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06/11/2019

KR'TNT ! 437 : DETROIT COBRA / Dr JOHN / K'PTAIN KIDD / CHRIS THEPS / ALICIA F. / JADES / RED HOT TRIO / HOWLIN' JAWS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 437

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

07 / 11 / 2019

 

DETROIT COBRAS / Dr JOHN

K'PTAIN KIDD / CHRIS THEPS / ALICIA F !

JADES / RED HOT RIOT / HOWLIN' JAWS

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

À Cobras ouverts

Un petit coup de Detroit Sound, ça ne fait de mal à personne. Au contraire. Ça remet bien les pendules à l’heure. Qu’il s’agisse des Stooges, de Wayne Kramer, des Dirtbombs, de Scott Morgan, des Demolition Doll Rods ou des Detroit Cobras, le blast est garanti. Les gens le savent puisqu’une belle ovation accueille Rachel Nagy lorsqu’elle arrive sur la scène du Gibus. Eh oui, elle est entrée dans la légende sur la foi de quelques beaux albums et de trop rares apparitions en Europe. Sa dernière prestation européenne remonte à 2004. Elle reste une très belle blonde à l’accent canaille et aux bras couverts de tatouages. Malheureusement elle n’a plus le droit de fumer sa clope sur scène. Rachel Nagy est aux blondes ce que Chrissie Hynde est aux brunes : la femme fatale par excellence. On détaille du regard son corps resté parfait. À sa gauche se tient sa fidèle lieutenante, Mary Restrepo Ramirez. Elle est elle aussi incroyablement bien conservée, fine comme une anguille et brune à gogo. Elle déborde littéralement d’enthousiasme et fonce à travers la plaine avec sa rythmique endiablée. Il n’existe pas de guitariste plus dévouée au beat que Mary Restrepo Ramirez. De l’autre côté se tient Eddie Baranek, un vétéran de toutes les guerres du Detroit Sound qu’on vit jadis œuvrer dans les Sights. Le vieux Eddie porte la barbe, des cheveux bien gras, des lunettes à verres bleutés et une grosse chemise à carreaux. Il s’est empâté mais il joue comme mille diables. Il allume en permanence et arrose tout de disto. Les Cobras attaquent avec « I Can’t Go Back », suivi du knocking « You Don’t Knock » des Staple Singers. Plus loin, ils font un véritable carnage avec le vieux « Cha Cha Twist » d’Hank Ballard. Version explosive, on le sait depuis vingt ans. Par contre, aucune trace de « Hey Sailor » ni de « Right Around The Corner ». Le seul cut de Life Love And Leaving qu’ils reprennent est le « Shout Bama Lama » d’Otis. Sur scène, Rachel Nagy continue d’incarner tout ce qu’un homme peut attendre au plan libidinal du rock américain. Quand elle attaque « Weak Spot », on tombe définitivement sous son charme. Rachel Nagy fait avec « Weak Spot » le même genre de ravages qu’Aretha avec « Respect ».

Ces rois du swing vachard que sont les Cobras ne jouent que des reprises. Ils tapent dans l’inépuisable réservoir de hits du patrimoine musical américain. Leur répertoire est un twisted jukebox à la puissance dix. Ils déterrent des hits fabuleux. Ils font avec la Soul et la pop de Detroit ce que les Cramps firent avec le rockab : ils les subliment. Les Detroit Cobras explorent les catacombes de la culture américaine et ramènent à la lumière des hits oubliés qu’ils revitalisent à coups de riffalama.

Le groupe n’a que vingt ans d’âge, en fait. Il fut monté en 1998 par Steve Shaw, Mary Restrepo Ramirez et Jeff Meier, un ancien membre de Rocket 455, garage-band mythique de Detroit dans lequel jouait aussi Dan Kroha. Les trois compères proposèrent à Rachel de chanter, mais elle prétendit qu’elle ne savait pas chanter. On connaît la suite de l’histoire. Leur premier album Mink Rat Or Rabbit sortit sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry et fit sensation. Sur la pochette, on voit une femme noire danser nue devant un blanc, probablement dans un club de go-go girls. C’est un album de reprises spectaculaires. Ils attaquent avec le « Cha Cha Twist » d’Hank Ballard. La reine punk d’Amérique, c’est Mary Restrepo Ramirez. La lionne du désert, c’est Rachel Nagy. Et le père fondateur du garage de Detroit, c’est Steve Shaw. Ils enchaînent avec « I’ll Keep Holding On » des Marvelettes. Ils en font un pur jus de garage poundé à la dure. Puis ils tapent dans les Shirelles avec « Putty (In Your Hands) ». Ils l’embarquent à la sévère, ils instaurent le Biribi du garage, le marche ou crève définitif - oh oh oh - Quel ramshakle ! Puis ils tapent dans les Shangri-Las, les Oblivians et les 5 Royales, mais les cuts accrochent moins. La B s’ouvre sur une reprise du « Midnight Blues » de Charlie Rich. Un peu plus loin, ils ramènent la première d’une longue série de reprises d’Irma Thomas, « Hittin’ On Nothing », une belle pièce de r’n’b râblée et poilue. Puis c’est la fête avec « Out Of This World » de Gino Washington et ils finissent avec une reprise fouillée de Jackie DeShannon, « Breakaway ». Dans les pattes des Cobras, la belle pop de Jackie explose littéralement.

Life Love And Leaving parut trois ans plus tard sur le même label. Un gros plan de Rachel avec son micro et sa clope orne la pochette. L’album est encore meilleur que le précédent. Les Cobras s’installent au sommet de leur art. Ils attaquent avec « Hey Sailor », qui est en réalité le « Hey Sha-Lo-Ney » de Mickey Lee Lane (repris par The Action en Angleterre et par Ronnie Spector). Rachel bouffe ce vieux hit tout cru. Puis c’est au tour des Ronettes de passer à la casserole avec « He Dit It ». La pop des Cobras est dix mille fois plus puissante que ne le fut celle de Blondie. Leur pop explose et s’emballe. Ils tapent ensuite dans la heavyness de Solomon Burke (« Find Me A Home »), dans la pop de première classe des Chiffons (« Oh My Lover ») puis c’est le grand retour à Irma Thomas avec « Cry On », mais il ne s’y passe rien. La bombe de l’album, c’est bien sûr la reprise du fabuleux « Stupidity » de Solomon Burke. Ils embarquent ça au riff - oh -  et c’est claqué derrière les oreilles. La grandeur des Detroit Cobras se mesure à l’aune de Stupidity. Rachel en fait littéralement de la charpie. Elle se couronne Garage Queen d’Amérique. Puis ils volent dans les plumes du « Bye Bye Baby » de Mary Wells. Ils attaquent la B avec un hit inconnu au bataillon, « Boss Lady » de Davis Jones & the Fenders. C’est incroyablement bon. Rachel y met tout le chien de sa chienne - I’m a boss lady ! - On la croit sur parole. Elle transforme cette vieille pop en pure exultation primitive - Hey yeah ! Hey shake it baby ! - Puis ils retapissent « Laughing At You » des Gardienas. C’est la cavalcade infernale. Ils se prennent pour des locomotives. On a là toute l’énergie de la splendeur garage, avec un son paradisiaque. On tient avec Life Love And Leaving le disque de rock idéal. Il ne faut surtout pas le lâcher. « Right Around The Corner » des 5 Royales est certainement leur reprise la plus connue - That’s where my baby stays - C’est infernal de grandeur tournoyante. Leur manège donne le vertige, c’est une farandole excédentaire, un vertigo de pop extrême. Rachel arrache la peau de ses retours de couplets. Quelle démesure organique ! Et ils finissent avec une hot cover du « Shout Bama Lama » d’Otis. Leur choix de reprises est parfois un peu prétentieux - au sens de l’obscurantisme - mais les restitutions sont toutes irréprochables.

Seven Easy Pieces est ce qu’il faut bien appeler un mini-LP explosif. Ils attaquent avec une merveilleuse pounderie, « Ya Ya Ya », Rachel descend à la cave et nous plonge dans l’enfer de la fournaise. Le solo débilitant échappe à toutes les hypothèses imaginées par Sigmund Freud. Puis Rachel avale « My Baby Loves The Secret Agent » tout cru. Elle tire tout à la force de la voix - ah-ouh ah-ouh - elle sidère par tant de classe définitive. Ils font une reprise rouleau compresseur du « You Don’t Knock » des Staple Singers et ça se corse encore avec « 99 And A Half Just Won’t Do », dont les atomes explosent, comme dans un réacteur. On dit dans les cercles autorisés que les physiciens ont dû prendre le phénomène Detroit Cobras en compte. Et ils finissent dans le boogaloo avec « Insane Asylum », un joli clin d’œil à Koko Taylor.

Baby sort l’année suivante. Un couple romantique orne la pochette. Pour une fois, ce ne sont pas des romantiques blancs, mais des romantiques noirs. Baby est probablement le meilleur album des Cobras. Ils attaquent avec un cut signé Dan Penn/Spooner Oldham, « Slippin’ Around » et ils font sonner ça comme du Sony & Cher, avec toute la pression du Detroit Sound. C’est un véritable coup de génie. Rachel y fait un vrai carnage. Rooooaaar ! Ils explosent « Baby Let Me Hold Your Hand », un cut obscur de Hoagy Lands. On sent la puissance d’une démesure évidente. Nouvelle merveille extravagante : « Weak Spot », composé par Isaac Hayes pour la grande Ruby Johnson. Tout le génie de Rachel Nagy explose ici au grand jour. Les Cobras embarquent ça au firmament. « Weak Spot » est certainement leur exploit le plus retentissant. En B, ils sortent le « Mean Man » de Betty Harris de sa tombe. On sent la puissance sous le vent. Ils font aussi une reprise de « Baby Help Me », un hit de Bobby Womack interprété par Percy Sledge. Là, ils tapent dans l’extrêmement bon. Rachel sait emmener une pop song dans le bois des songes. Elle est la grande princesse des rock dreams humides. Et puis voilà le pot aux roses : la version ultime de « Cha Cha Twist » farcie de redémarrages explosifs. Comment parviennent-ils à transfigurer des classiques aussi parfaits ? Dieu seul le sait. Rachel dérape au coin du couplet et c’mon baby, ça ferraille derrière elle. Chaque fois qu’on réécoute ce cut, on voit danser en filigrane le nombril magique de Rachel Nagy.

Chant du cygne avec Tied & True paru en 2007. La formation originale du groupe avait depuis longtemps explosé. Il ne restait plus que Mary et Rachel. Greg Cartwright des Oblivians vint leur prêter main forte. Sur certains cuts, Rachel sonne comme Chrissie Hynde. Le groupe est en perte de vitesse. La version du fameux « Leave My Kitten Alone » de Little Willie John a un certain cachet, car on retrouve le côté cavaleur des Cobras, c’est ramassé au beat et chanté haut la main par une Rachel écarlate. Une petite pointe de rockab se fait sentir dans les entrelacs. Soutenu par un drumbeat tressauté, le riff de guitare fait tout le travail. Ils tapent aussi dans Bettye LaVette avec « You’ll Never Change » et en font un beau boogaloo sous le manteau. La version de « The Hurt’s All Gone » d’Irma Thomas est tellement pop que c’en est catastrophique. Le groupe tente de sauver son âme avec « On A Monday » de Leadbelly. Ils finissent heureusement en beauté avec « Green Light » des Equals. Ouf ! Mais on voit bien que les carottes sont cuites.

Les gens de Munster ont rassemblé les singles des Detroit Cobras dans une belle compile intitulée The Original Recordings. On y trouve des trésors comme « Maria Christina » chanté par Mary Restrepo Ramirez en chicano. Notons au passage que Steve Shaw et Mary étaient des découvreurs, au sens où Lux et Ivy l’étaient. L’autre révélation de ce disque, c’est la reprise d’un vieux coucou des années trente, « Come Over To My House » de Gesshie Wiley & Elvie Thomas. Ils déterrent aussi le « Sad Affair » d’un vieux soul man de Motor City, Lee Rogers, et en font du très gros Cobra. Même traitement infernal pour « Down In Louisiana » d’un certain Polka Dot Slim. Et puis on tombe dans la pure mythologie avec la reprise d’un cut inédit de Question Mark & The Mysterians, « Ain’t It A Shame », un spectaculaire exploit garage. Ils passent aussi le vieux « Slum Lord » des Deviants à la casserole. On trouvera de l’autre côté une belle mouture du fameux « Funnel Of Love » de Wanda Jackson - un long-time favorite des Cramps - et une reprise ratée du « Brainwashed » des Kinks. Steve Shaw chante « Time Changes Things », un hit superbe des early Supremes et ils transforment le « Curly Haired Baby » de Professor Longhair en bombe atomique.

Grâce à cette belle série d’albums, Rachel Nagy et ses amis vénéneux sont devenus des héros mythologiques, au même titre que Zorro.

Signé : Cazengler, Detroit Cobra cassé

Detroit Cobras. Le Gibus. Paris XIe. 30 octobre 2019

Detroit Cobras. Mink Rat Or Rabbit. Sympathy For The Record Industry 1998

Detroit Cobras. Life Love And leaving. Sympathy For The Record Industry 2001

Detroit Cobras. Seven Easy Pieces. Rough Trade 2003

Detroit Cobras. Baby. Rough Trade 2004

Detroit Cobras. Tied & True. Rough Trade 2007

Detroit Cobras. The Original Recordings. Munster Records 2008

Oh Dr John I’m Only Dancing

- Part Two

Babylon compte parmi les plus grands albums de rock de tous les temps. Ça semblait déjà évident en 1969, année de sa parution. Et pourtant, quelle année ! Ça grouillait déjà de gros disques, Let It Bleed, le Led Zep 1, Trout Mask Replica, Everybody Knows This Is Nowhere, Happy Trails, Beck-Ola, le premier album des Stooges, Goodbye des Cream, A Salty Dog et d’autres encore. Rien qu’avec ce tas d’albums mirobolants, on avait épuisé son temps d’écoute et ses économies, mais Babylon s’imposait avec son Creaux pur tapé aux percus des marais avec une incomparable profondeur. Le jazz rock volait au secours d’une dimension incontrôlée. Dans son morceau titre, Mac Rebennack invoquait les démons du free - No politicians/ No more human beings - Il voulait la bombe atomique. Bienvenue dans la décadence de Babylone. Il faut vite se faire une raison : Babylon est un album expérimental. Ça joue du tuba et ça groove dans les marais. Avec «Glowin’», Mac ramène des sons d’entre les morts, les filles qui chantent sont vermoulues. C’est très spécial et même très louche. Il contrebalance son what I’m gonna do dans le weird, il fait l’étalage de toutes ses extravagances, son keep on est beau à mourir. Il monte son «Black Widow Spider» sur un monstrueux drive de basse et nous enferme dans une torpeur extraordinaire. Il invente le Big Atmospherix de la Nouvelle Orleans. Le son grouille de sonorités inconnues. Cet album fonctionne comme une initiation. Il nous présente ensuite la fille aux pieds nus, «Barefoot Lady», sur fond de groove carnavalesque. Il chante comme un dieu et les congas de Congo Square jouent le real deal. Il se fend le cœur rien qu’en chantant «Twilight Zone». Il travaille sa torpeur avec les filles. Comme le Jack Flowers de Peter Bogdanovitch, il travaille avec des filles dévouées. Mac fait un album anti-commercial. Puis des chœurs d’enfants sucrent «The Patriotic Flag Waver», alors Mac peut aller chanter sur Main Street. Il chante la good time music des jours heureux et plonge son groove dans les affres du free. Il n’en finit de ramener du free dans le son, et il n’est pas prêt de se calmer.

En 1992 paraît un autre album extraordinairement fastueux, Goin’ Back To New Orleans. C’est la suite de Gumbo, qu’on a salué dans le Part One. Dr John y célèbre une fois de plus l’histoire musicale de la Nouvelle Orleans. À commencer par le Carnaval avec «The Red Indian», - Only in New Orlean will you hear this kind of song - Fabuleuse énergie et trompettes mariachi. Mac fait son white nigger dans «Basin Street Blues» et nous plonge dans la mythologie du heavy groove. Il rend hommage à son mentor Professor Longhair avec «Fess Up» - Strickly a tribute ! Ticklin’ the ivories all the double note crossovers, all that good stuff - Puis il envoie un gros clin d’œil à Annie Laurie avec «Since I Fell For you» : heavy blues d’une sensualité hors d’âge. Mac éprouve un gros béguin pour Annie. Powerful ! Autre clin d’œil, cette fois à Fatsy avec «Goin’ Home Tomorrow». Mac rappelle que Walter Papoose Nelson joue de la guitare sur la version originale. C’est le son de Fats. Fantastique cover ! Mac se souvient aussi d’une conversion avec Horace Silver qui lui disait que le premier disque de blues qu’il entendit sur un jukebox en Nouvelle Angleterre était «Goin’ Home Tomorrow» - He thought it was a hip blues for that time. Things like that stick in your mind - Mac sort aussi une cover de «Blue Monday» et rappelle que l’original est de Smiley Lewis. Il profite aussi de l’occasion pour dire qu’à l’âge d’or de la Nouvelle Orleans, on jouait le junkie blues toute la nuit. Il rend ensuite hommage à Huey Piano Smith avec «Scald Dog Medley/ I Can’t Gon On» et salue ensuite Art Neville avec une fantastique version de «Goin’ Back To New Orleans». Il croasse son groove à la perfection - I mean we just walked in and nailed this sucker - Son «Litanie des Saints» flirte avec Le Temps Des Gitans. Avec «How Come My Dog Don’t Bark», il est encore plus royaliste que les blacks et il salue Leadbelly doing ‘double life’ in Angola avec une superbe version de «Good Night Irene». Il profite du coucou à Leadbelly pour saluer aussi James Baker qui pianotait ce truc avec ferveur.

Son autobiographie s’arrête au moment où paraît Television, en 1994. L’album est nettement moins hanté que Babylon et Goin’ Back To New Orleans. Mac s’entoure d’une nouvelle équipe et d’Hugh McCraken. Dans «Lissen», il recommande de fermer la télé, le walkman et le BEI - Turn down the MTV, learn to listen - Ça date. Aujourd’hui, il dirait : «Turn down the internet.» Le hit de l’album est une reprise de Sly Stone, «Thank You (Falletin Me Be Mice Elf Again)». Derrière lui, les filles sont géniales. Mac en fait une épaisse tranche de groove fumante de génie. L’autre coup de Jarnac est une reprise de «Money», le vieux hit de Berry Gordy. Mac en fait du gospel batch. Il fout le paquet et les filles font «That’s/ What I want !» Le reste de l’album est joué sur le même type de groove. On sent une volonté commerciale, d’ailleurs, la pochette est assez putassière. Dans «Witchy Red», Mac évoque un mojo satchel made of human skin et le chanteur des Red Hot Chili Peppers vient ruiner «Shut D Fonk Up». Plus loin, Mac chante «U Lie 2 Much» avec la voix d’un Ravaillac attaché aux quatre chevaux qui vont l’écarteler. La sincérité de son timbre ne trompe pas. Puis on l’entend sucer toutes les syllabes de «Same Day Service». Cet homme adore chanter ses chansons - Get me for less/ Every little bit u get/ It’s all correckkk - et les filles du gospel batch font le «Same day service» du cortège funèbre. Admirable !

L’année suivante paraît Afterglow. Sur la pochette, Mac semble serein, avec sa canne et sa commisération. Il chante au heavy groove de round it off. Le cut qui se détache du lot s’appelle «So Long». Mac nous régale d’un art définitif, une sorte de slow groove de rêve. Il pianote son «I Know What I’ve Got» au gras du bide, comme tout pépère qui se respecte, mais il amène de sacrés cuivres dans son chabrot. Soit tu quittes la table parce que tu n’apprécies pas le spectacle, soit tu t’aperçois que la tradition regorge d’une certaine forme de génie. C’est à toi de voir. Tu ne connais rien à la vie et tu dois faire face à tes responsabilités. Pendant ce temps, Mac sait exactement ce qu’il fait. Il fait couler une rivière de diamants sud-africains. Mac est très black dans l’esprit, très convaincu, anti-bonnet blanc et blanc bonnet. Il joue un «I’m Just A Lucky So-and-so» assez spectaculaire. De la même façon que Trane allait au Love Supreme, Mac passe au groove suprême avec «Blues Skies». Son «New York City Blues» flirte avec la classe intercontinentale du round midnite de Broadway. Il bouffe son chant comme on crève l’écran. Il chante comme un démon. Il mène le même combat que Leon Russell au soir de sa vie, il revient aux basics et enfile les chefs-d’œuvre comme des perles. C’est un album qu’on serre contre son cœur.

Il revient au boogaloo avec l’excellent Anutha Zone paru en 1998. On le croit calmé. Pas du tout ! «Ki Ya Gris Gris» renoue avec les torpeurs de Babylon, il ressort son vieux delirium, le son rôde dans le cimetière, les cris qu’on entend ne sont pas ceux des chouettes mais ceux des vampires. Mac murmure plus qu’il ne chante. On croit que c’est du boogaloo, mais non, c’est du vermoulu secoué aux percus africaines. Plus loin, il salue God au heavy beat de bienséance. Il monte «Hello God» en neige du Kilimandjaro et profite de l’occasion pour ramener les Edwin Hawkins Singers ! Clameur extraordinaire ! C’est l’un des hits les plus spectaculaires de Mac Rebennack. Seul un mec de la Nouvelle Orleans peut ramener autant de brebis égarées dans le giron de God. Keep on ! Et ça continue avec «John Gris», heavy groove des catacombes, mélange de xylo et de flûtes d’os. Ça pue le mystère ! Groove de la mort. Encore plus dévastateur : «I Like Keyoka», joué au sax de crocodile. Mac croasse dans les marais. Il fait sonner les clochettes des rattlesnakes. C’est épais et deep in the flesh. Il faut aussi saluer le morceau titre, une vraie merveille de heavy boogie joué à la meilleure connivence. Retour à la tradition avec «Sweet Home New Orleans» joué aux trompettes de rue. Il renoue avec la puissance inexorable du groove. Ce mec est très fort. Il allume son cataplasme à coups de yeah-oheh !

Changement complet de registre avec ce brillant hommage à Duke Ellington paru en 1999 : Duke Elegant. Les mecs qui accompagnent Mac sur cet album sont inconnus au bataillon. Album étonnant, car Mac va réussir à créer de la magie à partir de la magie existante. On entend un «I’m Gonna Go Fishin’» joué à la basse métallique, par exemple. Et ça frappe dur chez la mère tape-dur. Mac tape «It Don’t Mean A Thing» au croassement. Il semble écraser l’œuf du serpent. Il bâtit son pont des arts avec une maîtrise subliminale, il fait du gainsbourring de bonne bourre, à coups de rumble d’orgue. Ça groove dans les bas-flancs du brigantin. Il laisse le swing emporter «Perdido». Tout ce qui sort de Mac maque les mots et marque les mecs. Il shoote «Don’t Get Around Much Anymore» à l’insistance nasale. Il se régale et nous aussi. Des mecs sifflent et se fondent dans le groove downtown. Ça se termine en rap de South Side. Puis Mac descend dans les eaux profondes de «Solitude» pour pianoter comme Satie. Il chante de l’intérieur de l’âme. Il atteint à l’apanage de la nage. Il fait le choix du heavy funk pour «Thing’s Ain’t What They Used To Be» et tape «Caravan» au shuffle de petite surface. Dans son texte de présentation, Mac explique qu’il n’a rencontré Duke Ellington qu’une seule fois, sur un vol à destination de la Nouvelle Orleans. Il comprit immédiatement pourquoi on l’appelait Duke Elegant - The man was a mystic, chanting enchantments, and charming to the max - Puis il découvrit que ses musiciens s’habillaient comme des banquiers. Selon mac, Duke connaissait le secret de l’immortalité : «Write a bunch of tunes that people keep on singin’ and playin’.»

Retour au cimetière avec Creole Moon et sa pochette fantasmatique. Mac attaque cet album clé avec «You Swore», l’un des pire grooves de l’histoire du groove - Definitely the West African vibe - Authentic New Orleans sound. Bienvenue au paradis des enfers et les filles chantent à point nommé. C’est l’album des héros. Mac salue Art Blakey dans «In The Name Of You» et Fred Westley vient jouer du trombone dans «Food For Thot». Mac nous funke le shit de choc avec une invraisemblable énergie. Il sait se montrer aussi pugnace d’un black du ghetto. Ideal for cuising nous dit Mac de «Holdin’ Pattern» - Inner city rhythm, caribbean flourishes and shades of fonk inside it - Il bat tous les records atmosphériques. «Bruha Bembe» sent bon le cimetière. Mac fait rouler le Bembe africain. Quel shoot de boogaloo ! Aw come in down ! Encore un extraordinaire coup de love & potion amené à l’experiment extrême des crânes. Il co-write «Imitations Of Love» avec Doc Pomus - Written in 6/8 - Il songe à Ray Charles et à T Bone Walker. Eh oui, nous restons chez les géants. Il nous sert à la suite ce qu’il appelle un authentic raw New Orleans funk avec «Now That You Got Me» et passe au boléro de Charlie Parker avec le morceau titre. Aw Calypso ! Aw Trinitad ! Effarant ! Il swingue les îles. Il offre une conception très spectaculaire de l’exotica. Il affirme ensuite que sa mère est sortie de sa tombe pour lui chanter «Georgianna» - My bébé fais dodo/ My Georgianna - C’est son clin d’œil aux Cajuns. Il tape plus loin «Take What I Can Get» au guiding light spiritual church flavor - Sonny Landreth, the Cajun Santana, plays his part - Il a vraiment le chic des formules. Pour «Queen Of Old», il parle de jazzified flamenco. Cuba/Puerto Rico groove avec un mec à la trompette. Il termine avec «One 2 Am Too Many», a favorite of mine. Il a vraiment le groove dans le sang.

Voilà-t-y pas qu’en 2004 paraît l’un de ses meilleurs albums, N’awlinz Dis Dat Or D’udda ! Comme si c’était Dieu possible ! Il suffit pour s’en convaincre définitivement d’écouter «When The Saints Go Marching On», soutenu aux chœurs de morts vivants. C’est vibré à l’or de la mort, chanté au mieux des possibilités du gospel funéraire, avec la trompettes de Sidney Bechet dans l’écho du temps. Mac sublime le boogaloo de cimetière. Toute la mythologie de la Nouvelle Orleans est là, une fois encore. Mac reste dans le gospel avec «Lay My Burden Down». Il invite Mavis et Earl Palmer qui vient fouetter son snare. Il faut voir Mavis entrer dans la danse ! Elle swingue le heavy gospel de Mac, do like Jeusus et elle swingue son nobody à la folie. On grimpe encore d’un cran avec «Marie Laveau». Cyril Neville s’installe au piano et les Mardi Gras Indians fourbissent les bouquets de chœurs toxiques. Voodoo here we goo ! Mac chante les louanges de Marie Laveau, the Voodoo Queen of New Orleans. On entend les Werdell Quezergue Horns derrière, baby tout est si haut de gamme ! Ah ya ya ! Mac colmate les brèches de la réalité avec de la mousse de cimetière et les filles font chichakchichakchichak dans les ténèbres. Cette fois encore, ce démon de Mac bricole sa magie noire et frise le génie définitif. Nicholas Payton réveille ensuite le fantôme de Sidney Bechet avec «Dear Old Southland» et Mac revient au deep groove avec «Dis Dat Or D’Udda». Il sort pour l’occasion son baryton d’alligator, il croone dans le marigot, c’est effarant de tenue et de funky motion. On retrouve ensuite Earl Palmer dans «Chikee Le Pas». Mac fait appel à la crème de la crème du gratin dauphinois : en plus d’Earl on retrouve the Mardi Gras Indians et the Werdell Quezergue Horns. Im-bat-table ! Mac fouette sa crème de la crème. C’est encore une fois l’un des plus beaux albums de rock américain. L’hommage suivant va droit sur ce géant de la Nouvelle Orleans qui vient tout juste de disparaître, Dave Bartholomew, avec «The Monkey». Mac chauffe son Monkey comme Jimi Hendrix chauffait sa Foxy Lady. Randy Newman accompagne Mac sur «I Ate Up The Apple Tree», c’mon see about me ! Mac s’amuse avec sa voix de canard transmuté, on assiste à un duo de géants de la scène américaine. C’est une véritable merveille de classe et d’éclat. Snooks Eaglin et Willie Neslon rejoignent Mac sur «Ya Ain’t Such A Much». Que d’invités ! Que de son ! Snooks passe un solo au tiguili de shaking all over. Puis Mac revient avec «Life Is A One Way Ticket» au deep groove à la Bobbie Gentry. Il sait rocker le groove dans l’âme. Il sait cajoler la bête qui sommeille en nous. Il œuvre dans l’ombre du Grand Œuvre. Il n’en finit plus de ruisseler, mais ce sont des diamants. Il invite ensuite B.B. King et Clarence Gatemouth Brown à partager le festin de «Hen Layin’ Rooster». Quelle rooste ! Il n’existe rien de plus définitif en matière de groove. Mac réchauffe la terre entouré de ses amis, tous vétérans comme lui du Chitlin’ Circuit. Gate vient concasser des œufs pour l’omelette. Il faut reconnaître à Mac un talent fou d’instigateur. Son «Stakalee» n’est autre que Stagger Lee chanté à la décadence vermoulue. Hommage à Fess, boogie de rêve à la ramasse rebennackienne. Il invite ensuite Eddie Bo à partager le festin de «St James Infirmary» - I went down to the St James Infirmary down home - Il roule le texte sous sa langue et Eddie Bocage fait son apparition, ha ha ! C’est chanté au plus chaud de la matière. Ce disque est une espèce de carnet mondain de rêve. Tout ici n’est que luxe, calme et volupté.

Paru en 2005, Nex Hex - Nashville Sessions propose une belle série de classiques. Mac met le paquet sur le boogie de bastringue avec des choses comme «In The Night» - In the wee wee hours - et «Baldhead», vieux hit de Fess - Look at her/ She ain’t got no hair - Mac est plus jouissif que jamais. Il chante à l’accent tranchant et derrière, la fanfare de la Nouvelle Orleans s’emballe. Si on cherche du son, c’est là. Il chante ensuite «Whichever Way The Wind Blows» à l’épurée syllabique et enroule le groove autour de sa langue pour «Woman Is The Root Of All Evil». Version dévastatrice, salée aux cuivres. Il entraîne «Danger Zone» dans le giron de son groove spongieux et chante «Just Like A Miror» du haut de son heroin addiction. Il chante comme un dieu. Encore une merveille qui tombe du ciel avec «Helping Hand» qui vire en mode big heavy shuffle, oh helping hand ! C’est l’occasion de redire le génie de Mac Rebennack. Il tient son shit de choc par la barbichette. Il glisse le vieux «Tipitina» de Fess entre deux tranches pour en faire un sandwich magique. «Qualified» sonne comme l’un des plus beaux shuffles de l’histoire du rock et il ramène du rêve à la pelle avec «Mama Roux». Il réussit à recréer sa magie à Nashville, c’est un exploit. Il passe au heavy funk avec «A Quitter Never Wins». Une façon comme une autre de mettre les points sur les i. C’est même littéralement allumé de l’intérieur. Encore un album dont on sort épuisé mais ravi.

Avec Mercernary paru l’année suivante, Mac propose un choix de chansons de Johnny Mercer. Sur la pochette, il ressemble à un gangster. Avec «You Must Have Been A Beautiful Baby», Johnny Mercer rendait hommage à une femme délicate - Did your mama realize ? - Mac travaille son boogie au corps. Il jazze son groove. Le joyau de cet album s’appelle «Lazy Bones». Il le prend à l’éraillée et ça devient un blues de rêve. Il ne fait jamais les choses à moitié. Il plonge «Moon River» dans la décadence, il chante ça en biseau de croco. C’est de très haut niveau - My huckleberry sweet - Avec «I Ain’t No Johnny Mercer», Mac avoue qu’il n’est pas Johnny Mercer. Mais il tape ça au meilleur groove qui soit ici bas. Il atteint des sommets. On est dans l’excellence du night-clubbing. Il termine avec «Save The Bones For Henry James» joué au vieux jump de trombones. Mac est le roi du croak. Cet album renforce l’hypothèse d’un parallèle entre le prophète blanc (Mac) et le prophète black (Isaac). Il suffit d’écouter «Hit The Road To Dreamland» pour s’en convaincre. Mac drive son groove sous terre avec des accents chantants et crée de la proximité. Il chante aussi son «Dream» avec un appétit de croco affamé. Il va vers la lumière sur un beat de jump.

