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18/12/2021

KR'TNT ! 535 : HOLLAND & HOLLAND / WHY OH WHYS / WHITE FENCE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / GENE VINCENT / LANGSTON HUGHES / DANIEL GIRAUD/ ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 535

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

23 / 12 / 2021

 

HELLO, GALS & GUYS

LA LIVRAISON 536 PARAÎTRA

LE 06 / 01 / 2022

NOUS VOUS SOUHAITONS

DE TORRIDES SATURNALES !

KEEP ROCKIN' !

 

ATTENTION CETTE LIVRAISON 535 PARAÎT

AVEC QUELQUES JOURS D'AVANCE

N'OUBLIEZ PAS DE LIRE LA 534 !

 

HOLLAND & HOLLAND / WHY OH WHYS

WHITE FENCE 

ROCKABILLY GENERATION NEWS

GENE VINCENT / LANGSTON HUGHES

DANIEL GIRAUD / ROCKAMBOLESQUES

 TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Holland & Holland of thousand dances

 

Comme chacun sait, le trio Holland/Dozier/Holland fut la poule aux œufs d’or de Motown : tous les hits des Supremes, des Marvelettes, des Four Tops et de Martha Reeves & the Vandellas, c’est eux. Eddie et Brian Holland reviennent dans l’actualité avec un recueil de mémoires, Come And Get These Memories et le fameux Mojo Interview, réservé aux grands de ce monde.

Les pépères ont pris un coup de vieux, mais c’est un peu logique, car ils composaient déjà des chart-toppers quand tu étais encore en culottes courtes. Ils portent des barbes, des lunettes et des casquettes, mais diable, il s’agit de deux des plus grands héros de l’histoire de la Soul ! Eddie atteint les 80 piges. S’il a attendu aussi longtemps pour publier ses mémoires, c’est dit-il parce qu’il jugeait tout cela trop personnel, une façon de dire : ça ne regarde personne, après tout. Puis des affairistes se sont rapprochés d’eux pour leur soumettre un projet de biopic et quand Eddie et Brian on vu que ça tournait autour des clichés habituels (la relation de Brian avec Diana Ross, les procès avec Berry Gordy et le gambling d’Eddie), ils les ont envoyés sur les roses. Eddie rappelle aussi dans l’interview qu’il eut la chance d’être initié à la musique et à la philosophie par Uncle James, ce qui lui a permis toute sa vie de garder une distance avec la réalité.

Eddie est l’aîné, le plus joli des deux, il réfléchit et écrit les paroles (il est assis sur l’illusse). D’un naturel rêveur, Brian est le mélodiste (debout sur l’illusse). C’est lui amène les idées et qui lance les hits planétaires. Brian commence à gagner du blé en tant qu’auteur/producteur pour Motown, alors qu’Eddie qui est chanteur et poulain de Berry Gordy, n’en gagne pas. C’est là qu’il comprend qu’il est dans le wrong business et qu’il doit devenir auteur, comme son frère. Alors il apprend à écrire des textes de chansons. Pour lui, le crack, c’est Smokey Robinson, toutes ses chansons sont parfaites. Tellement parfaites qu’Eddie se dit qu’il ne parviendra jamais à écrire des textes aussi bons. Il s’aperçoit toutefois que les textes de Smokey sont assez sophistiqués, alors Eddie se dit qu’il va trouver son propre style. Il réfléchit à l’utilisation d’expressions familières et aux associations d’idées, il veut raconter des histoires et rester fluide, il apprend à utiliser les virgules - The correct use of commas. Elles sont devenues très importantes pour moi car nos chansons étaient très rythmiques et le commas jouaient un rôle majeur dans la syncope - Eddie ne cherche pas systématiquement les rimes. Il recherche plutôt à exprimer des pensées et des sentiments. Il trouve la rime trop contraignante. Il s’enferme et passe des semaines sur ses textes. Il est obsédé. On connaît le résultat. Brian résume tout à sa façon : «That quest for perfection... that is what this book is about.»

Côté influences, Eddie dit ne pas aimer le blues. Il préfère le gospel et la pop. Ado, Eddie voit des tas de concerts à Detroit, Little Willie John, Ike & Tina Turner, les Diablos qui étaient les plus populaires à l’époque. Et les Royal Jokers avec Willie Jones qui dit-il était bien meilleur que Clyde McPhatter. Quant à Brian, il écoutait les Flamingos, les Soul Stirrers et the greatest singer of them all, Ira Tucker of the Dixie Hummingbirds, un gospel group actif depuis les années 20 et qui a inspiré tout le monde, y compris Jackie Wilson et James Brown - Black music would have been different without the Hummingbirds et ils avaient encore un impact dans les années 70 - Brian ajoute que Lynda Laurence qui était dans l’un des derniers Supremes line-ups était la fille d’Ira - Nobody could song like Ira - Brian repart de plus belle avec Nat King Cole, the greatest thing ever and I don’t care what anybody says.

Le Holland book apporte un éclairage extraordinaire sur l’early Motown. Tous les férus de Soul vont devoir lire ce book car on entre au 2648 West Grand Boulevard, dans ce gros pavillon qui fut un studio de photographe avant de devenir Hitsville USA, the nerve center of American pop music for the next ten years or more. Brian est le premier employé de Motown. Il ramasse un chèque de 12 $ chaque semaine. Les autres, comme Mickey Stevenson et Norman Whitfield sont arrivés après. Le concept de Berry Gordy consiste à créer un son unique, comme l’a fait Phil Spector. Pour ça, il lui faut un house-band qui va jouer sur tous les disques, une équipe de producteurs maison et un studio intégré. Il veut aussi une équipe d’auteurs pour tous ses groupes, ça fait partie du concept. Il va encore pousser le bouchon du concept en créant le fameux Quality Control Department. Brian en fait partie, avec Billie Jean Brown, VP of Creative Evaluation. Il y a aussi Smokey Robinson et Mickey Stevenson. Eddie est impressionné par Berry Gordy : tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait pointe dans une seule et même direction, Motown - management, composition, publishing, recording, everything - Berry nous dit Eddie aimait le talent, especially raw talent et il aimait par dessus tout le développer - If you were good when you walked through the Hitsville door, you became great. All we had to do was learn - Eddie poursuit : «Everything we knew, we learned from Berry. He was our mentor.» C’est un hommage extraordinaire qui nous repose de l’habituel Berry-bashing.

Lorsque la société américaine des mid-sixties entre en ébullition avec la lutte pour les civil rights, Berry Gordy décide rester à l’écart du mouvement. Il pense que c’est une erreur de se radicaliser. Il a nous dit Eddie une autre approche du problème : il veut combattre le système de l’intérieur. Il rêve d’un temps où les artistes noirs envahiront les hit-parades - Which is what we did, assène Eddie en guise de chute radicale - Motown a plus fait pour la cause des noirs aux États-Unis que le mouvement initié par Dylan, Joan Baez, Phil Ochs, Peter Paul & Mary et tous les tenants de l’aboutissement.

Eddie revient souvent sur la personne de Berry Gordy qu’il connaît depuis toujours. Il l’a vu devenir adulte, connaître des hauts et des bas mais quoi qu’il pût arriver, Berry continuait d’avancer. Il a toujours été déterminé - Le succès de Motown n’est pas un accident. It grew from Berry’s understanding of what both the times and the music required - Eddie enfonce son clou : «The Motown Sound was Berry’s creation. Pas complètement, il est vrai que tous ceux qui ont travaillé à Motown ont contribué sur le plan créatif, but the basics were Berry.» Eddie insiste aussi beaucoup pour dire que Berry payait bien les gens, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs. Il payait même mieux qu’ailleurs. Berry raconte qu’à l’époque où il écrivait des chansons pour Jackie Wilson, il n’était pas payé. Il s’était alors juré qu’il ne traiterait jamais personne comme on l’avait traité, and he didn’t.

Et puis un jour, on présente Lamont Dozier aux frères Holland. Ils sympathisent tous les trois et décident de bosser en trio - The greatest songwriters and production team ever - Eddie nous dit que Lamont était un batteur qui s’y connaissait en syncope. Il ajoute que Lamont était aussi un gros dépressif et pas mal de ses chansons came out of that. La première chanson qu’ils composent tous les trois en 1963 est «Come And Get These Memories» pour Martha & the Vandellas. Au début, les Vandellas s’appelaient les Del-phis, mais Berry détestait ce nom. Il proposa the Dominettes, mais Martha détestait ce nom. Elle suggéra à la place The Vandellas, «a cross between Van Dyke Street in Detroit and her favourite singer, Della Reese. Berry agreed.» Lamont est the driving force dans le trio. «Heat Wave» vient d’un thème mélodique qu’il avait l’habitude de jouer sur le piano du studio quand on arrivait. Comme il manquait une chanson aux Vandellas, son thème est devenu «Heat Wave». Eddie insiste beaucoup pour rappeler à quel point Martha & the Vandellas étaient énormes en 1963. Eddie supervisait l’enregistrement des lead vocals et Brian enregistrait. Lamont supervisait les backing vocals. Et dans tous les cas, c’est Brian qui mixe - the final mixes were my decision - Lorsque les Vandellas perdent de la vitesse, le trio passe aux Supremes et aux Four Tops. Ils ne travaillent pas forcément avec les autres stars Motown. C’est Norman Whitfield qui bosse avec Marvin - Marvin himself was a dream. He was the greatest - Brian ajoute : «Marvin chantait tout ce qu’on lui demandait de chanter. He’d do jazz, he’d do gospel, pop music, he was that good. Vous lui donniez une chanson à interpréter, pas besoin de lui expliquer ce qu’il fallait faire, il savait. That guy was the most brillant singer of them all.» Le système Motown est particulier : le compositeur propose une chanson au producteur. Puis l’artiste l’enregistre - That was one of Motown’s strongest points, the producer chose the songs, not the artist - Mais dans le cas de Smokey, c’est différent, parce qu’il est à la fois producteur et artiste. Holland/Dozier/Holland composent «Mickey’s Monkey» pour Smokey et bizarrement, Smokey l’accepte et l’enregistre. Brian rend aussi hommage à James Jamerson qui savait tout jouer - He played with one finger, ce qui est très difficile (...) Il pouvait jouer très vite avec un temps de réaction exceptionnellement rapide - Il rend ensuite hommage aux fameux Funk Brothers, Benny Benjamin, Robert White, Joe Messina, Earl Van Dyke, Richard Pistol Allen et Eddie Bongo Brown.

C’est bien sûr avec les Supremes que le trio HDH décolle. Les Supremes explosent avec «Were Did Our Love Go». C’est là que Motown devient énorme - Motown became a sound and a lifestyle - Le job du trio consiste à maintenir les Supremes au sommet. Alors ils se mettent à bosser d’arrache-pied : «Baby Love», «Come See About Me» et «Stop In The Name Of Love». Brian avoue qu’il a composé «Baby Love» pour Diana qui était alors sa poule. C’est une période miraculeuse - Everything the Supremes touched turned gold - Eddie compose «You Keep Me Hanging On» grâce à sa copine Venelle qui est enceinte et qui se plaint qu’Eddie la fasse poireauter en ne voulant pas s’engager. Alors elle pleure et elle gueule, you just keep me hangin’ on. Eddie tire tous ses textes de son vécu.

Et puis il y a les Temptations. Tout le monde chez Motown veut travailler avec eux, HDH les veut, Norman Whitfield les veut, mais ils sont la chasse gardée de Smokey. Les frères Holland devront attendre 1978 pour produire Bare Back, qui, d’ailleurs n’est pas sur Motown mais sur Atlantic. Chez Motown, c’est Norman Whitfield qui va finir par les avoir. Il les voulait de toutes ses forces. C’est au moment du virage psyché. Berry monte même le label Rare Earth pour enregistrer des groupes de rock. Brian entend la reprise de «You Keep Me Hanging On» par Vanilla Fudge et trouve ça dément - It was phenomal, it was eight minutes long, they slowed it right down, they completely rebuilt it. The first time I heard it, I said, ‘Oh man, that’s great...’ - Puis Eddie est promu chef A&R chez Motown. Il signe Ashford & Simpson qui sont eux aussi des poules aux œufs d’or et Rita Wright qui justement enregistre l’«Ain’t Nothing Like The Real Thing» d’Ashford & Simpson. Une Rita qui retrouvera son vrai nom un peu plus tard, Syreeta.

Comme Eddie trouve que son frangin n’est pas assez bien rétribué, il en parle à Berry. Berry accepte de verser une prime à Brian en stock options, mais il tarde à agir. Alors Eddie met la pression. Pas de stock options, il veut monter un label HDH à l’intérieur de Motown. Berry dit non. Et les choses s’enveniment. Berry lui tend un papelard et lui dit de signer : c’est sa lettre de démission. Il n’est plus chef A&R. Eddie signe, furieux. Il quitte ensuite Hitsville. Puis Brian est viré à son tour - I left the building and went home, and I never went back - Mais ce n’est pas fini : Berry poursuit Eddie pour rupture de contrat. La guéguerre va durer quelques années, puis comme ils s’aiment bien, ils se réconcilieront.

Les frères Holland parlent de Motown comme d’un phénomène sacré. C’est un peu l’empire romain, the rise and fall. Eddie voit le Motown délocalisé se transformer : «Il y avait encore les grands noms, Marvin, Diana, Stevie, Smokey, Ashford & Simpson et une nouvelle génération était arrivée avec les Jackson 5 et les Commodores. Mais les chansons, c’était n’importe quoi, there wasn’t that old sense of Motown about it.» Brian ajoute que Motown n’aurait jamais dû quitter Detroit - Detroit was still the heartbeat of American music, and it still had a lot of untapped talent, as we had proven with Invictus - C’est Gamble & Huff qui prennent le relais, avec leur label Philadelphia International et les O’Jays, Billy Paul, The Three Degrees et Harold Melvin. Pour Brian, Gamble & Huff font le même job que Berry Gordy, il raflent tout - Ils avaient les artistes, ils avaient les musiciens, ils avaient leur studio et ils décrochaient hit after hit.

Après avoir quitté Motown, Holland/Dozier/Holland montent Invictus, c’est-à-dire invincible, et le sister label Hot Wax. Ils tentent de faire avec Invictus et Hot Wax ce que font Gamble & Huff à Philadelphie. Eddie démarre avec des groupes qui ne sont pas vraiment des groupes, 100 Proof Aged In Soul et Honey Cone, qui dit-il est son parfum de glace préféré. Il avait repéré ces trois blackettes à la télé, elle faisait des backing vocals pour Burt Bacharach : Edna Wright, frangine de Darlene Love, Shelly Clark, ex-Ikette et Carolyn Willis, a session singer. Eddie leur propose de devenir Honey Cone et d’enregistrer sur Hot Wax. Il rassemble aussi une équipe d’auteurs : William Weatherspoon qui n’est pas resté longtemps chez Motown, sa future femme Venelle qui écrit sous le nom d’Edythe Wayne et Ronald Dunbar. Eddie fait travailler des vétérans du snake pit d’Hitsville et le house band from the 20 Grand, McKinkley Jackson & The Politicians - They played on a lot of our sides.

Les artistes phares d’Invictus sont les Chairmen Of The Board, Parliament et Ruth Copeland, déjà évoqués ailleurs. Sur Hot Wax, on trouve principalement Honey Cone et Laura Lee, dont on parle aussi ailleurs, et d’autres groupes passionnants comme The Flaming Ember et 100 Proof Aged In Soul dont on va parler ici.

Eddie rappelle que les quatre Chairmen Of The Board sont des lead singers. Ils peuvent chanter tout ce qu’on leur propose et sonner comme les Four Tops ou les Temptations. Ils sont le fer de lance d’Invictus. Quand General Johnson et Ron Dunbar composent «Patches» pour le premier album des Chairmen, tout le monde tombe en pâmoison devant ce hit. Clarence Carter qui l’entend l’enregistre aussitôt chez Fame et il décroche un number one avec, les Chairmen sont pris de vitesse. Berry Gordy est tellement outré par l’épisode qu’il appelle Eddie pour lui dire «How did you allow that to happen?».

Harrison Kennedy et Danny Woods qui sont deux des Chairmen enregistrent des albums solo. L’Hypnotic Music d’Harrison Kennedy sort en 1971. On y retrouve la version de «Come Together» des Chairmen enregistrée l’année précédente sur l’album sans titre des Chairmen. Il confirme cette tendance poppy qui court sur tout son album : Harrison chante le hit des Beatles à la maniérée de la magnitude. Il attaque son morceau titre d’ouverture de bal d’A à la grosse voix de Detroit Soul Brother. C’est même étonnant d’entendre une voix d’une telle maturité chez un mec aussi jeune. Il passe au balladif poppy avec «Night Comes Day Goes». On croirait entendre un blanc, il fait presque du Traffic avec de longs entrelacs ambianciers qui partent à la dérive sans jamais mener nulle part. Vers la fin, il vise même l’«Hey Jude». Il nous refait le coup du balladif à l’anglaise en B avec «You Hurt Your Mother Again», mais ça ne tient que grâce à sa grosse présence vocale. Il tape aussi dans la Detroit Soul avec un «Gimme A Glass Of Water» bien stompé. C’est avec «Children Of The Day» qu’il finit par emporter la partie, il chante cette belle Soul d’Invictus au mieux du raw, ce très beau Soul Bother peut devenir inexorable c’est un screamer faramineux.

Le Chairman Danny Woods enregistre Aries en 1972. Big album, il ne faut pas prendre Danny pour la cinquième roue du carrosse. Il y a du Levi Stubbs en lui. Danny est un puissant seigneur. Il attaque son «Let Me Ride» au power maximaliste pour en faire du heavy raw de Detroit. Tout sur cet album est traité au même niveau de power qualitatif, on note l’excellence de «Try On My Love For Size», un r’n’b quasi-Sly dans l’exercice du pouvoir. Il reste dans le r’n’b dense et tendu avec «It Didn’t Take Long», just like it baby. Danny chante à la force du poignet. Il passe à la Soul des jours heureux avec «Working On A Building Of Love», you & me, me & you, il veut faire entrer everybody dans le building of love. Il attaque sa B avec un balladif de Willie Nelson, «Funny How Time Slips Away». Danny va le chercher là-haut sur la montagne, comme le ferait Jackie Wilson. Il monte encore d’un cran avec «Two Can Be As Lonely As One», il s’en va travailler sa Soul dans des clameurs spectaculaires. Il a tout le répondant du chant en stock et le trio Holland/Dozier/Holland fourbit l’enchantement orchestral. Dans les crédits figurent aussi les noms de H.P. Barnum et de McKinley Jackson. Danny finit à l’éplorée compositale avec «Danny Boy», il chante à la pointe de la glotte, il va chercher des notes suspendues à un fil, il chante à la poire pleine et remplit tout l’espace. C’est un fabuleux sculpteur d’objets sonores, il fait corps avec sa glaise métaphysique. Il faudrait se souvenir de Danny Woods comme d’un formidable rossignol de la Soul.

L’Inside The Glass House de Glass House paru en 1971 sur Invictus est devenu culte pour au moins une raison : «Heaven Is There To Guide Us». C’est une heavy Soul à la Junior Walker, du pur jus de genius de hot Soul, c’est brûlant, violent et insidieux. Le génie de Holland/Dozier/Holland consiste à recréer Motown après Motown. Ce que montre encore «I Surrendered» en A : Scheerie chérie qui est la sœur de Freda Payne fait du Motown pur et dur. Black power ! C’est sans doute Ty Hunter qui chante «Look What We’ve Done To Love» avec la voix de Marvin. On le retrouve aux manettes de «You Ain’t Living Unless You’re Lovin’», c’est l’un des grands Soul Brothers de la Detroit scene. En B ils passent au r’n’b plus classique avec «If It Ain’t Love (It Doesn’t Matter)». C’est très bon enfant, salué aux trompettes, chacun prend son petit couplet, Pearl Jones, Larry Mitchell, Ty Hunter et Scheerie chérie. Ils passent au Detroit funk avec «Hotel», chanté à la pointe de la glotte rose, ah comme elle est bonne notre Scheerie chérie !

Thanks I Needed That paraît l’année suivante et se distingue encore par les qualités de ses chansons. La petite black de Glass House chante merveilleusement «House Is Not A Home», un hit de Burt. Les frères Holland savent orchestrer, pas de problème. On retrouve Scherrie Payne avec «The Man I’ll Never Have». Elle chante avec une passion consommée, elle monte bien. Holland/Dozier/Holland signent «Thanks I Needed That» qui ouvre le bal de la B, ils font ce qu’ils savent faire de mieux, du pur Motown. Scherrie chérie revient exploser «Don’t Let It Rain On Me», il faut la voir chanter la Motown Soul étoilée ! Elle co-signe encore «Let It Flow» avec Brian Holland et Lamont Dozier, elle chante son I need you baby au gros popotin, alors pas de problème. Au final, c’est un très bel album de Soul, il porte bien la griffe HDH, c’est une perfection.

Les deux albums de The 8th Day parus en 1971 et 1973 sont assez mitigés. Le premier qui s’appelle 8th Day bénéficie d’une pochette superbe : un diable t’invite à danser le funk. Le groupe monté de toutes pièces par les frères Holland propose une Soul qui sent bon le vécu. L’homme chante à l’éraillée. C’est de la Soul classique montée sur un bassmatic bien rebondi à la Jamerson. Ils tapent dans l’énorme hit de Ronald Dunbar, «Too Many Cooks (Spoil The Soup)», un heavy r’n’b chanté à la glotte incandescente. Même power que celui des Tempts, on reconnaît d’ailleurs les dérapages contrôlés d’«I Know I’m Losing You». La B est une face lente, comme sur les compiles Formidable Rhythm’n’Blues d’Atlantic. Ils font du balladif ambiancier à la Curtis Mayfield («Just As Long») et du balladif élégiaque singé Dunbar («I’m Worried»). «I’ve Come To Save You» sonne comme la Soul vainqueuse d’all over the ‘cause I need you.

Leur deuxième album se loge à la même enseigne et s’appelle I Gotta Get Home (Can’t Get My baby Get Lonely). On les voit tous les huit sur la pochette, cinq blacks et trois blancs. Ils démarrent avec «I Gotta Get Home», un fantastique shoot de hard hitting Soul, c’est martelé au beat des forges de Detroit, rivé à chaud et bardé de Black Power, sans doute le meilleur du monde. Ils font des instros de soft groove («Cheba» et «Anythang») joués dans les règles du lard fumant. Pas de meilleur lard que celui-là, le lard Holland/Dozier/Holland supervisé par Ronald Dunbar. En B, ils passent au Soul funk avec «Rocks In My Head», très inspiré de Sly Stone, monté sur un beat hypno bien répercuté par les filles aux chœurs. Ils restent dans le heavy funk avec «Faith Is The Answer» et le réhaussent de wah, c’est un vrai carnage, on frise le funkadelic, boy ! Ces gens expérimentent et «Get Your Mind Straight» en bouche en coin, car voilà un cut en arrêt joué aux infra-basses et lâché ensuite dans la nature pour virer poppy. Ils terminent avec cet «Heaven Is There To Guide Us» qu’on retrouve sur le premier album de The Glass House. Bel hommage aux Tempts, il vise le haut du panier. Dès qu’on touche aux Tempts, ça devient forcément emblématique.

Freda Payne a enregistré trois albums sur Invictus, à commencer par Band Of Gold en 1970. Au dos de la pochette, on voit la belle Freda pensive à la fenêtre et avec le morceau titre, elle nous fait un superbe hit Motown, lourd de conséquences et de gros popotin, gorgé d’aplomb et de rage contenue. Ron Dunbar signe cette merveille impérissable. L’album est très Motown, Freda chante sa soft Soul d’une voix de rêve. Avec «Rock Me In The Craddle», elle règne sur le Freda world, elle est fantastique. Son «Unhooked Generation» est digne des early hits de Stevie Wonder, elle a la niaque du son, c’est pas loin d’«I Was Made To Love Her». Voilà encore un excellent shoot d’Invictus, tous les cuts sont soignés, ce ne sont que des grosses compos. Elle monte bien en neige «The World Don’t Give You A Thing», un hit signé Holland/Dozier, pour changer, et elle revient enchanter le monde avec «Happy Heart», une merveille de Soul magique violonnée par dessus les toits.

Paru l’année suivante, Contact est un peu moins dense. Il semble que cet album soit conçu comme une comédie musicale. C’est très orchestré avec du narratif intempestif. La Soul devient hollywoodienne. Elle fait un peu de Motown avec «You Brought Me The Joy» et casse la baraque en fin d’A avec «You’ve Got To Love Somebody (Let It Be Me)». Elle monte à un très haut niveau d’enchantement. Elle fait du Motown de l’âge d’or. Elle monte en B au sommet de son chat pour «I Shall Not Be Moved», elle sait parfaitement pousser son Motown dans les étoiles. Freda est terriblement savoureuse. Et dans «Mama’s Gone», on retrouve le filet mélodique du «Patches» de General Johnson. Excellent ! Freda le tartine bien.

Elle se tape un dernier shoot d’Invictus en 1973 avec Reaching Out. Elle attaque l’album avec une belle Soul de sexe chaud, à l’image de la pochette. Corps de rêve. Toute l’A est consacrée au sexe chaud. Les affaires reprennent en B avec «We’re Gotta Find A Way Back To Love», big Soul de prestige, tout est là, l’ambiance, le swing, la voix, la classe, c’est à se damner pour l’éternité. Elle reste dans la Soul de charme avec «Rainy Days & Mondays» - Rainy days & mondays/ Always get me down - Avec Freda, le trio Holland/Dozier/Holland tenait une grosse poissecaille. Elle tape à la suite dans l’«If You Go Away» de Jacques Brel, elle en fait une version honorable mais pas aussi définitive que celle de Scott Walker. Elle le chante cependant à pleine gorge. Elle finit en classic Motown Sound avec «Right Back Where I Started From», elle tape ça au gros popotin, à la suprêmo des Supremes, Freda fait sa Ross quand elle veut, avec un sens aigu du chien de sa chienne.

En 1977, Eloise Laws enregistre Ain’t It Good Feeling Good. Elle attaque au diskö Soul, mais avec du chien de sa chienne. Impossible de rester assis en écoutant le «You Got Me Loving You Again» d’ouverture de bal d’A. La diskö Soul d’Invictus est venue pour vaincre, comme dirait Jules Cesar. Encore de la belle diskö Soul de l’autre côté avec «Put A Little Love Into I (When You Do It)» : voix passionnante et orchestrations pulpeuses, tout est soigné aux petits oignons chez Invictus. Quand elle tape un balladif, elle colle bien aux désirs d’Invictus («I Believe In You Baby»). Elle peut aussi taper un r’n’b («Make It Last Forever») et le chanter au souffle court, avec une niaque de remontrance extraordinaire. Elle termine cet album superbe avec «Camouflage», un balladif de Soul sophistiquée, très chanté et très orchestré, avec des chœurs de rêve et tout le bataclan. Eloise arrive comme la cerise sur le gâtö, telle une star Motown, dans tout l’éclat de sa féminité. Black power !

L’un des premiers groupes signés sur le sister label Hot Wax fut 100 Proof Aged In Soul, une sorte de super-groupe monté par Joe Stubbs, Clyde Wilson et Eddie Anderson. Stubbs qui a fait partie des Falcons est en fait le grand frère de Levi Stubbs, le lead des Four Tops. Holland/Dozier/Holland voyait 100 Proof comme une harder-edged alternative aux autres groupes Soul-pop signés sur Hot Wax, notamment les Flaming Ember. Un premier album paraît en 1971, Somebody’s Been Sleeping In My Bed. Attention, ne vous fiez pas à la pochette en forme de gag, car c’est du solide, du hard Soul bien foutu, Soul funk de Detroit, pur jus d’Hot Wax. Ils démarrent avec le morceau titre et ils y vont au heavy Hot Wax. Ils y croient dur comme fer. Ils passent au heavy r’n’b avec «One Man’s Leftovers (Is Another Man’s Feast)». Ils font aussi quelques slowahs assez épouvantables, au sens où ça colle bien, et ils repartent au big rumble de Detroit Sound avec «Not Enough Love To Satisfy». C’est violent et suburbain. Nouvelle explosion de Soul power avec «Too Many Cooks (Spoil The Soup)», ça chauffe comme chez Jr Walker, par dessus les toits de la ville en flammes, c’est du hot de 100 Proof. C’est une vraie bombe de relentless, un hit des plus brûlants, qu’on trouve aussi sur l’album de 8th Day paru la même année. Ça se termine avec le faramineux «Backtrack», qui est tout bêtement le parfait r’n’b, l’excellence définitive. Ça chante à la féminine et c’est terrific. Hot Wax forever.

Leur deuxième album titré 100 Proof paraît l’année suivante. Sur la pochette, une belle afro photographiée de dos. Au moins, on sait où on est. Ces mecs groovent comme les Tempts, sur un beau bassmatic. On reste dans la belle Soul Motown des early seventies. Ils chantent leur «Since You Been Gone» à pleins poumons, avec du come back baby plein la bouche. Ils visent l’ampleur de Sam Cooke. Leur grandeur reste du domaine de l’implacabilité des choses. Avec «Ghetto Girl», ils foncent doit dans la belle Soul urbaine, avec le Ghetto, c’est forcément urbain. Ils restent classiques mais dans l’excellence. Ils reviennent à la Soul de Tempts avec «Don’t Scratch Where It Don’t Itch». Ils visent aussi le power d’Edwin Starr. Ils font du heavy r’n’b à la Starr et le scratch scratche bien. Ils maintiennent le cap sur la Soul conquérante avec «Don’t You Wake Me», ils cultivent leurs germes avec bonheur. Tu ne coupes pas la chique aux 100 Proof.

Le Think Of The Children de Satisfaction Unlimited paru en 1972 sur Hot Wax est un bon album de groove urbain, un peu à la Terry Callier. «I Know It’s Love» est un fabuleux shake de groove chanté au yes it is. Comme le montre «Spread Your Love Around», leur groove est aussi d’une incroyable modernité, à cheval sur la Soul et le heavy rock US. On tombe en B sur l’excellent «Somebody Else’s Woman», un rock de Soul chargé de climax et bien nappé d’orgue, vraiment très bien foutu, chanté à la ferveur de la chandeleur. Ils cultivent leur pré carré de groove urbain, ils excellent dans l’exercice de l’extrême onction. Tout sur cet album est savamment orchestré, percus + cuivres et cette voix de black à l’accent chantant. Une trompette accompagne «Seeing You Throught The Eyes Of A Blindman» vers la sortie, avec une sacrée dignité.

McKinley Jackson est l’un des personnages clés de l’aventure Hot Wax/Invictus. C’est lui qu’on retrouve sur l’album de Lamont Dozier, Out Here On My Own. Il traîne aussi dans les parages de General Johnson. Mais c’est avec son album The Politicians Featuring McKinley Jackson paru en 1972 qu’on va vraiment pouvoir l’apprécier, d’autant qu’il démarre avec un véritable coup d génie : «Psycha-Soula-Funkadelic». La basse y broute la motte du funkadelice. Le bassmatic a l’énergie du diable. Attention, c’est un album d’instros, mais d’instros bien sentis. Les Politicians qu’on voit au dos de la pochette n’en finissent plus de charger la barcasse de la rascasse, c’est plein de bass drive et de percus («Free Your Mind»). Le bassman s’appelle Peanut Roderick Chandler. En B, on se régale de «Funky Toes», un bel instro de good time music. Voilà du Detroit Sound bien tempéré, comme dirait Jean-Sébastien.

Eddie avait repéré The Flaming Ember, un rock group qui nous dit Eddie est dans le circuit de la Detroit scene depuis des années - In terms of local popularity, they were second only to Mitch Ryder - Ce que confirme l’excellent Westbound #9 paru en 1970. Ils démarrent sur une belle cover du «Spinning Wheel» de Blood Sweat & Tears, suivi d’un morceau titre bien sonné des cloches. C’est de la Soul blanche extrêmement solide. Ils tentent de faire du black power avec de la Soul blanche, c’est pas mal, il faut avoir le courage d’essayer, en tous les cas. Jerry Plunk monte bien au chat perché. Ils font un «Going In Circles» somptueux et ils bouclent l’A avec «Why Don’t You Stay», un hit signé Dunbar & Wayne qui ont pondu des œufs d’or pour Freda Payne et les Chairmen. Extrêmement balèze ! On trouve encore deux merveilles en B, «This Girl Is A Woman Now» et le raw r’n’b de «Heat On». Tous les cuts sont inspirés par les trous de nez, diable comme ce Jerry Plunk est bon ! «Flashback And Reruns» est co-écrit avec le General, et c’est forcément bon. Chez Hot Wax, on ne table que sur le qualitatif.

