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01/04/2020

KR'TNT ! 458 : KELLY FINNIGAN / 13 TH FLOOR ELEVATORS / BOBBY VEE / TENDRESSE DECHIRANTE / MANUEL MARTINEZ

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 458

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

02 / 04 / 2020

 

KELLY FINNIGAN / 13 TH FLOOR ELEVATOR

BOBBY VEE / TENDRESSE DECHIRANTE

MANUEL MARTINEZ

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Finnigan’s wake

Pas de méprise : Kelly Finnigan ne sort pas d’un roman de Joyce. Il sort d’un univers aussi riche que celui de Joyce qu’on appelle la Soul blanche. Quand on lui demande qui sont ses Soul Brothers préférés, il prend un air extraordinairement déconfit :

— Oooh, there’s too many...

Il y en a trop... C’est vrai, il ne faut pas être bien malin pour lui poser une question pareille. Puis avec un sourire chargé de compassion, il commence à égrener les noms magiques :

— I’ll say... O.V. Wright, Marvin Gaye... and Al Green...

Eh oui, il suffit de le voir chanter «Catch Me I’m Falling» sur scène pour comprendre que cet Américain de San Francisco n’écoute que des bons disques. Du trié sur le volet. Aw catch me ! C’est certainement le cut le plus émouvant d’un set d’une rare densité. Il chante ça au cœur de babe de sucre de Soul blanche. Il va chercher les accents les plus déterminants de la Soul. Il les réinvente et ça devient littéralement énorme. À part Todd Rundgren, aucun blanc ne chante la Soul aussi bien. Kelly is the king. Il travaille au sommet de l’art. Par moments, il sonnerait presque comme Esther Phillips. Il chante dans l’éternité de l’instant. Même chose avec «Since I Don’t Have You Anymore». Il chante au sucre suprême et génère une excroissance de véracité à la surface du mythe. C’est un coup de génie fluctuant franchement digne des géants de la petite glotte. Son Since I est dément de feeling. Assis derrière son Korg, il chante au micheton maximaliste, il palpe la pulpe de la Soul avec ce sourire de compassion qui ferait presque de lui un saint, il fêle sa Soul et la swingue de ses mains de cordonnier, comme dirait Léo Ferré. Il nous entraîne dans des registres inconnus et rejoint par la magnificence de sa mélodie chant les firmaments jadis atteints par Jonathan Donahue avec Mercury Rev. On parle ici d’une magie fertile, d’un monde aveuglant de beauté mirifique. Sur scène, Kelly Finnigan est bien accompagné : une solide section de cuivres (trompette et sax), une section rythmique rompue à tous les combats, si tant est qu’on puisse parler de combat, un guitariste vibrillonnant de Soul et deux petites choristes investies d’une mission sacrée qui est de doo-wopper en permanence cet infernal Soul System. Kelly Finnigan chante assis et joue de l’orgue comme son père, le légendaire Mike Finnigan. Encore une fois, on se dit qu’on a beaucoup de chance de pouvoir assister à un tel spectacle.

Avec «I Don’t Wanna Wait», Kelly Finnigan se prend pour Percy Sledge. Il ne veut pas attendre pour vivre son amour et il halète. Il veut en découdre avec les rigueurs de la Soul et s’en donne les moyens. S’il prête le flanc, c’est en parfaite connaissance de cause. Il y a du Saint-Sebastien en lui, son visage exprime à merveille l’infinie douleur de la Soul. Il communique énormément avec le public et annonce une chanson sur les simple pleasures, c’est-à-dire les petits plaisirs : «Smoking And Drinking» - It’s so hard to fly away from the good things - Les chœurs de rêve tombent du ciel. Les deux choristes sont rigolotes et très frétillantes. Il revient aux sentiments avec «I’ll Never Love Again», nouvelle pièce de hot Soul de rêve, bien travaillée au corps. Quand sa Soul veut se barrer, il la retient par la manche. Ce mec provoque de l’émotion en permanence. On ne peut plus le quitter des yeux. Même quand il se lance dans le heavy rumble de hot raw, comme par exemple avec «I Called You Back», il est excellent. Dans le public, toutes les gonzesses dansent. Il réussit à faire du Tamla, c’est quand même extraordinaire, non ? Quand il s’agit de driver la Soul à train d’enfer, on peut vraiment compter sur lui. Non seulement Kelly Finnigan est un Saint, mais il est aussi un mec extrêmement fiable.

Il va chercher la Soul au cœur de l’intrinsèque, comme on le voit avec «Can’t Let Him Down». Il chante à la pointe du progrès de la glotte et commence à sérieusement transpirer. Il touille sa Soul en profondeur et bat bien des records d’intensité. Il s’érige en parfait white nigger et rejoint Marvin Gaye par ses sister/sister. Demented ! On le voit parfois fondre dans la Soul, mais ne vous inquiétez pas pour lui, c’est sa façon d’entrer en osmose avec son cosmos.

Kelly Finnigan ne tombe pas du ciel. Avant d’entamer sa carrière solo, il jouait dans des groupes de Soul blanche devenus légèrement cultes. Ceux qui vont faire l’effort de rapatrier les albums des Monophonics ne seront pas déçus. Tiens, par exemple In Your Brain, paru en 2012 dans un joli boîtage arty. Kelly et ses amis y proposent une belle reprise de Sonny & Cher, «Bang Bang». Ah il faut le voir se frotter au Beng Beng, il le fait bien, il percute bien sa gâchette, beng ben, my baby shot me down ! Ils reprennent aussi le «Thinking Back» d’Ike Turner et le tapent à la big energy, à la grosse patate germée d’instro, ces mecs ont toute la vie devant eux. On peut même dire que l’avenir leur appartient. D’ailleurs, il proposent pas mal d’instros sur cet album, notamment le morceau titre, qui dispose de tous les atours du Black Power. Kelly Finnigan chante aussi un «There’s A Riot Going On» en hommage à Sly Stone. Il charge son funk comme une mule et le dote d’une présence vocale inexorable. Il chante aussi la Soul de «Sure Is Funky» à la bonne aventure et c’est avec «Deception» que tout devient évident. Il chante au pointu imprécatoire, il vise la puissance de la heavy Soul, il tartine à bras raccourcis, ce mec est un fervent défenseur de l’Ordre des Templiers de la Soul, il accroche à belles dents. Nouvelle secousse avec «All Together», où il duette avec Fanny Franklin. Cette gonzesse chauffe comme Merry Clayton dans «Gimme Shelter», c’est exactement le même genre de souffle, c’est violent, et même virevoltant, all together, et ça joue à la pire wah de Black Power. S’ensuit un «So You Love Me» où Kelly se concentre sur son groove, doux et serré, il est dessus, très balèze, il est parfait et même astronomique de power. On le sent considérablement investi. Il shoute sa Soul comme un vieux pro, il est à cran, tout le temps à cran. Et puis voilà «Foolish Love», un cut idéal pour un shouter comme Kelly. Il descend dans l’arène comme s’il était dans l’«I’m Losing You» des Tempts, c’est le même genre de combat de titans, il en fait 8 minutes, mais c’est assez facile à digérer. Kelly ne le lâche, pas, il le shake jusqu’au bout du bout.

Par contre, il n’apparaît pas sur les deux premiers albums des Monophonics, Playin & Simple, paru en 2007, et Into The Infrasounds, paru en 2010. Avec son éléphant, Into The Infrasounds met une belle série d’instros en coupe réglée. Question power, les Monophonics sont bien lotis. On sent les mecs convaincus d’avance. Ils savent se servir d’un sax dans la nuit et d’une wah («Simon’s Song»). Un nommé Marcus Smith vient chanter le bout de gras dans «I’m Done», mais sa heavy Soul nous éloigne des finesses de Kelly. On admire le bassmatic demented de Myles O’Mahoney dans «Low Blow», c’est vrai que ces mecs sont excellents, dans le genre instro de big soul funk. Ils jouent «Grappa» au crépuscule du son. C’est très vivant, bardé de cuivres, de flûte et de nappes d’orgue. Chaque instro est très dirigé, et gagne très vite son autonomie. Dommage que Kelly ne soit pas là. Les Monophonics savent orchestrer un groove et dans «Rotten Ribs», on entend un mec au trombone s’élever dans le ciel. Le mec au sax qu’on entend dans «Loose Nules» s’appelle Nic Gillette. Ça ne s’invente pas. Cet album pourrait presque ressembler à un épouvantable must, même sans Kelly.

Playin & Simple est aussi un album d’instros assez confondant, à condition bien sûr d’aimer l’instro confondant. Sinon, ce n’est pas la peine de l’écouter. Tout est bien là dessus, on entend un solo de sax demented dans la cave de jazz de bas étage de «Lumberjack», d’autant plus énorme qu’il est doublé d’un solo de trompette, comme dans Mo Better Blues de Spike Lee. Ils duettent tous les deux comme des dingues ! Ces mecs foncent en roue libre, ils ravalent la façade du nouveau continent et s’en viennent même mêler leurs baves à un certain moment. On se croirait chez Roland Kirk, oui, c’est de ce niveau et de cette échevelure ! Wow ! Ça swingue atrocement bien, jazz power in the flesh. On comprend que Kelly Finnigan se soit rapproché de cette équipe de surdoués. L’autre big bang de l’album s’appelle «Baobab Tree», afrobeat de très haut rang. C’est gagné d’avance. Idéal pour les fans d’afrobeat. L’album se révèle passionnant à mesure qu’on avance dans les cuts. Les Monophonics jouent cartes sur table, avec tout le gut de l’undergut du jazz funk de Soul aux vermicelles. Ils jouent à la Kirk et battent bien des records d’inventivité. On a là un fabuleux groove d’africanité latente, avec un jezz de jazz qui semble remonter le courant. Le mec à la guitare joue comme un dieu. On note aussi une belle échappée de sax dans «Stardust». «Silver Peso» est encore un intro qui gagne à être connu. On écoute les Monophonics avec une attention telle qu’elle confine au recueillement.

Bon ben voilà encore un big album : Q-Sound Of Sinning, le dernier album des Monophonics paru en 2015. Big et même super big, notamment grâce à «Holding Back Your Love», une belle énormité amenée au heavy beat diskö, mais avec l’énergie des Tempts. Oui, ce démon peut déclencher ce genre de truc. Ça s’emballe tout seul. Kelly ne lâche pas prise, un vrai pit de cité, you keep holding on, il est dessus, en vrai carnassier de la Soul et c’est un hit. Avec «Find My Way Back Home», il entre à la furie de blanc dans le funk de noir, il tâte de la résistance des matériaux et c’est bon. Ce mec ne déçoit pas, tu peux le laisser entrer chez toi, pas de problème. C’est l’un des nôtres, un vrai white nigger. Encore un shoot de pulsion de raw avec «Hanging On», Kelly ramène les cuivres, vas doucement Kelly, c’est tout bon. He drives it wild, il pilote sa Soul comme un champion, c’est excellent, goody good ! L’autre hit de l’album s’appelle «Promises». Kelly taille dans la masse avec un bassmatic des enfers. Kelly is on the run, hot as hell, il chante comme un cake, il chauffe les zones érogènes de la Soul blanche. C’est admirable - I keep making promises - Il est infernal et c’est vraiment balèze. Big white Soul ! Le cut d’ouverture de bal s’appelle «Lying Eyes», c’est de la big heavy Soul de groove monophonique. On sent la présence d’un immense chanteur. S’ensuit le morceau titre qui sonne comme un groove de gosses de riches. Bienvenu et puissant, bien drivé à la voix. On le voit aussi chanter son gut out dans «Strange Love», une espèce de petit miroir aux alouettes. Il partage aussi au cut avec Ben l’Oncle Soul, «Too Long» et forcément, c’est pourri de feeling. Ils sonnent tous les deux comme des Smokey Robinson décolorés.

L’ami Kelly jouait aussi dans un groupe nommé The Destruments. Les amateurs de Soul jazz se régaleront de cet album paru en 2009 et pas très facile à choper, Shaped By The Sound. On voit les trois Destruments sur la pochette, avec des looks de hip-hoppers, mais ils jouent essentiellement ce groove gourmand qui est l’apanage des très grands musiciens. On entend un mec nommé Sean Wilson jouer de la basse comme un dieu dans «Feel It Like It Is». Tout un art du toutim. Kelly Finnigan chante sur «Take A Closer Look» et il se fond dans le groove, se montre admirable de lousdé doucereux et sort un son soft comme la caresse d’un vent d’été. Ils font aussi pas mal d’easy listening et l’amateur du genre se régalera de ce «Sippin On Blue Juice» monté sur une interjection du «Girl Blue» de Stevie Wonder. Ça se laisse convaincre tout seul. Ils font leur sauce dans leur coin, chacun est libre de venir y tremper son poireau. Kelly Finnigan repart en roue libre sur «OOlong». Côté son, ça reste une sorte de bloc soviétique du groove, avec son côté impénétrable et majestueux à la fois. Le bassmatic mène à nouveau le bal sur «Sun Bunn (Downpour)» et les voilà de nouveau plongés dans l’étude au long cours d’un heavy groove urbain processionnaire. Le hit du disk s’appelle «Searching», Kelly y chante ce groove de Soul à la glotte tiède. «Tometo O Dejeto» sonne aussi comme une merveille de réussite, car joué sous un certain boisseau. Le batteur fait son cirque parmi les surdoués dans «NASA» et ils reviennent à l’exotica avec «Bitchyo Self Togetha». Tout est bien sur cet album, à condition de savoir prendre le temps de savourer un Pina Colada sur la plage de Copa Cobana.

Paru la même année sur le même label, voici Bridge Through Time avec sa belle pochette en fish-eye. Cet album est un monster. Ces mecs jouent le groove de funk comme des blacks et on comprend que ce groupe soit devenu culte. On sent chez eux un don inébranlable pour la beauté latérale et Kelly entre en scène dès «What You Won’t Do For Love». Encore une fois, il se fond dans le groove et le son explose comme un bouquet de senteurs dans la bouche. Ils se spécialisent dans l’interlude qualitatif. Retour aux affaires avec «Rain Dance», pur jus de Destrumental Sound System, violemment bon, nappé de cuivre frais, c’est un heavy groove de Soul funk d’une tenue impeccable. Belle énergie du son, classe du solo de sax et surtout des solos d’orgue, aussi bons que ceux de Brian Auger, et ce n’est pas peu dire. Une nommé Viveca Hawkins chante sur «I Can’t Help It». Elle se montre très impliquée, c’est une vainqueuse et derrière elle joue un groupe doué d’un sens suraigu du groove. Nouveau coup de Jarnac avec «Bridge Through Time», monté sur une bassline plantureuse. Cet instro de groove colle au palais, on ne s’en lasse pas facilement, d’autant qu’il est épaulé par des nappes de violons. Les Destruments ont du son à revendre. Ces mecs savent distiller leur moonshine. Elle s’appelle Keniece Ford et elle chante sur «Keep On Walking». Cette petite poulette dégouline de feeling. Elle chante comme une reine de Nubie avec de faux accents d’Esther Phillips. L’album est une merveille de son abouti et d’inspiration. Cette petite démone de Keniece Ford rafle la mise, elle s’introduit dans le son avec une classe insensée. C’est Jacob Slim qui fait Shuggie Otis dans «Ant Uh Mi Hed» et Jess Imme chante le groove magique. Oui, on est bien obligé de parler de magie avec ces gens-là. C’est quasi Brazil.

Un autre album des Destruments paraît en 2011 : Surpassing All Others. C’est un album de hip-hop très hip, et hop, c’est fini.

Signé : Cazengler, Kelly finissant

Kelly Finnigan. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 11 février 2020

Kelly Finnigan. The Tales People Tell. Colemine Records 2019

Monophonics. Playin & Simple. Monophonics Music 2007

Monophonics. Into The Infrasounds. Ageless Records 2010

Monophonics. In Your Brain. Ubiquity 2012

Monophonics. Q-Sound Of Sinning. Transistor Sound 2015

Destruments. Shaped By The Sound. Ivory Soul 2009

Destruments. Bridge Through Time. Ivory Soul 2009

Destruments. Surpassing All Others. Creative Juices Music 2011

Roky le roquet - Part Two

 

Ha ha ha ha ha ! John Ike Walton se souvient de sa première rencontre avec Tommy Hall : «On a commencé par siffler une bouteille de Romilar (un sirop à base de codéine) puis on a fumé de l’Acapulco Gold, et là, mec, j’hallucinais, je voyais les maisons devenir des monstres et partir à travers champs.» Ils ne s’appellent pas encore les 13th Floor Elevators, mais ils se marrent bien. John Ike, Tommy et Stacy Suntherland sont des mecs d’Austin, au Texas. Drug-curious, amateurs d’effets spéciaux, ils prennent du peyote, un cactus aux vertus hallucinogènes qu’il suffit d’avaler. Au début, ça rend malade. Selon les Indiens, vomir est une façon de se purifier en chassant les mauvais esprits de son corps, alors ils vomissent. Bleuuurghhh ! Le peyote est tellement raide qu’on ne peut pas en prendre tous les jours. L’organisme ne pourrait pas le supporter. Pour John Ike, Tommy et Stacy, c’est un gros inconvénient. Alors quand le LSD arrive à Austin en 1965, ils optent pour le confort moderne. Rien de tel que la chimie ! Each and every day ! John Ike, Tommy et Stacy ne sont pas les seuls à apprécier le confort moderne : quand Dylan vient jouer à Austin en septembre 1965, il n’en revient pas : alors que partout ailleurs on le hue parce qu’il vient de passer électrique, les kids d’Austin ne le huent pas. Au contraire. Ils sont en adoration. Pourquoi ? Parce qu’ils sont tous sous acide. The whole underground scene tripping on acid !

Dans le trio, Tommy Hall joue le rôle du bon Samaritain. Il veille à ce que les expériences hallucinogènes soient bénéfiques. Quand ils trippent ensemble, Tommy veille à ce que ses amis atteignent ce que Stacy appelle «the clear state, you know what I mean ?», demande-t-il. «C’est comme si on était libres, complètement libres.» John Ike est le seul de la bande qui éprouve des difficultés à tripper comme un âne. Il voit les murs bouger quand il bat le beurre et ça ne lui plaît pas trop. John Ike fait un peu de musique avec Tommy, Stacy et un bassiste nommé Benny. Leur groupe s’appelle les Lingsmen. Ils cultivent déjà un goût prononcé pour l’expérimentation. De la même façon qu’Henri Michaux, ils se voient comme des laboratoires à deux pattes. Alors que Michaux se contentait de distiller sa prose, les Lingsmen préfèrent s’auto-distiller.

La rigolade ne va pas durer pas longtemps. Au début, le LSD est légal mais la loi l’interdit très vite et les flicards locaux se frottent les mains. Hé hé hé... Dans ce Deep South dont fait partie le Texas, leurs deux hobbies favoris consistent à casser du nègre et du hippie. Hé hé hé...

Bon et Roky dans tout ça ? Ah le voilà ! Tommy l’a repéré dans un club : «Hey les mecs, allons voir jouer Roky Erickson & the Spades ! Vous allez voir ! Quel fabuleux chanteur !» À la fin du set des Spades, Tommy invite Roky à venir jammer avec les Lingsmen. Wanna jam ? Okeh ! Roky apprécie très vite ses nouveaux amis : John Ike est son special drumming style, Benny et son upfront bass, tout cet écho dans le son, wouaaah, l’outer space guitar de Stacy et les jazz runs de Tommy dans sa cruche électrique, wouaaah ! Le son est déjà là, Roky n’est que la cerise sur le gâteau. Sur le space cake, devrait-on plutôt dire.

Enfant prodige, Roky faisait l’école buissonnière pour aller s’entraîner au scream avec son copain Kinney. Wouaaaaaaahhhhhh ! Il en crachait du sang. Il vénérait Little Richard, Buddy Holly et commençait à écrire des petites chansons du style «You’re Gonna Miss Me». La découverte de la marijuana et de l’«Empty Heart» des Stones en 1964 le propulsèrent directement dans le cosmos. Wouaaaaaaahhhhhh ! Mentor de Red Krayola, l’autre groupe phare de l’underground local, Mayo Thompson trouvait Roky extrêmement intéressant, mais déjà un brin out there in some ways. Il ajoute que Roky fait partie des gens qui n’ont absolument aucun doute sur les choix qu’ils font. Trait de caractère fondamental. L’anti-girouette.

Une fois Roky intégré, ils se baptisent les 13th Floor Elevators. Si Tommy est le cerveau de la bande et Stacy l’architecte du son, Roky en est l’âme. Ou comme le dit Paul Drummond, Tommy est le visionnaire du groupe, Stacy le son et Roky the face and the voice.

La Gestapo locale salue à sa manière l’éclosion des 13th Floor, avec une première descente chez Tommy, en janvier 1966. Ils sont sous mescaline quand la police défonce la porte. John Ike veut filer par derrière mais le canon d’un 45 se colle à son museau, alors il opte pour la prudence et fait marche arrière. Too much of a trip, marmonne Stacy qui plane sec, alors que les flics fouillent la baraque. Miraculeusement, ce bust se termine bien, mais il marque le début d’une longue partie de cache-cache avec les flics locaux. La brutalité répressive des juges texans terrorise les freaks et à partir de là, Tommy et ses amis entrent en semi-clandestinité : plus de domicile fixe. Sécurité maximale. Un peu comme s’ils étaient en cavale. Ils reproduisent sans le savoir le mode de vie des pilleurs de trains du siècle précédent. Même état d’esprit, la violence en moins. C’est le statut d’outlaw bien assumé - Paranoid and nomadic existence - Les 13th Floor n’accepteront jamais de changer de mode de vie, et ça ils vont le payer au prix fort, en devenant des martyrs psychédéliques.

Le plus drôle, c’est que ce statut de martyrs leur va comme un gant. Tommy qui ne fait pas dans la dentelle établit un parallèle entre les 13th Floor et les disciples du Christ qui subissaient en leur temps une pression policière énorme. Mais ils parvenaient quand même à développer et enseigner leur philosophie. Pour lui, c’est exactement ce que font les 13th Floor. Tommy soutient mordicus que les drogues psychédéliques permettent d’atteindre les niveaux supérieurs de la connaissance. Il voit le LSD comme un learning tool, un moyen d’évoluer. Il contribue au courant de pensée développé par Timothy Leary et qu’on considère à juste titre comme la dernière utopie du monde moderne : le rôle bénéfique que pourraient jouer les drogues hallucinogènes sur cette société moderne rongée par le profit, la bêtise et la haine. De la même manière que Leary, Tommy imagine les flics et les beaufs sous LSD et ça le fait bander. Comme si le fameux ‘monde meilleur’ devenait possible.

Le problème, c’est que les 13th Floor n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Ils mettent autant d’énergie à se défoncer qu’à jouer «Roller Coaster». Tommy prône la dose d’acide quotidienne, et pour soutenir le rythme financièrement, il est obligé de dealer à grande échelle. Il va s’approvisionner en Californie où sont installés les chimistes de renom.

Dans le cas des 13th Floor comme dans celui de Syd Barrett et des Spacemen 3, musique et drogues sont indissociables. Mayo Thompson qui n’est pas un enfant de chœur trouve que les 13th Floor vont un peu trop loin : «Prendre de l’acide tous les jours, c’est un peu extrême !» Et c’est précisément parce qu’ils sont allés très loin dans l’expérimentation que leur musique est restée un modèle absolu. En matière de mad psychedelia, personne n’a pu challenger les 13th Floor. C’est en les écoutant qu’on comprend mieux le concept de Tommy Hall : expérimenter les drogues hallucinogènes pour repousser les limites de l’énergie créative et le diable sait si dans ce domaine, les drogues prévalent. Il suffit simplement d’écouter «Roller Coaster» pour comprendre ce que signifie la formulation ‘mad psychedelia’. Dans ce big brawl digne de Syd Barrett, les guitares déchirent le ciel. On assiste tout au long de la lente montée du trip de track à une implosion d’organes fluorescents, aw c’mon, et la cruche dada glougloute dans l’écho du temps. Ce cut fonde le genre, avec une rare combinaison d’énergie visionnaire et de real big power.

C’est en 1966 que paraît The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators. En France, il faudra attendre la parution de Nuggets pour découvrir l’existence des 13th Floor et courir chez Music Action, au carrefour de l’Odéon, avec l’espoir de trouver une copie de ce premier album. Les gros cartonnés US valaient déjà à l’époque la peau des fesses, mais on arrêtait de se plaindre dès qu’on mettait l’album sur la platine : aussitôt les premières mesures, «You’re Gonna Miss Me» sonnait comme l’un des plus gros hits de tous les temps. Wouaaaaaaahhhhhh ! On a là l’apanage du Texas beat, avec sa belle progression d’accords et la cruche électrique ! Pure folie. Les screams de Roky Erickson font partie des plus passionnés de l’histoire du rock américain. Se niche plus loin l’excellent «Reverberation», chef-d’œuvre de fragrance cérébrale atomisée, comme molletonné par la fantastique surdité du beat psyché texan. Les Stones de «2000 Light Years From Here» sonnent à l’identique, c’est heavy à l’extrême et même assez perturbant. Billy Gibbons et ses Zizis en feront une cover spectaculaire sur le tribute aux 13th Floor, Where The Pyramid Meets The Eye. Retourne The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators et tu vas tomber sur «Fire Engine», et là pareil, Wouaaaaaaahhhhhh ! Adieu veaux vaches cochons ! Roky et ses amis envoient leur giclée de Texas hell à la revoyure de freak-out. Le glouglou de la cruche hante la paillasse du mix. Les chœurs fantômes rendent le cut tellement louche qu’ils sonnent l’hallali du binarisme. Rien de plus nécessaire à la vie que cette gelée royale. S’ensuit un «Thru The Rhythm» en forme de haute voltige et d’ode à la cloche. Ces mecs jouent leur va-tout en permanence. Le bassmatic maraude dans le son avec une liberté alarmante. La messe est dite depuis 1966. Le raw Texas freak show est entré dans la postérité.

Dans le docu de Keven McAlester (You’re Gonna Miss Me), Billy Gibbons raconte que lorsqu’il entendit pour la première fois les 13th Floor à Houston, il s’exclama : «Well, that’s it.» Pour lui, Roky est le meilleur chanteur américain avec Little Richard et Jerry Lee. Et il termine en se prosternant jusqu’à terre : «The Elevators were the big heroes, they were the guys.»

Au moment où les 13th Floor inventaient le rock psychédélique, il existait quelques signes avant-coureurs aux États-Unis, notamment du côté des Holy Moundal Rounders qui enregistrèrent en 1964 «Hesitation Blues». En 1965, Kim Fowley parlait de psychédélisme pour la promo de «The Trip». La même année, les Charlatans mixaient eux aussi rock et LSD. Ils jouaient sous acide au Red Dog Saloon de Virginia City, dans le désert du Nevada, un coin bizarre et comme figé dans le temps, où les gens étaient tous armés.

Pour la promo de leur premier album, les 13th Floor vont s’installer quelques temps en Californie. La petite communauté texane les accueille à bras ouverts. Chet Helms qui a déjà fait venir Janis Joplin programme les 13th Floor à l’Avalon Ballroom. Quant à Doug Sahm il a décidé de quitter définitivement le Texas. Lui aussi victime de la brutalité policière, il n’avait pas apprécié qu’on l’attrape par les cheveux pour lui cogner plusieurs fois la gueule sur le capot de sa voiture. D’ailleurs, il recommande aux 13th Floor de rester en Californie, mais Stacy et les autres ont tellement le mal du pays qu’ils retourneront se jeter dans la gueule du loup.

Ils jouent énormément en Californie. Pour eux, l’Avalon Ballroom de San Francisco est une sorte de paradis, car on distribue gratuitement de l’acide à l’entrée. Le raga-rock sound de la cruche électrique intimide le public. Sur scène, les 13th Floor dégagent une énergie considérable - the agressive amphetamine beat of the British Mod scene - D’ailleurs sur scène, ils tapent des versions explosives d’«Empty Heart», de «You Really Got Me» et de «Gloria». Stacy se spécialise dans les déraillements, pas ceux des trains, mais ceux du freak-out. Sur scène, ils montent un mur du son autour des hurlements de Roky. Selon Billy Gibbons, les 13th Floor occasionnent un sérieux bouleversement en Californie - When the Elevators showed up, things changed real quick ! - Mais le public californien les juge trop frénétiques. Il est habitué à un autre genre de psychédélisme, celui de l’Airplane ou du Dead. Alors, les 13th Floor se referment comme des huîtres. Ils ne se mêlent pas aux autres musiciens et passent leur temps à se goinfrer d’acide. Paul Drummond parle d’extrem amount of acid. En bon alchimiste, Tommy veille à perpétuer le cycle sacré : le groupe génère du blé qui permet d’acheter des drogues qui permettent de faire de la musique, et ainsi de suite. Son Grand Œuvre s’appelle The 13th Floor Elevators. Tommy raisonne en termes de pierre philosophale. L’or ne l’intéresse que par son symbolisme initiatique. N’a de valeur que le parcours.

Personnage fascinant que ce Tommy Hall. Le duo Tommy/Roky, c’est exactement la même chose que le duo Ron Asheton/Iggy Pop. L’un n’est pas possible sans l’autre. Tommy combine sa passion pour la musique avec la spiritualité. Les pochettes des albums du 13th Floor ne sont pas des gadgets de hippie. Si Tommy invente la cruche électrique, c’est tout simplement parce que les pédales d’effets n’existent pas encore. Il invente the psychedelic sound effects. Pourquoi ? Parce qu’il écoute Miles Davis, Trane, Charlie Parker et Mingus. Alors il tente de transférer sa passion des jazz runs dans la cruche, à l’instinct.

Il prend aussi la manie de rassembler les gens pour leur expliquer des choses, comme le faisaient autrefois les prophètes. Dressé devant ses ouailles, Tommy déclare :

— Ce groupe n’est pas un moyen de gagner de l’argent, mais un mode de vie !

Côté drogues, il se veut extrêmement sélectif. Pas question de toucher au speed. Il juge cette came tout juste bonne pour les Stones. Il menace même de virer Stacy du groupe parce qu’il prend du speed. Tommy essaye de gérer l’ingérabilité des choses du 13th Floor. Il écrit aussi les paroles des chansons. Comment ? On lui glisse sous le nez une grande feuille de papier alors que le groupe joue et il écrit. Il intensifie tellement l’acte d’écriture qu’il lui arrive d’en pleurer.

Ce n’est pas tout. Avant chaque concert, il impose un rituel : il réunit les 13th Floor et leur fait prendre du LSD trois heures avant de monter sur scène. Puis il préconise une heure de prêche, histoire de développer sa théorie :

— God is LSD !

