11/01/2018
KR'TNT ! 356 : SEX PISTOLS / NO HIT MAKERS ( + BRAIN EATERS + WASHINGTON DEAD CATS + MEXICALI SWINGERS ) / BOBBIE CLARCKE
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 356
A ROCKLIT PRODUCTION
11 / 01 / 2018
SEX PISTOLS / NO HIT MAKERS ( + Brain Eaters + Washington Dead Cats + Mexicaly swingers ) BOBBIE CLARKE |
TEXTE + PHOTOS SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Sex pactole - Part two
Johan Kugelberg édite un gros bâton de dynamite consacré aux Sex Pistols - God Save Sex Pistols - et il allume la mèche dès la préface en affirmant que the Sex Pistols were the greatest rock and roll situation that the twentielth century brought about (Il y va fort, puisqu’il affirme que les Pistols sont le plus gros coup de rock’n’roll du XXe siècle). Il affirme encore autre chose : rien que pour avoir écrit «Holidays In The Sun», John Lydon would still remain a major British man of letters, oui, l’un des principaux hommes de lettres britanniques, un Lydon qui dans ses early twenties avait déjà l’aura d’un grand agitateur, in the vein of Max Wall, Daniel Cohn-Bendit or hey, Byron for that matter. Et il enfonce encore son clou - paf ! - en affirmant que les Pistols were arguably the greatest rock and roll stalwarts of their generation, bridging mod, glam, and the proto-punk ‘themness’ code to the masses. Et pour étayer tout ça visuellement, Kugelberg propose plus de 300 pages grand format, c’est-à-dire entre cinq et douze kilos de papier. L’éditeur se trouve à New York, mais le livre est imprimé en Chine. On profite de l’occasion pour constater que les Chinois ont appris à rivaliser de qualité avec les grands imprimeurs italiens.
De deux choses l’une : soit on reste un inconditionnel des Pistols et on se jette sur ce livre, soit on ne l’est plus et on se pose la question suivante : à quoi rime un nouvel ouvrage consacré à cette vieille histoire ?
De toute évidence, le fan des Pistols va se régaler, il va pouvoir se goinfrer d’images et d’infos qu’il connaît déjà, mais comme il ramène chez lui ce que les libraires appellent un «beau livre», il aura l’impression de redécouvrir cet épisode fascinant de l’histoire du rock anglais. Kugelberg a choisi d’alterner des séquences de pages illustrées et des séquences de contenu éditorial présentées sous la forme day by day et uniquement constituées de témoignages. On se retrouve dans l’ambiance de l’excellent Please Kill Me jadis édité par Legs McNeil et Gillian McCain et qui en la matière fait toujours office d’ouvrage de référence. Tous les principaux témoins de la courte saga des Pistols évoquent chaque concert et chaque événement. Tout ça pour dire qu’au fond, il est bien difficile de se lasser d’une histoire aussi génialement météorique que celle des Pistols. Il s’agit en effet d’une histoire parfaite : départ de triple zéro, quatre branleurs passionnés de rock, un buzz de deux ans, un album parfait, un scandale et le chaos technique final. L’essence même du rock, le cum. Ou le scum du cum. La cime du come. L’origine de toute vie. Sex Pistols & drugs & rock’n’roll. L’album est tellement parfait qu’on le réécoute quarante ans plus tard avec le même bonheur. De la même façon qu’on réécoute l’album des Heartbreakers ou le premier album des Damned. Ces disques n’ont pas pris une seule ride.
Maintenant, l’autre point de vue. Imaginons qu’on ait déjà fait le tour depuis belle lurette, qu’on ait pris le temps d’avaler l’England’s Dreaming de Jon Savage, et même les 700 pages de l’England’s Dreaming Tapes paru un peu plus tard, les bouquins de Noel Monk (Twelve Days On The Road With The Sex Pistols - récit marrant de la tournée américaine qui permet de mesurer le haut niveau d’incontrôlabilité de Sidney Vish), de Brian Southall (Ninety Days At EMI, qui n’apporte pas grand chose), de Fred Vermorel (The Inside Story Of The Sex Pistols, le plus ancien, qui fut traduit aux Humanos, dans la prestigieuse collection Speed 17), bien sûr, les deux autobios de John Lydon (No Irish No Blacks No Dogs et Anger Is An Energy, plus récent) et pour finir l’indispensable autobio de Steves Jones, parue l’an passé et qui fonctionne comme la pièce manquante du puzzle, ou si vous préférez, comme la clé de voûte de la cathédrale. Sans oublier l’indispensable Destroy, le photo-book de Dennis Morris. Pour compléter ce panorama, on aura visionné quelques films, ceux de Julian Temple (The Filth & The Fury et There’ll Always Be An England. Live From The Brixton Academy), et le Never Mind The Bollocks, publié par Eagle Vision en 2002. À ce stade, on s’accorde le droit de conclure que le tour est fait, et donc à quoi bon remettre le nez dans une énième resucée de cette courte histoire ?
Eh bien, les Pistols, c’est un peu comme Dada. On croit bien connaître Dada quand on a lu Ribemont-Dessaignes, Tzara, Picabia, Duchamp et qu’on connaît sur le bout des doigts son Man Ray/Erik Satie ou son Schwitters, et puis le jour où on met les pieds dans la caverne d’Ali Dada (Dada Beaubourg), on reprend tout Dada en pleine poire, on erre dans les allées avec la langue qui pend, on puise du regard tout ce qu’on peut, jusqu’à l’overdose, on sort de là épuisé et en jurant de revenir le lendemain. Et c’est en feuilletant le catalogue qu’on comprend la raison de ce choc émotionnel : Dada resplendit dans toute la grandeur de sa parfaite ingénuité.
Comme les Pistols, Dada part de triple zéro : Picabia et Tzara passent un pacte Dada sur le marbre d’un imprimeur zurichois en 1919, en réaction contre la boucherie de la Première Guerre Mondiale. Tzara n’a que 23 ans et Picabia tout juste 40. Ils vont créer un monde à eux deux. Ils deviendront des virtuoses de la provocation et accessoirement, inventeront l’art moderne. Dada ne dure que quatre ans à Zurich, puis trois ans à Paris, où Dada va rejaillir sur le monde entier, avant d’être dévoré vivant par le mouvement surréaliste. Trois ans : on parle ici de fulgurance.
Le gros livre de Kugelberg fonctionne exactement de la même façon que le catalogue Dada Beaubourg : on y voit un monde se construire, page à page. C’est très visuel : triple zéro, des branleurs qui répètent dans un garage, toujours la même histoire, et un mec un peu lettré s’intéresse à eux : McLaren. Alors que le son du groupe prend forme, parce que Steve Jones apprend à jouer de la guitare en écoutant les Stooges et les Dolls, que Glen Matlock sait bricoler des séquences couplet/refrain, et que John Lydon cultive un goût pour l’anarchisme du coin de la rue, McLaren fait exactement ce que fit son idole Guy Debord avant lui : il réfléchit à une stratégie. Comme il grenouille depuis un certain temps dans l’underground culturel, il sait que la réputation d’un groupe repose sur deux choses : le son et l’image. L’un ne va pas sans l’autre. Il fait donc appel à un graphiste londonien, le fameux Jamie Reid et dans les pages de ce gros book, on voit l’image des Pistols se construire. C’est quasiment du step by step. Tous ceux qui s’intéressent au graphisme ou qui en ont fait leur métier savent que le parcours qui conduit à la mouture finale est souvent long et douloureux. Et à partir de rien, mais vraiment rien, Jamie Reid construit cette image des Pistols qui depuis est devenue universelle. Il y a d’abord le logo du groupe monté en lettres découpées dans des titres de presse, puis le fameux visuel de la reine pour «God Save The Queen». Et là, on se retrouve confronté à une sorte de summum culturel qu’on appelle l’art total : on voit l’image et on entend le son. On entend le son et on voit l’image. L’un de ne va pas sans l’autre. Le mythe des Sex Pistols repose très précisément sur cet amalgame : le texte colérique d’un kid à peine sorti de l’adolescence, deux couplets et deux refrains joués par un fan des Stooges, une image construite au cutter et au bâton de colle par un graphiste qu’obsède le non-respect des codes graphiques, et un marchand de fringues qui s’entiche des théories subversives de Guy Debord. Encore une fois, triple zéro, puis effet boule de neige. Qu’il s’agisse d’un flyer, d’un ticket de concert ou d’une affichette, le moindre petit doc devient œuvre d’art. Le moindre T-shirt et la moindre pochette de single deviennent eux aussi des œuvres d’art. Tout part de ce qu’il existe à l’époque de plus cheap pour devenir objet de convoitise et malheureusement de spéculation. Le gros book de Kugelberg montre les objets en l’état, comme des objets Dada devenus objets de musée et donc de valeur, alors qu’à l’origine, ils sont bricolé sur un mauvais photocopieur. Les photos de scène ne font que renforcer la force de cet anti-concept, car comme Dada, les Pistols retournent l’idée de concept comme une peau de lapin. John, Glen, Steve et Paul jouent leurs rôles de branleurs à merveille, mais on note quand même que Glen gâche un peu l’équilibre graphique des images, trop clean, trop normal, alors McLaren corrige le défaut en le virant. Avec Sid, l’équilibre graphique de la désaille devient parfait. Les photos des Pistols renouent alors avec une tradition très anglaise des grandes photos de groupes, une tradition qui remonte aux early Stones et aux early Who. C’est la clé du système, la crédibilité auprès du public anglais, c’est-à-dire du monde entier. À partir de là, c’est un boulevard qui s’ouvre aux Pistols et à leur entourage : il ne leur reste plus qu’à enregistrer de bonnes chansons pour entrer dans la postérité. Le pire, c’est qu’ils savent aussi le faire. Et ce ne sont pas seulement des bonnes chansons, mais des classiques chargés de toute leur énergie et de ce qu’il faut bien appeler leur génie délinquant, celui de Steve Jones en particulier. Jamie Reid refait mouche avec son Nowhere Bus qui devient une autre symbiose visuelle du phénomène pistolien, il dessine même un rough du bus, comme on le faisait auparavant pour visualiser une idée avant de la réaliser, une pratique qui hélas a disparu avec les ordis, oui, car les clients ne veulent plus voir de roughs, ils veulent du produit fini. Grâce à Jamie Reid, les pochettes de singles sont traitées comme des œuvres d’art. Parmi les groupes qui retiendront la leçon, il faut citer les Dogs d’Amour et les Drive-By Truckers : un graphiste (ou un illustrateur) pour toutes les pochettes, garantie d’une forte identité. Après les singles, voici l’album et on découvre la genèse d’une des pochettes d’albums les plus célèbres du monde, Never Mind The Bollocks qui devait s’appeler au départ God Save Sex Pistols : comme la maquette du visuel existe, Kugelberg la récupère pour la couverture du livre. Mais tout le monde est bien d’accord, surtout en Angleterre, Never Mind The Bollocks, ça sonne tout de même un peu mieux. C’est un peu comme si en France on écrivait sur la pochette d’un album ‘Je m’en bats les couilles’, ce qui ne manquerait pas de choquer les beaufs et les bobeaufs, but de l’opération. On voit aussi le montage coté de la pochette de l’album : c’est un document technique destiné au photograveur. Le graphiste montait son doc d’exé à tel et indiquait les couleurs à la main (ici, Jamie Reid a écrit dayglo yellow et dayglo red, c’est-à-dire jaune et rouge fluo), avec en plus un choix typo volontairement pauvre : un merveille d’anti-équilibre pour un anti-concept. Les groupes anglais qui à l’époque ont essayé d’imiter la démarche des Pistols (les Clash en l’occurence) se sont vautrés, car ils copiaient un anti-concept et il faut savoir qu’on ne copie pas un anti-concept. On ne copie pas la Fontaine de Duchamp ou la pyramide de Khéops. Et cette esthétique du chaos graphique va déclencher une véritable marée de fanzines tous plus moches les uns que les autres, c’est à qui fera le plus laid, sans comprendre qu’à l’origine, Jamie Reid est, comme Neville Brody, un graphiste britannique de stature internationale. Tous les apôtres du fameux DIY vont y aller de bon cœur, à coups de cutter, de bâtons de colle et de photocopieur du coin de la rue. McLaren devait être à la fois ravi de cette prolifération et effaré de voir à quel point tous ces gens ne comprenaient rien. Dans le cas de Dada comme dans celui des Pistols, on parle d’art provocateur. Un art certainement plus difficile que l’art classique et pour lequel il faut quelques dispositions.
Signé : Cazengler, Sex pustule.
Johan Kugelberg, Jon Savage, Glenn Terry. God Save The Sex Pistols. Rizzoli 2016
06 / 01 / 2018 – TROYES
3B
NO HIT MAKERS
La teuf-teuf cartonne. Elle a une mission dont dépend la survie de la planète. Huit cents kilomètres d'une traite, demain j'ai un rendez-vous important. Les No Hit Makers passent au 3 B, le cadeau de Noël de Béatrice Berlot, pas question de le rater, la fidèle rock-mobile avale le bitume sans amertume, le moteur à plein volume tel un presse-agrume de compétition. Nous voici déjà arrivés à destination. Les soiffards au bar sans retard, de doux petits bouts de choux qui courent partout, les rockers en manque de Makers, l'ambiance rockabilly des grands soirs.
NO HIT MAKERS
Pas mal pour un premier morceau, claironne Eric qui fait le modeste. C'est même plus que très bien, mais il est vrai que nous n'avons encore rien entendu comparé à ce qui nous attend. Les No Hit Makers c'est comme l'horloge de la mise feu de la bombe atomique. Une fois que vous l'avez enclenchée vous ne pouvez plus l'arrêter. Mais analysons quelque peu les rouages de cette mécanique infernale. Vincent est à la Gretsch – vous ne pouvez pas vous tromper, l'a le macaron de la marque en gros sur sa tunique noire. Une lead qui tranche d'orange. Sanguine. Et survitaminée. L'a un défaut, ne peut pas s'empêcher d'en jouer. Le morceau n'est pas terminé que déjà il tonitrue le suivant. Sur ce Jérôme lui emboîte le pas. Vous file la rythmique sur sa caisse claire. Douze secondes pas plus, car après c'est la catastrophe, un break à vous couler le Titanic plus monstrueux qu'un iceberg, et Lardi qui se précipite dans les chaloupes de secours et qui souque le souk comme un dément. Il se peut que vous rencontriez des innocents à la tête vide qui sont prêts à témoigner que le sieur Lardi joue de la contrebasse. C'est un mensonge. Ehonté. Totalement faux. Lardi, sa passion c'est le full contact. Sauvage et sans concession. Un fulleur fou. Ne se sert que de ses deux mains, pour la simple et bonne raison qu'elles rendent l'utilisation des pieds inutile. Vous refile de ses mourlanes qui valent des coups de tatanes. Elles font mal, et ça s'entend. Sera même obligé de faire signe à Fab à la table de le baisser d'un cran car il a l'impression de submerger le reste du combo. La frite mais pas la triche. Entre deux sets il nous montrera le cal de ses doigts arraché. Slappe sans filet. Vous imaginez le micmac. Ce n'est que le chapitre un et Eric n'est pas encore arrivé. Gretsch électro-acoustique – c'est que le rockab sans Gretsch c'est comme une salade sans feuilles ou un taureau de combat sans cornes - en bandoulière, use d'une technique simple, vous balance la rythmique au lance-flammes, impossible de le dépasser, une course-poursuite avec lui-même, les autres sont au raffut derrière lui, et lui il leur annonce qu'il n'a pas de temps à perdre et qu'ils ont intérêt à se magner s'ils veulent lire la suite de l'histoire. L'a les yeux qui pétillent de malice, alors il vous sort son arme secrète. La voix. Les autres cognent, et lui il amplifie. Il ouvre les espaces. Comme dans les westerns, quand la caméra élargit le champ et vous dévoile les infinies étendues de l'herbe bleue du Kentucky. Aussi impensable que cela puisse paraître, si vous tendez bien l'oreille vous ne tarderez pas à percevoir une fine pointe de country ( nuance wild ) dans la musique des No Hit Makers, une minuscule goutte aussi venimeuse que la morsure du crotale. Une dose chargée de vous immuniser contre les prochaines surprises.