Le deuxième et ultime album de Flaming Ember s’appelle Sunshine et paraît l’année suivante. Ces mecs se battent pied à pied avec le lard de la matière. Il font de la Detroit Soul blanche et une guitare se perd dans l’écho du temps. Il faut attendre «Stop de World (And Let Me Off)» de Ron Dunbar pour que ça décolle. Ils sonnent comme les Tempts. Ça repart de plus belle en B avec un «Gotta Get Away» dévoré par un bassmatic carnivore. Pareil, on y retrouve tout le power des Tempts, avec une belle virée de wah sur le tard. Ils font du Motown en blanc. Jerry Plunk reste un excellent shouter. Leur «Ding Need Dong» reste puissant, avec cette ossature rythmique et ce raunch du chant de Ding-a-ling qui évoquent chaque fois les Tempts.

Pourquoi faut-il écouter It Moves Me - The Complete Recordings 1958-1964, cette compile d’Eddie Holland parue sur Ace ? Parce que c’est là qu’on trouve la version originale du «Leavin’ Here» qu’ont repris les Birds, Lemmy et d’autres. L’ancêtre gaga par excellence. L’autre bombe s’appelle «Twin Brother», hit signé Smokey, heavy shoot de r’n’b, c’est bouffé tout cru par les chœurs de yeah yeah yeah. On trouve à la suite une autre version plus heavy et quand Eddie se coule dans le caramel, les folles reviennent. Le problème que cette compile (56 cuts en tout) grouille de bombes : «True Love Will Go A Mighty Long Way», Eddie nous sert ce vieux r’n’b sur un plateau d’argent. Pas étonnant que Berry Gordy ait tenté de le lancer, Eddie chante comme un dieu, il peut faire son Marvin («(Lonelinness Made Me Realize) It’s You That I Need»), du early Tempts («Happy Go Lucky») et des classiques de r’n’b comme cet énorme «Too Late To Cry». Il peut même taper des pétaudières de type «Pretty Angle Face» et devenir carrément explosif avec «Take Me In Your Arms». C’est du hot Motown sound dévastateur, Eddie rocks it off, c’est aussi puissant que la revue d’Ike. Eddie saute encore dans les bras de la Soul avec «I Like Everything About You». C’est un Soul Brother inexpugnable, il roule tout le r’n’b dans sa farine. Tout est à tomber, sur le disk 2 de cette compile. Et pourtant ce n’est pas évident, car sur le disk 1, Eddie avale pas mal de couleuvres, c’est-à-dire qu’il doit chanter les cuts infâmes que compose son mentor Berry Gordy. On en trouve une bonne douzaine en début de dik 1. Quand il chante «The Last Laugh» composé par son frangin Brian, c’est complètement autre chose. Pareil avec «Jamie», signé Barrett Strong, un vieux rumble plein de son et de chœurs. Puis à mesure que le temps passe, Eddie a des cuts plus solides à se mettre sous la dent comme cet excellent «It’s Not Too Late». Le son Motown prend forme avec «Just A Few More Days». Son «I’m On The Outside Looking In» tient la dragée haute à Stevie Wonder et avec «If It’s Love It’s Alright» et «Candy To Me», les bombes continuent de pleuvoir. Si ne n’était pas une métaphore d’un goût douteux, il faudrait se mettre à l’abri.

Mais Eddie et Brian n’ont pas le backing nécessaire, même s’ils font partie de Capitol. Le problème c’est que Capitol ne pige rien au black market et c’est Eddie qui doit financer sur ses fonds propres le marketing black market. Il est tellement excédé qu’il rencontre Clive Davis qui est alors président de Columbia. Clive Davis pige tout de suite, mais il est viré pour avoir détourné des fonds. Eddie et Brian se retrouvent dans la pire des situations : liés à un label qui ne sait même pas qui sont les frères Holland. Alors glou glou glou.

Brian : «J’ai adoré les Invictus years. Ce fut une période heureuse. Mais au fond de ma tête, il restait ces conflits, avec Motown puis avec Lamont.» En 1984, les frères Holland rebondissent en montant le label Holland-Dozier-Holland. Leur première idée est de rééditer les groupes phares d’Invictus et d’Hot Wax, mais leur manie de la découverte reprend vite le dessus : ils produisent Liquid Heat et Cassandra, puis Ronnie Laws et Rick Littleton. Mais on va s’arrêter là, car l’âge d’or se trouve derrière eux.

Signé : Cazengler, fromage de Hollande

Eddie Holland. It Moves Me - The Complete Recordings 1958-1964. Ace Records 2012

Flaming Ember. Westbound #9. Hot Wax 1970

Flaming Ember. Sunshine. Hot Wax 1971

8th Day. 8th Day. Invictus 1971

8th Day. I Gotta Get Home (Can’t Get My Baby Get Lonely). Invictus 1973

Harrison Kennedy. Hypnotic Music. Invictus 1971

Glass House. Inside The Glass House. Invictus 1971

Glass House. Thanks I Needed That. Invictus 1972

Danny Woods. Aries. Invictus 1972

Freda Payne. Band Of Gold. Invictus 1970

Freda Payne. Contact. Invictus 1971

Freda Payne. Reaching Out. Invictus 1973

100 Proof Aged In Soul. Somebody’s Been Sleeping In My Bed. Hot Wax 1971

100 Proof Aged In Soul. 100 Proof. Hot Wax 1972

Satisfaction Unlimited. Think Of The Children. Hot Wax 1972

McKinley Jackson. The Politicians Featuring McKinley Jackson. Hot Wax 1972

Eloise Laws. Ain’t It Good Feeling Good. Invictus 1977

Eddie & Brian Holland. Come And Get These Memories. Omnibus Press 2019

Andrew Male : The Mojo Interview. Mojo # 315 - February 2020

 

 

Inside the goldmine

- Oh Why don’t we do it in the road ?

 

— Voyons, monsieur Klein, je ne peux pas vous le céder à un tel prix... Vous ne vous rendez pas compte...

— Ce sera mon dernier prix ! Et si vous revenez demain, je réduirai mon prix de moitié ! À prendre ou à laisser. Décidez-vous rapidement, car vous me faites perdre mon temps.

— Vous abusez de votre position, monsieur Klein, mais c’est chose courante par les temps qui courent. Tout le monde veut tirer le meilleur profit de tout le monde, sans le moindre égard...

— Prenez votre décision car je vous l’ai dit, mon temps est précieux.

— Croyez-vous vraiment que ce soit correct de votre part de me proposer ce prix pour une œuvre aussi singulière ?

— Personne ne vous fera une meilleure offre pour cet obscur objet du désir. Veuillez croire qu’en vous proposant de vous racheter l’objet à ce prix, je vous rends service.

— Vous me voyez contraint et forcé d’accepter...

— Allons mon vieux, ne faites pas cette tête de Juif errant. Vous le savez, dans la vie, il faut des baisés.

L’homme prit la liasse de billets que lui tendait monsieur Klein, l’enfouit dans la poche de son manteau et s’éclipsa sans mot dire. Klein posa l’objet sur un petit chevalet et s’installa à deux mètres de distance pour l’admirer. La pureté graphique du visuel l’enchantait. Un immense ‘Oh’ noir aux contours peints à la main frappait tel un sceau impérial le blanc cassé de l’aplat. Aux yeux de Klein, ce visuel relevait de l’absolue perfection.

 

Pourquoi se pencher sur le destin de l’album des Why Oh Whys ? La réponse est simple. Elle est même toujours la même : il suffit juste d’entendre un cut à la radio pour situer l’importance d’un épiphénomène. Un seul cut suffit.

Ça devait être en 2018 sur le Dig It! Radio Show. Gildas annonça «Join Me In Confusion» par les Why Oh Whys. Ça tilta rien qu’avec la conjonction des deux éléments, le titre du cut - quasi-hendrixien - et le nom du groupe - élégance suprême de la phonétique - À cela s’ajouta dans la foulée un son d’une rare présence, un battage d’esprit de Seltz altéré par des remugles Dollsy. Ces mecs jouaient avec un sens aigu de la désaille et un tact fou, jetant dans leur balance tout le poids d’une résonance de notes de basse qui garnissait le cortex d’une viande considérable. Comme l’y invitait le titre, on se laissa doucement glisser dans la plus délicieuse des confusions.

Allons, allons, un peu de calme. On ne va quand même pas faire un fromage de cet album qui, comme des milliers d’autres, tombe dans l’oubli aussitôt fabriqué. Qui se soucierait encore aujourd’hui de l’album d’un groupe suédois paru en 2018 sur le plus underground des labels suédois, Beluga Records ? Quel sens ça peut avoir d’aller déterrer ce truc-là ? Why Oh Why ? Bonne question.

Le Why Oh Whys n’est pas l’album du siècle. Il n’est pas certain non plus qu’il ait son billet pour l’île déserte. Il fait simplement partie des groupes découverts par Gildas au temps où il conduisait le fol équipage de son Radio Show. Il diffusait chaque semaine trois heures de cuts triés sur le volet et ceux qui sortaient du lot nous poussaient au vice, c’est-à-dire à la commande.

L’arrivée à bon port de l’album des Why Oh Whys fut salué par des oh et des ah d’admiration. Objet parfait, au recto comme au verso. Graphisme pur sur le recto - big fat oh black - et photo du groupe au verso. Et là, on comprend mieux, quand on voit la dégaine des Why Oh Why. Ils ont des allures de Ron Asheton 68, mais à la suédoise. Alors ça devient cohérent. On sait pourquoi ces mecs sont doués et on se débrouille avec ça : onze titres et la photo du groupe. Au fond, le bon rock n’a pas besoin d’autre chose. Au temps du Velvet et des Stooges nous n’avions que ça à nous mettre sous la dent, les titres et les photos, et ça suffisait. Nous n’avions pas vraiment besoin de littérature.

L’album des Why Oh Why ne sera jamais un album culte, mais il peut pourtant plaire infiniment, rien qu’à voir la dégaine de ces mecs. Ils ont vraiment l’air d’en avoir rien à cirer, boom ils envoient leur dégelée d’«Hoochie», un cut que passait aussi Gildas, un «Hoochie» qui dégage de violents parfums seventies, avec un son qui s’entortille dans un lierre référentiel absolu. Ils tartinent leur rock dans la joie et la bonne humeur. On garde précieusement le souvenir de cette première écoute, qui disons-le franchement, provoqua un réel coup de cœur. Il faut aussi les voir allumer leur «Crimey» au ouh-ouh, ils sont assez fiers d’exhiber leurs racines gaga-punk suédois, mais en ferraillant comme les Stones de la grande époque. Ils ont tous les bons réflexes. Les riffs de «Without You I’m Nothing» rappellent ceux de «Should I Stay Or Should I Go», mais ils jouent ça... comment dire... à bride abattue, comme si, déterminés à vaincre, ils cisaillaient l’apanage aurifère. De toute évidence, ces mecs écoutent les grands albums de rock des seventies. La façon dont tombe le pli du riff est chaque fois exemplaire. Il faut voir Alex Patrini Mansson lâcher ses awite ! Quelle classe ! On note aussi l’excellence de la section rythmique. Ces mecs ont le répondant du rebondi, ils savent jouer serré dans les lignes droites, ils disposent de la puissance de la fière évanescence, ils voudraient être des modèles qu’ils ne le pourraient pas, occupés qu’ils sont à remaker le remodel et ils dotent leur «Pov» d’un final gorgé de basse tétanique, alors bravo.

Signé : Cazengler, ouaf oh ouaf (ramène la baballe !)

Why Oh Whys. The Why Oh Whys. Beluga Music 2018

 

L’avenir du rock

- Sittin’ on a White Fence

 

Histoire de varier les plaisirs, l’avenir du rock a décidé de se présenter aux élections. Il arrive sur le plateau d’une grande chaîne de télé nationale. Trois des plus fins analystes politiques l’attendent, comme des vautours guettant leur proie :

— Cher avenir du rock, merci de participer à notre débat. La première question que se posent nos téléspectateurs est de savoir pourquoi vous faites cavalier seul...

— Je n’ai besoin de personne/ En Harley Davidson, vroom la la, vroom la la...

Les analystes se regardent, interloqués. Caroline de Beaunibard relance immédiatement le débat :

— Si je vous comprends bien, vous favorisiez les investissements américains en Europe, au détriment des forces vives de la nation ?

— J’appuie sur le starter/ Et voici que je quitte la terre, vroom la la, vroom la la...

— Mais vous ne pouvez pas faire passer les intérêts de la Nasa avant ceux de l’aéronautique nationale, avez-vous pensé aux milliers de salariés d’Air Toulouse ?

— J’irai peut-être au parlement/ Mais dans un train d’enfer, vroom la la, vroom la la...

— Ainsi, vous faite la promotion du libéralisme radical ? Ne craignez-vous pas de voir les Français descendre dans la rue ?

— Je tiens bien moins à la démocratie/ Qu’à mon terrible engin, vroom la la, vroom la la...

— Vous comptez donc passer en force avec une utilisation abusive du 49.3 au risque de mettre la Ve République en danger ?

— Que m’importe de courir/ Les cheveux dans le vent, vroom la la, vroom la la...

— Soyez certain, avenir du rock, que les Français auront reçu votre message !

— Vive la République, vive la Fence !

 

Il s’agit bien sûr de White Fence, ce projet mené dans l’ombre de l’underground américain par Tim Presley, lequel Presley, qui n’est pas apparenté au Presley qu’on croit, fréquente assidûment un autre grenouilleur impénito-californien, Ty Segall, et comme Ty, Tim œuvre au sein d’une nébuleuse de projets, le plus saillant étant White Fence. Ty, Tim et John Dwyer sont devenus en peu de temps les champions hors compétition du productivisme underground mondial et la septième plaie d’Égypte pour le porte-monnaie des ménagères qui fréquentent les disquaires.

Album étonnant que le premier album sans titre de White Fence paru en 2010. Sur le «Be Right Too» qui referme la marche de la B, Tim Presley sonne exactement comme John Lennon, période Lennon solo. Il se situe à ce degré d’excellence, même sens de la prod spectorienne et du chant d’accent. Fantastique exercice de style ! On est aussi tout de suite saisi par le weird de «Mr Adams» en ouverture de bal d’A, une petite pop d’intimisme prolixe très anglaise, avec des voix évaporées. C’est ce qu’on appelle l’empire du weird. S’ensuit un joli groove underground, «Who Feels Right». Ces petits mecs créent leur monde. Et dans «Slaughter On Sunset Strip», on entend le solo le plus souterrain de l’histoire de l’underground, mêlé à des échos de Velvet, avec du Fence en plus. Tiens, puisqu’on parle du loup, le voilà : «Sara Snow» sonne comme un balladif du Velvet, illuminé de l’intérieur, avec des dissonances dans le solo, comme dans celui de «Pale Blue Eyes». On se régale aussi de la heavy pop de «The Gallery & The Honeydripper», une heavy pop noyée d’éclairs et de stridences parasites du meilleur effet. En B se niche un big bazar nommé «Destroy Everything» : énormité du son, tout le spectre est rempli avec de la disto qui dégueule comme si elle avait le mal de mer. Quant au solo, il ne fait que défenestrer. C’est déjà pas mal.

Tim Presley fonctionne exactement de la même manière que Ty Segall et John Dwyer : il propose des albums à bases d’idées et de son. L’Is Growing Faith paru en 2011 en est le parfait exemple. «And By Always» sonne comme du vite fait bien fait, il ne perd pas de temps, il est tout de suite dessus, il noie sa petite pop indé dans l’écho, il fait claquer sa gratte à l’éclat fatal, avec la pulsion d’un énorme bassmatic derrière. Excellent ! Il a tout bon : une énorme énergie et un gros son de guitare. Il joue «Sticky Fruitman Has Faith» à la petite arrache bienveillante, les guitares scintillent et la rythmique halète, et ça monte encore d’un sacré cran avec un «Enthusiasm» bien demented, furieux et génial à la fois, noyé de folie sonique. Il dispose d’un fantastique power de base. Il revient au heavy sound un peu plus loin avec «Lillian (Won’t You Play Drums?)», il connaît toutes les ficelles de caleçon de l’indie blast, sa pop-rock flirte avec l’effarance, c’est du psyché avec un son bien raw. On le voit ensuite flirter avec le son du Magic Band dans un «Get That Heart» battu tribal. Il veille à rester soigneusement underground. Pas de danger qu’il aille se brûler les ailes. Il bosse pour l’avenir du rock.

Ty & Tim enregistrent Hair en 2012. Bel album collaboratif. On en pince tout de suite pour «Scissor People», un cut tendu visité par des vents psychédéliques. C’est donc un album psyché. Nouvelle rasade psyché avec «Tongues». Ils renouent avec les grandes heures du psyché anglais et des harmonies vocales des Hollies, le tout monté sur un bassmatic élastique et un peu sourd. Que de son, my son ! L’«I Am Not A Game» qui se niche en A est aussi très anglais. On se croirait à Londres en 1965, quelque part entre les Hollies et les Zombies, dans une pop psychédélique teintée d’orgue. Ty & Tim nous offrent ici une belle flambée de freakout so far out. Ils régalent leur auditoire. Ils restent dans la pop anglaise avec un «Easy Rider» imparable, très compréhensible, avenant et vivace, quasi-lennonien. On dira la même chose de «The Black Glove/Rag», encore qu’on y sente plus l’influence de Donovan, puisque ce sont les effets vibrés d’«Hurdy Gurdy Man». Ty s’y fend d’un joli chabalabada psychédélique. Cet album est un véritable paradis pour l’oreille. Encore du haut de gamme avec «(I Can’t) Get Around You». Ty sur-barde à nouveau son cut de son et tape un solo à la George Harrison. Fameux. Même si on essayait, on ne pourrait pas s’en lasser.

Ce serait une grave erreur que de faire l’impasse sur Family Perfume Vol. 1 et Family Perfume Vol. 2, ces belles compiles underground parues en 2012. Ce sont des collections d’exercices de style qui flirtent assez souvent avec le génie, la preuve avec «Down PNX», vieux shoot de heavy punk-rawk joué au rebondi et à la violence étoilée. Le cut d’ouverture de bal vaut lui aussi pour une belle énormité, «WF/FP», heavy trashcore enfoncé au heavy beat, joué aux gros sabots, voilà le trash à la hussarde dont on rêve tous. Tim Presely claque sa chique à la suite avec «Swagger Vets And Double Moon», c’est bien tagada, taillé dans la masse du sur-mesure. Cet album sonne comme une leçon de savoir-faire, c’est intense, bien cloué dans la Fence. Ils jouent quasiment tout à la belle envergure de heavy ramasse. S’ensuit un «Hope! (Servatude, I Have No!)» plein d’esprit, puis ils avalent «Soaring, Daily Pique Num. 2» au heavy trash, glurp, taillé dans la masse une fois de plus, pas de rémission et ils passent au «Hermes Blues» en serrant le son dans les virages, c’est amené au vieux gratté d’excellence. «Hey! Roman Nose» sonne très anglais, très empesé, le trackback est majestueux, c’est joué à la boucle défaite, tordu à ravir. Tim Presley chante ensuite son «Breathe Again» d’autorité, il règne sans partage sur son petit royaume et nous sommes tous les bienvenus. Il maîtrise tous les arts. Et il va continuer de bluffer sa clientèle sur le Volume 2, avec deux pastiches : un pastiche des Beatles («She Relief») - On se croirait sur Revolver, incroyable métabolisme - et un pastiche de Syd Barrett («Lizards First»). Il faut l’entendre passer un solo de fuzz dans «Real Smiles». Il fait encore un pastiche avec «Upstart Girls», cette fois des Mary Chain. Il se montre de plus en plus anglophile. Comme le fait Jim Reid, Tim Presley remonte bien le courant. Ces deux albums sont des mosaïques extraordinaires. On le voit cultiver le classicisme avec «A Good Night» et attaquer «I Am A Sunday» aux accords gaga de Gloria. Il se fond dans son groove d’excellence, c’est infernal car il joue avec les idées de son et il met au passage le gaga à sa botte. Il descend dans l’«Anna» avec un sacré gusto - Country flavor - Quel incroyable caméléon, sa country est un modèle du genre. On le suivrait jusqu’en enfer. Ce mec est bon au-delà de toute expectitude. Il est le premier convaincu de son génie à la ramasse, comme le montre «Tame». Il ramène des guitares sixties dans «King Of The Decade», il joue des licks aériens de George Harrison, il les recycle, on se croirait à Abbey Road. Il joue la carte du son à fond.

Cyclops Reap ? Quel album ! On sent tout de suite la belle énergie indé. Ça ne ressemble à rien sauf à la Fence. Il trame son «Beat» en père peinard sur la grand-mare des canards. Même s’il nous tourne le dos sur la pochette, ce mec force la sympathie. L’album paraît agréable, plein d’inventivité. Pas de vagues, pas de hit, juste une présence. La voix est là, juste derrière. Comme tous les aventuriers, il va chercher du son. Il fait avec «Pink Gorilla» du bon psyché indé et ne se montre pas avare de désinvolture. Il vise parfois la clochadisation du son, comme le fit Jad Fair en son temps. Il lui arrive aussi de s’offrir un beau délire de power pop duveteuse («Live In Genevieve»), on se sent bien en sa compagnie, il noie le chant dans le son, non seulement il excelle, mais en plus il déroute. Il parvient même à se rendre indispensable («New Edinburgh Man»), il chante du fond de l’underground, sa voix se mêle à des relents de riffs infectueux, on tombe sous le charme discret de sa bourgeoisie et il brise la glace avec un final de fou dangereux. Si tu recherches de l’aventure, c’est la Fence qu’il te faut. «Make Them Dinner At Our Shoes» est un petit brouet de tout ce qu’on aime : le psyché insidieux, les montées de fièvre gaga et la pop qui va bien. C’est solide et bien intentionné. Sa façon de jouer sur tous les tableaux est assez pertinente. Tim n’a pas de voix, seulement une présence, c’est déjà pas mal.

Sur l’excellent Live In San Francisco paru en 2013, on retrouve «Enthusiasm», cette belle envolée garage digne du 13th Floor. L’ensemble de l’album est de très haut niveau, à commencer par le dévastateur «Swagger Vets And Double Moon» et sa belle évanescence de swagger, Tim Presley chante à la décadence absolutiste, il fait du heavy gaga dylanesque. Il a tout le power derrière lui, ça sonne comme un extraordinaire entrain piloté par une guitare d’investigation et là tu tombes à genoux. Power pur ! Avec «Mr Adams/Who Feels Right?», il entre dans le lard d’une pop-rock californienne extrêmement bien foutue, dotée de tout le power du monde, il joue sur le pulsatif du beat de Frisco. Psycho-power ! Encore un fantastique numéro d’hypno avec «Baxter Corner», ça dure 8 minutes, ces mecs sont capables du meilleur. Ils montrent un goût prononcé pour le trash-punk avec «Harness», on croirait entendre les Buzzcocks tellement le son est anglais et retour à l’underground avec «Lizards First», joué à coups de slide et au beat de la revoyure. Tim est un bon. Sur scène, il a énormément de son. Et comme le montre «Pink Gorilla», il ne recule devant aucune extrémité. Il sonne encore une fois comme le 13th Floor. Il termine avec «Breathe Again», il y ramène tout le rock du monde, il chante comme Dylan à Frisco.

Avec For The Recently Found Innocent, Tim Presley ne change rien à son mode de fonctionnement : il chante un petit laid-back de petit brun. Il fait son petit truc. On note la présence du copain Ty au beurre. Tim bénéficie donc de la chaleur d’un bon beat, surtout dans «Like That». Tim taille bien sa route. Il reste très vieille Fence, très pop indé. Il balance en permanence entre l’entrain et l’ennui. Il faut attendre «Arrow Man» pour frémir enfin, car c’est joué au beat rebondi. Puis il se prête au petit jeu des redondances infectueuses avec «Actor» et se montre fabuleusement intriguant. Se pose toujours le vieux dilemne, les trucs à dire et à ne pas dire. La heavyness de «Afraid Of What’s Is Worth» est bienvenue de la part d’un mec comme Tim. On sait bien qu’il ne va pas chercher à nous entuber, ce n’est pas son genre, il joue son heavy balladif dans la plus parfaite sérénité. Oui, la sérénité, c’est son truc. Tim est un cas intéressant car il n’a aucun espoir. Et puis voilà le dernier round : «Paranoid Bait». Encore une fois, il est le bienvenu parmi nous, il bascule dans le gaga. Ce qui est bien avec un mec comme Tim, c’est qu’à aucun moment on est obligé de se prosterner. Il fait son job de White Fence en toute sérénité, sans jamais chercher à la ramener.

Autre album collaboratif de Ty & Tim : Joy. On passe un peu à travers, mais la fascination de Ty pour les Beatles refait surface dans «Good Boy». Ils suivent tous les deux un process expérimental vaguement beatlemaniaque. Ty n’en finit plus d’explorer les textures aventureuses - We see oceans baby blue - Il s’amuse aussi avec «Baby Behavior» dans le bac des minutes de sable mémorial et en B, il raconte dans «Do Your Hair» une micro-histoire à la Jad Fair - He stole a car/ And ate garbage - C’est sacrément bien foutu, mais l’album sonne comme un repas frugal. Pour le dessert, ceinture.

L’I Have To Feed Larry’s Hawk date de 2019. Le groupe ne s’appelle plus White Fence mais Tim Presley’s White Fence. L’album est un peu moins dense que les précédents. Il propose une petite pop assez possessive, mais pas innocente. Très Fence, en fait. Il va cependant devoir rétablir la confiance, il va lui falloir beaucoup de courage. Cette fois c’est le côté dandy qui ressort dans le son. Il propose un «I Love You» assez enchanteur. Il sait lever une pâte. Le voilà qui sonne comme Syd Barrett dans «Lorelei». Incroyable rapprochement, c’est très inspiré, même chose avec «Neighborhood Light», plus rock, même s’il semble emmener son rock en ballade. Il chante à l’éplorée des TV Personalities, il fait de la pop anglaise de très haut niveau avec toutes les interférences qu’on peut bien imaginer. Son abandon ne trompe pas. Il reste très anglais avec «I Can Dream You», puis il va se mettre ensuite à expérimenter des trucs, alors on perd le dandy. Dommage.

Signé : Cazengler, White Fiotte

White Fence. White Fence. Make A Mess Records 2010

White Fence. Is Growing Faith. Woodsist 2011

Ty Segall & White Fence. Hair. Drag City 2012

White Fence. Family Perfume Vol. 1. Woodsist 2012

White Fence. Family Perfume Vol. 2. Woodsist 2012

White Fence. Cyclops Reap. Castle Face 2013

White Fence. Live In San Francisco. Castle Face 2013

White Fence. For The Recently Found Innocent. Drag City 2014

Ty Segall & White Fence. Joy. Drag City 2018

Tim Presley’s White Fence. I Have To Feed Larry’s Hawk. Drag City 2019

 

ROCKABILLY GENERATION NEWS n° 20

JANVIER / FEVRIER / MARS 2022

Vous avez commandé quoi au Père Noël, moi j'ai déjà reçu mon cadeau surprise, avec quinze jours d'avance, je l'attendais pour mes étrennes, ça n'a pas traîné, direct dans la boite à lettres. Z'ouvrons zé lizons !

Commençons par le commencement : par le premier des rockers. C'est ainsi que le présentaient Guy Pellaert et Nick Cohn in Rock Dreams, Non ce n'est pas Elvis. Ne pensez pas à Bill Haley. L'est tout beau, avec son chapeau blanc sur la deuxième de couve. Non il n'a pas l'air d'un rocker, un peu cowboy du dimanche dans son costume, le même que vous portiez ( avec moins de classe ) pour le mariage de votre cousine, le parfait plouc qui s'est fait beau pour descendre au saloon et monter honorer les demoiselles au premier étage le samedi soir. Un petit air maladif qui devait plaire aux filles. En plus il ne chantait pas du rock 'n' roll mais du country, pas tout à fait, l'a assuré la liaison entre le hillbilly et le country, dans la mythologie nordique Nidhögg le serpent rouge ronge les racines d'Yggdrasil l'arbre du monde, c'est pareil pour le rock'n'roll quand vous cherchez ses racines, tout au bout vous trouvez Hank Williams, chanteur extraordinaire, compositeur exemplaire, et créateur suicidaire de l'attitude rock. Un rebelle, pas contre le système, contre l'existence, sachez faire la différence, l'a avalé à lui tout seul plus de pills et de whisky que tous les habitants de l'Amérique depuis 1776, l'était comme nous, l'avait du mal à vivre dans la médiocrité du monde, s'est endormi à même pas trente ans sur le siège arrière de sa Cadillac, un premier janvier, sa façon à lui de souhaiter une bonne année 1953 à ses contemporains. Greg Cattez évoque avec brio cette comète qui n'a fait que passer mais dont le souvenir s'est inscrit dans la mémoire des hommes.

Les deux pages qui suivent serrent le cœur. Jenny reprend le flambeau de son père le Grand Dom, suit l'injonction du grand organisateur sur son lit d'hôpital, toute de simplicité et de pudeur, avec la volonté farouche de continuer les trente-six années de combat pour le rockabilly, Rockabilly Generation est présent au premier concert, à ce Tribute to Grand Dom qui n'est qu'un début, l'appareil photo de Sergio Kazh porte témoignage...

Kustom Festival & Tatoo, comme cela ça ne dit rien, dites Parmain et les visages s'éclairent. Des carrosseries et des tatoueurs mais aussi des concerts de rockabilly, Kr'tnt ! vous y a déjà emmenés, Philippe Cousyn raconte l'Odyssée, l'histoire est triste, le covid, l'interdiction du festival, le pari fou de reprendre l'aventure sans un sou dans les soutes, faudra être au rendez-vous pour la prochaine mouture, Parmain reprend son souffle et n'abandonne pas la lutte !

Deux pages, mais du lourd, même si Miss Dey est gracile comme une libellule, Jacky Chalard la présente, le créateur de Big Beat Records raconte la saga de Miss Dey ( Wild Woman ) and the Residents avec en prime mise en page esthétique.

Les premiers festivals ont repris. Sergio Kazh est doublement heureux, Pleugueneuc c'est chez lui ( tout ce qui est Breton lui appartient ) alors il mitraille à tout-va, atout cœur, l'a mis un carburateur sur son obturateur, on ne se lasse pas de tourner et de retourner les pages, certes du beau monde, Tony Marlow, Billy Bix, Fame and the Flames, Spunyboys, mais aussi un artiste qui sait saisir l'instant et fixer les attitudes. Un véritable coloriste aussi.

Trois pages sur les deux sets de Barny and the Rhythm All Stars au Corcoran, vous n'y étiez pas, vous avez eu tort. Moi aussi. L'on se dirige vers la fin, les rubriques habituelles, Backstage, Guide Musique, dernière nouvelle – le Cat Zengler m'avait prévenu - les Hot Slaps se séparent, nous aussi, courez vite acheter ce numéro, le vingtième à qui nous donnons la note 20 / 20.

Damie Chad.

Comment j'aurais oublié quelque chose, pas du tout, vous vous trompez, vous faites erreur. Vous insistez, moi qui voulais la garder pour moi tout seul, elle est trop belle. Déjà sur la couve, vous ne voyez qu'elle, d'abord la pivoine épanouie sur son avant-bras, et derrière la rose des roses, Lily Moe, l'Impératrice du Rhythm 'n' blues. Là perso, je pense que Sergio Kazh n'a aucun mérite pour ses magnifiques pleines pages, Lily sourit et vous voyez la beauté éclore sous vos yeux. Lily Moe se raconte, l'histoire d'une petite fille qui habitait dans la campagne suisse et qui rêvait de devenir chanteuse et qui l'est devenue, c'est venu comme cela, le destin des circonstances, elle aime la vie, toute simple, la joie pétillante, et le vin, et le rhythm 'n' blues, non pas les sonores orchestrations cuivrées de Stax et de Muscle Shoals, le rhythm 'n' blues des années cinquante d'où a émergé le rock 'n' roll, celui de Bill Haley, encore empreint de syncopes noires et du swing des danses enfiévrées...

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !

 

GENE VINCENT

( in Rock 'n' Folk N° 652 )

652 numéros de R 'n' F et toujours pas de couve consacrée à Gene Vincent... scandalissimo, ridiculissimo, n'en jetons plus, d'autant plus que cette fois le nom est en couverture, signe d'un article à l'intérieur. Je cherche la page sur le sommaire, ah, plumé de Nicolas Ungemuth, je fais la moue, je tremble, j'ai peur, quand il est arrivé dans la revue, l'avait pris l'habitude de dégommer les idoles phares des années 70, une manière de remettre les pendules à l'heure de la modernité, l'est sûr qu'il est parfois bon de disperser les cendres froides du passé, mais il est difficile de démonter les vitraux des adorations perpétuelles sans abîmer la verroterie des affects...