Il joue vraiment avec le feu. C’est très dangereux de déconner avec God dans un coin comme le Texas. Les gens y sont extrêmement intolérants. Mais Tommy a étudié la Gnose, il sait exactement de quoi il parle. Avant le Christianisme, la Gnose reposait sur un concept très simple : chaque être humain porte en lui une part de divinité. Il repart de là, il n’invente rien. Il s’appuie donc sur la Gnose et sur William Blake pour décréter que Houston est la nouvelle Jerusalem. C’est au cœur de ce chaos subliminal que les 13th Floor enregistrent Easter Everywhere.

Ce deuxième album est considéré comme l’un des sommets du rock psychédélique. Nous irons jusqu’à dire qu’Easter est l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps. Démarrage en trombe avec «Slip Inside This House», pulsé au big bassmatic de Dan Galindo, le remplaçant de Ronnie Leatherman. C’est l’un des grooves les plus rampants de l’histoire du groove rampant, un groove foncièrement nocif et en même temps magnifique de poignance psyché. Il se perche sur l’épaule lorsque la lumière s’éteint. Plus fluide, «She Lives In A Time Of Her Own» se montre digne des Byrds. On pourrait même parler d’une œuvre marmoréenne, comme on le dirait de ces falaises sculptées qu’on peut admirer au Moyen-Orient. La cruche se déchaîne. Tiens, encore un fantastique shock de rock avec «Nobody To Love», bardé d’accords solides et fidèles. De l’autre côté se niche l’effarant «Earthquake», porté par un heavy shuffle de big bassmatic, oh oh, dirait Merlin, on entend le dragon gronder juste sous la surface de la terre. Même chose avec «Levitation». Les 13th Floor sonnent comme des Beatles texans, c’est dire s’ils sont bons. Et puis voilà «Postures» qui s’auto-fascine, mais ils savent ramener du son, même dans une longue dérive abdominale - Leave your body behind !

Hormis le LSD, Tommy ne jure que par le Romilar qu’il boit au goulot - comme le fait d’ailleurs Lester Bangs - Stacy préfère les downers et le speed. Jusqu’au moment où ils découvrent le DMT, qui fut comme le LSD mis au point par Sandoz. C’est pour vanter les mérites du DMT que Tommy et Roky composent «Fire Engine». Sous DMT, ils ont l’impression de foncer à bord d’une voiture de pompiers. Pin-pon ! Pin-pon ! De son côté, Benny découvre que les amphétamines permettent de contrôler les effets du LSD sur scène. Ils testent absolument toutes les combinaisons, toutes les manières de se schtroumpher. Les mecs qui organisent les concerts éprouvent d’énormes difficultés à entrer en communication avec les 13th Floor. Trop hagards. Comme Tommy veille à ce que tout le monde soit défoncé avant de monter sur scène, la partie est gagnée d’avance. Les 13th Floor sont extrêmement populaires auprès des kids texans venus recevoir le message psychédélique. Comme la magie du mythe opère, Roky, Tommy et Stacy entrent en lévitation. Ils défient les lois de la physique. Roky chante une chanson, il en gratte une autre sur sa gratte et les autres en jouent encore une autre. Chaos subliminal. Tout va bien car toute la troupe trippe, y compris le public.

Un jour qu’il est en studio, Stacy se met dans le cornet ce qu’il appelle un large hit of Sandoz acid : «Soudain, j’ai perdu le contrôle de mon corps, je suis tombé au sol, j’ai relevé la tête et j’ai vu de mes yeux vu Tommy et Roky se transformer en loups, avec les poils et les dents, oui, mec, en loups ! Wouaaaaaaahhhhhh ! » Stacy est intarissable sur son trip, il en fait deux pages dans le book de Paul Drummond. Bon courage ! Autre épisode assez poilant : un soir, alors que les 13th Floor sont sur scène, un flic vient arrêter Stacy en plein milieu de «Fire Engine». Il dégaine sons arme pour se frayer un passage à travers un public hostile et traîne Stacy jusqu’à sa bagnole.

— Je vais t’emmener à la sortie de la ville et te buter, sale punk !

Stacy est sous acide, alors forcément ça prend de drôles de proportions dans sa tête. Le flic en remet une couche :

— Et je leur dirai que t’as essayé de me piquer mon flingue, putain de punk !

Stacy voit la bagnole prendre la voie rapide qui sort de Houston. Il flippe pour de bon :

— Hey attends une minute, mec, est-ce qu’on pourrait pas se calmer un peu ?

Le flic roule encore un bon moment puis fait demi-tour pour ramener Stacy au commissariat. Il voulait juste lui flanquer la trouille de sa vie. Stacy avoue qu’il n’a jamais été aussi content de voir un commissariat.

Une autre fois, les flics lui donnent ce qu’ils appellent une leçon de natation - Swimming lesson - C’est d’usage courant dans le coin : ils emmènent le candidat sur le pont qui surplombe le Buffalo Bayou et le balancent dans l’eau. Plouf ! Dix mètres de haut. Ça va. On en meurt pas.

Ne supportant plus de voir les 13th Floor en liberté, les flics mettent la pression. Roky et ses amis se terrent dans des chambres de motels et jettent tout leur stash dans les gogues dès qu’on frappe à la porte. Pour eux, le véritable acid test est celui d’une nuit au trou sous acide. Quand le groupe enregistre, la session démarre à minuit et tout le monde est sous LSD.

Roky revoit de temps en temps son copain d’enfance Kinney. Ils vont casser une petite graine ensemble et Kinney observe de drôles de changements chez Roky. À table, Roky n’en finit plus de s’extasier : «Oh my GOD ! Qu’est-ce que c’est bon ! Oh my GOD ! Wouaaaaaaahhhhhh !» Il s’extasie à chaque bouchée. Sur scène, il commence à oublier les paroles, alors ils s’enferme dans un mur de feedback. Il lui arrive même d’aller se planquer derrière son ampli. Il se met aussi à porter un bandeau sur le front pour masquer son troisième œil. L’hyper-lucidité l’épuise. Sacré Roky, on n’en finirait pas avec lui. Souvent les 13th Floor montent sur scène sans lui, parce qu’il a oublié le concert et qu’il est parti en virée ailleurs, avec son copain Charlie Powell, un Vietnam Vet bien esquinté avec lequel il communique sans parler - Spacial communication.

Et c’est là que ce fantastique château de cartes qu’est le 13th Floor commence à s’écrouler. En voulant redéfinir la source du divin et inventer une nouvelle réalité, la réalité psychédélique, le groupe s’est épuisé. Comme Artaud et Henri Michaux, les 13th Floor ont cherché la source d’une créativité humaine inconnue, celle générée par the altered states of reality. Résultat, Tommy s’enfonce dans la Gnose, Roky perd un peu la boule et Stacy vient de passer à l’héro. On voit Roky tout de blanc vêtu arpenter les rues pieds nus alors qu’il fait un froid de canard. Sur scène, il devient une sorte de fantôme d’Abraham Lincoln, avec sa barbe, ses cheveux tirés vers l’arrière et son haut de forme.

Pour se faire un peu de blé sur le dos des 13th Floor, International Artists sort en 1968 un faux album live intitulé Live. Il s’agit d’une collection de chutes de studio agrémentée de faux applaudissements. Il faut cependant l’écouter, ne serait-ce que par acquis de conscience. Ça part en freakbeat texan avec une belle reprise bip-bip de Bo, «Before You Accuse Me». Tommy Hall cruchotte sec. Il bourre «Tried To Hide» de cruche jusqu’à l’os du crotch. Omniprésente, la cruche finit par tout dévorer. En créant sa transe chamanique, Tommy ramenait dans le son une véritable sauvagerie primitive, un côté indien psychotique. En B, ils tapent dans l’hypno avec «(I’ve Got) Levitation». Roky sème le vent et récolte la tempête. Quand on écoute le «Roller Coaster» qui suit, on mesure l’écart qui sépare les 13th Floor des Doors. Malgré une forte tendance au chamanisme, les Doors n’ont jamais pu atteindre un tel degré d’implication. Le boogie rentre dans le lard du freakout, doublé par la cruche folle de Tommy, et la basse vient swinguer tout ce carnage. Aucun doute : «Roller Coaster» secouera les paillasses pendant au moins mille générations. Le son des 13th Floor vaut tous les rituels du monde. D’ailleurs, les c’mon de Roky sonnent comme des invocations.

Le dernier album des 13th Floor s’appelle Bull Of The Woods. C’est l’album de la désintégration, parfaitement à l’image du groupe. Roky ne joue que sur quatre morceaux, dont l’excellent «Livin’ On». Ce n’est pas qu’il soit allumé, non c’est autre chose : ce mec a le génie du son. Il chante aussi un «Never Another» joliment congestionné. Pur jus d’acid trip. On le retrouve en B sur «Dr Doom», nouveau clin d’œil aux Byrds, une vraie sinécure, bien portée par le fat bassmatic de Duke Davis. Mais le mec qui tire vraiment son épingle du jeu est l’autre bassman des 13th Floor, Ronnie Leatherman, qui est de retour. Son bassmatic remonte à la surface sur «Barnyard Blues». S’il faut écouter la version vinyle de l’album, c’est parce que les basses sont beaucoup plus généreuses. Rien à voir avec le son numérique. Le jour et la nuit. Encore une bassline de rêve sur «Scarlet And Gold» qui ouvre le bal de la B. Elle groove sous le boisseau. Les Texans dotent leur pop insidieuse de grands chœurs matrimoniaux. Ce cut brille comme une pépite dans l’ombilic des limbes. Ronnie Leatherman se fait extraordinairement pressant, épaulé par des hoquets de relances invraisemblables. Stacy chante cette merveille. Au moment où ils enregistrent Scarlet, les 13th Floor ne sont plus que trois. On retrouve des accointances avec les Byrds dans «Till Then», que chante aussi Stacy, l’ultime survivant des 13th Floor. Le trio joue aussi «Street Song» à l’ambiance frite et entre en surchauffe quand on ne s’y attend plus. Si l’album finit par voir le jour, c’est grâce à l’obstination de Stacy. La référence au Bull n’est rien d’autre qu’un hommage à sa détermination.

Les 13th Floor auraient pu disparaître tranquillement, mais non, la Gestapo va en décider autrement. Tommy, Roky et Stacy vont devoir endosser leurs chasubles de martyrs psychédéliques pour de bon. Entre 1968 et 1972, Tommy disparaît de la circulation. Il se fait poirer à Seattle avec des substances illicites et va moisir quatre piges au trou. Pas cher payé, vu son niveau. En 1970, Stacy est envoyé au trou pour deux ans, et pas n’importe quel trou : Huntsville, l’enfer sur la terre, la taule qui terrorise Roky. Justement, pour éviter ça, Roky fait la même erreur que Jack Nicholson dans Vol Au Dessus D’un Nid De Coucous, il plaide la folie et pouf, on l’envoie à Rusk, une taule psychiatrique qui reçoit les psychopathes les plus dangereux d’Amérique. Mais il ne sait pas que c’est encore pire qu’Huntsville. Globalement, Roky dit que le régime d’internement de Rusk était beaucoup trop sévère. Il raconte par exemple qu’au début, il avait rangé ses fringues sous son lit et un infirmier était venu le rouer de coups en hurlant : «Ne remets jamais tes fringues sous le lit !». Pour le désintoxiquer, on lui fait prendre du Thiothixene : il sent sa langue grimper jusqu’au fond de son crâne et ses yeux se révulsent. Comme cette drogue le raidit comme un piquet, on lui en donne une autre pour le ramollir. Son frère Mikel qui vient lui rendre visite à Rusk trouve que Roky marche comme un zombie. Ça deviendra d’ailleurs une chanson. Comme tous les autres pensionnaires, Roky est obligé de faire son ménage. Si l’infirmier trouve le moindre grain de poussière, c’est la punition : debout toute la nuit face au mur. En cas d’assoupissement, c’est la raclée. Ils s’y mettent à trois, à coups de matraques. Bing ! Bang ! Mikel trouve que les conditions d’internement sont un peu trop dures pour un mec comme Roky, qui n’est au fond qu’un simple musicien. Pauvre Roky ! Il comprend cependant qu’il joue sa survie et qu’il doit développer une stratégie pour sortir indemne de cet enfer. Il sent que les drogues qu’on l’oblige à prendre l’abîment pour de bon. Ce sont les drogues officielles fabriquées par des laboratoires cotés en bourse. Le LSD des beaufs, si vous préférez. Roky prend soin de bien fermer sa gueule car il comprend qu’à chaque écart de langage, on lui rajoute un an de Rusk. Alors il fait le canard et finit par avoir la paix. Il commence à écrire des chansons et des livres. Son copain d’enfance Kinney réussit à sortir un manuscrit dans ses bottes. Openers paraît en 1972. Roky se met aussi à lire la Bible et devient une sorte de révérend, the Right Reverend Roger Roky Kynard Erickson. Il dit la messe et chante des psaumes à la chapelle. Il s’accompagne à la guitare. Entre 1973 et 1975, il écrit énormément de chansons. On en estime le nombre à 400. Il survit à l’horreur de Rusk en inventant un nouveau genre : the Horror Rock. Il recycle sa vieille fascination pour les films d’horreur dans ses nouvelles chansons : «I Walked With A Zombie» n’est autre que le Thorazine shuffle, «Night Of The Demon» est un hommage à l’enfer de Rusk et «Creature With The Atom Brain» évoque les délicieuses séances d’électrochocs. Il recrée tout un monde en repartant de zéro. Et ça va loin. Quand en 1975, il perd tous ses manuscrits dans un incendie, il parvient à réécrire toutes ses chansons une par une. Cette année-là, il demande à une avocate de lui taper un document officiel certifiant qu’il n’est pas humain, mais martien. C’est sa manière de dire que les persécutions de Rusk n’ont pu l’atteindre : «J’espère que ce document prouvera à l’homme qui m’a fait subir des électrochocs que je suis un alien.» À sa sortie de Rusk, Doug Sahm vole à son secours et l’aide à redémarrer. Grâce à Doug, Roky enregistre «Starry Eyes», un nouveau hit intercontinental composé en l’honneur de Dana, sa poule. C’est la plus éclatante des victoires.

Les choses ne sont jamais aussi simples qu’on l’imagine. Figurez-vous qu’on trouve dans le commerce deux portraits à charge de Roky, le docu de Keven McAlester évoqué en amont et le chapitre que lui consacre Nick Kent dans The Dark Stuff. Pour essayer de tirer le meilleur parti du docu qu’a tourné McAlester, utilisons le principe des deux colonnes, avantages, inconvénients. Les inconvénients grouillent comme la vérole sur le bas clergé : McAlester nous montre un Roky clochardisé, cet enfoiré essaye même de faire des gros plans sur sa dentition, il passe un temps fou à filmer le capharnaüm qu’entasse un Roky rôti dans son appartement, la télé allumée en même temps que tout le reste. Si on veut rendre service à quelqu’un, on ne s’y prend pas ainsi. On commence par respecter son intimité et non par en faire l’étalage, sous prétexte de légendarité rock. Ce déviationnisme documentaire est typiquement américain. Ces pseudo-cinéastes recherchent la sensation en remuant du groin le fumier de la réalité. On trouve exactement les mêmes travers dans le film supposément tourné en hommage à Ginger Baker. Résultat : les gens ne retiennent de Ginger Baker qu’une seule chose : la violence, et de Roky, la clochardisation. Ce fucking docu est donc idéal pour ceux qui se complaisent dans le malaise. Plus globalement, on sent bien qu’on atteint avec ce film les limites d’un genre qu’on appelle aujourd’hui le rockumentaire. Dans le cas très précis de Roky, tout est déjà dit dans la musique. Le film est DANS la musique. Et le côté avantages ? McAlester nous montre pas mal d’acteurs de la saga Erickson, à commencer par Paul Drummond, l’auteur du 13th book, un mec assez jeune, d’apparence très psychédélique, mais aussi les quatre frères de Roky, Don, Mikel, Ben et le plus important, Sumner le sauveur qui a su aider Roky à se remettre en condition physique et à remonter sur scène. On croise aussi Clementine Hall, John Ike Walton et une Dana ‘Starry Eyes’, assez bien conservée. McAlester filme aussi les couloirs de Rusk, mais il ne sait pas quoi en faire. Tout le monde ne s’appelle pas Milos Forman. Mais le pot aux roses, c’est Evelyn Erickson, la mère, que Drummond accuse plus ou moins d’amour incestueux. Elle est tellement fracassée qu’on comprend tout. Ce docu se termine sur une scène déchirante : Sumner prend soin de son frère et lui prépare ses affaires pour la journée, alors l’émotion monte tellement qu’on enrage à l’idée que des gens aient pu se croire autorisés à se faire du blé sur le dos d’un mec aussi pur que Roky Erickson.

Dans ce style flamboyant qui le rapproche d’Oscar Wilde, Nick Kent brosse dans son Dark Stuff un portrait impitoyable de Roky - Si on était dans les années 90, on taxerait Roky Erickson de rocker alternatif. Mais nous ne sommes qu’en 1980, et les gens le voient surtout comme un cult-hero. Ce qui veut dire qu’il ne vend pas beaucoup de disques. Il n’en fait pas beaucoup non plus. Mais ce sont les gens les plus influents qui achètent le peu de disques qu’il parvient à enregistrer. Inutile d’aller lui demander ce qu’il en pense - Pourquoi cette chute en forme de remarque acerbe ? Tout simplement parce que Roky ne répond pas aux questions que lui pose le plus célèbre journaliste anglais. L’interview a lieu au Portobello Hotel de Londres. Nick Kent est pourtant bien documenté : il n’a ni vu le docu de McAlester ni lu le book de Paul Drummond, mais il sait tout d’Evelyn, du fondamentalisme religieux du Bible Belt et des quatre frères. Nick Kent change de stratégie et branche Roky sur la musique. Roky ne sait pas quoi répondre au plus célèbre journaliste anglais, alors il sort de son pif une belle une crotte de nez. Nick Kent se venge en torchant trois lignes lapidaires sur les 13th Floor : «L’histoire brève des 13th Floor Elevators constitue le modèle parfait d’une bohème psychédélique instaurée en mode de vie, centrée autour de ces idéaux utopiques qu’ont réduit à néant les drogues qui en étaient à l’origine.» Comme la grande majorité des Britanniques, Nick Kent répugne à se compromettre avec le trash américain. Il va même jusqu’à insinuer que les 13th Floor n’étaient pas si bons que ça : «des paroles plutôt stupides, un curieux grab-bag de folk rock, de jug band et de rhythm’n’blues qui débouchait parfois sur un résultat intéressant mais qui restait lourdingue et complaisant.» Mais un peu plus loin, il évoque «Two-Headed Dog» pour rendre le plus powerful des hommages : «Comme celle de Syd Barrett, la musique de Roky Erickson exprime un état mental dangereusement en désaccord avec les conventions.» Puis il se fout royalement de la gueule de Richard Hell et de David Byrne qui s’épuisaient à bosser leur psychotisme alors que Roky le pratiquait naturellement. Et c’est là où on se réconcilie avec Nick Kent : l’humour anglais se love enfin dans le giron bien tiède du trash texan.

Comme dans le cas du Velvet et des Stooges, la notoriété des 13th Floor ne se mesure pas en termes de ventes d’albums, mais en termes d’influence. Ces trois groupes ont indiqué le chemin à des milliers de gens à travers le monde. Mais la grosse différence qui existe entre les 13th Floor d’un côté, et le Velvet et les Stooges de l’autre, c’est que les 13th Floor n’avaient personne pour les protéger. Ni Warhol, ni Bowie.

Grâce aux 13th Floor, la scène Texane connut un bref essor : on vit arriver les albums de Red Krayola sur le même label, International Artists. Puis Rod Prince monta Bubble Puppy, et d’autres groupes mineurs firent parler d’eux : The Conqueroo, The Golden Dawn, Shiva’s Headband et bien sûr les Moving Sidewalks de Billy Gibbons, des groupes devenus aujourd’hui de beaux objets de spéculation. Les vrais héritiers des 13th Floor sont évidemment les Spacemen 3 qui surent emmener «Roller Coaster» vers de nouvelles frontières.

Par miracle, on a pu voir Roky sur scène aux Trans de Rennes, en 2010. Il semblait un peu paniqué, mais la voix restait fabuleusement intacte. Les hits aussi. Voir Roky, c’est comme voir Arthur Lee en chair et en os : on comprend immédiatement tout ce qu’il faut comprendre. Depuis, on a vu des choses moins glorieuses, comme par exemple les fameux Black Angels qui proposaient un set d’une heure entièrement pompé sur les 13th Floor, accords et son. Comme ils ne rendirent jamais explicitement hommage aux 13th Floor, ça leur valut quelques insultes bien méritées. Quand on pompe, la moindre des choses c’est de dire merci.

Signé : Cazengler, Riquiqui Erickson

13th Floor Elevators. The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators. International Artists 1966

13th Floor Elevators. Easter Everywhere. International Artists 1967

13th Floor Elevators. Live. International Artists 1968

13th Floor Elevators. Bull Of The Woods. International Artists 1969

Paul Drummond. Eye Mind. The Saga Of Roky Erickson And The 13th Floor Elevators. Process Media 2007

Keven McAlester. You’re Gonna Miss Me. DVD 2005

Nick Kent. The Dark Stuff. Penguin Books 1994

BOBBY VEE

ROCK 'N' ROLL FOREVER

( Coffret / CD 20 / 2002 )

Bobby Vee est-il un vrai rocker ? Grave question à laquelle je n'oserais répondre ayant un sacré problème avec le concept de vérité. Le malheur des uns provoque le bonheur des autres. Le destin l'appela à remplacer au pied levé Buddy Holly emporté dans l'accident d'avion qui coûta aussi la vie à Ritchie Valens et au Big Bopper. Alors qu'il était déjà remarqué par Liberty Records grâce à son premier single Suzie Baby sur Soma Records, un appel de la Radio de Fargo qui cherchait un artiste pour remplacer Buddy Holly pour son concert de Moorhead qu'il ne pouvait plus assurer - les cimetières regorgent de gens irremplaçables - décida Bobby Vee à tenter sa chance avec The Shadows le groupe de copains qu'il vient de former, leur set se déroule mieux que prévu, la carrière de Vee est désormais lancée...

Plus tard bien plus tard, Bob Dylan rendra dans ses Chroniques un hommage appuyé à Bobby Vee qu'il eut la chance de pouvoir accompagner à la guitare sur scène au tout début des années soixante, en ces temps-là Dylan n'était qu'une éponge qui savait écouter et regarder. C'était la première fois qu'il voyait du bon côté de la scène, un véritable professionnel en action. Travailler avec Bobby Vee pour Dylan, c'était aussi mettre ses pas dans les traces de Buddy Holly qu'il avait vu sur scène... Une autre version de cette histoire existe, Elston Gunn - pseudonyme du Zimmerman - n'ayant pas fait l'affaire, il n'arrivait à jouer correctement que sur une tonalité, aurait été remercié au plus vite...

 

Rubber ball : ( sorti en single en 1960 ) : tiens il y a Earl Palmer à la batterie, remarquez il n'a pas dû beaucoup se fatiguer pour remuer le bœuf en daube. Bobby Vee ce n'est pas un nerveux, une voix qui évoque immédiatement Buddy Holly, mais qui s'essouffle vite, pour le soutenir vous avez tout un chœur féminin aux voix pré-pubères, mais comme on ne lésine pas sur les moyens on lâche les violons aussi stridents que le crissement des cigales à l'heure de la sieste. Après le solo de guitare vous vous demandez si ce n'est pas le moment de sortir le chien. The night has a thousand eyes : ( sur l'album du même nom de 1963 ) : le premier titre vous a surpris, vous vous attendiez à mieux, celui-ci vous terrifie : un petit balancement à la Buddy Holly les quatre premières secondes, ensuite c'est la fin de l'épopée napoléonienne, Bérézina et Waterloo, version bubblegum, serait-ce le moment d'aller faire ses adieux à Bobby Vee dans la Cour des Honneurs de Fontainebleau. Nous sommes des rockers Damie, soyons stoïques, la garde meurt et ne rend pas. Devil or angel : 1960 : Bobby Vee sings your favorites, ils ont dû se tromper sur le titre de l'album, pas question que j'inscrive cette horreur dans mon harem musical. Ni ange, ni démon, un purgatoire, une purge, je vous l'échange les yeux fermés contre n'importe quelle bluette d'Elvis. Punish her : 1962 issu de l'album Golden Greats : n'est pas tout seul, l'est soutenu par les Johnny Mann Singers, on les retrouve sur certains enregistrements d'Eddie Cochran, des Crickets et de Johnny Burnette. Avec un tel soutien vocal derrière vous ne voilà-t-il pas que le beau Bobby, se met à parler, c'est encore pire que quand il chante. Ce qu'il ne manque pas de faire non plus. Punish him ! How many tears : ( 1961 ) : sur l'album Bobby Vee with Strings an Things. : mais pourquoi n'ont-ils pas crédité les chats qui miaulent atrocement en chœur à plusieurs reprises, n'ont pas eu leurs croquettes matinales et ça s'entend. Bobby a de temps en temps la mauvaise idée de les imiter. L'est pire qu'eux, et pourtant j'aime bien les chats ! Please don't ask about Barbara : ( 1962, sur le 33 tours A Bobby Vee Recording Session ) : accompagnement musical l'on se croirai dans un disque de Nana Mouskouri, au niveau rythmique c'est le générique Interlude Le Petit Train, pas très rapide donc, le malheur c'est que chaque fois qu'il s'arrête en gare, Bobby se hâte de rajouter un wagon. Restez sur le quai. More than I can say : ( 1960 ) : in Bobby Vee, écrit par Tony Allison et Sonny Curtis des Crickets. Un des plus grands succès de Bobby Vee. A l'eau de roses. Fanées. Après cette sucrerie, une cuillère de sirop d'érable vous paraîtra amère. Take good care of my baby : sur le même album que le précédent. C'est le meilleur de tous ceux que nous avons écoutés jusqu'à maintenant. Prenez soin toutefois d'éloigner le bocal de votre poisson rouge, il risquerait d'attraper une jaunisse. Come go with me : ( 1961 ) tiré de l'album Hits of the rockin 50's : l'est sûr que l'on ne doit pas avoir la même définition des rockin' fifties. De la musique rythmique épatante pour la surboum vintage de votre grand-mère. Heureusement qu'il y a un bon saxo et une belle voix grave dans les chœurs. Jetez le Bobby, gardez l'eau du bain. Earth angel : ( 1961 ) issu du même album que le précédent. Du rock, gentillet, douçâtre, propre sur lui, tout ce que vous ne voulez pas. Sixteen candles : ( 1961 ) idem pour la provenance : qu'elle souffle vite ses seize bougies, il y a vraiment des anniversaires où l'on s'ennuie à mourir ! Trop de sucre dans le gâteau et le jus d'orange tiédasse... restez poli, vomissez dans les pots de fleurs. Summertime blues : ( 1961 ) Hits of the rockin 50's : on n'y croit pas, chez Liberty ils détenaient le titre à leur catalogue... Tommy Allsup est à la guitare, ça s'entend, cette fois c'est du sérieux, même Bobby l'a compris, met sa voix dans les pas d'Eddie, le suit de près, et enfin nous avons le premier morceau rock'n'roll du CD. Ouf, il était temps ! Rock me baby : ( 1999 ) extrait de l'album Down the line qui regroupe des reprises de Buddy Holly par Bobby, encore un morceau qui se tient debout, un beau coulis de guitare, Bobby essaie d'imiter Buddy, mais manifestement il a mieux réussi avec Cochran. Susie Q : ( 1961 ) : tiens un corona virus échappé de Bobby Vee with Strings an Things : mais comment s'arrange-t-il ce pauvre Bobby pour nous changer la petite Suzie si frétillante chez tous les autres repreneurs en gamine nigaude et pataude ? Manque d'un minimum de sex-appeal. Butterfly : ( 1998 ) Fom the essential and collectable Bobby Vee. Qu'ai-je fait bon dieu tout puissant plein d'amour pour mériter un tel châtiment. Pardonnez-moi, je ne recommencerai jamais. Party doll : extrait de Rarities publié en 2010 : dieu m'a pardonné, pour me récompenser l'est allé me chercher un vieux truc de derrière les fagots : enfin une poupée que Bobby remue sans retenue, ne fait pas mieux que Buddy Knox mais ce n'est pas mal du tout. Sans doute le meilleur morceau de tout le CD. Bye bye love : Bobby Vee and the Shadows ( 1995 ) : encore une vieille bouteille. Certes les Everly Brothers c'étaient pas des sauvages, alors Bobby il se sent à l'aise, copie le modèle, fait des efforts, s'en tire pas si mal que ça, surtout qu'il joue à deux contre un. Maybe baby : ( 1963 ) from I remember Buddy Holly : chez Forever ils n'ont pas voulu que l'on se quitte sur une mauvaise impression. Bobby ne parvient pas à garder le tressautement vocal si particulier de Buddy mais ils se défend, d'autant plus que derrière la guitare électrique lui mord les jarrets à la façon d'un chien hargneux, et ne lui permet pas une semi-seconde au repos.

Je déconseille vivement à notre Cat Zengler d'emmener ce CD sur son île déserte, ne se sont pas fatigués chez Forever, toute la première partie est puisée dans les succès grand public de Bobby Vee. Etait-ce une bonne idée d'inclure Bobby Vee dans un coffret Rock'n'roll ? C'est quand même dix mille degrés au-dessous d'un Ricky Nelson, ou d'un Dion. avec ou sans Belmonts. L'aurait mieux valu taper avant tout parmi la disco de Bobby dans tout ce qui était en rapport avec Buddy Holly. Cela aurait eu au moins un intérêt documentaire.

Maintenant je me demande ce que Bobby Vee a pu apprendre à Bob Dylan !

Damie Chad.

 

WHEEP

TENDRESSE DECHIRANTE

( Vidéo-clip / You Tube )

Difficile en ces temps de confinement si vous êtes musicien d'un orchestre symphonique de répéter avec vos quatre-vingt-dix collègues dans votre deux-pièces cuisine. Pour Diane et Emilien qui partagent le même appartement et s'adonnent aux affinités électives et réciproques, le problème ne se pose pas. depuis quelques mois ils se sont imposés un petit jeu agréable. Ils ont formé le groupe Tendresse Déchirante. De temps en temps ils postent sur You Tube une vidéo d'un morceau qu'ils ont réalisée tous seuls, tous les deux, musique, parole, chant, enregistrement, tournage et montage. Wheep est leur quatrième opus. Reprise d'une improvisation qu'ils avaient concoctée lors d'un été pluvieux. Le proverbe est connu de tous les agriculteurs : quand on ne peut pas sortir les vaches dans les champs, on tape un bœuf à la maison.

