16/05/2018
KR'TNT ! 374 : JAMES HUNTER / DEVIL'S CUT COMBO / CHEPA / MATOS DE MERDE / SUBSELF / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / GRADY MARTIN
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 374
A ROCKLIT PRODUCTION
18 / 05 / 2018
JAMES HUNTER / THE DEVIL'S CUT COMBO CHEPA / MATOS DE MERDE / SUBSELF / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / GRADY MARTIN |
TEXTE + PHOTOS SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
They call me the Hunter
Ce Hunter-ci n’a rien à voir ni avec Albert King ni avec Free - Ain’t no use to hide, ain’t no use to run/ Cause I’ve got you in the sights of my love gun - Oui, ça fait une bonne dizaine d’années que James Hunter fait son petit bonhomme de chemin, et depuis qu’un fabriquant de mythes à deux pattes nommé Daptone l’épaule, ce vétéran de la Soul anglaise est entré en vainqueur non pas dans Rome mais dans l’inconscient collectif des amateurs de Soul.
Enfin, pas tout à fait. Il n’attire pas encore les foules. À la Traverse, la salle était à moitié pleine. Ou à moitié vide, comme vous préférez. Tant pis pour ceux qui ont raté ça. Il faut dire que l’excellence était au rendez-vous. Sacré showman que ce petit bonhomme. Éminemment sympathique au premier abord, avec un faux air d’early Robert Hirsch, vivace, prompt à la rigolade, terriblement expressif, pas avare de grimaces, usant de sa physionomie mobile comme d’un instrument, il embarque son public dès le premier cut, l’excellent «If That Don’t Tell You» tiré de l’album Hold On. James Hunter propose un numéro de cirque assez fascinant, directement inspiré de ceux des grands artistes noirs qui ont émerveillé l’Amérique pendant cinquante ans : il chante la Soul, le blues et le calypso avec une voix de Soul Brother à la Gary US Bonds, il joue de la guitare comme un manouche de Chicago et danse des pieds comme James Brown. D’ailleurs sa petite corpulence et sa façon de stabiliser son corps dans le feu de l’action évoquent immanquablement James Brown. Il porte le même genre de petit costume anthracite boutonné et s’il esquisse des pas de danse, c’est pour rigoler. On voit bien qu’il adore la poilade. Il n’arrête pas de placer des mimiques entre deux solos killer flash. Il joue le jazz de Soul avec des mains de cordonnier, les doigts de ses deux mains enroulent les notes et semblent malaxer une pâte. Technique extrêmement sensuelle. On dirait qu’il joue à l’instinct et qu’il caresse le corps d’une femme offerte. Sur scène, cinq vétérans de toutes les guerres l’accompagnent, claviers, stand-up, beurre et deux pépères affreusement doués aux saxophones. James Hunter s’étonne que la salle ne réagisse pas - On se croirait dans une librairie ! - Et pouf il balance une reprise des Five Royales, «Baby Don’t Do It», les deux pépères aux saxophones esquissent eux aussi des pas de danse concertés en snappy-snappant le tempo, tout ça prend une tournure affolante qui donne forcément envie de se replonger dans le monde magique des Five Royales, la salle tangue et James Hunter embarque son cut au firmament. Performer hors pair, il exécute aussi un petit numéro de virtuose avec sa Gibson jaune posée debout sur le pied, et quand il tape dans le r’n’b, il vaut largement tous les Staxers de l’âge d’or. Il fait ce qu’il veut de sa voix. Il croone comme un cake et screame comme un stroumph. Il chante sa Soul avec un tel déterminisme qu’il entre dans la caste des grands white niggahs contemporains, c’est-à-dire les géants des temps modernes, devenus tellement vitaux en ces temps de pénurie mythologique.
Les albums de James Hunter ne bénéficient pas de l’immédiateté de ceux de Lee Fields ou de Charles Bradley. James Hunter va vers un son plus calypso, de type early Gary US Bonds, c’est en tous les cas ce qu’inspire «If That Don’t Tell You», le cut d’ouverture de bal de l’album Hold On. On a là quelque chose de très fin, à la lisière du mambo des îles. James Hunter peut chanter à l’accent fêlé, il sait crooner au clair de lune. Ses cuts dansants sont idéaux pour chalouper des hanches sur Coconut Beach, baby. Il se montre très coloré sur les slowahs de salon de thé de type «Something’s Calling». Il donne sa version du mambo ambiancier et revient toujours au good timey avec des cuts judicieusement orchestrés de type «A Truer Heart». James Hunter finit par captiver, car il ne force jamais la main du lapin blanc. Il calypsotte la calypsette, alors forcément, ça plaît énormément. Oh il peut aussi danser le jerk, comme le prouve ce beau «Free Your Mind» d’ouverture de bal de B. Mais au fond, il préfère les cuts d’allure intermédiaire de type «Light Of My Life», nettement plus ambianciers. Sa came reste bel et bien le swing des îles, épicé d’un soupçon de beat popotin. Avec «Stranded», il revient au jerk solide et bien senti. Ce diable de James Hunter connaît toutes les ficelles de caleçon. On a là un joli slab d’old school r’n’b. On peut dire que ça swingue comme au temps de Sam Cooke. Il boucle cet album bien rond avec un «In The Dark» bourré de feeling et chanté à la glotte fébrile, la seule qui vaille. Petite cerise sur le gâteau, c’est soutenu à la stand-up. Quel son my son !
Dans Shindig, Paul Ritchie affirme que le nouvel album de James Hunter, Whatever It Takes va ravir les fans d’old school rhythm ‘n’ blues. Et pouf, Paul cite les noms de Sam Cooke et de Ray Charles, comme ça, au débotté. Il parle aussi d’une stripped down production. Il va même jusqu’à insinuer que cet album devrait combler le vide laissé par les disparitions de Charles Bradley et Sharon Jones. En tous les cas, l’album est passionnant. James Hunter dit s’être inspiré d’une obscure B-side de Barbara Lewis pour «I Don’t Wanna Be Without You», de Bobby Womack pour «I Got Eyes», de Johnny Guitar Watson, de Gatemouth Brown pour l’instro «Blisters» et d’Allen Toussaint pour «Show Her» - He’s a friend of our’s. Musically he was a mentor - C’est vrai, «I Don’t Wanna Be Without You» vaut le détour. James Hunter y groove littéralement le mambo. Il chante ça jusqu’à l’os du genou, cette merveille interprétative passe le Cap de Bonne Espérance. Il chante à la glotte fêlée, ça chaloupe sur la plage ensoleillée et les arrangements de cuivres intrinsèques apportent une touche de magie pure à l’ensemble. Il faut voir ces cuivres entrer dans le rond du projecteur et induire le génie mambique. Avec «Whatever It Takes», James Hunter va plus sur le blue beat. C’est tellement chanté qu’on frise l’overdose d’excellence. Ce mec pourrait bien devenir aussi énorme que Ronald Isley. Il possède tous les pouvoirs. On assiste à un nouveau Birth of Cool. James Hunter embobine aussi bien que Johnnie Taylor. Il semble agir en magicien sans même savoir qu’il est magicien. C’est l’apanage des cracks. S’ensuit une autre merveille intitulée «I Got Eyes», amenée à la vitesse du groove urbain. James Hunter y gratte des notes exacerbées. Voilà encore un cut stupéfiant de fluidité inspirée. On assiste au retour des arrangements de cuivres magiques dans «It Was Gonna Be You». James Hunter se fond dans le groove comme Zorro dans la nuit. Il chante à la glotte abandonnée. Il est sans doute le dernier grand chanteur magique de l’histoire de l’humanité. Tout est bon sur cet album. On pourrait aussi évoquer «Blisters» claqué au blisting de Gibson. Ce cat sait claquer une quenotte. Il sait même faire son Guitar Slim, aucun problème. Retour au mambo des îles avec «I Should’ve Spoke Up». Admirable velouté. On voit Major Lance danser plus loin sur la plage, avec Gary US Bonds, the calypso bad guy. Mais qui va aller écouter ça aujourd’hui ? Les albums de James Hunter sont beaucoup trop purs pour cette époque. Les accords de cuivres n’en finissent plus d’émerveiller.
James Hunter est assez fier d’avoir joué avec la plupart de ses héros, mais il dit rester un fan avant tout - It’s good to keep a bit of that innocence. If you get too knowing, you do lose that spontaneity - Et pouf, il cite les noms de Chuck Jackon, Lou Johnson et Jerry Butler, ses idoles. Il bat tous les records de modestie en disant qu’il aimerait pouvoir sonner comme Ronald Isley - I can’t help feeling Jackie Wilson must have shit himself when he heard him - On sent qu’il est resté fan jusqu’au bout des ongles.
Son premier album sur Daptone s’appelle Minute By Minute. Il ouvre le bal de l’A avec «Chicken Switch», un doux rumble de calpypso, mais il chante ça façon Deep Soul. James Hunter frise son chant, c’est assez stupéfiant. On retrouve ses superbes arrangements de cuivres dans le morceau titre, un cut outrageusement coloré, dans des tons inusités. Ce mec cultive la finesse comme d’autres cultivent les betteraves. Il chante «Drop On Me» de l’intérieur du menton, comme s’il chantait de l’âme de glotte. Il pousse tellement loin le jeu de la subtilité qu’il frise la sud-américanisation des choses. Comme Dan Penn, il mange, respire, boit, vit la blackitude. Encore un cut imparable avec «Gold Mine». Voilà un shuffle pressé et jouissif, une véritable bénédiction. En B, il sonne un peu comme Ray Charles dans «Let The Monkey Ride», mais veille à rester dans l’ambiance enchantée d’une Soul des îles. «So They Say» sonne comme un hit de groove urbain signé Bert Berns. Les cuivres rehaussent le drapé d’or - They say life is short/ Love is blind - Encore un album digne des étagères de l’amateur éclairé.
Apparemment, James Hunter en a bavé. Paul Ritchie évoque en effet les petits boulots et le busking, c’est-à-dire chanter dans la rue pour faire la manche. Jusqu’à une rencontre avec Van Morrison qui lui aurait changé la vie. On entend en effet Van Morrison sur Believe What I Say. Ils se tapent un duo d’enfer, comme dit Dante : «Turn On Your Love Light». Extraordinaire charge émotionnelle ! Shine on me ! Ce diable de Van vampe sa Soul comme nul autre au monde. Ah les deux font la paire ! Arrive sans prévenir un extraordinaire shuffle de sax à la clé de sol et Van revient à la charge avec toute sa niaque irlandaise. Ils font tous les deux du Sam & Dave, c’est terriblement bon, joué dans les règles de l’art et ultra cuivré. On pourrait appeler ça la huitième merveille d’un monde ambivalent. James Hunter tape un autre duo avec Doris Troy : «Hear Me Calling». Pus jus de gospel batch. Doris entre dans la danse, elle attaque à la pointe de la Troymania. On dirait qu’elle a fait ça toute sa vie. S’ensuit un autre duo avec Van Morrison, «Ain’t Nothing You Can Do». James Hunter le prend en main, mais il n’a pas la grosse glotte de Van. On sent la différence quand l’Irlandais entre dans la danse. Avec «Out Of Sight», James Hunter va plus sur le r’n’b, il twiste le juke de Stax, c’est exactement l’esprit de ce vieux son sacré. Les coups de cuivres imitent la vieille Staxy fever à merveille. Nouveau coup de Jarnac avec «Don’t Stop On It». C’est un peu comme l’ombre décollée d’un profil, on se dit qu’il y a un truc. Mais comment un blanc peut-il être aussi doué ? Une fois encore, cet album atteint des sommets d’excellence. Ne cherchez pas de mauvais cuts sur cet album, il n’y en a pas. «Way Down Inside» sonne beaucoup trop américain pour un Anglais. Il swingue tellement qu’il démâte tout a-priori. Il passe du swing balladif («The Very Thought Of You») au mambo du clair de la lune («It Ain’t Funny») et revient au shuffle d’anticipation à la Ray Charles («Let Me Know»). Avec «I Wanna Get Old With You», il chante le rêve de tous les mecs : vieillir avec la fille qu’on aime bien. James Hunter fait sa cour sur fond de mambo des îles. Il rend ensuite un hommage direct à son héros Ray avec «Hallelujah I Love Her So». Il en a les moyens. Il recrée la frénésie du vieux Ray.
James Hunter a une façon extraordinaire d’illustrer son art : «We seem to be getting the knack of turning out posher songs and at the same time they’re more in your face.» (Il semble qu’on aille plus sur des chanson chicos, mais en même temps, elles sont plus percutantes).
En 1986, il enregistrait sous le nom d’Howlin Wilf & the Vee-Jays. Sa botte secrète était une guitariste blonde nommé Dot. Il suffit d’écouter Cry Wilf! pour réaliser à quel point cette gonzesse était bonne. Il faut l’entendre partir en solo dans ce «Get A Thing For You» qui sonne comme un hit de James Brown. Dot est une acérée, une fervente, une précise. Quel son ! Dot claque sa dote de notes dans «Same Old Nuthin’». Elle atteint à une sorte de classe jazzy. Le problème c’est qu’à partir de là on n’écoute plus qu’elle. James Hunter revient à sa chère Barbara Lewis avec «Hello Stranger». Il adore le wap-doo-wap. Quel admirable crooner de clair de lune ! Il shoo-wappe son art au delà de tout ce qu’on peut imaginer. Avec «Get It Over Baby», il tape dans Ike. Ideal pour une killer-zoomeuse comme Dot. Elle intervient à la Ike, de façon incroyablement juste et claquante. Elle vole le show. S’ensuit un cut de guitar-slinger intitulé «Wilf’s Wobble». Dot gratte ses gammes à la régalade. Bel hommage au grand Little Walter avec «Boom Boom (Out Go The Lights)». Chicago hot sound ! James Hunter souffle comme un possédé dans son harp. Puis il nous fait le coup de Gershwin avec «Summertime», mais il le tape au caplypso. Il peut se permettre toutes les facéties. Il dispose de ce feeling vocal qui n’appartient qu’aux noirs. Encore un hommage de choc avec le «Further Up The Road» de Bobby Bland. On note la présence de cette brute de Don Robey dans les crédits. James Hunter chante comme un dieu, mais Dot se taille la part du lion. On reste dans les hommages de choc avec le «Mellow Down Easy» de Big Dix. Ainsi va la vie
On peut prendre n’importe quel album de James Hunter, on y trouvera toujours de bonnes raisons de s’émerveiller. Tiens, par exemple Kick It Around, paru en 1999 et produit par Boz Boorer, l’homme qui veille à présent sur le destin musical de Morrissey et qui fut un temps l’âme du rockab britannique avec les Polecats. On trouve sur cet album une merveille intitulée «Mollena», une sorte de balladif visité par la grâce, avec des chœurs d’hommes qui fondent comme du beurre dans les accords de cuivres. Ou encore «It’s Easy To Say», une sorte de mambo de rêve. James Hunter en épouse les courbes à la perfection. Il joue à l’apogée du style. Les joueurs de saxophone coulent de l’or dans sa voix colorée. D’ailleurs, c’est exactement ce qu’on vit sur scène à la Traverse : le sax ténor et le sax baryton transformaient le plomb du son en or des alchimistes. James Hunter chante son morceau titre avec le timbre de Johnny Gee, c’est-à-dire Johnny Guitar Watson. Et chaque fois qu’il tape dans le r’n’b, il fait des heureux. La preuve ? «Better Back Next Time». C’est du très haut de gamme à l’Anglaise. Ses goodbye baby sont des modèles du genre. Il peut flirter avec le Blue Beat comme on le constate à l’écoute de «Dearest». Il n’en finit plus d’affoler les lapins blancs. «Believe Me Baby» somme comme l’un des plus gros classiques de blues de Soul de tous les temps et «Night Bus» comme un hit des MGs.
On voit bien qu’en 2006, James Hunter essayait de percer. On le traitait de buried treasure, de trésor caché. C’est en tous les cas ce qu’indique le sticker collé sur la pochette de People Gonna Talk. L’album est d’autant plus précieux qu’il est enregistré au Toe Rag Studio de Liam Watson. Ça démarre avec le morceau titre qui sonne comme un rêve de calypso finement teinté de blue beat. On peut même parler ici d’assise fondamentale. Et avec «No Smoke Without Fire», il nous fait le coup du funky stuff à la Famous Flames, pas moins. Il renoue avec l’extase du blue beat dans «You Can’t Win». James Hunter fait penser au porteur de flamme de la préhistoire, tel que le montre Jean-Jacques Annaud dans La guerre Du Feu. Il passe ensuite au swing de jazz avec «Riot In My Heart» - Baby don’t you know - Il swingue comme tous ces vieux big bands de Los Angeles, on a là un cut hyper joué, cuivré de frais et James Hunter joue goulûment sur sa Gibson jaune. Il surchante son jive à un point inimaginable. Le voilà parti chez Benny Goodman. On le voit aussi claquer des breaks de guitar-slinger dans «Kick It Around». Il fait de l’art en permanence. On pourrait qualifier «Don’t Come Back» de groove hunterien et «It’s Easy To Say» de bluette tortillée du cul. Les racines calypso remontent au devant du mix. On a là une fois de plus une merveille de délicatesse. Il termine avec un vieux shoot de heavy blues intitulé «All Through Cryin’».
