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15/04/2020

KR'TNT ! 460 : ROBERT QUINE / MUDHONEY / JARS / THE PESTICIDES / ROLLING STONES / TREVOR FERGUSON / LOVESICK DUO

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 460

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

16 / 04 / 2020

 

ROBERT QUINE / MUDHONEY

JARS / THE PESTICIDES

ROLLING STONES / TREVOR FERGUSON

LOVESICK DUO

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

God save the Quine

 

Richard Hell n’en démord pas : le meilleur, c’est Robert Quine. Après avoir quitté les Television et les Heartbreakers, Hell décide tout reprendre tout à zéro.

Robert Quine et lui bossent tous les deux chez Cinemabilia, un libraire new-yorkais spécialisé dans le cinéma. Au début, Hell trouve Quine ‘pretty demoralized’ et s’aperçoit petit à petit qu’il est demoralized en permanence. Le seul truc qui semble l’intéresser, c’est jouer de la guitare. Vu qu’il a plus de trente ans et qu’il est chauve, Hell pense qu’aucun groupe ne voudrait de lui. Hell ajoute que Quine n’aurait jamais pardonné à Lenny Kaye ses remarques déplacées concernant sa calvitie. Si Hell s’intéresse tant à Quine, c’est pour une raison bien simple : Quine adore le raw rock’n’roll. Il écoute Jimmy Reed, Link Wray, Ike Turner, Fats Domino, les Everly Brothers, Bo Didddley, Richie Valens, Buddy Holly et Little Richard. Très peu de choses post-Beatles, excepté le Velvet, les Stooges, Jeff Beck, Roger McGuinn, Hendrix, Roy Buchanan et Harvey Mandel. Il adore aussi le premier album des 13th Floor Elevators, mais contrairement à Hell, il n’aime pas les albums des Ramones et des Pistols. Il s’intéresse de près à James Burton, au jeu de basse de Joe Osborne dans le Wrecking Crew et à celui de John McVie dans Fleetwood Mac, ou encore au style de Grant Green. Autre point commun avec Hell : la littérature. Quine adore Burroughs et Nabokov. Il possède des éditions originales, ce qui impressionne durablement Hell. Quine adore aussi les films de Samuel Fuller, de Hugo Haas et The Three Stooges. Hell ajoute que Quine marche comme un personnage de Robert Crumb, les épaules voûtées et le regard inquiet. Il porte en plus des lunettes noires d’opticien. «Il arborait un visage rond et anonyme qui le vieillissait. Il voulait passer inaperçu. Je l’ai interrogé une fois à ce sujet, en lui demandant s’il possédait une voiture et quand il a dit oui, je lui répondu qu’elle devait être marron ou grise. ‘Elle est marron !’» Avec l’aide de Quine, Hell monte les Voidoids. Ils recrutent Ivan Julian et le batteur Marc Bell qui ira ensuite rejoindre les Ramones. Comme les Voidoids deviennent la nouvelle coqueluche du CBGB, Sire les signe. Mais dès le début de la relation avec le record business, ça coince. Hell ne peut pas les supporter, ni Seymour Stein ni Gottehrer - The record business notoriously is one of the sleaziest there is - Hell cite même un auteur, Frederic Dannem, qui, après enquête, dit du record business qu’il est le moins éthique de tous. Mais bon, ils enregistrent un premier album en 1977.

