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19/12/2017

KR'TNT ! 353 : MICK ROCK / ROBERT CALVERT / BRAIN EATERS / 2SISTERS / BULGARIAN YOGURT / BAPTISTE GROAZI + POGO CAR CRASH CONTROL / KID ORY / DANIEL GIRAUD

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 353

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

21 / 12 / 2017

MICK ROCK / ROBERT CALVERT

BRAIN EATERS / 2SISTERS

BULGARIAN YOGOURT / KID ORY

BAPTISTE GROAZIL & POGO CAR CRASH CONTROL

DANIEL GIRAUD

TEXTE + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

AMIS ROCKERS,

VOUS AVEZ DE LA CHANCE, PERIODES FESTIVES EN VUE, LA LIVRAISON 353 ARRIVE AVEC DEUX JOURS D'AVANCE, ET LA 354 LA SUIVRA DE PEU...

N'OUBLIEZ PAS DE VIVRE SANS MODERATION !

 

Vive le Rock

 

Dans Shot - The Psycho-spiritual Mantra of Rock, le film que lui consacre Barnaby Clay, Mick Rock frime un peu. Mais il en a les moyens. C’est à lui qu’on doit les pochettes de Transformer, de Raw Power et de The Madcap Laughs. Excusez du peu. Le photographe Mick Rock eut la chance de fréquenter les bonnes personnes au bon moment. Hormis Syd Barrett et Lou Reed, il eut aussi pour ami Bowie, et c’est sans doute de là que lui vient sa fascination pour le glam. Lorsqu’il évoque ses souvenirs, Mick Rock fait entendre des cassettes de ses conversations. On l’entend discuter avec David Bowie qui évoque les noms de Bolan, de Lennon et de Dylan pour dire : «We are the original false prophets, we are the gods !» Et le diable sait qu’il a raison de dire ça.

Mick Rock est un solide Britannique qui, par sa stature et son grawl spécial, fait penser à Ian Hunter. C’est le même genre de force de la nature. Dans ce film, Mick Rock tente de faire passer son métier de photographe pour quelque chose de mythique, mais il devient vite prétentieux et mord un peu le trait - I’m not after your soul, I’m after your fucking aura - Helmut Newton et Richard Avedon peuvent prétendre au mythe, certainement pas Mick Rock, même s’il a fait trois belles pochettes. Il n’y a pas d’art chez Mick Rock, juste de bonnes fréquentations. Il a la chance incroyable de fréquenter Bowie, Lou Reed et Iggy, mais il en parle comme quelque chose de réfléchi - I always made sure in a final analysis that it made some kind of sense - C’est facile à dire, après coup.

Mick Rock vient de Cambridge, ce qui l’oblige à parler de culture. Alors il cite Rimbaud et Baudelaire. Puis il passe aux choses sérieuses avec les drogues psychédéliques, il adore the altered states, et pouf, voilà le summer of love et Syd qu’il photographie dans ce bel appartement - Psychedelic Syd had a band called Pink Floyd - Syd vient de repeindre son parquet en teintes alternées, telles qu’on peut le voir sur la pochette du Madcap. Mick Rock explique qu’en 1971, Syd lost interest, he couldn’t get there anymore, tout le bordel du music business ne l’intéressait plus, he never did another interview.

Et sans transition, il passe à Bowie, ou plutôt Ziggy. Les gens lui disent qu’il voit Ziggy the way he sees himself, c’est un beau compliment, mais pour un photographe, c’est facile quand on a un mec comme Ziggy devant l’objectif. C’est Ziggy qui fait tout le boulot.

La fameuse photo de Lou Reed qui orme la pochette de Transformer fut prise au Whale concert : Lou Reed était monté sur scène pour jouer avec Ziggy. Mick Rock adore cette image - the cold shiver, the make-up and all the darkness in the eyes - Et il ajoute en revoyant l’image : Bingo ! That was the cover ! Et quand il passe aux Stooges, Mick Rock se met en transe : it was a complete revolution.

Dans l’interview qu’il accorde à Vive Le Rock, Mick Rock se dit attiré par les vrais artistes : «I was more interested in, shall we say, performers who were also definitely artists.» Il rappelle des choses élémentaires qui méritent l’attention. À l’époque où il faisait les images qui sont devenues légendaires, personne n’avait de blé, not David and certainly not Lou or Iggy. Et donc Rock non plus. Sa mère le soupçonnait de faire des photos pour éviter de chercher un vrai job.

Il rappelle qu’il fut payé à coups de lance-pierres pour les pochettes de Transformer (100 £) et Raw Power (200 $) - Records labels just wanted cheap photography, that was their attitude - Dans l’interview, Mick Rock nous fout bien l’eau à la bouche en confiant qu’il dispose d’images inédites de Bowie (Over 5.000 images of Bowie as Ziggy Stardust alone, let alone the other images I took of him. And there’s the video footage and music videos I made for him) Et il ajoute : «I actually have him in 73 different outfits. I think some of them have never been printed.» Ça va loin cette histoire. Pour lui, Bowie avait a very decent look. I’ll tell you that. I don’t think Lou and Iggy were quite so up to scratch psychologically, I think they were more the wounded warriors from the American thing. (Selon Rock, Iggy et Lou n’étaient pas aussi solides que Bowie, ils avaient pas mal morflé en Amérique). Ce sont des mecs comme Lou et Iggy qui ont apporté ce que Mick Rock appelle un «edge» à Bowie, ce que Bolan n’a jamais eu. David Bowie was much more interesting. Iggy and Lou gave an edge to David in terms of media image. Il rappelle encore que Bowie avait de l’ambition, alors que Lou et Iggy étaient livrés à eux-mêmes et n’avaient aucun succès commercial. Personne n’attendait plus rien d’Iggy et encore moins de Lou Reed dont le premier album solo avait floppé. Son label allait même le virer. Il faut tout de même se souvenir que les labels n’avaient aucune pitié pour ceux qui ne rapportaient rien.

Quand il aborde le chapitre du glam dans son film, c’est une pluie d’images qui s’abat : Thin Lizzy, Marianne Faithfull, Peter Gabriel, Patti Labelle, il a tout photographié ! Queen aussi - Mercury, he looks like he’s in bloody heaven - Mick Rock se veut simple - I just want the pictures, I don’t care about the whys - et pouf, il cite Stanislavski, le thérorien de l’actor’s studio.

Mick Rock commence à voyager : Bowie l’invite à Berlin et Lou Reed à New York. Il refait des photos qui vont devenir d’autres pochettes : Rock’n’Roll Heart, Coney Island Baby, Sally Can’t Dance et cette image spectaculaire où Lou porte un blouson en plastique transparent. Et Lou Reed lui dit : «There’s 50.000 junkies in New York. They deserve a song.» Et qu’entend-on ? «Heroin», bien sûr.

Arrive l’écriteau punk. Mick Rock fait la pochette d’End Of The Century des Ramones, mais il préfère le glam - The punks, they are ugly - Il fait aussi Joan Jett, Blondie, les Dead Boys et Motley Crue - You couldn’t take a bad picture.

Mais sa plus grand passion, c’est la coke - I was so in love with cocaine. I was also in yoga. Just a fucking bang in the brain - Arrive ce qui arrive : trois crises cardiaques in his early forties, il doit la vie à Allen Klein et Andrew Loog Oldham qui ont financé les soins à l’hosto. Et c’est là où le film devient pénible : Rock met en scène sa mort et son passage sur le billard. Il transforme même sa grande table lumineuse, l’outil de travail par excellence, en billard.

Signé : Cazengler, Mick Roquefort

Barnaby Clay. Shot. The Psycho-spiritual Mantra of Rock. DVD Vice Media 2017

Walk On The Wild Side by Ian Chaddock. Vive le Rock #47

 

Le calvaire de Robert Calvert

 

Décidément, Luke Haines ne s’intéresse qu’aux beautiful losers de l’underground britannique. Après les Pink Fairies, Steve Peregrine Took, voici Robert Calvert, l’excentrique de service.

Pour que les profanes s’y retrouvent, Luke Haines rattache Calvert à Hawkwind et indique que l’histoire d’Hawkwind se découpe en quatre tranches : un, le busker-stoner des débuts, deux, la période space-rock classique de United Artist - incorporating the twin towers of Lemmy as speed-freak-biker-talisman, and Stacia as topless-acid-dancing-Dolly-Dorris-petrol-pump-attendant-gone-rogue - trois la période led by Captains Dave Brock and Robert Calvert, quatre, celle qui part de l’album Levitation (1980) jusqu’à aujourd’hui : trance, dungeons and dragons, bad heavy metal. C’est un peu le même problème qu’avec l’interminable discographie de John Lee Hooker : il faut découper en tranches, si on veut s’y retrouver.

Selon Luke Haines, c’est la période Robert Calvert qui vaut le détour.

À l’origine des temps, Bob Calvert et Nik Turner étaient des marginaux de Margate, une station balnéaire située dans le Kent. Nik et Bob vendaient des chapeaux sur le front de mer. Et puis un jour, ils roulèrent leurs duvets, grimpèrent dans un van et foncèrent jusqu’à Londres.

Ce dingue de Bob ne voulait pas être rock star : il voulait piloter un avion de chasse. Mais au lieu d’intégrer la Royal Air Force, il intégra the West London’s freak scene - a naturel poet and agitator - En 1970, il allait devenir l’un des resident space poets d’Hawkwind et devenir célèbre en écrivant les paroles de «Silver Machine». Il allait travailler avec Barney Bubbles sur le concept de pochette multidimensionnelle d’In Search Of Space et faire ses débuts de Space Poet dans Space Ritual. L’encart publicitaire de l’époque indiquait : «Ninety Minutes of Brain Damage.»

Bob Calvert grenouilla donc dans le milieu de la presse underground et se lia avec des gens qui écrivaient ou dessinaient pour International Times, OZ et Frendz. Il écrivit des poèmes et des fictions pour Frendz, se voyant comme un «guérillero anti-conformiste». À cette époque, l’écrivain Michael Moorcock - un anarchiste naturel - publiait le magazine de science-fiction New Worlds. Il balançait des textes partout, y compris à Frendz, où Bob avait trouvé son terrain d’expression. Ils faisaient tous les deux de la scène. Moorcock jouait du banjo et Bob lisait des poèmes. Bob en arriva à la conclusion suivante : le meilleur moyen de toucher les gens, c’est avec la musique. Grâce à gens-là, Bob Calvert, Barney Bubbles et Michael Moorcock, le phénomène Hawkwind prit de l’ampleur. Nik Turner invita Bob à se joindre au groupe en tant que compositeur, pensant qu’Hawkwind serait pour son copain poète et amateur de science fiction et de philosophie un bon environnement. Bob déclara au journaliste Martin Hayman de Sounds : «Je suis plus un lecteur de poèmes qu’un chanteur. J’utilise les mots non comme des concepts mais comme des objets concrets.»

Barney et Bob conçurent donc le livret paru avec l’album X In Search Of Space. Ils y racontaient un voyage bi-dimensionnel à bord d’un vaisseau spatial, sous forme de journal de bord du capitaine. Le vaisseau visitait la terre en 1985 et découvrait une planète en ruine, couverte de béton et d’acier. L’idée était de Bob. Il écrivait les textes et Barney les illustrait. Nik Turner déclara : «Ils ont montré la voie au groupe.» Sur scène, Hawkwind avait nettement plus d’allure que le Pink Floyd : dans Hawkwind, il y avait une danseuse et un batteur nus, un saxophoniste lunatique qui portait toutes sortes de déguisements excentriques, l’incontrôlable Bob Calvert et l’écrivain à la mode Michael Moorcock. Avec Lemmy, ils avaient en plus l’incarnation parfaite du rock’n’roll et des lignes de basse ravageuses. Ils avaient en prime deux savants fous qui tripotaient des générateurs audio. «Stacia, Nik et Lemmy étaient les personnage clés de ce show, ainsi que Calvert quand il était là.» On l’a oublié, mais en son temps, Hawkwind fut certainement le groupe le plus spectaculaire d’Angleterre. Dans la naissance du mythe, Bob joua un rôle considérable.

Il joua son rôle d’excentrique à merveille. Dans le fantastique ouvrage de Carole Clerk, les témoignages de son excentricité pullulent. Lemmy : «Bob Calvert portait un petit bracelet et des boucles d’oreilles. Il tentait désespérément de passer pour un anarchiste, mais il n’était qu’un branleur de citadin - ‘Putain, comme c’est cooool, vraiment très cooool... ciao !’ Il était complètement bidon. Il allait bien, et tout à coup il allait mal. Il avalait des valiums, parlait à toute vitesse et il faisait de l’hyperventilation. Il a eu l’idée de monter sur scène avec une machine à écrire attachée en bandoulière autour du cou. Il tapait des textes et les lançait dans le public. Il avait du talent mais pas autant que le croyaient les gens. J’ai enregistré l’album Captain Lockheed And the Starfighters avec lui et il ne savait vraiment pas ce qu’il faisait.»

Le Space Ritual était l’idée de Bob. En novembre 1971, il déclarait au Melody Maker : «Le point de départ, c’est une équipe de cosmonautes dans le coma, et l’opéra est la représentation des rêves qu’ils font alors qu’ils filent vers le fond du cosmos. C’est une interprétation mythologique de l’actualité. Ce n’est pas la prédiction de ce qui va se produire. C’est la mythologie de l’espace, au sens où les voyages intersidéraux et les vaisseaux spatiaux sont à l’image des voyages de l’antiquité.» Bob préférait parler de ‘fiction spéculative’ plutôt que de ‘science-fiction’. Il poursuivait : «Au démarrage, Hawkwind avait déjà un son spatial. Mais maintenant, les choses ont vraiment pris forme, même si beaucoup d’entre-elles sont encore plus suggérées qu’explicites. Peut-être que c’est dû au côté hypnotique, avec les sons électroniques et les stroboscopes.»

Mais Lemmy n’avait aucune patience avec ce genre de lascar : «À Wembley, Bob Calvert s’est pointé déguisé. Il portait une longue cape décorée de lunes et d’étoiles, et un chapeau de sorcière. Il avait une trompette et une épée. Dans le troisième morceau, après deux couplets, il est venu me donner des coups d’épée. Je lui ai mis mon poing dans la gueule. Il fallait avoir de la patience avec ce genre de clampin. Frapper un mec quand tu joues de la basse, ce n’est pas facile. J’aurais pu le dégommer d’un coup de basse, mais j’avais peur de la péter.»

Bob retourna se faire soigner dans un service de psychiatrie. Il faisait des crises. Michael Moorcock le remplaça sur scène. La pauvre Bob allait rester à l’écart du groupe pendant un certain temps, puis il allait revenir. Tiens, par exemple avec «Urban Guerilla», le plus grand bide de l’histoire d’Hawkwind, co-écrit avec Dave Brock. Les paroles disaient : «Je suis un guérillero urbain. Je fabrique des bombes dans ma cave.» Censuré. Lemmy était furieux : «On a fait une fois un concert de soutien pour les Stoke Newington 8. ‘Urban Guerilla’ était une sorte de livre des recettes de l’anarchie : comment fabriquer une bombe dans ta cave. Voilà ce qu’était ‘Urban Guerilla’. Voilà le délire de Calvert. Qu’il aille au diable !» L’épisode est franchement hilarant : «Robert Calvert s’habillait comme un guérillero urbain. Il portait des tenues de combattant. Il admirait des gens comme Lawrence d’Arabie. Il adorait les tenues militaires. Lors d’une dépression, il s’est habillé en soldat, il a marché 40 km puis il est entré dans un service de psychiatrie. Tout ça donne une sortie d’imagerie bizarre.» Et puis est arrivé ce qui devait arriver : «La brigade anti-terroriste a fouillé mon appartement. Il ont démoli le parquet à la recherche de bombes et d’armes.»

Bob multipliait les extravagances : déguisé entièrement en pilote de chasse de la Première Guerre Mondiale, avec ses culottes de cheval, ses bottes de cavalier, son foulard et son casque en cuir, il ressemblait à un mélange de Biggles et de Lawrence d’Arabie, mais avec un côté sado-maso.

En 1974, Bob enregistre Captain Lookheed & The Starfighters avec ses amis Viv Stanshall et Jim Capaldi. Il conçoit cet album comme un opéra bouffe : après la guerre, le gouvernement allemand achète des chasseurs Lockheed aux Américains. Le problème est que ces avions s’écrasent. C’est une histoire vraie et Bob délire bien avec. 159 Starfighters s’écrasent au sol et 106 pilotes y laissent la vie, voilà ce que dit le TV News reporter à un moment donné. C’est sur cet album devenu mythique qu’on trouve «The Right Stuff», l’un des grands classiques du rock moderne, repris par Monster Magnet - I don’t feel fear or panic/ And nothing brings me down - Pur génie de l’extension du domaine de la lutte binaire, ce riff insistant te hantera la cervelle jusqu’à la fin des temps - I’m the right stuff/ Baby the right stuff/ Just watch my trail - Robert n’en finit plus de créer sa légende - I never fail/ Just catch my trail - Dave Brock et Lemmy jouent aussi sur ce fabuleux album. C’est d’ailleurs la présence de Lemmy qui le rend mythique. On entend Dave Brock partir en solo dans «The Widowmaker», surnom donné aux avions par les pilotes allemands - le faiseur de veuves. Nik Turner souffle dans le désert et on entend voler des spoutnicks sauvages à la Dikmik. On a un autre fantastique heavy rock en A, «The Aerospace Inferno». Paul Rudolph et Lemmy pourvoient aux nécessités - Not even your ashes will be found/ What a good way to go - Et en B, ils repartent de plus belle en rock action avec «Ejection», toujours bien binaire, même riff que «The Right Stuff», pilonné par Simon King et harcelé par le sax cabossé de Nik Turner. Quel son ! Paul Rudolph passe un solo d’exacerbation latérale de Ladbroke Grove. Pas étonnant que ce disque soit entré dans la légende. Nik Turner déclara par la suite : «J’ai composé ‘The Widowmaker’ avec Bob. J’ai aussi composé ‘The Right Stuff’ avec Bob, mais sur le disque c’est juste marqué Bob Calvert. Ce genre de truc ne me monte pas au cerveau. De toute façon, les preuves sont dans Came Home, un disque pirate. Tu entendras ces riffs qui datent des débuts d’Hawkwind et ces morceaux ne sont jamais parus dans le commerce.»

L’année suivante, Bob récidive avec Lucky Leif And The Longships. On ne retrouve que Nik et Paul Rudolph sur cet album un peu raté. Cette fois, Bob s’intéresse à l’histoire de Leif, fils d’Eirik the Red, qui découvrit le continent américain cinq siècles avant Christophe Colomb. On ne sauve que deux cuts sur Lucky Leif : «Ship Of Fools» bien riffé par Paul Rudolph et «The Lay Of The Surfers» qui sonne comme un pastiche des Beach Boys, avec du pillaging towns et du Valhalla bound plein les rimes - We’re gonna ride you to your watery graves - Quoi qu’il fasse, Bob reste un poète. Et puis après, ça dégénère. «Voyaging To Vinland» est un remake d’«Hissez Haut Santiano», et «Brave New World» tourne à la farce - It’s A mericle (sic) - Le «Magical Potion» fait illusion, car Paul Rudolph le prend au Diddley beat ralenti et Michael Moorcock joue du banjo sur «Moonshine In The Mountains». Bob va même faire l’indien dans «Storm Chant Of The Skrealings». Il entre bien dans son délire. Dommage qu’on ne soit pas tenté de le suivre.

En 1976, Bob rejoint Hawkwind et co-écrit avec Dave Brock deux albums, Quark Strangeness And Charm et le 25 Years On des Hawklords. Il chante aussi sur Astounding Sounds, Amazing Music et P.X.R.5.

Bob déclara au Melody Maker qu’avec l’album Astounding Sounds, Amazing Music, ils visaient «au croisement d’une démarche intellectuelle avec la bande dessinée.» L’album vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernal «Reefer Madness» d’ouverture du bal. Comme toujours, Bob se trouve mêlé au meilleur d’Hawk, ça part en heavy rffing. On ne se lasse pas de cette solidité, on y retrouve le beat du stomp anglais et un goût certain pour l’hypno. C’est même jazzé au sax. Effarant ! Bob chante «Steppenwolf» avec de faux accents à la Bryan Ferry. C’est son côté gothique décadent qui remonte à la surface. Et puis, il faut bien dire qu’il adore tout ce qui chevauche le gros beat. Bob reste le meilleur maître de cérémonie qu’on ait pu voir dans Hawkwind. On retrouve de la belle hypno en B dans «The Aubergine That Ate Rangoon», visité au sax galactique. Ces mecs travaillaient une vision du son intéressante. Encore du so solid stuff avec «Kerb Crawler». Dave y bat bien le nave.