Sur la pochette de The Hard Way, on le voit justement gratter sa Gibson jaune. Dès le morceau titre, il flûte son chant de glotte fêlée. Il semble s’améliorer avec l’âge. On a là une superbe pièce de pop ultra-conservatrice et petite cerise sur le gâteau, Allen Toussaint fait le guest. James Hunter cultive l’à veau l’eau du doux. On note aussi l’extraordinaire succulence de sa prestance dans «Tell Her». On reste dans l’enchaînement magique avec «Don’t Do Me No Favours», un cut jivy et juicy à la fois. Tout ce qu’il fait tape dans le mille. Il sort un son plein de vie, frétillant, digne du printemps, totalement sélectif, nah nah nah et vlan, paf ! Il repart en solo sec de picking, il joue la carte de l’âcreté et un solo d’orgue vient le chapeauter. Quelle décoction ! Il revient au mambo avec «Carina». C’est son terrain de prédilection. Il aime ça, oh Carina ! Les accords de sax viennent saluer les canons de la beauté pure. Il passe au shuffle d’anticipation londonienne avec «She’s Got Away». Il renoue avec le style de Georgie Fame, mais jette toute sa niaque dans la balance. C’est jivé à l’orgue. Il se situe ici dans l’essence du early British Beat, celui du Ronnie Scott Club. Il revient jazzer le groove dans «Ain’t Got Nowhere». Malheur aux oreilles incultes ! James Hunter repart en tagada de mauvaise gamme et claque ses notes à la volée. Il termine avec un «Stange But True» excessivement brillant. Il crée la sensation à la seule force du poignet. Rien qu’en jouant de la guitare, il est écœurant d’excellence.
Signé : Cazengler, Hunter-minable
James Hunter Six. L’Escale. Cléon (76). 10 mars 2018
Howlin Wilf & the Vee-Jays, Cry Wilf! Big Beat Records 1986
James Hunter. Believe What I Say. Ace 1996
James Hunter. Kick It Around. Ruf Records 1999
James Hunter. People Gonna Talk. Rounder Records 2006
James Hunter. The Hard Way. Hear Music 2008
James Hunter Six. Minute By Minute. Daptone Records 2013
James Hunter Six. Hold On. Daptone Records 2016
James Hunter Six. Whatever It Takes. Daptone Records 2018
Paul Ritchie : Heavy Hitter. Shindig #75 - January 2018
11 / 05 / 2018 / TROYES
3B
THE DEVIL'S cUT COMBO
Trois semaines sans voir un concert – c'est qu'en Ariège le rock'n'roll ne court pas les rues – suis prêt à donner mon corps à la science ( d'une jolie and expert country gal ), voire à signer un pacte faustien avec le diable, justement le grand cornu l'a délégué un de ces combos au 3B. La teuf-teuf y court, y vole et y plonge. Nous voici déjà devant le troquet, le quai pas de trop, où ce soir fait escale un rafiot venu tout droit d'Angleterre. Du Kent, pour ceux qui sont friands de précisions géographiques.
THE DEVIL'S CUT COMBO
Le diable vous prend toujours par surprise. Vous croyez que pour concocter une de ces mixtures empoisonnées dont il détient le secret il vous convoquera dans les antres obscurs de ses cuisines infernales, erreur sur toute la ligne. Souffle coupé, je ne reconnais plus le 3 B. On me l'a changé. Métamorphosé. Jugez-en par vous même. L'on se croirait dans le décor d'une pièce d'Alfred de Musset. Piano droit sur la droite, avec lampe de chevet, escarpin effilé, et fiasque ambrée posés religieusement sur le plateau supérieur, une austère contrebasse sur la gauche, mais c'est au fond qu'il faut chercher l'erreur, caisse claire, cymbale et chalerston, l'incongruité est posée juste à côté, un magnifique abat-jour de salon à motif fleuri suranné, plus les franges comme on n'en fait plus depuis Louis XVI, campé fièrement sur son pied torsadé, exhibé tel le labarum sacré d'une légion romaine en marche.
En tout cas nos légionnaires ne portent pas le cimier réglementaire, tout au plus une large casquette qui leur mange le haut du crâne, pantalon-pro-zazou à larges bretelles, chemises blanches rehaussées de cravates fauves parsemées de teintes rouges, z'ont le look et l'allure classieuse des fils de bonne famille des années vingt décidés à s'amuser. Follement.
Bill Renwick égrène les premières notes de Hot Porc, tout de suite ça remue salement, boogise à mort, mais la surprise ne vient pas de là, la batterie bat le rappel et Paul touche à sa big mama. Un doigt, deux doigts, z'avez l'impression qu'un orchestre de quarante musicos vient de démarrer, une épaisseur de son délirante, jamais entendu cela de toute ma vie, un volume sonore jamais égalé, et le bat-man comment fait-il pour taper si fort sur sa clairette, ça tonne comme une grosse caisse ! Invisible cylindre pourtant ! Ruse anglaise ! Croyais que la caisse posée négligemment devant était juste un élément du décor servant à placarder une affiche old-age, ben non, c'est un gros caisson à pédale trafiqué qui sert de grosse Bertha. Comprends un peu mieux le mystère de cette intumescence, chaque fois que Paul tire sur une corde, la royal navy derrière vous lâche en douce un exocet sous la ligne de flottaison, cela demande une précision diabolique, mais vous pondent le bébé automatiquement sans même y penser. Bill possède un micro qui lui surgit d'entre les jambes, un périscope de sous-marin qui observe la côte ennemie, mais il ne s'en sert que pour les chœurs, le vocal est assuré par Robert Hiller, infatigable, l'on ne saura jamais comment au bout de trois sets ses cordes vocales ne se sont pas cisaillées toute seules, même pas éraillées d'un demi-dixième de ton, y met tant de cœur et de vaillance que pour un peu on en oublierait la grosse guitare jazz qu'il tient entre ses mains. L'a l'art de passer les accords comme vous négociez les doubles zigzag dans une course de côtes, à tous moments vous vous dites qu'il n'y parviendra pas, qu'il va y avoir de la tôle froissée et du sang sur le pare-brise, vous verriez la maestria avec laquelle il se faufile dans les épingles à cheveux, les deux roues à vide sur le précipice mais le moteur en reprise qui vous pousse un glapissement de renard écorché vif et déjà les quatre pneus vous dégomment l'asphalte à toute vitesse.
Je me répète Bill est au piano, non c'est un mensonge, c'est un synthé(atti)seur qu'ils ont encastré dans le vieux meuble, s'il n'y avait pas le voyant vert allumé vous n'y verriez que du feu. Les deux mains de chaque côté du clavier – oui docteur, c'est grave et le mal est aigu – mirez bien les touches, vous les caresse à la façon d'un kleptomane, l'a ses trucs, la senestre qui pompe à mort un tangage de feu roulant comme pour un massage cardiaque et la dextre qui insiste plus de trente fois sur la même note, z'avez l'impression d'un fa-dièse épileptique secoué de commotion cérébrale, ne parlons même pas de ces tranchants de karaté – uniquement de la main gauche – mais ce que je préfère c'est quand il réunit ses deux battoirs – assez larges pour y découper la dinde de Noël - qu'il écarte les doigts, laisse le tout retomber, un dessin animé de deux pattes de canard qui claudiquent gravement vers la marre salvatrice et en même temps l'allure d'un prêtre qui s'en vient à toutes jambes vous refiler l'onction finale.
Le guy avec ses baguettes sur sa chaise c'est George Chessman. L'est blond comme un anglais et vous a la distinction british au dernier degré. Visage en lame de couteau et sourire enjôleur. Le gars qui ne peut se retenir de s'incliner pour faire un baise-main à la première demoiselle qui passe et qui vous envoie un direct mortel au foie du garçon-coiffeur qui l'accompagne. Genre amiral Nelson sur le Victory, n'arrête pas par en dessous de faire tonner son plus gros canon de marine, et par dessus il peaufine, un battement de charley par-ci ou par-là, l'a l'air de réfléchir profondément avant de vous tapoter un rythme sur la caisse claire, un coup de cymbale par hasard, en fait un feu de mousqueterie, une grêle de balles meurtrières qui vous tombent dessus sans crier gare, rigolard qui tape dans le lard et hilare dare-dare, le train entre en gare et vous roule dessus.
Paul Kish l'a kitché sa casquette sur la hampe de la big-mama. S'en sert comme d'un porte-manteau. De temps en temps il condescend à toucher une corde. C'est comme pour les verres, avec trois doigts c'est bonjour les dégâts. Un chasseur à l'affût. Un tireur d'élite. Touche la cible à chaque fois. Souvenez-vous que c'est vous. Entre les deux yeux. Vous n'y voyez que du bleu. Marron à tous les coups. Le pire c'est qu'il engendre le son le plus sinueux que je n'ai jamais entendu. De ses gros fingers boudinés à peine a-t-il frôlé une corde qu'une symphonie d'harmoniques s'échappent des esses de sa big mama comme un essaim d'abeilles dont vous venez de renverser la ruche. Des venimeuses, des colériques, non ça ne bruisse pas comme un rideau de soie froufrouté par une légère brise, ça vous aboie dessus comme un saxophone atteint de delirium tremens.
Je vous préviens, ces quatre gars sont dangereux. Seuls, pris un par un, vous avez une chance sur mille de les abattre, hélas, ils sont toujours tous les quatre au taquet. Jouent ensemble comme un seul homme. S'arrêtent de temps en temps pour se servir un gobelet de whisky. Un rituel que l'on sent profondément ancré, qui leur sert de grigri. De grizzli plutôt. Jugez-en par les titres : Pass the Bottle to Me, Botton Shelf Bourbon Meldown, Monkey Shoulder, apparemment ne sont pas des fans du retour de la prohibition. Convenons que pour l'énergie qu'ils dégagent, z'ont besoin d'un carburant hyper vitaminé. N'ont pas arrêté de stomper comme des fous furieux. Les titres parlent d'eux-mêmes, Stomp the boogie, Shake that Boogie Baby, en plus vous trompent sur la marchandise, Be Cool, Quiet Bay, furent des espèces de tornades endiablées, à vous déraciner les gratte-ciels de Manhattan. Trois sets, bien sûr puisque 3 B, le premier avec un arrière-goût de pulsion jazz-swing, le deuxième qui vous a stompé le public à mort, et le troisième, carrément rock'n'roll, cite Bill Haley mais sans ajout cuivré, pour la simple raison qu'ils vous démolissent le bastringue avec une telle force que vous n'en ressentez pas le besoin.
Peu de monde – il faut l'avouer – sur les trois premiers morceaux et puis la déferlante, la salle n'a pas débourré – sometimes words have two meanings – d'un iota, un embrasement total, une frénésie innombrable, une chienlit aurait proclamé le fameux Général, des danseurs fous dans la foule agglutinée. Des cris, des applaudissements, des rires, des corps contorsionnés. Un tabac monstre, que dis-je un bar-tabac avec PMU et brasserie, une soirée de folie. Un orchestre swing nous avait annoncé Béatrice la patronne – que nos englishes n'ont cessé d'appeler Misstress, le surnom lui restera-t-il ? - l'aurait dû préciser des fous furieux de la pulsation, des acharnés du jump, des rockers. Ni plus, ni moins.
Une mention spéciale à Fab pour le son et à Laura qui du haut de ses dix ans lors du deuxième interset a su établir un dialogue des plus enlevés avec nos musiciens d'outre-Manche, manifestement ravis.
Damie Chad.
12 / 05 / 2018
LA COMEDIA / MONTREUIL
95ALLSTAR PUNK' EVENT
CHEPA / MATOS DE MERDE / SUBSELF
Toujours en manque de concerts. Direction immédiate ce dimanche soir vers La Comedia. J'y trouverais bien un os à ronger. Pas de panique, y en avait trois. Avec beaucoup de viande autour. Du premier choix. Bien saignante. La Comedia, ce n'est pas la galerie des Glaces de Versailles. C'est beaucoup mieux, au petit matin vous pouvez vous regarder sans rougir dans le miroir. Avec son entrée à prix libre, son décor déglingué, sa faune rock, son cordial Rachid, et sa programmation sans concession, l'est un des bars les plus rock'n'roll du pays. L'est à parier que dans deux quarts de siècle, les promoteurs avisés vous en feront une reproduction à l'identique pour les touristes. Aseptisés et sans futur. Sans présent aussi, ce qui est beaucoup plus triste.
MATOS DE MERDE
Un poème punk en trois mots. Ne prenez pas Matos de Merde pour un groupe misérabiliste. Juste un ras-le-bol enragé. Dés-esthétisé, ce qui est déjà un parti-pris esthétique de grande virulence. Cinq sur scène. Deux chanteurs, le grand luxe en quelque sorte. Des paroles en français, inutile de tricher viennent du 91, des alentours de Juvisy. Paddy est aux drums. L'est la base. Il drume comme les nageurs crawlent. A force de bras. Vous martèle la chanson du début à la fin, sans queue ni tête, parce que cela ne s'arrête jamais. Et qu'il n'y a jamais eu de commencement à la rage de vivre. Et de mourir. Le punch rabique est inné. Vous l'avez. Ou pas. Inutile de venir vous plaindre si vous nêtes pas touché par la foudre. Z'avez sûrement dû rater quelque chose dans le ventre de votre mère. Donc ce roulement et puis à intervalles réguliers cette volée de bois vert asséné sur la caisse. Un galvaniseur d'énergie. Lorsque vous avez en magasin cette ruée vers l'or noir de la colère, ne vous reste plus qu'à plaquer les riffs de guitare. Le bruit pour se faire entendre. L'un qui vient de clouer le cercueil et les deux autres qui vous le brisent de breaks incandescents. Mrick qui arrose et vous froisse les oreilles de délicieux orages torrentiels et Aladin qui vous colmate les brèches par en-dessous. Deux mauvais larrons en foire qui s'entendent à casser les merveilles. Un rock dur et violent, super bien en place. Kefran crête échevelée et vocal mordant. Vous plante les mots comme des crocs de requins, la vindicte l'habite, l'a la classe, basse hargneuse en bandoulière, laisse souvent le vocal à Flo, qui assène les scènes chocs, chante et danse de l'ours, dommage que le chant n'ait été plus en avant de la pâte sonore. C'est sûr que cette manière de mêler voix et musique fait partie de l'éthique égalitariste punk mais des paroles comme La Rage Dedans, J'envoie tout Chier et TPTG auraient à gagner à être davantage perçues. Un set mené de main de maîtres. Un seul bémol à mon goût l'Everybody final qui sonnait trop ska, le mauvais côté du Clash. Mais un parcours sans faute.
SUBSELF
Une set-list aussi longue qu'un marathon. L'on va vite comprendre pourquoi. N'auront qu'à jouer dix secondes pour nous en persuader. Subself, est un comprimé d'énergie pure. La décharge d'une pile atomique au radium. Dès la première note, l'on sait que ça déchire. Barrez tout de suite le ça, déchire tout court. Une déchirure, point à la ligne. Formation minimale, batterie, guitare, basse. Plus un chanteur. N'a pas le temps de vous envoûter de trémolos raciniens. L'est à l'unisson des trois autres barbares. Vous décharge interdite, tout et tout de suite. Un break de drum, une guitare en agonie, un appuyé de noir profond à la basse et un dégueuli de vocal gerbé qui vous éclabousse de haut en bas, de l'âme jusqu'aux pieds.
Moins de trois minutes pour vaincre. Se moquent de vous convaincre. Préfèrent vous tuer sur place. Inutile de venir se plaindre. N'ont pas de temps à perdre. Vous envoient le splash en pleine gueule. Eux-mêmes sont exsangues à la fin de chaque morceau. Ont besoin de reprendre leur souffle. C'est d'ailleurs là la seule faiblesse de leur prestation sauvage. Pas bien longtemps, un maxi-maximum de vingt secondes, mais mal placées, donnent l'impression de ne plus rien maîtriser, y a comme un vide, un espace de trop, une coupure dans le film, une page sautée dans le roman, une béance, l'on aimerait – non pas qu'ils reprennent leur marche tout de suite car vu la décharge physique cela paraît impossible – mais que ces trous dans le gruyère sonore soient davantage pris en compte dans la scénographie existentielle de l'artefact rock'n'rollesque. Ne rien laisser au hasard. Penser à Mallarmé qui assurait que le blanc des marges et inter-strophique était l'élément le plus important d'un poème. Ou alors compter sur l'exaltation de l'assistance. Savoir magnifier la montée d'adrénaline suscitée par le vomito pantagruellique de l'orgie sonore. Ce qui demande vraisemblablement un public plus nombreux. Ce qui ce soir n'est pas le cas.
N'empêche que Subself subjugue. Chaque morceau s'inscrit dans l'éjection d'une parabole parfaite. Des titres qui claquent comme des drapeaux de haine sur des barricades : Vermin, Consumerist Fever, Collective Will, I shot the Devil, Mister K, I Deal with God... de la bonne avoine additionnée de bourbon pour les chevaux fourbus d'une population encalminée dans les eaux plates de l'inaction. Subself vous remue salement de fond en comble. Ne vous ménage pas. Vous coagule la mayonnaise du cerveau en moins de trois. Musique radicale. Tout ce que nous aimons.
CHEPA
Chépa qui c'est, mais vais vite finir par le savoir. Z'ont un batteur. Rien qu'à voir la précision maniaque avec laquelle il a monté ses fûts, l'on devina que c'était le genre de gars qui a dû à lui tout seul réinventer la machine à baratter le beurre à l'âge de cinq ans. Quand il s'est mis derrière les toms, l'on a su qu'on ne s'était pas trompé. Torse nu, teint glabre et cet air de batracien fou, une tête d'affolé, le mec qui vous fait un break d'enfer et dans sa tête il se dit qu'il aurait peut-être dû rajouter un coup de baguette de plus sur la cymbale, l'obéit à une règle simple, jamais moins que le maximum, toujours plus que l'impossible, en quête de la perfection absolue, donne tout ce qu'il a et rajoute en prime ce qu'il n'a pas, l'on ne chépa, ça peut toujours servir. Avec un tel roulement à billes c'est du tout cuit pour les autres. N'ont qu'à se laisser porter par le vent.