Et là on entre dans le vif du sujet. Hell n’y va pas par quatre chemins : «I think Quine was the best rock and roll guitar soloist ever.» Selon, Hell, Quine mixe l’art et l’émotion comme nul autre au monde. Hell se désole aussi ne n’avoir enregistré que deux albums avec Quine. Il ajoute que les solistes intéressants ne courent pas les rues. Hell cite les noms de Mickey Baker, James Burton, Grady Martin, Link Wray, Jeff Beck, Jimi Hendrix, Lou Reed, ‘peut-être’ Jimmy Page, ‘peut-être’ Chuck Berry, ‘peut-être’ Tom Verlaine et Richard Thompson, par contre, il considère que Keith Richards et Pete Townshend sont des guitaristes rythmiques. Mais il précise que personne n’a su mixer le feeling et la créativité aussi bien que Quine. Pour Hell, le style de Quine relève du génie - Quine is the gap between skillful creative brillance and genius. Quine was a genius guitar player - En plus Quine adore la noise et bousculer les conventions. Pour Hell, Quine est le grand guitariste antisocial. Par la profondeur de son feeling, Quine se rapproche toujours selon Hell de Miles Davis et de Charlie Parker. Plus loin, Hell en rajoute une couche en expliquant que les enregistrements des Voidoids ‘se mettent vraiment à vivre quand Quine part en solo’. Il ne croit pas si bien dire, il suffit d’écouter le premier album de Richard Hell & The Voidoids, Blank Generation, paru en 1977, pour en avoir le cœur net. On entend clairement Quine partir à l’aventure dans «Love Comes In Spurts». C’est tout l’intérêt du Spurt. La godille de Quine. Le Quine dans le jeu de quilles. Le Quine qui couine à rebrousse poil. Et ça en dit long sur le génie d’Hell qui a compris ça à l’époque. Quine rebat la campagne dans «Liars» - Oh oh oh oh - Sacrée mélasse d’énergie considérable, Hell chante à outrance, pas de voix, rien que de l’outrance. Quine et lui font bien la paire. Quine rentre partout les deux doigts dans le nez. Le solo qu’il prend dans «Betrayal Takes Two» restera un modèle du genre jusqu’à la fin des temps. Les Voidoids sortent un son extrêmement osé, anti-commercial au possible, qui n’a aucune chance de plaire. Non seulement ils précèdent le post-punk d’une bonne année, mais ils l’inventent. Tout reste échevelé, pour ne pas dire tiré par les cheveux. Le «Blank Generation» qui ouvre le bal de la B vaut pour un classique entre les classiques. Hell incarne si parfaitement son concept de blankitude qu’on s’en effare. Quine part en solo de quinconce et va même le claquer aux accords de discorde et les Voidoids rajoutent dans la soupe les chœurs des Dolls ! Très spectaculaire ! Quine tord le cou de «Walk On The Water» avec l’un de ces solos de dépenaille dont il a le secret. Aw baby Aw, comme dit Hell dans «Another World». Quine fait le show avec son funk mutant.

Cinq ans plus tard, Hell et Quine remontent les Voidoids pour enregistrer un deuxième album, Destiny Street. Hell le trouve nettement supérieur au premier. «The Kid With The Replaceable Head» et «You Gotta Move» brouillent un peu les pistes, surtout le Move monté sur un riff catastrophiquement déclassé. Les choses se corsent avec «Lowest Common Denominator», bien défilé à la parade. Quine fait ses ravages et explose le cut en plein ciel. Il mène aussi le bal dans «Downtown At Dawn». Ça reste un bonheur que de l’entendre jouer. Il sort de sa cage et fuit vers des ailleurs. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio d’«I Can Only Give You Everything». Hell y croise la violence du rock anglais avec celle du New York Sound, il saute en l’air, il chante faux et c’est excellent. Tout l’esprit est là. Superbe surenchère avec un Quine dans l’ombre. Hell fait tituber ses syllabes, and I try and I try. Puis on le voit ignorer la porte dans «Ignore That Door», mais il le fait à coups de chœurs de Dolls, bien aidé par ce démon de Quine. Ils terminent avec le morceau titre que Quine prend en mode funky. Hell rappe dans le gras. Pendant qu’Hell rappe, Quine rôde.

Quine fera surface dans Dim Stars puis il avant de mourir d’une overdose d’hero, il va enregistrer quelques albums solo.

En 1981 paraît un album contributif intitulé Escape. Quine s’y acoquine avec Jody Harris. Ils développent tranquillement une belle ambiance d’electro-beat urbain. Quine surjoue son funk spectral sur fond d’electro sourde comme un pot. Un truc comme «Flagpole» finit par l’emporter, tellement c’est visité par les esprits. Avec Quine, il faut toujours laisser du temps au temps. Son cling-along se joue de l’electro-beat, disons plutôt qu’il l’étreint comme Jarry étreint Ubu, viens là gros lard que je te serre dans mes bras. Étrange spectacle : quelque part dans l’air du temps, l’espiègle finesse d’une guitare ouvertement funkoïde danse avec un gros beat electro mal embouché. Puis on voit Quine travailler en surface l’épais beat electro de «Don’t Throw That Knife». Il semble diffuser une dentelle de désinvolture sonique, comme s’il laissait traîner ses notes. Très Can dans l’esprit. Quine survole Babaluma. C’est en B que se joue véritablement le destin de l’album, notamment avec ce «Termites Of 1938» monté sur un beat tribal assez violent. Quine y voyage avec une allégresse contagieuse. Comme ce beat est beau, il dresse fièrement la tête, il semble venir de la nuit des temps, si sourd et si menaçant. Et puis voilà la coup de Jarnac : «Pardon My Clutch». Quine joue le rock’n’roll du futur, sur fond de belle propulsion electro. Il joue la clairvoyance au clair de lune et se fond dans le beat comme une ombre dans la nuit. Quel admirable exercice collectiviste ! Ils mêlent bien ces baves que sont le clair de Quine et l’electro-beat de Jody Harris. Quine semble réinventer le rock’n’roll en jouant une dérive de surface. C’est une pure merveille de New York Sound. Son cœur bat fort. Ainsi va la Quine à l’eau qu’à la fin elle s’embrase. Quine nous fait tout bonnement du Can new-yorkais.