On retrouve pas mal de vieux coucous sur What Goes Around Comes Around. À commencer par «Tipitina», flamboyant et chanté au pire tranchant. Chant spongieux et décadent. On croit entendre un prince chanter. On revient aux racines de la Nouvelle Orleans avec «Mama Roux» qui sonne comme la bande son du bonheur parfait. On a tout là-dedans : l’emprise du swing, le radieux solaire, l’extrême fraîcheur du groove. Lookahere ! Voici «Qualified», véritable dégelée de son de Cadillac. Le rumble de la Nouvelle Orleans dégage les bronches. Mac chante à la pointe du progrès. Il passe au groove africain avec «Quitters Never Win». Pendant qu’il sort son meilleur tranchant, ça groove sec autour de lui. Et voilà le morceau titre, embarqué au bassmatic déconcerté. C’est une merveille de marche en crabe. Les filles le raclent vite fait avec des chœurs immondes, c’est en plus nappé de violons et donc doublement appétissant. Quelle incroyable vitalité du son ! Un son qui retombe sur ses pattes de manière inespérée. Tout ça pour dire qu’un album de Mac Rebennack se vit chaque fois comme une aventure. Il revient à son cher voodoo avec «Zu Zu Man» Les squelettes dansent dans le cimetière, sous la lune blafarde. Si on n’a encore jamais entendu un piano voodoo, il fait profiter de l’occasion. Mac pianote dans les ténèbres et croasse des choses inintelligibles. On le voit plus loin siphonner le groove de «Loser For You» avec ses dents de vampire. Il reprend aussi son vieux «Woman Is The Root Of All Evil» et chante «Bring Your Love» à la bonne aventure. Il pianote plus loin le junk de «Make Your Own Bed Well» et part en dérive. Il joue son round midnite aux coins cassés. C’est là que se fait la différence entre un mec comme Mac et MTV. Il ira pianoter à la folie junk dans l’âme d’un groove divinatoire, ce qui est quand même plus marrant qu’un clip sur MTV.

Le Trader John’s Crawfish Soiree paru en 2007 propose en fait deux albums, Trader John et Crawfish Soiree, tous deux bourrés à craquer de vieux classiques comme «Helping Hand» chanté au petit bonheur la chance, ou encore «Loser For You». Il y a quelque chose d’incroyablement chaleureux dans l’accent chantant de Mac, c’est d’ailleurs ça qui finit par le rendre tellement indispensable. Il chante toujours à la régalade d’homme repu. Comme si le groove suivait son petit bonhomme de chemin en père peinard sur la grand-mare des canards. Mac est génial, car avec «Loser For You» il va se prosterner aux pieds d’une pute - Two times loser/ Can’t help myself/ To come back to you - Il est en rut et brame à la gorge blanche. Il passe entre deux autres merveilles un instro de tous les diables, «One Night Late», véritable drive de monster wild, bassmatiqué au punch up de so far out. Il fait du big Mac avec un «I Pulled The Cover Off You Two Lovers» heavily pianoté. Tout le power est là, dans l’essence du rumble. Pas besoin de distorse. Avec «New Orleans», il envoie un coup de méthane dans le boyau de la mine et passe au heavy groove des enfers avec « The Ear Is On Strike». Admirable et gluant. Il revient à la goguette de bastringue avec «Just Like A Mirror» et devient une sorte de prince de la titube. On retrouve tous ces classiques sur Crawfish. Mais on ne s’en lasse pas. Tout est tellement pianoté dans l’âme. On retrouve ses grooves spongieux, ses coups de trompette, ses craquements de bois vermoulu et le poids du savoir, les cuivres de dixieland et les envoûtements, le shooo raaaah et le Zu Zu man, les pianotis dignes de Monk et la beauté déchirante de certains accents.

Au soir de sa vie, Mac mène le même combat que Tonton Leon, sauf que Tonton Leon n’est pas tombé dans le piège que lui tendaient les sirènes de la pseudo-modernité, ces petits mecs qui s’achètent une crédibilité à bon compte. Eh oui, Dan Auerbach produit Locked Down en 2012 et met son nom en gros sur la pochette. Alors qu’il n’a pas vécu le quart du centième de ce qu’a vécu Mac. On en est là. Même problème avec Mavis tombée dans les pattes de Jeff Tweedy qui met lui aussi son nom en gros sur les pochettes. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, le vieux Mac prend son heavy groove au timbre biseauté, ce timbre de nasal junk unique au monde - Locked down locked down/ Like a cornered cat/ What y’all know bout that ? - Mac n’en finit plus d’affirmer sa singularité. Il chante aussi son «Revolution» au pincé de nez, mais il force un peu trop sur le nasal, il s’est mis dans les pattes d’une prod putassière, tant pis pour lui. Il nous fait «Big Shot» en mode carnavalesque - Ain’t never gonna be no big shot like me - et passe à l’âge de glace avec «Ice Age». Trop de son pour le bon Doctor. Beaucoup trop. Limite hip-hop new-yorkais. Comme c’est tapé au heavy beat menaçant, il en rajoute une caisse. Mais l’impression du trop de son persiste. Un groove comme «Getaway» ne lui ressemble pas. Auerbach commet une fantastique erreur en chargeant la barque. Il fait du spectaculaire sur le dos d’un mec qui a fui le spectaculaire toute sa vie. Avec «Kingdom Of Izzness», on bascule dans l’horreur. Mac sonne comme une pop star et il n’a jamais voulu sonner comme une pop star. Voilà un kingdom drapé d’accords flamboyants, et Mac n’a jamais voulu d’accords flamboyants. C’est le monde à l’envers, on se retrouve confronté au problème du producteur qui impose un son à l’artiste, comme Tweedy l’a fait avec Mavis. C’est insupportable. Mais Mac est gentil, il se met dans un coin et attend de pouvoir continuer. Le désastre se poursuit avec «You Lie». On n’entend que la guitare d’Auerbach. Le pauvre Mac doit se débrouiller avec le m’as-tu-vu des Black Keys. Trop de guitare. C’est le contraire du New Orleans Sound. Mac parvient à sauver «My Children My Angels» - I wish I’d never made you blue - et il finit en chantant divinement «God’s Sure Good» - God don’t be guessin’/ He sure don’t - C’est admirable. Mais Auerbach ramène sa guitare, et un changement de rythme sauve le cul du cut, des chœurs de rêve et un drive de basse volent au secours de Mac qui sonne comme un Mac de rêve - God knows I’m OK.

Après les hommages à Johnny Mercer et à Duke Ellington, Mac rend en 2014 hommage à Louis Armstrong, aka Satchmo, avec Ske-Dat-De-Dat The Spirit Of Satch. C’est d’ailleurs son dernier album studio. Bien sûr, il démarre sur l’hymne à la vie, «What A Wonderful World», et fourbit une belle version de bastringue. C’est mené au doo-wopping de rêve. Oh la fantastique énergie des doo-woppers ! - What/ What a wonderful world ! - Chef d’œuvre du grand songbook d’Amérique. Ce sont les Blind Boys Of Alabama qui shootent l’or du temps et Nicholas Payton souffle dans sa trompette. Hallucinant ! On comprend alors qu’on est entré dans un très bel album. Mac passe à la funky motion avec «Mack The Knife», pulsion maximaliste, ça joue à contre-temps du syncopal. Un rapper vient rapper le Mack de Mac, c’mon gimme some more ! Mac shake son shook comme pas deux. Un Chicano nommé Telmary prend le lead sur «Tight Like This» et roule les r d’une belle espagnolade. C’est le kitsch à l’état le plus pur. Arturo Sandoval joue un solo de trompette merveilleusement épique, le cut se noie dans le kitsch mariachi et finit par exploser. Pure folie ! On passe au walking bass de Broadway avec «I’ve Got The World On A String». Bonnie Raitt vient duetter avec Mac, c’est le meeting des géants, ils chantent tous les deux à la viande crue, ils sont demented are go et écœurants de génie, affolants de niaque cabaretière. On assiste là à une sorte de consécration suprême, comme si ce duo légitimait toute l’histoire de l’industrie musicale. Mac la ramène pendant que Bonnie chante à pleine voix. L’affront du disk Auerbach est lavé. Nicholas Payton revient illuminer le heavy groove de «Gut Bucket Blues». Ces mecs dégagent autant que les pionniers du Dixieland. Un nommé Anthony Hamilton prend le micro sur «Sometimes I Feel Like A Motherless Child». Il est moins frénétique que Richie Heavens, dommage. Mac swingue ensuite «That’s My Home». Il joue la carte du velours et souffle de l’air chaud. Comme Walt Disney, il fait rêver les enfants. Il passe au gospel batch avec «Nobody Knows The Trouble I’ve Seen» et fait intervenir les McCrary Sisters et Ledisi. Ce sont des battantes. Les Blind Boys Of Alabama reviennent enflammer «Wrap Your Troubles In Dreams». Mac fend la bise et bat tous les records de morgue. Terence Blanchard joue de la trompette. C’est un fantastique album de Soul et de Spirit. Grâce à cette trompette New Orleans, on se paye une extraordinaire virée dans le son. Shemekia Copeland radine sa fraise pour «Sweet Hunk O’ Trash». On peut dire qu’elle chante son ass off. Mac lui donne la réplique. Il s’encanaille. L’album n’en finit plus de surprendre, avec tous ces rebondissements. Arturo Sandoval revient souffler dans sa trompette pour illuminer «Memories Of You». Mac sort sa meilleure voix de vieux croco, ses dents brillent à la lune. Bel hommage à Satchmo. Mac est sans doute le plus habilité des habilités.

Tout fan du bon Doctor doit impérativement s’offrir The Atco/Atlantic Singles 1968-1974, une compile parue en 2015. Car c’est du double concentré de tomate Rebennack. On groove délicieusement des hanches sur «Mama Roux», puis on savoure l’insidieux beat des tambours de Congo Square sur «I Walk On Gilded Splinters», un beat tellement épicé, tellement exotique, à la fois menaçant et moussu, une pure merveille d’exotica et il enchaîne avec le part two de Splinters, toujours hanté par les esprits africains. Mac les aide à dévorer les âmes de tous ces blancs cruels et avides. On reste dans la mythologie de la Nouvelle Orleans avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya», on descend dans l’œsophage de l’esclavage, avec les O’Jays de Ship Aloy, dans les soutes de ces voiliers qui ramenaient des cargaisons de chair humaine, et Mac invoque les esprits, il comprend cette violence inacceptable, c’est de ça dont parle son art, un art qui relève du génie politique, il rend un hommage bouleversant aux martyrs de la traite, l’horreur la plus noire. Mais comment les blancs pouvaient-ils s’imaginer qu’ils allaient s’en tirer à bon compte ? God ce n’est pas possible ! Heureusement, le serpent voodoo rôde et tue. Quelle dose de sortilège dans ce cut ! Et ça continue avec une fantastique leçon de boogaloo intitulée «Loop Garoo». Mac chante comme Fess, son mentor, et voilà «Iko Ikoo», véritable hit africain, joyeux et fêtard. Mac navigue dans les Sargasses de la magie. Il rend aussi un bel hommage à Huey Piano Smith avec «Huey Smith Boogie», énorme cut claqué des mains, et passe ensuite à Big Dix avec une reprise de «Wang Dang Doodle». Mac y retrouve le chemin de la viande, all nite long, et il sort pour l’occasion son meilleur accent canaille. Il a tout compris. On a en prime un fantastique solo de guitare. Tiens encore un hommage magique à Fess, avec «Big Chief», joué aux instruments africains. On y retrouve la foison du son magique de la Nouvelle Orleans, forcément. Mac swingue à outrance. Il hurle comme un beau diable dans «A Man Of Many Words» et revient au groove avec «Right Place Wrong Time» : il se glisse sous le vent du marais, il groove son truc avec l’énergie d’un punk des bas-fonds et il revient aussitôt après au bon vieux boogaloo avec «I Been Hoodood», un cut fait pour rôder la nuit dans les cimetières, bien battu aux congas de Congo Square. C’est un zombie groove de tous les diables. Il passe au groove de Cuba avec «Cold Cold Cold». Mac ne tape que dans le haut de gamme. Il est incapable d’enregistrer un navet. Il se permet même de jouer de la rumba oblique, de s’enfoncer dans la jungle avec «Life» et de chanter «(Everybody Wan Get Rich) Rite Away» avec une voix de vieux clochard. Quel héros !

Tant qu’on y est, on peut aussi rapatrier The Crazy Cajun Recordings, une compile parue en 1999. Comme Jerry Lee Lewis et Doug Sahm, Mac a fréquenté un temps Huey P. Meaux et ça donne des résultats pour le moins explosifs. Le premier coup de génie s’appelle «You Said It», vieux shoot de groove voodoo. Quand Mac envoya ses cohortes, Huey dut avoir la peur de sa vie. Comment peut-on résister à ça ? Impossible ! Autre coup de génie avec «The Ear Is On Strike», heavy groove d’orgue des catacombes. Prod superbe, avec l’orgue joué loin derrière pour ne pas gêner le chant. Huey a bien compris la nature concassée du génie de Mac. C’est en tous les cas ce que montre «Make Your Own», joué au piano de round midnite. Mac chante ça à la désespérance maximaliste. Son «Which Way» sonne assez punk, il y touille un brouet malsain, sans doute est-ce la raison pour laquelle Huey le respecte autant. Mac casse littéralement la gueule du rythme. Il chante comme un nègre sur «A Little Closer To My Home». Il rampe dans le groove et se révèle plus royaliste qu’un roi nègre. Sur «I Pulled The Cover Off You Two Lovers», il chante comme Van Morrison. On a là une sorte de Gloria à la sauce New Orleans. Par contre, il chante «The Time Had Come» à l’affliction, ou plus exactement à la compassion du laid-back concassé. Puis il prend «Woman» au groove de naseaux perçants. Mac n’en finit plus de chanter un rock fin et racé, comme brisé de mille cassures de rythme. Il sort aussi un «Go Ahead On» en mode boogie léger de la cheville. Il limite les défauts et les accentue en même temps. Il est le maître de son temps. C’est assez stupéfiant. Comme s’il faisait la pluie et le beau temps. Vous en connaissez beaucoup des artistes capables de faire la pluie et le beau temps ? Il revient ravaler la façade de «Chicky Wow Wow». Il n’y a que lui qui sache faire ça. Par sa prodigieuse disposition au génie foutraque, Mac échappe définitivement à la médiocrité. Puis on l’entend vers la fin taper sur son piano de bastringue pour donner à son «Doghouse Blues» la perfection du saumâtre des bas-fonds.

En 1973, Mac doit être au sommet de son art, car c’est ce que laisse entendre ce Lost Broadcast paru récemment sous le titre At The Ultrasonic Studios. New York 1973. Pas question de faire l’impasse sur une telle merveille, d’autant qu’il démarre avec son vieux «Loop Garoo». On se demande bien ce que les New-yorkais pouvaient comprendre à ça, à l’époque. Trop de modernité et trop d’exotisme. C’est gratté au boogaloo, ça grouille de puces. Mac chante la délinquance des rues, bien épaulé par Sugar Bear Welch qui envoie du wah et Robert Lee Popwell qui roule sa bosse sur sa basse. Le décor est planté. Ils traînent le groove dans la boue du limon. Ils jouent avec le power et le décousu du junk. C’est l’équivalent exotique du Velvet Underground. Mac reste dans le registre de la déglingue pour attaquer de front «I Walked On Guilded Splinters». Les reines de la ramasse l’accompagnent. Elles s’appellent Bobbie Montgomery et Jessie Smith. Elles poussent de cris de hutte et chargent l’ambiance à outrance. Elles battent tous les records de déglingue. Rien n’est en place et ça tient, feel a lot better, John Boudreaux bat à l’Africaine, il sort un fantastique groove tribal mal dégrossi. Si on aime l’exotica, on est servi. Et ça monte encore d’un cran avec «Danse Kalinda Ba Boom», mélange de shuffle d’orgue et de beat voodoo. Mac jive comme Jimmy Smith, il smack le smooth de Smith. Les filles chantent à l’orgasmique dévoyé. Il faut les entendre, elles sont tellement vulviques ! Ça jive tant qu’on se croirait dans le Graham Bond ORGANization. Solo de sax dans les dents du cut, le mec s’appelle Jerry Jummonville, c’est le Trane de la défonce. Ce Lost Broadcast permet de choper Dr John au sommet vivant de son art. Les gens applaudissent. Yah ! Mac lance «Hawk you music lovers !» d’une voix de héros jovial. Il passe à Fess avec «Stag-o-lee». Ça pue la classe à dix kilomètres à la ronde. On sent qu’il ne vit que pour ça, pour la classe du jive. Retour des folles sur «Life», un hit bâti sur un joli riff d’Allen Toussaint. Le riff remonte le groove à contre-courant. S’ensuit un r’n’b brassé dans la profondeur du son, «Put A Love Letter In Your Heart». Mac n’en finit plus de relancer et les deux folles battent tous les records d’excès. Elles sont en sueur et Mac les excite encore. Il chante dans sa barbe, comme Gargantua un jour de ripaille. Il prend «Tipitina» au pire perçant de chat perché. C’est convaincu d’avance. Toute l’équipe s’y met. Merveilleux gumbo fantasmatique ! En matière de groove, on ne fera jamais mieux. Mac pulvérise New York. Il attaque «I’ve Been Hoodooed» d’une voix d’outre-tombe, nous plonge dans la nuit gelée du cimetière et les filles roucoulent un hooodoooo de rêve. On ne rigole pas car Mac est très sérieux et tout est cuivré de frais. Il retient son «Such A Night» par la manche et revient à son cœur de métier avec «Right Place Wrong Time». Fantastique jungle jive, il swingue l’excellence à outrance. S’il faut écouter une version de Right Place, c’est celle-ci. Elle est écorchée vive. Mac et son gumbo explosent tout. Les filles n’en finissent plus d’allumer le feu. Mac fait aussi un méchant clin d’œil à Big Dix avec «Wang Dang Doodle». Il le prend par en-dessous, comme un alligator. Chicago descend dans le bayou, all nite long ! Impossible de décrocher d’une telle merveille. On pourrait dire la même chose de «Mama Roux». Il l’amène au mieux des possibilités du génie rebennackien. Il chante ça à l’avenant. Il ouvre un océan de beauté innervée, il sonne le tocsin du bonheur éternel. Et tu as les filles qui explosent. Avec «Qualified», Mac bat d’autres records, ceux de la délinquance funk.

Pour finir, on se remet un coup de Desitively Bonnaroo, car Mac est beau comme un prince sur la pochette. On l’écoute une fois encore shaker son butt d’une voix pincée. «Quitters Never Win» sonne big and fat, umh-umh-umh et derrière, tu as les Meters et Allen Toussaint. Que peux-tu espérer de mieux ? George Porter au bassmatic ? C’est gagné d’avance. Art Neville on keys ? Laisse tomber. Et Zingaboo au beurre ? Faut pas charrier. D’ailleurs le Porter des enfers vient hanter «Stealin’», puis «What Comes Around Goes Around». Le monde appartient à George Porter. Zigaboo se montre plus discret, il se contente de rôder dans le marigot du groove comme un alligator. Son cousin le croco blanc chante et il descend dans le meilleur lard du monde, down down down, suivi par des filles vulvaires. Mac crée des zones de non-droit extravagantes et du côté des Meters ça pouette à tire-larigot. On voit ensuite Mac naviguer dans une mer de chœurs géniaux. Le cut s’appelle «Me You Loveliness». Les Meters déroulent le tapis rouge pour «Let’s Make A Better World». On se trouve là au maximum des possibilités du son, les filles deviennent insalubres. Mac a beaucoup de chance de pouvoir groover dans ces eaux-là. Les filles allument le brasier de «Can’t Git Enuff» et Mac ramène sa vieille niaque de sorcier africain. Alors forcément, ça explose. Les filles jettent de l’huile sur le feu. Il passe au groove de la désaille avec «Go Tell The People», il barre en couille de génie, il heurte le récif avec un talent indescriptible. Il taille sa route de titube dans un groove extrême. Pur génie ! Il finit cet album sublime avec le morceau titre, une sorte de take it off de non-recevoir. Les filles le harcèlent et ça devient intéressant. Nous voilà dans le heavy Mac, celui qui ne la ramène pas. Les Meters plombent le son, au sens fort du terme. Le babe babebabe restera un modèle du genre. Mac chante ça tellement à la renverse qu’on tombe de la chaise.

Dans le Part One, on faisait un peu l’impasse sur cet album intimiste paru en 1989, In A Sentimental Mood. Son duo avec Ricky Lee Jones va tout seul sur l’île déserte. Mac joue «Makin’ Whoopee» au piano bar de bonne contenance et nous berce de langueurs monotones. Il chante à la puissance du ton mouillé. L’autre merveille de cet album s’appelle «My Buddy». Il y crée une fantastique atmosphère d’amitié. On peut lui faire confiance - My buddy nobody sounds so fine - Les rivières de diamants qui s’écoulent de son piano s’en vont se perdre dans les nappes de violons. Mac chante ici avec tout le charme d’un vieil Américain bourré de talent. Cet album est aussi délicat et fragile qu’un recueil de poèmes de Paul-Jean Toulet. C’est taillé dans le cristal d’une certaine intelligence. Il chante «Don’t Let The Sun Catch You Cryin’» à la beauté déchirante. Plus rien à voir avec le menu fretin de pop et de rock. Mac vise l’undergut de bassdown nappé de violons et y fait rouler ses rivières de diamants. Il songe sans y songer à l’éternité. Mac, c’est un peu l’histoire d’un blanc qui se prenait pour un nègre. Il fait d’ailleurs partie de ceux qui ont réussi leur coup. Par la nature viscérale de son art, il a réussi à échapper aux anecdotes. Ses fans héritent d’un énorme tas de disques somptueux.

Signé : Cazengler, Dr Jauni

Dr John. Babylon. Atco Records 1969

Dr John. Goin’ Back To New Orleans. Warner Bros Records 1992

Dr John. Television. GRP 1994

Dr John. Afterglow. Blue Thumb Records 1995

Dr John. Anutha Zone. EMI 1998

Dr John. Duke Elegant. Blue Note 1999

Dr John. Creole Moon. Parlophone 2001

Dr John. N’awlinz Dis Dat Or D’udda. EMI 2004

Dr John. Nex Hex - Nashville Sessions. Purple Pyramid 2005

Dr John. Mercernary. Parlophone 2006

Dr John. What Goes Around Comes Around. DBK Works 2006

Dr John. Trader John’s Crawfish Soiree. SPV GmbH 2007

Dr John. Locked Down. Nonesuch 2012

Dr John. Ske-Dat-De-Dat The Spirit Of Satch. Concord Records 2014

Dr John. The Atco/Atlantic Singles 1968-1974. Omnivore Recordings 2015

Dr John. The Crazy Cajun Recordings. Edsel Records 1999

Dr John. At The Ultrasonic Studios. New York 1973. Smokin’ 2013

Dr John.  Desitively Bonnaroo. Atco Records. 1974

Dr John.  In a sentimental Moon. Warner Bros. Records. 1989

Dr John (Mac Rebennack). Born Under A Hoodoo Moon. St Martin Press 1994

02 / 11 / 2019PARIS

QUARTIER GENERAL

K'PTAIN KIDD / ALICIA F / CHRIS THEPS

 

Soirée littéraire un peu spéciale ce soir, rendez-vous avec le féroce Capitaine Kidd qui finit pendu sur les quais de Londres mais dont Edgar Allan Poe a magnifié le trésor perdu dans sa nouvelle Le scarabée d'or. L'entrevue sera suivie d'une escale au wonderland afin de rencontrer la merveilleuse Alice. Tout cela en un seul lieu – on n'arrête pas le progrès - au Quartier Général, rempli à ras-bord, telle la panse d'un long horn qui aurait brouté toute l'herbe bleue du Kentucky en une seule et mémorable nuitée. Grosse affluence ce soir, Alicia F nous offre sa première apparition publique, mais aussi afin de fêter son anniversaire, une bolée de punch – un véritable bolet de Satan – à tous ces notoires assoiffés que comptent dans leurs rangs les différentes familles des rockers réunies pour cette grande kermesse rock'n'roll.

JOHNNY KIDD

Johnny Kidd fut un des pionniers du rock'n'roll anglais. Le seul qui fraya à jeu égal avec la deuxième vague du british rock, Stones, Yardbirds, Animals, mais la mauvaise roue du destin – celle aux dents cassées – lui joua un mauvais tour sur une route d'Angleterre en octobre 1966. Son souvenir et son équipage de Pirates auraient pu sombrer au rayon des pertes et profits, mais il n'en fut rien. Please don't touch et Shakin' All Over sont devenus des classiques du rock, sa manière exemplaire d'aborder le rock en sa nudité énergétique originaire – guitare, basse, batterie – ne fut jamais oubliée, servit même de signe de ralliement et de reconnaissance – les marins nomment cela des amers - à tous les réfractaires qui un jour ou l'autre se rendent compte que le volatile efflanqué du rock s'est quelque peu transformé en poularde graisseuse ou embourgeoisé en chapon opulent, alors ils lui volent dans les plumes, lui arrachent les rémiges faisandées, lui écarlatisent la crête d'un rouge ardent, lui aiguisent les ergots à la mode assassine, et la cérémonie voodooïque des égorgements peut recommencer. Le pubrock de Dr Feelgood lui doit beaucoup, et au travers de ce retour au source l'insoumission punk sut renouer avec la combustion et l'énergie primale indispensables à toute révolte.

En France, Tony Marlow grand admirateur de Johnny Kidd enregistra en les années désormais fastueuses de 2014 et 2015, sous le nom de K'ptain Kidd, deux Cds consacrés à l'œuvre du britannique chevreau malfaisant, Feelin' et More of the same, dument chroniqués in Kr'tnt ! – pour les collectionneurs il existe un vinyle du second. Je vous livre les noms de cet équipage initial de forbans : Tony Marlow à la guitare, Gilles Tournon à la basse, et Stéphane Mouflier aux drums.

K'PTAIN KIDD

Oubliez le Tony Marlow de la semaine dernière à L'Armony, ce n'est pas le plus le même, je ne parle pas de chemise blanche à manches évasées, Fred et Fredo ont revêtu pour leur part une marinière à bandes bleu pâle. Non, la guitare. Non, il ne l'a pas repeinte en vert olive ou en bleu turquoise. Il s'en sert différemment. Toujours la même aisance, mais elle sonne différemment. Plus court si j'ose dire. C'est la faute à Johnny Kidd et ses damnés Pirates, de jouer au plus près de l'os, de viser à l'efficacité de ne rien se laisser perdre dans l'hors-champ des harmoniques. Ici on ne rêve pas, pas de trêve entre deux riffs, c'est comme pour les haricots verts, vous coupez toute la partie gauche, et toute la partie droite, vous vous contentez du mini trognon qui reste dans votre menotte, à vous de savoir pimenter la soupe.

N'est pas tout seul pour commettre ses méfaits Tony, l'a les Freddies à sa gauche. Rien de plus dissemblable que ces deux boucaniers. Visez un peu la pose hiératique de Fred Kolinski derrière sa batterie. Portrait en majesté. Avec ses cheveux de satin cristallin qui retombent sur ses épaules, au casting d'une super-production il décrochera sans problème le rôle de Merlin. Mais pour une fois pas l'enchanteur. Si vous n'y prêtez pas trop attention, vous ne le verrez pas bouger, à peine s'il se penche légèrement, l'a chargé ses missi dominici de se farcir le gros du boulot. Ses avant-bras s'activent méchamment. Another break in the wall of sound. Voici Merlin le cogneur. Vous fait de ces tours de passe-passe ahurissant, vous n'y voyez que du bleu, mais vos oreilles entendent le galop. Vous scude les azimuts l'air de rien. Mais ce n'est pas tout, en plus, lui l'imperturbable, il se permet de sourire. Ce n'est pas qu'il se moque de votre effarement devant cette promptitude drummique, c'est simplement un pâle sourire de complicité narquoise adressé à Tony ou à son homonyme.

Le deuxième Fred, rendons-lui son identité, Frédéric Lherm. L'antithèse parfaite de maître Kolinski. Sourit sans arrêt. Le gars jovial. N'est pas venu sur scène pour faire du boudin. L'est là pour s'amuser. A part que quand il fait mumuse sur sa basse, ça fait mal. A lui tout seul, il fait presque autant de bruit que le reste de l'équipage, attention ni tonitruance, ni brouhaha, juste des coups de marteau – c'est son côté merlin à lui - qui vous enfoncent des tire-fonds de vingt centimètres de long qui vous consolident le coffrage de chaque morceau avec une dextérité sans égale.

Si vous vous faîtes du souci pour Tony escorté par ses deux véritables gibiers de potence, qui mériteraient d'être pendus à la grande vergue, c'est que vous ne connaissez pas le Marlou. Entre les thermiques poinçons lhermiques et les battements d'ailes kolinskéens, un guitariste normal pleurerait à chaudes larmes, se plaindrait d'être exilé au bout du monde, se muerait en Ovide le triste relégué au lointain pays des Scythes par la fureur d'Auguste, dans la nullité de cet espace que lui concèdent les deux affreux, vous n'y glisseriez pas une feuille de papier, Tony vous y fait entrer toute la partition. Entre la brute et le truand, c'est toujours le bon le juste et le beau qui colle ses balles en plein milieu de la cible nous a enseigné Platon. Ah! C'est sûr qu'il joue serré, qu'il prend les virages à la corde, qu'il se faufile entre les deux autres chevaliers de l'apocalypse comme l'anguille dans un panier de crabes monstrueux.

Si vous y croyez vraiment, c'est que vous êtes naïfs, s'entendent tous les trois comme larrons en foire, ont longuement étudié leur affaire, après les passages les plus carambolesques, les gymkhanas les plus excessifs, ils échangent des signes de complicité et de satisfaction évidents, car il est sûr qu'ils évoluent sur un trapèze volant sans filet. En plus le Marlou, c'est comme les funambules qui font leur exercice les yeux bandés, il a double peine – je voulais dire double joie, mais il faut savoir apitoyer le lecteur – car en plus de la lead il se charge du vocal. Et attention, ce soir ils doivent avoir un train à prendre car ils enchaînent les morceaux à la seconde près. Vous les passent à la moulinette survitaminisante. Les rois du rock n'attendent pas.

Faudrait les analyser un par un, ce Big blon' baby craché à la serpentine de tête de Méduse, la voix de Tony Marlou sinueuse comme route de montagne stoppée net au bord du précipice, ce Goin' back home grondant comme train fonçant dans un tunnel effondré, ce Please don't touch qui vous ne vous touche pas mais vous heurte en avalanche de rochers dont la chute se referme sur votre cadavre. Et puis ce Shakin' all over, que tout le monde attend depuis trop longtemps pour ne pas être une pure merveille. Il y a un siècle que la salle est entrée en transe. Je préfère ne pas vous parler. De toutes les manières, c'est fini, les portes du pénitencier de l'existence coutumière se referment sur vous, Tony se retourne vers son ampli, il esquisse déjà le geste de l'éteindre, mais il se ravise, et nous propose un dernier blues, le dénommé Chris Theps est prié de monter sur scène.

CHRIS THEPS

Si vous n'avez pas eu la chance d'avoir eu votre maison défoncée, écrasée, rasée, démolie détruite par une tornade, vous ne pouvez pas imaginer Chris Theps. C'est qu'il y a blues et blues, le sympathique chaloupé, idéal pour margouliner les filles, et puis l'autre, l'ondée dévastatrice qui vous réduit en miettes une plantation du Mississippi en moins de quatre minutes, un condensé de colère d'esclaves et de rage de petits blancs prolétaires. Chris Theps nous l'avons déjà aperçu au QG, lorsque les formations s'y prêtent, il vient dégoupiller une grenade, just for fun.

