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01/04/2020

KR'TNT ! 458 : KELLY FINNIGAN / 13 TH FLOOR ELEVATORS / BOBBY VEE / TENDRESSE DECHIRANTE / MANUEL MARTINEZ

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 458

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

02 / 04 / 2020

 

KELLY FINNIGAN / 13 TH FLOOR ELEVATOR

BOBBY VEE / TENDRESSE DECHIRANTE

MANUEL MARTINEZ

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Finnigan’s wake

Pas de méprise : Kelly Finnigan ne sort pas d’un roman de Joyce. Il sort d’un univers aussi riche que celui de Joyce qu’on appelle la Soul blanche. Quand on lui demande qui sont ses Soul Brothers préférés, il prend un air extraordinairement déconfit :

— Oooh, there’s too many...

Il y en a trop... C’est vrai, il ne faut pas être bien malin pour lui poser une question pareille. Puis avec un sourire chargé de compassion, il commence à égrener les noms magiques :

— I’ll say... O.V. Wright, Marvin Gaye... and Al Green...

Eh oui, il suffit de le voir chanter «Catch Me I’m Falling» sur scène pour comprendre que cet Américain de San Francisco n’écoute que des bons disques. Du trié sur le volet. Aw catch me ! C’est certainement le cut le plus émouvant d’un set d’une rare densité. Il chante ça au cœur de babe de sucre de Soul blanche. Il va chercher les accents les plus déterminants de la Soul. Il les réinvente et ça devient littéralement énorme. À part Todd Rundgren, aucun blanc ne chante la Soul aussi bien. Kelly is the king. Il travaille au sommet de l’art. Par moments, il sonnerait presque comme Esther Phillips. Il chante dans l’éternité de l’instant. Même chose avec «Since I Don’t Have You Anymore». Il chante au sucre suprême et génère une excroissance de véracité à la surface du mythe. C’est un coup de génie fluctuant franchement digne des géants de la petite glotte. Son Since I est dément de feeling. Assis derrière son Korg, il chante au micheton maximaliste, il palpe la pulpe de la Soul avec ce sourire de compassion qui ferait presque de lui un saint, il fêle sa Soul et la swingue de ses mains de cordonnier, comme dirait Léo Ferré. Il nous entraîne dans des registres inconnus et rejoint par la magnificence de sa mélodie chant les firmaments jadis atteints par Jonathan Donahue avec Mercury Rev. On parle ici d’une magie fertile, d’un monde aveuglant de beauté mirifique. Sur scène, Kelly Finnigan est bien accompagné : une solide section de cuivres (trompette et sax), une section rythmique rompue à tous les combats, si tant est qu’on puisse parler de combat, un guitariste vibrillonnant de Soul et deux petites choristes investies d’une mission sacrée qui est de doo-wopper en permanence cet infernal Soul System. Kelly Finnigan chante assis et joue de l’orgue comme son père, le légendaire Mike Finnigan. Encore une fois, on se dit qu’on a beaucoup de chance de pouvoir assister à un tel spectacle.

Avec «I Don’t Wanna Wait», Kelly Finnigan se prend pour Percy Sledge. Il ne veut pas attendre pour vivre son amour et il halète. Il veut en découdre avec les rigueurs de la Soul et s’en donne les moyens. S’il prête le flanc, c’est en parfaite connaissance de cause. Il y a du Saint-Sebastien en lui, son visage exprime à merveille l’infinie douleur de la Soul. Il communique énormément avec le public et annonce une chanson sur les simple pleasures, c’est-à-dire les petits plaisirs : «Smoking And Drinking» - It’s so hard to fly away from the good things - Les chœurs de rêve tombent du ciel. Les deux choristes sont rigolotes et très frétillantes. Il revient aux sentiments avec «I’ll Never Love Again», nouvelle pièce de hot Soul de rêve, bien travaillée au corps. Quand sa Soul veut se barrer, il la retient par la manche. Ce mec provoque de l’émotion en permanence. On ne peut plus le quitter des yeux. Même quand il se lance dans le heavy rumble de hot raw, comme par exemple avec «I Called You Back», il est excellent. Dans le public, toutes les gonzesses dansent. Il réussit à faire du Tamla, c’est quand même extraordinaire, non ? Quand il s’agit de driver la Soul à train d’enfer, on peut vraiment compter sur lui. Non seulement Kelly Finnigan est un Saint, mais il est aussi un mec extrêmement fiable.

Il va chercher la Soul au cœur de l’intrinsèque, comme on le voit avec «Can’t Let Him Down». Il chante à la pointe du progrès de la glotte et commence à sérieusement transpirer. Il touille sa Soul en profondeur et bat bien des records d’intensité. Il s’érige en parfait white nigger et rejoint Marvin Gaye par ses sister/sister. Demented ! On le voit parfois fondre dans la Soul, mais ne vous inquiétez pas pour lui, c’est sa façon d’entrer en osmose avec son cosmos.

Kelly Finnigan ne tombe pas du ciel. Avant d’entamer sa carrière solo, il jouait dans des groupes de Soul blanche devenus légèrement cultes. Ceux qui vont faire l’effort de rapatrier les albums des Monophonics ne seront pas déçus. Tiens, par exemple In Your Brain, paru en 2012 dans un joli boîtage arty. Kelly et ses amis y proposent une belle reprise de Sonny & Cher, «Bang Bang». Ah il faut le voir se frotter au Beng Beng, il le fait bien, il percute bien sa gâchette, beng ben, my baby shot me down ! Ils reprennent aussi le «Thinking Back» d’Ike Turner et le tapent à la big energy, à la grosse patate germée d’instro, ces mecs ont toute la vie devant eux. On peut même dire que l’avenir leur appartient. D’ailleurs, il proposent pas mal d’instros sur cet album, notamment le morceau titre, qui dispose de tous les atours du Black Power. Kelly Finnigan chante aussi un «There’s A Riot Going On» en hommage à Sly Stone. Il charge son funk comme une mule et le dote d’une présence vocale inexorable. Il chante aussi la Soul de «Sure Is Funky» à la bonne aventure et c’est avec «Deception» que tout devient évident. Il chante au pointu imprécatoire, il vise la puissance de la heavy Soul, il tartine à bras raccourcis, ce mec est un fervent défenseur de l’Ordre des Templiers de la Soul, il accroche à belles dents. Nouvelle secousse avec «All Together», où il duette avec Fanny Franklin. Cette gonzesse chauffe comme Merry Clayton dans «Gimme Shelter», c’est exactement le même genre de souffle, c’est violent, et même virevoltant, all together, et ça joue à la pire wah de Black Power. S’ensuit un «So You Love Me» où Kelly se concentre sur son groove, doux et serré, il est dessus, très balèze, il est parfait et même astronomique de power. On le sent considérablement investi. Il shoute sa Soul comme un vieux pro, il est à cran, tout le temps à cran. Et puis voilà «Foolish Love», un cut idéal pour un shouter comme Kelly. Il descend dans l’arène comme s’il était dans l’«I’m Losing You» des Tempts, c’est le même genre de combat de titans, il en fait 8 minutes, mais c’est assez facile à digérer. Kelly ne le lâche, pas, il le shake jusqu’au bout du bout.

Par contre, il n’apparaît pas sur les deux premiers albums des Monophonics, Playin & Simple, paru en 2007, et Into The Infrasounds, paru en 2010. Avec son éléphant, Into The Infrasounds met une belle série d’instros en coupe réglée. Question power, les Monophonics sont bien lotis. On sent les mecs convaincus d’avance. Ils savent se servir d’un sax dans la nuit et d’une wah («Simon’s Song»). Un nommé Marcus Smith vient chanter le bout de gras dans «I’m Done», mais sa heavy Soul nous éloigne des finesses de Kelly. On admire le bassmatic demented de Myles O’Mahoney dans «Low Blow», c’est vrai que ces mecs sont excellents, dans le genre instro de big soul funk. Ils jouent «Grappa» au crépuscule du son. C’est très vivant, bardé de cuivres, de flûte et de nappes d’orgue. Chaque instro est très dirigé, et gagne très vite son autonomie. Dommage que Kelly ne soit pas là. Les Monophonics savent orchestrer un groove et dans «Rotten Ribs», on entend un mec au trombone s’élever dans le ciel. Le mec au sax qu’on entend dans «Loose Nules» s’appelle Nic Gillette. Ça ne s’invente pas. Cet album pourrait presque ressembler à un épouvantable must, même sans Kelly.

Playin & Simple est aussi un album d’instros assez confondant, à condition bien sûr d’aimer l’instro confondant. Sinon, ce n’est pas la peine de l’écouter. Tout est bien là dessus, on entend un solo de sax demented dans la cave de jazz de bas étage de «Lumberjack», d’autant plus énorme qu’il est doublé d’un solo de trompette, comme dans Mo Better Blues de Spike Lee. Ils duettent tous les deux comme des dingues ! Ces mecs foncent en roue libre, ils ravalent la façade du nouveau continent et s’en viennent même mêler leurs baves à un certain moment. On se croirait chez Roland Kirk, oui, c’est de ce niveau et de cette échevelure ! Wow ! Ça swingue atrocement bien, jazz power in the flesh. On comprend que Kelly Finnigan se soit rapproché de cette équipe de surdoués. L’autre big bang de l’album s’appelle «Baobab Tree», afrobeat de très haut rang. C’est gagné d’avance. Idéal pour les fans d’afrobeat. L’album se révèle passionnant à mesure qu’on avance dans les cuts. Les Monophonics jouent cartes sur table, avec tout le gut de l’undergut du jazz funk de Soul aux vermicelles. Ils jouent à la Kirk et battent bien des records d’inventivité. On a là un fabuleux groove d’africanité latente, avec un jezz de jazz qui semble remonter le courant. Le mec à la guitare joue comme un dieu. On note aussi une belle échappée de sax dans «Stardust». «Silver Peso» est encore un intro qui gagne à être connu. On écoute les Monophonics avec une attention telle qu’elle confine au recueillement.

Bon ben voilà encore un big album : Q-Sound Of Sinning, le dernier album des Monophonics paru en 2015. Big et même super big, notamment grâce à «Holding Back Your Love», une belle énormité amenée au heavy beat diskö, mais avec l’énergie des Tempts. Oui, ce démon peut déclencher ce genre de truc. Ça s’emballe tout seul. Kelly ne lâche pas prise, un vrai pit de cité, you keep holding on, il est dessus, en vrai carnassier de la Soul et c’est un hit. Avec «Find My Way Back Home», il entre à la furie de blanc dans le funk de noir, il tâte de la résistance des matériaux et c’est bon. Ce mec ne déçoit pas, tu peux le laisser entrer chez toi, pas de problème. C’est l’un des nôtres, un vrai white nigger. Encore un shoot de pulsion de raw avec «Hanging On», Kelly ramène les cuivres, vas doucement Kelly, c’est tout bon. He drives it wild, il pilote sa Soul comme un champion, c’est excellent, goody good ! L’autre hit de l’album s’appelle «Promises». Kelly taille dans la masse avec un bassmatic des enfers. Kelly is on the run, hot as hell, il chante comme un cake, il chauffe les zones érogènes de la Soul blanche. C’est admirable - I keep making promises - Il est infernal et c’est vraiment balèze. Big white Soul ! Le cut d’ouverture de bal s’appelle «Lying Eyes», c’est de la big heavy Soul de groove monophonique. On sent la présence d’un immense chanteur. S’ensuit le morceau titre qui sonne comme un groove de gosses de riches. Bienvenu et puissant, bien drivé à la voix. On le voit aussi chanter son gut out dans «Strange Love», une espèce de petit miroir aux alouettes. Il partage aussi au cut avec Ben l’Oncle Soul, «Too Long» et forcément, c’est pourri de feeling. Ils sonnent tous les deux comme des Smokey Robinson décolorés.

L’ami Kelly jouait aussi dans un groupe nommé The Destruments. Les amateurs de Soul jazz se régaleront de cet album paru en 2009 et pas très facile à choper, Shaped By The Sound. On voit les trois Destruments sur la pochette, avec des looks de hip-hoppers, mais ils jouent essentiellement ce groove gourmand qui est l’apanage des très grands musiciens. On entend un mec nommé Sean Wilson jouer de la basse comme un dieu dans «Feel It Like It Is». Tout un art du toutim. Kelly Finnigan chante sur «Take A Closer Look» et il se fond dans le groove, se montre admirable de lousdé doucereux et sort un son soft comme la caresse d’un vent d’été. Ils font aussi pas mal d’easy listening et l’amateur du genre se régalera de ce «Sippin On Blue Juice» monté sur une interjection du «Girl Blue» de Stevie Wonder. Ça se laisse convaincre tout seul. Ils font leur sauce dans leur coin, chacun est libre de venir y tremper son poireau. Kelly Finnigan repart en roue libre sur «OOlong». Côté son, ça reste une sorte de bloc soviétique du groove, avec son côté impénétrable et majestueux à la fois. Le bassmatic mène à nouveau le bal sur «Sun Bunn (Downpour)» et les voilà de nouveau plongés dans l’étude au long cours d’un heavy groove urbain processionnaire. Le hit du disk s’appelle «Searching», Kelly y chante ce groove de Soul à la glotte tiède. «Tometo O Dejeto» sonne aussi comme une merveille de réussite, car joué sous un certain boisseau. Le batteur fait son cirque parmi les surdoués dans «NASA» et ils reviennent à l’exotica avec «Bitchyo Self Togetha». Tout est bien sur cet album, à condition de savoir prendre le temps de savourer un Pina Colada sur la plage de Copa Cobana.

Paru la même année sur le même label, voici Bridge Through Time avec sa belle pochette en fish-eye. Cet album est un monster. Ces mecs jouent le groove de funk comme des blacks et on comprend que ce groupe soit devenu culte. On sent chez eux un don inébranlable pour la beauté latérale et Kelly entre en scène dès «What You Won’t Do For Love». Encore une fois, il se fond dans le groove et le son explose comme un bouquet de senteurs dans la bouche. Ils se spécialisent dans l’interlude qualitatif. Retour aux affaires avec «Rain Dance», pur jus de Destrumental Sound System, violemment bon, nappé de cuivre frais, c’est un heavy groove de Soul funk d’une tenue impeccable. Belle énergie du son, classe du solo de sax et surtout des solos d’orgue, aussi bons que ceux de Brian Auger, et ce n’est pas peu dire. Une nommé Viveca Hawkins chante sur «I Can’t Help It». Elle se montre très impliquée, c’est une vainqueuse et derrière elle joue un groupe doué d’un sens suraigu du groove. Nouveau coup de Jarnac avec «Bridge Through Time», monté sur une bassline plantureuse. Cet instro de groove colle au palais, on ne s’en lasse pas facilement, d’autant qu’il est épaulé par des nappes de violons. Les Destruments ont du son à revendre. Ces mecs savent distiller leur moonshine. Elle s’appelle Keniece Ford et elle chante sur «Keep On Walking». Cette petite poulette dégouline de feeling. Elle chante comme une reine de Nubie avec de faux accents d’Esther Phillips. L’album est une merveille de son abouti et d’inspiration. Cette petite démone de Keniece Ford rafle la mise, elle s’introduit dans le son avec une classe insensée. C’est Jacob Slim qui fait Shuggie Otis dans «Ant Uh Mi Hed» et Jess Imme chante le groove magique. Oui, on est bien obligé de parler de magie avec ces gens-là. C’est quasi Brazil.

Un autre album des Destruments paraît en 2011 : Surpassing All Others. C’est un album de hip-hop très hip, et hop, c’est fini.

Signé : Cazengler, Kelly finissant

Kelly Finnigan. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 11 février 2020

Kelly Finnigan. The Tales People Tell. Colemine Records 2019

Monophonics. Playin & Simple. Monophonics Music 2007

Monophonics. Into The Infrasounds. Ageless Records 2010

Monophonics. In Your Brain. Ubiquity 2012

Monophonics. Q-Sound Of Sinning. Transistor Sound 2015

Destruments. Shaped By The Sound. Ivory Soul 2009

Destruments. Bridge Through Time. Ivory Soul 2009

Destruments. Surpassing All Others. Creative Juices Music 2011

Roky le roquet - Part Two

 

Ha ha ha ha ha ! John Ike Walton se souvient de sa première rencontre avec Tommy Hall : «On a commencé par siffler une bouteille de Romilar (un sirop à base de codéine) puis on a fumé de l’Acapulco Gold, et là, mec, j’hallucinais, je voyais les maisons devenir des monstres et partir à travers champs.» Ils ne s’appellent pas encore les 13th Floor Elevators, mais ils se marrent bien. John Ike, Tommy et Stacy Suntherland sont des mecs d’Austin, au Texas. Drug-curious, amateurs d’effets spéciaux, ils prennent du peyote, un cactus aux vertus hallucinogènes qu’il suffit d’avaler. Au début, ça rend malade. Selon les Indiens, vomir est une façon de se purifier en chassant les mauvais esprits de son corps, alors ils vomissent. Bleuuurghhh ! Le peyote est tellement raide qu’on ne peut pas en prendre tous les jours. L’organisme ne pourrait pas le supporter. Pour John Ike, Tommy et Stacy, c’est un gros inconvénient. Alors quand le LSD arrive à Austin en 1965, ils optent pour le confort moderne. Rien de tel que la chimie ! Each and every day ! John Ike, Tommy et Stacy ne sont pas les seuls à apprécier le confort moderne : quand Dylan vient jouer à Austin en septembre 1965, il n’en revient pas : alors que partout ailleurs on le hue parce qu’il vient de passer électrique, les kids d’Austin ne le huent pas. Au contraire. Ils sont en adoration. Pourquoi ? Parce qu’ils sont tous sous acide. The whole underground scene tripping on acid !

Dans le trio, Tommy Hall joue le rôle du bon Samaritain. Il veille à ce que les expériences hallucinogènes soient bénéfiques. Quand ils trippent ensemble, Tommy veille à ce que ses amis atteignent ce que Stacy appelle «the clear state, you know what I mean ?», demande-t-il. «C’est comme si on était libres, complètement libres.» John Ike est le seul de la bande qui éprouve des difficultés à tripper comme un âne. Il voit les murs bouger quand il bat le beurre et ça ne lui plaît pas trop. John Ike fait un peu de musique avec Tommy, Stacy et un bassiste nommé Benny. Leur groupe s’appelle les Lingsmen. Ils cultivent déjà un goût prononcé pour l’expérimentation. De la même façon qu’Henri Michaux, ils se voient comme des laboratoires à deux pattes. Alors que Michaux se contentait de distiller sa prose, les Lingsmen préfèrent s’auto-distiller.

La rigolade ne va pas durer pas longtemps. Au début, le LSD est légal mais la loi l’interdit très vite et les flicards locaux se frottent les mains. Hé hé hé... Dans ce Deep South dont fait partie le Texas, leurs deux hobbies favoris consistent à casser du nègre et du hippie. Hé hé hé...

Bon et Roky dans tout ça ? Ah le voilà ! Tommy l’a repéré dans un club : «Hey les mecs, allons voir jouer Roky Erickson & the Spades ! Vous allez voir ! Quel fabuleux chanteur !» À la fin du set des Spades, Tommy invite Roky à venir jammer avec les Lingsmen. Wanna jam ? Okeh ! Roky apprécie très vite ses nouveaux amis : John Ike est son special drumming style, Benny et son upfront bass, tout cet écho dans le son, wouaaah, l’outer space guitar de Stacy et les jazz runs de Tommy dans sa cruche électrique, wouaaah ! Le son est déjà là, Roky n’est que la cerise sur le gâteau. Sur le space cake, devrait-on plutôt dire.

Enfant prodige, Roky faisait l’école buissonnière pour aller s’entraîner au scream avec son copain Kinney. Wouaaaaaaahhhhhh ! Il en crachait du sang. Il vénérait Little Richard, Buddy Holly et commençait à écrire des petites chansons du style «You’re Gonna Miss Me». La découverte de la marijuana et de l’«Empty Heart» des Stones en 1964 le propulsèrent directement dans le cosmos. Wouaaaaaaahhhhhh ! Mentor de Red Krayola, l’autre groupe phare de l’underground local, Mayo Thompson trouvait Roky extrêmement intéressant, mais déjà un brin out there in some ways. Il ajoute que Roky fait partie des gens qui n’ont absolument aucun doute sur les choix qu’ils font. Trait de caractère fondamental. L’anti-girouette.

Une fois Roky intégré, ils se baptisent les 13th Floor Elevators. Si Tommy est le cerveau de la bande et Stacy l’architecte du son, Roky en est l’âme. Ou comme le dit Paul Drummond, Tommy est le visionnaire du groupe, Stacy le son et Roky the face and the voice.

La Gestapo locale salue à sa manière l’éclosion des 13th Floor, avec une première descente chez Tommy, en janvier 1966. Ils sont sous mescaline quand la police défonce la porte. John Ike veut filer par derrière mais le canon d’un 45 se colle à son museau, alors il opte pour la prudence et fait marche arrière. Too much of a trip, marmonne Stacy qui plane sec, alors que les flics fouillent la baraque. Miraculeusement, ce bust se termine bien, mais il marque le début d’une longue partie de cache-cache avec les flics locaux. La brutalité répressive des juges texans terrorise les freaks et à partir de là, Tommy et ses amis entrent en semi-clandestinité : plus de domicile fixe. Sécurité maximale. Un peu comme s’ils étaient en cavale. Ils reproduisent sans le savoir le mode de vie des pilleurs de trains du siècle précédent. Même état d’esprit, la violence en moins. C’est le statut d’outlaw bien assumé - Paranoid and nomadic existence - Les 13th Floor n’accepteront jamais de changer de mode de vie, et ça ils vont le payer au prix fort, en devenant des martyrs psychédéliques.

Le plus drôle, c’est que ce statut de martyrs leur va comme un gant. Tommy qui ne fait pas dans la dentelle établit un parallèle entre les 13th Floor et les disciples du Christ qui subissaient en leur temps une pression policière énorme. Mais ils parvenaient quand même à développer et enseigner leur philosophie. Pour lui, c’est exactement ce que font les 13th Floor. Tommy soutient mordicus que les drogues psychédéliques permettent d’atteindre les niveaux supérieurs de la connaissance. Il voit le LSD comme un learning tool, un moyen d’évoluer. Il contribue au courant de pensée développé par Timothy Leary et qu’on considère à juste titre comme la dernière utopie du monde moderne : le rôle bénéfique que pourraient jouer les drogues hallucinogènes sur cette société moderne rongée par le profit, la bêtise et la haine. De la même manière que Leary, Tommy imagine les flics et les beaufs sous LSD et ça le fait bander. Comme si le fameux ‘monde meilleur’ devenait possible.

