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14/03/2018

KR'TNT 365 : DENISE LASALLE / THOUSAND WATT BURN / OSCIL / SPUNYBOYS / KING BISCUIT TIME

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 365

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

15 / 03 / 2018

DENISE LASALLE

THOUSAND WATT BURN / OSCIL

SPUNYBOYS / KING BISCUIT TIME

TEXTE + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Oh Denise doo be do I’m in love with you

Plutôt que de chanter les louanges de Denis, Deborah Harry aurait dû chanter celles de Denise. Deborah devait forcément connaître Denise LaSalle, cette Soul Sister aussi puissante qu’Aretha. Oui, c’est exactement la même : génie vocal, histoire de vie, longévité, capacités compositales, elles ont énormément de points communs. Si vous allez chercher les infos dans votre wiki préféré, vous verrez qu’elle est née dans le Deep South comme Aretha et que sa famille a émigré vers le Nord, comme celle d’Aretha. Detroit pour Ree, et Chicago pour Den. Et pouf, Chess, mais Denise, comme Fontella Bass, refuse de se faire plumer par Leonard. Elle préfère enregistrer sur Westbound, un petit label de Detroit plus discret mais moins rapace. Non seulement Denise a du génie, mais elle a aussi du caractère, et ça la rend infiniment sympathique. Et les vingt-cinq albums qui illustrent sa carrière n’en finissent plus de renforcer cette impression.

Denise LaSalle vient de casser sa pipe. On ne le verra pas en couverture des magazines pour m’as-tu-vus, car elle n’est pas très connue en Europe. Et comme l’élégance ne fait plus recette, elle n’avait de toute façon aucune chance de plaire. L’occasion est par conséquent trop belle de remédier à ce fâcheux constat en rendant un hommage panoramique à cette femme qui fut, comme le disent si bien les Anglo-saxons, larger than life.

Longévité veut aussi dire discographie à rallonges. Comme tous les grands artistes noirs de sa génération, Denise LaSalle est passée d’un label à l’autre, au fil des modes : première époque raw r’n’b sur Westbound, puis avec l’âge d’or de la diskö, elle passe chez ABC et MCA, avant de revenir en 1983 dans le giron du Saint des Saints, c’est-à-dire Malaco, pour y enregistrer une dizaine d’albums absolument somptueux. Attention, ces époques sont toutes les trois affreusement consistantes. Un mauvais disque chez Denise ? Ha ha ha ha, comme disent ceux qui se croient malins en riant bêtement, mais c’est tout simplement inimaginable.

Si on tape dans la période Westbound, autant taper dans le dur. Il s’appelle A Good Thing Better. The Complete Westbound Singles 1970-1976 et comme son nom l’indique c’est sorti sur Westbound, via Ace Records. C’est à la fois de la dynamite et l’une des meilleures compiles de Soul de tous les temps, richement documentée par Tony Bounce, Ace-man de choc. Ce disk de ding-a-dong propose 24 cuts, c’est-à-dire les 12 singles qu’enregistra Denise avant son premier album. Ça fourmille littéralement de coups de génie, tiens, par exemple ce slowah atmosphérique intitulé «What Am I Doing Wrong». C’est joué et orchestré à outrance, on a là une merveille absolutiste. Ou encore «Good Goody Getter», extraordinaire shuffle de petit popotin, tu danses au coin du juke, elle prend sa petite voix Motown et fait sa coquine avec du getter de rêve, c’mon ! À ce stade des opérations, on peut se demander pourquoi Aretha et pas Denise ? La réponse est évidente : Aretha avait Wexler, c’est aussi simple que ça. Westbound ne pouvait pas rivaliser avec Atlantic. Et pourtant, Denise défonce la rondelle des annales avec «Hung Up Strung Up», c’est aussi hot que du Stax, on a là un classique pur embarqué au pire drive de bassmatic qui se puisse imaginer ici bas. Encore un slab de heavy r’n’b avec «Keep It Coming», une véritable bénédiction de juke, bassmatic devant toutes, solo de trompette. Elle enfile les hits comme des perles, «Now Run And Tell That» sonne comme une révélation, elle saupoudre ses petits hey mr playboy d’oh yeah bien sentis. Nouveau monster hit avec «Man Sized Job», embarqué au rumble de shuffle no more. Hit de juke admirablement cadencé, aussi puissant que du early Ike & Tina. On reste dans l’effarance de la latence avec «What It Takes To Get A Good Woman», même aplomb et même assise qu’Aretha, même popotin de tous les diables, elle a vraiment largement de quoi rendre un homme heureux. Elle tape dans les Detroit Emerald avec «Do Me Right». On nage en plein rêve. Cette compile de singles tue les mouches. Une fois encore, c’est pulsé à l’énergie black et les cuivres jouent le thème, alors Denise y va franco de port et elle couine ses syllabes. Tout est très spectaculaire, ici, on se croirait à la Piste aux Étoiles. Avec «Get Up Off My Mind», on entre dans la période Muscle Shoals. David Hood claque le groove de bassmatic, c’est atrocement bon et Roger Hawkins bat le beat tribal africain. Encore un hit hallucinant de classe, bardé de renvois de chœurs à la Aretha, c’est la fête au village. Avec «The Best Thing I Ever Had», elle passe au slowah d’émancipation, elle règne sur la terre comme au ciel. Elle passe au r’n’b moderne avec «My Brand On You» et rameute tout le génie de Muscle Shoals pour «Any Time Is The Right Time», hanté par des chœurs géniaux. Avec «Here I Am Again», elle passe à la diskö, mais pas n’importe laquelle, celle de Barry White. Il fallait bien qu’elle bouffe. Bien sûr, les gens lui ont craché dessus, mais Denise est une reine. Elle chante comme si elle éclairait le monde. Elle shoote toute l’énergie de la Soul dans la diskö, comme le fit Aretha à la même époque. Elle chante à la vie à la mort. C’est sa force. À la fin de cette compile somptueuse, on entend des pubs radio : «The body & Soul of the Miss LaSalle ! The exciting sound of the Miss LaSalle !»

Ado, Denise veut écrire des romans. Pas facile. Alors elle se met à écrire des chansons. Elle trouve le nom de LaSalle dans un magazine et pouf, c’est parti mon kiki. Elle travaille dans un bar de Chicago et rencontre Billy The Kid Emerson. Impressionné par sa voix, Emerson la branche sur Chess. Chess la trouve bonne, oui, mais pas encore assez bonne.

Denise comprend qu’elle doit redescendre dans le Sud pour s’épanouir artistiquement. Elle ne choisit pas n’importe qui : Papa Willie. Ouvrez la pochette de son premier album Trapped By A Thing Called Love et vous tomberez sur un texte magnifique signé Denise : «J’ai écrit beaucoup de chansons dans ma vie, mais les paroles n’ont aucun intérêt si la musique n’est pas bonne. Je suis arrivée à Memphis avec quelques paroles et des lignes mélodiques, mais ce génie nommé Willie Mitchell (Papa Willie I call him) a donné vie à mes paroles. Willie a tous ses arrangements en tête, il n’écrit rien, et la façon dont il communique avec ses musiciens est fantastique. Ils l’aiment et le respectent. Ils essaient de jouer le mieux possible - everyone tries hard to get the music down just right - Je dois tout mon succès à Papa Willie qui l’a rendu possible.» Et elle finit en dédiant cet album à Papa Willie et à Gene Bow-legs Miller. Sur l’album, on retrouve un paquet de singles, évidemment, ces énormités que sont «Now Run And Tell That», «Good Goody Getter» et «Do Me Right», purs shoots de jerk de gros popotin, Denise swingue le booty comme Ree, elle chante sous le boisseau de Papa Willie, c’est puissant des reins et parsemé de cris de folle, avec un son admirable d’entrain et de subtilité cuivrée. On retrouve aussi l’immense «Heartbreaker Of The Year» et «Hung Up Strung Out». Elle fait aussi une cover du «If You Should Loose Me» de Barbara Lynn. Force est d’admirer sa classe, elle claque sa Soul aux gémonies, c’est nappé d’orgue et digne de Fame. Elle termine cet album passionnant avec une compo de Carole King, «It’s Too Late». Ça sonne comme un hit, ce qui semble logique.

C’est le DJ Al Perkins qui l’a mise en contact avec Armen Boladian, boss de Westbound Records, l’un des grands labels de Detroit sur lequel on retrouve les Ohio Players, les Detroit Emeralds et Funkadelic.

Elle embraye sur On The Loose. Un fantastique portrait d’elle cadré serré orne la pochette. Ses yeux noisette se plantent dans les vôtres et deux petites rides encadrent une bouche rieuse. Une autre photo d’elle orne le verso de la pochette, mais en pied. Denise a de l’embonpoint, comme Ree à la même époque, mais à part Laura Lee et Madeline Bell, a-t-on déjà vu une Soul Sister maigre comme un clou ? Non, évidemment. Cet album tient lui aussi par la force des singles qu’on y retrouve, à commencer par «A Man Size Job», énorme groove popotin. Denise ne rigole pas avec le popotin, c’est son truc. Elle sait manier le beat. Elle passe au funk avec «What It Takes To Get A Good Woman» et nous plonge dans l’heavy Memphis Sound, c’est digne de Stax et claqué aux riffs de fonk. Avec «Harper Valley PTA», un hit de Jeannie C. Riley signé Tom T. Hall, Denise passe à la country pop de Soul, et elle manie ça en experte, elle tient bien la distance, un peu à la manière de Dylan. Franchement, elle excelle dans tous les genres, comme on le voit avec «What Am I Doing Wrong», grosse compo d’elle qui sonne comme du pathos anglais et qu’elle reprend en retour de manivelle wha-wah. Elle injecte un gros shoot de gospel batch dans «Breaking Up Somebody’s Home». Elle chouchoute sa Soul à outrance et n’en finit plus de rivaliser de grandeur pulmonaire avec Ree. On trouve d’autres merveilles en B, notamment ce «Your Man And Your Best Friend» qui groove joliment sous le boisseau et «I’m Over You», sublime slowah sevré de gospel choir experience, qu’elle prend aux accents de féminité chaleureuse. Elle finit avec un nouvel archétype du heavy groove de Memphis Sound, «I’m Satisfied». Les gens d’Hi savent sortir un son : accents funky, guitares subtiles, oui, Mabon Hodges joue comme un dieu.

Dernier album sur Westbound : Here I Am Again. Belle photo de pochette. Celle qui orne la pochette de la compile Westbound pré-citée provient de la même session : Denise est tout simplement radieuse, superbement coiffée. Elle porte une robe rouge très décolletée et croise les bras, comme si elle se sentait nue. Le morceau titre sonne un peu diskö de charme, mais Denise règne sur la terre comme au ciel. Elle fait tout simplement de la Southern Diskö, comme en font de leur côté Millie Jackson et Candi Staton. Et puis elle revient à sa chère démesure avec «Share Your Man With Me», monté sur un beat bien épais, et joué comme dans un rêve. C’est du Aretha, mais estampillé Deep South. Denise chante ça à la retenue, et God, c’est épouvantablement bon ! Elle reste dans la Soul de r’n’b à la Aretha avec «I Wanna Do What’s On Your Mind». Elle tartine sa Soul avec un persévérance qui en dit long sur sa soif de vivre. En B, elle explose tout avec «My Brand On You», elle chante ça à la Denise Westbound, et croyez-moi, ça ne court pas les rues. C’est un hit de juke à l’état le plus pur. Et elle entame sa carrière de rappeuse avec l’excellent «Anytime Is The Right Time» - Some folks say/ The night time is the night time - Mais Denise affirme que c’est tout le temps le right time. Le right time de quoi ? Mais de baiser, bien sûr. Au cas où on ne l’aurait pas encore compris Denise est du cul, c’est-à-dire dans la vie. Elle soutient sa thèse avec une puissance hallucinante. Les mecs qui lui tombaient dans les bras avaient intérêt à assurer. Elle finit avec l’excellent jump d’«Hit And Run». Elle finit souvent ses albums en beauté. Ahhh Denise...

On entre avec Second Breath dans la période ABC/MCA. Il ne faut surtout pas cracher dessus, car même marqués par l’époque, ces albums tiennent sacrément bien la route. Aretha et d’autres grandes Soul Sisters sont aussi passées par là, et elles ont réussi l’exploit de rester dignes, grâce à leur génie vocal. Le ton des pochettes change aussi, Denise devient une sorte une reine de la nuit, plantureuse et sexy, mais jamais vulgaire. Elle chante essentiellement le cul et la drague, c’est-à-dire la vraie vie. Elle compose quasiment tout ce qu’elle chante et n’en finit plus d’accumuler des hits. Tiens, par exemple, «Freedom To Express Yourself» : elle y rappe son diskö beat. En tant que grande dame, elle peut se permettre toutes les fantaisies. Shake your booty, alors oui, mais avec elle. Elle enchaîne avec un hit de r’n’b intitulé «Get Your Lie Straight». C’est admirable de puissance charnue. Elle chante ça à pleine voix et ne supporte pas les mensonges. Elle revient toujours à son fantastique appétit de r’n’b, comme si elle voulait se montrer invaincue sur ce terrain. Dans «Sweet Soul», elle le prévient, get ready, caus’ I’m comin’ through you. Et voilà qu’elle repart sur un groove violonneux à la Marvin Gaye, «I’m Back To Collect» ferait bander un mort, elle shoote des harmoniques de What’s Goin’ On dans sa diskö de charme. C’est une fois encore admirable de tenue, joué et chanté au maximum de toutes les possibilités du genre. Elle démarre sa B en force avec «I Get What I Want», un extraordinaire shoot de r’n’b heureux de vivre, élégant et libre, un r’n’b qui circule dans les rues d’une ville lumière à l’âge d’or de la vie. Avec le morceau titre, elle prévient son mec qu’elle a trouvé le second souffle - I’ve got a brand new style/ Oooh I’m brand new baby - Elle est fantastique. Dans «Hell Fire Loving», elle affirme qu’elle peut réveiller un mort et pomper un jeune garçon a sec. Elle est tellement investie dans son art qu’on la croit sur parole. La voilà épuisée dans «Sit Down And Hurt Awhile». Elle n’a plus de forces - Let me sit down/ I just don’t believe I can make it baby - Elle souffre trop. C’est vrai, on devient dingue quand on souffre trop. Et elle termine cet album effarant avec une country-song de Soul fabuleusement inspirée, «Two Empty Arms».

La voilà au bord de sa piscine pour The Bitch Is Bad. Cet album vaut le détour, ne serait-ce que pour les quatre vénérables énormités qui s’y prélassent. Tiens, on commence avec «Fool Me Good», un groove à la Marvin - Aw sugar/ Just fool me good - Elle règne sans partage sur l’empire du groove de pool. Et en B, elle enchaîne trois super-monsters : «Move Your Body», «A Love Magician» et «One Life To Live». Avec le premier, elle tape dans le meilleur diskö-funk de l’époque. Elle fait de chacun de ses albums un véritable événement, c’est bourré de son et de classe black. Quel cut de fonk, rien ne peut la freiner ! Love Magician est du big ball sound à la Aretha - Aah he works magic/ Magic with my body - Et le troisième vaut pour un slowah séculaire, elle s’y élève comme Aratha, à la seul force de sa glotte d’acier. Et puis elle revient au pur sexe dégoulinant avec «Love Me Right». Elle y prend son pied, mmmmm.

Under The Influence paraît sous une pochette de satin mauve. Cette fois, elle enregistre chez Ardent, à Memphis. Elle démarre l’A en trombe avec «Party», gros shoot de diskö-funk. Denise gère ça bien, elle pousse des cris de relance et derrière, les Hot Buttered Soul font des chœurs de rêve - Hey ! - Elle n’en finit plus de relancer, elle épuiserait un régiment de hussards. Quelle énergie ! Avec «Let’s Stay This Way», elle passe au slowah de séduction suprême. Elle propose à son mec de ne rien changer, c’est vrai elle a raison, quand tout va bien, il ne faut toucher à rien. Elle chante comme une femme comblée. Ce n’est pas une vue de l’esprit, ça s’entend. Elle démarre sa B avec «Workin’ Overtime», un groove universaliste balayé par un puissant souffle d’Americana. Elle y aménage de sacrés paysages - You ain’t got nothing left - Son mec travaille tard le soir, il ne bande plus et elle trouva ça bizarre - The same old shit - Peut-on faire confiance à un mec ? Jamais.

La pochette d’Unwrapped présente les défauts de l’époque. Les graphistes manquaient alors d’imagination. On voit une main arracher une peau de zèbre rose et Denise apparaît souriant dans l’ouverture. Le «Think About It» d’ouverture de bal d’A donne le ton : diskö-funk, mais bien rebondi. On y entend d’ailleurs le drive de basse de «Miss You». Il n’y a pas de petits profits dans l’art du pompage. Elle sauve l’A avec l’excellent «Too Little In Common To Be Lovers», un slowah océanique. Elle gère ça aussi bien qu’Aretha, à coups de goodbye baby bien sentis. Elle tape en B une reprise de «Do Ya Think I’m Sexy» sur laquelle on passera, pour cause de mauvais souvenirs et elle termine avec un medley superbe de trois slow-grooves languides. Aw, Denise, que deviendrait-on sans toi ?

La voilà en reine de Broadway sur la pochette d’I’m So Hot. L’album vaut le détour pour une raison principale : le gospel batch de «May The Funk Be With You». En fait, elle fait du gospel batch diskoïdal, aussi puissant que celui de Candi Staton. On trouve aussi deux hits diskö sur l’album, «Try My Love» et «Tear For Fear». Denise se situe au cœur de son époque, et le pire, c’est qu’elle est bonne. En pure cerbère, elle grogne en rythme sur le diskö beat. «Tear For Fear» sonne comme un hit alerte et vivifiant. Impossible de calmer Denise, elle saute sur dance-floor et bouge son cul comme Aretha dans son restaurant. On trouve aussi en B un slowah d’une rare sensualité intitulé «Sometime». C’est incroyablement bien chanté. Elle vire à l’universalisme des I de baby, comme toutes les grandes Soul Sisters de sa génération.

Fin de l’époque MCA avec Guaranteed. Denise n’est pas à son avantage sur la pochette. Comme Aretha, elle est tombée dans les pattes d’une coiffeur qui ne l’a pas arrangée. On trouve un peu de diskö en A, mais comme chante avec une classe renversante, alors on danse avec elle. C’est la moindre des choses. C’est en B que se joue le destin de l’album, et ce dès «Got Myself A Handyman», tapé au bon vieux heavy groove. La voilà de retour sur son vieux terrain de prédilection. Denise adore le beat lorsqu’il est heavy, c’est-à-dire bien gros. Elle enchaîne avec une invitation lubrique, «Make Love To Me One More Time», à laquelle il est difficile de résister. Pas besoin de faire un dessin. On a là un groove bien balancé des reins, admirablement orchestré et soutenu par des chœurs de rêve. C’est d’autant plus torride qu’elle soupire d’aise - Darlinnng... - Voilà encore un cut d’une rare sensualité. Et elle passe sans prévenir au diskö-funk des enfers avec «ERA (Equal Rights Amendment)». Elle fait tout simplement du heavy Funkadelic. Attention, ce n’est pas fini : voilà «I’ll Get You Some Help», une merveille incroyablement dansante, elle y fait un festival, c’est l’un des r’n’b les plus dansants de l’histoire. Elle dégage tellement d’énergie qu’on pourrait qualifier sa Soul d’éruptive, elle s’y montre joyeuse, c’est infernalement bon, dansé jusqu’à l’os du beat, et c’est rien, comparé aux faits réels.

Comme d’autres géants de la Soul, Denise rejoint Malaco en 1983. Bobby Blue Bland, ZZ Hill, Latimore et Johnnie Taylor font partie de ces géants. Malaco incarne un autre âge d’or de la Soul du Deep South, à la suite de Fame, de Stax et d’Hi.

Son premier shoot de Malaco s’appelle A Lady In The Street. Sur la pochette, Denise téléphone. Avec le morceau titre, on entre de plein fouet dans le big Malaco Sound System, soft groove élégant bien équilibré et richement orchestré. On s’en pourlèche les babines. Denise chante comme une vraie pro. Et puis avec «Don’t Mess With My Man», elle avertit la poufiasse qui louche sur son mec - I got news for you babe/ You better check this out - Denise ne plaisante pas avec ce truc-là - I tell you mama/ I can make you all understand - En B, elle tape un «Down Home Blues» au heavy blues de Malaco, coco. Il y met tout son poids, c’est idéal et grandiose. Et avec «Come To Bed», elle propose une invitation au voyage. C’est admirable de deniserie, mais avec de la classe, du satin noir et un parfum discret. Pour attirer le mâle, elle fait sa Marvin.

Elle retrouve sa parure de Diskö Queen pour la pochette de Right Place Right Time. Elle duette avec Latimore sur le morceau titre. Ils se situent dans la veine des duos mythiques de Motown, pas de doute. Avec «He’s Not Avaliable», elle passe au heavy funk des enfers. Admirable fonkah boot de Malaco. Quel son ! Et les filles derrières font : «He’s on the telephone !» Denise n’a pas de pot, elle tombe toujours sur des mecs qui lui bourrent le mou. En B, elle revient au heavy blues avec «Your Husband Is Cheating On Us». Encore une histoire de cul qui tourne mal. Denise s’intéresse beaucoup à la psychologie des hommes - He’s lying/ He’s a cheater - Elle n’est pas tendre avec l’husband - He’s not a good man - Et puis avec «Keep Your Pants On», elle tape dans Sam Dees, mais sur un beat à la Proud Mary très typé Tina. C’est excellent, on a là un joli shoot de rock de Soul cuivré et bardé de chœurs du Deep South, les meilleurs du monde. Elle prend ensuite le heavy groove de «Bump And Grind» au timbre fêlé, avec une diction à la Millie Jackson. Ah, on peut dire qu’elle chauffe sa petite affaire avec un art consommé.

Joli portait de Denise pour la pochette de Love Talkin’. La ressemblance avec l’Aretha d’une certaine époque est frappante. C’est probablement l’un de ses meilleurs albums, avec une B littéralement explosive : elle l’attaque avec le morceau titre, une sorte de groove de rêve éperdu, puissant et lascif, liquide et gorgé de suc - For life honey/ You and me - Elle passe plus loin au heavy stomp de Soul avec «Too Many Lovers», signé George Jackson. Elle nous drive ça à la poigne de fer. Que deviendrait-on sans elle ? Aretha et elle sont nos mères nourricières, ne l’oublions pas. Denise se fond littéralement dans le génie sonique de Malaco. Elle boucle avec «My Tu-Tu», un hit cajun comme pas deux, admirable d’exotisme louisianais et monté sur un beat salvateur. Oh, il faut aussi écouter le «Talkin’ In Your Sleep» qui ouvre le bal de l’A, car c’est un chef-d’œuvre de heavy funk diskoïdal, avec Jimmy Johnson dans les parages. Rien qu’avec cette supercherie, Denise sauve l’honneur des années quatre-vingt. Elle nous propose tout simplement le beat de fer dans un gant de velours, un son dont on n’ose même pas rêver. Elle passe ensuite au heavy Mississippi blues avec «Someone Else Is Steppin’ In», incroyable slab de steppin’ out. Elle reconnaît qu’elle était folle - I was a fool - Il fallait voir de quelle façon il la traitait. Sur cet album, hormis la voix de Denise, il n’y a que du son. Rien que du son.