Fausse crainte. Un bel article. Esthétiquement bien mis en page. Un beau portrait, le fan n'apprend rien, mais une introduction quasi-parfaite pour le lecteur curieux qui ignorait jusqu'à son existence. Quelques manquements, les enregistrements Challenge ont bien paru en 33 tour, ( dix morceaux + 1 simple de deux autres titres ) mais en France. Quant à qualifier les deux derniers trente-trois de Kama Sutra de ''quelconques'' c'est être passé à côté de leur poignante et splendide dimension crépusculaire...

Un article à découper et à conserver précieusement. Merci à Nicolas Ungemuth. Very muth.

Damie Chad.

 

 

LA PANTHERE ET LE FOUET

LANGSTON HUGHES

( Ypsilon Editeur / 2021 )

 

Merci à Sébastien Quagebeur de m'avoir signalé la sortie de ce recueil de poèmes de Langston Hughes. Rappelons que dès notre vingt-et-unième livraison du 07 / 10 / 2010 de Kr'tnt ! nous évoquions The Weary Blues son premier recueil, lorsque l'on me demande le titre de mon morceau de blues préféré j'ai pour habitude The Weary Blues de Langston Hughes. Pour ceux qui pensent que je cite un obscur bluesman inconnu, je précise que c'est un livre écrit par un des plus grands poëtes américains, et pourtant les amerloques ils en ont un stock de grandes voix d' Egar Allan Poe à Jim Morrison en passant par Emily Dickinson....

La panthère et le fouet est le dernier recueil que Langston Hughes comptait faire paraître. La camarde blafarde s'y opposa. L'ouvrage parut à titre posthume en 1967. Le volume regroupe des inédits et un choix de poèmes piochés dans différents recueils.

La panthère ( nous la souhaitons aussi noire, aussi belle, aussi chasseresse que celle de Leconte de Lisle ) et le fouet celui qui s'abattait sur le dos des esclaves qui ne ramassaient pas le coton avec une suffisante célérité, en deux mots tout est dit. Après la mort de l'écrivain la célébrité, l'affection et l'admiration que son combat pour l'émancipation du peuple noir lui procura, connut une éclipse. La nouvelle et jeune génération de militants imbue de romantisme révolutionnaire, galvanisée – et en même temps déçue - par les résultats des luttes pour les Droits Civiques le déclarèrent dépassé, il paraissait trop tiède à cette nouvelle mouvance radicale qui se regroupa autour du Black Panther Party.

Ce n'est donc pas un hasard si le mot panthère ouvre le titre. Il est à entendre comme une protestation de Langston Hughes à l'encontre du dédain de cette jeunesse révoltée. Une mise au point nécessaire. Le recueil contient les poèmes les plus engagés de son œuvre. L'on peut parler de poésie politique. Ce genre de cocktails molotov verbal est particulièrement difficile à manier. Il exige des angles vifs, qui des années plus tard donnent au lecteur une impression de trop grande simplicité caricaturale. Hughes évite le piège. Il use de formes brèves et ne cède que rarement à l'invective criarde. Dire moins pour susciter la force imaginative du lecteur. La violence n'est pas explicitement tournée vers les blancs, il préfère rappeler celle dont sont victimes les noirs, toutefois l'ennemi est clairement désigné.

En une cinquantaine de poèmes, c'est toute la lutte des noirs qui est retracée, quelques mots, quelques vers, jamais davantage, tous les hauts-faits de la geste – trop souvent symbolique – de libération, les principales figures du mouvement abolitionniste, les meurtres, les lynchages, les injustices... tout est noté, autant de stèles sanglantes sur un chemin interminable...

Langston Hughes ne se contente pas de se cacher derrière les boucliers commémoratifs du passé que l'on lève sans danger comme des étendards de victoire alors que le combat est à modeler dans la glaise du présent. La lutte n'est d'ailleurs pas là où on le voudrait. Il ne suffit pas de porter des coups à l'ennemi. Serait-il militairement battu que la partie ne serait pas gagnée. Il resterait encore des millions de forteresses à prendre et à dynamiter. Elles ne se dressent pas, de béton armé, hérissées de canons sur des pics inaccessibles. Ce sont juste les cervelles des blancs engluées de préventions et de préjugés, qui demandent aux noirs de les remercier de leur bonne foi, de leur bonne volonté, de la générosité sans faille de leur prise de conscience... le racisme aura disparu où les noirs leur seront éternellement reconnaissants de leur grandeur d'âme... Langston Hughes met le doigt sur la contradiction majeure du problème blanc. Il est de fait sur la même position politique que James Baldwin.

Le livre s'achève par la force des choses en 1967. Un demi-siècle plus tard la situation ne s'est guère améliorée. Ni du côté des blancs. Ni du côté des noirs. A plusieurs reprises Langhston laisse planer une sourde menace, si rien ne change... La prochaine fois... le feu ! prophétisera Baldwin... Rien ne s'est produit. Le mouvement noir est en train de se replier sur des positions identitaires, pour ne pas dire raciales. L'explosion n'a pas eu lieu. L'implosion, si. Remarquons qu'en fidèles imitateurs atlantistes toute une partie de la gauche française est en train de se noyer dans le verre d'eau des notions de genre... Parions que Pascal Neveu, le traducteur n'a pas ajouté au hasard sous le titre original la mention Poèmes de notre temps... Avec le recul l'analyse de Langston Hughes n'a pas vieilli, ou plus exactement la situation ne s'est pas améliorée...

Remercions les Editions Ypsilon de leurs traduction de Langston Hughes, mais aussi de la revue Feu !! ( devoted to youger negro artists, sous-titrée Harlem 1926 ), et encore Canne de Jean Toomer, autre figure de proue avec Hughes du mouvement littéraire Harlem Renaissance. Une maison intelligente qui lors de sa fondation s'était donné pour but d'éditer une version d'Un coup de dés jamais n'abolira le hasard digne des exigences de Stéphane Mallarmé. Bon sang ne saurait mentir !

Damie Chad.

 

LE PASSAGER

DES BANCS PUBLICS

DANIEL GIRAUD

( Les Editions Libertalia / 2021 )

 

Lecteurs, ne vous demandez pas qui c'est ce mec-là. L'était-là bien avant vous. Présent dès la troisième livraison de votre blogue favori, ayant appris que je fondais un blogue-rock, l'a tout de suite envoyé le récit de sa première expérience rock, sa participation à un concert de concert Johnny Hallyday à la fin des années cinquante... Depuis j'avons chroniqué quelques uns de ses livres et deux de ses disques de blues... Daniel Giraud est né en 1946, l'a bourlingué sur toutes les routes du monde, l'a publié des dizaines de plaquettes, l'a fondé la revue-culte Révolution Intérieure, l'a traduit les plus grands poëtes chinois, l'a même écrit un poème sur Éric Cantona, l'a tout fait. Je l'entends me reprendre, erreur cher Chad, je n'ai rien fait.

Si vous vous demandez lequel de Dam ou de Dan ment, vous êtes prêt à vous lancer dans la lecture de ce livre. Pas très long, cent trente pages, mais qui risque de vous laisser de cul. Sur le banc. Bien sûr. Si vous pensez que vous êtes assis à la bonne place et que vous allez bécoter à bouche-que-veux-tu sur un de ces bancs publics chantés par Brassens vous vous trompez. Essayez plutôt de vous poser une question intelligente, par exemple : Qu'est-ce que la métaphysique du blues ? Cela vous mettra en condition. Remarquez que le blues n'est pas vraiment le sujet du bouquin.

L'évoque un peu sans s'attarder, une dizaine de lignes. Puis il passe à autre chose. Normal, c'est un passager. Le Dan a beaucoup roulé sa bosse. En stop, en train, en voiture, à pattes. Oui mais maintenant il est légèrement moins jeune. Alors quand il marche, l'aime bien de temps en temps poser son popotin sur un strapontin public. Question de reprendre souffle. Vous comprenez. Hélas, ce n'est pas tout à fait cela. C'est plus complexe. Pensez-vous que les actes de votre vie ont un sens ? Celui que vous leur donnez, certes. Mais existe-t-il une congruence quelconque entre ce que vous vivez et ce que vous êtes. Question gênante. Qui instille un doute. N'est-ce point être trop présomptueux de répondre oui, et de faire preuve d'une fausse humilité en affirmant : non. Dans les deux cas vous êtes piégé.

Le Dan pose le problème d'une autre manière, je suis ce que j'ai vécu, et ma vie présente n'est que la résultante de tout ce que j'ai vécu. Vous suivez. C'est maintenant qu'il porte son coup de Jarnac. De toutes les manières, tout ce que j'ai fait n'a aucune importance, car si je ne l'avais pas fait, cela n'aurait pas plus d'importance. Agir = Non-Agir. D'où cette habitude de poursuivre la route de son existence, tout en se ménageant des instants de repos ( par exemple sur un banc public ), vivre et ne pas oublier de se regarder vivre alors que l'on ne fait rien, si ce n'est regarder le monde : les arbres, les passants, ceux qui passent et ceux qui viennent taper un brin de causette.

Le Dan, l'a son litron et son sandwich, avec ces deux éléments indispensables il peut aller de banc en banc jusqu'au bout du monde. Mais il n'y va pas. Vous intuitez : il s'assoit pour draguer ! Que nenni, ce sont souvent des octogénaires qui s'assoient à ses côtés, pour se reposer. Rien de bien folichon. Non le Dan, il a autre chose à faire, un autre endroit où aller. Ne s'aventure pas au bout du monde, il va juste au bout de lui-même. Sa propre existence, remonte dans ses souvenirs. Vous aussi. C'est bien, mais Dan il y rajoute un zeste de méditation nietzschéenne, retourner sur ses pas, n'est-ce pas se plier au mythe de l'éternel retour du monde, n'est-ce pas affirmer sa présence passagère en ce monde pour toute l'éternité. Vous pensez qu'il a la grosse tête, qu'il finira fou comme l'auteur de Par-delà le bien et le mal, c'est là que le Dan vous prend à contre-pied, le monde notre présence au monde n'est-elle pas une illusion, le monde n'est-il pas égal au néant, ne sommes-nous pas toute notre existence le cul entre deux chaises et non plus sur un banc. Ne vaut-il pas mieux ne point trop se mêler au monde, plutôt se mettre sur un banc pour le regarder...

C'est ainsi qu'a vécu et que vit Dan Giraud. Sans jamais être dupe de sa propre présence au monde. Neruda a donné pour titre à sa biographie J'avoue que j'ai vécu, l'aurait pu tout aussi bien la nommer : J'avoue que je n'ai pas vécu.

Mais comment s'y prend-on pour vivre sa vie sans la vivre. Avant d'aborder cette vision strictement existentielle, résumons en quelques mots : si la position métaphysique de Daniel Giraud paraissait déroutante à certains lecteurs c'est que ceux-ci se trouvent plus ou moins à leur insu et à leur corps défendant pris dans le réseau inconscient de la pensée occidentale qui au contraire de la pensée orientale - exprimée par Lao Tseu elle pose l'équivalence de la présence à celle de la non-présence, différencie l'être du mon-être, celui-ci pouvant s'inscrire dans le registre de l'être ou y échapper.

Assis sur son banc, Giraud vagabonde, du moins sa pensée, le moindre fragment de la réalité hasardeuse qui accroche son œil ouvre en lui des pistes de réflexions, s'aventure sous les sentes obscures des remembrances. Offre tout en vrac serait-on tenté de dire. Il n'en est rien, le kaos apparent de l'intérieur, se révèle à la longue une cosmographie unifiée. Au début vous avez l'impression d'être parachuté dans un labyrinthe sans queue ni tête mais à tourner les pages vous êtes obligé de reconnaître qu'il s'agit d'une construction mentale, une weltanschauung qui répond à sa propre logique idiosyncratique.

Alain Giraud porte un regard sur le monde profondément libertaire. Pas pour rien que le livre soit édité chez Libertalia. S'asseoir sur un banc est un acte d'une haute portée symbolique. C'est se mettre en retrait du monde, pire que cela se désinvestir de la comédie humaine du pouvoir, des liens de domination et des hiérarchies sociétales. Des plus dangereuses, armée, école, usine, oppression pour reprendre un slogan du joli moi de mai à celles plus insidieuses des regards que la société et les individus des masses anonymes portent sur ces êtres vivants que leurs attitudes dénoncent et trahissent. Des marginaux qui refusent de rejoindre la morale communautaire et de pactiser avec l'hypocrisie du contrat social censé garantir protection et sécurité alors qu'il n'est qu'asservissement et amoindrissement des moindres libertés. Pour être heureux, vivons quelque peu détaché. De la société. Des autres. Et de soi.

Ce troisième point est le plus difficile. Malgré les préceptes et la pensée de Lao Tseu il est difficile de s'arracher de soi. Giraud ne s'assoit pas sur n'importe quel banc. L'a ses préférences. Certains sont mieux situés, un peu d'ombre un jour de soleil n'a jamais tué quelqu'un, une certaine tranquillité n'est pas à dédaigner... mais les bancs de Giraud sont souvent inclus dans un itinéraire. L'assassin revient sur les lieux de ses crimes. Point de terribles turpitudes, les lieux de l'enfance, de l'adolescence, de plus tard. Plus masochiste, de ceux qui ont marqué des étapes difficiles de l'existence. Il n'y a pas d'amour heureux a dit Aragon, l'on aime à revenir lécher ses plaies même quand elles ne suintent plus, ne nous ont-elles pas appris que nos affects si constitutifs soient-ils sont eux aussi transitoires.

Reste à aborder l'aspect politique d'une telle démarche métaphysqique. Giraud ne s'inscrit pas dans le carcan de la militance, l'idée d'agir pour changer ( en mieux ) le monde ne le séduit pas. Ce genre de volonté lui paraît totalement inopératoire. Il ne croit pas en l'efficacité des regroupements idéologiques ou identitaires. Ce ne sont que des hochets inutiles dont ne peut naître que des perversions. Que chacun soit ce qu'il veut être. A sa guise. Selon son choix qui lui appartient. Sous-entendu, que l'on me laisse libre d'être ce que moi je désire être.

Comportement égotiste dénué de toute volonté de dominance. Être soi n'est pas facile dans notre monde. Une existence de retirement n'est pas un long fleuve tranquille. Sur la fin de son livre Giraud se lance dans une longue triade au vitriol – fortement jouissive pour le lecteur - de tous ceux qui par leur comportement et par les représentations qu'ils se font de leurs petites personnes sont des obstacles à l'épanouissement de toute simple vie humaine. Même la leur !

Encore faut-il réussir la dernière opérativité de l'indivis, être soi est impossible. Encore est-il nécessaire de comprendre que l'on ne peut pas être soi autant que l'on peut être. Le Soi est à détacher de l'être égoïste qui croit en être le propriétaire. Il faut tuer le Moi pour atteindre le Soi qui se tient à la jonction de l'être et du non-être. Position extra-êtrale. Il est permis de sourire du mot extra à qui l'on peut prêter deux sens totalement antithétiques ( extrêmement / extra ). Si vous parvenez à rire de cette ambiguïté, vous êtes sur la bonne voie. N'hésitez pas à vous assoir de temps en temps sur le premier banc qui vous tendrait les bras, afin de vous reposer et de laisser vaquer votre esprit librement...

Si malgré tout vous ressentez un léger ennui, sortez Le passager des bancs publics de Daniel Giraud de votre poche, cette lecture vous aidera. Vous en avez grande nécessité.

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

EPISODE 12

Une croisière gratuite, qui la refuserait ! L'on s'est mis à galoper le long du quai, ne restait plus qu'à trouver une embarcation, la chance était de notre côté, nous n'eûmes même pas besoin de chercher, alors que nous cavalions comme des fous, un haut parleur se mit à grésiller :

    • Ça y est, je les vois, les six derniers invités en retard, trois couples, 255, 256, 257, 258, 259, 260 la liste est au complet, en plus ils ont emmené leurs chiens, pas prévu, un bateau Mouche qui se prénomme L'Albatros ne peut pas refuser un animal, bienvenue aux heureux retardataires, le départ dans quelques secondes !

Nous enfilâmes la passerelle au pas de course, personne ne faisait attention à nous. Le bateau débordait de monde. Nous nous mêlâmes à la foule et regardâmes autour de nous. A la proue du navire une gigantesque pièce montée de deux mètres de haut, devant ce monument pâtissier un jeune couple s'embrassait, les gens applaudissaient et se pressaient tout autour pour prendre des photos. Le Chef alluma un Coronado, d'un signe bref, il me fit signe de le suivre. Nous nous éloignâmes doucement, nous traversâmes un vaste salon couvert, des employés en grande tenue s'activaient autour d'un vaste buffet, un chef de rang se porta à notre rencontre :

_ Ces messieurs cherchent-ils quelque chose ?

_ Z'oui, le pipi-room !

_ Si ces messieurs veulent bien m'accompagner...

Il y eut une clameur autour du buffet, d'un bond Molossa et Molossito sautèrent d'une table, ils emportaient de concert dans leur gueule, un énorme poisson, les garçons se ruèrent à leur suite, rejoints par notre Chef de rang, perdant toute dignité, gueulait comme un putois : le saumon fourré au foie gras ! Déjà sur le pont les cabots galopaient parmi les invités, la horde des poursuivants reçut fortes moqueries et acerbes quolibets...

En quelques instants nous grimpâmes jusqu'aux postes de commandement. Un homme à casquette s'apprêtait à tourner un volant et enclenchait doucement la vitesse. Au micro, un Monsieur loyal, débutait son speach : '' Juliette et Roméo vous remercient de votre présence, d'être venus si nombreux à la célébration de leur mariage, ah ! euh, oui je... je... une petite surprise offerte par la direction des Bateaux Mouches, accrochez-vous, la course folle vers le bonheur débute tout de suite !''

Au micro, le Chef se débrouillaient comme... un chef ! Les deux malheureux qui avaient tenté de s'interposer à notre entrée dans la cabine, gisaient à nos pieds, je virais brutalement à bâbord, et poussai les gaz à fond, un énorme panache de fumée noire noya les invités dans une brume épaisse, une fois dissipée la robe blanche de la marié se retrouva teinte en noir !

Il y eut des cris de stupéfaction, mêlés d'éclats de rire. L'Albatros prenait de la vitesse, tout compte fait, les invités prenaient la chose du bon côté, lorsque le Chef annonça au micro que nous allions doubler un deuxième Bateau Mouche, tout le monde trépigna pour fêter notre triomphe.

Le Cormoran, ainsi se nommait-il, se prit au jeu, son capitaine obliqua quelque peu afin d'occuper l'espace central sous l'arche du prochain pont, pensant qu'il nous n'aurions pas assez de place pour effectuer notre dépassement, mal lui en pris, quelques encablures avant le pont je le harponnais vivement sur son arrière, et le drossais sur la pile, ce fut sanglant, le Cormoran s'ouvrit pratiquement en deux, la plupart des passagers, femmes, enfants, vieillards, handicapés en tous genres glissèrent dans la Seine, on les entendait crier au secours, mais les flots cruels refermaient leurs bras froids sur eux, et des bulles glouglouteuses remontaient à la surface, le chef ne put se retenir de citer Victor Hugo en l'honneur de ces victimes innocentes :

Ô combien de marins, combien de capitaines

Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines

Dans ce morne horizon se sont évanouis

Combien ont disparu dure et triste fortune...

Les funèbres et énergiques alexandrins hugoliens produisirent leur effet, leur mâle tristesse envahit les cœurs, des larmes coulèrent, des prières furent psalmodiées, le Chef entreprit de raffermir les volontés :

_ Il est plus que temps de venger ces victimes innocentes, nous devons arrêter la mystérieuse péniche chargée de sable qui est la cause de leur disparition, nous la poursuivrons jusqu'au bout de l'océan !

Le Chef savait manier les foules, elles sont par essence versatiles, il suffit d'offrir un but à une masse atterrée pour la transformer en troupes de choc, des cris de haine fusèrent à l'encontre de la mystérieuse péniche, mais brutalement le charme fut rompu. Par la faute de Juliette :

_Vous ne voyez pas que ce sont des fous qui racontent n'importe quoi, Roméo mon amour, va les arrêter, je te l'ordonne au nom de mon amour !

La Juliette était totalement hystérique, une fraction des invités s'apprêtait à prendre son parti, elle s'arracha des bras de Roméo et d'une voix mélodramatique elle reprit son incantation !

_ Va Roméo il n'est plus temps de m'embrasser, va, tue-les et reviens couvert de leur sang criminel te jeter sur mon sein, qui n'attend que tes caresses ! Je te promets...

Elle ne put tenir ses promesses. Nous ne sûmes jamais ce qu'elle voulait promettre, une balle du Chef lui perfora la tête. Son sang gicla sur la pièce montée, elle vacilla, et tomba en arrière entraînant la tour de friandise dans sa chute. On ne la voyait plus ensevelie sous une tonne de choux à la crème. Il y eut un cri terrible qui glaça d'horreur l'assistance.

C'était Roméo, le malheureux se frappa la poitrine de ses poings, regarda la cabine vitrée du poste d'équipage, nous fixa froidement, hurla : '' J'arrive !'' . Il traversa le pont à une vitesse folle, animée par une fureur de berseker, et entreprit d'escalader trois à trois les marches qui menaient jusqu'à nous :

    • Agent Chad, toujours à fond, ne vous préoccupez pas de lui, je m'en charge !

Le Chef n'eut même pas le temps d'atteindre la porte pour lui barrer le passage, ni même de ressortir de sa manche son Beretta, ni même l'occasion d'allumer un Coronado. Roméo était sur lui et l'enveloppai d'une vigoureuse étreinte, un instant je crus que les évènements me portaient à la tête du SSR, il n'en fut rien :

_ Merci, merci, ô merci, des sanglots déchiraient la poitrine de Roméo, ô merci, comment avez-vous su que la détestais, que je me suis marié avec elle uniquement pour son argent, vous m'avez arraché à une existence horrifique, en tant que mari, je suis le propriétaire de sa fortune, en la tuant vous m'avez sauvé la vie, merci, merci, merci ! A moi maintenant, les palaces, les suites de luxe, les mannequins, les actrices, les restaurants douze étoiles, les casinos !

Tout enfiévré de son avenir radieux il s'adressa à tous ceux qui s'étaient massés au bas des escaliers et hésitaient à les escalader :

_ Mes amis tout va bien, ce n'est qu'une vulgaire méprise, Juliette a été touchée par un tireur d'élite posté sur la péniche noire, en abattant mon innocente moitié, il pensait que nous arrêterions la poursuite, je tiens à ma vengeance, nous irons jusqu'au bout !

Des clameurs de joie lui répondirent, un vent de haine et de folie suicidaire emportait les esprits, Joël saisit l'occasion au vol, s'emparant d'une pile d'assiette, il les remplit à pleines mains de choux à la crème tâchés du sang de Juliette, Françoise, Framboise, Noémie les distribuèrent, très vite relayés par Roméo magnifiquement inspiré !

_ Prenez et mangez, elles sont tâchées du sang de mon amour immortel, comme son amour vous deviendrez immortels !

L'on se ruait sur les assiettes, des aspirants ivres de vengeance et d'éternité se jetèrent à genoux devant l'amas de gâteaux, ils puisaient à même la manne miraculeuse source de vie et gobaient les boules débordant de crème pâtissière comme des hosties sacrées, en quelques minutes il n'en resta plus une seule, il y eut un geste de recul devant le corps de Juliette dans sa robe de mariée noire qui lui servait désormais de suaire, des femmes glapirent, elles arrachèrent des lambeaux de tulle qu'elles se disputèrent, chacune exigeant une relique protectrice, tant et si bien que le corps nu de Juliette apparut aux yeux de tous et suscita un redoublement de ferveur, des lèvres se posaient sur cette chair si blanche, elles ne tardèrent pas mordre, à lécher le sang qui s'écoulait des mille plaies de la sainte innocence, à croquer un morceau, ce fut un entremêlement homérique, tout un chacun désirait participer à ce festin, elle fut dévorée en quelques minutes, dans la mêlée j'entrevis Molossa et Molossito qui s'étaient emparés d'un bout d'intestin et ne voulurent à aucun prix le lâcher...

    • Agent Chad, forcez encore la vitesse, j'entrevois au loin la poupe d'une péniche noire !

Je la reconnus, nous gagnions sur elle, le Chef avisa la foule qui se rua sur le bastingage, je reconnus le chef de rang, un sacré futé, dans la mêlée il s'était débrouillé pour pieusement recueillir la petite culotte rose de Juliette qu'il faisait tournoyer sur son index levé comme l'oriflamme des croisés devant les remparts de Jérusalem, la péniche chargée de mille tonnes sable ahanait, je me rangeai contre son bord, nous la surplombions, la silhouette noire de Charlie Watts se réfugia vers l'avant, Rouky bondissait à ses côtés, le chef de rang fut le premier à sauter, tout le monde l'imita, les imprécations fusèrent :

_ A mort ! À mort ! Assassin !

L'étendard de la petite culotte rose menait l'assaut, ils étaient à vingt mètres du batteur des Stones, l'image de ibis rouge se déploya derrière Charlie dont la figure était maintenant cachée par son long bec d'acier...

A suivre...

 

05/02/2020

KR'TNT ! 450 : GENE VINCENT / SLEEPY LABEEF / LEE FIELDS / CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP / JOHNNY MAFIA / NOT SCIENTISTS / A CONTRA BLUES / POP MUSIQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 450

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

06 / 02 / 2020

 

GENE VINCENT / SLEEPY LABEEF / LEE FIELDS

CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP / JOHNNY MAFIA

NOT SCIENTISTS / A CONTRA BLUES / POP MUSIQUES

TEXTES + PHOTOS : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Il Gene en hiver

 

Vous avez déjà entendu parler de Luke Haines, plus connu sous le nom de Luke la Main Froide. Il fit jadis la une de l’actualité avec une tripotée d’albums dont ceux des Auteurs et deux romans que tout fan de rock anglais doit se faire un devoir de lire, Bad Vibes/Britpop And My Part In Its Downfall et Post Everything/Outsider Rock And Roll.

Mais nous sommes là aujourd’hui pour une autre raison : ses chroniques dans Record Collector qui, chaque mois, lui accorde généreusement une page. Oh, ce n’est pas grand chose, mais c’est souvent très intéressant. On lui doit de brillantes chroniques consacrées aux Pink Fairies, à Robert Calvert, ou encore à Steve Peregrin Took. Ce mois-ci, il consacre sa chronique à Gene Vincent et plus précisément à un petit film documentaire réalisé en 1970 qu’on peut aller voir sur YouTube, The Rock And Roll Singer. Quatre jours de tournage. Gene était alors de retour en Angleterre pour la promo de son album I’m Back And I’m Proud. Il avait 34 ans. Attention, ce film sans prétention est extrêmement émouvant. On y voit une ancienne star du rock nommée Gene Vincent qui tente de faire son retour.

Luke la Main Froide n’y va pas de main morte : «Si vous êtes une rock star et qu’une équipe de télé vous a suivi pendant quelques jours, ça veut dire que votre carrière a été balancée au vide-ordures. Soit on va vous sortir du trash, soit vous êtes carrément le trash. Le docu rock n’est pas fait pour sauver une carrière.» Il fait ensuite la distinction entre deux genres de docus rock : ceux consacrés aux gens qui vont bien et qui n’intéressent personne, et ceux consacrés à ceux qui vont mal et qui vont mourir, et là bingo, coco !

Quand il débarque à l’aéroport, Gene est content : des Teds viennent l’accueillir et lui demander des autographes. Mais on sent tout de suite qu’il y a un problème, déjà en 1969 : Gene est passé de mode. Luke Haines : «Eugene Craddock was too much for rock». Ça, tous les fans de Gene Vincent le savent. Mais Haines va encore plus loin quand il suggère que le rock aurait pu s’arrêter à «Be-Bop-A-Lula». Car c’est après Be-Bop que commence son déclin. Haines rappelle brièvement l’accident de Chippeham où Eddie Cochran perdit la vie : «By now, Gene Vincent was a dead man barely walking and an almost living legend». C’est ce mec-là, un mort vivant et en même temps une légende vivante qu’on voit débarquer à Heathrow et aller répéter avec les Wild Angels dans une cave de Croydon.

Lucky Luke rappelle que Gene est complètement fauché quand il décide de repartir en tournée en Angleterre. Il doit du blé aux impôts. Il est accro aux anti-douleurs et siffle trois bouteilles de Martini par jour. Selon Luke la Main Froide, The Rock And Roll Singer is the greatest rock documentary ever made. Oui, le plus grand docu rock jamais réalisé, simplement parce que, dit-il, on y voit the greatest rock singer who ever lived, et que c’est du cinéma vérité, filmé dans l’instant. Gene, nous rappelle Haines, ne vivait que dans l’instant.

On le voit boiter et s’arrêter pour répondre à des questions :

— Pourquoi ce retour en Angleterre ?

— I’ve got a new album out.

Il est affable et il est rincé. Haines le décrit comme «un Ratso Rizzo qui a grossi, une icône brisée qui boitille dans les couloirs et qui disparaît, avalé par les portes de l’oubli, en trimballant un pauvre étui à guitare». On retrouve Gene plus loin dans l’un des pires endroits d’Angleterre, nous dit Haines, le Dukes B&B. Une fois de plus, Gene se fait enculer par le promoteur, mais ce n’est pas si grave, vu qu’il s’est fait enculer toute sa vie : par des promoteurs, par son ex-femme et par sa rotten luck, c’est-à-dire la poisse. Il réclame son blé, mais le mec lui dit que le blé est dans un bureau fermé jusqu’à lundi. Gene est le roi des poissards, c’est l’une des raisons pour lesquelles on s’attache à lui depuis plus de cinquante ans - Our rock’n’roll hero is somewhat melancholic - Disant cela, Haines semble se marrer, mais pas tant que ça. Il aurait plutôt envie de chialer. La poisse continue : comme il arrive en retard au studio de télé, l’émission est annulée. Alors Gene prévient qu’il va aller se soûler la gueule, puisque ces cons ont annulé le show télé. Le film s’enfonce dans une insondable tristesse.

Un journaliste lui demande :

— What are your loves and hates ?

— My loves are my wife and my dog, and my hates are the French groups. ‘Cause they never turn up.

Oui, il se plaint des groupes français qu’on attend pour des prunes avant les concerts. Ces branleurs ne viennent même pas. La caméra le filme assis à l’avant d’une bagnole qui roule dans Londres. Fantastiques images. Gene explique au chauffeur que la CIA a pris le pouvoir aux États-Unis. Le lendemain, l’émission est re-programmée. No alcohol, lui dit un responsable de Thames TV. Dans la loge, une dame lui lave les cheveux et les sèche au casque. Gene monte enfin sur scène avec les Wild Angels. Un mec annonce :

— Tonite with the Wild Angels he gives you Be-Bop-A-Lula !

Alors on voit Gene penché sur son micro, la patte folle en arrière, all dressed in black. Les gens dansent dans le studio, ça fait partie du show, comme le veut la coutume de l’époque. Gene prend sa petite voix d’hermine frelatée et susurre my baby doll/ My baby doll. Il porte un gilet de cuir noir et médaillon pendouille au bout d’une grosse chaîne passée autour de son cou. À la fin, il est content. Un vrai gamin.

Retour en loge et aux sempiternels problèmes de fric. Gene réclame son blé. Que dalle.

— Tell’ em I want my money caus’ ther’s gonna be trouble.

Il est gentil, il prévient que si on ne lui file pas son blé, ça va mal très tourner. Il va quand même jouer sur l’île de Wight. On le voit poireauter sur le ferry et poireauter encore. Il se plaint du poireau :

— This is the hard part. Waiting to rehearse, waiting to get on.

Sur scène, Gene dégringole son vieux «Say Mama». Puis «My Baby Left Me».

En fin de chronique, Haines nous rassure. Le film pourrait être très pénible, mais il ne l’est pas tant que ça, à cause dit-il du charisme de Gene Vincent (other-wordly magnetic charisma). C’est avec les extraits du set de l’île de Wight que tout finit par se remettre en place, avec un Gene singing like an angel from heaven. Après Be-Bop, les gens en veulent encore. One more ! One more ! Alors il revient EXPLOSER «Long Tall Sally». Le mot de la fin revient à cet aimable franc-tireur qu’est Luke la Main Froide :

— Commencez par visionner The Rock And Roll Singer puis écoutez sa version d’«Over The Rainbow». Et quand vous aurez séché les larmes de vos yeux, vous maudirez Dieu d’avoir autant maltraité le plus authentique de tous les chanteurs de rock’n’roll.»