Chris Theps l'a tout pour lui. Une dégaine à faire peur. De celles auxquelles succombent les filles. Grand et habillé de noir, des anneaux aux oreilles qui lui filent une dégaine à le confondre avec Keith Richards, une allure stonienne plus vraie que nature, il ne suffit pas de rouler pour amasser la mousse du talent. Faut une voix. Ça tombe bien Chris Theps n'en a pas. A la place il a dû se faire greffer un rugissement. En trois minutes, l'a mis tout le monde à genoux. Ce n'est pas le blues qui est sorti de son gosier, mais tous les alligators des bayous qui sont venus faire un tour au QG. L'a vampirisé l'atmosphère, souriez les morts vivants sont parmi vous. Zoom sur les zombies.

Un organe à la Rod the Mod, une orgie d'orages, un barrage d'eau lourde qui se barre et vous atomise. Je ne me rappelle plus trop ce qu'il demandait à sa baby, mais à sa place j'aurais essayé de ne pas me faire remarquer, les blues les plus torrides sont les plus désespérés. Elle avait dû salement l'énerver, car le Chris l'a hurlé à la lune à la façon d'une meute de loups décidée à avaler ce gros cachet d'aspirine. Malgré ses vêtements noirs, l'a pris l'apparence d'un ours blanc en fureur qui d'un coup de patte vous décapsule le haut de l'igloo dans lequel vous aviez tenté de trouver refuge.

L'est descendu de scène sous un déluge d'ovations et s'est glissé dans la foule, suivi d'un respectueux et interrogatif murmure d'admiration. C'était Chris Theps.

ALICIA F

F comme fatidique. Car tout le monde n'était venu que pour elle. Le bouche-à-oreille. La rumeur. Une dizaine de prestations d'un, ou deux, ou trois morceaux à l'arrache au milieu d'un set de Tony Marlow, le truc qui accroche certes, mais ce soir, ce n'est plus l'exotique essai sympathique, mais la voici en vedette, vingt titres à la suite, ça passe ou ça casse. Elle est là immobile devant le micro, attendant que les trois marlous de K'ptain Kidd lancent les hostilités.

Plein de filles, venues soutenir, non pas une copine, mais une rockeuse capable d'en démontrer aux garçons. Plein de boys aussi, car le miel des abeilles sauvages possède cette intrinsèque propriété d'attirer les bourdons solitaires. Ballet de photographes subitement électrisés en paparazzi afin de fixer pour l'éphémère éternité des curiosités inquisitrices l'image d'une soirée sauvage d'Alicia F.

Tout près de nous dans ses noirs atours mais retranchée en elle-même dans son silence. Je m'accroche à cet inopportun pilier central qui devant la scène vous oblige à un strabisme divergent, je suis comme Ulysse attaché à son mât, qui attends le chant de la sirène. De noir vêtue, seule la double opaline nacrée du revers dénudé de ces seins, et ce mince bandeau de blancheur libre entrevue sous le haut des bas résillés jaillissant des bottes de cuir noir révèlent la vénusté royale des ardeurs de grande fervence, ceinturé d'une jarretière tatouée, imaginez échardes de barbelés ou ronciers impénétrables , qui attirent autant le regard qu'ils l'interdisent. Bras nus, colliers de griffes de jaspe noir, chaînes argentées, lèvres de sang encadrées de cheveux châtaignes qui oscillent entre rousseurs mordorées et pâleurs rutilantes de reflets purpuréens. Des yeux brillants, parfois elle les réduit à une fente noire de khôl cool, parfois elle les ouvre de cet air taquin irrésistible qui clignote en vous comme un appel et s'évapore aussitôt pour ne laisser entre vos mains que l'écume des songes vains.

C'est Tony Marlow qui déclare les hostilités après un dernier regard échangé avec les Freddies, Alicia lance son cri de guerre, Blietzkrieg Pop, akha talismanique et ramonique d'osmose émotionnelle avec le public. Derrière, l'on nous a changé le band. K'ptain Kidd s'est enfui en haute mer, le bang band d'Alicia c'est autre chose, un son beaucoup plus années soixante-dix, plus coulant, débordant de la baignoire et dévalant les escaliers des huit étages de l'immeuble tel un trouble torrent chargé d'alluvions fertiles. Tony a empoigné sa Gibson Flying V, elle lui permettra de nous régaler de ces soli fluides et sans fin qui brûlent votre âme – c'est ainsi que Thétis rendit son fils Achille presque immortel – derrière Kolinski métamorphose la rythmique en profondeurs caverneuses et Lherm vous éclabousse de lignes de basse hérissées d'hameçons pour la pêche au gros.

Alicia passe aux choses sérieuses. Désirs de femme et désagréments de femelle. I need a Man, une voix forte, et des gestes suggestifs, elle s'est rapprochée de Tony, touche à plusieurs reprises son corps, notamment les parties que l'on ne nomme point, le chant déboule sur vous comme la charge d'Alexandre à Cheronnée, une véritable rivière de sang, d'ailleurs la voici qui débarque dans Monthly Visitors – une compo d'Alicia, à la fin du set plusieurs personnes enthousiasmées et pas des moindres prétendront que ses six originaux furent les moments les plus forts du gig – ce jus qu'exhale le corps de la femme comme mangue trop mûre débordant de suc – Cicéron rappelle que le Consul Lentulus aimait à s'abreuver à ce nectar divin, toutefois nous noterons car il ne faut jamais regretter l'occasion de s'instruire que ce passage est rarement signalé à l'attention des collégiens latinistes. Et puisque l'on cause féminité – cette set-list a été concoctée avec une diabolicité toute alicienne – voici l'hymne féministe du rock'n'roll, le supersonique I love Rock'n'roll de Joan Jett, profitons-en – pendant que dans le public les filles deviennent hystériques – pour regarder bouger Alicia. Ne s'éloigne guère du micro, avez-vous déjà vu une princesse gesticuler comme un camelot à la foire, juste des poses, des arrêts brusques du corps figé pour une demi-moitié de poignée de secondes en une immobilité signifiante, une image fixe destinée à s'incruster dans vos prunelles, des engrammes encéphalogrammatiques de sorcière qui feront désormais partie de votre vision imaginale du monde, Alicia le bras tendu, Alicia le micro tenu des deux mains, Alicia subitement murée en son silence, avant de vous aguicher, à la commissure de ses lèvres, d'un surgissement de langue perverse. Une galerie de portraits.

Le morceau nous laisse sans souffle. Sans doute est-ce pour cela qu'elle enchaîne sur Breathless, ce qui est sûr c'est que question folie dure vous pouvez faire confiance à Jerry Lou, ici pas de pumpin' piano, Alicia le remplace aisément, elle a appuyé sur la touche tempête et son bang band à ses côtés s'en donne à cœur joie. Un peu comme si vous proposiez une bouteille de moonshine à un groupe d'alcooliques anonymes en manque. Ne soyons pas paranos, Alicia veut-elle vraiment nous entraîner dans une nuit de Walpurgis goethéenne avec Paranoid ? Je vous laisse débattre la question. J'ai mieux à faire, le meilleur titre du set City of broken dreams, une composition, désormais vous pouvez vous moquer des misérables incendies californiens et vous pisser dessus de rire en évoquant la forêt amazonienne en feu, mais après cette infamie torride quelle perle va-t-elle enfiler à ce chapelet diabolique, Fred Kolinski vous souffle la réponse, Eddie Cochran sauve la mise, Summertime Blues survient à la manière des sept plaies d'Egypte, à la différence près qu'en suppôt de Satan que vous êtes devenus, vous ne pouvez que que reprendre en chœur les fabuleux couplets de Sharon Sheeley.

Burn out dans mon pauvre cerveau carbonisé, je ne me souviens plus de Love is like a switchblade – puisque c'est Alicia qui l'a écrit, c'est sûr que c'est la vérité vraie – et de Cherry Bomb, coupé en deux par le premier titre et explosé en soixante dix mille neuf cent soixante trois confettis par le second – tout comme cet état second dans lequel elle a réduit l'assistance, cette fille c'est Le diable en personne, et le diable au corps en même temps pour cette version ligne-haute tension-langouro-kitch hyper-électrifiée de Shakin' all over. Juste une pensée émue pour Johnny Kidd et Vince Taylor.

J'avais cru qu'avec City of broken dreams l'on avait atteint le point acméique du show, mais dans la vie il ne faut pas croire, mais savoir ( penser c'est encore mieux, mais c'est plus difficile ), mais voici qu'avec My no-generation l'on gravit – à une vitesse folle – un autre Everest, deuxième preuve que la set-list enchaîne les titres comme les scènes d'une pièce se succèdent pour raconter par leur juxtaposition une histoire dont le sens est fortement guidé par le propos secret de l'auteur, nous abordons un point post-acnéique avec I'm eighteen d'Alice Cooper, l'homme qui accompagna Gene Vincent au festival de Toronto et qui glissait des boas vivants dans les culottes des filles.

Il y a longtemps que vous ne savez plus qui vous êtes dans les trépignations de la salle, Alicia l'avoue, elle ne reconnaît plus personne en Harley Davidson, elle creuse les reins et remue du cul, qu'elle frotte sur la croupe de Tony, la voici animale, chatte en chaleur qui ondule de plaisir sous les caresses et qui miaule pour obtenir la permission de courir les matous fous sur les toits en pente, le rock'n'roll a de toujours frayé avec l'obscénité et le grotesque des représentations humaines. C'est pour cela que nous l'aimons et que beaucoup le détestent. Il est des miroirs qui réfléchissent trop pour être compris. Comme l'on parle de félinité nous sauterons Hey You et California sun pour caresser le dernier titre composé par Alicia, dédié à Speed Rock son chat roux qu'elle a recueilli tout chaton, mort de froid et de faim, à la sortie d'un concert. Une belle flambée réconfortante qui vous permet de vous transformer chamaniquement en tigre altéré de sang. Immédiatement suivi d'I fought the law, une déclaration d'intention, Alicia nous déverse son modus vivendi sur les lisières philosophiques d'une liberté stirnérienne, selon sa seule volonté d'être uniquement ce c'est qu'elle est. Mais tout ce qu'elle est. Sans rien jeter. Sans rien cacher. En rock starter.

Déjà le rappel, Mercedez Benz et Road 66. Qui nous laissent sur notre faim de tigre non rassasié, alors un dernier cuissot de mammouth décongelé au lance-flamme, le truc le plus dangereux de la soirée, elle est comme cela Alicia, quand elle tire sa révérence, c'est avec un minimum d'insolence pour que vous la regrettiez encore plus. Après le tsunami qu'a été le set, après la violence, l'ironie mordante de Chuck Berry, son You never can tell qui sonne comme une rengaine populaire entachée d'une pernicieuse sagesse.

Alicia F a gagné son pari. L'aura cloué le bec à tous les coincés du cerveau qui suivent les modes sociétales et les injonctions étatiques. L'aura prouvé de façon exemplaire que le rock'n'roll reste un des rares chemins de survie, une piste ombreuse, qu'il faut avoir le courage d'affronter. Pour ne pas mourir d'inanition. La culture-rock est un plat qui se mange chaud-brûlant.

Damie Chad.

MISNAKE

JADES

( 2018 )

Toutes les filles sont des sorcières. Enfin, presque toutes. Du moins quelques unes. Les généralisations hâtives retirent l'âpreté du sel au goût des choses et des êtres vivants. Mais pour celles-ci je confirme. Je me porte garant. J'ai été témoin et il n'y avait pas de photographes dans la salle pour fixer le moment. Ils ont raté le cliché du siècle. C'était dans l'inter-set du concert au Chaudron – le lecteur curieux ou soucieux de se rafraîchir la mémoire se reportera à notre livraison 435 du 24 / 10 / 2019. L'on s'active sec pour installer le matos. Mais elles sont deux, isolées près d'un ampli, attentives aux dires d'un technicien qui leur serine je ne sais trop quoi. Elles sont de dos et de trois-quart, de longs vêtements, capes ou manteaux, enrobent leurs silhouettes découpées dans l'obscurité glauque et fuligineuse, de laquelle dépasse le manche de leur guitare, troublante ressemblance, deux sorcières évadées d'Harry Potter qui s'apprêtent à s'envoler sur leurs balais Parfois l'illusion de la réalité est plus véridique que les films.

Lindsay : vocal + bass / Taïphen : lead guitar / Cherry : rhythm guitar / Chloé : drums.

Misnake : un beau jeu de mots, titre éponyme de ce premier EP qui mélange l'idée de faute et de mauvais serpent. Que voulez-vous dans l'âme de toute jeune fille rôde le fantôme enviée de l'arrière- grand-mère qui la première a osé désobéir et goûter aux fruits de la chair et de la connaissance. Vous le jettent dès le début '' I'm a girl'' leur seule prétention. Un vocal qui se traîne comme un serpent qui ondule sur le sol, parce que voyez-vous ce sont les courbes qui vous permettent d'avancer droit. Un arrière-fond de chœurs aux tonalités curieusement aigre-douces. Une belle partie de guitare, la piqure du reptile n'est peut-être pas mortelle mais vous apprécierez la couleur de sa peau. Peut-être même laisserez-vous la sinueuse bestiole dormir au creux de votre lit. Méfiez-vous de même. Tout compte fait ce mamba inquiétant pourrait se révéler dangereux. Les serpents ne se lovent pas toujours comme l'espèce humaine. I don't care : n'y a pas que les serpents qu'il faut regarder avec suspicion, les filles doivent être traitées avec les mêmes précautions, pas toutes peut-être, mais les Jades oui. Certes au début vous décidez de les laisser crier tout à leur aise, tout compte fait leur colère n'ébranle pas le monde, mais quand Chloé commence à frapper avec ses baguettes, il commence à se passer quelque chose et dès lors quand elles vous tombent toutes les quatre sur le paletot, vous devenez pâles trop tard, ces maudites gamines faut les prendre au sérieux. The monster in me : ne venez pas dire que je ne vous avais pas avertis, elles ont le mal en elles, vous préviennent par une guitare moqueuse et une simili comptine psalmodiée en chœur, et quand Lindsay prend la parole z'avez l'impression qu'un alien menaçant parle par sa bouche. Je précise mes avertissements, les Jades, elles sont très fortes sur la fin des morceaux, Taïphen vous dégouline un solo à vous pousser au suicide et tant pis pour vous. Ready or not : z'avez intérêt à être prêts parce qu'il y a longtemps qu'elles ont quitté les starting blocks, un festival de grouillis de guitare rouillées comme l'on n'en fait plus. Cherry s'y met aussi et pousse Lindsay dans ses retranchements, Chloé vous crapahute un petit frappé tarabusté de bien belle manière, ce morceau est une mosaïque, chaque tesselle vous offre une surprise, elles vous ont aménagé le château de Barbe Bleue en petites chambres de torture douillettes que vous aurez du mal à quitter. D.E.A.D. : ça tombe bien parce que vous êtes déjà morts. Et ces sales sorcières vous pondent un riff joyeux comme un œuf d'hippopotame. Et la fête n'est pas terminée, vous entraînent dans une farandole avec paliers accélératifs, à la fin du morceau, vous devez sortir de votre cercueil. Et vous le regrettez, vous ne vous étiez jamais aussi bien portés. For rock'n'roll : mais comme c'est pour le rock'n'roll vous consentez à les suivre. Incroyable mais vrai, il leur reste encore assez d'énergie pour balancer un maximum, chantent toutes en chœur et vous découpent avec le chalumeau des guitares. En plus votre mine déconfite d'autruche qui vient de pondre une tour eiffel en tôle ondulée les fait rire. Aux éclats.

Une galette qui disparaîtra de votre étagère. Allez faire un tour dans les affaires de votre petite sœur ou de votre progéniture genrée au féminin. Sûr que ce sont elles qui vous l'ont chouravée. Confisquez-la leur sur l'heure, sinon elles subiront une très triste influence. Elles finiront rockeuses. Un très mauvais exemple. Votre appartement deviendra un nid de sorcières, c'est comme cela que Jades a commencé.

 

La musique c'est bien, mais la synesthésie c'est mieux. Quoi de plus affriolant que les arts s'interpénètrent. Jades s'est donc engagé en un nouveau projet, une BD un comic-book dessiné par Thomas Healstone Moreaux, qui est aussi guitariste et vocaliste de The Warm Lair. C'est une oeuvre en progrès, une souscription est à votre disposition sur Ulule ( rockpleaser_jades ), nous en reparlerons à sa parution.

Damie Chad.

NINETEEN

RED HOT RIOT

( 2019 )

 

Scotty : double bass / Ricky : Vocals and guitars / Kane : drums

Le titre indique leur âge. Idéal pour faire preuve d'énergie parce que Corneille l'a dit : aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années. Nous les avions vus à la Comedia nous avaient fait une intraveineuse à réveiller un éléphant mort. Tout cela est raconté dans notre 436 ° livraison du 31 / 10 / 2019.

 

Life you get : ne respirez plus vous êtes tombés dans un trou de l'espace-temps, dans une party comme les jeunes s'en offraient dans les années cinquante, vous avez une guitare qui mord le moindre riff qui passe à sa portée et vous le secoue comme le chien qui ne veut pas lâcher la jambe de votre pantalon, ensuite pour faire taire ( vainement ) les chantonnements ironiques des chœurs, Ricky entreprend de fendre les bûches à coups d'un solo de cliquetis étourdissant qui vous réduit un tronc de séquoia en planchettes de dix centimètres de long sur cinq de large. Quand la jeunesse s'amuse, c'est du n'importe quoi. Oui mais c'est ce que l'on aime. This boy is having a nightmare : l'on n'a jamais dit à Scotty que l'on ne tapait pas sur une double bass pour la réduire en poudre, et comme derrière Kane drumise comme un sourd, n'y a plus pour Ricky qu'à tailler sa guitare en pointe et puis de s'amuser avec sa voix pour encourager ses copains à se surpasser. Ce qu'ils font sans problème. Street lights ( Hey Hey Hey ) : cette fois le vocal de Ricky est mixé devant, juste pour faire croire qu'ils sont sages et bien élevés, mais il n'en est rien, ça les démange et à chaque appel Hey Hey Hey ils vous flanquent des ces rafales instrumentales comme d'autres coulent une bielle exprès pour exploser le moteur de leur voiture. Modern age : tiens ils donnent dans le musical. La guitare ronronne comme une panthère qui s'apprête à dévorer un yack sur les pentes neigeuses de l' Annapurna alors les gars s'amusent à jouer avec les échos de la montagne, Ho ! Ho ! Ho ! crient-ils à gorge déployée, et ce qui doit arriver arrive : déclenchent une avalanche qui emporte tout. Vous avec. Walking the dog : après la grosse bêtise précédente, ils essaient de se comporter en garçons sages qui promènent le chien chaque soir. Hélas, la maudit bâtard s'enfuit pour rattraper une guitare qui court plus vite que lui. Cela se termine brusquement, en le poursuivant ils ont renversé une vieille mémé qui est allée rouler sous les roues d'un bus qui passait fort inopinément par là. Pas grave, ils se dépêchent de rentrer à la maison pour faire leurs devoirs. Pas vus, pas pris. Peggy : surtout que la jeune Peggy attire maintenant leur attention. Pendant qu'ils lui font du gringue réfléchissons à l'effet produit par leur musique. C'est simple vous prenez un disque de Gene Vincent avec les Blue Caps d'origine et au lieu de le passer en 45 tours vous adaptez un démultiplicateur sur votre bécane. A cinq cent soixante trois tours / minutes, indexés sur les tables de de Pythagore vous obtenez exactement le son du Red Hot Trio. Evidemment c'est du pur haché, la guitare de Gallup monte et descend en dents vertigineuses de scie sauteuses, et le pauvre Dickie supprime les espaces entre chaque battement. Excellemment jouissif. Vous fait vibrer encore plus que le sexe de Peggy.

Damie Chad.

 

BURNING HOUSE

HOWLIN' JAWS

( BMCD006 / 2018 )

Baptiste Léon : drums, backing vocals / Lucas Humbert : guitar, backing vocals / Djivan Abkarian : double bass, lead vocal / + Keyboards : Camille Bazbaz.

Belle pochette. Artwork de VanGogo, photos de Mauro Fiorito. Recto : les Howlin, dans un paysage urbain quelconque, style hall d'aéroport. Perdus dans la vastitude déshumanisante du monde moderne. Au verso, les voici tous trois regroupés, seuls contre le monde entier. Et sur le disque ne subsistent que trois ombres aiguisées comme la flèche du cruel Zénon. Qu'advient-il de notre présence au monde. Y sommes-nous seulement présents, ou n'avons nous fait que semblant d'y passer.

Oh well : sonne plus anglais que les british-pop d'aujourd'hui. Un feu d'artifice, ne pensent pas à ce que le morceau qu'ils sont en en train de jouer peut leur apporter, mais à ceux que chacun se doit de lui apporter. Z'ont compris le message, à chaque fois lui insuffler le maximum d'énergie. La quote-part du lion et le zèbre sera dévoré sabots compris, chacun y va de son petit solo pendant que les autres tronçonnent le tronc des arbres de l'allée de la bienséance. Un gros reproche toutefois, ils terminent trop vite, vous laissent le quai sans même agiter un mouchoir et pour réparer cette erreur démentielle, vous êtes obligé de le remettre trente fois de suite. Burning house : ont entendu le reproche, ce coup-ci ils font gaffe, y vont tout doux. Vous tapent un blues. Pour l'envoyer au cimetière des éléphants. Plus macabre que cela ce n'est pas possible puisque les cadavres ne peuvent pas mourir. Le Djivan n'y va pas de main morte, vous pousse des hurlements à réveiller un maccabée, mais celui-ci doit être sourd, Lucas est obligé de lui trépaner les oreilles avec un solo-killer, quant à Baptiste depuis le tout début il s'adonne à la marche funèbre. Ils ont tué le blues, et tout le monde s'en fout. Mais cela par chez nous c'est le lot des novateurs. Pour le blues, ne paniquez pas, il en a vu d'autres. You got it all wrong : z'ont repris du poil de la bête même qu'à la fin ils sonnent la cloche qui annonce l'imminence finale des naufrages. Mais avant cela surfez sur ces friselis de basse, profitent de votre béate admiration pour jeter quelques meubles par la fenêtre. Une manière de faire le ménage que vous devriez adopter chez vous quand tout va mal. Cela ne peut que vous faire du bien. She's gone : Elle est partie, c'est très bien, une merveilleuse occasion pour Baptiste de mixer sa batterie tout devant, et de vous triturer un kaotic-drumin' comme vous n'en avez jamais entendu. Du coup Lucas vous sort un truc de derrière les fagots, l'a la guitare qui pleure des larmes de crocodile tout en miaulant en même temps, essayez chez vous, vous m'en direz des nouvelles, en plus vous avez Dlivan qui essaie de planter son vocal au premier plan, un peu comme ces arbres de la liberté ( ou la mort ) que l'on dressait aux premiers temps de la révolution. Tant de bruit pour une fille, est-ce vraiment sérieux. Pas du tout, la preuve elle est partie car elle n'a pas supporté. Three days : cela sent un peu son Chuck Berry, qui s'en plaindrait, surtout que les Howlin' ils inspirent de l'admiration et de l'énergie davantage qu'ils ne s'inspirent, au début ils restent dans les canons étroits de la tradition, mais c'est juste pour vous faire comprendre comment ils la dynamitent. En plus ils allient absolue nouveauté et total respect. Combien sont-ils capables d'intuiter de telles trouvailles aujourd'hui. I'm mad : près des Them pour le background instrumental, et des Animals pour le traitement des voix, et leur guitare grondante et pétaradante sur Bo Diddley. Un petit chef-d'oeuvre qui revisite l'histoire du rock anglais. Encore une fois trop court. Un bijou. De l'or pur, pas de la pacotille.

Des jeunes groupes actuels les Howlin'Jaws sont ceux qui se sont aventurés le plus loin. Possèdent une qualité que beaucoup n'ont pas. Ils sont créatifs. N'enregistrent que de l'essentiel, tournent un max, apportent du nouveau.

Damie Chad.

30/10/2019

KR'TNT ! 436 : ANDRE WILLIAMS / MICK HARVEY / ROCKABILLY GENERATION NEWS / AMN'ZIK / HOWLIN JAWS / IDHAÏ ÔM / REDHOT TRIO / THE RED RIDING / TONY MARLOW

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 436

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

31 / 10 / 2019

 

ANDRE WILLIAMS / MICK HARVEY

ROCKABILLY GENERATION NEWS 

AMN'ZIK/ HOWLIN' JAWS 

IDHAÏ ÔM / REDHOT TRIO

THE RED RIDING / TONY MARLOW

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Dédé la praline - Part Two

De tous les grands artistes noirs des Amériques, Andre Williams est l’un des rares qui ait su opérer ce qu’on pourrait appeler le cross-over. Il laisse à la postérité une œuvre complète qui couvre avec un égal bonheur le R&B, le doo-wop, la country, la Soul et le garage. Quelle que fut l’époque, Andre Williams sut rester hot et tous ceux qui eurent le privilège de le voir sur scène gardent de ses shows un souvenir lumineux. Il sut se montrer aussi charismatique que Screamin’ Jay Hawkins, aussi singulier que Captain Beefheart, aussi décisif que Mick Collins avec lequel il s’entendait d’ailleurs très bien.

Andre Williams parle très bien de lui dans un long texte intitulé «The true story of Andre Williams in his own words». Il explique par exemple que depuis sa plus tendre enfance, il a appris à se protéger du bullshit - I’ve always been clever and knew how to stay out of bullshit - Il est en partie élevé par son grand-père en Alabama puis il rejoint son père qui travaille dans une aciérie de Chicago. Pour éviter la maison de correction, il s’engage dans la Navy à 15 ans en se faisant passer pour son frère, et quand l’arnaque est découverte, il passe en cour martiale et se prend dans la barbe une pige de pénitencier. Il débarque ensuite à Detroit, invité par un copain de la Navy et tombe par hasard sur un Talent Show. Il s’inscrit et gagne le concours. C’est là qu’il devient Mr Rhythm et qu’il signe un contrat avec Fortune Records en 1955, à l’âge de 19 ans. Il enregistre son premier Fortune single, «Going Down To Tijuana», en hommage aux Coasters qu’il admire. Les patrons de Fortune aiment bien Dédé - They were always very good to me - Et puis bien sûr, il y a Nolan Strong - Nolan Strong was The Motherfucker, man - et il ajoute : «If there was no Nolan there wouldn’t be no Smokey Robinson, no basic Detroit sound.» Il dit qu’il aimerait bien pouvoir chanter «The Way You Dog Me Around», mais c’est trop haut. Il réussira quand même à la chanter sur son dernier album, Don’t Ever Give Up.

S’il fallait choisir un album dans sa discographie, ça pourrait bien être le fameux Silky enregistré en 1998 avec Mick Collins et Dan Kroha, un album qu’on appelle aussi l’album de la main au cul. Retournez la pochette et vous tomberez sur un Dédé la praline souriant, sapé comme un milord, et c’est ce mec qu’on prendrait pour un crooner qui va sonner les cloches du pauvre Detroit Sound qui ne demandait rien à personne, bing bong, et ce dès l’effarance métallique d’«Agile Mobile & Hostile». Mick Collins y taille des tortillettes dans la matière du groove, et tenez-vous bien, ce fabuleux drive est monté sur un simple riff garage. On reste l’effervescence maximaliste avec «I Wanna Be Your Favorite Pair Of Pajamas», tout aussi vivace et coriace, très toxique. On peut dire de Dédé et de Mick Collins que les deux font la paire. Le troisième coup de Jarnac silky se trouve en B : «Car With The Star». On croirait entendre les Gories, derrière ça joue un peu comme Chuck, à la grosse attaque. Quelle belle leçon de maintien ! Franchement Dédé ne saurait imaginer de meilleur backing-band. N’oublions pas l’excellent «Bring Me Back My Car Unstripped» quasi battu aux tambours du Bronx. Forcément, ça sonne encore comme un cut des Gories. C’est aussi sur cet album qu’on trouve le fameux «Let Me Put It In» d’un niveau égal aux grandes heures de Screamin’ Jay Hawkins. Baby, baby ! Dédé met le paquet, il explose de désir orgasmique en mille morceaux.

L’autre grand album classique d’Andre Williams est bien sûr Black Godfather paru en l’an 2000. Quel album ! Il va tout seul sur l’île déserte. Toute la crème de la crème du gratin dauphinois s’est invitée sur cet album, à commencer par Jon Spencer qui fait l’intro et qui embraye sur le morceau titre - Andre Williams ! Godfather ! - Les trois JSBX scandent Godfather sur un énorme groove urbain et Jon Spencer passe un coup de vrille histoire de créer un peu d’hystérie. Mick Collins est aussi de la partie, cette fois avec les Dirtbombs. Véritable coup de génie que ce «Watcha Gonna Do» - I sure did love you - et soudain Mick Collins part en vrille de fuzz ultraïque. Les Dirtbombs resteront les rois de la clameur sonique jusqu’à la fin des temps. On assiste à une violente montée de fièvre, ce diable de Dédé sait rocker l’os du genou. On retrouve les Dirtbombs en B sur «You Got It And I Want It», un vieux hit du Dédé d’avant. Quelle pétaudière ! Pat Pantano bat ça comme plâtre. On peut dire qu’à Detroit ils savent battre. Et Dédé se jette dans la bataille avec un héroïsme surnaturel. L’autre hit du disk est le fameux «The Dealer The Peeler And The Stealer». Ce sont les Compulsive Gamblers qui accompagnent Dédé sur ce coup-là - Just take my money honey - Jack et Greg montent un coup de transe hypno qui va rester dans les annales. La quatrième équipe invitée sur cet album, ce sont les Countdowns de Brian Waters qui deviendront plus tard Flash Express. Ils accompagnent Dédé sur l’excellent «Freak Blues» joué à l’extrême intensité du beat palpitant, ça pulse au long cours et soudain ça explose avec un Dédé qui part comme une fusée, alors que Steve McKay passe un solo de free digne de «Fun House». Brian Waters monte aussi un coup extraordinaire de fast groove dans «Montana Slim» - Well here is a guy way down Montana - Dédé part en jive et le solo de Brian Waters sonne comme un solo de kazoo. Dédé finit son cut à la folie pure, au chat perché explosif. À l’époque, il a traumatisé pas mal de gens avec cet album.

Les deux autres albums d’Andre Williams absolument indispensables sont Red Dirt et Bait And Switch. Red Dirt, car c’est l’album d’une certaine ‘nostalgie’, celle d’un temps où Dédé bambin voyageait à bord du camion qui l’emmenait et qui le ramenait des champs. Gamin, il vivait en Alabama et travaillait aux champs, comme des centaines de milliers d’autres petits nègres de sa génération - I was born in Bessemer, Alabama, so I have never had it easy, but thanks to Hank Williams, Waylon Jennings, Patsy Cline, Hank Snow and other great recording artists, I was able to survive the hot sun. (...) I love country music and will always keep it in my heart - Il tape «Weapons Of Mass Destruction» sur un groove à la Dealer, mais dans un environnement country et finit au joli chat perché de la désaille. Sur cet album, il est accompagné par les excellents Sadies. «I’m An Old Man» sonne comme un gros shoot d’Americana joué dans une ambiance de saloon. Le «Psycho» qu’on trouve ici n’est pas celui des Sonics, mais un fantastique balladif d’ambiance Sady - Oh mama/ Why don’t you wkae up - Il termine avec l’excellent «My Sister Stole My Woman» et les Sadies chargent la barque, on peut leur faire confiance. C’est aussi sur cet album qu’on trouve une magistrale version de «Busted» popularisé par Ray Charles dans le monde et par Schmoll en France. Dédé lui administre un shoot de grosse intensité dramatique.

Bait And Switch, c’est le versant Norton d’Andre Williams, un label qui non seulement défendait ses artistes comme certains libraires défendent des auteurs, mais qui s’est aussi arrangé pour que ces albums - ceux d’Andre Williams comme ceux d’Hazil Adkins ou de Rudy Ray Moore - deviennent légendaires. L’album grouille littéralement d’énormités à commencer par le «Detroit Michigan» d’ouverture de bal. Matt Verta-Ray gratte sa gratte et derrière Dédé, les Four Dollars swinguent de doo du wop. Stupéfiant ! Il duette ensuite avec Rudy Ray Moore sur «I Ain’t Guilty». C’est le duo mythique de Norton. En B, on en trouve un autre : Dédé et Ronnie Spector qui swinguent le vieux «It’s Gonna Work Out Fine» d’Ike Turner. Hit idéal, et d’autant plus idéal qu’il est servi par deux des interprètes les plus âprement géniaux de leur temps. Tiens encore un duo d’enfer avec the Mighty Hannibal pour «Put That Skillet Away». Admirable balladif saxé de frais et joué avec la pire des nonchalances. C’est Marcus The Carcass, le bassman des A-Bones, qu’on entend chevaucher le dragon de «Sting It Bang It And Give It Cab Fare Home». Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car Robert Quine fait son apparition dans «Head First». Tous ces invités prestigieux finissent par donner à Bait And Switch un aspect surréaliste.

