur l'original. Phil adopte d'instinct – il a dû beaucoup travailler tout de même - cette voix creuse si particulière que savait prendre Gene dans ses morceaux les plus flippés. D'ailleurs est-ce un hasard si Bobbie Carroll est aussi l'auteur de I flipped. Bim-bam, il faut que ça cogne, mais pas question de placer les horions sur le pif au pif. Red Dennis ne balance pas à tout berzingue dans le désordre, use de la méthodicité perverse des pros qui ne laissent rien passer. A peine la guitare a-t-elle repris son souffle qu'il vous pose une bûche sur le coin du museau qui vous ratiboise les ratiches et vous envoie au tapis. Love me : ne se gênent pas les farfadets, sur l'original de Buddy Holly, il y avait Sonny Curtis à la lead et Grady Martin à l'acoustique, ne respectent vraiment rien, Buddy fait souvent dans la douceur, alors Phil il est nettement plus viril lorsqu'il demande sa ration d'amour. Pour le background, tapent dans les Casquettes Bleues, et ça s'entend sévère. I'm ready : en France dès qu'on prononce le nom de Buddy Holly, l'on y associe aussitôt celui d'Eddie Cochran - la faute d'Eddy Mitchell et son adaptation du Saint James Infirmary blues – n'ont pas choisi un des titres locomotives d'Eddie, mais ont puisé dans le répertoire des Cochran Brothers, vous le re-badigeonnent au jaune gentillet sable doré des plages insouciantes des prime-sixties, oui mais ils se dépêchent d'y adjoindre un peu de speed étincelant, ces fêlés de Sprites vous leur filez un vase Ming ils vous le transforment en vase Bing ! Bi-bichey-bi-bo-bo-go : l'on sentait que l'énervement les gagnait, alors ce coup-ci c'est le grand défouloir, le gueuloir flaubertien à la puissance 10, ça saute partout et façon rodéo le cheval fou qui s'engouffre dans l'armurerie des grenades explosives. Pour la petite histoire Jack Rhodes est aussi le compositeur de Woman love un des titres les vicieusement sexuel du rock'n'roll , de Red blue jeans and a pony tail et de Crazy Beat, tiercé gagnant. Sunny sides of the streets : ne faudrait tout de même pas les prendre pour de sombres brutes, voici le slow de l'été, avec une guitare trop anguleuse pour être honnête. Cette chansonnette tout le monde l'a chantée de Frank Sinatra à Johnny Cash, si je me souviens bien Kenny Rogers aussi, qui vient de passer du côté sombre de la rue, en tout cas, les Sprites nous la font step by step à la Gégène. Flat foot blues : encore un classique, z'ont marqué arrangement Sprites, certes l'ont modélisé à la Gene Vincent avec batterie fracassante, hurlements et guitares cisaillantes. Share of love : ressemble un peu à un parcours de santé tel que les municipalités en installent un peu partout dans les allées pédestres. Tout y est, de l'occupation pour tout le monde. Mais l'ensemble des mouvements effectués est un peu attendu. White lightnin' : tous les rockers ont dans leur tête la version historiale malheureusement écourtée d'Eddie Cochran et de Gene Vincent, les Sprites proposent un modèle plus country-cow de ce classique du Big Bopper. Le venin du crotale plus les bottes qui dansent dans le feu de camp. Long blond hair : selon Howard Hawks les hommes préfèrent les blondes, Johnny Powers ne résiste pas à leurs charmes, une reprise soyeuse comme une chevelure qui coule entre vos mains, attention à la morsure du serpent. Un morceau qui n'a l'air de rien, en qui résident peut-être la pure essence et l'épure infrangible du rockabilly, les Sprites nous en offrent une version magistrale. Hold me, hug me, rock me : un petit dernier de Gene Vincent pour clore la série, le coup de l'étrier, nécessaire et vital car ça galope dans tous les sens, se débrouillent pour donner leur meilleur. Et ça s'entend, une étoile de shérif pour Phil et sa voix vénéneuse.