Puis il s’acoquine avec Fred Maher pour enregistrer Basic en 1985. Ce qui frappe le plus dans la démarche de Quine, c’est l’étrangeté des idées de son. On pourrait même parler de brillante étrangeté. Il sort le Grand Jeu avec «Bluffer», sur fond de background obsédant à la Can. Quine choisit cette fois de vitupérer. Comme le back-beat reste bien hypno, «Bluffer» passe comme une lettre à la poste. On retrouve plus loin un «Summer Storm» très Babaluma. En B, Quine va se fourvoyer dans des ambiances protéiformes, notamment celle d’un «Bandage Bait» bien travaillé au groove urbain volontariste et consommé. Quine gratte ses grooves aux accords impromptus, il vise l’épisodique impitoyable. Il revient au big guitar sound avec «Despair» et redevient le temps d’un cut the guitar slinger extraordinaire. Il faut le voir tirer ses notes à la vitesse d’un char à bœufs.

L’équipe Robert Quine/Ikue Mori/Marc Robot enregistre le bien nommé Painted Desert en 1995. Avec «Mojave», on y est. En plein cœur du désert. Pas besoin de téter une fiole, ils sont spaced out d’eux-mêmes. T’as voulu voir le cul de la reine et t’as vu la raie du Quine, c’est bien plus intéressant. Quine joue au doux d’accords de réverb et il faut l’écouter soigneusement, car on ne croise pas souvent des mecs de son niveau. On entend un tabla derrière lui. Une fois encore, il sort le Grand Jeu du son tempéré. Avec «Medecine Man», ils tapent dans un bruitisme archaïque. Quine rôde dans le son d’une manière très équivoque. Puis on le voit chevaucher en tête de «Desperado». Comme s’il était décidé à en imposer. Quine est le Sade du rock, il entraîne ses amis dans les vices de la vertu. Avec «El Dorado», ils explorent la Vallée de la Mort. Tout est acquis d’avance sur cet album, surtout la violence du «Gundown». Quine veut en découdre, alors il en découd. À sa place, on ferait tous la même chose.

Signé : Cazengler, Robert Gouine

Richard Hell & The Voidoids. Blank Generation. Sire 1977

Richard Hell & The Voidoids. Destiny Street. Red Star Records 1982

Robert Quine/Jody Harris. Escape. Infedility 1981

Robert Quine/Fred Maher. Basic. Editions EG 1985

Robert Quine/Ikue Mori/Marc Robot. Painted Desert. Avant 1995

Richard Hell. I Dreamed I Was A Very Clean Tramp. Harper Collins Publishers 2013

 

Just like Mudhoney

 

Tout le monde a connu ça : on erre comme une âme en peine dans la cave d’un disquaire parisien et soudain un cut qui passe sur la sono du magasin fait dresser l’oreille. Plop ! Le vendeur pose toujours la pochette en évidence sur son guichet pour qu’on puisse choper l’info. Quand le disk est bon, c’est vendu d’avance. Surtout quand le chanteur sonne comme Iggy. Même genre d’arrogance et de bouteille, même timbre chaud et autoritaire, mais ce n’est pas exactement Iggy. Alors pour mettre fin à la devinette, on se rapproche pour voir la pochette.

Vanishing Point, le nouvel album de Mudhoney !

Incroyable. Qui l’eut cru ? Quel retour en force !