Mais leur orgueil le leur interdit. Vous pagaient de toutes leurs forces pour se maintenir à niveau. Guitares tintamarre à gogo et basse qui file à quinze nœuds coulants. Z'ont un chanteur aussi. Le mettent devant. Imposant comme une tour de château fort. L'a du coffre, chante sans effort mais quand la musique devient trop forte il s'emporte et se met à growler comme dans un combo métallique. Pas très longtemps. Punk is not dead. Ne bouge que très peu, ne se perd pas en gestes emphatiques ou mélodramatiques. N'en dégage pas moins une charismatique présence. Paroles violentes, Fuck, Je Crache, Politique, Le Boucher, Chépa ne fait pas dans la dentelle.
Chépa c'est comme une pierre qui roule depuis le sommet de la montagne. Au début, pas de pitié, vous écrase tout sur son passage, les femmes et les enfants d'abord, l'on en redemande, mais pente après pente le cailloux prend de la vitesse, l'est catapulté par son propre poids et son allure croissante, l'en arrive à ne plus toucher terre et à glisser sur le coussin d'air que son déplacement suscite. A tel point que parfois le son perd de son âpreté punkéosidale et se transforme en chant de liesse alternative. En tout cas, ça plaît aux garçons, s'entrechoquent comme des boules de billards sur le tatami. Moins gracieux que les filles qui se refusent – une fois n'est pas coutume à la Comedia - à entrer dans ces danses d'ours débonnaires.
Chépa festif remporte la mise. Rafle les cœurs et la sympathie.
Une bonne soirée, revigorante à souhait. Un monde éclectique, un guitariste qui entend pour la première fois parler de Bo Diddley, un vieux rocker qui ne tarit pas d'éloges sur le jeu d'Eddie Cochran, et un lycéen venu de Brest pour passer une soirée sympa avec les copains... les strates du rock'n'roll, le millefeuille explosif.
Damie Chad
L'ARAIGNEE AU PLAFOND
Mildred : chant, flûte / Eva : choeurs, percussions / Guillaume : choeurs, percussions / Phil-Lou : batterie / Enil : piano, synthé / Typhaine : clarinette / Ruben : saxophone alto et ténor / Bob : guitare / Kim basse
Enregistrement et mixage par Stéphane Bachelet à : Le Studio d'à Côté / Jouy-Le-Châtel 77 970 /
Spider Circus Production / 2018 / SCAAP01 /
Franchement qui parviendrait à caser une telle smala sur une pochette ! Pour une fois la folle aragne a fait preuve de sagesse, s'est elle-même reléguée en quatrième de couverture, en réunion de famille mafieuse, z'ont refilé le bébé à Bérénice Dautry, une voisine qui a honoré le contrat en vraie pro. Pour le baby, pas de panique, l'ont emmailloté en momie égyptienne et vogue la galère, s'en sont débarrassé en le jetant à l'eau, à la nevermind. Lui ont offert tout de go le nirvana, bref un malheureux de moins sur terre. Ne soyez pas hypocrites, ne faites pas semblant d'être indignés, ne les accusez pas de cruauté, c'est spécifié sur la pochette, ils l'avaient loué. N'empêche que la découpe de ce clodo-hobo-saxo-solo qui pète le feu exprime merveilleusement la rock'n'roll attitude dèche rebelle. A contempler.
Alcoholize yer name : toute la fanfare qui déboule en trombe, et hop comme par miracle, l'attaque foudroyante se transforme en collier de perles. Et puis en écrin pour le diamant le plus pur, la voix de Midred aux facettes coupantes. Une maîtrise stupéfiante, un squash vocal d'une perfection absolue, et la tribu derrière qui se permet d'étonnantes virevoltes au trapèze volant, mais Mildred n'en rebondit que plus follement dans les étoiles. Facilité déconcertante. Shoes : chaussent leurs chaussures de luxe. Une longue cavalcade musicale, un point de poussière à l'horizon qui grossit, grossit, grossit jusqu'à ce que Mildred se lance dans ce qu'il faut se résoudre à appeler un étonnant solo vocal – pratiquement voscat – des chœurs et des cuivres qui vous allongent la sauce au poivre, tandis que la voix coupante de Mildred caracole sur les hauteurs. Nothing else matters : reprise de Metallica, la ballade qui tue, une montée graduelle vers l'extase, avec station agonique sur le chemin de croix, le combo processionne emphatiquement et Mildred énonce les stations des saisons en enfer intérieures. Ne l'écoutez pas, sans quoi sa voix sera votre perdition. Judas : un truc à vous rendre gaga, des cuivres qui tirebouchonnent et la voix de Mildred impérieuse comme une trahison. Musique de cirque et les éléphants qui jouent au ping-pong avec la ballerine qu'ils envoient valser en l'air sans qu'elle perde son sang-froid et son souffle. Chase halt : ( + Alain Guillard à la flûte ) : dans la lignée du précédent, une espèce de duo à un seul partenaire, Mildred en meneuse de revue, un brin de Broadway, Mildred tambour battant, l'orchestre qui se faufile derrière la flûte, c'est si bon qu'ils remettent le compteur à zéro à plusieurs reprises et que l'on ne s'en lasse pas. Lonely boy : pointillés de guitare en tintements de clefs, et ouverture cuivrée, et l'orchestre qui se presse derrière, c'est un peu le morceau des musiciens, une belle parade, s'en donnent à cœur joie, les interventions de Mildred leur permettant de montrer leur virtuosité à coller à sa voix qui joue aux montagnes russes. Fortunate son : retour au rock'n'roll, Mildred en pointe, la voix en haut, et l'orchestre qui se permet d'audacieux ralentis, un saxo à la Clarence Clemons, et des choeurs à la devil Stones dans le barnum final. Papa Bob est un sacré arrangeur. Kingdom of a secondhand mind : ( + Stéphane Bachelet dans les chœurs ) : troisième morceau original ( avec le premier et Chase Halt ) de Mister Bob et pas de seconde main : Enlil au clavier, flots lents et majestueux, la voix de Mildred comme une caresse sur une blessure qui refuse de cicatriser, douceur des chœurs, Mildred parcourt les solitudes glacées du dedans, cuivres funèbres, le morceau s'arrête comme la vie au moment de la mort.
Ce premier disque de L'Araignée au Plafond est une surprenante réussite. Le groupe a su canaliser sa fougue scénique et réaliser un huit titres étonnant qui marque bien la maturité précédemment acquise. Nous l'évoquions dans notre chronique 366 du 22 / 03 / 2018. A su progresser sans se renier. Mildred se joue des difficultés, impose une modernité du chant qui s'intègre magnifiquement dans une esthétique de saltimbanques. Bizarrement, malgré tout ce qui l'en sépare, ce disque renoue avec le capharnaüm américain des années vingt lorsque la musique noire explosait dans toutes les directions. Le mouvement rock s'est focalisé au plus près de ses racines sur le blues rural et urbain, tout en oubliant les joyeuses fanfares entertainementesques de la New Orleans. Par quel mystère, quelles influences l'Araignée au Plafond rejoint-elle cette veine exubérante et mélodramatique du music-hall noir, nous n'en savons rien, ce qui est sûr c'est qu'il n'y a pas sur le marché français actuellement de tels artefacts qui atteignent à cette qualité.
Damie Chad
JUKEBOX N° 377
Jukebox 377 – Kr'tnt ! 374. Le score s'amenuise. Nous les dépasserons au mois de juin ! Trêve d'enfantillages ! Passons aux choses sérieuses. Eddy Mitchell en couverture. Avec interview. De 1972 ! Chez Jukebox l'on repasse les plats de l'avant-avant-veille ! En plus je l'avais lue à l'époque ! Du temps où Schmall pédalait dans la choucroute et s'éloignait à tire d'ailes du rock'n'roll. En plus se pose un peu en monsieur-qui-sait-tout et en insupportable donneur de leçon. N'avait pourtant pas de quoi pavaner alors qu'il venait de sortir des horreurs comme L'arc-en-ciel et Le Vieil Arbre. En plus se permet de critiquer les Who et d'admettre du bout des lèvres la validité de Cream... Heureusement, à la même époque Dick Rivers se lançait dans l'aventure du retour aux sources. Faudra encore attendre deux ans pour qu'Eddy s'envole vers Memphis... Bref pour les nouveautés, lire la rubrique Actualités de Jean-William Thoury et ses chroniques de disques. Dans la revue Livres ne ratez pas la kro d'Alicia Fiorucci sur la bio de Bon Scott et celle sur Jimmy Page de Tony Marlow.
C'est d'ailleurs pour Tony Marlow que j'ai acheté la revue. Marlou le récidiviste. Nous avait enchanté avec ses articles consacrés aux guitaristes des pionniers, et voici qu'il recommence. Nous prophétisons un tome II au Jukebox spécial Rock'n'roll Guitare Heros ( de Scotty More à Brian Setzer ), recollection de papiers égrenés sur plusieurs années, paru en 2017, car Tony entame la nouvelle série avec Grady Martin, un peu le Big Jim Sullivan des pionniers, qui n'apparaît nulle part mais que l'on retrouve partout, derrière ( adverbe mal choisi ) en première ligne avec Johnny Horton, Johnny Carrol, Johnny Burnette et Johnny Hallyday. Devait aimer le prénom ! Mais aussi aux séances de Brenda Lee, de Janis Martin, de Roy Orbison, de Willie Nelson et d'Elvis Presley bien sûr ! Ne cherchez pas, dès que ça sonne bien sur un disque des années 50 - 60 vous avez toutes les chances de retrouver sa signature dans les crédits. Fut avant tout un guitariste de studio, mais si son nom n'a pas dépassé les frontières des amateurs c'est vraisemblablement à cause de cette aisance intuitive à coller systématiquement au morceau qu'il accompagnait. Grady Martin est le guitariste caméléon par excellence, le gars qui vous pose le solo d'une telle perfection qu'il s'impose avec une telle évidence qu'il semble avoir été créé de toute éternité pour être mis sur ce titre précis. N'oubliez jamais que la couleur sable du serpent du désert participe de son attaque foudroyante. Ni vu, ni deviné, invisible et mortel. L'est le maître du solo camouflé qui se révèle être un camouflet pour tous les autres guitaristes.
Chez Kr'tnt ! L'on évite de prononcer le nom de Grady Martin ( et du mythique Studio B ) devant Mister B, notre spécialiste guitare, devient fou ( de joie ) à chaque fois.
Damie Chad.
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09/05/2018
KR'TNT ! 373 : BETTY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION 5 / ROLLING STONES / FRED ALPI / JUKE JOINTS BAND
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 373
A ROCKLIT PRODUCTION
11 / 05 / 2018
BETTY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION N° 5 FRED ALPI / ROLLING STONES JUKE JOINTS BAND |
Textes + photos sur :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Betty Boot
Au clair de la lune, mon ami Pierrot me dit que le docu de Phil Cox sur Betty Davis est en ligne sur le site d’Arte. Alors faut-il voir Betty - They Say I’m Different, l’histoire de cette petite black qui fit du hot funk dans les années soixante-dix ? Oui et non.
Non, car Betty Davis est aujourd’hui une très vieille dame. Phil Cox réussit à la filmer dans sa chambre, mais bon, c’est pas terrible, d’ailleurs il la suggère plus qu’il ne la filme. Les funksters vieillissent encore plus mal que les punks anglais. Dans le cas de Betty, c’est d’autant plus insupportable que les pochettes de ses trois albums parus dans les seventies nous montrent une véritable bombe sexuelle, du même genre que Marsha Hunt, Margie Joseph ou encore Minnie Riperton (au temps de The Rotary Connection). Pas de mélange plus explosif que le booty de Betty (cul parfait), ses longues jambes (souvent grandes ouvertes), le funk new-yorkais et, grosse cerise sur le gâteau, son mariage avec Miles Davis. Betty fut l’hot sex girl du funk et elle semblait parfaitement à l’aise dans cette image.
Par contre, les âmes sensible se régaleront de ce docu. Phil Cox travaille sur la métaphore du corbeau que semble avoir développé Betty dans le journal intime qu’elle a tenu toute sa vie. D’ailleurs, on la voit écrire quelques phrases à la main. Le corbeau noir sert donc de fil rouge à cette histoire elliptique - Le corbeau, je l’ai rencontré sur la montagne - Elle quitte Pittsburgh à 17 ans pour aller faire ses études à New York - Le corbeau était le battement de mon cœur - Elle étudie au Fashion Institute et devient mannequin. Elle vit beaucoup la nuit. Elle rencontre Jimi Hendrix à Greenwich Village.
L’une des grandes qualités du film est la pudeur, alors que le propos de Betty était le sexe. Étrange paradoxe. C’est même un tour de passe-passe assez réussi. Ça frôle parfois l’histoire à l’eau de rose, mais Phil Cox restaure l’équilibre en proposant ici et là des extraits de concert. Sur scène, Betty porte un short blanc et un petit haut minimaliste. En fait, elle ne cache pas grand-chose de son corps de rêve. À sa façon, elle shoote dans le booty du funk une dose massive de sex-appeal. On comprend qu’elle soit devenue iconique. On la surnommait the Queen of Jazz Fusion. Il paraît que des gens étaient horrifiés, tellement son set puait le sexe. Phil Cox a raison de souligner que Betty se situait aux antipodes des Supremes et des Temptations qui proposaient une image lisse et formatée pour le public blanc. Cox passe rapidement aux choses sérieuses avec Greg Errico. Ce nom ne vous rappelle rien ? Mais oui ! Greg Errico fut le batteur de Sly & the Family Stone. Il apparaît dans ce docu car il produisit à l’époque la première chanson de Betty Davis, «Walking Up The Road», ainsi que son premier album, Betty Davis. Précision capitale : Betty écrit ses chansons. Elle en écrit aussi pour les autres, comme par exemple «Uptown To Harlem» pour les Chambers Brothers qu’elle rencontre aussi à New York.
Un soir, elle va traîner son petit cul au Blue Note et voit sur scène un trompettiste de jazz très sérieux. Miles Davis, bien sûr - Ses chaussures elles me plaisaient, je lui ai dit tout de suite - Cool grey suede shoes - Cet épisode représente le cœur de sa vie - Miles et moi on s’est mariés en 1968. Il m’a acheté une limousine et j’ai balancé tous ses costumes à la poubelle - Betty devient sa muse. À quarante ans, Miles est déjà obsédé par la peur de vieillir et la peur d’être dépassé. Alors fini les costards italiens, il passe aux franges, au cuir, aux couleurs vives, aux grosses lunettes, aux guitares et aux basses électriques, au backbeat de batterie - Miles était une boule d’énergie. Chaque joue de notre mariage, j’ai dû mériter le nom de Davis - Elle ne tarit plus d’éloges - Il m’a fait découvrir Rachmaninov, Stravinsky - C’est Miles qui l’incite à monter sur scène et à chanter. Le conte de fées ne dure pas longtemps. Betty reste d’une infinie discrétion sur la fin de son union - J’ai quitté Miles. Je n’ai dit à personne que Miles était violent - Puis elle se fait jeter par l’industrie du disque, car elle ne voulait pas entrer dans le moule qu’on lui imposait - Le corbeau et moi on s’est retrouvés seuls - Elle voyage, Londres, Japon. Lorsque son père meurt, elle rentre précipitamment. C’est là qu’elle perd la musique - Le battement de mon cœur a changé. Je n’entendais plus le corbeau - Alors elle disparaît physiquement - Le corbeau et moi on n’avait plus rien à dire.
Aujourd’hui je suis une vieille dame et j’ai l’impression d’être au sommet de la montagne - Elle voit tout le chemin parcouru. C’est là que Phil Cox sort sa botte de Nevers : il retrouve les quatre musiciens de Betty, Funk House. Les pépères sont toujours en forme et toujours actifs. Ils ont le numéro de Betty, alors ils l’appellent, après 19 ans de silence. Le portable est posé devant eux, sur la table. Elle décroche. Elle est contente d’entendre ses vieux amis, mais quand Larry propose de venir enregistrer chez elle, alors elle change de conversation. Il arrive un moment où il faut savoir s’arrêter.
Dans Shindig #59, Kris Needs brosse un portrait autrement plus truculent de Betty, qu’il juge too hot pour son époque et aussi spectaculaire qu’Angela Davis avec sa mitraillette. Needs salue la parution inespérée des démos enregistrées par Betty en 1969 avec son mari Miles : the Holy Grail !
En parfait journaliste d’investigation, Kris Needs brosse un portrait beaucoup plus vivant et détaillé que celui brossé par Phil Cox. On apprend dans l’article qu’Hugh Masekela (récemment décédé) est à l’époque le boyfriend de Betty. Un autre spécialiste nommé Oliver Wang précise que Betty l’a rencontré lors d’un séjour à Hollywood et qu’elle revint vers Miles après sa rupture avec Masekela.