Le problème, c’est que les 13th Floor n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Ils mettent autant d’énergie à se défoncer qu’à jouer «Roller Coaster». Tommy prône la dose d’acide quotidienne, et pour soutenir le rythme financièrement, il est obligé de dealer à grande échelle. Il va s’approvisionner en Californie où sont installés les chimistes de renom.

Dans le cas des 13th Floor comme dans celui de Syd Barrett et des Spacemen 3, musique et drogues sont indissociables. Mayo Thompson qui n’est pas un enfant de chœur trouve que les 13th Floor vont un peu trop loin : «Prendre de l’acide tous les jours, c’est un peu extrême !» Et c’est précisément parce qu’ils sont allés très loin dans l’expérimentation que leur musique est restée un modèle absolu. En matière de mad psychedelia, personne n’a pu challenger les 13th Floor. C’est en les écoutant qu’on comprend mieux le concept de Tommy Hall : expérimenter les drogues hallucinogènes pour repousser les limites de l’énergie créative et le diable sait si dans ce domaine, les drogues prévalent. Il suffit simplement d’écouter «Roller Coaster» pour comprendre ce que signifie la formulation ‘mad psychedelia’. Dans ce big brawl digne de Syd Barrett, les guitares déchirent le ciel. On assiste tout au long de la lente montée du trip de track à une implosion d’organes fluorescents, aw c’mon, et la cruche dada glougloute dans l’écho du temps. Ce cut fonde le genre, avec une rare combinaison d’énergie visionnaire et de real big power.

C’est en 1966 que paraît The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators. En France, il faudra attendre la parution de Nuggets pour découvrir l’existence des 13th Floor et courir chez Music Action, au carrefour de l’Odéon, avec l’espoir de trouver une copie de ce premier album. Les gros cartonnés US valaient déjà à l’époque la peau des fesses, mais on arrêtait de se plaindre dès qu’on mettait l’album sur la platine : aussitôt les premières mesures, «You’re Gonna Miss Me» sonnait comme l’un des plus gros hits de tous les temps. Wouaaaaaaahhhhhh ! On a là l’apanage du Texas beat, avec sa belle progression d’accords et la cruche électrique ! Pure folie. Les screams de Roky Erickson font partie des plus passionnés de l’histoire du rock américain. Se niche plus loin l’excellent «Reverberation», chef-d’œuvre de fragrance cérébrale atomisée, comme molletonné par la fantastique surdité du beat psyché texan. Les Stones de «2000 Light Years From Here» sonnent à l’identique, c’est heavy à l’extrême et même assez perturbant. Billy Gibbons et ses Zizis en feront une cover spectaculaire sur le tribute aux 13th Floor, Where The Pyramid Meets The Eye. Retourne The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators et tu vas tomber sur «Fire Engine», et là pareil, Wouaaaaaaahhhhhh ! Adieu veaux vaches cochons ! Roky et ses amis envoient leur giclée de Texas hell à la revoyure de freak-out. Le glouglou de la cruche hante la paillasse du mix. Les chœurs fantômes rendent le cut tellement louche qu’ils sonnent l’hallali du binarisme. Rien de plus nécessaire à la vie que cette gelée royale. S’ensuit un «Thru The Rhythm» en forme de haute voltige et d’ode à la cloche. Ces mecs jouent leur va-tout en permanence. Le bassmatic maraude dans le son avec une liberté alarmante. La messe est dite depuis 1966. Le raw Texas freak show est entré dans la postérité.

Dans le docu de Keven McAlester (You’re Gonna Miss Me), Billy Gibbons raconte que lorsqu’il entendit pour la première fois les 13th Floor à Houston, il s’exclama : «Well, that’s it.» Pour lui, Roky est le meilleur chanteur américain avec Little Richard et Jerry Lee. Et il termine en se prosternant jusqu’à terre : «The Elevators were the big heroes, they were the guys.»

Au moment où les 13th Floor inventaient le rock psychédélique, il existait quelques signes avant-coureurs aux États-Unis, notamment du côté des Holy Moundal Rounders qui enregistrèrent en 1964 «Hesitation Blues». En 1965, Kim Fowley parlait de psychédélisme pour la promo de «The Trip». La même année, les Charlatans mixaient eux aussi rock et LSD. Ils jouaient sous acide au Red Dog Saloon de Virginia City, dans le désert du Nevada, un coin bizarre et comme figé dans le temps, où les gens étaient tous armés.

Pour la promo de leur premier album, les 13th Floor vont s’installer quelques temps en Californie. La petite communauté texane les accueille à bras ouverts. Chet Helms qui a déjà fait venir Janis Joplin programme les 13th Floor à l’Avalon Ballroom. Quant à Doug Sahm il a décidé de quitter définitivement le Texas. Lui aussi victime de la brutalité policière, il n’avait pas apprécié qu’on l’attrape par les cheveux pour lui cogner plusieurs fois la gueule sur le capot de sa voiture. D’ailleurs, il recommande aux 13th Floor de rester en Californie, mais Stacy et les autres ont tellement le mal du pays qu’ils retourneront se jeter dans la gueule du loup.

Ils jouent énormément en Californie. Pour eux, l’Avalon Ballroom de San Francisco est une sorte de paradis, car on distribue gratuitement de l’acide à l’entrée. Le raga-rock sound de la cruche électrique intimide le public. Sur scène, les 13th Floor dégagent une énergie considérable - the agressive amphetamine beat of the British Mod scene - D’ailleurs sur scène, ils tapent des versions explosives d’«Empty Heart», de «You Really Got Me» et de «Gloria». Stacy se spécialise dans les déraillements, pas ceux des trains, mais ceux du freak-out. Sur scène, ils montent un mur du son autour des hurlements de Roky. Selon Billy Gibbons, les 13th Floor occasionnent un sérieux bouleversement en Californie - When the Elevators showed up, things changed real quick ! - Mais le public californien les juge trop frénétiques. Il est habitué à un autre genre de psychédélisme, celui de l’Airplane ou du Dead. Alors, les 13th Floor se referment comme des huîtres. Ils ne se mêlent pas aux autres musiciens et passent leur temps à se goinfrer d’acide. Paul Drummond parle d’extrem amount of acid. En bon alchimiste, Tommy veille à perpétuer le cycle sacré : le groupe génère du blé qui permet d’acheter des drogues qui permettent de faire de la musique, et ainsi de suite. Son Grand Œuvre s’appelle The 13th Floor Elevators. Tommy raisonne en termes de pierre philosophale. L’or ne l’intéresse que par son symbolisme initiatique. N’a de valeur que le parcours.

Personnage fascinant que ce Tommy Hall. Le duo Tommy/Roky, c’est exactement la même chose que le duo Ron Asheton/Iggy Pop. L’un n’est pas possible sans l’autre. Tommy combine sa passion pour la musique avec la spiritualité. Les pochettes des albums du 13th Floor ne sont pas des gadgets de hippie. Si Tommy invente la cruche électrique, c’est tout simplement parce que les pédales d’effets n’existent pas encore. Il invente the psychedelic sound effects. Pourquoi ? Parce qu’il écoute Miles Davis, Trane, Charlie Parker et Mingus. Alors il tente de transférer sa passion des jazz runs dans la cruche, à l’instinct.

Il prend aussi la manie de rassembler les gens pour leur expliquer des choses, comme le faisaient autrefois les prophètes. Dressé devant ses ouailles, Tommy déclare :

— Ce groupe n’est pas un moyen de gagner de l’argent, mais un mode de vie !

Côté drogues, il se veut extrêmement sélectif. Pas question de toucher au speed. Il juge cette came tout juste bonne pour les Stones. Il menace même de virer Stacy du groupe parce qu’il prend du speed. Tommy essaye de gérer l’ingérabilité des choses du 13th Floor. Il écrit aussi les paroles des chansons. Comment ? On lui glisse sous le nez une grande feuille de papier alors que le groupe joue et il écrit. Il intensifie tellement l’acte d’écriture qu’il lui arrive d’en pleurer.

Ce n’est pas tout. Avant chaque concert, il impose un rituel : il réunit les 13th Floor et leur fait prendre du LSD trois heures avant de monter sur scène. Puis il préconise une heure de prêche, histoire de développer sa théorie :

— God is LSD !

Il joue vraiment avec le feu. C’est très dangereux de déconner avec God dans un coin comme le Texas. Les gens y sont extrêmement intolérants. Mais Tommy a étudié la Gnose, il sait exactement de quoi il parle. Avant le Christianisme, la Gnose reposait sur un concept très simple : chaque être humain porte en lui une part de divinité. Il repart de là, il n’invente rien. Il s’appuie donc sur la Gnose et sur William Blake pour décréter que Houston est la nouvelle Jerusalem. C’est au cœur de ce chaos subliminal que les 13th Floor enregistrent Easter Everywhere.

Ce deuxième album est considéré comme l’un des sommets du rock psychédélique. Nous irons jusqu’à dire qu’Easter est l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps. Démarrage en trombe avec «Slip Inside This House», pulsé au big bassmatic de Dan Galindo, le remplaçant de Ronnie Leatherman. C’est l’un des grooves les plus rampants de l’histoire du groove rampant, un groove foncièrement nocif et en même temps magnifique de poignance psyché. Il se perche sur l’épaule lorsque la lumière s’éteint. Plus fluide, «She Lives In A Time Of Her Own» se montre digne des Byrds. On pourrait même parler d’une œuvre marmoréenne, comme on le dirait de ces falaises sculptées qu’on peut admirer au Moyen-Orient. La cruche se déchaîne. Tiens, encore un fantastique shock de rock avec «Nobody To Love», bardé d’accords solides et fidèles. De l’autre côté se niche l’effarant «Earthquake», porté par un heavy shuffle de big bassmatic, oh oh, dirait Merlin, on entend le dragon gronder juste sous la surface de la terre. Même chose avec «Levitation». Les 13th Floor sonnent comme des Beatles texans, c’est dire s’ils sont bons. Et puis voilà «Postures» qui s’auto-fascine, mais ils savent ramener du son, même dans une longue dérive abdominale - Leave your body behind !

Hormis le LSD, Tommy ne jure que par le Romilar qu’il boit au goulot - comme le fait d’ailleurs Lester Bangs - Stacy préfère les downers et le speed. Jusqu’au moment où ils découvrent le DMT, qui fut comme le LSD mis au point par Sandoz. C’est pour vanter les mérites du DMT que Tommy et Roky composent «Fire Engine». Sous DMT, ils ont l’impression de foncer à bord d’une voiture de pompiers. Pin-pon ! Pin-pon ! De son côté, Benny découvre que les amphétamines permettent de contrôler les effets du LSD sur scène. Ils testent absolument toutes les combinaisons, toutes les manières de se schtroumpher. Les mecs qui organisent les concerts éprouvent d’énormes difficultés à entrer en communication avec les 13th Floor. Trop hagards. Comme Tommy veille à ce que tout le monde soit défoncé avant de monter sur scène, la partie est gagnée d’avance. Les 13th Floor sont extrêmement populaires auprès des kids texans venus recevoir le message psychédélique. Comme la magie du mythe opère, Roky, Tommy et Stacy entrent en lévitation. Ils défient les lois de la physique. Roky chante une chanson, il en gratte une autre sur sa gratte et les autres en jouent encore une autre. Chaos subliminal. Tout va bien car toute la troupe trippe, y compris le public.

Un jour qu’il est en studio, Stacy se met dans le cornet ce qu’il appelle un large hit of Sandoz acid : «Soudain, j’ai perdu le contrôle de mon corps, je suis tombé au sol, j’ai relevé la tête et j’ai vu de mes yeux vu Tommy et Roky se transformer en loups, avec les poils et les dents, oui, mec, en loups ! Wouaaaaaaahhhhhh ! » Stacy est intarissable sur son trip, il en fait deux pages dans le book de Paul Drummond. Bon courage ! Autre épisode assez poilant : un soir, alors que les 13th Floor sont sur scène, un flic vient arrêter Stacy en plein milieu de «Fire Engine». Il dégaine sons arme pour se frayer un passage à travers un public hostile et traîne Stacy jusqu’à sa bagnole.

— Je vais t’emmener à la sortie de la ville et te buter, sale punk !

Stacy est sous acide, alors forcément ça prend de drôles de proportions dans sa tête. Le flic en remet une couche :

— Et je leur dirai que t’as essayé de me piquer mon flingue, putain de punk !

Stacy voit la bagnole prendre la voie rapide qui sort de Houston. Il flippe pour de bon :

— Hey attends une minute, mec, est-ce qu’on pourrait pas se calmer un peu ?

Le flic roule encore un bon moment puis fait demi-tour pour ramener Stacy au commissariat. Il voulait juste lui flanquer la trouille de sa vie. Stacy avoue qu’il n’a jamais été aussi content de voir un commissariat.

Une autre fois, les flics lui donnent ce qu’ils appellent une leçon de natation - Swimming lesson - C’est d’usage courant dans le coin : ils emmènent le candidat sur le pont qui surplombe le Buffalo Bayou et le balancent dans l’eau. Plouf ! Dix mètres de haut. Ça va. On en meurt pas.

Ne supportant plus de voir les 13th Floor en liberté, les flics mettent la pression. Roky et ses amis se terrent dans des chambres de motels et jettent tout leur stash dans les gogues dès qu’on frappe à la porte. Pour eux, le véritable acid test est celui d’une nuit au trou sous acide. Quand le groupe enregistre, la session démarre à minuit et tout le monde est sous LSD.

Roky revoit de temps en temps son copain d’enfance Kinney. Ils vont casser une petite graine ensemble et Kinney observe de drôles de changements chez Roky. À table, Roky n’en finit plus de s’extasier : «Oh my GOD ! Qu’est-ce que c’est bon ! Oh my GOD ! Wouaaaaaaahhhhhh !» Il s’extasie à chaque bouchée. Sur scène, il commence à oublier les paroles, alors ils s’enferme dans un mur de feedback. Il lui arrive même d’aller se planquer derrière son ampli. Il se met aussi à porter un bandeau sur le front pour masquer son troisième œil. L’hyper-lucidité l’épuise. Sacré Roky, on n’en finirait pas avec lui. Souvent les 13th Floor montent sur scène sans lui, parce qu’il a oublié le concert et qu’il est parti en virée ailleurs, avec son copain Charlie Powell, un Vietnam Vet bien esquinté avec lequel il communique sans parler - Spacial communication.

Et c’est là que ce fantastique château de cartes qu’est le 13th Floor commence à s’écrouler. En voulant redéfinir la source du divin et inventer une nouvelle réalité, la réalité psychédélique, le groupe s’est épuisé. Comme Artaud et Henri Michaux, les 13th Floor ont cherché la source d’une créativité humaine inconnue, celle générée par the altered states of reality. Résultat, Tommy s’enfonce dans la Gnose, Roky perd un peu la boule et Stacy vient de passer à l’héro. On voit Roky tout de blanc vêtu arpenter les rues pieds nus alors qu’il fait un froid de canard. Sur scène, il devient une sorte de fantôme d’Abraham Lincoln, avec sa barbe, ses cheveux tirés vers l’arrière et son haut de forme.

Pour se faire un peu de blé sur le dos des 13th Floor, International Artists sort en 1968 un faux album live intitulé Live. Il s’agit d’une collection de chutes de studio agrémentée de faux applaudissements. Il faut cependant l’écouter, ne serait-ce que par acquis de conscience. Ça part en freakbeat texan avec une belle reprise bip-bip de Bo, «Before You Accuse Me». Tommy Hall cruchotte sec. Il bourre «Tried To Hide» de cruche jusqu’à l’os du crotch. Omniprésente, la cruche finit par tout dévorer. En créant sa transe chamanique, Tommy ramenait dans le son une véritable sauvagerie primitive, un côté indien psychotique. En B, ils tapent dans l’hypno avec «(I’ve Got) Levitation». Roky sème le vent et récolte la tempête. Quand on écoute le «Roller Coaster» qui suit, on mesure l’écart qui sépare les 13th Floor des Doors. Malgré une forte tendance au chamanisme, les Doors n’ont jamais pu atteindre un tel degré d’implication. Le boogie rentre dans le lard du freakout, doublé par la cruche folle de Tommy, et la basse vient swinguer tout ce carnage. Aucun doute : «Roller Coaster» secouera les paillasses pendant au moins mille générations. Le son des 13th Floor vaut tous les rituels du monde. D’ailleurs, les c’mon de Roky sonnent comme des invocations.

Le dernier album des 13th Floor s’appelle Bull Of The Woods. C’est l’album de la désintégration, parfaitement à l’image du groupe. Roky ne joue que sur quatre morceaux, dont l’excellent «Livin’ On». Ce n’est pas qu’il soit allumé, non c’est autre chose : ce mec a le génie du son. Il chante aussi un «Never Another» joliment congestionné. Pur jus d’acid trip. On le retrouve en B sur «Dr Doom», nouveau clin d’œil aux Byrds, une vraie sinécure, bien portée par le fat bassmatic de Duke Davis. Mais le mec qui tire vraiment son épingle du jeu est l’autre bassman des 13th Floor, Ronnie Leatherman, qui est de retour. Son bassmatic remonte à la surface sur «Barnyard Blues». S’il faut écouter la version vinyle de l’album, c’est parce que les basses sont beaucoup plus généreuses. Rien à voir avec le son numérique. Le jour et la nuit. Encore une bassline de rêve sur «Scarlet And Gold» qui ouvre le bal de la B. Elle groove sous le boisseau. Les Texans dotent leur pop insidieuse de grands chœurs matrimoniaux. Ce cut brille comme une pépite dans l’ombilic des limbes. Ronnie Leatherman se fait extraordinairement pressant, épaulé par des hoquets de relances invraisemblables. Stacy chante cette merveille. Au moment où ils enregistrent Scarlet, les 13th Floor ne sont plus que trois. On retrouve des accointances avec les Byrds dans «Till Then», que chante aussi Stacy, l’ultime survivant des 13th Floor. Le trio joue aussi «Street Song» à l’ambiance frite et entre en surchauffe quand on ne s’y attend plus. Si l’album finit par voir le jour, c’est grâce à l’obstination de Stacy. La référence au Bull n’est rien d’autre qu’un hommage à sa détermination.

Les 13th Floor auraient pu disparaître tranquillement, mais non, la Gestapo va en décider autrement. Tommy, Roky et Stacy vont devoir endosser leurs chasubles de martyrs psychédéliques pour de bon. Entre 1968 et 1972, Tommy disparaît de la circulation. Il se fait poirer à Seattle avec des substances illicites et va moisir quatre piges au trou. Pas cher payé, vu son niveau. En 1970, Stacy est envoyé au trou pour deux ans, et pas n’importe quel trou : Huntsville, l’enfer sur la terre, la taule qui terrorise Roky. Justement, pour éviter ça, Roky fait la même erreur que Jack Nicholson dans Vol Au Dessus D’un Nid De Coucous, il plaide la folie et pouf, on l’envoie à Rusk, une taule psychiatrique qui reçoit les psychopathes les plus dangereux d’Amérique. Mais il ne sait pas que c’est encore pire qu’Huntsville. Globalement, Roky dit que le régime d’internement de Rusk était beaucoup trop sévère. Il raconte par exemple qu’au début, il avait rangé ses fringues sous son lit et un infirmier était venu le rouer de coups en hurlant : «Ne remets jamais tes fringues sous le lit !». Pour le désintoxiquer, on lui fait prendre du Thiothixene : il sent sa langue grimper jusqu’au fond de son crâne et ses yeux se révulsent. Comme cette drogue le raidit comme un piquet, on lui en donne une autre pour le ramollir. Son frère Mikel qui vient lui rendre visite à Rusk trouve que Roky marche comme un zombie. Ça deviendra d’ailleurs une chanson. Comme tous les autres pensionnaires, Roky est obligé de faire son ménage. Si l’infirmier trouve le moindre grain de poussière, c’est la punition : debout toute la nuit face au mur. En cas d’assoupissement, c’est la raclée. Ils s’y mettent à trois, à coups de matraques. Bing ! Bang ! Mikel trouve que les conditions d’internement sont un peu trop dures pour un mec comme Roky, qui n’est au fond qu’un simple musicien. Pauvre Roky ! Il comprend cependant qu’il joue sa survie et qu’il doit développer une stratégie pour sortir indemne de cet enfer. Il sent que les drogues qu’on l’oblige à prendre l’abîment pour de bon. Ce sont les drogues officielles fabriquées par des laboratoires cotés en bourse. Le LSD des beaufs, si vous préférez. Roky prend soin de bien fermer sa gueule car il comprend qu’à chaque écart de langage, on lui rajoute un an de Rusk. Alors il fait le canard et finit par avoir la paix. Il commence à écrire des chansons et des livres. Son copain d’enfance Kinney réussit à sortir un manuscrit dans ses bottes. Openers paraît en 1972. Roky se met aussi à lire la Bible et devient une sorte de révérend, the Right Reverend Roger Roky Kynard Erickson. Il dit la messe et chante des psaumes à la chapelle. Il s’accompagne à la guitare. Entre 1973 et 1975, il écrit énormément de chansons. On en estime le nombre à 400. Il survit à l’horreur de Rusk en inventant un nouveau genre : the Horror Rock. Il recycle sa vieille fascination pour les films d’horreur dans ses nouvelles chansons : «I Walked With A Zombie» n’est autre que le Thorazine shuffle, «Night Of The Demon» est un hommage à l’enfer de Rusk et «Creature With The Atom Brain» évoque les délicieuses séances d’électrochocs. Il recrée tout un monde en repartant de zéro. Et ça va loin. Quand en 1975, il perd tous ses manuscrits dans un incendie, il parvient à réécrire toutes ses chansons une par une. Cette année-là, il demande à une avocate de lui taper un document officiel certifiant qu’il n’est pas humain, mais martien. C’est sa manière de dire que les persécutions de Rusk n’ont pu l’atteindre : «J’espère que ce document prouvera à l’homme qui m’a fait subir des électrochocs que je suis un alien.» À sa sortie de Rusk, Doug Sahm vole à son secours et l’aide à redémarrer. Grâce à Doug, Roky enregistre «Starry Eyes», un nouveau hit intercontinental composé en l’honneur de Dana, sa poule. C’est la plus éclatante des victoires.