LIVE IN FRANCE

Cruisin' : en public, vous avez Red Dennis qui bat le rappel et la guitare qui tricote, un des des plus beaux titres de Gene, ça crie dans les coins, la prise de son n'est pas parfaite mais personne ne s'en plaindrait. I'm ready : et l'on enchaîne sur Cochran, certes on a l'impression que la cassette ne peut saisir que deux instruments à la fois, mais l'essentiel est sauvé, le bateau flotte et arrive à bon port. Long blond hair : toujours une sacrée joie de réécouter Johnny Powers et les Sprites car nos lutins font des merveilles. Ces mecs sont habités. Je n'y étais pas mais je connais des gars qui trente-cinq ans après s'en souviennent. Teenage partner : elle a seulement dix-sept ans mais elle a foutu une sacré fièvre chaude aux Sprites, ça marchotte tout doux au début, un petit trottinement sympathique et puis c'est parti pour des déchirures et des coups de guitares qui vous crèvent les yeux, très beau travail de Gado à la contrebasse. Pretty pretty pearly : sont joliment prêts pour la perle vincenale une reprise de Terry Dene, un des meilleurs rockers anglais de la première heure qui en 1974 sortit l'album au plus beau titre sombrement crépusculaire que je connaisse I thought Terry Dene was dead... Superbe voix de Phil qui semble emportée comme un fétu de paille dans un tourbillon meurtrier. Z'avez le hors-bord de la guitare qui arrive en trombe pour le sauver et tous les autres en chœur qui l'encouragent à tenir bon. Inutile il nage comme un marsouin. Warm love : une version qui louche davantage du côté Trio que des Brothers. Un gros problème, trop courte. The cat is back at town : un chat noir qui bondit toutes griffes dehors. Sûr que les souris ne dansent pas. Le morceau n'est pas long mais quand il s'arrête vous êtes couvert de sang. Flat foot blues : une espèce de jazz-doo-wop qui déraille totalement dans les outrances blue-capsiennes. Trente ans de musique américaine synthétisés en moins de trois minutes. Share of love : une compo, qui ne dépare pas dans l'ensemble, une guitare moins pointue qui polit les angles, mais nos garnements n'échappent pas à une lourde hérédité. Quoi qu'ils fassent, même quand ils essaient de se tenir correctement, l'on ne sait pourquoi, la situation dégénère. Cat man : ne s'attaquent pas à plus faible qu'eux, une batterie qui adopte la démarche du tigre qui se tapit dans les broussailles avant de bondir, des cordes mortelles surmontées d'angoisse et une voix apnéique chargée de menace qui déchire les chairs innocentes. On eût aimé qu'ils nous rejouent la scène plusieurs fois, mais non, ce soir ce ne sont pas des tueurs en série, on le regrette. Well, I knocked bim bam : délibérément plus méchante et rentre-dedans que la version studio. Cette fois c'est Gado qui porte les coups mortels à la contrebasse, vous écoutez quatre fois à la suite uniquement pour gouter ses uppercuts. Vous êtes OK pour le KO. Maso-rock ! White lightnin' : le son n'est pas au mieux mais l'enthousiasme des Sprites est plus que communicatif. Un beau chantilly de guitare en prime. Plus électrique qu'en studio. On s'en ressert vite une grande rasade. Race with the devil : un petit tour en voiture, c'est le diable qui conduit, autant dire que ça secoue seulement, les filles en perdent leurs épingles à cheveux dans les virages spiralés, si vous préférez les chocs ouatés et sans danger des auto-tamponneuses, ce cut n'est pas pour vous. Mama don't allow : une reprise d'Arthur Big Boy Crudup, vraiment up, le blues bouffé aux mites par le rock'n'roll, Elvis quand il avait repris le That's all right Mama au même Big Boy, il s'était comporté en garçon respectueux, lui avait refilé une nouvelle jeunesse, les Sprites s'y jettent dessus et vous le démantibulent de toutes leurs mandibules. Ne respectent rien. C'est parfait. C'est moi qui le dis, un célèbre général se serait écrié : non à la chienlit ! I can't love you no more : une compo, méfiez-vous du titre, à le lire vous avez envie de larmoyer sur l'épaule d'une gerce, erreur fatidique, ce n'est pas un slow, juste le contraire un TGV explosif dans lequel ils ont collectionné tous les plans dynamite à la Gene Vincent. Bi-bickey-bi-bo-bo-go : d'ailleurs ils enchaînent les terribles onomatopées – quand je les ai lues la première fois de ma vie sur une pochette de Gene j'ai compris que ce n'était pas de la plaisanterie – les Sprites aussi, vu la version à l'emporte-pièce qu'ils en donnent. Par contre ils ne respectent pas sur la pochette la séparation entre le B et le I : il faut bien leur trouver un petit défaut. Big Sandy : elle est aussi grosse que cette grande maigre de Sally, et tout aussi sauvage qu'un rhinocéros que vous venez réveiller dans sa sieste. Son embonpoint lui vaut un bon point pour sa pointe de vitesse. Pink thunderbird : un morceau de Paul Peek, un clapper boy émérite des Blue Caps, autant dire que ça filoche sur la corniche lorsque le chien sort de sa niche et que les Sprites vous écraseront même si vous passez prudemment sur le passage clouté. Pas grave votre sang séché sur la carrosserie aura la couleur de la Thundebird. Au moins pour une fois vous aurez servi à quelque chose dans votre vie.