Dans le NME, Monty Smith s’enthousiasmait de «l’humour psychotique» de Bob et il résumait Quark Strangeness And Charm ainsi : «C’est plein de riffs monstrueux et de bourdonnements de synthé, et Dave Brock part en vrille sur des solos (plutôt que de rester perpétuellement en rythmique). Simon House joue des solos de violon hypnotiques. Mais c’est Robert Calvert qui se tape la part du lion. Il est parfait. Hawkwind a annoncé la couleur : ils sont de retour. Aucun doute là-dessus. C’est un album très drôle.» Eh oui, Monty a raison, Bob se comporte en franc-tireur, il surgit dans des cuts éclairs porteurs de germes comme «Spirit Of The Edge». Adrian Shaw, Simon King et Dave contribuent au festin sonique. Bob chante ça d’une voix de mec déterminé, dans une étonnante ambiance de space-rock inspiré. On se régale des belles basslines d’Adrian Shaw. Fantastique bassman que ce Shaw-là ! Il faut ajouter que Dave a fait le ménage dans le groupe : Nik Turner, Alan Powell et Paul Rudolph ont tous été virés. Avec «Damnation Alley», Bob ramène son Hawk de combat et Adrian Shaw joue comme un beau diable. Voilà encore du boogie-rock de qualité supérieure, joué à l’intrinsèque de la pastèque, à l’incidence de la diligence. Il semble bien que ce soit Shaw qui fasse le show. On tombe en B sur un morceau titre quasiment velvétique. Bob a la glotte qu’il faut pour ça. Et derrière on entend le même ramdam que dans «Waiting For The Man» - We got sick of chat chat chatter - Quelle fabuleuse santé !

L’année où parut Quark Strangeness And Charm, le punk sonnait les cloches de Londres. Les Damned devinrent potes avec Nik Turner et Bob. Rat Scabies raconte qu’il rencontra Bob pour la première fois au Dingwalls : «Il portait des culottes de cheval et des bottes. Il est venu vers moi et a dit : ‘Salut, je suis Bob Calvert d’Hawkwind’. Je lui ai répondu : ‘Je ne veux pas te causer parce que vous avez viré Lemmy, bande de bâtards.’ Il a dit qu’il n’y était pour rien et ça avait l’air vrai. C’était un vrai gentleman.» Rat et lui devinrent amis au point qu’ils montèrent un spectacle ensemble.

Après la fin momentanée d’Hawkwind, Bob monte les Hawklords avec son pote Dave. Facile, ils habitent tous les deux dans le même coin du Devon. Paru en 1978, l’album s’appelle 25 Years On. Quel album ! Ne serait-ce que pour le «25 Years» qui boucle l’A, un cut qui sonne comme du Roxy frénétique. Dave y apporte une infatigable assise rythmique et ça vire hypno à la Can, dans une superbe fuite en avant. C’est là qu’on reconnaît ses pairs. Quelle excellence ! «PSI Power» sonne judicieusement pop. Bob cherche le hit, ça se sent, il donne un certain élan à sa pop dans une ambiance bon enfant. Bob et Dave ne se cassent plus la tête à vouloir voyager dans l’espace, un petit coup de pop à synthé, ça ira bien comme ça. Ils reviennent toutefois au solide romp de rock avec «Free Fall». Derrière le rideau de velours, Dave riffe salement. Ces deux-là savent condenser le rock atmosphérique. Ici, tout est joliment enveloppé de mélodie satinée. C’est à la fois délicat et pacifiant. En B, avec «Flying Doctor», on retrouve le puissant riffing de Dave mélangé à de petits effets synthétiques du meilleur effet. Dave et Bob auraient pu pulvériser les charts anglais. Ils ne proposaient alors que des hits superbes. Nous n’en finirons plus de gloser sur la puissance brokienne. S’ensuit «The Only Ones», une jolie pièce de pop synthétique visitée par la grâce, très ondoyante et chargée d’harmonies vocales, digne des Mamas & the Papas. Cet album est une splendeur. Dave et Bob n’y proposent que des régalades.

Mais dans Hawkwind, Bob commençait à poser de sérieux problèmes. Ses collègues savaient que lorsqu’il débordait d’idées, qu’il bouillonnait d’énergie et qu’il sautait d’un projet à l’autre, il devenait incontrôlable. Hawkwind partit en tournée sur le continent et Bob devint justement incontrôlable. Ce qui nous vaut l’une des anecdotes les plus drôles de la saga d’Hawkwind.

Ils arrivèrent sur scène à Paris, au Palais des Sports. Dave Brock : «Bob était surexcité, mais sur scène il était vraiment bon. Ce soir-là, il a attrapé les cheveux d’Adrian Shaw et lui a mis son épée sur la gorge. On croyait qu’il allait le décapiter. Il a jeté l’épée avec une telle violence qu’elle s’est fichée dans le plancher. Le public a adoré ça ! On a eu trois rappels. On a fait un carton, ce soir-là.» Mais l’embellie n’allait pas durer. Dave poursuit : «On répondait à des interviews dans la loge. Il y avait des journalistes du Monde. Le road manager Jeff Dexter dit à Bob : ‘Réponds aux questions de ce critique d’art, s’il te plaît.’ Le journaliste a posé une question et Bob a dit : ‘Ce mec parle comme un pédé !’ Et il lui a lancé son gant à la figure. ‘Je te défie en duel !’ Choqué, le journaliste a quitté la loge aussitôt. Bob a ensuite déclaré, sur un ton très viril : ‘Je ne veux pas de pédés dans ma loge !’ On est rentrés tous les trois à l’hôtel à pieds, Jeff Dexter, Bob et moi. Bob essayé d’étrangler Jeff dans la rue. Il était devenu fou. Cette-nuit-là, Bob était tellement survolté qu’il n’arrivait pas à dormir.» Et Dave continue : «Sur scène on utilisait un faux flingue pour une réplique. Le chargeur était vide. Bob s’amusait avec. Il jouait à la roulette russe et quand il appuyait sur la gâchette, ça faisait ‘click’. Je gardais ce flingue dans ma valise et Bob était au bar, entouré de ses admirateurs. Jeff s’arrangeait pour qu’il reste au bar. Il buvait toute la nuit et à un moment, un policier en civil est arrivé. Bob était certainement en train de parler de guérilla urbaine et à un moment il a dû dire à voix haute que j’avais une arme dans ma chambre. Le gang Baader Meinhof étaient en cavale à l’époque, et on supposait qu’il se planquait à Paris. Le flic a fait venir des renforts et vers six heures du matin, on a frappé à ma porte. J’ai ouvert et tous ces flics me sont tombés dessus. Je me suis retrouvé en calbut contre le mur avec les bras en l’air. Ils disaient : ‘On sait qui vous êtes. Vous êtes un terroriste.’ Ils ont fouillé mon sac et ont trouvé le calibre. On était vraiment à bout de nerfs. Jeff Dexter a dit qu’il allait ramener Bob à Londres pour le coller dans un hôpital. Il conseillait d’annuler le reste de la tournée.»

Les concerts prévus aux Pays-Bas furent aussitôt annulés. Adrian Shaw raconte la fin de cette histoire : «Dave nous a réunis pour nous dire qu’il en avait marre de tout ce cirque. Il voulait rentrer chez lui. On était tous d’accord. On avait prévu de se retrouver à l’accueil un quart d’heure plus tard, de sauter dans la bagnole et de se tirer sans Bob. On était là à l’accueil avec nos sacs, on attendait quelqu’un, je ne sais plus qui, et soudain Bob s’est pointé. Il nous a demandé ce qui se passait. On lui a dit qu’on avait décidé de partir. Il a dit qu’il allait chercher son sac. Celui qu’on attendait est arrivé, on a sauté dans la bagnole, et on a vu Bob arriver en traînant son sac.»

Dave : «On avait loué une Mercedes. On venait de mettre nos sacs dans le coffre quand Bob s’est pointé. Il était en culotte de cheval avec une ceinture de cowboy. Quelqu’un a dit : ‘Vas-y démarre !’ J’ai roulé quelques mètres jusqu’en bas de la rue et je me suis retrouvé coincé dans un bouchon. Bob était scié : ‘Ils se barrent sans moi !’ Simon a crié : ‘Vite, monte sur le trottoir !’ J’ai réussi à contourner le bouchon. Bob nous coursait.»

Adrian : «On s’est barrés et on l’a laissé en plan. Je ne trouvais pas ça terrible. Aujourd’hui, je trouve que ce qu’on a fait est horrible. Tu n’abandonnes pas un copain qui a des problèmes mentaux dans un pays étranger, parce que ça t’arrange. Jeff Dexter a dit que lorsqu’il a emmené Bob à l’aéroport, il devait le frapper sur le crâne avec un bâton. Mais Bob a saisi Jeff à la gorge et ça a tourné au grabuge.» C’est vrai qu’à cette époque, Dexter était habitué à sentir les mains de Bob autour de son cou. Malgré les événements qui s’étaient déroulés à Paris, le groupe se réunit à Rockfield en janvier 1978 pour enregistrer «Death Trap», «Jack Of Shadows» et «PXR5». Bob qui semblait avoir pardonné le coup de Paris était là. Adrian Shaw : «Il a tout oublié, c’est assez miraculeux. Tout est rentré dans l’ordre. On a enregistré et on est repartis en tournée. Je crois que Robert était toujours considéré comme le chanteur et il nous a pardonné. Il s’est énormément investi dans cet album.»

Encore un bel album de Bob : P.X.R.5. Il s’y niche deux standards hypno : «Death Trap» et «Uncle Sam’s On Mars». Voilà Bob de nouveau embringué dans un coup de rock spectaculaire, avec du Death Trap qui préfigure Devo, et ce n’est pas peu dire. Bob a dix ans d’avance sur les Mongoloïdes. Ils ne sont plus que trois dans le groupe : Bob, Dave et Simon King. Le père Dave se fend d’un bon solo killer. Comme sur tous les albums d’Hawkwind, on trouve le cut de séduction en ouverture de bal. Puis ça a tendance à baisser. Bob redresse le niveau avec «Uncle Sam’s On Mars», c’est du live, hanté par des spoutnicks. Adrian Shaw et Simon King y tiennent bien le beat et ça vire hypno, idéal pour un performer aussi agité que Bob. Il tape aussi une belle version live de «Robot» en B. C’est terrifiant d’efficacité. Bob ramène tout son gothique débridé, ça sonne un peu comme «Death Trap» mais avec du Robot Robot en exergue aboyée à la Devo. Climat à la fois dramatique et passionnant. Ça se passe dans un festival en 1979 et comme ça dure environ quinze minutes, Bob a tout le temps de faire le con avec son épée.

Puis Bob quitte Hawkwind. Fin de l’épisode.

Et voilà qu’en 1981, année de l’élection de François Miterrand, Bob recrée la sensation avec Hype, un solide album de pop-rock baroque passé complètement inaperçu. Dave rendit hommage à Bob qui écrivait alors Hype, un roman qui concernait le showbusiness et qui allait donner son titre à l’album du même nom. Dès l’«Over My Head» d’ouverture du bal, Bob sort de sa manche un glam impressionnant. Oui, ce mec sait écrire des chansons, ce touche-à-tout tient rudement bien la route. Au générique, les seuls noms connus sont ceux de Michael Moorcock et de Nik Turner. «Ambitions» sonne comme un hit pop, mais monté sur l’un de ces stomps dont Bob a le secret. Ça frise un peu la diskö, c’est vrai, mais ça passe car il s’agit de Bob, un citoyen au-dessus de tout soupçon. Très vite, il révèle un penchant pour la pop baroque et maniérée de type Cokney Rebel, avec des cuts comme «It’s The Same» et «Hanging Out In The Seafront». Et comme tout cela est très écrit, on pense bien sûr à Ray Davies. Avec «Sensitive», Bob revient à son cher stomp de pop-rock glammy. Il impose une présence indéniable. Cut solide et bien monté, subtilement glammy. Il cultive un goût pour les classiques du rock, comme on le constate à l’écoute d’«Evil Rock». L’atroce punk Nik Turner souffle dans son sax cabossé et on assiste à un joli coup de riffing sauvage sur le tard. Notre homme sait finir en apothéose. On trouve encore du so solid stuff en B avec «We Like To Be Frightened», pur jus bobbique. Il n’en finira donc plus d’épater la galerie ! Il chante sous le boisseau et mène bien sa barque. On finit par comprendre que Bob est incapable de fourbir un mauvais cut. Il termine cet excellent album avec «Lord Of The Hornets», toujours très Cockney Rebel dans l’esprit, il adore ce son arrogant et saute au paf. Tout le décorum accourt au rendez-vous. Si tu cherches un popster de rêve, c’est lui.

Selon Luke Haines, le vrai chef-d’œuvre de Bob est l’album Freq paru en 1985, un concept-album consacré aux grèves de mineurs. Pour Lucky Luke, Bob n’est ni un fighter pilot, ni un space poet, mais un fighter poet. C’est ça, on lui dira.

Bob casse sa pipe en 1988. Petite crise cardiaque. Il n’a que 43 ans. Mais on ne s’en plaint pas, quand on a eu une vie aussi bien remplie.

Signé : Cazengler, Robert Calva

Captain Lockheed And The Starfighters. United Artist Records 1974

Robert Calvert. Lucky Leif And The Longships. United Artist Records 1975

Hawkwind. Astounding Sounds, Amazing Music. Charisma 1976

Hawkwind. Quark, Strangeness And Charm. Charisma 1977

Hawkords. 25 Years On. Charisma 1978

Hawkwind. P.X.R.5. Charisma 1979

Robert Calvert. Hype. A-Side Records 1981

Luke Haines :This Is Your Captain Speaking - Your captain is cred. Record Collector #466 - May 2017

Carol Clerk. The Saga Of Hawkwind. Omnibus Press 2004

 

 

16 – 12 – 2017 / MONTREUIL

LA COMEDIA MICHELET

BRAIN EATERS / 2SISTERS

BULGARIAN YOGURT

 

Vous me connaissez, un mec tranquille, calme, serein et pacifique, mais là j'ai envie de descendre de la teuf-teuf avec ma batte de base-ball. Sont des centaines autour de moi. Squattent la chaussée leur vulgaire trogne épanouie, les bras surchargés de paquets. Aucune prévenance, occupent même mon parking favori. Ce soir Montreuil me déçoit. Tous ces gens qui passent surchargés de cadeaux et personne qui ne m'en offre un. J'accepterais n'importe quoi, un presque rien, les oeuvres érotiques complètes de Pierre Louÿs par exemple, ou un coffret de 70 pirates de Led Zeppelin, mais non, ils me dédaignent, ne s'aperçoivent même pas que j'existe. J'essaie la halle du marché, transformée en salon de l'automobile, même plus un espace pour garer un vélo sans pédales. La mort dans l'âme, j'emprunte le labyrinthe des petites ruelles. Miracle ! Tous les soixante-dix mètres deux espaces inoccupés. Vous y logeriez un bus à impériale. Mais non, ils sont réservés aux handicapés. N'ai rien contre, mais des gens à mobilité réduite qui se déplacent en bagnole, je trouve cela illogique. En plus, à Montreuil c'est comme ces pays qui ont des puits mais pas de pétrole, eux ils ont des places mais il leur manque les handicapés. L'heure tourne, vient celle de prendre les grandes décisions, tiens deux épis réservés aux blessés de la vie libres à deux pas de la Comédia, un signe bienveillant des dieux de l'Olympe, m'y gare sans état d'âme. Pas question pour un rocker de rater un concert. Une catastrophe pire que le dérèglement climatique. J'écoute la voix de la sagesse. Comme disait Spinoza, quand tu ne peux pas, tu fais quand même.

Fin de la balance. Je n'écoute pas. Je zieute. Pas le mec sur scène qui tient sa copine entre les bras. Sa nénette. Mignonne comme tout. Je veux la même. Du style et un chien fou. L'a souligné son visage d'un trait noir qui lui donne des yeux incandescents. Au bout d'un quart d'heure je m'arrache à ma contemplation et jette un regard au gars qui entoure sa grand-mère de ses bras énamourés. Non, ce n'est pas un gérontophile, je le connais, je le reconnais, c'est Bilar des No Hit Makers avec sa contrebasse new-design, mais que vient-il faire dans cette soirée rock'n'roll punk déjantée, pas le temps de répondre, faut que je fasse gaffe à mon cerveau, je n'en ai qu'un et les mangeurs de cervelles sont sur scène.

BRAIN EATERS

C'est comme dans les films de série B. L'inspecteur Labavure se méfie des indices qui trompent. Exemple : J C, guitare Gretsch et T-shirt logo Sun. Des rockabilly men ? Evitez les conclusions hâtives. Le fin limier jette plutôt un regard suspicieux sur Megadom le batteur, T-Shirt Meteors, certes il y a l'intro, Spunky, musicale, surfin' en diable, serait-on en présence d'un quadrille de punkabilly boys ? Démentent aussitôt avec trois titres : Lobo Loco, Vicky Lou, Brainmobile, du punk du plus orthodoxe. Asséné sans états d'âme. Les tricotent sans fioriture. Serait-on partis pour s'ennuyer ? Non cachent leur jeu. La suite se révèle plus surprenante. Salmigondis déjanté. Vous trouvez tout ce dont vous avez besoin chez eux. Des rognures déjantés de hillbilly descendu des collines, des persillades de garage pétaradant, du beat implacable qui vous poursuit tout le long de la nuit. Nous jouent des morceaux de leur prochain CD comme Cool It Baby, entre parenthèses plutôt chaude brûlante la Baby, et des fantaisies monstrueuses comme Bad Lumberjack et This Thing will Kill Me. Muskrat à la basse et Megadom aux baguettes visent à l'efficacité. JC vous entoure le bébé de barbelés very Heavy et monsieur le Professeur Boudou vous martèle la leçon d'une voix de stentor. Un mauvais exemple pour notre saine jeunesse, quitte la salle de classe, s'en va se promener dans le public avec son micro, revient pour s'allonger de tout son long sur scène dans l'espoir de déchiffrer la set-list, avec tant de difficulté que l'on se demande si notre vénéré professeur sait bien lire. En tout cas, l'obtient des résultats, car le combo file sans erreur. Sur Shake It il nous demande de nous remuer un peu, les filles donnent le mauvais exemple : épandent de la bière par terre et s'amusent à faire des glissades tout le long de la scène. De toutes les façons ils adorent les Bad Girls et la petite Lil Devil Blue. Les Brain Eaters aiment manger ( vos synapses ) épicé. Montent la sauce à la moutarde extra-forte en progression continue. Recette simple : chaque morceau plus subtilement échevelé que le précédent. Nous avons encore mieux en magasin, pas plus cher, mais plus solide et effilé comme un yatagan, vendu avec les traces de sang véritable. Pas sec, vous pouvez lécher et tout le monde s'en vient goûter ce coulis de framboise exceptionnel. Finissent sur Woodoo Bayou et un petit Ramones pour vous ramoner les consciences. Z'auraient pu continuer, deux ou trois heures, mais non faut en laisser pour les autres.

2SISTERS

Grosse déception. M'attendais à deux super-meufs, mais non ce sont quatre gars... Homme libre disait Baudelaire, toujours tu chériras la mer. Mais les rockers ont une nette préférence pour les guitares. Et les quatre malandrins de 2Sisters, se cachent derrière la leur. Des éclaboussures à la Stooges, mais infinies, derrière ça pulse de tous les diables, un tambourinaire qui n'en finit pas de propulser le train, un bassiste qui a dépassé le coma épileptique, tétanisé sur ses cordes, une espèce de robot surintelligent programmé jusqu'à ce que mort s'en suive, et une guitare qui rugit comme le vieil océan de Maldoror. Stridences électriques qui s'emparent de mon âme comme pieuvre vorace «  O poulpe au regard de soie ! Toi dont l'âme est inséparable de la mienne; toi, le plus beau des habitants du globe terrestre, et qui commandes à un sérail de quatre cents ventouses; toi, en qui siègent noblement, comme dans leur résidence naturelle, par un commun accord, d'un lien indestructible, la douce vertu communicative et les grâces divines, pourquoi n'es-tu pas avec moi, ton ventre de mercure contre ma poitrine d'aluminium, assis tous les deux sur quelque rocher du rivage, pour contempler ce spectacle que j'adore » j'en suis tout émotionné, tellement commotionné, que les stances des chants maudits du Comte de Lautréamont s'en viennent à mes lèvres. Z'ont aussi un chanteur. Collé à son micro. N'en bougera pas de tout le set. Seul, immobile, inquiétant. Les autres enfantent la tempête, et lui murmure des imprécations inaudibles, il susurre doucement des mantras empoisonnés. Ils sont le dard. Il est le venin. N'assure pas le chant. Distille une présence. Une espèce d'ombre menaçante, une réserve de tourmente, le moyeu immobile de la tornade rock'n'roll. Et les autres se déchaînent, même pas le temps de finir un morceau que le riff du suivant emporte déjà la houle de la guitare. Rodeo, Booze, Down, Creeping, U & Me, What Have you Done, les morceaux se suivent et se ressemblent comme l'ouragan imite l'hurricane. Une morsure à double moteur avec les dents cariées de Mötorhead et des gencives sanguinolentes soignées au détergent MC 5. Vous avez l'impression que ce sont vos oreilles qui émettent cette ambroisie sonore destructrice. La force est en vous, et vous êtes le mal qui prolifère. Un miracle vers la fin du set, le batteur stoppe ses coups de roulis, le chant se tait, la guitare ne joue plus, cinq secondes, l'instant irrémédiable du temps qui suspend son vol, mais non, le bassiste en profite, sa basse raquelle comme un chien à qui vous arrachez les tripes tout vivant, les cordes poussent un cri de souffrance, un nid de serpents sur lequel vous marchez par mégarde, et le déluge sonore se rue sur vous et retombe en pluie diluvienne sur les épaules des filles qui dansent devant la scène. Plouf ! la lumière revient. Etrange impression, comme dans les films d'épouvante, que tout le monde doute encore que les zombies soient rentrés au cimetière. C'est que le rock'n'roll comme le Père Noël ne passe pas tous les jours.