Les choses ne sont jamais aussi simples qu’on l’imagine. Figurez-vous qu’on trouve dans le commerce deux portraits à charge de Roky, le docu de Keven McAlester évoqué en amont et le chapitre que lui consacre Nick Kent dans The Dark Stuff. Pour essayer de tirer le meilleur parti du docu qu’a tourné McAlester, utilisons le principe des deux colonnes, avantages, inconvénients. Les inconvénients grouillent comme la vérole sur le bas clergé : McAlester nous montre un Roky clochardisé, cet enfoiré essaye même de faire des gros plans sur sa dentition, il passe un temps fou à filmer le capharnaüm qu’entasse un Roky rôti dans son appartement, la télé allumée en même temps que tout le reste. Si on veut rendre service à quelqu’un, on ne s’y prend pas ainsi. On commence par respecter son intimité et non par en faire l’étalage, sous prétexte de légendarité rock. Ce déviationnisme documentaire est typiquement américain. Ces pseudo-cinéastes recherchent la sensation en remuant du groin le fumier de la réalité. On trouve exactement les mêmes travers dans le film supposément tourné en hommage à Ginger Baker. Résultat : les gens ne retiennent de Ginger Baker qu’une seule chose : la violence, et de Roky, la clochardisation. Ce fucking docu est donc idéal pour ceux qui se complaisent dans le malaise. Plus globalement, on sent bien qu’on atteint avec ce film les limites d’un genre qu’on appelle aujourd’hui le rockumentaire. Dans le cas très précis de Roky, tout est déjà dit dans la musique. Le film est DANS la musique. Et le côté avantages ? McAlester nous montre pas mal d’acteurs de la saga Erickson, à commencer par Paul Drummond, l’auteur du 13th book, un mec assez jeune, d’apparence très psychédélique, mais aussi les quatre frères de Roky, Don, Mikel, Ben et le plus important, Sumner le sauveur qui a su aider Roky à se remettre en condition physique et à remonter sur scène. On croise aussi Clementine Hall, John Ike Walton et une Dana ‘Starry Eyes’, assez bien conservée. McAlester filme aussi les couloirs de Rusk, mais il ne sait pas quoi en faire. Tout le monde ne s’appelle pas Milos Forman. Mais le pot aux roses, c’est Evelyn Erickson, la mère, que Drummond accuse plus ou moins d’amour incestueux. Elle est tellement fracassée qu’on comprend tout. Ce docu se termine sur une scène déchirante : Sumner prend soin de son frère et lui prépare ses affaires pour la journée, alors l’émotion monte tellement qu’on enrage à l’idée que des gens aient pu se croire autorisés à se faire du blé sur le dos d’un mec aussi pur que Roky Erickson.

Dans ce style flamboyant qui le rapproche d’Oscar Wilde, Nick Kent brosse dans son Dark Stuff un portrait impitoyable de Roky - Si on était dans les années 90, on taxerait Roky Erickson de rocker alternatif. Mais nous ne sommes qu’en 1980, et les gens le voient surtout comme un cult-hero. Ce qui veut dire qu’il ne vend pas beaucoup de disques. Il n’en fait pas beaucoup non plus. Mais ce sont les gens les plus influents qui achètent le peu de disques qu’il parvient à enregistrer. Inutile d’aller lui demander ce qu’il en pense - Pourquoi cette chute en forme de remarque acerbe ? Tout simplement parce que Roky ne répond pas aux questions que lui pose le plus célèbre journaliste anglais. L’interview a lieu au Portobello Hotel de Londres. Nick Kent est pourtant bien documenté : il n’a ni vu le docu de McAlester ni lu le book de Paul Drummond, mais il sait tout d’Evelyn, du fondamentalisme religieux du Bible Belt et des quatre frères. Nick Kent change de stratégie et branche Roky sur la musique. Roky ne sait pas quoi répondre au plus célèbre journaliste anglais, alors il sort de son pif une belle une crotte de nez. Nick Kent se venge en torchant trois lignes lapidaires sur les 13th Floor : «L’histoire brève des 13th Floor Elevators constitue le modèle parfait d’une bohème psychédélique instaurée en mode de vie, centrée autour de ces idéaux utopiques qu’ont réduit à néant les drogues qui en étaient à l’origine.» Comme la grande majorité des Britanniques, Nick Kent répugne à se compromettre avec le trash américain. Il va même jusqu’à insinuer que les 13th Floor n’étaient pas si bons que ça : «des paroles plutôt stupides, un curieux grab-bag de folk rock, de jug band et de rhythm’n’blues qui débouchait parfois sur un résultat intéressant mais qui restait lourdingue et complaisant.» Mais un peu plus loin, il évoque «Two-Headed Dog» pour rendre le plus powerful des hommages : «Comme celle de Syd Barrett, la musique de Roky Erickson exprime un état mental dangereusement en désaccord avec les conventions.» Puis il se fout royalement de la gueule de Richard Hell et de David Byrne qui s’épuisaient à bosser leur psychotisme alors que Roky le pratiquait naturellement. Et c’est là où on se réconcilie avec Nick Kent : l’humour anglais se love enfin dans le giron bien tiède du trash texan.

Comme dans le cas du Velvet et des Stooges, la notoriété des 13th Floor ne se mesure pas en termes de ventes d’albums, mais en termes d’influence. Ces trois groupes ont indiqué le chemin à des milliers de gens à travers le monde. Mais la grosse différence qui existe entre les 13th Floor d’un côté, et le Velvet et les Stooges de l’autre, c’est que les 13th Floor n’avaient personne pour les protéger. Ni Warhol, ni Bowie.

Grâce aux 13th Floor, la scène Texane connut un bref essor : on vit arriver les albums de Red Krayola sur le même label, International Artists. Puis Rod Prince monta Bubble Puppy, et d’autres groupes mineurs firent parler d’eux : The Conqueroo, The Golden Dawn, Shiva’s Headband et bien sûr les Moving Sidewalks de Billy Gibbons, des groupes devenus aujourd’hui de beaux objets de spéculation. Les vrais héritiers des 13th Floor sont évidemment les Spacemen 3 qui surent emmener «Roller Coaster» vers de nouvelles frontières.

Par miracle, on a pu voir Roky sur scène aux Trans de Rennes, en 2010. Il semblait un peu paniqué, mais la voix restait fabuleusement intacte. Les hits aussi. Voir Roky, c’est comme voir Arthur Lee en chair et en os : on comprend immédiatement tout ce qu’il faut comprendre. Depuis, on a vu des choses moins glorieuses, comme par exemple les fameux Black Angels qui proposaient un set d’une heure entièrement pompé sur les 13th Floor, accords et son. Comme ils ne rendirent jamais explicitement hommage aux 13th Floor, ça leur valut quelques insultes bien méritées. Quand on pompe, la moindre des choses c’est de dire merci.

Signé : Cazengler, Riquiqui Erickson

13th Floor Elevators. The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators. International Artists 1966

13th Floor Elevators. Easter Everywhere. International Artists 1967

13th Floor Elevators. Live. International Artists 1968

13th Floor Elevators. Bull Of The Woods. International Artists 1969

Paul Drummond. Eye Mind. The Saga Of Roky Erickson And The 13th Floor Elevators. Process Media 2007

Keven McAlester. You’re Gonna Miss Me. DVD 2005

Nick Kent. The Dark Stuff. Penguin Books 1994

BOBBY VEE

ROCK 'N' ROLL FOREVER

( Coffret / CD 20 / 2002 )

Bobby Vee est-il un vrai rocker ? Grave question à laquelle je n'oserais répondre ayant un sacré problème avec le concept de vérité. Le malheur des uns provoque le bonheur des autres. Le destin l'appela à remplacer au pied levé Buddy Holly emporté dans l'accident d'avion qui coûta aussi la vie à Ritchie Valens et au Big Bopper. Alors qu'il était déjà remarqué par Liberty Records grâce à son premier single Suzie Baby sur Soma Records, un appel de la Radio de Fargo qui cherchait un artiste pour remplacer Buddy Holly pour son concert de Moorhead qu'il ne pouvait plus assurer - les cimetières regorgent de gens irremplaçables - décida Bobby Vee à tenter sa chance avec The Shadows le groupe de copains qu'il vient de former, leur set se déroule mieux que prévu, la carrière de Vee est désormais lancée...

Plus tard bien plus tard, Bob Dylan rendra dans ses Chroniques un hommage appuyé à Bobby Vee qu'il eut la chance de pouvoir accompagner à la guitare sur scène au tout début des années soixante, en ces temps-là Dylan n'était qu'une éponge qui savait écouter et regarder. C'était la première fois qu'il voyait du bon côté de la scène, un véritable professionnel en action. Travailler avec Bobby Vee pour Dylan, c'était aussi mettre ses pas dans les traces de Buddy Holly qu'il avait vu sur scène... Une autre version de cette histoire existe, Elston Gunn - pseudonyme du Zimmerman - n'ayant pas fait l'affaire, il n'arrivait à jouer correctement que sur une tonalité, aurait été remercié au plus vite...

 

Rubber ball : ( sorti en single en 1960 ) : tiens il y a Earl Palmer à la batterie, remarquez il n'a pas dû beaucoup se fatiguer pour remuer le bœuf en daube. Bobby Vee ce n'est pas un nerveux, une voix qui évoque immédiatement Buddy Holly, mais qui s'essouffle vite, pour le soutenir vous avez tout un chœur féminin aux voix pré-pubères, mais comme on ne lésine pas sur les moyens on lâche les violons aussi stridents que le crissement des cigales à l'heure de la sieste. Après le solo de guitare vous vous demandez si ce n'est pas le moment de sortir le chien. The night has a thousand eyes : ( sur l'album du même nom de 1963 ) : le premier titre vous a surpris, vous vous attendiez à mieux, celui-ci vous terrifie : un petit balancement à la Buddy Holly les quatre premières secondes, ensuite c'est la fin de l'épopée napoléonienne, Bérézina et Waterloo, version bubblegum, serait-ce le moment d'aller faire ses adieux à Bobby Vee dans la Cour des Honneurs de Fontainebleau. Nous sommes des rockers Damie, soyons stoïques, la garde meurt et ne rend pas. Devil or angel : 1960 : Bobby Vee sings your favorites, ils ont dû se tromper sur le titre de l'album, pas question que j'inscrive cette horreur dans mon harem musical. Ni ange, ni démon, un purgatoire, une purge, je vous l'échange les yeux fermés contre n'importe quelle bluette d'Elvis. Punish her : 1962 issu de l'album Golden Greats : n'est pas tout seul, l'est soutenu par les Johnny Mann Singers, on les retrouve sur certains enregistrements d'Eddie Cochran, des Crickets et de Johnny Burnette. Avec un tel soutien vocal derrière vous ne voilà-t-il pas que le beau Bobby, se met à parler, c'est encore pire que quand il chante. Ce qu'il ne manque pas de faire non plus. Punish him ! How many tears : ( 1961 ) : sur l'album Bobby Vee with Strings an Things. : mais pourquoi n'ont-ils pas crédité les chats qui miaulent atrocement en chœur à plusieurs reprises, n'ont pas eu leurs croquettes matinales et ça s'entend. Bobby a de temps en temps la mauvaise idée de les imiter. L'est pire qu'eux, et pourtant j'aime bien les chats ! Please don't ask about Barbara : ( 1962, sur le 33 tours A Bobby Vee Recording Session ) : accompagnement musical l'on se croirai dans un disque de Nana Mouskouri, au niveau rythmique c'est le générique Interlude Le Petit Train, pas très rapide donc, le malheur c'est que chaque fois qu'il s'arrête en gare, Bobby se hâte de rajouter un wagon. Restez sur le quai. More than I can say : ( 1960 ) : in Bobby Vee, écrit par Tony Allison et Sonny Curtis des Crickets. Un des plus grands succès de Bobby Vee. A l'eau de roses. Fanées. Après cette sucrerie, une cuillère de sirop d'érable vous paraîtra amère. Take good care of my baby : sur le même album que le précédent. C'est le meilleur de tous ceux que nous avons écoutés jusqu'à maintenant. Prenez soin toutefois d'éloigner le bocal de votre poisson rouge, il risquerait d'attraper une jaunisse. Come go with me : ( 1961 ) tiré de l'album Hits of the rockin 50's : l'est sûr que l'on ne doit pas avoir la même définition des rockin' fifties. De la musique rythmique épatante pour la surboum vintage de votre grand-mère. Heureusement qu'il y a un bon saxo et une belle voix grave dans les chœurs. Jetez le Bobby, gardez l'eau du bain. Earth angel : ( 1961 ) issu du même album que le précédent. Du rock, gentillet, douçâtre, propre sur lui, tout ce que vous ne voulez pas. Sixteen candles : ( 1961 ) idem pour la provenance : qu'elle souffle vite ses seize bougies, il y a vraiment des anniversaires où l'on s'ennuie à mourir ! Trop de sucre dans le gâteau et le jus d'orange tiédasse... restez poli, vomissez dans les pots de fleurs. Summertime blues : ( 1961 ) Hits of the rockin 50's : on n'y croit pas, chez Liberty ils détenaient le titre à leur catalogue... Tommy Allsup est à la guitare, ça s'entend, cette fois c'est du sérieux, même Bobby l'a compris, met sa voix dans les pas d'Eddie, le suit de près, et enfin nous avons le premier morceau rock'n'roll du CD. Ouf, il était temps ! Rock me baby : ( 1999 ) extrait de l'album Down the line qui regroupe des reprises de Buddy Holly par Bobby, encore un morceau qui se tient debout, un beau coulis de guitare, Bobby essaie d'imiter Buddy, mais manifestement il a mieux réussi avec Cochran. Susie Q : ( 1961 ) : tiens un corona virus échappé de Bobby Vee with Strings an Things : mais comment s'arrange-t-il ce pauvre Bobby pour nous changer la petite Suzie si frétillante chez tous les autres repreneurs en gamine nigaude et pataude ? Manque d'un minimum de sex-appeal. Butterfly : ( 1998 ) Fom the essential and collectable Bobby Vee. Qu'ai-je fait bon dieu tout puissant plein d'amour pour mériter un tel châtiment. Pardonnez-moi, je ne recommencerai jamais. Party doll : extrait de Rarities publié en 2010 : dieu m'a pardonné, pour me récompenser l'est allé me chercher un vieux truc de derrière les fagots : enfin une poupée que Bobby remue sans retenue, ne fait pas mieux que Buddy Knox mais ce n'est pas mal du tout. Sans doute le meilleur morceau de tout le CD. Bye bye love : Bobby Vee and the Shadows ( 1995 ) : encore une vieille bouteille. Certes les Everly Brothers c'étaient pas des sauvages, alors Bobby il se sent à l'aise, copie le modèle, fait des efforts, s'en tire pas si mal que ça, surtout qu'il joue à deux contre un. Maybe baby : ( 1963 ) from I remember Buddy Holly : chez Forever ils n'ont pas voulu que l'on se quitte sur une mauvaise impression. Bobby ne parvient pas à garder le tressautement vocal si particulier de Buddy mais ils se défend, d'autant plus que derrière la guitare électrique lui mord les jarrets à la façon d'un chien hargneux, et ne lui permet pas une semi-seconde au repos.

Je déconseille vivement à notre Cat Zengler d'emmener ce CD sur son île déserte, ne se sont pas fatigués chez Forever, toute la première partie est puisée dans les succès grand public de Bobby Vee. Etait-ce une bonne idée d'inclure Bobby Vee dans un coffret Rock'n'roll ? C'est quand même dix mille degrés au-dessous d'un Ricky Nelson, ou d'un Dion. avec ou sans Belmonts. L'aurait mieux valu taper avant tout parmi la disco de Bobby dans tout ce qui était en rapport avec Buddy Holly. Cela aurait eu au moins un intérêt documentaire.

Maintenant je me demande ce que Bobby Vee a pu apprendre à Bob Dylan !

Damie Chad.

 

WHEEP

TENDRESSE DECHIRANTE

( Vidéo-clip / You Tube )

Difficile en ces temps de confinement si vous êtes musicien d'un orchestre symphonique de répéter avec vos quatre-vingt-dix collègues dans votre deux-pièces cuisine. Pour Diane et Emilien qui partagent le même appartement et s'adonnent aux affinités électives et réciproques, le problème ne se pose pas. depuis quelques mois ils se sont imposés un petit jeu agréable. Ils ont formé le groupe Tendresse Déchirante. De temps en temps ils postent sur You Tube une vidéo d'un morceau qu'ils ont réalisée tous seuls, tous les deux, musique, parole, chant, enregistrement, tournage et montage. Wheep est leur quatrième opus. Reprise d'une improvisation qu'ils avaient concoctée lors d'un été pluvieux. Le proverbe est connu de tous les agriculteurs : quand on ne peut pas sortir les vaches dans les champs, on tape un bœuf à la maison.

Diable sont deux, mais ils font autant de bruit que les grandes orgues de la basilique Saint-Sernin, bandes de mécréants c'est à Toulouse - je pressens que occupés par vos fesses vous n'allez pas à confesse toutes les semaines – au début vous voyez les mains d'Emilien sur le cadran du synthé, au plan suivant l'est prostré sur une chaise, l'air malheureux, quant à Diane l'est plantée toute droite comme un cierge funèbre sur la gauche de l'écran, à son visage fermé, l'on comprend que l'on n'est pas là pour rigoler. En plein drame, l'orgue s'avance à pas pesants et lugubres, Emilien se confie au micro, sa voix évoque un paysage crépusculaire qui ressemblerait à la pochette du premier album de Black Sabbath, l'a le phrasé de quelqu'un qui penserait à en finir avec la vie. Diane s'est saisie de sa basse et mêle ses arpèges frissonnants à ceux du clavier, se penche vers vous comme pour vous regarder dans les yeux et puis se recule. Remarquez son T-shirt à gueule de tigresse mangeuse d'hommes. Emilien a repris sa voix mouillée de chien noyé. Changement de plan, sont maintenant rapprochés mais tout aussi éloignés, dos à dos. Et tout change, lui devant et elle derrière, et tout à l'heure ce sera le contraire, mais au fond le lit semble obstinément fermé, Emilien s'agite, est-ce le souvenir des jours heureux ou une crise de folie qui commence, la séquence rythmique se termine par un hurlement d'aliéné privé du ciel bleu diaphané sur la basse de Diane. L'est serré contre elle, mais elle est plus attentive passer ses notes sur les fils tendus de son instrument. Longue séquence, elle vous regarde de ses yeux sans éclat, il respire le parfum de son corps elle semble y prêter quelque attention, mais non le voici seul à l'orgue. Un peu d'écho sur la voix, il a vu la lumière répète-t-il, a-t-il commis le geste fatal, elle se lève et quitte la pièce, l'on ne voit plus que la gueule royale de la féline sur le T-shirt, qui abandonne les restes de sa proie.

Ce coup-ci c'est la tendresse déchirante à pleines dents. Un esprit différent des trois clips précédents. Jouent un peu sur les clichés mélodramatiques du romantisme. Une musique davantage emphatique. Une espèce d'outrance lacédémonienne dans la mise en scène. Une perle un peu baroque ajoutée au collier. Un clip kitch and chic, qui attire et attise l'envie du désir enfui. Une frénésie pâle. Du clinquant mortuaire qui brille dans la nuit obscure. Une réussite.

Damie Chad.

 

*

Manuel Martinez n'est pas un inconnu pour les kr'tnt-readers, nous les avions déjà emmenés visiter une de ses exposition à Versailles ( voir Kr'tnt ! 304 du 24 / 11 / 2016 ). Certaines des toiles que nous évoquons dans cette chronique étaient d'ailleurs présentes dans cette galerie. L'œuvre ( peinture et sculpture ) de Manuel Martinez est immense. Ce que vous apercevrez en consultant son FB ( Manuel Martinez Peintre ) est loin d'en représenter la totalité. Bien sûr il s'agit ici de peinture et pas de rock'n'roll, pour ceux qui auraient une vision du rock un peu étroite, nous nous contenterons d'ajouter que Manuel Martinez fut aussi le chanteur du groupe Les Maîtres du Monde, voir dans une de nos premières livraisons la chronique que nous leur avions consacrée.

 

ANGELS IN DISGUISE

MANUEL MARTINEZ

 

Qui, si je criais m'entendrait, parmi les anges ?

R. M. Rilke

 

Les anges ne sont plus ce qu'ils étaient. Surtout dans les tableaux de Manuel Martinez. Encore faut-il les reconnaître. Lui-même ne les attife que rarement de ce nom. Juste un motif. Récurent. Qui naît, se développe et s'absente. Pour mieux se métamorphoser. En d'autres signes. Des espèces d'évaporations diluviennes. Des semences idéennes qui poussent entre les formes envahissantes du monde, de la mauvaise herbe entre les dalles du jardin.

 

1 / LE COLLOQUE DES ANGES

( 2016 - 230 / 140 )

Vous n'y croyiez pas. Les voici pourtant ces fameux anges. En plein ciel. Nous aimons les imaginer sur une des terrasses de l'Olympe. Quel est donc ce serpent noir qui ne siffle pas à leurs pieds. Chose étonnante ces anges ressemblent à de simples filles d'aujourd'hui qui se promèneraient sur les trottoirs du boulevard balnéaire qui longe la plage. Un premier indice : elles suivent la mode, ce qui les uniformise, oui mais l'irrésistible plaisir d'être habillée selon les modèles dessinées par le grand couturier Manuel Martinez n'a pas de prix, vous rend unique. L'on dit souvent que les filles sont des anges, mais là n'est pas la question. Il est bien plus important de savoir de quoi elles parlent. Serait-ce un colloque sentimental cher à Paul Verlaine. Comme si la rencontre avec la mort avait une importance quelconque pour des anges. Et puis l'amour vous savez aujourd'hui... Non elles abordent un sujet de moindre futilité. Même si elles n'ouvrent pas la bouche. Nul besoin de parler. Leur simple vision est un messange. Ce qui est en jeu en cette réunion au sommet n'est autre que le combat obstiné contre l'ange que la modernité mène contre le mythe.

 

2 / LEO VALENTIN

( 201692 / 93 )

Celui-ci c'est un homme. Un homme mortel pour employer une figure pléonasmatique. Des sourcils se froncent, comment un ange mortel, quelle stupide incongruité en soi ! Sûrement mais n'est-ce pas Nietzsche qui déclarait dans Ainsi parlait Zarathoustra que l' '' on peut mourir d'être immortel''. Avec un tel nom, je crains qu'il ne devienne le chouchou des lectrices, ô Valentin, pour sa fête il nous offrira des fleurs et une parure de diamants. Non, ce n'était pas son style. C'était un dur, un vrai. Un qui avait los cojones bien accrochées. Lui, n'avait pas peur de voler avec les anges, faisait des sauts en parachute, montait à plus de sept mille mètres d'altitude et se laissait tomber. Pas comme une pierre. Valentin Léo aimait les hauts du ciel. S'était accroché des ailes qui lui permettaient de virevolter paisiblement. Un héros. Historique. S'est scratché à son sept cent et une unième saut...