Vous croyez avoir fait le tour du topo. O. K. je vois, les No Hit Makers, c'est l'oiseau-tempête qui plane dans dans l'ouragan, genre je dévaste tout et rien ne subsiste après moi. Erreur lamentable. Diagnostic outrecuidant. Non, ils ont un truc en plus. Les No Hit, ça gonfle, ça enfle, ça croît sans rémission... jusqu'à l'apparition d'un étrange phénomène, le goulot d'étranglement, la baudruche qui éclate, pire que tout cela, ce que les astronomes appellent l'apparition d'un trou noir, l'effondrement torsadé de l'espace-temps qui ouvre sa gueule béante et s'apprête à engloutir, la musique, l'orchestre, les spectateurs, le vide béant inéluctable, vous savez que vous allez être avalés par cette concrétion de matière noire dans laquelle vous vous sentez aspirés, le couac sinistre du silence s'abat sur vous, le croassement sourd des corbeaux autour de votre cadavre, plus un bruit, une éternité d'une seconde et brusquement alors que vous croyiez que l'ensevelissement de la destruction finale vous avait minéralisé, transformé en pierre d'achoppement, l'en est toujours un des quatre qui sauve la situation. Ce peut être tout ou n'importe quoi. Jérôme qui gratte la peau d'un tom, ou qui vous azimute d'une explosion de cymbales, Lardi qui vous larde sa big mama d'un atémi des plus vicieux dans le cordier, ou sa main gauche qui dérape sur le manche, dernier bras levé en vain d'un nageur que l'océan s'apprête à enrober de ses masses liquides, le simple sourire d'Eric, ou Vincent qui vous foudroie d'un riff sorti de nulle part ou de la caverne de Platon, vous croyiez que tout était fini, que les No Hit jouaient trop vite, qu'ils allaient se planter comme des gamins de quatorze ans en répétition, eh bien non, le Quetzalcoalt du rockabilly, le serpent à plumes du néo-rockab, reprend son vol majestueux comme si de rien n'était, et vous emporte comme fétus de pailles dans un immense tourbillon. L'est un ustensile qui ne chôme pas chez Vincent, vous use du bigsby comme d'un vol d'étourneaux, propulse le riff vers les hauteurs immodérés du ciel, et quand il le relâche il fait gronder l'orage et éclater le tonnerre. Eric vous lance des giboulées de guitare dans les traboules du désir, sa voix se fait douce et sarcastique, elle interprète le rockab comme les tragédiennes du grand siècle vous hululaient les vers de Racine les soirs de pleine lune, et parfois Lardi hurle dans le micro de ces rugissements dont le lion royal de la 20 Th Century-Fox régalait le pré-générique des grands-films de série-B. Trois sets, le premier : percutant, le deuxième somptueux, le troisième : splendide. Qu'ils reprennent des classiques de Carl Perkins, de Wayne Walker, Johnny Burnette, Hayden Thompson, ou leurs propres compos – finition du prochain CD au mois de février – les No Hit Makers impriment leurs griffes à tout ce qu'ils touchent. Néo-panthère, guépard enragé. Un des groupes les plus essentiels du rockabilly européen actuel. Un son qui n'appartient qu'à eux. N'y avait qu'à regarder les tronches heureuses de l'assistance pour en être persuadés.
Un grand merci à Béatrice Berlot qui nous réserve des surprises pour la suite, et à Fab pour la sonorisation et son programme de disques explosifs pour les inter-sets.
Damie Chad.
FOUR ON FUR
BRAIN EATERS / WHASHINGTON DEAD CATS
NO HIT MAKERS / MEXICALI SWINGERS
( FUCK U RECORDS / 2015 )
You can't judge a record just looking the color. Celui-ci, il est tout blanc, d'une blancheur nivéenne, l'innocence désincarnée. Aube de première communiante. Sillon de jeune vierge encore enclos sur lui-même, tel mignon bouton ronsardien. Hélas il n'en est rien ! Ne vous laissez pas séduire par l'artifesse. La couleur rose de la pochette devrait vous paraître suspecte, et le titre Four on Fur, quatre sur la fourrure ( Sainte Vénus de Sader Masoch, venez à notre secours ! ) duveteuse des trash pussies des cinq demoiselles en tenues légères et non équivoques. En plus il y a la recommandation, Adults Only, et la description : A sexy trashy sleazy dirty lusty juicy yummy smelly compilation, mais comme c'est écrit en anglais, faisons semblant de ne pas comprendre et continuons nos scrutatives et auditives investigations. Et puis il est bien connu que les amateurs de rock sont d'éternels adolescents un peu obnubilés par les affleurements charnels.
Brain Eaters : Jaybird Safary : z'avons déjà rencontré l'anthropophagique tribu des mangeurs de cervelle juste avant la Noël ( voir KR'TNT ! 353 du 21 / 12 / 2017 ), en avions réchappé par miracle, et ploum l'on retombe dessus alors que nous pensions en être débarrassés. Que voulez-vous les safaris réservent bien des surprises. Nous ne savions pas qu'ils étaient aussi mangeurs de sexe. Nous en prenons acte. En tout cas, ça dégouline sec, un harmonica d'enfer, une rythmique obsédante, des guitares qui crient et une voix rageuse emplie de hargne vicieuse. Le genre de rock'n'roll des banquettes arrières que l'on aime. En plus la fin est encore meilleure que le début. Des gars qui ne se contentent de promesses. Washington Dead Cats : Girl I want you : du chat mort à la chatte vivante le pas sera franchi allègrement. Ca fuzze à tous les étages. Terriblement anglais dans le son, eux aussi ont choisi de s'énerver sur la fin du morceau, de viande. Mettent les bouchées doubles, surtout le chanteur qui connaît le trémolo de l'aristotélienne extase finale. Mais pourquoi tant d'amour ! No Hit Makers : Blind and deaf : vaut mieux être sourd et aveugle que d'entendre ça, disait ma grand-mère. La vieille dame – malgré tout le respect que je lui dois – avait tort. Z'y vont à la sauvage, pratiquement du punkabilly, ça sonne comme du vieux garage, les pneus incandescents ont fait fondre le goudron et du carburateur jaillissent des gerbes d'étincelles. Genre greasers qui ont chaud entre les pattes, sifflent les filles et précipitent les présentations, laquelle oserait résister à tant d'aplomb et d'assurance, au cri primal du désir libéré ? Mexically Swingers : Pussy Charmer : pussy pas, il y en aura pour tout le monde. Coup du charme guitare sixty-surf. Des petits malins alors que les trois précédents y vont franco de port, fort de café avec double-remorque de moonshine, eux ils ont opté pour la perfide douceur, la traître indolence, faut attendre la fin du morceau pour que le gars fasse sa proposition malhonnête. Que la donzelle qui bronze et dore se méfie, l'a le rire démoniaque des serial-killers. Sang blague.
Damie Chad.
Attention, l'aspect d'un 45 Tours, la taille d'un 45 T, la pochette cartonnée d'un 45 T, un objet idéal pour les cotations de Jukebox Magazine tiré à trois cents exemplaires numérotés, mais après avoir déshabillé la baleine blanche de son rose bikini, n'oubliez pas que ça tourne en 33 T.
BOBBIE CLARKE
PLAYBOY & SHOWMAN
LES MEMOIRES DU BATTEUR
DE VINCE TAYLOR ET JOHNNY HALLYDAY
ROBERT WOODMAN ET ROMAIN DECORET
( Camion Blanc / Décembre 2017 )
Enorme ! Près de six cents pages. Les mémoires de Bobbie Clarcke, le batteur de Vince Taylor. Que voulez-vous de plus ! Evidemment les éditeurs ne se sont pas jetés dessus. Mais Camion Blanc a embrayé tout de suite. Z'ont même fait un effort pour la repro des photos. Ce n'est un secret pour personne, chez Camion Blanc, c'est souvent cinquante nuances de gris. Pas érotique, pisseux. Mais là ils ont fait attention au tramage, sont parvenus à exprimer les contrastes. Normal, les clichés sont sortis de la collection personnelle de Robert Woodman. Le véritable nom de Bobbie. Traduction de Romain Decoret, bassiste et ami de Bobbie. L'a aussi officié dans les Virginians d'Ervin Travis. Donne régulièrement des leçons de guitare aux lecteurs de Guitarist Magazine. Un incontournable du rock français. Remercions-le pour son travail de traduction qui a dû lui coûter des heures et des heures de travail. Un bouquin qui va rendre fou les inconditionnels du early english rock. Et français. Bobbie prenait des notes. N'est pas un amateur de lyrisme. Les noms, les dates, les faits, ne s'attarde guère. Vise à l'essentiel. N'écrit pas un roman. Ni un recueil de poèmes. C'est qu'il en a traversé des situations dans sa vie, passe vite à la suivante, pour les rêveries sentimentales vous repasserez, ajoutez-y toute la retenue légendaire des Britanniques et vous êtes embarqués en un délicieux maelstrom qui ne s'arrête jamais.
DU JAZZ AU ROCK'N'ROLL
Robert Woodman est né en 1940 à Coventry. Famille anglaise aimante. Tout petit il est attiré par les rares artistes qu'il a l'occasion, rarement, de voir sur scène. Il n'en faut pas plus pour forger un destin. Adolescent il devient un amateur de jazz. Mais dès 1956, il kiffe dur les premiers disques de Bill Haley. Mais ses deux idoles sont les orchestres de jazz notamment celui de Sid Phillips. Court les concerts, souvent à plusieurs dizaines de kilomètres de chez lui. Sympathise avec les musiciens, s'accroche, se rend utile, dort dans le car de la tournée, se fait embaucher, et mettre dehors par manque répété de sérieux. Ne lui jetez pas la première pierre, il est excusable, les filles lui tournent un peu la tête. Recherche un emploi à Londres et l'inespéré se produit : Eric Delaney, son batteur de jazz préféré recherche un boy pour s'occuper de sa batterie ! Lourde tâche, faut se trimballer les étuis dans de pénibles escaliers et d'étroits couloirs, en plus, Eric Delaney possède une particularité quasi exceptionnelle à l'époque en Angleterre, il joue avec une double grosse caisse ! Bobbie ne restera que trois semaines chez Delaney, mais il observe, engrange et apprend. Une histoire de fille motive son renvoi...
Le 10 février 1957 il assiste à Coventry à un concert de Bill Haley. L'ambiance rock l'éclate, mais il repart en tournée avec Sid Phillips, le batteur Michael Nicholson l'a à la bonne, le laisse jouer sur ses caisses et lui propose de tenir la batterie dans le prochain groupe de trad-jazz qu'il va créer : les Bobcats ! Il écoute Jerry Lee Lewis et voit Duke Ellington sur scène... L'est écarté des Bobcats, l'est renvoyé de l'orchestre de Johnny Dankworth ( la faute à une fille, mon dieu comme ces mammifères femelles sont insupportables ! ), regarde Marty Wilde, Cliff Richard et admire Dizzie Gillepsie... Est assez sûr de lui pour monter son groupe : le Bobby Woodman Band. Un bide, dès le premier spectacle.
Evolue, doucement mais sûrement, jazz, skiffle, rock, c'est au Pad que le pianiste Johnny Jonhson l'initie au boogie, c'est au Pad, fin décembre 1958, qu'apparaît pour la première fois un certain Vince Taylor...
ROCK ANGLAIS
Les deux cents pages suivantes nous plongent au coeur du rock anglais. Terry Dene, Vince Eager, Marty Wilde, Billy Fury, Dickie Pride, Duffy Powzers, Johnny Gentle... Bobbie les a tous connus, côtoyés et est parti en tournée avec eux. Des hauts et des bas, des galas et des galères. Les soirées prodigieuses et les retours en camionnettes pourraves. Se rend vite compte que les musiciens sont dépendants des tourneurs, Larry Parnes sans être un philanthrope n'est pas le pire. Sont payés à la tâche et au lance-pierre. Ne s'en plaint pas outre-mesure. Sont parfois obligés de s'ennuyer derrière des chanteurs de variétoche qui ont décroché un hit sirupeux qui plaît aux filles... Mais que seraient les chanteurs sans les musicos derrière. Clarcke joue dans les Vagabonds de Vince Eager avec le bassiste Tex Makins, puis dans les Wildcats de Marty Wilde avec Alain Le Claire, Tex Makins et Big Jim Sullivan, enfin dans les Beat Boys de Billy Fury avec Colin Green. Vince Taylor a décroché un passage en vedette à Oh Boy ! Il est accompagné par les Playboys : Tony Sheridan, Tony Harvey, Brian Licorice Locking, Brian Bennett. La crème de la première génération des musiciens anglais ! Permutations à l'infini selon les dispositions, les contrats, les affinités... Tout le monde se retrouve au 2i's entre deux contrats... c'est là que Vince Taylor essaie d'adjoindre sans succès, à ses Playboys le guitariste de Neil Christian & The Crusaders un certain Jimmy Page qui accepetera quelques semaines plus tard, mais qui se retirera trouvant que Vince n'avait pas assez de concerts.
Le 28 février 1960, Bobbie Clarcke assiste à Cardiff au concert de Gene Vincent et d'Eddie Cochran...
AVEC ET SANS VINCE TAYLOR
En septembre 59, Bobbie avait rejoint les Playboys avec Tex Makins et le guitariste Kenny Fillingham. Le groupe durera jusqu'en février 1960 mais en mai Bobbie, Tony Harvey, Johnny Vance et Alain Le Claire ( au piano) sont de nouveau derrière Vince. Une tournée fracassante. Les prestations sauvages de Vince écrasent celles de Billy Fury et de tous les autres. C'est en ces semaines que Vince et Bobbie se jurent une amotié éternelle, jusque par-delà la mort. Le combo enregistre I'll be your hero et Jet Black Machine. Tout semble au beau fixe, le rock anglais explose avec Screamin' Lord Sutch, Johnny Kidd and the Pirates, Cliff Richard and the Shadows... Vince se marrie avec Perrine et Bobbie avec Rosemary... les concerts s'enchaînent, Vince n'envoie pas toujours la monnaie... Les Playboys se séparent de lui, Vince retourne en Californie...