Signé : Cazengler, Gene vin rouge

Gene Vincent. The Rock and Roll Singer. 1969

Luke Haines. Sweet Gene Vincent. Record Collector # 501 - January 2020

 

Hang on Sleepy

 

Peter Guralnick rencontra Sleepy LaBeef pour la première fois en 1977. Sleepy se produisait chez Alan’s Fifth Wheel Lounge, l’équivalent d’un resto routier situé à une heure de route au Nord de Boston. Ce truckstop est le genre d’endroit que les Américains appellent un honky tonk. Michael Bane : «Vous pouvez appeler ce genre d’endroit honky tonk si vous voulez. Mais dans ce genre de bar éclairé aux néons qui vend de la bière pas chère, les habitués du samedi soir se sentent chez eux. Le honky tonk est aussi américain que peut l’être la tarte aux pommes. Il est aussi profondément ancré dans notre inconscient collectif que peut l’être la pute au cœur d’or. C’est un repaire prisé par la classe ouvrière qui pourrait se situer quelque part entre le passé et l’avenir, une zone tampon entre le trash alcoolique et le désespoir. Lumières tamisées et hard country music : un bon honky tonk, c’est tout ça et même beaucoup plus encore. C’est un endroit magique où toutes les règles sont temporairement suspendues. C’est vrai, vous pouvez danser dans un honky tonk, mais c’est beaucoup plus qu’une salle de bal, vous pouvez écouter de la musique, mais c’est beaucoup plus qu’une salle de concert, vous pouvez boire au point de sombrer dans un coma éthylique, mais c’est beaucoup plus qu’un bar où on va se soûler la gueule. Un bon honky tonk, c’est l’American dream limité à de la bière, des gonzesses et de la loud music.»

Si Guralnick cite Bane, c’est pour bien situer les choses : Sleepy LaBeef se produisait à longueur d’année dans des honky tonks un peu partout aux États-Unis : au Texas, puis autour d’Atlanta, près de Boston, ou alors au Kansas ou dans le Michigan. Il vivait de ses concerts. S’il a fini par s’installer dans le Massachusetts, c’est simplement parce que son bus de tournée avait pris feu sur la route et qu’il avait perdu tout ce qu’il possédait : fringues, disques, souvenirs, tout. Alors il s’est installé dans le motel derrière l’Alan’s Fifth Wheel Lounge et devint pour trois mois le house-band du truckstop. Depuis lors, il est resté basé dans la région.

Sleepy connaissait 6 000 chansons, il lui suffisait d’en entendre une dans un jukebox et si elle lui plaisait, il la retenait dès la deuxième écoute. Aux yeux de Guralnick, Sleepy LaBeef est un artiste considérable : «En une soirée, Sleepy LaBeef pouvait donner un cours d’histoire du rock’n’roll, en allant de Jimmie Rodgers à Jimmy Reed, en passant par Woodie Guthrie, Chuck Berry, Joe Tex et Willie Nelson. Ce multi-instrumentiste pouvait jouer de la guitare avec la niaque d’Albert King. En plus de sa connaissance encyclopédique de la musique, Sleepy avait du flair, de l’originalité et de la conviction.» Sleepy cultivait une autre particularité : il ne jouait jamais deux fois le même set.

Guralnick insiste beaucoup sur le côté «force de la nature» de Sleepy qui ne mesurait pas moins de deux mètres pour 120 kilos et qui fut the only rockabilly baritone, car oui, c’est ce qui frappe le plus à l’écoute de ses disques : la puissante gravité de sa voix. Guralnick va même jusqu’à comparer Sleepy à Wolf, tant par la présence que par la stature musicale. Mais tout ceci n’était rien comparé aux moments où, nous dit Guralnick, Sleepy prenait feu sur scène, tapant dans «Worried Man Blues» ou «You Can Have Her» avec une rare violence. Il entrait paraît-il en transe.

En référence, Sleepy cite principalement Sister Rosetta Tharpe, qui fut aussi la muse de Cash et de Carl Perkins. Il cite aussi les noms de Lefty Frizzell, de Big Joe Turner et de Floyd Tillman. Mais il y en a d’autres. Quand on lui pose la question des autres, il demande de combien de temps il dispose, car la liste est longue. Et quand il entendit Elvis chanter «Blue Moon Of Kentucky» à la radio, il éprouva un choc, car il savait exactement d’où venait Elvis : de l’église. Car Sleepy avait chanté comme ça à l’église pendant des années.

Ce n’est qu’en 1968 qu’il rencontre Shelby Singleton, l’acquéreur de Sun Records et qu’il devient the last Sun recording artist. Mais c’est dix ans trop tard, même si Colin Escott voit en Sleepy le gardien de la flamme. Bad timing, disent les Anglais. Au lieu d’aller à Memphis comme le firent Jerry Lee, Roy Orbison et tous les autres, Sleepy préféra aller à Houston. Fatale erreur. Ça explique en partie qu’il ne soit jamais devenu une star, alors qu’il en avait la carrure, notamment grâce à son ‘basso profundo’. Le fait qu’il ne soit pas devenu une star tient aussi au fait qu’il n’ait pas bénéficié de l’aide d’un producteur du calibre d’Uncle Sam, ou, comme le suggère Guralnick, du calibre d’Art Rupe, le boss de Specialty, qui avait l’oreille pour le r’n’b et le gospel.

Selon Guralnick, Sleepy n’aurait jamais gagné un rond avec ses disques. Pour vivre et élever ses enfants, Sleepy fut obligé de tourner en permanence. Mais bon, pas de problème. Il le dit d’ailleurs très bien lui-même : «I never sold out. Nobody owns me. I know I’m good. I wouldn’t be honest if I didn’t tell you that.» (Je n’ai jamais vendu mon cul. Je n’appartiens à personne. Je sais que je suis bon. Je ne serais pas honnête avec toi si je ne te disais pas tout ça) (...) «Well quand j’ai débuté dans le business, je ne savais même pas qu’on pouvait y faire du blé. Et je pense que demain, je continuerai de monter sur scène, même si je ne fais pas de blé. Voilà comment je vois les choses.» Guralnick est en tous les cas convaincu que Sleepy était l’un des douze artistes les plus brillants qu’on pouvait voir sur scène aux États-Unis. Il lui consacre d’ailleurs dans Lost Highway un chapitre aussi important que ceux qu’il consacre à Elvis et Charlie Feathers. Et l’une des premières images du livre, c’est Sleepy en train de gratter sa gratte.

Les fans de Sleepy se sont tous jetés sur la belle box éditée par Bear Family, Larger Than Life. Cette box est une véritable caverne d’Ali Baba. On y trouve cinq CDs et un livret grand format aussi écœurant qu’un gros gâteau au chocolat : ça dégouline d’une crème de détails. Chacun sait que les Allemands ne font jamais les choses à moitié. Le disk 1 est sans doute le plus précieux car il rassemble tous les singles enregistrés par Sleepy entre 1955 et 1965 à Houston, Texas. On vendrait son âme au diable pour ce «Baby Let’s Play House» enregistré en 1956. Sleepy s’y montre digne de Charlie Feathers : même sens aigu du hiccup, jolis guitares claironnantes, slap in the face (Wendall Clayton), admirable déboulade - Bbbabe/ babebabe/ bum bum bum - Sacré Sleepy ! La B-side de ce premier single est un balladif atrocement efficace, «Don’t Make Me Go» : Sleepy impose sa présence aussi nettement qu’Elvis période Sun. Il enregistre aussi «I’m Through» en 1956. C’est admirable de vraie voix. L’accompagnement est un modèle de discrétion. Du biz à la Cash. On se régale à écouter chanter ce mec, même ses heavy balladifs texans passent comme des lettres à la poste. Toujours en 1956, il enregistre «All The Time» sur fond de barouf d’accords. Sleepy est le winner of the game, il allume comme un cake du ring, c’est énorme et fabuleusement hot, let’s get it now et solo de Charlie Busby, un mec qu’on peut voir en photo dans le livret, avec sa vilaine trogne et sa chemise à carreaux. Et crac, en 1957, il enregistre «I Ain’t Gonna Take It», ça slappe sous le menton, toujours Wendall Clayton, un môme de 13 ans. Sleepy amène «Little Bit More» à la folie Méricourt, il en veut encore - I’m gonna kiss you a little bit more/ Weeeehhh/ All nite long - Zyva Mouloud Labeef ! En 1958, Sleepy enregistre «The Ways Of A Woman In Love» sur un takatak à la Cash, mais il détient le power véritable. Il reprend d’ailleurs le «Home Of The Blues» de Cash. Durant la même session, il enregistre le «Guess Things Happen That Way» de Jack Clement, fabuleux popopoh de Deep sounding popopoh. Le single suivant s’appelle «Can’t Get You Off My Mind». On sent le rockab qui règne sur son empire. Fantastique cavalcade. Sleepy est un mec idéal pour Bernadette Soubirou. Ce big heavy shuffle texan est si bon qu’on hoche la tête en suçant le beat. Il fait aussi un «Turn Me Loose» digne de Buddy Holly. Ah ça sent bon le Texas ! En 1959, il reprend le «Tore Up» d’Hank Ballard et le racle bien au guttural. Il se prend d’ailleurs pour Billy Lee Riley. Il rend aussi un superbe hommage à Bo Diddley avec une reprise de «Ride On Josephine». Comment tu veux résister à ça ? Impossible.

Le disk 2 démarre avec sa reprise du big «Goodnight Irene» de Leadbelly. Wendall Clayton la slappe derrière les oreilles ! Sleepy est un weird outcast, il chevauche en marge de la société, il fait comme Jerr, il swingue son Leadbelly avec un max de gusto, good nite Iriiiiiine, tout ça sur fond des wild guitars de Red Robinson et Toby Torrey. Il faut voir aussi Sleepy bouffer la heavy country de «Oh So Many Years». C’est un vrai gator ! Il croutche tout ce qui traîne. Powerus maximalus, comme dirait Cicéron. Encore un fabuleux coup de heavy downhome baryton dans «Somebody’s Been Beatin’ My Time». En 1965, Sleepy enregistre pour Columbia à Nashville et ça s’entend. Il chante au creux de son baryton et son «Completely Destroyed» se révèle d’une puissance inexorable. Il adore ces vieux shoots de rengaines tagada. Il passe aux choses sérieuses avec une reprise de Chucky Chuckah, «You Can’t Catch Me». Véritable shoot de rockabollah, suivi d’une mise en coupe réglée du «Shame Shame Shame» de Jimmy Reed. Et voilà qu’il plonge dans le New Orleans Sound avec l’«Ain’t Got No Home» de Clarence Frogman Henry, ouh-woo-woo-woo, il le fait pour rire, il passe par tous les tons, même le cro-magnon. Sleppy éclate tout. Rien ne lui résiste. C’est sans doute là, dans sa première époque, qu’il montre à quel point il domine la situation. Il faut le voir attaquer «A Man In My Position», Goodbye Mary/ Goodbye Suzi, il fonce vers d’autres crémeries, d’autres chattes bien poisseuses. Sa voix transperce les murailles. De cut en cut, on s’effare de la qualité du stuff, comme par exemple ce «Sure Beats The Heck Outta Settlin’ Down», solide merveille pleine d’allant et de punch, country festive à la bonne franquette, un vrai joyau de good time music. On pourrait dire la même chose de «Too Young To Die» et de «Two Hundred Pounds Of Hurt», joués au fantastique swagger. Ce sacré Sleepy accroche bien son audimat. On le voit ressasser la vieille country d’«Everyday» à la poigne de fer. Powerful country dude ! Il termine sa période Columbia avec un sidérant «Man Alone». Ce mec sait chanter son bout de gras. Avec son Stetson noir et son blazer blanc, il fait figure d’aristo. Alors attention, en 1970, il enregistre chez Shelby Singleton. Il entre dans sa période Sun avec «Too Much Monkey Business» qu’il prend à la voix de heavy dude. Avec le «Sixteen Tons» de Merle Travis, il passe au ringing de wild rockab. Il sait de quoi il parle. Et puis voilà qu’on tombe sur un coup de génie : «Asphalt Cowboy». Fantastique résurgence de la source ! Il sonne comme Elvis dans le Polk Salad schtoumphing, Sleepy tape son Cowboy au dur du Deep South et le tempère à la pire aménité. Il en fait du big beat à ras la motte, typique d’un Tony Joe sous amphètes, sur fond de slidin’ du diable. L’un de quatre guitaristes présents dans le studio joue au picking demented. Sleepy ?

Le disk 3 démarre sur la suite de la période Sun et ça chauffe très vite avec «Buying A Book» que Sleepy chante du haut de la tour de Babylone puis il explose le vieux «Me And Bobby McGee» de Kris Kristofferson. Il l’emmène avec l’autorité d’un King. C’est la version qu’il faut écouter, car montée sur un heavy drive de slap. C’est plein de jus et gratté sec, lalala lalala ! En plein dans le mille. Sleepy laisse bien son Bobby en suspension - Good enough for me and/ ...Bobby McGee - Il rend ensuite hommage à Hooky avec «Boom Boom Boom» qu’il chante d’une voix de gator, croack croack, au right out of my feet du marais. Hooky devait bien se marrer en écoutant ça. S’ensuit un hommage torride à Joe Tex avec «It Ain’t Sanitary». Comme Elvis, Sleepy ne travaille qu’au feeling pur. Et bham, voilà l’«Honey Hush» de Big Joe Turner. Sleepy le yakety-yake d’entrée de jeu, il fonce dans le tas. Just perfect. Avec «A Hundred Pounds Of Hurt», il renoue avec le country power. En tant que Southern dude, Sleepy vaut mille fois Cash. On le voit ensuite monter sur le coup d’«I’m Ragged But I’m Right» comme on monte sur un braco. Sleepy monte sur tous les coups, comme Jerr. Il n’a pas froid aux yeux. Il va même exploser le cul de la pauvre country. Nouvel hommage, cette fois à T Bone Walker avec «Stormy Monday Blues». Ça pianote au fond du saloon. Sleepy honore ce géant du blues et l’hommage prend une sacrée tournure, c’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Il faut voir ce chanteur passionnant monter dans ses gammes. Il ne fait qu’une seule bouchée de «Streets of Laredo» et va loin au fond de son baryton pour interpréter «Bury Me Not On The Lone Prairie». Il chante aussi «Tumbling Tumbleweeds» à la carafe implicite et barytonne de plus en plus. En 1974, il se tourne résolument vers la country, mais il est si bon qu’on l’écoute attentivement, même quand on n’est pas fan de country. Il reprend aussi le «Good Rocking Boogie» de Roy Brown qui est en fait le «Good Rockin’ Tonight» - Well I heard the news/ We’re gonna boogie tonite - Énorme swagger.

Suite de la période Sun sur le disk 4. Avec «Mathilda», il enfonce son clou cajun à coups de poing. Même niveau qu’Elvis question prestance et ça violonne à perdre haleine. Sleepy reste dans le cajun avec «Faded Love» - I miss you darling more & more - Très haut niveau d’instrumentation avec un Sleepy qui solote au glouglou dans le flow. Toute la session de mai 1977 est cajun, même la reprise de «You Can’t Judge A Book By Its Cover». C’est très spécial, rien à voir avec Cactus. Sleepy opte pour le mode cavalier léger, c’mon, can’t you see. S’ensuit un «Young Fashioned Ways» bien slappé derrière les oreilles décollées. Sleepy et ses amis n’en finissent plus d’allumer les vieux coucous : c’est le tour du «Sittin’ On Top Of The World» des Mississippi Sheiks, un heavy blues popularisé par Wolf et plus tard Cream. Sleepy does it right. Facile quand on est monté comme un âne. Ah qui dira la violence du country beat, avec la petite incision qui ne fait pas mal, cette guitare scalpel qui entre dans le cul du beat. Ces mecs y vont de bon cœur. Plus rien à voir avec Cream. Sleepy fait aussi une version royale de «Matchbox». Puis il rend hommage à Lowell Fulson avec une version superbe de «Reconsider Baby». Il en fait un carnage, même si la bite blanche est moins exposée aux aléas sentimentaux que la bite noire - I hate to see you go - Mais au fond, Sleepy ne manquerait-il pas un peu de crédibilité, si on compare sa version avec celle du géant Lowel Fulson ? Et la valse des covers de choix reprend avec «Polk Salad Annie», c’est une version ultra-musculeuse, Sleepy et ses copains ont décidé de fracasser la Salad, ils jouent au big Southern brawl. Fantastique énergie ! Ça bat sec et net, sur un beat bien tendu vers l’avenir. Sleepy crée l’événement en permanence. Il brame son «Queen Of The Silver Dollar» au fond du saloon et tape son «Stay All Night Stay A Little Longer» au Diddley beat, avec des chœurs. Wow, ils sont en plein dans Bo ! C’est un véritable coup de génie : Sleepy fond l’énergie country dans le cœur de Bo ! Du coup, ils retapent un coup de «Baby Let’s Play House» - Babbb/ I’ll play house for you - Sleepy tape aussi dans l’extraordinaire «Tall Oak Tree» de Dorsey Burnette, joli shoot de black country rock. Quelle autorité et quel son ! Ces sessions Sun rangées chronologiquement dans la box sont de vraies merveilles. Sleepy eut la chance de ne pas tomber dans les pattes du Colonel Parker et de RCA. Il put ainsi préserver son intégrité.

On continue avec le disk 5 qui propose ses chansons de gospel et notamment une reprise de son tout premier single, enregistré en 1955 et resté inédit, «I Won’t Have To Cross The Jordan Alone»/«Just A Closer Walk With Thee» : vieux gospel country demented. Il explose sa ‘old time religion’. Il prend aussi «Ezekiel’s Boneyard» en mode jumpy et occipute «I Saw The Light». Il chante tout ça d’autorité avec une insolente profondeur de ton. Sleepy ravage les églises en bois. Il joue tout son gospel batch à la country effervescente, avec une incroyable énergie du beat. On tombe plus loin sur les sessions d’un album plus rock, avec notamment des reprises musclées de «Rock’n’Roll Ruby» et de «Big Boss Man». Il les groove sous la carpette du boisseau, il leur fouette la croupe au mieux des possibilités du fouettage, et ça donne un vrai swing d’American craze. Sleepy y va toujours de bon cœur, il faut le savoir. Il claque aussi l’«I’m Coming Home» de Johnny Horton au country power et riffe en sourdine à l’huile. Tout est alarmant de power et de classe. Sleepy is all over. Il prend son «Boogie Woogie Country Girl» ventre à terre et devient violent avec son killer solo flash. On ne parle même pas de la version demented de «Mystery Train». Il va droit sur Elvis 56. Encore plus demented, voici «Jack & Jill Boogie» avec un Cliff Parker qui a le diable au corps. Hommage à Lee Hazlewood avec «Honly Tonk Hardwood Floor», beau brin de son of a gun, pas de problème, ça reste du Grand Jeu. Il gratte aussi son «Tore Up» au sec de Nashville et termine avec la doublette infernale de Billy Boy, «Flying Saucer Rock’n’Roll» et «Red Hot».

Quant au disk 6, il propose l’album enregistré à Londres avec l’excellent Dave Travis Bad River band. Cet album est un véritable festival de rythmique et de sawgger rockab. On ne saurait rêver mieux dans le genre. Pour les Anglais, ça devait être un rêve que d’accompagner un mec aussi brillant que Sleepy LaBeef. Sur cet album, tout est bon, il n’y a rien à jeter, ils tapent «Ride Ride Ride» au fouette cocher et envoient un fabuleux shoot de virtuosité avec «LaBœuf’s Cajun Boogie» : figures de style bien carrées et somptueuses descentes de gammes cajunes. Sleepy joue ça au gratté sauvage. Il faut dire que le mix de Bear ravive encore la fraîcheur enivrante de l’album. Avec «Go Ahead On Baby», Sleepy prend les choses au débotté et embarque «Mind Your Own Business» au heavy drive. Sleepy travaille ça en profondeur et passe une espèce de killer solo flash qui laisse rêveur. Cet album est une vraie bombe atomique. Sleepy saute sur le râble de tous ses solos, il joue tout à l’ouverture d’esprit. Il embarque son «Shame Shame Shame» au rumble rockab et se paye une belle dégringolade de bass drive avec «Cigarettes And Coffee Blues». Sleepy est dans son délire de swing et bat absolument tous les records de désinvolture.

On retrouve toutes les merveilles Sun sur les deux premiers albums de Sleepy, The Bull’s Night Out et Western Gold. Le plus diabolique des deux albums Sun est le premier qui s’ouvre sur la version nerveuse de «Too Much Monkey Business». On sent le cat accompli. Mais c’est en B qu’ils chauffent la marmite avec cette fantastique version de «Me And Bobby McGee» que Sleepy prend d’une voix de big guy. C’est gratté à l’efflanquée d’acou tutélaire. Sleepy fait son stentor terminator, il bat même Elvis à la course. Il charge ensuite la barque de la B avec «Boom Boom Boom», puis l’«It Ain’t Sanitary» de Joe Tex qu’il fait sonner comme du Tony Joe White avec le même sens du come along, puis «Honey Hush» qu’il prend à la cosaque d’une voix d’Ivan Rebroff. Cette B fulminante se termine avec l’excellent «Asphalt Cowboy» monté sur l’attaque de takatak Telecasté et on voit Sleepy naviguer à la surface du beat, fier comme un amiral de la Royal Navy. Le Western Gold est plus country, avec un «Mule Train» bien cavalé et un «Cool Water» bien monté dans les gammes de chant. Sleepy fait là de la country de cornac. Il fait sa barrique avec «Tumbling Tumbleweeds» et retombe dans la vieille country de poids avec «Strawberry Roan». Il sort son meilleur baryton, celui de la prairie, pour «Wagon Wheels» - Carry me over the hills - et sombre dans un océan de nostalgie avec «Home On The Range». Et tout cela se termine avec «Ghost Riders In The Sky» qui sonne comme une cavalcade de cowboys à la mormoille. Avec cet album, on a disons l’équivalent des grands albums country de Jerr parus sur Smash.

Encore du Sun en 1979 avec Downhome Rockabilly et une série de reprises assez magistrales de «Rock’n’Roll Ruby» et surtout de «Big Boss Man» qu’il fait sonner comme une bombarde. Sleepy chante comme Hulk, du haut du ventre et ça swingue fabuleusement. Autre belle surprise : «Boogie Woogie Country Girls», un hit de Doc Pomus que Sleepy taille au swagger et ça slappe dur derrière lui. Belle version de «Mystery Train». Sleepy se positionne sur celle d’Elvis et il en a la carrure. Sa version lèche bien les orteils de l’original signé Junior Parker. En B, il salue Lee Hazlewood avec une cover d’«Honky Tonk Hardwood Floor» puis Hank Ballard avec un «Tore Up» hautement énergétique. S’ensuivent deux clins d’yeux à Billy Boy avec «Flying Saucer Rock & Roll» et «Red Hot». Ces mecs ont le diable chevillé au corps. Puis Sleepy va exploser le vieux «I’m Coming Home» de Johnny Horton. Il tape ça au fouette cocher. On se régale de l’incroyable carapatage de Sleepy LaBeef. Ça joue au meilleur country jive de derrière les fagots. Et cet album qu’il faut bien qualifier de miraculeux se termine sur le «Shot Gun Boogie» de Tennessee Ernie Ford. Wow shot gun boogie !

Charly s’est aussi jeté sur les sessions de Sleepy pour remplir deux albums, Beefy Rockabilly et Rockabilly Heavyweight, parus en 1978 et 79. Comme à son habitude, Charly tape dans le tas pour vendre. On retrouve sur Beefy Rockabilly toute la ribambelle : «Good Rockin’ Boogie», «Blue Moon Of Kentucky», «Corine Corina» qu’il chante dans les règles du meilleur art, «Matchbox», joué sec et net et sans bavure, «Party Doll» monté sur un solide drive de Nashville et l’irremplaçable «Baby Let’s Play House». Franchement, cette A vaut le détour et ça continue en B avec un «Too Much Monkey Business» chanté à la poigne d’acier, un «Roll Over Beethoven» irréprochable et un «Boom Boom Boom» transformé en big drive nashvillais. C’est joué à la frénétique, bien fouetté de la croupe, au vrai tagada. Charly charge bien la barque en ajoutant «Honey Hush» et «Polk Salad Annie», ce qui donne au final un album hélas beaucoup trop parfait. Sleepy ne vit que pour allumer les vieux cigares. Notez bien que les liners notes au dos de la pochette sont signées Guralnick. Il insiste : «Écoutez bien cet album. Avec ces morceaux qui s’inspirent du blues, du cajun, du swing, de la country et de la pure church-rocking Soul, on a une idée parfaite de ce que sont les racines du rockabilly, et comme dans le cas des géants du rockab original, Sleepy marie tout ça grâce à un incroyable style personnel.» Il s’enfièvre et compare le style vocal de Sleepy à ceux d’Elvis, de Big Joe Turner et de Wolf.

Et puis revoilà l’excellent Rockabilly Heavyweight enregistré à Londres avec le Dave Travis Bad River Band, repris dans la Bear Box en son intégralité. On y trouve des versions fringantes de «Shame Shame Shame» ou «Milk Cow Blues» que Sleepy arrose de killer solos flash. Au dos de la pochette, Max Needham nous raconte dans le détail ce concert donné au Regent Street studio, sur Denmark Street. Alors âgé de 44 ans, Sleepy ouvre le bal : «Come on bopcats, let’s rock !» et il attaque avec «Sick & Tired». La perle de l’album est sans doute «LaBœuf’s Cajun Boogie», un instro qui swingue de manière fantastique. Joli shoot de swing aussi dans «Mind Your Own Business», monté sur un drumming rockab de coin de caisse et des chœurs de mecs frivoles. Ah comme c’est fin et rusé ! Les Anglais se révèlent excellents, ils swinguent aussi «Lonesome For A Letter» et nous envoient au tapis avec un «Smoking Cigarettes & Drinking Coffee Blues» monté sur un drive infernal. Sleepy a bien raison de travailler avec Dave Travis. Ils font bien la paire. Sleepy prend plus loin «I’m Feeling Sorry» au gras d’attaque à la Jerr. C’est un album réjouissant bardé d’ol’ rock’n’roll furia del sol. Sleepy rafle la mise sans jamais forcer. Le festin se poursuit en B avec «Honky Tonk Man» et sa belle aisance swinguy - Hey hey mama/ Don’t you dare to come home - Sleepy n’en finit plus de jouer comme un dieu, surtout dans «My Sweet Love Ain’t Around».

En 1981, Sleepy entame sa période Rounder Records avec It Ain’t What You Eat It’s The Way You Chew It. C’est encore Guralnick qui signe le texte au dos de la pochette. Il décrit dans le détail toute la session d’enregistrement qui eut lieu au Shook’s Shack de Nashville. Il rappelle dans ce texte qu’il a fréquenté Sleepy pendant trois ou quatre ans et qu’il fut charmé à la fois par sa dimension musicale et sa dimension intellectuelle. Sleepy est un homme qui lit énormément. Une fois de plus Guralnick sort les noms d’obscurs contemporains de Sleepy, Frenchy D et Johnny Spain. Le reproche qu’on pourrait faire à cet album, c’est son côté trop Nashville. Sleepy perd son edge, même si Guralnick prétend le contraire. Même si «I Got It» (chanté aussi par Little Richard) sonne comme le rock’n’roll du diable. Il rocke bien son «I’m Ready», c’est fouetté et cravaché en toute connaissance de cause, mais sans surprise. Il tente en B le coup du heavy boogie avec «Shake A Hand» et reprend l’«If I Ever Had A Good Thing» de Tony Joe. Il fait aussi une belle version de «Let’s talk About Us», mais le «Walking Slowly» d’Earl King retombe à plat. Notons aussi qu’avec cet album, on sort de la période couverte par la Bear box.

Toujours sur Rounder, voici Electricity, paru en 1982. Steve Morse signe le texte au dos de la pochette. Il rappelle que Sleepy peut reproduite n’importe quel roots style : blues, country, cajun ou gospel. Mais s’empresse-t-il d’ajouter, c’est quand il rocke que ça devient intéressant - You’re under the spell of the real thing - À quoi Sleepy ajoute : «La seule musique qui m’intéresse est celle qui donne la chair de poule.» Alors en voiture Simone pour un album plein d’edgy boogie-woogie, de wild rockabilly et de pure overdrive rock’n’roll, nous dit Morse. Il ajoute que le soir d’un concert au Mudd Club à New York, Lux Interior vint trouver Sleepy pour lui demander un autographe. Première bonne surprise avec «Low Down Dog» repris jadis par Smiley Lewis et Big Joe Turner. Le beat rebondit aussi bien qu’une balle en caoutchouc dans la chaleur de la nuit et Sleepy transperce son Low Down en plein cœur d’un sale petit killer solo flash. C’est avec «Alabam» qu’il rafle la mise - I’m going back/ To Alabam - C’est cavalé ventre à terre, Sleepy fonce à la cravacharde. Morse précise que Sleppy reprend la version de Cowboy Copas. Puis il s’en va swinguer son vieux «I’m Through» qui date du temps où il chantait avec Hal harris et George Jones au Houston Jamboree, dans le milieu des années cinquante - Cause I’m blue/ I’m through with you - Il attaque sa B avec une cover de «These Boots Are Made For Walking» - The perfect rockabilly song, dit Sleepy - et il s’endort sur ses lauriers avec «You’re Humbuggin’ Me’» de Lefty Frizzell. Réveil en sursaut avec «Cut It Out» de Joe Tex, mais la prod ne met pas assez le cut en valeur. On a un problème avec cet album qui sonne comme le point bas d’une carrière.

Guralnick est de retour au dos de la pochette de Nothin’ But The Truth, paru en 1986. Attention c’est un big album ! Guralnick dit même qu’on l’attendait depuis longtemps, car c’est l’album live tant espéré. Guralnick est tellement fasciné par Sleepy qu’il le range dans son panthéon à côté de James Brown, Jerr et Wolf, in his pure ability to tear up a stage. Il veut dire que Sleepy explose une scène aussi bien que James Brown, Jerr le Killer et Wolf. Sleepy : «I’ll garantee you something’ll be going on !» Eh oui, Sleepy nous fout la chair de poule avec son «Tore Up Over You», real rockab madness. Sleepy a le diable au corps et il tore up dans les brancards. Il enchaîne avec un extraordinaire shake de Beefy Beef nommé «Boogie At The Wayside Lounge». Il drive ça à la voix d’homme, comme son copain Jerr le Killer. Même jus. Il nous embarque dans un interminable drive de boogie blast. Il annonce a little bit of bluegrass & rhtyhm & blues pour présenter «Boogie Woogie Country Man» et emmène son «Milk Cow Blues» à la force du poignet. En B, il prévient les gens qu’il adore cette chanson et pouf, voilà «Let’s Talk About Us». Il l’embarque aussi à la poigne de fer. Ce mec rolls on the rock et pique une crise comme son copain Jerr le Killer. S’ensuit un magnifique hommage à Bo Diddley avec «Gunslinger». Il jette dans la balance toute sa sincérité d’homme blanc et les chœurs font «Hey Bo Diddley !». Alors on monte directement au paradis. Il annonce : «Got a little boogie for ya» et boom, «Ring Of Fire» qu’il prend en mode boogie blast. Ah il faut avoir vu ce cirque si on ne veut pas mourir idiot. Et c’est avec le medley final qu’il va s’inscrire dans la légende des siècles. Fantastique tenue de route ! Les mecs y vont franco de port en démarrant avec le «Jambalaya» d’Hank Williams. Ils restent sur le même beat pour «Whole Lotta Shaking Goin’ On» que Sleepy chante au sommet de son art, sans jamais céder un pouce à la faiblesse. Toujours le même beat pour «Let’s Turn Back The Years» et «Hey Good Looking», pas de variante, avec Sleepy, tout coule non pas de source mais de muddy water et il termine sur un vieux shoot de Folsom. Le seul mot qu’on puisse ajouter au sortir de cet album, c’est wow. Alors wow ! Et même mille fois wow !

Ce sont les frères Guralnick qui produisent l’excellent Strange Things Happening paru sur Rounder en 1994. Sleepy rafle la mise dès «Sittin’ On Top Of The World» qu’il attaque au takatak. Il faut voir ce roi du monde parader dans son groove en toute impunité. Il est le grand vainqueur du rock américain. S’il est un mec qui inspire confiance sur cette terre, c’est bien Sleepy. Tu peux entrer dans la danse, tu ne seras pas déçu, c’est du big American sound claqué aux mille guitares et chanté au meilleur basso profundo. Sleepy récidive plus loin avec «I’ll Be There». On croit que la messe est dite depuis belle lurette, en matière de heavy boogie, et pourtant Sleepy claque ça sec. Il développe un extraordinaire swing de jive qui n’appartient qu’à lui. C’est encore un hit de juke comme on n’ose plus en rêver, chargé de wild guitars. What a swagger ! Il finit au guttural. Avec «Trying To Get To You», il sonne comme Elvis. Pur Memphis jive. Idéal pour un ‘gator comme Sleepy. Le titre de l’album est bien sûr un clin d’œil à Sister Rosetta Tharpe. Il embarque le morceau titre au heavy beat pianoté. Le géant s’adresse à une géante et le beat est au rendez-vous. Oh every day ! Clameurs de gospel ! Every day, là mon gars tu en as pour ton argent. Solo à la coule. Merveilleux Sleepy LaBeef. Son «Playboy» sonne comme un boogie classique, mais Sleepy en rajoute des couches. Il rend aussi un bel hommage à Muddy avec «Young Fashoned Ways» et à Ernest Tubb avec «Waltz Across Texas». Il finit avec une version live de «Stagger Lee» - ‘This is Stagger Lee now ! - Cette façon d’embarquer un cut n’appartient qu’à lui. Il fait sa loco et embarque Stagger Lee sur les rails à travers l’Amérique.