Sûr que les Sprites avaient intégré Gene Vincent and his fabulous and gallupin' Blue Caps dans leur maudite caboche. Avaient appris leur leçon par cœur et sur les bouts de l'âme. Mais savaient la décliner parfaitement. Ne répétaient pas comme des perroquets sur leur perchoir. Zétaient à l'aise sur le trapèze volant. Z'insufflaient tout l'enthousiasme de leur jeunesse dans le package. Ecoutez les Sprites c'est comprendre comment et pourquoi les rockers français furent traumatisés par Gene Vincent. Il est temps de ressortir vos mouchoirs et de maudire les destins qui ne leur ont pas permis de produire au minimum un album. Ce ne fut pas de leur faute, les Dieux étaient jaloux.

 

Damie Chad.

 

SAINT JAMES INFIRMARY

 

La première fois que j'ai visionné – cela fait longtemps – Saint-James Infirmary  sur You Tube, je suis tombé sur la magnifique version de Bobby Blue Band, mais à tout seigneur tout honneur, puisque c'est Louis Armstrong qui lui a donné ses lettres de noblesse en 1928, je n'ai pas manqué d'écouter. La voix, les cuivres, l'on atteint à la beauté absolue. Au bout de quelques instants YT m'en a offert une version avec transcription des lyrics. Vous connaissez ces amerloques, z'ont une fautive manière de bouffer les mots qui ne correspond en rien, en notre douce France, à la si parfaite prononciation des professeurs d'anglais de notre adolescence, qui eux savaient rester compréhensibles... Avais-je tout bien compris, autant vérifier.

L'annonce était incomplète, oui il y avait les lyrics qui s'affichaient discrètement, mais ils n'étaient pas seuls, la vidéo offrait un supplément, tout un lot d'images grises et mouvantes. Des extraits muets de films, qui collaient merveilleusement bien au texte. Il me souvient d'avoir lu que la scène de l'enterrement était celle des obsèques de Rudolph Valentino, je ne peux pas le certifier. Je ne suis ni un cinéphile aguerri ni un fan inconditionnel de ce beau Rudolph pour qui ( la légende raconte que ) quelques jolies femmes ont été jusqu'à se suicider sur sa tombe. Geste absolutoire autant qu'abolitoire qui mêle l'effusion sentimentale à cette notion d'amour suprême chère à John Coltrane et à Villiers de l'Isle Adam qui n'est pas sans rapport avec la suite du montage.

J'ai essayé ces derniers temps de retrouver ce document, en vain, j'ai insisté, le serveur ne m'a offert qu'une version espagnole qui devait être un repiquage de repiquage de repiquage, bref des images floues. Mais ce n'est pas tout, apparemment les espagnols ne connaissent pas les sous-titres, par contre ils sont les rois du sur-titrage. C'est leur côté aficionado de los toros qui ressort, vous agitent de grosses lettre rouges como una muleta sous les narines del bicho qui occupent si largement l'écran que vous essayez d'entrevoir ce qui se passe dans la lorgnette d'un O où sous les jupes des M, voire au-dessus de la jambe du Q. Mais l'on n'est pas là pour dire du mal de los habitantes de tras los montes mais pour évoquer Saint-James Infirmary Blues.