Selon Tony Harvey les Playboys sans chanteur doivent devenir les nouveaux Shadows, mais ce pari de laisser la proie pour s'adjuger l'ombre ne se révèlera pas gagnant... Le premier avril, Vince revient, Tony Harvey s'en va chez Nero and The Gladiators avec un certain Tomy Brown à la batterie... sans guitariste Vince retourne en Californie.
Duffy Power prend la place de Vince, et les Playboys deviennent The Bobby Woodman Noise avec Bob Steele à la guitare. Un bon plan s'annonce, une croisière en bateau vers la France, Rock Across The Channel, s'agit de remplacer Gene Vincent au pied levé, réussite totale, un show British Rock Invasion à l'Olympia est prévu les 7 et 8 juillet prochains. Vince est revenu, un soir il remplace Duffy Powers en retard, et fait un tabac, Duffy revenu entre temps le prend très mal, frappe Bobbie et s'en va... Bobbie demande à Vince s'il peut assurer les shows à l'Olympia, la mécanique est enclenchée !
VINCE TAYLOR EN FRANCE !
La suite est connue. A l'Olympia, Vince Taylor casse la baraque. Barclay se précipite. Contrat avantageux, les Playboys – Vince a tenu à imposer le nom – gagnent 600 francs par semaine qu'ils jouent ou qu'ils ne jouent pas. Vince impose des shows dévastateurs, les français entendent pour la première fois du vrai Rock'n'roll ! Bobbie Clarke – Barclay a imposé le nouveau nom un mix entre Pétula Clarck et Kenny Clarcke le batteur ! – n'est pas tendre avec les Chausettes noires et leur simple caisse claire... Vince Taylor est à la mode ! L'on peut parler d'une Taylormania dans les élites françaises. Les filles, l'argent, et bientôt l'herbe coulent à flot. Les anglais connaissaient le speed mais l'époque est en train de changer doucement sans que personne ne s'en aperçoive... Vince et ses Playboys remportent la Coupe du Monde du Rock'n'roll à Juan-Les-Pins le 23 août 1961, devant les Chaussettes Noires, de l'écurie Barclay. Le 18 novembre c'est l'émeute du Palais des Sports, Vince n'y est pour rien mais la presse l'accuse... Barclay y regarde à deux fois. Les concerts de Vince cartonnent toujours autant, en Espagne, comme en Belgique. Malgré les interdictions, malgré les débordements. Mais Barclay est avant tout un marchand de disques et les ventes des enregistrements de Vince ne montent pas bien haut... surtout si on les compare à celles des Chaussettes Noires... Mais il y a autre chose, le comportement erratique de Vince qui parfois sèche sans préavis les concerts, Bobbie s'en ouvre à Vince, déjà les départs précipités de Vince en Californie lui avaient paru étranges, Vince n'élude pas, il n'est pas dupe des producteurs, même de Barclay qui lui a apporté la gloire, parfois l'impression de n'être qu'une marionnette aux mains de gens qui le considèrent uniquement pour le fric qu'il peut leur emmener l'étreint, alors il s'enfuit pour tout oublier dans les bras d'une jolie fille... fin 1962, Barclay siffle la fin de la récréation...
JOHNNY HALLYDAY
Bobbie rejoint Coventry, Vince l'y retrouve et les Playboys se reforment et début février 1963 c'est le grand départ pour Hambourg. Succès dès leur première apparition, mais Vince triomphe dès le premier set mais il s'absente pour une soirée, tous sont renvoyés illico presto dans leurs foyers. Bobbie ne l'apprendra que plus tard, ils ont laissé des traces, un de leurs scopitones, Twenty Flight Rock, qu'un certain John Lennon ne cesse de regarder tous les soirs... Retour à Paris pour Bobbie désemparé, le téléphone sonne, c'est Johnny Stark le manager de Johnny Hallyday qui le contacte à la demande de sa vedette... Bobbie en profite pour faire embaucher Tex Makins.
Ce seront les deux meilleures années de Bobbie. La grande vie. Johnny se montre très respectueux et très généreux. Si le tournage du film d'Où Viens-tu Johnny ? Est un doux moment de farniente pour les musiciens, la vie trépidante des tournées qui suivent est épuisante. Johnny et Bobbie assistent à l'Olympia de Gene Vincent le 15 mai 1963, ce même mois de mai Johnny enregistre Elle est Terrible à Londres avec Big Jim Sullivan et une pléiade de musiciens que Bobbie connaît... il emmène Johnny au 2i's... En juin, Tex Mankins et Bobbie enregistrent avec Johnny Da Dou Ron Ron et Douces Filles de Seize Ans... Sont aussi à la Nuit de la Nation du 22 juin 1963... Johnny emmène Bobbie à Nashville où il enregistre sous la houlette de Shelby Singleton avec Chet Atkins et Jerry Kenedy... Les voici à New York à la recherche d'un guitariste rock. Ce sera Joey Greco.
Bobbie et Joey Greco sont en studio chez Barclay pour enregistrer le disque de la dernière chance avec Memphis Tennessee et A Shot Of Rythm & Blues qui sortit en février 1964. Les Beatles sont à Paris pour leur Olympia, Paul et Ringo répondent à l'invitation d'Hallyday et Bobbie est heureux d'apprendre que Paul possède un autographe d'un certain Bobby Woodman qu'il avait obtenu à la fin d'un concert de Billy Fury. En avril Johnny enregistre avec Joey et les Showmen Les Rocks les Plus Terribles. La première période de la vie artistique de Johnny est terminée. Il rejoint l'armée le huit mai, Joey et les Showmen donneront le 1er juin leur dernier concert avec Johnny sur la base militaire de 43 ième RBIM en Allemagne...
AVEC ET SANS VINCE TAYLOR
Retour de Vince Taylor en septembre 1964. Direction le Swingin'London ! Rencontre avec les Pretty Things, P. J. Proby et Tom Jones. Bobbie joue avec Ronnie Bird et la Mutualité et au Golf Drouot avec Vince, ces shows où Vince est au meilleur de sa forme incite en février 1965 Barclay à enregistrer l'album Vince … ! qui sera suivi d'une tournée en Espagne et en avril de trois shows devant les Rolling Stones. Le 16 avril leur prestation sans véritable sound check n'est pas impérissable. Celle du 17 est meilleure, mais reléguée en lever de rideau... Celle du 18 se révèlera terrifique, deux rappels et le public qui redemande Vince durant le show des Stones ! Jagger très vexé.
Vince et le Bobby Clarke Noise tiennent le bon bout. Un bonheur ne vient jamais seul, voici que le mari de Sheila la soeur de Vince, millionnaire producteur de dessins animés veut créer une compagnie de disques. Il vient à Paris constater de visu la qualité des shows de Vince. Une formalité, mais un malheur ne vient jamais seul, Vince part à Londres récupérer de l'argent qu'on lui doit. Vince revient en piteux état, mal prévenu l'a gobé des pilules d'acide coup sur coup comme des oeufs de Pâques en chocolat. Il ne sera plus jamais comme avant. Se présente sur scène, sale, dépenaillé en pleine crise mystique...
LA CALIFORNIE
Conseillé par son ami Stash – fils du peintre Balthus à la jeunesse oisive et friquée – Bobbie s'envole pour Hollywood, persuadé d'obtenir une carte de travail en quelques semaines... Vacances paradisiaques, filles faciles, drogues diverses à souhait, superbes concerts de James Brown, de Dylan, des Yardbirds, mais pas d'autorisation de travail...Seul le bluesman Taj Mahal accepte de l'embaucher... Phil Spector lui propose un mariage en blanc avec sa copine ce qui lui permettrait d'obtenir la Green Cart ! Qui tarde à venir, et ce qui devait arriver... se fait arrêter pour la deuxième fois avec un peu d'herbe... L'est réexpédié en Angleterre après quelques mois de prison...
Retour à la case départ. Reforme le Bobbie Clarcke Noise En France... Quelques essais peu concluants avec Vince totalement à la dérive...
LA LOOSE
Deux énormes possibilités se présentent à Bobbie Clarcke, coup sur coup. La première est de rejoindre le nouveau groupe de Ritchie Blackmore, Roundabout. Une affaire en or, deux riches messieurs qui veulent investir dans la musique polpulaire. La fortune colossale amassée par les Beatles est tentante... La deuxième proposition provient d'un autre guitariste, un certain Jeff Beck - l'est déjà tout comme Ritchie Blackmore passé en première partie de Vince Taylor - qui re qui recherche un batteur pour son groupe. Fait un set sans répétition avec Ron Wood à la base et Rod Stewart au chant. Le show se passe à merveille. Enthousiaste Beck lui propose la place. Mauvaise pioche, le porte-feuille bien garni des promoteurs de Roundabout lui semble un sérieux trampoline de lancement. Il refuse de rejoindre le Jeff Beck'Group. Peut-être aussi parce que les résultats sportifs suivis longuement et religieusement à la radio par Rod l'ont insupporté... Toujours est-il qu'un mois plus tard Roudabout a changé de batteur et de nom : désormais il s'appelle Deep Purple. Waterloo et Trafalgar en même temps c'est trop pour un anglais ! Jamais deux sans trois ! Bobbie reforme un groupe, Bodast, avec le guitariste Steve Howe ex-Tomorrow et futur Yes, ils trouvent un label et enregistrent un disque en février 1969, mais la compagnie MGM Records fait faillite...
Cela commence à sentir le sapin ! En juillet 1969, Reg Guest leur permet d'accompagner Chuck Berry en concert. Le dernier coup d'éclat. Bodast servira encore de backin' group à l'Olympia pour Chuck Berry. Bobbie a vu le Jefferson Airplane, les Doors et Jimmy Hendrix, Arthur Love, Marty Wilde et Tony Sheridan profitent des débuts du Rockn'roll Revival... Nouveau coup de fil de Vince Taylor le 26 avril 1970, un retour qui avortera très vite, Vince saborde les répétitions et s'enfuit le soir du concert...Assiste aux concerts de Pink Floyd et de Dereck and the Dominoes, Bobbie n'est plus un acteur du rock'n'roll, l'est sur le banc de touche, en spectateur...
En 1972, nouveau départ avec Vince Taylor, sets triomphants au Grand Echiquier, au Bataclan, une résidence dans le Sud de la France, enregistrement de quelques titres, mais la guigne ne quitte pas Vince et Bobbie rentre en Angleterre... En 1974, Bobbie prend une place de chauffeur-livreur... ensuite ce sera les coups de la rétro-nostalgie, une réunion avec Joey Greco et Johnny Hallyday, des retrouvailles annuelles au Petit Journal... en 2012, un hommage à Vince avec Johnny Ghee, Alexis Mazzoleni et Romain Decoret... Bobbie Clarcke décède le 29 août 2014... Une page du rock'n'roll se tourne...
Un beau livre. Très triste aussi. Bobbie a bien vécu, sex, drugs and rock'n'roll, mais passé les trente cinq ans, lui qui fut un précurseur n'est plus dans le mouvement... en s'associant au Jeff Beck Group il aurait pu rejoindre la deuxième et prestigieuse grande vague du rock anglais, mais l'on ne refait pas l'Histoire. A moins que l'on n'aille jamais plus loin que soi-même...
Damie Chad.
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07/01/2018
KR'TNT ! 355 : SYD BARRETT / JOE ALBANY / SALUT LES COPAINS / BLOUSONS NOIRS
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 355
A ROCKLIT PRODUCTION
04 / 01 / 2018
SYD BARRETT / JOE ALBANY / SALUT LES COPAINS / BLOUSONS NOIRS |
TEXTE + PHOTOS SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
SYD BARRETT M'ETAIT CONTE
Qui mieux que Jenny Fabian peut évoquer la mémoire de Syd Barrett ? - We don’t really know what destroyed Syd’s creativity. Whether it was the drugs or the fact that something was stopping him creating because he didn’t want to join the circus (Alors, les drogues ou le rejet du cirque ?) - C’est bien de laisser planer le doute. On met toujours trop de choses sur le compte des drogues.
Une autre girlfriend, Jenny Spire, vient corroborer le doute. Selon elle, Syd préféra revenir à ce qui l’intéressait vraiment, la peinture. On sort donc du cliché acid-demolisdhed poster boy dont on nous rabâche les oreilles depuis cinquante ans.
C’est dans Shiding que Kris Needs retrace le trajet météorique de l’un des acteurs les plus brillants de l’ère psychédélique britannique. S’il commence par rappeler que Jenny Fabian passa du temps avec Barrett, c’est pour remettre les choses en perspective d’une manière élégante.
Ado, Syd apprend à jouer Bo Diddley sur une cheap Hofner. Il utilise son Zippo pour jouer en slide. Avec son pote Roger Waters, ils se tapent des virées en motorbike dans la countryside. Puis ce sont les première virées au LSD, en 1966, et là commence un fantastique voyage vers l’inconnu.
C’est le début de l’histoire du Pink Floyd que tout le monde connaît par cœur. Selon Michael Horovitz, the early Pink Floyd were highly original. Il trouvait que leur son était une interesting variation on old blues. Eh oui, le Floyd n’écoutait pas de psyché pour la bonne raison que le psyché n’existait pas encore. Ils écoutaient du blues. C’est le vénérable Pete Brown qui se souvient des choses les plus intéressantes. Selon lui, Syd n’était pas un grand guitariste, mais il pouvait improviser, il disposait de cette inventivité capable de tenir un public en haleine - He had a real imagination and could instinctively come up with lots of ideas. Some of his improvisations within his limitations were extraordinary - Syd faisait le show. Les autres pouvaient groover, mais ça s’arrêtait là. Pete Brown indique aussi que «See Emily Play» et «Arnold Lane» influencèrent sa propre façon d’écrire, notamment ce qu’il écrivait pour Jack Bruce et Cream : «Arnold Lane is beautifully written. Certainly lyrically, he was genius.» Il ajoute que les rimes sont intelligentes et la technique really fucking good.
Oui, «See Emily Play» et «Arnold Lane» furent des singles magiques, au même titre que «Strawberry Fields» et «Penny Lane». Syd Barrett incarnait l’Angleterre qui nous faisait rêver. Et c’est là que Kris Needs achève le premier volet de son mémorial : Avec «See Emily Play», the fun part of the trip was already coming to a close. Fin de la rigolade.