Diable sont deux, mais ils font autant de bruit que les grandes orgues de la basilique Saint-Sernin, bandes de mécréants c'est à Toulouse - je pressens que occupés par vos fesses vous n'allez pas à confesse toutes les semaines – au début vous voyez les mains d'Emilien sur le cadran du synthé, au plan suivant l'est prostré sur une chaise, l'air malheureux, quant à Diane l'est plantée toute droite comme un cierge funèbre sur la gauche de l'écran, à son visage fermé, l'on comprend que l'on n'est pas là pour rigoler. En plein drame, l'orgue s'avance à pas pesants et lugubres, Emilien se confie au micro, sa voix évoque un paysage crépusculaire qui ressemblerait à la pochette du premier album de Black Sabbath, l'a le phrasé de quelqu'un qui penserait à en finir avec la vie. Diane s'est saisie de sa basse et mêle ses arpèges frissonnants à ceux du clavier, se penche vers vous comme pour vous regarder dans les yeux et puis se recule. Remarquez son T-shirt à gueule de tigresse mangeuse d'hommes. Emilien a repris sa voix mouillée de chien noyé. Changement de plan, sont maintenant rapprochés mais tout aussi éloignés, dos à dos. Et tout change, lui devant et elle derrière, et tout à l'heure ce sera le contraire, mais au fond le lit semble obstinément fermé, Emilien s'agite, est-ce le souvenir des jours heureux ou une crise de folie qui commence, la séquence rythmique se termine par un hurlement d'aliéné privé du ciel bleu diaphané sur la basse de Diane. L'est serré contre elle, mais elle est plus attentive passer ses notes sur les fils tendus de son instrument. Longue séquence, elle vous regarde de ses yeux sans éclat, il respire le parfum de son corps elle semble y prêter quelque attention, mais non le voici seul à l'orgue. Un peu d'écho sur la voix, il a vu la lumière répète-t-il, a-t-il commis le geste fatal, elle se lève et quitte la pièce, l'on ne voit plus que la gueule royale de la féline sur le T-shirt, qui abandonne les restes de sa proie.

Ce coup-ci c'est la tendresse déchirante à pleines dents. Un esprit différent des trois clips précédents. Jouent un peu sur les clichés mélodramatiques du romantisme. Une musique davantage emphatique. Une espèce d'outrance lacédémonienne dans la mise en scène. Une perle un peu baroque ajoutée au collier. Un clip kitch and chic, qui attire et attise l'envie du désir enfui. Une frénésie pâle. Du clinquant mortuaire qui brille dans la nuit obscure. Une réussite.

Damie Chad.

 

*

Manuel Martinez n'est pas un inconnu pour les kr'tnt-readers, nous les avions déjà emmenés visiter une de ses exposition à Versailles ( voir Kr'tnt ! 304 du 24 / 11 / 2016 ). Certaines des toiles que nous évoquons dans cette chronique étaient d'ailleurs présentes dans cette galerie. L'œuvre ( peinture et sculpture ) de Manuel Martinez est immense. Ce que vous apercevrez en consultant son FB ( Manuel Martinez Peintre ) est loin d'en représenter la totalité. Bien sûr il s'agit ici de peinture et pas de rock'n'roll, pour ceux qui auraient une vision du rock un peu étroite, nous nous contenterons d'ajouter que Manuel Martinez fut aussi le chanteur du groupe Les Maîtres du Monde, voir dans une de nos premières livraisons la chronique que nous leur avions consacrée.

 

ANGELS IN DISGUISE

MANUEL MARTINEZ

 

Qui, si je criais m'entendrait, parmi les anges ?

R. M. Rilke

 

Les anges ne sont plus ce qu'ils étaient. Surtout dans les tableaux de Manuel Martinez. Encore faut-il les reconnaître. Lui-même ne les attife que rarement de ce nom. Juste un motif. Récurent. Qui naît, se développe et s'absente. Pour mieux se métamorphoser. En d'autres signes. Des espèces d'évaporations diluviennes. Des semences idéennes qui poussent entre les formes envahissantes du monde, de la mauvaise herbe entre les dalles du jardin.

 

1 / LE COLLOQUE DES ANGES

( 2016 - 230 / 140 )

Vous n'y croyiez pas. Les voici pourtant ces fameux anges. En plein ciel. Nous aimons les imaginer sur une des terrasses de l'Olympe. Quel est donc ce serpent noir qui ne siffle pas à leurs pieds. Chose étonnante ces anges ressemblent à de simples filles d'aujourd'hui qui se promèneraient sur les trottoirs du boulevard balnéaire qui longe la plage. Un premier indice : elles suivent la mode, ce qui les uniformise, oui mais l'irrésistible plaisir d'être habillée selon les modèles dessinées par le grand couturier Manuel Martinez n'a pas de prix, vous rend unique. L'on dit souvent que les filles sont des anges, mais là n'est pas la question. Il est bien plus important de savoir de quoi elles parlent. Serait-ce un colloque sentimental cher à Paul Verlaine. Comme si la rencontre avec la mort avait une importance quelconque pour des anges. Et puis l'amour vous savez aujourd'hui... Non elles abordent un sujet de moindre futilité. Même si elles n'ouvrent pas la bouche. Nul besoin de parler. Leur simple vision est un messange. Ce qui est en jeu en cette réunion au sommet n'est autre que le combat obstiné contre l'ange que la modernité mène contre le mythe.

 

2 / LEO VALENTIN

( 201692 / 93 )

Celui-ci c'est un homme. Un homme mortel pour employer une figure pléonasmatique. Des sourcils se froncent, comment un ange mortel, quelle stupide incongruité en soi ! Sûrement mais n'est-ce pas Nietzsche qui déclarait dans Ainsi parlait Zarathoustra que l' '' on peut mourir d'être immortel''. Avec un tel nom, je crains qu'il ne devienne le chouchou des lectrices, ô Valentin, pour sa fête il nous offrira des fleurs et une parure de diamants. Non, ce n'était pas son style. C'était un dur, un vrai. Un qui avait los cojones bien accrochées. Lui, n'avait pas peur de voler avec les anges, faisait des sauts en parachute, montait à plus de sept mille mètres d'altitude et se laissait tomber. Pas comme une pierre. Valentin Léo aimait les hauts du ciel. S'était accroché des ailes qui lui permettaient de virevolter paisiblement. Un héros. Historique. S'est scratché à son sept cent et une unième saut...

Une histoire splendide. A la place de Manuel Martinez vous en auriez barbouillé des sommités de ciel, vers le bas les vertes étendues illimitées du plancher à vaches folles. Vous n'avez jamais entendu parler d'économie de moyens. N'est pas croqué en plein vol vertigineux le Valentin, mais le coude appuyé à son bureau, un peu dans la position du penseur de Rodin, mais lui il se tient droit. Martinez connaît la tradition des portraits du grand siècle, juste quelques objets symboles de la profession du personnage représenté. Ici la tête d'aigle et les plumes. Tout est dit.

Notez l'orange prédominant, couleur qui mêle l'or et l'ange, qui s'octroie toute la place. Ecorce amère. Pulpe intérieure sanguine.

 

3 / ICARE

( 2016 – 70 / 80 )

Le même que le précédent. Le général en chef de tous les idéalistes. Car lui il a réussi. Certes lui-aussi s'est lamentablement écrasé, une figue trop mûre qui tombe de l'arbre. Mais lui vous n'avez pas besoin comme pour le précédent de vous renseigner dans la notice wikipédia. Tout le monde le connaît. Personne n'ignore son nom. Lui il est immortel. Il vit au-dedans de vous. Quand vous ne serez plus qu'une ombre lointaine, l'on parlera encore de lui. L'est tout en haut de la pyramide des anges. Archange en chef.

Si ce n'était ses ailes qui dépassent de son dos, vous le prendriez pour n'importe qui. Une chemise pas tout-à-fait blanche et une veste mal fagotée. L'a toutefois une écharpe qui mêle toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Heureusement qu'il a un nom, ou plutôt heureusement que le tableau porte un titre. Vous êtes rassurés. Chez Manuel Martinez faut faire attention. Si je vous passe un bâton avec une jolie flamme qui scintille au bout, quand vous déchiffrez la mention : dynamite, vous êtes nettement moins flambards. Le cartouche à côté du tableau, peut en orienter la lecture. Parfois, il vous désoriente totalement. Manuel Martinez cherche-t-il à vous élever ou à vous abattre en plein vol.

 

4 / LE DOUTE DE NAUPACTE

( 201670 / 60 )

Demoiselle, belle comme un ange, peut-être les sublimes figures précédentes vous fatiguent-elles. Jamais vous ne les égalerez. Au combat de l'ange vous êtes sûre de perdre à tous les coups. Dans la bagarre vous ne risquez pas d'y laisser des plumes ! Avec un peu de chance, peut-être après l' échauffourée, en ramasserez-vous une, tombée de la ramure dorsale de votre ennemi intérieur. Inutile de le cacher, vous doutez de vous-même. Vous êtes la proie, mais pas l'oiseau, du doute métaphysique. Vous aimeriez sortir de votre chair physique et vous porter à la rencontre de l'ange qui se tient hors de vous. Mais vous avez peur. Le plateau de la balance reste en équilibre. Ne monte, ni d'un côté ni de l'autre. Seriez-vous en échec et Maât. Pourtant vous détenez votre cœur arrêté d'effroi sous le rose-petite-fille-sage de votre blouse. Et la plume qui se doit d'être plus légère que le froid de la tristesse bleue du monde qui vous cerne. La lancerez-vous.

( Nous sommes peu impacté par la figure mytho-historiale de Naupacté. )

 

5 / DE TA PLUS BELLE PLUME

( 2016100 /100 )

Tu as revêtu le casque guerrier de l'infante décidée. L'heure aquiline est claire. Le bec conquérant est avide d'une autre chair à dévorer toute crue. Il est temps de dessiner l'impérieuse parabole. Un œil vers le tracé exigé, et une pupille au loin qui vérifie l'horizon. L'instant de prendre ton envol est venu. L'oisillon se laissera choir de son nid. Saura-t-il voler de ses propres ailes, parviendra-t-il à freiner sa chute et à s'élever dans les airs ? Tu te recueilles en toi, en la nostalgie de ce que tu ne veux plus être. Le bleu glacial s'enfuit dans les bords du tableau. Désormais tu seras rose épanouie en ta robe, de communion avec l'ange que tu appelles. Et tu penses aux correspondances baudelairiennes.

 

6 / BIEN A VOUS

( 2016100 / 100 )

Jeune homme tu parles comme un homme. Touché en pleine tête. Missive missile. Il ne te reste plus qu'à te débattre avec ton ange. Est-il en toi ? Est-il en elle ? Est-il un obstacle infranchissable entre vous deux, d'où la nécessité de cette flèche dédiée à l'oiseau charognard de Stymphale, afin de l'abattre, lancée par l'amazone. Te tiens-tu droit comme un I car tu t'appelles désormais Icare. Attention, parfois celui qui veut faire l'ange fait le bête. Tu réfléchis, peut-être l'aventure est-elle plus risquée que tu ne le penses. Cette main qui se tend vers toi, est-elle caresse ou déchirure. Ta cravate désigne-telle le cœur de cible. Pourquoi la palette du peintre est-elle si noire. Pourquoi la peinture a-t-elle besoin de vocables. Les mots d'un titre disent-ils davantage que la représentation figurative du dessin. Est-ce que cela te fait du bien à toi. Valentin. Va lointain.

 

7 / UNE IDEE QUI VA SON CHEMIN

( 2016130 / 100 )

Est-ce l'idée qui trace son chemin ou l'attente. Les ailes sont-elles dans son dos comme un coup de poignard. Toute ramure angélique est-elle si dure à supporter que cela devient trop lourd pour de frêles épaules. Les jambes écartées et les mains sur le sexe. Parce que les anges n'en auraient pas. Avec quoi l'adolescence peut-elle jouer. Sinon avec elle-même. La vie est-elle en pointillés. Alternance du vide de la chair et du plein du cœur. Un terrible déséquilibre qui cloue à terre. Ces heures où le corps n'est d'aucun secours. Et si ces chemins ne menaient nulle part. Pas plus loin que toi-même. Moins loin que l'autre. Se perdaient quelque part dans le monde. La cible est-elle indicible.

 

8 / BORDERLINE

( 2016130 / 100 )

Il a volé à sa rencontre. Il a quitté les langes chrysalidaires de la réflexion pour la statue mobile de l'ange. Est-ce le moment redouté de la chute de l'ange. Toute vie côtoie-telle l'abîme. Court-il sur le bord tranchant du désir. Pourquoi ne s'envole-t-il pas. Qu'est-ce que cette attraction déclinante d'équilibriste. Qu'est-ce que cette lourdeur accaparante qui le gêne dans sa course. A moins que ce ne soit la limite extrême du spectacle du monde où nous sommes conviés. La peinture ne dit-elle pas tout. Tait-elle le spectacle des anges entre eux pour ne pas nous faire honte de notre solitude humaine. Ce grand bec d'ibis d'échassier incapable de se tenir sur ses deux pattes. Ô vide. De quel côté Icare tombera-t-il. Chut !

 

9 / FIN PRÊTS

( 2016100 / 100 )

Ce n'est pas ici que nous aurons la réponse. Parce que le combat n'est pas commencé. Parce que nous savons que ces deux athlètes sont des symboles de ce qui se joue, qui s'amuse, qui se bat de l'aile dans la peinture de Manuel Martinez. Peut-être une occupation de l'espace. L'issue de cette lutte est incertaine. Chacun des deux adversaires est sûr de son fait. On va voir ce qu'on va voir. En fait on ne verra que ce que le peintre nous montrera. Avant de nous passionner, qui sont-ils. Des formes en mouvement figées en leur immobilité. Des anges en colère. Portent leurs plumes comme des coiffes de chefs indiens. Peut-être une représentation formelle de l'une et de l'autre au plus prés de l'acte érotico-métaphysique. L'union du pinceau et de la toile. La signifiance entretenue entre le mot écrit et la chose peinte. Une simple figuration abstraitement libre de ce qui est en train d'advenir.

 

10 / NO GO ZONE

( 2016100 / 100 )

Qui gît là dans ce pugilat. Sumo au summum. Obéissent-ils à la ronde du monde. L'un dessus, l'autre dessous, tour à tour. A moins que ce ne soit leur tournoiement qui le fasse girer. Est-ce un ange qui se bat contre l'autre. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas de sortie de secours. Pas de dégagement possible. Juste le lieu géométrique du combat et la toupie infernale de l'affrontement à la recherche de la cerclitude du carré. Les deux faces de Manuel Martinez, lui qui dans une première époque éclatait les cadres du tableau, lui qui depuis circonscrit le lieu, avec ce titre hors du tableau comme un ange échappé à la concentricité exemplaire de l'action figurée. Le sens de toute chose est-il séparé de la chose. Le couple alchimique efface-t-il les sexes. La peinture de Manuel Martinez casse-t-elle l'atome initial androgynique. Le dit de la littérature, et le monstre du représenté, en un face à face infini, réunis selon la fusion mentale de l'image suscitée, et par l'une et par l'autre, en une sempiternelle gestation séparative.

 

11 / GRAVITE

( 2016 - 100 / 100 )

La situation était plus grave que l'on ne l'espérait. Retour à la solitude. La peinture revisite ses classiques. Ici le christ est redescendu tout seul de sa croix. L'a adopté l'attitude du boxeur groggy relégué dans les cordes du ring. L'ange a failli tout perdre. Encore heureux qu'il ait pu retenir de sa main droite une dernière poignée de plumes. L'on imagine son adversaire dansant la danse du scalp autour du carré de la scène. Le point de gravité est-il focal. Le monde de la peinture s'effondre-t-il dans le trou noir de la défaite. Qui a perdu. Qui a gagné. Le monde de l'homme ou l'homme du monde. Et si l'on veut élever le débat, le monde de l'ange ou l'ange du monde.

 

12 / GABY

( 2017100 / 100 )

Gaby oh Gaby. L'effet de l'autre côté du miroir. Elle a gardé ses ailes. Etait-elle, aile, l'âme du monde. L'ange du monde tire une tronche pas possible. En fin de compte, en aussi mauvais état que son vis-à-vis. Que son vice-à-vice. Le match serait-il nul. Chacun renvoyé à lui-même. L'effusion ne s'est pas résolue en infusion. Dorure scythe. Serait-ce une icône de la peinture représentant la peinture. L'échec au pantalon troué. L'ange abattu en plein vol. Ramené à sa dimension la plus terre-à-terre. Dans la position éplorée de la vierge sans enfant et sans virginité. Déflorée par la seule pensée de l'acte de la peinture. Pinceau introductif du peintre.

 

13 / IDEE RECUE

( 201865 / 50 )

Soyez sans inquiétude la demoiselle a de la ressource. Parfois tout coule de source. Elle a reçu l'annonciation d'une idée qui fera son chemin, dans sa tête ailée, en premier lieu. Mad'moiselle-n'a-qu'un-œil, rêve. Elle se tourne ses propres films. Rien ne la dérange. Cent fois, mille fois, elle retourne la scène primordiale. Mais quelle est-elle au juste. La chute de l'ange parmi les hommes ou la chute de l'homme parmi les anges. Cela demande réflexion. N'est-ce pas une transgression. Un peu comme si la peinture entreprenait de flirter avec la littérature, à moins que ce ne soit la littérature qui interviendrait en peinture. Lorsque l'on regarde le résultat d'une chose, n'importe laquelle, par exemple une plume d'ange, est-ce l'ange qui est allé à la plume ou la plume qui a voleté jusqu'à l'ange. En tout cas, cela porte un nom, cela s'appelle poésie.

 

14 / Pas de titre

( 2018 - 140 / 115 )

Quand on ne sait pas, il vaut mieux se taire. Que l'humain ne pipe mot, qu'il laisse parler les dieux. Voici le vol de l'aigle. Voici le viol de l'aigle. Le rapt des Sabines. La cueillaison d'un rêve. L'image d'un désir. L'aigle vole ce qu'on lui offre. Osiris s'empare d'Isis. Le dieu et la déesse. L'acte et le geste. Les anges ne sont pas des anges. Pas de titre. Peut-être une figure de l'Innommable. Peut-être le mot de l'Indescriptible. Serait-ce la poésie la plus pure. Serait-ce la poésie la plus pute. Mais la première trace du pinceau, le premier mot de la plume appelle le dénouement du geste, implore le dénuement de l'acte, impulse le dénudement de la poésie, désirée et désirante. Le voile tombe. La toile apparaît. Cette toile se nomme Ravissement.

 

15 / DEMAIN DES L'AUBE

( 2019100 / 100 )

Je partirai. La toile se résout en poésie. Le sacrifice a eu lieu. Tout est consommé. Noce d'équinoxe. L'un égale l'autre, l'autre égale zéro absolu. L'étoile mortuaire de la nuit a perdu un de ses joyaux, qui brille dans le crépuscule auroral. Chambre froide du petit matin bleu. Le minotaure n'a jamais tort. Malgré les tortueux replis de l'esprit. Il ne perd jamais le nord. Il mord tout ce qui dépasse sur les bords. Du tableau. Et de la démesure humaine. Puissance noire de l'angélisme. Apis peut faire pis. Mithra est sorti de la fosse. Est-ce l'acte suprême ou un incident dont nul ne se soucie. Le peintre a dressé sa toile comme une offrande.

 

16 / Pas de titre

( 201680 / 80 )

Manuel Martinez a toujours eu des chats chez lui. Nous laissons la parole à Glycéro : '' Ceux qui se prennent pour des maîtres sont fatigants. Mériterait des gnons. A toujours péter plus haut que leur troufignon. Pour moi c'est très simple, tout ce qui vole haut ou bas m'intéresse, quand j'en chope un dans le jardin, ange ou mésange, je le bouffe tout cru. Au moins ils n'auront pas à voler leur mort. Je n'ai pas un mot à ajouter, mes actes parlent pour moi. Ce n'est pas toujours facile de les pister. Parfois l'ange change. Puissance élevée au carré. Manuel Martinez. ''

Damie Chad.

 

NOTES

Ceci n'est qu'un chemin parmi l'œuvre de Manuel Martinez. Il est à considérer comme une de ces coupes stratigraphiques auxquelles s'emploient les archéologues pour établir leurs futures fouilles et escompter leurs prochaines trouvailles. Encore que Manuel Martinez soit bien vivant et continue à peindre et à exposer.

J'ai choisi un unique motif dans cette œuvre foisonnante. J'aurais pu en élire d'autres, je les nommerai par exemple, ''filles pensives'', ''les chats'', ''regards contempourris '', je m'arrête, vous êtes assez grands pour bâtir vos paddocks mentaux. Certaines des toiles commentées ici peuvent être incluses dans ces trois catégories ou bien d'autres. Cela fonctionne un peu comme la théorie mathématique des Ensembles. Chacun se crée ses propres périmètres totémiques.

Lorsque vous parlez avec Manuel Martinez, il se hâte de vous expliquer la programmatique de ses couleurs. Vous expose cela comme une triangulation de complémentaires. Intéressant certes. Mais subsidiaire ai-je envie d'affirmer. Une stratégie d'évitement. Evoquer les moyens évite de déclarer ses intentions profondes. Celles qui courent sur les abîmes.

Quatre points d'encrage et d'ancrage pour entrer dans cette œuvre : mythe / modernité / peinture / littérature. Quant aux anges rilkéens est-il nécessaire de préciser qu'ils ne participent en rien d'une vision christianologique du monde. Les mots répétés comme autant de coups de pinceaux alignés, sagement et follement, côte à côte. Dans le but inatteignable que l'acte d'écrire imite et figure celui du peintre.

Les petites vignettes qui surplombent le texte ne témoignent pas de la force des tableaux tels qu'en eux-mêmes les visiteurs des galeries s'y confrontent.

D. C.

P. S. : Pour la petite histoire : José Martinez, nous avons présenté dans notre livraison 451 du 12 / 02 / 2020 une série de 24 de ses dessins, est le frère de Manuel Martinez.

 

25/03/2020

KR'TNT ! 457 : LORDS OF ATLAMONT / JACKIE McAULEY + FRIENDS / POGO CAR CRASH CONTROL / CRASHBIRDS / MARIE DESJARDINS + FRIENDS / JOHNNY & THE HURRICANES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 457

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

26 / 03 / 2020

 

LORDS OF ATLAMONT

JACKIE McAULEY + FRIENDS

POGO CAR CRASH CONTROL / CRASHBIRDS

MARIE DESJARDINS + FRIENDS

JOHNNY & THE HURRICANES

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Altamont là-dessus et tu verras Montmartre

Part Three

D’un simple point vue objectif, les Lords Of Altamont gagnent à tous les coups. Rien qu’en grimpant sur scène, c’est dans la poche. On peut les voir pour la énième fois, leur truc marche à tous les coups. Aucun effort à fournir pour entrer dans leur cirque. Même pas besoin de se pincer. Même pas besoin de réfléchir ni même d’analyser le pourquoi du comment, les Lords coulent de source. Comme si rien n’avait changé depuis 1965 : quelques accords de guitare électrique, deux ou trois petites nappes de Farfisa ici et là, un bon drumbeat bien primaire par derrière et un bassmatic bien monté en épingle, des cheveux longs, un peu de cuir noir, des tatouages, des chansons très simples qui traitent de vitesse, de voitures, de mort sur le highway, de gonzesses et du diable, et voilà, ça suffit. Rien qu’avec ça, les Lords ont de quoi rendre un homme heureux. Just for one day.

Avec Nashville Pussy, Jim Jones, les BellRays et les Morlocks, les Lords font partie de cette poignée de groupes anglo-américains qui continuent de sillonner l’Europe vaille que vaille. Pour eux, pas question de lâcher l’affaire. Les gens disent que le rock est mort, les Lords affirment le contraire. Le rock ne s’est jamais aussi bien porté. Il sourit de ses trente-deux dents. Il suffit de le jouer pour de vrai et de ne pas prendre les gens pour des cons.

Pas de retour en arrière possible pour Jake Cavaliere, depuis qu’il s’est fait tatouer un aigle dans le cou. Il va devoir chanter avec les Lords jusqu’à la fin de ses jours. C’est une façon de s’engager, le même genre d’engagement que prend celui ou celle qui entre dans la fonction publique : c’est pour la vie, avec pour corollaire la savoureuse garantie de la sécurité de l’emploi. Jake Cavaliere jouit du même privilège : il ne perdra jamais son job dans les Lords. Et c’est même encore mieux, car au fond il s’en branle. Il s’en contre-branle. C’est ce qui fait sa force et sa supériorité. Son job ne tient que par son talent, ce qui lui vaut l’intégralité de notre modeste considération. Les compétences sont à la portée du commun des mortels, pas le talent.

Et si on se trompait, en prenant le spectacle des Lords au premier degré ? Et si au lieu de n’être qu’un brave petit fantassin de l’armée du rock, Jake Caveliere se prenait pour une rock star ? Il en a travaillé les poses et les impacts, les déhanchés et les rictus, il recycle à sa façon toute la gestuelle mythologique, celle de Jim Morrison, celle de Sky Saxon, et ça va encore plus loin car il y a aussi en lui du Kip Tyler, l’un des mythes les plus brillants et les plus obscurs du rock californien, mais on détectera aussi chez Jake Caveliere un fort relent de Peter Wolf, car «Death On The Highway» vaut bien «Born To Be Wild», les Lords sont dans cette esthétique du biker rock californien, et s’ils reprennent «Slow Death», ce n’est pas non plus un hasard, mon petit Balthazar, car les Groovies font partie de cet ensemble extraordinairement greasy du rock californien, la face cachée du West coasting. Par sa haute silhouette filiforme, Jake Caveliere renvoie aussi au Lord Of Garbage, Kim Fowley. Et par le choix du nom de son groupe, Jake Caveliere établit bien sûr une filiation directe avec les Stones d’Altamont, le cœur de ce que les mythologues avertis appellent the Californian Hell, c’est-dire le jusqu’au-boutisme démonologique poussé dans ses retranchements, l’envers du paradis sous le soleil de Satan. L’autre filiation est bien sûr celle des Cramps dont Jake Caveliere fut le roadie et non, comme il a été dit lors de l’interview, le manager. Les cheveux noir de jais, les lunettes noires, le sens aigu du show, tout ça renvoie incidemment aux Cramps. Les Lords cultivent un petit pré carré extraordinairement fertile. On y trouve aussi Johnny Baker, le Wild One des origines, celui de Laslo Benedek. Si Hunter S. Thompson était encore en vie, aurait-il consacré un ouvrage aux exploits du wild biker Jake Caveliere ? Et Sonny Barger lui aurait-il offert les couleurs du chapitre d’Oakland en gage de considération ? Les Lords voyagent-il en moto de ville en ville avec leurs guitares accrochées dans le dos ? Captain America, Dennis Hopper et Jack Nicholson auraient-ils invité Jake Caveliere à s’asseoir avec eux autour d’un bivouac ? Pourquoi ne voit-on pas Jake Caveliere dans The Sons Of Anarchy ? Et pourquoi Davie Allan & the Arrows ne font jamais la première partie des Lords ? On n’en finirait plus de se poser les bonnes questions, avec ces mecs-là. Ils s’investissent tellement dans leur cirque qu’on ne sait plus où s’arrête le réalisme et où commence l’hypothétisme hypodermique.

Le principal, c’est qu’ils jouent. Ah pour jouer, ils jouent ! Vingt ans de métier. Une grosse heure de rock vroom vroom. On est là pour ça. Les Lords t’en donnent pour ton billet de vingt. On voit des têtes bouger dans le public. Les Lords savent travailler la couenne d’une salle. Jake Caveliere fait encore pas mal de pyrotechnics avec son petit Farfisa. Il adore offrir son clavier en pâture aux idolâtres du premier rang. Quand on le voit éclater de rire en faisant le pitre avec son collègue guitariste, on réalise qu’au fond, ils ne se prennent pas vraiment au sérieux. C’est comme au cirque : as-tu déjà vu un clown se prendre au sérieux ? Non, car d’un simple point de vue cartésien, c’est impossible. Un clown triste, oui, mais pas un clown sérieux. Par contre, le clown va faire son job avec le plus grand sérieux du monde, car rien n’est plus difficile que le métier de clown. Ce n’est pas donné à tout le monde de réussir dans cette branche. S’offrir en spectacle demande certaines dispositions, la première étant d’apprendre à être sûr de soi. Le mieux possible. Tu crois que c’est facile de monter sur scène et de faire le con dans un groupe de rock ?

À part les Groovies, les Lords tirent aussi un joli coup de chapeau à Wolf, dont ils reprennent «Evil (Is Going On)». Bien sûr, Jake Caveliere n’a pas la voix, mais l’idée l’honore. Ils font leur petit mix habituel en puisant dans tous leurs albums, sauf Lords Take Altamont où se trouvent toutes leurs fabuleuses reprises des Stones. Bizarre, aucune trace de ce big deal dans leur set. C’est bien sûr le dernier album qui est à l’honneur, The Wild Sounds Of The Lords Of Altamont, évoqué en long, en large et en travers dans un récent Part Two. Mais ils mixent savamment les époques, en ouvrant par exemple avec «Live Fast» et en fermant avec l’implacable «Cyclone», tous les deux tirés de Lords Have Mercy, leur deuxième (et excellent) album paru voici quinze ans. Eh oui, quinze ans déjà, tout ce temps qui, comme le dit Erik Satie, passe et ne repasse pas.

Signé : Cazengler, Lord of t’as quelle heure al ta montre ?

Lords Of Altamont. Le 106. Rouen (76). 4 mars 2020

From Cazengler, wuthering monts :

Lords of Atlamont : on Chroniques de pourpre : Kn'tnt ! 213 du 11 / 12 / 2014

Lords of Atlamont : on Chroniques de pourpre : Kr'tnt ! 344 du 19 / 10 / 2017

 

Pas d’olé olé chez McAuley

Regardez bien la pochette du EP «Gloria» paru en 1965 sur Decca : le petit mec qui se déhanche au fond avec les bras croisés et la mèche sur les yeux s’appelle Jackie McAuley. Il est le keyboard player des Them et son frère Pat, deuxième en partant de la gauche, y bat le beurre. À cette époque, il était aussi vital de connaître les noms des musiciens que de comprendre les paroles des chansons.