Norton avait déjà commencé à tenter le diable avec Greasy, l’album de la résurrection d’un Dédé qu’on croyait définitivement perdu, car il était à la rue. On tenait à l’époque cet album pour mythique, rien que par la présence de Dick Taylor. On l’entend riffer derrière Dédé dans «Daddy Rolling Stone». C’est un peu comme si on entendait deux mauvaises graines monter un coup. Le vieux Dick refait des siennes dans «Back To Tijuana». Il s’y fend d’un beau solo et gratte des accords à la tagada mexicana. Dédé renoue avec son vieux doo-wop dans «I’m So High». Les El Dorados swinguent bien le bop. En B, Dédé s’en va faire son Screamin’ Jay Hawkins avec «The Bells», ça se termine en mode doo-wop avec des cloches. En prime, Dédé chiale comme une madeleine. Il nous swingue ensuite un groove de comedy act intitulé «Mother Fuyer». Il chante ça du coin de la bouche avec une chaleur virile de vieux séducteur. Quel artiste ! Puis il passe naturellement au heavy blues saturé d’harmo avec «Put A Chain On It» et Dick Taylor rehausse le tout d’un très beau solo. On appelle ça une conjonction de talents. En fin de cut, Dédé s’énerve à coups de shit your mouth. Il n’a rien perdu de sa vigueur. D’ailleurs, on voit sur la photo de pochette qu’il rayonne de bonne santé.

L’autre grand label défendeur d’Andre Williams, c’est Bloodshot, basé à Chicago. Disons que Can You Deal With It ?, That’s All I Need, Hoods And Shades et I Wanna Go Back To Detroit City constituent la période ‘classique’ d’Andre Williams. Ces quatre albums correspondent en gros à la période où Dédé tournait pas mal en France. Des quatre, le Can You Deal With It ? enregistré à la Nouvelle Orleans est le plus dense. On y retrouve Monsieur Quintron à l’orgue. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, big Dédé pique l’une de ces belles crises de power surge dont il a le secret et une certaine Romana King envoie les yeah ! Il fait ensuit un joli duo avec elle et ça donne un très beau groove de la Nouvelle Orleans digne de Marie Lavaux. Avec «Pray For Your Daughter», Dédé nous propose un joli singalong de bon aloi graissé aux renvois de chœurs à la ramasse de la rascasse. Cet album est littéralement hanté par des riffs d’orgue. Nouveau coup de power surnaturel dans «If You Leave Me». En fin de B, deux autres grooves magiques guettent l’imprudent voyageur : «Your Woman» doté du pulsatif africain de la Cité de la Mort, et «Can’t Take ‘Em Off». Le groove magique lui va à ravir.

Les trois autres albums Bloodshot ont pour particularité d’être produits par Matthew Smith, le mec d’Outrageous Cherry qui produisit Nathaniel Mayer à la fin de sa vie. Sur That’s All I Need, on croise aussi des gens comme Dennis Coffey et Troy Gregory. Pas étonnant qu’un cut comme «America» sonne comme un classique du Detroit Sound. «Just Call Me» rappelle le «White Dress» de Nathaniel Mayer. Pas surprenant, car c’est un son typique de Matthew Smith. Excellent groove de Call me babe. Mais tous les cuts ne sont pas forcément renversants. Le morceau titre qui ouvre le bal de la B est une sorte de confession. Dédé avoue qu’il n’a pas besoin de grand chose, au fond - I don’t need much - Il lui suffit juste de garder la tête hors de l’eau - Just one step abve poverty/ Just enough to survive - C’est un album très intimiste, en vérité. On sent une sorte de proximité. Il fait un peu de funk avec «There Ain’t No Such Thing As Good Dope» et termine avec les confessions d’«Amends» - I love my gal ?/ No no no...

On retrouve quasiment le même son sur Hoods And Shades. Jim Diamond et Dennis Coffey jouent sur l’excellent «Dirt». Coffey passe un solo d’acou qui laisse coi. Ces deux grands guitaristes de Detroit que sont Coffey et Smith se partagent le gâteau. Derrière Dédé, ça joue plus que de raison. Sacré coup de funky business que cet «I’ve Got Money On My Mind» co-écrit par Dennis Coffey. On sent bien le vétéran de toutes les guerres à l’œuvre dans ces descentes de paliers superbes. On a même un morceau titre joué au groove d’acou, très ambiancier. En B, on trouve deux hommages : à Tony Joe White» avec «Mojo Hannah» et à Swamp Dogg avec «Swamp Dogg’s Hot Spot», mais rien n’est moins sûr, car Dédé nous rappe l’histoire d’un Swamp Dogg qui n’est pas forcément celui qu’on croit.

On note aussi que les albums Bloodshot sont beaucoup moins denses que ceux de la période Norton ou In The Red. Dan Kroha refait son apparition sur I Wanna Go Back To Detroit City. Sweet et Kroha tapent «Times» au slow groove de Detroit, sans fournir le moindre effort. Dédé fait son boogaloo avec «Meet Me At The Graveyard». Oui, ça sent un peu la fin. Cet album est en fait l’avant dernier de sa longue carrière. Le seul cut qui sort du lot est celui qui ouvre la B, «Detroit (I’m So Glad I Stayed)». Dédé screame à la voix blanche sur un admirable retour de stomp. Derrière, tout le monde fait les chœurs. On sent une grosse ambiance compatissante. C’est le dernier raout du vieux Dédé. Il règle ses comptes dans «Hall Of Fame» - I’ve spent time in jail/ I’ll never be invited in the Hall of Fame/ But still consider myself a winner - Et il ajoute le bouleversant «And this coming from the heart of Andre/ Kiss off !» On entend encore Dennis Coffey jouer de l’acou derrière Dédé dans «I Don’t Like You No More», et puis voilà, on peut ranger l’album.

Live ? Oui, il existe deux albums et on peut y aller les yeux fermés : Hot As Hell avec les Sadies et Live At The World Famous Vera Club avec Green Hornet. On y retrouve sensiblement les mêmes cuts, du style «Car With The Star». Avec les Sadies, ça tourne à la pointe de vitesse, et avec l’Hornet Olaf, ça vire un big mish-mash - I’m a bad motherfucker - Du style «Agile Mobile Hostile», joué au heavy beat garage avec les Sadies et gratté sec avec l’Hornet, mais on est loin de Mick Collins. Du style «I Wanna Be Your Favorite Pair Of Pajamas», embarqué au beat du diable par les Sadies et tapé au shuffle de garage apoplectique par l’Hornet. Côté Sadies, on trouve une fantastique version de «She’s Alright». Les frères Good mettent le paquet, poussant la musicalité du backing dans les orties avec un violon. Côté Hornet, on trouve une excellente version de «You Got It And I Want It», du big Dédé Stuff travaillé au son sec. Ils terminent avec un «Hallelujah» qui frise le Dealer, car ça joue au claqué de riff raff et ça relance à la sévère, avec un big shuffle d’orgue à la Brian Auger, ah comme c’est bon !

Côté albums ‘classiques’, on peut en citer encore trois, sortis sur les labels différents : Aphrodisiac, paru en 2006, Night And Day en 2012 et Life la même année.

Pas de hits sur Aphrodisiac, mais du son. On sent le souffle dès «Hold Up» - What’s my name ? et les chœurs font : Andre Williams ! - Les mecs s’amusent bien derrière Dédé. Il enchaîne avec «Do You remember», un groove joyeux emmené à l’orgue d’allure joviale. Ils tapent là dans une sorte de Samba pa ti. Dédé adore chalouper joue contre joue. C’est un album qui laissait indifférent à la première écoute et qui se réécoute avec un réel plaisir. «I’m Not Worthy» sonne comme un groove tentateur et ça sonne presque carribéen. Puis il tape son «Prove It To Me» au groove de forcené, oh I try, but you just don’t understand, les filles sont folles, show me what you got. Que d’énergie dans cet album ! Il chante de plus en plus à l’édentée, comme le montre «I Don’t Need Mary». Il shake son shook en profondeur avec la foi du charbonnier, il faut voir le cacochyme suprême de ses élans, il bouffe la pop et tout le saint-frusquin. Dans «Three Sisters», il se tape les trois sœurs en même temps. Il est comme Jimi Hendrix, il lui en faut plusieurs à la fois. Dédé s’amuse avec toutes les conneries. Il ne s’assagira jamais. Il termine cet album attachant avec «I Can See». Il sort son gros baryton et lance un baby retentissant - What you’ve done to me, font les chœurs de filles lascives, symboles de perdition. Dédé chante du haut de sa chaire de power viril maximaliste. Il chante à l’arrache de géant de l’Alabama.

Sur la pochette de Night And Day, Dédé semble un peu hilare. Il retrouve les Sadies et tout un tas de luminaries, du style Dan Kroha, Jon Spencer, Jon Langford et Matt Verta-Ray. L’album peine un peu à éclore, on sent une certaine fatigue dans la voix du vieil homme. Il nous sonne enfin les cloches avec «Bored» - I don’t do drugs no more/ But I will If I have to/ Don’t take anything from me/ Gimme some grease and rocks - Extraordinaire, Jon Spencer pousse des Oh comme au temps du Black Godfather. Puis Dédé règle ses comptes avec le Mississippi dans «Mississippi & Joliet» - Keep yout ass out of Mississippi/ And of a couple of places/ Where they don’t like niggers - Nouveau coup de génie en B avec «One Eyed Jack», fabuleux groove à la sauce Dealer monté sur un beat hypno de bad motherfucker et hanté à un moment par un violon. Ça sent bon les Sadies et donc ça ultra-joue avec le groove de big bad Dédé en couche supérieure. On entend plus loin une certaine Sally Timms duetter avec Dédé dans «That’s My Desire» et ça se termine en groove à la Tony Joe White avec «Me & My Dog» - And nobody here/ Just me and my dog/ She’s gone - Ça monte bien sûr très vite en température.

Belle pochette que celle de Life : Dédé le dandy s’adresse à vous directement. On retrouve sur cet album l’équipe de Detroit, Matthew Sweet et Jim Diamond. Sweet n’en finit plus de recréer ses ambiances à la Nathaniel Mayer. C’est exactement le même son. Dédé démarre son «But’n» comme «Pass The Biscuit» : «Scuse me please...» Il s’en prend à Obama dans «Blame It On Oboma» et se fend d’un joli coup de fétichisme avec «Heels» - Please walk mama - On se croirait dans Le Journal d’Une Femme de Chambre d’Octave Mirbeau. La perle se niche en B : une reprise musclée de son vieux «Shake A Tail Feather». Tout le Detroit Sound y monte à la surface. Avec «Ty The Fly», il nous fait une petite leçon de morale : «Ty ate so much that he was too fat to fly.» Avec la romantica éplorée d’«It’s Only You That I Love», il n’en finit plus de rappeler à quel point il aime les femmes et prévient ensuite la compagnie avec «Don’t Kick My Dog» - Lookah here, listen baby - Matthew Sweet installe un heavy groove et Dédé y va de bon cour : «You can kick my wife/ Kick my life/ Kick my car/ But don’t kick my dog.»

Si on aime le rap et Swamp Dogg, on peut aller écouter le premier album d’Andre Wiliams, Directly From The Streets, paru en 1990. Sur la pochette, Dédé a des faux airs de Joey Starr. Côté son, c’est du street rap of funky strut - Gimme that good ass - Dédé rime le cul avec le beat et ouvre la voie. Il existe aussi un split d’Andre Williams & The Goldstars avec King Salami. Les Goldstars sont des vieux compagnons de route de Dédé et dans «Nightclub», Nash Kato fait une apparition : il envoie ses chœurs de night & day avec une classe épouvantable. Dédé insiste pour entrer - Nightclub/ Let me in/ It’s cold outside - Il termine sa face avec «The Hard Way», un joli groove de Soul joué au classic American sound, bien soutenu aux chœurs.

L’autre gros secteur de l’œuvre d’Andre Williams, ce sont les compiles. Oui, car avant de devenir le Dédé qu’on connaît, il enregistrait sur l’un des plus anciens labels de Detroit, Fortune Records. Il produisait aussi pas mal de gens à droite et à gauche, pour Motown, Duke et d’autres. Les compilateurs s’en sont donc donné à cœur joie. Les quatre principales compiles sont les fameux Grease Soul Volume 1 & 2, Detroit Soul Volume 3 & 4. C’est là sur ces quatre albums que se niche l’antique génie foutraque d’Andre Williams. Les deux premiers sont 100% Fortune et tirés d’une vraie collection de singles rassemblée par l’un des plus anciens fans d’Andre Williams qui se trouve être un Français. Grâce à lui, on peut entendre cet incroyable ramassis de singles, tiens à commencer par «Going Down To Tujuana», vieux mambo de doo-doo wahhh monté sur une orchestration rudimentaire, des chœurs de ouah-ouah et une petite guitare se glisse subrepticement dans le groove. On appelle ça un son. Et là, on est hooké. Dédé fait parfois intervenir un sax à la traînasse de la rascasse. Dans «Mozelle», il demande à Mozelle de revenir et ça swingue au meilleur mambo de Detroit City. Il fait sonner le «Bobbie Jean» de Chuck comme un mambo de bonne Fortune et quand on arrive en B, on tombe émerveillé sur «Baconfat» - When I was down in Tennessee/ Got a new dance they call Baconfat - Et là, ça swingue - Neh neh neh help yourslf - On le voit aussi taper dans le heavy groove de round midnite avec «Feel So Good» et revenir au mambo avec «Mean Jean», mais il le swingue à l’Africaine, avec des congas de Congo Square. On monte encore d’un cran avec le Volume 2, et ce dès «The Greasy Chicken», pus jus de comedy act down in Mexico, il fait la poule de cot cot codec et rivalise d’ardeur avec les Coasters. «Pass The Biscuits Please» vaut pour un véritable coup de génie. Plus loin, un cut comme «Hey Country Girl» réveille de vieilles envies de danser dans des boums. En B, le «Mmm Andre Williams Is Mmmovin’» vaut pour un classic Dédé jive de bonne Fortune. «Georgia My Is Movin’» rendrait un juke heureux et l’excellent «I Wanna Know Why» sonne comme «Sometimes After A While». Ça se termine avec un «I Still Love You» digne de «Sea Cruise» et ce n’est pas peu dire !

Ça se corse terriblement avec les Detroit Soul Volume 3 & 4. Il commence par faire miauler Pussycat sur un fond de groove à la Junior Walker. On est à Detroit, baby, ne l’oublions pas. On tombe aussi sur de beaux instros, Dédé adore l’ambiancier. Et puis voilà l’un de ses premiers gros hits, «You Got It And I Want It». Il chauffe les pénates du R&B le plus raw qui soit. Puis avec «I Can’t Stop Cryin’», il fait son Screamin’ Jay. Il en a les moyens. On a là une admirable débinade de slow groove chauffé par des chœurs de filles intermittentes. Il revient au comedy act avec «Peal Time» : c’est un dialogue entre father and son, about a girl who’s a pearl/ Are you sure son ? Il passe au dancing groove fabuleusement orchestré avec «Humpin’ Bumpin’ & Thumpin’» et «The Stroke». C’est en B qu’apparaît l’énorme «Shake A Tail Feather», vieux classique de juke, franchement digne des Isley Brothers - Do the twist/ Do the swim/ C’mon - Avec «It’s Gonna Be Fine In 69», on passe au slow groove d’alligator shoes - You know what ? - Quelle classe ! Il raconte qu’il va se payer une bague. On voit enfin Johnny Sayles emmener «The Concentration» en enfer. Solide romp de r’n’b digne de Wilson Pickett, le mec est un bon, il ya-yate jusqu’au bout de la nuit. Des quatre volumes, le quatrième est sans doute le plus intense. Dédé duette avec Jo Ann Garrett dans «A Rockin’ Good Way» et ça grimpe directement dans le très haut niveau. Andre Williams a le génie de l’orbite groovytale. Avec «Pig Snoots Pt 1», on a ce qu’on appelle la crème du Detroit groove, monté sur un drumbeat extrêmement tonique. Le Pt 2 est tout aussi imparable. Il faut aussi écouter absolument cet «Uhuru (African Twist)» tapé aux clap-hands avec du Eya Eya Hey en plein pot cadré serré. Et qui retrouve-t-on en B ? Sir Mack Rice, avec la première mouture de «Mustang Sally», avant que Wilson Pickett ne s’en empare. Sir Mack Rice swingue sa Sally avec une sorte de bringueballe de vieille boîte rouillée. C’est tout simplement admirable de nonchalance. Puis on passe à l’excellent «Inky Dinky Wang Dang Doo» des Dramatics, mené par une voix d’ange, comme chez les Tempts. On s’effare d’une telle élégance de la Soul. Nouveau coup de génie avec «Chicken Thighs» - Some folks like to eat the neck/ Some folks like to eat on the back - Il fait du culinaire - Yes come in here/ Serve it to me/ That’s what I like/ I’ll give my right arm for a thigh/ Cook it !/ Cook it ! - C’est absolument dément - Oooh serve it to me/ That’s what I like/ Chicken thighs ! - Jeannette Williams vient gueuler «Hound Dog» et passe en force avec «Stiff». On se régale aussi du «Funky Judge» de Bull & The Matadors. C’est excellent car ils adressent un gros clin d’œil à Shorty Long. C’est littéralement infesté de swing. Ah quelle leçon de funk !

Deux autres compiles complètent un peu le panorama des origines du Detroit Grease : Rib Tips & Pig Snoots paru en 2000 et Red Beans And Biscuits en 2004. «Rib Tips» sonne comme un hit de Junior Walker, nul doute, roudoudoute. On recroise inévitablement les beaux hits des quatre compiles françaises : «You Got It And I Want It», «Pearl Time» (Dad she can do the pearl !/ Sounds good son) et l’énorme «Chicken Thighs» - Cook it ! Cook it ! - On entend aussi des filles bien délurées sur «Pig Snoots» et une version superbe d’«I Heard It Through The Grapevine». Et avec des instros comme «Hard Hustling» et «Soul Party A Gogo», ça jazze dans la balance à Balmoral. Sur Red Beans, on trouve l’excellent «I’m The Rock», heavy groove d’anticipation urbaine, monté sur un rif de basse traînard comme un soudard à deux sous. Quasi mythique. On trouve aussi une version instro du merveilleux «Pass The Biscuits ‘67», et un «Andre’s Thang» visité par l’esprit rageur de Junior Walker. Les Green Berets accompagnent Dédé sur «I Miss You So», solide romp de groove qui renvoie au heavy stuff des Tempts. Ça se termine avec l’excellent «Baby Baby Oh Baby», encore du big beat à la Dédé. Tout ce qu’il entreprend n’est que du roule ma poule, que du roulez bon temps.

C’est avec une certaine émotion qu’on met le dernier album d’Andre Williams sur la platine, histoire de lui dire adieu dans les formes. Sur la pochette de Don’t Ever Give Up paru en 2017, on voit qu’il a pris un sacré coup de vieux, mais il paraît encore solide sous son chapeau blanc. En tous les cas, son regard défie la mort. On ne trouve pas de hits sur cet album fatidique, seulement des grooves rampants comme «Dirty Mac Stinky Dog», avec des chœurs qui servent bien le mystère du groove, comme autrefois les vestales servaient les mystères de Delphes. Les trois filles font véritablement la grandeur du cut. Le morceau titre est un instro qu’on écoute en se régalant et Dédé termine l’A avec un vieux hit de Nolan Strong, «The Way You Dog Me Around». C’est pour lui une façon de revenir aux sources, c’est-à-dire au temps de Fortune Records et de Miss Devora Brown. Dédé nous chante ça aux petits oignons de l’émotion suprême. Le cut le plus émouvant est celui qui ouvre le bal fatal de la B : «Bury Me Deep» - When I die/ I want/ Six female/ And I want a pink hearse/ And twelve dead roses/ And 20 foot grave/ And a statue of Elvis Presley/ Two country & western singers/ And a flag of every enemy country - Et il rappelle son motto : «Bury me deep.» Il passe à l’intimisme le plus troublant avec «One Side Of The Bed». Cette brute n’en finira plus d’édifier les édifices. Il chante aussi l’une des ces comptines dont il a le secret, «Three Blind Mice» et le voyage terrestre d’Andre Williams s’achève avec «Through Your Uprights». Une certaine Meschiya Lake chante un gospel de fin de non-recevoir sur un joli shuffle d’orgue, hallelujah ! Hallelujah ! C’est swingué à la vie à la mort de la mortadelle et bien sûr, c’est, à l’image du grand Dédé Williams, solide comme un poncif.

Signé : Cazengler, Dédé pipé

Andre Williams. Directly From The Streets. SDEG Records 1990

Andre Williams. Greasy. Norton Records 1996

Andre Williams. Silky. In The Red Recordings 1998

Andre Williams & The Sadies. Red Dirt. Sonic RendezVous 1999

Andre Williams & The Sadies. Hot As Hell. Nest Of Vipers Records 1999

Andre Williams. Black Godfather. In The Red Recordings 2000

Andre Williams. Bait And Switch. Norton Records 2001

Andre Williams & Green Hornet. Live At The World Famous Vera Club. Norton Records 2003

Andre Williams & The Diplomats Of Solid Sound. Aphrodisiac. Vampi Soul 2006

Andre Williams & The New Orleans Hellhounds. Can You Deal With It ? Bloodshot Records 2008

Andre Williams. That’s All I Need. Bloodshot Records 2010

Andre Williams. Hoods And Shades. Bloodshot Records 2012

Andre Williams & The Sadies. Night And Day. Yep Roc Records 2012

Andre Williams & The Goldstars. Be Fast Records 2012

Andre Williams. Life. Alive Records 2012

Andre Williams. I Wanna Go Back To Detroit City. Bloodshot Records 2016

Andre Williams. Don’t Ever Give Up. Pravda Records 2017

Andre Williams. Rib Tips & Pig Snoots. Soul-Tay-Shus Recordings 2000

Andre Williams & The Out Of Sighters. Red Beans And Biscuits. Soul-Tay-Shus Recordings 2004

Andre Williams. Grease Soul Volume 1.

Andre Williams. Grease Soul Volume 2.

Andre Williams. Detroit Soul Volume 3. Detroit 2002

Andre Williams. Detroit Soul Volume 4. Detroit 2002

 

Mick Harvey tout compris

Membre éminent des Bad Seeds, Mick Harvey s’est ingénié vingt ans durant à rallumer la flamme gainsbourrienne. Quatre albums extrêmement brûlants en témoignent. Cela faisant, il ne manque pas de rouvrir dans les cœurs flétris d’antiques blessures. Quand on a vécu aussi intimement avec l’onction gainsbourrienne, force est d’admettre qu’on marque le coup. Harvey ne sévit pas que sur disque, il sévit aussi sur scène et le voilà donc en Normandie pour chanter Gainsbourg, bien au chaud, dans la petite salle d’un club qui ne doit rien au Kangourou Club. James Johnston de Gallon Drunk l’accompagne à l’orgue, ainsi que Xanthe Waite qu’on entend ici et là sur deux des quatre albums extrêmement brûlants. Derrière l’homme à la tête d’Harvey, une section rythmique à toute épreuve prend en charge les drives de jazz et les pompes de pop, et puis un délicieux quatuor de violons juvéniles vient par intermittence contribuer au ré-allumage d’anciennes magies de type «Initials BB» ou «69 Année Érotique». Mick Harvey ne se soucie que de ceci : recréer sur scène la spectaculaire beauté de l’univers gainsbourrien. Le bougre se montre adroit car il démarre en tablatant son «Requiem Pour Un Con» et il enchaîne avec l’infamant pulsatif des «P’tits Trous», même s’il les chante en Anglais. La translation donne «The Ticket Puncher». Pour une fois l’élégance n’est pas dans le bon sens. L’homme à la tête d’Harvey estomaque par la véracité de sa foi viscérale. Il n’est bien sûr pas question de mettre son prodigieux aplomb en doute, même si l’on sait, au plus profond de soi, que personne ne chantera jamais aussi bien les chansons de Gainsbourg que Gainsbourg lui-même. Le vieil Harvey reviendra plus tard du jive de jazz gainsbourrien avec «Couleur Café» («Coffee Colour») et «New York USA», avec des chœurs qui font si bien le so high, oh so high. À la lumière de ces exploits, on mesure encore mieux le génie de Serge Gainsbourg. Lui et Léo Ferré suffiraient amplement à remplir une vie. Alors pourquoi aller chercher midi à quatorze heures ?

Extrêmement désirable, Xanthe Waite incarne l’autre dimension du mythe gainsbourien : son goût pour les très belles femmes. Tous les antisémites de France devaient enrager de voir Gainsbarre se taper les plus belles femmes de son temps : Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Juliette Gréco ou encore France Gall. Xanthe Waite ne dépare pas dans cette galerie de portraits. C’est elle qui chante «Poupée De Cire Poupée de Son» («Puppet Of Wax») et même si elle ne dispose pas du sucré de la divine France Gall, elle sort une version pop extrêmement endiablée qu’on retrouve sur l’album Intoxicated Women. Frisson garanti. C’est elle aussi qui se tape «Harley Davidson» et qui duette avec le vieil Harvey sur «Bonnie & Clyde». Ah quelle collection de hits suprêmes ! On peut dire qu’ils ont su marquer leur époque et enrichir les âmes, comme le font tous les grands hits pop, que ce soient ceux des Beatles ou des Beach Boys. Elle se sort pas trop mal des hits mineurs comme «Contact» ou «Don’t Say A Thing». Pendant le rappel, Mick Harvey aura l’élégance de proposer «La Javanaise» et de laisser le public chanter les fins de couplets - Ne vous déplaise/ En dansant la Javanaise/ Nous nous aimions/ Le temps d’une/ Chanson - et bien sûr, c’est le meilleur moyen de porter l’émotion à son comble, car il n’est pas de chanson plus belle, plus poétique, plus élégante et plus mordeuse de cœur que cette divine Javanaise. Gainsbourg nous broyait même l’âme avec cette chanson. Fallait-il qu’il aime Prévert pour écrire des choses aussi parfaites ! Vous le constaterez par vous-mêmes en ressortant n’importe quel recueil de poèmes de l’étagère, l’art de Jacques Prévert reste l’une des plus belles formes d’expression humaine.

Mick Harvey entame son chemin de croix en 1995 avec Intoxicated Man. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère puisqu’il démarre sur «69 Erotic Year», qu’il susurre d’une voix d’anis d’Annie qui aime les sucettes à l’anis. Du bout de la langue, il fait tinter l’écho du point G dans le gras du grave. Admirable chef-d’œuvre du succion. Il y croit comme une folle, sixty nine ! Il monte ensuite en puissance en vroomant «Harley Davidson». Il tape ça au puissant London heavy rock. Anita Lane vient faire sa B.B. C’est le hit suprême, comme dirait Joséphin Péladan. C’est une pluie de fureur fury et de justesse justy, I go ! Même le morceau titre se révèle inespéré de justesse pythagorienne. Mick Harvey a décidément tout compris. Il craque bien le crackle erotic avec «The Sun Directly Overhead». Bien vu Mick. Il chante ça à la sourdine aveugle de baryton baryté. Et on est loin d’avoir épuisé toutes les surprises de cet album indiciblement toxique. Il nous groove «The Barrel Of My 45» à la dégringolade, il pisse et il pète en descendant chez Kate, demented battage de back-up office avec du big bad blast. Anita Lane revient sucer la sucette de «Ford Mustang» et Mick rameute les congas de Congo Square pour un «New York USA» de petite fortune. Comme on attend encore des miracles, en voici un : «Bonnie & Clyde», juste et bon comme un roi carolingien, chargé de son à gogo, Mick Harvey chante au cœur de la mélodie et c’est léché aux violonades définitives. L’Harvey et la Lane rallument d’antiques brasiers. L’Harvey chante tout dans la matière, il y croit dur comme fer. Il gratte l’accord d’«I Have Come To Tell You I’m Going» et chante comme dans un rêve gainsbourrien. Il redore le blason de l’idéal romantique, avec du goodbye qui scintille et du yes I love you qui luit à la lune. On tombe en pâmoison - You remember the good times - Il termine avec un abominable shoot de power surge, au pire steel de Sheffield, avec «Initials BB», le hit anglophile par excellence. Quand on vous dit que Mick Harvey tout compris, c’est qu’il Harvey tout compris.

Le bougre récidive deux ans plus tard avec Pink Elephants. Coup de génie immédiat avec «Requiem» qu’il groove au London mood, c’est-à-dire au hot shit d’electro-blast. Pas de pitié pour les cons - Stupid cunt ! - C’est d’ailleurs l’objet du Requiem for a cunt. Il ose ensuite taper dans le nec plus ultra avec «The Javanese» qu’il délite avec soin - Javane/ Ze ! - C’est un bonheur que de l’entendre chanter ça. Mick Harvey en fait une espèce de magie insécable. Il travaille son Gainsbarre comme on travaille une escalope : il la pelote pour l’attendrir. Par contre, il se vautre avec «Comic Strip». Il ne se formalise pas pour autant et revient taper dans le plus difficile des cuts de l’âge d’or, «The Ticket Puncher», les p’tits trous, les p’tits trous, toujours des p’tits trous, l’intouchable par excellence. Il l’embarque ventre à terre, accompagné par un batteur dévoué. Plus loin, il groove «Scenic Railway» au crroak de belle voix d’étain blanc. Il crée de la légende sur le dos de Gainsbarre, ce qui n’est pas idiot, au fond. Globalement, il rend les meilleurs des hommages qui soient envisageables ici bas. Il entre dans le lagon définitif avec «I Love You Nor I Do» - Oh yes ! - Le sex ultime et l’Harvey se retient entre ses reins. La pauvre fille doit se plier aux lois du groove. C’est d’une épaisse puissance sexuelle, il charge ça de sex à ras bord, nor I do, il y va, I go I go et ça se termine comme ça doit se terminer, And I come. Dans un sursaut de lucidité sexuelle, il ajoute cette vérité gainsbourienne majeure : «Physical love is a dead end.» On reste dans le cœur du mythe avec «The Ballad Of Melody Nelson». Il chante ça au mieux du baryton d’Angleterre et tout explose avec «Who Is In Who Is Out», le London jerk par excellence, en tous les cas, l’un des plus grands jerks de l’âge d’or du jerk. L’Harvey le sabre à la hussarde.

Il semble que ce soit Bertrand Burgalat qui fasse la pluie et le beau temps sur Delirium Tremens, le troisième volume de voluptés gainsbourriennes, et ce dès «Deadly Tedium», c’est-à-dire «Ce Mortel Ennui», avec un drive de jazz qui avance step by step. Burg bourre le mou d’une nouvelle ambiance dédiée dans «Coffee Colour» en jouant son ass off au milieu des chœurs d’artichauts colorés. Et tiens donc, encore un énormité avec un «SS C’est Bon» noyé de son indus indiscutable, ahh que sera sera le big heavy sound. L’Harvey crée là la surprise destroy oh boy. Xanthe Waite fait une première apparition dans «A Day Like Any Other». Elle chante au sucre perverti des sucettes à l’anis d’Annie, c’est extrêmement orchestré, la la la, et voilà que l’Harvey embrasse le cul du cut d’une voix ingénue et trop mûre à la fois. Soyez bien certain que tout cela se situe véritablement au plus haut niveau. On l’entend aussi prendre «More And More Less And Less» au crépuscule du baryton et créer un tourbillon d’écrouvillon avec «Don’t Say A Thing». Mais c’est avec «The Decadence» qu’il va effarer durablement, car il chante dans l’apothéose d’une mélodie vertigineusement gainsbourrienne, il la prend au chaud extrême de la dimension humaine et c’est là où il se rapproche véritablement de Gainsbarre, car s’il est un Homme sur cette terre, c’est bien lui, l’âme de la beauté des laids, délai, délai. Katy Beale se fond dans sa moule, ils dégoulinent tous les deux de somptuosité onctueuse et que peut-on faire d’autre que de se prosterner jusqu’à terre pour saluer une telle exigence de véracité concupiscente ?