BULGARIAN YOGURT

L'on aura tout eu ce soir, après la tribu des bouffeurs de cervelles tout crues, le couvent des bonnes soeurs électriques, voici la marée humaine des hordes bulgares, ces grands mangeurs de yaourts périmés devant l'Eternel, s'emparent de la scène. L'en sort de partout. S'entassent à six sur la scène. Sept si l'on compte la dame Jeanne de Larby peinturlurée comme un poney de guerre hunique, Jansh armé de son carquois à baguettes, deux guitaristes, deux leads qui passeront leur temps à se mitrailler de riffs aigus. Z'ont amené une femelle, au cas où, bardée d'un saxophone trois fois plus haut qu'elle, plus le grand chef. Parade devant ses troupes, son chef chauve ornée d'une banane de rocker triangulaire comme un foc de brick pirate, pointu comme les récifs d'Ouessant. S'agenouille en un étrange rituel devant ses troupes, l'on ne sait pas trop ce qu'il stratège, nous montre son cul, la tête enfouie dans la grosse caisse. Se retourne brusquement vers nous, s'est transformé en homme-totem, arbore une fine cravate blanche de dandy, et s'est recouvert le visage d'une cagoule de velours léopard. L'arrachera le tout très bientôt, finira torse nu, joue avec son pied de micro avec la sveltesse des filles du Crazy Horse autour de leurs rampes.

Derrière c'est la cavalerie, qui charge. Mille sabots de feu, Riding My Horse, qui vous saccadent un punk-rock destruozidal. La pagaille complète. La gaffette Yamette ne sait plus à quel sax se vouer, les échange tour à tour, un gros, un petit et puis un petit et un gros. Une préférence pour le gros. L'en tire des bruits de sirène, celles du Titanic – The Way I Wana Die - pour avertir les passagers que l'iceberg vient de perforer la coque. Bilar est déjà dans le canot de sauvetage, souque ferme sur sa basse, ce n'est plus de l'amour, c'est de la rage, peuvent tous couler, lui il sauvera sa fusain de dulcinée. L'est suivi de près par Jansh qui s'enfuit à toute vitesse, sur le radeau de fortune de sa batterie, il rame sur la crête des vagues avec ses baguettes. Les guitaristes ne sont pas d'accord, ont chacun attrapé un bout de cordage et tirent de toutes leurs forces en sens opposés. Normalement le rafiot devrait être au fond de l'eau depuis une demi-heure, surprise générale il flotte comme un bouchon de liège, Sam nous invective du haut de son mégaphone, et tout le monde s'embarque avec lui dans cette galère. Misery, On My Grave, sûr que la situation est grave, mais en contre-partie l'on s'amuse comme des petits fous, personne n'échangerait sa place contre un hectare de terre ferme du paradis, l'on frise la Paranoïa, l'on est à 15 Miles From Hell, mais l'on a jamais été aussi bien de notre vie. Une pétaudière, une chaudière. Ça tangue, ça valse, ça cravache, ça gigote, ça pogote, dans tous les sens. Abordage et sabordage, le punk n'a pas d'âge. Un enfant se hisse tout en haut de la barre métallique qui soutient le plafond, à voir les faces qui sourient aux anges et s'égosillent aux démons doit y avoir un fond de speed et de LSD dans la recette du Bulgarian Yogurt. Les nerfs en vrille sur la nef des fous. Jusqu'où serions-nous allés si l'heure préfectorale n'en avait décidé autrement ? Les Bulgarian sont trempes de sueur, sont salués par une monstrueuse ovation, sortent de scène en emportant leur triomphe et nous abandonnant à nos regrets insatiables.

Ce soir, à Montreuil, rue Michelet, nous avons eu droit à l'inhumaine comédie du rock'n'roll !

Damie Chad.

MONDE HOSTILE

BAPTISTE GROAZIL

FEATURING

POGO CAR CRASH CONTROL !

 

Monde cruel. L'avaient promis pour les saturnales de décembre. Je le voyais déjà sous le sapin en flammes avec le petit Jésus découpé en morceaux pour le barbecue. A en pourlécher les babines de ma voisine de table. La terrible nouvelle vient de tomber faudra attendre jusqu'au 23 mars 2018. Un scandale. Un cas typique de maltraitance du public rock. Et le gouvernement qui ne pipe mot devant cette catastrophe nationale. Démission ! Démission ! Démission ! Révolution !

Toutefois, un peu de bon dans notre malheur. Même beaucoup. Non pas un os dénudé jusqu'à la moelle absente. Un gros cuisseau tout dégoulinant de sang et de graisse de tyranosaurux rex. Un méchant pas tout à fait mort qui mord encore. Certes ce n'est qu'un gigot alors que l'on attendait le monstre entier, mais c'est du bio-sauvage engraissé au déchet atomique de centrale nucléaire non recyclé. Idéal pour mettre les rockers en appétit.

Je vous refile l'adresse où le chien – you wana be my dog ! - l'a enterré au fond du jardin, F.B. Pogo Car Crash Control. Pour ceux qui ont des instincts de petits propriétaires, c'est pour une misère sur toutes les plate-formes de chargement – perso je préfère le tas kropotkinien du prélèvement libre, c'est pour cela que KR'TNT ! est accessible sans droit de douane – bien sûr il y a un coupable pour cette chose immonde. S'appelle Baptiste Groazil. L'avait déjà sévi sur la pochette du premier EP que voici :

 

L'a évidemment sévices sur celle du premier et prochain album, la voilà :

 

Un véritable chARTcutier, un maître-saigneur, responsable des clips officiels du groupe. Et le Groazil quand il pousse son groin de grésil dans les images, ça grésille de partout. Méthode sanglier qui vous dévaste dix-sept hectares de pelouse – celle que vous venez de tondre - en une nuit. Me fais l'avocat du diable. La torrentielle noise-music des P3C, ce n'est pas non plus le long fleuve tranquille des vies monotones. L'artiste se doit d'indexer sa représentation sur l'objet de ses délires. Sinon vous tombez dans la gratuité dadaïste des plus attendues parce que des moins contextualisées. Toute la différence entre le factice moderniste et le poïen grec.

 

Bref vous en prenez plein les mirettes. Groazil l'est plutôt un as du démontage que du montage. Pas de pitié pour les presbytes et les myopes, vous crève les yeux à coups d'éclats. Un sagouin de l'image. Pour vous donner un équivalent pictural, c'est l'état des mains du bambin qui sort de maternelle après avoir fait activité peinture. Vous ratiboise la rétine en six secondes. Vous découpe les pupilles à la machette. N'y est pour rien. C'est le monde des Pogo qui est hostile. Le nôtre aussi du même coup. Mais il y a des maso, attardez-vous ( façon de parler ) sur la mine radieuse des fans, y a aussi les atterrés, la triste gueule d'adolescents boudeurs des Pogos, le tout et son contraire, le rien et sa plénitude, c'est un jeu, Groazil mélange les cartes, les carrés d'as et les valets de ferme ( ta gueule ). Pour ceux qui ne comprennent pas dans quel wagon ils ont mis les pieds, il écrit les titres en gros. C'est un peu comme la salade composée de la cantine universelle, vous triez les feuilles et vous avalez les lombrics. C'est avec les vers que l'on fait les poèmes. Juteux à souhait. Remplis de vitamines. Energétique.

Damie Chad.

P. S. : En passant par le F.B. Baptiste Groazil vous tombez sur son tomblelog, les bras vous en tombent. De cimetière.

 

KID ORY

( Classic Jazz Archive )

 

La pire des trahisons. Par moi-même. Toujours dans ma recherche des incertaines et mythiques origines du rock'n'roll, fouinais dans un bac à soldes de disques de jazz – je sais ce n'est pas bien – mais entre le jazz et le blues la frontière n'est pas loin... La photo de la pochette m'attire, ensemble très New Orleans de la toute première heure, je zieute le nom, Kid Ory, je reste de marbre, un clin d'oeil sur les dates, 1886 – 1923, diable ! Un mec qui a eu la chance d'enregistrer et de mourir en 1923, vous ne trouverez jamais mieux plus proche du blues, pour mémoire je vous rappelle que le premier enregistrement officiel de blues date de 1920 ( Crazy Blues par Mamie Smith ), je prends sans regarder le prix. Ne soyons pas hypocrite, 1, 50 euros pour deux CD's ! Arrivé à la maison, à la lumière je m'aperçois que mes yeux ont mal interprété, à leur décharge faut reconnaître que le chiffre litigieux bénéficie d'une graphie abstracto-moderniste, ce Kid Ory est un gars qui n'a vraiment pas eu de chance dans sa vie, l'a survécu jusqu'en 1973 ! Soyons bon prince, pardonnons-lui cette obstination vitale, et écoutons de nos deux oreilles.

Les deux CD's ne couvrent que la toute première partie de la vie de Kid Ory. Souvent, mais pas toujours, les premiers enregistrements des musiciens sont les meilleurs. Ce phénomène est très patent pour de nombreux groupes rock. Exprimer, jeter tout ce que l'on a dans le ventre tel sa gourme entre les cuisses des premières rencontres ne signifie pas que l'on soit un véritable créateur doué de capacités de maturations ou de renouvellement. Sans parler des maisons de disques qui vous poussent à rechercher une audience grand public... Mais pour la génération des premiers jazzmen une autre problématique s'est imposée. Brutalement. La crise de 1929. Qui les a renvoyés au chômage. Au début des années trente, c'est la débandade, tous ceux qui parvenaient à vivre de leur musique sont obligés de chercher un boulot d'appoint, et bientôt à temps plein. Les exemples ne manquent pas, nous avons déjà évoqué le cas de Sidney Bechet ouvrant un garage et puis une laverie. Pour Kid Ory ce sera un élevage de poulets... Dans les années quarante s'amorcera un revival jazz New Orleans et certains sauront profiter de ce regain d'intérêt pour leur musique. Kid Ory sera de ceux-là. Se permettra même de refuser de rejoindre la formation de Louis Armstrong, gagnant par ses propres moyens beaucoup plus que le deal proposé par le grand Satchmo. Une fin de vie heureuse pour Kid Ory, reconnu de toute la profession et à qui le public manifestera sa fidélité jusqu'à la fin.

Mais nous n'en sommes pas là. Tout gamin, poussé à La Place, cité voisine de la Nouvelle Orleans, Kid Ory s'entiche du cornetiste Jimmy Bolden. L'influence de celui-ci sur la naissance du jazz s'avèrera déterminante. Ayant abandonné le banjo pour le cornet il aidera à dégager la nouvelle musique en gestation des courses échevelées du ragtime. Ne s'agit plus de jouer vite, mais d'exploser la virtualité de son instrument. La virtuosité exige un autre espace sonore. Bolden sera celui qui transcende la section rythmique des cuivres. Plus question qu'elle se contente de soutenir, d'appuyer, de souligner la lead-section des cordes. Bolden se permet de tirer des soli de son cornet. Cornets et trompettes s'engouffrent dans la brèche qu'il a ouverte. Les cuivres s'emparent de la lead-section de l'orchestre.

Kid Ory qui s'est mis au trombone à l'instigation de Buddy Bolden emprunte cette voie royale. A la New Orleans il ne joue pas avec des moins que rien, son chemin croise souvent ceux de Joe King – c'est Ory qui lui décerne ce titre honorifique – Oliver et de Louis Armstrong. Les jazzmen sont heureux comme des coqs en pâte dans le quartier chaud de Storyville, filles, alcools, produits, musique, difficile de rêver meilleur environnement. Mais en 1917 la municipalité est prise d'une crise de puritanisme aigu. Peu à peu les musiciens émigrent vers Chicago... Certains s'arrêtent à Kansas City, Kid Ory fait un détour par Los Angeles.

 

MUSKRAT RAMBLE

 

Ory's creole trombone : ( Los Angeles, Juin 1922 ) : surprenant, zig-zags de trombone, nous sommes encore bien près du ragtime et des bizduits qui vous attrapent l'oreille. Une musique qui évoque l'accompagnement des premiers dessins animés de Walt Disney mais vous avez de ces tutti orchestraux qui de temps en temps s'incrustent dans vos palourdes pour ne plus en ressortir. Prometteur. Le jazz entre dans une nouvelle ère. De nombreux spécialistes pensent que cette face enregistrée sous le nom de Ory's Creole Jazz Band est le véritable premier enregistrement de jazz proprement dit bien plus que celui d'Original Dixieland Jass Band réalisé en 1917 et qu'ils considèrent comme de la musique folklorique jouée par des blancs... Un morceau historique. Gut bucket blues : ( Chicago, 12 novembre 1925 ) : une voix reconnaissable entre toutes, attention nous ne sommes plus avec le Creole Jazz Band mais avec le Hot Five d'Armstrong, c'est bien lui qui lance la danse. Lil Armstrong est au piano, c'est elle qui a poussé Louis à se mettre en avant. L'a eu raison, cette frangipane vanillée de cuivres est merveilleux. Come back sweet papa : ( Chicago, 22 février 1926 ) : l'on prend les mêmes et on recommence, mouettes rieuses qui survolent une mer radieuse. Le génie de l'orchestration à l'état pur. Georgia grind : ( Chicago, 26 février 1926 ) : voici trois titres issus de la même session, Lil est au chant, voix un peu trop lointaine même si les cuivres se taisent et ponctuent doucement après elle. La voix de Louis sur le piano, et c'est reparti pour une douceur de clarinette, trop vite interrompue. Oriental strut : ( Chicago, 26 février 1926 ) : rythme canaille et trombone langoureux, chacun à son tour s'en vient pincer les hanches de la fille, impossible de dire celui qu'elle préfèrera. Pas de jalousie entre les gars, jouent trop bien entre eux. Muskrat ramble : ( Chicago, 26 février 1926 ) : tous ensemble et droit devant, on lève la jambe et l'on souffle comme des déhanchés. Raisins muscats, des grappes porteuses d'ivresse. Snag it : ( Chicago, 11 mars 1926 ) : plus de Hot Five, mais en plus d'Armstrong et de Kid Ory, voici King Oliver qui s'est joint à eux, faudrait encore citer les huit autres qui ne sont pas venus pour rester les mains et la bouche dans les poches. Ampleur sonique, cavalcade et trompettes de cavalerie, poussez-vous la colonie passe, tuba et batterie à la fête. Fanfare subtile. Sugar foot stomp : ( Chicago, 29 mai 1926 ) : tous ensemble l'on stompe à tout rompre, on peut vous le faire tout doucement et tout seul mais beaucoup mieux quand on s'y met tous. Wa-Wa-Wa : ( Chicago, 29 mai 1926 ) : c'est pas du scat mais les cats sont là et les souris dansent. Tutti dantesque. 29 th and dearborn : ( Chicago, 10 mars 1926 ) : autre séance sans cadors heureux d'être né certes, mais l'ensemble est un peu poussif et répétitif. Manque d'imagination dans les soli. Too bad : ( Chicago, 11 mars 1926 ) : King Oliver est revenu avec un peu de monde, cela se sent, même si l'absence d'Armstrong est évidente. Dropping shucks : ( Chicago, 16 juin 1926 ) : Hot Five, de la dentelle, beau comme une élégie de Verlaine, de la musique avant toute chose. Armstrong qui boppe au chant, remplacez les cuivres par des guitares électriques et c'est presque du rockabilly. Who's it : ( Chicago, 16 juin 1926 ) : de l'aisance et de la grâce, trombone amoureux et l'escarcelle repart au sommet du chapiteau, en bas sur la piste les clowns soufflent dans leur langue de belle-mère et les ballerines dansent sur le fil. Agilité déconcertante. The king of the Zulus : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : Toujours le Hot Five, la musique s'interrompt pour une dispute vocale et l'on reprend le mouvement, sans inquiétude comme si de rien n'était. Le banjo à l'honneur pour une fois, le cornet de Louis se glisse dans des trous de souris. Big fat Ma and Skinny Pa : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : déclaration à la parade et tout le monde en pas de deux comme les petits rats de l'opéra. La voix d'Armstrong guide les évolutions. Sweet little Papa : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : cette facilité déconcertante de cinq musiciens qui s'écoutent comme larrons en foire et cette désinvolture qui n'arrive même pas à être horripilante. Gatemouth : ( Chicago, 13 juillet 1926 ) : sonne très moderne, un son beaucoup plus actuel. Nouveau combo, Louis a Disparu, Gil est là. S'en donnent tous à tue-tête. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Papa Dip : ( Chicago, 13 juillet 1926 ) : à l'identique sur un tempo plus rapide. Musique de danse et de trémoussements impromptus.

 

ORY'S CREOLE TROMBONE

 

Flat foot : ( Chicago, 14 juillet 1926 ) : la clarinette de Jimmy Dodds suave comme une barbe à papa, le banjo de Johnny St Cyr qui se secoue les puces, Lil Armstrong qui charlestonne sur son clavier, Ory confettise sur son trombone. Mad dog : ( Chicago, 14 juillet 1926 ) : chien fou slalome entre les quilles, Ory aboie mais l'on sent qu'il aime les bêtes, la clarinette siffle sans méchanceté. Dead man blues : ( Chicago, 21 septembre 1926 ) : enterrement de première classe, l'on a renforcé le pupitre des clarinettes car l'on ne va pas laisser partir le macchabée dans un silence de mort. Hommagial, mais l'on évoque avant tout les moments heureux. Les cuivres ne sont pas loin du swing des décennies postérieuses. Black bottom stomp : ( Chicago, 15 septembre 1926 ) : Jelly Roll Morton est au piano et chaque instrument y va de son sprint, qui aura l'honneur de dépasser le piano fou ? S'y mettent tous ensemble mais il se maintient à leur hauteur et les plante dans le virage en tête d'épingle. Furax final. The chant : ( Chicago, 15 septembre 1926 ) : ce coup-ci la course se fait sur la largeur de la route, l'on mord dans les bas-côtés, l'on écrase les piétons, quelle rigolade ! Morton actionne les pistons et tous les autres au klaxon. Jazz Lips: ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : attention lèvres d'or et son Cinq Chaud de braise sont de retour, Jimmy Dodds frétille des trilles sans fin et Armstrong donne de la voix pour montrer qui est le patron. Doctor jazz : ( Chicago, 16 novembre 1926 ) : d'ailleurs voici le docteur trop bien, on prend les mêmes plus Johnny Saint Cyr pas radin qui se radine avec son banjo. Plein gaz. Plein jazz. Le trombone vous en met met plein la trombine. Grandpa's spells : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : honneur au banjo, l'en pince pour la musique, les cuivres tout autour lui font fête. Jelly Roll se contente de trois mesures. Mais suprématiales. Original Jelly-Roll blues : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : d'ailleurs se taille part du lion sur ce morceau suivant, et malin avec cela, vous tire la descente de lit par en-dessous, le mec qui suit de loin, qui laisse les copains faire les zigotos et les ronds de jambe, mais les filles ne voient que lui. Cannon Ball Blues : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : George Mitchell vous tamponne les pavillons de son cornet, les autres l'accompagnent, ce coup-ci c'est lui qui remporte la mise même si les copains ne chôment pas, que voulez-vous il ne baille pas au cornet. Showboat shuffle : ( Chicago, 22 avril 1927 ) : le disque original grésille, le cornet de King Oliver se défonce à mort. Quelque part au fond de la cambuse on remue la cafetière, mais le showboat passe en toute majesté. Méfiez-vous le tuba est mortel. Put 'em down blues : ( Chicago, 2 septembre 1927 ) : Du blues ? Pas vraiment mais le public achète de plus en plus de ces femelles bleues qui ont une super côte. Pas du tout fêlée. Du coup Lil Armstrong se sent obligé de pianoter tout ce qu'il y a de plus bastringue. Et les cuivres tirent une langue longue tremousseuse comme un serpent à sonnettes à ces dames. Fairplay ? Ory's creole trombone : ( Chicago, 2 septembre 1927 ) : tout compte fait Ory est toujours dans nos oreilles mais on l'entend mal, l'aigu des cornets et des clarinettes ne lui laissent trop souvent que la part d'ombre. Alors ce coup-ci il ouvre le bal. Une évidence sans ses flonflons tous les autres n'existeraient qu'à moitié. The last time : ( Chicago, 6 septembre 1927 ) : un titre pré-stonien ? Que non, ici pas de bruit de fond, pas de mur de son, plutôt un feu d'artifice, rouge cornet, fraise clarinette, outremer du trombone et Louis qui pousse la chansonnette comme une brouette remplie de bâtons de dynamite. Allumés. Shuttin' with some barbecue : ( Chicago, 9 décembre 1927 ) : fête champêtre et pirate, y a de la joie dirait Charles Trenet, oui mais ici il est interdit de se traîner. Faut souffler sur les charbons ardents. Got no blues : ( Chicago, 9 décembre 1927 ) : pas le temps d'avoir le blues, on vous le répète en long et en large. On répépiège un peu tout de même. Banjo un tantinet encombrant. Heureusement que Louis est là pour pousser le cornet de la bonne sœur dans les orties du désir. Once in a while : ( Chicago, 10 décembre 1927 ) : dans la série on va vous montrer tout ce ce que l'on sait faire, tous ensemble et un par un. Vous ne trouverez pas mieux. En abuseraient presque un poil de trop. I'm not rough : ( Chicago, 10 décembre 1927 ) : on ne l'attendait plus mais voici le blues. Pas un qui rampe. Un qui brille d'azur. L'on s'arrête en fin de mesure pour mieux pousser la charrette tous ensemble, tous en cœur. Qui bat très fort. Louis hache les mots. Ne laissez pas traîner les doigts. Surtout qu'à la fin ça s'accélère. Hotter thant that : ( Chicago, 13 décembre 1927 ) : vous ne trouverez pas plus brûlant. Le Hot Five porte bien son nom. Ory est au trombone comme d'autres titrent au tromblon, et Louis scate comme s'il squattait la moquette de la chatterie de la SPA.