On pourrait voir I’ll Never Lay My Guitar Down comme un album de plus. Simplement, il s’y passe des choses, du genre «Treat Me Like A Dog», vrai shuffle de rockab moderne. Sleepy l’embarque au train train d’enfer de Mystery Train et donne une belle leçon de heavy shuffle. Il finit son cut à la folie Méricourt, à la Jerr, stay away from you, il explose son final au guttural, il shoute le train du try to try comme s’il se trouvait au Star Club de Hambourg ! Wow ! Il fait aussi sur cet album une nouvelle version d’«I’m Coming Home». Ah il aime bien Johnny Horton. Ça tombe bien, nous aussi. Il le claque au heavy claqué de boisseau, il le joue en mode bluegrass avec une gratte qui sonne comme un crapaud buffle du bayou, c’est fin et racé, digne des trains en bois du bayou et des grenouilles de Monsieur Quintron. Spectaculaire ! Il nous remet une couche de magnifique aisance avec «Little Old Wine Drinker Me» qui sent bon le «Route 66». Tiens puisqu’on parlait du bayou, Sleepy reprend l’excellent «Roosevelt & Ira Lee» de Tony Joe. Même race d’aventuriers du son et du swamp. Violent shoot de hot boogie down avec «Hillbilly Guitar Boogie». Sleepy adore le hot hillbilly blast, il en fait ses choux gras. Et il prend prétexte d’un «You Know I Love You» pour soloter à bras raccourcis.

Tomorrow Never Comes pourrait bien être l’un des meilleurs albums de Sleepy. Le morceau titre est une reprise d’Ernest Tubb, l’une de ses idoles parmi tant d’autres. «I grew up listening to Hank Williasm, Howlin’ Wolf, Bill Monroe, Tommy Dorsey, Muddy Waters, Bob Wills, Roy Acuff and Big Joe Turner». Sa version de Tomorrow est un vrai slab de rockab arraché à l’oubli. Une merveille de power, slappé par ce démon de Jeff McKinley. Autre reprise de choc : «The Blues Come Around» d’Hank Williams. Fantastique drive de heavy junk, Sleepy joue ça à la main froide, et ça pulse au beat rockab, avec un killer solo à la fin. Le «Detour» d’ouverture de bal est aussi un sacré romp de rockab. Sleepy sait prendre le taureau rockab par les cornes. Il joue ça au country power blast. Nashville romp, baby. Cette session nashvillaise de l’an 2000 compte parmi les sommets de l’art, avec des mecs aussi brillants que Jeff McKinley et David Hughes. Il fait aussi une version incroyablement rockab de «Too Much Monkey Business». Là-dessus, Sleepy est imbattable. Il faut voir comme il sait driver son Monkey Business. C’est assez fascinant. Il transforme le plomb du Monkey Business en or rockab. Mais ce diable de Sleepy est bien trop américain pour l’alchimie. On note la belle ferveur de David Hughes au slap. Maria Muldaur vient duetter avec Sleepy sur «Will The Circle Be Unbroken». Elle se fond dans l’exégèse. Elle sait shaker un couplet de gospel batch, pas de problème. Elle sait comment il faut la ramener. Sleepy rend plus loin hommage à Tony Joe avec «Poke (sic) Salad Annie». Belle tension, Sleepy adore Tony Joe et ses racines rurales, parce qu’il a les mêmes. Il descend au fond de sa cave pour y chercher le meilleur baryton. Il revient à ses premières amours avec un vieux coup d’«Honey Hush». Il connaît le Yakety Yack par cœur, mais on se régale du beau slap de Nashville. Jeff McKinley fait même un beau numéro de slap à vide. C’est une version de rêve, avec des chœurs de potos derrière et un solo de wild guitar. Il termine avec un fantastique shoot de «Low Down Dog». McKinley slaps it all over. Sleepy LaBeef serait-il the last of the great original rockabillies on earth ? En tous les cas, il slappe son shit, oooh oui, ooh oui. Si tu veux du vrai rockab, mon gars, vas voir Sleepy. Ou Jake Calypso.

Paru en 2001, Rockabilly Blues est une compile concoctée par Rounder à partir de cuts de blues restés inédits et enregistrés lors des sessions antérieures, comme par exemple celles de Nashville avec D.J. Fontana et Cliff Parker. Sleepy rend un bel hommage à Jimmy Reed avec une cover de «Bright Lights Big City» et ramène du violon cajun dans un «Fool About You» qu’il finit au yodell, comme Jerr. Sleepy tape aussi dans Muddy avec une reprise de «Mannish Boy», mais sa version manque tragiquement de heavyness. Elle n’est ni assez grasse ni assez spongieuse. Trop plastique. Pareil, il se vautre avec «Rooster Blues». On croirait entendre un gamin de 15 ans dans une surprise-party. Il sauve l’album avec «Night Train To Memphis», oh yeah, hallelujah ! Duke Levine y fait pas mal de ravages sur sa guitare. Sleepy tape une joli coup de gospel avec «This Train», mais se vautre lamentablement avec «Long Tall Sally» et «Rip It Up». Comme quoi, il faut parfois laisser les outtakes dormir au fond de leur tiroir.

Sur Roots paru en 2008, Sleepy a pris un coup de vieux. Il porte des lunettes et sa main droite qu’on voit posée sur la guitare est celle d’un vieux bonhomme. Mais quand il swingue son «Cotton Fields», il le fait d’une voix qui fait rêver tous les chanteurs. Il ramène même du violon derrière. Il en fait une version diabolique et chante au mieux de son basso profundo. Ah comme ce mec peut être génial ! Il fait encore du swagger protectionniste avec «Baby To Cry» et atteint des summums d’artistry. Il claque ensuite ce vieux balladif de «What Am I Worth» avec une ferveur qui en bouche un coin. Il chante l’Americana au deepy rap. Ce démon de Sleepy lègue ses cuts à la postérité avec la générosité d’un seigneur déchu. L’autre sommet de l’album, c’est «Miller’s Grave» qu’il chante comme Cash au soir de sa vie. Même intensité que le vieux Cash tombé dans les pattes de l’horrible Rick Rubin. Même délire de fantastique présence. Sleepy revient à son cher heavy blues avec «Completely Destroyed» - I’m just a shell of a man - et tape son «Foggy River» au meilleur baryton de l’univers. Il gratte son «Dust On The Bible» à coup d’acou. Véritable shoot de country jive ! C’est énorme d’American fever et de die for it. Sleepy est encore pire que Cash à l’article de la mort. Il se veut immanquable. Il reprend aussi «Detroit City», comme l’a fait Jerr à une époque, et étend l’empire de sa nostalgie des cotton fields at home - I wanna go home - Puis il embellit «In The Pines» de Leadbelly à l’embellie - And you shiver when the cold wind blows - Il faut aussi le voir se plonger dans la Bible avec «Matthieu 24» - I believe the time has come for the Lord to come again - Il y croit dur comme fer et se livre avec «Have I Told You Lately» à un sacré ramage en son plumage. C’est encore une fois digne du Cash de la fin des haricots. Avec «Amazing Grace», il ne pouvait pas trouver meilleure fin de non recevoir.

Alors voilà son dernier album, Sleepy LaBeef Rides Again, paru en 2012 et doublé d’un DVD, l’excellent Live At Douglas Corner Café. L’idée de doubler la séance d’enregistrement de Rides Again au fameux RCA Studio B de Nashville est jaillie du cerveau de Dave Pomeroy, le bassman de Sleepy. Eh oui, il fallait y penser : on a donc la version studio ET la version live du même set. Sleepy sort le Grand Jeu puisqu’il tape dans ses vieux coucous, à commencer par «Honey Hush» - Umm honey hush - Il lui sonne bien les cloches et enchaîne avec un «Lost Highway» en père peinard sur la grand mare des canards. Look out ! Fantastique ramshakle ! Les points forts de l’album se trouvent vers la fin, à commencer par un medley explosif, «Tore Up Over You/ I Ain’t No Home/ Ring Of Fire» - Tore up ah ha ! - Il ne faut pas lui confier ce genre de truc, il va l’exploser ! Il embroche son Ain’t no home sur le même beat, Sleepy est un spécialiste du glissé de cut en cut sur le même beat, il sait aussi faire monter la température et pouf, voilà Ring of Fire qu’il explose. Sleepy est le roi des medleys. Juste derrière se trouve l’excellent «Willie & The Hand Jive», un vieux boogie de Johnny Otis. Sleepy lui fait honneur - Do the hand jive one more time ! - On retrouve aussi sur cet album de vaillantes versions de «Red Hot» et d’«Hello Josephine». Infernal ! How doo yoo dooo ! Sleepy sait pincer les fesses de Josephine, doo yoo remember me baby ? Il nous claque à la clé un sacré solo de belle gueule à la Clémenti - How doo yoo dooo - Il ressort tous ses vieux classiques, «Young Fashioned Ways», «Blues Stay Away From Me» et «Boogie Woogie Country Man» - I like a little rock, I like a little roll - Et pouf ! Il part bille en tête. On le voit gratter «Wolveron Mountain» avec un appétit de géant qui en dit long sur son admiration pour Rabelais. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de classique avec «Let’s Turn Back The Years». La fête continue. Il faut en profiter. Dans le film du concert au Douglas Corner Café, c’est Dave Pomeroy qui présente Sleepy, the one and only Sleepy LeBeef, oui, prononce le a de la le et cette grande baraque de Sleepy attaque son «Honey Hush» en vieux pro. Des témoins viennent dire la grandeur de Sleepy entre deux cuts, notamment Peter Guralnick : «Sleepy is the greatest performer I have ever seen.» On voit Kenny Vaughan soloter en alternance avec Sleepy. Tout est extrêmement carré, articulé sur ces trois musiciens exceptionnels que sont Sleepy, Kenny Vaughan et Gene Dunlap au piano. Sleepy : «I recorded it en 1959, a Hank Ballard twist.» Pouf, «Tore Up» ! Les témoins n’en finissent plus de saluer la grandeur de Sleepy : «It became a Sleepy trademark : he plays all nite long and never stops it !» Ils font de «Willie And The Hand Jive» un fantastique groove climatique, bien drivé par cet excellent batteur rockab qu’est Rick Lonow - Do the hand jive one more time - Tout le monde descend sauf Sleepy qui va continuer de gratter sa gratte jusqu’à la fin des temps.

Signé : Cazengler, Sleepy LaBave

Sleepy LaBeef. Disparu le 26 décembre 2019

Sleepy LaBeef. The Bull’s Night Out. Sun 1974

Sleepy LaBeef. Beefy Rockabilly. Charly Records 1978

Sleepy LaBeef. Downhome Rockabilly. Sun 1979

Sleepy LaBeef. Rockabilly Heavyweight. Charly Records 1979

Sleepy LaBeef. It Ain’t What You Eat It’s The Way You Chew It. Rounder Records 1981

Sleepy LaBeef. Electricity. Rounder Records 1982

Sleepy LaBeef. Nothin’ But The Truth. Rounder Records 1986

Sleepy LaBeef. Strange Things Happening. Rounder Records 1994

Sleepy LaBeef. I’ll Never Lay My Guitar Down. Rounder Records 1996

Sleepy LaBeef. Tomorrow Never Comes. M.C. Records 2000

Sleepy LaBeef. Rockabilly Blues. Bullseye Blues & Jazz 2001

Sleepy LaBeef. Roots. Ponk Media 2008

Sleepy LaBeef. Rides Again. Earwave Records 2012

Sleepy LaBeef. Larger Than Life. Bear Family Box 1996

Peter Guralnick. Lost Highway. Back Bay Books 1999

Seth Pomeroy. Sleepy Labeef Rides Again. Live At Douglas Corner Café. Earwave DVD 2012

Battle Fields - Part Two

Si on aime la Soul à en brûler bien qu’ayant tout brûlé, alors il faut écouter Lee Fields. Comme Brel, Lee Fields cherche l’inaccessible étoile. Telle est sa quête. Quand il vient chanter «Honey Dove» en rappel, il brûle du même feu que Brel, c’est en tous les cas ce que ressentent tous ceux qui eurent l’immense privilège de voir l’Homme de la Mancha au Théâtre des Champs Élysées. Lee Fields atteint lui aussi les niveaux supérieurs de l’interprétation dans ce qu’elle peut avoir de mercurial et d’implosif à la fois. Jacques Brel reste le modèle absolu de l’intensité interprétative, et Lee Fields dispose à la fois du talent et de «Honey Dove» pour le rejoindre dans ce lointain firmament. On pourrait aussi citer James Brown, bien sûr. Même genre de volcan, même genre de professionnalisme exacerbé, avec cette façon spectaculairement élégante de rappeler que la Soul et le funk sont avant toute chose une affaire de black power.

Bien sûr, si on veut prendre un coup de black power en pleine gueule, il faut faire l’effort d’aller voir Lee Field sur scène. Les mauvais clips mis en ligne font insulte à sa grandeur. Comme s’ils le ratatinaient.

À l’âge de 69, ce petit bonhomme rondouillard tournoie sur scène comme une toupie et shoute la meilleure Soul des temps modernes. Il est le spectacle, le monstre sacré, dans sa veste de smoking brodée de fil d’or, son pantalon noir à baguettes et ses boots argentées. Lee Fields vient d’une autre époque, celle des grandes revues de la Soul américaine d’antan, lorsque que les blackos prenaient leur revanche sur la société des blancs en conquérant le monde sans la moindre violence, avec un art qu’on appelle la Soul Music. C’est un point qui mérite d’être sérieusement médité. Les fils d’esclaves n’eurent pas besoin de B52 ni de fucking snipers pour conquérir le monde occidental et faire danser les petits culs blancs. Rien ne pouvait résister au rouleau-compresseur de cette Soul dont les figures de proue étaient Stax, Tamla et James Brown. Lee Fields perpétue la tradition avec en plus le punch de Cassius Clay. Il met le monde moderne KO en dix manches, et franchement, le monde moderne est ravi d’avoir été mis au tapis par un petit nègre aussi brillant que Lee Fields. Si on osait, on dirait même que c’est un honneur.

Oui, Lee Fields nous met KO. C’est une réalité. Il attaque son «Work To Do» au chaud d’intonation à la Otis, il perpétue cette vieille tradition d’émotion contenue qui fait la force de la Soul, il chante au chaud-bouillant de son âme. En cours de set on sent sa mâchoire se décrocher à plusieurs reprises, surtout quand Lee pique sa crise de hurlette de Hurlevent au terme d’un «Love Prisoner» lancinant et harassé par des brisures de rythme, set me free, implore-t-il, mais la Soul est un long parcours, c’est du all nite long, le nègre a l’endurance qu’un blanc n’a pas, même sous coke. Deux siècles d’esclavage, ce n’est pas rien. Set me free ! Il prend le prétexte d’un drame sentimental pour hurler son set me free/ I’m your love prisoner/ Set me free. Well done, Lee !

Il sait aussi enflammer les imaginaires avec du funk politicard - We can make the world better/ If we come together - Comme Mavis, il y croit encore. D’ailleurs il fait pas mal de participatif dans le show, il sollicite énormément le public, lui demande de chanter avec lui, de taper dans les mains, de remuer les bras en l’air ou d’embrasser sa voisine. Sacré Lee, il sait chauffer une salle. C’est son job, il le fait merveilleusement bien et son orchestre de petits blancs tient sacrément bien la route. À noter qu’on y trouve deux Jay Vons, le guitariste et le keyboardist - It’s time for me to sing that song called a Faithful Man and it goes like this - Il renoue avec le déchirement suprême, il rallume la chaudière de la Soul la plus hot de l’histoire, celle de James Brown. «Faithful Man» est l’un de ses tubes les plus convaincus d’avance. Il l’arrose de screams terribles et tire sa sauce à n’en plus finir. Typiquement le genre de cut qu’on aimerait voir continuer. Tank you ! Thank you ! Lee se montre éperdu de gratitude, il revient hurler comme James Brown dans son micro, please don’t baby ! Il faut pourtant se résoudre à le voir partir. Oh mais il va revenir !

Il faut écouter le nouvel album du dernier des grands Soul Brothers. Il ouvre le bal d’It Rains Love avec le morceau titre. Il n’a aucun problème de puissance. Il y va de bon cœur, porté par un bassmatic de rêve. On se retrouve dans une prod épaisse et bien cogitée, une prod à grumeaux, finement parfumée d’excellence de la pertinence. Cette Soul cabossée ressemble à l’étain blanc qui a vécu. Lee Fields sort un «Two Faces» aussi âpre et dense qu’un hit de James Brown. Il fait de la Soul à crampons qui accroche bien. Il finit son cut au beat défenestrateur. Il fait ensuite du Bobby Womack avec «You’re What’s Needed In My Life». Cet admirable Soul Brother avance dans le son à pas mesurés et en chaloupant des hanches, soutenu par des chœurs de filles saturnales. Ça sonne comme un hit des temps modernes. Tu as ça dans l’oreille et tu vas au paradis du Soul System. Quel aplomb ! Il envoie une nouvelle giclée de heavy Soul avec «Will I Get Off Easy». Il chante au ciel, c’est un perçant, un puissant seigneur, il n’a pas besoin de scream. Sur la pochette, il a l’air d’un pharaon serré dans une veste d’écaille. Il chante son «Love Prisoner» à l’avenant, dans les règles de l’art du set me free. Il fait du pur James Brown à coups de Please have mercy on me. Il reste dans cette Soul de pleine voix avec «A Promise Is A Promise», il la télescope en plein vol et revient à la profondeur avec «God Is Real». Il chante à outrance et nous laisse un bel album. Il termine avec «Don’t Give Up» et ne lâche pas la rampe. Il souffle la poussière des volcans et les nappes de violons. Ce petit black possède une voix qui nous dépasse.

My baby love/ My honey dove. Que ne donnerait-on pas pour le voir chanter cette merveille une fois encore. Lee Fields y atteint les niveaux jadis atteints par James Brown («It’s A Man’s Man’s World) ou Marvin Gaye («What’s Going On»), avec en plus un sens de l’extase combinatoire unique dans l’histoire de la Soul. Il finit en mode apocalyptique comme sut si bien le faire Otis en son temps dans «Try A Little Tendreness». À la fin, ce héros titube, comme vidé, mais il revient shooter get up ! Yeah yeah !

Signé : Cazengler, Lee Fiel

Lee Fields. Le 106. Rouen (76). 21 janvier 2020

Lee Fields & The Expressions. It Rains Love. Big Crown 2019

30 / 01 / 2020 – PARIS

SUPERSONIC

CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP

JOHNNY MAFIA

 

Rendez-vous au Supersonic. Qui fête ses quatre ans d'existence et lance son magasin de disques. Longtemps que je voulais voir Johnny Mafia, depuis qu'ils ont tourné avec Pogo Car Crash Control. Genre d'accointances prometteuses que j'aime bien. En plus deux groupes inconnus mais qui viennent du pays du Cat Zengler. De Rouen, une ville qui chauffe dur depuis au moins la sainte année 1431, le bûcher de Jeanne d'Arc. Pour ceux qui n'étaient pas présents le jour de ce funeste événement, la lecture de Le ravin du loup ( et autres histoires mystérieuses des Ardennes ) de Jean-Pierre Deloux s'impose.

CARIBOU BÂTARD

L'on n'a jamais su qui était le caribou et qui était le bâtard, mais vu qu'ils ne sont que deux sur scène nous n'avions qu'une chance sur deux pour nous tromper. Batterie + guitare, le binôme rock par excellence, peut-être économique. Sûrement pratique. C'est fou ce que l'on rencontre de caribous dans les romans d'aventures canadiens, se font systématiquement et bêtement abattre par des chasseurs émérites. Notre Caribou Bâtard a compris la leçon, la meilleure façon de ne pas mourir c'est de vivre et pour cela de se battre. Donc sur la droite vous avez un batteur fou. Vite, fort et bien. Peut faire mieux : très vite, très fort, très bien. Pas une seconde d'arrêt. Enchaîne les titres comme un forcené. En plus il chante, paroles sommaires et répétitives. A la cadence avec laquelle il frappe, vous comprenez qu'il ne lui reste plus assez de cerveau disponible pour se lancer dans la haute littérature. Un registre de voix plutôt étrange comme s'il la montait au plus haut de son octave naturel afin de se frayer un chemin dans le délicieux tintamarre qu'il déverse sur le public. Douche de décibels indélébiles dans vos oreilles. En plus il réussit ce tour de force de ne jamais vous ennuyer, à fond de train, à une cadence infernale, mais il sait varier les rythmes et les factures ( véritables coups de bambous ) architecturales de chacun des morceaux.

Mais que serait le rock sans guitare ? Le n'ai pas le temps de répondre à cette angoissante question métaphysique. Ce n'est pas que je ne connais pas la réponse, c'est que le guitariste m'en empêche. Vous voulez de la guitare, et vlan il vous file le grondement assourdissant qui accompagnera la fin du monde et dont Jean aurait dû noter la présence dans son Apocalypse. En tout cas chez Caribou Bâtard ils n'ont pas oublié son indispensable tonitruance. Cette machine tue les fascistes avaient noté Woodie Guthrie sur sa guitare, celle de Caribou elle ne se perd pas dans de subtiles et arachnéennes distinctions, elle tue tout le monde, c'est beaucoup plus efficace. Au moins ils sont sûrs de n'oublier personne. Je me risquerai à oser le concept de sonorité submergeante pour qualifier cette monstruosité sonore. Si vous êtes sonophobe, sortez fumer une clope, pas devant la porte, de l'autre côté de la rue, si vous êtes sonophile tentez de rester, si vous êtes mégasonophile ce set est pour vous. Les amateurs apprécieront cette guitare qui pétarade divinement dans votre cerveau, à la manière du générique de L'Equipée Sauvage, certes il ne vous restera plus beaucoup de neurones par la suite, mais au moins une fois dans votre vie, vous aurez vécu quelque chose, c'est si rare de nos jours que je pense que bientôt que tout le monde voudra un Rangifer Tarandus comme animal de compagnie. Précisez bien la sous-espèce, le caribou toundrique possède cette mauvaise habitude de bouffer la moquette, mais avec le Caribou Bâtard, il éliminera vos voisins indélicats avec une célérité ahurissante. Sont épuisés à la fin du set, alors pour les récompenser le public leur offre un bruit d'enfer.

DYE CRAP

Quatre sur scène. Non ils ne sont pas là pour faire de la surenchère sonore. Même que pendant qu'ils attendent le batteur parti on ne sait où, l'on patiente à écouter les caresses cordiques bienfaisantes de la guitare Vox, la forme d'une mandoline ou d'une larme, mais de crocodile, car si elle peut vous émouvoir grâce à sa parfaite musicalité, elle sait devenir sans préavis aussi tranchante que l'ivoire de ces amphibiens somme toute peu sympathiques.

Les voici au complet. Démarrent sans plus attendre. Ils ont le son, ils ont l'énergie, ils ont le savoir-faire, vont vous dérouler le show comme un tapis rouge devant les grands hôtels parisiens de luxe. Ce n'est pas ce que j'appelle du rock, mais de la pop. La différence entre les deux peut sembler hasardeuse. Mais dans la pop même si le tapage nocturne a empêché le client de dormir, on lui offrira au petit matin une séance sauna-relaxation-épilation intégrale gratuite pour le dédommager. Que voulez-vous le caca coloré aux senteurs de rose ça fleure plus bon que bon. Alors Dye Crap ils ne ménagent pas leur peine, il y a des batteurs sur lesquels les groupes se reposent comme ces familles qui piquent-niquent sur la pierre tombale de leur cher défunt, et d'autres qui emportent les copains en un tourbillon de feu. Celui de Dye Crap est un escalator volant, fend l'air à la vitesse d'une fusée et comme les deux guitares lui emboîtent les réacteurs au quart de tour vous n'avez pas le temps de regarder votre montre. Bassiste et chanteur, le guy se défend bien, l'a une voix qui porte et qui accroche, lorsque le machine est lancé, Dye Crap est une belle machine de guerre. Mais ils vous ménagent aussi des instants d'autoroute, des aires pique-nique avec toboggans pour les enfants et des sous-bois pour promener le chien, c'est là où je m'ennuie un peu, mais autour de moi, l'on apprécie les jeunes filles ferment les yeux et se laissent bercer par cette houle de bon aloi, qui vous porte et vous balance sans brutalité. Mais au bout de cinq minutes, c'est encore une fois la séquence speed, qui vous fait traverser la moitié de l'Atlantique en moins d'un jour, et alors que vous croyiez toucher au but, retour au clapotis rassurant dans les moiteurs tropicales. Si vous avez rêvé de naufrage et d'un radeau de survie poursuivi par un cachalot affamé, c'est raté. Faut reconnaître qu'ils savent alterner le bien et le mal. Vous plongent en enfer mais vous renvoient au paradis. La salle adore, elle hurle dès que les flammes comminatoires s'approchent et ronronne de plaisir dès que les heaven gates s'entrouvrent. Un bon moment. Mais je préfère les mauvais. L'utile et agréable c'est bien mais l'inutile et le désagréable, c'est mieux.

Dans l'inter-set, sur ma gauche mon voisin opine, oui ça ressemble un peu à Muse ce qui m'amuse, mais sur ma droite une de mes voisines se rebelle contre cette comparaison qu'elle trouve profondément déplacée et injuste. Ô ma muse, je suis désolé !

JOHNNY MAFIA

La faute à leur réputation. M'attendais à des visages burinés de durs à cuire échappés du bagne, poursuivis en hélicoptères par des tueurs à gage, pactisant avec des tribus anthropophages, traversant les pieds nus sans sourciller des jungles luxuriantes infestées de serpents, mais non, Théo, Fabio, William, et Enzo, n'ont même pas l'insolence hautaine de la jeunesse, sont souriants, amènes, des looks de lycéens, pour certains d'entre eux un peu abruptement tignassés mais sans plus, par contre ils sont très mal entourés.

De jeunes gens très mal élevés. Les filles comme les garçons, vous savez ma bonne dame tout se perd en ce bas-monde. Ils ne savent pas se tenir. Et encore moins se retenir. Un signe qui ne trompe point. Très vite les photographes ont arrêté de photographier les artistes. Une photo par-ci, une autre par-là, parce que tout compte-fait ils étaient venus pour eux, mais ils ont préféré braquer leurs appareils reproducteurs sur cette masse d'agités. Les éditorialistes alarmistes ont raison, la mafia est partout et gangrène tout. Ce soir par exemple elle était aussi bien sur scène que dans le public.

'' Ce soir, exceptionnellement nous allons commencer par un solo de batterie'' nous ont-ils prévenus. Ultra-mensonger. Ils n'ont pas du tout débuté par un solo de batterie, ou alors z'ont juste fait un solo qui a duré tout le set. D'un bout à l'autre sans arrêt. Dans les tempêtes les plus dévastatrices, faut bien qu'il y en ait un qui se dévoue pour garder la barre. Chez Johnny Mafia, c'est le batteur. L'a mouliné grave et sec, de toutes ses forces, tant pis si parfois il a même recouvert basse et guitares. Le genre d'incidents totalement anodins. Pas de quoi en faire des gorges chaudes, de toutes les manières le spectacle n'était pas sur la scène quoique tous les yeux étaient braqués sur eux. Alors ils ont fait comme tout le monde. Non ils ne sont pas descendus dans le public. Mission impossible. Ça criait, ça hurlait, ça tanguait, ça s'écroulait, ça se relevait, ça tourneboulait, ça réclamait des titres, ça interpellait, l'on a même vu un soutient-gorge atterrir sur le manche de la basse, de temps en temps ça s'affaissait dangereusement d'un côté puis de l'autre, il y avait des poussées subites de fans pliés sur les retours, eux ils continuaient leur cirque, des morceaux courts méchamment jerkés, entre Ramones et Wampas, cent pour cent Johnny Mafia, puis il y a eu des gars qui se sont faits promener sur les mains des copains, des jambes en l'air désespérées, des têtes qui ont évité des poutrelles de fer par miracle, peut-être certaines se sont-elles entrouvertes en touchant le sol à la manière de ces coquilles d'œufs que vous fractionnez sur le rebord du saladier, des gens qui vous tombaient dans les bras, d'autres qui vous poussaient dans le gouffre, le public n'était plus qu'une masse gélatineuse mouvante se ruant tantôt dans un sens, refluant vers un autre au mépris de toutes les lois de la gravité. Preuve que c'était très grave. Alors comme ils ne pouvaient pas descendre parmi nous – je reprends le fil du récit – le chanteur est monté sur nous, il a refilé son micro à un quidam compressé dans le pudding humain, il a tout de même gardé sa guitare, et là il a été splendide, l'a joué à King Kong sur l'Empire State Building, certes il n'est pas allé plus haut que le premier étage, mais aucun avion de chasse n'est intervenu, s'est accroché comme il a pu et est parvenu à enjamber la rambarde du balcon. N'y avait plus qu'à attendre qu'il revienne, on l'a suivi à la trace auditive pendant qu'il descendait les escaliers.

Si vous croyez que cet exploit à calmé le public, vous avez tort. La horde de fans gesticulait tellement que nos johnnymen ont essayé la technique du bateau pirate qui se sert des pièces d'or de leurs sanglantes rapines pour mitrailler à bout portant le gros vaisseau de ligne qui fonce sur eux. Z'ont refilé leur guitare à l'assistance, tenez c'est pour vous faites-en ce que vous voulez, elle a voyagé de main en main, mais chacun s'est trouvé dans le cas du molosse meurtrier à qui vous avez jeté un os à moelle en peluche et qui ne sait comment se dépatouiller du cadeau trop mou pour ses canines, alors la guitare leur est revenue sagement. Ne sont pas restés sur cet échec, sont des pédagogues, ils savent que la répétition est la base d'une saine pratique éducative, en ont tendu une autre à un grand gaillard en lui désignant les retours, le gars a hésité deux secondes, allait-il la fracasser tout de go, l'a opté pour la production de larsen, une note délicate dans le remue-ménage collectif. Vous connaissez le principe centenaire des mafieux, tu travailles pour nous, nous on te couvre. Z'ont intimé à un gars de s'occuper du micro, et à un autre de riffer comme si sa seconde vie en dépendait. Sont malheureusement tombés sur des timides, alors ils se sont vengés sur un téméraire qui était grimpé sur scène, lui ont passé deux guitares autour du cou, le zigoto était ligoté comme Houdini, en mieux car pas enfermé dans une malle, l'on a pu assister à ces efforts maladroits pour retrouver la liberté.

La chienlit aurait dit un célèbre général. Un chahut-bahut-dahut comme l'on n'en fait plus. Musicalement, un peu foutraque, mais chaud, si chaud ! Un dernier conseil si vous voyez une annonce de leur concert dans votre patelin, mafiez-vous de Johnny. Ce sont des tueurs.

Damie Chad.

 

NOT SCIENTISTS & JOHNNY MAFIA

( 45 Tours / 2019 )

( Kicking Records / 112 )

L'ont annoncé durant le concert, 4 titres, 5 euros, après le concert ce fut la ruée, on se serait cru à l'amap du samedi matin quand on vous prévient que le kilo de topinambour a encore baissé. Chemise cartonnée présentée dans une pochette plastique. Design géométrique qui attire l'œil mais qui ne le retient pas assez longtemps. Le vinyle est d'un beau bleu tendre.

Side A : NOT SCIENTISTS : vous ne confondrez pas avec The Scientists groupe after-punk d'Australie, encore moins avec We-Are-Scientists des USA. Nos Not Scientists viennent de chez nous, sont composés d'Ed Scientist ( guitare, voix ), Jim Jim ( guitare, voix ), Thib Pressure ( basse ), Bizale le Bazile ( batterie ). Tournent en France et en Amérique du nord.

Bleed : entrée quasi-guillerette. Attention parfois la fausse joie est plus acerbe que l'acrimonie la plus violente. Une espèce de rocktournelle adolescente emplie d'énergie et de fierté blessée. D'autant plus dangereuse donc. Poison : Entrée emphatique et puis l'on se dépêche d'avaler la coupe de poison à pleins traits. Une rythmique qui galope et les voix qui explosent comme une caution mélodique. Comediante et tragediante, voici que la musique se met à retentir d'accents mélodramatiques à l'espagnole. Mais l'on revient à quelque chose de plus typiquement rock anglais avec fin échoïfiée.