Pochette plus graphique pour Rain & Fire qui, une fois encore, se présente comme un album classique digne des grandes discothèques. Rien de tel qu’un Southern boogie emmené à tire-d’aile comme «I’m Sho’ Gonna Mess With Yo Man» pour se mettre en appétit. David Hood embarque ça sur un drive de bassmatic élastique et ça vire au festival Muscle Shoals. Au dos, Denise se coiffe comme une lionne, un peu à la Tina. Elle continue de taper dans les compos du légendaire George Jackson avec «What’s Going On In My House». C’est l’avantage d’enregistrer chez Malaco : on y paye George pour composer. Quel fabuleux groove de charme ! Il faut bien dire que TOUTES les compos de George Jackson tapent dans le mille. L’Association Denise/George se situe exactement au même niveau que d’autres associations mythiques du genre Burt/Dionne ou encore Jimmy Webb/Thelma Houston. On est dans le nec plus ultra de l’excellence. Elle récidive en B avec «Dip Bam Thank You Mam», fabuleux groove jacksonien cuivré de frais. Denise l’attaque à l’Aretha et Jimmy Johnson nous barde ça de tortillettes incisives. Elle boucle le bouclard avec «Is He Lovin’ Someone Else Tonight», un slowah magnifico de Malaco coco, joué au petit bonheur la chance du Southerner. Denise nous le distille savamment, au gré du vent chaud qui caresse les fucking champs de coton.

Alors attention, It’s Lying Time Again et Holding Hands With The Blues proposent exactement les mêmes morceaux, et pourtant, c’est sorti sous deux pochettes Malaco différentes. Malaco nous prend pour des gogos ? Hélas oui. Notre géante adorée tape «It’s Lying Time Again» au heavy shuffle de groove. Elle chante ça comme Albert King ou Aretha, avec du raunch plein la bouche. Elle entre dans la caste des imparables. Back to the heavy blues avec «It Makes Me So Mad». Denise n’a aucun souci avec le blues. Elle y va franco de port. Mais ça la rend folle, chaque fois qu’elle le voit dans les parages. Encore du haut de gamme avec «You’ll Never Get Your Hooks On My Man». Tout est bon chez Denise, miam miam. En B, elle tape dans Joe Tex avec «Hold On» et revient à la pop de Soul avec «Love Break». Cette femme nous épuise.

Attention, voilà un album énorme : Hitting Where It Hurts. «Don’t Cry No More» donne le ton : joyeux et quasi-calypso. On note la belle santé du beat raffiné. C’est tout simplement un fantastique hit de r’n’b monté sur un riff hypnotique. Elle rend un hommage somptueux à Sam Cooke avec une version musclée de «Bring It On Home To me». Elle fait le choix audacieux d’un beat grrovy et ce n’est pas la dernière fois qu’elle nous fait le coup. En B, elle revient à George avec «Eee Tee», comme si elle voulait passer aux choses sérieuses. C’est joyeux, solide et bon comme le pain chaud du petit matin - My man loves me/ He loves me from his heart/ Yes he does - C’est un énorme standard de r’n’b. Encore un fantastique hit de r’n’b avec «If You Don’t Do Me Right», joliment dansant et ultra-orchestré. Denise a du pot, elle a derrière elle tous les cocos de Malaco. Le «See Saw» qui suit n’est pas le hit connu, mais une pop atmosphérique si bien chantée qu’on dit amen. Elle revient à George avec «You Gotta Pay To Play» : solide, en place, chœurs de rêve, nous voilà au faite du Deep Southern Soul System.

La pochette de Still Trapped est un peu difficile. Denise n’y est pas à son avantage. Comme Aretha, elle est passée chez un coiffeur de traves. Mais l’album est superbe. On y retrouve toute l’équipe de Muscle Shoals, David Hood, Jimmy Johnson et Roger Hawkins, avec George Jackson qui fait des backings sur «Wet Match». Franchement, que peut-on espérer de mieux ? Avec «Trapped 1990», on glisse dans le plus admirable des slow-grooves. Dorothy Moore chante derrière. On a là une fantastique épopée sensorielle. Denise fait ce qu’elle veut des lapins blancs, de toute façon. Elle les emmène avec «Paper Thin» dans le meilleur beat de slowah de Malaco et rallume les lampions pour un coup de jerk intitulé «Chain Letter». Elle nous rappe ça au talking blues et part en funk de Soul avec toute la puissance des Temptations. Fascinant ! En B, dans «I’m Loved», elle s’extasie sur le fait d’être aimée, et elle a raison, car ça sonne juste. «Kiss It» est beaucoup plus diskoïdal, mais elle fait des folies de son corps. C’est une femme libérée, une extraordinaire rosace effervescente. Et soudain, voilà qu’elle tape dans Al Green avec «Love And Happiness». Cette merveilleuse pêcheresse greene bien son groove, elle en fait un groove de rêve écarlate joué sous le boisseau ardent du dieu des blancs qui n’a rien compris aux blacks. C’est battu au beat d’Al, une merveille d’équilibre et d’intelligence humaine et cette diablesse se fond dans un océan de crème au chocolat.

Sur Love Me Right, on trouve une nouvelle énormité signée Jackson : «Fast Hands And Dirty Mind». Encore un fabuleux groove de r’n’b emmené à fière allure. Tout aussi jouissif, voilà «Don’t Jump My Pony». Elle montre une fois encore qu’elle sait driver un beat dans le bon sens. Il ne faut pas lui raconter d’histoires, Denise n’est pas née de la dernière pluie. Les cocos de Muscle Shoals sont encore là, garants du meilleur son local. Un son si parfait qu’il est impossible de s’en lasser. Et Denise continue de chanter comme l’une des plus grandes Soul Sisters d’Amérique. Elle revient à son cher George avec «Don’t Pick It Up». Qui saura dire la classe des cuts de George Jackson ? Hein qui ? C’est d’une élégance qui bat tous les records. Une élégance pulpeuse, pulsée des reins, good timey - If you can’t carry it babe - «Ahhhh comme elle bonne !» (dit avec l’emphase crapuleuse de Jean-Pierre Marielle dans Les Galettes de Pont-Aven, cette fabuleuse ode à la vraie vie). Avec «Love Me Right», il est clair que Denise sort sa meilleure compo pour honorer les dieux de la Soul. Oui, il existe forcément des dieux de la Soul, sinon comment pourrait-on expliquer l’existence d’une femme aussi douée que Denise LaSalle ? En B, elle revient à George avec l’excellent «Too Many Hungry Mouths Around The Table», un heavy grrove d’une importance considérable. Elle maintient le cap du très grand album avec «You Can’t Get Nothin’ Straight Between Us». C’est très impressionnant. Trop de qualité ? Il faut juste se contenter d’écouter et surtout ne pas se poser de questions ou ramener des formules dont raffolent les cons, du genre «trop de qualité tue la qualité».

Avec Trapped, on entre dans ce que les disquaires appellent les tardifs. Denise approche de la soixantaine, mais elle ne faiblit pas. Elle retape dans son vieux hit «Trapped By A Thing Called Love», dans une ambiance à la Bobby Bland. Elle tape ça au talking blues et les gens applaudissent. Sacré public ! Les gens l’adorent. Elle fait sa Millie Jackson. Alors elle chauffe la salle et les gens exultent. Avec «I Was Telling Him About You», elle renoue avec l’excellence du groove, mais au-delà de toute espérance. Elle retape dans le vieux «Hold On» de Joe Tex en mode gospel batch et revient au heavy groove de génie avec «You Gotta Pay To Play». Hit signé George Jackson, alors no problemo. C’est immensément bon, claqué au dessus de la surface du r’n’b, subtil mélange de fonk, de Soul et de heavy groove bien monté en température. Elle accepte tout, le cash, American Express & co. Elle tape dans Sam Cooke avec «Bring It On Home To Me» en mode funky. Étonnant parti-pris. Elle rend hommage au père fondateur à sa façon. Elle revient à George avec «Too Many Lovers» et elle l’arrache du sol d’entrée de jeu. Avec George, on ne rigole plus. Voilà un hit de r’n’b assez fondamental. Denise le charge au maximum des possibilités, elle y va au guttural de chef de guerre, elle croit en George, alors ça se transforme en hit séculaire.

Dernier coup de Malaco avec Smokin’ In Bed. Denise est dans son lit. Attention, c’est chaudard ! À commencer par «Never Been Touched Like This». Elle rappe. Elle mah-mahte sur fond de groove technologique. Le pire, c’est que ça marche, ça accroche comme un hameçon dans la gorge d’une carpe qui ne demandait rien à personne. Ce groove ensorcelle - I love what you do baby - L’autre énormité nichée sur cet album s’appelle «The Night He Called It A Day», slab de pop rock de juke à la Dionne Warwick. Denise est une aubaine pour l’humanité, mais visiblement, l’humanité n’est pas au courant. Elle chante à la seule force de sa féminité talentueuse. Dès qu’elle tape dans les grosses compos, elle s’élève merveilleusement. Le morceau titre reste du pur jus de Malaco. Derrière Denise, les filles envoient la purée habituelle. Ça groove sec à Jackson, Mississippi - My man is smoking in bed - Tout un programme. Pas question de rater ça. Retour à George avec «Blues Party Tonight» - Tell BB King don’t forget to bring new kicks/ It’s gonna be alrite tonite/ At the blues party tonite - Elle cite aussi Johnnie Taylor et Bobby Rush, wow ! Et Little Walter ! Elle revient au gospel batch avec «Goin’ Through Changes». Elle se sert du gospel pour laver tous ses péchés. C’est de bonne guerre. Au temps de Corneille, on se battait pour moins que ça. Et puis il faut l’entendre éclater «Why Am I Missing You» au firmament des slowahs. Elle travaille bien son groove au corps et cette diablesse tape dans le mille à chaque fois. On dirait qu’elle a fait ça toute sa vie.

Beau portait de Denise sur la pochette de Still The Queen. Denise pourrait se contenter d’avoir du charme, mais elle continue de chanter comme une Soul Sister de très haut rang, et ce dès le morceau titre d’ouverture de bal. Fabuleux shoot de funk ! Elle écrase tout sur son passage, impérieuse, the queen is back ! Well give it up baby ! Elle n’a pas besoin de réclamer sa couronne. Elle enchaîne avec un slowah enchanté, «Dirty Freaky Man». Il semble parfois que dans les carrières des grands artistes black, les tardifs soient les meilleurs. En tous les cas, ça se vérifie avec Gladys Knight, Aretha et Denise. Back to the hot r’n’b avec «You Should Have Kept It In The Bedroom». Il y a là de quoi réveiller tous les morts du Chemin des Dames et que quoi recoller le bras coupé de Blaise Cendrars. Fantastique énergie, Blaise et Denise même combat ! C’est rythmé aux clap-hands. Quel festin ! Elle rejoue la carte fatale du heavy blues avec «What Kind Of Man Is This». Elle chante à outrance. Tiens, encore un violent slab de slut de r’n’b : «Funky Blues Kind Of Mood». Effarant de grandeur apoplectique, on est dans la cour des grands de Memphis, man ! Elle nous roule ça dans sa farine, la meilleure du comté. Elle chauffe à coups répétés de guttural et attaque tous ses couplets à la syllabe vibrée. Elle est admirable de A à Z et quand on écoute «Who Needs You», on se dit : «Ah comme les choristes sont bonnes !». Elles réchauffent bien le cœur de Denise. Elle chante comme une reine éternelle. Retour à George avec «In A Midnight Mood In The Middle Of The Day». Heavy groove d’ooh baby. Il plane sur ce cut un sacré parfum de légende. Denise semble surfer sur une vague d’argent et c’est pouetté au bassmatic. Elle termine avec le gospel de la séparation, «There’s No Separation». Elle s’engage politiquement - There’s no separation of church and the state - Diable, comme les Américains peuvent être vieux jeu.

Il semble que Pay Before You Pump soit le dernier album qu’elle ait enregistré. Pochette un peu vulgaire, mais les chansons elles ne le sont pas. On est tout de suite effaré par la puissance du beat. On la voit avaler le beat d’«It’s Goin’ Down» et passer à la pire heavyness avec «I Need A Working Man». Heavy as hell ! Elle est tout simplement démente, elle crée une fournaise sous le boisseau et semble réinventer la heavy Soul, elle drive le beat, c’est admirable de démesure, elle chauffe son cut avec toute la puissance d’une reine antique, tout à la poigne de fer. S’ensuit un fantastique schloof de boogie blues, «Mississippi Woman». Elle rend hommage au dieu Hooky, c’est joué au boogie blast d’accord traînard. Et voilà un cut idéal pour les apéros qui dégénèrent : «Hell Sent Me You». Ça glisse vers le dance-floor, La reine a pris un coup de vieux, mais elle reste géniale. Elle explose même le dance-floor. C’est d’une santé insolente, avec un groove orchestré aux marimbas. Elle revient au heavy blues avec «Walking On Beale Street And Crying», elle walk up and down looking after BB King et revient danser avec «I’m Hanging On». Cette diablesse bat absolument tous les records de cordialité, elle nous sort là un coup de pop joyeuse et elle pousse des cris. Elle fait sa mère maquerelle de club avec «I Tried» et il faut se dépêcher d’en profiter, car après c’est fini. Il ne reste plus que les asticots.

Signé : Cazengler, Denis le sale

Denise LeSalle. Disparue le 8 janvier 2018.

Denise LaSalle. Trapped By A Thing Called Love. Westbound Records 1972

Denise LaSalle. On The Loose. Westbound Records 1972

Denise LaSalle. Here I Am Again. Westbound Records 1975

Denise LaSalle. Second Breath. ABC Records 1976

Denise LaSalle. The Bitch Is Bad. ABC Records 1977

Denise LaSalle. Under The Influence. ABC Records 1978

Denise LaSalle. Unwrapped. MCA Records 1979

Denise LaSalle. I’m So Hot. MCA Records 1980

Denise LaSalle & Satisfaction. Guaranteed. MCA Records 1981

Denise LaSalle. A Lady In The Street. Malaco Records 1983

Denise LaSalle. Right Place Right Time. Malaco Records 1984

Denise LaSalle. Love Talkin’. Malaco Records 1985 (= My Toot Toot)

Denise LaSalle. Rain & Fire. Malaco Records 1986

Denise LaSalle. It’s Lying Time Again. Malaco Records 1987

Denise LaSalle. Holding Hands With The Blues. Malaco Records 1987

Denise LaSalle. Hitting Where It Hurts. Malaco Records 1988

Denise LaSalle. Still Trapped. Malaco Records 1990

Denise LaSalle. Love Me Right. Malaco Records 1992

Denise LaSalle. Trapped. 601 Music 1997

Denise LaSalle. Smokin’ In Bed. Malaco Records 1997

Denise LaSalle. Still The Queen. Ecko Records 2002

Denise LaSalle. Pay Before You Pump. Ecko Records 2007

Denise LaSalle. A Good Thing Better. The Complete Westbound Singles 1970-1976. Westbound 2013

 

PARIS / 06 – 03 – 2018

LE QUARTIER GENERAL

THOUSAND WATT BURN

OSCIL

 

Sur le sentier de la guerre rock il ne faut pas s'étonner si l'on se retrouve au Quartier Général, ameublement spartiate, peu de chaises, quelques tables, de rares banquettes, par contre luxe suprême en temps de grand froid, un fumoir à l'étage inférieur, peu commode pour écouter les groupes, public nombreux pour un lundi soir, massé devant la scène. Trois combos de mecs avec à chaque fois, une fille en tête de file. Vous n'en verrez que deux, la brune et la blonde.

 

THOUSAND WATT BURN

Suis venu pour eux, et me voici en pleine crise d'angoisse, si jeune et déjà rattrapé par le syndrome d'Alzheimer, j'aurais juré qu'ils étaient trois comme les Mousquetaires, j'ai beau compté sur mes doigts et me frotter les yeux, les voici quatre comme les Cavaliers de l'Apocalypse. J'ai trouvé l'intrus, je livre son nom aux services de renseignements, Will, et je complète la fiche : bassiste de son état. Voici donc notre trio transformé en quatuor, depuis à peine un mois, puis-je révéler. Mais taisez-vous, la cérémonie peut commencer.

Elle – la grande prêtresse noire – effleure d'un geste lent son bol tibétain, la batterie émet quelques râles à croire qu'elle entre en agonie, et derrière un froissement majestueux de guitare prend son jeu. Surviennent les notes noires et profondes de la basse et la musique gonfle comme un cobra royal qui se dresse de toute sa hauteur. Une vibration tellurique emplit la salle et se déploie tel un cauchemar maléfique.

Immobile, debout devant le micro, en une pose hiératique, sorcière dans une ample robe de bure noire, sa longue chevelure noire qui fait office de lourde écharpe, et ses lunettes aux grands verres aussi larges que deux pleines lunes de nuit de sabbat goethéen. Et la nuit tombe sur le monde. Elle hurle et les monstres froids et gluants de la démence et des terreurs folles quittent leurs sombres cavernes originelles. Viols de vampires, strettes de strénogoïs et vols erratiques de ptérodactyles efflanqués dans les aubes livides.

Un chant d'opéra, qui porte en lui décors d'effrois, rideaux de peur et coulisses de terreur. Plus qu'un chant, de longs spasmes doomiques, qu'elle extirpe du fond de sa gorge, qu'elle libère d'on ne sait quels cachots souterrains, elle n'est déjà plus elle, elle tape du pied, d'un mouvement pratiquement instinctif, une espèce de défense auto-réflexive du corps qui se défait, expulse et exile de telles horreurs innommables. Une attitude qui sans en être une copie n'est pas sans rappeler la tenue de Janis Joplin sur scène. Mais les temps ne sont pas les mêmes, régnait alors une atmosphère de fête libératrice... notre époque ressemble davantage aux âges noirs du Kali Yuga dans lequel l'éternité n'a plus de futur.

Lorsqu'elle s'arrête – vous savez ces profondes inspirations toute pantelantes entre deux vomissements – l'on prête attention à l'orchestre qui tisse écrins de somptueux requiems, brocarts de noirceurs, linceuls d'agonie, et suaires de goules sanglantes. Musique lourde moins striée des stridences de la guitare car funébrélisée des rondeurs de la basse. Atmosphère de châteaux en ruines ensevelis sous les frondaisons de chênes multi-séculaires aux branches tordus comme des corps de suppliciés. Et la voix reprend comme immenses et vastes lames de larmes qui se brisent sur de désastreux récifs. Une houle immense qui s'avance, emporte tout, détruit tout. Sans rémission.

Thousand Watt Burn, brûle tout sur son passage, un feu glacé, une fournaise froide comme l'enfer de vos meilleures intentions. Neige carbonique. Mais notre prophétesse s'accroche au micro pour lancer les imprécations ultimes, vingt fois elle reprend le combat, comme possédée d'une étrange transe envoûtante.

Et le rituel sacré s'achève. Quelque part une pierre de la pyramide du monde se lézarde... le public qui acclame et félicite ne le sait pas encore. Il vaut mieux pour lui.

 

OSCIL

Elle porte un perfecto et une robe pied-de-poule flashy-chic, quand je suis arrivé et que je l'ai aperçue je n'ai pas deviné qu'elle était dans un groupe, trop classe avec ses cheveux mi-longs qui encadrait ses yeux bleus – légendaire flair de rocker en faillite – mais quand elle a quitté son perfecto et gardé sa robe – hélas, pas l'inverse - pour se poster devant le micro l'a bien fallu me rendre à l'évidence. J'avoue que j'ai lamentablement séché sur le premier morceau, incapable de dire de quoi il s'agissait, pas vraiment du rock, pas vraiment autre chose, le deuxième était un plus net. Les trois zigotos à ses côtés commençaient à s'en prendre à leur instrument de belle manière, des pointures à leurs façons. Remarquez que sur le moment, j'ai éprouvé un énorme regret, celui de ne pas avoir les pleins pouvoirs divins et de disposer une section de cuivres autour d'Ingrid. Elle a de la voix, l'en fait un peu ce qu'elle veut, la flexibilise, la pirouettise, l'attise, la jazzise et la rytm'n'bluise, à sa guise. Oscil oscillerait-il entre plusieurs genres ?

Ben non, z'ont fini par trouver leur voie. Z'avaient dèjà la voix alors se sont resserrés sur elle, les musicos ont tissé un back-ground aussi touffu que la jungle de Bornéo, se sont amusés à un jeu cruel dangereux, une note de trop et le tigre de la batterie lui tomberait dessus comme un python qui se laisse couler de la cime d'un baobab sur sa victime, un demi-bémol erratique et la guitare-tigre lui arracherait une jambes ou un bras, un fa-dièse en moins et la basse orang-dégoûtant s'apprêterait à lui-faire subir les derniers outrages, vous ne pouviez que prendre en pitié et pleurer sur le sort funeste réservée à cette petite-fille confrontée à de tels défis, sans droit à l'erreur, perdue à tout jamais.

Deuxième erreur de la soirée. Ingrid aussi à l'aise au milieu de cette bande de malappris que sur sa chaise-longue au bord de la piscine, ah ! les méchantes bébêtes voulaient s'amuser, elle allait leur montrer qu'elle était la plus futée de la futaie. On croyait l'avoir entendue chanter, ce n'était qu'une illusion, disons qu'elle chantonnait, qu'elle fredonnait, qu'elle flûtait ( une demi-baguette ) et brusquement de sa petite robe à motifs émotifs gris et blanc, elle a sorti son organe, une voix de lionne à qui vous venez de tuer son petit, z'avez intérêt à courir vite et à ne pas vous retourner, et les trois musicos ont compris que leur vie en dépendait, vous auriez vu le concours de vitesse, Flo qui drumait sur sa batterie comme s'il descendait les pentes vertigineuses de l'Anapurna en ski, l'on ne voyait que ses bâtons qui tournoyaient autour de ses bras, Vince, sa barbe emmêlée dans les cordes de sa guitare, vous dégoupillait les riffs à la manière d'un ouvreur d'huîtres un soir de Noël, trente quatre notes à la seconde, et Aubry qui malaxait sa basse tel un catcheur en train de jeter sur le public les boyaux de son adversaire qu'il vient d'étriper vivant sur le ring. Un sauve-qui-peut généralisé, mais en un ordre parfait, se talonnaient certes, mais jamais sans se marcher dessus. Un ballet sonore réglé au centième de millimètre, et Ingrid qui n'arrête pas de clamer toute sa féminine hargne, qui vous claque de sa voix de bronze et vous barbaque la chabraque de son gosier d'airain. Le public suit en hurlant et en applaudissant.

Z'ont bien tenu une heure à ce rythme-là. Z'ont aligné des syncopes d'un funk-rock-jungle du meilleur bois précieux dont ils se chauffent, et puis se sont arrêtés, tout sourires, Ingrid aussi fraîche qu'un gardon dans les eaux froides d'un torrent de montagne, nous a remerciés d'une voix toute fine, est descendue de la scène pour se saisir de son perfecto. Le style.

 

FIN IMPROMPTUE

Il y a bien un troisième groupe sur l'affiche. Crash Mighty, se sont dépêchés d'investir la scène dès le set des Oscils achevé. Mais je n'en parlerai pas. Ce n'est pas que je les hais, ce n'est pas que je les ai déjà chroniqués dans la livraison 357 du 18 / 01 / 2018, simplement que j'ai détalé au plus vite comme un caribou à bout d'abus, c'est que voyez-vous les Rockers sont de dangereux oiseaux de proie qui partent en chasse dès que la noirceur de la nuit s'étend sur le monde, peut-être un jour vous raconterais-je, si vous êtes sages, la suite de mes nyctalopiques errances fastueuses dans les ténèbres du Mal, en attendant remettez-vous Thousand Watt Burn, pour calmer vos impatiences.

Damie Chad

 

THOUSAND WATT BURN

 

Attention artefact. Objectif objet réalisé. Avis à la tribu des collectionneurs collectant les collectors, existe en deux teintes, pourtour de la pochette en bistre ou en bleu. Aucune indication de noms, de lieu, de titres, de dates hormis l'image. Rond blanc, comme masque funéraire cambodgien, cerclé de noir, avers du disque d'un noir de cercueil, là aussi, nulle inscription.