Écoute de l’album aussitôt le retour au bercail. Blasting all over ! Ça barde pour les matricules dès le premier cut. Steve Turner arrose «Slipping Away» d’une dégelée royale de guitare liquide. Immédiate effarance de l’excellence. Mark Arm touille son brasier à la fourche, et ce n’est pas un petit brasier. On est là dans le gras du rock à guitares, dans le glissant du slinging, dans l’über-shoot de wah et l’extrême pertinence du blues-rock. Et c’est avec le second cut qu’arrive le simili Iggy. «I Like It Small» sonne vraiment comme un morceau des Stooges, avec en plus l’aspect sexué du signifiant. Petite chatte. L’Arm refait son Iggy dans «What To Do With The Neutral». Ça renvoie directement au fameux «Bored» d’un Ig qui croonait jadis son chairman of the bored. Quelle fantastique ambiance ! Et ça devient encore plus stoogy avec une chanson de pinard, «Chardonnay». L’Arm bouscule ça dans les orties, c’est sacrément endiablé et énervé au possible. Quel ramalama, les amis ! En B se nichent deux horreurs tentaculaires : «I Don’t Remember You» (pur garage stoogy) et «The Only Son Of The Widow From Main», une fantastique parade d’accords distordus. Et du coup, on se retrouve avec un nouveau classique de heavy duty américain sur les bras.

Mudhoney ? Ça remonte au temps de Nirvana et de la scène de Seattle, mais Mark Arm et ses collègues n’avaient pas le panache composital de Nirvana. On écoutait leurs albums consciencieusement, mais il était difficile d’en garder des souvenirs précis, ce qui est en général assez mauvais signe.

En concert, ils continuent de jouer le fameux «Touch Me I’m Sick» qui les rendit célèbres et qui figure sur la compile Superfuzz Bigmuff Plus Early Singles. C’est un peu l’emblème du fuzz-scuzz de Seattle, une belle leçon de fuzzillade et de riffage trépigné - C’mon ! - Ils poussent en prime de jolis appels à l’insurrection. Mais le reste vieillit mal. Sur les autres morceaux, il leur arrivait de hurler comme des bouchers ivres de mauvais vin et ce n’était pas beau à voir. Il fallait attendre «Need» pour trouver un brin de heavyness, mais à l’époque, l’Arm chantait assez mal. Cette compile n’était en fait qu’une sombre collection d’erreurs de jeunesse.

Leur premier album sort en 1989 et s’appelle tout bêtement Mudhoney. Il présente tous les défauts de l’époque : des compos aléatoires qui ne savent pas dans quelle direction avancer et un côté foutoir qui semble imposé par le hasard. Le cœur battant de cet album trouve en B : il s’agit du fatidique «Dead Love», une stoogerie montée sur le meilleur riff ashtonien qui soit ici bas. Oh, on trouve aussi deux ou trois bonnes rasades grungy-grunjo comme «This Gift», un cut vaillamment bardé de guitares congestionnées et surtout «Here Comes Sickness» qui ouvre le bal de la B. On sent une nouvelle volonté de stooger mais l’Arm hurle comme un dératé et perd le fil. Le groupe joue son va-tout en épaississant le son à outrance et ça vire au fulminant. L’Arm adore plonger dans un cratère de volcan. C’est plus fort que lui. Il préfère les volcans aux piscines. On retrouve Steve Turner et son riffing tenace dans «Running Loaded», un cut bien lancinant qui prend des airs plaintifs, histoire de montrer qu’il n’est pas heureux dans sa vie de cut.

Lors d’un voyage à Londres en 1991, Every Good Boy Deserves Fudge fut à peu près le seul disque potable trouvé dans une grande surface d’Oxford Street. Ce petit grungy-grunjo des années de vaches maigres n’allait d’ailleurs pas laisser de souvenirs impérissables. Dans ce foisonnement ridicule, rien n’accrochait. Seuls «Who You Drivin’ Now» et «Fuzz Gun» renouaient avec le fuzz-scuzz. Avec son air de ne toucher à rien, Steve Turner remuait pas mal d’air. On notait pour essayer de s’en souvenir que le hit de l’album s’appelait «Don’t Fade VI», et puis on rangeait ce pauvre Fudge sur l’étagère avant de passer à autre chose.