Side B : JOHNNY MAFIA : On les entend beaucoup mieux qu'en concert. Surtout les guitares. Davantage mélodiques aussi. Voix comme épaissie. De beaux vrillés de guitares. Ressemblent un peu à des groupes anglais de la belle époque. Eyeball : des espèces d'allées et venues de guitares fabuleuses, ça s'en vient et ça s'en va. Au milieu du morceau une espèce de cafouillage mélodique inventif et l'on repart pour ne pas terminer, soyons précis le début du morceau suivant est comme enchâssé dans la fin du dernier. A moins que ce ne soit le contraire. Spirit : comme des tremblés de guitares et puis les voix surviennent, ce sont-elles qui prennent le lead. Qui mènent la mélodie, la batterie en oublie son battement par trop entêtant. Il y a encore une petite surprise dans ce morceau comme dans le précédent. Johnny Mafia quitte l'autoroute sur laquelle ils s'étaient lancés à pleine puissance, comme s'ils avaient un truc de trucker urgent à montrer à leur passager. Qui le changera de l'habitude de vivre.

Deux groupes qui ne se sont pas associés artificiellement. Se ressemblent même presque trop.

Damie Chad.

 

EN VIVO / A CONTRA BLUES

( Enregistré les 17 et 18 mars 2012

au Conservatoire de Liceo / Barcelone )

 

Souvenez-vous c'était au mois d'août 2016, je vous racontais l'histoire de cette petite fille écrasée de fatigue et de froid dans son camion, en pleine nuit ariégeoise, j'aurais parié pour sa mort sous hypotension prochaine, quand je l'ai vue installée derrière la batterie d'A Contra Blues, je me demandais si elle aurait la force de soulever une baguette, et tout de suite en trois coups elle a nous a offert Tchernobyl et Hiroshima sans amour, une frappe atomique, et à ses côtés cette espèce de géant issu d'un conte de sorcières, chaque fois qu'il ouvrait la bouche il y avait un building qui s'écroulait à Chicago, un des meilleurs concerts de blues que je n'aie jamais entendu. ( les amateurs se reporteront à la livraison 293 du 08 / 09 / 293. )

Et hier dans la pile de CD's, celui-ci encore enveloppé dans son emballage transparent ! Non ce n'est pas une malheureuse inadvertance, c'est pire qu'un crime contre l'humanité, c'est in crime contre le blues.

 

Alberto Noël Calvilla Mendiola : guitare / Hector Martin diaz : guitare / Joan Vigo Fajin : contrebasse / Jonathan Herrero Herreria : vocal / Nuria Perich chastang : batterie.

Everyday I have the blues : certains l'ont plus davantage que d'autres, l'on se souvient des versions inoubliables de B.B. King et de Memphis Slim, longues et lentes déclarations d'amour haineux au blues, chez A Contra Blues l'on ne flemmarde au lit au petit matin en se réveillant, pas question de s'apitoyer sur soi-même, ils n'ont pas à proprement parler le blues, mais la fièvre du blues, vous sentez la différence tout de suite, un tempo mid-jazz, mi-funk pour commencer, ensuite c'est la dégringolade, Jonathan vous jette son vocal comme s'il était en train d'invectiver un taureau qui retarde un max le moment de la mise à mort, ensuite une guitare qui s'énerve méchant, mais c'est Nuria qui vous exécute la bête avec le solo de batterie expéditif qui tue. Standing at the crossroad: attention avec un tel titre l'on rentre dans la mythologie blues par excellence, commencent par là où les autres finissent, le solo de guitare qui klaxonne d'habitude en fin de morceau vous arrache ici les oreilles dès le début, et puis shuffle vénéneux toujours parsemé de stridences cordiques et Jonathan qui vous mollarde le vocal comme une lettre d'insultes à votre banquier, ne s'attardent guère au milieu du carrefour, vous expédient le tout en un final définitif au diable vauvert. Yon never can tell : qui dit blues, dit rock, c'est logique, une association d'idées naturelle, et pan un classique, Jonathan nasille encore mieux que Chuck Berry, certes à la fin il n'y tient plus et vous jette les dernières pelletées de mots à la manière des croques-morts pressés de terminer le boulot avant la pause-déjeuner, et l'orchestre derrière, ben il n'oublie pas sa nationalité espagnole, n'ignore pas que le grand Chucky n'a pas fait que du rock, l'avait aussi une prédilection pour le calypso-caribean, alors il s'y colle à merveille, les guitares deviennent langoureuses et Nuria vous bat la marmelade comme si elle accompagnait Compay Segundo à la Havane. Guitar man : l'on connaît l'anecdote Jerry Reed convoqué par Elvis pour jouer de la guitare sur sa reprise de Guitar Man et le pauvre Jerry tellement ému qu'il est obligé de s'isoler dans sa bagnole pour retrouver le riff qu'il n'arrivait pas à sortir devant le King, Jonathan lui rend un bel hommage et puis se jette sur le vocal pour le bouffer tout cru, vous le descend à la vitesse de ces piliers de bistrots marseillais qui vous enfilent un mètre de pastis en moins de trente secondes, derrière guitares et contrebasse sont à la fête, vous expédient le bébé vitesse grand V. 44 : chasse gardée pour Jonathan, un morceau taillée à la démesure de sa voix, les musicos vous font un beau raffut sur les deux ponts, mais Jonathan se la joue un peu à la Tom Jones survitaminé, étale ses octaves comme d'autres le linge sale à la fenêtre. Spoonful : retour au blues le plus pur, le morceau roi du disque, du pain bénit pour la contrebasse de Joan, Un bel hommage à Howlin' Wolf, Jonathan ne tombe pas dans le piège de coller au phrasé enroué du loup du blues, nous la joue à Peggy Lee sur Fever, mais il reste fidèle à l'esprit du blues par deux longs passages de spoken words du meilleur effet, le public se prête au jeu et hulule en douceur pendant que Nuria caresse ses cymbales, les guitares restent discrètes se contentant de claquer en fin de vers comme les rimes des sonnets de José-Maria de Heredia. Wine : du blues alcoolisé au rock'n'roll, le shuffle parce que le corps tangue, mais le vocal explose car dans votre tête tout s'entremêle et les guitares deviennent folles. How blues can you get : dissipation des vapeurs, lendemains d'extase et jours de solitude, à la B. B. King, les guitares qui envoient des notes à l'économie, de temps en temps, mais qui font mouche à chaque fois. Toute la tristesse du monde tombe sur vous. Vous êtes foutus, heureusement qu'Alberto et Hector enfilent des perles sur les cordes de leur guitare et finissent par vous offrir un collier de rutilances qui ne tardent pas à se dissiper dans le néant du désespoir. Tempête en fin de morceau. Night time is the right time : longue présentation des musicos et de la team d'accompagnement en milieu de morceau, avaient commencé en force terminent en beauté accompagné par le public qui s'époumone avec plaisir.

Blues éclectique mais de la meilleure farine dont on fait les biscuits royaux. Un Regal !

Damie Chad.

UN SIECLE DE POP

HUGH GREGORY

( Vade Retro / 1998 )

 

Pas un livre de plus sur le rock'n'roll. Le titre n'est pas menteur. Pop au sens de musiques populaires. Pluriel non hasardeux. En entrouvrant le livre rapidement vous glanez au hasard quelques noms en grosses lettres, Glenn Miller, Buddy Holly, David Bowie, Rolling Stones... mais ce n'est pas le récapitulatif des grandes vedettes du rock'n'roll et de la pop qui sont chronologiquement épluchées une à une. Le book ne s'intéresse pas aux individus mais aux courants musicaux, exemple vous n'apprendrez pas l'essentiel que vous devez savoir sur Elvis Presley, juste quelques rudiments de base, et la notice ne s'attarde pas uniquement sur la divine personne du King, très vite elle embrasse toute la période et cite quelques pionniers, sans s'attarder outre mesure. En gros un amateur de rock connaît cela par cœur. N'empêche que le bouquin est bien fait.

Cela fonctionne à la manière d'une mosaïque labyrinthique mobile. Un jeu de go à vous rendre fou, à vous faire perdre vos certitudes. C'est qu'aucune tesselle ne possède un emplacement vraiment fixe dans le dessin final. Ce qui ne veut pas dire que vous pouvez la placer n'importe où. Même si en y réfléchissant quelque peu il point en vous le désir anarchisant de décréter que sa place pourrait se nicher en n'importe quel endroit et cette idée absurde n'est pas aussi idiote et illogique qu'il n'y paraîtrait.

Hugh Gregory vous vient en aide. Attardez-vous longuement sur les deux premières double-pages, à la limite vous n'avez plus besoin de lire la suite, la première ne vous sera compréhensible qu'après avoir vu la deuxième, mais prenez toutefois le temps de l'étudier. La tentation de passer très rapidement sera grande, ce n'est que la table des matières ! Première constatation, quel charcutier ce Gregory, ne voilà-t-il pas qu'il vous découpe l'histoire de la musique populaire en tranches égales à la manière d'un salami. La dernière est légèrement moins épaisse ( un dixième ) mais l'on ne peut lui en vouloir, elle s'arrête en 1999 et non en 2000, normal le livre est sorti en 1999 en sa version française. Je ne sais si en Angleterre elle s'arrêtait en 1998 !

Certes nous utilisons très facilement les expressions sixties, seventies... pour désigner les périodes de notre musique, mais ce découpage nous paraît à première vue bien superficiel. Et puis tout de même il y a des trucs qui clochent : pourquoi par exemple ranger les Rolling Stones dans la décennie 1980 – 1990 à côté de la House et du Hip-hop. Et cette fin en queue de poisson, terminer sur la rubrique La musique de films que vous n'attendiez pas obligatoirement, l'on a l'impression que l'auteur abandonne son armée de lecteurs en pleine campagne en ne leur spécifiant même pas qu'ils doivent maintenant se débrouiller par eux-mêmes pour rentrer chez eux. Leur a tout de même laissé quelques indices, les petits filets de couleurs différentes associés à chaque période temporelle.

Il est temps de tourner la page. Le plan s'étale devant vos yeux. Vingt-six rectangles de sept couleurs différentes, sagement alignés comme des petits soldats. Entre eux des flèches qui se dirigent de l'un à un autre et qui dessinent un véritable parcours labyrinthique. Et là tout s'éclaire. Remarquez toutefois que la lumière a peut-être été conçue pour donner plus d'importance à l'obscurité primordiale. Je prends un exemple réduit à l'état squelettique : avez-vous déjà pensé que l'influence des musiques orientales s'est exercée aussi bien sur le bhangra, le funk et le Heavy Metal... Certes vous pensez à Kashmir de Led Zeppelin, par contre si vous n'avez que des notions très floues quant au banghra faire un tour par ce bouquin, il pourrait vous aider. ( Vous le trouvez à moins de trois euros sur le net ) Tout ceci pour vous expliquer pourquoi les deux pages consacrées à Miles Davies se rencontrent dans la dernière décennie du siècle précédent alors que son chef d'œuvre Kind of blues date de 1959, et In a silent way de 1967. Hugh Gregory s'intéresse avant tout aux influences tant historiques ( transfert des populations, migrations ) que technologiques ( électrification de la guitare, apparition de l'appareillage électro-acoustique dans les foyers, apparition de la radio et de la télévision... ).

Reste que la lecture de l'ensemble de l'ouvrage se révèle enrichissante. Une étonnante constatation, les cinq premières décennies sont les plus passionnantes. Ce n'est pas que l'auteur ait bâclé les dernières, c'est que la première moitié du siècle est en quelque sorte quantitativement moins riche. Irremplaçable certes, et vraisemblablement musicalement la plus authentique, mais il n'y a pas la profusion d'artistes qui ira en un galop exponentiel par la suite. Pour le tout début manquent les enregistrements, ce qui est un énorme frein quant à la vision subséquemment parcellaire de ces époques lointaines quelque peu floutées. La synthèse des rares données s'en trouve de ce fait facilitée.

Deuxième constatation : le livre n'est pas partisan. Gregory nous parle de musiques populaires, ce que nous pouvons traduire par qui plaît au peuple, et l'on s'aperçoit que le rock ( en englobant ce que lui dissocie en Rock'n'roll / Rockabilly et Rock en un sens beaucoup plus large quasi-totalitaire ) n'est pas selon nos préférences le vecteur principal des goûts du public. Que votre fierté de rocker n'en prenne pas un coup, au contraire, plus le rock sera minoritaire plus il retrouvera sa pernicieuse faconde. Ce sont les minorités actives qui mènent le monde car elles portent en elles la faculté d'influencer les modes de vie. Même s'il brouille un peu le message en ne différenciant pas ce qui tient de la musique au sens strict et de la culture au sens large et surtout en employant le terme rock par trop générique pour traiter du travail des majors dont Hugh Gregory dénonce l'effet délétère sur sa transformation en musique grand public. Donne tout de même l'impression de plaider pour un affadissement de la production au cours des années. A le lire on se demande comment il envisage la production actuelle des cinq premiers lustres du troisième millénaire...

Remet un peu la hiérarchie des vaches sacrées en place. Par exemple pas de pages génériques consacrées au mouvement hippies, aux bikers, teds et autres '' mauvais garçons''. Entre musique blanche et musique noire, son cœur balance pour la noire, la soul au détriment du rock'n'roll, c'est elle qui mène le bal, plus organique, plus matricielle, plus morcelable, plus fertile, moins figée. La musique européennes dont il discerne les racines les plus profondes, la musique savante '' classique '' religieuse et profane, notamment l'Opéra, et la folklorique plus vivante mais un peu ossifiée par la préservation qu'en effectuèrent les générations venues du continent, une conservation formelle à comprendre comme un signe identitaire de rattachement à leurs origines, aurait par ses charpentes structurelles empêché toute liberté créatrice si ce n'est par une déliquescence des plus mortifères. Des chansonnettes de Tin Pan Alley à l'easy listenin d'aujourd'hui, la pente fatale se serait poursuivie sans anicroche. Pensons à Eno qui jouit d'une réputation de novateur et sa Music for Airports de 1978, comme si l'originalité aboutissait à la revendication de la notion d'insignifiance. Le savoir-faire se métamorphosant en manipulation mentale. Les originelles percussions africaines frappant encore à la porte du paradis pour demander à y entrer. Quand on entend le rap-variétoche que diffusent les stations nationales de par chez nous l'on se demande si elles n'ont pas réussi à s'asseoir à la droite du bon dieu blanc. Cantiques édulcorés pour tout le monde.

Livre qui pousse à réfléchir, pour aider à cela, un index final n'aurait pas été de trop. De même, parfois les photos deviennent envahissantes. Bizarrement la section que j'ai préférée traite de la house. Ce n'est pas que j'éprouve une quelconque satisfaction à l'écouter. Un son trop monotone et trop maigrichon à mon humble avis. Mais quand ce mouvement est apparu en nos vertes contrées je participais à une radio locale et deux jeunes collègues avaient réussi à fédérer autour de leur émission, je ne me souviens plus de son titre ( cinq fois par semaines, horaires en fin d'après-midi ) toute une jeunesse qui habitait dans des patelins perdus dans les fonds désertiques de la Seine & Marne, longtemps depuis les tout premiers disques des Rolling Stones que je n'avais ressenti une telle ferveur chez des ados d'une quinzaine d'années. Rassurez-vous, l'émission fut vite supprimée ! Pour une fois qu'une chronique offre une fin morale vous n'allez pas vous plaindre !

Damie Chad.

08/01/2020

KR'TNT ! 446 : ROY LONEY / ALLEN KLEIN / GENE VINCENT / CARL PERKINS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 446

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

09 / 01 / 2020

 

ROY LONEY / ALLEN KLEIN

GENE VINCENT AND THE BLUE CAPS

CARL PERKINS

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Le Roy est mort, vive le Roy !

 

David Laing a bien raison de le rappeler : Roy Loney et les Flamin’ Groovies préfigurèrent en leur temps deux phénomènes majeurs de l’histoire du rock : la London punk-scene (les London SS s’épuisaient à essayer de reprendre «Slow Death») et le boogaloo des Cramps avec cet épouvantable ‘I’m a monster/ With a revved-up teenage head’. Après avoir mené le bal sur quatre albums avec les Groovies et opté pour l’exit, Roy se lança dans une carrière solo qu’il faut hélas qualifier d’underground. No mainstream for Roy. Seuls ses fans semblent l’avoir suivi.

Alors que les Groovies post-Loney allaient basculer dans une régurgitation des early Beatles, Roy montait les Phantom Movers avec James Ferrell et la dynamo des Groovies, Danny Mihm. En 1979, il donnait avec Out After Dark une suite éclatante à Teenage Head. Roy annonçait un ‘Primitive rock with taste’. Pour les fans, c’était comme si the awsome wild ride des Groovies continuait. L’album parle tout seul. La photo du groupe au dos de la pochette vaut bien celle qui orne le recto de Flamingo. Roy riffe à coups d’acou, il ramène son sens inné du punch et des killer hooks. Trois cuts vous accueillent à bras ouverts : «Used Hoodoo», «Neat Petite» et «Rocking In The Graveyard». Avec l’Hoodoo, Roy recrée la magie tétanique de Teenage Head, il chante à la rogne de la teigne et procède à l’admirable hoodooïsation des choses du rock. C’est exactement le cut qu’attendaient les inconsolables. Avec «Neat Petite», Roy se paye le luxe Royal d’un hit inter-galactique, et en B, il revient à ses premières amours avec une reprise du «Rocking In The Graveyard» de Jackie Morningstar : back to the wild rockab, d’autant plus wild que Roy charge sa barque d’accents d’Elvis. Sur cet album, le backing-band est déterminant. Le Phantom Mover number one s’appelle Larry Lea et il passe dans «Pantom Mover» un solo crazy crazy petit bikiny, pendant que Danny Mihm swingue le swong jusqu’à l’os du crotch, ramenant ainsi toute la brillante ferveur de Sneakers. Le coup le plus fumant de cet album est bien sûr la reprise de «Return To Sender». Roy tient la dragée haute à son idole. Du Roy au King, il n’y a qu’un pas, n’est-il pas vrai ? Puis il remonte sur ses grands chevaux pour «Scum City». Il chante comme le Roy des punks, le Fagin des culs de basse fosse. Roy est la meilleure glotte de la cour des miracles. Il boucle cet album inespéré avec «San Francisco Girls», un autre joli drive de rockalama battu à la Mihm et visité par un flashy flasho carabiné de Larry Lea.

S’ensuit dans la foulée le mini-album Phantom Tracks qui engloutit le premier EP solo de Roy, Artistic As Hell, enregistré avec les ex-Groovies des Hot Knives, Danny Mihm et Tim Lynch. C’est là-dessus qu’on trouve l’extraordinaire cover de «Down The Road Apiece». On se croirait sur le premier album des Stones. Même rage de vaincre, ça sonne sec, Mihm bat à la Charlie Watts et Momo digonne un énorme drive de bassmatic. Toute la rage du rock coule dans les veines du Road Apiece. Roy shakes it out. L’autre coup de Jarnac se trouve de l’autre côté : «Don’t Believe These Lies». Big guitar sound à la Chucky Chuckah, pur jus de flambant Flamin’, les Phantoms Movers sont comme des poissons dans l’eau, riff raff à la Keef de Chuck. Roy déplace les montagnes, en voici la preuve. Sur «Emmy Emmy», James Ferrell partage ses duties avec l’excellent Larry Lea et dans «You Ain’t Getting Out», on sent poindre l’influence des Rezillos. Ils jouent «I Must Behave» à l’excellente tension phantomale. Ah pour mover, ils savent mover ! Ça ruisselle d’énergie sauvage.

Hélas, le label met la pression sur Roy, et comble de déveine, Danny Mihm et James Ferrell quittent le groupe. Roy croit bien faire en tâtant de la new wave et se vautre en 1981 avec Contents Under Pressure. On retrouve le riff de «Locomotive Breath» dans «Sorry» puis après ça se gâte tragiquement. Roy perd pied. Leur reprise de «Heart Full Of Soul» en B est tellement spéciale qu’elle ne sauve pas l’album. Trop new wave. On l’a un peu oublié, mais cette fuckin’ new wave a fait à l’époque autant de ravages dans le rock que la peste au XVIe siècle en Europe. Par son côté power pop, «Cinema Girls» sauve presque cet album maudit et Roy tente de revenir au boogie blues avec «Intrigue Indeed», mais il massacre le chant en voulant sonner comme Lena Lovich. Tragique épisode. Mais deep inside your heart, vous saviez que Roy allait se racheter.

Un an après, Mihm et Ferrell rentrent au bercail, alors Roy opère un back to the basics avec le bien nommé Rock And Roll Dance Party With Roy Loney. Ils tapent d’ailleurs dans les vieux coucous des Groovies, «Doctor Boogie» et «Gonna Rock Tonight». Pour David Laing, Roy sonne comme les Blasters et Barrence Whitfield qui à l’époque avaient repris le flambeau du purisme. Roy démarre en trombe avec l’excellent «Ain’t Got A Thing» de Sonny Burgess. Dans Ugly Things, Cyril Jordan nous rappelait un point essentiel : l’ado Roy collectionnait les singles de rockab. Roy et Lux même combat ! Back to Sneakers avec «Doctor Boogie» et ce swing voyou qui faillit bien conquérir le monde et qui à défaut se contenta de conquérir quelques âmes ici et là. Cette version du «Doctor Boogie» pourrait prétendre au rang de huitième merveille du monde, mais c’est vrai, rien n’est plus difficile que de rester objectif quand on écoute chanter un géant comme Roy Loney. «My Baby Comes To Me» et «Slip Slide & Stomp» qu’on trouve plus loin en A s’inscrivent aussi dans une veine terriblement groovy. Roy chante à l’âpreté du rocky road, alors forcément, c’est niaqué à point. Le «Double Dare» qu’on trouve sur la face obscure se montre aussi typique de l’âge d’or des Groovies. Voilà un Dare qui pourrait très bien figurer sur Teenage Head. Même avec un jump comme «Lana Lee», Roy parvient à impressionner son monde.

Avec Fast & Loose qui parait l’année suivante, Roy tape dans les gros classiques, le Chuck Chess-come back de «Tulane» ou encore le «Hanging Around» d’Ersel Hickey paru en 1958. D’ailleurs Larry Lea s’en donne à cœur joie. Mais c’est avec le «Driving Wheel» de Billy Swan que Roy vient nous ramoner la cheminée. Et il ramone dans les règle de l’art, comme un petit Savoyard, beau beat des reins, c’est shaké envers et contre tout, all my love ! Let’s rock now et Larry Lea passe le plus classique des solos rockab. L’autre merveille ouvre le bal de la B : «Ragged But Wrong», fantastique hit de rock jumpy, swingué par Danny Mihm. Très haut niveau d’excellence. The voice & the beat : just perfect. On ne saurait rêver meilleure excellence combinatoire. Ils montent ensuite «Rockin’ Radio» sur un riffing à la Chucky Chuckah, comme au temps des Groovies. On se goinfrera aussi de «Slippin’ Out The Back Door», monté en heavy tempo et chanté de main de maître. Roy en fait ses choux gras. Ils bouclent leur bal d’A avec «The Mop Flops», une nouvelle pépite de juke. Mine de rien, Roy fait de Fast & Loose un pur album de rockab. Il ne résiste pas à l’envie de glisser en B un remake de «Teenage Head», sans doute un prétexte pour faire revenir James Ferrell, mais on préférera la version originale. Avant de nous quitter, Roy nous met en garde contre les ghoules avec «Beware Of The Ghoul». You better watch your step, font les ghoules. Waah waah waah waah-waah !

Roy retrouve la bande à Bonnot pour The Scientific Bomb Away : Danny Mihm, James Ferrell et Larry Lea. Voilà un album qui sait recevoir : il propose un festin de rockab et de folk-rock. Cyril Jordan participe à l’aventure, en chantant les harmonies vocales de «Ruin Your Shoes», «Nobody» et «Feel So Fine». Ah oui, «Feel So Fine», dernier cut de la B, fantastique fin de non-recevoir, Roy nous swingue ça avec une grâce infinie, bien soutenu par ce monster shaker qu’est Danny Mihm. On a là l’équilibre parfait entre le swing et le punch. Inutile d’aller le chercher ailleurs. Roy démarre l’album avec un hommage à Bo Diddley, «Chicken Run Around». Idéal pour un punkster comme lui et James Ferrell gratte sa Gretsch, alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Roy tire ensuite «Bip Bop Boom» des vaults du veau d’or. On observe la belle tenue des tenants et des aboutissants de «Deviled Eyes». Avec Roy, tout aboutit à l’Aboukir Royal. Mike Wilhelm vient gratter sa gratte, et non ses poux, sur «Nervous Slim», comedy act de petite vertu digne des Charlatans, puis sur un «Boy Man» monté sur un bon beat sous-jacent, et lorsque Roy groove son hiccup, Wilhelm claque son takatak. Le «Bad News Travel Fast» qui ouvre le bal de la B vaut encore une fois pour un hot shot de rockab. Roy est l’un des rois du revival, il injecte du Bo dans son beat et Danny Mihm transforme l’ensemble en chef-d’œuvre imprescriptible.

Quelques années passent et les Phantom Movers refont leur apparition avec Action Shots, une compile de bouts de concerts. Le son n’est pas merveilleux et le choix des cuts pas terrible, puisqu’ils tapent dans l’album new wave paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. Ça s’arrange un peu en milieu d’A avec «Double Dare» et «Doctor Boogie» dont on a déjà vanté les vertus. Et puis ils font sauter la sainte-barbe de la B avec «Driving Wheel» et un «Coming After Me» tiré de Flamingo et là, ça reprend vraiment du poil de la bête de Gévaudan. Roy l’annonce ainsi : «Comin’ from the Groovin’ Flamies from San Francisco.» C’est lui le Flamin’ guy et le riff de Comin’ est sans doute l’un des plus beaux riffs de l’histoire du rock, bien dans l’esprit des Stones de l’âge d’or. Larry Lea se régale. On entend Momo faire le dos rond avec sa basse dans «Down The Road Apiece» et après une version héroïque de «Teenage Head», ils terminent avec ce gros clin d’œil aux Rezillos qu’est «A Hundred Miles An Hour».

Roy va peaufiner ce brillant parcours discoco en enregistrant quatre albums avec les Longshots, composés d’illustres inconnus (Jim Sangster/lead guitar et Tad Hutchinson/drums, ex-Young Fresh Fellows, Scott McCaughey/bass et Joey Kline/rhythm guitar).

Full Grown Head paraît en 1994 et Roy y propose un «Tobacco Road» qui lui va comme un gant. Il le chante à la bonne arrache, une arrache qui vaut bien celle des Blues Magoos. C’est d’autant plus bienvenu qu’il enchaîne avec «Slow Death» - Ah-call a doctah - C’est lui le slow death guy on the loose et Jim Sangster fait son Cyril. On retrouve le riffing de «Locomotive Breath» dans «See Jane Goes» et en A, on voit Roy tenter vainement de rallumer les vieux brasiers, mais il ne dispose pas des bonnes chansons. Il reprend un peu de poil de la bête avec «I’ll Come Running», mais c’est avec «Teeny Weeny Man» qu’il retrouve sa mesure : back to the old rock’n’roll powerhouse, sa vraie passion. Il part en mode full grown Buddy Holly pour le morceau titre, évoquant au passage son Teenage Head - Once upon a time I was a Teenage Head - Il chante comme un punk anglais - But now I’m a full grown head - Peut-être serait-il plus juste de dire que les punks anglais chantent comme Roy Loney.

Un nouvel album des Longshots paraît l’année suivante, sur le bien nommé Impossible Records. Kick Out The Hammmmons propose des bouts de concerts et bon nombre de belles énormités, à commencer par «Chasing My Own Tail», «Been Wrong Too Long» et «Road House». Roy ramène toute sa science du punch avec Chasing, il chante vraiment comme un démon échappé d’un bréviaire du chanoine Docre. Pas de meilleur shoot de garage que cet «I’ll Come Running» stompé dans les règles. Derrière Roy, ça joue énormément. S’ensuit un «Been Around Too Long» flambant neuf, Roy le prend de haut, de très haut, à tout seigneur tout honneur. Énorme car contrebalancé au chant par des effluves de riffing qui se perdent dans le bush. Roy vante aussi les vertus d’une petite chatte bien serrée avec son vieux «Neat Petite», ouh wah-ouh wah, il ramène du punk dans le stupre, il est parfait dans ce rôle infernal. Retour du midnight groover pour un fabuleux «Road House». Roy a maintenant l’habitude de brûler la chaussée, il l’a fait tellement de fois avec les Groovies, et ça continue en 1995, yeah yeah yeah, avec un Sangster en embuscade qui lui aussi sait foutre le feu. «Panic To A Manic Degree» vaut pour un joli coup de ventre à terre. Roy adore ça, il adore traverser la prairie, poursuivi par une horde de Comanches ivres de carnage. On a là du big bad live. Il réactive aussi son vieux «Comin’ After Me». C’est du sérieux. Avec Roy il faut faire gaffe. Roy le prend au premier degré. C’est le riff des Groovies par excellence. Ils tapent aussi une version assez violente de «See Jane’s Goes». Ils sont marrants, comme pressés d’en finir.

Nouveau coup de tonnerre avec Drunkard In The Think Tank paru en 2004. Roy gâte ses fans avec un somptueux «House Of Games». Il y ramone bien la cheminée de la maison Groovies. Avec cette débauche de Stonesy claironnante, c’est tout le son des Groovies qui redevient d’actualité. Jim Sangster claque au claironnant clairvoyant et ce «House Of Games» sonne comme l’un des plus beaux hits des Flamin’ Groovies. Autre coup de génie : «Such A Nice Boy» : Roy le monte sur les accords de Teenage Head qu’il chausse de plomb. Il vise l’heavyness subliminale. C’est d’une tenue qui scie la branche et Jim Sangster cisaille d’autant plus qu’il est devenu le killer flasher de service. Encore une belle envolée avec «Hang With Me», Roy ne lésine pas sur l’énergie, il est le roy du roll up. Voilà encore un cut explosé dans le contexte de la caryatide. Ce Sangster est un fou, il faudrait le faire interner d’urgence. Roy revient à son cher rock’n’roll avec «She’s The One» Il adore le ventre à terre, il puise ses forces et son inspiration dans sa collection de wild rockab et l’autre fou de Sangster claque un solo brûlant de fièvre. Roy rend une nouvelle fois hommage à John Fogerty avec une reprise de «You Don’t Owe Me». C’est du très beau big jump, Roy y met toute sa ferveur. On a là la conjonction de deux géants. «Nobody Does It» va plus sur la pop et Roy revient aux choses sérieuses avec un «Doggone Fine» stupéfiant de violence, emmené par le bassmatic marmoréen de Momo. Sangster passe un killer solo flash inexpugnable, c’est une véritable horreur combinatoire, le solo se tortille comme ce lombric que le pêcheur pique sur l’hameçon. Roy chante ensuite «Grapey Wine» au raw effarant et Sangster revient faire son loup garou dans «Steam». À qui vous fait penser «Jennifer Whenever» ? À Buddy Holly, bien sûr et quand il conclut avec «Let Me Go», force est de constater que Roy regorge de richesses. Un vrai pays africain ! Bizarre que les multinationales n’aient pas encore songé à l’exploiter.

Paru en 2007, Shake It Or Leave It sera le dernier album enregistré avec les vaillants Longshots. Il est important de préciser que Roy signe tous les cuts de cet album encore une fois explosif. Ah t’a voulu voir les Groovies à Vesoul et t’as vu Roy Loney à Vierzon, ce n’est pas la même chose. Dès «Baby Du Jour», Roy tape dans le dur, comme on dit chez les démolisseurs. Roy Loney sonne comme l’ultimate rock singer et derrière lui claque toute la Stonesy qui se puisse imaginer. Quelle erreur que de se séparer d’un shouter aussi powerful que Roy Loney. Il semble que Cyril Jordan ait passé sa vie à se tirer des balles dans le pied. Roy Loney tape dans le dur du rock avec une volonté de fer qui honore le dieu Gou du fer travaillé, il joue la carte de la Stonesy oblongue, bien balancée sous le boisseau du oooh baby. Et ce n’est que le premier cut ! Le coup de génie de l’album s’appelle «Don’t Like Nothing». Roy vient faire le con sur ce vieux bout d’heavy blues de fond de studio, mais il swingue ça à la Roy. Méchant trucker de trash out ! Comment fait-il ? On ne sait pas, mais c’est bardé d’envoyé, il nous descend dans les escaliers, help it ! Terrific ! Encore une brillante leçon de maintien. Il revient à son cher rockab avec «Miss Val Dupree». C’est sa came, il est dedans, il redevient le wild cat de San Francisco, il swingue son Val Dupree avec tout le swagger du monde. Il renoue avec l’énergie des origines. Roy is the real deal. Encore une énormité avec «Looking For The Body», toujours ancrée dans le rockab et il passe en mode demented are go. Il tape aussi «Hey Now» au wild rockab. Ce mec sait de quoi il parle. Il chante son «Big Time Love» à la meilleure veine de la déveine et bien sûr, «Big Fat Nada» nous renvoie au temps béni de Sneakers. Roy chante comme un dieu, c’est utile de le rappeler, avec mille fois plus de fantaisie que n’en eût jamais Chris Wilson. Tiens voilà encore un shoot de rockab madness : «Raw Deal». Les Longshots deviennent des fous dangereux. Il shakent le raw to the bonne et le solo s’étrangle sur la montée de bass up. Quelle dégelée ! On a là un vrai deal de raw deal.