 

Je ne résiste pas à vous le re-chroniquer ( voir la livraison 358 du 25 / 01 / 2018 ), mêmes titres non indiqués. My Darling : transportés en trois coups de batterie dans une autre dimension, une guitare cathédrale et une voix de voûte grégorienne qui vous prend à la gorge avant de se mettre à marouler comme un chat abandonné sur un toit brûlant, plus tard elle feule et râle et même quand elle murmure vous avez la chair de poule. Eblouissance terminale, avec une pression orchestrale énorme qui annonce le train suivant. Come to me : lancé à toute vitesse, fait la course avec le Dirigeable, la guitare fonce mais c'est la voix qui emporte le convoi. Un beau cyclone de cymbales pour accompagner le roulement. Ah ! ce your mind miaulé à mort, mais qu'est-ce qu'elle veut, lui bouffer l'âme toute crue ? She loves a girl : ( moi aussi, mais ce n'est pas pareil, toutefois pas plus naturel quand on y pense ) Bon pas le temps de philosopher, c'est reparti comme en quatorze, z'ont apparemment une tranchée à prendre, arrêt brutal, plus personne à tuer. C'est dommage. Listen : un vieux fond de blues kramé au kérosène, musique au lance-flamme et voix en tapis de bombes. N'oublient même pas la fumée qui sourd des ruines, pour la fin vous avez l'impression qu'un troupeau de mille éléphants s'avance sur vous dans la manifeste intention de vous écrabouiller et de vous réduire en huile de palme pour la confection des pots de nutella. Les enfants adoreront. C'est comme cela que l'on fabrique les asociaux, les inadaptés, et les légions de révoltés.

Damie Chad.

 

*

* *

Journée de la femme, leitmotiv peu wagnérien en boucle sur les média, si les dieux du rock existent, ils vont nous balayer toutes ces simagrées institutionnelles en un tour de main, nous passer le torchon et la serpillère javellisée sur toutes ces rodomontades hypocrites... Bien sûr que du haut de leur Olympe ils veillent au grain, et rétablissent l'équilibre paritaire, la nouvelle tombe sur les téléscripteurs en plein après-midi, ils nous envoient ce soir :

 

08 – 03 – 2018

,à FONTAINEBLEAU, au GLASGOW,

THE SPUNYBOYS

 

trois des gars des plus juteux et des plus gouteux du rock'n'roll. Marteau sur l'enclume, c'est la vingtième fois qu'ils viennent semer l'orage et la foudre dans le pub bellifontain, est-il nécessaire de préciser que le public a répondu en masse à l'appel sauvage, the Call of the wild pour parler comme Jack London. Dans le fond à gauche, si vous vous penchez bien, vous reconnaîtrez les silhouettes de Sergio Kahz et de Maryse Lecoultre en mission secrète pour Rockabilly Generation News, à ses côtés ce blouson rouge appartient à Bryan Kazh, jeune pousse du rockabilly dont nous reparlerons bientôt.

 

Sont là, Rémy arborant sa monstrueuse banane – monument capillaire qui devrait être classé par l'Unesco en tant qu'insigne culturel d'exception - et son sourire charmeur, Guillaume le visage cisaillé de ses favoris angulaires qui sont de véritables accroche-coeurs féminins, et Eddie. Qui nous la joue rock and roll star. Absent. Et la foule, tassée comme grains de sucre dans un stick, qui scande son nom sur l'air des lampions, surexcitée. Le voici enfin qui descend négligemment les escaliers, grand seigneur qui rejoint ses gens - valetaille adorante, damoiselles émoustillées, et piqueurs rockers impatients de courir après le gibier de la grande chasse que tout le monde pressent royale.

Ecouter les Spunyboys vous renvoie à votre incomplétude humaine. Il vous manque une oreille. Car ils sont trois et vous n'en possédez que deux. Que voulez-vous nul n'est parfait. Prenons un exemple au hasard : les Spunyboys, justement ils sont là devant nous. Ne sont pas comme les autres groupes de rockab. Chez eux il n'y a pas d'espace. Même pas courbe comme chez Einstein. Sont du genre, premier atome d'hydrogène avant le big band. Concentrés à l'extrême. Chant, contrebasse, batterie, guitare, ne forment qu'un. La sphère parménidienne par excellence. Vous n'y rentreriez pas un grain de poussière. Alors avec vos deux pavillons éléphantesques ( éléphantasques si vous préférez, barrez la mention inutile ) vous repasserez. Les autres groupes, reste toujours un interstice, une fissure à lézard, un trou de souris, une niche à chien, une grotte à ours, une balzacienne rue du chat-qui-pêche, que sais-je ! bref assez d'espace pour que vos deux tympans puissent se promener à l'aise dans toutes les directions et isoler les instruments un à un, suivre celui-ci, vous obnubiler sur celui-là, vous détourner de ce dernier, mais avec les Spuny, vous pouvez prêter l'ouïe tant que vous voulez, ils ne vous la rendront pas. Mélange homogène.

Inutile de vous lamenter car écouter les Spuny c'est accéder à une plénitude musicale extatique. Pas de quoi glisser un feuillet à cigarettes ( ou à autre chose ) mais en contrepartie, vous les entendez tous les quatre. Sont trois mais comme dans les grandes surfaces vous en achetez trois – profitez-en ce soir l'entrée est libre – et vous en avez un quatrième gratis. Des malins, des vicieux. Même quand ils donnent toute la gomme, tous ensemble, ils se ménagent une place de stationnement à usage exclusif. Pas grand-chose, même pas trois secondes, ici c'est Guillaume qui rattelle sa batterie, z'avez l'impression qu'il jette trois cadavres dans une fosse commune ( et vous aimez cela ), là c'est Eddie qui vous électrifie les parties génitale à la gégenne vincent, maintenant c'est Rémi qui vous frictionne l'épiderme avec la pommade empoisonnée de sa voix, et le voici encore qui arrête si brusquement de tirer sur les cordes de sa contrebasse que vous sentez votre cœur s'arrêter. Ad vitam quasi aeternam !

Et pas besoin d'être un amateur chevronné de rockabilly pour ressentir cela. Le public du Glassgow est à majorité festive. De la bonne musique qui envoie, ne demande pas plus. Ne dissèque pas son plaisir. Les boys savent y faire. Vous renvoient la pression à cent à l'heure. Quelques mots suffisent à Rémi pour créer la grande connivence des grands soirs. N'a pas un grand espace pour faire tourner sa contrebasse comme les ailes des moulins de Don Quichotte, n'en fait pas pour autant le cachotier, y grimpe dessus, matelot de vigie hissant l'étendard sémaphorique de son corps, la pose du Christ mis en croix qui se démène de bien peu pieuse manière, la foule se referme sur lui lorsqu'il s'allonge de tout son long sur les éclisses, tout en continuant à jouer avec autant de justesse que le premier violon du Berliner Orkestra. Quoiqu'il nous faille reconnaître qu'il y met davantage de fougue délirante que de grave componction.

Eddie fait l'unanimité. Contre sa chemise. Personne n'échangerait la sienne avec son chiffon blanc. Par contre, il vous fait de telles sérénades – flor de cuchillo – disait Federico Lorca en su cancion del jinete, que votre petite soeur adorerait qu'il vienne nous donner aubade tous les soirs sous son balcon, pour la discrétion, ne pas compter sur lui, vous délivre de ces giclées spermatoïzidales de notes à faire rougir un archevêque. Guillaume ne reste pas en reste. Le plus grand cogneur de grosse caisse de toute l'Europe. Vous fricasse un boom-boom en introduction comme s'il bazardait deux bombes atomiques sur la maison d'un voisin qu'il n'aime pas, suivies de ce bruit qui ne ressemble à rien mais reconnaissable entre mille, cette espèce de brève rumination métallique de cloche de vache dont vous entrechoquez les cornes pour en tirer des étincelles.

Deux sets. Le premier de folie. Le second de furieux. Les gens qui dansent partout, des sommets éblouissants, Teddy Boy Rock'n'roll l'hymne ted par excellence, le I'm down d'Esquerita – comment oublier l'envolée little richardienne de Rémi - plié pile à la démesure du phrasé syncopalement ultra rapide des Spuny, un véritable travail d'artiste. Un Important Words de Gene Vincent dynamité de fond en comble sans rien perdre de l'authentique tristesse originelle, et plus tard cette série de jumpin'countries, cowboys, saloons et winchesters crépitantes...

Quittons les spuny acclamés comme des héros, entourés de filles extatiques, rock'n'roll quoi !

Damie Chad.

10 / 03 / 2018

COUILLY-PONT-AUX-DAMES

LOCAL METALLIC MACHINEs

KING BISCUIT TIME

 

Toujours m'esbaudit le body de courir à Couilly-Pont-Aux-Dames, à ma connaissance il n'est pas une autre localité hexagonale qui ait réussi à exprimer en sa brève appellation l'attrait sexuel qui aimante l'hominidé mâle à s'irrésistiblement porter vers l'hominienne femelle. J'arrête mes salades salaces, toutefois quoi de plus naturel que je givre de jive grivois quand arrive le temps de tremper son biscuit dans l'origine du monde bleu.

 

KING BISCUIT TIME

Cuite et recuite à la sauce au bleu, la plus vieille émission hebdomadaire de blues du monde. Première gigue en direct sur les ondes de KFFA à Helena en 1941, dans l'Arkansas pas très loin de Memphis ( Tennessee ). King Biscuit Time diffusée à l'heure des repas fut un instrument idéal de propagation du blues dans l'Amérique noire. Et par contre-coup blanche. King Biscuit Time fut un marqueur privilégié de la transition du blues rural du Delta au blues électrique de Chicago.

Quatre-vingt ans plus tard, le nom d'un groupe Seine & Marnais qui s'inscrit dans le vecteur du blues électrique cousin incestueux du rock'n'roll. Pas des débutants, ont déjà roulé leur bosse, certains, notamment Sébastien Bizière et Bruno Lombard, dans les Spykers, groupe orienté rockabilly qui, sans surprise, ménageait quelques interludes bleus dans leur répertoire, ce que nous avions chroniqué en notre livraison 164 du 21 / 11 / 2013 lors de leur passage en première partie de Marcos Sendarrubias.

Premier concert pour le King Biscuit Time, ne sais comment ils ont trastégé mais le local des Metallic Machines est rempli à ras-bord – l'est sûr que l'accueil est super-sympa – et le public ne décollera pas de devant le combo une seule seconde de tous les deux sets. Vu les applaudissements chacun à dû trouver les gâteaux succulents. Que voulez-vous les chocolatines avec deux barres de chocolat, c'est obligatoirement meilleur. King Biscuit Time applique cette double recette. Possèdent deux guitaristes solistes, avec Bruno Lombard à l'harmonica cela en fait trois. Ne croyez pas que les deux autres pointent au chomdu.

Automatic pour lancer la machine bleue. C'est du spongieux à souhait, à chaque pas que vous faîtes z'avez un alligator qui pointe son museau à fleur d'eau, pas très rassurant, mais l'on garde le cap sans faillir. L'on gagne très vite la terre ferme avec It's Hot, c'est vrai que c'est chaud, brûlant même. Faut maintenant détailler. S'est installé à la meilleure place, vue montante sur les rotondités avenantes et charnues de Miss Metallica collée au mur. Une véritable invitation au voyage, qui doit l'inspirer. Un homme discret Marc Rodeschini, souvent caché par la haute silhouette de Bruno Lombard, mais l'on n'est pas prêt de l'oublier. L'a le son bleu, idéal. Une basse puissante, flexible, chaloupée, prenante et souple, rien à voir avec le bruit de fond qui vous embrume la tête, au contraire, cinglante comme un fouet et onctueuse comme une caresse. Vous enveloppe sans vous oppresser, relève du courrier à toute heure, de jour et de nuit, avec une telle assurance-vie rythmique, les copains sont certains qu'ils peuvent prendre tous les risques. A ses côtés Sébastien Bizière, Sébas bastonne à la batterie. L'est l'homme du premier et du dernier recours. Le phare durant la tempête, avant et après aussi. On l'interroge du regard, on lui fait signe du bras et tout de suite il lance la foudre ou vous ralentit la voiture à volonté. File la mesure de trois coups de baguette et accompagne les copains dans la démesure. L'a fort à faire car les autres briscard ne sont pas venus pour mâcher des chamallows. Déjà deux solistes – qui parfois poussent le vice à soleliser en même temps, genre le fil barbelé qui s'en vient s'enrouler autour de la ronce, en prenant soin de ne pas arracher les pétales de la rose bleue. Chacun leur style. D'abord Thierry Leroux, casquette New York sur la tête, l'a un truc, ne se sert que d'un tiers de sa guitare. Le bas de caisse et le haut du manche, de temps en temps un petit tour juste pour vérifier s'ils sont encore là. Son endroit de prédilection c'est au plus bas des frettes et sur le dernier micro. Deux solutions, quand il est sur le bas du manche, il vous poinçonne de ces petites notes à la B. B. King, des espèces de plaintes répétitives qui vous vrillent les tympans, les soutient un quart de seconde de moins que B. B. car il a une préférence pour les dégelées ultra-rapide, descend sa main droite de dix centimètres et vous ne voyez plus ses doigts qui vous envoient de ces grésils enflammés et suffocants qui mettent l'auditoire en joie. Au tour de Patrice Corbière. Une dégaine incroyable avec sa casquette visière sur la nuque, il s'approche du micro et dès qu'il a plaqué deux accords toute la solitude du blues vous tombe dessus. Attention, il est inutile de vous suicider de désespoir, suffit de suivre ses agiles pognes sur le manche pour être à la fête. Un style à l'opposé de la manière de Thierry. Vous avez eu le feu. Voici l'eau. Pas celle qui éteint les incendies. Elle coule mais pas du tout innocemment. Elle grouille de piranhas et de barracudas, au moment où vous vous y attendiez le moins, leurs têtes surgissent du flot bleu et vous arrachent un morceau de chair. Parfois elles s'obstinent, reviennent incessamment à l'assaut et vous bouffent par morceaux jusqu'au squelette. Et le public crie de joie.

La guitare blues c'est excellent mais avec l'harmonica c'est comme si vous rajoutez une vipère dans votre lit. Un sacré instrument. Vous tient dans la paume de Bruno Lombard, l'en a une collection pour toutes les tonalités dans l'énorme valise jaune posée sur le devant de la scène, un jouet d'enfant, et en quelques secondes il obtient des stridences d'enfer à rendre Satan jaloux. Pas étonnant que le blues ait été surnommé la musique du diable, Bruno Lombard y perfore dedans ses orgues à bouche à pleines dents, des fournaises riffiques vous tombent dessus, certes l'a du coffre et du souffle mais au paroxysme de l'action il vous semble qu'il va expirer, rendre son âme, là sur le champ tout de suite, mais non, le retire de ses lèvres pour se jeter sans tarder sur le micro et lancer imprécations vindicatives, déclarations de guerre au monde entier, et admonestations sexuelles à la gent féminine, I wanna Be Your Man, Devil Woman, She's Dangerous, I want to be Loved, Scratch my back, le blues ne fait jamais dans la dentelle, même quand il se plaint Help Me, Baby Please don't Go, Time to Cry, cette musique est emplie d'une séminale énergie frustre et sans équivoque. La voix puissante de Bruno Lombard martèle les mots, vous crache le blues en pleine figure, vous ensaigne la cruelle désillusion assumée de la vie.

Le King Biscuit Time est généreux, à eux cinq z'ont de quoi remplir les bocaux, les morceaux sont entrelardés de solos de guitare, d'harmo et de chant jusqu'à la gueule, n'en jetez plus, il en reste encore, pas le temps de s'ennuyer, deux sets menés à train d'enfer, des charges héroïques de Sonny Boy Williamson ( Rice Miller ) aux virevoltes folles de Little Walter. Premier concert et déjà – ce qui est le plus important - un son à eux. Le groupe s'impose. Vous tire la moelle des os, vous emmène jusqu'au bout nervalien des nuits blanches et des petits matins noirs.

Terminent sous une nuée d'applaudissements frénétiques et un orage de clameurs appréciatives. Dans la boîte à gâteaux ne reste plus rien, l'on a tout raflé jusqu'aux miettes. Le roi des biscuits nous a refilé des biscuits de rois. Take a good time, babe !

Damie Chad.

 

07/03/2018

KR'TNT 364 : CREATION / JAKE CALYPSO / RICKY AMIGOS / BASHUNG / VICTOR LEED / BIG BEAT MAGAZINE N° 29 / 100 MILES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 364

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

08 / 03 / 2018

CREATION / JAKE CALYPSO / RICKY AMIGOS

BASHUNG / VICTOR LEED  

BIG BEAT MAGAZINE N° 29/ 100 MILES

TEXTES + PHOTOS SUR :

  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Mais que foutait Dieu avant the Creation ?

C’est exactement la question que se posait Samuel Beckett à une époque. Chacun sait aujourd’hui que les Creation auraient pu devenir l’un des groupes majeurs de l’histoire du rock anglais, mais Dieu en décida autrement.

Eddie Phillips et ses amis n’ont pas créé le monde, mais seulement le freakbeat, violent bâtard mongoloïde du rock anglais. Et puisqu’on patauge dans les périphrases, citons Oregano Rathbone qui, pour démarrer son panoramique des Creation, cite Voltaire : Si les Creation n’avaient pas existé, il aurait fallu les inventer. Puis il jongle avec de bien belles expressions : mod-psych, pop-art et great hair. C’est vrai qu’à cette époque, les grands groupes anglais savaient soigner leur mise et veiller aux détails.

C’est fou comme le temps passe. Eddie Phillips atteint aujourd’hui l’âge canonique de 74 ans. On découvre aussi qu’Edsel publie un coffret consacré aux Creation. Tout cela paraît tellement irréel ! Est-ce la consécration d’un groupe que Dieu a cruellement maintenu dans les ténèbres de l’underground britannique ? Eddie Phillips et ses amis méritaient pourtant leur place au balcon, à côté des autres, c’est-à-dire les Who, les Kinks, les Beatles et les Stones.

Eddie Phillips parle dans le micro d’Oregano. Il a su garder son franc parler, cette manière qu’il a de crackler ses crackles sans ambages. Il explique qu’il vient de jouer avec The Stone Foundation, mais il ne repart pas en tournée - No more vans for me - Eddie rappelle ses débuts avec les pré-Creation, the Mark Four - I used a Futurama guitar through a 15-watt Vox, an AC15 - et il ajoute que Kenny Pickett se ramenait au volant d’une Ford Zodiac MkII - Which was a great car to have at the time - Eddie se souvient du temps des incessantes tournées à travers toute l’Angleterre, un circuit où ils croisaient Brian Auger & The Trinity, The Action, Georgie Fame, Geno Washington & The Ram Jam Band. Le groupe tournait énormément en Allemagne. Eddie put enfin se payer une Gibson 335 et un Vox AC30 - The black one with the trebble boost, great amp !

Un beau jour, Tony Straton Smith devient manager du groupe et propose un nouveau nom : The Creation. Joli nom ! Strat recrute Bob Garner, l’ancien bassman de Tony Sheridan et met les Creation en contact avec Shel Talmy. C’est là qu’on entre dans la légende. Récemment débarqué à Londres, cet Américain vient de créer la sensation en produisant les Who et les Kinks. Les Creation auditionnent au Regent Sound Studio de Denmark Street. Pouf c’est parti ! Comme Shel Talmy vient de créer Planet Records, il leur propose un contrat. Signez là mes coco, oui, sur les pointillés ! Un mois plus tard, les Creation entrent en studio pour enregistrer «Making Time», un single qui va en faire tomber plus d’un et plus d’une de sa chaise. Eddie adore ce cut - We’d just be smashing the chords down - Et là on tombe droit sur le vieux cliché de l’archet qu’on nous rabâche depuis des années dans tous ces horribles magazines de rock. En utilisant l’archet, Eddie voulait juste maintenir sa note - I was looking for long sustain - Il voulait sustainer son Mi et marteler des notes sur la corde à vide, ce qui lui permettait de faire deux choses à la fois. Il s’intéressait beaucoup aux weird sounds. Les Creation s’entendaient à merveille avec Shel Talmy, un homme providentiel, puisqu’il ne s’intéressait qu’à l’énergie des groupes. Les sessions d’enregistrement allaient vite - It was all done pretty quickly, first or second take - Ils enregistraient sur un trois pistes. En plus Shel Talmy ne leur imposait pas de baisser le son : en studio, les Creation jouaient au même volume que sur scène. Full blown sound ! Ça s’entend.

D’ailleurs, sur scène ils commencent à jouer avec les fameux Marshall stacks - A big sound, four 4x12s. You could really feel the sound - On commence alors à les comparer aux Who, ce qui paraît absurde aux yeux d’Eddie - The Who never influenced us. We never saw them play and they never saw us - Eddie ajoute qu’un joue un roadie vient lui dire : There’s a band in West London doing your act, they’re called the High Numbers ! - Et Eddie lui fait cette réponse superbe : So wot ? - Jouer «Painter Man» sur scène leur donne une idée : pourquoi ne pas en profiter pour faire du pop art ? Et hop, ils fabriquent des grands châssis et achètent des pots de peinture. Kenny Pickett peint sa toile sur scène, dans le feu de l’action, et la détruit. Chaque soir, c’est le même cirque. D’où l’expression : Our music is red with purple flashes qui va devenir le titre du très beau livre que Sean Egan leur consacre. Ils deviennent extrêmement populaires en Allemagne, en France et en Hollande, mais pas en Angleterre ! Comme c’est bizarre... Vous avez dit bizarre ?

Planet Records se casse la gueule en 1966 et les Creation se séparent de Tony Straton Smith. La situation du groupe se dégrade encore un peu avec le départ de Kenny Pickett. Il pourrait bien avoir été viré, car, comme le rappelle Ronnie Wood dans ses mémoires, les Creation avaient la manie de virer les gens. Mais la vie continue et le groupe retourne en studio avec Shel Talmy pour enregistrer le très ironique «Can I Join You Band». Bob Garner chante à la place de Kenny Pickett. Et comme Bob ne joue plus de basse, le groupe recrute Kim Gardner, qui vient des Birds. En 1967, ils enregistrent «Tom Tom» au studio Pye. Puis après l’enregistrement du fabuleux «How Does It Feel To Feel», Eddie Phillips quitte le groupe - The band had run out of steam - Les Creation tournent encore un peu en Europe jusqu’au moment où Bob Garner jette l’éponge. Kim Gardner se sent bien seul et il fait venir son veux copain Ronnnie Wood qui jouait avec lui dans les Birds. Kenny Pickett revient alors chanter et les Creation reprennent un peu de couleurs. Cet ultime line-up de Creation enregistre trois singles, dont une reprise du «For All That I Am» des Tokens, avant de jeter l’éponge pour de bon, en juin 68.

Eddie Phillips joue ensuite de la basse dans TNT, le backing-band de PP Arnold. Kenny Pickett travaille aussi pour elle, mais en tant que chauffeur.