McAuley ? Un nom quasiment inconnu du grand public. Après la désintégration des Them, les fans de Kim Fowley retrouvèrent sa trace dans les Belfast Gypsies, puis en 1970, il fit un brin de psych-folk avec l’ex-Fairport Judy Dyble dans Trader Horne. C’est à peu près tout. Pas de quoi en faire un fromage. Mais si.

L’an passé, on recroisait son nom dans la rubrique ‘On The Shelf’ d’Ugly Things. Tiens tiens, McAuley publie ses mémoires... À compte d’auteur, bien entendu. Les souvenirs d’une cinquième roue du carrosse n’intéressent pas les éditeurs, tout le monde le sait. Le titre ? I Sideman. Il ne s’est pas foulé. Mais bon. Si tu veux choper ce livre, il faut aller sur le site de l’auteur, jackiemcauley.com. I Sideman coûte un billet de vingt et deux clics. Qu’est-ce qu’un billet de vingt comparé à l’univers ? Rien.

Quand on lit des choses publiées à compte d’auteur, il ne faut surtout pas s’attendre à des miracles. Mais si on part du principe qu’il n’existe quasiment pas de littérature consacrée aux Them, on peut très bien tenter le diable en consacrant une vingtaine d’heures à la lecture d’un livre, aussi mal barré soit-il. Qu’est-ce qu’une vingtaine d’heures comparée à l’éternité ? Rien.

Contre toute attente, Sideman avale son lecteur comme la baleine avale Jonas. Gloups ! T’as voulu voir Vesoul et t’as vu McAuley ! Il nous chante sa chanson de naguère, celle du temps où il s’appelait Jackie. Grand et bon à la fois. On se cabre. Trop facile ! Mais oui, c’est facile quand on a keyboardé dans un groupe aussi capital que les Them.

Est-il bien utile de rappeler que l’EP des Them provoqua le plus grand schisme du XXe siècle ? En termes de conséquences, l’impact de «Gloria» équivaut à celui qui fracassa le christianisme en deux blocs, catholiques et protestants, ou encore l’Islam, dont les chiites et les sunnites se disputent encore le dogme. En 1965, la jeunesse américaine dut choisir son camp, non pas entre les Beatles et les Rolling Stones comme voulaient nous le faire croire les médias de l’époque, mais entre les Them et les Beatles. D’un côté, vous aviez les popsters (Beach Boys, Byrds, Monkees, Lovin’ Spoonful et tous les preux shouters d’harmonies vocales) et de l’autre les gueules d’empeignes qui collaient leurs crottes de nez sur leurs guitares : les garage-punksters (Shadows Of Knight, Standells et toute cette faune interlope condamnée à fréquenter les araignées, oui, tous ces groupes improbables qu’on croise sur les Back From The Grave de Tim Warren).

McAuley ne nous le dit pas expressément, mais les Them ne pouvaient être qu’irlandais. Dans The Commitments, Jimmy Rabitte s’exclame : «Les Irlandais sont les nègres de l’Europe !». C’est d’autant plus criant dans le cas de McAuley qu’il naît pauvre dans une famille nombreuse. L’expression consacrée en langue anglaise est dirt poor. La famille McAuley vit à Belfast et petit, Jackie entend sa mère dire à son père : «My God, on est condamnés à vivre dans ce ghetto pour toujours !» Pas de viande aux repas. Les seuls souvenirs que Jackie garde de sa petite enfance sont le froid et la faim. Du carton dans les chaussures trouées. Pas de manteau en hiver et une paire de chaussettes en guise de gants. Jackie ne lésine pas sur les détails, mais il le fait avec cette dignité dont seuls sont capables les pauvres. Qu’on se rassure, McAuley ne se prend pas pour Zola. Ce n’est que l’histoire de sa vie. Son sens de l’humilité va loin car il explique que ses frères et lui ne demandaient jamais rien à Mom and Dad, car ils savaient qu’ils n’avaient rien. Du coup, ils ne se sentaient pas privés, puisqu’ils n’attendaient rien. L’extrême pauvreté leur semblait ‘naturelle’. Comme Mom and Dad sont musiciens et qu’ils n’ont pas d’autre métier, ils vivent d’expédients. C’est à la fois le malheur et la chance de Jackie, de Pat et des autres qui par la force des choses deviennent multi-instrumentistes dès leur plus jeune âge. Rien à bouffer dans le taudis, alors ils jouent avec le banjo et le piano. Cling cling ! Oh ! Clong clong ! Wow ! Alors que les autres gosses jouent dans la rue, les McAuley jouent avec leur mère. Jackie va quand même à l’école, St Comgalls Catholic School, pour être précis. Il y apprend les deux clés de la survie en Irlande : «Baisse la tête» et «Ferme ta gueule». C’est tout ce qui lui reste de sa scolarité.

En 1960, Jackie découvre Lonnie Donegan. Il a quatorze ans. À travers Donegan, il découvre Leadbelly et Woody Guthrie. Alors c’est parti. Pat lui dit un jour qu’un groupe dément joue au Maritime, une espèce de grand hall tout en longueur avec une scène au fond - Who are Them ? What are Them ? - Grâce aux Them, le Maritime devient la Mecque du r’n’b. Les wild shows des Them entrent dans la légende. Van Morrison saute partout, tombe à genoux, jette son tambourin et ses pompes dans la foule qui devient folle - It was just that crazy - Quand Eric Wrixton, le premier keyboardist des Them quitte le groupe parce qu’il est mineur et que ses parents le forcent à finir ses études, Billy Harrison recrute Pat McAuley pour le remplacer, puis quand le batteur Ronnie Millings quitte le groupe à son tour pour bosser et trouver de quoi nourrir ses trois gosses, Pat passe derrière les fûts pour le remplacer. Billy lui demande s’il connaît un organiste et Pat dit yes. Jackie entre dans le groupe en 1964. Il n’a que dix-sept ans. Fier comme un pape. Les Them storment l’Angleterre, raw and hard-hitting - S’il fallait résumer le groupe en un seul mot, ce serait ‘dynamic’ - Les seuls capables de rivaliser de sauvagerie avec les Irlandais, ce sont bien sûr les Pretties.

Ça c’est le bon côté des choses. Les hits des Them resteront les modèles du genre jusqu’à la fin des temps, mais l’histoire du groupe atteint un niveau de réalité sordide rarement égalé.

La première chose que Jackie remarque au moment où il rejoint le groupe, c’est l’état physique et mental des autres : crevés et fauchés, like penniless beggars, hagards comme des clochards. Bon, Pat et Jackie ont de l’entraînement, mais passé le cap de la vanne, ils ont du mal à piger pourquoi l’un des fleurons du fameux ‘British Boom Beat’ n’a pas de blé. La réponse s’appelle les Solomon. Deux frères connus comme le loup blanc à Belfast. Ils ont commencé par lancer les Bachelors puis voyant les Them casser la baraque au Maritime, ils ont alerté Dick Rowe, le boss de Decca, oui, celui qui a laissé passer la chance de sa vie en hésitant à signer les Beatles. Dans les pattes des Solomon, les Them sont baisés. Signe là, mon gars, oui, là, sur les pointillés. Van signe et les autres aussi. Ils font confiance. Grave erreur. Plan classique à l’époque. Les Solomon empochent tout le blé des ventes et des tournées. Ils expliquent aux Them médusés que leur blé est stocké sur un compte en banque, ‘pour plus tard’. En attendant, ils distribuent un peu d’argent de poche, juste de quoi manger. Et encore. Les Them sont faits comme des rats, comme le furent les Walker Brothers dans les pattes de Maurice King ou Badfinger dans celles de Stan Polley. Ça va loin, car les Them ont signé directement avec les Solomon et non avec Decca, ça veut dire que tout ce qui porte le nom de Them appartient aux Solomon, qui eux ont signé avec Decca. Jackie apprendra plus tard que le père et l’oncle des Solomon sont en plus actionnaires de Decca. En français, ce montage ‘juridique’ porte un joli nom : arnaque légale.

Jackie et Pat retrouvent souvent Van dans un petit café proche du City Hall de Belfast. Mais ils n’ont pas assez de blé pour se payer une tasse. Billy Harrison se souvient d’avoir crevé de faim à l’époque. Mon pauvre Billy, c’est d’une banalité ! Il raconte par exemple qu’un jour en tournée, Van chope la grippe et Pat se tape une grosse crise d’asthme. Alors les autres fouillent au fond de leur poches et trouvent de quoi se cotiser pour financer une chambre d’hôtel. Les deux malades peuvent dormir au chaud, alors que Billy et Alan grelottent de froid toute la nuit dans le van. Essayez de dormir dans une bagnole en plein hiver, vous verrez si c’est facile. Ça se termine généralement avec des engelures aux pieds. Billy ajoute qu’ils crèvent tellement la dalle qu’ils finissent par chourer les bouteilles de lait sur les doorsteps, en plein Swingin’ London, à l’époque où on les invite à Ready Steady Go.

Ils débarquent un jour en studio à Londres, mais l’exaltation de dure pas longtemps car des gros bras de Decca virent Jackie et les autres pour les remplacer par des session men. «Baisse la tête» et «Ferme ta gueule». Jackie et Pat ont bien appris leur leçon. La vraie raison n’est pas liée aux compétences des musiciens, car Jackie et Pat valent largement Bobby Graham et Jimmy Page. Non, c’est pire que tout ce qu’on peut imaginer : Solomon paye les session men, comme ça il ne doit rien aux Them. Écœuré par toutes ces pratiques, Van Morrison réglera ses comptes plus tard dans une fantastique chanson appelée «Big Time Operators» - They were vicious and they were mean/ They were big time operators/ Baby/ On the music business scene - Il décrit ce cauchemar avec tout le génie vocal qu’on peut imaginer.

Quand «Baby Please Don’t Go» explose la gueule des pauvres charts anglais, les Them réclament un van plus confortable pour les tournées, par exemple un Mercedes. Non, hurle Solomon. «Je suis juif, il est hors de question d’acheter un produit allemand !» C’est tout ce qu’il trouve comme excuse pour financer à la place d’un van confortable un mini-van Ford d’occase complètement inadapté aux tournées d’un groupe devenu célèbre : deux places devant et les autres derrière, au sol avec le matos. Petite cerise sur le gâteau : le mec qui supervise les tournées en Angleterre n’est autre que Maurice King. Un King qui se régale des pleurnicheries des Irlandais et qui leur répond : «Mais les rockers ne mangent pas ! Ils ne dorment pas non plus !» Manger au restau ? Dormir à l’hôtel ? Pffffff ! Momo adore se foutre de leur gueule. Il les traite de «thick fuckin’ paddies». Jackie ne peut pas encadrer ce sale bonhomme. D’autant qu’il le voit emplâtrer les recettes des concerts. Le pire est que Solomon et King mettent la pression et bookent des concerts sans arrêt partout en Angleterre. La vie des Them commence à ressembler étrangement à celle d’un cotton picker nègre de l’âge d’or de l’agriculture esclavagiste : tu bosses tous les jours de l’aube à la tombée de la nuit pour des nèfles. C’est comme ça. Les Them jouent tous les soirs, travelling up and down without a break. On n’a pas idée de la rapacité des gens du business à cette époque. Elle vaut largement celle des patrons blancs de plantations. Un jour Jackie tombe sur un bel écriteau à la porte d’un Bed & Breakfast : «No blacks, no Irish, no Jews, no Dogs». Il ne savait pas à quel point les Britanniques pouvaient haïr les Irlandais. Au moins comme ça les choses sont claires. Les Them sont souvent obligés de rentrer à Londres pour trouver un endroit où dormir. Et c’est là qu’ils se mettent aux amphètes, juste pour pouvoir tenir. Marche ou crève. Un matin, Jackie ne se réveille pas, et le groupe reprend la route sans lui. Viré.

Le deuxième à lâcher prise, c’est Pat. Il comprend vite que personne ne récupérera jamais le blé que doit Solomon au groupe. Puis Billy Harrison jette l’éponge à son tour. Van et Alan Henderson tentent de continuer, mais les Them sont morts.

Revenons un instant sur la fameuse pochette du EP «Gloria» : on voit dans l’ordre Alan Henderson (bassman cravaté), Pat, Van Morrison et juste derrière lui se tient Billy Harrison, le heavy guitar-slinger de «Baby Please Don’t Go» qu’a longuement interviewé Richie Unterberger dans Ugly Things. Deux fois quinze pages ! Damn it ! Billy ne lésine pas sur les détails. Il nous rappelle qu’à l’origine, Van joue du sax et se passionne pour le blues. Il tape dans la collection de son père qui collectionne les disques des bluesmen les plus obscurs. Avant de rejoindre les Gamblers (Billy, Alan Henderson et Ronnie Millings), Van a déjà roulé sa bosse et joué dans des showbands de tous styles, rock’n’roll, jazz ou country. Mais il ne chante pas. Puis les Gamblers deviennent les Them - Who are Them ? - Ils optent aussitôt pour le raw to the bone - The Rolling Stones, the Pretty Things, the Yardbirds ? Them were ahead of them, We were playing something they hadn’t reached - Billy affirme que les Them avaient une belle longueur d’avance sur les autres groupes, en matière de rawness. Selon lui, les Stones détestaient les Them car ils les voyaient comme une menace. Excepté Brian Jones qui appréciait beaucoup Billy. Les Them jouaient une cover du fameux «Turn On Your Lovelight» de Bobby Blue Bland qui durait une demi-heure, avec laquelle ils transformaient le Maritime en madhouse. Puis Billy se met à foutre des grands coups de pompes dans la fourmilière du mythe : il rappelle qu’il a composé «Gloria» chez sa mère, dans le salon, avec Van et Alan - I made the sound, the riff and the whole thing - Billy s’énerve tout seul - Again it’s that I said : Van was Van, but I was Them. I made the sound of Them - Billy revendique la paternité du son des Them. Et quand Unterberger lui parle des groupes qui ont repris «Gloria», Billy hennit comme l’étalon de Zorro - Non, non non ! Cause they all play these three chords E, D and A and they play ‘em all jerky, it doesn’t roll like that at all - Il a raison Billy de s’énerver, des centaines de groupes ont massacré «Gloria» en jouant bêtement les trois accords - There’s a lot more to it than the three chords. It’s what I used to call three chords and four tricks - Trois accords et quatre trucs. Billy explique que le roll traverse tout le cut. La seule version de «Gloria» qu’il accepte de citer est celle de Van avec John Lee Hooker. Mais tout le reste, non, «cause you don’t have my guitar and you don’t have Van’s voice. Game over.» Il revient aussi sur les changements de line-up et le départ du batteur Ronnie Millings qui était aussi le chauffeur du vieux van. Ronnie parti, qui veut conduire ? Personne n’a son permis. Alors Billy se dévoue. Pas de permis, pas d’assurance, no nothing, et voilà les Them en route pour l’aventure on the mainland, comme ils l’appellent, la Grande-Bretagne - We gotta go and do the gigs - Fin 64, ils font leurs premières télés à quatre, juste avant l’arrivée de Jackie.

Ils reviennent en session à Londres en 1965 avec le producteur américain Bert Berns pour enregistrer «Baby Please Don’t Go» et «Here Comes The Night». Billy rend hommage à ce génie du son, un Bert Berns qui harangue le groupe à coups de «Let’s get this cooking, guys !» En studio, Berns crée l’atmosphère, comme il le fit auparavant avec Solomon Burke et Garnet Mimms. Billy explique que son «Baby Please Don’t Go» sort d’un vieil album de Big Joe Williams entendu chez le père de Van, mais l’idée était d’en faire un truc très différent. Something différent... Ça ne vous rappelle rien ? La vieille obsession de Sam Phillips lui aussi en quête du something different. C’est-à-dire le Graal. Billy Harrison cherche exactement la même chose. Il précise que deux batteurs jouent sur «Baby Please Don’t Go» : Bobby Graham et Ronnie. Jimmy Page ? Yes, il gratte sa gratte en rythmique. Billy ne l’aime pas. Il n’a pas besoin de lui. Et Jimmy Page ne l’aime pas non plus. Billy est furieux. Il dit à Berns qu’il n’a pas besoin de ce mec-là pour jouer sur «Baby Please Don’t Go». Il n’y a qu’un seul accord en sol - On and off a G on the bass string - En jouant l’accord sur sa guitare, Page dit qu’il donne du volume au drone. Billy ne réussit pas à le faire virer du studio. Unterberger joue un peu avec le feu quand il demande à Billy ce qu’il pense de cette rumeur qui a longtemps couru : Jimmy Page aurait joué le riff de «Baby Please Don’t Go». Billy saute en l’air. Fuck it ! Ça le met hors de lui qu’un mec comme Page n’ait jamais démenti de lui-même cette rumeur - Fuck ‘im ! He still can’t play it ! - On ne marche pas sur les pieds d’un mec comme Billy.

Par contre, il n’est pas très tendre avec Jackie - Not that great - C’est vraiment pas gentil. Viré, comme on l’a dit et remplacé par Peter Bardens pour l’enregistrement de The Angry Young Them. Billy affirme que le line-up de ce premier album est le vrai line-up des Them : Van, Alan, Pat, Bardens et lui. Puis le groupe commence à se désintégrer. Ça va très vite, comme toujours. Billy considère les Them comme son groupe, alors il en devient le porte-parole. Il demande à Phil Solomon où passe le blé. En guise de réponse, Solomon menace de renvoyer le groupe en Irlande et de les rayer de la carte. Billy constate ensuite qu’en tournée, Van commence à voyager seul, sans les autres. Jusqu’au jour où il apprend incidemment que Van auditionne des musiciens en douce. C’est là qu’il arrête les frais. Il ne faut pas prendre Billy Harrison pour un con - I just blew the fuck up - Simple as that. Le groupe repart sans lui. Il reçoit une lettre le lendemain. Viré.

Quand Billy retrouve son calme, la lumière se fait dans sa tête. Il comprend que Solomon voulait se débarrasser de lui. À vouloir défendre les intérêts de ses copains, Billy était devenu le troublemaker qui osait demander des comptes ! Il comprend aussi l’arnaque des crédits de chansons. Comme par hasard, tout est signé Morrison. Facile à comprendre : Van signe les cuts et Solomon le protège. Diviser pour mieux régner. Pratique courante à cette époque. Comme les frères Chess à Chicago, Solomon vit principalement des droits des chansons, ce que les Anglais appellent le publishing. C’est aussi sordide que ça. Étant donné que Billy ne signe pas les compos, il ne vaut pas un clou. Et pourtant il compose. Il fait confiance. Van est un pote. Le résultat de tout ça, c’est que Billy finit par travailler à la Poste. Comme il le dit lui même, il passe du statut de star à celui d’asshole, qu’on peut traduire par moins que rien, si on veut rester poli. Pour couronner le tout, il affirme qu’il n’a jamais vu un seul penny de royalties. Du coup, il se remet en colère. Il est d’autant plus vert de rage qu’il s’est battu comme un délégué CGT au nom des autres qui écrasaient leur banane devant Solomon. On aurait dit des nègres devant le patron blanc. Le même genre de peur bleue. Billy s’étrangle de rage - Solomon ruined a potentially big big group, he really did - Il donne un violent coup de poing sur la table. Cette fois c’est Unterberger qui saute en l’air.

L’interview d’Unterberger est capital, car il met en lumière l’importance de Billy Harrison dans l’histoire des Them, ce que ne fait pas Jackie dans son livre. Jackie ne s’étend pas non plus sur un autre épisode capital : la rencontre avec Kim Fowley et la formation des Belfast Gyspsies dont l’album vaut aux yeux des spécialistes tout l’or du monde et pour une fois, c’est vrai. Pat décide de relancer les Them et bombarde Jackie chanteur. Kim Fowley surgit de nulle part, pareil au comte Dracula, nous dit Jackie, et propose de manager le groupe. Jackie ne veut plus du nom des Them, alors Kim Fowley propose les Belfast Gyspsies et leur décroche un deal chez Sonet Records, un label suédois. L’album est aussi indispensable à toute collection qui se respecte que peuvent l’être les albums des Standells ou encore ceux de Pretties. Ne serait-ce que pour «Gloria’s Dream», ce hit parfait qu’on vit renaître récemment sur scène grâce aux mighty Cynics. Jackie chante quasiment comme Van, il lâche un feel alrite dégoulinant de proto-punkitude, il faut voir sa gueule sur la pochette, c’est celui de gauche et Pat se trouve à droite. Il bat le funky night comme un guerrier africain. Ce cut pue l’adrénaline et l’ombre de Kim Fowley plane sur ce festin de délinquance. L’incroyable de la chose est que tout l’album est bon, même leur «Aria», qui est humide et sombre comme un caveau mortuaire. Ils sortent aussi un «Midnight Train» digne de Bo Diddley et des Yardbirds, Jackie y fait sa Mona avec le meilleur snarl d’Angleterre. Nouveau coup d’éclat avec «People Let’s Freak Out» monté au pire Diddley Beat de l’époque. Jackie démolit plus loin un «Boom Boom» que vient jazzer Pat sur ses fûts. Ils font aussi une version de «Hey Gyp (Dig The Slowness)» digne de celle des Animals. Jackie buy you the Chevrolet et le sugar cube comme Eric Burdon, mais en plus ténébreux. Ça joue à la sourdine malsaine, c’est bardé de réverb et ils finissent en beauté avec le freakout de «Secret Police», ivre de ce génie punkoïde qu’on retrouve sur l’I’m Bad de Kim Fowley. Jackie s’y livre à ses ultimes exactions de garage-punkster. Dommage qu’il n’ait pas continué avec les Belfast Gyspies. Personne n’est mieux placé que Kim Fowley pour saluer Jackie McAuley : «Tu aurais voulu que Van Morrison ait la tête de McAuley. Quand tu entendais sa voix, c’était la même que celle de Van Morrison. Mais Jackie ressemblait à Jack Palence Jr. He had a great rock’n’roll look. Il était la version Elvis d’un Jack Palence à l’Irlandaise. Il avait la fibre d’une rock star, the mysterious dark vibe avec la voix de Van Morrison (...) Ils avaient la même voix. L’un avait une dégaine de rock star et l’autre ressemblait à un clerc de notaire.»

Si les épisodes Them (quelques mois dans sa vie) et Belfast Gypsies (quelques mois aussi) relèvent de la fugacité, ses relations d’amitié s’inscrivent par contre dans la durée. Celle d’une vie entière et le récit ne s’en porte que mieux car les amis de Jackie ne sont pas n’importe qui. Il croise pas mal de gens intéressants pendant sa vie de Londonien (John Peel et Lemmy, par exemple), mais c’est avec Gus et Henry McCullough qu’il fraternise. On reconnaît souvent la qualité des gens aux qualités de leurs amis. Gus ? Mais oui, Johnny Gustafson, disparu récemment, un mec de Liverpool qui jouait dans The Big Three - l’ultra-mythic power trio de Liverpool - puis avec l’encore plus mythique John Du Cann. Gus fut aussi bassman pour Roxy Music, on le retrouve ensuite dans l’effarant Quatermass et bien sûr dans les Pirates, aux côtés de Mick Green, certainement l’un des meilleurs guitaristes anglais avec Dick Taylor et Eddie Phillips. Jackie rencontre Gus à Tin Pan Alley, l’endroit où les musiciens de session viennent chercher du travail pour survivre. Les sidemen, justement. Jackie aime bien Gus parce qu’il prend toujours les choses du bon côté - If Dazit, Dazit - telle est sa philosophie. Dans la liste des remerciements, à la fin du livre, Jackie dit de Gus : «My best ever friend», suivi de près par «my hero Henry McCullough». Des millions de gens ont vu McCullough miauler des chœurs de rêve derrière Joe Cocker à Woodstock, pendant la fameuse reprise de «With A Little Help From My Friends». À une époque, Henry veut monter un groupe avec Jackie, mais Jackie hésite. Alors chacun poursuit sa route. Henry monte Eire Apparent et sort un album produit par Jimi Hendrix. Puis il décolle avec le Grease Band et finit par rejoindre McCartney dans Wings. Mais la gloriole ne l’intéresse pas. Il préfère la fréquentation des mecs comme Jackie ou Ronnie Lane. Le voilà dans Slim Chance. Retour à la bohème. Tous les fans de Ronnie Lane qui ont vu le docu The Passing Show savent de quoi est capable cet effarant guitariste qu’est Henry McCullough : dans les bonus, on le voit jouer «Kuschty Rye» en picking demented, façon Delivrance.

L’autre sujet de fierté de Jackie, c’est la confiance de Lonnie Donagan, son premier héros, qui lui confie le leadership de son backing band. Tiens, encore une fascinante connexion : Badfinger. Jackie fréquente à une époque Tom Evans, le bassman de ce groupe jadis chaperonné par les Beatles. Pete Ham comme on le sait s’est pendu dans son garage, incapable de supporter l’idée de s’être fait plumer par Stan Polley. Jackie et Tom se voient régulièrement pendant cette période sombre, et bien sûr, Tom ne parle que d’une chose : le suicide de Pete. C’est même obsessionnel. Il se demande comment on fait pour trouver le courage de se pendre. Pour faire le nœud et écrire une lettre. Comment fait-on ? Et il ajoute : «Mais si le cou ne se casse pas ? Tu t’étrangles ?» Il épluche tellement tous les détails qu’il fout les chocottes à tout le monde. Bien entendu, Tom Evans va finir par se pendre. Pas dans son garage, mais dans son jardin, à la branche d’un arbre. C’est un peu moins glauque.

Cette autobio est un vrai carnet d’adresses. Après les deux pendus, on tombe sur le roi des excentriques britanniques. Ginger Baker ? Keith Moon ? Non, Vivian Stanshall. Un Stanshall que Ronnie Lane engage comme Master of Ceremony pour son Passing Show, mais un jour, en montant dans la roulotte de Kevin Westlake, Ronnie tombe sur un étrange spectacle : Stanshall, un verre à la main et le pantalon sur les chevilles, demande : «Ya got any toilet paper, old bean ?» (T’as pas du papier cul? ). Viré le lendemain. Ce n’est pas que Ronnie Lane n’ait pas d’humour, mais Stanshall pousse le bouchon beaucoup trop loin. Il en a fait un métier et peu de gens peuvent suivre. Jackie est assez fier de faire partie des gens qui suivent.

Un jour, Stanshall l’appelle car il cherche un guitariste pour l’accompagner sur scène. Jackie arrive chez lui. Il tombe sur un Merlin à barbe rouge, enveloppé d’une robe de chambre sans rien en dessous. Dans le salon trônent de grands aquariums. Quelques serpents, des tortues carnivores et des poissecailles. Stanshall s’agenouille et regarde sous la banquette. Jackie lui demande s’il cherche quelque chose. Oui un serpent, lui répond laconiquement son hôte. Ils échangent quelques banalités et Stanshall demande à Jackie d’aller lui chercher un petit sac en plastique dans le frigidaire. Oui, oui, là-bas, dans la cuisine. En ouvrant la porte du frigo, Jackie pousse un cri d’horreur. C’est bourré de sacs de souris crevées. Il ramène le sac et Stanshall balance la souris dans un aquarium. Piranhas ! Puis avec un accent châtié à la Oscar Wilde, il demande à son invité : «Would you like a drink ? Some cider perhaps ?» (Vous prendrez bien quelque chose, un peu de cidre ?). Après avoir essuyé un refus poli, Stanshall propose de commencer à travailler sur ses chansons, l’objet réel du rendez-vous. Jackie se dit à la fois traumatisé et émerveillé.

En réalité, Viv Stanshall fait le coup du serpent évadé et des piranhas à tous ses visiteurs. Ça lui permet de tester la résistance des matériaux. Certains craquent et s’en vont aussi sec. Ne restent que les plus solides, comme Jackie, dont la curiosité reprend le dessus. Et puis, il faut bien reconnaître que Vivian Stanshall dégage un charme extraordinaire.

Ils vont jouer tous les deux dans des pubs. Il faut savoir qu’en Angleterre, les gens vénéraient les Bonzos et Vivian Stanshall en particulier. L’équivalent français pourrait être l’immense Professeur Choron, un géant de l’excès, barbare et raffiné à la fois, la bite à l’air et le fume-cigarette au coin des lèvres. Le duo Stanshall/McAuley s’appelle Vic Stanshall’s Vivarium. Stanshall joue de l’ukulélé et des instruments de sa fabrication, et Jackie l’accompagne à la guitare. Sideman. La clientèle des pubs raffole de leurs numéros baroques. Comme celui-ci : une longue sangle élastique, Viv en tient un bout entre ses dents pour avoir les mains libres et Jackie l’autre bout des deux mains. Ils reculent de quelques pas chacun de leur côté pour tendre la sangle au maximum. Viv bat des bras comme un oiseau et Jackie lance : «Ladies and gentlemen, the amazing Viv Stansh...» et à ce moment précis, il lâche la sangle - ça fait partie du numéro - et Viv la prend en pleine gueule, schpounz ! Au tapis ! Le numéro le plus absurde qui ait jamais été imaginé, nous dit Jackie, qui en meurt de rire à chaque fois - In fact it was stupid but Viv thought it was hilarious - Numéro stupide que Viv trouvait hilarant. Bienvenue au royaume wonderfully insane de Vivian Stanshall. Mais comme Keith Moon, Viv ne pouvait plus faire autrement que d’être un Viv de tous les instants. Passé un certain cap, on ne peut plus revenir en arrière.

Dans l’excellent Ginger Geezer, Lucian Randall et Chris Welch rappellent à quel point Moonie et Viv savaient se marrer. Ils entrent un jour chez un marchand de fringues à la mode.

— Que désirez-vous messieurs ?

Moonie et Viv répondent en chœur :

— Strong trousers !

Un pantalon solide ? Le mec ramène un beau pantalon en mohair. Viv prend une jambe et Moonie l’autre. Ils tirent chacun de leur côté. Crac ! Ils déchirent le pantalon en deux morceaux. Alors ils crient au scandale :

— Vous appelez ça des strong trousers ?

Le vendeur ne comprend pas. Ce type d’événement se situe hors de sa portée. Soudain, un complice unijambiste entre dans le magasin et vient droit sur les deux morceaux de pantalon :

— Oh my God, c’est exactement ce que je cherchais ! J’en prendrai deux paires !