 

La compil met Kid Ory en vedette. Mais pas d'illusion c'est Armstrong qui dépasse. Et toute une époque. Le jazz est né de ce melting pot de musiciens qui apprenaient à cohabiter ensemble dans un formation où aucun ne désirait ravaler son identité instrumentale. Avaient compris d'instinct que jouer à ôte-toi-de-là-que-je-m'y-mette les desservirait. Alors s'y sont collés tous ensemble car l'union fait la force mais en aménageant à chacun une fenêtre de tir dont tous les autres tenaient les battants grands ouverts. Pas longtemps, souvent encore moins qu'au rockabilly, mais l'opportunité à saisir afin de se démarquer de tous les autres. Brûlures rafraîchissantes.

Damie Chad.

*

L'ART D'APPRIVOISER LE BUFFLE

DANIEL GIRAUD

 

A la seule lecture de ce titre le lectorat de KR'TNT ! se partage en deux clans. Une première moitié qui dit : «  Ah ! Je vois ! Des chansons sur les bisons et les teepees, Damie va nous causer de la contribution des peaux-rouges aux rock'n'roll, genre Link Wray, Jimi Hendrix, Redbones et tout le reste de la tribu ! » et une seconde qui répond «  Pas du tout, c'est un trip country, sur le rodéo, long corns sauvages, vaches folles, pom-pom girls, et chevaux. Je parie une monographie sur Alan Jackson !  ».

Illustration parfaite du vieil antagonisme séculaire qui oppose indiens et cowboys ! Inutile de sortir les Winchesters et les coutelas à scalper. Amis rockers, le buffle dont il est question ici est un véritable buffle, pas un lointain cousin dégénéré made in USA, il s'agit de l'original buffle chinois. Du made in China, tout ce qu'il y a de plus authentique. Comme vous pouvez le voir sur la couverture du livre.

 

Réponse générale : «  Un livre ! Nous croyions que c'était le dernier CD du chanteur de blues ariégeois Daniel Giraud ! Tu sais, nous la lecture... et puis franchement sans vouloir te vexer nous n'avons pas particulièrement envisagé d'acheter un buffle, du moins dans l'immédiat, alors un bouquin sur l'élevage du buffle... tu n'aurais pas plutôt un book sur les rockabillies pin-up par hasard ! »

Amis rockers, je vous rassure, le bouquin est minuscule, 15 centimètres sur dix, et seulement huit pages. Dont deux d'illustrations. Une véritable bande dessinée en dix vignettes, rondes, de petites bulles, sans phylactère. Même pas besoin de lire les notules explicatives de Daniel Giraud pour comprendre. En plus je vous explique. Ecoutez bien, je commente les images :

 

  • 1° ) Je cherche le buffle que j'ai perdu. 2° ) Chouette, les empreintes du buffle ! 3° ) D'ailleurs le voici en muscle et en cornes ! 4° ) Il n'aime pas trop que je lui passe une corde autour du cou. 5° ) Un bon coup de fouet sur les fesses pour lui apprendre à se tenir tranquille ! 6° ) Hop, je monte sur son dos et le ramène à l'étable. 7° ) Désormais le buffle se le tient pour dit et ne songe plus à s'enfuir. 8° ) Plus de problème, je ne pense même plus au buffle. 9° ) Mon buffle m'indiffère totalement. 10° ) A tel point que quand je vais au marché pour le vendre j'oublie de l'emmener. Voilà, c'est fini !

  • Heu ! Vachement intéressant Damie, l'est sûr que les histoires les plus courtes sont les meilleures. Mais enfin Damie, l'aurait tout de même été moins fatigant de laisser le buffle là où il était au début de l'histoire !

  • Amis rockers vous me décevez, la membrane imperméable qui comprime le pois chiche de votre cerveau est aussi épaisse que le cuir de votre perfecto. Vous n'avez rien compris ! Le buffle n'est qu'une image !

  • Tu nous avais dit qu'il y en avait dix !

  • Le buffle représente le corps que votre esprit doit savoir dompter, puis oublier, pour finir en être totalement séparé, c'est ainsi que vous obtiendrez le nirvana !

  • Nirvana, ne t'inquiète pas, on a déjà tous les disques ! Par contre on veut bien oublier notre corps mais pas celui de la petite Suzie ! Tu vois Damie, ton book, il est trop intellectuel ! Comme disait Buffalo Bill, faut un minimum de chair autour de l'os ! Fût-il de buffle chinois ! Tant pis si tu riz jaune !

  • Allo, Daniel, tu sais les illustrations de Tensho Shodun le moine zen du quinzième siècle et les gravures contemporaines de Tomikichiro To Kusari n'ont pas provoqué un raz-de-marée spirituel chez les kr'tnt readers ! Tu devrais songer à écrire L'Art d'Apprivoiser le Rocker !

Damie Chad.

L'art d'apprivoiser le buffle : Daniel Giraud. ARQA Editions. 5 euros.

 

 

13/12/2017

KR'TNT ! 352 : PAUL MAJOR ( + Friends ) / BOOZE BOMBS / JALLIES / COLLECTORS / ROSIE LEDET / ASSOIFFES D'AZUR

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 352

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

14 / 12 / 2017

PAUL MAJOR ( + FRIENDS ) / THE BOOZE BOMBS

/ JALLIES /COLLECTORS /

ROSIE LEDET / ASSOIFFES D'AZUR

TEXTE + PHOTOS SUR :http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

On ne tient pas les Endless Boogie en laisse

( Part Two )

Vient de paraître Feel The Music - The Psychedelic Worlds Of Paul Major, un très beau livre consacré à Paul Major, l’un des héros de l’underground, connu des vinyl junkies du monde entier et entré depuis quelques années dans le rond du projecteur avec Endless Boogie. Comme par hasard, c’est Johan Kugelberg qui édite ce bel ouvrage, en même temps que God Save Sex Pistols et Total Chaos. Pas mal, non ?

Uncut consacrait une petite page à l’événement. On y voit Paul Major fouiner dans un bac et déclarer : «Je dirais que j’ai consacré 90% de ma vie à écouter de l’obscure weirdness.» Il collectionne les disques depuis l’âge de 12 ans. Comme il est né en 1954, faites vous-même le compte. Il se décrit comme un «fanatical vacuum cleaner», il ramasse tous les disques les plus obscurs : «A homemade album of Jackson 5 covers by a bunch of 15 years-olds from Arkansas, or a backwoods Billy Joel wannabe who gets it wonderfully wrong...» (Un album de reprises du Jackson 5 enregistré à la maison par des morpions de 15 ans quelque part en Arkansas, ou un mec sorti des bois qui se prend pour Billy Joel et qui chante délicieusement faux) - Ce cirque dure depuis quarante ans. Il démarre sa carrière à Louisville, Kentucky, fasciné par les disques qu’il déniche dans les bacs à soldes. Paul Major finit par faire un métier de son obsession et à en vivre, créant autour de lui un réseau d’amateurs d’obscurités patentées. On trouve parmi les membres de ce réseau des gens comme Jello Biafra et Stephen Malkmus. Mais depuis l’arrivée des ventes en ligne et de Discogs, Paul Major avoue s’être recentré sur Endless Boogie.

Il raconte dans la préface du livre que son premier coup de cœur fut «Psychotic Reaction», qu’il entend à la radio. Il se goinfre de disques obscurs et psychédéliques, puis il découvre la guitare - Once I heard fuzz guitars, I had to have one - À Noël 67, il y avait une petite guitare avec des cordes en nylon au pied du sapin - More a toy than a Telecaster, but I was thrilled - Il commence par la colorier pour en faire une guitare psychédélique, puis il apprend à jouer les riffs de ses morceaux préférés dessus - But I needed fuzz - Il veut une vraie guitare et sa grand-mère lui promet d’en acheter une s’il se fait couper les cheveux - I went for it. Hair grows back, oui, ça repousse. Il se met à acheter des disques d’occase - Bought every far out record I could - Velvet Underground, Silver Apples, Morgen pour 44 cents, still sealed ! What a rush ! Il a 16 ans quand il découvre l’herbe et l’acide à l’high school. Quand il va dans des surboums, il emmène le Velvet, le MC5 et Morgen, mais ça ne plait pas aux autres. Il découvre l’amour physique avec Beard Of Stars et Loaded en fond sonore. Mais il continue d’écouter la radio - Jimi Hendrix one minute, Petula Clark the next. Frank Sinatra followed by the Doors. I loved a good song, no matter what style - Puis dans le chapitre final, il rappelle que son taste was born of grabbing major label failures (il a développé son goût de l’obscur en ramassant les disques qui ne se vendaient pas) since they were plentiful - Et plus le disque semblait éloigné des critères commerciaux, plus il paraissait attirant - Like a glimpse into a lost world - il s’imaginait découvrir un monde perdu. Il se demandait qui étaient les gens derrière ces mystérieux albums. Fantastique profession de foi ! Voilà ce qu’il faut appeler un esprit curieux.

Et puis des amis témoignent. Paul ceci, Paul cela. Ils s’accordent tous à dire que Paul est un gentil mec, mais surtout un novateur. Le Suédois Stefan Kéris déclare ceci : «Je considère que la prose de Paul dans ses catalogues est du même niveau que celle de Billy Miller et de Miriam Linna dans Kicks.» Car pour vendre ses disques rares et inconnus, Paul écrit des textes qui tournent parfois au délire psychédélique, et c’est là que ça devient très intéressant - Paul opend doors to other forms of music (...) : private-psych, Real people, Exotica, third eye lounge - Il semblerait que le vrai moteur de Paul Major soit la fascination qu’exercent sur lui tous ces disques.

Et paf, on entre dans le vif du sujet, c’est-à-dire les classiques du Real People Sound, avec Attic Demonstration de Kenneth Higney - There’s a guy who was trying to make country demos and become famous and it went wrong in the best possible way where it became deep art - Puis il fait l’apologie de Peter Grudzien et de son album The Unicorn - Of all the records I discovered it’s maybe my favorite - Paul Major ne se contente pas de dénicher les disques dans les junk-shops new-yorkais, il mène l’enquête pour retrouver les gens et s’organise pour les rencontrer. Il tente même de faire un film avec Peter Grundzien. On voit les images dans le livre. Puis c’est l’apologie de Fraction, l’un des albums les plus rares au monde, récemment réédité. On voit aussi Paul se prosterner devant Jr And His Soulettes, un petit guitariste black de 11 ans, accompagné de ses sœurs encore plus petites. Paul indique que «Raven Mad Jam» (qui se trouve sur l’album de Raven) is one of the best white trash hard rock jammers ever. Puis il présente Ray Harlowe And The Gyp Fox, l’un de ses albums préférés - I listened to it and I went crazy - Et quand il évoque les bitures du Masked Avenger, ça tourne à l’hilarité. The Masked Avenger est sur le point de dégueuler et ses copains scandent «Come on Masked, in the bucket, in the bucket» - Et Masked dégueule dans le seau. Le disque se termine avec le bruit du dégueulis. Fantastique commentaire du grand Paul Major : «I like a poet who doesn’t take him too seriously» - Puis voilà Darius - One of my favorite blow-dried hair psychedelic dudes - Il évoque aussi Clap dont l’album Have You Reached Yet a été réédité récemment sur le label new-yorkais Sing Sing - This is the greatest garage rock record ever in my estimation - Et il ajoute : «The title track is one of the best songs I’ve ever heard by anybody» - Il salue aussi Saint Anthony’s Fyre - Just the exact thing you wanna hear if you’re into the first Blue Cheer and wanna jack the vibe - Il trouve aussi l’album de Dark à Londres, il demande au vendeur de le passer et le mec lui dit : You really like this shit ? - Et puis tiens voilà Morgen, comme par hasard - One of the greatest psychedelic hard rock records ever made - Et Josefus, good renegade outlaw Texas hard rock on Hookah Records - Et quand gosse, Paul le sort d’un bac, il s’exclame : «This is future for me !» - Lorsqu’un disque lui paraît trop sérieux au plan psychédélique, Paul dit qu’il lui manque l’essentiel, les brains - I don’t smell real brains behind it. Or enough of a lack of brains - Il adore tout ce qui est vraiment amputé du cerveau. Il salue aussi Randy Holden et le fameux Population II - A heavy guitar monster, still devastating today - Et bien sûr les mighty Moving Sidewalks - Always a classic - Mais il sait aussi descendre un album, par exemple Would You Believe, l’album culte de Billy Nichols - It just doesn’t move me.

Alors bien sûr, quand Jesper Eklow raconte l’histoire d’Endless Boogie, tout s’éclaire. Jesper explique tout simplement qu’Endless Boogie monte sur scène sans set-lit. Ça va même plus loin : ils vont enregistrer en studio sans savoir ce qu’ils vont jouer. Rien n’est préparé - We hate sound checks - Ils ne répètent pratiquement plus - Just plug in and start hacking at it - Et il ajoute que Paul monte sur le groove pour délirer - With Paul going insane on top - Il ajoute : «And the boogie never stops. It should be stopped but it can’t.»

Glenn Terry finit par livrer le pot aux roses : les deux initiateurs du concept Endless Boogie sont Jesper Eklow et Johan Kugelberg. Le nom du groupe vient de l’album de John Lee Hooker, évidemment. Glenn explique que Johan et Jesper, nourris par Paul de musiques diverses et variées, eurent l’idée de développer un in-the-moment style of improvisational jamming held together by a solid groove - Ils jouaient chaque mardi soir. Endless Boogie joua la première fois sur scène en première partie des Jicks de Stephen Malkmus (un bon client de Paul) et prit lentement son envol, attirant un public de gens à la fois curieux et très informés. Il y eut un buzz dans la presse et des tournées dans le monde entier. Glenn vous prévient : une fois pris dans leur groove, Endless Boogie will take you on a trip like no other. C’est exactement ce qui se passe quand on les voit sur scène, a trip like no other.

Et voilà la chute qui vaut son pesant d’or : «Paul ‘Top Dollar’ Major is living proof that you can be a fan, collector and musician, maintaining the ability to come up with new ideas, by sticking to a path determined by a sense of fun and personal exploration.»

En même temps que le livre, paraît Vibe Killer, le nouvel album d’Endless Boogie, illustré par une belle éclipse. Attention, c’est du sans surprise. On retrouve dès le morceau titre le gros heavy blues texan d’essence zizique, un son infesté de serpents. Sale coin, pas bien confortable - Desperation, alteration - Paul y va de mauvaise grâce - Darkness, extinction - et ça part en note à note de Majoration effective. La grande force de ce vieux routier est qu’il ne cherchera jamais à réinventer la poudre. Il ressort sa plus belle voix de cromagnon dans «Let It Be Unknown», pour grommeler Gimme a nickel and I’ll show you down records - C’est joué à la petite menace rampante - I wonder when you arrrrhhhhh - Sur cet album, tout se joue sous le boisseau avec des départs mécaniques en note à note de distorse judicieusement maximaliste. C’est indécent de beauté coulante et puante. Paul Major joue son son à la régalade. Le festival de poursuit en B avec «Bishops At Large». Le problème avec ce vétéran de toutes les guerres est qu’on entre dans sa musique comme dans un moulin et forcément, on se met à penser à autre chose. Et on perd le fil. Donc tout va bien, puisque son son sert à ça : perdre le fil. Avec «Back In 74», il évoque un concert de Kiss - Kiss are on stage at the festival/ 20.000 people here/ I wanted to see Kiss - Il y a quelque chose qui relève de l’obsession chez les collectionneurs de disques. Il boucle cet album fumant et prévisible avec «Jefferson Country», un heavy groove dégoulinant de son et de mauvaises intentions. Il semble même que des accords intermédiaires rampent dans le cloaque.

Mais pour bien comprendre qui est Paul Major, le mieux est encore d’écouter les disques qu’il recommande si chaudement, à commencer par l’ineffable Morgen paru en 1969 et considéré à juste titre comme l’un des classiques du psychout américain. Steve Morgen nous embarque dès «Welcome To The Void» dans son monde - Ha ha ha ! - avec un son reconnaissable entre tous, vaguement frénétique, intrinsèquement psyché, sans aucune surenchère. On aimerait que ce soit la bande son du Cri de Munch qui orne la pochette, mais curieusement, il manque le scream. Steve Morgen joue ses cuts au vieux gras liquide. C’est un véritable filet de glisse fuzzy qui s’écoule sous nos yeux et qui file comme une vipère lubrique, mais en sourdine. On parle ici de fantastique présence dyonisienne. En B, on retrouve dans «Purple» cette rythmique en surplomb et le filet de fuzz plus bas dans la vallée. Steve Morgen surveille l’horizon d’un regard d’aigle, mais les délires psychédéliques l’assaillent de toutes parts. Son groove entreprenant ne peut que plaire au petit peuple.

On pourrait en dire autant de Fraction dont l’album Moon Blood est ressorti des limbes en 2009. Ces gros Américains y proposent du Christian rock visité par une petite guitare grassouillette. Ils sortent un son assez puissant, force est de le reconnaître. On comprend qu’un tel son ait pu percuter l’oreille de Paul Major. L’«Eyes Of The Hurricane» vaut largement le premier King Crimson, c’est gloomy à souhait - Flames consume the hot blood of Babylon - C’est annonciateur de la substantiation. Mais ils savent aussi prendre leur temps. Encore un disque destiné aux gens qui n’ont que ça à faire. Ils amènent «This Bird» au heavy boogie et nous farcissent tout ça d’intermittences et de petits effets de style psychédéliques. Idéal pour fumer de l’herbe. Le cut part au large, à la drive. Ça se rallume de temps en temps - Then he died for your love - Un semblant de thème ici et là. Ils suivent une sorte de Gulf Stream qui va se perdre dans la notion de Lord - Sky high/ Sure I found the Lord - Nous avons affaire ici à des psychedelic mystics et ça finit même par devenir excellent, car ces gens-là comprennent que pour avancer dans la vie, il faut savoir donner du temps au temps.

L’Have You Reached Yet de Clap bénéficie aussi d’une réédition, ce qui permet au profane d’en profiter (sauf si on veut un pressage original, mais dans ce cas, il faut sortir un billet de mille). Ces Californiens sortent une sorte de garage trash joliment approximatif et sans prétention. Ils dégagent une troublante ingénuité. «My Imagination» sent bon la Stonesy, c’est assez fais et bien enlevé. Ils couronnent ça d’un solo de sax ! Une grosse bassline dévore «Middle Of The Road» de l’intérieur et comme dirait Phast Phreddie qui signe les liner notes, c’est cool as fuck. On comprend qu’un tel album ait pu devenir culte. Mais ce n’est pas non plus une raison pour dépenser une fortune. On sent chez ces prétendants au trône une réelle vigueur, et même une extraordinaire santé morale. Tiens, encore un joli coco en B, «Bluff Em All», monté sur un beat popotin et qui s’impose par sa fraîcheur juvénile. La basse chuinte. On a là le garage dans toute son innocence, dans toute son ostentation auto-centrique.

L’album de Saint Anthony’s Fyre paru en 1970 intrigue, d’abord par la pochette : de grosses lettres gothiques s’étalent sur un fond blanc. Et puis on s’y régale d’un son parfois hendrixien («Love Over You»). Ces trois Américains tirent leur nom de groupe du fameux fait divers de Pont Saint-Esprit : un village entier fut accidentellement shooté au LSD par le boulanger. Ça se passait en 1951. Des centaines de gens. Admirable ! Saint Anthony’s Fyre devait signer sur Atlantic, mais le chanteur guitariste Greg Ohm préféra rester loyal à son manager, et le groupe sombra dans l’oubli. Inconsolable, Greg se mit à picoler, mais pour de vrai, à en mourir - He drank himself to death - On entend une énorme bassline dans «Starlight». Et le «Lone Soul Road» qui ouvre le bal de la B vaut pour un heavy rock d’anticipation maximaliste. Ces gens cultivaient un goût sûr pour le heavy rock et excellaient à gérer les épisodes congestionnés. Il bouillonnait en eux une véritable énergie viscérale. Paul Major a bien raison d’affirmer que dans le genre, Saint Anthony’s Fyre compte parmi les plus intéressants.