Vous connaissez la triste histoire. Un gars qui va voir sa petite amie morte à l'hôpital. De quoi vous déchirer le cœur. A sa place vous pleureriez comme une madeleine. Que dis-je comme un sachet de trois kilos de ces gâteries proustiennes. Mais vous savez, il est des gens, vous leur montrez le cadavre d'un être cher et au lieu de pleurer le malheureux défunt ils tournent leurs gros chagrin vers leur petite personne et s'apitoient sur eux-mêmes. Ramènent tout à eux. Le héros de cette tragédie en est un parfait exemple. Elle peut aller n'importe où dans l'outre-monde, jamais elle ne trouvera un mec aussi bien que moi affirme-t-il. Mais le guy n'est peut-être pas aussi mauvais que l'on pourrait le croire. Doit avoir des idées noires, pense à sa mort, demande à ce qu'on l'enterre dans un beau costume et que l'on rajoute une pièce en or de vingt dollars à sa chaîne de montre, afin que tout le monde sache qu'il n'est pas mort sans le sou ou dans la misère. Et puis Satchmo vous refile une fanfare funèbre à vous hérisser la moelle épinière, et ça se termine par une sonnerie aux morts aussi brève qu'un basculement de cercueil dans la fosse.

Dans la version filmée ils n'y vont pas de main morte pour la mise en images interprétatives, ils rajoutent sur la longue introduction musicale une scène qui n'est pas mentionnée dans les paroles, un gars effondré dans un bar à qui l'on demande ce qui ne va pas et qui raconte qu'il est allé voir sa petite amie morte à l'hôpital...I went down to...et pendant qu'il sanglote sur sa chérie l'on voit le fantôme de celle-ci qui quitte son corps et erre dans les rues, elle porte à son cou le double pendentif des portraits miniatures des deux amoureux qui communiquent entre eux. Retour dans le bar, le boy avale un dernier verre et s'écroule mort. Enterrement de première classe, mais alors que le cercueil est porté dans l'église, le couple fantôme se retrouve et s'enlace pour une dernière valse... Save the last dance for me ! le clip se termine sur deux tombes rapprochées. Unis dans la vie, réunis dans la mort, l'on dirait du Tristan et Iseult.

Emouvant, mais c'est ce qui s'appelle colmater les interstices. C'est un vieux blues, et l'on sait que les paroles de ces antiques morceaux ne sont pas fixes, selon que vous vouliez rallonger ou raccourcir une prestation live, vous rajoutiez ou supprimiez des couplets. Yes, my son, mais ce n'est pas vraiment un vieux blues, c'est une vieillerie encore plus ancienne. Elle appartient au folklore traditionnel américain. Toutefois c'est un amateur de jazz qui en a fourni le texte '' officiel '' chanté par Louis Armstrong. Blues, folk, jazz, l'on sent la foire d'empoigne. Quoi qu'il en soit le jazz marque un point, et pas par un troisième couteau de la deuxième arrière-cuisine, Irving Mills. Bien connu des amateurs de jazz, l'a monté son propre Big Band avec entre autres Tommy et Jimmy Dorsey, Lionnel Hampton, Eddie Lang et quelques autres du même tonneau. Mais il n'a pas eu que cette corde à son arc, parce que voyez-vous l'ar(t)gent c'est encore mieux, avec son frère Jack, l'a monté une maison d'édition, ce qui nous explique pourquoi en passant, abondance de biens ne nuit pas, il s'est dépêché de prendre quelques droits sur le Saint-James, juste pour l'argent de poche, parce que l'Irving, il avait de l'oreille et du goût, l'a repéré Duke Ellington, s'est dépêché de le cornaquer et l'a aidé ( hum-hum ) à composer quelques morceaux, par exemple Caravan pour qui vous aboyez et frétillez ( je n'ose pas dire de la queue parce que les lectrices pourraient se vexer d'être privées de cet appendice naturel ) de plaisir quand vous l'entendez. Bref avec une dizaine de titres Jack et son frère sont devenus millionnaires. Pourtant Irving n'était pas très fort en math, sont trois à signer Caravan mais il s'est trompé dans la division, cette lamentable erreur lui a permis de toucher 50 % des droits. Comme quoi, il avait les idées larges. L'a été le premier à enregistrer sur un même disque des musiciens noirs et blancs. L'a aussi inventé le concept de jazz-group exclusivement féminin. Un petit truc en plus sur Irving, utilisait aussi quelques pseudonymes, Good Goodwin qui pour nous est une fausse piste et celui de Joe Primrose qui nous intéresse davantage. D'ailleurs parfois Saint-James Infirmary Blues est signé : Joe Primrose. Mais les paroles ne sont pas identiques.