Vivian Stanshall collectionne les coupures de presse dans un classeur qu’il appelle The Book Of Madness. L’une de ses préférées : «Un homme accusé d’avoir abattu son copain comparaît au tribunal de Lagos et dit qu’il a tiré par erreur : il l’a confondu avec un gorille.» L’histoire de Vivian Stanshall est une infernale partie de rigolade qui ne prend fin qu’avec sa mort - Viv had lost his greatest battle - against himself. Si vous tenez vraiment savoir comment Stanshall est mort, sachez qu’il a cramé dans l’incendie de sa chambre, avec toutes ses possessions, comme un roi Viking à bord de son drakkar en flammes. On trouve cette scène dans le film de Richard Fleischer avec Kirk Douglas qui fascinait tant Stanshall.

Unterberger profite aussi de la parution du livre de Jackie pour l’interviewer dans Ugly Things. Quand il lui demande pourquoi il publie à compte d’auteur, Jackie se marre. Il met les éditeurs dans le même panier que les gens du showbiz et pour lui, publier à compte d’auteur, c’est un moyen de ne pas se faire arnaquer. On comprend qu’il soit chatouilleux sur la question. Quand Unterberger revient sur l’arnaque Solomon, Jackie sort ça : «The band was basically ripped up big time.» Dans la presse anglaise, le seul reproche qu’on ait fait à l’auteur est de ne pas avoir donné plus de détails sur les Belfast Gypsies. Alors Unterberger saute sur l’occasion. Jackie brosse un portrait de Kim Fowley superbe, «un homme maigre et très grand, avec les bras constamment en l’air, presque comique. Un homme very strange (...) On écrivait les chansons avec lui.» Jackie lui fait confiance. Comme il voit qu’Unterberger commence à baver, Jackie ajoute : «On bossait dur. Mais il n’y a rien de spécial à raconter.» Quelques concerts au Danemark, pas de blé, à quatre dans une chambre d’hôtel, toujours la même histoire. En fin d’interview, Jackie avoue qu’il n’avait pas non plus assez de blé pour financer la publication de son livre. Alors ses frères se sont cotisés. Vieux réflexe irlandais.

Pas de livre sur le rock à Belfast sans référence à la violence et à ce qu’on appelle ‘the Troubles’. Mais à la différence des Stiff Little Fingers qui les évoquent si bien, Jackie n’a pas vécu en direct cette guerre civile qui a déchiré l’Irlande du Nord pendant trente ans, opposant les républicains catholiques aux unionistes protestants pro-britanniques. Coup de pot, Mom & Dad McAuley réussirent à quitter Belfast au moment où ça commençait à devenir très dangereux de sortir dans la rue. Mais tout le monde n’a pas eu cette chance-là. Jackie consacre tout son chapitre 10 à son ami Steve Travers et au groupe Miami dont personne n’a jamais entendu parler pour une raison bien simple : on les a transformés en passoires au bord d’une route par une belle nuit d’été.

En 1975, Steve devient bassman de Miami, un Irish showband qui a le vent en poupe. Ils jouent partout en Irlande à guichets fermés. Le chanteur s’appelle Fran O’Toole, le guitariste Tony Geraghty. Le trompettiste Brian McCoy conduit le minibus Volskwagen bleu qui ramène le groupe à Belfast après un hot set au Castle Ballroom de Banbridge, de l’autre côté de la frontière. Ils écoutent une cassette d’Edgar Winter et chantent en chœur «Tobacco Road». Un peu plus loin sur la route, les forces spéciales de l’armée britannique ont installé un check-point. Contrôle de sécurité. On fait généralement sortir les gens du véhicule pour les aligner et chacun doit dire son nom et son adresse. Pas de problème, les Irlandais sont habitués. «Baisse la tête» et «Ferme ta gueule». Le problème est que des miliciens de l’UVF se joignent aux soldats britanniques. Leur plan est simple : faire passer les musiciens pour des gens de l’IRA transportant des armes dans leur minibus. Pendant qu’on leur demande leur nom et leur adresse, on charge discrètement une bombe et des armes dans le minibus. Ne cherchez pas de sens dans cette histoire, car il n’y en a pas. Tout repose sur l’exercice pur et dur de la haine, comme dans toute guerre civile. Quand ils arrivent au check-point, les Miami ne sont pas surpris. Mettez-vous en rang ! Le problème est qu’on leur demande en plus de mettre les mains sur la tête. What ? Ça sent l’embrouille. Soudain, le mini-bus explose et le souffle projette les musiciens dans le champ. Les soldats commencent à canarder dans le noir. Steve Travers sent qu’une balle le traverse. Gravement blessé, il les entend arriver et comprend qu’ils viennent finir le boulot. Ils commencent par descendre Brian McCoy à bout portant. Steve ne peut pas bouger. Il sent soudain des mains le prendre sous les bras pour le soulever. Tony et Fran risquent leur peau pour le sauver. Mais courir en transportant un blessé n’est pas l’idéal quand il faut fuir. Ils lâchent Steve et détalent, mais c’est trop tard. Neuf balles pour Tony vingt-et-une pour Fran. Si Steve Travers a survécu, c’est uniquement parce qu’on le croyait mort. Il va même réussir à survivre miraculeusement au passage d’une balle dum dum à travers son corps. Voilà pourquoi Jackie McAuley tenait à consacrer un chapitre à ces mecs-là : il craignait qu’on ne les oublie.

Signé : Cazengler, Jacky soupe au lait

Jackie McAuley. I Sideman. Publié à compte d’auteur 2017. jackiemcauley.com

Richie Unterberger interview with Billy Harrison. Part One. Ugly Things # 31/Spring 2011 & Part Two. Ugly Things # 32/Fall Winter 2011

Belfast Gypsies. Them Belfast Gypsies. Sonet 1967

Richie Unterberger interview with Jackie McAuley. Ugly Things # 48 - Summer/Fall 2018

Lucian Randall & Chris Welch. Ginger Geezer. The Life Of Vivian Stanshall. Fourth Estate 2001

TêTE BLÊME

POGO CAR CRASH CONTOL

( Clip )

 

Le problème n'a jamais été de vivre mais de survivre à soi-même. Ou alors se répéter inutilement. Deuxième album de Pogo Car Crash Control à paraître ce quinze mai. Comme d'habitude Baptiste Groazil a déjà desquamé son artwork. Travaillé au grésil. Exactement au Crésyl, ce produit en vente dans toutes les bonnes drogueries, dont on se sert pour nettoyer les chiottes publiques. A croire que notre monde est en attente d'un désinfectant à toute épreuve pour se porter mieux.

En attendant la date fatidique du grand oral Pogo nous donne un os à ronger. Pas n'importe lequel, le crâne. En un autre siècle les romantiques se plaisaient à faire flamber leur punch dans ces cratères à ciel ouvert, au moins en buvant on pouvait regarder la mort les yeux dans les yeux. Nous n'en sommes peut-être pas encore là puisque apparemment il subsiste de la chair, le clip ne s'intitule-t-il pas Tête Blême. On a du pot, il reste de la peau.

Ça commence tout doux. Avec les Pogo cela veut dire qu'il n'y a pas de musique. C'est l'équipe de Contrefaçon un music-vidéo-band qui s'est chargée de la réalisation et d'introduire la bête. Une mise en scène de la vie quotidienne. De ceux qui n'ont pas de compte-banque assez florissant pour s'acheter une berline hybride made in Germany. Tant pis pour eux. On ne va pas s'apitoyer sur les pauvres, d'autant plus que très vite on rit jaune.

Pas du tout un jaune serein. D'ailleurs tout de suite on est en zone rouge. Y aurait comme un clin d'œil prophétique à l'actualité. Combinaison de protection coronaphobique ? C'est très vache cet humour noir, surtout que l'on est dans une ferme. Va-t-il falloir faire étable rase ? A l'image suivante c'est l'herbe d'un champ qui est rasibus. Avec les Pogo au milieu en pleine transe. Il y a de beaux basculements d'images, comme ces feuilles d'esquisses barbouillées qu'un peintre rejette, évidemment tout est dans le montage, et dans le démontage, les images s'emmêlent et s'interpénètrent, défilent à toute vitesse, mais certaines, comme cette silhouette d'arbre éclairée par la hagarde pupille d'une lune de cimetière, sont de véritables engrammes. Le clip s'arrête bêtement parce qu'il est terminé. Aucune logique intérieure qui voudrait que l'on sorte du marasme de cette tête blême. On aimerait une chute. Qu'on la coupe, qu'on la repeigne en bleu et en vert. Mais non, c'est fini. On abandonne les Pogo et leur matos en pleine campagne, dans un champ indéterminé. On ne peut plus rien pour eux. Ni eux pour nous. Peut-être qu'ils feront du stop pour rentrer chez eux, mais la seule bagnole du film est en panne sèche.

Enfin ce n'est pas notre problème. Il y a plus grave au monde. Suffit parfois d'un mot pour bouleverser une situation pré-établie. Ici il déboule vite dès qu'ils entament les lyrics. On aurait parié qu'ils ne le connaissaient pas. Ou alors qu'ils l'avaient rayé de leur vocabulaire. Expulsé du dictionnaire. Ramené à la frontière de leur univers. N'essayez pas de trouver, c'est aimer. Oui, le verbe aimer, même pas à la forme négative. Les Pogo ont besoin d'amour. Qu'un esclave aime sa servitude, on veut bien l'admettre, mais que les Pogo aient envie d'aimer, alors que leur précédent album s'appelait Déprime Hostile, c'est à n'y rien comprendre !

Toutefois on se doit d'essayer. Les Pogo ont tout ratiboisé devant eux. Là où ils passaient vos illusions ne repoussaient pas. Z'avaient des lyrics ravageurs, des paroles à l'emporte-pièce. Leur mot de désordre, c'était après moi le nihilisme. Une batterie fracassante et des guitares en folie. Des shows orgasmiques. On était contents, avec ces zèbres au moins, la boussole indiquait le néant. C'était rassurant. On savait où on allait. Nulle part.

Mais ce n'était pas assez. Se sont réunis. Ont trastégé grave. Un défi impossible à relever : comment faire toujours plus dans le moins absolu. Z'ont vu le fond du trou dans lequel il ne fallait pas tomber. C'était déjà fait. Alors maintenant ils apportent quelque chose. Parce que le moins que moins c'est au moins un tout petit truc. Autant vous le dire ce n'est pas grand-chose. A tel point que certains risquent de ne pas le remarquer. Ce n'est pas la bougie au bout du tunnel, c'est simplement l'existence du tunnel. La voix davantage devant et le grabuge derrière qui n'arrive pas d'un coup mais sous forme de grosses vagues qui reviennent plusieurs fois à l'assaut.

Certains diront que le groupe s'est assagi, d'autres qu'ils ont gagné en maturité, c'est oublié qu'après le pogo le car et le crash, le control est programmé depuis le début. Tout le monde peut être méchant, mais méchant et intelligent, ce n'est pas que ce soit plus difficile, c'est que c'est davantage subtil.

Damie Chad.

EX-VOTO CRASHBIRDS

 

Pas de concert à chroniquer. Quand on ne peut pas tenir la proie, on se contente de l'ombre. Attention chez Kr'tnt on ne vous refile pas une ombre toute noire de désespoir, mais toute colorée d'un arrière-fond rouge feu vital, ne dites pas que ça n'existe pas, relisez plutôt le Traité des Couleurs de Joan Wolfgang Goethe, bref au lieu de vous emmener au dernier concert des Crashbirds – il y en aura d'autres, ces maudits volatiles sont des durs à cui-cuire - nous vous offrons, faute de mieux, le flyer de leur prestation. Si vous n'êtes pas un vil mécréant vous le rangerez soigneusement dans le deuxième tiroir de la commode, sous les chaussettes sales, dans le lieu sacré où vous avez relégué l'image pieuse de votre première communion.

Certains crieront au favoritisme, pourquoi les Crashbirds et pas un autre groupe. Premièrement parce que les flyers des Crashbirds sont particulièrement beaux, collectionneurs, lors des concerts dans leur merchandising vous pouvez vous en procurer format-affiche plastifié. C'est Pierre Lehoulier qui se charge de leur confection, il n'a aucun mérite puisque en sus d'être guitariste il est dessinateur. Les curieux qui veulent tout voir n'ont qu'à faire un tour sur leur FB, ou alors lire dans notre livraison 351 du 07 / 12 / 2017 le seul article au monde qui ait été consacré à ces miniatures crashbirdéennes. Il y a une deuxième raison, plus spécifique, celui-ci est particulièrement réussi. Lorsque je l'ai montré à des amis, je me suis aperçu qu'il accrochait diantrement l'attention, surtout ceux qui aiment peindre et dessiner. Z'alors j'ai voulu en savoir plus. En voir davantage.

Un truc évident, quand vous jetez un coup d'œil, l'est certain que vous vous sentez devenir le taureau dans l'arène obnubilé par le chiffon qu'agite sous son mufle un torero assassin, un rouge pétant, entre alizarine et vermillon, soyons synesthésistes, plongez-y votre langue pour vous régaler de cette cerise écrasée, vous m'en direz des nouvelles, oui, il est indubitable que cette griotte en compote a aussi un goût de banane. Il y a du jaune au fond de ce rouge. Grâce à cet apport velvetien nous obtenons de l'orange, ni abricot ni mandarine, soyons précis, tangerine. Bref ça claque au vent comme la cape de L'Imperator sanglant sur le ciel enflammé du sonnet Soir de bataille de José-Maria de Heredia.

Bon ce n'est pas tout. Cet artwork n'est pas un monochrome. L'est même très figuratif. Pierre Lehoulier possède sa propre héraldique. Tout un vocabulaire, toute une grammaire. La figure centrale de ces blasons flyeriques réside en le signe composite dit des deux cui-cui. Généralement ils sont noirs, d'un noir aussi maléfique que le corbeau d'Edgar Poe, mais adorables, avec toutefois ce regard torve, un en-dessous hypocrite qui franchement vous veut du mal. Des espèces de bébés-vautours au plumage charbonneux qu'ils arborent comme s'ils avaient déjà revêtus les habits de deuil qu'ils porteront le jour de votre mort imminente.

Mais cette fois, Lehoulier ne les a pas teints de leur habituelle houille noirâtre, il les a peints d'une magnifique teinte jaune-poussin. Nos cui-cui ont l'air de sortir de l'œuf, de ravissantes peluches innocentes, éloignez vos enfants, ils ne résisteront pas à l'envie de les prendre, de les serrer contre eux, de les couvrir de mille bisous, soyez-sûrs que les cruels cui-cui en profiteront pour leur crever les yeux.

Vous ne me croyez pas, vous pensez que j'exagère, qu'ils ressemblent à deux pauvres canaris, enfermés dans une cage, qui s'ennuient sur leur perchoir. Insensés qui vous voilez la face devant le mal ! Regardez sur quoi reposent leur pattes, sur le canon d'une winchester, ils en ont même deux autres en surplus alignées sur leur flanc, n'ont qu'à étendre l'aile pour s'en saisir et vous expédier en enfer. Z'ont l'air d'attendre le passage des bartavelles, mais ce coup-ci les bartavelles c'est vous. Se moquent de vous avec leur bec en biais. Et leurs lunettes d'aviateur aveugle. L'est vrai que vous êtes stupides, c'est écrit en gros au bas de l'affiche, rue de sille, en d'autres mots rue de la raillerie, se foutent carrément de votre gueule, et ils en rajoutent encore, Loiseau de la Ferme, Loiseau parce qu'ils sont chez eux, de la ferme, vous voulez une précision, de la ferme... d'abattage.

Voilà, maintenant quand vous irez à un concert des Crashbirds, vous savez à quoi vous attendre avec leur Dirty Rock'n'Blues. C'est simple, Delphine Viane et Pierre Lehoulier sont les Bonnie Parker et Clyde Barrrow du rock'n'roll.

 

PIERRE LEHOULIER

Vous avez failli ne jamais voir la profonde analyse sémiotique précédente. Une seconde de plus et je l'éjectais de la livraison. J'étais content, j'étais heureux, lorsque de bon matin, FB m'a averti, ''Pierre Lehoulier vous a envoyé une photo sur laquelle vous apparaissez''. Un vrai poteau ce Pierre, dès l'aube naissante il pense à moi, se lève du lit sans bruit pour ne pas déranger Delphine et le chat enfouis dans leurs rêves, s'extirpe de ses chaudes couvertures à l'aurore juste pour m'envoyer une photo, de mon immodeste personne assistant à un concert des Crashbirds, ce mec c'est un bon copain, un pur ami, un véritable frère, que dis-je un père tutélaire, je me dépêche de cliquer sur ce document iconographique d'une importance capitale pour l'histoire du rock'n'roll, hélas, septante-sept fois hélas, je manque de mourir de saisissement, ah! oh ! le traître, le malfaisant, le pervers, la vermine, je n'y crois pas mais c'est écrit en grosses lettres...

 

LE RETOUR DE SUPER GROS CON !

 

Calme-toi Damie, me dis-je, avant de sauter dans la teuf-teuf pour partir, illico presto subito expresso bongo, trucider cet ignoble individu, ce dégénéré impavide, ce rebut de l'humanité, pense à la manière dont tu le priveras de sa misérable vie de cloporte, il est nécessaire qu'il souffre un max dans son agonie, c'est à ce moment que je réalise en jetant un coup d'œil à l'image juste dessous le bandeau calomniateur ma funeste erreur, non je ne suis pas un super gros con, il ne parle pas de moi Pierre, mais de sa nouvelle bande-dessinée qui est sur le point de sortir. Promis je vous la chronique dès que je l'aurai, à ceci près qu'ici la poste ne livre plus le courrier, droit de retrait. En attendant je vous file la photo de Pierre Lehoulier avec son book. Quand on n'a pas la proie, on prend l'ombre !

Damie Chad.

 

PORTRAITS ROCK

MARIE DESJARDINS

 

Marie Desjardins n'écrit pas que des romans, nous avons chroniqué dernièrement La voie de l'innocence ( Livraison : 449 du 30 / 01 / 20 ), Ellesmere ( 447 – 16 / 01 / 20 ), SylvieJohnny ( 442 – 12 / 12 / 19 ), Ambassador Hôtel ( 440 – 28 / 11 / 19 ), elle sème aussi dans diverses revues des articles-rock, vous pouvez en trouver quelques exemples sur son FB Marie Desjardins Portraits rock.

 

LE ROCK DE GEORGE MARTIN

Avec cette nomination passe-partout, l'on s'interroge, certes il y a plus d'un âne qui s'appelle Martin mais cet équidé-là est aussi célèbre que L'Âne d'or d'Apulée. Quand de ces petites menottes il approchait des manettes il en tirait des bruits paradisiaques. Les gens exagèrent toujours. D'abord je suis un mécréant et de toutes les manières je préfère les Rolling Stones. Vous l'avez deviné, nous parlons de George Martin le cinquième Beatles, le sorcier du 16-pistes. Mais cette fois nous suivons George Martin en villégiature. Désolé mais il ne se contentait pas d'un deux pièces-cuisine dans une banlieue populaire de Londres.

Avait jeté son dévolu sur l'île de Montserrat. Pas très loin de l'ile Saint-Barthélémy où repose Johnny Hallyday, repère insurpassable pour un français qui ignore la géographie. N'imaginez point un trip à la Robinson Crusoé, juste une villa de rêve et question de ne pas s'ennuyer, Sir George fit bâtir Air, un studio d'enregistrement. C'était comme ouvrir un pot de confiture à côté d'une ruche, toutes les rock stars de la old England et de la new-America vinrent y bosser, à tout seigneur tout honneur nous citerons par ordre de préséance les Rolling Stones qui y concoctèrent Steel Wheel – non ce n'est pas leur meilleur – Linda et Paul McCartney, Sting et Police ( tout le monde la déteste ) et même Black Sabbath – mais que venait donc faire ce démon noir dans ce paradis... bref près de soixante-dix albums y furent enregistrés.

La Bible nous l'a enseigné, l'éden, même celui des milliardaires du rock, ne saurait durer longtemps, un vent mauvais – ainsi les qualifiait Verlaine – plus prosaïquement les météorologistes usent du mot ouragan, s'en vint en l'an de disgrâce 1989 transformer Air en un tas de tôles brinquebalantes, mais quand le Dieu jaloux de la Genèse ( peut-être était-il comme Eric Clapton amoureux de Linda ) est en colère, il ne lésine pas sur les moyens, refit quelques années plus tard à Montserrat ( la montagne sûre ! ) le coup de Sodome et Gomorrhe, une nuée ardente s'en vint détruire les deux-tiers des habitations.

Croyez-vous que ce soit le genre de désagrément qui puisse intimider Marie Desjardins. Non, elle y est allée, et a tout visité, a enquêté, non plus de rock-star à séduire, mais des souvenirs, photos, disques et surtout Danny Sweeney roi de la planche à voile qui connut bien des aventures avec toutes ces stars du rock... Marie Desjardins ne nous rapporte qu'un petit échantillon des confidences de Sweeney... De quoi s'évader en ces jours de confinement...

JIMI L'ETERNEL

( paru le 18 / 09 / 2016 sur le site Pop Rock 2. 0 )

 

Ce n'est pas un article de plus sur Jimi. Une évocation. Qui touche à la poésie. Je n'en dirai rien de plus. Cela serait inutile. L'on n'ajoute pas à l'émotion. On la ressent. Ceux qui veulent la partager n'ont qu'à lire.

JIM ZELLER EN JETTE PLUS QUE JAMAIS

Cette fois Marie Dejardins est au Canada. Normal, elle est canadienne. Nous emmène au Rosewood à Montréal. En France, moins à cheval sur la langue française, nous appelons ce genre de soirée une release party, avec son orchestre il présente son dernier disque Blues from an another planet. Le nom de Jim Zeller ne vous dit peut-être pas grand-chose, c'est un natif du Quebec, mais toutefois il vous semble que... sans doute l'avez-vous aperçu dans Renaldo et Clara le film de Bob Dylan avec entre autres Ronnie Hawkins, Jack Elliot, Roger McGuinn et Joni Mitchell la somptueuse... Exerce une louable profession. Un souffleur de verre bleu. Un virtuose de l'harmonica. Un bluesman, un vrai, a poussé la réalité jusqu'à faire deux ans de prison à Rikker Island, l'Alcatraz new-yorkais... Depuis l'est devenu une figure légendaire de Montréal, l'a joué avec tout le monde, n'est jamais en rade d'un bar pour l'inviter à cornemuser, lui, sa compagne choriste Bella Godmer et son guitariste Jimmy Jamers, trio extrême blues. Vous ne le connaissez pas, Marie Desjardins nous campe un personnage, vous ne l'avez jamais entendu, vous l'aimez déjà. Magie des mots et du style.

VIC VOGEL

Vic Vogel ( prononcez Voguel ) est un personnage qui s'inscrit dans la même lignée que Jim Zeller. Enfin c'est juste le contraire, Zeller est né au début des années soixante, il pose ses pas dans la grande tradition, blues, rock, country, punk, Vogel près de trente ans avant, né en 1935 comme Gene Vincent, mais ce n'est pas un rocker, provient d'un autre courant celui du jazz. Je ne le connaissais pas, il est une sommité en son pays. Pour le situer selon un paysage très français, nous reconnaissons que les entrées sont rares, il fut en 1961 au piano l'accompagnateur du trio vocal les Double-six.

FAMILLE ROCK PLEURE AVEC FAMILLE JAZZ

( 26 septembre 2019 )

Encore un article où il n'y a rien à dire. L'on arrive trop tard, Vic Vogel est mort. Marie Desjardins relate son enterrement ( 23 / 09 / 2019 ) pour Pop rocK. CA. Des mots qui sonnent juste. Forte charge émotive. Photos de Léo Giguère.

LA VIE DEVANT SOI !

MARIE DESJARDINS

CHEZ LES SOUVERAINS ANONYMES

( Janvier 2014 )

( You Tube )

Qu'est-ce que ces souverains anonymes ? Marie Desjardins ferait-elle partie de ces neuf Supérieurs Inconnus censés régenter le monde ? Entre nous soit dit, les résultats obtenus ne sont guère brillants, mais il est inutile de s'appesantir sur les débats qui divisent depuis plus d'un siècle les milieux hermétistes. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, nous vous indiquons chez Baglis TV, l'intervention de Philippe Pissier : Crowley et les Supérieurs Inconnus. Nous avons chroniqué à plusieurs reprises les traductions d'Aleister Crowley établies par Philippe Pissier, pour les amateurs de rock nous rappelons que : qui dit Crowley dit Jimmy Page, et qui dit Page dit Led Zeppelin. Mais ici nous empruntons une fausse piste, il ne s'agit pas de rock mais de jazz.

Quand je vous aurai susurré à l'oreille que Les Souverains Anonymes n'est qu'une émission de radio, et que Marie Desjardins a fait paraître une biographie intitulée : Vic Vogel, une vie de jazz en 2013, vous croirez avoir tout compris : ben oui, Marie Desjardins est interviewée pour parler à la radio de son denier bouquin. Elémentaire mes chers Watson, mais vous êtes comme ces chasseurs qui tuent la mouche, mais ratent l'éléphant sur lequel elle était posée. Désolé mais vous êtes passés à côté de l'essentiel.

Apportons quelques précisions. Encore une fois nous arrivons trop tard, l'émission est censée s'arrêter au mois de mars 2009. Elle a débuté en 1989. Mohammed Lotfi en est le concepteur et le présentateur. Elle est enregistrée à Bordeaux. Au Canada. Non je plaisante. Pour ne pas pleurer. Ce n'est pas à Bordeaux, mais à la prison de Bordeaux. Sise à Montréal. Au début, vous avez droit à une vingtaine de gars assis face à face, au fond un tam-tameur et c'est parti pour cinq minutes d'un chant syncopé à saveur africaine. Se lèvent tous et font une haie d'honneur comme devant les églises pour la sortie des mariés, mais c'est Marie Desjardins qui passe sous cet arc de triomphe frémissant.

L'est jeune, toute belle, à l'aise, pas intimidée, du moins en donne-t-elle l'apparence, mais elle a un sourire rayonnant qui embellit le monde et qui peut-être fausse votre appréhension de la situation. S'assoit sur la causeuse vis-à-vis de son interviewer et commence à répondre aux questions. Tout ronronne, oui elle a côtoyé très régulièrement durant trois ans Vic Vogel, bien sûr qu'il est devenu son ami. Certes il lui a donné le droit d'écrire ce qu'elle veut, ce ne sera pas une autobiographie autorisée, cette liberté est un bon point en sa faveur, sans cet accord indispensable elle n'aurait pas fait le livre, mais ce qui la retient chez cet homme de plus de soixante-dix ans c'est son intransigeance. Un homme tout d'une pièce. Qui ne négociait pas ses exigences. Si vous n'étiez pas d'accord avec lui, vous n'aviez plus qu'à vous retirer. Tant pis pour vous. Tant mieux pour lui. Ne s'est jamais écarté de son chemin. L'a connu le succès, l'a connu les échecs, l'oubli, et une reconnaissance tardive. En sourit. Ses proches, ses musiciens sont là pour témoigner de sa droiture, de sa rigueur, de son honnêteté intellectuelle et musicale. Un maître reconnu et accepté. Le gars qui refusait les concessions, mais on l'adorait.

Il ne s'est pas fait tout seul. Ici l'émission prend un virage, mais si vous n'êtes pas un auditeur familier, vous ne vous en apercevez pas. Il n'était pas né avec une cuillère d'argent dans la bouche. Fils d'une famille d'immigrés polonais. Mais son père lui donnera un trésor. Certes il mangera à sa faim, certes il sera aimé, même si gamin il se sent délaissé par rapport à son frère malade qui accapare l'attention de ses parents, mais tout cela n'est rien : son père lui offre la liberté. Peut courir et venir à sa guise, ce qui ne veut pas dire qu'il peut faire n'importe quoi, son père lui transmet une certaine éthique toute simple, tout ce que tu auras c'est parce que tu l'auras conquis par toi-même. Marie Desjardins ne répond pas aux questions à la va-vite, celles-ci d'ailleurs poussent à la réflexion, incitent à l'auto-questionnement, l'on sent qu'ici l'on n'est pas en promotion, que l'on n'attend pas des réponses convenues, et Marie est la première à soulever les écailles du serpent pour faire apparaître ce qu'il y a dessous. On la sent passionnée et sereine. Elle n'est pas venue pour vendre un bouquin mais pour parler d'un homme entier.

L'émission pourrait se terminer là. Vous en ressortiriez satisfait. Même si vos détestez le jazz, vous sentez que vous venez de rencontrer une pointure. Quelqu'un qui sort de l'ordinaire. Mais le plus beau reste à venir. Martin, Youssef, Pascal, prennent successivement la place de l'interviewer, ils ne sont pas là pour poser des questions. Mais dire ce qu'ils ont ressenti en lisant le livre. Ce sont des prisonniers, d'âge et de culture différents. Le rapport au livre n'est pas toujours facile. Ils veulent approfondir leur rapport à Vic Vogel, ce n'est pas Vic qu'ils veulent connaître, inutile de leur refiler sa discographie complète, mais leur propre vie, mieux comprendre leur vécu, mesurer leur manquement et leurs efforts par rapport à la manière dont Vic a mené son existence, ils ne sont pas venus les mains vides, que ce soit un poème de leurs propres mains, un dessin ou une récitation, ô cette récitation du Vaisseau d'or d'Emile Nelligan, cet Hölderlin canadien foudroyé, jamais je ne l'avais reçu avec une telle force. Je ne sais pas comment j'aurais réagi - sûrement avec balourdise - à la place de Marie, mais non Marie est à l'écoute, attentive, rassurante, l'on sent que si ses hommes se dévoilent si intensément, c'est parce qu'elle est là, que ses gestes, ses acquiescements, ses sourires de miel discret inspirent confiance et confidences existentielles. Quand elle sortira, tous viennent la remercier et lui serrer la main. Les derniers de la file sont les plus malins, ils lui font la bise, n'allaient pas laisser partir une jolie fille comme ça, et puis cette heure a été follement émotionnante...

Marie Desjardins donne cette impression de se comporter dans la vie comme avec ses personnages dans ses livres. Elle accompagne les êtres de chair ou de papier, et les éclaire de son sourire radieux. Pas plus. Ni moins. Ariane au fil tendu sur les abîmes intérieurs.

Damie Chad.

JONNY AND THE HURRICANES

ROCK 'N' ROLL FOREVER

( Coffret / CD 13 / 2002 )

On retrouvait toujours un ou deux titres de Johnny And The Hurricanes à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, sur les anthologies old-rock'n'roll, on écoutait une fois, et quand on y revenait on sautait le morceau pour aller au plus vite au gros Domino ou ia tornade Jerry Lou. C'est un peu injuste – mais le monde est rempli d'injustices. L'on ne peut pas dire que Johnny Paris le leader des Hurricanes n'ait pas été persévérant, s'est battu jusqu'au bout de 1957 à 2005. Pas étonnant que Johnny soit mort le jour de la fête des travailleurs en 2006. Question longévité, dans leur catégorie font jeu égal avec les Shadows qui levèrent le pied en 2009...