Une histoire splendide. A la place de Manuel Martinez vous en auriez barbouillé des sommités de ciel, vers le bas les vertes étendues illimitées du plancher à vaches folles. Vous n'avez jamais entendu parler d'économie de moyens. N'est pas croqué en plein vol vertigineux le Valentin, mais le coude appuyé à son bureau, un peu dans la position du penseur de Rodin, mais lui il se tient droit. Martinez connaît la tradition des portraits du grand siècle, juste quelques objets symboles de la profession du personnage représenté. Ici la tête d'aigle et les plumes. Tout est dit.

Notez l'orange prédominant, couleur qui mêle l'or et l'ange, qui s'octroie toute la place. Ecorce amère. Pulpe intérieure sanguine.

 

3 / ICARE

( 2016 – 70 / 80 )

Le même que le précédent. Le général en chef de tous les idéalistes. Car lui il a réussi. Certes lui-aussi s'est lamentablement écrasé, une figue trop mûre qui tombe de l'arbre. Mais lui vous n'avez pas besoin comme pour le précédent de vous renseigner dans la notice wikipédia. Tout le monde le connaît. Personne n'ignore son nom. Lui il est immortel. Il vit au-dedans de vous. Quand vous ne serez plus qu'une ombre lointaine, l'on parlera encore de lui. L'est tout en haut de la pyramide des anges. Archange en chef.

Si ce n'était ses ailes qui dépassent de son dos, vous le prendriez pour n'importe qui. Une chemise pas tout-à-fait blanche et une veste mal fagotée. L'a toutefois une écharpe qui mêle toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Heureusement qu'il a un nom, ou plutôt heureusement que le tableau porte un titre. Vous êtes rassurés. Chez Manuel Martinez faut faire attention. Si je vous passe un bâton avec une jolie flamme qui scintille au bout, quand vous déchiffrez la mention : dynamite, vous êtes nettement moins flambards. Le cartouche à côté du tableau, peut en orienter la lecture. Parfois, il vous désoriente totalement. Manuel Martinez cherche-t-il à vous élever ou à vous abattre en plein vol.

 

4 / LE DOUTE DE NAUPACTE

( 201670 / 60 )

Demoiselle, belle comme un ange, peut-être les sublimes figures précédentes vous fatiguent-elles. Jamais vous ne les égalerez. Au combat de l'ange vous êtes sûre de perdre à tous les coups. Dans la bagarre vous ne risquez pas d'y laisser des plumes ! Avec un peu de chance, peut-être après l' échauffourée, en ramasserez-vous une, tombée de la ramure dorsale de votre ennemi intérieur. Inutile de le cacher, vous doutez de vous-même. Vous êtes la proie, mais pas l'oiseau, du doute métaphysique. Vous aimeriez sortir de votre chair physique et vous porter à la rencontre de l'ange qui se tient hors de vous. Mais vous avez peur. Le plateau de la balance reste en équilibre. Ne monte, ni d'un côté ni de l'autre. Seriez-vous en échec et Maât. Pourtant vous détenez votre cœur arrêté d'effroi sous le rose-petite-fille-sage de votre blouse. Et la plume qui se doit d'être plus légère que le froid de la tristesse bleue du monde qui vous cerne. La lancerez-vous.

( Nous sommes peu impacté par la figure mytho-historiale de Naupacté. )

 

5 / DE TA PLUS BELLE PLUME

( 2016100 /100 )

Tu as revêtu le casque guerrier de l'infante décidée. L'heure aquiline est claire. Le bec conquérant est avide d'une autre chair à dévorer toute crue. Il est temps de dessiner l'impérieuse parabole. Un œil vers le tracé exigé, et une pupille au loin qui vérifie l'horizon. L'instant de prendre ton envol est venu. L'oisillon se laissera choir de son nid. Saura-t-il voler de ses propres ailes, parviendra-t-il à freiner sa chute et à s'élever dans les airs ? Tu te recueilles en toi, en la nostalgie de ce que tu ne veux plus être. Le bleu glacial s'enfuit dans les bords du tableau. Désormais tu seras rose épanouie en ta robe, de communion avec l'ange que tu appelles. Et tu penses aux correspondances baudelairiennes.

 

6 / BIEN A VOUS

( 2016100 / 100 )

Jeune homme tu parles comme un homme. Touché en pleine tête. Missive missile. Il ne te reste plus qu'à te débattre avec ton ange. Est-il en toi ? Est-il en elle ? Est-il un obstacle infranchissable entre vous deux, d'où la nécessité de cette flèche dédiée à l'oiseau charognard de Stymphale, afin de l'abattre, lancée par l'amazone. Te tiens-tu droit comme un I car tu t'appelles désormais Icare. Attention, parfois celui qui veut faire l'ange fait le bête. Tu réfléchis, peut-être l'aventure est-elle plus risquée que tu ne le penses. Cette main qui se tend vers toi, est-elle caresse ou déchirure. Ta cravate désigne-telle le cœur de cible. Pourquoi la palette du peintre est-elle si noire. Pourquoi la peinture a-t-elle besoin de vocables. Les mots d'un titre disent-ils davantage que la représentation figurative du dessin. Est-ce que cela te fait du bien à toi. Valentin. Va lointain.

 

7 / UNE IDEE QUI VA SON CHEMIN

( 2016130 / 100 )

Est-ce l'idée qui trace son chemin ou l'attente. Les ailes sont-elles dans son dos comme un coup de poignard. Toute ramure angélique est-elle si dure à supporter que cela devient trop lourd pour de frêles épaules. Les jambes écartées et les mains sur le sexe. Parce que les anges n'en auraient pas. Avec quoi l'adolescence peut-elle jouer. Sinon avec elle-même. La vie est-elle en pointillés. Alternance du vide de la chair et du plein du cœur. Un terrible déséquilibre qui cloue à terre. Ces heures où le corps n'est d'aucun secours. Et si ces chemins ne menaient nulle part. Pas plus loin que toi-même. Moins loin que l'autre. Se perdaient quelque part dans le monde. La cible est-elle indicible.

 

8 / BORDERLINE

( 2016130 / 100 )

Il a volé à sa rencontre. Il a quitté les langes chrysalidaires de la réflexion pour la statue mobile de l'ange. Est-ce le moment redouté de la chute de l'ange. Toute vie côtoie-telle l'abîme. Court-il sur le bord tranchant du désir. Pourquoi ne s'envole-t-il pas. Qu'est-ce que cette attraction déclinante d'équilibriste. Qu'est-ce que cette lourdeur accaparante qui le gêne dans sa course. A moins que ce ne soit la limite extrême du spectacle du monde où nous sommes conviés. La peinture ne dit-elle pas tout. Tait-elle le spectacle des anges entre eux pour ne pas nous faire honte de notre solitude humaine. Ce grand bec d'ibis d'échassier incapable de se tenir sur ses deux pattes. Ô vide. De quel côté Icare tombera-t-il. Chut !

 

9 / FIN PRÊTS

( 2016100 / 100 )

Ce n'est pas ici que nous aurons la réponse. Parce que le combat n'est pas commencé. Parce que nous savons que ces deux athlètes sont des symboles de ce qui se joue, qui s'amuse, qui se bat de l'aile dans la peinture de Manuel Martinez. Peut-être une occupation de l'espace. L'issue de cette lutte est incertaine. Chacun des deux adversaires est sûr de son fait. On va voir ce qu'on va voir. En fait on ne verra que ce que le peintre nous montrera. Avant de nous passionner, qui sont-ils. Des formes en mouvement figées en leur immobilité. Des anges en colère. Portent leurs plumes comme des coiffes de chefs indiens. Peut-être une représentation formelle de l'une et de l'autre au plus prés de l'acte érotico-métaphysique. L'union du pinceau et de la toile. La signifiance entretenue entre le mot écrit et la chose peinte. Une simple figuration abstraitement libre de ce qui est en train d'advenir.

 

10 / NO GO ZONE

( 2016100 / 100 )

Qui gît là dans ce pugilat. Sumo au summum. Obéissent-ils à la ronde du monde. L'un dessus, l'autre dessous, tour à tour. A moins que ce ne soit leur tournoiement qui le fasse girer. Est-ce un ange qui se bat contre l'autre. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas de sortie de secours. Pas de dégagement possible. Juste le lieu géométrique du combat et la toupie infernale de l'affrontement à la recherche de la cerclitude du carré. Les deux faces de Manuel Martinez, lui qui dans une première époque éclatait les cadres du tableau, lui qui depuis circonscrit le lieu, avec ce titre hors du tableau comme un ange échappé à la concentricité exemplaire de l'action figurée. Le sens de toute chose est-il séparé de la chose. Le couple alchimique efface-t-il les sexes. La peinture de Manuel Martinez casse-t-elle l'atome initial androgynique. Le dit de la littérature, et le monstre du représenté, en un face à face infini, réunis selon la fusion mentale de l'image suscitée, et par l'une et par l'autre, en une sempiternelle gestation séparative.

 

11 / GRAVITE

( 2016 - 100 / 100 )

La situation était plus grave que l'on ne l'espérait. Retour à la solitude. La peinture revisite ses classiques. Ici le christ est redescendu tout seul de sa croix. L'a adopté l'attitude du boxeur groggy relégué dans les cordes du ring. L'ange a failli tout perdre. Encore heureux qu'il ait pu retenir de sa main droite une dernière poignée de plumes. L'on imagine son adversaire dansant la danse du scalp autour du carré de la scène. Le point de gravité est-il focal. Le monde de la peinture s'effondre-t-il dans le trou noir de la défaite. Qui a perdu. Qui a gagné. Le monde de l'homme ou l'homme du monde. Et si l'on veut élever le débat, le monde de l'ange ou l'ange du monde.

 

12 / GABY

( 2017100 / 100 )

Gaby oh Gaby. L'effet de l'autre côté du miroir. Elle a gardé ses ailes. Etait-elle, aile, l'âme du monde. L'ange du monde tire une tronche pas possible. En fin de compte, en aussi mauvais état que son vis-à-vis. Que son vice-à-vice. Le match serait-il nul. Chacun renvoyé à lui-même. L'effusion ne s'est pas résolue en infusion. Dorure scythe. Serait-ce une icône de la peinture représentant la peinture. L'échec au pantalon troué. L'ange abattu en plein vol. Ramené à sa dimension la plus terre-à-terre. Dans la position éplorée de la vierge sans enfant et sans virginité. Déflorée par la seule pensée de l'acte de la peinture. Pinceau introductif du peintre.

 

13 / IDEE RECUE

( 201865 / 50 )

Soyez sans inquiétude la demoiselle a de la ressource. Parfois tout coule de source. Elle a reçu l'annonciation d'une idée qui fera son chemin, dans sa tête ailée, en premier lieu. Mad'moiselle-n'a-qu'un-œil, rêve. Elle se tourne ses propres films. Rien ne la dérange. Cent fois, mille fois, elle retourne la scène primordiale. Mais quelle est-elle au juste. La chute de l'ange parmi les hommes ou la chute de l'homme parmi les anges. Cela demande réflexion. N'est-ce pas une transgression. Un peu comme si la peinture entreprenait de flirter avec la littérature, à moins que ce ne soit la littérature qui interviendrait en peinture. Lorsque l'on regarde le résultat d'une chose, n'importe laquelle, par exemple une plume d'ange, est-ce l'ange qui est allé à la plume ou la plume qui a voleté jusqu'à l'ange. En tout cas, cela porte un nom, cela s'appelle poésie.

 

14 / Pas de titre

( 2018 - 140 / 115 )

Quand on ne sait pas, il vaut mieux se taire. Que l'humain ne pipe mot, qu'il laisse parler les dieux. Voici le vol de l'aigle. Voici le viol de l'aigle. Le rapt des Sabines. La cueillaison d'un rêve. L'image d'un désir. L'aigle vole ce qu'on lui offre. Osiris s'empare d'Isis. Le dieu et la déesse. L'acte et le geste. Les anges ne sont pas des anges. Pas de titre. Peut-être une figure de l'Innommable. Peut-être le mot de l'Indescriptible. Serait-ce la poésie la plus pure. Serait-ce la poésie la plus pute. Mais la première trace du pinceau, le premier mot de la plume appelle le dénouement du geste, implore le dénuement de l'acte, impulse le dénudement de la poésie, désirée et désirante. Le voile tombe. La toile apparaît. Cette toile se nomme Ravissement.

 

15 / DEMAIN DES L'AUBE

( 2019100 / 100 )

Je partirai. La toile se résout en poésie. Le sacrifice a eu lieu. Tout est consommé. Noce d'équinoxe. L'un égale l'autre, l'autre égale zéro absolu. L'étoile mortuaire de la nuit a perdu un de ses joyaux, qui brille dans le crépuscule auroral. Chambre froide du petit matin bleu. Le minotaure n'a jamais tort. Malgré les tortueux replis de l'esprit. Il ne perd jamais le nord. Il mord tout ce qui dépasse sur les bords. Du tableau. Et de la démesure humaine. Puissance noire de l'angélisme. Apis peut faire pis. Mithra est sorti de la fosse. Est-ce l'acte suprême ou un incident dont nul ne se soucie. Le peintre a dressé sa toile comme une offrande.

 

16 / Pas de titre

( 201680 / 80 )

Manuel Martinez a toujours eu des chats chez lui. Nous laissons la parole à Glycéro : '' Ceux qui se prennent pour des maîtres sont fatigants. Mériterait des gnons. A toujours péter plus haut que leur troufignon. Pour moi c'est très simple, tout ce qui vole haut ou bas m'intéresse, quand j'en chope un dans le jardin, ange ou mésange, je le bouffe tout cru. Au moins ils n'auront pas à voler leur mort. Je n'ai pas un mot à ajouter, mes actes parlent pour moi. Ce n'est pas toujours facile de les pister. Parfois l'ange change. Puissance élevée au carré. Manuel Martinez. ''

Damie Chad.

 

NOTES

Ceci n'est qu'un chemin parmi l'œuvre de Manuel Martinez. Il est à considérer comme une de ces coupes stratigraphiques auxquelles s'emploient les archéologues pour établir leurs futures fouilles et escompter leurs prochaines trouvailles. Encore que Manuel Martinez soit bien vivant et continue à peindre et à exposer.

J'ai choisi un unique motif dans cette œuvre foisonnante. J'aurais pu en élire d'autres, je les nommerai par exemple, ''filles pensives'', ''les chats'', ''regards contempourris '', je m'arrête, vous êtes assez grands pour bâtir vos paddocks mentaux. Certaines des toiles commentées ici peuvent être incluses dans ces trois catégories ou bien d'autres. Cela fonctionne un peu comme la théorie mathématique des Ensembles. Chacun se crée ses propres périmètres totémiques.

Lorsque vous parlez avec Manuel Martinez, il se hâte de vous expliquer la programmatique de ses couleurs. Vous expose cela comme une triangulation de complémentaires. Intéressant certes. Mais subsidiaire ai-je envie d'affirmer. Une stratégie d'évitement. Evoquer les moyens évite de déclarer ses intentions profondes. Celles qui courent sur les abîmes.

Quatre points d'encrage et d'ancrage pour entrer dans cette œuvre : mythe / modernité / peinture / littérature. Quant aux anges rilkéens est-il nécessaire de préciser qu'ils ne participent en rien d'une vision christianologique du monde. Les mots répétés comme autant de coups de pinceaux alignés, sagement et follement, côte à côte. Dans le but inatteignable que l'acte d'écrire imite et figure celui du peintre.

Les petites vignettes qui surplombent le texte ne témoignent pas de la force des tableaux tels qu'en eux-mêmes les visiteurs des galeries s'y confrontent.

D. C.

P. S. : Pour la petite histoire : José Martinez, nous avons présenté dans notre livraison 451 du 12 / 02 / 2020 une série de 24 de ses dessins, est le frère de Manuel Martinez.

 

26/02/2020

KR'TNT ! 453 : SCREAMIN' MONKEYS / ANDY LEWIS / THE TWANGY & TOM TRIO / WHO / TENDRESSE DECHIRANTE / CODICILLE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 453

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

27 / 02 / 2020

 

SCREAMIN' MONKEYS / ANDY LEWIS

THE TWANGY & TOM TRIO / WHO

TENDRESSE DECHIRANTE / CODICILLE

TEXTES + PHOTOS : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Too much Monkeys business

 

Seulement deux 45 tours ! Les Screamin’ Monkeys préfèrent la raréfaction à la prolifération. Pas de danger qu’on les accuse de Ty-Segaller. Leur premier 45 tours date de 2016 et vaut qu’on y fourre son nez car un hit s’y niche : «Cosmic Farmer». Ils amènent ça au heavy groove envenimé et après un superbe solo à la déglinguette bourguignonne, on les voit s’enflammer, c’est fuzzé dans l’âme à coups d’awite awite. Avec «Walk Alone», ils se prennent pour des Américains et ça leur va bien, ils ont de la rémona à revendre, hey hey ! Ils savent ouhater leur pré carré et cultiver une certaine forme de démesure. Ils passent au vieux shoot de garage fever avec «Makes Me Fever». C’est là où les singes sautent sur les archéologues pour leur dévorer les yeux. Quelle boucherie ! Leur fever sent bon la fièvre aphteuse, ils savent articuler leur shit, c’est admirable et intéressant à la fois, une belle énergie sous-tend l’ensemble, d’autant que le mec est bon au chant, comme le montre «Ginger Twister», il traîne ça jusqu’au sommet à coups de what’s the matter, c’est du sérieux, ils groovent un sacré big bag of sound.

L’autre single refuse de décliner son identité. Les flics insistent. No title ! Bim bam ! «Band Of Freaks» ! Les coups commencent à pleuvoir. Garage d’orgue embarqué pour Cythère. Dynamique ventrue et chargée de fagots. Les Monkeys écument la contrée comme les colonnes infernales de Turreau, ils dévastent les Vendées du garage. «Poison Vivi» refuse aussi d’obtempérer. Rien à faire, même si c’est chanté au gras. Bim bam ! Alors il ne leur reste plus qu’une seule chose à faire : une B-side. Ça tombe bien, car voici leur hommage à Jack Scott avec «I Love You Until The Song Is Over», c’est du Way I Walk de bonne guerre et les Monkeys sont malins car ils savent générer des petites débinades psychotropiques. Le chanteur fait une parfaite impersonation de wild rockab, il frise le Robert Gordon, ce qui vaut pour un compliment. Beau final en mode hypno, rehaussé de roucoulades somptueuses.

Vous l’avez bien compris, c’est sur scène qu’ils donnent leur pleine mesure. Attention, les Chalonais sont six sur scène et ils réussissent l’exploit de s’encastrer tous les six dans un minuscule recoin avec une batterie, un orgue et trois amplis. Il faut savoir le faire. Ils semblent réactiver une vieille manière de jouer le rock, pas loin de l’anglaise, celle qui reposait sur une science aiguë du jumping beat et des maracas. Et lorsque l’harmo pointe le museau, il charrie des petits échos de pub-rock à l’anglaise. Oui, un son déjà entendu des milliards de fois mais quand c’est amené avec autant d’allant, ça cloue vite le bec aux commentaires. Ils mettent leur petite industrie en route et s’y tiennent avec une suite dans les idées qui les honore. On ne sait pas qui est Belinda, mais elle a un joli cul. Il faut voir comment les Monkeys lui shakent le booty. Fantastique présence ! C’est la dynamique des deux chanteurs qui donne aux Monkeys ce côté explosif. Franck et Fouine se partagent les cuts et chantent à deux sur d’autres, alors ça précipite le dégorgement des engorgements, ça émoustille les wild émanations, ça bisque les basques du best blast around, ça rue dans les brancards et ça maracasse la carcasse de la rascasse. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit.

On les voit vite partir en mode Fuzztones avec une voodooterie nommée «Voodoo Doll» avant de sombrer dans les affres d’un «Primitive» joué au trombone à coulisse, ce qui est un pari osé, mais qui ne tente rien n’a rien, n’est-il pas vrai ? Leur dominante reste bien le garage d’orgue à la Fuzztones, il adorent se couler dans ce type de mood, c’est leur manière de prêter allégeance au rude Rudi qui du haut de ses deux mètres domine encore l’immense cimetière où dorment en paix relative les milliers de tenants et d’aboutissants du garage moderne. Les Monkeys redonnent vie à leur vieux «Cosmic Farmer» chargé de relents beefheartiens, mais privé du scream final qui impressionnait tant dans la version enregistrée. Quand ils piquent une crise avec «Paranoia», ils filent ventre à terre, histoire de rendre hommage au speed-garage héroïque des New Bomb Turks et autres calaminés des années de braise, et ils reviennent au jumpy jumpah de bonne famille avec «Walk Alone». Comme tous les grands amateurs d’apocalypse, ils aménagent des petites zones de calme pour mieux rebondir au moment de l’assaut final. Si on aime le garage bien foutu et bien senti, c’est le groupe qu’il faut voir. Ils dégagent une sorte d’excédent budgétaire, ce qui mérite d’être noté. Ils dépotent une vingtaine de morceaux avec un enthousiasme qui ne pâlit pas un seul instant et une énergie qui est celle des opiniâtres invétérés.

Leur «Monkey Twist» est une petite merveille d’insistance cavalante, Ces mecs ne lâchent jamais la rampe. Ils redonnent vie à toute cette culture Back From The Grave/Pebbles qui fit les beaux jours des oreilles d’antan. Le garage quand il est bien joué reste l’un des styles de rock les plus vivants, les plus frétillants et certainement le moins corrompu de tous les genres puisque condamné à l’underground. Mais encore une fois, l’underground est un havre de paix, si on voit ce qui se passe aujourd’hui dans les grandes salles de concert. Voir Franck et Fouine chanter à deux «Le Stonien» console du spectacle de toutes ces horreurs. Ils mettent tellement de jus dans ce cut qu’il sonnerait presque comme un hit, d’autant que c’est gorgé d’accents de Stonesy et explosé aux yeah d’unisson du saucisson. Joli coup de chapeau aux Stones qui, faut-il le rappeler, sont à l’origine de tout, enfin de ce qui nous concerne ici. Les Monkeys enchaînent avec un autre clin d’œil, cette fois à Screamin’ Lord Sutch, avec «Jack The Ripper», l’occasion de ressortir le trombone à coulisse pour cuivrer de frais cette vieille scie sautillante qui ne prend toujours pas de rides. C’est chanté au meilleur guttural local, avec du scream à la clé et un sens aigu du boogaloo qui non seulement nous enchante, mais qui en plus croule sous le poids de sa crédibilité. S’ensuit l’excellent «I Love You Until The Song Is Over» qui se trouve sur leur deuxième 45 tours. Ils en font une version longue, un peu hypno et l’arrêtent brutalement. Dommage. Ils pourraient tirer la sauce et faire sauter la sainte-barbe. Ils vont faire un rappel bien sonné des cloches avec un «Diddley Train» tatapoumé dans les règles de l’art et chanté aux renvois de chœurs. Hey Bo Diddley ! Rien de plus légendaire. C’est là où la dynamique des deux chanteurs reprend du poil de la bête. C’est le vrai Diddley beat, avec ses crises de scream et toute sa spectaculaire modernité. Ils finissent à l’emporte-pièce avec un clin d’œil fatal aux Dictators. Ils déterrent «California Sun» de ce premier album des Dictators qui frappa tant les imaginations à sa sortie en 1975. N’oublions pas que Lindsay Hutton tirait le titre de son fanzine The Next Big Thing de cet album fantastique. Les Monkeys amènent le riff de «California Sun» aux deux guitares alternées. C’est en place, bien posé sur le California beat et vite explosé au coin du bois. Ils restituent avec brio la magie de ce cut de cinquante ans d’âge qui repose sur l’alternance de passages clairs et de bouquets d’harmonies vocales noyées de son. Vertiges de l’atour.