L’ère du désenchantement s’ouvre avec le premier album du Floyd, The Piper At The Gates Of Dawn. Syd le sauve avec «Lucifer Sam», sans doute le hit le plus tendu du Floyd, chargé de suspense et élastique en diable. Syd y joue une partie de guitare historique, une rouerie progressive sublime digne d’un Romanichel des Balkans. C’est aussi sur cet album qu’on trouve le fameux «Insterstellar Overdrive», le hit le plus connu du early Floyd, monté sur ce vieux gimmick descendant qui crée les conditions du psych-out so far out of mind. Syd gratte sa Télé comme un dingue. Il joue le jeu à fond. Le seul intérêt de ce délire est de l’entendre gratter sa Télé. Mais il est évident qu’à l’époque, ça ne pouvait pas marcher, car ce délire psychédélique frisait le foutage de gueule. Ils semblaient jouer la montre molle. On pourrait dire la même chose d’«Astronomy Dominé» qui ouvre le bal de l’A et qui maintenant sonne comme un classique entre les classiques. C’est l’archétype de ce space-rock d’obédience psychédélique qui va faire tant de ravages dans le monde moderne. Syd fait des miracles sur «Take Thy Stethoscope And Walk». Il montre d’excellentes dispositions à jiver le psychout. Il signe la plupart des morceaux et notamment le fameux «Chapter 24», une rengaine psychédélique digne du grand Barrett à venir et qui tient de l’enchantement.
Il vit à cette époque au 101 Cromwell Road, a place were acid flowed like water, précise Needs. Quand Jenny Spires revoit Syd au 14 Hour Technicolor Dream, elle le trouve changé, très fatigué et hagard. Daevid Allen le trouve même particulièrement absent sur scène - The glissando guitar stroker looked like he wasn’t there. It wouldn’t be long before he wasn’t - En fait, Syd rejette tout le cirque environnant. Jenny Fabian explique que les groupes underground devenaient commerciaux et que les magouilleurs s’infiltraient dans le milieu pour l’exploiter. Des groupes achetaient des fringues et des light shows pour imiter le Floyd. Toujours la même histoire : des pionniers créent un monde et les pilleurs affluent. Syd ne pouvait pas supporter ça. Il n’en finissait plus de répéter : «I don’t want to be a pop star.»
L’album suivant déçoit horriblement. Il semble que Roger Waters ait pris les commandes puisqu’il signe une grande majorité des cuts d’A Saucerful A Secrets. Il compose deux des cuts les plus connus du Floyd, «Let There Be More Light» et surtout le fameux «Set The Controls For The Heart Of The Sun», mais il manque l’essentiel, c’est-à-dire le décadentisme de Syd Barrett. Le pauvre Syd ne signe que ce «Jugband Blues» de fin de parcours qui ne fonctionne même pas.
Kris Needs a parfaitement raison de tracer un parallèle entre les destins de Syd et de Brian Jones, tous les deux virés pour «incapacité». En janvier, le Floyd décide de partir en tournée avec David Gilmour - in a somewhat uncanny re-enactment of the Stones dumping the incapacited Brian Jones, (the Floyd) embarked on their rise to world domination with a different guitarist - Comme les Stones avec Mick Taylor, le Floyd partit à la conquête du monde (et des tiroirs caisses) avec un remplaçant.
Barrett passe à autre chose avec Barrett, son premier album solo. Dès «Baby Lemonade», on entre dans un monde magique, celui d’un acid-head fabuleusement doué. Il semble qu’une fumée de magie sorte de sa bouche. C’est là qu’il invente le décadentisme, mais pas n’importe lequel : un décadentisme psychédélique chargé de basse et de vibes fanées. Les deux coups de génie de Barrett sont «Dominoes» et «Rats». Avec «Dominoes», on peut parler d’aristocratie du rock anglais, de London swing, de noyau du nucléus, de cœur de mythe, oui, car Syd délie l’idée d’un son de you and I and dominoes, il étend l’empire du groove sur le purple world et par son génie mélodique, il émancipe l’excellence de la latence, ça va loin car ça jazze la java, il atteint des cimes de wasted elegance et ça jive jusqu’au vertige. Avec «Rats», il jamme le Diddley beat des catacombes. C’est tout simplement admirable de prescience psychédélique, that’s love yeah yeah. Voilà le Diddley beat de Ladbroke Grove. Tout est bon sur cet album, «Love Song» sonne comme une pop-song parfaite, son fil mélodique envoûte les clés de voûte. Voilà une pop-song aussi charmante que la campagne anglaise au printemps. Avec «Maisie», Syd joue le heavy blues de Londres, mais à la mode Barrett. Et pouf, lorsqu’on entre dans le versant obscur de l’Harvest, on tombe sur «Gigolo Aunt», l’archétype de la pop anglaise, le swing du swinging London monté lui aussi sur un incroyable beat de basse rebondi - I know what you are/ You are a gigolo aunt - et ça vire au jive de jazz, Syd passe d’étranges passades et Gilmour trousse une bassline dynamique en diable. Mine de rien, c’est un super-groupe qu’on écoute : Jerry Shirley au beurre, Gilmour au bassmatic et Syd Barrett au swing. «Wined And Dined» sonne aussi comme une dérive, en tous les cas, ça reste en cohérence avec l’univers brillant de Syd Barrett.
The Madcap Laughs vaut aussi le détour, ne serait-ce que pour entendre ce terrible coup de génie bluesy qu’est «Long Gone», pur Barrett Sound bien barré, et l’encore plus génial «No Good Trying», cut de groove à rebrousse-poil qui se situe dans la veine de «Dominoes». Syd y vrille la moelle de l’épinière et renoue avec l’authentique beat de la désaille. À ce petit jeu, il reste invaincu. Il retrouve la veine infernale du calcul intégral, c’est hautement toxique, bardé de psychédélisme intempestif et joué aux guitares dénouées, sur du débouché de basse. Fascinant ! Il traîne dans le fond du cut un vieux reste de mad psychedelia et Syd semble se laisser bercer par toute cette folie. «Octopus» sonne comme un balladif indifférent au temps et aux modes. Syd y claque un solo de congestion parabolique. Il ne fait que des choses radicalement hors normes, puisqu’il chante les bras en l’air alors que le courant l’emporte. On le soupçonnerait même de faire du psyché sans même s’en rendre compte. Il joue «Late Night» au petit riff inoffensif et même, pourrait-on dire, à l’indicibilité de l’inside me I feel. On entend un boom, on croit qu’il vient du mur, mais non, il est dans le son. Encore une extraordinaire dérive de Sargasse avec «Terrapin». C’est le balladif barrettien de crystal blue. Cette nonchalance sonique finirait bien par poivrer une statue de sel. Le gratté intrigue. Et voilà «No Man’s Land» joué au heavy psyché bien intentionné. Quand on écoute ça, on se sent dans la vraie vie. Mick Rock signe la photo de pochette prise à Earls Court, dans l’appartement où Syd s’est installé après avoir été viré du Floyd. La première chose que Syd y fit fut de repeindre le parquet en deux tons alternés et d’héberger Iggy the Eskimo qu’on voit nue sur certaines images de Mick Rock.
Pas besoin d’emmener The Best Of Syd Barrett. Wouldn’t You Miss Me? sur l’île déserte. Il y va tout seul. On y retrouve un choix de merveilles tirées de ses deux albums solo et d’incroyables coups de génie, tiens par exemple «Wolf Pack» qu’on dirait chanté dans un village de la Sarre par Gaspard Hauser. Syd chante à l’écho des vallées de nowhere land. C’est stupéfiant de perdition, sans espoir et ce démon gratte tout ce qu’il peut sur sa guitare. Et il revient avec des remugles d’énergie jugulaire. C’est hanté par toutes sortes de démons et claqué au vent mauvais. On irait même jusqu’à dire que c’est trié sur le volet du néant. Pas de rock possible après ça. On a aussi du weird as fuck avec «Shawn Lee (Silas lang)». Pur jus dada, mais du dada synthétique, celui dont rêvait sans doute Tzara. La chose se veut expiatoire, bardée de son weirdy et de basse déconvenue. On entre ici dans un monde très spécial. Cette compile propose aussi le mystérieux «Opel», psyché, délirant et gratté à coups d’acou. Syd se joue des règles de l’harmonie. En pur dandy, il crée les siennes. Et il gratte à outrance, en pure désespérance. Avec «I Never Lied To You», Syd crée les conditions du désastre. Comme il ne veut pas avoir à se justifier, il abîme sa voix. Il chante à la renverse. Et on note l’extraordinaire okay baby de «Love Song». Pur Syd des bas fonds. Il va même jusqu’à exploser les bas fonds du groove psyché. Remarquable ! On a là une rengaine sublime grattée au banjo et noyée d’orgue. Encore un magnifique exercice de style byzantin.
Il faut savoir que les deux gros hits de Syd, «See Emily Play» et «Arnold Lane» ne figurent pas sur les albums du Floyd. Si on ne dispose pas des deux singles, la compile Relics peut se révéler très pratique. Car enfin, «Arnold Lane» reste bel et bien l’archétype le plus fulgurant du psyché britannique. C’est là très précisément que Syd Barrett étend son empire. Il arrondit les angles de la terre des Angles. «See Emily Play» sonne comme la huitième merveille du monde, c’est embarqué au heavy punch d’Emily tries to understand. On voit la pop se tendre à l’extrême et Syd jouer à la surface. En réalité, il chevauche sa licorne. On tombe plus loin sur «Be Carefull With That Axe Eugene». Dommage que Syd ne soit plus là, car c’est véritablement un beau cut. On le trouve sur Ummagumma. On y sent des vieux remugles de «Dominoes». En ce temps-là, David Gilmour avait les cheveux gras.
Signé : Cazengler, Barrett de shit
Pink Floyd. The Piper At The Gates Of Dawn. Columbia 1967
Pink Floyd. A Saucerful Of Secrets. Columbia
Syd Barrett. Barrett. Harvest 1970
Syd Barrett. The Madcap Laughs. Harvest 1970
Syd Barrett. The Best Of Syd Barrett. Wouldn’t You Miss Me? Harvest 2001
Pink Floyd. Relics. Capitol Records 1996
LOW DOWN
JAZZ, CAME, ET AUTRES CONTES
DE LA PRINCESSE BE-BOP
A.J. ALBANY
( 10 / 18 - Janvier 2017 )
Le sous-titre original est davantage explicite : Junk, Jazz, and Other Fairy Tales from Childhood. Ne vous éloignez pas sous prétexte du gros mot jazz, vous trouverez plus difficilement rock and roll dans votre bibliothèque. Certes Joe Albany fut un pianiste de jazz. Blanc. Qui participa à l’aventure Be Bop aux côtés de Charlie Parker et de Lester Young. Joua avec Charlie Mingus et Chet Baker. Un pédigrée à vous faire mourir de jalousie. A vous rengorger pour le restant de vos jours. Mais Joe Albany n’était de ce genre-là, l’avait mieux à faire. De la musique avant toute chose. Pas un gramme de mentalité d’arriviste. Un artiste désintéressé. L’explosion Be-Bop passée, la vague retombée, il se retrouve au début des années soixante à courir le cachet et à jouer des ballades sirupeuses dans les halls d’accueil des hôtels de troisième classe…
Joe Albany avait du charme, les femmes le remarquaient, les plus belles. Ne manqua pas de séduire Sheila, pas n’importe qui, un être d’exception, cultivée, intelligente, fut la maîtresse d’Allen Ginsberg qu’elle aida dans la rédaction de Howl ! Le texte qui devait lui apporter la célébrité. Ginsberg, Sheila et Neal Cassidy couchaient souvent ensemble, à tel point que Ginsberg en vint à se définir comme homosexuel… Sheila et Joe Albany se rencontrèrent en 1959 dans une fête organisée par le pianiste Erroll Garner à Los Angeles. En 1962 naquit Amy Jo Albany…
Un véritable conte de fées. Mais je m’aperçois que j’ai oublié une donnée essentielle qui structurera toute la suite du récit d’Amy. Un couple de junkies. Des accros de la mort. A cinq ans Sheila a déjà beaucoup vu et appris. L’enfant a compris qu’elle ne survivra que si elle possède ses propres défenses intérieures… Sheila n’est pas étouffée par la fibre maternelle. Sa fille lui pèse. Elle finira par déserter définitivement le foyer conjugal… C’est alors que commencent les années de bonheur.
Joe Albany aime sa fille. Sa fille et l’héroïne. A part égale. Se protègent tous les deux. N’allez pas glisser votre main dans la culotte d’Amy, son père est un colosse qui ne fait pas de quartier. Auprès de Joe, Amy se sent en sécurité. Elle veille sur son père à sa manière, ne lui faisant jamais reproche de ses stations dans la salle de bain. Supporte même ses maîtresses… Peu d’argent, quelques cachets par ci par là, mais une complicité sans faille, le cinéma, les promenades dans Hollywood, les soirées télé, les grignotages gourmands sur le sofa… Peu de choses, un véritable paradis comparé à ce qui les attend au-dehors. Amy a du mal à établir des contacts avec les autres enfants et les adultes, se méfie de tout et de tout monde, développe un fort esprit d’indépendance. Pour Joe c’est encore plus difficile, pour la police la donne est facile : ou tu donnes le nom de ton dealer, ou tu vas en taule… Joe jongle avec les flics, les juges, la mafia et les rendez-vous avec les tuteurs moraux à qui il doit prouver qu’il ne se pique plus…
Amy rencontre Louis Armstrong, écoute de la bonne musique. Son père l’initie, lui montre comment on développe un thème. Elle se passe et se repasse les grands du jazz mais pas que. Les Stones, les Yardbirds, Led Zeppelin, Black Sabbath… Une vie de rêve en quelque sorte. Qui se brise le jour où son père décide de partir en Europe. Y trouvera un public, y enregistrera des disques. Mais pour la gamine, c’est une espèce de trahison, se rend compte que son père adoré peut vivre sans elle…
Passera son adolescence chez sa grand-mère. Pas méchante, mais l’enfant qui entre dans sa dixième année se sent seule. Son cousin de dix ans son aîné lui impose une tutelle sexuelle qui lui déplaît. Le jour où elle a assez de cran pour lui signifier l’arrêt de ces relations incestueuses, le jeune homme en colère saute sur sa moto et démarre à toute vitesse… pour se scratcher contre un mur quelques kilomètres plus loin… Cette mort ne l’affecte guère, elle a douze ans et les tourments de l’adolescence la taraudent… Son père l’invite en Europe, mais la magie qui les unissait n’existe plus, elle sera soulagée de repartir à L. A… Plus tard quand taraudé par la nostalgie d’Hollywood il reviendra, ils se verront de temps en temps, de moins en moins…
L’est enfermée dans une tour d’ivoire et de solitude. Les adultes l’attirent mais leur amitié est intéressée, malgré leurs discours moralisateurs et puritains sont obnubilés par la possession de son sexe, qu’elle offre à des petits copains qui ne l’émeuvent point. Terrible déréliction… En dernier recours elle part à la recherche de sa mère qu’elle retrouve écroulée sur un trottoir. La maman tirée de sa léthargie, la regarde, la traite de pute et replonge dans son coma… C’est-ce soir-là qu’Amy prend sa première dose d’héroïne.
Le livre se termine là. Une note liminaire nous apprend que sur l’instigation d’un cinéaste qui a connu son père elle écrit en 2002 ses notes qui deviendront un livre puis un film produit par les Red Hot Chili Peppers…
Un livre d’amour filial. Glacial. Une plongée dans un univers impitoyable. Une société sans empathie. Marche et crève. Les misérables et les cœurs-tendres, les idéalistes et les crapules, une série de portraits sans concession. Jamais un milligramme d’auto-apitoiement. La vie ne fait pas de cadeau, la leçon est claire : aucune raison pour en offrir à quiconque, même pas à toi-même.