Paraît en 2016 le pendant féminin d’Intoxicated Man : Intoxicated Women. Comme le font les Mercury Rev avec leur hommage à Bobbie Gentry, Mick Harvey fait entrer dans l’album une belle palanquée de petits boudins, excellente occasion pour lui de transformer «Les Petits Boudins» en énormité : Xanthe Waite sucre sa voix comme une Poupée de Son et ça sonne comme un fabuleux hit de rock anglais infesté de relances de batterie rebondie. Le drumbeater s’appelle Hugo Cran. Cet authentique coup de génie pop dénote une intelligence du son. L’autre énormité, c’est justement «Poupée De Cire Poupée De Son». Xanthe Waite s’y montre toute aussi admirable. On a là le hit pop parfait. Merci Gainsbarre. On monte évidemment d’un sacré cran avec «Je T’Aime Moi Non Plus». Elle s’appelle Andrea Schroeder, oh yahhhh, fabuleuse poulette de sexe chaud. Bertrand Burgalat bassmatique comme un seigneur des annales et ce diable de Mick Harvey tout compris, la bite à la main baguée d’une topaze d’orient pâle, ahhhhh, elle soupire exactement comme ça, elle jouit dans son micro, ça va et ça vient entre ses reins, cette chanson de l’amour suprême à la Villiers de pomme d’Adam est si admirablement réintroduite dans la vulve du mythe. Celle qui chante «La Chanson De Prévert» s’appelle Jess Ribeiro et Shilo gratte sa gratte. Mick Harvey tout compris car il partage le chant avec la juvénile Jess, ils sont excellents dans le day after day, sacré Mick, il finit toujours par s’en sortir. En fait, non, ce n’est pas exact : il se vautre avec «Les Sucettes» qu’il croit bon de chanter. La voix d’homme fausse tout, on perd le côté kitschy kitschy petit bikini de la girl Gall. En plus, ça joue au heavy bass drum. Grosse incartade. On retrouve Andrea la fatale dans l’autre chef-d’œuvre intemporellement érotique de Gainsbarre : «Dieu Est Un Fumeur De Havanes». Andrea y fait sa Deneuve pendant que l’Harvey suce son cigare. Andrea aménage la profondeur dans la moiteur, c’est elle qui fait l’amour moi non plus, alors oui, yeahhhh. Elle aménage la troublante profondeur de chant du promised land, take my hand... Et puis voilà venu le tour de Burgalat d’exploser «Cargo Culte» au cul de basse fosse. Il fait le son en plein et en délié et on entre de plein fouet dans la mythologie du petit matin, à l’aube d’une histoire d’amour, lorsqu’une voix demande : «What’s your name ?» et elle répond, «Melody, Melody Nelson». S’ouvre alors un ciel. Nous vécûmes jadis exactement la même histoire et l’occasion est trop belle de saluer la genèse du poignard en plein cœur.

Si la curiosité fait bien son travail, on finit par se laisser aller à écouter un autre album de reprises, One Man’s Treasure, mais aucune reprise de Gainsbarre n’y figure. Mick Harvey tape dans Lee Hazlewood («First ST. Blues») et Nick Cave («Come Into My Sleep»). Le seul cut vraiment intéressant est cette reprise du «Come On Spring» d’Antenna, un groupe monté par Kim Salmon en 1998. C’est excellent et bien balancé. Sonne même comme un sommet non pas des Alpes mais des Hands. Il chante plus loin un «Man Without A Home» au baryton des bas fonds mais on bâille aux corneilles. Il revient sur la terre ferme avec le «Mother Earth» du Gun Club. Jeffrey Lee Pierce est bien gentil, mais on ne peut quand même pas le comparer à Gainsbarre.

Signé : Cazengler, Mick larvé

Mick Harvey. Le 106. Rouen (76). 20 octobre 2019

Mick Harvey. Intoxicated Man. Mute 1995

Mick Harvey. Pink Elephants. Mute 1997

Mick Harvey. One Man’s Treasure. Mute 2005

Mick Harvey. Intoxicated Women. Mute 2016

Mick Harvey. Delirium Tremens. Mute 2016

 

ROCKABILLY GENERATION NEWS N°11

OCTOBRE / NOVEMBRE / DECEMBRE / 2019

Sergio Kazh est en train de gagner son pari. Rattraper le retard que le magazine avait accumulé afin de pouvoir caler les numéros qui suivront sur les premiers jours des trimestres. Avec un peu de retard Rockabilly Generation était toujours bon à lire. Le dernier était bon, celui-ci est encore meilleur. Commence par une surprise, Louis Jordan enrégimenté dans les pionniers, je n'y avais jamais pensé, mais les frontières du rock'n'roll ont toujours été mouvantes et il n'existe pas de séparation bien nette avec le rhythm'n'blues noir. Lui-même n'étant qu'une excroissance sonore du blues. Si vous voulez rester identique à vous-même, ne cherchez pas vos racines, s'il est un endroit où le melting pot de la société américaine s'est réalisé, et encore cela a pris du temps, c'est bien dans la zigmuc. Louis Jordan a été un trait d'union indubitable entre le jump blues et le boogie woogie, nous explique Dominique Faraut.

De même l'on peut se demander s'il existe vraiment une séparation entre les morts et les vivants, Mattéo Callegari, italien et guitariste des Rotten Records s'explique sur son parcours, éclatant malgré sa jeunesse. Marqué par les pionniers bien sûr, l'a commencé par AC / DC, comme quoi il existe mille chemins ouverts qui mènent au rock'n'roll. Mais son dada à lui c'est le country même s'il s'inscrit dans la grande tradition des Teds qui n'est pas spécialement nostalgique mais au contraire très vindicative. Sergio emmène la conversation sur le drapeau confédéré que Mattéo entrevoit comme un signe de ralliement entre fans de rock'n'roll dépourvu de revendication raciste. Il ne le dit pas, mais quel est le drapeau au monde qui n'a pas ses franges emplies de sang et de monstruosités. Il est certes plus simple de ne pas en avoir quant à en créer un, il n'échappera pas très vite à quelques reproches ! S'il existe un animal nuisible sur cette terre, c'est bien l'être humain.

Une longue interview de Darrel Higham, à mon goût l'on n'en parle pas assez en douce France, c'est pourtant l'un des plus authentiques rockers, se confie calmement, il évoque sa fille et son chien, question musique, ses actes et ses disques parlent pour lui, il retrace sa carrière sans forfanterie, l'est davantage intéressé par ses projets que par ce qu'il a déjà réalisé, beaucoup de pudeur et de simplicité chez cet homme. Transmet son admiration et sa tendresse pour Eddie Cochran avec des mots qui font mal.

Ensuite c'est la tournée des Festivals, la neuvième édition de La Chapelle-en-Serval, mention spéciale pour Dylan Kirk et ses Starlights, la jeune génération qui monte, et le dimanche soir, la palme est décernée à Al Willis & the New Swingters, notons que lorsque Red Dennis est sur scène c'est généralement bon signe pour prévoir les ouragans. L'on passe au Pouligan, huit concerts sur trois jours, Big Sandy un peu mou, mais les Houserockers ont salement remué la maison et le Strike Band venu d'Italie a fini par déterrer les fondations. Le 13 juillet c'est à Pencran qu'il fallait être au Rockin Breizh Club, ainsi nommé pour que les initiales ne fassent pas KKK ! Très drape jacket dans l'ensemble avec Rough Boys, Greased Lightning, et The Lincoln, vous ne connaissez pas les deux derniers : viennent respectivement de Suède et d'Autriche. Spuny Boys et Booze Bombs – on ne les présente plus – ont enthousiasmé le 3 Day's Vintage de Virolet ( en Charente Maritime pour ceux qui comme moi ne connaissent pas leur géographie ! ). Une dernière rasade pour l'anniversaire de Grand Dom à Beaulieu de Rieux ( en Bretagne pour ceux qui n'ont pas eu le temps de prendre des cours de rattrapage depuis la phrase précédente ) avec Black Raven, Jim and the Beams, Orville Nash et quelques autres cadors. Trois petites rubriques pour finir : la présentation des disques, un peu maigre, et le meilleur pour la fin, toutes les couves des dix précédents numéros pour passer commande. Quel boulot, quelle persévérance, et quelle beauté !

Damie Chad.

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

DES MAUX / AMN'ZIK

( 2017 )

 

Nous les avions découverts à la Comedia – voir notre chronic in Kr'tnt 432 du 03 / 10 / 2019 – une prestation superbe mais pas de Cds qu'ils n'avaient pas pensés à prendre, ce sont de véritables rockers, pas des commerciaux ! – et voici dans la boîte à lettres cette petite enveloppe pour lesquels nous les remercions.

Pochette noire, juste un demi-visage, gueule ouverte, ne hurle pas des mots mais des maux parce que notre monde court à la déglingue, crier n'enraye peut-être pas l'inéluctable, mais il faut les entrevoir comme des oiseaux de proie qui volent haut au-travers des tourmentes, qui attendent leur heure. La pire. Les Amn'Zik ne sont pas des autruches qui enfoncent leur tête dans le sol pour ne plus avoir peur, ils font face, ils sont prêts.

Assume : une tuerie bien campée sur les deux jambes du binaire déboule sur vous, ce n'est rien comparé à ce qui suit, musique sombre et compressée pour le tunnel de ton existence d'esclave salarié sans sortie, alors une seule solution, celle de faire exploser tes rêves et d'explorer tes désirs, sans quoi ton futur ne sera pas meilleur que ton présent, la batterie te plonge la tête dans l'eau, des coups de rames sur l'occiput pour t'expédier tout au fond, et le son larsène des coups de faux dignes de la grande faucheuse pour te faire comprendre combien ta situation est grave, le train du néant fonce sur toi, une guitare soloïse ton hymne funèbre et la motrice fonce sur ton corps ensommeillé sur la voie de garage, tu n'entends plus que son irréductible shuffle , les boogies se rapprochent, tu n'en as plus que pour quelques secondes mais le temps s'écoule lentement et une guitare brûle sans fin, quelques la-la-la ironiques et la voix t'intime l'ordre de prendre ton destin en main. On espère que tu l'as fait, car le convoi s'éloigne dans le lointain. Maintenant si vous écoutez ce morceau sachez que vous reprendrez illico un autre billet pour recommencer le trajet. Pourquoi ont-ils ? : un murmure cordique, une fuite mélodique, mais déjà la rythmique vient appuyer ses brodequins de fer sur votre tête, et une voix chantonne des réalités qui ne procurent aucun plaisir, une organisation économique délétère, ta vie stagne dans le grand marécage, la voix se creuse comme une tombe et la musique noircit ses effets, rien ne te sera donné à tel point que tout semble s'arrêter, une fausse illusion, l'horreur repart de plus belle, qu'importe Amn'zik s'est transformé en une gigantesque vortex, une bouche monstrueuse qui commence à dévorer le monde. Et un dernier bourdonnement qui s'étire, un vol de mouches vertes au-dessus d'un charnier. Le change : une intro bien balancée, une voix plus âpre, avez-vous déjà remarqué comme la fausse monnaie tinte plus gaillardement que la valeur qu'elle affiche, l'en est de même des existences qui ne savent plus ce qu'elles sont et ce qu'elles ne sont pas. Des rafales de chœurs qui trimballent davantage d'horreur que de bonheur, l'important c'est que le toc soit mastoc, alors des sortilèges de guitares s'enflamment, et le voile noir de l'orchestration vous engloutit, ne cherchez pas à fuir, de vous-même vous vous êtes enfermé dans votre propre piège. Geneviève : tremblements de cordes, cliquètement de cymbales, fortement les basses, les filles ont toujours eu le chic et le choc de poser des problématiques anxiogènes, avec elles vous êtes sûr que les situations se complexifient, la guitare s'écharde dans votre pelote de nerfs, Pat brisé de rage, Geneviève qui ne fait que passer, juste pour signifier que tout va mal, et Amn'zick vous souligne cela à l'encre d'un rouge sang indélébile. La métamorfaust : chatoiement de douceurs dans un monde brut, mélopée d'ombre et de lumière au fond d'un sarcophage, une montée insidieuse vers on ne sait encore quoi, une ballade que vous ne comprendrez pas si vous n'avez jamais fait l'amour dans un cercueil, jamais embrassé la gluance de la pourriture, déchirements cristalliques de guitare, flamboyances lyriques, un morceau dont vous ne ressortirez pas entier. Un chef d'œuvre.

 

Un disque magnifique qui vous conduit des écorces mortes du monde externe aux profondeurs intimes de vos déraisons suprêmes. Amn'zik se joue de nous. Non seulement ils n'oublient rien mais ils se souviennent de tout, que le macrocosme et le microcosme échangent de réciproques reflets, que vous êtes aussi fautif, aussi faustif que tout le reste. N'accusez personne, assumez-vous.

Damie Chad.

VINCENNES / 23 - 10 – 2019

HOWLIN' JAWS

Tout cela par la faute du Cat Zengler et son superbe article sur Mickie Most. Une petite lampe s'est allumée dans mon vaste cerveau : '' Tiens, Mickie Most, on en avait parlé avec les Howlin', juste avant qu'ils ne sortent leur disque, pas vus depuis longtemps, avec un peu de chance, seront dans le coin pour un petit concert ''. Tout droit sur leur FB, bingo ! les gogos, ils ne sont pas loin, un coup de téléphone, et hop place retenue pour mercredi soir. J'en vois certains tiquer, retenir son billet pour un concert de rockabilly, c'est étrange. Oui mais c'est plus compliqué que cela. Une histoire de famille, pour une fois le Cat Zengler est totalement innocent, n'était même pas né quand ça a commencé, vous non plus, moi itou, et les Howlin' Jaws idem. Comme quoi dans la vie, les ennuis vous tombent dessus alors que vous n'y êtes pour rien.

UNE TERRIBLE HISTOIRE

Je gomme un peu le début, les Dieux demandent au roi Agamemnon de sacrifier sa fille Iphigénie pour que les vents qui doivent porter la flotte grecque jusqu'aux rivages de Troie consentent à se lever. Son épouse Clytemnestre n'est pas d'accord, on peut la comprendre, mais Iphigénie qui a un faible pour son papa chéri consent et est proprement exécutée. Agamemnon ne reviendra que dix ans plus tard, une fois la vile de Troie anéantie. Hélas! il ne profitera pas longtemps de sa victoire, à peine est-il rentré à la maison qu'il meurt assassiné dans sa baignoire par sa femme qui entre temps a pris un amant Egisthe, ainsi que le raconte Pindare dans une de ses Odes.

Jusque-là tout va bien, si j'ose dire. Il reste encore les trois enfants d'Agamemnon et de Clytemnestre : Chrysotémis, Electre et Oreste qui en tant que seul garçon se doit de venger son père en tuant Egisthe et en assassinant sa propre mère...

BIFFURCATIONS JAWIENNES

Quel rapport avec les Howlin' ? L'est vrai que tout ne se passe pas aussi mal dans toutes les familles : un exemple pris au hasard, Simon Abkarian, le père de Djivan Abkarian est encore vivant, il exerce la noble profession d'acteur et de metteur en scène. Pour monter Electre des bas-fonds, une de ses propres pièces, il a fait appel, afin d'assurer l'accompagnement musical du spectacle, à la formation de son fils, les fameux Howlin' Jaws.

Avis à la population : ce soir nous n'assisterons pas à un concert d'un groupe de rock'n'roll nommé les Howlin'Jaws, mais nous verrons les Howlin' Jaws bellement engagés, dans une nouvelle aventure, dans une rencontre d'un autre type.

DANS UNE CONTINUITE

Simon Abkarian n'est pas le premier à s'être penché sur l'histoire des Atrides, déjà au temps des grecs Eschyle, Sophocle et Euripide ont donné leur version de cette sanglante histoire. L'on ne compte plus les auteurs et les poëtes qui au fil des siècles ont présenté leur interprétation de ce mythe. Mais il ne faut pas croire que l'on explique un mythe, c'est au contraire le mythe qui permet à ceux qui l'interrogent d'apporter une lumière plus violente et plus crue sur l'état de leur époque. Question rock, je vous renvoie par exemple à notre précédente chronique sur Jim Morrison qui traite dans The end, de la violence que l'on est en droit d'exercer sur nos géniteurs, '' Father... Yes son... I want to kill you... Mother, I want to violate you …''

Il ne nous reste que les textes de ce premier théâtre grec, en fait des reconstitutions compilatoires à partir de fragments divers qui par exemple servaient aux acteurs à apprendre leur rôle. Autant dire que nous ne possédons qu'un tiers de l'iceberg, les représentations de nos lointains ancêtres ressemblaient davantage à notre opéra moderne, certes l'auteur écrivait le texte mais composait aussi la musique, à part quelques notes rien ne nous est parvenu... Un, puis deux, puis trois acteurs, ce qui est peu, mais ils ne jouaient que les moment-clefs de l'action, le chœur composé d'une vingtaine de participants racontait les épisodes intermédiaire qui reliaient ces scènes cruciales : il évoluait sur scène, récitait, chantait et dansait. Nous ne possédons que peu d'informations sûres sur la place de '' l'orchestre'' qui accompagnait les spectacles. Les Howlin' Jaws sont relégués dans une pièce attenante au grand plateau.

ELECTRE DES BAS-FONDS

COMPAGNIE DES 5 ROUES

Texte et mise en forme

SIMON ABKARIAN

( 14 comédiennes-danseuses – 6 comédiens-danseurs )

musique écrite et jouée par le trio

Howlin' Jaws

C'est dans cette perspective originaire que Simon Abkarian a écrit et monté Electre des bas-fonds. D'abord une langue, riche et abrasive emmenée par un torrent de métaphores lyriques ensemencées d'images élémentales mais qui n'hésite pas à plonger dans les gouffres comédiques d'un grotesque néronien. C'est avant tout le discours qui porte la pièce, comparé à cette force, tout le reste est mise en scène d'une intransigeance superfétatoire. Un véritable cadeau pour les acteurs, nombreuses sont les tirades à déployer comme l'on hisse les voiles d'un navire afin de s'inscrire dans la haute course des vents porteurs.

Mais il ne suffit pas d'emplir les oreilles des spectateurs, faut aussi infuser dans ses yeux des images chocs, ainsi dès le début, cet amas de danseuses dans leur tutu de petits rats froufroutant de gaze jaunie se regroupant afin d'entamer un ballet myrmidonesque des plus trompeurs, ce ne sont point d'innocentes petites filles réunies en un cours de danse mais putains de bordel au lever du jour qui se préparent à attendre le client. Elles sont les anciennes jeunes troyennes que les grecs ont emmené chez eux afin d'en user comme esclaves sexuelles.

Nous sommes d'emblée au cœur du sujet de la pièce : pour le dire d'une manière policée et universitaire : celui de la place réservée aux femmes dans les société patriarcales. Au plus près des chairs outragées et flétries, Simon Abkarian nous plonge dans la béance des vies brisées, des jeunesses bafouées, des déchéances intimes, des rêves perdus, des viols, des cris et du sang. La haine reste l'apanage d'Electre, la vierge farouche, qui n'a jamais pardonné à sa mère l'assassinat de son père et qui sera condamnée à servir les prostituées du bordel.

Survient Oreste qui revient – hésitant – pour tuer sa mère... Mais il n'est pas le personnage le plus important, absent de la plus grande partie de la pièce, certes il accomplira sa tâche imposée par le Destin, surtout par la loi des hommes, mais il n'en entendra pas moins la longue plaidoirie de Clytemnestre qui revendique sa liberté de femme à avoir vengé sa fille... en sus elle dresse un portrait d'Agamemnon dont elle souligne la suffisance, l'insuffisance, la lâcheté, l'orgueil démesuré... La pièce se termine par la folie d'Oreste, l'esprit morcelé, incapable de supporter les contradictions qu'il est dans l'incapacité de résoudre et dont il n'est qu'un jouet impuissant.

Une pièce âpre qui nous parle de domination des femmes par les hommes, non pas sans répercussion sur celles des hommes, et celles des femmes entre elles et sur leur propre genre, surtout de la salissure des âmes et des vies qui en découlent. Des personnages – nous ne les avons pas tous évoqués - qui vont jusqu'au bout d'eux-même qui assument tout ce qu'il y de plus fragile, de plus implacable, de plus dérélictoire, de plus veule, de plus sacrificiel, de plus grand et de plus médiocre en leur intimité comme en leur implication existentielle soumise aux volontés d'autrui et aux circonstances extérieures désastreuses... Le spectateur s'invitera de lui-même à évoquer les différentes guerres actuelles, et les débats qui parcourent notre société. Ce spectacle est à voir, superbement mis en scène, jamais ennuyeux, ses tirades flamboyantes, ses dialogues antagoniques, ses ballets successifs, et sa musique.

HOWLIN'JAWS

Impeccablement de noir et de blanc vêtus, très straight, classieux, assis à l'instar des musiciens classiques sur le devant de leur réserve, sont aux ordres d'un drôle de chef d'orchestre qui n'est autre que le déroulement de la pièce elle-même, ils l'accompagnent ou le précèdent en le sens où il faut parfois souligner l'intensité de l'action avant même la mise en œuvre de son accomplissement, ils donnent alors l'air de présider à la naissance des différentes séquences comme s'ils étaient une équipe socratique au chevet d'une multitude de parturientes, car sur scène cela n'en finit pas de bouger. Il existe des passages faussement plus évidents que d'autres, ceux des ballets, il leur suffit de donner l'impression de se coller aux mouvements des danseurs alors qu'en réalité ce sont les Jaws qui mènent la danse, ils endossent alors en quelque sorte le rôle du Coryphée qui dans les arènes de l'antique Hellade dirigeaient les évolutions du chœur. On ne peut pas vraiment parler de danse au sens plein de ce mot en le sens où les danseurs ne cherchent pas à éblouir le spectateur grâce à leur virtuosité personnelle, au contraire il faut entendre ces étranges reptations rythmiques sacralisées en tant qu'action de groupe, des espèces de ritualisations orientalisantes, une gestuelle gradationnelle de poupées mécaniques qui n'est pas sans évoquer les propos d'Henri von Kleist sur Les marionnettes.

Avant même que le spectacle ne débute, l'on se dit que Baptiste Léon retranché derrière sa batterie aura la tâche la plus facile, quelques forts coups de grosse caisse à la manière des bateleurs afin de marquer les rebondissements qui ne manqueront pas de ponctuer le cours de l'action et un tamponnement diversif pour les autres passages. Les Jaws ne sont pas tombés dans ce piège. Ne se sont pas transformés en producteurs d'effets sonores, il ont compris qu'à l'écriture du discours devait correspondre une écriture musicale et que ces deux langages devaient communiquer entre eux afin de parler au public, de lui faire entendre les mots d'une autre manière, de coller à leur sens une signifiance sonore qui en aggrave la portée. Plus le silence. Car ils savent se taire, ils laissent la voix nue des acteurs s'élever, ils ne sont pas là pour ajouter une bande-son en arrière-fond sur les paroles. Ne sont pas des faire-valoir, sont au même niveau que les acteurs, ils participent à part entière au progrès de l'action. Mais sur un autre plan.

Certes parfois on oublie de regarder leur présence latérale, le plateau central obnubile les yeux, mais la musique est tout de même sur la scène, elle accentue sans qu'on y prenne garde la cruauté ou la bouffonnerie des situations. Djivan et les ondes noires de sa basse électrique, elles se meuvent comme les reptiles en liberté dans le sanctuaire d'Asclépios, car toute théâtralité bien comprise est comme un acte opératoire, une libération aristotélicienne, la crevaison d'une tumeur dont l'écoulement du pus précipite aussi bien la délivrance que la mort ou le naufrage dans la perte de soi. Rappelez-vous ces serpents qui sifflent sur vos têtes chez Racine lorsque Oreste bascule dans la folie. Djivan colle à l'action comme l'angoisse étreint l'esprit. Le mal court disait Audiberti, mais ici il s'étale et se résout en marécage, un cloaque létal, dans lequel s'enfoncent les pas incertains, mais tendus selon une suprême volonté, des âmes impures, ce bruit de succion insupportable, cette aspiration infinie vers l'inéluctable c'est Djivan qui en est chargé, vous n'êtes plus dans le labyrinthe, vous êtes déjà os broyés dans la gueule sanglante du Minotaure.

A la guitare de Lucas Humbert est dévolu le rôle de la lumière, non pas la clarté franche, lumineuse et célestiale de l'Empyrée mais celle goethéenne dont l'ombre se teinte de nuances bleuâtres et verdâtres, ce n'est pas le combat du bien contre le mal, mais celui du mal contre le pire. Qui l'emporte au final. Chaque accord de Lucas comme flamme vive qui ne détruit pas les ténèbres mais en révèle et en aggrave les profondeurs insondables. Djivan vous étouffe, vous croyez que Lucas vous permet de respirer, erreur fatale, juste une goulée apnéique pour descendre vers le fond sans fond de la noirceur humaine. Et Baptiste plane là-dessus, un Zeus ex-machina tonnant qui ponctue les avancées des destinées, c'est lui qui porte les coups plus cruels, use de ses tambours comme des poinçonnages de poignards portés de face mais qui finissent toujours par se planter dans votre dos.

Nos Jaws nous livrent une partition funèbre. Sont trois comme les Parques, ils filent du mauvais coton et le fil est appelé à se casser. Mais voici qu'ils quittent leur espace, ils semblaient des témoins, et les voici acteurs, sont désormais les musiciens chargés mettre de l'ambiance à cette fête de l'inversion des valeurs au cours de laquelle les esclaves font semblant de devenir les maîtres et à la fin de laquelle Egisthe et Clytemnestre seront sacrifiés, sont fascinants dans leurs costumes noirs, Lucas nous la joue à l'espagnole sur sa petite guitare, Baptiste s'est muni d'une acoustique, Djivan parle basse, la scène n'est pas sans évoquer l'ultimité commanditoire de Don Juan, mais nous ne sommes pas dans ce bordel à l'orée d'une orgie de sexe mais de sang. Maintenant tous les fantômes des morts et tous les fantoches vivants sont convoqués pour cette aubade méphistophélesque au désastre annoncé. Et le trio nous a prévenus de ces sarabandes orientalisantes. Seule la non-vie peut donner rendez-vous à la vie.

Bref des Howlin' Jaws magistraux. Qui ont su s'oublier eux-mêmes pour s'impliquer dans un projet de haute tenue culturelle et démontrer que le rock'n'roll est aussi un chemin d'accès à ce que Rilke nommait l'Ouvert.

Damie Chad.

MONTREUIL / 24 - 10 - 2019

LA COMEDIA

IDHAÏ ÔM / REDHOT TRIO

Faut la jouer fine. Journée du 25 occupée à des tâches peu rock'n'rolliennes, je ne pourrais pas être au 3 B pour le RedHot Trio, un scandale insurmontable, mais dans leur clémence augustéenne les Dieux ne sont pas intraitables, le RedHot Trio passe la veille à La Comedia. J'eusse préféré les regarder dans une ambiance plus spécifiquement rockabilly, mais l'essentiel c'est surtout de ne pas les rater. Un seul bémol, ce soir une assistance trop clairsemée pour une prestation d'une magnifique virulence.

IDHAÏ ÔM

A sa place je m'inquièterais. Pas lui. Prend la chose avec philosophie. Ses deux musiciens absents, retenus par des impondérables, ça ne l'émeut pas plus que cela. L'a ses dreads, ses claquettes aux pieds et sa guitare, que voulez-vous de plus ! S'installe pour faire sa balance tout seul. Gratte un peu, très folk-blues, et puis il commence à chanter et pas de problème, il vous sort une belle voix bluesy du meilleur tonneau de moonshine. L'arrête après quatre ou cinq morceaux et décide d'enchaîner sans plus de façon sur son set. Et le miracle se produit, un copain qui surgit, s'appelle Arthur qui est venu pour l'écouter et qui trimballe un étui, qui ne contient pas une mitraillette mais quel bonheur une guitare ! L'Arthur il est doué, lui faut une seule impro pour se mettre au diapason, et hop c'est parti. Idhaï change de répertoire, bye-bye le blues, voici une espèce de neo-folk très personnel, l'a gardé sa belle voix et durant une demi-heure, il va tenir l'assistance sous son charme, et comme Arthur prend de plus en plus d'assurance, ils vont nous servir de superbes potages, à chaque fois un peu plus épicés. Se complètent à merveille l'électrique d'Arthur qui broute de plus en plus vite, et l'acoustique d'Idhaï qui ne se laisse pas démonter. Z'auraient pu rester davantage, mais non ils laissent la place. Cet Idhaï si cool je me jure qu'à la première occasion j'irai le voir avec son groupe. Trop court. Trop bon.

REDHOT TRIO

Cavalcade de chevaux en furie. Claquements secs et d'une violence inouïe sur le granit des étendues sauvages. Batterie à gauche, batterie au centre, batterie à droite. Non ce n'est pas une expérience à la Slim Jim Phantom et sa série de double-batteurs qui n'a pas vraiment convaincu. Vous avez bien, la formation, minimale et absolue du rockabilly, contrebasse, drums et guitare, mais le RedHot Trio en use avec une véloce férocité. La big mama de Scotty n'a pas un embonpoint excessif, ses épaules ne sont pas des plus larges, l'on pourrait la qualifier de maigrichonne, mais quel son ! Pas une tamponnade qui vous étouffe sur l'heure, un son mat et en même temps vibrant, qui explore toutes les basses harmonies sonores tout en culminant sur une strette, je ne dirais pas aigüe mais claire. Scotty n'a pas la main scotchée sur le cordier, elle frappe et rebondit sans fin, elle impulse une folle énergie qui ne faiblira jamais.

Vous filez dès le deuxième morceau dans la Cadillac de Vince Taylor. Vous comprenez mieux pourquoi la poupée n'est jamais revenue. Conduisait comme une folle, et le véhicule en accélération constante ne possédait pas de pédale de frein. Pas de regret à la fin du morceau elle doit tourner sur les anneaux de Saturne. De quoi permettre à Ricky de montrer ce qu'il sait faire. Le RedHot Trio possède une feuille de mission ultra simple, tout morceau qui dépasse les trois minutes est interdit. Difficile pour un guitariste de se perdre en de longues et savantes démonstrations d'autant plus qu'il lui faut aussi se tenir au diapason de la rythmique de Scotty. Vous frappe les cordes à un rythme de madurle, prend juste de temps en temps moins de dix secondes pour ce que l'on ne peut pas appeler un solo, plutôt une intervention commando, s'agit d'annihiler l'ennemi en son cœur de vous le cryogéniser en trois coups d'éclairs sonores aussi aveuglant que la lumière condensée dégagée par une frappe atomique. Inventif le jeune gars, ne vous laisse jamais les neurones en repos, vous offre de l'inattendu, des vibrations auditives aussi racées que le fil d'un rasoir, vous enfonce des chevilles dans le cerveau à la manière de ces coins dont on use pour éclater le tronc des chênes séculaires.

Kane est le mec le plus heureux qui soit sur sa bécane drumique, les autres montent les cols à toute vitesse, lui il se contente de suivre, ne se poste brutalement en avant que pour les changements de direction, les routes goudronnées il n'aime pas trop, préfère les sentiers escarpés qui vous coupent le souffle ou les descentes vertigineuses qui vous enfouissent au fond d'un abîme duquel vous croyez que le groupe ne ressortira jamais, mais Scotty sur son pédalier infatigable vous refile en continu l'énergie nécessaire, et la voix de Ricky vous arracherait de n'importe quelle ornière. Avec sa gretsch cochranique et ses cheveux blonds couleur banane curieusement hérissée, il a une coupe imparable, et son vocal incisif se colle à toutes les bifurcations rythmiques, de haute ascendance ou de chute irrémédiable, un jeu précis et infernal.