Mais retournons au blues. C'est Blind Willie Mctell né à la fin du siècle précédent mourut en 1959, en 1961 parut Last Session disque qui regroupe treize titres, le deuxième de la face A, enregistré en 1940, The Dying Crapshooters blues, l'est sûr qu'il peut avoir le blues Jesse , sa petite amie l'a quitté, pour un vieux plein aux as ( de cœur ), n'est pas tendre notre crapshooter a vite fait de régler ses comptes en lui refilant un as de pique ( en plein cœur ), l'a à peine trucidé son rival qu'une malencontreuse patrouille de police ( tout le monde la déteste ) survient, les flics l'abattent... tandis qu'il agonise il dicte ses dernières volontés, pas d'héritage, mais que les lanceurs de dés pipés qui furent ses amis, lui préparent un enterrement royal, une carte à jouer sur le cercueil et les plus belles filles des bordels en nombre, et que l'on danse le charleston... fait même preuve d'humour noir puisqu'il désire aussi la présence du shérif et du juge qui l'a maintes fois condamné... L'on reconnaît une situation similaire à celle de Saint James Infirmary Blues... Bref la triste vie d'un joueur. Retenez bien ce dernier mot.

Il existe d'autres versions du Saint James Infirmary, beaucoup plus longues. Parfois l'on rajoute une strophe de quatre vers juste après le début, le gars vient de trouver sa baby en mauvais état, mais pas encore morte, alors il file se renseigner à l'étage auprès du toubib, mais quand tous deux reviennent près de la malade, elle vient de mourir... C'est alors qu'il décrète qu'il faut la laisser aller où elle veut, jamais elle ne trouvera dans l'autre monde un gars aussi merveilleux que lui.

Ce petit couplet n'apporte pas grand-chose, peut-être le signe que l'histoire originelle est plus longue que la version d'Irving Mills pour Armstrong. En effet il en existe une autre version parfois nommée The gambler's blues. ( Souvenons-nous que Gambler signifie : joueur. ). C'est le même texte, mais avec un début et une fin. Un premier Narrateur qui raconte qu'il descend ( I went down ) au bar du vieux Joe, c'est l'heure de l'apéro mais son copain Joe McKennedy tire une drôle de trombine et ses yeux sont bien rouges. Ne se fait pas prier pour raconter son histoire, vous la connaissez, I went down to Saint-James Infirmary... invite en plus un lot de jolies filles et un orchestre de jazz à son enterrement. Mais le Joe Kennedy est encore vivant, tournée générale et ne vous étonnez pas toutefois s'il a le gambler's blues ! Blues des joueurs. Chez certains interprètes il a chopé le Saint James Infirmary Blues. Dans ces cas-là le titre est attribué à Irving Mills. J'ai cru comprendre mais je ne saurais affirmer que Irving Mills en avait rédigé une version brève et une plus étendue, de toutes les manières l'on ne crédite que les riches.

Reste une chose turlupinante. Que vous preniez le texte le plus long ou le plus court, il est un peu duraille pour la gent féminine, ( avec un peu de chance une pétition d'enragées interdira la diffusion de ce scandaleux morceau entaché d'idéologie ultra-machiste ), en grossissant un peu on résume ainsi : zut elle est clamsée, moi quand je mourrai je vous promets une fête d'enfer ! En France je ne vois que l'Alleluia de Jean Ferrat qui traite des fins dernières avec cet humour sardonique.