Piece Of Cake parut l’année suivante et malgré la pochette ratée (comme celle d’Every Good Boy, d’ailleurs), on fit l’emplette. Et quelle emplette ! Ce Cake infernalement bon arrivait au moment où on n’y croyait plus. La fête commençait avec «No End In Sight», un shoot de grungy-grunjo solide, bien gonflé au riff de basse et monté sur le beat Pacific NorthWest. Matt Lunkin bassmatiquait comme une brute. Steve Turner démarrait ensuite «Make It Now» en mode psycho-psyché. Comme Leigh Stephens, il s’enfermait dans une carapace de larsen retardataire. Il visait l’ambivalence inter-galactique. Plus loin, ils fuzzaient «Suck You Dry» jusqu’à l’os. Steve Turner jouait comme un diable. Il se dressait au carrefour de toutes les confluences. Le carnage se poursuivait avec «Blinding Sun». Ils semblaient réinventer le psyché californien. On voyait ce groupe taper dans des registres différents et richissimes. Ils allaient psychetter dans les champs de tournesols. Steve Turner faisait tout le boulot. On les retrouvait englués dans l’heavy-psyché de «Thirteen Floor Opening», nouvelle exaction complètement barrée à la Barrett et grattée au sang. On tombait plus loin sur une vraie bombe avec «I’m Spun» et l’Arm prenait les armes. Il cédait à la violence et il en devenait admirable. Et ça continuait avec un «Take Me There» riffé en mode Pacific Northwest. Il fallait les entendre hurler dans le néant et s’immoler sur le pal de leur ambition démesurée. Steve Turner se prenait encore une fois pour Leigh Stephens avec «Living Wreck». Pur jus de Blue Cheer. À force de montées de fièvre, ces mecs finissaient par saigner leur cut à blanc.

Nouvel épisode remarquable avec My Brother The Cow paru en 1995. Ces fringants blasters ouvrent le bal avec «Judgment Rage Retribution and Thyme», un garage délinquant d’une grande violence et monté sur un riff de malade mental. Ça donne le garage de ces temps modernes qui vont si mal. Idéal pour ceux qui cultivent le mal être. Mark Arm refait son Iggy dans «Generation Spokesmodel» et se livre au même genre d’abandon. Et en prime, Steve Turner nous lâche l’un de ces solos bien gluants dont il a le secret. Oh bien sûr, on trouve ici quelques cuts plus faibles, mais ils se laissent écouter. Retour au rock d’envolée retenue avec «Today Is Good Day». Dan Peters bat ça sec et Steve Turner n’en finit plus de cultiver son goût pour la déviance solotique. Avec ça, ils frisent le Nirvana. Nouvelle horreur avec «Into The Shtik» - C’mon down - L’Arm parle d’un asshole et les chœurs lui répondent Just like you. Le cut se veut délicieusement rampant, grossier et bardé de chœurs d’antho à Toto. Nous voilà en plein Pacific Northwest. Et puis ça part en final d’apocalypse. Ils poussent le bouchon très loin - Kiss my ass - Final dément, L’Arm what the hell embarque son cut au firmament - Fuck you ! - En B se nichent deux ou trois autres gros monstres poilus, à commencer par «Orange Ball-Peen Hammer», une heavy bouillasse de grunge. Excellent car inspiré par les trous de nez. Ces mecs sont très forts. Ils font les bons albums qu’Iggy ne fait plus. Ils dépotent ensuite «Execution Style». L’Arm hurle dans la ville en flammes. Pur jus de garage détraqué. L’Arm peut fondre l’atome du rock en le serrant dans son poing pendant que ce psychopathe de Steve Turner étrangle son solo à la wah. Cette bande de dingues continue avec «Dissolve», une nouvelle fournaise viscérale. Leur gros psyché s’ébranle en cours de gadouillage. L’Arm hurle comme un condamné qu’on emmure vivant. Et ils bouclent cette sombre affaire avec un «1995» qui sonne comme le meilleur garage du monde, celui qui titille la glande et qui préside au bouleversement de tous les sens. Voilà encore une pure dégelée de heavyness lavée à la morve de guitare. Terrible ! Irrévocable. Insécurisant et complètement galvanique.