Ne surnage dans toute cette horreur que l’amour d’une petite fille pour son père. Amy n’en est pas dupe pour autant. Son père n’est pas un héros. Un paumé, un has-been, a tout perdu pour la simple raison qu’il n’a rien su garder. Une fêlure quelque part, sans doute en lui, aujourd’hui les psychologues diraient qu’il a été mal narcicisé, de son temps le couperet des psychiatres parlait net, fut diagnostiqué d’hébéphrénie, un espèce de crétinerie congénitale que l’on soignait en prescrivant des tasses de chocolat chaud ou des électrochocs. Eut de la chance, eut droit aux deux médicamentations…
Dans ce monde de folie Amy et son père surent se bâtir une île au trésor, un refuge indestructible. Mais Joe Albany en avait une autre, un ilot enchanté pour lui tout seul. S’y rendait tous les jours. Héroïne, speed, LSD, qu’importe le flacon pourvu que l’on ait sa dose. Amy ne juge pas. Ne condamne pas. Ne critique pas. Elle raconte. Elle ne constate pas à la manière des huissiers. Nous restitue son père tel qu’en lui-même. Sans jérémiade. Sans reproche. Sans plainte. Le bonheur est une plante parasite, un lierre qui s’accroche aux troncs les plus rugueux. N’oublie surtout pas le plus important, le jazz qui fut la passion de cet homme, en assuma toutes les vicissitudes, à la recherche d’une solitude absolue qui le laissait en tête-à-tête avec cette musique qui l’habitait et le hantait. Au point de déserter le monde des hommes, et sa petite fille chérie qu’il adorait et qui persiste alors qu’il n’est plus à lui porter hommage pour tout ce qu’il lui a transmis. Le goût âpre d’une vie immodérée.
Damie Chad.
NOS ANNEES
SALUT LES COPAINS
1959 - 1976
CHRISTOPHE QUILLIEN
( Flammarion / 2009 )
Camping d’Argeles. 1966. Excédée ma mère me prie d’un ton comminatoire pour la dix-huitième fois d’éteindre mon transistor. Elle aimerait pour une fois au moins dans l’année manger dans le calme. Bon fils je m’exécute déplorant en mon fort intérieur une telle extravagante exigence de la part d’un adulte responsable. Autant débrancher l’oxygène à un malade sur son lit d’hôpital. Je me prépare à une longue agonie. Mais non je survivrai. Certes j’ai arrêté le poste, mais le jingle de Salut Les Copains retentit aussi fort que si je ne l’avais point interrompu. Partout dans le camping, tous les transistors sont branchés à tue-tête sur SLC. Ma mère excédée soupire douloureusement et s’avoue vaincue : « Tu peux le rallumer, cela ne changera rien ! »
ROCK ‘N’ CAT
Salut Les Copains débuta en 1959 sur Europe 1, la radio périphérique qui tentait de se démarquer de toutes les autres. Qui n’étaient pas très nombreuses et qui usaient pour s’adresser à leurs auditeurs d’un ton compassé à endormir les trépassés. Sur Europe l’on cherche les idées nouvelles. Ce sera Suzie, le jeudi après-midi, elle présente des disques de rock’roll. Les cats ne sont pas au-rendez-vous. Pas grave ( un peu quand même ), Suzy a emmené son chat dans le studio. L’est censé lui répondre et manifester approbation ( ou réprobation ) lorsqu’elle s’adresse à lui. Mais le matou ne s’avère pas très communicatif. Faut repenser le schéma narratif de l’émission.
JAZZ ‘N’ BIRD
L’oiseau est mort. N’incriminez pas le chat de Suzie. N’empêche que la station est dans la mouise. Charlie Parker a eu la mauvaise idée de clamser ce 12 mars 1955. Moment idéal pour une émission hommagiale. Gros problème dans la cambuse. La station n’a même pas un disque du Bird dans sa discothèque ! Maurice Siegel responsable de l’information se creuse la tête pour dénicher la galette salvatrice. Trouve la solution : un certain photographe de presse Daniel Filipacchi, qu’il a rencontré en 1951 et qui lui avait beaucoup parlé de jazz. Un mec cool ce Filipacchi, non seulement il accepte de prêter ses disques mais aussi de parler de Parker à l’antenne. Se tire de l’épreuve comme un chef, il connaît son sujet et ne bafouille pas une demi-seconde micro ouvert. Louis Merlin, le directeur -général, lui propose de présenter une nouvelle émission : Pour ceux qui aiment le jazz.
DESTINS CROISES
A chacun son métier et les auditeurs seront bien gardés. Lucien Morisse, le directeur de la programmation de la station, n’aime guère que le grand chef empiète sur ses prérogatives. En plus pour l’émission jazz l’a un de ses amis à placer, un certain Frank Ténot, ingénieur et amateur distingué de jazz. Les deux pontes s’abstiennent d’une guerre de tranchée, leurs protégés présenteront l’émission à tour de rôle. Le deal est mis entre les mains de Ténot et de Filipacchi. C’est là que Filipacchi se révèle fin stratège. Feront l’émission ensemble. Les deux hommes scellent une amitié indéfectible. Désormais ce sera eux deux contre le monde entier. Ténot en lieutenant fidèle, Filipacchi en fin stratège.
LE LOUP DANS LA BERGERIE
Pour ceux qui aiment le Jazz est devenu le rendez-vous des amateurs de jazz… Après l’échec désastreux de Suzie et de son chat, Filipacchi se voit proposer de reprendre Salut Les Copains. Ténot n’est pas chaud, Daniel ménage ses arrières et ses portes de sortie, lorsqu’il prend le micro pour la première fois le 19 octobre 1959, il a arraché à Lucien Morisse le titre de producteur exclusif de l’émission. En d’autres termes il est entièrement libre de faire ce qu‘il veut. Morisse s’en mordra les doigts, l’a fait preuve d’un manque de flair évident sur ce coup-là.
SLC RADIO
Le projet initial est de capter un auditoire jeune avec une musique plus facile à écouter que les abstractions quintessenciées du jazz. Beaucoup de rhythm’n’blues, Ray Charles est le chanteur phare de l’émission et quelques français comme Gilbert Bécaud - le titre de l’émission est celui d’une de ses chansons - et Brassens. Mais ce n’est pas le plus important. SLC séduit d’abord par son style. Rien d’original, Daniel se contente de parler comme tout le monde, n’use jamais d’une voix mélodramatique, pas de bavardage intempestif, et surtout il abandonne ce phrasé culturel coincé du cul et de la glotte qui sévissait jusqu’ à lors. Une présentation qui n’est pas exempte de monotonie, pour pallier ce défaut des jingles musicaux relancent de temps en tems la donne, et l’émission alterne pages de pub énoncées sur fond musical soutenu et séquences spécialisées, généralement de trois disques, qui structurent et dynamisent le flux.
Sympa. Mais sans plus. L’émission bénéficie très vite de l’éclosion d’une nouvelle vague musicale, insufflée par la légendaire percée de Johnny Hallyday. Le rock ‘n’ roll français apparaît tel un cyclone qui dévaste tout sur son passage. Filipacchi a l’intelligence de surfer sur cette vague. SLC en deviendra même un canal de dérivation. Les premiers arrivés seront les premiers servis.
Filipacchi sait manier les hommes. L’est de ces patrons qui délèguent un max. Décide de tout en final mais accorde facilement sa confiance à ceux qui se proposent. Faut avoir son aval, mais en amont chacun peut montrer de quoi il est capable. Une fine équipe se constitue, venue d’horizons divers mais pas mal de fils de bonne famille qui s’en viennent jeter leur gourme. Josette Bortot-Sainte-Marie, Michel Poulain, Michel Brillé et Claude Cheisson en constitueront le noyau initial.
SLC MAGAZINE
Les auditeurs ne cessent d’écrire. Ceux qui envoient des lettres de félicitation. Ceux qui aimeraient en savoir plus sur tous ces chanteurs dont presque personne ne parlent par ailleurs. Filipacchi passe à l’offensive. Au mois de juillet 1962, paraît le premier numéro de Salut Les Copains. S’en vendront 185 000 exemplaires, un an plus tard le magazine atteint le million… Ce triomphe inespéré change la donne. Commençons par le petit bout de la lorgnette : l’équipe rédactionnelle exulte, Raymond Mouly, Rolland Gaillac, Jean-Marie Perier, Guy Abitan, Eric Vincent, Jean-Pierre Frimbois, Michel Tattinger, Liliane Donval, Danièle Delmas, Jean-Marc Pascal, Jean-Marie Moreau, Andréa Bureau, vivent leur âge d’or… la rédaction est avant tout un lieu de rencontres. Sans intermédiaires. Les lecteurs, les fans, et les idoles qui n’arrêtent pas de passer dire bonjour. Des copains. Jamais magazine n’a jamais mieux porter son nom. L’on se tutoie, l’on sort ensemble, l’on part en vacances en même temps. Une réelle complicité lie les vedettes et les journalistes. L’on n’est pas trop regardant sur les notes de frais. L’on accueille toutes les fantaisies avec joie. L’on rit, l’on s’amuse beaucoup. Personne ne se prend au sérieux…
Bon bout de la lorgnette. L’oeil de Daniel Filipacchi qui regarde ce joyeux tapage et qui réfléchit. Un journal qui marche, c’est bien. Deux, c’est mieux. L’on crée une petite sœur Mlle Âge Tendre. Notre disc-jockey se convertit en capitaine d’industrie. Une entreprise doit savoir se diversifier. Rachette des titres et des licences. Fonde un empire de presse, l'on n'est pas pour rien le fils du secrétaire général des Messageries Hachette...
ESTHETIQUE ET IDEOLOGIE
Avant tout une belle revue. Des photos qui vous donnent envie de voir les suivantes. Plaisir de l’œil, couleurs vives, découpages novateurs, maquettes à l’arache mais soignées. Les textes ne sont pas très longs. Donnent l’impression de s’arrêter juste à la fin de l’introduction. Vous laissent sur votre faim. Je lisais la revue chez les copines de ma sœur mais n’en ai jamais acheté un seul exemplaire. N’était pas assez rock à mon goût. L’est une ligne de démarcation à laquelle Filipacchi n’a jamais dérogé : Johnny Hallyday, oui / Vince Taylor, non. Le magazine porte bien son nom : ce n’est pas Bonjour les Rebelles. Pour cela, vaut mieux acheter Disco-Revue de Jean-Claude Berthon. Qui a refusé de vendre le titre à Filipacchi qui lorgnait dessus avant d’entreprendre Salut. Toute la différence entre le fanzine et le vecteur grand-public. Certes Disco-Revue n’était pas sans défauts, mais l’esprit était-là.
Salut Les Copains s’était donné les moyens. Et l’on ne prête qu’aux riches. Les plus belles photos d’époque des Stones, des Animals, des Yardbirds, des Kinks, c’était SLC qui les publiait. Z’avaient les moyens d’envoyer leurs reporters de l’autre côté de la Manche. En 1964, pour leurs passages à l’Olympia, les Beatles sont cornaqués par SLC, font main-basse sur leurs albums directement importés d’Amérique, et c’est ainsi que John Lennon entendra parler pour la première fois d’un certain Bob Dylan…
JOHNNY ET LES AUTRES
L’émission radiophonique n’en continue pas moins. Un tiers de disques anglo-saxons pour deux tiers de francophones. Les goûts du public influent sur la programmation. Pas en bien. Sheila, Claude François et bientôt des Hervé Villard et des Adamo comme s’il en neigait. Oui mais entre ces inepties l’on entendait des pépites comme Heart Full of Time ou Bird Doggin qui vous réconciliaient avec l’humanité… Noël Deschamps, Ronnie Bird, Baschung, Thierry Vincent, côté français parvenaient tant bien que mal à surnager. Mitchell et Dick Rivers étaient écrasés par Johnny. Sur celui-ci deux courtes anecdotes dont je n’ai depuis trouvé trace nulle part alors que quelques centaines milliers de personne ont dû les entendre comme moi.
La première, un titre enregistré à la Locomotive en direct par Hallyday pour fêter ce qui devait être ses cinq ans de carrière et passé quelques rares fois dans l’émission, une ambiance survoltée et Johnny chantant : « J’ai balayé, avec son bras sous mon bras, j’ai balayé ! ». N’en ai plus entendu parler depuis.
La deuxième qui montre à l’excès le poids de l’émission. Johnny passe en coup de vent, le micro lui est toujours ouvert, présente trois disques qu’il aime bien, dont Les Elucubrations dans lesquelles Antoine se proposait de voir Johnny Hallyday en cage à Médrano dans les couloirs du métro. Johnny déclare la chanson sympathique et repart aussi vite qu’il était venu. Trois jours plus tard, Daniel Filipacchi prend la parole, à son habitude, en toute innocence, interroge l’air de rien les auditeurs s’ils ne jugent pas les paroles d’Antoine un peu trop irrespectueuses. Demande que l’on donne son avis. Les réponses ne souffrent d’aucune ambiguïté, les fans de Johnny sont ulcérés, la tension monte, jusqu’à ce que, SLC ! une nouveauté SLC ! déboule dans les oreilles de l’audimat le vengeur Cheveux Longs, Idées Courtes qui relancera la carrière du rocker national… Une manipulation digne des services secrets… C’est en cette même année 1966 que paraît le premier fascicule de Rock & Folk…
LE RETOUR DU BÂTON
The Times they are A-Changing prophétisait Dylan en 1964. Ne se trompait pas le bougre. Les mentalités évoluent. Guerre au Vietnam, nouvelle conscience, et dans le cas qui nous occupe, nouvelle manière de faire de la radio. En France, ça se passe sur RTL, le Président Rosko hurle au micro, il présente des disques beaucoup plus électriques que SLC… mais l’on est toujours trahi par les siens. Sur Europe 1, cela fait plusieurs années que Lucien Morisse garde un chien de sa chienne à Daniel Philipacchi. Même qu’entre temps elle a fait des petits. Dans la station les jaloux ne manquent pas. Le succès génère aussi de la haine. Morisse manœuvre finement, d’après lui SLC repose avant tout sur la voix de Daniel, qu’il soit quotidiennement présent au micro ! Plus prosaïquement parlant il aimerait récupérer la tranche horaire pour passer les vedettes de la maison de disques A/Z qu’il vient de monter… Filipacchi qui s’occupe avant tout de la constitution de son groupe de presse et qui pour cela se fait très souvent remplacer par Monty, Calos, Patrick Topaloff ou Jean-Bernard Hebey se fâche tout rouge. N’a plus besoin de l’émission. L’a mieux à faire ailleurs. Il donne sa démission.