Selon Needs, c’est Betty qui oriente Miles sur la nouvelle vague de 1967, Sly & the Family Stone, Otis Redding et son ami Jimi, qu’elle a rencontré grâce à sa copine super-groupie Devon Wilson. Betty et ses copines forment un cercle d’influence appelé the cosmic ladies et attirent autour d’elles des gens comme Sly, Jimi, Carlos Santana et Miles. Selon Santana, l’album Bitches Brew est un hommage aux cosmic ladies. Pour Miles, Betty se situait alors dans l’avant-garde et c’est là où ça devient très intéressant. Le mariage ne dure qu’un an, mais Betty se retrouve sur la pochette des Filles Du Kilimandjaro.
Needs revient longuement sur le mythe des sessions Miles Davis/Jimi Hendrix. Ils devaient en effet enregistrer tous les deux accompagnés par Tony Williams, mais Miles demanda 50.000 dollars avant d’entrer en studio, ce qui fit capoter le projet. Jimi et lui comptaient inventer a new kind of jazz. Betty précise toutefois que Miles et Jimi ne se sont jamais rencontrés. Il n’auraient eu qu’une longue conversation téléphonique.
Revenons aux fameuses sessions du Holy Grail, enregistrées en 1969 et parues sous le titre The Columbia Years 1968-1969. Pour l’occasion, Miles assemble un super-groupe : Mitch Mitchell, Billy Cox, Harvey Brooks, Wayne Shorter et Herbie Hancock accompagnent Betty. Ils enregistrent des compos de Betty et deux reprises : «Politician» de Jack Bruce et «Born On The Bayou» de Creedence. Miles voulait décrocher un contrat chez Columbia pour Betty - But he met a brick wall - Et les bandes restèrent à la cave - Buried in the Columbia vaults - Selon Harvey Brooks, Columbia ne faisait pas beaucoup de r’n’b à l’époque et donc Betty ne les intéressait pas. Brooks rappelle aussi que Columbia n’avait rien su faire d’Aretha. Betty a une autre version : elle pense que Miles ne voulait pas que l’album sorte, de crainte qu’elle ne devienne populaire et qu’elle ne le quitte. Si on peut écouter cette session mythique, c’est grâce à Light In The Attic, qui d’ailleurs réédite tous les albums de Betty. On est tout se suite embarqué par la vitalité cosmique du groove d’«Hangin’ Out». On y entend Harvey Brooks circuler librement sur le manche de sa basse. Puis ils tapent dans le «Politician» de Cream, avec une sorte de puissance virale, cette équipe de surdoués développe un groove organique que Betty épouse à merveille. On reste dans le pur Jarnac avec un «Down Home Girl» hanté par une basse sourde et Betty s’amuse avec le vieux cut de Creedence, «Born On The Bayou». On tombe plus loin sur trois morceaux enregistrés à Hollywood avec Hugh Masekela, dont un «Live Love Learn» très arrangé et de très haut niveau. Quand elle parle de cet album shelved avec Oliver Wang, Betty n’a pas de regret. Elle ne voulait pas devenir célèbre uniquement parce qu’elle était la femme de Miles.
Ce n’est qu’après sa rupture avec Miles qu’elle file à San Francisco enregistrer son premier album, Betty Davis, paru en 1973 sur le label de Michael Lang, Just Sunshine Records (un label sur lequel on trouve aussi l’immortelle Karen Dalton). Greg Errico le produit et y bat le beurre. Dans le studio, il a rassemblé une nouvelle équipe de surdoués autour de Neal Schon, le guitariste de Santana, et de Larry Graham - Arguably the greatest funk bassist in the area - Betty y enregistre deux cuts qu’elle avait composé pour les Commodores, «Walking Up The Road» et «Game Is My Middle Name». Elle tape le premier à la dégueulade, c’est ultra-provoquant, mais derrière, ça swingue le heavy groove. Et elle crée l’événement avec le deuxième - Do me in/ If you can do it now - Elle nous chauffe ça à la provoc patentée, elle monte bien dans les ponts et s’en va chercher des zones de pureté harmonique dans l’extase d’une hurlette de Hurlevent spectaculaire. Alors, oui Betty. Mille fois oui. Cent mille fois oui. Et puis on entend ce prodigieux démon de Larry Graham ramoner l’«If I’m In Luck I Might Be Picked Up» d’ouverture de bal d’A. Betty chante ça à la tripe fumante, comme si elle n’avait pas de voix. On se régale aussi de «Your Man My Man», monté sur un groove de syncope cataclysmique. Neal Schon s’y montre admirable de présence seigneuriale. Betty susurre et suce la goutte du swing qui perle au gland du beat et des chœurs fantastiques viennent parfaire le tableau. L’«Ooh yeah» qui ouvre le bal de la B vaut aussi son pesant d’or, voilà le meilleur des funky struts rampants, c’est franchement digne de Sly Stone. Et puis Betty nous mixe le rock et le funk dans «Steppin In Her I. Miller Shoes», mais elle fait ça avec une rage imprescriptible, c’est embrasé par la guitare de Neal Schon et la puissance du cut nous emporte, comme le ferait un fleuve en crue. Pur jus de rock de Soul. On l’a bien compris, c’est un très grand album.
Elle file à Londres pour essayer de décrocher un contrat, aidée par Marc Bolan. Puis elle retourne sur la West Coast pour enregistrer They Say I’m Different, un album que Kris Needs qualifie de spectacular - A steamy new form of blues-driven funk rock - Cette fois, Larry Johnson, cousin de Betty, remplace Larry Graham. Buddy Miles viens jouer de la wha-wha sur un morceau, «Shoo B Doop And Cop Him». Wow, Betty est tellement parfaite dans son rôle de grooveuse ! Mais la grosse différence avec le premier album, c’est que cette fois Betty veut produire. C’est d’ailleurs ce que lui dit Miles qui a entendu le premier album : «Tu n’as besoin de personne en Harley Davidson.» Le «Shoo B Doop And Cop Him» sur lequel wha-whate Buddy Miles est un joli groove de funk bien rampant et on passe à l’énormité funk avec «He Was A Big Freak», véritable funk d’avant-garde joué à la syncope fatale. Rien d’aussi black et de somptueusement sexuel que ce hit de boot. Ça monte encore d’un cran dans le shootisme avec «Don’t Call Her No Tramp». Betty va de hit funk en hit funk grâce aux dégelées de bassmatic du grand Larry Johnson. Il doublotte ses triplettes au nez et à la barbe des conventions. On entend rarement des blackos bassmatiquer avec une telle arrogance. On retrouve de l’excellent funk en B, notamment dans le morceau titre, véritable funk de jazz fusion, on est au cœur des seventies, à l’apogée du son. Puis avec «70’s Blues», elle chante la grandeur du woke up this morning et de l’everyday I get the blues. Fantastique hommage - I got a man !
Elle retourne à Londres et grâce à Robert Palmer, elle entre en contact avec Chris Blackwell. Nasty Gal sort sur Island en 1975 - Her stance as a defiantly liberated black woman terrified the press, her record label and often audiences - Kris Needs ajoute qu’elle fut aussi déterminante que George Clinton en mixant le funk au rock’n’roll. On retrouve Funk House sur cet album et notamment Fred Mills qui renvoie bien les chœurs sur le morceau titre. L’immense Larry Johnson y ramone les annales du bassmatic et Carlos Morales jouxte le funky strut de guitare épisodique. C’est excellent de get down et chanté aux énergies black. Le coup de génie de l’album s’appelle «Talkin’ Trash». Fred chante avec Betty - I’ll make your nights long - Elle lui promet de le rendre heureux, de bien lui polir le chinois, et on assiste au déploiement d’une extraordinaire dynamique de duo. C’est une énergie à la James Brown, ni plus ni moins. Même genre de génie funk. En B, elle tape «FUNK» au heavy funk de rock très entreprenant, dance to the music, on ne fait que ça et elle cite des noms en pagaille, Stevie Wonder, Tina Turner, Al Green, Ann Peebles, elle rend aussi hommage à Isaac, Barry White et les O’Jays. Sans oublier Jimi Hendrix. Et ça se termine avec Aretha, Chaka Kahn et Funkadelic. Il ne manque quasiment personne. Autre coup de génie avec «This Is it», hyper-claqué au funk de petite teigne. Cette chipie de Betty n’en finit plus de gueuler son funk sous le boisseau du boot. Larry et Carlos ultra-jouent, ils poussent le funk au maximum des possibilités.
Elle enregistre son quatrième album en 1976, à Bogalusa, un bled situé un peu au-dessus de la Nouvelle Orleans. L’album ne paraîtra que 33 ans plus tard. Il devait s’appeler Crashin’ From Passion, mais il est devenu Is It Love Or Desire. D’ailleurs on trouve «Crashing For Passion» sur l’album, authentique chef-d’œuvre funk. Fred Mills chante avec Betty sur «Whorey Angel». Le problème, c’est que quasiment tous les cuts de l’A sonnent comme des hits. Elle attaque sa B avec «Bottom Of The Barrell», énorme dégelée de funky strut - You smell like a greasy fish - Ça grouille littéralement de tortillettes funk et de guitares à la Stevie Wonder. Et pouf, elle passe au heavy blues avec «Let’s Get Personal». Elle tape carrément dans le riff d’«I’m A Man». Carlos Morales fait des pieds et des mains sur sa guitare. On sent les cadors du blues et du funk à l’œuvre. Et avec «Bar Hoppin’», ces démons se mettent à jazzer. Ils disposent de tous les pouvoirs inhérents à leur charge. Et la cerise sur le gâteau s’appelle Gate. Eh oui, Clarence Gatemouth Brown vient jouer du violon sur «For My Man» et là attention, on entre dans la mythologie louisianaise. Pourtant habitués aux rigueurs campagnardes, les quatre mecs de Funk House furent impressionnés par l’environnement - It was swamp territory down there - Ça grouillait de bestioles. La nuit, Larry craignait de trouver un serpent dans sa chambre. Carlos rappelle que Bugalusa fut l’un des pires coins en matière de Ku Klux Klanneries. Betty se souvient qu’un jour de balade en bagnole avec le groupe, ils furent pourchassés par un poids lourd qui essayait de les pousser dans le fossé - It was really scary - Oliver Wang indique que si l’album n’est pas sorti, c’est parce qu’une shoote éclata entre Betty et Chris Blackwell, le boss d’Island qui avait financé la location du Studio In The Country de Bogalusa. Un mois entier ! Pour les mecs de Funk House, that was the best album she ever put togther. Selon eux, Is It Love Or Desire aurait pu hitter les charts.
Son cinquième et dernier album s’appelle Crashin’ From Passion. Mais il ne sort que très tardivement, vingt ans après son enregistrement, dans des conditions mystérieuses. Pour le trouver, il faut non seulement se lever de bonne heure, mais aussi avoir beaucoup de chance. On note une fois de plus qu’avec Betty, on va de surprise en surprise. Belle énormité que ce morceau titre. Énorme patate funk. Comme on ne trouve aucune information sur la pochette, on en déduit que Funk House accompagne Betty. Elle roule sur le groove de basse. On se retrouve une fois de plus ballotté par le grand funk des seventies. Ça frôle le génie des Isleys. Elle crashe bien all over the passion. C’est un cut long et chaud qui ne débande pas. Avec «Hanging Out In Hollywood», elle passe au groove de jazz quintessentiel. On s’y enivre. Elle déraille à la Sly sur du lullaby et derrière, ses amis funksters groovent comme des diables. Back to the heavy groove avec «I Need A Whole Lot Of Love». Voilà encore du funk, et du meilleur, puisqu’il s’agit du funk de Betty. C’est un hit, une vraie dégelée d’excellence funkoïde hyper-jouée, chantée au chaud de la justesse de ton. «No Good At Falling In Love» sonne comme un funk acidulé mais aussi insistant, c’est-à-dire têtu comme une bourrique, big boot of bits, pur jus de Davis funk, ultra-instrumentalisé, quasi-gourmand. On adore tellement Betty que tous ses cuts passent comme des lettres à la poste, même les plus pop comme «You Take Me For Granted». Elle pourrait chanter jusqu’à la fin des temps, on resterait à ses pieds. Elle passe au diskö beat de Coconut Beach avec «I’ve Danced This Dance Before». Elle chante ça avec toute l’ingénuité du monde magique de Walt Disney et elle termine cet incroyable album avec «She’s A Woman», vieux groove sexuel qu’elle travaille derrière un rideau d’ombres chinoises. Elle en rajoute. Ah pour ça, on peut lui faire confiance. Bon c’est vrai, on finit par atteindre les limites du genre, mais Betty, she does it right, comme dirait Wilco.
C’est là qu’elle se retire du music business pour vivre recluse en Pennsylvanie - I just lost interest.
Si on veut aller vite, on peut se rabattre sur This Is It, une compile Vampi Soul qui aligne sur quatre faces tous les hits de Betty. On y retrouve l’effarant «Your Man My Man», les I.Miller Shoes, le Big Freak, le «Don’t Call Her No Tramp» ultra-joué à la basse et des tas d’autres merveilles. C’est du pur jus. Ça coule entre les doigts.
Signé : Cazengler, Bêta Davis
Betty Davis. Betty Davis. Just Sunshine Records 1973
Betty Davis. They Say I’m Different. Just Sunshine Records 1974
Betty Davis. Nasty Gal. Island Records 1975
Betty Davis. Crashin’ From Passion. P-Vine Records 1995
Betty Davis. Is It Love Or Desire. Just Sunshine Records 2009
Betty Davis. The Columbia Years 1968-1969. Light In The Attic 2016
Betty Davis. This Is It. Vampi Soul 2005
Kris Needs. The Electric Lady. Shindig #59 - September 2016
Phil Cox. Betty - They Say I’m Different. 2017
ROCKABILLY GENERATION N° 5
( Avril / Mai / Juin / 2018 )
Cinquième bougie. De plus en plus épaisse. Quarante pages désormais. Trois escogriffes que nous aimons bien en couverture. Un pionnier pour ouvrir le bal des ardents. Pas n'importe lequel : Eddie Cochran. Une belle évocation de Greg Cattez. Pour l'iconographie pas de surprise, vous les connaissez toutes, mais de belles repros sur papier glacé, ça change la mire et puis les deux pleines pages sont des must. L'est sûr qu'avec des Si le rock aurait débordé de sa bouteille. Que serait devenu Eddie sans ce malheureux et fatidique taxi aux portes de Londres ? Aurait-il détrôné le King se demande Greg Gattez ? Ou n'aurait-il pas été obligé de mettre à l'instar d'Elvis de l'eau dans son rock ? Nous n'en saurons jamais rien. Heureux, comme l'affirmait le poëte grec Callimaque, celui à qui les Dieux ôtent la vie en pleine jeunesse. Cela vous dispense des grandes désillusions.
De l'histoire ancienne. Le problème c'est que la plus récente s'enfonce déjà dans le passé. Ce 10 mars 2018, Eight O'Clock Jump tirait son trente-et-unième et dernier feu d'artifice. Tonio de l'Association Fishes and Swallows tire les leçons de cette grande aventure. Ne cache pas son amertume. Le milieu rockabilly est tout compte fait comme tous les milieux, un petit milieu... rancœurs, jalousies, trahisons, humain trop humain dirait Nietzsche. Tonio tourne la page, avec le temps elle lui paraîtra beaucoup plus belle qu'il n'y a jamais cru.
La transition est habilement cousue de fil blanc. Les Spunyboys firent partie de l'ultime session des Eight O' Clock Jump. Les voici interviewés, manière de faire le point, plus de mille et un concerts, tournée au Japon et aux States. Souffrent d'un terrible syndrome : sympathiques, gentils, souriants dans la vie courante, un gang de sauvages dès qu'ils sont sur scène, les médecins n'ont heureusement pas encore trouvé l'antidote à ces crises de démence suraigüe, Sergio Kazh en profite pour quelques superbes photos virevoltantes.
Moitié de la revue et déjà trois générations de rockabillymen, le chemin est trop bon, voici donc la quatrième : les jeunes qui montent, The Hillbillies, ne les ai encore jamais vus, lisez l'article et vous serez comme moi, dévoréspar l'envie irrépressible de ne pas les rater dès qu'ils passeront à portée.
Retour dans le passé ( 1984 ) avec The Wild Ones qui eux font un retour dans le présent. Avec un peu de chance seront là dans le futur. Honneur aux vétérans qui n'ont pas dételé, Lyndon Needs – le guitariste de Crazy Cavan and the Rhythm Rockers, le genre de passeport qui vous ouvre les portes du paradis. Ne faites pas les cakes, le Marshall fait des dégâts. Enfin Nelson Carrera – une des plus belles voix ( portugaise ) du rockabilly national - qui fête ses quarante ans de carrière, présenté et interviewé par Brayan Kazh qui pour l'occasion a abandonné sa contrebasse.
Ce coup-ci, vous croyez en avoir fini après la sélection de disques, ben non, avant l'agenda des concerts, il y a encore un bazooka sur la pizza royale, Dale Rocka & The Volcanoes, venus d'Italie en partance pour Las Vegas.
Un numéro méchamment bien intuité, l'histoire du rockabilly exemplifié en quarante pages. La revue n'en finit pas de se bonifier. Devraient changer le titre : remplacer Rockabilly Generation par Rockabilly Generations. Un objet de beauté fait par des passionnés pour les passionnés.
Damie Chad.
Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 4 Euros + 3, 60 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, offre abonnement 4 numéros : 26, 40 Euros ( Port Compris ), chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Attention N° 1 et N° 2 épuisés.