Le Flash des Moving Sidewalks paru en 1968 vieillit plutôt bien. Billy Gibbons y révélait une vraie fascination pour Jimi Hendrix : il pompait les riff de «Fire» pour jouer «Pluto» et chantait exactement comme Hendrix. On retrouvait aussi des traces d’Hendrixité en B dans «Crimson Witch». Comme beaucoup de gens, il avait dû flasher comme des airplane lights sur l’Experience. Avec «Jo Blues», il posait les bases du Zizi sound. On a là le heavy blues texan dans toute sa grandeur, l’un des plus grassouillets du mondo bizarro. Et bien sûr, le «Flashback» qui fait l’ouverture du bal de l’A renvoie au 13th Floor. Pur psyché texan, solide et infectueux comme pas deux. On comprend que Paul Major ait pu adorer ça. Billy jouait quasiment tout au gras double.

Par contre, le Round The Edges de Dark et le Dead Man de Josefus vieillissent très mal. Josefus proposait en 1970 un prototype de heavy rock qui manquait tragiquement d’originalité. La version de «Gimme Shelter» qui s’y niche ne fonctionne pas. Josefus sonne comme tous ces groupes américains animés des meilleures intentions, mais privés de réels moyens artistiques. On trouve en B le genre de cut qui ruinait les albums dans les seventies : un «Dead Man» de 17 minutes. Quant à Dark, c’est encore autre chose. On passe carrément à travers. Ces mecs sortent un son qui ressemble à s’y méprendre à celui que produirait une libellule intriguée. Les Anglais vendaient ça une bouchée de pain, à l’époque. Personne n’en voulait. Et pour cause.

Signé : Cazengler, endless rabougri

Endless Boogie. Vibe Killer. No Quarter 2017

Fraction. Moon Blood. Phoenix Records 2009

Saint Anthony’s Fyre. Zonk Records 1970

Dark. Round The Edges. Sis 1972

Morgen. Morgen. Probe 1969

Josefus. Dead Man. Hookah Records 1970

Moving Sidewalks. Flash. Tantara 1968

Clap. Have You Reached Yet. Sing Sing Records 2011

Feel The Music. The Psychedelic Worlds Of Paul Major. Édité par Johan Kugelberg. Anthology Editions 2017

TROYES / 10 – 12 – 2017

3 B

THE BOOZE BOMBS

 

BAR BEATRICE BERLOT

Annie Leopardo a du mal à prononcer la lettre B. ''Trois'' sans problème, mais notre ''B'' national la trouble. L'on accourt à son secours, le 3 B bruisse de ''B'' que chacun se complaît à répéter à sa manière. '' B !'', ''B !'', ''B !'', sans bémol, l'on en bégaie, l'on en brait, l'on en bêle... elle y parvient et tout de suite elle nous donne en anglais une définition, des plus justes, du 3 B :  '' It's the house of rock'n'roll''. Difficile de faire plus juste. N'oublions pas que l'antique phonème proto-sinaïque Beth signifie maison, et pour le rock'n'roll, nul doute que le 3 B peut se revendiquer d'un beau palmarès. D'ailleurs ce soir, question B, l'on est gâté, deux B au programme, les Booze Bombs. Atomiques !

CONCERT

Un carré. D'as. Une sphère parmédinienne qui contient la totalité de sa propre plénitude. Rien ne dépasse et rien ne manque. Sound and music. Rien d'autre. Autonomie parfaite. Phénix qui brûle de ses propres cendres. Lucky Steve est à la guitare. Gretsch, pas l'orange cochranique trop moelleuse, trop sucrée, trop juteuse, la duo jet, rouge terreur et noire ténèbres, un son plus métallique, plus strident. Lucky l'a son style. Le riff à trois pointes, celles des coups de poing américains, une pour chaque œil et la troisième pour tout le reste. D'une simplicité extrême. Mais d'un art difficile. Le rockab est une musique de haute précision, ne suffit pas d'émettre, faut placer à l'endroit précis, unique, au millionième de seconde près, un quart de poil avant c'est foutu, un quart de poil après c'est dans le Q ( de Suzie ). Lucke c'est le genre de serial killer qui vous enfonce trois fois son stylet dans le foie. Tchik ! Tchik ! Tchik ! Et au suivant de ces messieurs. Ne vous battez pas, il y en aura pour tout le monde. Structure rockab tripartiste qui aurait enchanté Georges Dumézil. Rockab pointilliste. Le pixel qui tue. Structure le son des Booze Bombs à lui tout seul. Le pire c'est que chaque fois qu'il vous a envoyé la trinité, vous êtes en manque, l'angoisse vous étreint, le prochain shoot d'adrénaline est vital, ne se fait pas attendre, mais durant ce minuscule instant qui le sépare du suivant vous connaissez l'angoisse du vide et du néant.

Autre particularité de Lucky Steve. L'est toujours présent, mais comme ces soli ne s'étirent jamais ses alcooliques, pardon je voulais écrire ses acolytes, ont le champ libre pour s'exprimer tout à leur guise. En profitent sans exagérer. La sobriété lyrique est une vertu cardinale des Booze Bombs. Rockin' Bende, le batteur, n'est pas derrière. Il est avec. Ne suit pas, n'ordonne pas, réussit ce tour de force d'occuper tout l'espace que chaque interstice pointilleux de Lucky Steve laisse libre, l'a la charley en action constante, charpente le terrain d'un son de base fuyant, jamais en avant, toujours présent, Steve n'est pas seul, et c'est sur cette mer mouvante sans cesse recommencée que Rockin' bâtit ses châteaux de sable catapultés, dur travail, épuisant, de quatre coups de baguettes il construit un édifice qu'il se doit de détruire aussitôt pour rebâtir le suivant, et le remplacer encore une fois. Varie les architectures, voûtes d'ogives nucléaires et glacis à boulets rebondissants. Un travail de titan qu'il effectue avec une placidité remarquable. Sur sa basse Frank Martinez initie un jeu caducéen. Swingue net et stompe fort. L'a comme deux serpents qui s'affairent autour de son upright, l'un qui monte et l'autre qui redescend. A toute vitesse, sans jamais se mordre la queue. Pas question d'empiéter l'un sur l'autre et encore pire de laisser traîner son caudal appendice sur les territoires de Steve et de Rockin'. Faut jouer serré. Chacun respectueux du boulot de ses pairs. L'on colorie sa partie et l'on ne dépasse pas. Imbrication au cordeau. Pas de démonstrationisme ostentatoire. Rigueur classique. Chacun chez soi et le flamant rose du rockabilly sera bien gardé.

Vous ai présenté l'épée à l'acier foudroyant. L'excaliburock de tous les combats mais je n'ai encore pas dit un mot de la gemme noire qui irradie la garde de l'arme. Z'avez l'impression que dans l'emboîtement musical de nos trois musiciens vous ne pourriez même pas ajouter le son aigrelet d'un triangle. Vous auriez beau guetter le moment et l'endroit propice où vous pourriez glisser la note discrète de votre isocèle, mais les trois cadors vous ont entassé si parfaitement de tels blocs de pierre qu'entre eux ne passerait même pas un feuillet à cigarette.

Et pourtant. Annie Leopardo est au micro. M'attendais à une chevelure germaine des plus blondes, mais non elle est d'un noir méditerranéen les plus sombres. Nous avouera ses origines italiennes entre deux morceaux. Elle ouvre la bouche et vous comprenez le pourquoi du style si resserré des trois boys. Une voix, une musique. Un + Un. Si vous préférez la formule mousquetaire, tous pour une et une pour tous. Parce que parfois miraculeusement Une = Trois. Annie Diva. Leopardo Panthère. Elle chante. Mais elle ne respire pas. Un cas unique. Une excentricité scientifique. Un larynx de bronze. Et surtout l'art de s'immiscer tout naturellement dans le béton sonore de ses compagnons. Elle évolue dans la structuration phonique comme l'engoulevent s'engouffre dans le vent. Aucun effort, pas d'effets, pas de looping vocal, pas de roucoulades exacerbées, mais un phrasé d'une justesse extraordinaire, et d'une facilité déconcertante. La voix cingle comme un fouet, à ras de la peau, vous fouille comme un scalpel de chirurgien sans que vous ayez senti la moindre douleur.

Pourrait s'arrêter là. Elle nous aurait comblés, mais non elle est comme Napoléon qui dictait deux lettres à la fois. Elle, elle chante. A la perfection. Mais apparemment cela ne l'intéresse pas. Un geste anodin auquel on ne pense pas tellement il est habituel et naturel, comme quand vous tournez votre petite cuillère dans le café, le matin encore tout embrumés de sommeil. Elle, elle s'intéresse à nous. Ce n'est pas un nous globalisateur et anonyme. L'occulte la moitié du ciel. C'est sur sa face mâle et virile qu'Annie jette son dévolu. Nous les garçons. Nous les Hommes. Œillades, sourires en coin, appels de la main, désignations individuelle du doigt, pas de jaloux, elle sait y faire, la guerre de Troyes n'aura pas lieu, à chacun sa pomme d'or et pas de discorde. Le plus chanceux de tous c'est tout de même Billy qui a dansé le slow – le seul de la soirée - collé à elle comme la moule sur le rocher, et les mains sinon baladeuses du moins promeneuses, mais dans ce bas monde le bonheur a une fin et elle reprend le micro pour terminer le morceau. D'ailleurs l'a ses thèmes de prédilection, l'amour, les boys et les guys. Vous les décline à toutes les sauces, salées Gone Away, Please Just call, ou sucrées I got A Boy, Sweet Love, tour à tour exultante, mutine, désespérée, câline, mais toujours rockin' and boppin'. Reine de la nuit et du rock'n'roll.

Trois sets en progression constante. Magnifiquement servis par Fabien Dj Rockin' Cats à la console. Concert explosif. La rigueur et la foudre. Le 3 B, béni des Dieux.

Damie Chad.

N. B. : mention spéciale pour Toute la Musique que J'aime, a capella par Jean-François et les chœurs du 3 B ! On a bien essayé de dépasser celle de Johnny, mais on n'y est pas arrivés.

ICE COLD WHISKEY

THE BOOZE BOMBS

 

ANNIE LEOPARDO : vocals / LUCKY STEVE : guitare / FRANK MARTINEZ : upright Bass / ROCKIN' BENDE : drums.

 

PART-CD 678.011 /2015 /

 

Yes I know : oui je sais avant d'avoir écouté, un grattellement d'upright bass à la manière d'un rat qui trépigne dans la cloison, puis ils envoient la sauce, d'un coup sec, mais pas trop fort, ce n'est que la première rasade, une mise en train au trot rapide toutefois et Annie qui met vraiment le paquet juste à la fin. Another love : même tempo mais avec la lead qui poinçonne, Annie qui raconte et qui grogne à chaque début de vers et Steve qui nous donne de ces froissés cordiques à vous ôter l'envie d'aller vous faire pendre ailleurs. You got me rockin' : ce coup-ci Annie est avec Marc Valentine, elle prend les choses ( peut-être la chose ) en main et laissez vous dire que ça mousse dur. Duo de choc. Martinez tartine fort sur les drums et tous s'en donnent à coeur joie. Come to my house rockin' : encore une proposition malhonnête, Annie vous a un de ces phrasés accrocheurs – l'en miaule presque - que vous y allez en courant. Vous assène le programme sur une rythmique friponne, sûr que vous n'êtes pas prêt d'oublier l'adresse de la maison, on y rocke trop bien. Pinch your hips : ce coup-ci elle aboie, sûr que vous allez vous remuer surtout avec ce riff qui klaxonne sans arrêt. Y a un certain Dynamite White qui compresse son harmonica d'une bien jolie manière. No other man : attention déclaration en douceur, un petit air jazzy pour une voix qui se fait sensuelle et la lead qui laisse tomber des gouttes d'eau dans le tea for two, un instant de douceur avant de poser une autre bombe. Chilly Willy :la guitare broute à la manière d'un éléphant qui arrache les arbres, l'harmo se promène dans le feuillage, trop vite, trop court, les guys ont laissé Annie sur le quai. My heart is broken : vous ne savez pas comment un cœur cassé peut sourdre de colère et de rage rentrée, ce coup-ci c'est la totale, l'harmo à la manière d'un rabot électrique qui vous arrache la peau, apparemment le combo a le blues brûlant. N'essayez pas d'arrêter le shuffle, n'en finit pas d'accélérer. In the night : surprise Marc Valentine est au vocal, le rockssignol Leopardo lui répond et nous avons droit à un duo romantique, mi-country- mi-sixties, avec la guitare derrière qui vous donne la sérénade. Trop beau, on ne fermera pas les yeux de la nuit. Ice cold Whiskey : un tambour bat l'amble méchamment, rythmique appuyée, jungle alcoolisée, jusqu'à l'écoute de ce morceau je pensais que la glace dans le whisky était un crime contre l'humanité, mais là pas de problème, doit y avoir un ours blanc affamé sur le glaçon. Pazza di te : renaissance italienne. La damzelle vous tord les lasagnes de fort belle manière. Et comme le reste du combo ne s'est pas endormi sur la pizza, l'on se rappelle que les italiens ont renouvelé le western. Set me free : revendication féministe, elle n'a pas le vocal dans la poche et le pistolero à la guitare derrière vous y passe toute la cartouchière. Les cymbales gémissent de bien belle façon, des assiettes qui volent dans une scène de ménage ! Black Cadillac : boogie à fond de train, non seulement elle conduit à toute blinde mais elle hurle à travers la vitre ouverte. Tant pis pour la tôle froissée, les chemins de traverse, les feux rouges, les sens interdits et les piétons. Rock'n'roll tonight : ces gars-là sont obsessionnels à part sauter partout et de crier Rock ! Rock ! Rock ! aux quatre coins de l'horizon l'on se demande ce qu'ils doivent faire le reste du temps. En tout cas ils le turlupinent très bien à la Little Richard, mais c'est l'harmo qui prend le rôle du saxophone, vous pourrit tellement les oreilles que c'en est un délice.

 

Prenez le temps de réécouter, des petites surprises toutes les trente secondes, de l'imagination et de la finesse, du rythme et de l'énergie. Les Booze Bombs nous proposent un rockabilly des plus enthousiasmants. Le filtrent et l'alambiquent à leur goût. Dégustation de moonshine au sperme de crotale. Un must.

Damie Chad.

*

LA NUIT VERTE

Des picotements sous la peau. Je connais cette sensation. Maurice Rollinat, l'auteur des Névroses, en parle dans un de ses sonnets les plus secrets écrits en ces heptasyllabes malsains dont il détenait la redoutable puissance invocatoire et dont le grand Verlaine lui-même lui emprunta le modèle :

Par la fenêtre entrouverte

S'avance la nuit très verte

 

Je sais que même la plus haute poésie n'empêchera jamais l'horrible processus en cours. Ce soir la nuit sera verte et personne ne saurait s'y opposer. Déjà je tourne en rond dans ma chambre. Alors je répète mille fois à mi-voix le mantra maudit, la formule propitiatoire aux métamorphoses les plus extraordinaires :

Socrate ne sait rien, Damie le saurien.

Et me voici transformé en lézard d'un vert de vers gélatineux. Une monstrueuse bête gluante de la taille d'un jeune chat de trois mois, à la queue aussi longue que la langue. Par la fenêtre entr'ouverte je me glisse au-dehors. Manque de chance, toutes les rues de FONTAINEBLEAU sont éclairées et la foule se presse aux vitrines de Noël violemment illuminées. Difficile de ne pas se faire remarquer. J'ai ma ruse. Dès que j'entends des pas je m'aplatis sur le trottoir, les pattes sous mon corps essayant de prendre l'aspect d'une chiffon moelleux innocent. Un couple se dirige droit sur moi :

«  Aaah ! Les gens sont dégoûtants, ils auraient quand même pu nettoyer la diarrhée de leur chien, tu as vu la teinte glauque, un excrément cadavérique, ne va pas tarder à clamser le cabot, je téléphone tout de suite à la mairie pour me plaindre ! »

S'éloignent tous les deux tendrement enlacés. Je m'apprête à reprendre mon chemin lorsque des pas se rapprochent brutalement m'obligeant à rester immobile.

«  Bêêêh ! Quelle horreur, encore une vomissure d'ivrogne, un dégueulis sans nom de pochtron, en plus l'idiot s'est cuité à l'Izarra verte, sûr que c'est un basque, j'alerte les flics tout de suite, avec son béret du gâteau pour eux, ils vont le boucler en moins de deux ! »

Ma dignité en est un peu mortifiée. Personne à l'horizon, prudemment je me hâte vers ma destination. Attention trottinement rapide qui se dirige vers moi, je me jette derrière un lampadaire. Tiens un chien, l'est pressé, ne me calcule même pas. Hélas par un instinct atavique en passant près de moi il ne peut s'empêcher de lever la patte et de m'arroser d'un jet de pisse chaude qui me trempe entièrement.

Ô ingratitude humaine et animale ! Me voici transformé en rebut de l'humanité. Monde cruel, n'y aurait-il donc personne pour aimer un pauvre petit lézard innocent ? Lecteurs sachez qu'il ne faut jamais désespérer. Je me hâte de passer en catimini derrière les deux parents, ne peuvent détacher leurs regards de la marionnette du Père Noël qui dans la devanture lève et abaisse sans cesse la main pour les saluer, à leur côté la petite fille baye aux corneilles.

«  Gertrude, mon dieu ! c'est quoi cette horreur que tu tiens ?

  • C'est une peluche Maman, regarde comme elle est mignonne, toute belle, toute verte, je l'ai trouvée par terre, on dirait un vrai lézard, c'est marrant il remue la queue quand je l'embrasse sur la bouche ! »

    Une poigne solide m'arrache aux câlins douillets et m'envoie valser à quinze mètre de là. Je m'esquive sans demander mon reste, juste le temps d'entendre la mère affolée crier :

«  Chéri, appelle le 15. Le visage de Gertrude se couvre de pustules noirâtres et en plus elle sent l'urine de chien ! »

Ouf ! me voici arrivé sans encombre à la RUE DU COQ QUI GRATTE. Etroite et un peu sombre. Personne ne m'aperçoit lorsque je rase les murs jusqu'au GLASGOW. Je sais que si je parviens à me glisser à l'intérieur du pub aussitôt l'enchantement maléfique cessera et que je reprendrai ma silhouette normale. Les gens ont les yeux fixés sur l'affiche du concert des JALLIES, pour ce soir 27 DECEMBRE, je passe entre leurs jambes sans aucun problème. Revoici ma silhouette fringante et élancée que vous connaissez tout. Je n'ai pas fait trois pas que les trois plus belles filles du monde se précipitent sur moi :

«  Damie, c'est super gentil d'être venues ce soir !

  • Si seulement vous saviez ce que je ferais rien que pour vous voir ! »

     

Elles éclatent de rire. Elles ne m'ont jamais pris au sérieux. Y a sûrement un lézard quelque part.

 

CONCERT

Ce soir, c'est la soirée sardines, en boîte, Tom et Kross ressemblent à des posters grandeur nature placardés contre le mur, les trois filles bénéficient d'un espace vital de survie minimum, doivent se sentir seules car Vaness nous demande d'avancer encore, total nous sommes à 0,00001 micron des retours, l'est sûr que dans notre dos la porte s'ouvre et des paquets de nouveaux venus s'agglutinent à ce compact compost d'êtres humains. Non ce n'est pas un concert, mais une ambiance, sachez entendre la différence. Ça rugit, ça clame, ça brame de partout. Standing ovation du début à la fin. Les pieds piétinent, les jambes trépignent, l'en est même qui arrivent à danser des rocks endiablés sur place, émulsions de bières et flaques de sang – là j'exagère c'est du vin rouge – sur le plancher.

Au début les filles papotent entre elles, style salon de thé cosy, s'il te plaît chérie remplis mon verre, tout de suite ma grande, et la bouteille de ja-ja circule entre les verres. Récriminent sur les boys qui attendent sagement depuis cinq minutes, et portent un toast à notre santé. Le public remercie, but please a little bit of music, just to hear yours precious voices, alors Tom vous prend le taureau par les cornes, à la texane, fait vrombir sa guitare comme une escadrille de spitfires et nos trois péronnelles sont bien obligées de se mettre au boulot. Et le Tomitruant ne lâche pas le morceau de toute la soirée. Guitare en leader ship et les filles qui s'entrelacent par dessus. Lui il fonce et elles, elles froncent le tissu, particulièrement swing ce soir nos trois Jallies, goûtez les harmonies, l'on batifole et l'on cabriole dans les herbes folles comme la chèvre de M. Seguin. Kross a choisi le rôle du méchant loup, sa contrebasse halète comme dans un dessin animé de Tex Avery, nous asperge d'arpèges de velours, et nous sature de froissements de satin, tout en douceur mais véloce en diable. Elles ont piqué l'orgueil masculin, z'alors se déchaînent comme le cours de l'or en pleine crise boursière.