Salut Les Copains s’arrête du jour au lendemain. Personne ne le sait encore que dans quelques semaines surviendra Mai 68... Une nouvelle génération, beaucoup plus politisée que celle des rockers et des ye-yés - SLC s’est toujours battue contre cette appellation jugée infamante - prend la relève…
LES QUEUES DE LA COMETE
Sur les ondes Super SLC prendra la suite de SLC, la même chose mais la magie est rompue, la jeunesse se branche plutôt sur Campus de Michel Lancelot… Au bout d’un an et demi, Europe lancera Periphéric qui est censée correspondre à l’air du temps tumultueux, au bout d’un mois devant la désaffection des annonceurs l’émission est retirée…
La revue survivra un peu plus longtemps mais dès 1972, elle est dépassée dans le cœur des lecteurs par de nouvelles venues, Hit Magazine, Podium et Stéphanie, couleurs criardes, mini-articles, photos moches. Des sucreries pour les donzelles de quatorze ans qui en raffolent… Salut Les Copains change de maquette pour ne pas rester à la traîne, puis se transforme en Salut… en 1976, Daniel Filipacchi arrête les frais. Une époque se termine… Une autre prend la place… Aujourd’hui tout cela est de l’histoire ancienne. Ne cédez pas à la nostalgie. Demandez-vous plutôt si c’est le ver qui est dans le fruit, ou le fruit qui est autour du ver.
Damie Chad
Le livre vaut le détour et est bourré de renseignements. Christophe Quillien a interrogé les principaux protagonistes de l’époque qui jouent le jeu de l‘analyse et n‘essaient point de tirer la couverture à eux.
*
Deux têtes de gondoles remplies de livres sur Johnny. Je me demande si une fois qu’on m’aura descendu sous terre si l’on en fera autant pour moi. M’apprête à me répondre lorsque mon œil ( le gauche ) est attiré par un tout petit bouquin, un peu à part, séparé des autres toutefois, mais pas tout à fait. Cette étrangeté dispositionnelle mérite enquête. Pourquoi un tel ostracisme vis-à-vis d’un book d’apparence si chétive ! Je m’approche et me penche, apparemment la couverture s’orne d’une caricature de Johnny, les causes de cette relégation n’en paraissent que plus obscures. M’en empare et une partie du mystère se résorbe lorsque le livre s’ouvre de lui-même à la dernière page, novembre 2016, diantre l’auteur s’y était pris à l’avance, je me hâte de chercher le nom de ce prophète sur la première se couverture. N’y est pas. N’est pas loin, imprimé sur une bande de plastique transparente. Maquette chiadée. Patrick Eudeline ! Pas un inconnu ! Mais la mention latérale me fait tilter. Roman ! Vu l’épaisseur c’est un tantinet exagéré. Pourquoi pas encyclopédie universelle tant qu’ils y étaient ! Opterais pour le terme de nouvelle. Mais pas question de faire le difficile, j’avais adoré Ce Siècle Aura ta Peau paru chez Florent Massot en 1997 ( voir KR’TNT ! 192 du 06 / 06 / 2014 ) et dès la deuxième ligne de la présentation se détachent les mots blousons noirs.
LE PETIT GARS
QUI SE ROULAIT PAR TERRE
PATRICK EUDELINE
Illustration : François Boucq
( Editions Incipit / Novembre 2016 )
Vite lu. Mais bien fait. Eudeline a travaillé les décors. Une véritable reconstitution historique. Ne vous parle même pas des bâtiments parisiens du quinzième, crasseux à souhait. Objets d’époque, un maniaque du détail, affiches publicitaires garanties, ustensiles de cuisine adéquats. Nous sommes bien au mois d’avril 1960. Même que je le soupçonne d’avoir enquêté sur le bulletin météo. Nous sommes au vingtième siècle, pas au dix-neuvième, donc notre auteur ne s’est pas déguisé en Sherlock mais en sociologue. Plongée dans le milieu populaire. Travail, Huma, rades moches. Univers sans horizon. Et là-dedans les pistoléros de la mort. Presque. Une bande de loulous qui s’ennuient… à mort. Puisque ce sont les pistoleros de la mort. CQFD. Bref des jeunes, sans avenir. Mais au futur de prolos calibré. En attendant l’Algérie ils rêvent. D’Amérique. Et de rock and roll. Z’ont vu James Dean et Elvis au cinéma. Connaissent Eddie Cochran, Bill Haley, Buddy Holly, Little Richard et Gene Vincent. N’ont pas de disques mais les ont de rares fois entendus dans des juke-boxes, dans les cafés squattés par les soldats américains de l’Otan. Sont en train de reconstituer le puzzle du rock and roll, mais il leur manque toutes les pièces…
Voilà, ne manque plus qu’à faire sauter le bâton de dynamite. Car c’en est un. La France entière est assise dessus mais elle l’ignore. Faut une étincelle. Elle arrive au moment du repas, comme un cheveu sur la soupe. Personne n’attendait qu’elle surgisse à cet endroit précis, dans une émission débilitante de variétoche ringarde. S’appelle Johnny Hallyday et vous le connaissez mieux sous le nom de Jean-Philippe Smet, et au lieu de laisser dire qu’il est né dans la rue, il admet être de nationalité américaine. Dès le début l’hypothèse d’un rock français paraissait incongrue. Chante et se roule par terre. Freddy - c’est lui le héros de ce technicolor en blanc et noir grisâtres - en reste des plus circonspects. N’ croit pas. Un faiseur. Pas un authentique.
Crac ! Crac ! Feran tot petat ! C’était un slogan des occitanistes de l’après-mai 68 ! De belles promesses qui ne se sont jamais concrétisées. Au sortir de son émission Johnny et Lee Hallyday ne sont pas autant outrecuidants. Seraient enclins à épiloguer sur leur échec. Pétard mouillé n’allume point de feu dixit la populaire sagesse.
Mais quand on rêve de western, comme dans les films, la cavale rie. Freddy n’a pas su lire les signes. Sa petite sœur du haut de ses quatorze ans a apprécié. Et le lendemain, il n’y a pas photo, les filles ont pris fait et cause pour Johnny. L’est le premier à s’en apercevoir, les gerces crient de joie quand elles le voient dans la voiture de Lee arrêtée au feu rouge. Pour lui la vie va commencer.
Pour Freddy aussi. Ghislaine la copine qu’il n’aurait pas osé entreprendre sans un sou en poche, elle aussi a vu Johnny à la télé, et elle lui sourit d’une façon si avenante que l’instant héroïque, celui qui sourit aux audacieux, est venu. Pas question de le rater. Il faut saisir sa chance . Heure H et Jour J. Evidemment tous les blousons noirs ne sont pas Johnny Hallyday.
Aussi dur que le bois des tendres années. Les blousons noirs ne seront qu’un feu de paille. Oubli d’autant plus grand que les manchettes des journaux furent larges. Jean-Paul Bourre qui fit partie de la Bande de la Croix Blanche d’Issoire n’est pas d’accord. Les bandes ont continué, c’est l’actualité qui les a oubliées. D’autres chats à fouetter. Rien ne sert de resservir la même info trop longtemps. Il est nécessaire de changer de film pour que les téléspectateurs ne désertent pas leurs écrans. Des fois qu’ils iraient s’amuser à entasser les pavés sur les grands boulevards.
Petit récit. Rajout de vingt pages de documents. Et cette mention sur la page de garde qui fait plaisir : Ouvrage dirigé par Bertil Scali. Serait-ce la résurgence des Editions Scali disparues corps et bien en 2008 que les amateurs de rock recherchent à l’égal de l’or des templiers pour leur catalogue rock !
Damie Chad.
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21/12/2017
KR'TNT ! 354 : JOHNNY KIDD / THE WHO / JACK BLACK / MICHAEL JACKSON
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 354
A ROCKLIT PRODUCTION
28 / 12 / 2017
TEXTE + PHOTOS SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
JOHNNY KIDD / THE WHO / JACK BLACK / MICHAEL JACKSON |
THE KIDD IS ALRIGHT
Lorsque Johnny Kidd meurt dans cet accident de voiture en 1966, Nick Simper est avec lui. Simper survit miraculeusement. On le retrouve un peu plus tard dans la première mouture de Deep Purple. Un parallèle s’impose avec le car crash qui a tué Eddie Cochran et dont Gene Vincent est ressorti miraculeusement indemne. Eddie cassait sa pipe dans la fleur de l’âge : 22 ans. Pareil pour Johnny : 30 ans.
Il faut aussi savoir qu’il existe deux périodes, dans l’histoire de la piraterie : l’avant-Green et le Green. Quand Mick Green arrive dans le groupe en 1962, Johnny Kidd a déjà beaucoup navigué. Il a déjà enregistré «Shakin’ All Over» et «Please Don’t Touch».
Non pas que l’histoire de Johnny Kidd soit indissociable de celle de Mick Green, mais ce serait dommage de limiter Johnny Kidd à Johnny Kidd. D’autant que Rober Palmer établit dans son livre Deep Blues une filiation directe entre Willie Johnson (le guitariste de Wolf), Paul Burlinson et Mick Green, ce qui est tout de même assez extraordinaire. Ce qui frappe le plus dans la courte histoire de Johnny Kidd, c’est sa modernité. Elle existait avant l’arrivée de Mick Green, mais justement, Mick Green ne fit que sublimer cette modernité en amenant un son et une attaque uniques alors en Angleterre.
Quand on écoute le magnifique The Best Of paru en 1977, on ne cherche pas à faire la différence entre les époques, et pourtant, il semble nécessaire de devoir le faire, ne serait-ce que pour ne pas attribuer à Mick Green des choses d’Alan Caddy qui fut le premier guitariste des Pirates. C’est justement la première mouture des Pirates qui joue sur «Please Don’t Touch», «Shakin’ All Over» et le fabuleux «Restless» : Alan Caddy, Brian Cregg et Clem Cattini. Quand Mick quitte le groupe en 1964, c’est John Weider qui le remplace, un mec qu’on retrouvera plus tard dans les New Animals et Family. Weider joue sur «The Birds & The Bees», avec un son nettement plus psyché. On trouve même sur cette compile le tout dernier cut enregistré par Johnny avant sa mort : «It’s Got To Be You» : c’est carrément du r’n’b. On est en 1966 et Johnny comprend qu’il doit s’adapter à l’époque. On trouve Mick Green en B sur pas mal de cuts solides comme «I Can Tell», joli coup de Bo et Mick part en solo fantôme. C’est aussi lui qui joue la Beatlemania d’«Hungry For Love», mais il y passe un solo de punk orné de tortillettes. Justement, «Shot Of Rhythm And Blues» fut le tout premier enregistrement de Mick. Il y passe un solo clair comme de l’eau de roche. Il passe aussi un solo punk dans «My Babe», notes tordues et puissant drive de basse. Toujours aussi divin, voici «Casting My Spell», encore du grand Green d’attaque félonne, ultra-joué à la guitare et même stupéfiant. Il faut savoir que Johnny envisageait d’enregistrer un premier album entièrement consacré à Gene. Mais il n’en eut pas le temps.
Avec The Johnny Kidd Memorial Album, on pourrait prétendre faire le tour de l’épiphénomène Johnny Kidd. Les grands hits du pirate y sont rassemblés, à commencer par le fameux «Shakin’ All Over», véritable Graal du rock anglais - You make me shake and I like you baby - On est frappé par la qualité du son, c’est l’avant-Mick Green. Selon Clem Cattini, c’est Joe Moretti qui joue le legendary solo de Shakin’. Johnny fait son Elvis avec «Let’s Talk About Us» et vire pop avec «Hungry For Love», mais une pop particulière, plus proverbiale, amenée aux riffs californiens, c’est de la Beatlemania de pirate d’eau douce. On voit rapidement que Johnny s’adapte aux modes. Son «Please Don’t Bring Me Down» sonne comme Shakin’. C’est de bonne guerre, Johnny ressort ses vieilles ficelles de caleçon comme le firent avant lui Elmore James et Slim Harpo. On tombe enfin sur «Please Don’t Touch», classique de rock anglais qui fit baver Lemmy, véritable slab de hard time killing floor rock tendu et beau. Alan Caddy ne joue que la rythmique. On le voit aussi taper dans Smokey avec «Shop Around». C’est gonflé mais bien vu, joué à l’anglaise de cuir de biker de Baskerville. Quelle niaque ! Johnny botte le cul de la Soul à coups de biker boots. Avec «Doctor Feelgood», il préfigure Doctor Feelgood, c’est un sacré coup de Jarnac, toute la modernité du rock anglais est là, they call the doctor, il développe une énergie considérable et c’est bardé de chœurs de rêve - Good good good/ So good ! - Comme dans «Gloria».
Lorsqu’on écoute Your Cheating Heart, on est de nouveau frappé par la qualité du son, notamment sur «Gotta Travel On», amené aux riffs des bas-fonds de l’East End. C’est claqué à la désaille. Quel merveilleux backing ! On y entend bien le claqué de percus métalliques et le rond de la basse, avec en prime un solo vicelard joué dans les règles de l’art. Tout est solidement bien foutu sur cette compile parue après sa mort. Le morceau titre sonne comme un heavy slowah à l’anglaise, Johnny sait recycler les vieux coucous. Il s’éclate la glotte au coin du juke alors que valsent les nappes d’orgue, et derrière, ça riffe sec et sale. On tombe ensuite sur un «Longing Lips» sacrément moderne, côté son. Il faut bien parler de modernité du son. Johnny règne sans partage sur ses cuts. Son extraordinaire énergie a quelque chose de kiddique. Chaque cut accroche terriblement. Il tape chaque fois dans le mille avec quelque chose de véridique dans le son, comme l’indique «Weep No More My Baby», voilà encore un cut qui s’inscrit dans la meilleure veine du rock anglais, ça pue le dératé de BSA à Croydon. Mick Green y claque un solo infernal. Ce mec pue du culte. C’est un mélange de Please Don’t Touch et de Skakin’, pur jus de modernité des caves de juke. Avec «Jealous Girl», Johnny passe au Mersey Beat, il tape sans vergogne dans la gueule des genres. C’est un Pirate qui se prend pour un voyou. Il se prend même pour John Lennon avec sa braguette ouverte et son couteau entre les dents. «It’s Got To Be You» sonne comme un hit de Tom Jones, très orchestré, salué aux trompettes, avec des connes qui font ouuuh-ouuuh et puis ahhhh-ahhhh. Il tape aussi dans Lee Hazlewood avec «The Fool» joué à la désaille du désert de Piccadily. Il bouffe vraiment à tous les râteliers. Il a du pot d’avoir des Pirates derrière lui. On note encore son extraordinaire aisance dans «Big Blon’ Baby» amené au petit comedy act à la Coasters, c’est quasi-balloche mais Johnny le swingue et c’est salement claqué à la guitare par Alan Caddy. Johnny tape plus loin dans le fameux «Shot Of Rhythm And Blues», mais façon biker de banlieue, clap-hands et killer-solo, pure démence de la partance ! Unique en Angleterre.