En 2009, Roy revient dans le rond du projecteur avec Señor No et un album intitulé Got Me A Hot One. Les Señor No sont des Spanish guys basés à San Sebastian et quand vous ouvrez le digi, vous tombez sur une fameuse équipe : tapis dans l’ombre et rassemblés autour du roy Roy, ils arborent de faux airs de Dead Boys in the flesh, avec les tattoos et les ceinturons à clous. Roy en profite pour taper dans le vieux «Headin’ For The Texas Border» des Groovies. Il faut le voir mener le bal ! No problemo ! Il reprend aussi l’«Act Nice And Gentle» de Ray Davies. On se croirait chez les Small Faces ! Quel panache ! Roy taille sa route. Il crée chaque fois l’événement. Il tape plus loin dans le «Cara-Lin» des Strangeloves pour en faire un incroyable melting pot de Spanish glam. Il se prête au jeu de façon subversive, hey hey hey ! Tiens encore un déterrage : le «Dance With Me» des Mojo Men, garage-band californien des mid-sixties. Roy et ses wild Spanish friends en font une version violente, secouée au dance rhythm. Idéal pour un shouter comme Roy. Il y va ! Alors on l’encourage. Vive le Roy ! C’est vraiment très violent. Il assume bien. Quel shouter and what a blast ! Le hit de l’album est une compo de Roy digne de figurer sur Teenage Head : «Least Magnificent Moment». Ça gratte à coups d’acou, mais il y a du monde derrière. Roy adore voir arriver les renforts. Il n’existe rien de plus somptueux qu’une grosse compo de Roy Loney. «Least Magnificent Moment» effare par sa magnificence. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il fait aussi des siennes dans le morceau titre d’ouverture de bal. Hot on heels ! Roy emmène ses Spanish friends en enfer, à moins que ça ne soit l’inverse, c’est explosé à un point à peine croyable. Il ne reste plus qu’à ramasser les miettes. Le «Getting Gone» qui suit est encore plus explosé du cortex, ces mecs ne connaissent qu’une chose dans la vie : l’exaction. Alors on imagine bien qu’avec un mec comme Roy au chant, ça puisse vite devenir un jeu d’enfant. C’est trop explosif pour être honnête. On est aux antipodes des Groovies 2019 qu’on a pu voir se vautrer à Paris. Roy trace la voie royale, fuck ! avec une niaque qui laisse rêveur. Ça sent bon le Spanish booze ! Et puis avec «Everything Goes», il fait carrément du Creedence. Il arrive à faire sonner son Everything comme un hit de Fogerty. Sacré Roy, il nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Il y a plus de son dans un cut de Roy Loney que n’en peut rêver ta philosophie, Horatio.

Pour les ceusses qui n’ont plus de place dans leurs étagères, un compile Raven pourra faire l’affaire. A Hundred Miles An Hour 1978-1989 propose en effet un choix intéressant de cuts tirés des premiers albums solo du roy Roy, comme par exemple «Hundred Miles An Hour» qui donne son titre à cette compile palpitante et qu’on retrouve sur Phantom Tracks. C’est un bonheur que de réentendre ce vieux coup de grisou joué à la petite sourdine absolutiste. Roy n’en finit plus de traîner derrière lui sa vieille hargne de Teenage Head. On recroise plus loin le mirobolant «Least Magnificient Moment (Of My Life)». Ses chansons sont comme habitées par une voix vibrante de véracité. Il est le chanteur de rock américain par excellence. De la même façon que Ron Asheton, on a tendance à le considérer comme un second couteau, mais en réalité, il revêt la carrure d’une rock star de premier plan. Il est écœurant d’élégance. Raven nous ressort aussi l’excellent «Used Hoodoo» tiré d’Out After Dark, flanqué de sa Frisco Stonesy. C’est du sérieux, comme on dit dans les antichambres du pouvoir. Il nous déchire ensuite «Neat Petite» au riffing d’époque. Roy cranks it up ! Il keep sa baby in the glass avec un swagger inimitable. Il fait du régurgité de post-punk, mais qu’on se rassure, il tient son rang. Il subit des influences comme tout être faible, mais ça passe comme une lettre à la poste. Sa version de «Return To Sender» ne prend pas la moindre ride. Il rivalise de classe avec son dieu Elvis, par le balancé du déhanché, Roy n’en finit plus de proposer son real deal. «Phantom Mover» sort aussi d’Out After Dark. Roy fouette cocher pour une virée en mode pub-rock américain avant d’aller tomber dans les mâchoires d’un solo carnassier. Croutch ! Fantastique énergie ! «Don’t Believe Thoses Lies» et «Down The Road Apiece» sortent de Phantom Tracks. C’est explosé de son et le Road Apiece est l’un des plus beaux hommages jamais rendus aux Stones. Il est dessus avec tout le swagger possible. «Panic To A Manic Degree» sort de l’album solo Rock And Roll Dance Party. Roy le tape au pur esprit rockab, au bop-she-bop shoo wee et «Double Dare» sonne comme un hommage à Bo Diddley, avec un léger parfum de shaking à la Johnny Kidd. Raven tire «You Can’t Be Too Wild» de Fast & Loose et Roy ramène pour l’occasion toute la bravado de Flamingo. «Driving Wheel» sort du même album et sonne comme un classique rockab. Et même du Memphis rockab. Roy le travaille au corps. Puis il donne une petite leçon de garage avec «Ragged But Wrong». Il s’éclate la rate à coups de yeah yeah. C’est franchement digne des Pretties. Tout est bien sur cet album. Dommage qu’il manque le «Boy Meets Bones» enregistré avec les A-Bones et qui figure parmi les meilleurs singles de rock jamais enregistrés.

Bon alors après, on a les bricolos des spécialistes, et comme dans tous les cas de groupes devenus cultes, ça grouille dès qu’on soulève une pierre. Sur le Teenage Head Tribute Show enregistré en juin 1998 (cadeau du Professor), on trouve une belle ribambelle de covers, à commencer par le «Can’t Explain» des Who, avec un son bien pourri, comme il se doit. Mais on reconnaît les riffs. Roy le bouffe d’une seule bouchée. Les Who ? Ha ha ha ! Croutch ! Il suffoque même de rage. Il tape aussi dans son vieux pré carré avec «High Flying Baby», une vraie merveille anthropologique. La momie se réveille, au fond du sarcophage. Aw my God, c’est Roy ! Quand on voyait les Groovies chanter «High Flying Baby» l’autre jour au Petit Bain, ça n’avait tout simplement pas de sens. Seul Roy peut allumer un tel brasero. Mais il y a trop de parlotte entre les cuts et des choses comme «Shaking All Over» ou «Evil Hearted Ada» qui devraient exploser retombent comme des soufflés. Les intermèdes ruinent tout. Dommage, car avec Ada, Roy est au sommet de son art. Il fait partie des géants du rockab. Il propose plus loin un medley définitif : «Roadhouse/Teenage Head/Slow Death», noyauté par une version royale de Teenage Head, l’un des joyaux de la couronne du rock. Ce diable de Roy le chante à la clameur. Il bouffe son vieux monster tout cru, c’est la seule raison d’écouter ce bootleg pourri : on y retrouve Roy dans son meilleur rôle de Teenage Head. Ils enchaînent avec un «Slow Death» assez dévastateur, Roy fait du Roy pur et dur avec son call-ah-doctah, il sait de quoi il parle - Ah got a fevah - Si on est sensible à la grandeur des Groovies, on est bien servi avec ce medley. Il termine avec «Second Cousin», ce qui nous permet de comprendre l’un des traits majeurs de Roy Loney : il va toujours à l’essentiel. Lorsqu’il hiccuppe son Second Cousin, il le fait sur fond de pure Stonesy. Il fait grimper le cond de Second aussi bien que le fit Chris Bailey avec les Saints.

Signé : Cazengler, Roy Lunette (de WC)

Roy Loney. Disparu le 13 décembre 2019

Roy Loney & The Phantom Movers. Out After Dark. Solid Smoke Records 1979

Roy Loney & The Phantom Movers. Phantom Tracks. Solid Smoke Records 1980

Roy Loney & The Phantom Movers. Contents Under Pressure. War Bride Records 1981

Roy Loney. Rock And Roll Dance Party With Roy Loney. War Bride Records 1982

Roy Loney. Fast & Loose. Lolita 1983

Roy Loney & The Phantom Movers. The Scientific Bomb Away. AIM 1988

Roy Loney & The Phantom Movers. Action Shots. Marilyn Records 1993

Roy Loney & The Longshots. Full Grown Head. Shake The Record Label 1994

Roy Loney & The Longshots. Kick Out The Hammmmons. Impossible Records 1995

Roy Loney & The Longshots. Drunkard In The Think Tank. Career Records 2004

Roy Loney & The Longshots. Shake It Or Leave It. Career Records 2007

Roy Loney & Senor No. Got Me A Hot One. Bloody Hotsak 2009

Roy Loney. A Hundred Miles An Hour 1978-1989. Raven Records 2009

 

Monsieur Klein

Le Monsieur Klein portraituré par Fred Goodman dans son livre ne doit rien au Monsieur Klein de Joseph Losey qu’incarne si fastueusement Alain Delon à l’écran. Delon incarne un personnage de fiction alors que l’autre Monsieur Klein est bien réel. S’il fallait absolument trouver un autre point commun que l’homonymie, on pourrait souligner le caractère tragique des deux destins : suite à la rafle du Vel’ d’Hiv’, Alain Klein finit dans les camps, quant à Allen Klein, eh bien il finit par perdre ses deux principaux clients, les Beatles et les Stones.

Dans cette histoire, l’homme qu’il faut saluer, c’est Fred Goodman. Allen Klein - The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll n’est pas une monographie ordinaire, ou si vous préférez une simple contribution à la rock culture. Goodman s’y coltine les dossiers, il se perd dans les Sargasses procédurales pour tenter de nous donner une idée du génie affairiste d’Allen Klein, un homme qui traîne depuis des décennies l’une des pires réputations, notamment dans les mémoires de Derek Taylor. Goodman se plonge dans l’étude des mécanismes contractuels pour les mettre à notre portée. Il fait ce qu’on appelle dans les métiers de la communication de la vulgarisation. Le domaine de connaissances qu’il explore pour nous n’est pas celui du rock, mais celui des experts juridiques et des avocats d’affaires, et on finit par comprendre à quel point cet univers impitoyable et d’une si grande austérité a pu impacter et même dévorer le rock et tous ses principaux acteurs, à commencer par les artistes. Pas de Stones ni de Beatles sans contrats ni montages juridiques soigneusement conçus pour les arnaquer. L’ouvrage de Goodman est à cet égard le plus fouillé et le plus révélateur de tous. En comparaison, les autres auteurs concernés par cet aspect des choses semblent rester en surface. On pourrait citer les exemples de Tommy James (portait de Morris Levy dans Me The Mob And The Music), Mick Wall (portrait de Don Arden dans Mr Big) ou même Andrew Loog Oldham dans ses deux tomes autobiographiques, Stoned et Stoned2. Tous ces auteurs abordent l’aspect financier des choses, mais jamais aussi profondément que le fait Goodman.

Allen Klein est un juif new-yorkais qui entre dans le business un peu par hasard, en rencontrant Don Kirshner qui au tout début des sixties, est une sorte de pape new-yorkais, puisqu’il possède Aldon Music et fait travailler la crème de la crème du Brill : Gerry Goffin & Carole King, Barry Mann & Cynthia Weil, Paul Simon, et Neil Sedeka. Don sympathise avec Allen et lui dit qu’il va faire de lui un millionnaire. Et pouf, c’est parti. Allen rencontre ensuite Marty Machat, un avocat spécialisé dans le showbiz et qui compte parmi ses clients les Four Seasons, James Brown, Phil Spector et Leonard Cohen. Allen demandera à Marty de superviser tous les aspects juridiques de son business.

Ah le business ! Goodman le décrit comme un véritable enfer. Allen Klein découvre très tôt que les artistes tirent la langue. Ils n’ont pas de blé. «On leur verse une avance qu’ils dépensent et les frais de studio sont inscrits à leur charge. Aussi sont-ils toujours endettés. Et ils sont toujours représentés par quelqu’un qui ne veut pas qu’on vienne fouiner dans les paperasses.» Puis Klein découvre que toute l’industrie du disque triche, surtout les gros labels, qui voient les presses comme des planches à billets, n’hésitant pas à fabriquer des disques en douce pour les vendre sans que les artistes en soient informés : bénéfice net, pas de royalties à verser. Ces pratiques choquent Allen. Il voit comment le label devient le propriétaire des droits et comment il s’arrange pour calculer le pourcentage de royalties le plus bas possible. Par conséquent, la plus grosse partie du blé que rapporte un hit tombe dans la poche du label. Une pluie d’or. Zorro Klein décide alors de voler dans les plumes des labels. Il va les terroriser et faire de cette spécialité une activité extrêmement lucrative, pour lui comme pour ses clients. À ce petit jeu, il sera le meilleur. Goodman dit d’Allen Klein qu’il fut le premier et le plus pointu des business managers dans l’univers du rock moderne. Il pouvait donc demander en retour les meilleures commissions et sa part du cake. Avant Klein, le colonel Parker fut le plus gros goinfre puisqu’il a fini par monter un partenariat à 50/50 avec Elvis. Après Klein, c’est David Geffen qui va battre tous les records, en devenant à la fois l’agent, l’éditeur et le label des artistes qu’il va manager.

Le destin extraordinaire d’Allen Klein s’articule en trois temps : une première époque qu’on peut qualifier de pré-chauffe, où il rencontre Morris Levy, Mickie Most et surtout Sam Cooke dont il va devenir l’agent. La deuxième époque s’illustre par la rencontre d’Andrew Loog Oldham qui lui propose de prendre en charge les affaires des Stones aux États-Unis. Et la troisième époque est le couronnement de sa carrière : l’aval de John Lennon pour sauver les Beatles de la banqueroute. Goodman est tellement bon, en tant qu’investigateur, qu’on vit littéralement tous ces rebondissements spectaculaires en direct, comme si on assistait à ces rendez-vous. Allen Klein entre en réunion comme un boxeur monte sur le ring. Il vient pour gagner. Par KO, si possible.

L’un de ses premiers challengers n’est autre que Morris Levy, le boss de Roulette affilié à la Mafia new-yorkaise et dont Tommy James brosse un portrait si redoutable dans son recueil de mémoires, Me The Mob And The Music. Se plaignant de ne recevoir que des clopinettes, Jimmy Bowen et Buddy Knox mandatent Klein pour aller auditionner la comptabilité de Morris Levy. Pas de problème. Mais Levy a du métier. À l’étude des comptes, Klein voit tout de suite que Levy doit du blé à Bowen et à Knox. Pas de problème. Levy propose d’étaler le paiement sur quatre ans. Klein dit non. Tout de suite. Levy répond tranquillement qu’il n’a pas le blé. Donc c’est ça ou rien. Klein apprend vite. Il comprend qu’il vaut mieux ça que rien. Première leçon : prendre ce qui peut être pris et ne pas demander la lune. Morris Levy et Klein resteront amis.

En 1961, Lloyd Price vient trouver Klein pour les mêmes raisons : ABC/Paramount lui doit du blé. Pas de problème. Klein va auditer les comptes d’ABC/Paramount et ramène 60 000 $ à Lloyd Price. Ils resteront eux aussi des amis de longue date. La réputation de Klein grandit et un beau jour Sam Cooke lui demande de devenir son manager. Problème. Klein répond qu’il n’a jamais managé personne. Sam lui répond qu’il n’était pas compositeur quand il a composé sa première chanson. Alors Klein accepte. C’est la rencontre de deux géants. On peut même parler de rencontre magique. Klein est fasciné par le charisme de Sam Cooke. En outre, la demande de Sam le flatte énormément. Klein commence par remettre son poulain à flot en allant auditer les comptes de RCA. Il ramène une montagne de blé à Sam qui est aux anges - C’est la première fois qu’il voyait autant d’argent, mais ce n’était pas dans son intention de me demander d’aller chercher du blé. Il fut charmé - Au plan artistique, Allen n’intervient que très peu, mais quand il entend la démo d’«A Change Is Gonna Come», il sent instinctivement que c’est un hit énorme et même universel. Pourtant, il se défend d’être expert en matière de musique. Mais comme Sam hésite, Allen insiste pour qu’il l’enregistre. Le succès que rencontre le hit conforte Allen dans l’idée qu’il faut y aller avec ses tripes, plutôt que de choisir la sécurité. The gut, comme le dit si bien Goodman.

Pour bien ferrer ses clients, Klein commence par leur demander si ça les intéresse de gagner un million de dollars. Il en propose même deux, via une signature chez RCA, à Brian Epstein qui refuse poliment, arguant de sa loyauté envers EMI. Pas de problème. Comme il est de passage à Londres et qu’il ne veut pas rentrer bredouille à New York, il se rabat sur une poissecaille plus modeste : il passe un coup de fil à Mickie Most et demande à le rencontrer. Pourquoi Mickie Most ? Parce qu’il est devenu la coqueluche du Swingin’ London et qu’il produit des gens comme Terry Reid, les Animals, Jeff Beck, Lulu, Donovan, les Yardbirds et les Herman’s Hermits. Klein lui propose de le recevoir dans sa suite au Grosvenor. Mickie Most arrive accompagné de Laurence Myers. Klein leur propose d’emblée de leur faire gagner un million de dollars. Comment ? En renégociant leurs contrats aux États-Unis. Most se dit qu’il n’a rien à perdre. Banco ! En sortant du rendez-vous, Most et Myers éclatent de rire. Un millions de dollars ! C’est pour l’époque une somme ridiculement élevée. Mais ils n’ont encore rien vu. Klein emmène Myers en rendez-vous chez EMI. Les responsables du label les reçoivent. Ce sont des gens de la vieille école. Courtois, l’Anglais commence toujours par proposer une tasse de thé :

— Would you like a cup of tea ?

Allen répond sèchement :

— I dont’ want any tea !»

Les vieilles barbes d’EMI sursautent.

— Vous ne voulez vraiment pas de thé ?

Allen leur répond :

— C’est ce que je viens de vous dire.

Puis il ajoute :

— Mickie ne fera plus d’albums pour vous.

Les vieilles barbes d’EMI semblent frappées de stupeur. L’une d’elles répond :

— Mais il a un contrat.

Allen rétorque :

— C’est possible. Il faut voir ça. Mais Mickie ne fera plus d’albums pour vous.

Pétrifiés, les vieilles barbes d’EMI ne savent plus quoi dire. Silence de mort. Allen voit qu’il les tient, alors il rigole :

— Bon, maintenant, je veux bien une tasse de thé.

En fait Allen Klein apprend à ses clients à se protéger des gros labels. C’est simple : ils financent eux-mêmes la fabrication des disques et négocient une licence avec les gros labels pour la distribution. Tout le bénéfice de l’opération va dans la poche du client et non du gros label. Allen apprécie tellement Mickie qu’il conseille à RCA de l’engager comme producteur. Pourquoi pas produire Elvis ? Mickie décline car il sait qu’il n’est pas à la hauteur. Sam Cooke ? Il accepte, pend l’avion pour New York et apprend en arrivant que Sam vient de se faire buter. Il n’empêche de Mickie est ravi d’avoir rencontré Allen Klein. Laurence Myers voit même Allen Klein comme un génie. Il ne pouvait y avoir de meilleure combinaison que celle du talentueux Mickie Most avec the loud ingenious Yank from New York.

Fred Goodman profite de cette escapade londonienne pour évoquer Don Arden qui manage à l’époque les Small Faces. Il verse royalement à chacun des quatre Small Faces 20 livres par semaine, alors qu’ils paradent en tête des charts britanniques. Laurence Myers évoque aussi une réunion chez Don Arden. Peter Grant et lui sont venus le trouver dans son bureau pour réclamer le blé qu’il doit aux Animals. Ça gueule, Peter Grant tape du poing sur le bureau. On veut le blé ! Don Arden l’ignore superbement et s’adresse à Myers. Bon alors ? Myers le menace d’un procès. Arden se marre, il ouvre un tiroir rempli d’injonctions. Il se lève et vide le tiroir par la fenêtre. Bon et alors ? Silence de mort. Arden hausse soudain le ton : «Tirez-vous immédiatement de mon bureau ou je vous balance aussi par la fenêtre !» Les Animals ne verront jamais leur blé.

Goodman n’en finit plus de chanter les louanges d’Allen Klein : il le montre vociférant et toujours seul, volant au secours des artistes que l’industrie du disque infantilise pour mieux les plumer. Klein vient de la rue, il utilise un langage direct et sait s’imposer, grâce à des stratégies incroyablement audacieuses pour l’époque. Il va devenir l’expert du music-business le plus puissant, le plus redouté et le plus innovant de son temps. Le besoin frénétique de réussir ce qu’il entreprend lui donne des ailes et le rend invincible. Dans toute forme de relation, il devient dominant. Il déchiffre aussitôt les traits de caractère de ses interlocuteurs, il sait lire un visage et monter sur le champ un plan pour trouver une solution. Plus la situation est complexe et plus ça le stimule. Dès qu’il trouve une faille dans la comptabilité d’une maison de disques, il prend 50% de ce qu’il trouve et le verse à l’artiste. Il se pose aussi la question : pourquoi l’artiste doit-il entièrement dépendre du label ? Parce que c’est l’usage ? Il veut briser cet usage débile. Pour lui, ce qui est irremplaçable, ce n’est pas le label, mais l’artiste. Alors, il va faire comme Aguirre, il va se réclamer de la Colère de Dieu et frapper les profiteurs. Ses clients adorent le voir terroriser les gens des labels. Alors il en rajoute. Sur une carte de vœux qu’il envoie à ses amis et à ses associés, il écrit : «Alors que je marche à travers la vallée des ombres, je ne crains ni le diable ni la mort, car je suis le plus gros bâtard de la vallée.»

Pour lui, tout doit rester très personnalisé, car dans ce business tout repose sur la personnalité. Si ses clients lui font confiance, c’est uniquement parce que tout repose sur sa personnalité et son carnet d’adresses. Allen va réussir. Pas de problème. Sam Cooke l’a vu. Mickie Most aussi. Allen est d’autant plus gonflé à bloc qu’il défend les intérêts de gens qu’on arnaque outrancièrement. Et quand les représentants des labels commencent à pleurnicher, ça le fait bicher. Allen est le Robin des Bois du music business. Il prend aux riches pour redistribuer aux pauvres. Perfide, Myers glisse qu’en fait il ne redistribue pas tout.

Abordons maintenant la deuxième époque. En 1965, Andrew Loog Oldham manage les Stones. Il n’a que 21 ans. Il veut renégocier les droits d’un hit de Bobby Womack, «It’s All Over Now». Ces droits appartiennent à Sam Cooke et son label SAR. Il prend rendez-vous au Hilton avec J.W. Alexander, le représentant de SAR. Quand il arrive, il voit Alexander, le seul black du restaurant accompagné d’un blanc. Alexander fait les présentations : «This is our business manager, Allen Klein.» Ce qui frappe le plus Allen, c’est l’assurance que montre ce blanc bec d’Andrew. Il faut savoir qu’Andrew Loog Oldham ne jure que par Phil Spector, pas seulement pour son génie productiviste, mais aussi pour son sens des affaires et sa connaissance du business. Andrew a beaucoup appris en fréquentant Phil - I had the opportunity to model myself after a perfect little hooligan - Phil est son Harvard, il lui enseigne à prendre le contrôle des artistes qu’il manage et à ne pas dépendre d’un label : il faut monter sa propre boîte de prod et conserver la propriété des enregistrements. Spector lui enseigne aussi la règle de base : Screw or be screwed, qu’on traduit en français par : ‘Baise-le autrement c’est lui qui va te baiser.’ C’est exactement ce que prône Allen Klein. Alors forcément, Andrew est ravi de rencontrer Allen. Ils sont de la même trempe. Andrew montre qu’il est prêt à mordre. Pour bien ferrer l’hameçon, Allen sort sa tirade préférée : «Alors Andrew, vous n’êtes pas encore millionnaire ?»

Il faut se souvenir qu’Andrew Loog Oldham fut un temps l’attaché de presse des Beatles à Londres, mais il ne parvint jamais à se lier à eux. Les Beatles étaient des purs working-class kids originaires de l’une des villes les plus dures d’Angleterre et s’ils débarquaient à Londres, c’était uniquement pour faire du business, pas pour copiner. Ils étaient les clients d’Andrew, rien de plus. Puis en 1963, Andrew découvre les early Stones au Crawdaddy Club. Il n’aime pas trop leur musique, mais il est frappé par le côté sexually driven de Jagger. Andrew s’improvise producteur pour sortir un premier single, le fatidique «Come On» de Chickah Chuck. En fait Andrew fait ce que fit Andy Warhol avec le Velvet : il laisse faire le groupe. Keef : «That was the genius I think of Andrew’s method of producing, to let us make the records.» Ian Stewart n’aime pas Andrew, mais il reconnaît que les Stones lui doivent tout, surtout leur image. Andrew va en effet en faire des bad boys. Leur succès va d’ailleurs venir plus de leur image que de leur musique. Et là, Goodman nous entraîne dans l’histoire des Stones, une histoire dont on ne se lasse décidément pas. Sur scène, Jagger imite des mimiques d’Andrew : rouler des hanches et rouler des yeux, porter des manteaux de fourrure et secouer abondamment les mains. Mais Andrew a déjà beaucoup d’avance puisqu’il prend modèle sur Phil Spector pour se livrer à tous les excès : costumes et bagnoles de luxe, speed et alcool, garde du corps et pratiques outrancières d’enfant terrible du show-business. Mais tous ces excès commencent à poser des problèmes à Keef & Mick. Un soir dans une chambre d’hôtel, Andrew fait le con avec un arme. Keef & Mick parviennent à le désarmer, lui collent une trempe et l’envoient se coucher. On sait aussi qu’Andrew n’aime pas Brian Jones. Il lui reproche essentiellement de ne s’intéresser qu’à sa petite personne. Et ça va se dégrader très vite : Brian découvre le LSD lors d’une tournée américaine. Il disparaît plusieurs jours et les autres doivent monter sur scène sans lui. Très vite, Keef & Mick en arrivent à la conclusion suivante : la vie des Stones serait bien plus agréable sans Brian Jones.

Andrew demande à Allen de prendre en charge les intérêts des Stones aux États-Unis. Pas de problème. On commence par faire le ménage à Londres. Rendez-vous chez Decca avec Sir Edward. Allen impose aux Stones de fermer leur gueule. Pas un mot pendant la réunion. Vous restez assis et vous tirez des gueules d’empeignes. Ça, les Stones savent très bien le faire. Les collaborateurs de Sir Edward souhaitent voir Eric Easton, qui est leur interlocuteur habituel et co-manager des Stones avec Andrew. Pourquoi, demande Allen, il joue d’un instrument ? Silence de mort. Sir Edward demande : «Que voulez-vous ?» Allen le tient. Il demande à voir tous les papiers. «On est en 1965, ils sont sous contrat depuis 1963 et n’ont reçu aucun versement de royalties. Nous sommes lundi. Je reviens demain soir et je veux voir tous les papiers.» Decca propose de verser 300 000 $ d’avance sur les ventes à venir. Allen trouve la proposition insultante. Il finit par obtenir 600 000 $ pour un an de contrat. L’année suivante, Allen renégocie pour 700 000 $. Les Stones n’avaient jamais vu autant de blé de leur vie. Mais tout cela n’est rien en comparaison de ce qu’il fait pour eux aux États-Unis : il organise leur deuxième tournée et en fait des super stars : les Stones voyagent à bord d’un avion privé. On voit leurs affiches sur Sunset Boulevard. Marianne Faithfull ajoute que sans Allen, les Stones ne seraient restés rien d’autre qu’un petit groupe de rock anglais. Quand Brian Jones propose qu’Allen devienne le manager des Stones, Allen refuse. Il manage Oldham. C’est le contrat qu’il a passé avec les Stones et il s’y tient. Il sait aussi qu’il n’est pas qualifié pour ça. Il a l’oreille pour Sam Cooke, mais pas pour la musique des Stones. Au plan personnel, Allen aime bien Keef et respecte Charlie Watts. Mais il n’aime pas Bill Wyman qui passe son temps à se plaindre. Puis les Stones comprennent qu’ils n’ont plus besoin de publicité et surtout pas de cette réputation de bad boys qui commence à se retourner contre eux. C’est bien gentil de jouer les hors-la-loi, mais ça finit par devenir épuisant. Ils sont en quête d’une certaine forme de respectabilité. Andrew dit qu’on reçoit les Beatles chez le Premier Ministre. Pas de danger que ça arrive aux Stones.

Quand les stups débarquent à Redland et que les Stones sont arrêtés, Andrew flippe et se barre aux États-Unis. Il ne veut pas aller moisir au trou. Alors c’est Allen Klein qui vole au secours du groupe. Keef & Mick n’ont plus aucun respect pour Andrew qui s’est enfui. En 1967, Jagger finit par se débarrasser d’Andrew pour une autre raison : Andrew gagnait cinq fois plus de blé que lui. Jagger prend en main les affaires du groupe et, pour se débarrasser d’Allen, il engage le Prince Rupert Loewenstein comme conseiller financier. Un beau matin, Allen reçoit une lettre : ‘Nous n’avons plus besoin de vous.’ C’est signé des avocats représentant les Stones. Mais on ne se débarrasse pas d’Allen comme ça. En 1968, il rachète les parts d’Andrew dans le business des Stones et devient propriétaire de tous les hits qu’ont enregistré les Stones. C’est le plus beau coup d’Allen. En 1971, il ramasse 50% des royalties de tout ce que font les Stones. Goodman précise que c’est considérable. En fait, Andrew Loog Oldham va mettre un temps fou à accepter l’idée d’avoir vendu sa poule aux œufs d’or à Allen Klein. Ils continueront cependant d’entretenir tous les deux une relation intense, Klein veillant à maintenir l’équilibre entre l’amitié, le business et la bonne conduite, the fairness. Par contre Jagger ne parviendra jamais à accepter l’idée d’être condamné à rester le partenaire financier de Klein, même après avoir réussi à se débarrasser de lui. L’idée que Klein va continuer de palper 50 % des royalties des Stones le hante.

Selon Goodman, Allen Klein n’est pas un manager financier, mais plutôt l’inventeur de flux financiers, à la fois pour lui et ses clients. Il fait par exemple travailler l’argent de ses clients déposés sur des comptes, pour éviter que les impôts n’en sucrent 90% : c’est l’argent des Stones, des Heman’s Hermits, de Bobby Vinton, des Kinks, des Animals et de Donovan. C’est sa façon de protéger leurs intérêts en générant du cash. Ça représente des millions de dollars qu’un broker fait travailler à Wall Street.