Sont marqués par les Stray Cats certes, et outre leurs propres morceaux ils revisitent tous les vieux classiques indépassables, aucun respect, vous les traitent à la dure, z'ont intérêt à se manier l'arrière-train et à ne pas être mous du genou, le Trio vous fait comprendre que dans la vie rien n'est acquis, et qu'il ne faut pas vivre sur sa réputation, vous époussette le répertoire au bazooka. Vous le ripoline au vitriol. Le rock'n'roll ne se fait pas de cadeau, ou vous êtes vivant, ou vous êtes mort. Lève-toi et cours plus vite, camarade-rocker le vieux monde du rock est derrière toi ! Rouge brûlant, chaud bouillant et la trionité du rock'n'roll sera accomplie.

Question méthodocité, c'est simple : deux minutes vingt secondes d'enfer sur terre, puis Ricky se tourne vers son ampli, vous dit merci, vous pensez que c'est terminé, vous maintiennent sur le grill depuis deux heures, mais il se retourne et c'est reparti pour la guerre des étoiles et trente-six chandelles. Vers la fin, ils esquisseront quelques slows sixties, en fait des maelströms d'orang-outan en colère ou de gorilles enragés qui vous convainquent définitivement de la haute nocivité rock'n'rolesque de la formation. L'on sent qu'ils ont du mal à arrêter, alors ils vous chaloupent deux Cochran titaniques, un Johnny B. Goode qui ressemble davantage à une invocation au mal absolu qu'au bien relatif, et pour le coup de l'étrier un petit Chat Rayé afin de vous griffer au visage une dernière fois, une cicatrice purulente en formation pour que jamais vous ne puissiez oublier cette soirée démonique. Ce qui tombe bien puisqu'il n'en était pas question.

Damie Chad.

MONTREUIL / 26 – 10 - 2019

L'ARMONY

THE RED RIDING / TONY MARLOW

Attention ce soir une soirée genrée, que des mecs, je ne parle que des musiciens, Alicia F qui a pris l'habitude de s'immiscer pour trois genialissimibus morceaux dans les sets de Tony Marlow est absente. Rien de grave, ou plutôt du très-grave, la demoiselle se prépare pour sa première apparition publique sous son nom, avec son propre band, ce sera au Quartier Général le samedi 2 novembre qu'elle lancera son offensive. Réservez votre soirée. Vous vous en voudriez tout le reste de votre existence – désormais déplorable – si vous ratiez l'évènement.

THE RED RIDING

Accoudé au comptoir ne leur ai pas porté une attention manifeste pendant qu'ils s'installaient. Cinq sur scène, un véritable big band pour la petite surface sur laquelle ils s'activaient ferme. Pantalon noir, chemise extra-blanche rehaussée par la présence d'une fine cravate noire, peut-être pour cela en ai-je déduit avec un certain dédain qu'ils étaient un groupe de jazz, j'en ai même conclu que puisqu'ils étaient deux chanteurs nous allions avoir droit à d'interminables roucoulades onomatopico-scatiques.

Si un seul rayon de soleil éclaircit les nuages, les deux premiers coups de batterie m'ont fait me retourner dare-dare, jamais au grand jamais un combo-jazz ne débuterait par une entrée en matière si rock'n'roll. Il est des chemins sur lesquels reculer équivaudrait à se fourvoyer. Au premier fuzz de guitare il faut s'amender, nom de Zeus, The Red Riding nous a transportés dans le son typique des garage-bands américains des années soixante. Et sur ce, nos deux chanteurs se mettent à corner tels Sam and Dave. Et encore sur les deux premiers morceaux, ils se sont bien tenus, se sont contentés de se hurler dessus chacun leur tour, à croire qu'ils se disputaient pour savoir à qui reviendrait la dernière chips écrasée au fond du paquet égaré dans la poubelle publique, juste à côté du plastique entrouvert qui laisse entrevoir la crotte d'un chien galeux nourri aux croquettes anti-urinaires. A ce niveau-là, l'assistance a compris que l'on n'était pas en présence de ceux qui avaient inventé l'eau tiède, que le Seigneur recrache en signe de dégoût nous a enseigné la Bible.

L'affaire s'est totalement éclaircie lorsqu'ils ont changé de continent. Se sont parachutés dans les heures glorieuses de la perfide Albion, ont carrément sauté dans la gueule du volcan. My Generation des Who, rien de mieux pour marquer son identité, certes ils n'étaient pas nés en ces temps heureux, mais ils s'inscrivent dans cette mouvance inter-générationnelle qui a trouvé son graal dans cette renaissance historialo-européenne du rock. Question vocal, c'est le gueuloir flaubertien, quel plaisir, quelle faconde de bredouiller le ge-ge-ge initial, de le redoubler, de le quadrupler, de le quintupler, de le proliférer et de le disséminer, et de le déchiqueter afin d'en répandre les morceaux sur le public comme une ondée d'arsenic mortelle.

C'est le morceau idéal pour s'intéresser au bassiste, un vicieux notoire, non il ne regarde pas sous les jupes des filles, il fait pire. Pendant que Seb vous engraisse le riff, Yoann – si je ne me trompe point – fait son boulot de bassiste, rajoute du gras au gras double, il ne mérite aucun reproche, mais là où il faut lui voter une couronne de laurier, c'est à l'instant exact où Seb a terminé de vous écorcher avec son riff et qu'il se prépare à envoyer le suivant, Yoann lui rattache une suite, une espèce de grincement de poulie rouillée oubliée au haut d'un palan un soir brumeux sur le quai des bateaux fantômes dans un port perdu. Une horreur dantesque qui vous fait froid dans le dos et vous brûle les génitoires. Quant au batteur doit se prendre pour le tambour d'Arcole, vous bat le rappel des troupes sous la mitraille sans faillir.

N'est pas encore minuit mais le divine Gloria s'en vient rouler des ses hanches dévastatrices ce qui plonge nos deux cantaors en une fureur terrifique, le plus jeune en pique une crise d'épilepsie sur le devant de la scène, l'a les muscles tétanisés agités d'étranges soubresauts sans doute vaudrait-il mieux l'achever tout de suite surtout que son compagnon pousse des rugissements de triomphe comme le lion du cirque Pinder qui au sortir d'une longue crise psychanalytique a enfin surmonté son complexe de castrateur et a tranché net d'un seul coup de mâchoire le tête que le dompteur avait imprudemment aventuré dans sa gueule. Du coup notre auto-chamanisé empli d'une bestiale fureur incompressible s'en va hurler dans l'assistance, vraisemblablement à la recherche d'une autre victime propitiatoire.

Un tintouin de tous les diables. A leurs actes ils joignent la parole. Font des reprises mais ont aussi leurs propres morceaux. En français. Ne donnent pas dans le consensuel médiatique. Pas possible de les confondre avec les commentateurs patentés de la télé ou de la radio. Annoncent clairement la couleur, au rouge critique et au noir de rage, ils rajoutent le gilet jaune. Vif, genre soleil resplendissant. Des gars généreux qui n'hésitent pas adresser des mercis compassionnels aux bienfaiteurs de l'humanité que sont les banquiers et saint Medef Gattaz.

Dans la salle c'est le délirium pas très mince du tout. Ça jerke dur, une espèce de marée humaine montante et mouvante qui n'arrête pas de crier de plaisir. On les aurait bien cocoonner encore un peu nos bébés braillards, vagissants et vindicatifs, mais il se fait tard. Hélas, pourquoi les instants de bonheur ont-ils tous toujours une fin. Tout compte-fait je me demande si ce n'est pas la faute du Medef.

TONY MARLOW

L'on ne change pas une ambiance qui gagne. Vous avez eu le rock, et voici le rock'n'roll. The Red Riding ont allumé le feu, Tony Marlow et ses deux acolytes vont vous rajouter quelques bidons d'essence. Triche un peu le Marlou, l'a trois briquets magiques, Amine Leroy à la contrebasse, Fred Kolinski à la batterie, et sa guitare. Une duo Gretsch. Avec celle-ci vous iriez au bout du monde. Utile précision, il faut savoir s'en servir. Pas donné à tout le monde, mais à Marlow. Si. Sur le morceau d'introduction, RDV à l'Ace Café l'on a noté une migration de masse vers la scène, mais dès Around and Around, l'on a senti que l'on changeait de dimension. Plus un centimètre carré de libre, Thierry Lerendu à qui vous devez les photos qui accompagnent cette chronique a été obligé d'élire pratiquement domicile fixe sur l'estrade pour avoir la possibilité de prendre ses clichés, ailleurs la houle des corps l'empêchaient d'officier.

Amine est Leroy de la Big mama. Vous lui file de ces gifles pour qu'elle marche droit que seriez prêt à porter plainte. Mais vous réfrénez votre indignation car vous retirez un tel plaisir de cette redondance sonore que vous ne voudriez pas vous en priver. Par contre lui, Amine il est incapable de rester droit, l'est emporté par des rages subites de remuements frénétiques, un peu comme si la grande horloge du salon devenait folle et que vous voyiez son pendule osciller à tout rompre dans le seul but de presser le temps et de hâter votre mort. Vivre vite et mourir jeune a dit James Dean, l'on n'est pas obligé de suivre ce prétexte, il y a encore tant de merveilles à admirer dans le monde maudit du rock.

Les doigts de Tony. De véritables accapareurs, de regards, il y a du sadisme chez Marlow, cette façon de vous poser son instrument sous les yeux et de vous prouver qu'il joue cartes sur table, sans filet, tout à portée de la main, et ce léger recul du corps, ou cette légère voussure de sa haute stature aussitôt rehaussée tandis qu'une luisance de contentement traverse fugitivement son regard d'aigle. Et le public exulte de cette moirée de notes qui vous assaillent et vous cisaillent l'âme. Ce soir c'est la fête du rock'n'roll, le bal des ardents pionniers, les débridées si adroitement chaloupées du grand Chuck, et deux magnifique hommages à Gene Vincent qui poussent l'extase de la foule à son comble, un fabuleux Going home recouvert de clameurs et le Quand Cliff Galoppe dans lequel Tony nous donne une démonstration de la naissance de la guitare rock'n'roll, cette façon sans pareille que Cliff a eu de marier la rythmique country aux dégradés éblouissants de Django Reinhart, le marlou vous explique l'inexprimable, vous conte la magie de cette fusion originaire d'une manière si exemplaire qu'il vous semble être présent aux côtés de Cliff chez Capitol en 1956.

Une troisième maître, je ne parle pas de Buddy Holly représenté par son Blue day, black night aux contours trop doucereux à mon avis, mais à l'autre pionnier, bien de chez nous, Tony le Marlou qui depuis quarante ans s'est attaqué à une relecture transcriptive de l'earlier rock'n'roll, mid fifties, mid sixties, et à son oeuvre originale, ces nouveaux classiques que sont R'n'R Princess, Miss Brighton, Le garage, et quelques autres qu'il n'aura pas le temps d présenter ce soir, et que là il a interprétés avec une munificence orchestrale – je précise qu'ils ne sont que trois instrumentistes – sans précédent. Fred Kolinski impérial dans sa façon de distribuer le passage entre guitare et contrebasse, s'est carrément placé à la croisée du chemin, dans la cabine d'aiguillage, et l'on a entendu le moutonnement de la guitare, comme lorsque le troupeau se trouve subitement arrêté et que les brebis se tassent, s'entassent, se pressent, montent et culminent les unes sur les autres et que la contrebasse pousse les jappements des chiens qui remettent de l'ordre dans ce basculement effarant. Fred a cette frappe qui se retranche d'elle-même pour mettre en avant le travail de ses acolytes, sans lui il n'y aurait ni harmonisation synthétisante, ni ces brusques coulées de lave dévastatrice selon qu'il ferme ou ouvre le passage, qu'il marie les deux courants ou les sépare par la cadence sourcilleuse de sa pulsation, il voit le problème et il le résout. Vigilance, esprit de décision et vitesse de réaction sont les trois mamelles de l'induction kolinskienne.

Tony invite Pascal à monter sur scène pour présenter sa cigar box et donner une petite démonstration en duo, un son un peu plus grêle que la Jet de Tony mais idéale pour les parties de slide, z'avez l'impression qu'il agite de fines feuilles flexibles de métal. S'adonnent tout deux à un blues balancé de Jimmy Reed et Pascal outre sa virtuosité démontre qu'il possède une belle voix rauque qui convient parfaitement à ce genre de morceau.

La lumière clignote, personne ne tente de comprendre la clarté pas du tout intermittente du message. Il est près de minuit et l'extinction des feux était prévue pour vingt-trois heures. Rachid vient rappeler la rude loi municipale, mais tout le monde implore un dernier morceau. Ce sera Get Crazy, un pousse-au-crime, que Tony fera durer un bon quart d'heure, avec des hauts et des bas, des houles et des contre-houles, l'assistance frise la folie collective, et il faut reconnaître que c'est une chance de n'avoir pas été tous en groupe embarqués pour Sainte Anne.

Damie Chad.

23/10/2019

KR'TNT ! 435 : MICK RONSON / BELLRAYS / MOONSHINERS /RAY ALLEN AND HIS BAND / PALMYRE / THE NEXTFLOOR / HOAX PARADISE / JADES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 435

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

24 / 10 / 2019

 

MICK RONSON / BELLRAYS

MOONSHINERS / JOHNNY MONTREUIL

RAY ALLEN AND HIS BAND

PALMYRE / THE NEXTFLOOR

HOAX PARADISE / JADES

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Ronson toujours deux fois - Part Two

Durant les dernières années de son règne, Ronno a multiplié les jobs de prod et les plans collaboratifs. On en retiendra quelques-uns, à commencer par Dylan qui l’embauche pour jouer dans le Rolling Thunder Review. On entend donc Ronno jouer sur «Maggie’s Farm», le cut d’ouverture d’Hard Rain, un album live paru en 1976. Grosse énergie. Ronno tisse des trames. Quel enchanteur ! Et il claque un bon solo de Hull. Attention, avec Dylan, ça n’en finit pas. La version de «Stuck Inside Of Mobile With The Memphis Blues Again» qui se trouve sur ce live est monstrueuse. Bien des années après, le texte reste un rêve de parolier. C’est là très précisément qu’on réalise à quel point Dylan est unique dans l’histoire du rock. Son rock reste bien le nec plus ultra du rock américain. Les versions d’«Oh Sister» et de «Lay Lady Lay» sont aussi énormes, jouées à l’épaisseur du mythe dylanesque. Il chante ça dans une sorte d’unisson, avec toute la pression mélodique qu’on peut imaginer. S’ensuit un «Shelter From The Storm» élégiaque. Ici, tout est traité au plus haut niveau de textualité. Pas de place pour les bas du front. Dylan s’adresse à l’intellect. Avec «You’re A Big Girl Now», on retrouve cette magie qui nous berçait dans les sixties et qui nous faisait croire en la beauté d’un monde de rock électrique - Time is a jet plane/ It moves too fast - Il y a quelque chose de messianique chez Dylan, il porte tout au plus haut niveau de la portée des choses. Il amène son «Idiot Wind» à l’embrun de protest song et ça souffle par delà les océans. Dylan est en colère, comme Neptune, alors il souffle le rock sur la terre des hommes tellement indignes. Dylan est encore en vie, il se dresse dans l’histoire du rock comme un dieu qui dénonce, mais il envoie des coups d’épée dans l’eau car trop peu de gens l’écoutent et le comprennent.

La même année, Ronno enregistre Cardiff Rose avec Roger McGuinn. Comme ils jouaient ensemble dans le Rolling Thunder Review et qu’ils s’entendaient bien, ils envisageaient de monter les Thunderbyrds. Dommage que le projet n’ait pas abouti car Cardiff Rose vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour «Take Me Away», un cut d’ouverure de bal gorgé d’énergie guitaristique. C’est joué au fouillis de son et porté à ébullition. Quel fantastique brouet de lancinances soniques ! Ronno y fait un festival hallucinant, il joue dans tous les coins. Puis avec «Jolly Roger», Roger passe à la piraterie. Cardiff Rose est le nom du vaisseau - Pull away me lads of the Cardiff Rose/ And hoist the Jolly Roger - On y entend craquer les cacatois. Par contre, «Rock And Roll Time» sonne comme un morceau des Clash et c’est beaucoup moins glorieux. Roger tape dans Dylan avec l’excellent «Up To Me» - You looked a little burned out my friend/ I thought it might be up to me - Les chutes de couplets sont des splendeurs - One of us has got to hit the road/ I guess it must be up to me - Roger entre dans le grand décorum avec «Round Table» et sa pop vaut bien celle de Bowie. Voilà une merveille richement dotée. Ronno ramène toutes les dynamiques dont il a le secret. Et Roger partit vers l’Est - And they kept headin’ towards the East - c’est plein d’allant, de son et de Holy Grail. Extraordinaire. S’ensuit «Pretty Holly», une chanson traditionnelle jouée au banjo par ce diable de David Mansfield et digne de Dylan. Tout ce que fait Roger dégouline d’excellence. Comme au temps des Byrds, il veille à rester dans le très haut de gamme. Il finit avec une reprise de Joni Mitchell, l’infectueux «Dreamland».

Autre aventure de Ronno en Amérique : les fameuses Secret Sessions enregistrées en 1977 avec Corgy Laing, Leslie West, Felix Pappalardi et l’Hunter-continental. C’est l’occasion d’entendre ce guitariste génial qu’est Leslie West, qui par le gras surpasse Ronno. La preuve ? Dans «The Best Thing». Leslie West y ramène tout son gras double. On a tout de suite du son, énormément de son, West vibrillonne comme un Mountain man. L’autre grand acteur de ces Secret Sessions, c’est Felix Pappalardi. Il faut l’entendre titiller le bassmatic dans «Silent Movie». C’est du boogie, mais avec du son et l’extraordinaire présence de Felix le chat qui joue un peu comme Jack Bruce. Ces sessions eurent lieu à l’initiative de Corgy qui voulait sortir un album solo pour Elektra, mais comme le label venait de changer d’optique commerciale en voulant mettre le paquet sur les Cars et Costello, le vieux boogie à l’anglaise n’était plus en odeur de sainteté. Et hop, le projet fut dégagé. Avec «I Hate Dancing», ils sonnent comme le Bowie diskö. L’horreur ! On revient à l’Hunter-marché avec «The Outsider». C’est forcément efficace. Leslie West joue dessus. Il tire plus de notes que Ronno. Il est plus féroce dans le développé des embrouilles soniques, il tient tête à la décence et se déverse dans l’inconscient collectif. Felix le chat revient faire des merveilles sur «Just When I Needed You Most», une sorte de balladif évangélique, quant à Leslie West, il ramène tout son graillon dans «Lowdown Freedom», un magnifique cut de good time music.

Si on se demande ce que foutait Ronno avec Slaughter & The Dogs, l’un des groupes punk les plus énervés, la réponse est simple : Mike Rossi et ses camarades étaient des fans de Ronno et de Bowie. Il tirent en effet le nom de leur groupe de Slaughter On Tenth Avenue et de Diamond Dogs. Ronno joue donc sur deux cuts de l’album Do It Dog Style, paru en 1978 : une reprise des Dolls («Who Are The Mystery Girls») et «Quick Joey Small». Ronno s’adapte à tous les plans, c’est un homme souple. Il ramène toute la hargne de Hull dans le brouet de Manchester. Dès que Slaughter & the Dogs reprend le format rock, ça redevient intéressant. Ronno s’amuse bien. Ce genre de fournaise reste dans ses cordes. La reprise des Dolls est peu punkoïde, mais Ronno l’allume bien à coups de cocotes maladives et de filins incisifs. Il monte ça en température juste quand il faut. Et pour le reste ? C’est du punk de Manchester, mais pas aussi élégant que celui des Buzzcocks. Les Dogs se veulent plus agressifs et ça ne vieillit pas très bien, comme d’ailleurs l’ensemble du punk-rock de la deuxième vague. Ils jouent ce qu’on appelait alors du punk de petite berzingue, sans queue ni tête. Mike Rossi tente de sauver les cuts à coups de killer solos flash mais c’est difficile. Il se montre très entreprenant dans la reprise d’«I’m Waiting For The Man». On les sent contents de leur sort et irrévérencieux. Dès qu’ils ne jouent plus de punk-rock, comme c’est le cas avec «You’re A Bore», ils redeviennent intéressants. Ce dingue de Rossi enjolive tout à la clé de sol. Ils flirtent avec le glam dans «Keep On Trying» et bardent «We Don’t Care» de bon son. On sent qu’ils y croient dur comme fer. Rossi est assez brillant, il peut jouer du solo de perlimpinpin. Il n’a pas besoin de Ronno pour allumer la gueule d’un cut. Il a du riff à revendre. Il fait un véritable festival dans «Dame To Blame», on le voit voyager dans le spectre du solo de wah. Franchement, ce petit mec joue comme un démon.

La même année, Ronno produit l’album des Rich Kids, le fameux Ghosts Of Princes In Towers. Il s’y niche une pure merveille, le morceau titre, un hymne Mod bardé d’énergie et traversé par une bassline alerte et courageuse. C’est chanté au meilleur cockney slang de street. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit magique. L’album réserve d’autres bonnes surprises comme ce «Hung On You», très anglais par le son des guitares. Les Kids flirtent avec le Mott. On sent la patte de Ronno dans la prod, cette façon de pousser les guitares devant dans le mix et de faire mousser le gras double du solo. C’est tout lui. Le solo prend même des allures thunderiennes. C’est dire si Ronno s’y connaît en maintien de la persistance. Tiens, puisqu’on parle de Johnny Thunders, voilà «Bullet Proof Lover», quasi-Dollsy tellement les guitares sont belles et que ça boogotte bien dans les brancards. Avec la bassline aérodynamique de Matlock, ça passe comme une lettre à la poste. D’ailleurs, il fait un festival dans «Rich Kids». Il faut l’entendre jouer ses gammes folles. Il multiplie les descentes vertigineuses et le mix le met bien en évidence. Ronno tente aussi de donner de la profondeur à «Put You In The Picture», un petit rock sans conséquence. Mais sans résultat. Dommage, car ça postillonne bien dans le micro à coups de poutchou inda pikchure. On retrouve de la belle cocote dans «Burning Sounds». Matlock sait écrire des chansons, car voilà une structure mélodique intéressante, il faut bien l’admettre. C’est d’autant plus convaincant que ces mecs jouent bien, et comme c’est produit de main de maître, alors on se régale. Les Rich Kids ne pouvaient pas rêver meilleur chaperon que Ronno.

On se comprend pas que Ronno soit allé produire l’album diskö de David Johansen, In Style, en 1979. Dommage, car Richard Avedon signe la pochette mais Dan Hartman rôde dans les parages, d’où la diskö, et ce dès «Melody». Bon d’accord, on a truc dansant, c’est du stomp de diskö beat, un truc de Studio 54 noyé d’orgue, tout ce qu’on voudra, mais on perd les Dolls. Quand on entend «She», on se demande vraiment ce que Ronno vient branler dans cette misérable histoire. Johansen se grille. Quel gâchis ! Ronno et lui auraient pu faire des étincelles. Ils font même du reggae avec «She Knew She Was Falling In Love». Atroce ! Nous voilà le museau dans le caca des eighties et des mauvais disques à la mode. On trouve enfin du rock à guitares dans le morceau titre. Ronno ramène ses arpèges et ses cocotes miraculeuses, alors ça change tout. Il fait le show. Et quand Sylvain Sylvain ramène sa fraise dans «Wreckless Crazy», on repart sur les Dolls. Ouf ! Chœurs parfaits, voilà enfin un cut digne du grand Johansen. La bassline de Buz Verno tend tout. On a même un solo de tempête de sable et des magnifiques too-hoo-loo de relance.

En 1989, Ronno produit l’excellent album d’Andy Sexgang, Arco Valley. C’est en effet un bel album de glam décadent qui s’ouvre sur le sombre «7 Ways To Kill A Man». Chant très perverti. Ronno joue derrière. «Queen Of Broken Dreams» et «Jesus Phoned» sonnent très glam puis Sexgang tape dans la môme Piaf avec «Les Amants Du Jour». Étonnant clin d’œil. «Rock Revo» reste dans la lignée de la belle A, avec des accents à la Bowie. «Station 5» se montre digne de «Life On Mars», c’est dire si c’est bon, oui, car voilà encore un cut très maniéré, beau comme un ciel étoilé.

Paru en 1991, Casino Steel & the Bandits Featuring Mick Ronson vaut aussi le détour. Ne serait-ce que pour cette belle cover de «When You Walk In The Room», même si elle est un peu top martelée. Ronno joue dans ce brouet de power pop forcément bon, car d’origine grandiose. Fabuleux slab de glam-rock avec «Brickfield Nights». C’est explosé de son et d’énergie. Même chose pour «Virginity» - Naked you look great tonight - On retrouve la patte d’Andrew Matheson dans «Ride Me», une espèce de heavy boogie blast - You think I’m worried/ Heartbroken and sorry/ It’ll never happen to me - C’est du pur jus de Matheson, une véritable démonstration de force. C’est bardé à la vie à la mort, avec des chœurs de Dolls et de la purée de Ronno. Ils tapent «Story Love Affair» au heavy groove de bar de nuit et font une reprise de Schmoll avec «Don’t Boogie Woogie». Ils sont marrants, car ils tombent dans tous les panneaux. Ronno devait bien aimer Casino pour aller se prêter à de telles imbécillités.

Ronno produit Your Arsenal de Morrissey, mais il n’est pas crédité en tant que guitariste. Curieusement, on sent sa patte, et ce dès «You’re Gonna Need Someone On Your Side» et son merveilleux son de beat pressé. Quelle invraisemblable cavalerie ! Moz s’accroche aux branches. Alan White et les autres fournissent un background sonore infernal qui oblige Moz à surfer sur la crête - Day or nights ssss/ There’s no difference - Cet enfoiré sort son attirail, c’est-à-dire sa diction pervertie. On assiste ici à une hallucinante débauche de rock anglais et on est franchement ravi que Ronno soit mêlé à ça. Puis ça tourne au Moz Sound System sous-traité par Boz. Ronno supervise la purée de «Glamorous Glue», car c’est bien de purée dont il s’agit, une purée de quartier anglais et de kids qui y croient. Ça va le faire, kid, essaye seulement de chanter juste. Comme c’est plein de son, on dit : «Merci Ronno !» Mais on ne peut pas empêcher Moz de retomber dans son fucking Smith System. Le pauvre Ronno se voit contraint de produire des trucs infâmes du style «We Hate It When Our Friends Become Successful». Heureusement qu’il a refusé de se faire créditer sur ce disk pourri. Facile d’imaginer combien ça peut être difficile pour un mec aussi fin que Ronno de naviguer dans les brumes d’un univers aussi tourmenté que celui de Moz. Un Moz qui se prend pour Jo le décadent dans «I Know It’s Gonna Happen Someday». Mais il n’est pas Bowie et encore moins Ray Davies. La décadence ne s’invente pas. Mais Ronno se montre héroïque dans ce cut qui rappelle «Rock’n’Roll Suicide». Moz compare lui aussi Ronno à Jeff Beck : «Lui et Jeff Beck fonctionnaient de la même façon, ils se mettaient dans un coin et jouaient sans trop la ramener - without fanfare - And they both made their guitars sound like grand pianos.»

Ronno rejoint son vieux patron Bowie en 1993 pour l’album Black Tie White Noise. On y trouve deux merveilles, «Don’t Let Me Down» et «I Know It’s Gonna Happen Someday». Avec le premier, Bowie tente de rameuter sa horde de fans. Il a ce pouvoir. Il chante son balladif au meilleur intimisme et ça tourne au miracle. Pour le deuxième, Bowie va chercher une Soul de gospel batch et il redevient le chanteur légendaire qu’on admirait tant au temps d’Hunky. Ronno enlumine la scène comme lui seul peut le faire. Nous voilà au paradis avec des chœurs d’Edwin Hawkins Singers et Ronno superstar. Et le reste ? Biff baff boff. Bowie touille une version diskö du fameux «I Feel Free» de Cream. Mais c’est joué à la mode et privé d’intellect. Bowie tombe dans des soubassements d’electro inepte, Ronno amène un peu de jus, mais ça ne va pas. Ils jouent le morceau titre au petit funk à la mode, c’est le côté putassier de Bowie qu’on déteste. On ne comprend ce que Ronno vient branler dans la daube de cuts comme «Jump They Say» ou «Nite Flights».

L’ultime contribution de Ronno au monde du rock se trouve sur Earth Vs The Wildhearts des Wildhearts. Ronno sent que la mort l’emporte et dans un dernier râle il passe le solo de «My Baby Is A Headfuck». Ginger fut tellement tétanisé par l’ampleur de ce coup de génie fatal qu’il ne s’en remit jamais.

Le meilleur moyen de refermer le chapitre Ronno est encore de voir le film de Jon Brewer, Beside Bowie: The Mick Ronson Story. Il vient tout juste de paraître sur DVD. Brewer ne s’embête pas, il raconte l’histoire de Ronno en remontant la chronologie, en partant de Haddon Hall que Bob Harris compare à la Factory d’Andy Warhol, alors que ça n’a rien à voir. Cette grande maison de Beckenham relevait plus du monastère que de l’avant-garde new-yorkaise car Bowie et son entourage manquaient tragiquement de moyens. Il suffit de lire le livre de Woody Woodmansay pour réaliser à quel point ces gens-là partaient de rien. Et comme l’album The Man Who Sold The World ne marche pas, Ronno et Woody rentrent chez eux à Hull. C’est là que Bowie comprend qu’il doit faire appel à un manager et il choisit Defries. Il demande ensuite à Ronno de revenir et c’est Hunky Dory. Brewer met très vite en lumière le côté surdoué de Ronno qui apprend à écrire des arrangements avec Tony Visconti, qui vit lui aussi à Haddon Hall. Ronno pouvait ensuite orchestrer anything ! C’est lui qui écrit les arrangements de «Life On Mars». Apparemment, sa plus grande admiratrice est Angie Bowie, cette vieille excentrique qu’on voit trépigner au souvenir du beau Ronno.

Brewer gâche un peu la magie des Spiders en filmant des témoins comme Joe Elliot et Rick Wakeman qui sont aussi sexy que des curés de Camaret. Cet imbécile de Brewer ose même montrer Ronno sur scène à la fin de sa vie avec le vieux Bowie, le vieil Hunter-minable et deux vieilles cloches de Queen. C’est une faute de goût épouvantable, car Hunky Dory et la période Spiders From Mars incarnent précisément la perfection du rock anglais. C’est d’ailleurs Ronno qui amène le rock dans les Spiders. On parle ici de rock experience. Ronno amène un son. On le voit avec Bowie à Top Of The Pops. Ils font alors chavirer l’Angleterre. Lou Reed se dit fasciné par Ronno qui produit Transformer - Ronson’s good, woahh ! - On dit même dans le film que Transformer représente l’épanouissement de Ronno en tant que producteur. Bowie et Ronno attaquent ensuite leur première tournée américaine : 17 dates en 3 mois, ça veut dire ce que ça veut dire : l’Amérique n’est pas encore prête pour le glam - Le sera-t-elle jamais ? - C’est à Cleveland que le glam accroche, Cleveland, ville clé, big place for rock’n’roll. Pour Ronno, le team Bowie/Ronno marche bien car c’est à ses yeux la même chose que Jagger/Richards et Lennon/McCartney, avec des beautiful hairdos en prime, et des costumes. Tony Zanetta qui organise l’US tour se marre : «On a dépensé 400 000 dollars et on en a gagné 100 000, ha ha ha !» Mais il observe que la popularité augmente : «On est passé en trois mois de salles de 3 000 personnes à des salles de 20 000.» Tout ceci va se terminer en eau de boudin, car Defries ne paye pas les musiciens. Un jour, Woody demande au pianiste Mike Carson combien il gagne et il répond 800 £. Les autres sont payés 30 £ ! Alors forcément ça gueule. C’est la fin des Spiders. Defries essaye de lancer Ronno solo pour le transformer en rock star. Vas-y Ronno ! Tu seras le prochain Bowie ! Mais l’album Slaughter On 10th Avenue ne marche pas. Ronno se retrouve fauché aux États-Unis. Il accepte des petits boulots de production pour survivre. Il reçoit un gros chèque pour l’album de Morrissey. Et puis arrive l’épisode du cancer du foie. C’est un passage extrêmement émouvant qui peut faire pleurer. Ronno n’échappe pas à son destin, les médecins ne peuvent pas l’opérer. Wilko Johnson aura plus de chance. Et bien sûr, une fois que Ronno est enterré, des gens viennent rappeler l’essentiel : No Bowie without Ronno.