Sur l’album Rarities paru en 1983, on tombe sur des merveilles de type «More Of The Same» et «I Just Want To Make Love To You» qui datent de 1961 (avant-Green) : c’est le temps du gros son de basse boogaloo à souhait et de la prod de rêve. Tous les bassmen devraient écouter ça. Même chose pour «Weep No More My Babe», incroyablement bien chanté, avec ce son de rêve, tellement moderne pour l’époque. Toujours aussi fantastique, voilà «You Got What It Takes», ultra-produit et monté sur une basse sourde. John Weider fait le coq dans «This Golden Ring». Johnny veut en croquer, alors il se met au psyché. C’est aussi Weider qui claque la fantastique reprise d’«I Can’t Turn You Loose» d’Otis. Ils tapent dans le «Right String But The Wrong Yoyo» de Carl Perkins et bien sûr Mick le joue sévère. Il tâte de l’ambiance country mais avec une certaine virulence de figuralisme figuratif émancipé. On trouve des choses amusantes en B, comme cet «I Hate Getting Up In The Morning», très pop 66. Johnny est accompagné par de unknowns et avec «Send Fot That Girl», il visait la belle pop d’ambre jaune. Cette compile s’achève sur «Whole Lotta Woman», un sacré shook de shake généreusement nappé d’orgue, avec John Weider au compas. Puissant et même carrément hypno. On n’ose même pas imaginer les ravages qu’aurait fait Johnny s’il avait continué à écumer les rivages d’Angleterre.
The Lost BBC Sessions And More Rare Trax est encore une compile qui vaut le détour : quarante-et-un titres ! Avec des voix d’annonces d’époque. Ça démarre sur la cover de «My Babe» et son killer solo. Tout aussi punkoïde, voilà «Magic Of Love». Nous voilà chez les Pirates ! Avec «That’s All You Gotta Do», Johnny swingue bien le mambo de la Tortue. Puis il prend «Weep No More My Baby» à la saleté maximaliste. C’est tellement rampant qu’on pourrait presque s’en indigner. C’est même sabré au claqué de notes infernales et Johnny brame à la lune. Quelle équipe de surdoués ! On retrouve leur monstrueuse énergie dans «Setarip» et même un balladif de sirupe comme «Dream Lover» passe comme une lettre à la poste. Retour au déflagratoire avec «I Go Ape», mais c’est un nommé Tom Brown qui chante. On tombe ensuite sur une somptueuse version de «Restless», bien boogaloo. Tremble carcasse ! Et les surdoués enchaînent avec l’imparable Shakin’, fabuleuse descente aux enfers du rock anglais, et Alan Caddy part en vrille de clair, c’est tout l’art de faire du punk-rock en clair. Ça monte encore en puissance avec «Feelin’», choo-choo train de fellin baillebi baillebi, fantastique diction de force motrice - It’s crazy when you’re around me - ah les mains des femmes - Oh what a feeling ! - You do it all the time - Prestance de la démence. Et voilà qu’arrive «Please Don’t Touch», classique d’outre-tombe, l’antre du mythe, la Tortue du rock anglais. S’ensuit un «Shakin’» qui coule de source, merveilleuse version rampée. Il faut rappeler que les BBC sessions sont souvent bien meilleures que les enregistrements studio. Johnny colle si bien au backbone, au shiver if it all que c’en est désarmant. Et Alan Caddy emmanche son manche. En 1961, ces mecs avaient déjà tellement de génie. Et on remonte à travers le temps avec le fabuleux «Longin’ Lips», puis «More Of The Same», joué au sourd de basse et Johnny surfe sur les Caraïbes, on a du punk dans les vergues et ça change absolument tout. Tiens et puis ce «Some Other Guy» violent et lui aussi claqué punk. On retrouve leur fabuleuse énergie rock’n’roll dans «Growl» et tout le rowdy de la terre dans l’extraordinaire «Big Blon’ Baby», ce gros travail de sape, avec un son qui descend directement à la cave. Ainsi va la vie.
Dans Record Collector, Jack Watkins n’hésite pas à traiter Johnny de caméléon : «Ce chouchou des Teds tapait dans tous les genres : rock, merseybeat et juste avant sa mort, il tapait dans the presentable uptown sound.» Et il ajoute : «In his hearts of hearts through, with his total lack of pretentiousness, the Kidd was a British rockabilly, his roots in the grit and grime of London NW6.» (Au plus profond de son cœur et en l’absence de la moindre trace de prétention, le Kidd était un rockab pur et dur issu des bas-fonds crasseux de London NW6). Magnifique définition d’un gros culte britannique. Jack ajoute qu’à la différence des country boys du Tennessee, Johnny était un rocker urbain basé à Willesden Junction, avec a bit of a cockney rocker-cum-crooner with a few throaty blues effects on top. Jack rappelle aussi que les chaises volaient lors des early gigs.
Notre bon Kiddophile Jack Watkins revient inlassablement sur l’élément qui fait la force de Johnny : sa voix, le pur London accent - I can’t listen to Johnny without hearring North West London - Et paf, Jack repart dans les filiations à la Robert Palmer en indiquant que les bolt-lightning interjections d’Alan Cadddy lui rappellent celles de Roland Janes, au temps où il accompagnait Jerry Lee. Le monde du très grand rock est tout petit, ne l’oublions pas. Le Caddy en question n’est pas n’importe qui : lorsqu’il arrive pour auditionner à Denmark Street, il porte un chapeau de Robin des Bois avec une plume et un long manteau - He looked more like a country squire than a rock guitarist - Et là, notre Kiddophile n’ose pas tracer le parallèle qui s’impose avec Teddy Paige qui lui aussi se baladait dans Londres déguisé en Robin des Bois. En voyant débarquer Caddy, Brian Cregg et Clem sont inquiets : «Look at the state of this guy ! I hope he plays better than he looks !» (T’as vu la gueule de ce mec ? Espérons que son jeu vaut mieux que son allure). Et Clem conclut en disant que ce tall guy always looked immaculate et qu’il avait des allures d’agent immobilier.
Alan Caddy avait déjà navigué avec les Tornados et Joe Meek. Caddy était en effet un enfant prodige, et tellement timide qu’il jouait derrière le rideau de scène. Mais il avait une petite manie : il faisait le windmill avec son bras droit au dessus de sa Strato, ce qui allait bien sûr beaucoup intéresser le jeune Pete Townshend. Caddy combinait déjà le lead et le rhythm sur sa guitare, ce qui permit aux Pirates se fonctionner à trois. En les voyant jouer sur scène en power trio, les Big Three se mirent à jouer à trois et John Paul Jones avoue qu’après avoir vu Brian Gregg, il voulut jouer de la basse. Avec tout ça, les Pirates devinrent forcément mythiques : Caddy and the big sound, la basse de Brian Gregg et le thunderclap drumming de Clem Cattini. Alan Caddy était tellement nerveux qu’il se mit à boire comme un trou, notamment en studio. C’est la raison pour laquelle on fit appel à Joe Moretti. Pas n’importe qui, puisqu’il s’agit du mec qui a joué sur le «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Alan n’avait pas assez confiance en lui pour jouer le solo de Shakin’ en studio. Mais il le montra à Moretti qui put alors le rejouer. Et pour produire le shimmering effect du riff, Brian Gregg fit glisser son briquet sur les cordes de la guitare qu’Alan Caddy grattait. C’est aussi Moretti qui passe le solo dans «Restless», cet autre chef-d’œuvre qui mystérieusement n’eut pas autant de succès que Shakin’.
«Please Don’t Touch», «Shakin’ All Over», «Restless» et «Please Don’t Bring Me Down» constituent la fameuse série des «women give me the quivers» Johnny Kidd classics. C’est au terme de cette série que les trois Pirates (Clem, Alan et Brian) quittent le navire pour aller rejoindre Colin Hicks en Italie.
Clem allait devenir session man réputé. Jimmy Page le vit même comme batteur possible de Led Zep. Quant à Caddy, il allait sombrer dans le heavy drinking. Lors d’un concert de reformation en 1991, il fut incapable de jouer sur scène - His playing went to pieces on stage - Et donc Johnny continua d’écumer les mers, en mettant le cap sur le r’n’b. Et comme il traînait pas mal à la Cavern, il s’empiffra de Beatlemania. Mais il jugeait bon d’ajouter : «The Beatles will never be as big as Joe Brown !»
Le pauvre Johnny enregistra des cuts à Abbey Road pour un album qui ne parut pas. Et comme tous les autres, il suivait les modes pour continuer à exister - He was desperately chasing trends - Clem Cattini rappelle que Johnny était très populaire et que chaque concert était sold out. But he wasn’t business minded. Il s’achetait des tas de costard, mais il dormait sur le plancher du van. Il était complètement désorganisé et perdait tout son blé au jeu. Clem ajoute qu’il adorait Johnny car c’était un homme entier. There was no side to Johnny. What you saw was what you got.
Signé : Cazengler, Johnny Bidd
Johnny Kidd & The Pirates. The Johnny Kidd Memorial Album. Odeon 1970
Johnny Kidd & The Pirates. Your Cheating Heart. Columbia 1971
Johnny Kidd & The Pirates. The Best Of. EMI 1977
Johnny Kidd & The Pirates. Rarities. See For Miles Ltd 1983
Johnny Kidd & The Pirates. The Lost BBC Sessions And More Rare Trax. Black Flag Records 1994
Jack Watkins. Blackboard Junction. Record Collector #469 - August 2017
THE WHO
LE GROUPE MOD
PHILIPPE MARGOTIN
( Editions de La Lagune / 2007 )
Toujours dans le même fouillada. Notre lieu de rencontre. Un amateur de rock. Possède des milliers de disques et recherche encore la perle rare. Ne peut plus rentrer dans une pièce de sa maison tellement elle est encombrée... L'on passe au minimum une heure à bavarder entre deux bacs, à peu près deux fois par trimestre. L'est né la même année que Johnny, rockabilly, reprises, et très vite l'on saute sur les groupes anglais. Avec cette question angoissante : vieillesse et rock'n'roll ! Sous-entendu le sens d'une vie à rester encalminé dans son adolescence... I hope I die before I get old s'exclamait Peter Tonwshend dans My Generation, l'a survécu et il n'y a pas si longtemps refaisait une énième tournée... L'on se quitte, l'a déniché un boîtier sur les génériques de films « avec des trucs intéressants dessus » et moi un bouquin sur Berthe Morisot.
Retour à la maison, jette un regard effaré sur le capharnaüm de mon garage quand sur l'étagère mon œil est accroché sur un rayonnage par le drapeau de la perfide Albion. Je tire, et hop, tiens un bouquin sur les Who, on en parlait cet après-midi ! Le soir, je cède à la nostalgie-rock – dommage que Baudelaire n'ait pas connu ce sentiment, l'aurait ajouté une section vénéneuse à ses fleurs maladives - et m'enquille le bouquin en entier avant le dodo. N'est pas épais et écrit gros. Philippe Margotin – l'a beaucoup écrit sur les grands noms de Ray Charles à Amy Whinehouse, du blues au punk - ne joue pas au margoulin, rapide et efficace, cite largement ses confrères, parvient à tracer l'épure de toute une génération et le destin d'un groupe. Encore que le mot destin soit mal choisi. Cette notion inclut l'idée d'une fatalité irrémédiable, les Who ne connaissent pas ce coup de hache terminal, ce couperet de guillotine, qui transforme une existence en épopée. La légende se dissout dans les eaux lénifiantes d'une survie à petits feux. Le flamboiement de My Generation se meurt dans l'estuaire de My Dissolution.
Oui mais quel groupe de rock ! L'un des plus grands ! Et mieux que cela l'un des plus essentiels. Et surtout l'un des plus intelligents. Une intelligence beaucoup plus instinctive que maîtrisée. Z'ont su faire le bon choix. La dichotomie Beatles / Rolling Stones est des plus signifiantes. Les Who ont commencé comme les Beatles, vaudrait mieux dire comme les Quarrymen. Le rock blanc des pionniers. Pas un hasard si sur scène ils reprenaient Summertime Blues d'Eddie Cochran et Shakin' All Over de Johnny Kid. Un œil sur l'Amérique, un œil sur l'Angleterre. Townshend a toujours une corde de guitare qui résonne dans l'ombre d'Hank Marvin et une autre dans le sable de l'american surfin'. L'harmonie vocale à la Beach Boys de leurs morceaux les plus mélodiques descend de cet héritage. Mais ils ont su aussi faire le cross-over. Sont passés du côté obscur de la force. C'était à une époque où les Rolling Stones détestaient qu'on les définît en employant le terme de rock'n'roll. Trichaient un peu, avaient beaucoup appris de Chuck Berry et de Bo Diddley, mais ils avaient remonté vers les racines, de Chuck à Muddy Waters il n'y a qu'un pas, et bientôt ils avaient trempé leurs pieds dans l'eau boueuse du Delta. Un groupe de blues. Mais méchamment électrifié. Les Who ont assisté aux premiers concerts des Stones, ont vite compris qu'ils avaient le truc en plume de plomb saturnien qui fait la différence, l'énergie. Les Stones avaient édicté le nombre d'or : blues électrifié égale rhythm'n'blues. Sources noires du rock'n'roll. Décidément les deux créneaux étaient pris. Les Who ont tapé dans la surenchère. Blanc ou noir ? Ce sera noir mais très sombre. Pas de l'ardoise anthracite bleutée. Comme à la lessive vont ajouter les détergents qui lavent plus noir. Exit le rhythm'n'blues. Ont la formule choc. Désormais ce sera Maximum Rhythm'n'Blues ! De fait ils n'arriveront jamais à dépasser l'indigo profond des Rolling mais ils y ajouteront la fureur et l'auto-destruction. Des Bakounine un tantinet autistes – Tommy n'est pas loin – qui ne voient guère plus loin que leurs petites et immodestes personnes. De fait les Who klaxonnent beaucoup plus rock que blues, mais tout le monde s'en fout, ils sonnent juste et haut. Et c'est ce qu'il faut.
L'est difficile de renier ses origines. Le prolétaire n'est pas loin du petit-bourgeois. J'emploie ce mot sans aucune acrimonie péjorative. Le petit-bourgeois n'est qu'un prolétaire qui a la chance de bénéficier d'instants de réflexion. Et en tant que vedettes naissantes du rock anglais, des Lennon et Townshend auront la chance – expériences, rencontres – de regarder autour d'eux et d'essayer de ne pas être dupes de la fulgurance de leurs succès. Le profil des groupes anglais se modifie insensiblement, les Beatles se focalisent sur la musique, les Kinks commencent à s'adonner à une espèce de critique sociale malveillante et nostalgique ( un composé instable ), les Who vont céder à l'intellectualisme. Soyons francs, l'est difficile de faire passer Keith Moon pour un professeur d'université défroqué mais il saura adapter sa frappe sauvage aux nouvelles orientations de Townshend. Roger Daltrey agira de même, suffit que la viande fournie soit assez sanguinolente pour qu'il puisse la déchirer à plein gosier. Quant à Entwistle son mutisme n'était pas étranger aux angoisses existentielles que Townshend mettait en scène. Ce n'est pas Lucy la jolie fille avec des diamants dans le ciel coloré mais Tommy renfermé en lui-même dans sa nuit intérieure. C'est que Townshend ne veut plus de chansonnette rock de trois minutes, vise l'œuvre, totale, intégrale, sera le Wagner du rock'n'roll, ni plus ni moins qu'un opéra. L' en a déjà esquissé un en six petits morceaux dès le deuxième album, A Quick One, While He's Away. Une bluette d'une fraîche épousée qui trompe son mari absent... Pas de quoi fouetter une chatte, mais c'est l'idée qui compte. Comment raconter en rocks une histoire avec un début, un milieu, et une fin. Cette première fois, ce ne sont que six petits croquis ultra-rapides, mais on doit pouvoir faire mieux.