STONED
ROLLING STONES
20 ANS DE CONFIDENCES
PHILIPPE MANOEUVRE
( Albin Michel / 1995 )
Un vieux bouquin. Un peu rigolo. Non, ce n'est pas comique. Mais près de vingt-cinq plus tard la problématique n'a pas changé. Que voulez-vous les Stones resteront toujours les Rolling Stones. Malgré les reniements, les palinodies, les apostasies... Un groupe mythique ? Non, LE groupe mythique. Par excellence. Pouvez en préférer des milliers d'autres. Mais si vous dites rock, vous entendez Stones.
Manœuvre nous en met plein les yeux dès la première page. S'envole vers Los Angeles pour assister au concert des Rolling. Nous sommes en octobre 1994, tournée Voodoo Lounge. Invité de marque Manœuvre, enfin de sous-marque. Les Stones sont des pros, pensent à tout. Même à un rédacteur en chef de la plus importante revue de rock française. Mais l'on se dit qu'ils doivent attendre le retour. Pas celui de l'ascenseur, disons celui de l'escalier de service. Pas fou le Manœuvre. De toutes les manières il est fan des Stones. Depuis leur premier disque. S'est bien fait engueuler une fois par la famille Richards pour un article dans un numéro spécial-Stones. Mais pas de danger. L'est comme la souris fasciné par le serpent, l'est prêt à avaler la couleuvre en entier, et à la recracher ensuite.
Je vous sens impatient. Vous tenez à voir le concert. Attention 80 000 personnes autour de vous. Si vous êtes au fond, regardez les écrans géants. En plus avec les effets pyrotechniques , vous en prenez plein les yeux. Les Stones eux se contentent de vous piquer le pognon. Vous font même payer le parking. Il n'y a pas de petits profits. Pour la musique l'on ne sent pas le grand Philochard convaincu. Joue un peu le blasé. Les a déjà vus tant de fois. Et puis pour comprendre le rock, c'est facile. A votre gauche vous mettez Elvis, un petit gars du Sud bien élevé, sur votre droite vous posez le colonel Parker. Un super pro, l'a de l'expérience et des techniques éprouvées. Rock'n'roll circus. Une intuition de génie. De l'esbroufe à gogo. Voir les Stones et mourir.
Mais les Stones il y a longtemps qu'ils ont viré leur colonel. C'est Jagger qui s'est nommé général en chef. Grand chef. Indien, pirate et homme d'affaires. Le troisième terme est le plus important. Bien sûr le désastre d'Altamont mais surtout le divorce d'avec Bianca qui lui bouffera aux alentours de 14 millions, la moitié de sa fortune. Ne pleurez pas, s'est magnifiquement refait depuis.
Pour vous en convaincre, le chapitre suivant dirige la focale sur Mick et les débuts du groupe. Aussi sympathique que le Diable, Mister Jagger. Au début il n'est que chanteur. Ce n'est pas lui la tête d'affiche. C'est le guitariste. Le grand blond aux boots noires. Brian Jones. Un garçon brillant. Depuis tout petit. Encore plus Stones à lui tout seul que les autres réunis. Pas un petit chef, un grand seigneur. Vous lui filez un instrument entre les mains et trois heures après il en joue comme s'il était né avec. L'est beau comme un ange. Les filles en sont folles. Lui en use et en abuse. N'était pas encore avec les Stones que déjà il en avait encloqué quelques unes. Bye-bye baby, débrouille-toi et ne viens plus me casser les... Ouille, oui ça fait mal et avec tes yeux au beurre noir tu n'es plus très jolie. Aujourd'hui, serait envoyé illico en prison, mais en ces temps-là d'insouciance, ce n'était pas pareil.
N'empêche qu'ils sont trois et qu'il n'y a qu'une place de chef. Struggle for life. Le moteur à explosion des Stones. Au début Mick et Keith ne mouftent pas, mais avec le succès qui déboule, les choses vont se compliquer pour Brian. Notre blond ténébreux se campe dans sa supériorité, se doit d'être ailleurs, higher, plus haut que ses commensaux, dans une réalité autre. Une dimension supérieure. Que les produits lui procurent. S'enferme en lui-même, en sa tour d'ivoire. De moins en moins présent, de plus en plus loin, en son château-fort intérieur. Jusqu'au jour où le groupe le vire. Pris à son propre piège.
Tragédie humaine, musicale et économique. Brian c'est le blues à lui tout seul, l'a toujours l'idée qui fait mouche, des connaissances comme personne, le plus créatif en studio. Mais l'on ne peut pas bâtir une carrière sur des disques de reprise. D'ailleurs à côté la concurrence devient féroce. L'est nécessaire d'écrire ses propres morceaux, Brian est un musicien, pas un compositeur. Du moins il ne fait pas part de ses compositions à ses pairs. Il semble que son père ait fait brûler tous ses papiers à sa mort... Mick et Keith s'emparent des commandes. Au début tout marche comme sur des roulettes électriques. Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Au sommet, il n'y a de place que pour un.
C'est Keith qui renoncera au trône. Tombe dans la drogue pour parler vulgairement. L'affaire est beaucoup plus complexe. L'on adore évoquer la trahison de Mick avec Anita, mais le malaise vient de plus loin. De la pression, du public, de la police. Le succès est délétère. Vous fait perdre le centre de vous-même. Keith, lui aussi, mais pour d'autres raisons, se réfugie dans un autre monde. Auto-protectif. N'en mourra pas. Ne s'en relèvera jamais tout à fait. Héroïne, alcool, cocaïne et toute la pharmacopée existante. Keith traversera tout. Ce n'est pas qu'il est indestructible, c'est que les produits lui tiennent lieu de carapace. N'oubliez pas que vos faiblesses ne sont que l'autre face de votre force. Keith dans un autre monde mais jamais dupe, sait très bien où il est, l'est revenu de tout mais n'est jamais loin. Les cordes de sa guitare seront les fils qui le rattachent à l'existence.
L'est tout seul. S'appelle Mick Jagger. Un félin sur scène, un carnassier dans la vie. L'est intelligent et cultivé. Entre dans toutes les cavernes qui s'offrent à lui, mais l'est un précautionneux, l'a une lampe de poche dans la poche arrière de son pantalon, et l'a pris soin de flécher le parcours pour revenir sur ses pas. Sauve les Stones. Son secret est simple. Ne jamais regarder en arrière. Aller toujours de l'avant. Le meilleur des disques des Stones c'est celui dont il en train de se fader la promotion. N'est pas un passéiste. Ni un archéo-futuriste. Jouit de l'instant présent. L'âge d'or des Stones, c'est celui qui lui aura rapporté le plus d'argent.
Le quatrième homme : Charlie Watts. Se contente de battre le fer quand il devient chaud. Vous le martèle comme pas un. Mais ne se met pas martel en tête pour si peu. Fait le job. N'en n'est pas mécontent. Son truc à lui, ce n'est pas vraiment les Stones, plutôt le jazz. Un gentleman, pas un voyou de rocker. La classe inconditionnelle. Pas le genre de gars à embrouilles, les choses sont ce qu'elles sont. Parfois tristes. Parfois heureuses. Pas la peine de pleurer. Ni de s'esclaffer. Laisse faire Jagger, n'aimerait pas vraiment être à sa place. Ni critiques, ni récriminations. Encore un qui est ailleurs, mais à sa manière à lui. Ni touché à la Keith. Ni coulé à la Brian.
Bill Wyman. Le prolo de service. En 1994, l'est déjà parti. S'est retiré des affaires comme l'on dit dans le milieu. La guerre des trois, l'a tout vu, sait tout, ne croit pas comme Rousseau à la bonté naturelle de l'homme. N'en pense pas moins. L'a pris les choses du bon côté. L'a tiré un maximum de filles et puis il s'est tiré. Le titre de son autobiographie en dit long : So Alone. Commentaire fulgurant sur la nef des fous.
Ian « Stu » Stewart, ce n'est pas le sixième Stone, c'est le premier fan des Stones, a tout sacrifié pour eux, l'est descendu de scène pour être leur roadie, puisque c'était-là qu'il semblait le plus utile. Une des plus belles figures du rock'n'roll.
De tous les autres comparses – Manoeuvre les passe en revue un par un, nous ne retiendrons que Bobby Keys. Il est le trait d'union, le lien direct du rockin' blues des Stones au rock des pionniers. Le lecteur se précipitera pour lire son histoire dans le portrait qu'en a dressé notre Cat Zengler dans notre livraison 220 du 29 / 01 / 2015. L'a joué avec Buddy Holly et tenu durant dix ans son saxophone chez les Stones. Si vous avez fait mieux, contactez-nous. Sans quoi, taisez-vous et inclinez-vous. Ce fut un grand parmi les grands.
Vous croyez avoir tout compris, le cygne royal Brian qui régressera petit canard souffreteux, le grand méchant Mick qui ne deviendra pas doux et gentil à la fin de l'histoire, et le fier chevalier blanc Keith qui est le héros des fans. Ce n'est pas si simple. Un Stone tout seul n'est qu'une variable d'ajustement. Un stone ne vaut qu'en tant que Stones. Un caillou ne fait pas le tas. Et là, ce sont les trois mousquetaires, tous pour un et un pour tous. Car pour les Stones rien n'est plus beau que les Stones. Les autres n'existent pas. Par définition : ne leur arrivent pas à la cheville. Des sous-merdes. Employons les mots qui fâchent à dessein. Rien n'est plus méchant qu'un Stone qui sent un danger. Prenons le cas de Keith par exemple. Citez un guitariste dont il ait un jour dit du bien. A part Chuck Berry évidemment, mais là c'est normal, l'a tellement proclamé haut et fort qu'il lui a tout pompé qu'il ne peut pas décemment revenir en arrière.
C'est que les Stones c'est avant tout un concentré de haine, d'arrogance, de menterie, de tromperie, d'insolence, de jalousie, de grossièreté et d'outrecuidance. Vous trouverez sans doute mieux ailleurs, mais jamais pire. Et c'est exactement cela qui fait bander. Vous disent qu'ils vont vous le mettre profond, et vous écartez fissa les cuisses. Ou les fesses selon votre anatomie. Les Stones, c'est le mauvais côté des choses, la face obscure de la force, le cheval noir de l'attelage platonicien.
La fin de la chronique se faufile et nous n'avons pas encore parlé musique. Les gens me font rire, certains leur préfèrent les Beatles, perso ce serait plutôt les Animals et les Yardbirds mais les Stones c'est autre chose. Z'ont commotionné une génération. Z'ont gravé les tables des la loi du rock. Mais cela, c'est encore de la petite bière. Les Stones je les définirais comme la cristallisation d'une nouvelle culture. N'ont rien inventé mais ont tout convoqué. Le seul équivalent que je connaisse c'est celui de l'apparition de Richard ( encore un ) Wagner. S'inscrit dans la suite logique d'immenses compositeurs qui l'ont précédé. Et plus tard, qui le suivront. Mais ce n'est pas le plus important. Le problème n'est pas de savoir lequel est le meilleur. Le phénomène à observer c'est le bouleversement que la musique de Wagner occasionnera dans la génération symboliste. Chamboule tout. Suscite un engouement sans précédent. S'empare des esprits. Ce n'est pas une nouveauté, mais la révélation d'une façon de vivre plus intensément. Il a existé une folie Wagner comme il a existé une folie Stones. Excitation maximale. Certes, it's only rock'n'roll, but we like it.
Damie Chad.
CINQ ANS DE METRO
FRED ALPI
( Editions Libertalia / Avril 2018 )
Tiens le bouquin de Fred Alpi, kr'tnteurs assidus ne faites pas les ignorants, je rappelle que Fred Alpi est le chanteur des Angry Cats – groupe rockabilly présent sur la compilation Rockers Kultur initiée par Tony Marlow - et que nous avons parlé de lui dans notre livraison 239 du 11 / 06 / 2015, c'était dans les locaux de la CNT de Paris, lors de la présentation du livre sur Joe Hill, le Freddy redonnait vie à quelques morceaux du célèbre baladin américain. Innocent du crime dont on l'accusait, injustement condamné à mort, incidemment exécuté. L'avait un peu cherché, était un militant des IWW, syndicat que les grosses compagnies fruitières haïssaient particulièrement. Allez savoir pourquoi.
Bref le bouquin il est là sur le stand des éditions Libertalia. Jusque-là tout va bien. C'est après que ça se gâte. Grave. Comme dans un disque du MC 5. Je précise la date et le lieu. Premier Mai et Paris. L'est vrai que ça tangue un peu aux alentours. Les forces de l'ordre ont décidé de semer le désordre à profusion. Vous gaspillent vos impôts à coups de bombes lacrymogènes, l'on voit bien qu'ils ne les payent pas ! Un gâchis monstrueux. Mais pourquoi tant de haine ? Tout cela pour un Macdo brûlé ! Un distributeur de mal-bouffe en moins, le ministre de la Santé Publique devrait rédiger un communiqué de félicitation. Ben non c'est tout le contraire. Ce sont des hordes de CRS qui déferlent, l'en sort de partout, rien à voir avec une phalange macédonienne dans les plaines de Gaugamèles, se planquent soigneusement derrière les gros camions, et avancent prudemment. Sur les médias l'on vous cause sans cesse de notre merveilleuse démocratie garante de la libre-circulation des personnes et des marchandises. Très souvent on oublie de rajouter la fin de la phrase – et des capitaux. L'est sûr que dans le défilé ceux qui portent des valises de billets de 500 Euros remplies à ras-bord sont plutôt rares, quant aux marchandises à part quelques banderoles rudimentaires et deux ou trois cocktails molotov en goguette n'y a pas grand chose, par contre des individus il n'en manque pas. Cinquante mille. A peine croyable : soudainement la République oublie ses grands principes, ce n'est plus l'habituel circulez, il n'y a rien à voir, mais stop, vous n'irez pas plus loin. On ne doit pas être sages. Privés de manifestation. Que voulez-vous tout se perd dans notre beau pays, jusqu'à l'art des barricades comme en 1830 et 1968... Ne vous étonnez pas si après, tout le monde déteste la police, et si vous sentez poindre et croître en vous une terrible fibre anticapitaliste. M'en retourne à la maison en sifflotant I'm goin' black bloc home. C'est des Stones, si je ne ma trompe pas.
Bref arrivé chez moi, me suis mis à mon aise, vérifié si par hasard un CRS ne s'était pas caché sous mon lit – on n'est jamais trop prudent – et ai plongé in my happy Alpi book.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les chanteurs du métro sans savoir à qui le demander. Tenait la basse dans un groupe punk allemand in Berlin ( by the wall ) lorsque Fred débarque à Paris. Fuit les huissiers et un chagrin d'amour, beaucoup pour un seul homme. Dans de telles circonstances vous ne pouvez que prendre les mauvaises décisions. Fred cherche du boulot et malheur pour lui il en trouve. Dans une entreprise. Vous savez ces modernes églises dans lequel le travailleur est appelé à baisser les yeux devant le patron divin et à travailler sans ouvrir la bouche au seul profit de cette majesté exploitante et tutélaire. Bref l'a en a tellement marre qu'il décide d'aller fredonner dans le métro. N'a qu'un seul problème c'est qu'il ne sait pas chanter et qu'il ne sait pas jouer de la guitare. C'est-là qu'il nous déçoit, choisit la facilité celle de caresser le public dans le sens des poils qui lui sortent des oreilles : la chanson française ! Commence par Paris s'éveille de Jacques Dutronc. Continuera par Jacques Brel, George Brassens, Edith Piaf, et Boris Vian. Perso j'appelle ça des trucs de vieux, de parents et de profs, tout ce que mon adolescence a rejeté en bloc, black de colère.
Soyons un tantinet économiste marxiste : tout travail mérite salaire, Fred bosse deux heures et demie par jour pour récolter 400 francs ( nous sommes en 1991 ), net d'impôts, et pas de chefaillon pour vous gueuler dessus. Un rapport qualité-prix qui satisfait pleinement notre impétrant. Mais évidemment ce n'est pas le plus important. Ce qui se passe dans sa tête et autour de lui est bien plus attrayant. C'est que voyez-vous le microcosme rend parfaitement compte du macrocosme. Le monde est vaste et infini. Mais si vous arrivez à en comprendre parfaitement les rouages d'une petit partie vous accédez à la compréhension globale du grand tout.
Idem pour le métro, le monde du dessous n'est que la miniature du monde du dessus. En plus toute l'humanité se presse dans les couloirs et les wagons. Suffit de regarder. Entre la bourgeoise du seizième et le prolo du petit matin, vous avez de quoi écrire un livre de sociologie, une somme universitaire pondérée. Le Freddy serait plutôt partisan de la critique sociale virulente. L'a remisé les œillères de l'objectivité du savoir dans sa poche. Prend soin de nous avertir, son livre est un roman - autobiographique certes – mais pas un compte-rendu de souvenirs hasardeux. Toute la différence qui existe entre un caillou sur le bord du chemin et celui que vous avez amoureusement égalisé afin qu'aucune aspérité ne puisse dévier sa trajectoire et que la parabole initiée par la fronde de votre colère le mène droit au cœur de la cible que vous avez choisie.
Le métro est un véritable bassin de décantation. Les éléments les plus lourds d'un mélange quelconque se retrouvent systématiquement au fond du récipient. Les plus graves aussi. Pire que la misère noire. Les individus qui n'ont plus rien à perdre puisqu'ils se sont déjà perdus eux-mêmes. Sont au bout du tunnel de la vie. Déjantés d'alcool, de crack, de crasse. Misères physiques et spirituelles. Alpi ne nous fait pas le coup de la charité chrétienne faussement égalitariste, dans le lot, il y a des victimes et des ordures. Certains sont poursuivis par leurs propres fantômes, ce sont peut-être ceux qui ont le plus de lucidité et de haine contre eux-mêmes, envers les autres et le monde entier. Se rendent compte qu'à trop obéir ils se sont reniés eux-mêmes. Les exécuteurs des basse-œuvres sont vite oubliés par les donneurs d'ordre. Lorsque l'on n'a pas su se révolter au bon moment, il n'y a plus qu'à s'en prendre à soi-même. L'auto-destruction comme dernier signe, inutile puisque indécodable par le plus grand nombre, de révolte rentrée.