Mick Ronson ne fait plus l’actualité depuis longtemps, mais le petit label anglais Easy Action veille au grain : il réédite Just Like Us en vinyle. C’est inespéré. L’occasion est trop belle de réécouter ce hit qu’est «Just Like Us», même énergie que le chimney stacks de Jean Genie. Ronno n’en finit plus de fabriquer l’archétype du glam. Il voit loin, comme les Soul Brothers : all nite long. Il monte aussi «Hard Life» sur un très beau thème mélodique. Il torche un hit avec un brio de briochard, il construit des ponts d’arpèges par dessus les vallées enchantées. Il gorge son «Crazy Love» de Les Paul, Ronno adore les balladifs, il n’a pas la voix de Bowie mais il impose un style. Il tape une superbe version de «Hey Grandma» et rend un sacré hommage à Moby Grape. Vrai merveille d’ups and downs et de looking so good.

Signé : Cazengler, Mick Ronron

Bob Dylan. Hard Rain. Columbia 1976

Roger McGuinn. Cardiff Rose. Columbia 1976

Slaughter & The Dogs. Do It Dog Style. Decca 1978

Rich Kids. Ghosts Of Princes In Towers. EMI 1978

David Johansen. In Style. Blue Sky 1979

Andy Sexgang & Mick Ronson. Arco Valley. Bellaphon 1989

Casino Steel & the Bandits Featuring Mick Ronson. Revolution Records 1991

Morrissey. Your Arsenal. HMV 1992

David Bowie. Black Tie White Noise. Savage 1993

Wildhearts. Earth Vs The Wildhearts/ East West/Bronze 1993

Corky Laing, Ian Hunter, Mick Ronson, Felix Pappalardi. The Secret Sessions. Pet Rock Records 1999

Jon Brewer. Beside Bowie: The Mick Ronson Story. DVD 2017

Mick Ronson. Just Like This. Easy Action 2018

BellRays du culte

 

Lisa Kekaula pourrait très bien prétendre à un trône africain. Elle allie une voix d’airain au port d’une reine. Elle pourrait donc revêtir un boubou de soie rehaussé de fil d’or et alourdir ses bras de bijoux antiques, mais non, elle se présente à nous coiffée d’un chignon dressé en gerbe et les hanches serrées dans un pantalon de cuir noir. Lisa Kekaula entre sur la scène du Gibus comme si elle entrait dans la salle du trône de l’empire Dogon du XVe siècle : elle fait d’abord entendre sa voix puis elle se manifeste physiquement, imposant à tous et à toutes sa puissante prestance animale. Elle détient aujourd’hui le Soul power que détenait Aretha en 1968.

On ne se lasse jamais des BellRays. On peut les voir dix fois, vingt fois sur scène, ça reste intensément bon. Lisa Kekaula shout-balamalate l’une des meilleures flambées de Soul du monde, elle réactualise chaque fois la pulsation organique à laquelle les grands shouters noirs nous ont habitués. Écoutez n’importe quel album live de Wilson Pickett ou d’Ike & Tina Turner, et vous retrouverez cette animalité de peau humide et d’all nite long. Les géants de la Soul traversent la nuit. Leur énergie est celle des pulsions animales. Lisa Kekaula règne sur l’immense chaos de la sensualité avec une sorte de parfait mystère africain : pas de regard, la voix, rien que la voix, comme si les dieux primitifs s’exprimaient à travers elle. Bob Vennum place ici et là des solos dignes de ceux de Wayne Kramer, notamment dans l’explosif « Black Lightning » de fin de set. Ils démarrent sur un « Bad Reaction » tiré de leur dernier album et Lisa Kekaula profite de « Shake Your Snake » pour aller groover dans le public, avant d’enchaîner avec ce magnifique brûlot qu’est « Perfect », nouvelle occasion de saluer le MC5. L’un de leurs plus beaux coups d’éclat reste « Everybody Get Up » qui n’en finit plus de claquer au vent comme l’étendard du meilleur rock de Soul américain.

Il faut savoir qu’on ne sort jamais indemne d’un album des BellRays. Californiens, Lisa et Bob ont monté le groupe en 1992. À l’époque, Tony Fate produisait et Bob jouait de la guitare. Leur premier album s’appelait In The Light Of The Sun. Sacrée entrée en matière. Pour un premier album, c’était un véritable coup de maître. Dans « Crazy Water », on les sentait déjà obsédés par Motown. Tony Bramel sonnait comme James Jamerson, le légendaire bassman du house-band de Motown. On ajoutait dans la sauce une trompette à la Miles Davis et on se retrouvait avec un hit. Et puis un autre, avec « Footprints On Water » que Lisa amenait d’une voix grave pour aller ensuite chercher une mélodie imparable. Avec « Same Ground », on retrouvait nos belles nuits rouges de Harlem, le beat des reins. Les BellRays renouaient avec l’authentique Harlem Shuffle. « You’d Better Find A Way » annonçait les incendies à venir. Non seulement ce cut amenait une nouvelle vision du rock, mais il s’imposait comme un modèle d’intégrité compositale. Lisa éclatait au firmament et Bob lui donnait la réplique. Encore plus somptueux : « In The Light Of The Sun », entrée en matière de voix diffuses et très vite embarqué au plus haut niveau mélodique. Ils grimpaient dans l’éclat, soutenus par des chœurs vaillants. Les hits des BellRays commençaient à sonner comme des classiques intemporels. Avec ce premier album, ils révélaient leur génie.

Let It Blast parut six ans plus tard. C’est là que la presse rock commença à s’intéresser à eux. Pour décrire le phénomène, les journalistes inventèrent cette formule : Aretha accompagnée par le MC5. Les BellRays se voulaient révolutionnaires, dans la veine du MC5, mais ils utilisaient un nouveau langage, le Soul-punk. Petit à petit, les BellRays se sont élevés dans l’échelle sociale du rock. De petit combo exotique revendiquant l’héritage du MC5, ils sont passés au rang de maîtres suprêmes du heavy blast américain et règnent depuis sans partage sur cet immense territoire.

Une chose est certaine : les BellRays sont avant tout un groupe de scène. Ils furent pendant un temps le meilleur groupe de rock californien. Passé à la guitare, Tony Fate ne se refusait rien, ni la riffalama à la Tony Iommi - ou pire encore, à la AC/DC - ni les incursions incendiaires à la Wayne Kramer. Comme drummer, ils disposaient d’une powerhouse à deux pattes. L’articulation centrale de cette machine infernale, c’était Bob Vennum. On l’a dit et répété à chaque fois, Bob Vennum était devenu le meilleur bassiste de rock sur terre. Il surpassait ses vieux pairs, Tim Bogert et Jack Casady. Bob Vennum avait un jeu de basse impulsif complètement exacerbé. Il pouvait pétarader comme dix Lemmy et jazzer comme Charlie Mingus. Il fallait donc voir les BellRays sur scène. Bob Vennum faisait quasiment le spectacle à lui tout seul. Il bassmatiquait comme un dieu. Il sautait, il dégoulinait de sueur, il carambolait ses notes, comme Tim Bogert le fit aux grandes heures de Cactus. Comme certains joueurs de tennis, il avait le bras droit beaucoup plus volumineux, à cause sans doute de la tension musculaire. Bob jouait à la vie à la mort. Et quand on aura compris que la dynamique d’un groupe repose sur le bassman, on aura tout compris.

Puisqu’on patauge dans les certitudes, en voici une autre : Let It Blast envoie au tapis. Lisa met le petit chien de sa chienne au service de l’un des plus effrayants carnages soniques de la fin du XXe siècle. Tony Fate fait subir les derniers outrages à sa bête à cornes. Il joue sur une SG Gibson rouge. Il peut jouer les machines à riffer quand ça lui chante et fait souvent passer Tony Iommi pour une belette. La cerise sur le gâteau, c’est l’immense Bob Bass Boss Vennum. Il ne peut pas rester tranquille plus de cinq secondes. « Changing Colors », c’est un peu l’enfer sur la terre. Lisa arrive là-dedans en hurlant. Une vraie fournaise, avec une basse qui ronfle. Horrible et merveilleux, comme dirait Huysmans ! Si le son paraît si peu soigné, c’est tout simplement parce qu’ils ont enregistré ça sur un radio-cassette. La basse sonne comme un battement de cœur. Chez Fate, on tire les notes. Elles se baladent comme des serpents dans les fougères. C’est à tomber de sa chaise. Ça cafouille dans la farfouille. Voilà une entrée en matière qui ne pardonne pas. Encore du beau foutage de garage avec « Cold Man Night ». De plus en plus motivé. La basse qui est sourde comme un pot remonte dans le mix. Lisa porte tout l’édifice à bouts de bras. Bob fait son ramdam, il martèle et il pilonne. Fate traîne au fond du studio, on l’entend à peine. C’est un cut explosé dans l’oignon, basse devant toute. Bob gratte trop de notes. À l’époque, quand on le voyait sur scène, il jouait des milliards de notes, il sautait en l’air en faisant les chœurs. « Today Was » s’inscrit dans la même lignée. Lisa tente de calmer le jeu, mais avec des démons comme Fate et Bob dans les parages, c’est impossible. Rien de plus infernal que ce « Kill The Messenger », monté sur un tempo à la Motörhead. Trop de power. Lisa parvient à régner sur cette extravagance. C’est le chaos total, l’empire du trash, on entend les forces du mal courir, elles nous rattrapent à la course ! « Blue Cirque » sonne la charge de la brigade légère. Les BellRays ont l’air de foncer dans la plaine sous le feu de l’artillerie russe. Ils ont cette capacité de susciter des images très fortes. C’est emmené à la batterie. Le pounding mène la danse. Il y a des petites zones de néant, mais le morceau repart toujours. Les BellRays développent d’authentiques capacités lysergiques en relation directe avec les tourments cosmiques des dieux antiques. Ils jazzifient « Testify » jusqu’à l’os du crotch. C’est un prêche de type Airplane, Flaming Sideburns ou MC5 - brothers and sisters everywhere - On assiste ici au retour en force du garage porté par un bassmatic diabolisé. Les BellRays en font un morceau assez lourd, au moins aussi lourd qu’un heavy-blues de Nebula ou de Pentagram. Bob bâtit des drives de jazz bass. Il est absolument spectaculaire. Il joue ces petites gammes rapides qui ont fait la gloire des grands slappeurs du XXe siècle. Bob et Fate sont capables de lever de grandes tempêtes jazzy à coups de boléros. L’équation du groupe est parfaite : une chanteuse colorée, un guitariste virtuose et une section rythmique d’avant-garde. Et si on n’est pas encore tombé de sa chaise, alors on va tomber avec « Black Honey », plaqué d’accords déments, gratté menu, emmené, intuitif, chanté à la vie à la mort - Black honey ! Black honey ! - Les BellRays, le grand groupe américain du XXe siècle ? Allez savoir. Ce « Black Honey » vaut tout l’or du monde. Petite cerise sur le gâteau : un solo d’antho à Toto signé Tony Fate qui rappelle ceux de Victor Unitt dans l’album Parachute des Pretty Things. Le drive de basse emmène toute la bande au firmament. Cette basse ronfle comme un gros poivrot assoupi. Rrrroarrrr !

Leur troisième album Grand Fury paraît en l’an 2000. L’apocalypse, c’est eux, évidemment. Nostradamus ne l’avait pas prévu. « Too Many Houses In Here » est une explosion collatérale. Il n’existe pas d’équivalent ailleurs, inutile de chercher. C’est brûlé de l’intérieur, ils vont bien plus loin que les Stooges, on ne sait pas comment c’est possible, mais on l’entend, on sent une forte odeur de brûlé sonique. Lisa se prélasse dans une braise héritée directement de « Motor City’s Burning », le vieux coucou du MC5. Pur génie. Et Bob qui se prend pour une escadrille pilonne tout ça. Avec « Fire On The Moon », ça continue. Tony cocote sa mortelle randonnée. Ces gens-là sont des fous. Ils riffent dans la viande et Lisa règne sur ce carnage. Aucun groupe américain n’a jamais sonné comme ça et ne pourra jamais sonner comme ça. Lisa allume le feu sur la lune. Suite de l’aventure riffique avec « Snake City », la machine de guerre s’ébranle et Lisa est aux commandes. Ils explosent tout. Absolument tout. C’est comme des Stooges gonflés à l’hydrogène. Puis on se prend « Screwdriver » en pleine poire. Lisa nous envoie rissoler dans la Rôtisserie de la Reine Pédauque. Le duo Bob/Fate dépasse l’entendement pyrotechnique. Ils ne jouent pas, ils blastent en permanence. « Heat Cage » n’a aucune chance d’en réchapper. Il vaut mieux avoir les oreilles solides pour écouter ça. On a là ce qui se fait de mieux dans le rock américain : la fournaise du Detroit Sound explosée jusqu’au vertige et la voix d’une reine de la Soul. Une véritable tornade d’embrasement. « Evil Morning » arrive et aucun répit n’est possible. Ces gens-là surjouent le destin du rock atomique. Rien ne saurait calmer leurs ardeurs sémantiques. Ils cherchent des voies nouvelles, comme le ver dans la pomme. Dès l’intro, « Stupid Fuckin’ People » est bombardé par les deux riffeurs fous. Rien ne peut les arrêter. Ils dépassent toutes les bornes, ils transcendent l’axe Blue Cheer-Motörhead-Stooges-MC5, ils vont encore plus loin, et Lisa hurle, elle s’empare des éclairs jaillis du ciel. On assiste au plus gros pilonnage sonique de tous les temps. Bob sort « Monkey House » à la note de bas de manche, puis c’est traité façon MC5. Nouvelle démence sonique à l’état pur. On a encore droit à un coup de génie avec les chœurs d’« Under The Mountain » et on ressort de cet album fourbu mais ravi.

Nouvelle monstruosité en 2003 avec The Red White And Black. Comme ils l’indiquent sur la pochette, la Soul est le professeur et le punk le prêcheur (Soul is the teacher and punk is the preacher). Folie pure avec le cut d’ouverture, « Remember », un truc de dingue qui perd ses roues, ils foncent de travers, comme s’ils roulaient sur les essieux. Léger parfum de free. Puis on retrouve le riffage du Destin mortel dans « Street Corner » et « Sister Disaster ». Fate hache tout ça menu. Voilà l’équation magique du rock moderne : voix + riffage + inspiration. « You’re Sorry Now » est une belle compo de Bob. C’est même un hit planétaire. Ambiance dramatique, accords descendants, foggy motion de riffs terribles. Voilà un hit fabuleux et gargantuesque. C’est un heavy-rock rendu mélodique par les descentes d’accords et le chant perçant de Queen Lisa. On revient au MC5 avec « Revolution Get Down ». Bob monte des ponts sur des lignes de basse effarantes. Il faut l’entendre traverser la fournaise révolutionnaire. Le cut est farci de breaks terribles. Bob croise au large comme un requin à lunettes. Faramineux. Pop explosive avec « Find Someone To Believe In ». C’est l’une de leurs spécialités. Ils savent faire du mélodif explosif. « Some Confusion City » est un magnifique morceau de batteur. C’est Eric Algood qui bat le beurre. Bob fait hey-hey et il gratte sa basse comme un con. Quelle magnifique équipe, franchement ! Les relances sont impitoyables. Les BellRays nous emmènent en enfer et on adore ça. Punk in the flesh avec « Black Is The Colour ». Lisa bat tous les records - Bein’ shot down on the blue side of town - Quand on entend « Stone Rain », on se dit : mais ce sont des malades ! La basse devient folle. Il faut entendre Bob perdre les pédales - I feel so lonely I could die - il va dans tous les sens. Il multiplie les descentes de manche. C’est lui le bassman le plus dingue de l’univers, il va là, et là, et il remonte ensuite par des ponts insalubres, quelle brute. On l’entend faire d’autres prodiges dans « Rude Awakening » et ils finissent avec un punk-rock qui envoie au tapis, « Voodoo Train ». Inutile d’ajouter que cet album compte parmi les grands albums classiques du rock.

Have A Little Faith sort en 2006. On démarre sur un gros groove joué à la manière des Temptations, « Tell The Lie ». Fate fait son funky wah king. Par derrière, Bob coud sa toile avec un doigté caoutchouteux qui en dit long sur sa culture groovytale. Fate a donc écrit le nouveau hit des Temptations. Un saxophone vient sopraner dans l’air torride. Lisa rassemble tout l’air de ses poumons pour honorer la mémoire des divas de la Soul. C’est réussi. Voilà « Time Is Gone », gros groove salace. Le tempo est bizarre, un peu mambique, comme mal embouché. Fate fait monter la pression. Il rentre dans le trou du track avec un extravagant chorus jazzy. Ce mec a des ressources. Il solote à la Zappa. Les BellRays mettraient-ils de l’eau dans leur vin ? C’est Fate qui écrit les cuts. On sent le compositeur ambitieux. « Chainsong » cumule les fonctions : le couplet passe du hardcore au jazz. Ça sonne comme une quête de sophistication, ce qui ne peut pas leur faire de mal. Ils cassent bien l’ambiance, avec des zones éthérées à la McLaughin. Et puis voilà « Pay The Cobra » et sa remontée en température typique des BellRays de la première heure. Le problème, c’est que tous les morceaux musclés se ressemblent. Et puis le couplet entre en apesanteur. Fate le relève immédiatement avec sa rythmique à la Tony Iommi. Il adore gratter sa bête à cornes. Ça le réconcilie avec la vie. Cette speederie bien fuselée qu’est « Snotgun » sonne comme une revendication de la liberté. C’est très politisé, même si snot veut dire morve - Everybody look at my snotgun/ Tune your guitar to the snotgun/ The alphabet ends with the snotgun/ And all I wanna do is to be free/ All I wanna - par contre, Bob signe « Change The World ». On change de registre. Les BellRays font claquer l’étendard sanglant de la révolte. C’est riffé à la vie à la mort - I don’t think I can kill myself - éclat du génie bellrayïque. Et voilà « Detroit Breakdown » qui est le gros cut de l’album. Pur Motor City sound - No more Iggy or the MC5/ Wayne’s been doin’ it in LA now, so you’re just livin’ a lie - Les BellRays remettent les pendules à l’heure. Effectivement, il ne reste rien du Detroit shakedown. « Maniac Blues » sonne comme une grosse affaire. Effarant de maîtrise. Lisa tire sur ses syllabes et Tony mitraille, bien soutenu par l’inéluctable Bob. Il faut que la gloire des BellRays resplendisse sur la terre comme au ciel. Ils terminent avec un shout de bravado suprême - ah-la-la palabalalah - une reprise des « Cornichons » de Nino Ferrer que Lisa swingue sauvagement. Elle envoie les cornichons, les tomates et les ouvre-boîtes danser dans la fournaise - ba-la-la-la - elle s’amuse comme une folle.

Raw Collection est une compile des singles parus entre 1995 et 2002. Et là, il est recommandé d’attacher sa ceinture. Le un s’appelle « You’re Sorry Now » : son caverneux, ambiance Soul sixties, et une basse rampante arrive derrière Lisa. Il s’agit d’une belle compo psyché de Bob, nappée d’accords crépusculaires. C’est absolument magistral et ça peut hanter un château d’Écosse. Lisa dispose de tellement de feeling qu’elle ne sait plus quoi en faire. Attention ! Ils s’attaquent ensuite à un classique vénéneux : le « Nights In Venice » des Saints. L’énergie dévastatrice dans un classique dévastateur, ça donne du dévasté dévastateur. Les deux riffeurs fous s’en donnent à cœur joie. Fate cisaille comme un fou. Il est dans son élément. La voix de Lisa colle parfaitement à ce classique de l’apocalypse. Ils vont même finir dans la collision. Bob tricote ses déflagrations souterraines. Franchement, sans les BellRays, nous serions bien peu de chose. Ils nous font le coup de la fausse sortie et reviennent avec toute leur barbarie. Bob reste sur une note, Fate se roule par terre et se tortille. Il faut aux barbares des compos terribles, voilà le secret. « Half A Mind » sonne illico comme un classique pop, et même comme un hymne. Fate joue tout en fuzz. La mélodie est là, évidente, montée sur une dynamique de basse décisive. C’est une véritable splendeur. Avec sa mélodie enchantée, « Mind’s Eyes » pourrait aussi sonner comme un classique des sixties. Bob joue une bassline de r’n’b et Lisa rayonne comme un soleil dans le ciel bleu des sixties. Les BellRays tapent dans le très haut de gamme. « Pinball City » sonne comme un punk-rock sauvage. Lisa prend le chant par en-dessous. La rythmique est du pur MC5. Ils poussent des Hey ! d’antho à Toto. Bob se balade. Il a la note facile. On reste dans le pinball Wizbiz avec « Mother Pinball », un shuffle de la Nouvelle Orleans - Come on ! Do the pinball, baby ! - « Tie Me Down » bascule dans la frénésie. Ils vont si vite qu’on doit s’accrocher à la rambarde. « Say What You Mean » vaut n’importe quel classique dévastateur. On plonge dans cette heaviness jubilatoire comme dans un bain de jouvence. Les foules reprennent le refrain en chœur. Énormité bardée de clameurs ! Ho ! Ho ! Ho ! On lève le poing ! Les BellRays tiennent tous leurs hits par la barbichette. Fate plonge dans un chorus d’une monstruosité hallucinante. Flip, flop, ils pataugent dans le génie. Lisa atteint le maximum de ses possibilités. Et le morceau repart, en défonçant tout. De toute évidence, Lisa et ses amis reprennent les choses là où les MC5 les ont laissées.

Hard Sweet And Sticky sort en 2008 avec une belle pochette gourmande. Fate a quitté le groupe. Ils attaquent ça avec un nouveau hit planétaire, « The Same Way », une pop éclatante envoyée avec tout le chien de sa chienne. Compo signée Bob Vennum. C’est quand même autre chose qu’Aerosmith. Au moins, il y a de la tenue dans ce balladif. « Infection » is hot as hell. Bob qui joue désormais de la guitare envoie un solo monstrueux. Avec les BellRays, c’est pas compliqué : si on leur demande de faire un album de rock, alors ils font un album de rock. Leurs albums font partie de ceux qu’on réécoute à intervalles réguliers, car on sait qu’on y trouve de la viande. L’incommensurable « Infection » se répand dans l’univers. Voilà « Comin’ Down », un mid-tempo poussé par une rythmique ingrate et brutale. Bob repart en solo glou-glou. Il compte désormais parmi les grands solistes américains. Ils reprennent leur vieux hit « Footprints On Water ». L’élégance de leur pop s’inscrit dans les annales. Lisa et Bob emportent leur pop de Soul au firmament, à coups de cris, d’éclats et de prodigieuse élégance. « That’s Not The Way It Should Be » vaut pour du typical BellRays : Lisa devant et derrière, deux fous riffent, avec des relances diaboliques et une dynamique exceptionnelle. C’est un cocktail dont on ne peut pas se lasser.

En 2010, Black Lightning paraît sous une pochette noire traversée d’un éclair anthracite. Comme on l’imagine, cet album recèle son petit lot de bombes. Et notamment le morceau titre qui fait l’ouverture. Son carré. Bob solote comme Wayne Kramer. Lisa reste cette fabuleuse shouteuse qu’on suit depuis le début. Le paradoxe, c’est qu’il n’y a pas de surprise. C’est aussi énorme qu’on le supputait. Même chose pour « Hell On Earth », nouvelle pièce fumante de rock incendiaire. On entend moins le double riffage d’antan. Le son est plus fusionnel, dans l’esprit de la lave qui s’écoule des flancs crevés du Krakatoa. « On Top » est un cut extrêmement punchy. Lisa l’expédie au firmament, elle a l’habitude. On note au passage que la puissance des BellRays reste intacte. « Power To Burn » est une pièce de belle pop mentalement élevée, montée à coups de mélodie, de power chorus et d’un ramassis disparate d’accords cavaleurs. Bob ne faiblit pas, ce n’est pas dans ses habitudes. Il revient toujours placer un chorus intéressant. Avec « Power To Burn », les BellRays nous offrent un modèle de power pop californienne. « Living A Lie » sonne comme du pur BellRays, une énormité rockée à la cantonade, vite troussée et enfilée à sec par un gros solo garage. Avec « Everybody Get Up », c’est tout simplement cocoté d’avance. Lisa chauffe la marmite. Et ça part dans l’épaisseur de la clameur. Dans la verdeur de la lourdeur. Dans l’éclat de l’aplat. Une véritable fontaine de jouvence. Toujours aussi épais et bon, voilà « Close Your Eyes » - c’mon take my hand and close your eyes - Bob part en vrille, c’est un démon du bonheur séculaire, il laisse filer son solo de feu liquide. Rien d’aussi magistral que les BellRays.

Retour en fanfare huit ans plus tard avec une nouvelle tranche d’histoire de l’énormité intitulée Punk Funk Rock Soul Vol.2. Dès « Bad Reaction », on note la présence d’une certaine aisance de la prestance. Ils jouent la carte du heavy boogie de type MC5, doctor, doctor please ! Ça reste un modèle du genre dans bien des domaines : classe du chant, heavy riffing, allure générale, puissance motrice. Doctor doctor, give me something/ For this bad reaction - Les deux coups de génie se nichent en B : « Now », pour commencer, véritable brouet extrapolatoire. Bob y crée un monde ambivalent digne des Yardbirds. Ça sonne comme un hymne à la flamboyance. Ils chantent à l’unisson - We’re playing a new song/ We’ve just learnt today - Pur jus de mad psyché, et Bob s’y prélasse comme Nabuchodonosor. S’ensuit un fabuleux « Love And Hard Times », heavy mid-tempo typique des BellRays, ultra chanté. Les trois quarts des autres titres passent aussi le Cap de Bonne Espérance, notamment ce « Man Enough » qui se situe dans la veine des early BellRays, joué à la tension maximaliste. Bob y développe une échaloppade de riffs sixties incroyablement éclatants. Il est l’un des roi de la rock action. Tout aussi excellent, voici « Brand New Day » qui ferme la marche de l’A. Lisa emmène sa troupe à l’assaut des charts qui ont disparu depuis longtemps, mais elle le fait avec un certain brio. On retrouve cette puissance dans « Junior High », une sorte de heavy rockalama emmené par un beat alerte qui ne traîne pas en chemin. Les BellRays ne plaisantent pas avec le beat. Ils adorent aussi les descentes de ponts classiques qui conduisent généralement à de nouvelles frontières. Tiens, encore un cut chargé comme une mule : « Never Let A Woman ». Ils sont infatigables, ce qui fait leur grandeur. Comme le disait Peter Handke, les BellRays portent le poids du rock. Neuf albums et pas un seul déchet. Qui dit mieux ?

En 2013, ils montèrent Lisa & The Lips, un side-project beaucoup plus Soul. L’album ravira tous les amateurs de hot Soul. Les vieux fans des BellRays y retrouveront aussi leur compte de bombes, avec par exemple « Come Back To Me », un mid-tempo fin et racé, gorgé de la meilleure soupe de Soul, où on entend Bob prendre un solo rissolé aux flammes de l’enfer. Et puis on trouve aussi cette pataterie râblée, « You Might Say ». Lisa monte à l’assaut, en puissante shouteuse. Voilà un rock-blast monté sur un groove seventies, craquant et bon comme le pain frais. Franchement, on ne peut pas espérer mieux. Puis Lisa prend « Trouble Mind » façon Esther Phillips, softy-sweety à la petite vitesse du beat bien tempéré. On la sent dans son élément - ease my trouble mind - on ne peut que vibrer, à condition bien sûr de considérer le genre comme supérieur. Et puis voilà ce « Stop The DJ » monté sur un funky beat à la Bootsy. C’est un funk digne des nuits rouges de Harlem, finement shafty. On suit à la trace cette belle ligne de basse insistante et bien groovy, toujours affiliée au meilleur funk des ghettos d’antan. On retrouve un mid-tempo infernal - leur vitesse de prédilection - avec « The Pick-Up », mélodique en diable - heaven goes around me yeah - une pièce de Soul inspirée. Et on revient au funky strut avec « Push ». Ils trottent dans les traces du push - you’re gonna have to push to make it all the way - Lisa grogne et le bassman Pablo se balade à longueur de manche. Il fait le grand jeu traversier du funkster impavide - push wouahhh - fabuleux et coulant. Ils terminent l’album avec une pièce mortellement ralentie et funkstée à la racine du poil, « The Player », exemplaire, précis et régulier comme un mercenaire bien payé - funky booty baby - pièce de rêve. L’album vaut l’emplette.

Signé : Cazengler, BellRaie du cul

BellRays. Le Gibus. Paris XIe. 17 octobre 2019

BellRays. In The Light Of The Sun. In Music We Trust 1992

BellRays. Let It Blast. Vital Gesture Records 1998

BellRays. Grand Fury. Uppercut Records 2000

BellRays. Raw Collection. Uppercut Records 2003

BellRays. The Red White And Black. Poptones 2003

BellRays. Have A Little Faith. Cheap Lullaby Records 2006

BellRays. Hard Sweet And Sticky. Vicious Circles 2008

BellRays. Black Lightning. Fargo Records 2010

BellRays. Punk Funk Rock Soul Vol. 2. Cargo Records 2018

Lisa & The Lips. Lisa & The Lips. Vicious Circle 2013

MONTREUIL / 17 – 10 – 2019

LA COMEDIA

MOONSHINERS / JOHNNY MONTREUIL

 

L'avaient annoncé à la météo : '' Aujourd'hui beau temps sur toute la France, toutefois attention, un unique point noir au niveau local, l'on signale ce soir à 20 heures une zone de fortes turbulences au croisement des rues Michelet et Vaillant de la paisible cité montreuilloise, un trouble atmosphérique assez rare, les spécialistes surnomment ce genre de phénomène une excessive agglutination de narvalos. Pas spécialement dangereux mais fortement déconseillé aux femmes enceintes, aux enfants, aux personnes âgée et à tout individu de moins et de plus 77 ans. '' On n'a pas écouté, mais de toutes les manières si on l'avait su, l'on serait venu quand même.

Essayez de tasser le contenu d'un œuf d'autruche dans une ovule de poule naine et vous comprendrez la pression à laquelle vous êtes exposé – au moins mille bars en ce bar - pas de panique, ce soir Montreuil fête son chanteur éponyme, et en première partie dégustation gratuite de Moonshiners. La vie est un dur combat, mais certains soirs l'on a l'impression d'avoir le ticket gagnant du loto dans la poche.

MOONSHINERS

Doit y avoir une éclipse et le soleil n'est pas au rendez-vous, pas facile d'apercevoir le groupe en entier, trop de monde qui s'agite dans tous les sens, enfin je le confirme, oui il y a un batteur, oui j'ai pu l'entrevoir, ce n'est pas une légende comme celle du vaisseau fantôme que se racontent les marins le soir au fond des tavernes embrumées, un minimaliste, la santiag droite qui tape le rythme sur l'estrade, et une caisse claire, pas plus et pas moins car il ne peut pas, normalement on ne devrait pas l'entendre mais c'est un rusé, tape systématiquement sur le rebord en ferraille, produit le bruit du tuyau en zinc de la gouttière sur laquelle vous vous amusiez à jeter systématiquement des pierres pour décaniller les oiseaux quand vous étiez petit. Un son un peu rustre certes mais qui renoue à quelque chose de tribal et de tripal caché au fond de vous. Celui-ci vous le voyez. Pas exactement lui, mais surtout sa contrebasse, la tient légèrement penchée comme ces voiles sur les petits voiliers qui vous empêchent d'admirer le physique bronzé du skipper. Lui il balance de l'eau dans la tuyauterie, l'a les notes qui coulent comme de la pisse vive, vous fout l'air de rien la rythmique en transe, bon vent force 7, ça tangue de partout, et vous ne pensez même pas à avoir le mal de mer.