Ce sera Tommy ( 1969 ), avec ouverture et grand orchestre. Un double trente-trois tours conceptuel. Tommy qui assiste au meurtre du père – bonjour Mister Freud – tué par son beau-père – comédie de moeurs – en devient sourd, muet et aveugle... violé par son oncle... acquiert la célébrité en devenant champion de flipper... brise la glace auto-réfléchissante de sa solitude... retrouve la vue, l'audition et la parole... pour se voir abandonné par ses fans... se referme et reconstitue sa bulle emmurante et protectrice... Much ado for nothing pour les esprits désabusés, précis de psychologie appliquée qui colle parfaitement à son époque ? Les méfaits du sexe, version rock'n'roll !
Après ce succès phénoménal, ce sera Lifehouse. Projet que Townshend ne parviendra pas à maîtriser. Who's Next ! Sera en partie composé des débris de cet opus majeur. Qui trop étreint, mal embrasse. Townshend entend donner une vision critique de la vie moderne. Mais en sa totalité. Sans se focaliser uniquement sur les rapports entre les individus. Mais il faudrait qu'il en soit davantage détaché. L'a le nez en plein dans le caca. Ne possède pas l'éloignement nécessaire. Il a la prescience de ce que quelques mois plus tard dans les universités l'on nommera post-modernité, il sent mais ne possède pas les outils conceptuels qui lui permettraient d'expliciter le nœud gordien des contradictions qui s'accumulent. Notons qu'en l'année de 1973 Led Zeppelin parlera de House of the Holly. Quand le monde devient trop compliqué la mythologie s'avère être le dernier refuge.
Townshend se rabattra sur ce qu'il connaît le mieux. Sa jeunesse, le mouvement Mod, et ses trois compagnons. Quadrophenia – sorti en 1973, les dates signifient beaucoup plus qu'un numéro - est l'adieu à l'innocence du rock'n'roll. Les Who sont des tout premiers à inclure des artefacts électroniques dans leurs enregistrements, une manière d'amplifier la démesure phonique. Le groupe est à son acmé. Tout le reste ne sera que survie. Plus ou moins pathétique. Le punk est en gestation. Ce sont toujours vos petits-enfants qui vous rejettent dans le passé des époques révolues. Saturne vous dévore plus vite que vous ne vous y attendiez.
N'empêche que les Who restent un des groupes essentiels de notre musique. Les géniteurs de la démence sonore.
Damie Chad.
YEGG
JACK BLACK
( Les Fondeurs de Briques / Novembre 2009 )
Le livre vient d’être réédité chez Monsieur Toussaint Louverture sous le titre de Personne ne Gagne. Les Fondeurs de Briques lui avaient préféré ce mystérieux Yegg dérivé du chinois Yekk qui signifie mendiant. Ce mot désignait dans l’argot des hobos les malandrins de la plus haute caste, celle des perceurs de coffres-forts. Le bouquin est un classique de la littérature underground américaine William S. Burrough en a rédigé une préface que vous retrouvez dans les deux éditions. Plus de quatre cents pages qui se lisent comme du petit lait. Pas très blanc, un peu teinté de noir-anarchie-individualiste. La bande mais sans Bonnot. Précis de récupération sauvage.
La légende noire des malheureux hobos, travailleurs itinérants sans emplois, à la recherche d’hypothétiques jobs sous-payés au travers de la grande et riche Amérique est une constance de la littérature prolétarienne. Elle est habituellement érigée en dénonciation de la barbarie du système économique d’exploitation capitaliste. Jack Black ne participe pas de cette vision militante. L’est de ces êtres qui ont décidé de vivre en loup parmi les loups. D’instinct il refuse le travail, ce qu’il ne possède pas il le prendra. Se servira tout seul. Orphelin de mère, élevé par un père qui trime toute la journée, l’en vient à l’âge de l’adolescence à fréquenter les lieux interlopes, les rades louches, les bas-fonds d’une société impitoyable. Ne sera pas un voleur de poules. Préfère voler le bœuf que l’œuf. L’a de la chance, l’est très vite pris en charge par la confrérie des Johnson, les as de la cambriole. L’est un bon sujet - ne s’effondre pas en pleurnichant lorsqu’il est serré par les flics, ne pipe pas un mot sur les copains, sait se taire et ne pas parler à tort et à travers. L’on peut compter sur lui, n’est ni un donneur ni un traître. Recevra l’éducation idoine réservée à ceux qui savent la boucler quand on les boucle. Les malfrats possèdent leur code d’honneur. Les deux premiers tiers du récit sont réservés aux années d’apprentissage. Peu de théorie, beaucoup de pratique. L’apprend vite et bien. Pas de précipitation, pas de hasard. Les coups sont longuement préparés. Avant tout les itinéraires de dégagement et de fuite. Pas question de s’attarder dans un bled où l’on vient de commettre son forfait. Ne jamais porter sur soi les objets dérobés et l’argent compromettant. Enterrer le butin, revenir le chercher plus tard. Avoir son réseau d’écoulement et de refourgage sûr et rapide. L’on ne pratique guère le vol à la tire, l’on préfère dynamiter les coffres-forts. C’est plus rentable.
Nous sommes à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième. Une époque bénie. L’informatique n’existe pas, les communications entre les villes et les états ne sont guère rationalisées, la police est avant tout locale. Suffit de monter en douce dans un wagon pour échapper à son emprise. Les avocats sont véreux et avec un peu de chance les juges soudoyés se montrent compréhensifs. Revers de la médaille, les temps sont brutaux et expéditifs. Abattre un hobo d’un coup de revolver n’est guère répréhensible.
Défile une galerie de personnages hauts en couleurs. Scènes picaresques, dans les jungles l’on organise les conventions, jours de bitures extrêmes, open bar à gogo. La fête terminée, les poches vides, ne reste plus qu’à reprendre le turbin. Nécessité d’avoir toujours au minimum un coup d’avance, minutieusement préparé qui vous permet de vous renflouer les poches…
Nous ne sommes pas dans un conte de fées, les meilleurs se font pincer, les plus prudents abattre sans sommation. Bonjour monde cruel et sans pitié ! Dernier tiers du récit, Jack Black enchaîne les coups foireux, manque de chance, mauvais hasards, imprudences dues à des complices moins aguerris, l’étau se referme petit à petit sur notre héros. La police affine ses méthodes et devient de plus en plus efficace. L’a déjà fait quelques séjours de prison mais après maintes péripéties Black se retrouve au noir pour plusieurs années.
Le temps de méditer et d’ajouter quelques appendices à son code d’honneur. Tire le bilan de ces années sur la brèche. L’est un peu poussé dans ses retranchements par la violence sadique du système et des gardiens. Isolements, passages à tabac, supplice de la camisole de force - rien à voir avec celle que l’on passe aux fous dans les asiles - le dur des durs fait ses comptes. L’aurait gagné davantage d’argent en prenant un petit boulot pépère, sans histoires. L’a bossé comme un marlouf pour mettre au point ses affaires, l’est usé physiquement et psychiquement. Trop de pression. L’est devenu accro à l’opium. Aucun soupçon de moralisme dans ce constat d’échec, n’est pas particulièrement fier de ses actes, mais police et justice sont aussi pourries que lui. Les prisons sont des lieux de violence et d’injustice. Les châtiments physiques, les mauvais traitements, ne servent qu’à renforcer votre haine et votre détermination. Vous emprisonnez un loup, vous relâchez un tigre…
Va trouver quelques appuis, des voix s’élèvent contre l’inhumanité des conditions pénitentiaires. Des juges humanistes font le pari de le libérer. Se range des voitures. Deviendra bibliothécaire, écrivain et journaliste. En annexe vous trouvez de longs extraits d’un grand article qu’il fit paraître en 1929 dans le Harper’s Magazine. Des plus intéressants, suffirait de changer les lieux et les noms pour croire qu’il est dirigé contre la politique du tout sécuritaire et de la répression tout azimut décidée sous l’ère Sarkozy et gaillardement poursuivie par ses deux successeurs. Jack Black - l’on n’a jamais su sa véritable identité - était-il sage comme une image ? On retrouva son cadavre dans le Port de New York… Toutes les suppositions sont permises. Fut-il repêché de ces eaux troubles pour avoir été puni par ce par quoi il avait beaucoup péché ? Nous lui pardonnerons beaucoup. D'autant plus que certains affirment l'hypothèse du suicide. Courageux jusqu'au bout.
Damie Chad.
BAD
MICHAEL JACKSON LE MUTANT
JEAN-PAUL BOURRE
( Bartillat / 2004 )
N’aurais jamais acheté le bouquin s’il n’avait été signé par Jean-Paul Bourre. Fut une époque où il était difficile d’écouter la radio sans qu’un tube des Jackson Five ne vienne vous écorcher les oreilles. Aussi quand Michael Jackson a volé de ses propres ailes ne lui ai-je accordé qu’une des plus distraites attention. Par contre suis toujours à l’affût des livres de Jean-Paul Bourre, un esprit curieux, un œil trombinoscopique qui s’intéresse à tout ce qui fait sens en cette vallée de larmes.
Ne s’agit pas d’une étude musicale. Focus sur la star. Le glamour et le hallali. Faut avouer que Michael Jakson a fait peur. Le gars qui tire sur la sonnette du serpent pour attirer les regards sur son immodeste personne. Un gamin qui sonne aux mauvaises portes et qui ne s’enfuit pas en courant pour se cacher. Le mec qui se promène avec un paratonnerre à la main et qui s’en vient pleurnicher lorsque la foudre lui tombe dessus.
L’ a des excuses. Son père qui vous réduit le complexe d’Œdipe en miettes à coups de ceinturons, une mère confite en religion, la marmaille déguste salement. Les filles dans leur chair et les boys dans leur âme. Méthode éducative un peu rude mais ô combien efficace. Vendront tous des disques par millions. Michael encore davantage que les autres.
Sortez votre mouchoir, n’oubliez pas de pleurer sur le pauvre petit garçon malheureux qui ne peut pas aller jouer avec les enfants de son âge au coin de la rue. Prisonnier derrière la vitre des studios. Des compensations tout de même : Diana Ross est folle de cet adolescent fragile, l’accueille chez elle et lui fait subir les derniers outrages. De quoi le dégoûter des femelles entreprises pour le restant de sa vie.
La gloire, l’argent, le sentiment de toute puissance. Le jeune homme profite de sa fortune pour courir après son enfance perdue. Ne la rattrapera pas. Capturera celle des autres. S’est bâti un palais aux mille merveille. Un mini Disney Park. Pas un piège à touristes. Mais à jeunes garçons. Les invite chez lui. Avec l’accord de leurs parents… Tout le monde sait tout mais personne ne moufte. Evidemment cette impunité fait des jaloux… Qui se taisent, on n’est jamais trop prudent devant les riches…
Heureusement la justice veille. La chance d’un petit juge. Un père la morale qui enverrait avec plaisir le gros poisson dans l’aquarium d’une prison. La gloire sans le glamour. Réussit presque son coup en 1993. Mais Jackson et le père outragé s’entendent à l’amiable. Une ardoise de quarante sept millions de dollars pour Michael qui s’estime heureux de s’en être tiré à si mauvais compte. Mais notre juge remettra le couvert dix ans après.
Jackson ne s’aide pas. Déclare dans une interview que rien n’est plus beau que de s’endormir en toute innocence avec un enfant dans son lit… Paroles impardonnables. En Amérique ( et ailleurs ) tout est permis. A condition que vous ayez de quoi vous acheter les objets qui concourent à la satisfaction de vos désirs personnels. Pour le bas-peuple qui ne peut pas s’offrir l’accomplissement de ses phantasmes, l’on a érigé une frontière morale, un interdit qui témoigne que les riches ne peuvent pas tout faire. L’est une ligne rouge à ne pas s’offrir. Le crime pédophilique. Le livre est édité en 2004, il ne nous apprend donc pas la suite des opérations justicières…
Nous n’en sortons pas si déçus que cela. Jean-Paul Bourre se livre à une analyse du mode de vie de Michael Jackson des plus fines. Passons sur ses faiblesses larmoyantes qui ne le rendent guère sympathique. Certains côtés de la personnalité de notre malheureux héros ne plaident pas en sa faveur. Par contre, Michael avait deux ou trois trains d’avance sur son époque. L’a été un précurseur. On a beaucoup rigolé dans les chaumières sur son caisson à oxygène dans lequel la star allait se ressourcer. L’on a été plus sévère sur ce nègre honteux qui reniait ses origines et qui dépensait des millions de dollars pour se blanchir la peau… Condamnations à courte vue. Jackson voyait plus loin que notre commune humanité. Aujourd’hui il apparaît comme un devancier de ce mouvement transhumaniste qui embrase les hautes sphères de la société américaine. L’homme ne survivra pas à la catastrophe écologique qui se prépare. Encore quelques années et un virus propagé par d’innocents moustiques ou tout autre moyen de locomotion aura raison de l'humanité. L’espèce humaine connaîtra le sort des dinosaures. Rayée de la surface de la terre par un coup de baguette magique.
Michael Jackson se prépare. A la grande métamorphose. Assiste à plusieurs opérations sur le cerveau. Subit de nombreuses opérations présentées comme de la chirurgie esthétique. Enquille des doses de calmants à endormir des éléphants… L’est mal dans sa peau d’homme. De simple mortel. Qui se doit de finir comme tout un chacun au cimetière. Peur panique. Contre laquelle il lutte avec une très grande maladresse. N’est qu’un artiste à la sensibilité exacerbée. Ne possède pas la froideur raisonnée du reptile. Il veut muer. Il veut muter. Refuse de se reproduire. Sexualité spermatique qui dénote le refus de l’accomplissement ovarien. Cherche le saut qualicatif qui lui permettrait d’accéder à l’immortalité. N’est qu’un insecte englué dans la toile d’araignée de ses propres angoisses. Lui manque l’armature intellectuelle, la charpente déductive du scientifique. Finira par en crever. Victime de sa prescience instinctive. L’est comme le scorpion piégé qui retourne son dard empoisonné contre lui-même. Mourir mais ne pas se rendre. Ligne de fuite auto-mutilante. Un livre qui va plus loin que les pâles images d’Epinal. A méditer. Un book qui malgré les apparences éditoriales de sa mise en vente sur le marché ne surfe pas sur l’actualité. Jean-Paul Bourre possède un esprit incisif qui déchire les membranes opaques d’un futur plus proche de nous qu’il n’y paraît. Sentinelle des catastrophes à venir.
Damie Chad.
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