Ne s'attarde guère sur le gros troupeau. Qui ne fait que passer, tête basse, aussi peu pressés que des bœufs menés à l'abattoir mais poussés par la nécessité de retrouver son taf salvateur. Et destructeur. Qu'en dire de plus ? Personne ne brisera leur chaîne sinon eux-mêmes. Le monde appartient à ceux qui se révoltent tôt. Ceux qui restent sur les sentiers de la servitude volontaire sont des égarés.
Si vous ne faîtes pas de politique, d'autres la font pour vous. Peut-être pas au mieux de vos intérêts. Certains ont compris que l'on n'est jamais trop prudent. Qu'il vaut mieux prévoir que guérir. Alpi bosse dans le métro, mais n'en reste pas moins à l'écoute de ce qui se passe en haut. Que voulez-vous cent cinquante minutes de tripallium chantant par jour ce n'est pas assez, cela vous laisse le temps de réfléchir. Et dehors, les choses ne s'améliorent pas, le fascisme rampe mais gagne du terrain. La société devient de plus en plus dure – pas pour les nantis, je vous rassure – et cela se traduit dans les couloirs du métro. La RATP veille à la sécurité de ses passagers, elle embauche des supplétifs aux piquets de police traditionnelles, des espèces de groupes paramilitaires recrutés dans les milices d'extrême-droite, font des rondes. Se sentent forts et soutenus par la hiérarchie. Expulsent les sans-abris sans ménagement, font la chasse aux artistes qui n'ont pas d'autorisation... Les pauvres c'est comme les décharges sauvages dans les paysages, ça fait fuir les touristes et il faut bien passer un coup de balai sur les saletés. Quant aux saltimbanques véhiculent trop souvent des textes provocatifs et des musiques peu orthodoxes...
De ses collègues de travail Fred parle peu. Font partie des intervenants qui interviennent en solitaire. Pas possible de pousser la goualante à deux dans un même wagon. L'un sort quand l'autre rentre. On se rencontre entre deux rames sur les quais, on se refile des renseignements, on éprouve de la sympathie pour quelques uns, de l'estime et de l'admiration pour les numéros de certains, mais l'on se croise plus que l'on n'échange.
Cinq ans dans le métro, c'est beaucoup. Pour Fred cela ne saurait être une fin en soi. L'a d'autres faims. L'a beaucoup appris. Sait maintenant jouer de la guitare et placer sa voix. Commence à composer, pige qu'il lui faut passer à la vitesse supérieure. L'a fait ses classes et ses gammes. L'a été heureux dans le métro, s'est senti libre, a eu l'impression de décider de sa vie, n'est le maître que d'un modeste royaume mais il n'appartient qu'à lui. L'unique et sa propriété pour parler comme Stirner. L'a creusé sa singularité et l'a découvert sa solitude. Cette monade constitutive de la postulation humaine. Ne nous fait pas le coup du retour de manivelle du christianisme, ne manque pas d'amour, mais de proximités, sait qu'il y a beaucoup à gagner à se frotter aux autres, au sexe des femmes et à l'entraide de tous. L'a franchi une étape importante, celle de l'autonomie, celle de la non-dépendance, promet de nous raconter la suite de ces aventure dans un autre livre. On attend.
Musicalement pas ma tasse de thé, je préfère l'Alpi Fred des Chats Colériques, mais cette tranche de vie saignante à la sauce poivre mâtinée des mauvaises herbes de l'anarchie embaumera votre deux-pièces cuisine. A consommer sans modération.
Damie Chad.
*
Ne me demandez pas comment je suis rentré en possession de ce document, je serais obligé de mentir. Sachez toutefois que chez Kr'tnt ! on est prêt à tout pour satisfaire les curiosités rock'n'rollesques de nos lecteurs. J'ai hypothéqué la moitié de la maison du voisin ( ne vous affolez pas, il ne le sait pas, du moins pas encore ), et cédé aux exigences charnelles d'une envoûtante et pulpeuse espionne russe. Bref le CD est là, anonyme, dépourvu de toute inscription nominative, prêt à être disséqué. Vous trouverez ci-dessous les résultats de nos premières analyses. Document strictement confidentiel. Inutile de le préciser. Nous comptons sur votre discrétion pour répandre la nouvelle.
JUKE JOINTS BAND
( AVANT-PREMIERE )
Pour le moment ce n'est qu'un CD anonyme. L'a été enregistré en public à La Lune Rouge de Verfeil-sur-scène en juin 2017. Ne sont que Ben et Chris sur les deux premiers morceaux mais pour les suivants Damien est à la basse et je ne sais qui est le batteur. 1 / Arrondis de Ben à la guitare en introduction, et la voix de Chris comme des galops de rats dans les cordes vocales, évitez les morsures, vous transmettrons la peste et le typhus. Trop tard vous êtes perdu. Le Ben fait de la voltige sur les parallèles de ses cordes. 2 / On a cru que l'on rentrait à la maison mais non l'on est parti pour un méchant voyage dans le blues, Chris roll et tumble dans le micro la voix en force alors Ben se déchaîne dans le solo, on ne le savait pas si méchant, z'ont décidé de croquer la lune ce soir, et accessoirement d'épuiser la cave à whisky de Muddy Waters et de tous les bluesmen de la terre. 3 / Les voici qui déboulent sur le It' All Over Now de Bobby Womack, ne respectent nullement les limitations de vitesse, le Ben vous atchoule une marmelade en état d'ébriété avancée, et Chris vous réalise une de ces embardées sauvages dont il a le secret pour vous arrêter la voiture au bord de la mangrove, la roue droite dans dans la gueule d'un alligator. 4 / Ils ont réduit l'allure, le fond de l'air est poisseux et pesant, sont en train de remonter la Lonely Avenue de Ray Charles et Ben vous extrémitise un solo long comme un jour sans sexe. 5 / Pas de mystère pour le train qui arrive, à part que Ben vous arrache le solo hors des rails, à la basse et la batterie ça shuffle comme des diables et Chris vous rugit son incantation ferroviaire à croire que tous les démons du voodoo sont à ses trousses. Arrivent à stopper à la station du désastre l'on ne sait comment, mais la batterie vous fauche la guérite sur le bord de la voie.
6 / Ben chicote et chicore les chicanes à la guitare, que voulez-vous que fasse de plus Chris si ce n'est crier son amour comme l'on fait une déclaration de guerre, électrique en diable, la voix qui s'accroche comme une tique à un chien, la batterie à coups de trique, et tout s'imbrique car la dialectique du blues peut casser les briques. 7 / Ploum, l'on repart dans un générique de film ( une vineuse production de Tom Waits ), avant la scène d'action, les gars patibulaires dans la voiture qui caressent leur revolver, le Chris vous raconte l'accent et la musique ralentit pour que compreniez souvent que dans les minutes qui suivent, ça va camphrer, et le Ben à l'électrique qui n'en finit pas d'égrener les coups de la cloche lente du destin, le temps en suspension, vous étire les accords à l'infini et Chris reprend la comptine du marasme annoncé, une de ces longues jouissances qui précèdent les apocalypses finales. 8 / Un petit fricotis pour se réchauffer les doigts déjà brûlants, un peu de relaxation, chacun se fait plaisir dans son coin pour finir par une espèce d'orgie sonore collective. Stand it up qu'il hurle le Chris, invocation fortement décommandé dans les bréviaires des premières communions. 9 / Vous connaissez le chat qui niaque la chair au plus près de l'os, l'est ainsi le Chris, vous glapit le vocal et les autres lui taillent des morceaux de tigre dans le blanc du coq qui vient d'être égorgé, et le Chris vous bouffe la bestiole à lui tout seul car l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même.
Ce n'était qu'un petit avant-goût avant la sortie du disque. Pour les alléchés, vous allez sur le FB de Juke Joints Blues et vous aurez non seulement le son mais aussi l'image. Certes ce n'est que du blues. Mais une injection de ce venin de crotale est fortement recommandé à tous les rockers qui ont le sang bleu. Magnifique.
Damie Chad.
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02/05/2018
KR'TNT ! 372 : CYRIL JORDAN / MAID OF ACE / ROSEDALE / RHINO'S REVENGE / MILES DAVIS
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 372
A ROCKLIT PRODUCTION
04 / 05 / 2018
CYRIL JORDAN / MAID OF ACE / ROSEDALE RHINO'S REVENGE / MILES DAVIS |
TEXTE + PHOTOS SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Monsieur Jordan - Part Three
Back to 1971 avec l’ineffable Monsieur Jordan & the San Francisco Beat. C’est l’année où la radio américaine entre dans son déclin d’AM/FM et où les grands groupes américains entrent dans l’underground : le MC5 lâché par Atlantic, les Stooges par Elektra et les Groovies disent bye-bye à Kama-Sutra. C’est aussi l’année où Cyril Jordan engage un guitariste nommé James Farrell et un chanteur nommé Chris Wilson.
Quand il apprend que Chris Wilson quitte Loose Gravel pour rentrer à Boston, Cyril l’interpelle :
— Hey Chris, tu veux chanter dans les Groovies ?
— Ooh yes Cyril !
Et pouf, Chris s’installe chez Cyril, at mom’s house ! Aux yeux de Cyril, Chris was a natural-born rocker - Boy what a great time we had ! - Les nouveaux Groovies commencent à jouer en public, mais à cette époque dans la Bay Area, on préférait le rock psychédélique et on huait le vieux rock’n’roll. Cyril décide alors de changer le nom du groupe. Ce sera les Dogs - because we were treated like dogs ! - C’est là qu’ils pondent le fameux «Dog Meat». Puis ils reviennent à la raison et redeviennent les Groovies.
Ça tombe bien, car Andrew Lauder de United Artists London répond à la lettre que George Alexander lui a envoyée pour lui signaler que les Groovies étaient libres. Rendez-vous sur Sunset Boulevard avec un ponte nommé Marty Cerf. Mais Cyril peine à trouver une place pour garer sa VW dans le quartier et il arrive avec dix minutes de retard. Cerf le jette. Heureusement, Andrew Lauder vient à sa rescousse et décide de prendre les Groovies sous son aile, c’est-à-dire United Artists London. Shebam ! Cyril saute de joie et se dépêche de composer des hits avec Chris Wilson. Et pow, ils pondent «Shake Some Action». Cyril donne du sens à ses paroles - I will find a way/ To get to you some day - Il veut dire qu’il va trouver le moyen d’entrer à nouveau en contact avec les gens qui aiment le rock ! Grâce à Andrew Lauder, ça redevenait possible de really shaker some action.
Alors les Groovies débarquent à Londres en 1972. Ils achètent leur gear sur Denmark Street et vont au bout de King’s Road se fringuer chez Granny Takes A Trip. Cyril devient pote avec les deux Américains qui tiennent la boutique et il chope l’info : dans la cave se trouve un carton avec des pompes faites sur mesure pour Brian Jones. Wizzz ! Cyril fond sur le carton comme l’aigle sur la belette - The hippest gear ever made - Ha ! Il va aussi chez McLaren round the corner. Sa boutique s’appelle encore Let It Rock. Chez Granny, c’est pour les Mods et chez Mal, c’est pour les Teds. Bam-balam ! Cyril devient pote avec Mal et il adore son juke-box - Mal turned me on to some kool sounds like «Wouldn’t You Know» by the great Billy Lee Riley, «Take And Give» by Slim Rhodes, Rocking In The Graveyard» by Jackie Morningstar, «The Shape I’m In» by Johnny Restivo (who lost James Burton to Ricky Nelson).
Bon les fringues, c’est bien gentil, mais maintenant, il faut enregistrer un disque ! Les Groovies passent donc aux choses sérieuses avec le trip à Monmouth, au Pays de Galles, là où se trouve le fameux studio Rockfield de Dave Edmunds. Ils descendent en train jusqu’à Newport. Kingsley Ward vient les chercher à la gare. Il conduit a fuckin’ little Hillman station wagon. Il faut quatre voyages pour trimballer tous les gros amplis Orange et le drum-kit achetés à Denmark Street. Avec Dave Edmunds, les Groovies enregistrent la crème de la crème du gratin dauphinois : «Shake Some Action», «You Tore Me Down» composé sur le pouce, «A Shot Of Rhythm & Blues» d’Arthur Alexander, «Tallahassie Lassie» et l’infernal «Married Woman» de Frankie Lee Sims. Cyril raconte que le blues authority Mike Leadbitter aurait déclaré que «Married Woman» était the best blues recording by a white group that he’s ever heard. Ils enregistrent et mixent cinq hits planétaires en huit heures. Ils rajoutent vite fait une version de «Slow Death» qu’ils n’avaient pas encore pu mettre en boîte. Ces enregistrements se trouvent sur les deux mythiques singles United Artists parus en 1972 : «Married Woman/Get A Shot Of Rhythm And Blues» et «Slow Death/Tallahassie Lassie». Mais la BBC interdit «Slow Death» qui est pourtant une chanson anti-drogue. Blop ! C’est cuit aux patates. Cyril voulait commencer par sortir «You Tore Me down», mais Andrew Lauder a préféré «Slow Death». Tout s’écroule. C’est aussi con que ça. Cyril dit que c’est la faute d’Andrew Lauder. Il découvrent aussi que les gens de United Artists ne pigent rien à rien - They didn’t know what the fuck they were doing - C’est d’autant plus tragique que Derek Taylor d’Apple Records voulait rencontrer les Groovies, mais Cyril se sentait moralement engagé avec Andrew Lauder et il ne pouvait donc pas entrer en contact avec un autre label. Chez lui, ça ne se fait pas.
Bon alors ? Andrew Lauder ne se formalise pas. Let’s keep going ! Et il envoie les Groovies tourner dans tout le Royaume-Uni et en France. Justement, ils tournent en France en 1972 avec les Gorillas de Jesse Hector - They were wild boys and had haicuts and muttonchops that made their heads look like heads of gorillas - Tout va bien jusqu’au fameux concert du Mans - The Gorillas were a loud band. Loud like the Frost from Ann Arbor, Michigan - Pow ! Le courant saute. Black-out total dans tout le quartier ! Les flics ! Riot in the riettes !
Pendant ce long séjour à Londres, Cyril rencontre dans la rue Vivian Prince, le batteur fou des Pretty Things. Il fait de lui un portrait très affectueux et note que Dick Taylor jouait sur une Harmony Meteor guitar, celle qu’avait Keith Richards en 64.
Cyril évoque aussi le concert du MC5 au Speakeasy, le club le plus branché de Londres. Cyril reconnaît George Harrison dans le public mais il est trop timide pour aller lui parler. Début du concert. Biff ! Bang ! Pow ! La salle est trop petite pour un groupe aussi puissant que le MC5 - They were too loud for the place - Une semaine plus tard, le MC5 débarque dans la maison où sont installés les Groovies, à Chingford. Et puis voilà qu’à 4 h du main, Rob Tyner demande à Cyril de lui appeler un taxi. Wiz ! Rob disparaît. Un quart d’heure plus tard, Wayne Kramer demande à Cyril s’il a vu Rob.
— Oh Rob just left in a cab !
— Ohhh nooo !
That was that. Terminé pour le MC5 - The breakup of the MC5 had occured at four in the morning at our house in Chingford. What a terrible loss to American music !
Le MC5 finit pourtant sa tournée anglaise sans Rob. Cyril les voit sur scène quelques jours plus tard et ils s’en sortent plutôt bien - Strange, Rob wasn’t really missed. They sounded that good - Alors si ça n’est pas un hommage, qu’est-ce donc Dick ?
Cyril évoque aussi le souvenir d’un groupe nommé Mr Moses Scholl Band - A freaky union of souls, punks on the backline, and an ex-British Army sergeant with Victorian muttonchops as lead singer - le chanteur a vingt ans de plus que les autres - A fuckin’ weirdo this chap - Et puis Cyril finit par se dire qu’il en a marre de ses conneries et lui met du poil à gratter dans sa veste d’uniforme rouge. Pow ! Quelle rigolade !
Cyril rencontre aussi deux girls qui font partie d’un groupe nommé American Spring. Elles reprennent des vieux hits pop comme «Mama Said» des Shirelles, «Sheila» de Tommy Roe et «Peggy Sue». Cyril découvre que Marilyn n’est autre que Mrs Brian Wilson et Diane sa sister. Alors pas touche. What a flash ! À ce moment-là, les Beach Boys sont en Hollande pour enregistrer Holland avec Ricky Fataar et Blondie Chaplin que Cyril connaît bien, puisqu’il avait été les chercher à LAX, à la demande de Brian. Et c’est là que germe une idée géniale dans le cerveau bouillonnant de notre héros : enregistrer à Rockfield avec Brian Wilson et Dave Edmunds. Il en parle à Andrew Lauder qui trouve l’idée intéressante, mais pas à Dave Edmunds à qui il veut réserver la surprise.
Mais tout cela ne débouche sur rien. Une année entière en Angleterre et seulement deux singles parus ! Ha ! What a no-gas !