C’est Jim Dickinson qui produit Tomorrow Hit Today en 1998. Ils attaquent avec une belle heavyness de Tombstone, «A Thousand Forms Of Mind», vrillée par un killer solo. Admirable, beaucoup trop admirable. Au fil des albums, Mark Arm est devenu un excellent chanteur. Ils virent bluesy dans l’esprit de sel avec «Try To Be Kind». Ce vieux gimmick de bues et les fantastiques progressions d’accords ont dû beaucoup plaire à Dickinson - Cry me a river - Il régnait sur le Tennessee se soir-là une fantastique ambiance crépusculaire - Try try try - Et l’Arm partait en sucette comme Question Mark. «Real Low Vive» marquait le retour à la heavyness, géré une fois encore par ce diable de Steve Turner. Il suivait le cut à la trace comme un chasseur Séminole. Et soudain, la fuzz explosait. Mudhoney fascinait et pavait l’enfer de bonnes intentions. Encore une pure merveille : «Night Of The Hunted». Hit seigneurial doté du big heavy sound, bardé de dynamiques extraordinaires et dans un spasme ultime, l’Arm jetait son cut au ciel. On restait dans la pure heavyness avec «Move With The Wind» que l’Arm chantait à la manière d’Iggy. Ils tapaient ensuite une reprise des Cheater Slicks, «Ghost» et ça sonnait comme le «Death Party» du Gun Club. Pas moins. Pur génie stompique d’un groupe au dessus de tout soupçon. Steve Turner y glougloutait. Avec Dickinson aux manettes, tu imagines le tableau ! Il n’existe pas d’autre réalisme que celui du son. Ils bouclaient cet album superbe avec un nouvel assaut, «Beneath The Valley Of The Underdog». Ils vont là dans la pire heavyness qu’il soit permis d’imaginer, celle du psychout des origines du monde. Ils nous précipitent dans un puits sans fond.

S’ensuit Since We’ve Become Translucent, un album nettement moins bon. Avec «The Straight Life», ils tapaient dans du garage privé d’ambition. On se posait alors la question : «Mais à quoi sert Mudhoney ?» On avait la réponse avec «When The Flavor Is» qui sonnait comme un classique des Stooges. Mark Arm adore tellement les Stooges qu’il réussit à sonner comme Iggy. Mais on se souvient aussi que Mudhoney est parfaitement capable de sortir des albums inutiles et celui-ci en est un, même si «Inside Job» somme comme «Lust For Life». Il est bien certain que l’Arm aime Iggy d’amour pur.

Ils redressent un peu le cap en 2006 avec Under A Billion Sun et démarrent avec un heavy doom chargé d’angoisse, «Where Is The Future» - I was born on an Air Force base/ Nineteen sixty-two - Et Steve Turner explose - splaaaaassh - I’m sick to death of this one - L’Arm parle bien sûr du futur qu’on lui propose. Non, il n’en veut pas. Il faut attendre «Hard On War» pour revibrer. Ils sonnent carrément comme Monster Magnet. On voit des serpents ramper sous le lit - C’mon little girl - Et Steve Turner prend une fois de plus un solo dément - I’ve become a dirty old man with a hard-on for you - Il reste deux bombes sur ce disque : «In Search Of», que Steve Turner sauve à coups de psychout psychomoteur, et «Blindspots», musclé à outrance. Steve Turner se déchaîne, il riffe comme Jean Gabin aux manettes de sa loco. Il emmène tout à la force du poignet. C’est bardé de gros paquets d’accords américains - Senselessness is the best defense !

Quand on écoute The Lucky Ones, on en déduit que ces surdoués privés de look sont devenus des aventuriers du garage. On trouve trois bombes sur The Lucky Ones, dont deux stoogeries efflanquées : le morceau titre et «Next Time». «The Lucky Ones» brûle autant que le magma des Stooges. Ils recyclent le riff de «No Fun». Steve Turner torture sa distorse. Leur plan, c’est de tout brûler, alors ils brûlent tout. Même chose avec «Next Time». L’Arm se prélasse dans la mélasse. Il tire ses syllabes à l’infini - Next tiiiiiime aïe aïe ya ya ya - Il est complètement stoogé du ciboulot. Ils font rôtir leur cut en enfer et Steve Tuner vomit son magma sanglant. Voilà ce qu’il faut bien appeler un bel hommage. Et c’est Guy Maddison, le bassmaster, qui fait tout le travail. L’autre gros cut de l’album est l’«I’m Now» d’ouverture de bal. Guy Maddison mène le bal au bassmatic. Ses notes tombent en cascade dans les breaks. Spectacle hallucinant. Clap-hands au centre et basse ultra-ronde. On sent un net retour au radicalisme. Ils investissent dans la viande. Encore une belle pièce avec «The One Mind» - the O Mind comme dirait Iggy - avec une intro de basse. Steve Turner y prend un solo au vitriol. Sa note guette comme un prédateur. Ils terminent cet album solide avec «New Meaning», en cavalant à travers la plaine en feu. Des riffs miraculeusement infernaux font le gros du boulot et Dan Peters bat comme un démon.