Signé : Cazengler, Screamin’ moquette

Screamin’ Monkeys. Chez Kriss. Évreux (27). 31 janvier 2020

Screamin’ Monkeys. ST. Pop The Balloon 2016

Screamin’ Monkeys. No Title. Pop The Balloon 2018

 

Handy Andy

 

Pour bien situer Andy Lewis, il faut commencer par écouter un album paru sur Acid Jazz et annoté par Eddie Piller, qui s’appelle Billion Pound Project. Comme on dit dans les milieux autorisés, c’est un chef d’œuvre. Andy Lewis y invite tous les gens qu’il admire. Piller dit d’Andy qu’il porte son cœur sur les lèvres - this creator and composer wears its heart on its sleeve - Pour Piller, Andy est le gentleman quintessentiel - the quintessential English gentleman - Quand on entend le groove magique de «100 Oxford Street», c’est un peu comme si on se retrouvait à l’angle de Wardour Street at midnight. La température monte violemment avec «(Love is) Alive In My Heart», car Andy fait chanter Keni Burke - a Curtis Mayfield prodigy - Il plane sur le cut un parfum de strong groovy magic. Mais ce qui suit est bien pire : Andy confie «Laughter Ever After» à Bettye LaVette et tout bascule dans la monstruosité, d’autant que Bettye attaque ça à la manière d’Esther Phillips, en chuintant légèrement. Le cut tourne à la dinguerie et ça groove tellement dans l’os de l’art qu’on se retrouve au sommet du genre. Stupéfiant ! En réalité, c’est Bettye qui rend hommage au quintessential gentleman et non l’inverse. La fête se poursuit avec une autre idole d’Andy, Reg King, qui comme chacun sait fut le chanteur de The Action. Le cut s’appelle «Since I Lost My Baby», une fière reprise de Smokey. On a là un fantastique condensé de rock Action définitif. Nous voilà une fois de plus au cœur du mood de myth Mod, dans une sorte de perfection absolue, à l’équilibre parfait entre la classe Soul et l’élégance pop britannique. Encore un coup d’éclat avec «See You There» chanté par l’extraordinaire Lynda Laurence. Elle gueule comme Aretha et vrille son me-eeeeh. Encore une révélation un peu plus loin avec «Devastated», un cut de funk allumé au white heat et que chante Loleatta Holloway. C’est tout simplement le white funk de Sloane Square par un soir glacé et foggy, violonné et saxé, effarant de modernisme déterminé. Andy tend le micro à un autre héros, Andy Ellison, qui ramène sa morgue pour chanter «Heather Lane». C’est toujours un plaisir que d’entendre chanter ce fabuleux glamster métastaseur. Il reste encore une merveille au bout de cette B fatidique : «One By One» que chante Fonchi, une autre reine de la nuit londonienne. Andy lui fournit des chœurs de rêve, c’est-à-dire des chœurs Tamla. Et là, on re-décolle, une fois encore. Impossible de rester assis quand on écoute ce disque.

Au final, cet album donne l’équation magique de la scène Mods anglaise contemporaine, qui propose un mélange unique au monde de Soul et de Mod-rock. Tout ça sur Acid jazz.

Album bien intentionné et même lumineux que ce You Should Be Hearing Something Now paru aussi sur Acid Jazz en 2007. Ce qui frappe le plus, chez Andy Lewis, c’est la clarté du propos. Ce mec joue dans les règles de l’art et s’entoure d’invités de choix. Tiens par exemple Corrina Greyson pour «Window Shopping». C’est une vieille descente au dance-floor, Corrina sait de quoi elle parle, bienvenue au paradis de l’English diskö. Quelle violente énergie, ça transfigure la diskö, kökö, tu n’as même pas idée, voilà le monster küt par excellence ! L’énergie dévore l’oreille. Andy duette ensuite avec Paul Weller qui chante son ass off sur «Are You Trying To Be Something». Ils embarquent ça au meilleur beat qui se puisse concevoir, mais ça va encore se corser avec «Don’t You Know Why You Do it». Claire Nicolson chante ça sucré et propose une fantastique lampée de pop anglaise, avec une perfection qui renvoie bien sûr au cœur de ce vieux mythe qu’on appelait autrefois le Swinging London. Ils sont en plein dedans. On assiste là à un phénomène d’insistance lumineuse assez rare. Sur cet album, tout semble couler de source. Andy Lewis embarque «Phantom Street» au glouglou famélique, il joue son bassmatic avec la grâce d’un saumon d’Écosse argenté et vivace, lancé à l’assaut du torrent. Il duette ensuite avec un certain Johnny Cooke sur «Come Along With Me». C’est un fantastique shuffle d’anticipation, avec une trompette en or qui se glisse dans la ferveur du groove, et Johnny Cooke chante dans la chaleur de la nuit londonienne, c’est somptueux, ultra-orchestré, hissé au sommet de tous les apanages, surtout celui du Mod Jazz. Retour de Claire Nicolson pour ce coup de génie intitulé «In The Land Of You And Me». Elle y va direct. Ah comme c’est puissant ! Elle revient au sucré du jerk, au pur London shake. Ils sont dans l’excellence de la pertinence, dans le tronc du culte, comme dirait Mocky. Andy Lewis sonne comme les Beatles sur «Tell Me Once Again You Love Me» et duette avec David Jay sur «The Love Of My Life», assez black dans l’esprit. Pur son d’exception, une fois encore, David Jay tire la bobinette et ça devient vite énorme. Existe-t-il quelque chose d’aussi parfait ? Dieu seul le sait. Claire Nicolson est au rendez-vous de «Beyond The Fields». Elle chante d’une voix de rêve. Andy Lewis ne pouvait pas espérer mieux. Derrière, ils sont au carré. Et puis voilà le grand retour d’Andy Ellison avec «Top Of The Tower». Il est en place et what a voice ! Il brandit le big étendard du glam anglais. Andy et Andy font bien la paire. C’est convaincu d’avance, le bassmatic dévore le cut tout cru. Croutch croutch.

Le mini-album 41 est paru sur Acid Jazz en 2011 sous la forme d’un double EP. «Complexity» et «Sky Bar» sonnent comme des solides Mod rocks, bien dans l’esprit de la London Mod scene, pas loin de Jam. Par contre, «Centre Of Attention» sonne plus psychédélique, même s’il est monté sur un tempo diskoïdal digne des diskö-floors britanniques.

Avec le Billion Pound Project, l’album qu’Andy Lewis a enregistré avec Judy Dyble est le plus réussi. Il s’appelle Summer Dancing et date de 2017. Il faut se souvenir que Judy Dyble fut la chanteuse & founder-member de Fairport Convention, qu’elle quitta pour aller monter Trader Horne avec Jackie McAuley. Elle a ce qu’on appelle un pedigree. Le morceau titre de l’album sonnerait presque comme in hit psych des sixties. La voix est toujours là. Cette fois, Andy Lewis ne vise pas le Mod rock mais l’esthétique Fairport. Premier point fort de l’album : «A Message». C’est en enchantement. Andy Lewis accompagne Judy Dyble à la stand-up. On sent l’inspiration, elle est palpable. Ça devient infernal avec «Night Of A Thousand Hours», un groove de jazz pianoté dans le flesh du groove. En B, Judy Dyble passe au jerk avec «My Electric Chauffeur». Eh oui, c’est aussi simple que ça. Andy Lewis réussit l’exploit de la ramener sur la piste de danse. On note l’extrême pureté de sa voix dans «Treasure». C’est un filet lumineux, incroyablement juste. L’enchantement se poursuit avec «The Day They Took The Music Away», extraordinaire coup de transe. On entend tout simplement des héros de l’underground britannique. Judy Dyble revient avec «Summer Of Love» à son cher chant chaleureux de l’archiduchesse, alors sont-elles sèches, archi-sèches ? Elle règne sur la tradition d’un chant très anchien. Elle chante aussi «Tired Bones» à la clameur d’antan, la bonne vieille clameur d’excellence privative. C’est paisible et si profondément beau.

On trouve aussi sur Acid Jazz l’album des Red Inspectors, Are We The Red Inspectors? Are We? Andy et ses amis y proposent des instros de clubbing londonien à la James Taylor Quartet. Ils affectionnent particulièrement le groove charmant. On entend Pete Twyman chanter «He’s A Menace» et c’est excellent. On le retrouve au chant sur «The Apology Squad», petite pop montée sur une bassline de rêve, comme suspendue dans le son.

Donc pas grand chose pour un personnage aussi légendaire, mais ses trois albums figurent parmi les grands classiques du rock anglais.

Signé : Cazengler, Andy Le vice

Andy Lewis. Billion Pound Project. Acid Jazz Records 2005

Andy Lewis. You Should be Hearing Something Now. Acid Jazz 2007

Andy Lewis. 41. Acid Jazz 2011

Judy Dyble/Andy Lewis. Summer Dancing. Acid Jazz 2017

Red Inspectors. Are We The Red Inspectors? Are We? Acid Jazz 2011

TROYES / 22 – 01 – 2020

3B

THE TWANGY & TOM TRIO

 

Huit cents kilomètres de la veille dans les pneus et la Teuf-teuf file sur la route de Troyes comme une jeune fille à son premier rendez-vous d'amour. Pour moi ce n'est pas pareil, une question métaphysique m'obsède depuis que j'ai repéré l'affiche sur le FB de Béatrice Berlot, comment trois peut-il être égal à deux ? N'ai jamais été fortiche en mathématique, mais tout de même ! Un truc encore plus difficile que le mystère de la sainte trinité qui nous dit que trois égale un. Maintenant que j'écris cet incipit j'ai la solution, celle du trio pas de la trinité, vous la refilerai tout à l'heure. Le temps de vous faire saliver. Une petite discussion avec Béatrice, toute fière des cent-dix groupes de rockab qui ont défilé dans le 3 B en six ans, mais cela c'est le passé, le futur c'est la programmation qui vient, avec une grosse surprise à venir. Non je ne vous donnerai aucun indice, ni un, ni deux, ni trois, d'autant plus que le Twangy & Tom Trio entre en scène.

THE TWANGY & TOM TRIO

Je vous rassure tout de suite. Le trio est bien constitué de trois éléments. Ce qui est terrible, car il faut l'avouer vous pourriez en supprimer deux au hasard, que celui qui resterait tout seul vous l'écouteriez avec autant de plaisir. A notre droite Gégene ( du Loiret n'oubliez pas la formation est basée à Orléans ). Contrebasse vert turquoise. Avec un auto-collant de pin-up collé dessus. Ce qui pose problème. Pas la pin-up. La colle. Elle tient, un véritable miracle. L'image ne s'est pas décollée de tout le set. C'est que Gégene quand il cogne, vous l'entendez. Ce doit être son karma. Dans une autre vie il a dû mener la charge des éléphants de Porus contre les fantassins d'Alexandre le Grand. Chaque fois que sa menotte s'en vient se catapulter sur les cordes, c'est votre cerveau dans votre boite crânienne qui fait un tour sur lui-même. En plus il exagère, il écrase tout sur son passage, vous pensez que l'histoire du monde vient de se terminer, mais non, si c'était un musicien classique faudrait lui écrire Molto Allegro sur la partoche, car il swingue et caracole comme un jeune poulain qui s'élance au grand trot vers les infinis de l'herbe bleue du Kentucky.

A notre gauche Phil Twangy, à la Gretsch cochranique. Et granitique. Ne vous fiez pas à son air sympathique. Un étrangleur. La main tout en haut du manche. Vous le tient ferme. L'on dirait qu'il a attrapé un cobra par le collet et qu'il lui serre le cou à mort. La poigne reste immobile. N'y a que ses gros doigts qui bougent, comme s'il cherchait à lui éclater quelques ganglions vitaux à l'intérieur. De l'autre main, ce n'est guère mieux. Disons-le franchement, c'est pire. N'est pas du genre à gentiment gratouiller les cordes comme s'il caressait un chat. L'est du style à percer sans pitié le ventre du greffier de multiples coups de poignards. Et vos oreilles le remarquent, il vous les cingle comme s'il vous ramonait l'œsophage avec un fil de fer barbelé. C'est violent, c'est brutal, et vous vous rendez-compte que vous avez en vous une dimension masochiste que vous ignorez.

Oui Phil et Gégene ont le rockabilly sauvage. A tel point que vous dites que ces deux malfrats vous suffisent. Qu'il n'y a aucune nécessité d'ajouter un troisième larron à ce duo. Et pourtant, il y a bien un troisième individu entre ces deux rocs, un gars longiligne, sous une grosse casquette bouffante. Au début vous pensez qu'il est là pour rien. Le gus inutile par excellence. D'ailleurs il n'a même pas un instrument. Enfin si, un minuscule, qu'il cache dans sa main. Un harmonica. Vous le plaignez, mais à part fredonner Oh ! Susanna en sourdine entre deux morceaux, vous vous demandez ce qu'il peut bien pouvoir faire entre ces deux monstruosités rockabyliennes. S'appelle Long Tom, et ce mec il exagère. Nous sommes en plein rockabilly, et au lieu de dire pouce, je passe mon tour, le guy se met à jouer... du blues. Mais du blues plus bleu que bleu. Au début vous pensez qu'il s'est trompé de casting, peut-être même de café, qu'il doit y avoir un concert de blues organisé à l'autre bout de la ville, et puis au bout de deux minutes, vous êtes obligés de reconnaître qu'entre la sauvagerie du rockabilly et la trouble lancinance du blues s'installe une étrange alliance. Ce ne sont pas des contraires qui se repoussent mais des pertinences qui déteignent l'une sur l'autre.

C'est qu'entre le blues et le rockabilly, vous avez quelques relations incestueuses. A l'inter set, Long Tom résumera ces accointances très simplement : vous accélérez un blues vous avez un rockab, vous ralentissez un rockab vous obtenez un blues. Certains croient avoir trouvé la solution en créant le concept de rocking blues. Qui ne me satisfait pas. C'est un truc qui n'a jamais existé, d'un côté vous avez le blues et de l'autre le rockabilly et à eux deux c'est exactement la même chose. La musique du diable pour résoudre le mystère de la sainte trinité ! Si vous en avez deux, vous en avez trois !

La théorie c'est bien. La pratique c'est mieux. Le Twangy & Tom Trio vont aligner trois sets. Nous avouent qu'ils n'ont que trois compos à eux, mais quand l'on compte les compos personnelles d'un Gene Vincent, l'on est surpris. La reprise n'est pas un problème, la solution c'est l'appropriation, vous pouvez faire mieux peut-être, mais l'important c'est de faire autrement. Je prends un exemple : These boots are made for walking, avec eux ça ne marche pas, ça galope, un déchaînement, en l'écoutant je me dis que c'est comme cela que Lee Hazlewood avait dû le rêver avant de la refiler à la petite Nancy. Mais revenons au rockabilly et au blues. Vous ne trouverez pas plus noir que Bo Diddley. Entre nous soit dit avec Gégene, le beau Bo a bobo avec ses congas, peut aller se rhabiller, la contrebasse vous aligne le jungle beat avec une férocité inégalable, Phil à la guitare se charge du rebond, vous tranche les lianes de la forêt vierge à coups de machette, vous débite les pythons en tranches sans état d'âme. Le jeu est si serré que Long Tom n'y glissera pas une fumée d'harmonica, juste quelques bouffées rapides, ne prendra ses aises que lorsque le morceau s'accélèrera, s'échevèlera sur lui-même, alors là vous aurez droit à un incendie australien. On ne peut pas dire que Phil y cassera une corde, c'est si violent que l'on dirait qu'il l'a arrachée.

Mais non, ne sont pas spécialisés dans les instrumentaux, un rockab sans vocal c'est comme film de science-fiction sans extraterrestre. Phil chante comme il joue de la guitare. Fort et incisif. Pousse les lyrics comme des lames de rapière dans le corps d'un ennemi. Particulièrement bon sur les morceaux de Cochran, un Skinny Jim raboté à l'entaille, un Summertime Blues à vous cogner ( merci Gégene ! ) la tête sur le plancher, et un Twenty Fligth Rock monstrueux. De la belle ouvrage. Le troisième set sera démoniaque. Un Mystery Train fabuleux, si vous aviez été là vous comprendriez la trisomie du rockabilly et du blues, Long Tom nous ramène dans le delta alors que dans le même temps Phil nous en éloigne pendant que Gégene nous martèle un boogie-shuffle à vous briser les os. L'on croyait avoir atteint la cime du concert, mais non comparé au Mojo Working qui suit l'on n'était que sur des plateaux de moyenne altitude. Vont nous le faire défiler longtemps, mais en accéléré, sans halte, pire qu'à Chicago à la grande époque de la Chess électrique. Long Tom comme chez lui, et les deux autres qui ne lui cèdent en rien. Jamais l'eau dans laquelle vous avez lavé votre âme n'aura été aussi boueuse. Mais le trio est survolté, vous avez eu du black handsome man, eh bien vous aurez des petits blancs et ils nous fourguent un Rock This Town à faire sauter les centrales atomiques.

Z'ont trop bien fait leur boulot. Doivent payer l'addition. Sont les premiers à s'apercevoir que le Thirty Days de Chuck Berry même rallongé au bouillon-cube explosif ce ne sera pas suffisant. Un rappel avec le monde entier qui danse devant eux, quelle soirée ! J'ai oublié pour débuter le deuxième set les deux morceaux en l'honneur de Crazy Cavan qui s'en est allé rejoindre les anges noirs de l'enfer du rock 'n' roll sans préavis.

Ma promesse : au début c'était Twangy & Tom Duo parce qu'ils étaient deux. Gégene est venu et le duo s'est mué en trio. Mais ce n'est pas fini, Phil me dit qu'ils pensent rajouter un batteur. A croire que ce coup-ci ils veulent ratiboiser l'univers. Surtout laissez-les faire. Après la grande claque, ce sera la grosse beigne. Monstrueux !

Damie Chad.

 

THE WHO

( Collection ROCK&FOLK # 13 / 06 – 02 – 2020 )

 

Pour ne pas vous mélanger les pédales ne confondez pas Rock & Folk Hors - Série, le dernier, le Numéro 38, 22 V'la les filles ! est sorti en novembre 2019, avec Collection Rock & Folk dont le Numéro 13 consacré aux WHO vient de paraître cette première semaine de février 2020. Si les Hors-Séries proviennent tout droit de la plume des journalistes du plus vieux mensuel rock national et international, la Collection est réalisée en collaboration avec Uncut. Une revue rock anglaise à laquelle notre Cat Zengler fait régulièrement allusion dans ses chroniques car les anglais sont plutôt pointus question rock.

L'expression '' biographie non autorisée '' permet de mieux comprendre la raison du titre du magazine britannique. Non coupé, car Uncut n'a pas l'habitude de ne pas poser les questions embarrassantes et de passer sous silence les épisodes plus ou moins controversés de la vie de nos idoles. Toutefois avec un zèbre à la Pete Townshend, c'est comme les tubes de dentifrice, à peine avez-vous dévissé le bouchon que le contenu se hâte de se déverser dans la bonde du lavabo. Ce mec est un bonheur pour les journalistes, vous ouvrez le micro et il prend la parole pour des heures et des heures. Les 120 pages du numéro sont remplies d'interviews données au fil des années à différentes revues, notamment le Melody Maker et Uncut...

Certes les Who étaient quatre mais Keith Moon et John Enwhistle ont quitté notre planète voici longtemps, Roger Daltrey n'a jamais été un grand hâbleur – ce qui ne l'a pas empêché d'avoir ses petites idées personnelles sur la carrière du groupe – et c'est Pete Tonwshend qui est apparu dès le début comme le leader incontestable du bataillon de cette mauvaise troupe. L'est sûr que quand l'on compare Keith à Pete, il n'y a pas photo, entre le gamin qui se complaît à empiler conneries sur conneries et Pete l'intellectuel toujours prêt à expliquer longuement le pourquoi et le comment de tous les actes du band... D'un côté la folie, de l'autre la réflexion. Quant à John et Roger ils suivaient sans trop la ramener, même sans être convaincus, parce que pour prouver à Pete qu'il avait tort, ce n'était pas évident. D'autant plus que les évènements lui donnaient raison. L'était un peu comme ces joueurs d'échecs qui ont un tour d'avance, ou ces turfistes dont la dernière martingale se révèle la plus efficace. Du moins au début. C'est après que les choses se sont gâtées. Mais l'arbre n'est pas tombé du côté par où il penchait.

Donc quatre gamins qui arrivent un peu après la bataille. Beatles, Rolling Stones, Kinks, Animals squattent les premières places depuis deux ans lorsque nos quatre malotrus se jettent dans la mêlée. Ne sont peut-être pas plus plus doués que les autres mais ils possèdent le cinquième élément : l'énergie. N'y a qu'à les voir pour en être convaincu. D'abord vous avez Moon qui vous montre les deux faces de la lune en même temps, il ne joue pas de la batterie, il la détruit. Ensuite vous avez Daltrey qui s'égosille comme un cochon que l'on saigne, Tonwshend qui ne sait pas vraiment jouer de la guitare, alors il lui mouline et lui assène de ces tornioles à lui faire rendre l'âme, et Entwistle qui dans son coin vous surfile toute cette cacophonie au gros fil de basse aussi épais qu'un démarrage de quadrimoteur. Sur disque, ils font ce qu'ils peuvent, de l'improbable au chef d'œuvre. Du rhythm 'n' blues de deuxième zone, des harmonies vocales d'oiseau de volière, et des tranches de grabuge éhontées.