Le coffret Edsel ressemble à s’y méprendre à un passage obligé, pour tout fan non seulement des Creation, mais aussi du son freakbeat des années de braise, comme dirait l’humble Mohammed Lakhdar-Hamina. On trouve quatre CD et un DVD dans ce coffret béni des dieux. On découvre dans le DVD l’interview d’un Eddie Phillips admirablement bien conservé, pour un mec de son âge. Il raconte comment il a construit sa guitare et son ampli, voici soixante ans. Puis il se souvient d’avoir vu Buddy Holly - He was really an influence - Et quand il évoque l’année 66, il sort ça : «Great time to be in London. Great feeling around» - Eh oui, c’est là que ça se passait. Il se souvient de son premier Ready Steady Go avec Little Richard et il rappelle que les Creation n’enregistraient alors que des singles, pas d’albums - Yeah weird sounds were our department, really - et il ajoute : «Kenny was great to work with.» - Et quand l’interviewer lui demande pourquoi Psychedelic Rose n’est pas sorti à l’époque, Eddie ne sait pas - Honestly I don’t know - Et pouf, on embraye sur un Live German TV Show, avec «Making Time». Les jeunes Allemands dansent le jerk, Bob Garner joue au doigt sur une basse Gibson SG et Eddie gratte sa demi-caisse. Il passe de beaux claqués de claquemure, mais il fait hélas le con avec son archet. On retrouve du Pete Townshend chez Eddie mais certainement pas du Keith Moon chez Jack Jones qui bat lourd et lent. En 1967, Kenny n’est plus là et c’est Bob qui chante. Kim Gardner joue de la basse. Avec ses lunettes noires, Bob Garner a une allure de rock star. Il n’a pas la voix, mais assez de prestance pour passer «Painter Man» comme une lettre à la poste. Ils jouent en rang d’oignons comme les Move. Ah le British beat ! Ces mecs étaient nés pour ça. Et pouf, on saute en 1993, au Mean Fiddler. Kenny a pris du lard, Eddie a maigri. Ils tapent dans «Life Is Beginning», pure pop psyché d’Angleterre, avec la magie vocale des unissons polissons. Eddie joue maintenant sur Strato, avec un son clair comme de l’eau de roche. Il solote au long cours avec le panache qu’on lui connaît. Kenny rappelle qu’ils n’ont pas joué ensemble depuis 25 ans. C’est dingue ! Et ils envoient «Nightmares» qui sonne comme un hit des Who, avec le tralala du lalalalalalala. S’ensuit un concert filmé en 1995, au même endroit. Kenny a maigri, «Biff Bang Pow», pur slab de garage sixties. Bob Garner est toujours aussi bien coiffé. Eddie reste bien frénétique dans ses solos d’hyper-gratin dauphinois. Ils jouent les accords des Who («I’m A Boy») dans «Try And Stop Me». Eddie s’efforce ensuite de rester fidèle à l’esprit du «Hey Hoe» de l’ami Jimi, et puis avec le temps, les coups d’archet de «Making Time» deviennent un peu pathétiques. Eddie claque un gros mi pour «Creation». C’est un son qui n’appartient qu’aux mighty Creation. Et ça sonne comme un hit. Ah il faut voir ce guitariste shooter la flamboyante pop anglaise des sixties. C’est un moment d’histoire et soudain, il envoie les premiers jets d’une potion magique nommée «Power Surge».

Les quatre CD font de la chronologie. Ça démarre avec les Mark Four en 1964 sur le disk 1, et sur le disk 3, on trouve le fameux Psychedelic Rose jamais paru. Et bien sûr, le disk 4 propose l’effarant Power Surge.

Les Mark Four swinguaient bien, leur cover de «Rock Around The Clock» passe comme une lettre à la poste. Il faut aussi entendre le solo qu’Eddie passe dans «Crazy Country Hop». Quel son ! Tout est trémoloté jusqu’à l’os. Tiens, voilà un hit digne des Who : «Work All Day», rageur et joué au riff vengeur. Ils font aussi du Dylan («Going Down Fast») avec une pince à linge sur le nez. Incroyable mais vrai. Ils adorent le Dylan électrique de l’âge d’or. Et hop, on passe aux Creation et aux versions mono des gros hits : «Making Time» (drivé à la basse, Shel Talmy sature le son, on est en pleine démesure), «Painter Man» (hit muddy de Shel Talmy, bassmatic de dingoïde, Bob Garner fait tout le sale boulot, avec des coups de bas du manche, c’est lui qui allume le cut), «Biff Bang Pow» (Mod shuffle, explosif, désolé, mais c’est du génie pur, et Eddie enquille un killer solo, ah l’enfoiré ! Message à tous les garagistes : avant même de commencer à vouloir peigner la girafe, écoutez «Biff Bang Pow». Tout y est), «Nightmares» (ils se prennent pour les Who), et puis avec cette somptueuse cover de «Cool Jerk», ils capitalisent sur les Capitols, «Can I Join Your Band» (classique freakbeat imparable), «Through My Eyes» (heavy Psychout de rêve humide, Eddie passe un solo remarquable, on ne dira jamais assez à quel point ce mec peut être exceptionnel), «How Does It Feel To Feel» (le hit définitif des Creation, plongée garantie dans un océan de bonheur, la fibre psyché devient palpable, Eddie porte un jabot et tombe sur le râble du cut et l’expédie ad patres). Vous ne trouverez pas ça ailleurs. Le génie sonique des Creation dépasse tout ce qu’on peut imaginer.

On trouve sur le disk 2 les versions stéréo des hits. Et des surprises comme une version explosive de «Bony Moronie», un modèle pour l’époque, un vrai template platonicien. Eddie et ses amis réincorporent l’énergie du vieux rock’n’roll dans la fournaise Moddish. Eddie finit avec un solo à l’agonie absolument dément. Et puis il y a ce truc qui s’appelle «For All That I Am», un joyau freakbeat embarqué en enfer par cette brochette de surdoués. Extraordinaire tension pop. C’est même pire que ça : les Creation transcendent la pop, à un point qu’on ne peut imaginer tant qu’on a pas écouté ça de près. Le cut grimpe en flèche et Bob Garner glougloute sur sa basse. Dans les versions stéréo des grands hits, la voix de Kenny Pickett sonne comme le clairon de la Brigade Légère. En fait les Creation traitaient d’égal à égal avec les Who. Eddie était alors the real killer guitar-man de Londres, beaucoup plus virulent que Pete Townshend. Et si on y réfléchit bien, le freakbeat des Creation se distingue par son outrecuidance. Il faut aussi les entendre faire exploser «For All That I Am» au firmament. Seuls les Creation étaient alors capables d’un tel exploit.

On retrouve quelques bricoles de Mark Four sur le disk 3 et notamment cette énormité intitulée «Hurt Me If You Will», datant de 1985. Hallucinant ! Et puis on tombe sur cet album enregistré en 1987 et seulement paru en 2004 : Psychedelic Rose. C’est là que se nichent ces hits que sont «Lay The Ghost» (une falaise de marbre qui s’écroule dans l’écume des jours, hit majestueux, très mélodique, un brin prog, c’est vrai, mais Eddie prend le parti-pris de la divine heavyness), le morceau titre (joli stomp de pop qu’il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie), «Dog It My Way» (impressionnant placage d’accords d’Eddie, on sent qu’ils visent le sommet de la pop, mais Ken chante trop perché, il s’éloigne de la rive et fait le tapin). Disons que l’album est mal foutu, peut-être sur-produit, même la version de «Making Time» racole sur le boulevard. Et de cut en cut, on voit les pauvres Creation s’enfoncer dans la putasserie. Quand on écoute «White Knight», on croirait entendre Boney M. Ils barrent carrément en couille avec «Spirit Called Love» qui sonne comme de la no-wave de la pire espèce et bien sûr, le pauvre Eddie boucle avec sa «Jimi Hendrix Trilogy» qui est une vraie catastrophe.

Heureusement, le disk 4 relève le niveau avec «Power Surge» et ce beautiful «Creation» saturé de son et ravagé par la basse de Bob Garner. Après le refrain mélodique, Eddie part en vrille de génie pur. Voilà ce qu’il faut bien appeler un répondant au dessus de tout soupçon. Et les basslines de Bob, quelle bénédiction ! Tout est là. Morceau titre lui aussi imparable. Il faut tout de même préciser que Joe Foster produit cet album, donc ça sonne. Et ils replongent dans le pur jus de sixties Mod Sound avec «Someone’s Gonna Bleed». Toute la stupéfaction des Mods black-bombérisés est là, c’est le cœur du mythe, son purple heart, l’étendard du Moddish beat claque dans l’azur immaculé. Ce génie pop est infesté de requins et d’accords d’Eddie Phillips. Encore un merveilleux coup d’extase fondamentale avec «Shock Horror». Franchement, cet album est un don du ciel. Les Creation créent l’illusion. Et voilà le stoner d’Eddie la bête : «Killing Song». C’est une véritable incitation à la démesure. Eddie drive ça à sa manière, sans pitié pour les canards boiteux. C’est joué au beat de jump avec une incroyable énergie. Comme on le voit avec «City Life», Eddie déterre toujours la hache de guerre. Pour le meilleur et pour le pire - Living in the city - Aw, c’est bardé de son. Eddie joue tout à la distorse mélodique. On entend Bob faire des siennes dans «English Language». Quel bassman ! Tout ça se termine avec deux cuts solo d’Eddie, «Woodstock Daze» et l’effarant «Good Times», ultime coup de Trafalgar.

C’est un plaisir que de mettre le grappin sur la version vinyle de Power Surge, un album qui va tout seul sur l’île déserte. Il n’a même pas besoin de nous. C’est l’un des plus grands classiques de rock anglais de tous les temps. Vous ne trouverez pas un seul déchet sur cet album. Il ne compte pas moins de deux coups de génie, à commencer par «Creation» qui ouvre le bal de l’A, un hit gorgé de son et dévoré de l’intérieur par la walking bass de Bob Garner. Ce truc peut hanter un fantôme. Et puis soudain, éclate ce refrain divin que visite la grâce elle aussi divine. L’autre absolu stormer s’appelle «Someone’s Gonna Bleed», claqué d’entrée de jeu à la Stonesy, et puis ça vire Moddish overdrive. Voilà encore un hit séculaire. C’est d’une indécente supériorité. Comme on l’a déjà indiqué, c’est Joe Foster qui produit, d’où le gros son de cet album miraculeux. Oh il faut entendre Kenny clamer Electric power surge comme un cake ! Le «Nobody Wants To Know» qui ouvre le bal de la B répond à une volonté d’imposer un son à coups de talon. C’est en plus gorgé de qualités mélodiques, puis ils tapent «City Life» au gros British beat saturé. On retrouve cet équilibre unique au monde entre le psyché pop et le beat du démon. Encore plus fascinant : «Free Men Live Forever», just perfect, et ça continue avec «Ghost Division», plus heavy, bardé de chœurs fantômes - Ghost/ Ghost division/ Ghost/ Ghost division - C’est le genre de chose qui peut marquer l’esprit au fer rouge, surtout que Bob Garner rôde dans le coin avec un gros son bien rond. Et ça se termine avec «O+N», une nouvelle échappée belle digne des plus grandes heures du Duc de Berry. On assiste là à une complète libération des atomes du rock. Kenny Pickett n’en finit plus d’emmener son beat à l’assaut du ciel.

Tout aussi indispensable, voilà Lay The Ghost, un album de reformation enregistré live au Mean Fiddler, 26 ans après le split du groupe. Dès «Batman/Biff Bang Pow», on voit que les Creation n’ont rien perdu de leur légendaire vigueur. Ils restent Moddish jusqu’au bout des ongles, il faut entendre Bob Garner rouler ses gammes en sous-main. Quelle classe ! «Life Is Just Beginning» sonne tout simplement comme un hit des Who. Puis ils tapent dans «I’m A Man», mais ce n’est pas aussi bon que la version enregistrée avec les Pretties. Eddie ne le rejoue pas à la note suspendue. Dommage. Et on retrouve les fiévreux accents Whoish - La la la la la la - dans «Nightmares», pur jus de rut ado. On tombe en B sur une fabuleuse version de «Tom Tom». Ils n’ont rien perdu de leur éclat. C’est tout simplement exceptionnel. Eddie multiplie les figures de haute voltige, il joue tout au gras du bide et en thématique infectueuse. Lui et Ronno sont vraiment les deux guitaristes les plus fascinants d’Angleterre. Kenny indique au public que «Lay The Ghost» a été écrit spécialement pour la reformation du groupe. Ils n’ont vraiment rien perdu de leur faculté à légender dans les brancards - On the road to nowhere - Les riffs d’Eddie puent l’élégance à dix kilomètres à la ronde. Et pour corser l’affaire, ils attaquent «How Does It Feel To Feel». Le public les acclame. Le ciel nous tombe sur la tête. C’est une fournaise. Il n’existe rien d’équivalent en Angleterre. Ils terminent avec «Painter Man». Eddie sonne exactement comme le early Pete des Who et les chœurs sont ceux des Who. On appelle ça du mimétisme.

En 1990, Eddie Phillips avait enregistré dans la plus parfaite indifférence l’album Riffmaster Of The Western World. On y trouve deux prunelles de nos yeux, une reprise d’«High Heel Sneakers» et une version pharaonique d’«How Does It Feel To Feel». L’High Heel est sabré d’entrée de jeu, ce sacré Eddie sait créer la sensation définitive, il nous gratte ça à la mythique sévère, yeah yeah yeah, c’est joué jusqu’à l’os. Même chose pour l’How Does It Feel, riffé de frais, légendaire dès les premières mesures. Comment pourrait-on définir Eddie Phillips ? Le mage du magistère ? Le maître de Marguerite ? Le master de masse ? Ce qui nous harponne le plus le cœur, c’est sans doute sa sublime approche de la heavyness psychédélique. On reste en awe devant le suspensif du pont suspendu. Il lâche des claqués d’accords mirobolants et joue le rock psychédélique anglais au mieux des possibilités maximalistes. Tout est très fascinant, sur cet album à petite pochette noire, tiens par exemple cette «Hendrix Trilogy» qu’il nous ressort des limbes. Il démarre avec «Hey Joe» et on s’en doute, ça vire à la catastrophe, car Eddie n’a pas la voix requise pour hey-jotter comme l’ami Jimi. Tragique et ridicule. Eddie perd tout le mess around. Alors il se fond dans «The Wind Cries Mary», sauf que la voix fait toujours pâle figure. C’est atrocement beau, mais Jimi nous manque - And the wind cries no more - Alors Eddie part en solo épidermique et ça se réveille subitement avec «Purple Haze», Eddie joue la carte du sustain de haze et s’en trouve fort à son aise, il skus-me-while-I-kiss-the-sky comme il faut, et pour maintenir la température, il enchaîne avec une belle version de «Midnight Hour». Il part la fleur au fusil, il nous claque ça au riff de l’East End, on le sent dévoué à la cause, nous voilà une fois de plus avec une version sévèrement riffée, ça ne rigole plus. Quand Eddie veille au grain, il veille au grain ! Le «Riffmaster» d’ouverture du bal vaut aussi le détour, c’est riffé sur un épais velours de l’estomac, Eddie sait soupeser les couilles du son. Chez lui, tout n’est que soupesage, riffage et volubilité suspendue. Il termine avec un «Mumbo Jumbo» monté sur le bon vieux Diddley Beat. Pauvre Eddie, il doit faire des pieds et des mains pour se faire admettre chez les consommateurs et tous ces ingrats qui n’entravent rien. Comme il est difficile d’être une légende du siècle. Victor Hugo, l’exilé de Guernesey, en savait quelque chose.

Eddie revenait en 2011 avec l’impressionnant Woodstock Daze, un album bardé de son. Dès le morceau titre, il envoie un shoot de Phillips daze dans le cul flappi de l’inconscient collectif. C’est un brin Walrus dans l’esprit, mais avec des trompettes joyeuses et une dynamique de brit-pop sixties. Notre héros connaît les secrets du son. Et ça continue avec «Waiting At The Crossroads», fabuleux shoot de boogie blues qui fleure bon la T. Rex-mania et l’Unstoppable Carter, c’est modelé dans l’enfer du son - Love have mercy/ Waiting at the crossroads - Eddie nous sonne bien les cloches, en vrai coq de Clochemerle et le voilà qui vrille sa bobine de solo, quel enfoiré ! Il tape une reprise de son vieux «Biff Bang Pow», ça sonne comme un réflexe et ça vire à la dementia collectivita de garage anglais, c’est d’une classe outrageante et embarqué au coulage de bronze d’Eddie doo doo doo you care for me/ Gotta move along babe, et il passe un solo de trille évangélique. Eddie règne sans partage sur la Creation. Il n’existe rien d’aussi devastating, darling. Il nous indique le chemin de la Mecque frénétique. On se pâme aussi devant «If I Ever Stop Moving», bouquet de relances extravagantes, tout est gonflé à l’hélium, et si tu veux entendre un LP de rock anglais pur jus, c’est là. Il finit avec une doublette démentoïde, «Good Times» et «PsychArelic», histoire de nous laisser le meilleur des bons souvenirs.

Oh et puis, il y a l’ouvrage de Sean Egan, Our Music Is Red With Purple Flashes: The Story Of The Creation qui jette une lumière pour le moins psychédélique sur l’histoire mouvementée du groupe. Il revient assez longuement sur la frappante ressemblance de look et de style entre Pete Townshend et Eddie Phillips - both skinny, black-haired axe-weilders with a similarity in the nose department - et il étaye son parallèle avec les changements des noms (Mark Four et High Numbers qui deviennent les Creation et les Who), ces deux groupes qui sont des quatuors, explosive and melodic music, pop art, et le même découvreur/producteur, Shel Talmy. Pete Townshend reconnaît que Dave Davies, Capton et Jeff Beck happened on feedback at the same time - But I was the loudest ! Sean Egan revient longuement sur Strat qui en plus des Creation manageait les Koobas et Beryl Marsden. Bien sûr, les Creation ne savaient pas que Strat était gay, comme l’étaient Simon Napier-Bell et Brian Epstein. La première chose que fit Strat fut de virer le bassman Tony Cook qui n’avait pas de look - small dumpy guy - pour le remplacer par Bob Garner. Ça faisait un blond dans un groupe de bruns et à l’époque, ça pouvait revêtir une certaine importance. Qui voit-on sur les pochettes des Stones et des Yardbirds ? Brian Jones et Keith Relf ! On ne voit qu’eux. Et quand Strat leur propose d’abandonner le nom de Mark Four pour s’appeler the Creation, ils rétorquent que ça fait un peu bible - It’s a bit bible, innit?» - et Strat le stratège leur répond : «That’s right. The Creation - we’ll create.» Comme on la déjà dit, dans l’histoire des mythes, le moindre détail revêt une importance considérable.

C’est Strat qui connaît Shel. Sean Egan rappelle que Shel Talmy est un producteur auteur, dans le même esprit que Phil Spector, ce qui est très différent du style de Mickie Most qui fabrique des hits à la chaîne. Comme Spector, Talmy sait tirer le meilleur profit d’un groupe (les Kinks, les Who et les Easybeats sont là pour le prouver). Talmy rappelle qu’à son arrivée en Angleterre, les groupes jouaient du polite rock, y compris les Beatles et les Kinks. Pour lui, les Stones et les Who furent les premiers à partir dans une autre direction et les Creation aussi, vers quelque chose de plus psychédélique. Talmy enregistre les Creation live, il veut du real raw. Il ne s’intéresse qu’à une seule chose : l’énergie des groupes. À ses yeux, les Creation ne sont pas des grands musiciens, mais le groupe sonne bien. Alchimie ? - That is exactly the word. They were greater than the sum of their parts. Shel parle comme Paracelse. Il n’y a pas de hasard.

Sean Egan revient aussi longuement sur le mystère de Toutankamon : a-t-on vraiment proposé à Eddie Phillips un job de guitariste dans les Who ? Pete Townshend rappelle qu’à une certaine époque les Who battaient de l’aile. Moony et John Entwistle en avaient marre de ce con de Daltrey qui leur tapait dessus et ils pensaient monter Lead Zeppelin (sic) avec Jimmy Page et Jeff Beck. Alors Pete devait anticiper et imaginer un moyen de renaître des cendres des Who. Il aimait bien Eddie Phillips. Il avait aussi repéré Phil Chen qui jouait de la base dans Jimmy James & the Vagabonds.

Pourquoi le groupe a viré Strat ? Parce qu’il empochait tout le blé sans rien redistribuer. Comme McLaren, il prétendait «investir» l’argent du groupe dans des «projets». Alors, ils se sont tournés vers Robert Stigwood qui était alors un manager de renom, mais il avait déjà trop de boulot avec les Bee Gees. Sean Egan revient aussi longuement sur la mouture finale des Creation, celle qui a suivi le départ d’Eddie Phillips en 1968. Comme Ronnie Wood l’avait remplacé, les Creation se mirent à sonner comme BB King et ce fut la fin des haricots. Amen.

Kenny Pickett postula pour le job de chanteur dans Led Zeppelin et il devint leur premier tour manager. Kim Gardner monta Ashton Gardner & Dyke. Quant à Eddie, il aurait pu remplacer Steve Marriott qui venait de quitter les Small Faces. Mais on ne lui avait rien demandé. Alors pour vivre, Eddie va conduire le bus 38 - Goes up to Victoria, went up to Leyton, right throught the West End - Et quand sonne l’heure du comeback, Alan McGee songe à solliciter Shel Talmy, mais Joe Foster veut s’en occuper. Dommage.

Signé : Cazengler, créafion

Creation. We Are Paintermen. Hit-Ton 1967

Creation. Lay The Ghost. Cohesion 1993

Creation. Power Surge. Creation Records 1996

Creation. Creation Theory. Edsel Box Set 2017

Eddie Phillips. Riffmaster Of The Western World. Promised Land 1990

Eddie Phillips. Woodstock Daze. Deliverance Of Sound 2011

Oregano Rathbone : Bow Selector. Record Collector #465 - April 2017

Sean Egan, Our Music Is Red with Purple Flashes: The Story of the Creation. Cherry Red Books 2004

Sur l’illusse, de gauche à droite : Kim Gardner, Jack Jones, Eddie Phillips et Bob Garner.P. S. : voir aussi l'article sur Shel Talmy – du même Cat Zengler – in KR'TNT ! 3339 du 14 / 09 / 2017.

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Lecteurs fidèles, vous êtes comme les mouches, vous aimez le sang. Le stupre et la violence sont les uniques raisons pour lesquelles chaque semaine vous vous jetez sur ce blogue. Vous faut votre ration hebdomadaire de rock'n'roll qui tâche, qui saigne et qui tue. Et bien ce soir ce sera différent. Du calme, de la douceur, de la tendresse. De la gaze, du satin, du velours. Ne vous y fiez pas trop toutefois. Prudence avec les rockers, z'ont toujours un parapluie bulgare sous le coude, au cas où.

 

03 / 03 / 2018FLOW

HOMMAGE A ELVIS A PARIS

JAKE CALYPSO / RICKY AMIGOS

La Seine est haute, mais the boat-flow est resté sagement à flot. Nec Mergitur. Facile à trouver, 48 ° 51 ' 47,8 '' de latitude, 02 ° 18' 53,6'' de longitude. Si vous n'avez pas de sextant dans votre poche, il est beaucoup plus simple de filer sur les quais, au bas du pont Alexandre III, rive gauche de la Seine, sur votre droite, le dos au dôme des Invalides. Restaurant et salle de concert, le Flow donne dans l'évènementiel des nuis parisiennes. Ce soir, de 19 heures à 23 heures Jake Calypso, et après soirée dance-bouillon-klub jusqu'à six heures du matin.

Belle salle et vaste scène dans les tréfonds de la coque qui se remplira comme un œuf. Délégation du 3 B, emmené par Duduche, le fan absolu d'Elvis, beaucoup de têtes connues, la tribu rockab a répondu à l'appel d'Elvis. Treat Me Nice, le Club des Amis d'Elvis, associé à l'évènement, offre enregistrements rares du fils de Tupelo et distribue calendrier de poche à l'effigie du matou des collines sauvages.