Lui c'est le second. L'a donc deux fois plus de boulot que tout le monde, souque à la guitare et chante au cabestan. C'est comme cela quand on veut monter dans la hiérarchie, faut montrer qu'on en veut. Et qu'on en peut. Et lui il peut beaucoup. C'est lui qui brode sur la rythmique, l'a les doigts précis, les fioritures incisives c'est lui, l'a la patte véloce, velours un peu, quand il point trop n'en faut, mais il a une préférence certaine pour les poinçons expéditifs, le crochet du droit qui vous démolit si rapidement la mâchoire que vous oubliez de ramasser, au cas où la souris passe, vos dents sur le trottoir. Le pacha c'est Thierry, comme tout cadre supérieur il en fait le moins possible, il délègue, comme il n'y a pas de divan sur scène, il distribue les ordres et il s'accroupit paisiblement. Soyons juste, quand il prend le micro, vous ne comprenez pas comment il fait, mais sa voix surfe sur le haut de la vague, et s'infléchit sans se laisser submerger quand elle se creuse. En moins de cinq intonations il vous emmène très loin sur les collines du hillbilly, plus appalachien que lui tu meurs. Vous accomplit ce miracle avec une aisance incroyable, vous raconte le country d'avant Nashville, quand il gîtait dans les cours de ferme que les gars quittaient pour courir l'aventure et flirter avec l'illégalité. En fait ils la baisaient grave.

Ce n'est pas qu'ils soient des nationalistes éhontés, mais enfin si l'Amérique a ses Moonshiners, en France nous avons nos bouilleurs de cru. Ne foutaient pas des crotales dans l'alambic, mais un peu de venin de vipère, ça vous fortifie les nourrissons si vous rajoutez un quart de gnôle dans le biberon. Les Moonshiners c'est un peu l'internationale des mauvais garçons. Ceux qui riment avec baston. Les sauvageons, les voyous, les noirs blousons, les tout ce que voulez de pire, ils s'en foutent et s'en contrefoutent, parce que ce sont eux que les filles qui ont les yeux qui brillent préfèrent. Genre de thème qui met en joie notre second, s'empare de ce genre de chansons comme l'on sort un cran d'arrêt au fond d'une impasse obscure et il n'hésite pas à vous en crever le bide et la rate juste pour vous assurer qu'il ne s'amuse pas avec un canif émoussé. J'ignore si selon les canons scientifiques de la recherche universitaire l'on puisse conclure une relation de cause à effet, mais durant ces morceaux apaches les filles ondulent beaucoup plus fortement et leurs yeux se transforment en saphirs étincelants. Du coup tous les garçons s'adjugent des âmes de vaurien et de coupe-jarrets. Des morceaux comme Walk on boy, Wild one, Teddy Boy Boogie, et Suzanne ont procuré du rêve fort émotionnant à tout un chacun. Dans un sommeil si agité qu'ils ont même été obligés d'ajouter une Prière pour tout le mal que Dieu fait sur cette terre. L'on s'y trouve si bien, que l'on resterait une éternité à écouter ce groupe de Moonshiners.

JOHNNY MONTREUIL

Sont arrivés sous une ovation. Qui n'a plus cessé et qui s'est poursuivie longtemps après la fin du concert. Qui avait duré deux heures. Quand le gang des moustachus montent sur scène ce n'est pas pour sucer des glaces à la pistachu. Johnny pince les cordes de sa big mama. Aussi noire que sa chemise, à liserets et envol d'aigles blancs au niveau des épaules, style cowboy, mais à sa dégaine l'on pressent qu'il s'est toujours classé d'instinct dans les indiens, spécialement dans les tribus d'irréductibles, genre Séminoles qui sortaient de nuit de leurs marais pour incendier les ranchs. Johnny donne le la, trois espèces d'égorgement de poulets qui rouspètent quand vous leur tordez le cou, que la moitié de l'assistance s'amuse illicoq châtré à imiter, et sa main s'abat sur sa big mama avec l'impavidité du bourreau qui tranche de sa hache sanglante les têtes à la chaîne du soir au petit matin blême. C'est parti, Johnny infatigable conte sans fin la chronique légendaire des mauvais garçons. Pas étonnant qu'il ait invité les Moonshiners en première partie. Partagent la même mythographie. Celle du cuir et du baston, celle de la révolte, de l'individu rebelle qui n'accepte pas de marcher au pas d'une société moutonnière compromise par sa lâcheté et sa passivité obéissante. Alors Johnny chante et slappe, sans fin, sans arrêt, sans pause, il enchaîne les morceaux comme les gamins vident le sucrier pour gaver le chien.

N'est pas seul. Au fond dans le coin derrière ses lunettes noires Visten est à la batterie. Fait tout le boulot. N'en déduisez pas que les trois autres ne font rien ce serait une erreur lamentable. Mais il construit, il établit le pas de tir, fait preuve d'une science certaine car avec les deux autres kamikazes doit tout remettre en état à tous moments. Perpétuellement. Déjà ne serait-ce pour s'accorder au rythme de Johnny, réserve au minimum un de ses quatre membres à cette occupation , ensuite il est le préposé à toutes les éventualités, et le problème c'est qu'il n' y a pas d'éventualité, uniquement de la perpétuité cataclysmique à parer.

Rön a été bien sage durant la moitié du concert. S'est contenté de ronronner en rythmique durant une heure. Histoire de tromper son monde, ou de gradation durant le concert. En fait s'est trahi par deux indices. Le premier auditif : indubitablement ce gars à la première oreille, il ne peut pas vous en raconter. L'est comme ces chevaux au paddock qui ronge sagement leur foin, mais au premier coup d'œil le connaisseur a reconnu l'étalon racé, celui qui va vous mètre cinquante longueurs à ses concurrents sans forcer. Le deuxième visuel : sous son marcel cela transparaissait, mais quand il l'a enlevé n'y avait plus rien à cacher : ses tatouages. Le mec n'est pas un Picasso ambulant. Ni un Titien cacatoesque. L'a le torse constellé de ces vieux tatous à l'ancienne, ce bleu des taulards et des voyous des années cinquante. Pas d'esbroufe, pas de clinquanterie chez ce guy. C'est un pur. Un pur-sang. Et quand il a daigné sortir de l'écurie après une heure d'attente, nous a filé le festival, pas le genre à faire des cabrioles sur un trapèze en haut de la Tour Eiffel pour épater le public. Lui il profile en douce, le gars il vous refile l'as de cœur qui vous permet la quinte flush royale, the high straigth flush qui vous permet d'empocher les douze mille dollar d'enjeu sur le tapis. Vous voulez la traduction musicale : le mec il triangulise entre Duane Eddy, Hank Marvin et Dick Dale, plus quelques autres, faut l'entendre dans les instrumentaux, ne copie rien, vous ressert la soupe à sa façon, l'a tout intégré, malaxé, ingurgité, et il vous le ressort sous forme de gelée royale, un orfèvre, un régal.

Enfin, dans sa chemise rouge Kik. Pas un kick de moto, mais de fusée. Interplanétaire. Referme sa main sur un minuscule harmonica et c'est parti pour l'apocalypse. Kik une légende montreuilloise, un foutu bluesman, oui mais ce soir si vous voulez chalouper sur un petit shuffle débonnaire, c'est dommage. Vous ne possédez pas le bon ticket. L'a décidé de vous déchirer les oreilles, de vous les couper en pointe, de les faire sécher au grenier, et puis de s'en servir pour rouler ses cigarettes. A la sono l'on bondit chaque fois qu'il brandit son hurricane, faudrait pas qu'il dépasse le mur du son dans l'aigu, c'est trop tard, le public devient fou, faudrait l'abattre, lui tirer dessus à belles réelles, mais c'est trop bon, l'on en redemande, et lui bon prince il vous régale d'une nouvelle rasade. La salle se transforme en pandémonium, à chacune de ces salves une pandémie de folie se répand, de plus en plus violente, l'on frise le coma éthylique et l'on frise du Parthénon, tellement c'est beau, le blues se mue en tempête, Kik l'est comme le pélican de Musset, vous jette ses entrailles dans son orgue à bouche pour vous nourrir et vous n'arrivez pas à en être rassasié. La sueur lui brûle les yeux, mais il continue, l'est un incendie qui veut cramer la forêt entière, les pompiers avec leurs camions, les Canadairs et tous les villages alentours car il est nécessaire que la terre entière apprenne que le blues est une fournaise et le rock'n'roll un lance-flammes inextinguible.

Si ça continue, cela va exploser. Alors Johnny calme son jeu, se saisit de son archet et il nous promène dans une sombre ballade, vous verse un hanap de désespoir métaphysique, sous forme d'une berceuse pour enterrement d'un cœur brisé. S'il n'y avait pas cet énervement de vif-argent qui lui court sous la peau, l'assistance se mettrait à pleurer, le concert deviendrait un chant de lamentation, cela tournerait au suicide collectif de masse. Mais avant que l'on ne passe à l'acte, Johnny qui connaît et maîtrise son public montreuillois relance la machine. Kik vous déquille le cortex, Rön vous hache en confit de riffs, les aime bien courts et bien brutaux, Listen déploie la liste de ces abattis et c'est reparti pour l'attaque du commissariat. Parce que c'est bien connu il faut un dérivatif à tout trouble de l'ordre public, et que dans les milieux libertaires des narvalos tout le monde déteste la police. Ailleurs aussi, mais ne confondez pas narvalow avec chamallow.

Le combat s'arrêtera à l'heure fatidiquement municipale, parce qu'il faut que les travailleurs renouvellent leurs précieuses forces afin, dès le lendemain matin, les dépenser sur le lieu de leur exploitation dans le stupide but de produire une richesse dont ils ne partageront pas les profits. Toutefois Kik se saisit de son harmonica et donne le rythme d'une vieille rengaine que Johnny entonne afin de calmer la fièvre...

RETOUR AU BERCAIL

Dans la teuf-teuf l'on médite... Johnny Montreuil renoue avec un rock français des origines, musicalement très sixties, un rock mythologisé et quelque peu anarchisé. Assez proche de ce qu'a pu représenter le rock pour le public d'Hallyday en 63-64. L'ombre noire de Vince Taylor n'est pas à exclure. Je ne pense pas que le public présent à la Comedia en soit conscient et surtout se reconnaisse en une telle origine qui est moins évidente et peut-être à l'opposé de ses propres phantasmes idéologiques. La généalogie est une science qui vous met souvent en porte-à-faux avec vous-mêmes. Le rock avait déjà parcouru un long chemin avant l'explosive renaissance punk.

Damie Chad.

TROYES / 18 – 10 – 2019

3B

RAY ALLEN AND HIS BAND

 

Faudra un jour que je me penche sur ce point particulier de la science des fluides, pourquoi le public d'un concert se pointe-t-il à quatre-vingt dix pour cent durant un créneau de dix minutes parfois juste avant le début d'un concert, parfois une heure et plus avant, cette question m'a toujours taraudé, faudrait trouver tous les paramètres et essayer de mettre au point une formule mathématique, une martingale algorythmique, qui permettrait d'établir un protocole de pronostication fiable et d'apporter par l' application d'une formule toute simple, une réponse définitive à cette inconnue obsédante. Si je parvenais à résoudre une solution, sans doute me donnerait-on, au moins, le prix Nobel de Physique, et Kr'tnt ! deviendrait le premier blogue rock'n'roll nobélisé.

Cette interrogation m'est venue lorsque le public a envahi le 3B alors que Ray Allen et son band se préparaient à monter sur scène.

RAY ALLEN AND HIS BAND

Nous viennent d'Allemagne. Sont tout beaux, quatre gars en costumes identiques, pantalon gris souris, chemise blanche impeccable, veste d'une nuance un tantinet plus mate piqueté de points noirs pratiquement invisibles, cravate à rayures blanches découpées de bandes bleues, sombres ou claires. Allure très sixties, le teen-ager-band typique d'un rock'n'roll américain, assagi et lessivé, après la grande tornade originelle. Very white, l'on est loin du jungle sound à la Bo Diddley ! Un style apparemment prisé de l'autre côté du Rhin, alors que par chez nous les cœurs ont opté pour le darkly cuir de Gene Vincent.

Obligatoirement vous regardez sur la droite, sur cet instrument inusité par beaucoup de groupes d'aujourd'hui car exigeant une lourde et onéreuse logistique : un piano droit, un vrai, pas un synthétiseur glissé dans un vieux meuble de salon vermoulu récupéré in-extrémis à la décharge municipale. Martin Vauer officie, quelquefois debout, souvent assis. C'est en ces moments qu'il chante, une bonne diction, une belle élocution, mais sans jamais forcer la note, soyons clair dès le début, Ray Allen et son band ne donnent jamais dans les outrances d'un romantisme exalté. Difficile de détacher le regard de ses doigts allongés, peut-être par des années d'exercices, qui survolent les plaquettes d'ivoire, ils semblent avoir leurs propres indépendances et picorer les touches de leur seul gré, à l'image des marteaux recourbés – l'absence de panneau protecteur nous permet de les voir - qui se lèvent et s'abaissent sur les cordes métalliques avec ce même mouvement répétitif des passereaux qui tapent du bec sur le sol pour faire croire aux vers de terre que la pluie tombe, et les plus imprudents qui sortent leur tête sont vite gobés et avalés. Qui dit piano, pense Jerry Lee Lewis, souvent en fin de ligne Martin projette son pied vers les spectateurs, connaît tous les plans de Jerry mais se dispense de sa fureur, et de sa folie, et pour le dire autrement, il a bien le doigté de Jerry Lou, mais il n'enfonce pas les touches à la Little Richard comme si à chaque fois il avait envie d'appuyer sur le bouton de la bombe atomique.

Ged Vorwerk est à la basse. Vous l'entendez respirer, la big mama, pas Ged, un souffle élastique qui emplit tout l'espace, bizarrement elle n'accompagne pas, elle précède, elle enveloppe à la manière de la noix qui dresse les murailles de sa coque pour protéger le cerneau blotti à l'intérieur. Elle est le son de base, elle fournit l'épaisseur, un slap en douceur, mais onctueux, la crème fraîche qui épaissit la carbonara. Des quatre, Vorwoek est le seul à ne pas chanter, même pas les chœurs, juste ses cordes et ses doigts qui restent en haut du manche à la manière de ces chats perchés sur un arbre qui du haut de la plus haute branche dominent le monde. Sans fierté excessive, simplement conforté en eux-mêmes par leur position.

Sylvio Lau est de ces batteurs qui ne font pas de bruit, ont une tâche plus décisive à accomplir, juste marquer le rythme, au millième de seconde près, à peine s'il effleure sa caisse claire, mais pas de doute dans le groupe il est la pendule fatidique qui perpétue l'équilibre d'un château de cartes qu'il envoie valser en l'air d'une pichenette pour tout de suite le rattraper de deux coups de baguettes magiques et le remettre droit sur ses assisses, incroyablement immobile durant un laps de seconde et recommencer ce jeu subtil, sans attendre. Avec ses grosses lunettes il ressemble davantage à un ingénieur d'aéronautique qu'à Buddy Holly, mais lorsqu'il chantera, deux fois, vous aurez vite intuité que c'est le plus mécréant, le plus méchant, il glisse sur ses toms comme un serpent et vous crache le morceau à la manière d'un cobra du Mozambique qui cherche à empêcher la planète de tourner dans le bon sens.

De sa Fender Ray Allen exhale une grêle sonorité. Exprès, la musique c'est comme les filles, faut les voir nues et non emmitouflées dans trois gros manteaux de fourrure, produit un son qui vous force à écouter le silence afin de mieux le saisir, ici l'on ne concasse pas la porcelaine au rouleau-compresseur, on la peint au pinceau du chinois de Las de l'amer repos... de Mallarmé, l'on donne dans la minutie dans la haute précision, l'on virevolte mais l'on ne cache pas la sveltesse des figures imposées sous le froufrou tapageur des robes du french cancan, tout est exécuté en plein jour, lumière crue et sans filet. Un rock mièvre mais d'une concision extrême qui lui assure la densité du diamant. La beauté est obtenue à partir du dépouillement des écorces mortes de la facilité et des grosses ficelles.

L'on ne prend pas les mouches avec du vinaigre pas plus que l'on n'attrape les princesses fragiles de bonne famille au lasso, ou qu'on ne les rapte à l'aide d'un bronco furieux. Faut des slows trottés mais pas frottés, des rock bien appuyés mais pas agrippés, exemple Big Blond Baby, découpé au cran d'arrêt mais à la lame émoussée. Vous offrez des fleurs mais vous n'effeuillez pas la rose. La main dans la main mais pas au cul. Et encore moins dans le sexe. Ray vous raconte tout cela de sa voix discrète, les lyrics les plus torrides il vous les transforme en comptines faussement innocences. Car il ne faut point faire confiance à ces gars doucereux. Quand ils ne disent plus rien, qu'ils se taisent et qu'ils se lancent dans un instrumental, vous filent l'impression d'assister à une tournante, au fond du jardin. Se laissent aller à leurs mauvais instincts, à croire que la demoiselle les a provoqués et qu'elle avait une grosse fringale insatisfaite depuis longtemps, au moins trois jours, à assouvir.

Grattez un peu sur l'emballage et la sordide réalité des désirs adolescents vous saute sur le paletot. A la fin des années cinquante, au début des années soixante, l'on a tenté de policer le rock'n'roll, l'on a affublé d'un ridicule nœud rose les chattes sauvages et élimé les griffes des chats harets jusqu'au trognon. Gâchez le naturel, il revient au galop. Mais Ray Allen and his band nous restituent cet entre-deux, ce moment où le rock n'est plus le roll, fait l'hypocrite, il balance comme l'escarpolette de Fragonard, l'on a beau cacher cette lingerie intime que l'on ne saurait voir, elle finit toujours par faire signe. Au moment où l'on s'y attend le moins. Evidemment il faut un peu de patience et de persévérance. Du talent, de la précision. Et de tout cela le groupe n'en manque pas. Sont des spécialistes, sous leur air very straight de grands garçons sages et bien élevés qui feront de gentils gendres, ils métamorphosent le non-rock en non-dit. Et comme moins par moins égale plus, leur coulis de groseille au sucre mou se charge d'une affriolante coquinerie sinon subversive du moins insidieuse.

Ray Allen et ses guys se sont fixés une tache que l'on peut juger ingrate, restituer cette période où le rock a failli disparaître, sombrer dans les oubliettes de la mode, cet instant où le rock s'est dénaturé en pop, car il arrive que de mauvais plaisantins changent le vin en eau. Nous noterons que cet alanguissement est aussi un des moteurs du rock, songez à la dichotomie Stones / Beatles, aux atermoiements d'Elvis le Pelvis, à la manière dont le punk a été destitué sous forme de Nouvelle Vague, n'oubliez pas que c'est au temps du MC5 qu'est apparu le Bubblegum. L'on s'est dépêché de recracher cet atroce chewing gum. Certains de nos jours le remettent en leur bouche et vantent son aspect acidulé. Dans toutes les confitures traînent un bon goût d'arsenic. Sans pression pas de dépression. Sans négativité pas de positivité. Le rock est un courant électrique intermittent. Merci à Béatrice la patronne de nous présenter toutes les facettes de ce phénomène complexe.

Damie Chad.

LE MEE-SUR-SEINE / 19 – 10 – 2019

LE CHAUDRON

PALMYRE / THE NEXTFLOOR

HOAX PARADISE / JADES

 

Cinq heures l'heure funeste, dans les hôpitaux les malades impuissants gisent dans les affres des fièvres vespérales, sur les genoux de leurs mères atterrées les nourrissons délaissent leur tiède sein et se mettent à pleurer sans fin, ils sentent monter en eux l'indicible et instinctive angoisse des peurs qu'ils n'ont pas encore connues, dans les sombres cryptes l'on entend d'étranges reptations au creux des sarcophages verrouillés, resterai-je douillettement à l'abri entre mes livres, le feu de la cheminée, et sur le canapé mon chat noir qui fixe de ses prunelles énigmatiques une réalité astrale invisible à mes yeux... non, mais où irai-je ce soir courir l'aventure rock'n'roll sous la lune, par de telles ambiances crépusculaires, un lieu s'impose, le Chaudron, l'antre fatal du Mée-sur-Seine.

PALMYRE

Pas le moindre fantôme de Zénobie ne rôde sur scène, mais quatre jeune gars emplis d'une énergie et d'une ardeur toute Aurélienne. Manifestement sont décidés à laisser un champ de ruines après leur passage. Commencent par une double intro, la première pré-enregistrée tonitruante, la deuxième fracassante. Annoncent la couleur sans ânonner dès le début, ne sont pas venus pour caresser le riff dans le sens du poil. N'y vont pas par quatre chemins, même si au début ils ne sont que trois, Erwan n'arrive qu'après le déluge pour bondir sur le micro sur lequel il se jette, tel un fauve qui n'a pas mangé depuis une semaine sur sa proie innocente. Nous bouffe le vocal à pleines dents, l'en déchire de gros morceaux sans vergogne et comme à ces côtés les trois autres ne turbinent pas en mode économique vous êtes invités à un splendide festin. L'est manifeste qu'ils aiment le steak tartare dégoulinant, pas du congelé, de l'arraché au cuissot de la bête encore vivante. Ne se contentent pas de grignoter des palmitos sur le sofa.

Sont partisans d'un rock speedé qui ne s'embarrasse pas de fioriture. Adam est à la forge, vous façonne le métal rock sans façon, ne ménage pas sa peine, partout à la fois, il court le break comme un brick pirate toutes voiles dehors fonce sur l'ennemi, et avec sa guitare Jerémy est le premier à monter à l'abordage. Samuel tire au canon de sa basse manière de traverser la coque ennemie de part en part. Erwan ceint sa guitare pour participer au carnage, ce qu'il préfère c'est tout de même éructer les mots comme grêle de mitraille. Et ma foi, il se débrouille bien pour s'imposer dans le brouhaha amblant. Ce genre de chienlit qui vous revigore un mort en moins de deux vous file votre dose d'amphétamine jusqu'à la fin de l'année.

Passent en première partie, mais on leur a laissé assez de temps pour montrer ce qu'ils savent faire et ils en ont profité, n'en ont pas gaspillé une demi-seconde, les titres se suivent et vous bousculent de belle manière. Quand ils s'en vont vous les regrettez, ne vous ont pas psalmodié des berceuses, vous ont remué les sangs et revivifié. L'est sûr que c'est avec cette vélocité que les légions romaine ont fait main basse sur l'antique Palmyre afin que dans l'histoire des hommes brille à jamais le soleil noir d'Aurélien.

THE NEXTFLOOR

Ne sont que trois, la scène en paraît désertique. Pas d'inquiétude ils vont vous la remplir superbement. Mais chacun à sa façon. Cette cataracte de coups si caractéristiques qui pleuvent de partout, c'est Quentin, un fou furieux, n'y avait pas de chambre d'isolement au Chaudron ni de camisole de force, l'orga a fini par trouver une solution, lui ont refilé une batterie en lui faisant croire que c'était un punching ball, le gars pas contrariant tout compte fait, suffit de lui proposer la bonne occupation. Lorsqu'il enlèvera son T-shirt et que vous apercevrez son torse herculéen ruisselant de sueur vous connaîtrez la peur. Impossible de l'arrêter, l'a les baguettes qui courent de tous les côtés, impossible de savoir où il les pose, quand vous entendez le bruit, sont déjà plus loin, sont en train de cogner sur un autre tom. Doit s'entraîner pour passer le mur du son. Ça fuse de partout, jamais de boum, des clac-clac qui sonnent sec comme des paires de gifles, ça pleut comme un envol de canards sauvages pour les pays chauds. Si vous l'écoutez vous n'entendez, vous ne voyez que lui, ce qui serait dommage parce que les deux autres ne sont pas tristes.

Yvan est carrément marrant, ne peut s'empêcher de lancer quelques remarques ironiques qui détendent l'atmosphère. Pour aussitôt après vous foudroyer d'un tonnerre de guitare à vous donner la nostalgie des jupes de votre maman. Mais ce n'est rien, juste un bon guitariste qui déchire. C'est ensuite que ça arrache. L'ouvre la bouche et là il vous cloue sur la roue du destin. Il crache son venin à la face du monde. De son gosier jaillissent des caïmans, un vocal meurtrier, quatre ou cinq mots, et puis le mec ferme son bec, le temps de laisser échapper une espèce de mygale riffique de son instrument, pas un gars méchant, ne vous laisse pas tout abasourdi sur le bord de la route, vous réveille d'un nouveau superbe phrasé giclé qui vous transperce de part en part. Ce guy avec son poinçon triangulaire de soul patch sur le menton, habillé de noir, vous a le vocal rock instinctif tatoué sur le larynx, l'a tout compris, la respiration fusante, l'éjection sarclée, c'est rock, c'est blues, c'est tout ce que vous voulez. C'est grand.

MJP, ces trois lettres ne signifient pas Mouvement des Jeunes Populaires, juste le bassiste. Face aux deux énergumènes, il se la joue cool, le doigt sur la corde, ne la relâche qu'au moment qui lui plaît, toujours à bon escient, un véritable archet, tir précis et vibrant, mystérieuse moue aux lèvres et regard rêveur. Etrange comme il arrive à se faire entendre dans le vacarme des deux autres énergumènes, mais ce qui est sûr que s'il n'était pas là il manquerait quelque chose au monde comme si la Joconde s'arrêtait de sourire.

A trois ils vous ont démantibulé la moitié du département, un rock sans retenue, une horde d'Attila qui passe dans vos oreilles, une galopade effrénée, et une fois qu'ils ont arrêté, vous croyez que vous avez fait le plus beau cauchemar de votre existence.

HOAX PARADISE

Les groupes se suivent et ne se ressemblent pas. Pourtant eux aussi ne sont que trois. Thibaud à la guitare, Jc à la basse et Barron à la batterie. Pour le moment ils émettent une douce musique autour d'une absence. Lamartine avait raison : Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Et Elle surgit. Non ce n'est pas Eve, c'est Lilith, c'est Laura Naval. Ne cherchez pas l'erreur, c'est Elle. Désormais vous ne verrez qu'elle, vous n'écouterez qu'Elle, Elle et sa chevelure rousse, une flamme échappée de l'incendie du palais de Persépolis par les hoplites d'Alexandre, elle chante et vous vous taisez. Et les trois guys lui peaufinent minutieusement des ambiances sonores, ils ne jouent pas, ils cisèlent le décor, on est à côté du rock, pratiquement dans un récital de poésie.

Une voix. Ni charmante, ni envoûtante. Elle se refuse à ses facilités. Trop sûre d'elle, elle n'aguiche pas le client. Consciente de sa force, de son aura, de son magnétisme. Une blouse nouée au-dessus du nombril, un bustier échancré qui ne dévoile rien, une froideur brûlante de serpent. L'orchestre est à ses ordres. Elle se moque de ses gars comme si elle descendait avec condescendance le grand escalier d'une revue de Broadway. Reine et sortilège. Femme fatale.

Quelques gestes, une entrée et un final durant lesquels elle se transforme en percussionniste, elle descendra chanter dans le public, mais tout cela c'est de la broutille, l'important c'est lorsqu'elle s'approche du micro et qu'elle pose pour ainsi dire sa voix dessus. A croire qu'elle vient de retourner la lame de la mort d'un jeu de tarot qui ne comportait que cette unique carte. Une douceur âpre dépourvue de tendresse, juste les mots qui font mal. Elle nous conte les merveilles de Neverland, ce pays où l'on n'arrive jamais, se moque de Les garçons et nous quitte sur Ground control. Ce qui est sûr c'est qu'elle n'a jamais perdu le contrôle de la situation. Et puisqu'elle est sur terre, le paradis serait-il une arnaque ?

JADES

Mein Goth ! Un vol de sorcières vient de se poser sur la scène. Non, je ne suis point ivre, d'être parmi l'écume inconnue inconnue et les cieux mallarméens, elles sont là, toute proches, gainées de noir, et deux d'entre elles arborent ce chapeau maléfique qui cauchemarde nos imaginations, quoiqu'il faille le reconnaître, elles sont d'une génération nouvelle et ont adopté une forme beaucoup moins pointue, qui leur sied si joliment qu'elle les rend beaucoup plus agréables à regarder que les anciennes matrones au nez crochu qui remuaient leur infâme mixture dans une grosse marmite ventrue à panse noircie par des flammes sulfureuses d'un feu maudit. Le Chaudron, c'était un piège – qui portait bien son nom – nous y sommes dedans, et elles s'apprêtent à nous y mijoter longuement, à nous transformer en douteuse nourriture avariée qu'elles se partageront les soirs de grand sabbat. Le plus sage serait de fuir, mais non elles ont cette beauté maléfique et fascinante qui vous force à rester, et le plus terrible c'est que personne ne le regrettera. Car lorsque le potage est tiré il faut le boire, et celui-ci est agrémenté de ces gousses de rock'n'roll auxquelles nous ne saurions résister.

Lindsay est arrivée la dernière, s'est jetée sur le micro avec ses cheveux noirs et sa basse parallélogrammatique, et la ronde infernale a commencé. Rien de funèbre en elle, un sourire engageant et experte en communication, le contact facile, en quelques mots elle est déjà une grande copine que vous connaissez depuis au moins la maternelle. Vive, à l'aise, plein d'allant et de vie, rien qu'à l'apercevoir vous révisez votre jugement sur les sorcières, franche, naturelle, pleine de vie. C'est elle qui mène le bal et vous entrez dans le menuet salement remué sans une once de soupçon. Elle chante avec cet aplomb décisif des belles noiseuses qui ont toujours raison.

Cherry – je ne résiste pas à un mauvais jeu de mot, c'est la cerise sur le gâteau des agapes de la nuit du Walpurgis goethéen – enveloppée d'une coulée de cheveux roux, une pluie de renard et de feuilles automnales lui donne un aspect romantique que dément son sourire carnassier, elle semble s'être échappée d'un tableau préraphaélite de Dante Gabriel Rossetti, vous vous damneriez facilement pour elle, mais attention aux pointes de sa guitares triangulaires, elle assure la rythmique comme une nervalienne fille du feu, et lorsque qu'elle se chargera du vocal sur Cherry bomb vous comprendrez qu'elle est une eau dormante tempétueuse, un ouragan malicieux, qu'elle brisera l'esquif de vos idées creuses comme coquille de noix et les dispersera sur les rivages désertés.

Taïphen, se suffit à elle-même, elle est une de ses princesses des plus hautes chansons de Maeterlinck enfermées dans la tour d'ivoire de leurs rêves qui n'appartiennent qu'à elles seules. Jamais vu un guitariste lead aussi secret, aussi retranché du monde. Elle semble à part, elle ne nous concède que la face visible de sa personnalité. Occupée à produire le riff nécessaire à l'instant présent. Mais ni dans l'ici, ni dans le maintenant. Dans un ailleurs interdit. Quelqu'une de l'intérieur, mystérieuse, réservant à elle seule les pensées d'un monde que nous ignorons, et n'accordant qu'à sa guitare cette minutieuse attention dont nous ne sommes pas dignes.

Drôle de groupe, composé de personnalités si distinctes. Au fond Chloé, il est difficile d'admettre qu'elle joue de la batterie. Elle réside dans sa propre temporalité – jamais à contre-temps – elle est le lutin qui réfléchit. Avant de frapper, elle suspend le vol du temps, ce n'est pas qu'elle ne sait pas, c'est qu'elle choisit, elle réfléchit, elle suppute, elle subodore, elle reste-là les deux baguettes levées, pas du tout de l'indécision, elle fait ce qu'il lui plaît mais uniquement ce qu'il lui plaît, elle ne se presse pas pour monter dans le train, et vous assistez à ce miracle que la locomotive attend patiemment que sur le quai elle se décide à daigner mettre au moins une jambe sur le marche-pied. Et lorsqu'elle abaisse le sceptre de sa baguette sur un de ces tambours, vous êtes obligé de reconnaître qu'elle semble avoir mis de l'ordre dans le désordre de l'univers. Ses compagnes usent envers elle d'un étrange rituel, à la fin de chaque morceau elles nous tournent le dos et se regroupent devant elle, comme les doigts de la main se referment pour que le poing du rock acquièrent une force nouvelle.

C'est que Jades maîtrise son show de bout en bout, l'air de rien, elles ont mis au point un subtil ballet, rien n'est laissé au hasard, une belle parade rock'n'roll. Captivante. Servie sur un plateau. Avec cette grâce carnassière du serpent qui monopolise votre attention et exige votre approbation. Un rock simple, bien balancé, mais avec cette subtilité qui vous oblige à acquiescer. Des titres ravageurs et efficaces, The only thing, Ready or not for for rock'n'roll, Misnake, difficile de les laisser partir, en rappel ce sera I don't Care, un dernier sourire et elles s'enfuient si vite qu'il vous manque quelque chose. Et vous savez quoi.

Damie Chad.