Mais les zamzelles ne sont pas du genre à se laisser mener par le bout du nez, vous font tirer une langue de trois kilomètres au Hound Dog de Presley avant de le transformer en chasse à courre. Les trois belles vous ribambellent les trilles et vous décrochent de ces revers de quadruples croches à vous emporter le filet aux antipodes. Toutes mignonnettes dans leur robes, des furies dès qu'elles entament le moindre morceau. Céline vous fracasse la caisse claire comme vous quand vous tapez sur la tête du précepteur, Leslie vous fait le coup du charme faussement candide, un Funnel of Love des plus plus pernicieux, vous y englue dedans, pas encore que vous ayez envie de voir le bout du tunnel. Quant à Vanessa elle a réuni tous les chiens de l'enfer dans sa voix, les lâche sur le public comme Diane ses meutes sur Actéon.

Deuxième set. L'est sorti une cinquantaine personnes prendre le frais dix minutes, l'en rentre une centaine, avec la cinquantaine qui est restée sur place, visualisez : l'endroit n'est guère plus grand qu'un studio sans kitchenette. Le deuxième set sera un gigantesque charivari, se permettent tout, Tom nous donne un numéro jazz trad sur La vie en Rose, Kross nous emmène à New York dans un club de jazz pour initiés, on appelle Vincent qui sort son harmonica et c'est parti pour des chorus d 'harmo et de guitare infinis à la cours-plus-vite-que moi-que-je-te-rattrape. Un inconnu surgi du public nous rappelle que toute la musique vient du blues, et cela devient un délire collectif qui a bien dû faire rigoler Johnny sur son Olympe. Et c'est-là que le malheur s'en mêle, juste au début de Stray Cats Strut. Ce n'est pas OSS 117 qui ne répond plus, c'est la contrebasse de Kross qui s'anéantit dans le silence. Un fil cassé ! Parfois la fée électricité se transforme en Carabosse. Kross-road tente de scotcher le filament pendant que Tom fait des prouesses pour jouer les deux partoches en même temps. Les filles miaulent à qui mieux mieux et le public les soutient de ses félines imitations. Kaput la contrebasse ! Tant pis, Kross la jette en contre-bas, se munit d'une électro-acoustique et l'on attaque les trois dernières tranchées à la baïonnette. Es finita la fiesta. Terminado la tempestad. Doux rêveurs vous pensez qu'on arrête un torpilleur en appuyant sur le frein ? Faut encore alimenter le foyer par une série de rocks, le final sera un dernier Gene Vincent, un Jump Giggles and Shout ébouriffant, avec tout le monde à sauter sur place à en faire craquer les solives du plancher. Exultation totale, toute une jeunesse dévergondée se précipite pour papouiller les three gals and the two guys. L'ont bien mérité. Folle soirée.

Damie Chad.

 

LA DISCOTHEQUE SECRETE DE

PHILIPPE MANOEUVRE

COLLECTOR

111 TRESSORS CACHES DU ROCK

 

( HUGO / DESINGE / Août 2017 )

 

Comme le monde est bien fait, les marchands ont pensé à vos cadeaux de Noël. Grandes manœuvres sous les sapins cet hiver. Philippe prend soin de vous dans l'introduction. Vous explique la différence entre disques Collector et Culte. Propose un baromètre infaillible. L'épée de l'archange du seigneur qui sépare le bon grain ( à droite ) de l'ivraie ( à gauche ). Pour ceux qui ne sont point des habitués de l'archéologie biblique, je vous fais un résumé. Facile, une galette à la frangipane que vous payez 6000 euros est dite culte. La crêpe à la confiote de fraise faisandée que vous ramassez pour six euros dans le bac à soldes est appelée collector. La majorité de ses lecteurs se situant dans la tribu des bourses plates, l'ancien rédacteur en chef de Rock & Folk nous présente cent onze biscuits collectors qui manquent à votre discothèque et nuisent à votre statut social. Pourquoi croyez-vous que les filles s'enfuient en hurlant dès qu'elles ont mis un pied dans votre chambre ? Attention ne suffit pas de ramasser une rognure d'ongle ou une chiure de mouche à un euro cinquante pour vous enorgueillir de posséder un collector. Malgré son prix modique le collector est un trésor enfoui dans les sables de l'oubli, relève du chef-d'œuvre inconnu, l'atteint au grade de la huitième merveille de mode. Un rocker qui ne possède pas de collectors ressemble à un parachutiste sans parachute. Consolation du pauvre : à défaut de vinyls originaux introuvables, le marché des rééditions vous permet d'entrer en possession de CD pour trois fois rien.

Cessons ces considérations bassement économiques pour nous pencher sur l'opus manœuvrien. Grand format, cent onze double-pages dédiées aux cent onze élus. Classés par années ( 1963 – 2015 ) de parution, les seventies trustant à elles seules plus de la moitié des occurrences. Quelques impressions d'ensemble tout d'abord.

De visu l'iconographie s'adjuge une part importante de la surface rédactionnelle. L'on à droit aux deux faces de la pochette, verso et recto présenté en deuxième position pour qu'il attire davantage l'œil dés la page précédente tournée. Les textes sont relativement succincts, l'on a fait attention à ne pas fatiguer les nouvelles générations des lecteurs qui ne sont pas des inconditionnels de l'art de lire...

Aspect triste. Une colonne colorée sur votre droite nous apprend ce que sont devenus les acteurs du disque exploré. La fin est tragique. Il y a toujours un des gars qui s'est débrouillé pour trépasser. Plus vous avancez dans le bouquin, plus vous avez l'étrange sensation de visiter un cimetière. D'éléphants blancs, certes, mais enfin morts de leur belle ( pas toujours ) mort.

Aspect gai. Qui va vous relever le moral. Beaucoup de ces albums valent leur pesant d'or grâce à l'intervention d'un guitariste exceptionnel. Mais à la longue l'on s'habitue à l'extraordinaire. D'où l'idée qui vous traverse l'esprit, une si nombreuse collection de zicos fantastiques diminue leurs mérites. Tout compte fait, il y en a une telle légion que ce ne doit pas être aussi difficile que vous vous l'étiez imaginé. En bossant dur pendant deux ans, la perspective d'atteindre le niveau juste au-dessous ( un quart de millimètre ) d'Hendrix ou de Jimmy Page n'est plus une utopie. Une possibilité – parmi tant d'autres – qu'un jour ou l'autre – le caprice de votre volonté vous permettra d'atteindre...

N'y a pas que des inconnus, Gratefull Dead et Kinks par exemple ont peut-être pu voir un de leurs enregistrements boudés par le monde entier, mais enfin n'exagérons rien. Il y a aussi ceux dont vous connaissez le nom depuis toujours, depuis les pochettes des Stones pour Jack Nitzsche, ou Ginger Baker la crème des batteurs, ou Ray Manzarek un fameux enfonceur de portes entrouvertes, mais l'on aime bien se remémorer les coins les moins évidents de leurs biographies. Des tas de groupes qui sont apparus au firmament du rock – citons par exemple Foghat, Man, Little Feat – et que l'orbite de l'actualité a éloigné de nos regards pour diverses raisons, ceux que vous aimez retrouver parce que ce sont vos chouchous, Variations ou Link Wray pour prendre mon exemple personnel. Mais sur les cent onze, il y en a un qui m'a procuré un plaisir exceptionnel. Longtemps jusqu'à la lecture de ce bouquin m'imaginais le seul à posséder la merveille. De temps en temps j'allais caresser la pochette pour me prouver que ce n'était pas une illusion solipsiste que mon cerveau aurait créée juste pour me distinguer de tous les autres misérables individus qui peuplent de leur petitesse cette planète. D'ailleurs Manœuvre me fait rigoler, l'exhibe la pochette de l'album, lui tresse des dithyrambes, la qualifie de folie, z'oui mais z'ya un blème. Les deux titres auxquels je fais allusion absents sur le 33 Tours sont sur un simple dont il ne pipe mot. Trop sympa vous refile la pochette.

C'est un dessin d'une puissance érotique folle. Ne sais pas qui a griffonné cette merveille de suggestion inaccoutumée mais j'aimerais bien connaître son nom pour regarder le reste de son œuvre. Ce Find Yourself Someone To Love a déchiré mon adolescence. Quant au Nobody en Face B, m'a réduit le cerveau en hachis parmentier. Three Dogs Nights le reprit deux ans plus tard.

Johnny Guitar Watson a traversé toute l'histoire de la musique populaire américaine, l'a débuté dans le blues avec Bobby Bland et bien d'autres, c'est sur son Johnny Guitar Watson ( disque éponyme de 1963) que vous retrouvez Cuttin'It et Sweet Lovin' Mama tous deux enregistrés par Johnny Hallyday qui donne une très belle version du second. A cette époque, en France on le classait parmi les pionniers du rock – l'a aussi produit avec Larry Williams le fabuleux Hurry Sun Down de Little Richard en 1967. Des copains de ma fille ont été très surpris lorsque je leur ai raconté tout cela, z'avaient un blogue rempli de vidéos de Johnny Watson dans sa troisième manière une espèce de mélange disco-funk-rap des plus remuants. Une évolution guère surprenante, Philippe Manœuvre rappelle qu'il est aujourd'hui considéré avec son pote Larry Williams comme l'une des origines clefs du mouvement hip-hop. Mais ce que nos deux acolytes ont le mieux réussi dans leur vie c'est encore leur mort. Sur scène, en plein solo, au Japon pour Johnny. Une idée que Mishima a reprise à sa façon. Une balle dans la nuque, les deux bras menottés pour Larry le proxénète notoire, que la police ( tout le monde la déteste ) a qualifiée de suicide.

Un petit dernier pour les amateurs de rock'n'roll, une sélection Ricky Nelson... Un livre évocatoire qui fait surgir les ombres d'un passé qui ne veut pas mourir.

Damie Chad.

 

*

Au départ, c'était tout simple, une croix à mettre dans un petit carré, au choix, rock, country, blues, comme la lettre provenait de Daniel Giraud, chanteur de blues, j'ai coché blues. Tiens-tiens, me suis-je dis, j'va hériter d'un vieux bluesman du Delta que personne ne connaît, même pas le Cat Zengler, n'y a plus qu'à guetter la factrice si sympathique sur son vélo électrique... Bref le paquet arrive et les bras m'en tombent des mains, un accordéon en gros plan sur la pochette, j'évite je ne sais comment l'attaque cardiaque foudroyante, what is it cette horreur ! une fille en plus, avec un prénom de grand-mère et un patronyme français, à peine ai-je du bout de mes doigts suspicieux retourné la pochette que le mot Zydeco me mord les paupières, du Zydeco, mais pour qui me prend-on ! pourquoi pas du Zouk tant qu'il y est le Daniel Giraud, la mort dans l'âme je pose la galette sur l'appareil des CD.

 

COME GET SIDE / ROSIE LEDET

JSP 8835

 

Rosie Ledet : vocals, accordion / Andre Nizari : guitars, keyboards, percussions, harmonica, bass, fuzz bass, drums / Chuck Bush : bass / Percy Walker Jr : drums / Damon Dugas : Rubboard.

 

Les notes de la pochette sont formelles Rosie Ledret n'est pas une embaumeuse. N'est pas de celles qui pensent que pour le zydeco les haricots sont cuits depuis longtemps et dont on ne peut que répéter religieusement la même recette, la fillette ne recule pas devant les adjonctions plus modernes comme le funk, le rock et l'électronique. Vu mon peu d'appétence et de connaissances pour cette musique je me déclare totalement incompétent quant à juger de l'importance et de la pertinence de tels ajouts.

 

Baby what you do to me : balancé et bien roulé, une fois que c'est parti vous n'arrêtez plus. Vous laisse deviner ce qu'elle veut qu'on lui fasse, ce qui est sûr c'est que l'accompagnement instrumental ronronne de belle façon, les interventions de l'accordéon rivalisent sans effort avec les effulgences des guitares électriques. Pose bien sa voix et l'est sûr que l'on peut parler de phrasé rock. This is gonna take a while : fond d'orgue, un filigrane de rythmique reggae et Rosie vous prend une voix méladramo-country du meilleur effet. Très américain, l'on dépasse le triangle magique d'implantation du zydeco, plus haut que le Texas. Come get some : module bien, quand elle dit come baby come vous regrettez qu'elle ne s'adresse pas à vous directement, l'envie de préparer une valise sans pyjama vous démange, et comme derrière elle l'orchestre s'adonne à un patchwork instrumental des plus juteux, vous sentez que le paradis s'approche de vous, hélas vous ne prêtez aucune attention à ces espèces de sirènes de police qui résonnent en sous-main et le morceau se termine avec une brutalité qui vous laisse sur votre faim. Sexuelle. Incantation voodique de sorcière, vous a jeté un sort. Caffina : tapez dans vos mains et du pied. Piste de danse, remuez-vous un max, prenez quelques pilules speediques car au grand midi vous y serez encore, alternance de voix mutine et d'appuyés d'accordéons. Vous aimeriez que cela ne s'achève jamais. Cette girl Caffina est ensorcelante. Vous n'auriez jamais dû l'inviter. Vous voici pris au piège. For those that like it funky : vous n'êtes plus qu'un pantin désarticulé sur la piste sans fin, Giorgio Moroder doit être aux manettes et notre créole se la joue à la black Diva. Reprenez-vous, n'oubliez pas que vous êtes un rocker, ne cédez pas à ces trémolos allusifs de sirène. Love is gonna find you : ouf, l'on est revenu au pays, un espèce de country déjanté avec la guitare qui miaule comme un chat noir qui n'a pas attrapé de souris depuis quinze mois, surtout n'écoutez pas la diseuse d'aventures, celle qui vous prévoit un merveilleux avenir avec un harmonica qui ricane pour vous avertir de vous méfier. Evidemment vous y croyez dur comme du fer. La faute à cet accordéon qui vous froisse le cervelet. Poison : le flacon vous a une ces belles formes qui vous enivre avant de l'avoir ouvert. L'étiquette vous vante les bienfaits du produit. Vous susurre des mots de rêve à l'oreille, une reine s'adresse à vous et vous montez au dix-huitième ciel du ravissement. Faites gaffe, le background est un peu étouffant, les lianes reptatrices des percussions enserrent votre corps, trop tard vous êtes mort. Saturday in may : renaissance printanière. Ballade au pas de course. Ce n'est pas l'amour juste la germination printanière de la lymphe végétale qui vous émoustille, avec Rosie comme guide dans le bayou vous embrasseriez un alligator sur la bouche. Stop lyin' keep tryin' : avec les filles, l'arrive toujours un moment ou la plus belle des fées se transforme en institutrice à lunettes qui vous met les poins sur les I. Votre pointe ( prononcée ) de masochisme n'est pas insensible à cette fessée morale. Vous opinez de la tête et du corps. Sans vous en apercevoir vous entrez dans une sarabande infernale. Quand le morceau est terminé vous le remettez illico. Keep the faith : la souveraine délivre son message d'espoir. La guitare ricoche sur les remous du fleuve et l'accordéon vous immerge mille fois dans les eaux troubles de vos turpitudes. Qu'importe vous êtes sauvé. Love me like my baby do : la guitare vous poignarde dans le dos et Rosie vous initie aux arcanes du triangle amoureux. Une autre façon d'entrevoir la sainte trinité. L'a pas froid aux yeux, ce que femme veut... Git up on it : dilemme : ou vous focalisez sur le band qui s'en donne à coeur joie ou vous succombez aux propositions ( avantageuses ) de la Dame, l'a le timbre tentateur...

 

Terminé. Pas vu le temps passer. Accordéon rythmique infatigable et band qui ne débande pas une seconde. D'une oreille distraite cela peut paraître un poil monotone, mais si vous y prêtez un quart de seconde d'attention, c'en est fini de vous. Rosie Ledet vous transforme en zombie zydeco. Z'y décolle à fond. Tant pis pour la tapisserie des certitudes rock'n'roll.

Damie Chad.

LES OISEAUX DE PASSAGE

ASSOIFFES D'AZUR

 

Zoë Montagu : chant, flûte, triangle / Miguel Gramontain : accordéon, stomp, choeur

 

J'ai raté leur passage. Pas celui des oiseaux, celui des Assoiffés d'azur. Pas de ma faute, à Baulou, village perdu du piémont ariégeois, c'était le 22 juillet 2017, passaient à l'aube, à douze heures exactement. Non ce n'était pas pour la sortie de la messe dominicale mais pour un apéro festif. Miguel Gramontain vous connaissez, c'est lui qui s'était joint avec son accordéon à Juke Joint Band ( voir KR'TNT ! 291 du 25 / 08 /2016 ), le blues ce n'était pas sa musique d'implantation culturelle, mais s'en était très bien tiré, le gars pas rancunier – j'avais promis la veille d'être-là – l'est même allé chercher dans sa voiture le CD qu'il m'a offert. Ce n'est pas du rock m'a-t-il précisé. Certes nul n'est parfait, mais tout le monde a le droit d'exister. Les rockers un peu plus que les autres, mais il ne faut pas le dire.

 

Pour avancer : un beau mariage, le son de l'accordéon et la voix de Zoë, le piano du pauvre avance comme à reculons, l'a l'air de ralentir dans les virages chaque fois que Miguel Gramontain doit le replier sur lui-même et Zoë fonce en avant. Faut refermer les poings sur sa propre histoire, ne plus écouter les antiques antiennes des flammes éteintes, s'arracher aux terres de cendre pour arpenter de nouveaux champs de semence. L'a un peu une voix à la Barbara ( ce qui pour moi n'est pas un compliment ), mais elle a une façon de traîner sur les syllabes tout en les propulsant comme en urgence qui n'est pas sans charme, intermède flûte et bourrade de coups de poings accordéoniques. Fin brutale et reprise en tutti orchestral. Mise à nue : l'on attend Zoë et c'est Miguel qui la-la-lise, et puis Zoë pose sa voix légère et sa nudité d'oiselle face au peintre qui la croque non d'un dard ardent mais du noir dessein de son fusain, grain du papier et de la beauté en éruption intérieure, le viol accepté des regards et le désir ambigu de modeler les formes du dessin. Ambiguïté de l'offre charnelle et de la demande artistique. Introspection ironique d'une situation teintée de déplaisance impudique et d'un subtil érotisme. Une femme se déshabille. Elle a ouvert les portes de la citadelle interdite et vous permet de regarder. Non pas l'extérieur de la féminine silhouette mais l'intérieur de la tête. Joue de sa voix, tour à tour larges à-plats et pointillisme pointu. L'on aimerait que beaucoup de lyrics rock soient entachés d'une même perversité. Ni musette, ni amusette, ni muette. Une fille à voix-nue. Ramage et dommages. Les oiseaux de passage : attention texte. Chanson française. L'amour tiède des bourgeois et les passions sauvages. Oiseaux de basse-cours et envol de migrateurs. La voix se transforme en longs cris pour saluer ces aventuriers au long-cours. Et puis fusent les mots de mépris pour les poulardes engraissées au grain des renonciations intimes. Silence, ça tourne : valse. C'est la tête qui tournoie en-dedans. Le partenaire n'est qu'un piquet mobile. La belle préfèrerait une autre étreinte, quand la danse est terminée, l'on se retrouve encore plus seule. Laissez tourner la musique, l'ivresse tout comme la solitude est intérieure. La belle ivresse : celle de chair, la voix papillonne de pistil en pistil. Qu'importe le flacon pourvu on soit ivrognesse. La flûte tressaute et l'accordéon s'alanguit. Vaut mieux baiser que baisser le rideau de la mélancolie. Petite mort pour survivre au rêve d'une vie plus grande. Sin Saber : en espagnol la vie est plus facile. L'on perd la tête plus facilement sur un air de fiesta. Gramontain y va de sa voix de torero. Rien de tel pour faire succomber les belles. Au plus vite. Ni regret. Ni remords. Au diable le désert, vive le désir.

 

Vous l'avez compris ce n'est pas du rock'n'roll. S'inscrit dans le filon estampillé chanson française. Mais l'ensemble est agréable. L'accordéon de Gramontain n'est jamais pesant, impulse un rythme imparable et Zoé chantonne de ces ritournelles insidieuses qui étincellent de mille feux. Que voulez-vous quand les diamants se font rare l'on s'habille de bracelets de pacotille. Désenchantement et légèreté. Dans les deux cas, la vie n'est que présence de femme. Assoiffée d'azur et de désir.

Damie Chad.

 

06/12/2017

KR'TNT 351 : JOHNNY HALLYDAY / BLACK LIPS / ERVIN TRAVIS / CRASHBIRDS

 KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 351

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

07 / 12 / 2017

JOHNNY HALLYDAY

BLACK LIPS / ERVIN TRAVIS 

CRASHBIRDS FLYERS

TEXTE + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

KR'TNT ! ¤ 03

ROCK'N'ROLL CLANDDESTZINE FLYER

  N° 3 / 05 / 11 / 2009

A ROCK-LIT PRODUCTION

 

SOUVENIRS, SOUVENIRS

JOHNNY EN 58*

C'est en 1956 que j'ai découvert le rock'n'roll grâce au Tutti Frutti de Little Richard, Rock around the clock de Bill Haley et les cinq premiers 45 tours d'Elvis Presley. J'avais dix ans. Je préférais les américains aux européens et dans les années suivantes j'aimais bien mieux les noirs aux visages pâles, plus ou moins bons imitateurs. C'est plus tard, à quinze piges, que je découvrais le blues à l'origine du rock comme du jazz.