Curieusement, c’est dans les side-projects que Mark Arm semblait donner sa pleine mesure. Il rendit hommage aux Sonics en montant les New Strychnines et en enregistrant un album de reprises qui a le même son et la même énergie que les albums classiques des Sonics. Il fit aussi partie avec Dan Peters et Steve Turner de Monkeywrench, un super-groupe monté par Tim Kerr dans les années 90. À la limite, les albums de Monkeywrench sont bien plus intéressants que les premiers albums de Mudhoney. Mais là où Mark Arm épata vraiment la galerie, ce fut en montant sur scène avec les trois rescapés du MC5, rebaptisés DTK MC5 (Davies/Thompson/Kramer). L’Arm remplaçait tout simplement Rob Tyner et il s’en sortait avec les honneurs.

Voilà donc le vrai talent de Mark Arm : il peut à la fois sonner comme Gerry Roslie, Iggy ou Rob Tyner, c’est à dire trois des plus grands chanteurs de rock. Et c’est la raison pour laquelle il faut aller le voir, lorsqu’il passe dans le coin.

Mudhoney arrive enfin en Normandie. Mark Arm et ses amis ne gaspillent pas leur fric en tenues de scène. Ils sont à la ville comme à la scène, ils portent des jeans aux couleurs improbables et des T-shirts dont ne voudraient même pas les clochards du foyer. Mais côté mise en place, rien à redire. Mudhoney, c’est le quatuor de surdoués américains parfait, bien rôdé. Avec ses cheveux courts, Mark Arm a l’air d’un collégien, mais il chante comme un dieu et screame comme un démon. Il imite Iggy quand ça lui chante. Ce mec à la glotte en feu. Dan Peters bat le beurre depuis 1988, année de formation du groupe, et Steve Turner continue de bricoler sur sa petite demi-caisse rouge. Avec sa barbe, ses lunettes, son air de sainte-nitouche et son look d’étudiant en psycho-socio, on lui donnerait presque le bon dieu sans confession, mais Steve Turner est un virulent, un mec qui plie les genoux quand il envoie gicler sa morve de distorse. L’autre pointure du groupe, c’est Guy Maddison, le remplaçant Matt Lukin. Il faut le voir jouer de la basse, c’est une féérie à deux pattes. Il joue des huit doigts comme John Entwistle et plaque des accords quand ça lui chante. On voit rarement des bassmen dotés d’une telle vélocité et d’une telle force de frappe. Au fil de ce set magistral, on retrouve les stoogeries du dernier album - «I Like It Small», «What Do You Do With The Neutral», «The Final Course» et «Chardonnay» - l’«I’m Now» tiré de The Lucky Ones, l’«Inside Job» tiré de Translucent, «Beneath The Valley Of The Underdog», tiré de Tomorrow, et bien sûr «Touch Me I’m Sick» que tout le monde attend au virage.

Signé : Cazengler, Madonné (la gerbe)

Mudhoney. Au 106, Rouen (76). 2 mai 2015

Mudhoney. Mudhoney. Sub Pop 1989

Mudhoney. Every Good Boy Deserves Fudge. Sub Pop 1991

Mudhoney. Piece Of Cake. Reprise Records 1992

Mudhoney. My Brother The Cow. Reprise Records 1995

Mudhoney. Tomorrow Hit Today. Reprise Records 1998

Mudhoney. Since We’ve Become Translucent. Sub Pop 2002

Mudhoney. Under A Billion Suns. Sub Pop 2006

Mudhoney. The Lucky Ones. Sub Pop 2008

Mudhoney. Vanishing Point. Sub Pop 2013

Mudhoney. Superfuzz Bigmuff Plus Early Singles. Sub Pop 1990

De gauche à droite sur l’illusse : Steve Turner, Guy Maddison, Mark Arm et Dan Peters.

VILNIUS IV

JARS

( 03 / 04 / 2020 )

 

Enregistré en public à Vilnius ( Lithuanie ) le 28 novembre 2019. Disponible sur Bandcamp.