En 1973, les Groovies rentrent au bercail - the Groovie were in a rut - Ils cherchent un batteur et un nouveau label - Don’t ask me why we kept going - Cyril avoue que ça devenait un style de vie. Il commence par recruter un nouveau batteur, David Wright et lui dit d’écouter la batterie sur trois albums : Meet The Beatles, le premier LP des Stones et le premier LP des Kinks. Puis il réussit à décrocher un rendez-vous chez Capitol. Avec Terry Rae des Hollywood Stars et George Alexander, il enregistre une nouvelle démo de «Shake Some Action».
Cyril est marrant quand il resitue le contexte historique d’une époque. Il se sert de la radio pour évoquer l’an 1973 : «The British radio charts were alive with groups like Slade, T. Rex, Gary Glitter, Dave Edmunds, David Bowie et Elton John. USA AM radio charts were dead with Tony Orlando, Roberta Flack, Carly Simon and let’s not forget Kiki Wyonna ! That’s a joke, son.» Il raconte que les groupes qui savaient jouer comme les Byrds had gone underground. Il va plus loin en affirmant qu’après la fin des Beatles, America stopped listening to English music.
En 1974, Cyril rencontre un autre dingue, Greg Shaw. Shebam ! Ils passent la nuit à écouter des 45 tours. Greg venait de démarrer son label et il voulait les Groovies. Les démos enregistrées chez Dave Edmunds le faisaient baver. Il décida de commencer par sortir «You Tore Me Down» puis d’enregistrer la fameuse cover de «Him Or Me» au Studio Alambic de San Francisco, là où fut enregistré Flamingo. Les Groovies n’avaient plus rien sorti depuis le single «Married Woman» édité par United Artists en 1972 - Thanks to Greg, this had now happened - Puis tout s’accéléra quand on proposa à Greg le poste de vice-président chez Sire, le label de Seymour Stein et Richard Gottehrer. Stein commença par flasher sur «Tore Me Down» et quand il entendit Shake, il tomba de sa chaise. Boum ! S’ensuivit une audition et comme Cyril n’avait pas de nouvelles chansons, il proposa de jouer «Please Please Me» des Beatles. Pif paf ! En plein dans le mille !
Cyril revient longuement sur l’empire de la médiocrité qui s’étend à la surface de la terre : « The new so-called artists and trends that they have shoved down our troats are pretty hard to swallow for those of us who aren’t flat head. But there seems to be enough of them around these days so most of this bilge floats to the surface like scum. The incompetence that passes for talent never ceases to amaze me.» (Si tous ces soit-disant artistes et tendances qu’on essaie de nous faire avaler ne passent pas, c’est parce qu’on n’est pas des beaufs. Mais il y en a de plus en plus, ils flottent à la surface comme des étrons. Ça m’épate de voir qu’on tente de faire passer toute cette médiocrité pour du talent).
C’est donc Seymour Stein qui en 1976 va relancer la carrière des Groovies avec l’album Shake Some Action. Cyril rend un flamin’ hommage à Stein qui à l’époque signe les Ramones, Richard Hell et les Pretenders - Excellence instead of incompetence - Cyril va loin puisqu’il affirme que Stein a sauvé le rock dans les années 70, et sans Stein, pas de Shake Some Action. Les Groovies s’installent à New York et comme tant d’autres, Cyril découvre les charmes du CBGB : la bonne odeur de bière et de dog shit. Le chien s’appelle Jonathan et il chie partout dans le club. Wouah ! Puis vient l’heure de retourner chez Dave Edmunds pour enregistrer Shake Some Action, l’album que le monde entier attend. Et pour aller jouer en Europe, Cyril propose à Stein d’emmener ses label mates, les Ramones.
C’est donc grâce à Cyril que l’Angleterre passe au punk.
Signé : Cazengler, Flamine de rien du tout
Ugly Things #41 - Spring 2016
Ugly Things #42 - Summer 2016
Ugly Things #43 - Winter 2016/2017
Ugly Things #44 - Spring 2017
13 / 04 / 2018 – CHÂTEAU-THIERRY
LE BACCHUS
MAID OF ACE
Pour conjurer le sort du vendredi 13, quoi de mieux que d’aller à Château-Thierry dans l’antre où la divinité du vin délivre toutes ses saveurs ? Destination pub le Bacchus en territoire axonais. Mais pourquoi donc, me direz-vous ? Non pour aller voir Jason Vorhees se faire découper en morceaux mais pour s’en prendre plein les esgourdes grâce aux anglaises de Maid of Ace. Ce groupe composé uniquement de filles qui en ont s’est formé à Hastings en 2004 et a deux albums à son actif. Autant vous dire tout de suite qu’elles ne font pas dans la dentelle mais cisaillent l’environnement sonore tel Chuck Yeager à bord de son Bell X-1. Habituées à délivrer leurs brûlots punk rock hautement énervés d’un seul coup, elles doivent s’adapter au lieu en scindant leur show en deux parties. Qu’à cela ne tienne, ça ne remet pas en cause leur pouvoir à faire pogoter les personnes venues assister à cette messe dynamitée. Sur cette tournée, Dora Sandoval du groupe US, A Pretty Mess, remplace leur bassiste Amy. Ah...j’oubliais, les Maid Of Ace sont en fait la sororité Elliott composée d’Alison (chant/guitare), Abby (batterie) et Anna (guitare/choeurs). Eh oui, on fait du punk en famille du côté du pays de God Save the Queen. Elles passent en revue leurs compositions « Minimum Wage » , « Disaster Noise », « Stay away » etc… le tout avec une hargne, une fougue que beaucoup de groupes mâles pourraient leurs envier! Elles dégainent les riffs tels des boulets de canons haute volée et ne sont pas sans rappeler les Runaways ou L7, le côté nerveux en plus. Ce n’est pas pour rien que les Maid of Ace font la première partie de The Exploited pour certaines dates durant cette tournée car une grosse louche hardcore est ajoutée à leur univers. Les dates s’échelonnent de Kingston au festival Punk & Disorderly à Berlin. Elles en veulent et le font savoir. Leurs chansons sont efficaces : c’est franc, direct, ça ne tergiverse pas trois plombes et c’est ça qui est bon. Pas de fioritures, on est dans le vrai, l’authentique, l’urgence et tout le packaging percutant. Elles maîtrisent bien leurs instruments, mention spéciale à la batteuse, et occupent la scène avec brio. En une heure la mission est accomplie de fort belle manière puisqu’à la fin du show, le public en sueur se presse au stand de merchandising. Si j’ai un conseil à vous donner, ressortez vos Doc Marten’s et suivez de près ce groupe car, à mon avis, on n’a pas fini d’en entendre parler !
Alicia FIORUCCI
26 / 04 / 2018 – PARIS
LA BOULE NOIRE
ROSEDALE / RHINO' S REVENGE
En avril ne te découvre pas d’un fil ! Ce dicton fit choux blanc le jeudi 26 à la Boule Noire (Paris). En effet, le chauffage marchait bien pour le plateau Rosedale et Rhino’s Revenge. Démarrage de la soirée à 20h tapantes avec les français de Rosedale. D’emblée, nous voilà plongés dans l’univers rock blues à voix féminine. Cette formation n’est pas sans rappeler le duo Joe Bonamassa et Beth Hart . En effet, Amandyn Rose a une tessiture vocale proche de celle de la chanteuse US, dont elle est bien évidemment fan. Quant à Charlie Fabert il dispose d’une dextérité guitaristique semblable à celle du tenancier du manche du combo Black Country Communion. Ce quatuor à la solide section rythmique composée de Philippe Sissler à la basse et de Denis Palatin à la batterie nous emmène vers les sons chauds provenus d’Amérique, la patrie du blues. Charlie a gagné en assurance scénique depuis l’époque où il était le poulain de Fred Chapellier. D’ailleurs, il personnalise beaucoup plus son jeu qu’avant avec fougue donnant un vent de fraîcheur au genre. L’élève aurait-il dépassé le maître ? That is the question, vous avez 2 heures ! Enfin bref, retour sur les planches, les français passent en revue les titres de leur album « Long Way to Go » sorti en 2017, mais aussi des reprises dont celle de Ike et Tina Turner « Nutbush City Limits » autant dire qu’Amandyn se défend très bien dans la peau de la Queen of Rock N Roll ! Denis Palatin à droit à son moment de défoulement grâce à un solo affûté avec une frappe sèche, directe et élaborée, nous voilà rhabillés pour l’hiver ! Après 45 minutes Rosedale laisse la place aux anglais de Rhino’s Revenge sous les applaudissements du public. Changement de plateau, le temps d’aller au bar pour se prendre une pinte puis, sans crier gare, voilà sur scène ce power trio venu d’outre Manche nous assenant un son à décalquer les sonotones avec « One Note Blues ». Dès les premiers accords, nous voici collés au plafond et c’est ça qui est bon. Le rhinocéros a décidé de sortir l’artillerie lourde et on ne va pas s’en plaindre. Faut quand même que je vous dise que nous avons le bassiste de Status Quo devant nous, John Edwards, ce qui n’est pas rien. Il est accompagné par deux compères du feu de dieu, Craig Joiner (de Romeo’s Daughter) à la guitare et Richard Newman (fils du célèbre batteur Tony Newman) derrière les fûts. Le mammifère à corne ne va pas s’arrêter en si bon chemin, mieux, il ne fait que commencer sa course effrénée. En effet, aucun temps mort dans ce show d’une puissance sans faille. Rhino’s Revenge n’est pas du tout une pâle copie du Quo mais a vraiment son empreinte sonore. En effet, si vous vous attendiez à entendre« In the Army Now » c’est rapé puisqu’ils vont interpréter des compositions de leur cuvée comme « Secretary », « Busy Doing Nothing », « Jungle Love » etc. Ça claque comme il se doit ! Ce qui fait vraiment plaisir à voir, c’est le pied qu’ils prennent à délivrer leurs missives auditives. On est dans l’authentique esprit du rock n roll voire pub rock/punk puisque par endroit leurs brûlots résonnent comme du Eddie & The Hot Rods ou Doctor Feelgood. C’est vraiment la classe ! De plus, sans en faire des tonnes, ils démontrent un savoir-faire et une maîtrise dont les anglais ont le secret. L’assemblée est conquise, saute, danse, s’extériorise corporellement, headbangue, même ceux qui ont perdu leurs cheveux se prennent au jeu…Après 1h40 de concert et une reprise d’enfer de « Born to be Wild », le rhinocéros finit sa course sous une ovation des plus chaleureuses. Le temps au trio d’essuyer sa sueur et hop, le voici derrière le stand de merchandising pour s’adonner aux joies des photos souvenir et des échanges avec les fans. Petite précision et non des moindres, une partie de la recette va à l’association « Save the Rhino International » comme quoi, les rockeurs ont du coeur. En tout cas, une revanche de haute volée sur le monde impitoyable du rock !
Alicia FIORUCCI
MILES L’AUTOBIOGRAPHIE
( avec Quincy Troupe )
( Presses de la Renaissance / 1990 )
C’est mon arme secrète de rocker. Quand je tombe sur un jazzeux qui commence à me prendre la tête sur ma musique primaire, j’ai ma botte de Nevers, la ressors au dernier moment quand il entreprend de mal parler de Vince Taylor, plouf entre les deux yeux, z’au moment où il ne s’y attend pas, tiens toi qui aimes le jazz, j’ai vu Miles Davis en concert, du coup le gars il me mangerait dans la main, mais je suis bon prince, devant ses yeux larmoyants et quémandeurs en attente de révélation, je donne les détails, et le gars reconnaissant à jamais me quitte comme s’il avait vu le porteur du Graal. Tout juste s’il ne me couche pas sur son testament. Jouait bien le Miles, mais pas beaucoup, c’était quelques années avant sa mort, un peu à bout de souffle, soufflait peu mais bien. Laissait l’orchestre faire le boulot, mais dès qu’il embouchait le clairon ça s’insinuait en vous comme la lèpre et le choléra. Juste pour vous dire combien c’était bon, une note bleue ravageuse.
La même impression dès la première ligne du prologue. Nécessaire cette intro, parce que le Miles depuis tout petit il déroge à la lettre. N’est pas né pauvre et misérable, comme tout nègre qui se respecte, but a golden lovin’ spoonfull in the mouth, fils d’un dentiste, noir mais riche. Bourgeoisie noire. Consciente de ses racines. Et qui n’a rien oublié. Ni pardonné. Une mère qui descend de Nat Turner - le meneur de la première révolte noire armée - et un père doté d’une personnalité orgueilleuse. L’en héritera. Et surtout très compréhensif. Laissera son fils partir à New York, lui enverra du fric régulièrement, même lorsqu’il quittera l’école. Pour jouer en free lance. Tout en exigeant de lui qu’il ne soit pas un suiveur, un imitateur, mais pleinement lui-même.
Le genre de doux diktat qui ne pouvait que plaire à Miles. Car le Miles n’est pas un adepte du doute. Ne croit qu’en une chose, en lui-même. Raconte son addiction à la trompette, comprend très vite qu’il lui reste un sacré boulot, qu’il est loin du compte, que le fossé à combler est un véritable gouffre, même pas peur le Miles, passe les étapes une par une, tout en remarquant qu’à chaque fois il s’en sort haut la main, l’élève a atteint le niveau du maître qu’il s’était donné et maintenant il faut qu’il s’en trouve d’autres qui aient quelques petites choses de plus difficiles à lui apprendre.
Vise haut. Dizzie Gillepsie et Charlie Parker, pas plus ( n’existe pas ), ni moins ( ne mange pas de ce pain-là ). Officiellement l’arrive à New York en septembre 1944 pour suivre les cours de la prestigieuse Julliard School, Dans sa tête un seul but : trouver le Bird. Plus difficile qu’il ne le croyait. Invisible dans les clubs, si par hasard il se pose sans préavis dans l’un d’entre eux, le lendemain soir quand il court à sa rencontre, l’insaisissable volatile s’est envolé. En attendant Miles est toujours prêt à remplacer la première trompette défaillante, à taper le bœuf dès qu’on le lui demande. Ne s’en tire pas mal, et même plutôt bien. L’apprend beaucoup, les accords un peu trop complexes il commence à les comprendre en les développant au piano. N’est pas un benêt bleu non plus, à Saint-Louis il a déjà joué dans l’orchestre d’Eddie Randle ce qui lui a permis de côtoyer le deuxième cercle du milieu jazzistique, l’a même eu une proposition ( ses parents refuseront ) de tournée avec Tiny Bradshaw - l’on retrouve son nom dans toutes les histoires qui s’intéressent aux origines du rock and roll - mais la grande claque sera la rencontre avec Charlie Parker.
Un Charlie difficile à vivre - sexe, dope, et jazz - partout et tout le temps. Se fait sucer par des putains blanches dans les taxis tout en mangeant du poulet et en discutant avec les copains, tout ce qu’il faut pour apprendre la vie à un jeune homme un peu idéaliste. Maqué et père de famille de surcroît ! Oui mais le Bird qui ne voit jamais plus loin que le fric de sa dose, sur scène l’est un brûlot incomparable, ceux qui l’accompagnent en oublient de jouer à leur tour, et le public en redemande. Si difficile à gérer que Dizzie s’en éloignera. Les nuits de Miles sont chaudes, et les journées à la Julliard deviennent pesantes. Ce n’est pas que les profs soient totalement nuls, c’est que blancs ils ne comprennent rien à l’âme noire, le Miles ne crache pas dessus, regarde avec intérêt les partitions des musiciens classiques, mais rien de ce qui est enseigné ne l’aide dans sa démarche personnelle, dans son rapport intime avec la musique. C’est que quand la veille vous avez reçu une standing ovation pour le chorus que Charlie Parker vous a laissé prendre, le cours théorique du lendemain matin paraît un peu fade… L’on peut juger du chemin parcouru en une seule année, c’est à l’automne 1945 que Parker demande à Miles de se joindre en tant que trompette à sa formation. Comme dirait Rimbaud la vraie vie commence.
Fait maintenant partie de l’orchestre de Charlie Parker avec Thelonious Monk, et Dizzie Gillepsie ils enregistrent un disque et filent en Californie. L’expérience se révèlera décevante, le Be Bop y est encore pratiquement inconnu, les clubs sont rares et peu accueillants. Le Bird ne fait rien pour arranger les choses, l’est vêtu comme un clochard, ne fait pas d’efforts particuliers sur scène, avale des bouteilles de whisky et de vin bon marché l’une après l’autre pour pallier l’héroïne dont il essaie de se désaliéner. Finit par être enfermé à l’asile où il subit des électrochocs Pendant ces mois d’inaction Miles matraque le bœuf avec tous ceux qu‘il rencontre, joue avec Coleman Hawkins et Charlie Mingus qu’il juge en avance sur son temps. Pour gagner de l’argent il travaille dans l’orchestre de Billy Esckine qui tient à tout prix à le garder mais en 1947 il retourne à Saint Louis retrouver sa femme qui lui a donné un garçon qu’il n’a encore jamais vu. Ces deux années sont initiatiques, il touche à l’héroïne et la cocaïne qui lui refilent une super-énergie, accepte pour la première fois de l’argent d’une femme blanche et trompe sa régulière avec la chanteuse Ann Baker. Enfin détail non négligeable, il est conscient d’être à deux doigts de posséder un son bien à lui qui sera sa signature identificatrice dans l’histoire du jazz. Il n’a que vingt-et-un ans.