RICKY AMIGOS

Voulais le voir depuis longtemps. N'avais fait que l'apercevoir dans le public à un concert de Les Ennuis Commencent. L'est des conjonctions associatives qui remplacent aisément dix pages de texte et plus de trente ans d'explication de carrière. Riky Amigos c'est du rokab de bronco, ce dernier terme signifiant cheval libre et sauvage définit à merveille ce style qui galope dans les grandes plaines et hennit près des grottes sévillanes des gitans espagnols. Bref le voici, entouré de sa cavalerie, debout au milieu de la scène, occultant totalement Moza Pop derrière ses drums, J-P Maynadier crâne lisse comme une boule de billard, basse aux riff lourds comme des fanfares de mariage, dit El Primo, le premier cousin de la famille à émettre d'impertinentes remarques entre deux morceaux, l'imposant El Melenas prêt à faire gémir et couiner sa Gibson à la manière d'un chien dont vous vous amusez à scier les pattes juste pour voir s'il a mal. Ricky est au centre de ses amis, chemise rouge à pois blancs, guitare en main, une Madrilena précisera-t-il, les deux premiers titres me surprennent. Sonnent très groupes français, années soixante, Cette Fille, sans surprise qui lui a brisé le coeur et rendu fou, le scénario classique qui sent la malédiction du rocker à plein tube, avec une diction d'un art consommé, et Hé Cormoran ! le volatile monte haut, une cantilène aigre-douce sur le temps qui passe, et la loose qui vous colle à la peau à l'instar de ces nappes de pétrole peu écologiques qui vous enduisent les oiseaux marins d'une mortifère gluance. Ricky fait sonner les mots avec l'art consommé d'une ironie toute amicale. C'est ensuite que l'Espagne pousse sa corne, La Vida Pasa, Flor de Cristal, Casa Felix... y toda la sagrada familia dont je vous épargne l'énumération, l'on passe les Pyrénées, voici le roll-fandango, le rock-flamenco, le troll-alegria et le troc-buleria, El Melenas s'en donne à coeur joie, l'adore les licks qui tombent sans vous avertir en plein milieu d'une farandole, goutte à goutte, en plomb fondu sur votre cabosse tandis que le Maynadier vous rajoute deux louches sur les pieds pour vous donner envie de danser. Ne me demandez pas pourquoi Moza Pop se lève à chaque fin de morceau, afin de faire le tour de sa batterie et revenir s'asseoir sagement comme si de rien n'était. L'Amigos s'en tient à sa diction impeccable, vous découpe le spanish language au laser et vous le tend brûlant. Le mec qui vous fout le feu à la forêt amazonienne en frottant une allumette. L'a la salle dans la boîte, alors nos quatre commancheros vont porter l'estocade, par quatre fois, Firmamento, le grand jeu des guitares emballées, Loco Loquito, un brin de folie n'a jamais tué personne – du moins nous on en est ressortis vivants. Mais voici L'Autobus de la ligne 179 qui s'avance. File à toute vitesse. Normal, adaptation française du Cadillac de Vince Taylor, même scénario, la fille dedans que l'on ne revoit jamais. Un truc à vous rendre dingue épileptique. Pas le temps de se calmer, un Heartbreak Hotel – n'est-ce pas une soirée Presley ? - à vous briser el corazon sin razon, et même pas le temps de s'apitoyer sur notre vie détruite par ce tourment rock, c'est fini. Commencent à débrancher, Patrick Renassia – un bienfaiteur de l'humanité ( accessoirement un des producteurs de la soirée ) s'empare du micro et au grand soulagement du peuple prêt à prendre les armes il donne le feu vert pour un ultime morceau. Evidemment ces traîtres d'engeance spaniarde vont finasser pour notre plus grand plaisir, That's All Right Mama, avec en sandwich au milieu, quelques wagons du Mystery Train. Finissent sous une salve d'applaudissements, mission remplie, la salle est chaude comme le mois d'août sur la Costa Brava ! Côte sauvage !

INTERLUDE

Mesdames, Messieurs, je requiers votre plus grande attention. Le concert auquel vous allez assister ce soir, est un peu spécial. Déroge entièrement aux lois calypsiennes de la gravité rock'n'rollienne. Je me permets, dans le silence religieux dont vous faites preuve et pour lequel je vous remercie, de vous présenter le quintette qui nous fait l'honneur de nous présenter quelques ariettes impérissables du compositeur Elvis Presley. Sur votre gauche, on the keyboards, Pascal Mercier, vous notez l'extrême concentration avec laquelle il contemple son clavier, à ses côtés l'archet en main, les cheveux à la Beethoven qui lui mangent le visage, romantiquement au garde-à-vous près d'une vénérable contrebasse c'est Stéphane Bihan. A droite, assis bien droit sur sa chaise, qui tient impeccablement sa guitare, c'est Christophe Gillet que vous connaissez pour la fluidité de ses soli dans l'ensemble harmonique des Hot Chikens. Enfin si vous me permettez d'exprimer quelques doutes sur l'interprète suivant, incapable de retenir ses sourires aguicheurs, les bras en désordre, je dénoncerai la présence de Thierry Sellier, l'habituel timbalier des mêmes Hot Chikens déjà cités.

JAKE CALYPSO

And the Flaming Stars

Patrick Renassia quitte la scène. Vient de rappeler que la soirée est dédiée à Elvis, que Jake Calypso, reprend son disque 100 miles, produit par Rock Paradise Records, consacré aux slows d'Elvis enregistrés pour les bandeS-son de ses films, Jake le rappellera lui-même plus tard, non ce soir il n'y aura pas de poirier sur la grosse caisse, non il ne se roulera pas par terre, ce soir c'est spécial de chez spécial...

Tout doux, tout doux, c'est parti, Christophe Gillet égrène des notes avec une application d'écolier sur sa guitare, et Jake Calypso paraît dans une splendide chemise rouge, la classe, flashy, le gilet que Théophile Gautier devait arborer la même teinte cardinalice, la même sénatoriale pourpre laticlaviaire, le soir de l'hugolienne première d'Hernani, pour être resté aussi célèbre. S'assoit, dos droit comme un I majuscule, en une pose quasi-hiératique, guitare sur les genoux, timbre clair mais mi-voix susurrée dans le micro, en plein dans le lent tempo tandis que sur le grand écran derrière défilent des photos d'Elvis, devant ses cadillacs surchargées pour partir en tournée et très vite, les chastes et passionnées embrassades ( not me too ) avec les différentes actrices de ses films.

And fhe Flow slows, à peine, même pas un roulis, l'assistance l'oreille dressée, écoute les ritournelles, qui s'enchaînent, Jake raconte en quelques mots les circonstances dans lesquelles il a enregistré les voix, plus ou moins clandestinement, autour de Memphis dans les lieux hantés par Elvis, Home is Where the Heart Is, I will be Home Again, un très beau Suppose – la plus difficile à chanter d'après moi, dépouillée, juste un filet de voix et la nudité de quelques notes errantes de guitare... s'en tire bien Jake the Snake, se faufile en les ballades sentimentales, arpèges voluptueux de couleuvre paresseuse, et consommé d'orgue traînant, et puis merveilleuse apparition, Lina Belaïd, toute belle, toute fraîche, qui s'installe sur une chaise et qui nous fait pleurer son violoncelle, nous envoûte de longs sanglots funèbres, avant de s'éclipser en emportant en son sillage notre âme de rocker attendrie.

Voyez-vous le slow, c'est bien. Mais il existe encore un truc supérieur. Le slow-rock. Calypso en clame le titre très fort : Flaming Star ! , en prime on a droit aux extraits du film, Jake en profite pour lancer au galop le bel appaloosa qui passe sur l'écran, la tension monte d'un cran dans la salle. J'avais deviné juste, la cavalcade terminé, tout le combo rentre dans le rang, sauf Monsieur Thierry Sellier, l'avait déjà forcé sur les breaks durant l'étoile en flammes, mais il ne s'arrêtera pas là, dans la série des sweeties romances qui suivent, il pousse un peu, aux coups de ses balais l'air de rien de plus en plus appuyés, les jolies déclarations dans les orties rockollifères, à tel point qu'après I'll Remember You et Poketful of Rainbows, Jake Calypso rajoute un titre, qui n'appartient pas au CD 100 Miles, un blues assure-t-il et il nous fait crépiter A Mess Of Blues, d'une façon peu académique si l'on s'en tient aux rustiques rudiments du blues.

Vous le fait valser à cent à l'heure. La salle exulte, n'y tient plus lui-même, se lève, arpente la scène, jette la veste, court vite se rasseoir comme un gamin en faute que l'on vient de surprendre en train de chouraver du gâteau dans le frigo au lieu de plancher sur son devoir de math. Bref si nous osons une traduction métaphorique foireuse, une messe en bleue pas très catholique qui sent un peu trop le grand soufré. Calmons-nous, pas de panique, Wild in the Country, Today Tomorrow & Forever – l'est si convainquant l'oison diabolique que si j'étais une fille j'y croirais, Milky White Way, d'une bien belle manière, Lina Belaïd est revenu faire gémir et bramer son violoncelle tel un cerf accablé de chagrin au fond des bois, mais cette fois, l'on est moins émus, nos larmes sont taries et malgré cette douceur angevine digne de Du Bellay avec laquelle elle effleure son instrument, l'ambiance a changé, l'on sent que l'orage électrique approche.

Un seul coupable, Thierry Sellier, vous assène les trois coups de semonce fatal, la semence foudroyante du destin qui s'écroule sur vous sans que l'ayez invitée, If youre looking for trouble, keep the rigth place, Calypso encore tout emberlificoté dans son acoustique nous menace dans son micro, vous repousse chaises, guitare, micro en un coup de vent ( avis de tempête ) et les Flaming Stars explosent. Stéphane Bihan slappe comme s'il giflait son percepteur, Christophe Gillet, ne frôle plus sa guitare comme s'il jouait de la harpe, la métamorphose en harpie vengeresse, vous envoie sans pitié des riffs de feu furieux qui vous affolent, et Pascal Mercier atteint d'un très grave delirium tremens transforme son clavier en pumpin' piano, du coup Loison s'en vient régler son compte à une touche, une seule, un vieille histoire à apurer, on ne sait pas laquelle, mais il vous la défonce d'un doigt Little-Richardien, vengeur et terriblement opiniâtre, qui fait hurler la salle de plaisir paroxystique à tel point que l'on atteint le point G +++ de l'orgasme collectif lorsqu'il entreprend de jerrylouser la moitié des touches en longues glissades foudroyantes, à croire que l'on vous épile à vif le pubis.

Après cela, ils viennent tous en groupe saluer. Une honte, un scandale. Essaieront de nous refaire trois fois le coup. Inutile de dire que ce genre de combine ne prend pas. Renvoyés immédiatement au boulot. On sait bien qu'il se fait tard, mais on veut encore casser quelques œufs d'autruche de plus dans l'omelette. On a eu raison d'en redemander une grosse portion, quelques courageux et courageuses sont invités à monter sur scène et une fiesta charivarique imprégniée de ferveur gospellique embrase la salle qui catapulte a capella... Y aura encore quelques gâteries dont un Rockin to Night jamboreesque, mais c'est la fin, le salut final sous les acclamations... Patrick Renassia vient remercier public et artistes donnant rendez-vous pour un autre concert...

Ce n'était pas gagné d'avance, mais au poker menteur du rock'n'roll Jake Calypso et ses Flaming Stars viennent de rafler la mise, les paris, et la banque. Une soirée mémorable. Qui restera dans les annales.

Damie Chad.

P.S. : en fin de cette livraison le lecteur curieux du disc 100 MILES de JAKE CALYPSO, parue dans la 339 ° édition de KR'TNT ! Du 14 / 09 / 2017

 

BASHUNG

VERTIGE DE LA VIE

PIERRE MIKAÏLOFF

( Editions Alphée – Jean-Paul Bertrand / 2009 )

 

Les copains m'avaient prévenu, tu verras c'est le meilleur, mais je n'ai pas fait d'effort pour le rechercher. Comme les petits oiseaux j'attendais qu'il me tombât tout cui-cui sous la main, ce qui n'a pas tardé à se concrétiser. La faute à la barrière du train qui m'a permis de visionner le paysage, à droite et à gauche. Pile sur une armoire remplie de books à disposition des voyageurs. J'ai garé la teuf-teuf et suis allé jeter un coup d'œil, du Bordage, du Genet, et ce Mikaïloff, j'ai fait main basse, autant de pris sur l'ennemi. Avant on attachait les chiens sur les aires d'autoroute, maintenant c'est les bouquins qu'on empile auprès des gares, les gens feraient mieux de s'abandonner eux-mêmes, au moins on n'aurait pas à les récupérer.

Quatre cent quarante pages, remarquez avec l'interligne aussi large que la Seine en crue... en plus Bashung c'est un bavard, un renfermé paraît-il, un taciturne réputé soi-disant, mais suffisait de lui ouvrir un micro pour qu'il vous en ponde des tartines. Le mec, non seulement il réalisait ses disques mais il assurait le service après-vente, vous racontait tout ce qu'il avait voulu faire, comment vous devriez le recevoir et n'omettait pas le parallèle avec la confection et la réception des précédents. Pouviez lui poser des questions sur tout, il aimait philosopher sur ses méfaits comme sur ses succès. Le regard critique en plus. Des confidences à ne plus savoir où les mettre. Mikaïloff n'en abuse point, du moins au début, parce que parvenu à la deuxième moitié, il doit être pressé de finir, alors il recopie.

Ce qui n'est pas un tort. Rien de plus insupportable que ceux qui parlent à votre place. Ce n'est pas que victimes ou coupables vous sortent la vérité vraie, ne soyons pas naïfs. Mikaïloff recoupe dires et paroles, sans insistance mais suffisamment, pour mettre Bashung en face de ses incohérences et de ses non-dits. Ce qui n'est pas un crime en soi, n'est ni mieux ni pire que nous Bashung, repeint un peu la façade selon les circonstances. Souvent la haine recouvre nos anciennes amours. Ce n'est pas que l'on trompe les autres, c'est que l'on se renie soi-même.

L'enfance de Bashung en Alsace ne nous y attardons pas, lui-même n'aimait guère l'évoquer. Ce n'est pas qu'elle fût déplorable ou malheureuse, seulement terne et ennuyeuse. Avec toutefois un grand soleil à l'ouest. Y avait du nouveau. Le rock'n'roll ! Le problème à l'époque ce n'était pas ceux qui découvraient le rock'n'roll, ce sont tous ceux qui sont passés à côté de cette musique, de leur unique raison de vivre. Un poids mort qui a plombé l'existence des vrais vivants. Né en 1947, touché par le rock en 1959, Buddy Holly, Gene Vincent, Jerry Lou, les Shadows, Vince Taylor, toute la tribu... L'aura un groupe, comme tout le monde, enfin presque, The Dunces, mais il ne s'arrêtera pas à si peu, vise à autre chose...

Qui mettra du temps à venir. Enregistre son premier 45 tours chez Phillips en 1966. L'en faudra encore vingt pour que le succès se pointe, en 1980. Pas tout à fait de sa faute. N'est pas prêt, dépend trop de ce qui l'a précédé. Ce n'est pas qu'il chante mal, c'est qu'il n'a pas encore trouvé sa voix. Les autres ne l'aident pas, ne voient pas aussi loin que lui, maison de disques, attachés de presse et producteurs sont à cent mille lieues de leur produit. Il se voudrait rocker, mais on essaie de le déguiser en chanteur de charme, en jeune homme romantique. Fiasco sur fiasco.

Se découvre petit à petit. L'a un don pour composer des morceaux, place des chansons, pas des hits, mais cette veine créatrice sera plus tard son principal filon. Les rencontres surtout, ne fait pas ce qu'il veut mais il prend tout ce qui est à a prendre et il apprend vite. Une première rencontre avec Gérard Hugé et Noël Deschamps, Hugé un des rares producteurs français qui fonctionne à l'anglaise, qui sait que d'abord avant tout, il ne faut pas un arrangement – et pourtant les siens sont chiadés à mort – mais un son. Noël Deschamps sera le grand bénéficiaire de Gérard Hugé, Noël un des rares rockers français qui sonne originellement et originalement français alors que son alter ego Ronnie Bird reste bien près du calque anglais. Bashung fournira Ho La Hey ! à Deschamps qui plafonnera à 300 000 exemplaires.

Un deuxième maître. Dick Rivers qui le gardera près de quatre ans avec lui, le temps d'apprendre à se servir d'un studio – et peut-être mieux de s'y mouvoir, de réaliser un projet que l'on a en tête et qu'il s'agit de transcrire dans la réalité. Dick est décidé à relancer le rock'n'roll des pionniers en France, pas selon une rétrograde vision passéiste, mais dans une perspective beaucoup plus moderne. L'esprit mais pas la copie. Plus personne ne croit en Dick et c'est à Toulouse qu'envers et contre tous avec le groupe Labyrinthe, secondé par Jacky Chalard qui plus tard lancera le label Big Beat, qu'il va rebouster sa carrière et conforter Bashung dans une idée simple : celle d'agir au plus près de sa propre volonté. Une leçon que Bashung ne manquera pas d'appliquer dans la deuxième partie de sa vie.

Celle-ci débutera en 1980 avec Gaby. Et Boris Bergman. Entre temps Bashung aura participé à l'opéra-rock La Révolution Française, une expérience qui le conforte dans son incomplétude. Bergman jouera le rôle de l'accoucheur. C'est lui qui déclenchera la venue du bébé. Bergman, le parolier, lui permet de mettre les mots sur ses quatorze années de galère, et dès qu'il aura les vocables Bashung parviendra enfin à placer sa voix correctement. Ce n'est pas qu'il chantait faux ou mal, c'est qu'il prononçait les words d'une manière dont il avait confusément pleine conscience que ce n'était pas ce qu'il désirait.

Bergman n'écrit pas des paroles que Bashung chante, jette des mots et Bashung colle les siens, dix fois, vingt fois, on améliore, on retranche, on ajoute, on repart à zéro, on sort une autre idée, l'on ne sait pas où l'on va, mais l'on sait que l'on progresse. Quand on est bloqué l'on remet Johnny Kidd et l'on repompe l'intro de Reminiscing de Buddy Holly, et l'on malaxe les mots à n'en plus finir.

Le succès est là, mais plus que le million de disques vendus Bashung possède maintenant sa méthode. Fera un deuxième album avec Boris puis le laissera tomber. D'autres le remplaceront avec plus ou moins de bonheur... Les détracteurs et les amis du chanteur partagent la même analyse : il n'aime pas être redevable des autres, il se sert d'eux comme d'une échelle, arrivé en haut, il la repousse du pied et en cherche une nouvelle... Pas vraiment une critique, un constat, parfois amers, parfois envieux. En Orient l'on exprime cela d'une autre manière : le disciple doit tuer le maître...

Musique et paroles. Les années quatre-vingt se plient à merveille à la méthode de création de Bashung. Les synthétiseurs débarquent, les studios permettent des expérimentations inédites, l'on peut se jouer de la musique comme des mots. Ce n'est pas la note qui compte mais l'ambiance qu'elle suscite, idem pour les mots, ce qu'ils évoquent est plus important que leur sens littéral. Il y a comme principe d'incertitude qui préside aux morceaux en gestation. L'on est plus près des bidouillages de Bowie sur Low que de la claire réverbe du studio Sun... Bashung se perdra quelquefois. Entre pseudo-surréalisme et verbiage la distance n'est pas énorme... l'aura aussi de superbes réussites. Saura aussi mettre de l'eau dans son vin quand le public décrochera... Le rock sans guitare est-il encore du rock, nous répondrons oui car le cas Bashung ne se résout pas selon nous à un niveau strictement musical. Mikaïloff élucide bien la problématique. Certes nous sommes loin du simplisme des paroles du rockabilly, mais attention, ce n'est pas parce que l'on essaie d'élever les lyrics au-dessus de la banquette arrière de la Cadillac que l'on ne court pas un plus grand danger. National, pourrait-on le qualifier, faudrait pas tomber dans le bourbier de la chanson française, à texte, de qualité, le pas en avant qui vous coupe irrémédiablement du rock'n'roll. Qui vous rejette dans le vieux monde des décorations et des distributions de prix.

Cette tentation existe chez Bashung, son album avec Gainsbourg, l'enregistrement du Cantique des Cantiques, cette recherche d'un mieux-disant poétique, d'une caution en quelque sorte morale qui vous rapproche d'un certain establishment bobocul-culturel la praline n'est pas ce que nous préférons chez lui... Ceci dit nous aimons bien le rocker déjanté, sur scène et ailleurs, cette vie de bâton de chaise, et sa dignité au moment de mourir.

Les copains avaient raison, le book de Mikaïloff est le meilleur de tous ceux j'ai lus sur l'artiste. Je ne l'abandonnerai pas sur une aire d'autoroute. Promis. Juré. Craché. A la gueule du monde.

Damie Chad.

BIG BEAT MAGAZINE N° 29

( calameo.com )

Le premier numéro de Big Beat parut en mai 1969. L'était une émanation de la FARC ( Fédération des Amateurs de Rock'n'roll et de Country ), regroupement des fan-clubs hexagonaux autour d'une poignée d'activistes rock admirateurs des pionniers, comme George Collange, Alain Mallaret et les frères Boyat... Le rock and roll français leur doit beaucoup... L'aventure se termina au numéro 21... Mais le phénix du rock renaît toujours de ses cendres, et en 2016 Alain Mallaret sortit le numéro 22... Exit le papier, version internet – je regrette, avec d'autant plus de force que moi-même... - Voici donc le 29°, tout chaud sorti des calames de calameo...

Un bel et long article de Gilbert Bireau sur Dale Hawkins. Ne pas confondre avec un de ses lointains cousins Ronnie Hawkins, ne dites pas que vous ne connaissez pas, l'est l'immortel ( ce qui ne l'empêchera pas de sucer les pissenlits par la racine en 2010 ) créateur de Susie Q, ( I love the way you walk ), né en 36, Elvis et Gene en 35 pour situer, d'un père musicien, élevé par ses grands-parents avec la rigidité religieuse adéquate... grandit, sèche l'école, mille petits boulots, achète une guitare décide de devenir musicien, se retrouve à Shreveport gardien de parking au Louisiana Hayride. Ne pouvait pas tomber mieux puisque c'est là qu'il rencontre D. J. Fontana et Richard Burton. Burton qui tiendra la guitare sur Susie Q, qui paraîtra chez Chess en 1957. Pour la suite moins triomphale de l'histoire reportez-vous à l'article qui fourmille de renseignements... Vous y croiserez entre autres la figure de Merle Kilmore précédemment rencontrée dans la cronix sur le dernier livre de Michel Embareck avec Dylan et Johnny Cash... Johnny Cash que vous retrouvez avec June, photos, coupures de journaux anglais, à l'occasion de la remémoration du fameux concert de Wembley de 1971 où les intrépides reporters de Big Beat Magazine purent partager la table, et en profiter pour une interview, du Maître du Country himself, et de Carl Perkins, preuve qu'un bonheur n'arrive jamais seul. Un petit tour à Tahiti et un autre à Montauban – moins classe certes mais avec Fats Domino - ce qui change la donne, une chronique en français sur un english book consacré à la naissance des Teddies Boys, une présentation de disques – en langue anglaise - avec entre autres Eddie and The Head-Starts ( vus au 3 B ) une évocation de Louisiana Hayride, et enfin un long article sur Gene Vincent.

Pas tout à fait un article, plutôt une recréation biographique due à la plume de David Long Tall, directement inspirée de la narration de Dickie Harrell parue pour la première fois in extenso au début des années 70 en France dans la revue Phantasm'. Les faits sont connus, mais on ne s'en lasse pas, surtout que David Long Tall met de la chair autour de l'os évènementiel. Une véritable nouvelle, vous croque les personnages à la manière des films des années cinquante, si en réalité les faits se sont passés autrement, préférez la version de David Long Tall.

Trente-deux pages. Gratuit parce que chez certains le rock'n'roll n'est pas une marchandise mais une passion. Ou un art de vivre.

Stupidement impardonnables vous serez, si de le lire vous omettez.

Damie Chad.