Nez en moins, comme écrivait San Antonio dont je dévorais les bouquins, deux ans après, en 1958, j'ai apprécié ce blanc-bec de Johnny qui débarquait face au pantouflard Richard Anthony... J'avais donc douze ans et avec un ami du même âge, Pierre Alleaume, nous sortions pour la première fois sans nos parents... Nos mères respectives étant amies et voisines, au square Groze-Magnan où je jouais au foot dans la rue avec les enfants de Ben Barek, un grand joueur de l'O. M.

Je ne sais si ce concert à l'Alcazar de Marseille était le tout premier de Johnny mais c'était sûrement un des premiers ( Souvenirs, Souvenirs  n'était même pas sorti ). C'était un vieux théâtre en bois ( hélas aujourd'hui rasé pour construire la Bibliothèque de Marseille ) où mon marseillais de père allait régulièrement à l'entre-deux guerres pour des cafés-concerts à une époque où les chanteurs chantaient sans micro, comme il aimait me le rappeler...

En première partie, donnait de la voix une chanteuse de négro-spirituals ( comme l'on disait avant que l'on confonde racisme et sens des mots, tout comme le doigt avec la lune qu'il désigne...) C'était June Richmond dont je n'ai jamais trouvé de disques alors même que je connaissais déjà bien le Gospel grâce aux émissions dominicales de radio ( à l'ORTF ) de Sim Copans.

Quand le rideau s'est levé et que Johnny est entré en chantant un inédit ( Je cherche une fille ) on s'est aperçu qu'un grand voile séparait le chanteur de son orchestre dont on ne distinguait que des silhouettes... Il était vêtu de noir, pantalon de cuir et chemise à trous. Puis il chanta son premier tube : T'aimer follement, version française édulcorée de Making Love...

On a tous cru que le vieux théâtre allait s'effondrer sous le martèlement des pieds des jeunes gens entassés de l'orchestre aux balcons. Encore pire qu'en Mai 68 au théâtre de l'Odéon à Paris...

Bien sûr, c'était une époque où les français ne savaient pas taper dans leurs mains en mesure ( dans les temps faibles ce qui entraîne un rythme déhanché et syncopé ) ce qui m'énervait beaucoup puisque pour moi la musique c'était le rythme ( pour les paroles il y a les livres... ). Ainsi je m'évertuais à frapper des mains le plus fort possible en cadence. J'étais particulièrement excité en écoutant le morceau que je préférais :

« J'suis mordu pour un p'tit oiseau bleu,

tellement mordu que j'en deviens gâteux ! »

Quand nous sommes sortis, avec mon copain abasourdi, nos paumes de mains rougies chauffaient un max ! Et nos cœurs battaient à rompre grâce à cette musique de révolte, celle des blousons noirs et des rebelles de l'époque.

 

Daniel Giraud.

 

( L'on ne présente plus Daniel Giraud, poëte, essayiste, sinologue, alchimiste, astrologue, philosophe, amateur de l'O.M. et autres joyeusetés du même acabit. Un de ces indiens aux mille tribus, inclassable et solitaire, que l'on retrouve beaucoup plus souvent sur le sentier des guerres perdues d'avance qu'en train de fumer le calumet des compromissions contemporaines.

Daniel Giraud détient en outre le fabuleux record d'être depuis trente ans le seul authentique chanteur de blues ariégeois ( deep rural south ). Mais cette fois-ci il a troqué guitare et harmonica contre sa machine à écrire pour consigner à notre demande ses souvenirs de french mineau rock'n'roll, il y a exactement plus de quarante ans... )

 

* Johnny a chanté à l'Alcazar de Marseille les 11, 12, 13 Novembre 1960.

 

Lips electronic - Part two

Pour parler sans ambages, le nouvel album des Black Lips faillit à ses devoirs. Tout au moins au premier abord. Non seulement il porte pourtant un joli nom - comme Saturne - Satan’s Graffiti Or Is It God’s Art ?, mais c’est aussi un double album, une distance difficile, même pour un groupe aussi expérimenté que les Black Lips. Jared Swilley et Cole Alexander sont les deux derniers survivants d’une formule qui fit les beaux jours des amateurs de garage. Oh, ils sont encore capables d’énormités, tiens, comme par exemple ce «Squatting In Heaven» qu’on trouve en B, pur jus de Black Lips Sound System. Jared le chante à la frénétique, comme au temps du Star Club de Hambourg. Cole se tape une pure énormité en C avec «We Know». Il reprend les rênes du vieux silver-stormer, on a là une vraie merveille, nappée d’orgue par Saul l’imprononçable (transfuge de Fat White Family) et traversée par la sitar guitar de Sean Lennon. Drôle de mélange, direz-vous, mais c’est peut-être ce qui fait au fond le charme de cet album difficile à cerner. «We Know» est certainement l’un des piliers de cet album indéfiniment controversable. Cole l’enflamme, en vieux pro délavé par les tempêtes. L’autre énormité de ce disque est une espèce de pastiche survolté des Beatles, «It Won’t Be Long». Le miracle est qu’ils renouent avec l’énergie des Beatles à Hambourg. Quel coup de maître ! Seuls les Blacks Lips sont capables d’un tel exploit. Dans «Wayne», ils se foutent de la gueule de Wayne. Toute la bande chante à l’unisson du saucisson sec - Wayne you never feel the pain/ Wayne you never feel the rain/ Wayne you never were the same - Mais ils ont aussi des cuts qui déroutent les cargos, comme cet «In My Mind» qui sonne comme du Van Der Graff Generator, et ce n’est pas peu dire. Ils se fendent aussi d’un beau hit pop sixties, «Crystal Night». On se régalera aussi de «Rebel Intuition», une belle pièce de pop attack servie par une foison instrumentale réellement bienfaisante. On sent que ce groupe arrive à maturité et qu’il travaille des ambiances en studio, tout en conservant des vieux réflexes inflammatoires.

Mais sur scène, ils ne travaillent pas les ambiances, il les schtroumphent. S’il fallait résumer le set des Black Lips par un seul mot, ce serait : Pow ! Ils proposent une collection de classiques tirés des vieux albums et petite cerise sur le gâteau, Ian Saint Pe retrouve sa place à droite de Jared, comme au bon vieux temps du concert mythique au Gambetta. Sur scène, les Black Lips fonctionnent comme une machine inexorable, ils enchaînent leurs vingt titres comme autant de hits de juke. C’est la fête au village, les rouleaux de papier-cul remplacent les confettis, il pleut des dizaines de longues banderoles de papier rose sur la foule agitée. On n’avait plus assisté à une telle fête depuis belle lurette. Dans son coin, Cole tripote sa boîte d’effets, chante dans deux micros et libère à ses pieds des petits nuages de fumigènes. Il est moins sauvage qu’avant, il ne se roule plus par terre et ne crache plus en l’air pour jouer à récupérer ses molards. Il s’applique à chanter derrière son micro, comme si pour la première fois de sa vie, il se résignait à rester sage sur scène. Il porte un chapeau de cowboy et un jean clair marbré de crasse. Il est assez marrant, car il avance sur des jambes terriblement courtes et arquées. Impossible de le prendre au sérieux, son côté Lucky Luke le dédouane définitivement. Le voir chanter «Dirty Hands» - Won’t you take my dirty hand - en hommage au «Wanna Hold Your Hands» des Beatles vaut tout l’or du monde.

Jared occupe toujours le centre de la scène. Dès qu’il arrive pour régler le son de sa basse Hofner, on voit qu’il s’est bien piqué la ruche. Il travaille toujours son look biker gay, en portant une casquette en cuir - identique à celle que porte Kid Congo - un T-shirt blanc aux manches roulées sur les épaules, un jean noir ultra-moulant qui met en valeur sa taille de guêpe et des pompes de basket blanches qui complètent bien la panoplie. Il porte toujours sa moustache de sapeur et veille bien sûr à ne pas se raser de frais. Malgré son état d’allumage avancé, Jared va assurer comme un pro, aussi bien au chant que sur sa petite basse violon. Ce mec fait partie des grands bassmen modernes, énergiques et précis. Il vient en droite ligne de McCartney, ce qui le dédouane lui aussi définitivement. Force est d’admettre que le bassmatic de McCartney relève de l’irréprochabilité des choses. Quand ado on apprenait à jouer de la basse, trois modèles s’imposaient : Jack Casady, George Alexander et McCartney.

Jared chante tout à l’énergie. Il fonce, comme s’il était au front. On sent bien que ce mec ne vit que pour ça. La scène et le rock lippu. Et Ian Saint Pe veille au grain d’origine, il semble en retrait, mais c’est lui qui trame les complots dans l’ouragan, il mêle une technique de killer flasher à une attitude d’archange boticellien. Il fait lui aussi le spectacle, il ne flagorne pas comme Jared, il joue le rôle du pivot dans le chaos environnant. Quelque chose d’incroyablement pacifique émane de lui.

Ils attaquent leur set avec «Sea Of Blasphemy», vieille pépite de garage dévoyé tirée de Let It Bloom, leur troisième album. Jared chante ça avec un entrain confondant. Il nous claque là l’hymne des délinquants du monde entier. Ils ressortent aussi «Fairy Stories» de cet album paru il y a plus de dix ans sur In The Red, ainsi que l’étrange «Hippie Hippie Hoorah» pour le rappel. Mais Cole a l’air d’y tenir. Décoré de guirlandes de papier cul, il chante ça avec un tel aplomb qu’il reçoit l’absolution du public. Ils tirent aussi quatre cuts d’un album plus récent, Arabia Mountain : «Family Tree», «New Directions», «Knockahoma» et «Raw Meat». Tous ces cuts de pop mériteraient de finir dans des jukes, tellement ils sont bien foutus. Ces branleurs d’Atlanta finiraient bien par sonner comme des Anglais. «New Direction» évoque en effet les Buzzcocks. Ou comme des Irlandais : avec «Raw Meat», ils réussissent l’exploit de sonner comme les Undertones. Tirés de Good Bad Not Evil, «Cold Hands», «Lean» et «O Katrina» semblent bourrés de ce vieux génie foutraque qui les caractérisait si bien voici dix ans. Les Black Lips finissent par pervertir la symbolique du garage tout en la sublimant. La chose n’est pas facile à expliquer, mais en tous les cas, c’est ce qu’on ressent clairement quand on les voit jouer. Vous ne trouverez pas une seule seconde de temps morts dans un set de Black Lips. Ils tirent «Drive By Buddy» et «Funny» de leur avant dernier album, Underneath The Rainbow. «Drive By Buddy» sonne comme un hit des Monkees, mais avec un drive plus locace, et la petite pop persistante de «Funny» s’impose à la force du poignet. Ils ne tirent qu’un seul cut du dernier album satanique, «Cant Hold On» et vers la fin du set, ils rendent un bel hommage au pauvre Fred Cole qui vient de disparaître avec une reprise de «You Must Be A Witch», qui date du temps de Lillipop Shoppe. C’est-à-dire 1968, au siècle dernier.

Signé : Cazengler, Black lope

Black Lips. Le 106. Rouen (76). 15 novembre 2017

Black Lips. Satan’s Graffiti Or Is It God’s Art ? Vice Music 2017

 

ERVIN TRAVIS

Ervin Travis est malade. Depuis deux inquiétantes années les nouvelles se font rares, ce n'est pas une raison pour que son souvenir s'estompe, quoi de plus naturel que de se mettre à l'écoute de son oeuvre ? Nombreuses sont les vidéos de ses concerts sur YouTube, mais dans cette chronique nous tenons avant tout à nous intéresser à ses deux premiers albums enregistrés chez Big Beat Records, en 2001 et 2002.

 

Combien de fois n'avons-nous pas râlé en étudiant les pochettes des rockers français, pillaient sans regret ni honte la discographie, des rockers américains pour la première génération, des groupes anglais pour la deuxième... Pouvaient pas faire comme les plus grands et créer par eux-mêmes ? Les écailles nous sont tombés des yeux peu à peu, au fur et à mesure que nos connaissances progressaient, déjà les vieux bluesmen si respectables du delta se fauchaient les morceaux sans vergogne se contentant au mieux d'en changer le titre et le texte, les Rolling Stones ne se mirent à composer leurs morceaux qu'une fois qu'ils prirent conscience qu'ils gagnaient davantage sur les droits d'auteur qu'en tant qu'interprètes, ne parlons pas de Led Zeppelin qui furent carottés la main dans le sac aux pépites pour avoir emprunté à Muddy Waters, sans permission, cela va sans dire, le riff de Whole Lotta Love, leur morceau emblématique...

Quant aux pionniers... il vaudrait mieux ne point trop s'étendre pour garder nos naïves âmes encore enrobées de notre native candeur, si l'on ne devait en prendre qu'un... par exemple, pas tout à fait au hasard, Gene Vincent... Justement ce serait parfait, puisque ces deux CD d'Ervin Travis ne présentent comme des reprises de Gene Vincent. En plus l'aggrave son cas, Ervin, non pas des adaptations censées redéfinir l'épure structurale des titres, osons les mots qui fâchent, des imitations à l'identique.

Avant de nous pencher directement sur le pourquoi et le comment d'une telle entreprise, un détour s'impose. L'est temps de remonter aux calendes grecques. Lorsque Aristote reprend dans son sa Poétique le thème de la Mimesis, il ne fait que s'engager dans un débat corrosif qui déchire depuis trois générations sophistes et philosophes. L'imitation est au centre du débat. Ne s'agit pas de porter un jugement moral sur ce que les Grecs ne considéraient pas comme un plagiat mais comme un état de fait. Si personne ne trouvait à redire à la coutume - somme toute assez agréable – par laquelle les animaux et la race humaine se reproduisaient, la façon dont on fabriquait un objet et la manière dont l'on se devait d'adopter des comportements, sinon héroïques, au moins dignes d'un citoyen qui avait à cœur de concourir à la préservation de sa Cité, étaient longuement discutés... L'air de rien, c'était aborder des sujets fondamentaux tels que les rapports cognitifs relatifs à l'appréhension technique de la matière, l'enseignement, et la politique... Aristote qui n'était pas un néophyte dans la maîtrise de ses problématiques, y rajouta sa pincée de sel abrasif, toute une réflexion sur la nature de l'art dramatique qui selon certaines opinions n'est sous couvert de création qu'un copiage plus ou moins fidèle de la nature... Rassurez-vous, nous ne nous lancerons pas ici dans un commentaire de la Poétique d'Aristote. Ce simple rappel pour adopter une attitude d'humilité vis-à-vis de cette pratique rock'n'rollienne de la reprise. Ce qui n'empêche pas de garder notre esprit aussi acéré qu'un sabre de cavalerie. Un tout dernier rappel avant de quitter le maître d'Alexandre le Grand : le drame grec était accompagné de musique.

A une admiratrice qui lui demandait pourquoi il se cantonnait à reprendre Gene et non à créer des titres personnels, Ervin avait répondu en souriant qu'il préférait conduire une formule 1 qu'une deux-chevaux. Réponse de toute modestie qui ne tient pas compte de l'impact qu'eurent les pionniers sur les premières générations rock. L'apport était si nouveau qu'ils paraissaient extraordinaires. Surtout par chez nous, où ils débarquèrent sans avertissement préalable dépourvus de toute traçabilité généalogique possible. Les pionniers donnèrent l'impression d'une escouade de vaisseaux spatiaux venus d'une autre galaxie qui se seraient posés sans crier gare au bout de la rue. Trop beaux, trop neufs, trop forts. Une avance technologique dont on avait du mal à mesurer l'ampleur. N'y avait qu'à imiter. Tout en restant persuadés que l'on n'égalerait jamais ces nouveaux maîtres indiscutables. Il ne s'agissait pas de copier mais de calquer. Petits garçons qui imitent sciemment l'attitude du père étant intimement persuadés qu'il est impossible de faire mieux autrement. En France cette attitude fut d'autant plus naturelle que la musique – au contraire de l'Angleterre par exemple – ne jouissait d'aucune implantation culturelle populaire. Elvis, Gene, Eddie, Bill, Chuck, Little, Bo, Buddy, étaient des Dieux surgis de nulle par. Le traumatisme fut si fort que Mitchell, Hallyday, et Rivers, bénéficient encore de cette aura indéfectible...

Gene Vincent eut le privillège d'une réception particulière en notre pays. L'apportait une dramaturgie proximale que les autres n'avaient pas. Sentait le soufre avant d'avoir même ouvert la bouche. Avec lui, le rock était davantage qu'une musique, un art de vivre, loin des flamboyances attitudinales d'un James Dean. Rebelle sans une once de frime. L'avait un profil de bête traquée. Un loup sur ses gardes qui n'en égorge pas moins les troupeaux de moutons pour la simple et bonne raison qu'il est un loup et rien d'autre. Pas un chien de salon. L'était comme tout un chacun. N'avait pas un centimètre carré d'espace de libre, lui était impossible de tricher, habitait trop son personnage pour pouvoir jouer. Un épileptique aux abois. Savaient que les fusils de l'existence étaient braqués sur lui, mais il les regardait sans crainte et refusait de baisser les yeux. Une bête sauvage, méfiante. Prête à mordre la main qui voulait lui venir en aide. Un insoumis naturel. Sans autre idéologie que la survie à court terme. Sa proximité êtrale avec les plus grands poëtes m'est toujours paru évidente.

Quand vous êtes touché, c'est fini. J'entends encore Ervin raconter comment il enregistrait sur une K7 de quatre-vingt-dix minutes autant de fois que possible le même morceau de Gene qu'il écoutait en boucle, partout, toujours. Transfusion charnelle. Obsession spirituelle. Ne pas être Gene, mais arriver à ces rares instants de communion hommagiale. Ne pas être soi pour devenir plus grand que soi. Vertige du dépassement. Certains parleront de folie assimilatrice, les mêmes qui font attention à ne ressembler à personne alors qu'ils passent inconsciemment leur temps à s'identifier à tout le monde. J'opterais plutôt pour une connaissance d'un genre particulier, une espèce de gnose individuelle qui n'appartient qu'à soi. Qui ne regarde que soi mais qui par le seul fait d'être expérimentée dans le monde extérieur des vivants se donne en spectacle. Nous avons tous de semblables comportements dans notre cinéma intérieur, mais nous refermons bien vite le couvercle dessus, faut un sacré courage pour s'échapper de soi-même. Mais cela ne suffit pas. Il est facile de devenir un clone pathétique, un histrion véridique de soi-même disait Mallarmé, il est nécessaire de savoir faire la différence entre le rêveur et le clown. Une sacré rigueur mentale. Pour que le numéro soit réussi, l'identification doit être distanciation. Brèche bretchienne dans le processus. Alors vous pouvez être vous et un autre. L'autre de vous, assurait Arthur Rimbaud. Si j'étais vous, quand j'étais vous. Un exercice littéraire. De lecture. Surtout pas un pastiche. Le but pour Ervin n'est pas d'être Gene Vincent – mission impossible - mais de nous le restituer. De nous en offrir une possibilité. Une évocation.

D'où ces disques qui ne seront pas mieux que ceux de Vincent. Mais autres. En signe de la fidélité que l'on se porte d'abord avant tout à soi-même.

 

FROM TIDEWATER TO DALLAS

ERVIN TRAVIS

& HIS VIRGINIAN

 

BIG BEAT RECORDS / BBR 000 77.

 

Ervin Travis : vocal, guitars / Philippe Fessard : lead guitar / Patrick Verbeke : lead guitar on Vincent's blues / Alain Neau : piano, clavier, backing vocal / Romain Decoret : Bass / Arnaud Brulé : drums, backing vocals.

 

Deux beaux textes de présentation. Jean-William Thoury brosse à grands traits le parcours d'Ervin Travis. Comment depuis le sud-ouest profond ses premières interprétations de Gene captent l'oreille des amateurs parisiens, la formation des Virginians, ses concerts qui attirent jusqu'à plusieurs milliers de spectateurs enthousiastes. Philippe Fessard évoque rapidement les différentes formations des Blue Caps, mettant particulièrement l'accent sur le successeur - ne s'agit pas d'un remplaçant mais d'une dynastie – de Cliff Gallup, Johnny Meeks ( dont la fille nous apprit le décès le 30 juillet 2015 ). Guitariste acéré qui électrisa encore plus le rock'n'roll de Gene Vincent, l'a rassemblé les découpes structurales des morceaux de Cliff héritées du jazz. A première vue le style de Cliff est plus original, plus surprenant, c'est oublier un peu vite que Johnny Meeks établissait une manière de jouer qui fit tellement d'adeptes et qui se perpétua si longtemps qu'aujourd'hui elle semble presque commune alors qu'en son temps elle contribua à faire des Blue Caps le premier groupe de rock de son époque dégagé des influences country, swing et jazzistiques.