Les Hurricanes ont un peu triché, certes il y eut des changements chez les Shadows, mais Johnny Paris a vu passer, près - ou plus - de trois cents musiciens dans sa formation. Evidemment comme pour nombre de groupes, ce sont les débuts qui sont les plus intéressants. Difficile pour un groupe musical de se renouveler, les Hurricanes finiront par enregistrer à leur manière des reprises de succès déjà connu d'un vaste public. Mais en leur commencement aidés par leur manager ils proposèrent quelques compositions de leur cru.

Les Hurricanes eurent leur titre de gloire. A posteriori. Non pas d'avoir accompagné sous le nom de The Orbit le chanteur de rockabilly Mack Vickery - ses compos furent reprises par Jerry Lee Lewis, Waylon Jennings, George Jones, Johnny Cash – mais lorsque le succès décrut ( très vite ) aux USA, nos petits gars de Toledo ( Ohio ), visitèrent l'Europe et eurent en première partie de leur show au Star Club de Hambourg : les Beatles !

Ce cd n'est en rien un original, l'est toutefois sorti sous licence Charly, il fait partie d'un coffret dit économique de 21 CD's, le vingt-et-unième reprenant un titre des vingt premiers...

Johnny Paris : saxophone / Paul Tesluk : orgue / Dave Yorko : guitare / Lionel Mattice : guitare / Tony Kaye ou Bill Savich : batterie.

Red river rock : ( 1959 ) : si dans les premières secondes l'on peut se dire, diable ils ont un bon son électrique, l'on a l'oreille squattée par une espèce de cristallerie adjacente, un peu guillerette c'est l'orgue de Paul Tesluk, à l'époque c'était nouveau, aujourd'hui cela fait un tantinet vieillot, ça sonne un peu comme un synthétiseur, et ça prend de l'espace que l'on préfèrerait occupé par le saxo de Johnny Paris. Malgré la ''modernité'' du son, cela évoque les grands espaces américains, tout à fait normal, cette rivière rock prend sa source dans une vieille chanson de cowboy intitulée : Red River Valley. En tout cas il y a de beaux solos de guitare introduits par des espèces de concrétions sonores rétractatrices. Beatnick fly : ( 1959 ) : ne vous croyez pas à l'époque des beatniks, faut remonter dans le temps des Minstrels, vers 1848 la chanson s'appelait alors Jimmy Crack Corn, ça commence tout doux, elle fut souvent utilisée comme berceuse, ici elle dégommerait bien, si ce n'est que les tralala-tralalères de l'orgue sont embêtants mais la guitare et le sax se répondent super bien. Reveille : ( 1959 ) : l'on est un peu interloqué, l'on aimerait que ce morceau soit une diatribe musicale contre l'armée américaine, mais non, vraisemblablement un plan commercial : ni plus ni moins que la reprise des notes du réveil des soldats au petit matin dans leur chambrée, après le boum-boum de la batterie ce sempiternel et maudit clavier claironne dans nos têtes, les guitares s'en donnent à cœur joie, Bill Savich à la batterie mène bien l'assaut. Crossfire : ( 1960 ) : superbe, cette fois l'orgue est totalement supplanté par le saxophone et nous voici enfin en plein rock, les guitares crachent joliment leur venin, splendide. Quand on écoute cela, on comprend pourquoi ils ont plus tard repris Misirlou de Dick Dale. Rockin' Goose : ( 1964 ) : ce qu'il y a de bien c'est que vous voyez comment ils se sont partagés le travail, le sax imite le cri de l'oie et pendant ce temps l'orgue bat des ailes, et quand le volatile s'arrête de voler, ils rockinent tous à fond. En poésie on appelle cela de l'harmonie imitative. Là c'est tellement bien fait que vous n'avez pas envie d'abattre la bestiole d'un coup de fusil. Money Honey : ( 1960 ) : l'argent a toujours fait courir les hommes, eux ils galopent, la fameuse syncope du morceau ils vous l'expédient au sprint, une course d'équipe. Remportent la coupe aisément. Se permettent même de gueuler Money Honey, sûrs qu'ils sont de passer la ligne en tête. La vitesse et le style. Applaudissements. Down yonder : ( 1961 ) : se sont tous ligués contre l'orgue, mais celui-ci n'en finit pas de rouler sur son chemin comme le petit bonhomme de pain d'épice, le sax lui fait la nique, la batterie essaie de l'écraser à coups redoublés de grosses caisse, les guitares lui démontrent qu'elles font mieux que lui, mais non rien ne l'arrête, le chiendent repousse toujours. Ja – Da : ( 1961 ) : vieux standard de jazz de Bob Carleton, un truc facile à jouer que les musicos envoyaient quand l'attention du public se relâchaient, genre rythmique obsédante qui vous rentre dans la tête pour ne pas en sortir. Un peu insipide, par contre quand les guitares s'amusent à briser le rythme ça ressemble méchamment à Tequila des Champs sortie en 1958... High voltage : ( 1959 ) : pour la haute tension c'est un peu raté, faut attendre le milieu du morceau, un superbe passage, un truc à devenir fou d'amour, mais la sottise envahissante reprend au bout de vingt secondes. Minnesota fats : ( 1962 ) : Minnesota Fats fut un célèbre joueur de billard, et là on s'y croirait, tout y est, la fièvre, le suspense, les paris, la mafia et ses tueurs... la mort qui rôde à pas de chat velouté sur le tapis vert. Old smokie : ( 1961 ) : si vous êtes condamné à mourir à petit feu sur la chaise électrique, ne demandez pas comme dernière volonté que l'on vous passe ce morceau pendant votre supplice, il vous importunerait grave, vous auriez l'impression que ça n'en finit jamais, super beau solo de sax, mais l'orgue sautillant vous nargue grave. Revival : ( 1960 ) : un peu le même que le précédent. Vous commencez à vous ennuyer. Un trottinement rythmique tellement insupportable que l'orgue est obligé d'improviser un petit solo presque agréable. Salvation : ( 1961 ) : un peu militaire, c''est quand même mieux que la fanfare de l'armée du salut surtout ce solo de guitare qui semble s'être trompé de décennie, sonne ultra seventies. Whatever happens to baby Jane : ( 1962 ) : qu'est-il arrivé à Baby Jane, faut regarder le film pour le savoir, vous traite le thème sous forme de gospel, avec chœur féminin, ma foi le solo d'orgue manque d'amplitude religieuse. You are my sunshine : ( 1960 ) : l'on dit que c'est le morceau qui a été le plus repris, une belle chanson d'amour, ils vous la passent à la moulinette du twist. Vaut tout de même mieux écouter la version de Johnny Cash. Farewell, farewell : ( 1961 ) : dans le traitement du son vous ne pouvez pas ne pas penser à Duane Eddy, un bel écho sur le sax, mais une fois de plus l'orgue vient casser l'ambiance. Ce piano cybernétique a peut-être apporté une note d'originalité en son temps mais il a aussi empêché les Ouragans de souffler plus fort. Une marque de fabrique qui a stérilisé l'imagination et qui s'est transformée en gimmick redondant. L'on sent que le groupe n'a pas exploré toutes ses possibilité. Des gars hyper-doués qui se sont enfermés en une formule. A écouter non pas pas comme le passage de témoin mais le chaînon auto-sabordé entre Bill Haley et la prégnance électrique d'Eddie Cochran, mais sans doute venaient-ils trop tard, ou alors ils n'ont pas senti le sens du vent de l'Histoire...

Damie Chad.

18/03/2020

KR'TNT! 456 : MYSTERY LIGHTS / RON ASHETON / AMHELL & HER BACKDOOR MEN / ROBERT JOHNSON & GREGOIRE HERVIER / VINCE TAYLOR + OLIVIER LORQUIN / TONY MARLOW / JUKEBOX + HALLYDAY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 456

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

19 / 03 / 2020

 

MYSTERY LIGHTS / RON ASHETON

AMHELL & HER BACKDOOR MEN

ROBERT JOHNSON + GREGOIRE HERVIER

VINCE TAYLOR + OLIVIER LORQUIN

TONY MARLOW / JUKEBOX + HALLYDAY

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Magical Mystery Lights tour

 

The Mystery Lights ? Attention à Too Much Tension, cet album paru sur un sous-label de Daptone en 2019. C’est mastérisé par Gabe Roth, mais Roth qui est un orfèvre en matière de Soul n’y connaît rien en matière de garage. Pour aggraver encore les choses, Mike Brandon chante bizarrement. Il dispose d’une espèce de voix juvénile à la mormoille, mais elle ne fait pas bon ménage avec cette volonté de garage sixties clairement affichée. De toute évidence, ils cherchent un style. On se demande ce que ça peut valoir sur scène. Les cuts paraissent si faibles. Ils multiplient les essais de petite pop inerte. Avec «Wish That She’d Come Back», ils s’enlisent dans une sorte de médiocrité latente. Ils vont même tenter le coup du post-punk avec «Thick Skin». C’est affreusement pauvre. Ils bardent leur morceau titre de spoutnicks en forme de cache-misère. Cet album fait mal au cœur. Ils n’ont rien dans le ventre, rien dans les mains, rien dans la culasse. Quand on arrive au cut numéro 11, on se tire une balle dans la tête.

Pour les voir sur scène, c’est encore plus compliqué : il faut attendre que les usines arrêtent d’exploser. Ils étaient programmé une première fois au moment où l’usine du coin a explosé, alors tout a été annulé. Les voilà re-programmés dans les Nuits de l’Alligator, alors c’est l’occasion de se faire une idée précise sur la valeur de ce groupe dont la presse anglo-saxonne dit si grand bien. Mais l’écoute préalable de leur dernier album, Too Much Tension, fait entrevoir la possibilité d’un concert pénible. Dommage que l’album soit raté. Rien de pire que d’aller voir un concert avec un mauvais a-priori. C’est comme une punition. Mais aller voir un groupe au pif sans rien connaître, c’est encore pire. Il est mille fois préférable d’entrer dans l’univers d’un groupe inconnu avant de le voir jouer, car ça aiguise les sens. Et ça donne quelques repères.

Bon alors ?

Eh bien, sur scène, ces New-yorkais d’adoption s’en sortent avec les honneurs. Ils sont mille fois et même dix mille fois meilleurs sur scène qu’en studio. Rien à voir. C’est le jour et la nuit. Inespéré ! De les voir sauver la soirée, ça remonte le moral. Ah comme ces mecs sont bons sur scène, surtout le chanteur guitariste, Mike Brandon, un petit mec exubérant qui saute partout et qui semble même se retrouver en compétition avec Pat Beers des Schizophonics. Ah pour sauter, il saute, il bondit et il rebondit, il shebamme, il powe, il bloppe et il wizze dans tous les coins de la scène, prenant à peine le temps de revenir au micro pour chanter un couplet. À sa façon, il donne une leçon de tenue de scène, il montre qu’on peut arpenter des dizaines de kilomètres sur scène en une heure de concert, il va et il vient entre tes reins, il file au vent mauvais du garage d’automne et danse la javanaise des démons, c’est un fantastique embraseur d’imaginations, il fait son business en rigolant, pas les doigts dans le nez parce qu’il gratte sa gratte, mais s’il le pouvait, il le ferait, car pour lui, c’est enfantin d’exploser la scène d’une salle rouennaise, pour le plus grand bonheur des amateurs d’Alligators. Quand on voit jouer un mec comme Mike Brandon, il faut bien en profiter et ne pas en perdre une miette, car ce genre d’asticot bondissant ne court pas les rues. Réussir un tel tour requiert plusieurs critères : un corps léger, des baskets au pieds (ça permet de rebondir plus facilement), une technique de guitare bien au point (essaye de sauter en l’air en grattant des accords, tu vas voir si c’est facile !), une bonne chevelure (car l’esthétique est reine en ce domaine), une foi dans le garage forcément inébranlable et, petite cerise sur le gâteau, un brin de charisme, car c’est lui, le charisme, qui permet de faire passer tout l’ensemble plus facilement. C’est comme un suppositoire : ça agit immédiatement. Ce mec dispose de tout l’arsenal de la jeune rock star, il est extrêmement présent et immensément sympathique, on le sent ravi d’être sur scène, il sourit en permanence et semble se préoccuper du bien-être de son public, ce qui ne court pas non plus les rues. On a vu trop de groupes qui s’en battaient l’œil assez ostensiblement. Mike Brandon est l’âme la plus charitable du garage américain contemporain, enfin quand on dit garage, ce n’est pas tout à fait exact. Ils sont dans un son sixties et privilégient les accents psyché, notamment dans les solos et les ambiances. Mike Brandon joue avec sa guitare sanglée haut sur la poitrine et par moment, on jurerait voir Jorma Kaukonen. Il en a le look et la posture. Peut-être pas la technique, il ne faut pas exagérer, quoique par moments Brandon claque des choses assez fines sur sa demi-caisse sanglée bien haut.

Pas facile de sortir un cut du lot. Les Mystery Lights n’ont pas à proprement parler de chansons, ils ont de quoi tenir une bonne heure sur scène, mais ils n’ont pas encore de hits comme pourraient en avoir des groupes comme les Schizo ou les Cynics. La force du set repose uniquement sur le charisme de Mike Brandon. Il porte ce groupe à bouts de bras et fait le show. Bon batteur, oui, une fille aux claviers qui fait un peu pot de fleurs, un mec bien tatoué à la basse et un petit bras-droit sur une Vox Teardrop qui bricole des ambiances bien pysché à coups de réverb, mais rien de très différent de tout ce qu’on a déjà vu mille et mille fois. Un groupe garage ressemblera toujours désespérément à un autre groupe garage. Le seul truc qui fera la différence, c’est un mec comme Mike Brandon. On pourra dire exactement la même chose de Pat Beers pour les Schizo ou de Michael Kastelic pour les Cynics. C’est le charisme qui décide de tout et principalement du destin d’un groupe. Mike Brandon est d’autant plus balèze à ce petit jeu qu’il doit faire oublier les souvenirs de ses deux albums ratés. Alors bravo !

L’auto-titré Mystery Lights date déjà de 2016. On sent très vite chez eux un goût prononcé pour la bonne bourre. «Follow Me Home» coupe assez bien la chique, avec sa mise en place et ses éléments déterminants. Il suffit d’un waouuh placé au bon endroit pour emporter la partie. Ils tapent dans le mille avec leur «I saw you walking/ Walking down the street». Avec leur petit garage, on sent qu’ils cherchent à s’introduire dans le monde des géants de la terre. Mais ce n’est pas facile. «Too Many Girls» accroche bien, car chanté à la glotte désespérée. Ces New-yorkais finissent par créer leur petite sensation. Ils tapent «Candle Light» au heavy groove gorgé de réverb et d’orgue. D’un point de vue caractériel, c’est une approche très sixties. Ça flatte les bas instincts. Mais en même temps, ils ne prétendent pas réinventer le fil à couper le beurre. Ils s’affirment un peu plus avec «Before My Own», un cut plus heavy teinté de fines herbes et de psychedelia. Ils terminent cet album laborieux avec «What Happens When You Turn The Devil Down». C’est trop sixties, trop ancré dans un temps révolu. Les groupes de garage commettent souvent cette erreur. Ils ne cherchent pas à moderniser leur son. Même avec la meilleure volonté du monde, ils ne parviennent pas à déclencher l’enfer sur la terre. Les bonnes intentions ne suffisent pas. C’est plein de son et d’effets à l’ancienne, mais l’extension du domaine de la turlutte, ça se mérite.

Signé : Cazengler, mystery larve

Mystery Lights. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 15 février 2020

Mystery Lights. Mystery Lights. Wick Records 2016

Mystery Lights. Too Much Tension. Wick Records 2019

 

Voir Ron et mourir

 

John Wombat mérite largement le qualificatif de bec fin. Après s’être entiché de Bryan Gregory au point de lui consacrer un livruscule, voilà qu’il récidive avec Ron Asheton. Bon, c’est vrai, on vénère tellement Ron Asheton qu’on accueillerait n’importe quelle publication le concernant à bras ouverts, mais The Stooges, Destroy All Monsters & Beyond n’est pas n’importe quelle publication. C’est même le contraire du pensum officiel. John Wombat a réussi l’exploit de publier un book qui, vu d’avion, offre la consistance d’un book de référence, mais qui est en réalité bricolé avec les moyens du bord. Wombat a ramassé toutes sortes de clopinettes, du bric et du broc, des bouts d’interviews, des coupures de presse et des photos tirées de la collection personnelle de Niagara et du Colonel Galaxy. Cette étrange démarche flirte dangereusement avec l’amateurisme, et c’est probablement cette absence de ton qui sonne juste, si l’on part du principe que Ron Asheton sut rester toute sa vie un mec singulièrement ordinaire. C’est en tous les cas le message que veut faire passer Wombat dans sa conclusion : «Warm, caring and generous nature», c’est-à-dire un homme de nature chaleureuse, attentionnée et généreuse, qui proposait une musique «unorthodox, creative and down to earth», ce qui veut dire ce que ça veut dire. Rien n’est plus down to earth que le son des Stooges. Comme si la source de cet immense fleuve qu’est la culture rock remontait à Ron Asheton et Muddy Waters. Ou à Scotty Moore et Chuck Berry, c’est comme vous préférez.

La pertinence de cet ‘ouvrage’ tient dans le fourmillement de petites informations, de celles dont on se nourrit dans les cas d’adorations compulsives. Wombat profite d’un raid éclair dans les années d’enfance du guitariste des Stooges pour faire la lumière sur une espèce de gros malentendu : Ron a huit ans quand il regarde à la télé avec son père des séries documentaires consacrées à la Deuxième Guerre Mondiale. Le côté complètement barré des discours d’Hitler capte aussitôt son imagination. Crazy motherfucker ! Ce n’est pas tout : le kid Ron est frappé par l’élégance des uniformes allemands, exactement de la même façon que le fut le kid Lemmy en Angleterre. Flash esthétique. D’où le gros malentendu : Lemmy et Ron seront ensuite obligés d’expliquer aux journalistes qui ne comprennent rien que l’idéologie ne les intéressent pas. Ron s’en branle. Sa came, c’est l’esthétique et les crazy motherfuckers. Peut-on imaginer un Ron Asheton sans croix de fer ? Non. Deuxième point fondamental de la genèse ashetonienne : Ron a dix ans quand son père lui offre une guitare. Pas n’importe quelle guitare, une Martin. Il alterne les leçons d’accordéon et de guitare. Son chemin semble tout tracé. Troisième point fondamental de la genèse ashetonienne : il tombe en pâmoison devant un feuilleton comique télévisé qui s’appelle The Three Stooges. Les conneries des Trois Stooges exacerbent chez lui un sens de l’humour déjà très développé. Il les vénère au point de devenir président de leur fan club. Il raffole de leur madcap antics et connaît toutes leurs répliques par cœur. Un peu comme nous autres Français avec Coluche. Donc voilà la triple racine de la mandragore mythique : uniforms, guitar & comedy act. Magnifique et tellement américain ! Et tout ceci se déroule à Ann Arbor, un patelin situé à 90 km à l’Ouest de Detroit, en plein cœur du Middle West. Une sorte de trou du cul du monde.

Le premier copain d’enfance de Ron s’appelle Scott Morgan. À l’école, Scott voit des gamins écraser un œuf sur la tête de Ron, alors il vole à son secours et leur fout une raclée. Puis il emmène Ron au lavabo pour le nettoyer. Bien des années passent. L’ado Ron et son poto Dave Alexander décident d’aller passer quatre semaines en Angleterre. C’est le premier grand épisode de la légende ashetonienne. Ron se coiffe alors comme Brian Jones, porte un levis et des mocassins blancs, oui, comme ceux qu’on peut voir à l’intérieur de la pochette de Fun House. À Londres, Dave et Ron ont de la veine : ils voient jouer les Yardbirds et les Who. C’est le Colonel Galaxy qui raconte cette histoire, telle que la lui a racontée Ron. Après le concert des Who, tout le monde se retrouve dans un pub. Ron et Dave aperçoivent les Stones dans un coin. Dave demande s’ils peuvent s’asseoir près d’eux et Keef répond : «Sure, where are you guys from ?» Vous venez d’où les mecs ? Ils répondent qu’ils viennent des States. Quand Pete Townshend demande ce que les friends from the States veulent boire, Ron et Dave répondent en chœur : «Ice cold Red Stripe !» Ce qui fait éclater de rire toute l’assemblée. Dans le pub, on ne sert que de la Guinness tiède. Pour les Anglais, la Red Stripe c’est du piss water. Jagger s’assoit à côté de Ron et met le pied de sa chaise sur celui de Ron. Ron s’écarte. Ça recommence une deuxième fois. Au bout de trois fois, Ron comprend que ce n’est pas accidentel. Il se dit : «Waow, c’est dingue, il y a ici le même genre d’enculés que chez nous !» Pendant ce temps, Dave discute le bout de gras avec Bill Wyman et charmé par Bill, il prend la décision d’arrêter la guitare pour passer à la basse. Playing bass could be cool ! En rentrant chez eux, Ron et Dave prennent une autre décision : ils vont se consacrer au rock. C’est définitif ! No turning back. On monte un groupe ! Bye bye normal world. Ils montent les Dirty Shames, avec Scott (le petit frère de Ron), et un mec nommé Bill Chetham. Ils tapent dans les Byrds («The Bells Of Rhymney») et le Sir Douglas Quintet («She’s About A Mover»).

Et là on entre dans un nouveau chapitre de la genèse des Stooges : les visions. Celles d’Iggy et bien sûr celles de Ron. Comme chacun sait, Iggy commence par battre le beurre dans un collège band dont il parle très bien dans Total Chaos : The Iguanas. Iggy comprend très vite que d’autres gens battront toujours mieux que lui. Il part à Chicago jouer dans des groupes de blues et un jour il s’assoit au bord du fleuve avec un joint pour réfléchir - I had a brainstorm - «Et j’ai pensé que je pourrais prendre les mêmes thèmes, les mêmes attitudes, le même sens de l’espace pour en faire une musique urbaine blanche et délinquante.» Ce type de brainstorm en solitaire porte un nom : on appelle ça une vision. Il continue son brainstorm et se pose la question : «Avec qui pourrais-je bien partager cette vision ?» Il pense immédiatement aux frères Asheton qu’il connaît - Je voulais monter mon truc, et les deux seules personnes qui pouvaient me suivre étaient ces délicieux délinquants. Des school dropouts. Ils ont perdu leur père. Aucune discipline. Mais ils adorent la musique et ont du charisme - L’histoire a prouvé qu’Iggy voyait juste. Plus tard, au moment de Fun House, il aura une autre vision, telle que la rapporte Don Galucci : «C’est un album enregistré avec une approche qui n’était pas du tout conventionnelle à cette époque. Ils ne recherchaient pas le son produit, mais la restitution du son qu’ils avaient sur scène. Ils dégagèrent tout ce qui était lié aux techniques d’enregistrement, les panneaux d’isolation et tout ça, pour ramener leurs amplis face à face. Iggy ne voulait pas du son de studio qu’il avait sur le premier album. Pour éviter tout problème, il utilisa sa propre sono chant. Il eut aussi l’idée de ramener Steve MacKay pour donner encore plus de volume au son. Iggy prenait à l’époque du LSD quotidiennement et se montrait incroyablement créatif.»

L’anecdote la plus marrante à propos de Fun House est sans doute celle des Doors, qui au même moment enregistraient Soft Parade, leur quatrième album, au même endroit. Jim Morrison épiait Ron qui traversait la rue pour aller acheter une bouteille de bourbon dans l’épicerie d’en face. Ron l’apprit lorsque l’épicier lui raconta le jour suivant que Jim Morrison était venu lui demander quelle marque de bourbon il avait achetée. C’est le genre de détail qui fait marrer Ron Asheton. Il apprit aussi que le miroir du studio était une glace sans tain et que Jim Morrison s’en servait pour épier les Stooges. «Alors que je perçais mes boutons, le roi Lézard me voyait, de l’autre côté du miroir ! God knows what he thought !»

Ron cultivait lui aussi des vues intéressantes. The Psychedelic Stooges, c’est lui. Il demande l’autorisation à Moe Howard des Three Stooges d’utiliser le nom. No problemo - Yeah ! Use the name as long as you don’t have a comedy group or something - Ron allait aussi rendre visite à Larry Fine, un autre Stooge. Il lui amenait des cigares et du whisky. Raw Power ? Ron ne s’étend pas trop sur ce chapitre un peu trop compliqué. Pour lui, c’est le premier album solo d’Iggy. On n’est plus dans les Stooges - I didn’t play guitar. It belongs to James and Iggy - Quand après la fin des Stooges, Ron songeait à revenir dans le circuit, il joua un moment avec l’idée de monter un Stooges/MC5 hybrid avec Wayne Kramer, mais son plan échoua car en 1975, Brother Wayne se fit coffrer pour trafic de dope.

En 1977, Ron occupait un appart à Los Angeles. Pas un rond. Pas de groupe. Il cherchait désespérément à redémarrer. Comme Iggy roulait sur trois pattes, on ne pouvait plus compter sur lui. Alors Ron mena l’enquête pour retrouver la trace de Jimmy Recca qui avait été le dernier bassiste des Stooges et il fit venir à Los Angeles l’ex-batteur du MC5 Dennis Thompson qui se rongeait le cul à la vinaigrette dans le Michigan. Ron exultait, il disposait d’une section rythmique explosive - A dynamite rhythm section ! - Ils se mirent à répéter, répéter, répéter. Bon les gars il faut trouver un nom. Pouf ! The New Order ! Bon, les gars, il faut trouver un chanteur. Pouf, des annonces ! Un petit mec se présenta, un certain Jeff Spry. Bonne voix. Ron jubilait. Good guy ! C’est lui qu’on entend sur l’A de The New Order paru en 1977 sur un label français. «Declaration Of War» et «Hollywood Holiday» sonnent bien le tocsin, mais c’est Jimmy Recca qui vole le show. Il faut l’entendre voyager dans le son. Wow, un vrai gamme-boy ! Mais Ron n’allait pas jubiler longtemps : Jeff se fit poirer au volant avec un gros nez rouge et des drogues dans le sang. Direction le ballon. Ron dut tout reprendre à zéro avec un autre chanteur, Dave Gilbert. C’est lui qu’on entend sur la B de The New Order. Pas du tout la même voix. «Rock’n’Roll Soldiers» est typique de ce rock des seventies mal chanté qu’on entendait sur des tas de disques de prog anglais, même si Ron veille à la densité du son. «Of Another World» flirte un moment avec le prog et soudain, ça décolle : voilà typiquement le genre de cut dont on ne se méfie pas et qui vient percuter l’occiput de l’undergut. Ron Asheton redevient le maître d’œuvre que l’on sait, il développe de beaux accents harmoniques chargés de captivants regains dramatiques. Eh oui, ce diable de Ron profite de cette occase en or pour jouer la carte de la mélasse.

Bon les gars, faut qu’on se bouge le cul ! Pouf, la tournée ! Ron misait sur les références Stooges et MC5 pour attirer du monde, mais ça ne lui suffisait pas. Il voulait en plus du trash et il eut l’idée de monter un plan killer : il engagea un faux tueur qui après une altercation allait abattre le groupe sur scène. Calibre chargé à blanc et poches de sang. Pour faire bonne mesure, Ron rajouta un fausse cervelle, histoire d’horrifier les gonzesses du premier rang. Après l’échange d’insultes prévu - Motherfuckers ! - le killer fit feu, pif paf, Ron et les autres s’écoulèrent avec de la cervelle partout, panique générale dans le club et descente de flics. Ron se pâmait de rire, mais pas les flics. La réputation du groupe commença à enfler sérieusement et Kim Fowley vint proposer le jackpot à Ron en faisant venir lors d’un prochain concert son contact chez Mercury et un gros tourneur américain. Le concert eut lieu au Starwood, à Los Angeles, en présence du showbiz. Sold out ! Dave Gilbert arriva sur scène, bwwaarg, bwwaarg, incapable de se souvenir des paroles. What the hell ! Can’t sing ! Viré ! Fin du jackpot. End of the New Order. Ron rentra à Detroit la queue entre les jambes. Comme il avait emprunté du blé à un usurier, il avait tout perdu : ses disques, ses fringues, ses guitares et des objets nazis. À poil. Mais comme il le dit si bien, from bad comes good : cette sublime déconfiture allait lui permettre de rencontrer Niagara.

Il existe un album de démos de New Order qui s’intitule Victim Of Circumstances. On entend Dave Gilbert ruiner le morceau titre avec son chat perché. Mais dans «Sex Drive», Ron s’amuse comme un fou. Il semble même s’accommoder de l’horrible chat perché du pauvre Gilbert. Pendant qu’on va pisser un coup, Ron passe une petite vrille en loucedé. C’est encore Jimmy Recca qui fait le show sur «1975 No Taboos». Dommage que Gilbert chante si mal. Ron améliore l’ordinaire comme il peut. Il faut le voir noyer «Sidewinder» dans les clameurs et partir en maraude. C’est un guitariste extraordinairement inventif et mobile, il déboîte toujours sans prévenir.

Au début des années quatre-vingt, Ron part jouer an Australie avec Dennis Thompson et les mecs de Radio Birdman. Ils baptisent leur conglomérat New Race et un album live paraît en 1982 : The First And The Last. Tous les stoogés du ciboulot se sont jetés dessus, bien sûr. Mais ils se sont très vite aperçus que les compos de Tek ne fonctionnaient pas. Trop prétentieuses, tout le contraire de Ron. Forcément ça coince. «Gotta Keep Movin’» sonne très MC5, mais il faut se farcir des cuts comme «Breaks My Heart» ou pire encore «Sad TV», ce mauvais rock qui a coulé tant d’albums dans les années quatre-vingt. Et puis soudain, la vie reprend tout son sens avec «Loose». Ron sonne le glas et fait la différence, lookout ! Le pauvre Rob Younger doit faire son Iggy, mais il lui manque l’essentiel : la voix. On est down under, poor Rob tente le tout pour le tout, et derrière, Ron se marre, le deep inside n’est pas bon, alors que fait Ron ? Il part en vrille miséricordieuse pour cacher la misère et Dieu nous est témoin que ça gicle dans tous les coins. Ron enchaîne avec «November 22 1963», un cut composé en souvenir du killing de Kennedy et qu’on retrouvera dans Destroy All Monsters. Assis à l’arrière de la décapotable, Kennedy prend une balle en pleine tête, avec une Jackie all over his brains. Très ashetonien comme formulation et en prime, ça swingue. Comme Ron a de la suite dans les idées, il revient à l’un de ses vieux fantasmes : combiner les Stooges avec le MC5, alors wham bam ! Voilà «Looking At You». Pour rendre hommage à Brother Wayne, Ron nous plonge dans la friteuse du MC5. L’album se termine avec «Columbia». On y voit Ron monter un mur du son à mains nues. «Columbia», «Loose» et «Looking At You» sont les trois raisons d’écouter cet album. Tek qui est alors dans l’armée offre à Ron les fameuses tenues de camouflage qu’il continuera à porter jusqu’à la fin, à la ville comme à la scène.