Et là-dessus se pointe le plus gros malheur que la terre ait porté depuis la création des chevaliers de l'Apocalypse. Ne venez pas tenter une piètre divergence avec le dérèglement climatique. Un truc ovnique venu d'ailleurs qui vous pulvérise toute la concurrence. Un morceau, comme on n'en fait plus. Comme ils n'en feront jamais plus. La preuve c'est qu'ils en aligneront des meilleurs. My Generation ! My Malediction ! conviendrait mieux. Surtout pour Pete. '' People try to put usd-down talking 'bout my generation '', entre nous soit dit ça sonne moins bien qu'un vers de Shelley, mais ça pète dur dans les consciences de tous les adolescents du monde. Un beau remue-ménage sonique et un superbe remue-méninge consciencial. Première fois qu'un groupe de rock'n'roll voit plus loin que sa bite, ce n'est pas encore le Tractatus Logicus de Wittgenstein, mais ça s'en rapproche. D'assez loin, pour être franc, disons qu'un professeur ferait suivre de la mention «  En progrès ! » Nous sommes en 1965 et Pete Townshend ( et ses acolytes ) viennent d'inventer le rock'n'roll intellectuel.

Le pauvre Pete n'en croit pas ses yeux. L'est comme l'autruche qui découvre qu'elle vient de pondre un œuf dur. En or. L'avenir est tout tracé. Suffit de suivre la ligne droite du succès. La pente fatale de la victoire. Des trucs aussi chiadés que My Generation, il va vous en écrire toute une série. Saison 1000 en perspective. Un avenir radieux s'annonce. Mais le soleil refusera au dernier moment de se lever. Les singles suivants comblent les fans et les amateurs. La pente sisyphique est toutefois ascendante. I can see for miles le single sur lequel Townshend misait beaucoup pour un numéro 1 n'est pas au rendez-vous. Succès d'estime en quelque sorte, mais pas de quoi remplir la tirelire de l'auto-satisfaction. Townshend est touché dans son orgueil. Mais pas coulé. Réunit son équipage de forbans et leur propose l'inouï. Sont bien obligés d'accepter car ils n'ont aucun autre produit de substitution à offrir.

Ce sera Tommy. Le premier opéra-rock. Ce n'est pas vrai, Townshend le répète à longueur de colonnes, l'a fauché l'idée au Kinks. Certes elle le tenaillait depuis longtemps, l'envie de produire un trente-trois tours qui ait une unité qui racontât une histoire. Un truc qui se tient, avec un début, un milieu et une fin. Il ne va pas y arriver. Va tout juste parvenir à produire un gruyère. En gros la story d'un gamin, une espèce d'autiste, un asperger du flipper, Pete lui-même le reconnaît, pour un auditeur pourvu d'une intelligence supérieure il est difficile de comprendre la logique interne du scénario. L'est rempli de trous. Ce n'est pas très grave, l'humanité est constituée en sa majeure partie d'un ramassis d'esprits moyens. Chacun remplira les vides à sa manière. C'est qu'en y réfléchissant un peu, la véritable nature de Tommy ce n'est pas un opéra. C'est un concept. Mais de quoi ? De Tommy évidemment. Il n'est guère de serpent plus long que celui qui se mord la queue.

Par contre question musique Tommy est une réussite. C'est un opéra – répétons-le – mais nos quatre lascars ne convoquent pas le London Symphonic Orchestra, se chargent du boulot de A à Z. Un orchestre de rock. Un point c'est tout. Avec l'ajout de quelques curiosités pour faire gloser le bas-peuple des journalistes, comme Daltrey qui souffle dans un cor... Mais dans la vie, il ne s'agit pas de faire. Faut aussi refaire. Et les Who vont vous exécuter leur œuvre en public, tout seuls comme des grands, du début à la fin. Succès phénoménal. Townshend n'a pas les chevilles qui enflent. Mais la tête qui explose. Comprend que le problème n'est pas de remporter une victoire si éclatante soit-elle, mais d'en aligner d'autres à la suite.

Dans son cerveau surchauffé Tonwshend se lance dans l'écriture d'un nouvel opéra. Un projet mirifique. Tommy n'est qu'un individu, Lifehouse sera plus ambitieux, une espèce de métaphore musicale de la vie humaine qui embrasse aussi bien le passé que l'avenir. Projet ambitieux qui n'aboutira pas. Echec cuisant mais qui ne se verra pas. Avec les débris de Lifehouse, les Who bâtiront Who's Next ? Une splendeur, bourrée de rock et d'électronique. Ce n'est plus un succès, c'est un virus meurtrier. Les Who ne sont peut-être pas le plus grand groupe de rock du monde, mais certainement le plus novateur. Une promesse d'avenir. Ce fabuleux quatuor détient le futur du rock.

Tiens si on parlait rock. Le rock à prétention intellectuelle c'est bien, mais c'est fatigant. Avec Live At Leeds, les Who démontrent qu'ils n'ont rien perdu de leur fougue et de leur virulence. Un disque à ranger sur l'étagère du haut à côté de Jerry Lou au Star-Club de Hambourg. Townshend se défend à moult reprises d'avoir inventé le hard-rock avec this record. Laisse la couronne à Deep Purple et à plein d'autres. Ce n'est pas que le hard soit trop simpliste, c'est que reconnaître cette paternité c'est perdre l'aspect novateur des Who, n'être plus qu'une étiquette qui sert à désigner une tendance, dont l'évolution lui échappera un jour. Le problème c'est l'échec de Lifehouse. Dans sa tête. Comment le surmonter ? Comment aller de l'avant ?

Townshend tombe dans le piège qu'il a creusé de ses propres mains. Quand on ne peut pas avancer. Ne reste qu'une solution, le retour en arrière. Ce sera Quadrophenia. What is it ? Un nouvel ( un autre ) opéra rock. Bien plus puissant que Tommy. Mais qu'on le veuille ou non, pas autre chose que le concept d'opéra-rock ! Mais ce n'est pas le plus grave. La prescience du danger est d'autant plus dangereuse que souvent elle est inconsciente. Quadrophenia conte la vie de Jimmy, un jeune Mod, autant dire que c'est du passé, nous sommes en 1973 et les Mods c'est de la préhistoire, une période qui connaîtra son acmé entre – soyons généreux – 1964 et 1966. Avec Quadrophenia les Who sont en train de scier les six planches nécessaires à la confection de leur cercueil.

Les disques qui suivront seront un cran au-dessous. Je me souviens d'une longue discussion à la cafetaria de la fac sur le Who by numbers, les malgré-tout et les déçus, mais dans les deux cas la sensation de participer à un combat d'arrière-garde. Les Who se cherchent et ne se trouvent pas. Aux temps d'Elvis, l'on disait qu'une carrière ne durait pas plus de deux ans, ensuite c'était les oubliettes et pour les plus doués la capitalisation rentière assurée par la fidélité des fans des années fastes. Les Who sont dans le peloton de tête depuis plus de dix ans. Le problème c'est qu'il leur reste encore un demi-siècle à vivre. Les choses ont commencé à mal tourner en 1975, les deux années suivantes porteront un coup terrible au rock dit classic. La génération punk ne respecte rien. Rien à foutre des glorieux ancêtres. L'avenir appartient aux jeunes. Les Who s'en vont visiter ses mauvaises troupes dissidentes, sont reçus avec un respect empreint de forte goguenardise. Les grand-pères que l'on aime bien mais totalement dépassés. T'es plus dans le coup papy ! C'est Moon venu en Rolls-Royce qui s'en tirera le mieux. Sur ce, Moon tire sa révérence. L'histoire des Who ne s'achève pas en cette funeste année 1978, mais elle est symboliquement terminée. Par contre c'est celle de Pete Townshend qui commence. Ce numéro spécial Who devient un super spécial Townshend.

Tonwshend est une tête d'œuf cassé. Une espèce de neurasthénique jamais content de lui. Toutefois un déprimé qui se soigne. Un artiste du recollage des morceaux. Un expert de l'art de recycler les restes. Dès 1979, sort The Kids are Allright, un film qui retrace les folles années du groupe à partir de documents d'époque. Même pas six mois plus tard sur les écrans le film Quadrophenia. Puis la bande-originale du film, puis une comédie musicale... Suivront quelques albums des Who, un retour sur scène avec tournée mondiale pour le cinquantenaire, des éditions d'inédits à n'en plus finir, tout cela n'empêche pas Nicolas que la Commune n'est pas morte, non ce n'est pas cela, tout ces efforts, plutôt mieux que mal aboutis, font que Townshend se retrouve renvoyé à lui-même, non pas à son œuvre, l'en est même s'il dit le contraire, assez sereinement satisfait, mais à son corps qui se dégrade, aux années qui s'accumulent, au vieillissement pour employer le mot qui fâche. Ce n'est plus le cinquième élément de l'immortalité éthéréenne des Dieux mais le quatrième âge et son déambulateur qui se profile.

Comme pour tout le monde. Z'oui mais lorsque l'on est un artiste de rock'n'roll c'est plus difficile. Vivre vite et faire un beau cadavre. James Dean avait ainsi défini l'art de vivre very rock'n'roll. Pour la première partie de l'adage chacun se débrouille au mieux, pour la deuxième moins de monde se presse au portillon. Est-ce bien raisonnable, n'est-ce pas une imposture lorsque l'on s'appelle Pete Townshend. Le temps est le lézard dans l'horloge et la lézarde fissure la psyché Townshendienne. L'était un jeune homme en colère contre les adultes de ses jeunes années, mais maintenant le seul coupable qui ne lui a pas permis de s'adjuger ce qu'il désirait – mais quoi au juste ? - c'est lui-même. D'où la nécessité de revenir ronger les vieux os de sa jeunesse. De repartir en tournée. D'enregistrer un nouveau disque des Who en 2019. De publier un roman en 2020, et surtout de s'interroger sans fin sur le sens de cette odyssée du rock'n'roll, de s'obstiner à trouver à cette cochonnerie une tête, une queue, et un sens qui lui apportent sinon satisfaction – les Stones s'en chargent – du moins plénitude.

A première vue, l'on peut s'en moquer. Les affres et les douleurs de Townshend lui appartiennent et personne n'a envie de s'en charger. Surtout pas vous. Moi encore moins. Devrait se souvenir de l'hémistiche fatal des Destinées d'Alfred de Vigny : '' Seul le silence est grand ''. Le genre de rétention orale à laquelle Pete Townshend ne peut se résoudre. Pour nous agacer. Pour notre plus grand plaisir aussi. Le rock est un miroir et nous ne ferons pas comme Tommy l'erreur de le briser. Ce serait se retrouver face à soi-même. L'est plus plaisant de voir Townshend se débattre à notre place. Le spectacle en vaut la peine. Ce pourrait être nous. Mais c'est lui. Tant pis pour lui. Quelle jouissance de le zieuter s'emmêler sans fin les pinceaux de ses contradictions. Voyeurisme et cynisme sont les deux mamelles du rock'n'roll. Et ce treizième – chiffre tarotique maudit – opuscule de la Collection Rock & Folk nous offre cent quarante agoniques pages de délectation assurée. This is not yet the end, beautifull friend !

Damie Chad.



PLANE / TENDRESSE DECHIRANTE

( Clip / 6 – 02 – 2020 )

Troisième clip de Tendresse Déchirante. Nous avions chroniqué le premier Romance Américaine dans notre livraison 412 du 28 / 03 / 2019 et le deuxième Acte II dans la livraison 420 du 23 / 05 / 19.

Un projet d'une simplicité extrême. Du fait maison. Du cousu main. Sont trois, Diane Aberdam et Emilien Prost. Plus une idée. Une ambiance. Une solitude, celle qui régit les êtres entre eux. Une infranchissable pourriture dirait Joë Bousquet, qui sépare et unit tous ceux qui se mettent en marche l'un vers l'autre. Des chansons d'amertume douce, des frisottis d'écume sonore, la plaie et le sel. Celui de la vie qui fuit. Et celui de la mort qui ne vient pas. Un entre-deux. Entre regret et désespoir. Entre présence et absence. Entre fille et garçon. Si loin de l'androgyne initial. Si ce n'est par l'affleurance de la cassure initiale, seule faille qui permette de remonter vers l'origine. Sinon il ne vous reste plus qu'à explorer les conduites induites.

Un clip qui se lit. Une véritable bande-dessinée. Qui bouge. Une application qui métamorphose les images en dessin. Noir et blanc absolument tranchés. Esthétique froide. Expressionniste. Un véritable roman policier. La victime est devant vous. Vivante. Elle dort. Elle se réveille comme tout un chacun puisque le portable sonne. Heureusement qu'il y a ce téléphone qui fait son office de réveille-matin. Il vous rappelle que vous êtes dans un clip musical. Et la musique arrive doucement, des gouttelettes de pluie qui s'éparpillent sur le cristal des songes. Elle est là. L'absente du Dormeur. Poupée fantôme qui danse dans les coins et empoisonne la mémoire de l'Eveillé. Elle joue de la guitare et vous entendez ce froufrou de soie infinie qui bourdonne comme une mouche tsé-tsé qui vous réveille et ne vous laisse que votre rêve à vivre.

Et Lui se plante devant vous. Elle derrière, qui s'agite comme en contre-chant. Car Lui il ne chante pas. Il exhale une longue plainte. Il étire les syllabes, il révèle un secret que tout le monde connaît. Muezzin muré en lui-même qui se mire en son minaret, enfermé dans la tour d'ivoire de sa folie, il évoque l'idole enfuie. Une histoire terriblement quotidienne. Le ballet de la vie heureuse terrassé par les coups de balai du grand nettoyage. Celui des rapports humains, du partage des tâches ménagères, toute cette non-vie qui corrode les âmes bien mieux que le désir.

C'est alors que commence l'histoire. Je ne vous rassure pas, elle n'a pas de fin. Même lorsque le clip s'arrête. Ce n'est pas que nos deux artistes créateurs-réalisateurs n'auraient pas eu le temps de l'achever. Tout au contraire c'est qu'ils ont compris que le temps est discontinu. Qu'il n'est pas une matière homogène. Qu'il est constitué de bulles. Que lorsque vous êtes coincé à l'intérieur de l'une d'entre elles, soit vous êtes assez fort pour la crever et partir vous enfermer dans une autre. Soit vous êtes incapable de casser la coquille protectrice de l'œuf temporel où vous étiez si bien et vous vous recroquevillez entre ses parois ovoïdes car vous êtes persuadé que vous n'en trouveriez pas de meilleur ailleurs.

Ce qui a existé existe pour toujours. Le mieux est de ne pas s'en éloigner. D'y rester à jamais. Cela tourne dans votre tête, cela les autres l'appelle délire. Plane conte cet enfermement en soi-même. Peut-être que ça plane pour lui, mais c'est sûrement plane after crash. Pour que vous compreniez mieux, les paroles ( en anglais ) défilent au bas de l'écran. Elles sont en jaune. La seule couleur du clip, avec le mauve pâle, couleur du sang séché, du chemisier de l'Enfuie.

L'Eveillé est en lui-même. Il est conscient qu'il marche sur l'abîme. Mais il sait que les autres ont tort. Qu'ils sont rétifs  à une réalité plus subtile du monde. Il n'a même plus besoin d'aller vers eux, vers ces semblables si dissemblables, n'envoient-ils pas une messagère, chargée de le ramener à la vie courante. Mais c'est la même qui revient toujours. Car c'est elle que son absence obsédante appelle. L'histoire se répètera mille fois, c'est la seule qu'il veut lire et revivre. Pour des myriades d'éternité. Le schème de la folie n'est que la répétition du même schéma désiré. Cette tendresse déchirée et déchirante se reconstitue sans cesse elle-même.

Très beau clip – une réussite parfaite tant dans la mise en scène de l'adéquation du son et de l'image que dans sa portée métaphysique - avec ce chant de cygne lancinant qui agonise sans fin. Une goutte de poison finement élaborée. Ne l'écoutez pas, ne le regardez pas, vous en deviendriez prisonnier, vous ne pourriez plus vous en détacher. Il est des séparations impossibles.

Damie Chad.

 

CODICILLE A LA CHRONIQUE

   ( IN LIVRAISON 452 )

HAPPY LEGS YEAR 2020

Une précision d'importance apportée par Jean-Michel Esperet quant à ma chronique de la semaine précédente sur le calendrier Happy Legs Year 2020. Non ZioLele n'est pas un être du sexe féminin comme je l'avais induit du court liminaire qui en langue anglaise le définissait en tant que feminist photographer. C'est un homme. Cette qualité n'enlève rien à la beauté de ses photographies mais peut en oblitérer quelque peu la réception. Les esprits pondérés feront remarquer que des jambes féminines photographiées par un homme ou par une femme restent toujours des jambes de femmes. Ce qui est absolument vrai, et totalement faux. Dans une photographie ce n'est pas tant l'objet ou le sujet photographié qui compte mais la vision de l'artiste et aussi son intention.

Les courts dialogues de Jean-Michel Esperet qualifié de mysogynist writer qui mettent en scène la confrontation d'Elle et Lui, m'ont poussé à l'erreur funeste de croire que cette guerre des sexes se perpétuait aussi dans le choix des artistes, un homme écrivain et une femme photographe. Peut-être mérité-je le qualificatif de misogyne au moins autant que Jean-Michel Esperet puisque instinctivement et inconsciemment en ai-je déduit qu'un homme ne pouvait pas être féministe. Par nature. Et par culture. Pour ne pas entrer en d'oiseuses digressions philosophiques, disons par stratégie politique. Qu'un homme puisse se dire féministe me semble relever de ce que Marx appelait, sur un tout autre plan, trahison de classe. Ce qui n'empêche en rien qu'un bourgeois puisse se rallier au prolétariat et en sens inverse un prolétaire à la bourgeoisie. L'intérêt de l'individu s'opposant à celui de sa propre classe.

Je ne pense pas que trahison de sexe soit une heureuse expression. Elle est porteuse d'une certaine connotation moralisante que je réprouve. De même chez Marx cette notion de trahison contient aussi cette dose de moralité qui paraît dire qu'entre les factions qui s'opposent l'une émarge du côté du mal et l'autre du bien. La notion d'intérêt s'y oppose pourtant formellement. En tant que stirnérien – et au-delà de toute vision transgenre - je ne saurais être féministe non pas parce que je suis un homme mais parce que je ne suis que Moi.

Reste maintenant à dégager l'intention du regard de l'homme qui a pris les photos de ces jambes féminines et que je crus femme. Oultre le fait que tous deux soient des êtres humains, celui-ci se décline en tant qu'autre et celle-là en tant que même. Nous entrons-là dans les combinaisons hegelienne de la positivité et de la négativité. Le tout obvié par ma propre subjectivité. Selon que ZioLele soit homme ou femme, la visée de la tentation pourrait être modalisée sous forme active ou passive. Avec aussi cette possibilité que son intention puisse être entrevue sous la forme contraire.

Mais peut-être vaudrait-il mieux se complaire dans la contemplation esthétique de ces photographies que de se perdre dans des ratiocinations indues. Qui n'apportent rien à leur beauté intrinsèque.

Damie Chad.

29/05/2019

KR'TNT ! 421 : ELECTRIC SOFT PARADE / DADDY LONG LEGS / LES PUNAISES / MOONSHINERS / MASSEY FERGUSON MEMORIAL / CAUSA NOSTRA / JUSTWÄR / TENDRESSE DECHIRANTE / JULIETTE MOREAU / CASONI BLUES /

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 421

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

30 / 05 / 2019

 

ELECTRIC SOFT PARADE / DADDY LONG LEGS

LES PUNAISES / LES MOONSHINERS

MASSEY FERGUSON MEMORIAL / CAUSA NOSTRA

JUSTWÄR / TENDRESSE DECHIRANTE

JULIETTE MOREAU / CASONI BLUES

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Hit Parade

Les frères White auraient très bien pu baptiser leur groupe Electric Soft Paradise, ou même Electric Soft Paradigm. Ils se sont contentés d’un Electric Soft Parade plus proche des Portes de la Perception. On retrouve d’ailleurs cette tendance à la modestie dans leurs propos :

— Pourquoi n’avez-vous pas explosé avec vos deux premiers albums ?

— Oh, c’est simple, ça ne nous intéressait pas.

Les frères White n’aiment pas le bullshit qui accompagne le succès médiatique. Comme Dan Penn, ils préfèrent rester dans l’ombre et composer des chansons parfaites. On trouve aussi cette tendance à préférer rester dans l’ombre chez Paddy McAloon. Souvenez-vous, voici bientôt vingt ans, The Electric Soft Parade rivalisait de verdeur mélodique avec les Boo Radleys de Martin Carr. Alors que le trio de tête de la première vague de grande pop anglaise comprenait les Beatles, les Kinks et les Zombies, le trio de tête de la dernière vague de cette même grande pop anglaise comprend les Boo Radleys, Mansun et The Electric Soft Parade.

Bon, les réputations c’est bien gentil, mais ce sont les disques et bien sûr les concerts qui tranchent. Comme par miracle, les frères White et leur Soft Parade faisaient halte dans un bar rouennais pour donner l’un de ces concerts sans prétention qui marquent les imaginations au fer rouge. Thomas White chante et joue sur une belle Tele à ouïe. Son frangin Alex chante aussi et joue de l’orgue. Ils sont accompagnés par Damo Waters aux drums et de Matthew Twaites à la basse. Ils s’embarquent comme on s’embarquait autrefois pour un long voyage, c’est-à-dire un set interminablement bon, une sorte de vaste panoramique de leur ‘carrière’. Leur pop haute en couleurs tient si bien la route qu’on s’étonne de voir le temps passer si vite avec autant de cuts. Et dès «Brother» tiré d’Idiots, on entre au Paradis d’Electric Soft Paradise. Thomas White chante tellement à l’unisson du saucisson qu’un parfum de magie se met à flotter dans l’air confiné de la petite cave. Ils enchaînent avec les miraculeux «Things I’ve Done» et «Bruxellisation» tirés du deuxième album, du grand cru qui met toutes les oreilles au diapason. Ces bright Brightoniens savent briller au firmament. Ils tirent aussi l’excellent «Lose Yr Frown» de la même cambuse, ce petit album à pochette blanche qui faillit passer inaperçu à sa parution en 2003. Ils vont encore tirer trois cuts de cet album fatidique, «The Wrongest Thing In Town», «Chaos» et «Existing». Par contre, ils ne tapent pas trop dans leur premier album, deux cuts, peut-être, des cuts de silence, «There’s A Silence» et «Silent To The Dark». N’oublions pas le plus important, celui qu’on attend au virage, l’effarant «Empty At The End» que chante Alex en se tortillant derrière son clavier. Pur moment de magie mélodique qui nous renvoie directement à ce qu’il peut exister de plus pur dans le monde de la pop, qu’il s’agisse du Brill Building, de John Lennon ou de Dan Penn. C’est la sainte beauté du dieu miséricordieux des pauvres pêcheurs pêchez pour nous sonnés au tocsin d’angelus d’un pot de Millet de la seule maille qui m’aille, dans cette lumière sourde des champs bernagores bernés et si gores, une façon de dire ‘tu ne t’en sortiras pas comme ça’, et pourtant si, Empty décolle et les dévots s’envolent à la suite dans la poussière d’étoiles. «Empty At The End» est à la pop anglaise ce qu’«Il Patinait Merveilleusement» du doux Verlaine est à la langue française : une perle noire scintillant dans un écrin rouge, une métaphore qui pourrait signifier l’abolition du temps.