 

THANK'S ROCK AND ROLL

VICTOR LEED

Big Beat Records / 88 805 / 1980

Enregistré le 17 avril 1960 au studio Davout.

Producteur : Jacky Chalard.

Patrick Lozac'h : lead guitar / Donald Rieubon : drums / J. J. Astruc : acoustic guitar / Freddie Legendre : slappin' bass / Victor Leed : vocal .

C'est terrible ces histoires où certains personnages sont incontournables. Par n'importe quel bout que vous les prenez, ils reviennent. Une véritable comédie humaine balzacienne. Mais ici, ne sortent pas de l'imagination féconde d'un romancier. C'est que les activistes sont partout où la cause les appelle. Jacky Chalard était auprès de Noël Deschamps, amateur de rock'n'roll, on le retrouve évidemment avec Bashung pour l'enregistrement du Dick'n'Roll, et moins d'une dizaine d'années plus tard il crée une structure parallèle à Big Beat Magazine. En toute logique ce sera Big Beat Records. Sur le papier une affaire foireuse, quel public pourrait s'intéresser à cet old style mort et enterré depuis belle lurette ! Bien sûr des moins jeunes, le régiment avachi des rétro-nostalgiques qui répondirent à l'appel sans retard sans doute n'attendaient-ils que cela. Et des jeunes. Plein de jeunes. Toute une jeunesse qui depuis quelques temps louchaient sur les rééditions anglaises des trésors du rockabilly. Notamment de jeunes groupes comme les Alligators, Jezebel-Rock et The TeenKats ( avec Zio et Thierry Le Coz ) qui lancèrent la mode. Pas une raison pour oublier les générations précédentes, Vince Taylor – le plus national des rockers étrangers – et les amerloques à la Sonny Fisher que leur propre pays tenait en grande et impardonnable négligence. Bref dix ans plus tard le catalogue Big Beat était d'une richesse incroyable. Cela remit à flot la carrière d'aînés plus ou moins en déshérence, mais ceux qui profitèrent de cette flamme rockabillienne hexagonale furent les Stray Cats qui trouvèrent par chez nous une crédibilité refusée par ailleurs.

Mais venons-en à Victor Leed. Fut une figure majeure du renouveau rockabilly made in France. Fan absolu d'Elvis Presley, Laïd Hamdani d'origine kabyle fréquente dès le milieu des années 70 Treat Me Nice ( voir cronix sur Jake Calypso plus haut ) le fan-club d'Elvis Presley, c'est-là qu'il rencontre Tony Marlow qui l'accompagnera plusieurs fois, notamment avec son groupe les Rockin'Rebels. Coaché par Ding Dong, une figure tutélaire du french Movement Rockabilly, il est le premier chanteur national qui parvint à insuffler et à atteindre une réelle authenticité dans cet art difficile qu'est le pur phrasé rockab pour des gosiers hexagonaux. Ce gamin des rues et des bandes parisiennes, porté par l'explosion rockabilly, connut au début des années quatre-vingt son heure de gloire. Le 25 cm enregistré chez Big Beat et peu après le simple : Mary, Mary / Le Swing du Tennessee n'y furent pas pour rien, mais aussi ses prestations scéniques qui époustouflèrent leur monde... La suite fut moins glorieuse, le reflux de la mode rockabilly, sans doute souffrit-il de l'éloignement des projecteurs médiatiques... Il essaie de revenir dès la fin des années quatre-vingt dans un style différent, ce swing-jazz de l'entre-deux guerres dont Django reste le meilleur interprète... En 1994, Victor Leed décède des suites d'une longue maladie comme l'on dit pudiquement pour ne pas s'appesantir sur la misère inhérente à la condition humaine... Reste le souvenir fou – et de plus en plus flou - de ce jeune chanteur qui fut et demeure une fulgurance du french rockabilly. Reconnu par Carl Perkins, Billy Lee Riley, Waren Smith, Sonny Fisher, Vince Taylor, Carl Mann... Victor Leed aura inscrit son nom dans la légende du rockabilly.

But in your eyes : scintillement de cymbales, voix claire, pas vraiment assurée au début mais qui bientôt s'amplifie et prend de l'assurance, rythmique un tantinet jazzy, un premier solo de guitare qui sent un peu trop l'électricité pour un rockabilly qui se se veut proche des racines et un second plus intuité sur lequel se termine fort originalement en ligne de fuite le morceau. I forgot to love : un peu papier calque de Jailhouse Rock, avec cette manie de manger les mots pour avoir l'air américain et étirement vocalique sur le refrain, plus un solo central qui embaume les Blue Caps. Blue River : entre slow et country, la voix se fait caresse et la musique sautille. L'ensemble sonne rétro en diable. Le Pelvis vous transformait la moindre bluette en tourment romantique. Victor Leed ne possède pas cette puissance dramatique. Un peu trop gentillet. To change my life : très proche du King, trop proche, à l'époque cette aisance caméléonseque a dû passer pour du génie, mais aujourd'hui cela semble daté. Jenny : le slow qui tue. Du susurrement murmuré à la grande amplitude vocale. Les guitares gambadent sans méchanceté, Elvis du retour de l'armée qui vise un large public... Don't be looking for trouble : imitation de Mystery Train, un des morceaux les plus convaincants du disque. Guitare un peu trop aigrelette mais la rythmique tient le coup et Victor se débrouille mieux que bien encore plus cowboy qu'Elvis sur la fin. She don't care : dans la même veine. Victor a enfin compris que la voix doit passer devant et tant pis pour les musicos, à eux de se débrouiller pour se faire remarquer. Ils y parviennent très bien, mais durant ce titre Victor the lead a enfin compris que c'est lui qui mène l'attelage et que le charriot se doit de suivre. He's the big boss man. Shy : rien qu'au titre l'on comprend que l'on est dans le pur sirop grenadine, el Mister Leed ne lésine pas sur la dose, plus c'est sucré, meilleur c'est. D'ailleurs on s'en reverse deux ou trois verres. Et un dernier pour la route. Too much to be right : l'on revient aux choses sérieuses, une bonne barre de rockab plaquée or et aussi épaisse qu'un pare-choc de Cadillac. Victor surplombe et emporte le tout, une belle démonstration de la manière de placer sa voix dans le rockab. Une véritable classe d'excellence pour ceux qui s'essayaient à ce genre de sport au début de la neuvième décennie du siècle dernier. Thank's rock and roll : dans la même veine mais encore mieux envoyée, l'aisance indolente du chat qui s'étire au soleil et puis qui se transforme en tigre pour fondre sur une innocente souris, et vous rappeler que dans le rock'n'roll c'est comme dans la vie, nul n'est innocent.

Une deuxième face bien supérieure à la première qui nous laisse sur nos regrets. Dommage que les circonstances n'aient pas permis à Victor Leed d'épanouir son talent. L'avait les qualités pour imposer une proximale maturité. Il n'en fut pas ainsi. Du moins a-t-il montré le chemin et inscrit l'impossible dans les champs du possible.

Damie Chad.

 

Nous redonnons ici notre cronix du disque 100 Miles de Jake Calypso par dans la livraison N° 339 du 14 / 09 / 2017

100 MILES

JAKE CALYPSO

( Rock Paradise / Chickens Records )

( Sortie : 16 août 2017 )

KISMET / HOME IS WHERE THE HEART IS / I WILL BE HOME AGAIN / SUPPOSE / FLAMING STAR / I'LL REMEMBER YOU / POCKETFUL OF RAINBOWS / WILD IN THE COUNTRY / TODAY TOMORROW & FOREVER / IN MY WAY / MILKY WHITE WAY / THEY REMIND ME TOO MUCH OF YOU

Jake Calypso : chant + guitars / Christophe Gillet : guitars + choeurs / Hubert Letombe : acoustic guitar + manettes / Didier Bourlon : guitar / Viktor Huganet : guitar + choeurs / Mehdi Wayball : guitar / Thierry Sellier : drums / Alexandre Letombe : drums / Guillaume Durieux : contrebasse / Ben D. Driver : Contrebasse / Serge Renard Bouzouki : violoncelles + accordéon + mandoline + bouzouki / Nick Anderson : piano / Fabrice Mailly : harmonica / Bernard Leblond : percussions / Jean-Charles Thibaut : choeurs.

A lire la liste des participants l'on pourrait croire que Hervé Loison avait décidé de convoquer l'entière tribu des derniers mohicans pour un grand pow-how d'enfer rock'n'rollien. N'en est rien. N'y a pas de disque plus solitaire que celui-là dans toute la production française. Un rêve de rocker. Forever. Comme personne n'oserait en faire. Une folie douce. Le type qui plante une pelouse pour les coccinelles en plein milieu de la jungle infesté de tigres sanguinaires. Remarquez l'on aurait pu s'y attendre. Des indices qui ne trompent pas : dans les premiers temps de son parcours : ce groupe nommé Mystery Train ou cet album enregistré à Memphis dans les studios Sun voici à peine deux ans, ne sont-ce point poinçons presleysiens à foison chez Loison ? Donc un disque dédié à Elvis cela tombe sous le sens pour quelqu'un qui vient de rééditer celui dédicated to Gene Vincent et qui a enregistré par ailleurs des albums consacrés à Little Richard et Johnny Burnette. L'on peut déjà dresser la set list, les incontournables comme Heartbreak Hotel, Hound Dog, Don't Be Cruel, tiens ce Milkcow Blues rugueux à souhait et... ramenons les vaches à lait à l'étable, Hervé ne mange pas de ce pain blanc de la facilité attendue. L'est un rocker, un vrai, un pur, à la dure caboche qui n'en fait qu'à sa tête. Faut toujours surprendre l'ennemi du côté par lequel il ne vous attend pas. Vous rêvez du Pelvis frénétique, erreur sur tous les sillons, ce sera le roucoulard des demoiselles, l'Elvis des plus ignobles ballades, celles qui vous font larmoyer de honte à l'idée qu'elles pourraient vous donner envie de pleurer car il est bien connu qu'un rocker au cœur de pierre ne pleure jamais... Pourrait se trouver au moins une excuse l'oison tapageur : morceaux immémoriaux de la mélancolie populaire que les cowboys chantaient le soir venu autour du feu, mais non fait exprès de puiser dans le répertoire le plus inavouable de l'enfant de Tupelo, quand il troque - à l'instigation dollarophile du colonel Parker - l'herbe bleue du Kentucky pour les champs de navets cinématographiques. Z'oui, mais pour Loison chez Elvis tout est bon. N'est-il pas le roi du rock ? Faut pas grand chose pour le prouver. Un petit magnéto et un billet d'avion. L'aéroplane c'est pour se rendre à Memphis, et le mini-cassette pour enregistrer, à mi-voix et parfois en cachette, et souvent à la sauvette, douze pépites d'Elvis dans les endroits où il a vécu : Tupelo, Graceland, Nashville... poussera le vice jusqu'en Allemagne. C'est de retour à la maison que Loison a rameuté les amis, faut habiller l'émotion de cette voix dénudée, lui tisser un habit transparent de cristal et de diamants.

Me suis posé la question : comment rendre compte d'un tel disque ? En même temps totalement hommagial et extrêmement personnel. Après avoir hésité me suis décidé pour l'épreuve ordalique. Par le feu. Morceau par morceau. Version Elvis. Version Jake Calypso. Méthode un peu traître. Nos deux lascars ne sont pas à armes égales. Confort du studio pour l'un, et enregistrement quasi-clandestin pour l'autre. Pas un match, Elvis hors catégorie de par son statut historial et Calypso qui ne se présente pas comme un challenger.

Kismet : annonce fort la couleur Loison, dès le premier morceau. Perso, Kismet n'a jamais été qu'un morceau au mieux purement anecdotique de la discographie du King, extrait d'un film qui n'a pas laissé un souvenir impérissable dans l'histoire du cinéma. Et c'est-là que l'on se rend compte de l'habileté diabolique du projet. Ne s'agit pas d'une reconstitution à l'identique. Calypso dénude le chant, en accentue la limpide fragilité, donne à sa voix un tremblé que la mature facilité elvisienne a laissé de côté. Même parti-pris pour l'instrumentation qui accompagne plus en douceur qu'elle ne souligne chez Presley. Home is where the heart is : un morceau un peu moins rose ( même si l'héroïne de Kid Galahad s'appelle Rose ) que le précédent, davantage ballade country pour dire vite, Elvis y use sans abus de l'obus de son inflexion barytonnienne. Loison y susurre délicieusement, là où Elvis pousse au drame Calypso tire vers une taquinerie plus délicate. L'air de l'amoureux transi à première oreille, mais qui sait y faire pour embobiner les demoiselles... Moins sûr de lui que le chat des collines mais peut-être plus finaud. I will be home again : un titre de circonstance pour le premier album d'Elvis de retour à l'armée. Elvis met le paquet, voix doublée par celle de Charlie Hodge et derrière la musique balance et tangue comme dans une salle de ball. The Pelvis a les mains sur les hanches de la belle et l'est sûr qu'après va l'assaillir à la hache d'abordage sur la banquette arrière... Loison ne se dérobe pas. L'attaque lui aussi bille en tête, guitares un tantinet un peu plus rustiques et des chœurs qui s'en donnent à cœur joie. Va encore y avoir des taches suspectes sur les sièges et Jake en rajoute au final, la voix qui éclate en trompette comme un coup de klaxon triomphal. Elvis n'y avait pas pensé, tant pis pour lui. Suppose : Elvis n'y va pas de voix morte, à l'écouter z'avez l'impression qu'il annonce l'imminence de la fin du monde, heureusement qu'il devient tout tendrou dès qu'il parle d'amour. Pas fou l'oison laisse le violoncelle de Serge Renard se charger de la promotion de la catastrophe, la voix reste à hauteur de demoiselle, la frôle, la cajole comme pas un. Je suppose qu'elle préfèrera l'homme de chair au super héros, même si avec les filles on ne sait jamais. Flaming star : générique d'un des films les plus aboutis d'Elvis. N'a pas peur Loison de s'attaquer à une de ces pépites du Maître. Genre de titre original dont l'interprétation d'une aisance déconcertante s'impose que aimiez ou non. Indépassable, mais Loison et son gang ont trouvé la parade. Tous ensemble. Une cavalcade digne du meilleur des westerns. Même que celui qui tire de l'accordéon, Serge Renard, joue plus vite que l'homme de main presleysien commis à cette même fonction, et Loison entraîne la troupe en galopant un cran au-dessus. S'en tire avec les honneurs de la guerre. I'll remember you : celui-ci Calypso est allé le chercher sur la dernière piste de la deuxième face de Spinout, Elvis devait l'aimer l'a souvent repris en public, guitare hawaïenne qui picore comme des tourterelles et voix de velours inimitable. Difficile d'être plus langoureux, Jake pose sa voix sur un fil angulaire, la rend plus fragile, plus blanche, le gars qui se déclare la peur au ventre, guitare qui grince en équilibre et traînées d'harmonica pour prendre courage. Pocketful of rainbows : Elvis lui file une allure de petit train d'interlude, le rythme trottine et la voix gambade en arrachant des touffes d'herbe, irrésistible. Coups de sabots sur la batterie, un petit coup d'accordéon pour emporter la décision, le timbre de Jake devient ardent, fouette cocher qui sera le premier à sortir un arc-en-ciel de sa poche ? Wild in the country : Sauvage est le country mais suave est la voix d'Elvis, des chœurs au loin chantonnent quelques cuillerées de miel, fermez les yeux vous êtes au paradis. La réalité doit être un peu plus rugueuse alors Calypso appuie un peu plus et les guitares cristallisent plus fort. Très convaincant. Deux dépliants touristiques alléchants. Today tomorrow & Foerever : Elvis triche, l'a le plus joli des jokers dans sa manche, la divine Ann Margret en personne – une de ses très rares conquêtes qui sera présente à ses obsèques – part avec un double handicap notre champion national si l'on pense à la débauche d'images en surimpression qui accompagnent la scène dans Viva Las Vegas, s'avance seul mais est très vite épaulé par son band d'amis, ce que vous ne voyez pas, vous l'entendrez, les guitares résonnent et bientôt vous marchez sur un tapis de mandoline. Bien joué ! In my way : Elvis. Tout doux, tout court. Sans fioriture. Le frottement des cordes comme comme de lointains pépiements de passereaux. Jake légèrement plus hésitant en sa déclaration. La voix plus nue, plus vulnérable aussi. Emotion pure. Le chant semble s'aventurer dans les orties de la parole. Pour donner plus de poids à la promesse éternelle. Milky white way : Ne s'agit plus pour Elvis de refermer dans sa patte de gentil méchant loup la menotte d'une fillette qu'il ne tardera pas à croquer mais de poser la sienne dans la paume de Dieu. Gospel chatoyant. Alors Jake se lâche. Nous donne les grandes orgues de sa voix qui résonne d'autant plus que l'accompagnement derrière est d'une tonalité plus authentiquement rupestre. They remind me too much of you : Les chœurs qui foncent sur la voix du King et puis qui fondent pour se mettre au diapason de ce mohair doucereux, Jake plus haut, plus affirmatif, avec parfois des clairières de repos et un piano qui laisse perler ses notes.

Calypso s'en tire mieux que bien. L'avait mis mis la barre haute. Mais son adversaire n'était pas Elvis. L'a tenté un pari contre lui-même. Crache mes tripes et montre-moi ce dont je suis capable. Fallait un sacré culot et une bonne dose de courage pour se lancer dans une telle entreprise. Et un sacré talent pour la réussir. Ce n'est pas qu'il chante aussi bien qu'Elvis – ce n'est pas la question – mais c'est qu'il se tient à ses côtés sans jamais faire un pas dans les sentiers du ridicule. Sans tricher. En lonely fugitive qui cesse de fuir et qui s'affronte au danger sans ciller. Ces douze morceaux sont les plus doux de toute sa discographie mais jamais il n'a su hausser le ton aussi fort. L'on ne s'en va pas houspiller le cobra dans son abri parce qu'il vous embête, mais pour se mesurer à ses rêves d'enfant. Ou de fan. Ne s'agit pas d'être le plus fort. Mais de combattre. Afin d'être digne de soi-même. A ses propres yeux. Parce qu'en certains moments importants de votre vie vous ne voyez plus les regards des autres. Et en cela Jake Calypso y a merveilleusement réussi.

Damie Chad.

28/02/2018

KR'TNT 363 : CHUCK PROPHET / PATTY VAREN / SISTER MOON / KIRIN DOSHA / JAY JAXSON / BLACK PEARL / FOUR ACES / JOHNNY HALLYDAY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 363

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

01 / 03 / 2018

CHUCK PROPHET / PATTY VAREN

SISTER MOON / KIRIN DOSHA / JAY JAXSON

BLACK PEARL / FOUR ACES / JOHNNY HALLYDAY

 Texte + Photos sur :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Prophet en son pays - Part Two

 

Green On Red s’arrêta en 1987. Chuck Prophet allait ensuite entamer une carrière solo absolument passionnante, pour le seul bonheur de nos chères petites oreilles.

Baptême de l’air en 1990 avec Brother Aldo. Chuck Prophet s’impose aussitôt, comme le ferait une star. Il en a le physique et le talent. Il place dans «Rage And Storm» un solo d’une conception architecturale originale et nous régale d’une embellie finale. Tout sur ce disque est infiniment supérieur à la moyenne. Avec «Scarecrow», il tape dans une ambiance à la Lanegan. S’il réhausse ce festival hallucinant, c’est bien sûr avec solo d’un classicisme échevelé - son clair et paquets de notes clairvoyantes - Il fait la moitié du morceau en roue libre. La fière allure et la hauteur de vue pourraient bien être les deux mamelles du Prophet. Il chante le morceau titre à la Lou Reed, très laid-back. À l’instar d’André Malraux, Chuck Prophet pourrait déclarer : «Le classicisme sera brillant ou ne sera pas.» Et il n’en finit plus de placer d’élégants solos qu’il dote d’un son clair comme de l’eau de roche. Sa copine Stephanie Finch double sa voix sur la plupart des morceaux. Il aménage dans «Stop Right This Way» de jolies montées vers les cieux éternels et nous sertit ça d’un solo d’une extrême rareté. L’album est si bon que tous les morceaux finissent par sonner comme des classiques et notamment «Face To The Wall», avec un ring that bell qui évoque Chuck, mais l’autre, le grand, le Berry. Si vous cherchez un guitariste prophétique, il est là. C’est Chuck Prophet. Il tape aussi dans la country avec «Tune Of An Evening». Il y saccade ses admirables passations de pouvoir.

Brother Aldo en traumatisa plus d’un. Le jeu allait donc consister à guetter la parution de chaque nouvel du Prophet.

Paru en 1993, Balinese Dancer est un album beaucoup moins dense que son prédécesseur. «Savannah» sonne comme le werewolf of London. Chuck Prophet cajunise subtilement son morceau titre en lui shootant une belle dose d’accordéon. Il nous claque des accords beaux comme des dieux dans «One Last Dance» et nous plonge dans une espèce de romantisme fin de siècle - Of course I am - très sophistiqué. Avec «Angel», il emmène la Stonesy très loin au large et ça donne un cut éclatant de vérité. Il saupoudre sa voix gerbeuse d’une belle pincée d’accordéon et tire une fois de plus l’ensemble vers les ineffables régions de l’expertise sensorielle.

Et crac, Feast Of Hearts sort deux ans plus tard. Sur la pochette, Chuck Prophet rivalise de classe Wizard avec Todd ‘A true Star’ Rundgren. Voilà ce qu’il faut bien appeler un album d’anthologie. Lorsqu’il chante «What It Takes», Chuck Prophet dispose d’assez de souffle et d’ampleur pour rivaliser avec Bob Dylan. Il profite d’«Hungry Town» pour non seulement nous régaler du meilleur boogie-rock d’Amérique, mais aussi pour défenestrer son solo. S’il allume un brasier, c’est bien sûr avec une classe qui coupe le souffle. Il a cette désinvolture propre aux seigneurs qui s’ignorent. Et il balance un solo sur le tard, comme ça, sans prévenir. Quelle débine ! Il faut aussi le voir riffer «Break The Seal» à l’anglaise. C’est de la Stonesy à l’état pur - Oh I like to be moved/ And I love to sway/ And watch as the morning/ Turns into day (Oh, j’adore les sensations fortes, j’adore tanguer et voir le jour se lever) - Il gère ça en bon maître de céans, wow ! - Break the seal of the bottle - S’ensuit une fin de morceau aventureuse, percluse d’accordéon et vibrillonnée par une basse démente. Ah, il faut le voir pour le croire. Il revient au Very Big Atmospherix avec «Too Tired To Come» - You conquered my resistance/ I’m too tired to come (Tu m’as épuisé, je suis trop fatigué pour jouir) - Il élève un pont princier et fait monter la sauce. Comme Jackie Lomax, Chuck Prophet tape dans le trop haut de gamme. «Once Removed» nous cueille au menton et nous plonge une fois de plus dans la meilleure Stonesy. Il suit ses mots à la guitare. Épique, furieux, affluant, terrible et perspicace, il fait claquer toutes ses notes, il y croit dur comme fer et se rapproche de Big Star. Encore plus stupéfiant : «Oh Mary» qu’il attaque d’une voix de super star. Écrasant de classe. Son style romantique relève du génie pur - Oh Mary can I give you what you need ? (Puis-je te donner ce dont tu as besoin ?) - Qui penserait à formuler les choses ainsi ? Personne à part Chuck Prophet. On nage dans l’eau bleue d’un mythe rock - Something about you baby has got me hypnotized (Il y a quelque chose en toi qui m’a hypnotisé) - Il déroule à l’infini la pureté de ses intentions - I wanna kiss your mouth until the world is gone (Je voudrais te prendre la bouche jusqu’à la fin du monde) - Et sa musique sert un texte digne des géants de la prose. Comme Mark Lanegan, Chuck Prophet entre doucement dans la peau d’une rock star littéraire.