Autre petite parenthèse : en 1992, Ron revient jouer à Los Angeles avec The Empty Set. Aux yeux de Len Fagan, Ron réanime tout simplement le spirit des Stooges, quinze ans après la fin du groupe. L’album Tim Slim & None/Flunkie en témoigne. Fagan se demande même ce que serait devenu le monde si Ron avait pu donner une suite aux deux premiers albums des Stooges. Michael Davis fait partie de l’aventure et dès «Roman Holiday», Ron voyage dans le son, il balaye tous les doutes. On le voit sauver les meubles de «Same Boat» à coups de démesure. Il passe par derrière les cuts et leur rectifie le portrait, un par un. Dommage que Ron Devore chante si mal. Ron doit jouer en suspension pour contrebalancer l’absence d’iguane. Il plane comme un vautour sur le medley «Don’t Know/1969», il redevient le son du son, c’est-à-dire le fils du dieu Son, il file dans l’au-delà de la disto, il liquéfie l’oh mind ouh ouh et envoie tout balader dans le cosmos. Sur la partie live de l’album (Flunkie), Ron attaque son vieux «TV Eye» avec une violence terrible. C’est ce qu’on appelle dans les bas fonds une version au vitriol, l’une des versions définitives.

Ron passe les années quatre-vingt dix dans deux groupes, Dark Carnival et Destroy All Monsters. L’ex-bassman du MC5 Michael Davis fera encore partie de l’aventure. Profitons de cet épisode pour tracer un parallèle entre John Lennon et Ron : Lennon se maque avec Yoko Ono et Ron avec Niagara. Ce qui nous donne deux couples éminemment destructo-créatifs.

En imposant la présence de Yoko Ono dans le cercle magique des Beatles, John Lennon provoqua une belle catastrophe. Il suffit de voir Yoko chanter dans le Rock’n’Roll Circus des Stones, tourné en 1968 et commercialisé trente ans plus tard. Les Stones avaient invité la crème de la crème du gratin dauphinois, Lennon, Clapton, Taj Mahal, les Who, l’early Jethro Tull. Tout allait bien jusqu’au moment où Yoko Ono apparut, accompagnée de Lennon, de Clapton et du violoniste Ivry Gitlis, pour, comment dire, pas chanter, mais crier un truc débile qui s’appelle «Whole Lotta Yoko». «Ferme ta gueule !», criaient les gens devant leur télé, mais elle n’entendait pas. Son cri est tellement strident qu’il fait mal aux oreilles. C’est une simple provocation. Cette séquence permet d’imaginer ce qu’ont pu endurer les trois autres Beatles. Yoko traînait en permanence dans le studio. Ils ne pouvaient plus la schmoquer. Lennon voulait sans doute trancher avec l’aspect commercial de la beatlemania. Il s’intéressait de près au trash arty, celui de l’art moderne et des happenings dont Yoko Ono s’était fait une spécialité dans les galeries d’art londoniennes.

Et c’est là où le parallèle avec Ron Asheton saute aux yeux. Comme Yoko, Niagara vient du monde de l’art moderne. Elle s’est taillée une réputation d’artiste scénique dans le milieu universitaire de Detroit, elle fait des performances, elle peint et publie des choses très graphiques. Le portrait de Ron en couverture du livre de Wombat, c’est elle. Elle œuvre au sein d’un collectif. Elle monte sur scène avec des musiciens. Évidemment, elle chante comme une casserole. Mais c’est pas grave. Ron Asheton débarque un jour dans le collectif. La démarche arty du collectif l’intéresse. Il aura éventuellement une liaison avec Niagara qui est plutôt sexy. Elle n’hésite pas à se produire sur scène dans des tenues suggestives : lingerie noire, bas résilles et cuissardes. Le book de Wombat regorge d’images de Niagara en petite tenue. Qu’elle chante comme une casserole, ça ne gêne pas Ron. Au contraire, ça semble même l’amuser. D’autant plus qu’il vient de se séparer du meilleur chanteur de rock de l’époque, Iggy Pop. Comme Ron a toujours eu un faible pour le trash et les crazy motherfuckers, accompagner Niagara sur scène lui convient parfaitement. Le contraste est terrible. Les fans des Stooges qui le suivaient à la trace ne comprenaient plus rien. C’était le monde à l’envers.

Leur groupe s’appelle Dark Carnival. Ils commencent par sortir un album live qui en a tétanisé plus d’un à l’époque, parce qu’il propose deux reprises des Stooges complètement massacrées et deux reprises des Dead Boys chantées par Cheetah Chrome d’une voix de soudard ébranlé de la cervelle, cette voix blanche qui fait rire dans les films comiques, et qui fout les jetons dans les bars mal fréquentés. Franchement, ce live n’est pas celui qu’on emporte sur l’île déserte. Pourtant, le premier morceau est intéressant. «Here It Comes» sonne comme une stoogerie d’ambiance funeste. Puis Ron envoie gicler ses rivières de notes dans «Price Of Admission». Le morceau accroche bien. Pourquoi ? Parce que Niagara ne chante pas. C’est aussi bête que ça. Mais les choses se corsent avec une petite série de compos Niagara/Asheton : elle arrive en gueulant. Si on aime le trash, ça va. Si on ne supporte pas d’entendre une gonzesse chanter faux, alors ça devient horriblement compliqué. Niagara fait sa lionne de train fantôme. Elle chante avec des éclats rouges. La reprise de «Wanna Be Your Dog» dépasse l’entendement et bat tous les records de trash, y compris ceux de John Waters. Ron tente alors de calmer le jeu en attaquant délicatement «TV Eye». Derrière lui, ça joue. Niagara entre là-dedans comme dans du beurre et ça devient atrocement déviant. Elle chante tellement faux ! Ron se venge. Il met le turbo. Il n’a jamais aussi bien joué. Tous les fans de Ron Asheton doivent écouter cette version de «TV Eye». Derrière lui roule un bassman énorme nommé Joe Hayden. Toujours ce gros son sur «My Best Friend». Niagara arrive là-dedans comme Babar dans un jeu de quilles. S’ensuivent les reprises des Dead Boys. Niagara se jette dans «Ain’t Nothing To Do». Ça donne un trash qui dépasse les bornes du trash, atroce et juteux, à l’image du jus qui coule du fruit trop mûr qu’on écrase dans sa main. Ron remet le turbo. Il se marre. La pire chanteuse après le meilleur chanteur du monde, il fallait oser ! Ron envoie deux fois plus de purée qu’à l’ordinaire et les choses prennent une tournure monstrueuse. Autre reprise diabolique : «I’m Loose». Niagara plonge dans le fleuve de lave que vomit la guitare de Ron. Elle hurle tout ce qu’elle peut. C’est tellement atroce qu’on en pleure. Et Cheetah Chrome vient achever ce Welcome To Show Business Live comme on achève un fusillé, d’une double balle dans la nuque : deux reprises des Dead Boys dont on peut largement se passer.

Ron ne se dégonfle pas. Il continue son Dark Carnival. Tous les fans le suivent comme des petits chiens, Ron va par là, alors on va par là. Ouaf Ouaf ! Oh, il va aussi par là ? Alors on y va aussi. Ouaf Ouaf ! Le deuxième album de Dark Carnival s’appelle The Greatest Show In Detroit. Il remonte bien le moral des petits chiens. Album superbe. On s’est hélas habitué à la présence de Niagara et Ron semble en pleine forme. D’ailleurs ça démarre avec une fantastique reprise du hit de Robert Calvert, «The Right Stuff», mais sans Niagara. La voici de retour avec un «Anyone Can Fuck Her» qu’elle prend au chat perché. C’est son truc. Comme elle va chercher ses accents très haut, Ron vole à son secours. Preux chevalier. Globalement, leur fourbi tient bien la route. Niagara crée une ambiance de voûte céleste trash. Elle revient à la charge avec un «Party Girl» bordé par Ron et par la basse funk de Joe Hayden. Scott Rock Action bat le beurre. Drôle de mix : du Ron, du funk et de la folle. Bien vu. Art Lyzack chante deux de ses cuts, «Streets Of No Return» et «Just Another Mystery». Il s’en sort avec les honneurs, car c’est du rock de Detroit solide comme une emboutisseuse de General Motors. S’ensuit une version du «No Right» des Stooges qui entre directement dans la postérité, grâce au bronze que coule Ron. Les grosses pièces se trouvent en B. D’abord un «Wanna Be Your Dog» que Niagara prend à l’exacerbée. Elle vise la grandeur tutélaire. Puis on tombe sur un «These Boots Are Made For Walking» en forme de coup de Trafalgar. Ron nous stooge ça jusqu’à l’os du crotch, il sort le Grand Jeu, il repeint la mine du roi Salomon, il tire à boulets rouges et démâte tous les vaisseaux de l’amirauté, il dévaste tout, absolument tout. Si on n’a pas encore compris qu’il était le plus grand guitariste d’Amérique, c’est qu’on a rien compris du tout. Avec le fatal «TV Eye» qui suit, on assiste à un phénomène extraordinaire : l’envol des Stooges sans Iggy. Scott bat comme un dieu viking. Apparemment, c’est Art Lyzak qui chante. Encore une bombe avec «Bomb For Whitey». Section rythmique de rêve. Les trois mamelles du Carnival : le beat de Scott Asheton, la basse de Joe Hayden et la rythmique de Ron. Ô puissances des ténèbres ! Ron boucle son bouclard avec un extravagant solo amazonien.

The Last Great Ride n’a plus grand chose à voir avec les Stooges, hormis deux titres qui nous réconcilient avec la vie puisque Ron les riffe : d’abord «Cop’s Eyes», pur stomp stoogien de la première heure, groove unique au monde, digne du down in the street et du real cool time, binaire à souhait, dumbé jusqu’à l’os et wahté à la perfection, dans l’esprit du maybe call mom on the telephone. Puis «Bang», stompé sans pitié, tapé au beat mortel de la mortadelle, celui qui fit la grandeur des Stooges. Cette pièce s’ajoute au crédit du débit. Ron nous ramène au cra-cra de garage. LJ Steele bat comme un beau diable, d’une frappe bien lourde. On admire le big bassmatic de Peter Bankert. Pour Ron, c’est du gâteau. Rien ne vaut une bonne section rythmique. Niagara prend ses accents canaille, et pour une fois, on se régale. Quant au reste de l’album, c’est un peu lugubre. Niagara essaie pourtant de lui donner un certain élan. L’album est dédié à la mémoire de Lester Bangs. Long Gone John veille au grain, car The Last Great Ride sort sur Sympathy For The Record Industry, gage de qualité. Ron wahte «I Died 1000 Times» comme un fou. Il explore des contrées lointaines. Il se prend pour Marco Polo. Voyageur intrépide, il ne craint ni la mort ni le diable. Il relève les défis. Dommage que Niagara ait une voix si ingrate.

Ron et Niag ont un autre groupe qui s’appelle Destroy All Monsters. Ils s’entourent d’autres musiciens et se consacrent à une musique plus expérimentale. Ron fait venir Michael Davis qui est au chômage technique. L’album Bored propose quelques cuts entreprenants. Hélas, la voix de Niagara ne s’arrange pas. On peut même dire que ça dégénère. Mais elle se bat. Elle sait que tous les fans des Stooges l’écoutent, alors elle se surpasse. On aurait aimé savoir comment l’aider à l’époque. Et puis soudain, un cut sauve l’album : «Meet The Creeper», monté sur un tempo stoogien. Ron scande «Meet the creeper», ça prend la tournure d’un hit planétaire, mais quand Niagara ramène sa fraise, tout s’écroule. Alors Ron reprend : «Meet the creeper ! Meet the creeper !» Il veut sauver son Creeper. En vain. Niagara n’en finit plus de ruiner ses efforts. Ça devient un jeu - Do me a favor.

Pas la peine de suivre Destroy All Monster à la trace. Leur parti-pris est celui d’un projet expérimental. Ils font de l’anti-rock, un mélange d’arts graphiques, de vidéos et de bruitisme. Dans ces cas-là, il vaut mieux aller faire un tour ailleurs. C’est un peu comme si on visionnait un film expérimental sans les images. Il faut se débrouiller avec une espèce de bande-son, comme c’est le cas avec Silver Wedding Anniversary, le live du Reunion Tour de 1995, mais sans Ron Asheton. Niagara se retrouve entourée de trois mecs (Mike Kelley, Cary Laren et Jim Shaw). Pour paraphraser le Professeur Choron, on s’y fait chier comme un rat mort. Niagara harangue le public, elle fait sa folle primitive, mais ça ne marche plus. Le seul morceau écoutable de ce disque pourtant sorti sur Sympathy est «That’s My Ideal», chanté trash par l’un des mecs du groupe et on se fout de savoir qui c’est. Abandonnons Niagara à son destin et félicitons-la d’avoir partagé l’intimité de Ron Asheton. Comme Yoko Ono, elle a réussi à se faire un nom dans l’histoire du rock, peut-être pas de la façon la plus orthodoxe qui soit, mais en ayant partagé la vie d’un géant, elle mérite sa part de légende.

Rebondissement spectaculaire : Munster sort en 2015 un fantastique coffret blanc intitulé Destroy All Monsters. Une vraie bombe ! On y retrouve les deux époques du groupe, avant et pendant Ron Asheton. L’avant Ron est un peu difficile, comme le montrent «I Want To Live» ou «Magic Bag», shoots de garage en forme de visites de mondes perdus, que la pauvre Niagara chante atrocement mal. «The Queen» est même monté sur les accords de «Gloria». Mais à partir du moment où Ron arrive, ça devient fascinant. Il joue «You’re Gonna Die» à la note tirée et revient sur le killing de Kennedy avec «November 22, 1963». On retrouve aussi l’excellent «Meet The Creeper». Le creeper, c’est Ron - Creeper/ Meet the creeper - Et il le solote all nite long. Avec «What Do I Get», tout s’électrise. Michael Davis pousse à la basse. Ils repartent du bon pied avec «Nobody Knows». Niagara chante comme une casserole, mais Ron joue killer comme au temps des Stooges. Il n’a rien perdu de sa stupéfiante hardiesse. Avec «These Boots Are Made For Walking», Ron augmente la mise. Il tape dans l’extatique. La pauvre Niagara chante si mal qu’elle ne se rend plus compte de rien. Ron explose tout au riffage et il part en vrille comme ce Stuka que vient d’abattre la DCA anglaise. Zwwwwwwwawkkk ! Une stoogerie de plus. Tiens, encore une : «Anyone Can Fuck Her». Pour une fois, Niagara ne chante pas trop faux. Ron fait les chœurs. Riffs d’Ann Arbor. Il est LE son. Puis il embarque «Enough Is Enough» pour Cythère en solotant comme un crazy motherfucker. Pur Detroit Sound ! Dommage que Niagara ne soit pas aussi douée qu’Iggy. Mais ça fait partie du jeu. Ron se marre. Nouveau festival avec «I Just Wanna Be Sleepy» ! Ron casse la baraque dès l’intro. Il crée les conditions de l’exaction. Dans les tranchées, Ron ne fait pas de prisonniers. Il les grille tous comme des saucisses. On entend même Ron et Michael Davis se battre à coups de basse et power-chords. Avec «Bored», ils nous offrent l’une des intros du siècle. Ils vont au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. C’est bom-bar-dé de son. Le MC5 rivalise de sauvagerie avec le Stooge. Ron repart en vrille, c’est plus fort que lui. Il est certainement le plus beau killer de l’histoire du rock, et ça, on le savait dès le premier album des Stooges. L’énorme «Party Girl» qu’on entend là est enregistré live à San Diego. Michael Davis joue en solo, et derrière, Ron lâche sa purée, tout ça sur fond de chœurs malades. Ces gens-là brûlent tout sur leur passage. Ron part en solo sur un tapis de rave de basse. Le son ! Good Lord, le son ! Ron repart à l’aventure, il ne vit que pour ça. Beautiful beast ! Un riff définitif emporte «Little Boyfriend». Ça monte vite, très vite en température. L’über-Ron y veille. Il claque tout à l’accord lance-flamme. Retour au legendary stuff avec «The Right Stuff». Ron défonce la rondelle de cette énormité à coup de solo pulvérisateur. Lui et Michael Davis drivent ça aux pulsions fondamentales. Ils ne génèrent que de la fournaise. Ron joue ce cut à la dementia carabinatus. Pendant qu’il part dans son délire de vrille, le pouls du cut continue de battre comme si de rien n’était. Alors Ron monte au chant avec Niagara et les voilà en transe ! Ce «Right Stuff» est avec celle de Monster Magnet la version définitive.

Ron et Niagara vont vivre ensemble un certain temps, puis elle finira par se marier avec le Colonel Galaxy, l’ex-pilote automobile qui manage le groupe. Comme il a encore des connexions dans le monde automobile, il branche Ron sur un boulot bien payé : livrer des Porsches et d’autres bagnoles de sport à travers les États-Unis pour le compte d’une boîte. C’est payé 125 $ par jour et tous les frais sont pris en charge. Tous les frais ? T’es sûr ? Oui, trois repas par jour, dans les restos de ton choix. Ce sont les restos qui intéressent Ron. Alors le Colonel et Ron deviennent the Gallopping Gourmets, une sorte de gang trash. Ron aime la bonne gamelle et s’en met plein la panse. Il s’arrête dans les meilleurs gastos d’Amérique. En partant de Detroit, il faut compter quarante heures de route pour atteindre Los Angeles. Quinze heures pour atteindre New York. Il fait ça pendant deux ans, de 1987 à 1989.

Ron fait aussi du cinéma. Et là ça devient assez drôle car il peut renouer avec ses racines, the crazy motherfucker & The Three Stooges. Il commence par jouer dans Frostbiter - Wrath Of The Wendigo, un film d’horreur underground. L’action se déroule dans les bois du Michigan où rôde justement Wendigo, l’esprit des bois. Ron et les autres personnages vivent dans une caravane. Ce sont des vacanciers. Une nuit, Ron aperçoit Wendigo rôder dans les bois. Il revient à la caravane et déclare : «It’s big, man, real big !» Ce qui plaît infiniment au réalisateur Tom Chaney, sensible au génie trash de Ron. Dans Hellmaster de Douglas Shulze, Ron joue le rôle d’une nonne diabolique baptisée Mama Jones. Schulze pense que cet insane role ne peut convenir qu’à une insane rock’n’roll guitar legend, et il ne se trompe pas. Ron a du charisme. En plus, il ne la ramène pas. Il sait rester low key. Ça plaît beaucoup aux gens du cinéma. Tom Chaney refait appel à lui pour Mosquito. Ron y joue le rôle du Park Ranger Hendricks. Des moustiques ont sucé le sang d’un extra-terrestre mort et s’en vont semer la terreur, ce que les Anglais appellent un gory rampage. Ron joue ensuite dans Legion Of The Night de Matt Jaissle. Un certain Professor Bloom travaille sur la régénération des tissus des morts et bien sûr, il crée des super Zombie Killers. Dans ce film, Ron joue le rôle de Russell, l’assistant du Professor Bloom, cousin éloigné du Professor Von Bee.

Côté musique, c’est le calme plat. Appelons ça le calme avant la tempête. En 2001, J. Mascis monte the Stooges Project avec Mike Watt et les frères Asheton. Ils tournent pas mal aux États-Unis et embauchent chaque soir un nouveau chanteur. Quand Iggy entend parler de ce Stooges Project, il reprend contact avec Ron. Il l’appelle pour lui demander si ça l’intéresse de venir jouer sur son album Skull Ring. Pas si simple. Ron n’a pas vu Iggy depuis 25 ans. Mais bon, Ron n’est pas rancunier, c’est même un gentil mec et il descend voir Iggy chez lui en Floride - I was a little nervous - Ron est un peu nerveux, Iggy le sent et le met tout de suite à l’aise. En quelques minutes, tout rentre dans l’ordre. Le cauchemar de Raw Power est oublié. Skull Ring fait le carton que l’on sait. Paru en 2003, Skull Ring pourrait bien être l’un des meilleurs albums d’Iggy, car c’est une sorte de retour aux sources, c’est-à-dire aux Stooges. Le festival commence avec «Little Electric Chair». Iggy y pousse des cris de jouissance. Ron et Scott l’accompagnent et ça claque des mains comme au bon vieux temps de «No Fun». Iggy renoue avec ses yeahhhh d’antho à Toto. Ron semble jouer son va-tout. Il dote aussi le morceau titre d’un solo magistral. On se croirait dans un film de Tarantino. C’est un cut frénétique, monté sur le riff ultime. On retrouve les Stooges dans «Loser». Iggy dit qu’il ne peut plus continuer à vivre. Ron joue comme un démon, en suspension. Il prend un solo oblique qui entre dans le cut comme dans du beurre. Par contre ce sont les Trolls qui accompagnent Iggy sur «Perverts In The Sun», une belle pièce de dementia à la Raw Power, puis sur «Whatever», une espèce de grosse pop épaisse chargée de bonnes doses de destruction massive. Iggy l’éclate aux cris d’orfraie. Il renoue avec le magistère définitif. Ce sont aussi les Trolls qui accompagnent Iggy sur «Blood On Your Cool», mais ils foirent tous les ponts.

Tiens, puisqu’on est dans les retrouvailles, Scott Morgan invite Ron à venir jouer dans Powertrane et un superbe Ann Arbor Revival Meeting paru en 2002 (et tout juste réédité) témoigne de ces retrouvailles bénies de dieux. Ron Asheton glisse 5 jetons dans la fente : «1969», «Wanna Be Your Dog», «Down In The Street», «No Fun» et «TV Eye». Ron match. Boom ! Scott fait son Iggy et il le fait bien. Ron joue sa meilleure carte, celle du génie imputrescible. This is the Ron stuff. Le cocktail Ron/Powertrane est aussi explosif que celui du Sonic’s Rendezvous. Mais on peut aussi écouter les autres cuts : Scott tape un «Ready To Ball» écrasant de supériorité. On admire l’extraordinaire architecture du smashing dévastatoire, c’est riffé à la féroce et gueulé par dessus les toits. Un guitariste nommé Robert Gillespie incendie la ville d’un coup de killer solo flash. Lost in Ann Arbor with the Detroit Blues again. «Blood From A Stone» démet quelques vertèbres. Ces mecs jouent à outrance. S’ensuit un «Taboo» qu’on va retrouver sur l’autre album de Powertrane, un blast de white hot Soul. Ils tapent aussi dans le répertoire du Sonic’s Rendezvous avec «Earthy», un cut qui ravale la façade du rock, qui la nettoie au chalumeau. Tout est très dynamique sur cet album. Scott repart toujours fièrement au combat et il semble que sur scène, le son soit encore plus explosif qu’en studio. Il tape aussi une magistrale version de «Love & Learn» et donne l’extrême onction à «What Gives». Ils jouent ça à la nowhere man de no limit. Scott s’en revient hanter les remparts de «Dangerous», tel un héros du moyen-âge risquant sa vie à chaque seconde. Mais dans l’underground, la vie d’un héros ne compte que pour du beurre.

Comme un parfum de reformation des Stooges flotte dans l’air, les renards du désert quittent leurs terriers pour partir en chasse. Les organisateurs du festival de Coachella contactent le bureau d’Iggy et proposent une grosse valise de billets pour UN concert de reformation des Stooges. Okay. Pose la valise ici. Iggy fait confiance, il ouvre jette un coup d’œil sur les billets. The deal is done. Mais le soir du concert, Ron a l’impression de monter à la potence. C’est risqué. Les Stooges n’ont plus vingt ans - It was either going to glory or hell - Quitte ou double ! Mais comme ils jouent tous leurs classiques, c’est-à-dire les deux premiers albums, ils passent comme des lettres à la poste. Iggy réalise que le groupe n’a jamais été aussi bon et dans la foulée de Coachella, il propose à Ron et Scott de reformer les Stooges pour de bon. Mais attention, Ron veut que ça soit à parts égales. Il ne veut pas revivre le cauchemar de Raw Power, lorsque les frères Asheton étaient payés pour accompagner Iggy. Pour Ron, il s’agit des Stooges et non d’Iggy & the Stooges. C’est bien clair ?

L’incroyable de toute cette histoire, c’est que Ron et Scott ont vécu quasiment toute leur vie dans une forme de précarité. Ron n’est pas dépensier, donc il a su maintenir un train de vie minimaliste qui lui a permis d’éviter de se lever le matin pour aller bosser. Par contre, Scott a une famille à nourrir, donc il doit aller au chagrin, le plus souvent comme chauffeur de taxi. Alors bien sûr, quand le blé de la reformation des Stooges arrive, c’est l’Amérique ! Ils n’ont jamais palpé autant d’oseille ! Pour la première fois de sa vie, Ron peut s’acheter une bagnole. Le Colonel Galaxy raconte qu’il passe des week-ends au bord du lac avec Ron. Ils pique-niquent en se payant du pain et des fromages qui coûtent la peau des fesses, il s’offrent les meilleures bouteilles de vodka et de whisky. Avec la reformation des Stooges, Ron empoche 100 000 $ par concert. Avant ça, il se faisait péniblement 10 000 $ dans l’année. De la même façon que Lemmy, Ron commence à se payer de vrais objets nazis de collection. Il vit encore là où il a toujours vécu, sur High Lake Avenue, mais il achète à sa poule Dara une maison dans le voisinage. Il s’achète aussi une cabane de plage à Lake Huron, où il peut se planquer pour guetter Wendigo.

C’est l’époque des shows du grand retour dans le monde entier, avec en France un Bol d’Or et surtout un Zénith qui va rester aux yeux des fans l’équivalent de ce que fut la découverte du Graal pour les chevaliers de la Table Ronde. Petite cerise sur le gâteau, Skydog sort Telluric Chaos, en écho au Metallic KO d’antan. C’est enregistré au Japon et ça part sur les coups de cymbales de Scott. Aw look out ! Baaam, «Loose» ! Ron entre dans la danse. C’est resté intact. Ron part en maraude de wah. Il redevient le pape des kids et joue avec d’antiques férocités. Ces démons enchaînent avec «Down In The Street» - No wall ! No wall ! - Ça n’a pas pris une seule ride. Ron is on the run. Il attaque «1969» à la wah - Awite ! - Iggy salue les kids de 1969 all over the USA, bien épaulé par le bassmatic de Watt. Wow ! Ron krakatoate dans un ciel rouge de wah. Iggy annonce alors a fucking animal song : «Wanna Be Your Dog». Idéal pour faire chanter quelques dizaines de milliers de Japonais. Ce double album fonctionne comme un roman d’aventures. À peine est-on sorti du tome 1 qu’on se jette sur le tome 2 pour savourer la fantastique riffalama de «TV Eyes». Tout repose sur le Ron way qui est une authentique diabolisation des choses et sur l’attitude fabuleusement punkoïde d’Iggy. Il se fond merveilleusement bien dans cette mélasse mirifique. Power & style, comme dans le cas des Heartbreakers, avec le poids des antécédents en prime. Pour déconner avec les métaphores, les Stooges pourraient incarner une machine de guerre du moyen-âge, haute et lourde, en bois clouté, qui avance en couinant (la wah) au rythme des tambours de guerre (Scott), that’s right, «Real Cool Time», la légendaire B-side de «1969», come over tonite ! S’ensuit le hit parfait, encore plus parfait que les précédents, «No Fun», taillé pour traverser les siècles. Quand on sera tous enterrés, des kids danseront encore sur «No Fun», with nobody else. Les Stooges sautent d’un an dans leur calendrier pour «1970». Ron ouvre les digues. Pure folie. Il libère cette stoogerie qui déferle sur le Japon et Iggy qui ne craint pas la mort se jette dedans. Il est avec Jerry Lee et Lux Interior le plus beau specimen de hellraiser américain. Steve MacKay porte la stoogerie à ébullition. C’est du feel alrite de fin du monde. Le tome 3 s’ouvre sur «Fun House» - Ouh ! Watt : Ouh ! MacKay : Ouh ! Iggy tente d’ériger «Skull Ring» au rang de classique imputrescible à coups de Skull ring/ Fast cars/ Hot chicks/ Money et tout se casse la gueule avec «Rock Star». Ron ne peut pas passer sa vie à faire des miracles. Il essaye aussi de sauver «Electric Chair» en grattant des atonalités métaboliques. Mais ça ne décolle pas. Trop lourd. Ils explosent le dernier tome avec le heavy groove de «Little Doll», l’un des grooves les plus heavy de l’histoire des heavy grooves. Ils retapent dans «Wanna Be Your Dog» pour récupérer la clameur de la ville et finissent avec «Not Right». Il faut tendre l’oreille car c’est le dernier grand solo d’un géant des temps modernes. Ron wahte pour l’éternité.

Comme le fait de son côté Marc Zermati, Ron rappelle qu’Iggy doit absolument tout au public européen - Europe has always been Iggy’s bread and butter - «Oh boy, les Européens, spécialement les Français, sure love the Stooges.» Et il ajoute avec cette candeur extraordinaire qui le caractérise : «C’est génial de jouer pour des gens qui connaissent les paroles des chansons. Quand Iggy chante ‘Now I wanna’, il tend le micro au public qui répond ‘Be your dog’. Très poilant !»