Troisième époque. Bon, maintenant qu’il a les Stones, il veut les Beatles. C’est une façon de se prouver à lui-même qu’il est le meilleur. Il part d’un principe tout bête : les Beatles sont les meilleurs et lui, Allen Klein, il est aussi le meilleur. Alors ça va devenir un obsession. Si Allen prend Donovan sous son aile c’est parce qu’il sait pertinemment qu’il est proche des Beatles. Ça n’est un secret pour personne, ni pour Mickie Most, ni pour Ray Davies : Allen veut les Beatles et il les aura. Comme le rappelle Derek Taylor dans As Time Goes By, les Beatles ne veulent pas entendre parler d’Allen. Trop mauvaise réputation. Mais Allen a plus d’un tour dans son sac. Il se pointe au Rock’n’Roll Circus que tournent les Stones en décembre 1968 dans le seul but de rencontrer John Lennon. En fait ça intrigue Lennon que les Stones aient encore plus de succès depuis qu’Allen Klein s’occupe d’eux. Très peu de gens ont la confiance des Beatles et Derek Taylor en fait partie. C’est lui qui conseille à Lennon de prendre Klein au téléphone. Le contact s’établit enfin et le 26 janvier 1969, Allen reçoit John et Yoko dans sa suite au Dorchester. Lennon est sur ses gardes, mais l’entrevue se passe bien, car Allen est comme lui, il vient de la rue et sait dire les choses in the face. Allen ne ressemble pas aux gens du business que Lennon a l’habitude de fréquenter. 1969, c’est aussi l’époque de la boutique Apple et du building Apple à Savile Row qui sont des gouffres financiers. Les Beatles veulent faire du mécénat, mais Lennon sait que ça doit d’abord rester du business. Tout le monde chez Apple tape dans la caisse. La boutique est pillée en quelques mois. Lennon dit qu’il faut donner un coup de balai. Il voit en Allen le sauveur des Beatles, le bulldozer dont il a besoin pour nettoyer le désastre d’Apple Corps. C’est encore une fois une rencontre qu’il faut qualifier d’historique et Fred Goodman dans l’infinie bonté de son génie d’écrivain nous fait assister à cette rencontre au sommet. À la fin de la réunion, Allen fait entrer une secrétaire qui attendait dans le couloir. Elle tape une lettre aux gens d’EMI et de NEMS les informant que John Lennon charge Allen Klein de représenter ses intérêts et leur enjoint de fournir l’aide et les documents nécessaires. Ça y est, Allen touche au but. Bon les Beatles sont quatre. George et Ringo suivent eux aussi Allen, mais pas McCartney qui veut voir son beau-père Lee Eastman veiller sur les intérêts des Beatles. Pour les trois autres c’est impensable. Ils n’aiment pas trop McCartney et l’idée que son clan supervise les finances des Beatles leur est intolérable. Quand en réunion Lee Eastman craque et insulte un Allen royal qui garde son calme, Lennon se régale. S’il est une chose que Lennon comprend bien, c’est le power. Il est comme Allen, il est le leader. Aussi est-ce impensable que le clan McCartney prenne le contrôle de l’empire financier des Beatles. Aux yeux de Lennon, c’est une hérésie. Il déteste encore plus voir Lee Eastman, avocat des grands peintres américains, se montrer condescendant envers lui, avec ses Picasso accrochés au mur et son blah blah sur Kafka. Et quand Eatsman se moque des manières d’Allen, Lennon comprend que le beau-père de McCartney n’est qu’un snob. Il le traite de fucking animal, il ne veut pas le voir dans les parages. Il préfère mille fois les souvenirs d’enfance d’Allen à l’orphelinat.

Allen va aussi se heurter au mépris de l’establishment britannique. Ses manières agressives et ses dirty polo shirts ne passent pas. Comme le fut Jerry Lee pour d’autres raisons, Allen est sauvagement attaqué dans la presse anglaise.

Ce succès auprès des Beatles a une conséquence inattendue : à partir du moment où Allen prend en charge les intérêts des Beatles, les Stones le vivent mal. Ils ne veulent pas se voir encore une fois relégués en deuxième position. C’est d’après Goodman la raison principale de l’éviction d’Allen du camp des Stones.

Allen découvre aussi très vite que McCartney a racheté en douce des parts des Beatles, ce qui le rend majoritaire dans le montage juridique. C’est le commencement de la fin pour les Beatles. Lennon avait annoncé en privé qu’il quitterait le groupe, mais c’est McCartney qui va être le premier à le quitter officiellement. Pas de problème. Allen s’en fout. Il a réussi à faire le ménage chez Apple et il a toute la confiance de Lennon. Les employés d’Apple haïssent ce fat bastard d’Américain. Allen gère aussi les carrières de George et Ringo. Il aide George à promouvoir All Things Must Pass, un George qui respire enfin car il avoue gentiment que John et Paul ne voulaient pas entendre parler de ses compos. Mais aux yeux d’Allen, le plus important c’est John Lennon qu’il admire profondément.

Pour dissoudre le partenariat des Beatles, Lee Eastman réussit à convaincre McCartney d’intenter un procès aux trois autres. Êtes-vous sûr ? Et Eastman lui répond qu’il risque la banqueroute s’il ne casse pas ce partenariat. McCartney invoque quatre motifs : les Beatles ne sont plus un groupe, la présence de Klein est inacceptable, il craint pour sa liberté artistique et les comptes sont devenus opaques. C’est évidemment Klein qui est la cible de ce procès. L’ironie de la situation, c’est qu’Allen Klein a sauvé les Beatles de la banqueroute, y compris McCartney. Contre toute attente, McCartney gagne son procès, ce qui est une beautiful absurdité. La seule chose qu’on peut reprocher à Allen Klein, c’est d’avoir ramené sa réputation douteuse dans le monde protégé des Beatles, rien d’autre. Pour se consoler, Allen voit que John, George et Ringo lui conservent leur soutien. Et ils sont tous les trois plus furieux que jamais à l’égard de McCartney. Pour eux, la vengeance de McCartney est aussi inutile qu’absurde. Plus tard, McCartney dira aux journalistes qu’il n’est pas fier d’avoir gagné son procès contre Klein, mais selon lui, cela devait être fait. McCartney n’en finira plus de se voir comme le vainqueur d’un combat de titans.

Le contrat que Klein a passé avec les trois Beatles est renouvelable chaque année et en 1973, il les perd tous les trois. John, George et Ringo ont évolué et sont passés à autre chose. Après cette catastrophe, l’IRS - l’équivalent américain du ministère des Finances - lui intente un procès en 1980 pour non-déclaration de revenus et l’envoie au trou pour deux mois. Allen purge sa peine sans faire d’histoires. En arrivant dans sa cellule, il s’exclame : «Enfin seul ! Enfin la paix !» Il aurait pu aussi déclarer comme Apollinaire : «En arrivant dans ma cellule/ Il a fallu me mettre nu/ En une voix sinistre hulule/ Guillaume qu’es-tu devenu.»

Qu’on se rassure : Allen et John se retrouveront un peu plus tard. Ils seront amis pour de vrai. Goodman va loin puisqu’il affirme que Lennon fut le meilleur ami de Klein - The closest Allen Klein had ever come to a soulmate was John Lennon - Jusqu’au moment où un mec descend Lennon dans la rue, devant le Dakota, trois mois après qu’Allen sorte du trou.

En 1980, les gens savaient trois choses d’Allen Klein : il s’était fait virer par les Stones, par les Beatles et qu’il sortait de prison. Pas mal pour le champion du monde du showbiz. Allen redevenait un outcast, comme à ses débuts. Ses seuls clients étaient Phil Spector et Bobby Womack. Phil et lui avaient l’air de deux Napoléons déportés sur l’île d’Elbe. Pourtant, quand Allen se pointe aux cérémonies du Hall of Fame, les invités de marque grouillent à sa table : Bobby Womack, Lloyd Price, Andrew Loog Oldham et la famille de Sam Cooke. Mais Goodman prend soin de préciser le détail le plus important : Allen Klein ne fera jamais partie de la ‘famille’ du showbiz, étant donné qu’il fut pendant tout le temps de sa carrière un loup pour cette ‘famille’. Il aura toute sa vie combattu la convoitise des maisons de disques et tenté de préserver un tant soit peu l’intégrité artistique de ses clients. Forcément le business hait profondément Allen Klein. Pas de problème. C’est ce qu’attend Allen, fort de son éthique personnelle en matière de business. Parmi ses deux principaux ennemis, deux sont d’anciens clients : Jagger et McCartney. Ça veut dire ce que ça veut dire.

Jusqu’à la fin de sa vie, Allen Klein va continuer de protéger ses artistes, notamment Bobby Womack et le pauvre Phil Spector, devenu la risée du showbiz.

Signé : Cazengler, le Klinquant

Fred Goodman. Allen Klein. The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll. Houghton Miffling Harcourt 2015

 

GENE VINCENT AND THE BLUECAPS

ROB FINNIS & BOB DUNHAM

( 1974 )

( On Calameo / c : alainmallaret )

 

Par chez nous, en France, la carrière de Gene Vincent aux Etats-Unis est beaucoup moins bien connue que ses années européennes. C'est pourtant là-bas que tout a commencé. Ce n'est pas tout à fait de notre faute, les américains eux-mêmes ne se sont guère intéressés à ce pionnier légendaire et capital. Dès 1974 Rob Finnis et Bob Dunham se sont acharnés à rétablir ce chaînon d'autant plus manquant qu'originel. Quand on compare cette modeste brochure, avec sa frappe serrée tapée à la machine à écrire, aux gros livres grands formats, sur papier glacé, agrémentés de photos couleurs qui tentent de répertorier les concerts d'Elvis il y a de quoi faire grise mine. Mais Rob Finnis et Bob Dunham se sont livrés à un travail de fourmis laborieuses. Ont récupéré toutes les interviews – en ont effectué une partie par leurs propres soins - qu'ils ont pu recueillir auprès de témoins directs et surtout des protagonistes de l'aventure in person ou dans d'anciennes coupures de presse. Certes depuis on les a souvent pillés et l'amateur vincenal ne manquera pas de remarquer bien des extraits lus en différents articles ou livres ultérieurs. Mais les voir compilées en un seul récit change les perspectives.

LE KID

Gene l'a lui-même souvent répété, le succès est arrivé trop vite. Un gamin, qui du jour au lendemain se voit propulsé en haut de l'affiche, sans préparation, et même sans idée préconçue de ce qui pouvait arriver. Au mieux il s'attendait à un hit local dans les états du Sud. Ce ne fut pas le cas. Certes le gamin était doué, il suffisait d'entendre sa voix pour comprendre que l'on n'avait pas affaire à un amateur parmi tant d'autres. Carl Perkins de passage à Portmouth en fut convaincu dès qu'il l'entendit en première partie de son show. En fut enthousiasmé. Oui mais le rat des champs country avait tout pour reconnaître un frère dans cet urban rat. L'entente fut immédiate entre le paysan et le prolétaire.

Gene jeune n'avait pas la classe. Pas un chat de salon bien éduqué au poil luisant. Ressemblait un peu trop à ces griffus efflanqués qui hantent les rues et mangent un jour sur deux, des dents pourries, des vêtements pas très propres, un accent à couper au couteau, des réparties agressives pour cacher un fort sentiment de gêne lorsqu'il se sentait obligé de faire confiance à des gens qu'il ne connaissait pas et devant des situations qu'il se savait incapable de maîtriser. Ainsi Gene sera toujours très mal à l'aise avec les DJ's des radios locales qui l'interrogent pour promotionner les concerts, son accentuation reste un peu hermétique pour les auditeurs et devant l'insistance des animateurs Gene se cabre... Bientôt il refusera de se rendre aux interviews. Un fils de pauvre qui manquait de culture et d'aisance relationnelle. Tout pour perdre. Oui mais voilà, l'on se bat avec les armes que l'on a. Gene n'avait qu'une balle dans son fusil. Elle s'appelait Be Bop A Lula et il allait se révéler un tireur d'élite.

DES AMATEURS

Par contre la logistique ne fut pas à la hauteur. Il est inutile de s'en prendre à ceux qui drivèrent l'aventure. C'est grâce à Sheriff Tex Davis que Gene fut appelé pour un essai qui s'avéra vite concluant chez Capitol. Une grand gueule le Sheriff, un jeune américain typique qui s'est fait lui-même grâce à la tchache, n'est-il pas disc-jockey à WCMS, et quand il fallut dare-dare partir en tournée, il s'imposa qu'il était le seul capable de s'improviser du jour au lendemain manager. Les cols-blancs des booking-tours firent vite le tour de la faconde de l'individu, eurent tôt fait de rédiger les contrats idoines à l'avantage de la firme qui les employait. Ne lui jetez pas la pierre vous qui ne prenez pas la peine de lire les petites lettres au bas desquelles vous signez en toutes confiance pour acheter un frigidaire...

Capitol fut la poule qui décide de couver un œuf de cygne sauvage dont elle ne se souciera plus une fois éclos. La firme voulait une vedette capable de rivaliser avec Elvis Presley. Et voilà qu'ils avaient trouvé the voice ! Chez RCA aussi, mais une fois que l'on eut Elvis dans l'écurie, l'on chouchouta le pur-sang, l'on recruta un état-major pour s'occuper de la suite des opérations. Chez Capitol, puisque Ken Nelson avait trouvé le bébé on le lui laissa, sans ajouter un peu d'eau chaude pour le bain...

IGNORANCE BONNE CONSEILLERE

L'amiral Nelson était bien embêté avec son nouveau bateau. L'avait pensé d'abord à changer l'équipage, l'avait prévu Owen Bradley, Harold Bradley et Russel Wilaford pour prendre la place des jeunes pirates qu'il supposait inexpérimentés, mais non, il s'avéra vite que Willie Williams, Cliff Gallup, Jack Neal et Dickie Harrel feraient amplement l'affaire. On avait les musiciens, il restait à les enregistrer. Ce ne fut pas une partie de plaisir. Les Blue Caps, ainsi se dénommeraient-ils, jouaient trop fort et crime de lèse-majesté dans ce studio plutôt exigu, la voix de Gene était inaudible. Il fallut tâtonner, séparer Gene des autres et écarter un tant soit peu les instrumentistes, les uns des autres. Pour un coup d'essai, la clarté sauvage de l'enregistrement de Be Pop A Lula fut un coup de maître.

IGNORANCE MAUVAISE CONSEILLERE

Quelques mois plus tard les guys étaient sur la route lorqu'ils furent rappelés pour une nouvelle session d'enregistrements. Arrivèrent comme des cheveux sur la soupe qui n'avait pas été préparée. Le groupe ne possédait que des idées de titres, pas le temps de vraiment composer durant les concerts et les voyages harassants, quant à Capitol personne n'avait songé à pré-sélectionner quelques morceaux, fallut se débrouiller avec ce qu'ils avaient, mais ce n'était plus le même studio, celui-ci était bien trop grand conçu pour les big bands qui accompagnaient Franck Sinatra, les boys eurent le mauvais réflexe de se regrouper sur eux-mêmes tout à côté de Gene. La qualité sonore s'en ressentit. Quant aux ingénieurs à la console ils laissèrent défiler les bandes sans penser que le son se travaille... Pour les disques suivants ce ne fut guère mieux. Même une fois, lead, rythmique et basse furent branchées sur le même ampli. Bye-bye la clarté... Finnis et Dunham sont toutefois d'après moi un peu trop sévères sur la netteté sonique des cinq premiers trente-trois tours de Gene.

BE BOP A LULA KID

Lorsqu'il fallut partir en tournée, les Blue Caps acceptèrent comme un seul homme. Pensez à l'enthousiasme de Dickie qui n'avait que quinze ans. Ce ne fut pas une partie de plaisir. Ce n'étaient pas des musiciens professionnels. Au bout de trois semaines, les tiraillements se firent sentir. L'est sûr que dans cette préhistoire du rock ce n'était pas encore le déploiement opérationnel des Rolling Stones ou de Led Zeppelin. Entassés dans une grosse voiture et vogue la galère. Après le show, hôtel de seconde zone. Beaucoup de monde dans les concerts. Les boys ont un répertoire teinté de country pour les endroits traditionnels et un autre résolument plus remuant pour les publics plus jeunes. Faut peu à peu remplacer les musiciens qui démissionnent. La palme revenant à Cliff Gallup qui s'ennuie de sa femme et qui plus tard déclarera qu'il préférait animer les mariages en jouant du country pépère près de la maison que de courir les routes à plusieurs milliers de kilomètres de chez lui. Pour un homme qui aura posé les bases de la guitare rock malgré l'admiration que je lui porte je n'ai jamais pu m'empêcher de penser que question attitude rock, c'était un peu limite...

Il y a plus grave, le fait que Gene n'ait pas un big hit à mettre sur le marché, Capitol ne navigue pas à vue mais aux yeux fermés. L'aventure se termine un peu en queue de poisson. De toutes les manières Gene souffre énormément de sa jambe blessée. Retour à la maison. L'année 1956 se ferme bêtement sur les fêtes en famille...

BE BOP BOOGIE BOY

Tout autre se serait découragé. Mais Gene prépare son retour. Ne s'agit pas de repartir sur la route sans nouveaux biscuits. Commence par recruter un nouvel équipage. Ne promet rien mais son nom attire le monde. Des jeunes, qui ont envie de s'amuser et de mettre le zbeul, savent que Gene n'a pas les fonds pour aligner la monnaie, mais ils viennent pour le fun. En plus Gene change la formule, il y aura à certaines périodes un piano, et surtout des clappers boys qui chantent et dansent à ses côtés. La fête s'étalera sur deux ans. La montée de Lotta Lovin' dans les charts aidera à la propagation de la rébellion rock. Car c'est ainsi que les prestations de Gene et de ses condisciples sont perçues. Too much. Too soon. Ce n'est pas un hasard si les amerloques ont passé sous silence les frasques rock'n'rollesques de Gene. Beaucoup de monde, filles en folie, sont à plusieurs reprises sauvés in extremis par la police des fans qui les déshabillent littéralement pour garder un souvenir de la mémorable soirée. Ambiance de fous. C'est un peu le turn-over chez les Blue Caps, jusqu'à D. J. Fontana, le batteur d'Elvis, qui assurera ses dates mais ne voudra pas continuer trouvant la pression trop délirante. Gene boit de plus en plus. Tout le monde l'admire. Tout le monde le déteste. Jouer avec lui est un honneur mais pas une sinécure. Il dit aux musiciens de se laisser aller, de se rouler par terre s'ils le veulent, mais il prend garde à être toujours au centre du tourbillon. Les clappers guignent vers une carrière solo... Les tensions s'accroissent d'autant plus qu'il paie avec de plus en plus de retard. En plus il emmène Darlene et son bébé dans la voiture. Jusqu'au matin où il a promis de les payer, mais il s'est enfui avec Darlene en Alaska... C'est la fin des Blue Caps, le livre s'arrête...

1959... ET APRES

Gene restera huit mois en Alaska. Une absence qui lui sera fatale. Des petits rockers bien propres sur eux sont catapultés dans les médias... N'ayant plus de carte de travail américaine Gene ira au Japon, puis en Angleterre et en France, une nouvelle aventure commence. Rob Finnis et Bob Dunham sont excessivement sévères pour le dernier LP Crazy Times. Ils n'ont pas oublié la tournée en Australie avec Little Richard et Eddie Cochran qui participera aussi à A record date with Gene Vincent, un Eddie que les musiciens définissent comme un Blue Caps à part entière...

Gene est prêt à entamer sa seconde carrière. Mais le book rend justice à la première. Les témoignages sont formels et concordent, Gene et les Blue Caps furent ce qu'il y avait de plus excitant en matière de rock'n'roll en ces premières années américaines.

Beaucoup de faits rapportés mais pratiquement pas d'analyse psychologique de la part des auteurs, ces gamins qui se retrouvent sans en être totalement conscients aux commandes d'un phénomène musical d'une ampleur sans précédent, pratiquement abandonnés à eux-mêmes, apprennent les amères douceurs de la vie à leurs dépens. Ils furent les jouets de pratiques industrieuses d'un showbiz avide de profits immédiats qui les pressa sans vergogne et puis les rejeta sans pitié... La vague retombée, toute une génération de ''petits'' rockers du Sud des Etats-Unis retourna non pas à l'hôtel des cœurs brisés mais très prosaïquement à leur boulot... Gene n'abandonna pas. La rage rock'n'roll l'habitait. Cet homme avait des capacités de reviviscences phénoménales. Se révéla être un capteur et un dispensateur d'énergie peu commune.

Damie Chad.

 

GENE VINCENT AND THE BLUE CAPS

( Collection Rock'n'roll Memories )

(1979 )

Il est des êtres malfaisants que l'on retrouve partout. Par exemple Jacky Chalard qui dirige la collection Rock'n'roll Memories, bassiste de Dynastie Crisis, accompagnateur de Noël Deschamps, Ronnie Bird, Vince Taylor, fondateur du label Big Beat ( la crème du rockabilly ), des groupes français comme les Alligators et Jezebel lui doivent une fière chandelle, j'arrête la liste car elle est longue, vous avez aussi Alain Mallaret, Marc Alesina, Georges Collange et Philippe Fessard éminent guitariste d'Ervin Travis et des Ringtones qui ont fourni des photos. Aujourd'hui, connues et archi-connues, elles traînent partout sur internet, à l'époque fallait avoir le numéro 11 – 12 Spécial Gene Vincent de Big Beat pour en avoir un aussi beau florilège... Attention, à part la couverture, elles sont toutes en blanc et noir, même celles que l'on trouve en couleurs aujourd'hui.

Pour ceux qui ne connaissent pas l'anglais, le texte reprend en partie les propos de Robert Finnis et de Bob Dunham de la brochure Gene Vincent And the Blue Caps chroniquée ci-dessus.

Damie Chad.

GENE VINCENT EUROPEAN TOUR

( Collection Rock'n'roll Memories )

(1979 )

Ce coup-ci le texte est de Jacky Chalard. La suite des évènements que ne traitent pas Rob Finnis et Bob Dunham. Gene gagne l'Europe fin 1959. L' Angleterre où il est accueilli par les fans qui ne connaissent pas grand-chose de ses prestations scéniques, sinon par ses apparitions dans La Blonde et Moi et Hot Rod Gang qui dans les deux films ne sont pas données in extenso... Sa première apparition publique enthousiasme les fans qui n'avaient jamais vu ça. L'on a peu de documents sur ses deux Musicorama le 15 décembre à l'Olympia ( Paris ). S'est-il vraiment fait voler sa tenue de scène ( cuir ? daim ? ), ce qui est plus sûr c'est qu'il est accompagné par l'orchestre maison très variétoche, est-ce Jean-Jacques Debout qui aurait permis au jeune Johnny Hallyday d'assister aux répétitions et aux spectacles, à moins qu'il ne soit venu, selon ses dires, accompagné sa tante Hélène Mar,... quant à souscrire Gene aurait le soir même chanté dans un club avec Nancy Holloway ( Nino Ferrer à la basse ), dans son irremplaçable Gene Vincent Dieu du rock'n'roll, l'on sent que Jean-William Thoury n'en mettrait pas sa main au feu... L'anecdote me semble un peu trop calquée sur la légendaire soirée d'Elvis Presley meets Nancy Holloway in Paris...

L'année soixante sera souveraine et catastrophique. Gene triomphe en Angleterre à tel point qu'Eddie Cochran décide de se rendre avec lui en la perfide Albion. Le 17 avril lui sera funeste... Gene Vincent ne s'en remettra jamais totalement, dans les années qui suivront, sa santé subira plusieurs alertes, la jambe blessée qui ne s'améliore pas, opération d'un kyste près du cerveau qui l'incapaciterait auditivement, malgré cela les tournées s'enchaînent, mais Gene a de plus en plus besoin de moments de repos, il ne s'écoute guère, c'est en cette période qu'il bâtit sa légende européenne. 1966 sera en demi-teinte, malgré la sortie de Bird Doggin' le succès s'éloigne. Une poignée de fans français décidés à le supporter à tout prix organisent une tournée sur le sol national. Ce ne sera pas une réussite, Jean-Claude Pognant fait ses armes de manager, un métier dans lequel il est difficile d'improviser, surtout que Gene n'est pas facile à canaliser. Trop d'alcool et de médicaments pour combattre la douleur à la jambe... Il reviendra en France en 1969, Gene n'est pas au mieux de sa forme, la tournée s'avère chaotique, il reste de belles images d'un concert au Golf-Drouot accompagné par les musiciens de Johnny Hallyday. En juin 1970 il revient en France, l'on affirme qu'à Saint-Etienne il donnera son meilleur concert après avoir ingurgité cinq litres de Martini... En septembre 1971 il essaie une dernière tournée en Angleterre qu'usé et affaibli il ne pourra pas mener jusqu'au bout, menacé de prison par un huissier pour non-paiement de pension alimentaire il s'enfuit en Amérique. Il se retrouve seul dans une maison entièrement vide, Marcia Avron sa dernière petite amie est partie en emportant les meubles et ses enfants. Gene sait qu'il a atteint le bout du chemin. C'est la fin, il meurt d'un ulcère à l'estomac provoqué par une trop grande ingestion d'alcool... Onze jours avant sa mort, alors qu'il est studio de la BBC Gene demande à ses musiciens de jouer Distant Drums, la ballade sera enregistrée sans répétition en une seule prise, la voix de Gene est splendide, le chant agonique du cygne noir :

''Then I must go

Across the sea, so grey and wild''

Nous reste cette voix si douce et si sauvage... Combien de temps l'entendrons-nous encore...

Damie Chad.

*

La malédiction du caméléon calamiteux me poursuit. J'en avais fini avec ma chronique sur Gene Vincent ( voir au-dessus ) que Gilles Vignal me signale sur Calaméo la parution de BBM 33, un modeste – lui il emploie l'adjectif monumental – ouvrage de 258 pages consacrées à Carl Perkins, donc séance tenante lecture du pavé perkinien dont voici une rapide chronique. Comme par hasard, ce monument a été cornaqué par Alain Mallaret. Je rappelle que le premier numéro de Big Beat parut ( sur papier ) en mai 1969, c'était une production de la FARC ( Fédérations des Amateurs de Rock'n'roll et de Country 'n' western ). Je ne résiste pas au plaisir de donner les noms de cette équipe passionnée à qui le rock'n'roll doit une fière chandelle : Michel Thonney, Michel Grezes, Dominique Thura, Bernard Boyat, Philippe Bas-Raberin, Thierry Walter, Kurt Morh, Bruno Le Trividic, Pierre Penonne, Roll Chanty, George Collange, auxquels il faut ajouter Joël Vaizan, Marc Alésina, et Alain Mallaret.

BIG BEAT MAGAZINE N° 33

CARL PERKINS

( Décembre 2019 )

L'ouvrage commence par une bio de Perkins réalisée par Jean-Pierre Hämmerli. Je ne vais pas me perdre dans les multiples détails doctement répertoriés, en voici un résumé succinct. Je vous recommande toutefois d'aller y voir par vous-même, superbement illustré et mis en page. Si vous ne connaissez pas Carl Perkins, c'est simple, Carl c'est Elvis Presley qui a réussi. Ne rêvez pas, n'a pas gagné davantage de millions de dollars que le Pelvis, non, pourtant lui aussi a commencé chez Sun, et l'a tout de suite composé quelques classiques du rock'n'roll, Elvis s'est dépêché d'enfiler ses chaussures de daim bleu qui lui allèrent comme un gant. C'est après que ça s'est gâté, un stupide accident de voiture qui sera responsable de la disparition de ses deux frères, conjugué à la baisse de l'intérêt envers sa personne d'un public versatile et à l'éloignement de Sam Phillips qui ayant cédé Elvis à RCA misait désormais toutes ses billes sur Jerry Lee Lewis. Une lente descente, alcool + pills ( contributions amicales de Johnny Cash ), et puis une carrière en dents de scie, très vite vénéré en Angleterre – les Beatles ont repris Everybody's trying to be may baby, Honey don't et Matchbox - et chez les amateurs de pure rock'n'roll, mais il bénéficiera surtout du respect de plusieurs générations de musiciens pour qui il est un des pères fondateurs du rock'n'roll... Aujourd'hui il est rare d'assister à un concert de rockabilly sans que n'apparaisse un morceau de Carl Perkins dans la set-list. Chanteur, guitariste remarquable, un homme d'une grande simplicité, celle des plus grands. Décède en 1998 d'un cancer de la gorge. Pas de mouvements de foules à sa mort... Le rock'n'roll n'est pas obligatoirement une musique spectaculaire. Celui de Perkins est facile à reconnaître, même dans ses moments les plus frénétiques, l'on peut y entendre en filigrane la rugueuse rumeur du blues.

Si l'on doit sérier d'un plus près l'originalité de Carl Perkins dans le club fermé des grands pionniers du rock'n'roll, c'est sa fidélité aux racines. Carl ne s'est jamais départi des sources country du rock'n'roll. Son style est en équilibre sur la ligne de crête qui sépare les tenants de la fidélité aux origines des essarteurs de nouvelles pistes évolutives. Il y a chez lui une authenticité que l'on retrouve peut-être chez le tout premier Elvis, encore que Presley misera en fin de compte sur le côté balladif du country alors que Carl y mêlera sans vergogne la pulsation du blues. Carl chante et gratte sans avoir jamais quitté l'époque de la grande indétermination musicale qui régnait entre country-western et country-blues. En ce sens l'on peut dire que Carl répondait davantage aux critères de Sam Phillips que l'Elvis. Maintenant la voix chaude d'Elvis était davantage plaisante à n'importe quelle oreille de n'importe quel coin des USA que celle de Carl timbrée very south. Quant aux guitares des Blue Caps de Gene Vincent et d'Eddie Cochran elles sont totalement émancipées d'un jeu roots, délibérément urbaines et électriques. Buddy Holly ne se départit jamais même dans ses rocks les plus authentiques qui sont aussi les plus rèches d'une certaine coulée harmonique qui préfigure ce que réaliseront plus tard les Beatles ( je parle d'avant Revolver ) l'ouverture du rock dans la pop. Jerry Lou et son pumpin' clavier sont à part. Ce diable de pèlerin survole toutes les influences. Peut-être parce que le piano est l'instrument roi de l'accompagnement s'adaptant parfaitement à toutes sortes de styles, et sans doute parce que Jerry Lou a trouvé le vecteur idéal du boogie-woogie qui vous transporte sur la rive du rock'n'roll depuis la virtuosité du ragtime. Notons que le ragtime est la musique noire qui doit le moins à la musique d'église. Ce n'est pas un hasard si au début du vingtième siècle des musiciens classiques comme Debussy et Ravel subirent des influences jazz dans leurs compositions, le jazz lui-même n'étant que la décomposition harmonique / désharmonique du ragtime initial qui lui même a été influencé par la musique classique allemande du dix-neuvième siècle. Quand un serpent ne se mord pas la queue, il avale sans trop de problème celles de ses voisins.

Question guitares le lecteur se rapportera à une des toutes dernières contributions de l'ouvrage, celle de Didier Delcour qui analyse les divers instruments qui sont passés entre les mains de Carl Perkins tout au long de sa carrière. Certes il ne jouait pas sur des brelles, mais enfin Didier Delcour en arrive à la conclusion que Carl n'était pas un fétichiste, pas de prédilection particulière pour une signature. C'est vrai que c'est l'occasion qui fait le larron, que l'argent venant Carl a pu s'acheter toutes sortes de bijoux... certaines marques lui ont fourni des modèles comptant sur sa réputation pour booster les ventes. Une paisible nature qui s'accommodait de ce qu'il avait entre les mains, il comptait sûrement davantage sur ses doigts et sur sa pâte personnelle que sur son appareil. Est-ce la guitare qui fait le guitariste, ou le guitariste qui fait la guitare ! En y réfléchissant c'est bien B.B. King qui avait trouvé la solution de l'œuf et de l'autruche en donnant à ses diverses guitares le même et sempiternel prénom.

Longue séquences photographies : la vie de Carl Perkins année par année. Attardez-vous sur les premières photos familiales : c'est un peu comme Les Raisins de la Colère de Steinbeck mais en pire. Né pas né avec une golden spoonfull dans la bouche : origine sous-prolétariat paysan. Stigmates de la misère sur les visages. En ces temps-là ceux qui semaient la misère récoltèrent le rock'n'roll ! Si Carl et Johnny Cash se sont si bien entendus c'est que dans leurs jeunesses ils avaient connu les mêmes vicissitudes.

Les photos des années 54 à 60 sont les plus émotionnantes, elles nous révèlent les débuts de Carl et avant tout une époque disparue à jamais, s'en dégage un air vieillot et suranné qui ne manque de charme mais cela nous renvoie avant tout à notre modernité qui dans soixante-dix ans paraîtra sans doute aussi dépassée et révolue que ces images d'antan. De même le défilé chronologique des clichés n'incite guère à l'optimisme, nous sommes des animaux soumis aux ravages du temps. Et même si nous mourons jeunes pour faire de beaux cadavres, nous n'en avons pas pour autant atteint la jeunesse athanatique des Dieux. Les photos se suivent, se ressemblent et ne se ressemblent pas. N'oubliez pas de cliquer lorsque cela vous est proposé, vous êtes illico renvoyé à d'autres sites, vidéos ou blogues qui traitent en profondeur des personnages ou apportent des précisions sur des institutions qui sont rapidement cités dans le commentaire sous les photos. Attention beaucoup de documents en langue anglaise. Ecrit ça passe, mais bonjour l'accentuation américaine, pas très positive, pour s'amuser avec un titre de Gene..

Faudrait les citer toutes ou aucune. Je n'en retiendrai que deux, épisodiques, celle de Carl enlaçant une Dolly Parton splendidement naturelle, et celle avec Johnny. Pas Cash – il n'en manque pas de lui – mais Hallyday. Une magnifique suite de portraits, des photos de fans – sont crédités en fin de volume - et même de l'album de la famille Perkins.

Cet ouvrage est à regarder et à méditer. Une réussite propice au rêve. Un très bel hommage aux chemins parcourus par un très grand pionnier du rock'n'roll.

Un excellent cadeau pour vos amis et vos ennemis. Ne les en privez pas, il est gratuit. Donc il n'a pas de prix.

Damie Chad.