L'on a parlé Jazz, l'on a causé Blues, reste le Folk. Direction les Appalaches ( on ne lâche pas l'affaire ), en 1918 une chanson titrée St James Hospital débute par : As I went down by St James Hospital, one morning... mais là ce n'est pas un amoureux qui trouve sa petite amie hors-circuit, mais un père face au cadavre de son fils... ce serait une diversification d'une chanson de cowboy, The Dying Cowboy qui sur son lit de mort implore ses camarades de ne pas l'enfouir dans la prairie où hurlent les coyotes ( un truc qui fout les chocottes )... le morceau a été collecté par Cisco Houston qui fit partie des Almanacs Singers avec Pete Seeger et Woody Guthrie. Nous ne sommes pas loin de Dylan qui écrivit une chanson hommagiale à Blind Willie McTell...

Remarque particulièrement sexiste : dans ces deux chansons, ce sont de jeunes garçons qui meurent... Autre piste, comme par hasard il existe encore de nos jours un St James Hospital à Dublin. En Irlande. Lorsque l'on connaît l'apport musical des Irlandais au folklore appalachien, on a tôt fait de traverser l'océan. L'existait aussi à Londres un Lock Hospital ( spécialisé dans les maladies vénériennes ) qui est mentionné dans une chanson dans laquelle un jeune gars, The unfortunate lad, est atteint de syphilis. Quand on grattouille, on chope la chtouille. Il a la trouille, il est sur le point de mourir, pas très stoïque, il se plaint, et rejette la faute sur une jeune prostituée qui ne l'a pas averti de sa maladie. Nous sommes aux alentours des 1770, cela se sent, le garçon reconnaît qu'il aurait dû écouter son papa et sa maman qui lui recommandaient de ne pas fréquenter les filles de mauvaise vie. Mon fils tu périras par où tu as péché. Mais cette chanson est une reprise d'un poème The Buck's Elegy ( L'élégie du mâle ) qui débute par : As I was walking down from Covent Garden, le narrateur rencontre un soldat mal en point qui demande que lors de ses obsèques, ses camarades déposent des roses sur son cercueil, qu'ils fassent résonner leur tambour, et qu'ils tirent des coups de fusil en son honneur... Ces deux derniers morceaux sont très proches de The Unfortunate Rake ( L'infortuné débauché ) : As I was walking down by the lock... traditionnel irlandais...

Les musicologues attirent notre attention : Saint James Infirmary Blues n'est pas un blues mais une ballade. Sa structuration musicale dénote une origine européenne. Laissons les spécialistes s'étriper sur le sujet. Ce qui est remarquable c'est la logique de la filiation et de la passation de cette chanson. Si très vite l'on se détourne de la jeune morte, c'est parce que l'imagination a été happée par les plaintes du jeune mourant. Dans le trad irlandais l'on ne s'attarde guère sur la fille, elle est la cause maléfique, cela pue la moraline chrétienne à plein nez, mais le morceau traite des tristes conséquences. A tel point que chez les cowboys on a évacué la maudite garce, mais dans le blues, l'on n'aime bien les filles surtout si elle sont ardentes. Le sexe, l'alcool, le jeu, le fric, la flambe, voilà la belle vie. Si vous avez mieux à proposer, passez vite un coup de fil. Certes parfois ce choix de vie peut vous refiler le blues, mais uniquement quand le flacon est vide.

Une ultime notule : la première attestation de la présence de la ballade venue de la perfide Albion aux Etats-Unis remonte à 1840. C'est en ces années que Edgar Poe travaille sur Le Corbeau. Quel en est le sujet : une jeune fille morte que le poëte ne peut oublier. Toutefois l'apparition du vil volatile n'incite pas à la joie. Le poëte n'en profite pas du tout pour veiller à l'ordonnance de ses obsèques, mais il reste dans son fauteuil anéanti dans son chagrin pour au moins l'éternité. Dans son dernier poème Annabel Lee publié en 1849, le poëte reprend la même thématique de la jeune fille disparue, là non plus il ne commandite pas les préparatifs de son enterrement, il n'en a pas besoin, ne passe-t-il pas toutes ses nuits à ses côtés '' sa tombe près de la bruyante mer''. Cette inter-sectionnelle similitude entre culture populaire et connaissance savante ouvre un abîme de réflexion quant à l'interaction d'une espèce de conscientisation collective inter-subjective, telle que le philosophe Husserl l'a initiée en ses derniers écrits. Pour moi j'ai toujours pensé que le rock'n'roll n'est qu'un surgeon du romantisme européen.