Retour à New York, les clubs les plus prestigieux s’alignent les uns à côté des autres dans la 52° Rue, au bout de quinze jours Miles quitte Dizzie pour le Bird de retour lui aussi, phénix renaissant, plus oiseau de feu que jamais. Miles parle davantage de Parker que de lui-même, de sa manière de se lancer dans des soli acrobatiquement arithmétiques, de retomber toujours sur la mesure au millième de quart de note précise, ne donne aucune indication, Max Roach à la batterie tente ( et réussit ) tout ce qu’il peut pour tomber juste et Miles comprend qu’il ne faut pas attendre mais réfléchir posément, Parker pose des énigmes, à vous de les résoudre avant d’être surpris par leur conclusion. Le jazz est une musique intellectuelle. L’on peut tout jouer, c’est très simple il suffit de trouver la solution. Elle existe obligatoirement. Bird n’explique pas. Il rayonne. Avec Bud Powell qui remplace Duke Jordan au piano, Bird enregistre Charlie Parker All Stars, sur lequel Miles place son premier thème Donna Lee. Miles est doublement satisfait, l’est convaincu qu’il a dépassé quelques anciennes influences et qu’il a atteint le même délié, la même fluidité que Lester Young… Miles enregistre enfin son premier disque sous son nom Miles Davis All Stars avec Parker et Roach…
1948 sera l’année des ruptures. Avec le Bird, de plus en plus cabochard, de moins en moins contrôlable, et qui garde tout le fric pour lui. Ne pense plus aux copains, fait le rigolo devant les blancs… excédés Max Roach et Miles finissent par le quitter. Les divergences sont peut-être plus profondes Miles fonde son nonnette pour enregistrer Birth of the Cool. Le titre est à lui-tout seul un oriflamme. Convoquez neuf musiciens il en est toujours deux ou trois qui ne répondent pas à l’appel. Beaucoup d’appelés et beaucoup d’élus, même des musiciens blancs… Ce qui plaira aux critiques blancs. Musique lente, plus fluide, qui se peut fredonner, très éloignée de l’aridité algébrique du Be Bop. Miles est convoité, même par Duke Ellington, mais il voyage en solitaire. Le voici pour quelques concerts à Paris, s’y sent bien, si bien que Kenny Clarke venu avec lui refusera de rentrer au pays, Miles repart malgré l’amour qu’il porte à Juliette Gréco. Cet arrachement il le paiera très cher, par quatre ans d’addiction dure à l’héroïne.
Tout fout le camp. Tous les amis musiciens de Miles sont aussi vampirisés par l’héro. Miles se fait maquereau, se fait arrêter par les flics, perd ses engagements, se sépare de sa femme, vole ses amis, la dégringolade, une seule consolation durant ses deux premières années de galère, il accompagne durant quinze jours Billie Hollyday… ironie du sort, de nombreux jazzmen blancs se font des couilles en or avec cette nouvelle musique venue d’ailleurs; le cool jazz…
Essaiera de décrocher à plusieurs reprises avec l’aide de son père… enregistre quelques disques avec Sonny Rollins et le Bird, pour Prestige et Blue Note, chaque fois qu’il remonte la pente, l’est le premier à tout faire foirer, jusqu’au jour où il finit après huit jours d’abstinence totale, seul enfermé dans une chambre comme une dinde dans un frigidaire par se débarrasser de sa terrible accoutumance. L’était temps, il y avait ce Chet Baker qui était devenu le chouchou de la presse spécialisée. Certes il jouait bien - un jeu très inspiré d’un certain Miles Davis - un blanc, un suiveur, pas un créateur. Ce terme réservé aux noirs. Ce qui ne l’empêche pas de se lancer dans d’interminables disputes avec Charlie Mingus qui hait systématiquement tous les blancs…
Miles signe un contrat d’exclusivité avec Prestige. Il enregistre régulièrement, mais l’essentiel est ailleurs. Il se reconstruit dans sa tête. Avec des hauts et des bas. Un peu de dope encore, mais pas la submersion. Sugar Ray Robinson est devenu son modèle. Se met à la boxe, un art de haute précision qui n’est pas sans accointances avec le jazz. Miles se durcit, devient méfiant, se comporte comme un mac lorsque Juliette Gréco le retrouve à New York… musicalement il commence à entrevoir ce qu’il veut vraiment, retrouve sa maîtrise d’avant la drogue et subit l’influence d’Ahmad Jamal dont le jeu et la musique l’aident à éclaircir, à débroussailler son flow, à le laisser couler d’autant plus sereinement qu’il a éliminé ses propres obstacles… Passage de témoin, le Bird clamse, standing ovation pour Miles au Newport Festival de jazz de 1955. Les critiques blancs deviennent louangeurs. Donnent l’impression de le découvrir lui qui est dans le métier depuis dix ans… John Coltrane opère le bon choix, quitte Jimmy Smith et son orgue pour jouer aux côtés de Miles.
Super appart, belles copines, le succès est là, Miles dicte ses conditions aux patrons des boîtes, enregistre chez Columbia, l’est maintenant dans le plus fort du Maim Stream. L’a voulu, ne le regrette pas, garde la tête froide, refuse d’être dupe, Les salles sont pleines, l’argent coule, la dope aussi, Coltrane et Joe Phyllie le batteur sont au cœur de la tourmente. Miles plus que jamais rebel, hip and cool est obligé de les renvoyer mais Trane fait cold turkey et revient en grande forme. Nous sommes en 1958, le grand jeu peut commencer.
Ne s’agit plus de jouer du jazz, celui qui n’est que continuation de Louis Armstrong, Duke Ellington, Lester Young et Charlie Parker, s’agit de jouer autrement, en modal dit Miles, de retrouver quelque chose de plus lointain, de dépasser les racines du blues, de se laisser inspirer par l’Afrique originelle. C’est une gageure, en deux ans Miles et son sextette n’y parviennent que cinq ou six fois, mais la formation est au top, elle enregistre en direct et très souvent elle se contente de la première prise. Ce sera le cas pour Kind of Blue, aujourd’hui considéré avec A Love Supreme de Coltrane comme le plus haut sommet du jazz, reconnu comme un chef d’œuvre absolu dès sa sortie, duquel Miles avoue ne pas être satisfait. D’ailleurs il consacre davantage de pages à la confection du suivant Sketches of Spain qui repose avant tout sur un arrangement par Gil Evans du Concerto d’Aranjuez, l’enregistrement nécessite la participation de musiciens classiques qui n’arrivent pas à comprendre les directives de Miles de ne pas jouer les notes écrites mais de les considérer comme des départs pour figurer les espaces qui les séparent. Comme chez Mallarmé les blancs sont les lieux les plus importants. Tout en reconnaissant - et en connaissant - la force des compositeurs classiques Miles règle son compte avec les musiciens classiques qu’il qualifie de robots incapables d’improviser. Ce sont dans leur immense majorité des blancs… malmené et frappé par la police alors qu’il est en train d’attendre un taxi Miles tombe de haut, s’aperçoit que quoi qu’il fasse il sera toujours un nègre. Cette injuste mésaventure accroîtra sa méfiance, son amertume et son cynisme, alors qu’il pensait que les temps étaient en train de changer…
Tout va bien. Trop bien. Tournées à gogo. Gagne des milliers de dollars à chaque concert. Roule en Ferrari blanche. Possède un appartement de roi. Des douleurs dans les articulations et des plus graves dans la tête. Médicaments, coke, alcool, méchante limonade. Mort de son père. Mort de sa mère. Trop pris par lui-même pour être présent à leurs derniers moments. L’on sent la dépression larvée. L’ a des musiciens de rêve Tony Williams à la battterie, Herbie Hancock au piano. Mais le jazz se déplace. La new thing apparaît, Miles n’aime guère le free-jazz, des gens - Archie Shepp, Albert Ayler, Cecil Taylor - qui ne savent pas jouer, ou qui ne connaissent qu’une seule manière, une musique non structurée. Fin 1963 il parvient enfin à mettre la main sur Wayne Shorter qu’il guignait depuis longtemps.
Le public décroche du jazz dès l’apparition de la free thing en 1960, et se tourne vers Little Richard, Elvis Presley, Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Beatles, Bob Dylan, Stevie Wonder, Supremes, James Brown, le rock sous toutes ses formes se pose en sérieux outsider. Un peu paranoïaque, Miles pense que les critiques ont intentionnellement poussé en avant le free-jazz pour que les gens se détournent de la musique populaire noire pour favoriser la blanche… l’en profite même pour critiquer l’évolution de Coltrane… N’empêche que Wayne et Tony poussent Miles au cul, certes ils structurent sec mais d’un autre côté ils vous secouent salement le panier à salade, pas absolument free, mais vous ont scié pas mal de barreaux de la cage, et puis cette manière de jouer tous ensemble en se marchant dessus, sans s’en vouloir, en toute confiance. Finis les majestueux soli en solitaire, le combo n’est plus qu’une pulsation rythmique incessante et chacun se hâte d’alimenter le foyer. Le band enregistre six albums en quatre ans, mais le public réclame les vieux morceaux de Miles… Les années soixante s’embrasent, les évènements se bousculent, émeutes de Watts, apparition des Black Panthers, amitié avec James Baldwin, Miles écoute Muddy Waters et James Brown, le son de la guitare lui semble essentiel, dans sa tête règne un peu de folie, beaucoup de pression, coke, alcool, soirées très chaudes, sa femme Frances – celle qu'i aura le plus aimée - s’enfuit… l’est sûr que le monde change et qu’un musicien se doit d’accompagner le mouvement…
La mort de Coltrane en juillet 1967 affecte Miles. Lui fut-elle nécessaire pour réaliser que l’œuvre de Trane a bousculé le jazz, qu’elle est à l’origine d’une évolution du jazz, plus révolutionnaire que sa propre contribution, et qu’il est temps pour lui d’emprunter des sentiers sinon plus aventureux du moins davantage novateur ? Miles écoute Sly and the Family Stone et rencontre Jimmy Hendrix. Qui ne sait pas lire la musique mais le dialogue permet à tous deux de mieux comprendre la convergence de leurs chemins. Miles admet avoir été influencé par Jimi et réciproquement. Parle aussi de la proximité de Jimi avec le hillbilly. In a Silent Way fit beaucoup de bruit. Ce nouvel album paru en 1969 est aussi important dans l’histoire du jazz que l’enregistrement de Kind of Blue. Mais si Kind est un album de parousie clôturiale d’une certaine histoire du jazz le Silent Way est un point focal d’ouverture, il est l’origine propulsive du jazz-rock et de la fusion. L’a rassemblé une nouvelle équipe autour de lui, Joe Zawinul qui joue sur piano électrique, Keith Jarrett qui lui aussi électrise son piano, Chick Corea lui aussi au piano, Jack Déjointe à la batterie, et John McLaughlin à la guitare qui débuta dans la première génération rock and roll anglais… Miles accorde davantage d’importance à l’album suivant Bitches Brew qui lui semble d’une complexité mieux aboutie.
Miles gagne jusqu’à 400 000 dollars par an mais il remarque que ses concerts ne sont plus sold out, aussi franchit-il le pas et part-il à la rencontre du public rock, passe au Filmore East de San Francisco entre Steve Miller et Gratefull Dead, et en première partie de Santana, une nouvelle frange du public se rallie à lui… fait des efforts abandonne ses beaux costumes trois pièces pour des tenues plus libres, pas tout à fait le débraillé rock, change de coiffure, ne s’agit pas seulement d’un simple relookage, ça bouge aussi dans sa tête, sa compagne Betty Mabry n’est pas pour rien dans cette évolution, il se séparera d’elle au bout d’un an car son allure de rockeuse un peu trop sauvage jure un peu avec le milieu un tantinet compassé du jazz dont il reste tributaire…
S’ouvre une période des plus créatrices de Miles, les disques s’enchaînent et surprennent, Miles change sans arrêt de musiciens, Billy Cobham sera choisi pour sa frappe plus rock, Miles insiste beaucoup depuis toujours sur le rôle moteur du batteur dans ses différents combos, c’est sur son jeu que se calent les soli, même si maintenant il fait moins de solo, pour accompagner sa nouvelle manière de trumpet groove il adjoint un percussionniste à sa section rythmique… Miles participe au festival de l’île de Wight, Hendrix meurt alors que rendez-vous était pris pour un enregistrement commun… Miles se sert d’une pédale wha-wha sur sa trompette… se rend compte que les jeunes noirs ne connaissent pratiquement pas Hendrix trop près du rock blanc… Pour se rapprocher de ce public Miles tente d’infléchir la courbe trop free de sa formation vers un groove funk, ce qui n’est pas sans provoquer de nombreuses dissensions avec certains de ses musiciens qui s’accrochent aux patterns du jazz pur… Avec On the Corner, Miles concilie l’inconciliable Stockausen, Sly Stone, James Brown, Bach et Paul Buckmaster, passe aussi à l’électrique intégral pour avoir un son qui soit audible dans les grandes salles. Miles va mal, trop de sexe, trop de drogues, trop de tournées, une prothèse de hanche de plus en plus douloureuse, Columbia ne pousse pas son disque vers le jeune public noir friand de rhythm and blues et le public jazz traditionnel est incapable de comprendre cette nouvelle musique. Un accident de voiture lui brise les deux chevilles, Miles est la proie de ses vieux démons, Fin 1975, Miles arrête.
Restera enfermé quatre années chez lui, une longue nuit, entre dope et femmes, entre produits et sexe, vit ses phantasmes, ne sort que très rarement, ce qui est plus prudent vu ses crises de paranoïa et les flics obligés de le déposer à l’hôpital psychiatrique, Cicely une ancienne copine revient vers lui et l’aiguille vers une vie moins excessive, son jeune neveu Milburn fou de batterie lui téléphone souvent pour demander conseil, et Columbia insiste pour qu’il reprenne le combat et accepte qu‘il prenne George Butler, un noir, comme producteur.
La santé se détériore mais le succès est là dès les premières gigs. Touche quinze mille dollars par soirée pour un club de 425 places, embraye sur les tournées grassement payées en Europe et au Japon, les critiques sont plus que mitigés, ses deux derniers disques The Man with the Horn et Decoy sont jugés peu aventureux. Miles remarque simplement que le jazz se répète et qu’il faut devenir accessible à l’oreille du public façonnée par le rock blanc… L’a d’autres chats à fouetter, les alarmes des toubibs qui exigent qu’il arrête le tabac et l’alcool, le diabète est devant la porte mais une c’est une crise cardiaque qui frappe la première, lui paralysant les doigts, s’en remet mais fin 1983 la nécessité d’un repos se fait sentir… Détour par la case hôpital, hanche et pneumonie, cette dernière étant le lot ultime d’organismes fatigués, c’est elle qui a emporté Billy Hollyday et Coltrane.
En 1984 Miles quitte Columbia pour la Warner, reçoit récompenses et prix prestigieux mais il n’aime pas qu’on lui préfère dans la plupart des cas Wynton Marsalis musicien de jazz et de musique classique, une manière pour les blancs d’honorer un artiste noir formé dans la tradition européenne… Miles a soixante ans, les évènements se répètent, coma diabétique, violentes disputes avec Cicely, un musicien Darryl Jones qui le quitte pour aller jouer avec Sting qui propose davantage de blé, tournées, enregistrement de Tutu, - combat contre l’apartheid et emploi forcené de synthés - grands concerts avec U2, participation à un épisode de Miami Vice Miles, pub Honda, Miles est partout où il faut être et même là où il faudrait ne pas être… Au retour d’une réception organisée par Reagan pour rendre hommage à Ray Charles, Miles excédé par l’ignorance crasse de l’élite blanche casse avec Cicely Tyson qui l’avait embrigadé dans cette galère…
L’autobiographie se termine, fait un peu le tour de la question. Vous connaissez la réponse, elle s’appelle Miles. Revient sur le futur de la musique, Prince est le bon cheval, mais Miles ne dédaigne pas le rap et parle même du zouk. Pour lui la musique authentique est noire. Parle de ses rapports avec ses musiciens. Pas de blabla, un musicien respecte les musiciens mais ne parle de musique qu’avec son instrument. Parle de l’évolution de la musique, le monde change, la nature des instruments change, donc la musique change. Il est inutile de regretter le passé, aller de l’avant pour ne pas s’ossifier. Lui-même a évolué, ne serait-ce que par contraintes économiques, l’argent vous permet de rester libre. Avoue sans honte ni regret qu’il a su s’adapter pour survivre. Parle beaucoup des femmes, avec amour et tendresse, mais sans concession, ses préférences et ses choix. Certaines ne savent pas comment faire avec un homme, surtout si c’est un artiste. Le veulent pour elles, l’embêtent, l’agacent. Oui parfois il en a frappé, il le regrette mais c’est ainsi. Passe aux hommes, l’est moins disert, si vous êtes cool tout se passera bien. En vient à la différence entre les blancs et les noirs. Les blancs se croient habilités à être des donneurs de leçons mais les noirs sont les créateurs… Pensent aux morts qu’il a connus de son vivant, sont proches de lui, sent leurs esprits tout proches… Se sent investi de la puissance de la musique. L’est prêt à foncer droit devant dès le premier temps…
Miles termine son Autobiographie en 1988. Il mourra en 1991. Vous n’êtes pas obligé de tout gober. Vous donne l’impression qu’il force un peu sur les côtés déplaisants de sa personnalité. Ne mâche pas ses mots. Traite ses deux premiers fils de ratés. Se dépêche d’ajouter que c’est un peu de sa faute, mais maintenant qu’ils sont grands, c’est à eux de se prendre en charge. A l’intérieur de leur tête personne ne peut les aider. La vie ne fait pas de cadeau, Miles non plus. L’on décèle chez Miles une certaine coquetterie à se décrire plus noir qu’il n’était.
Damie Chad.
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