C’est en tremblant qu’on sort deux ans plus tard Homemade Blood de sa pochette. Et pouf, il part en mode Stonesy avec «Credit». Il aimerait bien aller passer un petit week-end à Paris mais on lui a bloqué son compte - They cut me off/ I want some CREDIT ! - Funny et grandiose, avec les chœurs de Stephanie Finch. Il revient au velouté de rêve avec «You Been Gone». Il chante d’une vraie voix, profonde et irisée, ambrée et chaude. Il continue de proposer des atmosphères solidement instrumentalisées et pimentées d’élégants petits chops de guitare. Il attaque «Inside Track» à la manière de Lou Reed et crée vite fait un univers complet dans lequel rien ne manque - Call it what you want to/ It makes perfect sense to me ! - Et ainsi de suite, tout au long de cet album une fois de plus flamboyant. Il whawhate son «22 Fillmore» de façon spectaculaire - Go on take a picture/ Take the whole fucking roll ! - Il finit par nous soûler avec son classicisme hennissant et son port altier de haut rang séculaire. Il tape aussi dans un joyeux son type Pogues avec «Whole Lot More». Il chante ça d’une vraie voix. Il méduse tout le monde avec ce coup-là. Il enfile les hits comme des perles. À part écouter, tout ce qu’on peut faire c’est regarder les hits s’enfiler. Spectacle d’autant plus intéressant qu’il n’est plus si courant. Fabuleux morceau que ce «Textbook Case» - He was a textbook case/ But he couldn’t read at all - Il enroule ça au chant, fait bien monter la sauce sur une énorme bassline, nous riffe ça sec et derrière, ça fait des ye-oooh ! - He was a textbook case/ There was no doctor in the house/ When his aunt said leave/ He quit as quiet as a mouse/ He robbed from the poor/ He gave to himself/ Looked in the glass/ And raised a toast to his health (C’était un cas classique, il n’y avait pas de médecin dans le coin. Quand sa tante lui a dit de se tirer, il a filé aussi discrètement qu’une souris. Il a volé les pauvres. Il s’est rendu à la police, il s’est regardé dans la glace et a levé son verre à sa santé) - Chuck Prophet rocke la littérature et rolle la prosodie. Dans «Til You Came Along», il redonne une petite leçon de puissance festive puis - ah-ahhh - il balance un solo liquide d’antho à Toto.

Deux ans plus tard, on repère The Hurting Business. On le sort du bac d’une main moite et tremblante. Sur la pochette, Chuck Prophet porte un seyant costume à carreaux et ressemble au plus cool des playboys. Il chante «Apology» d’une voix fatiguée, très laid-back et s’en prend à El Vez : si Elvis était là, il ferait payer ce sucker. Il tatapoume ensuite «Diamond Jim» à outrance et livre une belle carcasse de rock fumant. C’est en réalité un fantastique hommage à Jim Morrison. Chuck Prophet apporte son écot au moulin rouge de la postérité. Il chante «It Won’t Be Long» d’une voix lente bien intentionnée et enchaîne avec «Lucky» - Who’s gonna get lucky - Cette énorme pièce grise par son extravagance poppy mais elle a des reins d’acier. Monstrueux : il n’existe pas d’autre mot pour qualifier «I Couldn’t Be Happier». C’est monstrueux à tous les niveaux : couplets rimés et refrain honky-tonk. Chuck Prophet nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Dans «Dyin’ All Young», il va même chercher le blues rap élégant à la Boz Scaggs.

Au fil du temps, notre héros semble conserver toute sa fraîcheur de ton et toute son aisance. Il sort en 2002 No Other Love, un album une fois de plus riche en rebondissements. Il alterne les heavy blues et les balladifs superbes. Il revient à son admiration pour Bob Dylan avec «Run Primo Run». Édifiant. Beau beat. Chuck Prophet sait asséner des couplets fatals avec la gestuelle dylanesque. On se dit : quel puissant seigneur... Dans «Storm Across The Sea», il raconte qu’il vit avec une folle - Hear me laughing with nothing up my sleeve - Il fait monter une sauce terrible dans «No Other Love». Voilà un nouveau coup de génie : «Elouise», fabuleux track-back monté sur une diction du diable - Take off thoses glasses girl/ I wanna feel your pain (Enlève tes lunettes, je veux te voir souffrir) - C’est une véritable énormité cavalante. Il y balance un killer solo flash de trois secondes. Sa fabuleuse énergie revient au grand galop dans cet élégant mid-tempo intitulé «That’s How Much I Need Your Love» - If I was a Cadillac/ You’de be my drivin’ wheel - Et il nous wha-whate un solo de deux secondes. Signé non pas Furax, mais Prophet. Puis il nous fait le plus beau des cadeaux avec un hymne à l’été : «Summertime Thing». Franchement, c’est digne du «Summer Nights» d’Allen Toussaint. Il y raconte une histoire de voisinage - Put the Beach Boys wanna hear Help Me Rhonda/ Roll Down the sides we’ll drive to the Delta, yeah ! - Pur moment de magie. Chuck Prophet ne vous lâchera jamais la grappe.

Age Of Miracles paraît en 2004. Rebelote. Il ouvre son bal du samedi soir avec un heavy blues nommé «Automatic Blues». Chuck Prophet traumatise ses power chords. Un invité de marque sur cet album : Eric Drew Feldman, vieux crabe du Magic Band, période Doc At The Radar Station. Drew joue du moog. Il règne sur ce morceau une ambiance mastodontique digne de «Cold Turkey», avec un riff arraché. Chuck Prophet renoue avec la classe céleste en attaquant «Just To See You Smile». Ce cut paraît aussi immense que l’océan - Ah baby just to see you smile - On assiste à une explosion de joie électrique portée par un chant éclatant et secoué d’énergie carbonique. Avec Mark Lanegan, Chuck Prophet est sans doute le dernier grand chanteur américain vivant. On passe ensuite à une autre merveille qui s’appelle «West Memphis Moon». Notre héros envoie sa bordée en fin de premier couplet et secoue son vibrato au moment du break. Voilà encore un rock bien charpenté chanté à la revoyure. Jerry Flowers joue de la basse et Drew du moog. On se retrouve face à une énormité stupéfiante. Stephanie Finch revient au micro dans «You’ve Got Me When You Want Me». Cette jolie pièce ruisselle littéralement d’inspiration. Madame la basse porte bien le heavy rock de «Pin A Rose On Me» et on tombe ensuite sur un stomp ahurissant, «Heavy Duty», doté encore une fois d’un texte sublime - If you want to be a better cook/ But you better be careful with the stuff/ You better be careful with this stuff - S’ensuit une montée fatale qu’il sabre d’un solo clair à la Big Star. Là, on s’enfuit dans la rue, hagard. On croise une connaissance :

— Que vous arrive-t-il, vous n’avez pas l’air bien...

— Ah mais si, tout va bien, seulement je viens d’écouter une terrible chanson...

— C’est une chanson qui vous met dans un état pareil ?

— Elle s’appelle «Heavy Duty» !

— Oh, je comprends... Et comment s’appelle le chanteur ?

— Chuck Prophet !

— Chuck qui ?

— Excusez-moi, je dois rentrer chez moi, il ne fait pas chaud !

Notons qu’à la fin d’Age Of Miracles, Chuck Prophet rend hommage à Keef avec un bel exercice de style intitulé «Solid Gold». Il joue les accords de «You Got The Silver» (qu’on trouve sur Let It Bleed), fait entrer les nappes de violons circulaires de «Walk On The Wild Side» et couaque un énorme solo. Voilà comment le dandy Chuck salue ses héros.

Soap And Water ? Nouveau coup de Trafalgar. L’un des pires disques de l’histoire du rock, n’ayons pas peur des grands mots. Un disque dont il faudrait graver le titre dans les falaises de marbre. Un disque qu’on peut écouter à jeun ou pété, ça ne change pas grand chose. Démarrage en trombe avec «Freckie Song», shoot de belle pop drumbeatée à gogo. Il chante toujours ses formules fatales - I just can’t stand myself - d’une voix profonde et chaude et passe des solos d’un classicisme écœurant. Il lâche un couplet dément sur Elvis dans «Would You Love Me». On pourrait qualifier ça de balladif déroutant ou encore de belle claquouille chaperonnée. Final surnaturel. Alors franchement, que demande le peuple ? «Soap And Water» est un joli boogie à l’anglaise - Hot legs cold cash - Même si c’est cousu de fil blanc, Chuck Prophet pompe le dard du mythe, il captive en permanence - Sand mellow/ Oscar Wilde/ Blood Pudding/ Pink ties/ Sweet nothing/ Bitter tears/ Cracked Lips/ Bathroom mirrors - Il riffe «Small Town Girl» sur sa Telecaster et sa copine Stephanie Finch reprend la flambeau. Ce morceau est absolument dément de laid-back. C’est un défi aux dieux de la classe. Attention à ce truc qui s’appelle «A Woman’s Voice» : c’est un blues de juke. Chuck Prophet gratte dans un coin, il est rôti, il passe des notes vaseuses, il emprunte un tempo à Muddy - You start out down the middle - et les violons de Walk reviennent doucement, par petites nappes insignifiantes. Soudain, ça bascule dans le trash du blues électrique perdu sans collier. Stupéfiant ! On le sait, le passe-temps favori du Prophet, c’est d’effarer le petit peuple. On ne répétera jamais assez : ce mec est brillant. Il fait partie des très grands artistes américains qu’il faut suivre à la trace. «A Woman’s Voice» sonne comme une pure giclée de génie - Oh ! Sweet darling !/ Yes a woman’s voice can drug you - Il y bat tous les records d’élégance catchy. Avec sa grosse intro rattrapée à la course, «I Can Feel Your Heartbeat» nous emmène directement au paradis. Ce mec est beaucoup trop fort. On devrait se méfier. Comme le disait Javert à Robert Macaire, les gens brillants peuvent mettre la société en danger. «Naked Ray» rivalise de beauté pure avec le «Pale Blue Eyes» du Velvet. Même niveau d’élévation byzantine et d’inspiration pulsative. Il sort sa voix de Willy the Pimp pour chanter «Downtime». «Happy Ending» referme la marche et cet enfoiré nous démarre un stomp en plein balladif. Il passe du fabuleux à l’étourdissant - It’s too late in the game to start again - Il fait des Ah ! et des Aw ! écœurants de classe déterminante et il finit en déchirant le ciel pour libérer tous les démons de l’apocalypse. C’mon ! Qualifier ça de dément serait livrer un pâle reflet de la réalité objective.

Sort en 2012 Temple Beautiful, un nouvel album aventureux. Chuck Prophet affirme toujours plus sa stature de dandy américain - c’est vrai que ces deux mots ne se marient guère, mais on fera une exception pour ce Prophet en son pays. «Castro Halloween» relève du pur dandysme à la Kinks, des petits guitar licks filent dans l’azur d’une pop à la MGMT et comme on s’y attend, Chuck Prophet place un solo d’une incomparable limpidité. Il faut voir comme il embarque son monde. On parle ici de majesté. Le morceau titre se veut beaucoup plus musclé. Roy Loney vient y chanter des chœurs très perchés. Chuck Prophet sait choisir ses amis : près Drew et Dickinson, voilà qu’il fricote avec LE chanteur des Groovies. C’est une façon comme une autre d’alimenter la mythologie du rock américain. Comme Mark E. Smith à Manchester, Chuck Prophet ne s’intéresse qu’aux vrais artistes. Il reprend son rôle de séducteur pour chanter «Museum Of Broken Hearts» et nous refait le coup du hit fatal avec «Willie Mays Is Up At Bat», une histoire de virée nocturne alcoolisée - It’s three on two out under the lights/ Nobody knows who’ll make it home tonight - refrain magistral et bardé de chœurs chancelants. Si tu essaies de trouver ça ailleurs, tu risques de devoir chercher longtemps. Un tel dandysme ne court pas les rues, sauf en Angleterre. Syd Barrett, Kevin Ayers, Peter Perrett ou encore Viv Stanshall ont su cultiver l’héritage de George Brummel. Mais aux États-Unis, c’est plus difficile. Chuck Prophet reste dans le balladif soigné avec «The Left Hand Is The Right Hand». Il nous livre là une nouvelle pièce incroyablement inspirée, tant dans la diction que dans le jeu de guitare. Il profite de «Who Shot John» pour faire l’hendrixien. Il nous chante ça d’un ton ferme, on ne saura jamais qui a tué John, mais on s’en fout, parce qu’il joue comme un dieu.

Et puis voilà que paraît Let Freedom Ring qu’il enregistre à Mexico. Il se fait photographier en compagnie d’affiches cruelles. On voit par exemple l’aigle fondre sur le lièvre. Au dos de la pochette, dans un petit texte élégant, Chuck Prophet nous souhaite à tous de prendre autant de plaisir à l’écoute qu’il en a eu à enregistrer cet album. Ça part avec «Sonny Liston’s Blues» qui sonne comme un hit des Doors. Il y place l’un de ces solos en perdition dont il a le secret. Vous aimez le country-rock ? Alors «What Can A Mother Do ?» vous plaira. C’est en effet l’une de ces belles pièces désabusées et violonnées, d’une rare élégance et dignes de Gram Parsons. Puis il revient au riff sec et sauvage avec un «Where The Hell Is Henry» particulièrement morbide. Henry a disparu. Retour à la Stonesy avec le morceau titre, et solo de bottleneck sur deux notes. On a là une compo dépenaillée d’une redoutable efficacité et si profondément américaine, au sens où l’entendent les Drive-By Truckers - Let there be darkness/ Let there be light/ As the hawk criplples the dove (ici, l’aigle chope la colombe) - d’où l’affiche cruelle. Le morceau suivant qui s’appelle «You And Me Baby (Holding On)» devrait se retrouver en tête de tous les charts, ne serait-ce que pour la qualité du couplet - I went to see the doctor/ He said you should be dead/ I said I was doc but now I’m back/ I’m holding on/ yes I am ! (J’ai été voir le médecin qui m’a dit que je devrais être mort, j’ai dit que je l’avais été, mais que j’étais revenu et que je m’accrochais) - Pur panache ! Autre morceau spectaculaire : «American Boy». Nouveau shoot de Stonesy. Chuck Prophet fréquente les bars américains et en ramène des couplets rockants - In the Georgetown bars/ With the prozac kids/ And the Oliver Stones/ And the tabloid smiles - En B, on tombe sur un nouveau balladif inspiré, «Barely Exist» - When you barely exist/ Who’s gonna miss you when you’re gone ? (Quand vous existez à peine, vous manquerez à qui en mourant ?) - C’est une fois de plus très proche de ce que fit Dylan à une époque. Dans «Good Time Crowd», Chuck Prophet se moque des gens qui prennent du bon temps en tirant des coups de flingue dans le plafond, qui vont balancer des motos volées du haut des falaises, ou qui vous envoient des cartes postales de Crète. Il a raison. En plus, ça lui donne une superbe matière pour ses couplets. Il boucle sa puissante affaire avec un rock hautement atmosphérique : «Leave The Window Open». Il réussit à nous bricoler une montée sur des explosions d’accords. Mais ce n’est pas tout ! Il grimpe aussi dans les octaves au moment où il demande à l’autre d’ouvrir la fenêtre. Et là, on ne sait plus quoi dire.

Night Surfer ? Arrrghhhhh quel album ! Et dire que dans la presse musicale, des gens se plaignent qu’il ne se passe plus rien ! Il revient à sa chère Stonesy avec «Countryfied Inner City Technological Man». Il nous amène directement à l’effarance des niveaux supérieurs. Quelle énergie ! Ça sonne comme «Live With Me», rien de moins - Give me a holler cause we never close Oh - Oui, crie un coup, mon gars et pendant ce temps Prairie Prince bat le beurre. Et avec «Wish Me Luck», il ouvre les fenêtres et respire l’air à pleins poumons - And I shout look out all you losers/ here I come ! - Il envoie ça avec un fantastique allant décadent. Chez lui, les mélodies et les textes sont d’un niveau tellement soigné qu’il est recommandé de ne pas en perdre une seule miette. On monte encore d’un cran dans la stupéfaction avec «Guilty As A Saint» - My face a little longer, my mind on repeeeeeat - Ce mec ne finira plus de capter l’attention. Il passe au stade de la fantastique élévation avec «They Don’t Know About Me And You». Il y retrouve le chemin du pur génie. On a là du Prophet de la rock-song d’ambition démesurée - Oh baby come on you could be my savior - Encore de l’élan avec «Lonely Desolation» - Come on that’s gonna be hard to arrange - Il lâche ça avec une vieille rage dylanesque. On passe à «Laughing On The Inside» et l’incroyable de la chose, c’est que ça continue de monter en qualité - When you took off your dress/ I couldn’t believe my good fortune - C’est grandiose et élégant à la fois. Tout est absolument superbe sur cet album. Nouveau coup de Jarnac en B avec «Ford Econoline» et ce refrain dément - She pulled over said climb on in/ I did what she said/ She turned the music up real loud - Le problème, c’est qu’ils écoutent Talking Heads dans la bagnole, mais ce n’est pas grave, seule compte la classe mortelle de Chuck Prophet. Ça stompe sec et il balance cette métaphore lugubre de fin de cut - All these memories like dirty plates/ Stacked up in the sink of time - Oui, ces souvenirs qui ressemblent à des assiettes sales entassées dans l’évier du temps. Il revient ensuite à la Stonesy avec «Felony Glamour» et enchaîne avec une fabuleuse leçon de diction, «Tell Me Anything (Turn To Gold)». Il sort des syllabes pour les tordre délicieusement. Il retrouve l’art perdu de Bob Dylan. Il reste dans cette belle veine dylanesque pour «Truth Will Out (Ballad of Melissa And Remy)» qu’il chante à la notule gourmande. Et il finit avec une sorte de glam riffé comme «The Jean Genie». Non seulement c’est l’un des albums de l’île déserte, mais on pourrait aussi très bien apprendre les paroles de certaines chansons par cœur, comme on le faisait jadis avec «Lost In Mobile With The Memphis Blues Again» ou «All Along The Watchtower».

En ce qui concerne Chuck Prophet, il n’existe pas beaucoup de littérature. Aussi faut-il en profiter quand on tombe sur un article qui lui est consacré. Surtout s’il paraît dans Vive le Rock qui reste le plus sérieux des canards britanniques. Joe Whyte démarre son article ainsi : Si vous ne savez pas qui est Chuck Prophet, VRL seriously recommands you find out.

L’article salue la parution du nouvel album du Prophet, Bobby Fuller Died For Your Sins - Absolute corker, affirme Whyte. Il fait un petit retour en arrière pour rappeler que Green On Red fut le greatest bar band d’Amérique, avec des racines dans Dylan, the 70’s Stones, Gram Parsons et le punk rock des Dead Kennedys qui les mit en route. Il rappelle aussi que Chuck Prophet fit le session-man pour pas mal de gens intéressants : Warren Zevon, Lucinda Williams, Aimee Mann et Alejandro Escovedo.

Pour qualifier son nouvel album, Chuck Prophet parle de California Noir, the dark underbelly of the Golden State - Doomed love, inconsolable loneliness, fast-paced violence - et il cite Jim Thompson - There’s a million ways to tell a story, but there is only one story to tell - Things are never what they seem - Oui, le choses ne sont jamais celles qu’on croit. Il évoque aussi The Mission Express, son touring-band dans lequel sa femme Stephanie joue des claviers. Pour Chuck, prendre la route après le parcours du combattant que constitue l’enregistrement d’un album, c’est un peu comme prendre des vacances. Joe Whyte trouve que l’album est très Americana and roots rock, à quoi Chuck répond : Sure, it’s all in there, I guess. American rock’n’roll, a little folky, a little greasy. It’s psychedelic ballroom rock’n’roll with a nod to Dylan, The Byrds, The Groovies and Motown, the British Invasion and Bobby Fuller. Chuck dit que pendant l’enregistrement de l’album, le fantôme de Bobby Fuller se penchait par dessus son épaule pour voir ce qu’il écrivait et pour lui rappeler qu’on pouvait faire énormément de choses avec trois accords. Il brosse ensuite un portrait épatant du pauvre Bobby retrouvé mort dans sa bagnole. Dans les années cinquante, ce clone de Buddy Holly avait le plus grand teen dance band d’El Paso. Il enregistrait ses disques chez lui, dans le salon de ses parents. Quand il débarqua à Los Angeles, il se sentit complètement largué : les gens écoutaient les Beatles et portaient des Beatles boots. Il n’avait que 23 ans quand on le retrouva mort dans sa bagnole, avec du pétrole dans les poumons. Suicide ou exécution ? Personne ne sait. Pour Chuck, Bobby is the ultimate rock’n’roll Babylon feel-bad story. Et il ajoute que le mystère de sa mort veut rester un mystère. Il rend aussi hommage à sa hometown, San Francisco. Selon lui, chacun s’y rend à la poursuite d’un rêve - San Francisco is where I invented myself, it has been my education, in the arts and culture, politics and the sexes - Chuck rend aussi des hommages appuyés à Townes Van Zandt, aux Drive-By Truckers et quand Joe Whyte évoque la fameuse rumeur d’un Prophet pressenti à une époque pour jouer dans les Stones, il la chasse d’un geste de la main, comme si c’était une mouche : The Rolling Stones seem like pretty cool guys to me.

On ne trouve pas moins de quatre coups de génie sur Bobby Fuller Died For Your Sins. À commencer par «Coming Out In Code», pure littérature - Like a bull in a China shop/ My heart beats in my chest - Un hit de plus, Chuck ! - They call me Willie Wonka Boys/ You tell me what it means - Il faut voir avec quelle bravado il lâche ses répliques. Chuck Prophet est le Pierre Brasseur des Enfants Perdus de la Garance. Encore du génie à l’état le plus pur avec «Jesus Was A Social Drinker» qui ouvre le bal de la B - He never drank alone - Forcément et le refrain tombe du ciel - So tell me where it hurts/ And I’ll tell what to feel - Okay, comme dirait Mick Farren, yes I will et il passe un solo arizonien d’une beauté surnaturelle. Les hits de Chuck Prophet sont en fait des historiettes mirobolantes. Encore un coup de bambou avec «Post War Cinematic Dead Man Blues» - I got the post war cinematic dead man blues - Forcément, avec ce côté dylanesque, ça sonne comme un hit planétaire, car en plus, ça chevauche aux clap-hands et ça pulse aux chœurs de ouh-ouh-ouh. Et comme si ça ne suffisait pas, il passe un solo flash fourvoyé. Encore une merveille avec «If I Was Connie Britton» - Man I tell you what to do/ I’d brush my hair every morning/ On the weekend too - Pure boogie motion - Leathers pants in the summertime/ Hot pants in the cold - Tout est taillé sur mesure, dans ce disque épouvantablement bon. Il dédie «In The Mausoleum» à Alan Vega et reprend le beat de Jukebox Baby sur sa guitare. Il fait bien son Vega et shoote au passage une jolie dose de sauvagerie. L’autre hommage qu’il rend est celui du morceau titre, c’est-à-dire à Bobby Fuller - Cruising through El Paso/ Carrying a heavy load - Il rend aussi un dernier hommage à Bowie dans «Bad Year For Rock’n’Roll». Il sort encore une fois sa fantastique élégance de mid-tempo catégoriel. Il prend «Your Skin» au fin garage US infesté de fuzz. Son garage se fête comme le retour du héros. Chuck Prophet passe des solos si délicats et tellement intrinsèques qu’il ne reste plus qu’à se pâmer. Et puis, il ne faut surtout pas oublier d’écouter «Killing Machine», car il entre dans les stores avec un gun, alors ça ne rigole plus.

Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule : la parution du nouvel album s’accompagne d’une tournée mondiale et voilà Chuck Prophet & The Mission Express sur scène à la Boule Noire. C’est inespéré ! Il surgit sur scène ultra athlétique, frais comme un gardon, jumping all over, il faut le voir pour le croire. Voilà un homme ravi de jouer. Il n’en finit plus d’exprimer son bonheur. Pour être tout à fait franc, on s’attendait à une prestation moins extravertie. Dans l’inconscient collectif, Chuck Prophet est un dandy, pas un zébulon qui saute partout. En outre, il commet sans doute une petite faute de goût en portant ces horribles chaussures montantes à guêtres, mais son enthousiasme l’emporte et devient vite communicatif. Bien sûr, il voit lui aussi que la salle est loin d’être pleine, mais il met les bouchées doubles. Il prend soin de présenter tous ses cuts, rappelle que cette année fut a Bad Year For Rock’n’Roll : Bowie, Alan Vega sont morts, et ajoute-t-il, democracy in the USA ! Il reviendra saluer Alan Vega et illustrer mythe du cut monté sur un accord en jouant le Jukebox Baby d’«In The Mausoleum». Il salue aussi Jesus avec l’effarant «Jesus Was A Social Drinker» et n’en finit plus de passer des solos surnaturels qu’on ne trouve pas sur les albums. Il tâte même du twin guitar attack à la Gorham/Robertson avec son guitariste James DePrato. Lorsqu’il revient pour le rappel, il commence par raconter une histoire : en plein mouvement punk, lui et ses copains ados déboulèrent dans un club de San Francisco pour voir jouer des groupes. Il se souvient des horribles Mentals. Puis un groupe de chevelus s’installa sur scène et la salle se vida. Sauf Chuck. Le son des chevelus lui plaisait. Il raconte qu’il vissa littéralement son regard dans celui du guitariste. Et là, il commence à gratter les accords d’intro de «Shake Some Action». Chuck Prophet évoquait les Groovies et il leur rend un hommage flamboyant.

Bien sûr, il réapparaît après la fin du set pour signer quelques autographes. Il porte un chapeau de dandy à plumeau et un T-shirt. Il déambule nonchalamment dans la salle et échange quelques mots ici et là. Ce mec tient plus de l’écrivain que de la rock star, on sent qu’il adore le contact. Il va naturellement vers les gens.

— Thank you for the Dickinson days, Chuck !

— Oh, it was just perfect.

Signé : Cazengler, prophêtard

 

Chuck Prophet. La Boule Noire. Paris XVIIIe. 21 novembre 2017

Chuck Prophet. Brother Aldo. Fire records 1990

Chuck Prophet. Balinese Dancer. China Records 1993

Chuck Prophet. Feast Of Hearts. China Records 1995

Chuck Prophet. Homemade Blood. Cooking Vinyl Records 1997

Chuck Prophet. The Hurting Business. Cooking Vinyl 1999

Chuck Prophet. No Other Love. New West Records 2002

Chuck Prophet. Age Of Miracles. New West records 2004

Chuck Prophet. Soap And Water. Yep Roc Records 2007

Chuck Prophet. Temple Beautiful. Yep Roc Records 2012

Chuck Prophet. Let Freedom Ring. Yep Roc Records 2013

Chuck Prophet. Night Surfer. Yep Rock Records 2014

Chuck Prophet. Bobby Fuller Died For Your Sins. Yep Rock Records 2017

Joe Whyte : Heavy Duty. Vive le Rock #44

JOUARRE / 24 – 02 – 2018

LOCAL SIGVALD'S MC SEINE & MARNE

PATTY VAREN

40 BIRTHDAY PARTY

PATTY VAREN + GUESTS

Patty Varen fête son anniversaire. Quarante printemps. Les Rolling Stones ont beau nous avoir appris que le time était on our side, ce n'est jamais marrant de voir les jours filer, alors le mieux est encore d'inviter les amis et de montrer que l'on est encore vivant pour faire la nique au destin et arborer la vie, voiles déployées et pavillon haut.

Les Sigvald's sont les pros de l'accueil chaleureux et cordial. Du monde partout, dehors, dedans, dans le hall, autour du camion à pizza, sur les banquettes, auprès du bar, beaucoup d'enfants occupés à des pliages, un maximum de bikers représentatifs de tous les moto-clubs des environs, les supporters attitrés des bands, de simples amateurs de rock'n'roll, bref le local est comme un verre de jack rempli à ras-bord, qui déborde de gaieté et de bonne humeur.

Vaudrait mieux ne pas parler de la scène. Un entassement innombrable de guitares, d'étuis hétéroclites et d'entrelacs tubulaires, un entrepôt d'usine, un capharnaüm sans nom, dans lequel les musicos s'essaient à retrouver leur matos... c'est que la soirée est spéciale, pas une queue-leu-leu de groupes en brochettes, Patty Varen en superstar, avec ses boyz, et une phalange d'amis et d'amies qui vont venir jouer quelques morceaux, sans compter les incessantes permutations de personnel. Pas tout à fait un concert, une soirée spéciale, une rencontre, des découvertes, beaucoup d'éclats de rire et d'amitiés, chacune des prestations comme un cadeau offert, à Patty, et par Patty, à tous ceux qui sont venus, partager cette festivité rock !

PATTY VAREN

Yeux pétillants, cheveux blonds mi-longs, micro en main, tout sourire, échancrure qui dévoile la naissance des seins, aussi sereine que Jean Bart s'apprêtant à mener, sus à l'anglois, son équipage corsaire à l'abordage, véritable maîtresse de cérémonie, rameute ses boyz comme des enfants en retard, gentiment mais avec ce zeste invisible d'autorité naturelle qui fait toute la différence. Vient du Nord comme elle s'en vantera, mais ne le perdra pas de la toute la soirée. De toutes les manières quand elle sourit, vous ne pouvez qu'acquiescer à ses moindres demandes.

AND HIS GUYZ

Sont quatre. Deux guitares, basse, batterie. Un peu mous du genou sur les trois premiers morceaux, question de réglage, c'est Boris de Kirin Dosha appelé à la batterie pour un morceau qui accomplit la soudure nécessaire. Vous black oute l'énergie en moins de trente secondes. Quand il sera parti, l'osmose se fera et la fête commencera. Deux guitaristes, Bruno le grooveur, une facilité déconcertante pour balancer le riff, Eryck spécialiste des sonorités craquelantes, surtout au moment où on ne l'attend pas. A la batterie Phil joue le rôle de l'homme orchestre, donne de l'ampleur au son, repousse les cloisons, distribue du champ et c'est cet espace qu'Alex inonde de la profondeur de sa basse. Jouent un style que j'appelle du hard mélodique, une musique qui demande énormément de puissance sonore, qui ne déploie parfaitement sa majesté que dans des salles bien plus spacieuses que le local des Sigvald's. S'en tirent bien, l'équilibre de leur jeu pallie ce manque d'étendue volumique. Et puis il y a Patty. Pose sa voix crescendo, rien ne la rebute, passe les obstacles comme si de rien n'était. Monte haut sans jamais se perdre et dérailler dans les aigus, les garz la suivent et la soutiennent, n'oublient pas d'en rajouter, s'amusent entre eux tout en restant à ses petits soins. Patty les soude et les emmène où elle veut, mais voici qu'elle laisse la place à :

SISTER MOON

Z'ont gardé Phil à la batterie. Mano, guitare en main, se plante au micro et c'est parti pour trois – uniquement trois ! - morceaux. Ne mettent pas de temps à faire chauffer la colle. Mano apostrophe l'assistance- Hey ! Hey ! Hey ! - desserre la clef à molette et c'est parti pour le rock and roll. L'a fallu un peu de temps pour installer le synthé sur l'estrade, mais on ne regrette pas, un sauvage dessus, s'appelle Rit, joue comme s'il était en rut, une gueule de caraque ébouriffée, l'a les cheveux pétardés qui partent dans tous les sens, un look à la Mink de Ville, vous martyrise une touche, une seule, juste pour que vous sentiez que votre cerveau en frétille d'angoisse, plus tard prendra son harmonica à s'en démantibuler les gencives, à la basse R-One vous pousse des flots noirs aussi impétueux que le Rhône à la fonte des neiges, Mano aboie et vous galope de ces riffs à la vitesse d'un troupeau d'antilopes. Sister Moon vous file un shoot d'adrénaline à structures zépliniennes qui vous expédie dans la lune en dix minutes. C'est là que vous vous apercevez que, contrairement à ce que soutiennent les scientifiques, les fameux cratères sont en éruption continue. Personne n'a envie de redescendre. Hélas, trois morceaux !

KIRIN DOSHA

Eux aussi sont soumis à la loi d'airain de l'infernale trinité. L'on se dit qu'avec le coup de speed asséné par Sister Moon ils n'ont pas intérêt à compter les moutons. Boris Massonnier nous rassure tout de suite. L'a préalablement scalpé la batterie de la moitié de ses toms. N'a gardé que l'essentiel : la force de frappe. Un plaisir de le regarder, l'a les bras qui bougent comme ceux d'une danseuse étoile, z'avez l'impression d'un tutu qui virevolte en apesanteur. A toute vitesse. Ce qui est surprenant parce que Kirin Dosha ne produit pas un rock'n'roll des plus rapides. Sont beaucoup plus complexes et subtils que cela. Ne cherchent pas à faire la course en tête. Possèdent un chanteur, Laurent Baup, une voix particulière, une tessiture inaccoutumée qui induit une musicalité différente. Dès qu'il ouvre la bouche, vous avez l'impression d'une chrysalide qui libère un papillon. Mikko Anquetil à la guitare et Kevin Corrie à la basse, sont comme plaqués aux nuances colorées de ses ailes chatoyantes qui prennent leur envol. Et décrivent d'étranges arabesques. Esquissent des structures inacooutumées, dessinent un monde inhabituel que vous aimeriez visiter un peu plus longtemps, mais, sont déjà en train de remballer le matos. Dura lex, sed lex.

PATTY

Patty Raven et ses boyz ont repris la piste. Mine de rien le répertoire change, davantage appuyé, l'on quitte le hard technicolor pour des morceaux plus rythmés et incisifs. Patty encore plus à l'aise, captivant l'auditoire par cette espèce de désinvolture de ces grandes dames des salons du dix-neuvième siècle qui monopolisaient par leur parole ailée l'attention de tous les beaux esprits, mais sachant mettre en valeur et prêter main-forte aux nouveaux venus. Nous présente – étaient présents dans son premier groupe à son arrivée à Paris - Chouchou – batteur gaucher de son état, ce qui nécessite une inversion des fûts - et Valérie, de noir vêtue, style mystérieuse égérie, irradiant de cette fausse élégance discrète qui attire les regards... Toutes deux nous interprètent un titre de Noir Désir, obscur à souhait, tandis que Chouchou fait preuve d'une frappe franche et sans défaut qui accentue la pointe de perversité du vocal partagé.

JAY JAXSON

Patty appelle Jay Jaxson. Pour un duo. Dos à dos. La blonde et la brune. Jay pétille de joie et de simplicité. De ces filles que l'on ne peut s'empêcher de trouver sympathiques avant même qu'elles aient ouvert la bouche. Oui mais dès qu'elle ouvre, vous filez tout doux et vous vous précipitez droit sur l'évier pour faire la vaisselle, une voix de rock et de braise, parfaite pour la ballade à grand spectacle qu'elles nous offrent et Patty qui lui donne la réplique sans effort. Un grand moment. Cherche à s'éclipser, mais non, reste seule avec – ce doit être Bruno, mais ma mémoire fatiguée ne peut l'affirmer, à l'acoustique – et c'est parti pour un blues enlevé à la coyote, rythmique répétitive précédée d'une foudre d'harmonica aux piquants de porc-épic soufflée par Jay avant qu'elle n'enchaîne, un vocal aussi cinglant que des coups de fouets. Suivront deux morceaux, Jay toute seule, s'accompagnant à la guitare, deux brûlures au fer rouge, appliquées avec un savoir-faire de bourreau cruel, d'ailleurs elle s'échappe en éclatant de rire, nous laissant sur notre faim, dans notre incomplétude. Une révélation, qui nous vient d'Australie, en Europe depuis quelques années... La grande classe. La grande claque.

BLACK PEARL

Black Pearl Band, l'autre groupe de Patty, l'en manque un, le batteur, no problem, ce n'est pas ce qui manque et la fête continue, à fond les ballons, de Born To Be wild de Steppenwolf à Highway to Hell d'AC / DC, du gros rouge classique qui tâche et qui ramone sérieusement, et Patty qui mène le bal des ardences... attention, gâteau d'anniversaire, bougies soufflées, applaudissements, bises spéciales aux Sigvald's qui ont agencé la fête et Patty demande si elle peut encore se permettre un petit morceau avec ses perles noires qui ont déjà ceint leurs guitares. Permission accordée, après tout c'est son anniversaire !

Damie Chad.

WONDERLAND / KIRIN DOSHA

Laurent Baup : lead vocals, guitars / Mikko Anquetil : lead guitars, vocals / Kevin Corre : bass, keyboards, vocals / Boris Moissonnier : drums.

Enregistrement, mixage, mastering : Sébastien Langle.

Bel artwork by Jo Design. Oeil rouge et cornes noires d'un kirin blanc – espèce de licorne chinoise à écailles dégageant une énergie ( dosha ) bienfaitrice – en lisière de pochette, comme posté à l'orée de notre monde d'une froideur bleutée mortelle. A moins qu'il ne soit au bord de l'univers merveilleux du vide accompli en sa perfection. Pochette ambigüe qui laisse à penser que dans le monde des hommes, celui qui peut se revendiquer d'une nature kirinique est d'une rareté yinique exemplaire. Quoi qu'il en soit, le message induit est à décrypter en tant qu'annonce d'un rock'n'roll qui ne brûle pas ses vaisseaux dans les flammes sans cesse renaissantes de sa propre énergie. Kirin Dosha fait partie – c'est ainsi que je le classe selon mes propres catégories qui ne sont pas celles communément admises - de ces groupes néo-progressifs qui ouvrent le livre mystérieux des légendes prophétiques du présent. Cela peut-être pour noter que le groupe que nous avons vu sur scène à la Patty Varen Party était résolument beaucoup plus primairement rock que celui donné à entendre sur ce CD.

Command and control : tout de suite la différence, l'utilisation dominante des claviers qui classicise la musique. Pas vraiment une symphonisation mais une ampleur sonore quelque peu majestueuse qui donne profondeur et ouvre les perspectives. Ensuite tout repose sur la disjonction de la rythmique et de la voix. La batterie droit devant et le vocal sur une ligne faussement parallèle qui s'écarte insensiblement de cette direction, le reste de l'orchestration ménageant pauses et étapes qui vous envoûtent et vous empêchent de vous apercevoir de cette partition germinative. Evil Twin : la mauvaise part, le reflet de l'unicité qui se donne en tant qu'annihilation de son origine, très belle prestation vocale, barde qui vaticine les grêlons de l'existence, la musique comme fission éruptive et brutale. Surrender : les chants de la déshérence, une longue mélopée interminablement échevelée, jamais finie, toujours reprise, un galop sans fin auquel vous vous abandonnez, emporté, bercé, enlevé, kidnappé, s'entrouvrent les portes d'un ailleurs inconnu, il est trop tard pour reculer, vous n'en avez aucune envie. Sentenza : plus enlevé, dans le vif du sujet, rythmique accélérée, vocal auto-comminatoire, et ces touches cristallines qui laissent présager l'accueil d'un adieu, la voix qui rampe, s'évanouit et enfle comme poche de fiel ou de ciel crevés. Choeurs éloignatifs. Blessed : la voix étirée tel un drame, tout le reste comme accompagnement qui essaie de recouvrir plaintes, paroles et espoirs, plus que le piétinement de la batterie qui s'éteint et qui renaît identique au début du premier morceau. Le cercle se referme sur lui-même de la même manière qu'il s'ouvre...

Kirin Dosha a su créer une atmosphère rockmantique qui n'appartient qu'à eux. Un beau disque pour ceux qui aiment les contes d'orichalque et de licorne unicorne.

Damie Chad.

WHEN YOU'RE GONE / THE FOUR ACES

Rock Paradise Records / RPRLP 106

( 2012 )

Faut farfouiller chez soi. C'est la semaine dernière en cherchant ce que j'avais sur les Four Aces, que je suis tombé sur ce vingt-cinq centimètres tout neuf, encore emballé dans son plastique. Religieusement classé sur l'étagère idoine et oublié là depuis cela doit faire plus de quatre ans. Plus vraiment d'actualité mais le rockabilly étant une musique éternelle, l'on s'en moque. Et puis l'occasion de faire un signe d'adieu aux Four Aces qui ont donné leur dernier concert la semaine dernière ( voir Kr'tnt ! 362 ). Avec en prime quelques photos de cette ultime prestation dues à l'œil aiguisé de Serge Viennet.

Laurent : vocal & rhythm vocal / Marc : lead guitar / Thierry : upright bass / Carlos : drum.

Won't You Stop : voix explosive et la contrebasse qui cliquette comme une crécelle de lépreux. Tout le rockabilly en cette entrée fracassante et toute la suite, la batterie qui grogne en chien méchant qui n'aime pas que l'on s'approche de sa gamelle, un solo de guitare à vous faire tirer dessus par un sniper, pourvu que ça n'arrête pas. Hélas si ! Goin' Strong : pour reprendre aussitôt. Guitare grondante, voix menaçante, batterie hébétante et contrebasse rebondissante. Laurent hausse et ralentit le débit de sa voix comme l'on négocie un virage mortel juste pour que la passagère se serre encore plus près de vous. Chaleur animale. My Baby's Gone : l'a dû avoir trop peur, à la fin de la croisière elle a claqué la portière et s'est tirée de la tire. Pour le blues vous repasserez, juste l'occasion d'être encore plus épileptique que sur les morceaux précédents, les Four Aces quand ça pique ils n'ont pas de coeur. Vous laissent sur le carreau mais c'est beau comme un trèfle à quatre feuilles. Tell Me Baby : avec les filles faut mettre les points sur les I, Marco vous poinçonne le boulot sur sa guitare de main de maître. Quant à Laurent il vous la briffe direct pendant que Thierry et Carlito en rajoutent par derrière. Envoyé de mains de maîtres. I'm Out : atones les Four Aces ? Vous voulez rire, n'ont jamais été aussi in. Un festival instrumental, et Laurent vous remue la salade vocale d'une bien belle manière. When You're Gone : quand la souris est partie, les chats dansent. Pour la dépression, disons que le mental est au plus haut, vous avez Marco qui bouscule les meubles, Laurent qui s'accroche au lustre, Thierry qui tambourine sur la porte et Carlito qui vous siffle les verres de jack à tire larigot. Une espèce de tourbillon à la derviche tourneur, mais frénétique. What Can I Do : l'interrogation métaphysique. Savent très bien ce qu'il y a à faire. Du rockabilly explosif avec des trombes de contrebasse des éclairs de guitare, des hachis de drum et des persillades de vocaux au vitriol. You'll never stop : ces gars-là ne sont pas partis pour s'arrêter, le proclament bien fort, et chacun y va de son bâton de dynamite pour vous en persuader. Y réussissent très bien. Avec une facilité déconcertante. Leaving On My Mind : le côté moqueur rockab, Laurent nasille et les trois autres frétillent du hillbilly, l'on étire le solo de guitare, la upright dodeline de la tête, et Carlito vous sautille le rythme, genre canasson qui clopine pour regagner l'écurie après avoir sailli trois juments dans le pré. Good Show no Go :

Bon rockab ne saurait mentir, les cats n'engendrent pas des demi-portions, se régalent de jouer les méchants, vous le font à l'intimidation, pour un peu vous auriez peur, mais non sont trop bons pour les coups tordus. Emportent la décision comme le corbeau le fromage. Vous laissent tout penauds quand ils arrêtent les frais ( après avoir été si chauds ! ). Une seule solution remettre le disque !

Une petite merveille ce mini trente-trois se révèle être un grand album. Que du rockab, mais jamais d'ennui, vous le déclinent comme les milk-shake, à tous les parfums. A chacun sa saveur. Et vous vous sentez obligé de les goûter tous.

Damie Chad.

JOHNNY HALLYDAY

Rock & Folk / Hors-Série N° 36 / Janvier 2018

Rock & Folk, la revue, n'avait offert que quelques photographies inédites pour rendre hommage à Johnny, dans sa livraison de janvier. Peu, si l'on compare au tsunami de numéros spéciaux consacrés à l'artiste par des canards ( souvent boiteux ) pas spécialement célébrés pour l'intérêt qu'ils portent habituellement à la musique en général, et au rock'n'roll en particulier... On nous avait prévenus, l'on mettrait les petits plats dans les grands un peu plus tard. C'est à la mi-février que le festin a été livré dans les kiosques. Service minimum. Pas de branle-bas généralisé dans la cambuse. L'on n'a désigné qu'un grand-chef. Pas n'importe lequel, le maître-queue spécialiste du old style. Jean-William Thoury. Difficile de trouver mieux. Y a bien dû y avoir une armée de marmitons – les petites cuillères - qui ont disposé les photos sur la maquette et veillé à lisser les titres, mais c'est tout. N'a pas eu le temps de jouer les touristes, Thoury, idem pour les grandes réflexions et les mises en perspectives. L'est parti du principe qu'un chien écrasé n'était qu'un chien écrasé. Tant pis pour ceux qui aimeraient connaître sa race, sa taille, sa couleur, son pédigrée, le nom du conducteur, la marque de la voiture, et qui s'interrogent sur si l'acte était prémédité, intentionnel, la bête est-elle morte sur le coup, a-t-elle souffert, on s'en fout, idem pour le chagrin de la petite fille sur le trottoir devant la marre de sang. Non, les faits bruts, dans leur sécheresse. Un chien écrasé. Point. Passons au suivant.

Ce qu'il y a du bien avec Hallyday, c'est que les clébards crevés au bord de la route, l'en a laissé des tonnes. Jean-William il écrit un numéro spécial, pas La Recherche du Temps Perdu. Pas une minute à s'attarder. L'a tordu le cou au lyrisme. Style télégraphique. C'est que Johnny, l'a pas roupillé ses journées dans sa chaise-longue à feuilleter des magazines, l'était pas du genre à passer trois jours sur sa pelouse à chercher des trèfles à quatre feuilles. L'a chanté, aimé, baisé, bu, descendu les rivières en radeau, s'est battu, a voyagé un peu partout, tourné des films, fait de la moto et du théâtre, disputé des rallyes automobiles, donné des concerts, enregistré des disques, vaudrait mieux lister tout ce à quoi il n'a pas touché, ce serait moins long. Jugez-en par vous-mêmes, tout compris, textes, photographies, gros titres, Jean-William Toury est arrivé à remplir cent pages. Gros boulot. Belle compilation.

N'empêche que l'on reste sur sa faim. On attendait au minimum une beau cuissot d'éléphant, un pantagruélique plat de résistance, sept ou huit desserts plus les îles flottantes et leurs océans de crème au beurre, et l'on n'a eu à becqueter que les petits fours de l'apéro. En gros, expression mal venue, l'on a eu la madeleine, mais les rallonges de Proust elles sont restées dans l'encrier.

Pourtant ce ne sont pas les facettes qui manquent, Johnny vous pouvez l'aborder par tous les côtés... l'on dirait que Rock & Folk a évité les sujets qui fâchent. Les faits, rien que les faits, permettent de ne pas prendre position. Prudence avant tout ! Surtout ne pas décevoir une partie de nos lecteurs, difficile d'établir un consensus entre les fans inconditionnels de Johnny et ceux qui ne le calculent même pas. Adoration ou mépris, ne pas choisir. L'on eût aimé autre chose. D'un peu plus rock'n'roll !

Damie Chad.