On retrouve cette merveille fluorescente sur Holes In The Wall, un premier album paru en 2001. À la première écoute, Empty sonne comme un vieux ratafia de riffing pop, mais on voit monter une petite fièvre harmonique qui finit par devenir capiteuse, aussi capiteuse que le parfum d’une pute de luxe. La montée passe de l’état capiteux à celui d’inespéré. Les frères White développent là de fantastiques potentiels d’exactions exhaustives, ils ouvrent un nouveau chapitre de la science des profondeurs du ciel. Ces mecs tapent sans vergogne dans l’indicible véracité de la beauté du geste. On les voit aussi balancer par dessus les toits «There’s A Silence». Ils proposent un son d’une rare puissance, ils travaillent all over the rainbow, ils se veulent démultiplicateurs de grandeur, comme le sont à leur façon Mercury Rev et Mansun. C’est absolument terrifiant de qualité. On le sent d’ailleurs dès le «Start Again» d’ouverture de bal, ils se positionnent immédiatement comme des formalisateurs de grandeur, comme des popsters doués de pouvoirs chamaniques. Ils pratiquent l’art de la véhémence. L’autre chef-d’œuvre s’appelle «Sleep Alone». Ça sonne tout simplement comme un hit. Tout le monde connaît ce hit, car il passait à la radio. C’est encore une merveille invétérée, car chantée à l’ambigu du menton et jouée aux meilleures auspices. Ils proposent aussi un «This Given Line» sacrément incrémenté. Ils savent clouer une chouette sur la porte de la pop et lancer des cohortes des bons accords anglais à l’assaut du ciel. Ils savent s’envoler vers les cimes, c’est leur truc. Ils tapent là un nouveau hit exemplaire, bardé d’envergure, jeté en pâture à l’écho du temps qui comme Saturne dévore sa descendance. On les voit aussi amener «Biting The Soles Of My Feet» à la petite colère de bonne aventure. Les frères White maîtrisent l’art du gratté sévère et savent se montrer pertinents, mais ça ne décolle pas à tous les coups, n’exagérons pas. Ils terminent avec un «Red Balloon For Me» qui sonne comme un cut des Beatles. Exactement le même son. Comme par hasard, sur le pont des Arts.

Leur deuxième album s’appelle The American Adventure et c’est là que se nichent toutes ces énormités qu’on entend dans le set, à commencer par «Lose Yr Frown», shoot de heavy pop anglaise transpercé d’éclaircies de sunshine pop extravagantes. C’est encore une fois digne des Beatles, ne serait-ce que par l’excellence de la partance et la nonchalance des guitares qui chuintent. S’il fallait qualifier «Lights Out», on pourrait dire qu’il s’agit d’un stormer abouti de Djibouti, doté de la puissance effective de la pop. Les frères White maîtrisent l’art d’allumer les convoitises. Leur pop sature l’air. Ils chantent dans la couenne du cut. Ils nous sonnent bien les cloches avec «Things I’ve Done Before», encore un cut allègrement bon, balayé par des grands vents d’Ouest, des vagues de bottleneck et des burst-out de démesure catégorielle à la Boo Radleys. On a l’impression qu’ils se tamponnent le coquillard dans le morceau titre de l’album. D’ailleurs, on en vient à se demander à quoi ça rime de vouloir faire de la littérature dans le dos de ces deux mecs, ils le font très bien eux-mêmes - There must be the happy ending/ I believed would come - Et paf, ça bascule dans le chaos magique, ils travaillent la matière au Rev, avec des envolées subrepticimes et un étonnant mélange de compromis, un art dans lequel excellaient aussi les Boo Radleys.

Un troisième album intitulé No Need To Be Downhearted paraît en 2006. Il est nettement moins dense que les deux précédents. Il n’empêche qu’on va se goinfrer de «Come Back Inside», une belle pop de poursuite qui va au cœur du problème. Le cut se noie dans le son et personne ne pourra le sauver. Nouvelle tentative de hit avec un «Have You Ever Felt Like It’s Too Late» qui sonne comme un vieux coucou des Boo Radleys. Vraiment powerful. Ils savent monter des œufs en neige du Kilimandjaro. «Appropriate Feeling» pourrait sonner comme de la pop de soft power. On note encore une fois l’excellence de la prestance. Ils font même du Satie avec le morceau titre. Belle pureté d’intention. «Woken By A Kiss» sonne comme un superbe proliférateur de pop overwhelmed et ils retentent à nouveau le coup du hit avec un «Misunderstanding» claqué au clair de Tele anglaise. Assez outstanding mais pas définitif. En haut du mât, le matelot de vigie crie : «Pas de hit à l’horizon !»

Pas de hit non plus sur The Human Body EP chaudement recommandé par Damo Waters. On y trouve six cuts dont ce «Beating Heart» chargé de pop prévalente, fouetté par de fortes rafales de son, c’est surtout une pop mal coiffée, mal réveillée, d’humeur bougonne qui ne cherche pas à plaire. Ils chantent leur «Cold World» au coin du micro pop. Superbe allure que celle de cette pop se veut digne, coquette, montée en collet monté, oh so British, bien soutenue par ses arrières. Chaque cut affiche son identité. On passe complètement à autre chose avec «Stupid Mistake», pop taillée pour ravager les côtes, très tempestueuse, assez déterminée à lécher les plaies du Christ, cut éphraïque et héroïque à la fois. Ce ne sont que rafales de pop écrue jouées à l’insistance. On sent dans «Everybody Wants» un désir de pop océanique, donc indispensable. On goûte là au charme frelaté de la dérive paradoxale, un art que cultive déjà le Rev en Amérique. Ils tapent ensuite «Kick In The Teeth» aux nappes longitudinales. Les frères White savent se fâcher. C’est leur côté Boo Radleys. Les voici dans la Forêt Noire, avec pour background les méandres du fleuve et des lumières rasantes. Effroyable et wagnérien à la fois.

Si on veut s’offrir A Decade Of Awsome B-Sides & Rarities, c’est au mersh. Il s’agit d’une compile de démos et de morceaux enregistrés live. Idéal pour les admirateurs des White brothers. On y trouve notamment une belle version du «Kooks» de David Bowie. Ils tapent aussi un «I Took The Test» au mur du son. On est là en pleine Britpop de Cool Britania, ultra chargée de la barcasse, avec du solo de guitare en veux-tu en voilà. C’est tout simplement exceptionnel de prestige intercontinental. Comme on le voit avec «Stay Where You Are», ils adorent monter par dessus la pop. Ils jouent une pop qui nettoie les bronches, une pop qui transmute les ambiances. Les frères White sont en fait des white Christs of crust. Et voilà cette merveille absolutiste qu’est «Empty At The End». Elle grimpe très vite dans la moelle épinière. Il n’existe rien d’aussi demented are go. Ils font du driving wild, les flux montent droit au cerveau. On pourrait aussi taxer «Lily» d’absolute beginner. Un vrai rêve de pop. Ces mecs pulsent le Rev dans la pop anglaise. Ils montent leur big sound en neige. L’autre grosse reprise de cette compile est l’«Across The Universe» de John Lennon. Tout est bon là-dedans, pas grand chose à jeter. «Summer Slow Meander» éclate au grand jour, in the summertime, et «It’s Wasting Me Away» peut rendre fou de bonheur.

Paru en 2013, Idiots pourrait bien être leur meilleur album. Il s’y niche en effet quatre véritable coups de génie, des cuts de pop anglaise qui défient littéralement les dieux. Ça commence avec «Summertime In My Heart», une vrai pleurésie de dégoulinade pop, ultime dégaine d’entrejambe ventilée à l’hyper summertime. Extraordinaire ! Et ça continue avec «Brother You Must Walk Your Path Alone». On peut parler ici d’une vague beauté tranquille qui mute soudain en démesure apoplectique. Effarant, car éperdu de bonheur mélodique. Tout aussi exceptionnel d’élégance idiotique, voici le morceau titre. Les frères White claquent leur pop dans le move du Beatles groove d’antan. Ils déploient toute la puissance de l’axe métaphorique, ils démultiplient les alluvions d’allusions, les claqués de guitare sont à l’avenant, ça grimpe très haut, si haut, beaucoup plus haut qu’on ne l’imagine. Quatrième bombe sexuelle : «Welcome To The Weirdness», encore un cut drivé sévèrement dans l’excellence paradisiaque. Ces mecs ont tellement de génie à revendre qu’ils pourraient ouvrir une boutique. La pop n’a plus de secret pour les frères White. Ils sont les cordonniers les mieux chaussés, ils sont les enfants de la Parade du Paradis. «One Of These Days» flirte aussi avec ces réalités aphrodisiaques. Une aubaine pour le lapin blanc terré dans son terrier. On assiste une fois encore à une belle extension du domaine de la luge. Comme Pet Sounds, Idiots est un album qui se réécoute à la folie.

Signé : Cazengler, électric sot tout court

Electric Soft Parade. Le Trois Pièces. Rouen (76). 2 mai 2019

Electric Soft Parade. Holes In The Wall. DB Records 2001

Electric Soft Parade. The American Adventure. BMG UK 2003

Electric Soft Parade. No Need To Be Downhearted. Truck Records 2006

Electric Soft Parade. The Human Body EP. Truck Records 2006

Electric Soft Parade. A Decade Of Awsome B-Sides & Rarities. Not On Label 2011

Electric Soft Parade. Idiots. Helium Records 2013

 

Oh Daddy Oh - Part Two

Jusque là, on pouvait compter sur les Trois Petits Cochons pour nous faire rêver. On pouvait aussi compter sur les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, sur les Pieds Nickelés de Louis Forton et bien sûr les Rois Mages, Melchior, Gaspard et Balthazar, sur Jo Zette et Jocko, mais aussi sur Zig & Puce & Alfred le pingouin. Maintenant on peut aussi compter sur les Daddy Long Legs, un trio assez éberluant de blues-rock new-yorkais qui depuis quelques années s’est spécialisé dans le cassage de baraque à l’ancienne. Oh c’est un métier quasiment disparu, jadis inventé par Jerry Lee. Cette sale petite gouape de Jerry Lee découvrit en 1956 qu’en donnant des coups de talon sur le clavier d’un piano, on pouvait casser la baraque. Aussi simple que ça. Pas besoin d’aller se fatiguer la cervelle à vouloir fabriquer un cocktail Molotov. Gueuler dans un micro et donner des coups de pieds, ça suffit largement. C’est même beaucoup plus efficace.

Alors ces trois branleurs new-yorkais ont décidé de perpétuer cette bonne vieille tradition apostolique. They keep it simple, comme dirait Sam Phillips, pas besoin d’aller réinventer le fil à couper le beurre. Une guitare, deux toms et une gosse caisse, ça suffit. Et bahm ! En plus ils jouent dans une cave, décors idéal pour leur primitivisme exacerbé. Ils sortent un son qui sent bon les early Pretty Things, Wolf et John Lee Hooker, ils visent le maximum des possibilités du drive, ils puent l’authenticité à dix kilomètres à la ronde, ils sont tellement dans le vrai qu’ils pourraient vous donner le vertige, ils shakent leur shook avec l’opiniâtreté dévoyée d’un orchestre de bastringue nègre payé à coups de lance-pierre par un redneck ségrégationniste. Quand on descend à la cave voir jouer les Daddy Long Legs, ce n’est pas vraiment pour entendre des chansons délicates. On y va surtout pour se goinfrer de son et d’ambiance. C’est le côté américain du rock, ces mecs sont là pour chauffer une salle, pas pour chanter de jolies mélodies. Ça tombe bien, le chanteur Brian Hurd ramène avec sa fraise des faux airs de Jerry Lee : petite crinière blonde, cravate Western sur chemise blanche et veston noir, il semble sortir tout droit d’un club mal famé de Ferriday, baby. En plus, ce mec bouffe de l’harmo comme un Paul Butterfield sous amphètes, il arrange bien la gueule du shuffle des Appalaches et s’amuse à foncer comme un train fou à travers les vastes plaines d’un Montana qui ne doit rien à Montagné. Quand en milieu de set il récupère l’acou électrifiée de son compère Johnny Thunders, il se met à kentucker ses poux à l’onglet de picking névropathe, ah il faut avoir vu ça une fois dans sa vie, si on ne veut pas mourir idiot. Il claque ses chords à la claquemure de Cold River et hurle comme cet éclaireur du Septième de Cavalerie que les Apaches ont ligoté sur un lit de braises pour le voir rôtir à feu doux. Il hurle tellement que le train fou prend encore plus de vitesse. Le vent nous avale. On a l’impression de foncer avec eux vers le néant, ce bon vieux néant qui de toute façon nous attend à la sortie du virage. Alors fonçons dignement vers le néant.

Mais non, son compère ne s’appelle pas Johnny Thunders, pourtant ça le fait bien rigoler quand on l’appelle comme ça, parce que figurez-vous qu’il en a l’allure et la coiffure. Wow, ce mec est une pure déclinaison du grand et même très grand Johnny Thunders. En réalité, il s’appelle Murat Aktürk et fourbit tout le riffing et tout le bottlenecking. Il est d’une redoutable efficacité. Et puisqu’on patauge dans les analogies, voilà Jerry Nolan étalé par dessus ses fûts. Eh oui, avec ses lunettes noires et sa coupe de cheveux, Josh Styles est une parfaite resucée du Nolan de l’époque New York Dolls. Tout ça nous donne un sacré mélange, et ce n’est pas fini, car voilà qu’ils tapent dans le saint des saints avec des reprises cataclysmiques, à commencer par l’admirable «High Flying Baby» des Groovies et un peu plus tard «Fire & Brimstone» de Link Wray, histoire de nous rappeler au passage qu’en plus de leurs bonnes dégaines, ils disposent aussi d’une belle collection de disques. Autre gage de respectabilité : leurs trois premiers albums sont sortis sur Norton, qui était du temps de Billy Miller l’un des labels les plus puristes qui ait jamais existé sur cette fucking planète. Billy Miller utilisait un portrait d’Esquerita pour décliner l’identité graphique de son label. Ça veut dire ce que ça veut dire. Mais Billy est mort et les Daddy Long Legs sont passés chez Yep Roc qui en tant que label n’a de leçons à recevoir de personne.

Sur scène, ils jouent quasiment tous les cuts de leur nouvel album, Lowdown Ways, à commencer par «Theme From Daddy Long Legs», un air de Western qui transforme aussitôt la cave en saloon. Cut idéal pour planter un décors. Alors, attention, c’est un excellent album classique, qu’on peut écouter à l’apéro en sifflant une «Pink Lemonade» et en beuglant de grands waouh waouh ! Les voilà sur le sentier de la guerre avec leurs waouh waouh, Josh Styles bat le beat tribal, et ce «Pink Lemonade» est tellement bardé de joie et de bonne humeur qu’il vous consolera d’avoir raté ce concert. Avec «Bad Neighbourhood», ils tapent carrément dans l’archétype de l’apanage définitif du boogie down, ils jouent leur rumble à la finesse caractérielle et ramènent dans leur limon tout l’historique gluant du Delta. C’est très spectaculaire. Les Daddy Long Legs ont cette faculté de savoir proposer une musique extrêmement imagée. Tiens, un peu comme Scott Walker, mais dans un autre genre. On parle ici d’une forme de perfection classique dans la musicalité des choses et bien sûr, il n’existe rien de tel qu’une musique bien foutue pour susciter des images. Dans le boogie des noirs, on trouve souvent ces renvois au bayou, à l’enfer des marécages et aux cabanes. Les Daddy Long Legs n’ont pas le bonheur d’être noirs, mais ils savent capter l’essentiel de ce qui fait l’originalité et la profondeur du boogie et ont assez de talent pour réussir à l’exprimer à leur façon. S’il fallait dessiner des parallèles, on pourrait aller chercher le nom de Loose Gravel et dans une moindre mesure, celui de Captain Beefheart, le baryton en moins. Mais l’inspiration est là. Ainsi que l’indicible plaisir de restituer. Et ce n’est pas non plus un hasard Bathazar si ces trois kids cultivent un look Dollsy et s’amusent à sonner comme les Groovies. Un lien spirituel existe entre tous les noms cités dans cette foire à la saucisse. On retrouve à la base une même admiration des blancs pour les grands artistes noirs de la préhistoire du rock, à commencer par John Lee Hooker. «Mornin’ Noon & Nite» est du pur Hooky Hook, c’est marqué dessus comme sur le Port-Salut, ils emmènent ça au vieux boogie d’harmo, épais et bien tapé du pied, tu peux y aller, c’est du 100% pur jus, c’est tapé à l’unisson du saucisson sec, tous les ingrédients du commun des mortels sont là. Les Daddy Long Legs n’oublient rien, ils pensent à tout, leur truc c’est le global de globos. Les universitaires appelleraient ça l’universalisme. Ce boogie là parle à tout le monde, il ferait même danser un car de CRS. Il ferait aussi danser le dernier des beaufs, et même le lion de Griffith Park que dessinait Don Van Vliet quand il était petit. Tiens, puisqu’on parlait de cabane, voilà le bien nommé «Ding Dong Dang», une espèce de clin d’œil au Wang Dang Doodle de l’immense Big Dix, un Dong Dang bien sourd de cabane ultra-branlante, celle qui va te tomber sur la gueule au premier coup de vent, mais au point où tu en es, tu n’en as plus rien à secouer, il faut voir ces branleurs bosser leur branlant, ils ressortent tous les vieux plans des Immortal County Killers et de Big Foot Chester. Le souffle du boogie ravage à nouveau l’Amérique - L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir et je l’aurai ! - Ils frisent le Creedence avec l’excellent «Winners Circle». D’autres diront qu’ils sonnent comme les Groovies, à cause de petites claquées d’accords subtils à la Cyril Jordan. Ils tartinent leur chant sur une belle cavalcade américaine et on note une fois encore l’incroyable prescience de leur présence dans l’outrance de la démence. Tant qu’on y est, voilà encore un cut digne d’emporter tous les suffrages : «Be Gone». Eh oui, les Daddy Oh le montent sur un beat extrêmement rebondi et le relancent dans les affres des arcanes. Ils éruptent en permanence, avec une énergie presque sauvage, comme s’ils jouaient autour du bivouac d’une mine de cuivre, quelque part dans le Minnesota, en 1851. Alors qu’au loin hurlent les coyotes, on les voit danser leur carmagnole tous les trois. Ils ont le pathos du boogie primitif chevillé au corps.

Signé : Cazengler, Daddy longue laisse (ouaf ouaf)

Daddy Long Legs. Le Trois Pièces. Rouen (76). 21 mai 2019

Daddy Long Legs. Lowdown Ways. Yep Roc Records 2019

 

19 / 05 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

LES PUNAISES / LES MOONSHINERS

MASSEY FERGUSON MEMORIAL

CAUSA NOSTRA

Beaucoup de monde ce soir à la Comedia, soirée un peu spéciale en hommage à Kémar disparu depuis un an. Dommage qu'il n'y ait pas eu quelques mots prononcés à son égard. Ne serait-ce que pour ceux qui ne le connaissaient pas...

LES PUNAISES

N'étaient pas prévues au programme mais se sont invitées, pas dans notre lit comme il paraît qu'elles prolifèrent sur Paris, mais sur scène. Vous rassure tout de suite, ne sont pas ces affreuses bestioles qui pullulent dans les romans russes du dix-neuvième siècle, mais quatre accortes gentes reines au sourire malicieux qui se contenteront de trois chansons. Sœur Carine est à la basse et au chant, ne craignez rien, son visage mutin prouve qu'elle n'est pas douée en bondieuserie, le premier morceau davantage parlé que chanté nous conte une de ces histoires d'amour incertaines, mi-figue-mi-raisin, qui nous rappellent la relativité humaine de l'absolu, pas de quoi en faire un drame, d'autant plus que l'accompagnement sixties accentue le dérisoire de la situation. Dr Marieke administre sa potion à la batterie, à ses côtés La Gaëlle est toute blondeur de goélette sous le vent de sa guitare, Carole Dirty Chauvin, cheveux courts tient aussi le rôle de guitariste. Autant que l'on puisse en juger en trois titres, l'ensemble oscille entre chanson réaliste festive et guitares claires début années soixante. L'on aurait bien aimé découvrir davantage, mais non, se sont éclipsées sous les applaudissements en toute simplicité. A moins que ce ne soit rouerie féminine éhontée car il est bien connu que l'absence attise l'imagination et l'envie.

LES MOONSHINERS

J'ai bien compris qu'il y avait du rockabilly dans l'air puisque en tout début de la soirée Lulu des Megatons est venu me serrer la pogne, non il ne s'est pas converti au punk, l'est un mordu du son fifty et du début des sixties, l'est venu dépanner les Moonshiners en manque de batteur pour la soirée. Les bouilleurs de cru savaient qu'ils ne faisaient pas mauvaise pioche. Quel savoir faire le Lulu, l'est l'as du balai, je ne connais personne d'autre qui assure aussi nettement le feutrage du son avec la netteté de la frappe, deux dans un, l'adoucisseur et le détergent, vous voulez de la sourdine en voilà de quoi boucher le port de Marseille, vous désirez du rythme en voici, de l'incassable, de l'indétachable, vous suit comme votre ombre, vous poursuivrait jusqu'au bout du monde, de l'enfer et du paradis s'il le fallait. Aussi bizarre que cela le paraisse, l'on dirait que Lulu l'a son idée à lui de la section rythmique, n'essaie pas d'entrer en diapason avec l'orchestre, mais il se colle à la voix du chanteur, il en épouse toutes les inflexions, il en devance toutes les accélérations, il en souligne toutes les interruptions. Du grand art.

Lulu a su capter le style et l'esprit du combo. Les Moonshiners ne sont pas des adeptes des éclairs et des éclats électriques. Ne forcent pas le son, ne sont pas des partisans de la rutilance, ce qui compte pour eux, c'est le beat originel, dont l'expression se doit de circonscrire l'écrin rythmique dévolu à l'exercice du vocal. Une souple retenue élastique à laquelle se plient la contrebasse d'Alexandre Romera et de la guitare de Mickaël Corbran. Toux deux jouent à l'humilité, pas une note plus haute que l'autre, mais que de velours abîmal dans les profondeurs, de netteté dans le tempo ! Atteignent à un dépouillement, à une rusticité fondamentale.