Dernier chapitre de la genèse des Stooges : il enregistrent en 2007 The Weirdness. Ce nouvel album ne plait pas aux fans. Le Colonel indique que les cuts sont ceux que Niagara ne voulait pas enregistrer avec Dark Carnival. Selon lui, il s’agit des épluchures de patates. C’est vrai que dans l’ensemble, The Weirdness sonne comme un album solo d’Iggy Pop raté. Les frères Asheton ont beau batailler sur «Trollin’», le cut ne passe pas. C’est même très mauvais. Même chose avec «You Can’t Have Friends». Rien à voir avec les Stooges. C’est même assez catastrophique. Bad Pop stuff. Il faut attendre «My Idea Of Fun» pour retrouver un peu de ce son qui fit la grandeur des Stooges. C’est tiré par les cheveux, mais la grandeur revient. Ron recrée enfin les conditions de la stoogerie. Le grand shaman du sonic trash est enfin de retour. Il part même en vrille. L’autre miracle s’appelle «Greedy Awful People», claqué au clap-handy shot. Pur jus de stoogerie abdominale, Iggy s’enveloppe dans la cape de Saint-Martin et Ron balance l’un de ses meilleurs coups de wah. On voit Iggy tenter de recréer l’ambiance d’American Caesar avec «The End Of Christianity», mais ça foire complètement. On note aussi l’intervention de Steve MacKay dans «Passing Cloud», comme s’il volait au secours des Stooges en désarroi. Mais ni Ron ni Steve MacKay ne peuvent sauver un cut aussi foireux. Bye bye myth.

Ron n’en revient pas de voir les gens bouder The Weirdness. Ça lui coupe la chique. Il demande au Colonel :

— Mais que veulent les gens ? Ils veulent Fun House ?

— Ben oui !

Il n’aura pas le temps de refaire Fun House. Son cœur s’arrête de battre en 2009.

Signé : Rond Micheton

John Wombat. Ron Asheton. The Stooges, Destroy All Monsters & Beyond. 2019

Iggy Pop. Skull Ring. Virgin 2003

Stooges. Telluric Chaos. Skydog 2005

Stooges. The Weirdness. Virgin 2007

New Order. The New Order. Fun Records 1977

Ron Asheton’s New Order. Victim Of Circumstances. Revenge Records 1989

New Race. The First And The Last. WEA 1982

Dark Carnival. Welcome To Show Business Live. Revenge Records 1990

Dark Carnival. Greatest Show In Detroit. Revenge Records 1991

Empty Set. Tim Slim & None/Flunkie. Flipout Gramophone Foundation 1996

Destroy All Monsters. Silver Wedding Anniversary. Sympathy For The Record Industry 1996

Dark Carnival. The Last Great Ride. Sympathy For The Record Industry 1997

Destroy All Monsters. Bored. Cherry Red Records 1999

Destroy All Monsters. Destroy All Monsters. Munster 2015

Scott Morgan’s Powertrane. Ann Arbor Revival Meeting. Real O Mind Records 2002

ET POUR QUELQUES STOOGERIES DE PLUS !

DU MÊME AUTEUR :

Voir Ron Asheton et mourir : livraison 160 : 23 – 10 - 2017

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TROYES / 14 – 03 – 2020

3 B

AMHELL & HER BACKDOOR MEN

La journée avait terriblement mal commencé. Une ignominie. Trois filles qui me posent un lapin. A 11 heures du matin, c'était OK ! '' Oui Damie, on tient nos promesses, on t'avait promis de venir exprès pour toi en Seine & Marne. Ce n'est pas un vilain corona virus qui nous empêchera de te voir'', mais deux heures plus tard, je pleurais à chaudes larmes ( de crocodile ), ''nous sommes désolées mais le concert est annulé !'' Maudit conard virus ! Combien de jours me faudra-t-il encore attendre pour entendre The Jinets, groupe fastueux qui regroupe les trois plus jolies filles du 77. En l'occurrence, Ady, Emilie et Vaness, que les lecteurs de Kr'tnt ! connaissent bien ! En plus elles n'étaient pas seules, elles emmenaient dans leurs bagages tout un lot de big boys, The Swinging Dices et le One Dollar Quartet.

Soyons un peu stratège me dis-je, si la route de l'ouest est bouchée, prenons celle de l'est. Bref le soir j'arrivais tout pimpant au 3 B, dans tous les cas il faut faire confiance à Béatrice la patronne, elle se débrouille toujours pour vous proposer des combos de qualité. Je ne croyais pas si bien dire.

AMHELL & HER BACKDOOR MEN

Une fille et quatre mecs. Je vous parlerais d'abord des four boys. Pour la simple raison que le set débute par un instrumental et que Amheel se tient sagement sur le côté. Et là franchement, c'est l'horreur horrible. Ce n'est pas du rockabilly ! Au mieux c'est du swing. Au pire c'est du jazz. Et vous savez dans ce bas-monde le pire est toujours certain.

Soyons juste, ne nous laissons pas emporter par la déception et le ressentiment. Ils ont un sax. Et un saxophone dans un orchestre c'est comme une lumière dans la nuit, une île salvatrice pour le radeau du naufragé... C'est rassurant. Ça vous met du baume sur le cœur déçu des rockers. Souffle un peu doux, Arnaud, non ce n'est pas l'aboiement rauque du rock'n'roll, mais cela s'écoute bien, à tel point que l'on oublie ses trois congénères...

Et puis tout change. En fait tout continue comme avant. A la différence près que Amhell toute pétulante se plante devant le micro. L'évidence vous saute aux yeux. L'est comme chez elle. Aussi à l'aise dans cet univers impitoyable de rockers que dans son jardin mollement étendue sur une chaise longue à l'ombre d'un cerisier japonais en fleurs. Se moque un peu de vous, pour le début une chanson un peu jazz parce que nous on fait un peu de tout, du swing, du blues, du rhythm'n'bues mais pas vraiment de rock'n'roll -avec ce sourire qui signifie bande de macaques mal dégrossis – mais elle est déjà à moitié pardonnée.

Elle le sera tout à fait lorsqu'elle aura fini ses deux premiers morceaux, Till the well runs dry et Such a cutie. Apparemment deux chansonnettes aussi inoubliables que vos premières savonettes. En fait deux petites merveilles de Vynona Carr et de Big Maybelle - elle enregistra Whole shakin' on avant Jerry Lou – mais elle nous en offre des versions bien trop alanguies, exprès j'en suis sûr, vous connaissez ces espèces de blanchitudes déplorables de l'american entertainment, z'oui mais avec ce timbre de petite fille capricieuse, craquante, irrésistible, qui n'en fait qu'à sa tête, qui se joue de tout, de vous, de ses boys et d'elle-même. Et puis ce jeu, de poser sa voix où elle veut, un peu n'importe où, en équilibre, sur une terminaison instrumentale, et ce sourire espiègle, coucou je vous ai eu, tant pis pour vous, il faut suivre.

Alors comme vous êtes un peu récalcitrant à ce jazz de supermarché et que vous êtes tout de même séduit, même si vous ne voulez pas tout à fait vous l'avouer, vous la regardez. Robe noire, talons noirs, cheveux noirs, tout est noir chez elle, sauf cette blanche protubérance charnelle des seins engoncés dans leur corsage surmontée de la neige de ses épaules d'autant plus nues que pimentées de tatous colorés, vive, joyeuse, amitieuse, complice, pétillante, comédienne naturelle.

Les deux titres suivants allument le feu, She 'll be gone de Betty O'Brien, parce que les filles aiment leur liberté et King Size Papa de Julia Lee parce que les filles aiment les beaux mecs ( comme ceux qui essaient de me ressemler ). C'est-là qu'on s'aperçoit qu'elle a de sacrées pointures derrière elle. Je ne sais pas d'où elle sort ces musicos, mais ce n'était certainement pas des articles avariés en solde, alors Amhell la mutine badine, avec sa voix sucrée de profitérole elle en profite, elle jongle avec les lyrics, vous donne l'impression de les jeter au hasard, de s'en débarrasser au plus vite, s'amuse comme une petite folle, et plof pile-poil au bon moment, l'armoire à pharmacie est impeccablement rangée quand elle termine, alors elle éclate de rire, une cascade de notes aussi délicieuses que son ramage de merle moqueur.

L'enchaîne sur un standard de Georgia Gibbs Silent Lips, et l'on se dit que l'on a de la chance, que ces lèvres ne vont pas rester silencieuses durant un bon bout de temps, eh bien non, elle nous sourit et nous annonce que l'on va avoir droit à un instrumental. Sont beaux ses accompagnateurs, avec leurs fringues impeccables, leurs cheveux bien peignés et parfois même une cravate, mais enfin... bon, on les écoute, juste pour lui faire plaisir.

Pour le nôtre aussi. Diable de guys, prenez par exemple Pascal avec sa grosse guitare, imprévisible le gars, pour le spectateur car lui il sait très bien ce qu'il fait, brutalement il vous balance une trille de notes, une poignée de louis d'or qui giclent de sa main de prince fastueux sur la table de la misérable auberge qui ne lui a offert qu'un vieux quignon de pain moisi, vous aimeriez qu'il répète ce geste de grand seigneur à l'infini, mais non subitement il se fait tout petit et rentre dans le background communautaire de l'orchestre, ces insupportables passages à vide du jazz où l'on pédale dans la choucroute... C'est alors qu'il faut prêter l'oreille à la contrebasse de Xavier. Non il ne slappe pas comme un sauvage des Appalaches, chaque fois qu'il tire sur une corde c'est comme s'il déchirait les pointillés qui séparent les timbres dans leur carnet, minutieux et rapide, une dent à chaque fois, mais avec une dextérité et une célérité étonnante. C'est lui qui impulse la sourdine diabolique, l'homme de l'ombre qui manipule l'élastique du swing sans remords.

Dans toute société vous avez toujours des saboteurs. Ici il s'appelle David. Son rôle n'est certainement pas d'entretenir la béchamel. Au début, vous n'y faites pas gaffe. Un fieffé filou. Ne sort jamais la grosse batterie – son set est d'ailleurs chichement fourni – des effets spéciaux, style largage abominable de bombes atomiques, pour lui c'est effets spécieux, minimum de moyens, maximum de rendements. Joue le rôle du petit caillou qui dévie l'avalanche, un coup sur le rebord de la caisse claire et un tintement de cymbale sont amplement suffisants pour casser le rythme. Pas besoin de faire sauter le barrage, une légère charge de plastic sur le bon pylône et la ville est privée d'électricité. Un virtuose du billard rythmique à douze bandes. Vous avez beau tirer la chevillette des hypothèses vous n'arrivez pas à prévoir le moment fatidique où la cassure cherra. Ce qu'il y a de fabuleux, c'est qu'avec sa frappe économique il parvient à faire du bruit. Pas du vacarme, non mais chaque coup porté retentit admirablement, l'a compris que si vous voulez vous faire entendre faut d'abord vous taire, que le moindre tapotement ou coup sourd de grosse caisse prend ainsi une ampleur titanesque. La collision inopinée de voiture qui bascule dans le ravin et bouscule votre week end.

La diva revient. Amhell expédie Jeopardy et Scorched, d'une telle manière bondissante que vous avez envie d'aller sur le champ faire tinter les cloches de Notre-Dame, hélas c'est impossible d'y mettre le feu, c'est déjà fait, alors on suit Amhell les yeux fermés (ce dernier adjectif est un véritable mensonge, vous n'êtes pas obligés de croire tout ce que je dis ) elle nous emmène là où l'on ne pose jamais nos santiags, exemple à Stompin' at the Savoy, avec sa voix brut de pomme et de pétillance de champagne, son minois mignon d'enfant gâté qui vous tient par la barbichette et vous file une tapette mentale d'une petite phrase goguenarde. Les Backdoor Men – little girls understand - prennent la clef des champs et la poudre d'escampette interprétative, à chacun son petit solo, se repassent le bébé stylé dans la plus pure tradition jazzistique, je montre ce que je sais faire et laisse pressentir que j'ai encore des réserves. Si vous êtes sages, vous aurez une nouvelle distribution, mais ça se mérite. Le pire c'est que toute l'assistance commence à prendre goût à celle huile de foie de morue, et en redemande. En plus entre chaque titre ils entretiennent une étrange parlotte entre sketch désopilant et conciliabule de conspirateur pour savoir s'ils vont le jouer en fa ou en la.

Trois sets, la dose coutumière du 3 B. Mais ce sont des tricheurs, vous servent de ces tord-boyaux du temps de la prohibition, vous avez le cerveau qui cuit dans son jus à vous inscrire dans un cours de jiu-jitsu, beaucoup esquissent des pas de l'ours plus ou moins balourds, voire des lindy hop frénétiques. Y a des filles comme cela, elles vous tiennent dans les doigts de leur menotte, mais Amhell elle a une poigne de fer, vous domestiquerait un doberman enragé rien qu'en entrouvrant l'exquise framboise de ses lèvres. Les gars se rapprochent d'elle lui susurrent des choses dans la rose de ses oreilles, et alors même qu'elle est en train de chanter, elle sourit gentiment et les éloigne sans problème d'un geste de la main à peine esquissé, fiers comme Artaban, subjugués de n'avoir pas été renvoyés comme des chiens battus alors qu'ils n'ont rien obtenu. Elle va même réussir le miracle auquel aucun groupe – plus d'une centaine à ce jour – n'est parvenu, détacher les gars qui tiennent le bar – c'est alors que l'on s'aperçoit que par miracle il tient tout seul – pour les emmener devant l'orchestre. Amhell est un crockronar virus, une tarentule méphitophélesque, elle prend votre âme et pour la retrouver vous êtes contraints de la suivre.

Ambiance survoltée. Le saxophone d'Arnaud n'est pas aphone, il flamboie sur tous les morceaux comme le pelage des biches qui se tiennent à l'orée des forêts pour absorber la dorure bienfaisante des soleils matinaux. Sait trompéter pour sonner la cavalcade du swing, mais ce qu'il préfère ce sont les interventions obliques, ces stratégies oblongues qui vous détournent le courant principal d'un fleuve tranquille pour le jeter dans des déclinaisons torrentueuses. Possède cette douceur traître qui vous entraîne sur les mauvaises pentes. Au bas desquelles se rejoignent étrangement les marlous du jazz et les matous du rock.

La fin du troisième set approche. Amhell qui nous a incité toute la soirée à combattre le mal viral et coronaire par des lampées de franches boissons alcoolisées nous prévient : attention David va surgir de derrière le rideau noir. Non ce n'est pas David le batteur, mais David le régisseur, qui jaillit en tenant avec une agilité diabolique un plateau et de l'autre une bouteille au contenu safrané, passe et offre – les volontaires n'ont qu'à tendre la main - un verre à goutte débordant d'une boisson magique. Du rhum ! Avec un goût prononcé de revenez-y, délectable, un moonshine strasbourgeois qui vous fait immédiatement aimer l'Alsace. L'on finit tous en chœur en chantant à l'unisson Ding Dong Daddy qui remonte à la nuit des temps. L'on s'en moque, ce soir we saw the light, elle s'appelle Amhell.

Sûr on a un peu honte parce qu'elle durant trois heures nous avons oublié jusqu'à l'existence du rockabilly. Mais l'on s'en fout. Tous touchés par la grâce.

LOST PARADISE

Ne rêvons plus. Retournons à la dure réalité. N'oubliez pas de réviser votre leçon d'anglais : je rappelle : I am hell, you 're hell, She 's hell. Inutile d'aller plus loin. Maintenant qu'elle est partie, c'est ainsi qu'est devenue votre vie !

Damie Chad.

DARK WAS THE NIGHT

GREGOIRE HERVIER

( Au Diable Vauvert / Février 2020 )

 

Au Diable Vauvert est une des maisons d'éditions les plus innovantes de l'hexagone, son catalogue vaut le détour. Nous avions chroniqué dans notre livraison 336 du 06 / 07 / 2017 un des romans de Grégoire Hervier, Vintage. La figure mythique de Robert Johnson apparaissait déjà dans ce livre, au titre un peu racoleur mais à l'intrigue mouvementée. Dark was the night repose un peu sur le même schéma. Celui de la recherche de l'arche perdue du rock'n'roll, dans Vintage c'était La Moderne, la guitare de Gibson mise au point en 1957 qui ne fut jamais commercialisée. C'est un peu comme le mystère du Graal de Montségur, vous connaissez l'emplacement, vous n'avez qu'à creuser la montagne pour le retrouver... Cette fois-ci ce n'est pas un instrument que l'on recherche, mais un enregistrement, pas du premier venu, de Robert Johnson, n'insistez pas, vous possédez le coffret intégral, mais il s'agit du trentième morceau, que vous n'avez pas... Moi je sais où il se trouve. C'est explicitement expliqué à la fin de la nouvelle. C'est bête mais à cause du confinement actuel dû au virus mortel je ne peux aller le récupérer. Si vous voulez savoir et tenter votre chance vous n'avez qu'à vous procurer le bouquin. Entre nous soit dit sans vouloir me moquer de vous, à vue d'œil, je ne vous crois pas assez débrouillards pour cette tâche. N'y a que les terrestres extra comme moi qui réussiront. Ce n'est pas de ma faute si vous n'êtes pas naturellement doués.

Un lot de consolation vous est offert, Grégoire Hervier nous présente douze morceaux de blues selon lui indispensables. Le premier est : Dark was the night, Cold was the ground de Blind Willie Johson, le douzième : Dark is the night de Ry Cooder. Serait-ce une piste, le titre de ce bouquin n'est-il pas Dark was the night, vous brûlez, vous avez raison, vous avez trouvé ! De toutes les manières on ne prête qu'aux riches... Proverbe malheureux, ni Robert Johnson, ni Blind Willie Johnson, ni Robert Lockwood n'étaient fortunés...

Par contre Robert Johnson a bien composé Mr Down Child. Qu'il n'a pas enregistré. Ce qu'il y a de bien avec le blues c'est que dès que vous soulevez un lièvre vous trouvez un éléphant, et c'est aussi énormément touffu que le principe d'indétermination d'Heisenberg.

En tout cas ce mini-bouquin est une très belle introduction au blues. C'est le principal.

Damie Chad.

ABRACADABRA ROCK'N'ROLL

VINCE TAYLOR

OLIVIER LORQUIN

( Visible sur You Tube )

 

Un court-métrage de moins de quinze minutes réalisé en 1976 par Olivier Lorquin. Vince dix ans après la dégringolade, serait-on tenté de sous-titrer. L'occasion bien sûr de voir quelques d'images d'archives – les fameux fauteuils renversés du Palais des Sports – et d'entendre Eddie Barclay donner sa propre version, un artiste incomparable, mais un garçon peu sérieux, qui s'y croyait, rien à voir avec ce bosseur de Johnny Hallyday... Le patron n'a surtout pas envie de se remettre en cause, l'est sûr que l'on ne gère pas Vince Taylor comme les petits français issus de Belleville. Il prononce pourtant la phrase la plus significative du film '' Ce qui est intéressant c'était la façon dont on a fait la promotion de Vince, auprès des gens de la haute société. '' l'on aimerait savoir comment, mais cela a sauté au montage, et quelques secondes après lorsque l'on revient à la suite de l'interview, il est en train de parler des concerts de rock qui parfois dégénéraient en émeute... L'idée ne lui vient pas de se demander s'il n'y a pas eu maldonne dès le début dans la gestion de la carrière de Vince Taylor, si l''on n'a pas laissé à Vince le temps de se tailler un public rock à sa mesure au lieu de l'enfermer dans une cage dorée. Vince a été lancé comme un produit, un coup publicitaire qui a mal tourné. L'on a offert à l'intelligentsia artistique un phénomène de foire, venez voir le grand méchant loup du rock'n'roll, approchez, approchez, n'hésitez pas à le caresser, il n'est pas méchant, mais il peut mordre, frissonnez et rassurez-vous, nous le tenons fortement par sa chaîne. Manque de chance l'adoption de Vince par les blousons noirs a brouillé le calcul promotionnel...

Les plus beaux moments du film sont ceux où Lorquin et Marc Zermati donnent la parole à Vince, certes Vince est un peu perdu en lui-même, enfermé dans la tour d'ivoire d'une mythologie rock, mais ses propos si l'on y prête attention sont emplis d'une cohérence logique à toute épreuve. Que l'on rapprochera des textes superficiellement les plus énigmatiques d'Alfred Jarry. Et puis quand il chante, c'est monstrueux, tout est là, sans effort, une espèce de désinvolture sérieuse, Vince donne l'impression qu'il se cite lui-même, je l'ai fait, je peux le refaire, et je le referai, n'importe où, n'importe quand, n'importe comment... En prime, une très belle prestation de Moustique.

OLIVIER LORQUIN ET LA CONNEXION MARSEILLAISE

Olivier Lorquin né en 1949 n'est autre que le fils de Dina Vierny qui fut la dernière modèle du sculpteur Maillol. Très logiquement il s'occupe du Musée Maillol. Mais ce n'est pas cet aspect de sa personnalité que nous tenons à couvrir. Entre 1980 et 1982 Olivier Lorquin a enregistré quatre quarante-cinq tours avec La Connexion Marseillaise. Ils valent le détour. Les collectionneurs de belles pochettes se jetteront dessus, elles sont dessinées, recto et verso par Franck Margerin. L'écoute est loin d'en être désagréable. Je ne sais pas pourquoi mais musicalement cela m'a rappelé au niveau de l'impact Larry Martin Factory – peut-être par association d'idées parce que Larry a travaillé pour Vince Taylor – mais avec un petit côté nettement plus typiquement frenchy vraisemblablement dû aux paroles qui nous plongent dans cet univers rock très symptomatique de l'imagerie nationale – filles, motos, dèche, fric et flambe - telle qu'elle fut constituée de break et de brock dans les années soixante et qui perdure encore dans l'inconscient collectif. Lorquin est au chant et se débrouille bien, réussit ce miracle de balancer sans bouffer les mots, un peu à la Lucky Blondo, mais nettement plus vigoureux et énergique.

Discographie : Olivier Martin et La Connexion Marseillaise : 1980 : Le rock dans l'sang / J'ai un coup de cafard. 1981 : Martine tu déconnes / Coquine. 1981 : J'aime ma grenouille / Je suis un flambeur. 1982 : Le joker / Carnet de chèques.

Damie Chad.

 

INTERVIEW TONY MARLOW

sur RADIO INTEMPORELLE

14 / 06 / 2019

 

Première fois que j'écoute Radio Intemporelle, disponible sur le net et qui revendique 300 000 auditeurs. Puisque Tony Marlow était dans nos livraisons 454 et 455, aucune raison ne s'oppose à ce qu'il soit présent dans la 456. Cette fois il n'est pas à la guitare aux côtés d'Alicia Fiorucci mais au téléphone pour une interview menée par Patrick Leveille, de près d'une heure, entrecoupée de quelques uns de ses morceaux, que ce soit avec les Rockin'Rebels ou plus tard dans sa carrière.

Patrick Leveille se révèle vite être un nostalgique des années 80, sans doute cette dilection entraîne-telle le déséquilibre de l'émission dont la moitié est consacrée aux Rockin'Rebels. Certes ce groupe formé par Tony Marlow a beaucoup compté pour sa carrière, notamment grâce à Branche Le Poste titre qui lui a assuré l'accès aux grands médias de masse. Ce qui lui a permis de réunir un carnet d'adresses qui a facilité la suite de la carrière lorsque la formation s'est séparée. L'on aurait aimé quelques détails de plus sur ses premiers groupes au lycée, et qu'il puisse s'étendre s'étendre davantage sur ses toutes premières influences, Johnny Hallyday, Eddy Mitchell – c'est Aldo Martinez l'ancien bassiste des Chaussettes Noires qui supervisera l'enregistrement de Branche le poste – Dick Rivers, et le coup de semonce du Come Back d'Elvis en 1969.

Nous connaissons Tony le guitariste, mais Tony aime à rappeler qu'il fut d'abord batteur et que ce fut la défection du chanteur Rémi Rice des Rockin'Rebels qui finit par le porter derrière le micro. Conséquence de la conséquence : le besoin d'un instrument pour ancrer davantage le chant dans les notes. Il se met donc à la guitare. N'emploie pas par hasard le mot travail, quand on l'entend jouer. Le Marlow il ne gratouille pas à la petite semaine, l'a bossé et étudié, il suffit de lire le Numéro Spécial de JukeBox Magazine consacré à l'analyse des grands guitaristes de la génération des pionniers ( + Brian Setzer, les Rockin' ouvrirent pour la tournée française des Stray Cats ) pour comprendre qu'il sait de quoi il parle et joue. Patrick Leveille nous fait entendre Get Crazy enregistré au Kaiser Studio avec Lucas Trouble à la console, faut écouter les deux fausses fins de ce morceau, le serpent sur lequel vous avez marché et qui vous a déjà piqué, qui se retourne encore deux fois, rien que pour vous faire comprendre qu'il n'est pas content. Un peu plus tard ce sera Hot Rod Special, Tony adore imiter les pétarades des engins à moteurs destinés aux propulsions rapides, je ne sais comment il se débrouille mais il ne se départit nullement d'un fondu mélodique qui ne fait qu'accentuer la tonytruance de sa guitare. C'est un peu pareil dans Week end in Memphis, mais là c'est la voix comme voilée d'ombre qui mélodise le rythme rock'n'roll du morceau. Faudra un jour se pencher sur la façon dont Tony construit ses titres. Vous filent entre les deux oreilles vitesse grand V, et vous adorez, mais c'est comme ces monuments qui s'imposent par leur beauté évidente. Si vous avez un architecte à côté de mieux, vous comprenez davantage la démarche créatrice des concepteurs. Nous sommes en 2019 et il annonce son projet blues-rock pour 2020.

Tony fait un rapide bilan de son existence, n'est pas mécontent de lui, il a vécu de sa passion, un privilège incomparable. Certes il regrette que les médias ne s'intéressent guère aux artistes qui émargent dans des courants qui ne sont pas mainstream. Il s'inquiète pour ces tas de musiciens ou de chanteurs doués – quel que soit leur style – qui sont dédaignés par les maisons de disques. La situation qui n'était pas non plus florissante dans les années soixante-dix et quatre-vingt s'est encore dégradée. Il a eu la chance de pouvoir enregistrer son premier quarante-cinq tours chez Skydog, le label de Marc Zermati. Comme par hasard nous épinglons le nom de Marc Zermati dans la chronique précédente Et comme le hasard fait bien les choses, Tony a aussi joué avec Vince Taylor. A croire qu'il n'y a pas de hasard dans le monde du rock'n'roll !

L'émission se termine trop vite avec cette impression d'avoir tout juste entrouvert le coffre au trésor pour le refermer séance tenante.

Précisions intéressante : les disques de Tony Marlow sont chez Rock Paradise de Patrick Renassia , 42 rue Duraton, 75 015, voir le FB et site de la boutique.

Damie Chad.

JUKEBOX MAGAZINE

( Avril 2020 / N° 400 )

 

J'ai triché. J'ai commencé par la fin. Par la faute d'une fille. Evidemment. Pas n'importe laquelle. Alicia Fiorucci pour la nommer. Je regarde toujours ces chroniques sur les bouquins. Commente la bio de Brigitte Fontaine, de Benoit Mouchart parue au Castor Astral. L'on voit bien ce qui peut attirer Alicia Fiorucci chez Brigitte Fontaine, toutes deux aiment n'en faire qu'à leur tête. Je bois rarement de l'eau à cette Fontaine, mais son dernier titre dédié à notre président est des plus jouissifs.

J'avais acheté le journal pour la couve, la collection des douze albums de Johnny Hallyday, les plus terribles, d'après la votation de l'équipe du journal. Suis un peu déçu par le traitement de l'article. Je m'attendais à un minimum de deux pages sur chaque album, avec cette précision maladive de maniaque en laquelle consiste l'irrésistible attrait du magazine. 33 ou 25 centimètre n'ont droit qu'à une colonne d'un tiers de page !

Sont douze, chacun a choisi dans les cinquante albums enregistrés par Johnny. Grand triomphateur avec plus de trente points d'avance sur le suivant : Les Rocks les plus terribles. Et comme par hasard ( voir la chronique précédente ) l'on retrouve Tony Marlow, qui présente la merveille. Profitons bien de cette chronique marlowienne, c'est en effet pratiquement la seule qui se livre à une véritable analyse musicale de son opus maximus preferitus. Perso j'aurais mis en première position le numéro 2, présenté par Jean-Yves Billet, je vous en fiche mon billet - expression favorite de Long John Silvet l'inquiétant pirate de L'île au trésor -  Rivière... ouvre ton lit me semble la pierre angulaire hallydéenne.

Ce genre de classement est encore plus nocif que l'introduction du Corona Virus, il risque de semer le trouble et la désolation dans les familles françaises. Disputes, amitiés brisées, divorces, meurtres et assassinats menacent de conduire le pays à la guerre civile. A lire les douze contributions, l'on se dit qu'à part Tony Marlow et Jean-William Thoury qui explicitent leurs choix selon un argumentaire musical, tous les autres se laissent entraîner par une passion dévorante. Un peu pour Johnny certes, mais surtout pour eux-mêmes. Ce n'est pas qu'ils sont de purs égotistes qui n'auraient d'yeux que tournés uniquement vers leurs petites personnes, c'est que le disque de Johnny qu'ils ont choisi les ramène aux temps souverains et glorieux de leurs jeunesse, ces jours d'intransigeance passionnée que vous ne sauriez oublier sans vous renier... Johnny est parti en 2017, les douze disques commentés ont été enregistrés entre 1961 et 1975, huit sur douze dans les années soixante. Les statisticiens nomment cela des indices générationnels.

Bien sûr, il y a un curieux Judas parmi ces douze apôtres : François Jouffa. Les rockers se souviennent avec émotion de L'âge d'or du rock'n'roll qui au tout début de la calamiteuse décennie quatre-vingt indiquait le chemin à suivre. Il passe la première moitié de sa contribution à s'horripiler de l'horribilité de la pochette de Flagrant Délit. A l'en croire, la plupart des fans esthétiquement ébranlés par la laideur de cette horreur ne parviennent pas à écouter le disque en son entier, style hugolien, la pochette était dans la tombe et les regardait, dans le troisième quart il reconnaît que Oh ! Ma jolie Sarah est un joyau mais il glisse très vite sur un sujet adjacent : les prochains disques de Johnny pris en charge par un unique compositeur.

L'on regrettera toutefois que Christizan Eudeline ait coupé court à son commentaire de la photo de Insolitudes, une préfiguration de la couve de So Alone de Johnny Thunders parue cinq ans après en 1978, l'était bien parti pour une méditation philosophique.

Il reste encore beaucoup à lire. Toutefois évitez les pages cinq et six. On se croirait au Père Lachaise, un véritable cimetière, Graeme Allwright, Ralph Danns, guitariste des Gladiators, Hector qui ne réussit jamais à être le Screamin' Jay Hawkins français, et Joey Greco, le flamboyant soliste des Rocks les plus terribles de Johnny, nous ont quittés... Comme dit mon ami Vince Rogers, c'est une génération qui disparaît... et à la page 7 rebelote sur la pelote mortuaire : Crazy Cavan et Kenny Linch... Sale temps pour les rockers !

Damie Chad.