Le titre peut paraître mystérieux : désigne simplement l'ère géographique, originaire, d'envol et de repos des Blue Caps.

Dance to the bop : bluffant, n'y a que la batterie trop lourde qui ne parvient pas à maîtriser ce mouvement de reptation si caractéristique de Dickie Harrell qui donne l'impression de décomposer chaque frappe en deux temps, alors qu'elle n'en vaut qu'un. L'on ne retrouve ce genre d'étirement temporel que dans certaines prosodies grecques. La voix d'Ervin épouse parfaitement la scansion de Gene. Yes, I love you baby : un de ces petits trots enlevés qui seyaient si bien à Gene Vincent. Ervin reprennent ce petit joyau à merveille, avec peut-être chez Ervin une pointe d'accent nasillard du sud des USA qui n'apparaît pas chez Vincent !Right now : ce coup-ci Gene ondule de la voix tel un serpent qui avance en avant en tirant une bordée sur la gauche et une autre correctrice sur la droite. Ervin s'extirpe comme un chef de la difficulté, la prolifération des allitérations du phonème ''on'' qui doit systématiquement retomber sur une frappe creuse de batterie nécessite une agilité démoniaque. Beautiful brown eyes : un mid-tempo avec des volutes vieillottes de piano quelques fils de guitares colorées, cela sent la vieille Amérique du temps des lampes à pétrole. Philippe Fessard se met en avant sur le solo qui claque comme un lustre dont le soudain allumage dans une pièce semi-obscure vous dessille les yeux, si Ervin marche dans les pas de Gene, le band derrière ne peut s'empêcher de décoller. Over the rainbow : une des chansons du répertoire de Gene préférée d'Eddie Cochran. L'est vrai que Vincent en donne une version intemporelle terriblement émouvante. Ervin s'attaque à un monument. A compris qu'il n'y fallait rien rajouter, aucune emphase, aucun trémolo, l'a la bonne idée de donner une inflexion quelque peu enfantine à sa voix pour en assurer l'innocence émerveillante. Dance in the street : un peu d'exercice après tant d'émotion ne peut pas faire de mal, les Virginians embrayent sec avec un démarrage de moto en intro, et c'est parti pour un sérieux fandango, Ervin se joue des récifs – essayez de piquer du premier coup une centaine de mygales en goguette sur la table de la cuisine avec un cure-dents – et tout le monde fonce sans regret, l'est sûr qu'en France l'on danse plus vite qu'à Los Angeles. Rollin' Danny : le genre de truc vicelard en diable, ça paraît tout simple mais vous avez intérêt à attacher la voix à votre respiration car l'ensemble tient de l'exercice yogique, Ervin a décidé de passer en force et derrière la guitare de Phillipe Fessard carrillone comme la voiture des pompiers qui vient ramasser les morceaux. Should I ever love again : un slow comme l'époque les aimait bien, une orchestration à la Platters, et Vincent qui moanise en dessous pour vous faire comprendre que toute tristesse vient du blues. Ervin a compris l'astuce. L'aboie comme le chien abandonné à la pleine lune, et puis vous refile la caresse du maître qui recueille la pauvre bête abandonnée, et les Virginians appuient tellement fort que pour un peu vous en pleureriez. Somebody help me : Vincent vous enregistre cela comme un coup de vent qui entre par la fenêtre ouverte et vous arrache les rideaux, style opération commando surprise. Ervin et son gang de virginiens vous refont le même trip. Vous surprennent tout de même alors que vous vous y attendiez. Comme quoi rapidité et célérité valent mieux qu'escargots et lémuriens. Rock'n'roll Heaven : pas d'erreur le son de Gene Vincent, la voix de Gene Vincent, le style de Gene Vincent, mais c'est du Décoret tout pur, et Ervin plus vrai que nature, de la ballade mélancolique au rythme débridé tout y passe. Un bel hommage à Gene. Et à Eddie par la même occasion. Vincent's blues : un blues caractéristique. Rien à redire sur le balancement chaloupé. Ne lisez pas les paroles seules, elles vous paraîtront d'une pauvreté affligeante mais lorsque Gene les martèle et les ponctue de cris, l'ensemble vous prend aux tripes. Les Virginians parviennent à jouer plus bleu que les Blue Caps, et Ervin vous pousse de ses bramements sauvages à amadouer les baleines. My heart : une sucrerie, écrite par Johnny Burnette mais cela vous a des résonances à la Buddy Holly, Gene vous y prend une voix de petite fille qui joue à la poupée qui lui va à ravir. Un régal pour Ervin, vous l'interprète en rose bonbon, tandis que derrière les Virginians batifolent et s'adonnent aux cabrioles. Un truc hautement pervers. Pour amuser les enfants, l'on a rajouté une espèce de jingle radio à la Walt Disney, le genre de facétie dont raffolait Eddie Cochran. You are the one for me : un tempo qui traîne et Gene qui fait le joli coeur. Pour adolescente romantique qui vient d'être abandonnée par son boyfriend. Ervin y rajoute un peu d'angoisse mélodramatique et le piano pleure un peu plus fort. I got to get to you yet : les Beatles ont dû gravement l'écouter, z'ont dû y puiser une certaine manière de faire sonner une guitare. En tout cas n'atteindront jamais la légèreté de la voix de Gene sur aucun de leurs enregistrements. Ervin y réussit parfaitement. Que dire de plus ? Lavender blue : l'on quitte the Capitol Tower pour les enregistrements londoniens. L'est sûr que de tous les morceaux de cette période c'est celui – nonobstant l'intrusion de l'orgue qui se rapproche le plus des ballades de Gene made in America. Ervin suit Gene pas à pas, mot à mot, et comme pour l'orchestration l'orgue est en sourdine et louche un peu du d'Over the Rainbow, l'on n'est pas loin de préférer Ervin. Et puis cette idée géniale de rajouter le sifflement final, fait pencher le jugement en sa faveur.

 

Une belle réussite. Tant au niveau vocal qu'instrumental. Le traitement des clappers boys est remarquable.

 

SHADES OF BLUE IN PARIS

ERVIN TRAVIS

And The Virginians

 

Même méthode que celle employée pour le CD précédent. D'abord une rapide évocation de l'interprétation de Gene, ensuite l'apport d'Ervin.

BIG BEAT RECORDS / BBR 000 87 / 2004

Ervin Travis : vocal / Philippe Fessard : lead guitar / Alain Neau : keyboards, acoustic guitar, backing vocals / Romain Decoret : electric bass / Arnaud Brulé : drums, backing vocals

Lotta lovin : une perfection irradiante. Surface chatoyante d'une pierre précieuse. Autant l'entrée du morceau semble un peu chaotique, autant très vite tout rentre dans l'ordre et offre l'aspect d'un bijou de lave volcanique polie durant des siècles par la mer. Attention nous sommes dans un enregistrement public, ce qui change tout. Certains fans d'Ervin pensent que son chant atteignait une ressemblance avec celle de Gene encore plus remarquable sur scène que sur disque. Dance in the street : ce morceau semble le confirmer, mais très vite l'affaire s'emballe et Ervin presse la cadence, tout autre que lui en perdrait les pédales mais il vous surfe sur la vague avec une élégance à laquelle vous souscrivez sans réserve. Blue eyes crying in the rain : première reprise du LP Crazy Times enregistré en 1959 avec Joe Merrit à la lead. L'occasion pour Philippe Fessard de démontrer qu'il assure sans problème, piano et guitare se taillent la part du lion, pour Ervin c'est peut-être plus facile, ce morceau d'allure un peu country est celui qui au niveau vocal s'écarte le moins des enregistrements 57 – 58 d'une facture plus originelle si on les compare avec ce parti pris d'un son nouveau – crépitant et étincelant – pris lors des séances d'enregistrement du disque. You win again : un morceau d'Hank Williams, Gene en donna sur scène ( Town Hall Party, 1958 ) une version très proche des enregistrements country des années cinquante, les Virginians électrifient quelque peu le topo ce qui permet à la voix d'Ervin une plus grande amplitude. Sexy ways : un peu de sexe n'a jamais fait de mal, Ervin Travis se cale sur la version que Vincent en a donné sur la RAI sans oublier la fabuleuse reprise sur I'm Back and Proud, un morceau qui envoie, parfait pour la scène, Ervin se donne à fond. En filigrane l'on repense à la version de Gene avec Eddie... Who slapped John ? : l'occasion à Philippe Fessard de montrer qu'il ne dédaigne pas de s'attaquer à Cliff Gallup. Dommage que derrière la rythmique ne soit pas au top, Ervin sauve la mise sur ce morceau qui demande que l'on déchire sa voix sur les fils barbelés du rock. Flea brain : encore une de ces petites merveilles de Gene, z'avez intérêt à avoir la vélocité élastique qui bondit comme un cabri qui se serait aventuré sur des plaques chauffées à blanc, Ervin raffole de ce genre d'exercice aux figures imposées. Dommage que la basse s'immisce un peu trop par devant. Frankie & Johnnie : un must de Gene, vous y prend une voix creuse qui vous transforme ce drame de très commune jalousie conjugale en une tragédie grecque. Destin rampant. Ervin ne s'en tire pas mal mais l'appuie un tantinet trop, nous désigne du doigt le reptile de la mort qui s'avance traîtreusement. In my dreams : une sucrerie pour les jolis cœurs, que ne ferait-on pas pour arriver à ses faims sexuelles. Vincent en parfait hypocrite. Remarquons que le dénommé Travis n'est pas en reste non plus pour phagocyter sa future victime, l'ajoute même un miaulement totalement pernicieux auquel Vincent n'avait pas pensé. Comédie humaine, comédie rock. I'm goin' home : un titre mythique de Gene, une démarque de Bo Diddley. Parfois les transcriptions sont plus parlantes que les originaux. Ervin épouse la position du sprinter dans la dernière ligne droite. L'on sent que le public exulte, Phillipe Fessard se dépasse, on le remet sept fois de suite. On a de la chance, font durer le morceau. Beau solo de batterie d'Arnaud Brulé qui nous montre de quel bois il se chauffe. Rip it up : L'enchaîne sa volée de bois vert sur Rip It Up, Ervin prend le relais et vous fracasse les abattis d'une voix à vous rendre marteau. Grand capharnaüm final rock'n'roll. Un des plus forts moments du disque. Une pensée pour Little Richard sur son fauteuil roulant. Say Mama : pas de temps à perdre, une version catapultée à la fronde, Davyd Johnson se surpasse au saxophone. Ervin Travis emporte tout. You are my sunshine : un extrait – la chanson la plus reprise au monde dit-on – de Shakin Up A Storm, Ervin Travis a l'avantage de bénéficier de la pêche melba qu'apporte la scène. Le sax déménage et Ervin vous remplit la camionnette en moins de deux. Ne vaudrait mieux pas qu'il prenne le volant, trop tard l'est déjà aux manettes. Tant mieux. Right here on earth : Gene en pervers malicieux avec les clappers boys qui applaudissent avec une fouge de castagnettes atteintes de la danse de saint-Gui. Le genre de bichonnerie dans lequel Ervin excelle. Gymnastique vocale, et trampoline palatal. Se joue des difficultés. Et derrière lui, l'on ne chôme pas. Someday : celle-là tout le monde l'a reprise, même Jerry Lou le sauvage, Gene marche sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller le rêve qu'il est en train de faire. L'on approche de la fin du concert et Ervin se permet une dernière ballade comme un conte de fée que l'on raconte aux enfants pour les endormir. Non, pour qu'ils reprennent des forces avant la furieuse bataille de polochons qui se prépare. Baby blue : Patrick Verbeke se joint à Philippe Fessard pour ce morceau fondateur du heavy-metal, titre phare de la discographie de Gene Vincent dont on regrettera qu'il n'ai pas poussé plus loin ses investigations dans cette direction, Ervin nous en donne une version qui suit à la lettre son modèle, l'on déplore qu'il n'ait pas profité de l'adjonction de son deuxième guitariste pour s'adonner à une orgie sonore dont beaucoup ne se privent pas en concert, le plus n'est pas toujours l'ennemi du bien. Rocky road blues : impeccable reprise du vieux classique de Bill Monroe, Ervin ne s'écarte pas de la piste tracée par l'adaptation de Gene, sa voix est comme l'aigle qui de son aile altière survole la barre des montagnes rocheuses. Be bop a Lula 2002 : une version encore plus rapide que celle de Gene de 62. Verbeke et Fessard se font plaisir. Ervin leur laisse le champ libre. De sa voix trépidante il met en valeur les éclatements des guitares. The day the world turned blue : ( unplugged bonus track ) une des dernières chansons de Gene sur l'album du même nom. Ervin seul à l'acoustique. Miracle de la voix qui restitue à la perfection ces titres crépusculaires – parmi les plus beaux de Gene – du guerrier qui sait que le combat s'achève. Geese : ( unplugged bonus track ) et qui sait déjà que l'oiseau de l'âme s'apprête à la partance pour un autre voyage. Une interprétation qui démontre que nous ne sommes pas en présence d'une vulgaire imitation, mais à une osmose spirituelle entre deux individus reliés par des résolutions communes qui n'appartiennent qu'à eux. N'oubliez pas Alfred de Vigny dans les Destinées, seul le silence est grand.

 

Merci à Ervin Travis pour ces deux tributes à Gene Vincent. Certes il n'est pas le seul à avoir tenté l'expérience sur scène ou sur disque. Mais sa voix est empreinte d'une telle transparence avec celle de Gene que parfois l'on s'y tromperait. Leurs deux parcours parallèles obligent à penser à l'amitié qui unissait Castor l'Immortel à Pollux de fragilité toute humaine. Et comment l'un a su insuffler la vie à l'autre.

 

Damie Chad.

*

UNE INCROYABLE DECOUVERTE !

 

Damius Chadius : oui, c'est bien une découverte importante. Peut-être la plus précieuse de toutes. Certes nous possédons beaucoup de renseignement sur ces époques lointaines que nous appelons les Âges Obscurs. Mais cette fois nous sommes entrés en possession d'un ensemble de documents qui remettent en question bien des certitudes sur ce vingt-et-unième siècle duquel nous sommes séparés par plus de trois millénaires.

Journaliste : cher professeur, comment se présente cette trouvaille ?

Damius Chadius : il s'agit d'une centaine d'images colorées, grosso modo de dix centimètres sur quatorze, donc pas très grandes, mais qui semblent avoir eu une grande importance pour les peuplades arriérées de ces temps très anciens. Nous les avons retrouvées sur le site de construction du nouvel soucoupodrome de Notre-Dame-des-Landes.

Journaliste : mais que signifient-elles ? Que nous racontent-elles ? Que nous permettent-elles de savoir de la mentalité de nos ancêtres quasiment préhistoriques ?

Damius Claudius : l'interprétation est difficile. Par exemple nous n'avons pu déterminer si ce sont les pages arrachées de ces étranges objets que ces peuplades primitives appelaient livres ou si ce sont des artefacts séparés qu'un collecteur anonyme aurait réunis selon un mobile qui nous échappe encore.

Journaliste : que de mystères !

Damius Chadius : hélas oui ! Toutefois ces images sont accompagnées de signes qui nous apparaissent comme des graphèmes d'une langue qui nous est inconnue.

Journaliste : donc, nous ne savons rien !

Damius Chadius : nous avons tout de même un peu de chance, certains graphèmes sont systématiquement répétés, à tel point que nous pouvons nous hasarder à quelques hypothèses.

Mais le mieux serait peut-être que nous regardions et commentons tout de suite quelques unes de ces énigmatiques images.

Journaliste : par laquelle commençons-nous et pourquoi ?

Damius Chadius : par celle-ci, la plus anthropomorphique de toutes. Deux individus, le mâle et la femelle. Remarquez la position assise de l'homo-non-sapiens, la femme par contre debout et inclinée, nous sommes en des époques ou la sujétion féminine est totale. La servante fait révérence devant le maître. S'apprête à s'agenouiller nous indique le fléchissement des jambes. Dix pour cent de nos images représentent ces individus, nous en concluons que le mâle est vraisemblablement l'artiste qui s'est représenté, sur son trône, en pleine gloire, son esclave s'apprêtant vraisemblablement à mélanger avec cet instrument des plus bizarres les pigments nécessaire à la confection de nos artefacts.

Journaliste : l'artiste serait donc l'homme ?

Damius Chadius : oui, sans aucun doute et nous lui avons donné un surnom pour le désigner plus facilement : comme nous sommes proches de l'âge de pierre, nous l'avons surnommé Pierre. Mais passons à la reproduction Numéro 2.

Journaliste : étrange ! Cher maître nous avons besoin de vos lumières !

Damius Chadius : encore plus mystérieux que vous ne le croyiez. Deux oiseaux. Ce cartouche volatile se répète sur tous nos documents. Nous sommes vraisemblablement en face à un motif religieux. Certainement un rite d'adoration ornithologique. Admirez la richesse du cadre, la présentation blasonnée et la formule rituelle cui-cui rock'n'roll, sans doute un mot de passe sacramental que les fidèles devaient psalmodier en chœur.

Journaliste : Nous aimerions en savoir davantage sur ces rites ornithologiques !

Damius Chadius : Examinez avec soin les deux images suivantes ! ( 2885 et 2884 )

 

La première à connotation campagnarde, la seconde maritime. Cela désigne des lieux précis et dissemblables. En fait les adorateurs des oiseaux devaient les suivre, partout, où qu'ils soient. Sans doute là où les bestioles se posaient était-il organisé des cérémonies sacrées, l'on devait y chanter et y danser. Nous ignorons tout de l'objet sur lesquels ils sont posés, nous subodorons un nichoir spécialement conçu pour eux. Mais l'on n'hésitait pas à les suivre sur la mer s'il leur prenait la fantaisie de s'envoler vers d'autres cieux.

 

Journaliste : étrange ces nichoirs, comment savaient-ils qu'ils allaient s'y poser dessus ?

Damius Chadius : c'étaient des objets évolués. En voici trois modèles. Apparemment les oiseaux aimaient les formes rondes, certains collègues s'aventurent à proposer que ces rotondités permettaient de les déplacer facilement, sans doute des hordes de fanatiques les suivaient et déposaient ces sortes de perchoirs en des lieux appropriés lorsqu'ils devaient manifester quelques signes de fatigue.

 

Journaliste : quelles coutumes extravagantes ! D'après-vous quels étaient les endroits privilégiés de ces animaux ?

Damius Chadius : nous l'ignorons. Toutefois nous avons remarqué que certaines inscriptions changent. Si nos ordinateurs arrivent à déchiffrer des graphèmes comme Le rat qui pète ou La Bohême nous en saurons sûrement davantage.

Journaliste : et il n'y a point d'autres animaux !

Damius Chadius : les piafs sont toujours présents, mais regardez, les voici en compagnie d'ours,  d'un chat, ici d'un sanglier et là d'un loup, nous sommes formels, ces cultes ornithologiques devaient s'accompagner de résurgences chamaniques encore plus lointaines.

D'après certains confrères le cartouche cui-cui rock'n'roll doit être un stigmate chthonien en relation avec d'ancestrales religions barbares et infernales, cette nouvelle image nous semble assez explicite.

Toutefois j'opterais plutôt pour un culte solaire, avouez que cette roue et ses multiples rayons semblent confirmer mon intuition.

 

Journaliste : des animaux, des hommes mais pas de femme ?

Damius Chadius : parfaitement, à l'exception du couple de la première image qui revient de temps en temps. L'honnêteté intellectuelle et l'état de nos connaissances actuelles n'empêchent pas de penser que les cultes ornithologiques ne sont que des séquences adjacentes de l'antique culte néolithique de la Grande Déesse. Cette hypothèse nous oblige alors à réinterpréter cette première image, Pierre serait alors assis en signe de soumission, et celle que nous avons nommée la servante, serait la grande prêtresse saisie du délire prophétique. C'est pour cela que nous l'avons appelée, en résonance avec la Pythie de Delphes, Delphine. Pour appuyer cette lecture, l'image suivante s'avère intéressante. Regardez bien, la femelle semble armée, et le mâle ne semble pas très vindicatif. Serions-nous encore en des temps de profonde inculture, plus cruels et primitifs que nous le pensions jusqu'à maintenant ?

 

Journaliste : quelle est le mot qui revient le plus souvent sur ces images ? Et à quoi servaient-elles ?

Damius Chadius : en grosses lettres, sur toutes CRASHBIRDS, le nom des oiselets peut-être, sûrement celui de la Divinité adorée. Ces images devaient servir aux fidèles, peut-être des signes de distinction, d'appartenance ou de ralliement. L'on ne sait pas. Plusieurs années seront nécessaires quant à leur élucidation. Ce qui est certain, c'est qu'il y a plus de trois mille ans CRASHBIRDS devait être une entité phénoménale ou un concept primordial.

Journaliste : Cher professeur Damius Chadius nous vous remercions d'avoir répondu avec de patience et d'intelligence à nos questions d'ignorants. Soyez assuré de notre gratitude d'avoir pu interroger un des esprits des plus brillants et plus savants de notre quatrième millénaire.

Damius Chadius : que la science soit avec vous !