Autre surprise, sur l'intro de Georgia Buck d'Earl Scruggs, un gars issu des spectateurs s'en vient rôder auprès d'un micro adjacent, faut quelques secondes pour comprendre qu'il s'agit du chanteur, l'ennemi des effets théâtraux, les mains croisées à l'intérieur du devant de sa salopette, aussi tranquille que s'il attendait patiemment au comptoir que la serveuse lui adresse la parole, et sans préavis il se met à chanter avec le même naturel avec lequel vous commandez un sandwich jambon-fromage avec beurre et cornichons au vinaigre de Modène, et alors là, c'est l'extase, un vocal d'eau de source, un pur cristal, pas besoin d'effets, seulement quelques intonations posées d'instinct aux segmentations idéales, nous sommes aux racines appalachiennes de notre musique. S'agit de Thierry Cokrane Pelletier dont nous avons déjà chroniqué le livre Les Rois du Rock aux éditions Libertalia.

Mais ce n'est pas tout. Un groupe à tiroirs multiples. Et dans chaque casier une merveille. Les Moonshiners ne distillent pas uniquement du bluegrass des vieux tonneaux, ne tapent pas uniquement dans le earlier rock'n'roll, sont avant tout des amateurs de musique populaire. N'oubliez pas que selon la distinction entre tradition savante et populaire, la proximité est plus grande qu'on ne le croit généralement. Pensez à la science prosodique d'un François Villon et la verdeur du monde de mauvais garçons qu'il évoque. C'est à cette rivière profonde que puisent les Moonshiners, chantent aussi bien en français qu'en anglais, pour notre idiome le plus souvent c'est Mickael Corbran qui s'y colle, évoque l'univers des blousons noirs, des voyous, de ce peuple de l'ombre surgi des terrains vagues, des taudis de Paris city et de banlieue blème, cette renaissance des anciens Apaches du début du siècle dernier.

Le set des Moonshiners fut un instant de grâce, hors du temps, un ressourcement à la veine la plus pure de la création populaire. Une prestation sans défaut. Extension méta-culturelle du domaine de la lutte rockabillyenne. Le moment le plus authentique de la soirée.

MASSEY FERGUSON MEMORIAL

Pour avoir eu une maman qui a passé trente années de sa vie à vendre des tracteurs Massey Ferguson, au centre de l'Ariège bucolique, j'étais curieux de ce groupe mémorial. M'attendais à du garage bruiteux à fond les gamelles. Point du tout. Sont des adeptes du country. Mais déjanté. A première vue ils font dans le campagnard, ils ont un batteur, Freddy Wangs qui joue debout devant caisse claire et charleston. Et une chanteuse. Si dans votre esprit vous visualisez Dolly Parton, c'est que vous faites fausse route, vous êtes embourbés dans les clichés. L'a bien un chapeau de cowboy sur la tête et une robe à carreaux – style nappe de restaurant – l'est toute mince, ce genre de fille que dans le Sud on appelle des sécaïres, des bouts de femmes insupportables qui jouent à chamboule tout avec votre existence, que tout le monde redoute, les esprits chagrins parce qu'elles empêchent les vaches de vêler, les épouses parce qu'elles tarabustent les mâles, et les garçons sont atteints de la danse de Saint-Guy dés qu'ils aperçoivent le bout de leur jupon, personne ne les aime mais tout le monde les adore, car partout où elles passent la morosité trépasse. Bref Corinne Massey tressaute sur place, pogote devant son micro à la manière d'un pois sauteur atteint de délirium tremens et vous débite d'une voix perçante un country chaud de braise à toute vitesse. Souvent Chris Ferguson intervient à grands coups d'harmonica qu'il plante comme des clous dans une barrière de bois. Sam ( ne s'appelle pas Harris, les initiés comprendront ) s'occupe de la basse comme d'une botteleuse. A eux quatre, fomentent une pétaudière explosive, country festif à l'arrache, qui démantibule et atomise le public en joie qui leur fait un triomphe.

CAUSA NOSTRA

Ah ! Le rock quand il est bien fait quelle merveille ! Sous n'importe quelle de ses déclinaisons. L'on a à chaque fois l'impression d'une révélation. Causa Nostra se revendique Punk et Oï, Punk y Skin comme le précise leur premier morceau. Avant tout un son, qui vous arrive dessus tel une flèche qui se fiche au plus profond de votre moelle épinière, pas étonnant si Sandro arbore un magnifique portrait de Géronimo sur son t-shirt, l'Apache indomptable – ses Mémoires sont à lire en nos temps de détresse - le rock'n'roll conçu comme un acte de résistance, remporte toute mes faveurs, cette vision me semble correspondre à ce qu'il y a au plus profond de sa nécessité existentielle. Les belles idées sont une chose, reste à les mettre en pratique, à les rendre signifiantes. Et en cela Causa Nostra y réussit parfaitement.

Une section rythmique de feu. Tapou sait où taper, vite et fort, sans arrêt, ignore tout du binaire simplet, l'est pour la multiplication des pains, à chaque coup une paroi de schiste se détache de la montagne et met en branle une série de causes à effets multiples, dévastatrice. Le plus fabuleux c'est qu'il n'est pas seul dans son coin à s'escrimer en vain, le reste de la bande se lance dans son sillage d'ardoises noires et tranchantes, certes il arrache tout sous son avalanche mais il est impensable que le vide sonore se reforme après son passage – pensez à la nécessité tactique pour les phalanges d'Alexandre à Gaugamèles de recoller les colonnes qui s'étaient écartées pour laisser passer les chars à faux de Darius et continuer leur marche en avant – alors Ioio BMG à la basse et Yoan et Andres aux guitares se hâtent de calfeutrer le moindre interstice à la la manière des longues sarisses macédoniennes que l'on croisait pour mieux les enfoncer dans les poitrails des chevaux afin d'arrêter les charges de la cavalerie adverse – ainsi se présente Causa Nostra, une musique sans faille, impénétrable, soudée comme les doigts de la main refermée en poing d'attaque et de défense.

Ne vous laissent pas une seconde de répit, sans cesse quelque chose qui surgit à découvrir, un bourdonnement de basse qui se transforme en rugissement, une guitare qui cisaille pendant que l'autre poinçonne. Avec Causa Nostra, c'est simple où vous montez dans le train en marche ou vous laissez passer en vous réfugiant piteusement dans les pissotières de la gare. A chacun son royaume ! En tout cas ce soir, si l'on en juge d'après le tumulte tout autour de la scène, il y a un sacré monde qui hurle de joie et son contentement et qui s'est déjà agglutiné sur le marche-pied pour un aller rock'n'roll sans retour. Pas besoin de manipuler un sondage d'opinion pour en être convaincu.

C'est dans cette fournaise kaotique que Sandro au micro éructe ses titres. Crevardog, Enculoï, Hooligan Vegan, certes l'on n'entend pas toujours distinctement les paroles mais nul besoin d'une explication de texte universitaire et blablateuse pour en comprendre le sens, quant à l'esprit de colère, de hargne et de révolte qui les anime Sandro la partage avec vous sans peine. Sait aussi se servir des torsions de son corps pour exprimer l'insatisfaction intergénérationnelle générale qui cimente l'assistance dans laquelle l'on retrouve des gens de toute horizon du rock'n'roll.

Causa Nostra se sont formés en 2017, mais il a déjà acquis un satané savoir-faire, un groupe à suivre de près.

Damie Chad.

 

27 / 05 / 2019 - MONTREUIL

LA COMEDIA

JUSTWÄR

 

Une adjonction de dernière minute au programme prévisionnel. Les groupes en tournée à la recherche d'une soudure entre deux dates se refilent l'adresse, l'internationale punk connaît les bonnes crèches, JustWär est en croisière en Europe, et vient de l'Est, de Tchéquie. Capitale Prague. La ville du Golem. Pour le moment tout est calme, peu de monde, Traktor s'est emparée d'une guitare acoustique et passe les accords en douceur... Tout à l'heure ce sera une autre paire de manches, mais n'anticipons pas, faut encore installer le matos. Les tchèques au boulot, ça ne plaisante pas, quand ils s'y mettent ce n'est pas à moitié, vous sortent de leur transit des amplis aussi lourds que des camion-bennes et vous les transportent comme des boites d'allumettes, six grands gaillards opératifs, vous hissent la grande toile noire de leur logo comme les navires pirates le Jolly Roger au moment de l'abordage, pendant que du côté merchandising les différents sweats sont enfilés sur des cintres de présentation avec un soin minutieux digne d'une boutique de mode. Z'ont aussi une caisse pleine de 45 tours de formations diverses pratiquement toutes inconnues et deux 33 album vinyl de leur propre production en exposition. Le monde arrive petit à petit, pas la grande foule, mais l'happy few des connaisseurs et des chanceux qui ont reçu l'information à temps.

JUSTWÄR

Quatre sur scène. Mark Splinter se plante devant le micro et tout de suite c'est l'extase. La fougue, la rage, et la jeunesse. Derrière lui, je vous l'assure, ça ne chôme pas dans les chaumes agrestes, mais il est là, anneaux de corsaire à ses lobes, bas du crâne rasé surmonté d'un écrasement de touffe de cheveux noirs comme la lèpre de la colère, ne touche même pas le micro, l'est comme un enfant, les poings près du corps qui s'obstine à refuser la laideur du monde des adultes, et qui fait part de son refus de plier à des exigences qui n'émaneraient pas de lui seul. Il rauque et il rocke, il énonce des paroles de feu et d'incendie, on ne les comprend pas, mais elles brûlent quand même.

Miki, blond comme les blés, est à la basse. Toutes les trente secondes il lance un regard vers Traktor qui refermé sur lui-même n'en fait pas cas. Du moins semble-t-il, mais au merveilleuses broderies qu'ils tissent de conserve ils doivent communiquer par des ondes qui nous sommes inaccessibles. D'abord les mains de Traktor, un véritable traquenard de violence rentrée, la gauche saisit dans sa grosse poigne le manche vous l'enserre si fort qu'il disparaît pratiquement – c'est ainsi que l'enfançon Hérakles dans son berceau a dû broyer les cous des deux serpents que la furie Héra avait envoyés pour se débarrasser de ce bâtard sorti du ventre d'une rivale – Traktor serre et c'est tout, le poing fermé se déplace de temps en temps mais il ne se soucie guère de chaque corde en particulier. A droite c'est encore plus pharamineusement terrible. Il joue au plus près, du bout des doigts, les phalanges repliées broutent littéralement les cordes avec cette ténacité méthodique d'un troupeau de chèvres absorbé à éradiquer les promesses des bourgeons des branches basses et hautes des fruitiers du verger paradisiaque interdit. Certes, depuis son corps massif et de sa longue chevelure barbare, il assure le continuum tonitruant de l'onde sonore comme un guitariste normal, mais c'est surtout ce que le commun des gratteux ne savent pas faire qui nous assaille, vous percevez de temps en temps, au milieu du fracas, des séries de notes d'autant plus menaçantes que d'une clarté absolue, elles se faufilent, à la manière de la nageoire dorsale d'une bête marine, issue des profondeurs abyssales, dont vous pressentez la destructive monstruosité à la rapidité fuyante de cette crête cartilagineuse hérissé de piquants antédiluviens. Le Kraken aurait-il lâché ses chiens de mer ouraganiques ?

Méfiez-vous des apparences, Miki est le champion des entortillements de lignes de basse. Un pervers, le gars qui vous lance douze harpons dans le corps de Moby Dick en prenant bien soin d'entremêler les câbles et les filins d'acier, juste pour le plaisir au dernier moment - alors que le monstre s'apprête à plonger et à entraîner la baleinière au plus profond des fosses océanes – de sortir sa scie à métaux et de quelques incroyables coups incisifs vous trancher l'écheveau qu'il vient de tresser. L'est ainsi Miki, l'est comme l'aigle à deux têtes qui regarde du côté ou le soleil se lève et du côté où l'astre solaire se couche, après avoir passé les trois-quarts du set à chercher le regard de Traktor, il tournera son visage à l'exact opposé, Janus à double figure qui porte les yeux au plus lointain du passé et du futur, sa manière à lui d'assurer la présence de la fureur chaotique du combo dans l'opération de la coïncidence tectonique des contraires.

N'oublions surtout pas Safa, voudrait-on qu'on n'y parviendrait pas. Sait se faire entendre bellement. L'a le drummin' intempestif, bouscule son monde. Vous drosse salement sur les rochers du naufrage à tout instant. Vous n'y échappez pas, vous colle sur les murailles de votre inaptitudes à être entièrement ce que vous aimeriez être. Etrangement cela vous donne le courage énergétique de vivre. L'a la frappe-faucon qui monte haut vers le haut zénithal du ciel et se laisse soudainement tomber, une pierre éruptive crachée par la bouche éruptive d'un volcan en feu, qui s'abat et casse les reins d'un rongeur qui n'a rien vu venir. La mort est aussi un triomphe. Safa, le plus beau ce sont ses brisures définitives. Alors qu'il mène un train d'enfer, brusquement il accélère et dans le même moment il arrête tout. Le combo réduit au silence, votre cœur idem, et peut-être même le monde entier tout autour. Emporté par la force cinétique de cet arrêt immédiat, Safa se dresse debout, immobile et pantelant, la baguette en avant, maestro du désastre, flèche fichée au cœur de la cible. De notre existence.

Quarante minutes de fureur. Quarante minutes de bonheur.

Damie Chad.

THE LAST GOODBYE

JUSTWÄR

( EP / Février 2017 )

 

Bass : Mitri Climax / Drum : Marwin / Guitar : Traktor / Vocal : Splinter

 

All Guns Afire : un serpent de guitares qui se redresse, et la voix qui avertit, la batterie s'emballe et c'est parti pour l'éructation suprême zébrée d'éclairs rageurs de basse, l'avertissement de tous les dangers, la guitare crie comme une bête que l'on écartèle vivante dans un abattoir, les cris de dénonciation de l'urgence de la situation n'y feront rien, il est déjà trop tard. Protest Sonnet : lamento d'Hamlet, tiré tout droit de Shakespeare, sur la nécessité de survivre – il faut nous y habituer, à l'Est de l'Europe la poésie a encore sa place dans les consciences – la rage et le désespoir de vivre et de mourir. Rythme haletant, si vous vous attendiez à un lamento funèbre style Comédie Française, vous serez déçu. La voix griffe comme des ongles qui attaquent de l'intérieur le cercueil de la vie dans laquelle vous êtes enfermé. Un morceau court qui excède à peine les deux minutes trente, l'on se prend à rêver d'une véritable radio-rock qui tartinerait cette merveille dans ses programmes, hit potentiel, il est dommage que cela reste confidentiel, et puis ce solo de guitare, si bref, mais qui produit tant de jouissance. Cards and Dice : de l'envoyé concentré, voix et musique collées l'une à l'autre, à toute vitesse, le jeu est dangereux, ce n'est ni un passe-temps ni un vice, simplement le jeu de la vie et de la mort, ce qui change tout, si vous n'avez pas les bonnes cartes en main, les atouts-maîtres dans votre manche, vous êtes foutu jusqu'au trou du cul. Voix comminatoire, écroulements de guitares, base-ball de batterie, les dés sont pipés et les cartes biseautées, le hasard ne sera jamais de votre côté. Ou alors pas du bon. Instrumentation définitive. Civilization's Agony : pas besoin de vous faire un dessin pour les paroles, dites-vous que Splinter ne vous les susurre pas dans le creux de l'oreille, vous massacre les tympans au marteau-piqueur, les guys derrière carburent à mort, concassage de batterie, fusillades de guitares, si vous ne comprenez pas, si vous n'êtes pas réceptif, si votre intellect est sourd, l'est sûr que vous méritez de finir.

Un quarante-cinq tours qui déchire. Décidément JustWär est aussi bon sur disque que sur scène.

Damie Chad.

 

 

SECTE 2

TENDRESSE DECHIRANTE

 

J'avais beaucoup aimé Fictionaboutfiction, tout naturellement j'ai embrayé sur le nouveau projet de Diane Aberdam et Emilien Prost, Tendresse Déchirante mais qui jusques à lors se résumait au seul clip de Sérénade Américaine – chroniqué in KR'TNT ! 412 du 28 / 03 / 2019 – voici donc le deuxième opus du groupe que vous retrouverez sur leur FB : Tendresse Déchirante. Rien à voir avec le premier si ce n'est l'appartement bobo qui sert de décor. Encore que.

A voir. A entendre. Une musique obsédante qui tourne en boucles répétitives, entrecoupés de séquences sonores minimalistes, des espèces de chœurs lointains et pratiquement tibétains, et le murmure macéré et gloutonné d'Emilien Prost qui mène la ronde rituellique. Si vous regardez vite, sans trop d'attention, happé par la juxtaposition des images vous pensez à un collage surréaliste délirant d'autant plus fascinant que mouvant à l'instar des sables meurtriers.

Encore que. Le rapport avec Sérénade Américaine est des plus évidents. La même histoire mais déclinée autrement. Celle du couple primordial. L'opération alchimique la plus délicate. Qui se déploie en deux temps – fusion et séparation. Jonction et arrachement. Le ballet des araignées copulatoires. C'est toujours l'amante religieuse qui tue le mâle. Encore que. Elle se doit d'abord de subir l'attrait irrésistible, de se livrer à la parade nuptiale de la tentation du boy, qui joue au beau ténébreux, à l'acteur impassible du mystère, il est le maître, il est le gourou, revêtu de sa chasuble blanche, l'essaie d'instiller du sacré dans l'acte procréatif, cela s'appelle une manipulation mentale qui n'a d'autre but qu'une introspection charnelle. L'est prêt d'arriver à ses fins, mais à l'ultime moment la bête que l'on entend de temps en temps glapir en lui, se libère totalement, brise ses chaînes et aboie furieusement tel un roquet affamé qui ne peut se retenir le cri du désir, en sa tête déjà assouvi, devant un morceau de viande posée dans sa gamelle... l'est prêt de satisfaire sa faim, en fait l'incantation se résout en hurlement et le sorcier belluaire brise l'enchantement, l'est plus prêt de sa fin qu'il ne le croyait. Coup de gong final. La victime faussement innocente – n'a t-elle pas eu ce qu'elle désirait, la reddition totale de l'autre - s'enfuit. Encore que. Un dernier plan vertigineusement raccourci laisse entendre que.

Ça s'écoute. Ça se regarde. Ça se réfléchit. Bibelot à facettes multiples. Artefact sexuel. Semence trouble. Jetée dans votre esprit.

Damie Chad.

 

AMOURS ENFERMEES

JULIETTE MOREAU

M'étonnerait que vous puissiez le retrouver. Pas d'adresse, pas de raison sociale de maison d'édition, pas de date, une signature aux trop nombreux homonymes pour être identifiée, et puis pas grand chose, quatre feuilles de papier A4 pliées en deux, par aucune agrafe retenues, en guise de couverture ( recto et verso ) un lambeau de la Carte de Tendre que tous les amateurs de Madeleine de Scudéry connaissent bien... Moi-même je suis bien embêté pour savoir où j'ai récupéré ce modeste fascicule, ai été le premier surpris d'y tomber dessus en essayant – tentative vainement avortée – de ranger mon bureau.

Avertissement aux kr'tntreaders, le texte n'a rien à voir avec le rock'n'roll, le mot n'est même pas mentionné, z'oui mais le texte est foutrement et follement rock'n'roll. Deux adverbes qui ne sont pas choisis au hasard. La rédactrice aura passé quatre cent cinquante jours au Service Hospitalier Universitaire. A Sainte-Anne pour ceux qui veulent tout savoir. La nef des fous échouée en terre.

Une étudiante, une intellectuelle, et mieux une cérébrale, tout se passe dans la tête, et dans le désir, à tout moment affleurent la chair et la beauté de l'autre, jeu de séduction avec les professeurs et les médecins, le sexe, comme le témoin phantasmé et fascinatoire que l'on passe de l'une aux autres, et la contre-preuve d'un manque de confiance en soi, peut-être. Une descente en soi-même, en les mots de la littérature qui deviennent miroir de son propre double, une espèce d'auto-pénétration intellectuelle, une longue descente au fond de soi, au fond de l'esprit et du sang charnel. Chausse-trappe de la folie. Une saison en enfer. L'on n'en sort pas indemne. Surtout le lecteur. Au résultat un magnifique poème en prose. L'on imagine la musique brisée qu'un groupe de rock pourrait poser dessous. Pas dessus, car l'on n'enferme pas les mots qui trouent les murs. De la conscience.

Damie Chad.

 

CASONI BLUES

 

Juste quelques mots encore une fois pour signaler la triste évidence que tout a une fin, même les bonnes choses. Voici plusieurs années que j'achète Rock'n'Folk pour un seul motif. La lecture de Beano Blues de Christian Casoni. Une seule page, mais à chaque fois la meilleure de tous les articles. Une histoire du blues du début, dans le désordre, je sais ce n'est pas la fin des haricots non plus, z'allez me dire que vous connaissez, que vous avez déjà un demi-quintal de books qui raconte le truc avec tous les détails. Z'oui, mais chez Casoni vous avez le gramme de plus, celui qui fait toute la différence, un peu comme quand vous pesez un moribond deux fois, une fois avant, une fois juste après qu'il a poussé sa pipe sur l'autre rive, afin de vous renseigner sur le poids de l'âme humaine, pas grand-chose, ne dépasse pas celui d'une plume, or justement c'est cette plume que vous trouvez chez Casoni, aussi voyante qu'une peinture de guerre sur la robe d'un appaloosa, bref Christian Casoni, il a le style, celui qui n'appartient qu'à lui, aussi facile à reconnaître qu'une intonation de B.B. King ou un riff d'Hubert Sumlin. N'y a plus qu'à espérer que cette quarantaine de chroniques soient réunies dans un bouquin, les gamins pourront y apprendre à lire et à écrire. Magie des mots qui recréent une époque, des certitudes existentielles de désirs humains, repèrent les failles, les manques, et traduisent le rêve intérieur de celui qui les rassemble. Cette galerie de portraits, eaux-fortes au vitriol émouvant, se termine par un superbe pied de nez, après tous les loups noirs des hordes faméliques du Delta, voici le mouton blanc de par chez nous, qui ma fois bêle et bleuse de bien belle façon : Benoît Blue Boy.

Un grand merci à Christian Casoni.

Damie Chad.