Damie Chad.

ROCK'N'ROLL DANCE

C'est Tony Marlow qui a mis cette vingtaine de minutes de Reportage France 3 Rock'n'roll sur son FB. Si vous avez de bons yeux peut-être parviendrez-vous à l'apercevoir derrière les danseurs. Lui ou quelques uns des membres du Tony Marlow Blue Five, Frank Guetatra est au sax, Jean-Marc Bouchet à une même embouchure, Dominique '' Zen'' Gimonet à la contrebasse, et Stéphane Moufflier à la batterie. Interprètent le vieux standard de Moustache, J'ai jeté ma clef dans un tonneau de goudron, en totale relation avec les heures glorieuses du lieu : le Caveau de la Huchette. Le Blue Five de Tony Marlow a sorti un single Mademoiselle Voulez-vous danser / Blue Five Boogie en 1991, vous retrouvez le titre de la face A sur la compilation de Tony : 40 ans de Rock'n'roll 1978 – 2018, qui se doit d'être dans votre discothèque.

Mais le Marlow, il ne fait pas le marlou trop longtemps, deux minutes, en arrière-fond, ce n'est pas lui le héros de la pellicule. C'est Guilaine ( je ne sais si je respecte l'orthographe du prénom ) et Jean-Claude partenaire et mari de la belle. Les deux en vedette, mais surtout Elle en voix off. Une accro de rock'n'roll, comme moi plastronnerez-vous chers kr'tnt-readers, pas du tout, Guilaine est accro à l'acro. C'est ainsi, l'acro la branche. Quand vous la voyez longer le long de son quai de gare, vous ne pouvez imaginez que dans les images qui suivent, elle va s'envoler. Son péché mignon qu'elle partage avec Jean Claude c'est le rock acrobatique. Rien à voir avec le lindy hop pantouflard des familles du samedi soir.

Musicalement le rock acrobatique, ce n'est pas toujours le pied, dans l'extrait ça va du pire au meilleur, des Forbans à Elvis... sportivement c'est un superbe challenge. Faut avoir les amygdales bien accrochées pour s'en aller virevolter à quatre mètres de hauteur, réaliser un double salto arrière et enchaîner sur un rythme endiablé vrilles et saltos-avant comme si de rien n'était. La tête en piqué vers le sol à la vitesse d'un Spitfire. Moins dangereux pour le cavalier qui reste à terre mais perso le poids de la responsabilité de la réception ratée me paralyserait... Davantage un sport que du rock proprement dit - ce sont souvent des gymnastes qui se lancent dans cette discipline - les résultats de ces performances attribuées par des juges m'ont toujours paru à caution. Mais pour notre couple, ce n'est pas le plus important. Se définissent avant tout comme des fanas de rock.

J'aurais tendance à classer le rock acrobatique dans les arts du cirque, les paillettes, le bruit, les émotions, la foule... mais le rock lui-même m'est toujours apparu comme excroissance de cet art populaire et profondément élitiste et performant qu'est le cirque. Une tribu un peu à part. Lorsque Guilaine parle de ses sensations, de la griserie des applaudissements, des cris et des injonctions, l'on ressent la fièvre et la passion, le plaisir de se transcender, de se regarder dans le miroir des autres que l'on a allumé de désirs, une espèce de narcissisme provoqué que l'on partage pour mieux s'abîmer en sa propre image. Être soi en l'étant selon tous. Une étoile qui brille et s'éteint. Un moment de beauté ou de joie dans le monde. Et puis l'éclipse, qui n'est que l'absence de ce qui a eu lieu. A thing of beauty is a joy for ever a dit Keats.

Damie Chad.