Pochette : photo : Valery Suslov / artwork : Vova Sedykh

Jars : Anton / Pavel / Alexander

Le 12 novembre 2019, les Jars donnaient un concert à La Comedia, non ce n'est pas tout à fait cela je ne rédige pas une note de service comme un agent du FFS, donc je reprends : les Jars larguaient une bombe atomique sur La Comedia. Repartaient le lendemain vers le grand est, d'ailleurs le 26 ils étaient tout près de chez eux, Moscou la noire, un arrêt à Vilnius pour une prestation sauvage dans la capitale de la Lithuanie patrie du poëte Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz. Ce Vilnius IV est un live tiré de leur set.

L'European Tour des Jars fut éprouvant : Alexander le batteur en fut particulièrement épuisé, c'est un peu de sa faute, vous auriez dû le voir à l'œuvre, je n'ai jamais ouï un travailleur de horrible avec une frappe aussi féroce, nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

Ce 20 mars dernier un post de Jars nous apprend que le nouveau forgeron de Jars se nomme : Mikael Rakaev. Mais c'est bien Alexander que nous entendons sur Vinius IV. Si vous ne savez pas quoi faire de vos vacances, voici un renseignement utile : les Jars sont en concert le 20 août prochain au Power House de Moscou.

Nos connaissances en la langue de Pouchkine étant malheureusement limitées nous n'avons qu'une confiance relative en notre traducteur automatique.

1 : Tribal : de quelle tribu s'agit-il, d'une féroce. Alexander tape comme un forcené, bat le rappel des guerriers dont vous entendez la clameur des guitares, arrêt brusque, l'on n'ouït plus que le bruissement du vent qui murmure dans les feuillages, et l'on repart plus vite, le piétinement lourd s'enhardit, plis sourds, la batterie halète, comme quand l'on attaque une montée, longues plaintes de guitares qui haussent le ton, l'on aborde une désagrégation abstraite du souffle, arrêt brutal, ils ont encerclé l'ennemi, les arbres flambent et le réduiront en cendres, la musique se fait victoire et une dégringolade de battements assomment ceux qui voudraient échapper. Victoire. 2 : Flic : à fond la caisse. Rythmique impitoyable, vous avez l'impression que les guitares lancent des grenades des deux côtés de la barricade. La voix surgit, lance-flamme de haine, qui pousse les guitares dans un tumulte indescriptible, des cris de rage, l'ombre rouge de la destruction enflamme l'oronge suicidaire des cocktails molotov, une orgie sonore gigantesque s'empare du monde. Arrêt brutal, personne ne descend. 3 : Touche noire : que nous comprenons en tant que côté obscur de la force. Doivent avoir des cordes en fil de fer barbelé pour que ça clinque et chuinte aussi déglingué, une voix d'échappé de l'asile qui a quelque compte à régler avec les gardiens. Les tambours d'Alexandre poussent au crime, musique de zombies engendrée par les nuits les plus ténébreuses lorsque les pierres des cimetières se soulèvent parmi les rafales des ouragans. Peut-être n'arriverez-vous pas à écouter le morceau jusqu'au bout. La lâcheté est parfois excusable, mais si vous désirez traverser le rideau de la grande faucheuse continuez. Il ne vous reste plus qu'à tourner en rond dans les marécages de la folie humaine, attention au maelström final dans lequel vous serez englouti. Exploration de vos gouffres intérieurs garantie. 4 : Brûle : courage ce morceau dépasse de six secondes la minute, une ordalie de feu toutefois. Danse bengale et scalp mental. Si vous y êtes rentré vraiment jamais le temps ne vous aura paru aussi long. Ce n'est pas votre corps qui brûle, mais l'âme que vous n'avez jamais eue. 5 : Besoin d'ennemis : une espèce de tourbillon de sable brûlant qui s'arrête aussitôt car l'épreuve ne fait que débuter. Le temps de respirer et de comprendre que l'ennemi attaque toujours par derrière, l'aigle monstrueux vous tombe sur les épaules et vous fend le crâne de son bac inquisiteur. Picore votre cervelle et la voix s'élève, elle vous menace et vous nargue, une douleur bruitiste se propage le long de vos nerfs enflammés. Roulez-vous par terre, emprisonnez-le de vos deux mains et hurlez plus fort que lui, l'on entend les cris des spectateurs qui assistent au combat, vous voici seul contre vous-même, il n'est pas sûr que vous gagnerez, l'instinct de mort vous submerge, les guitares gémissent lorsque vous vous arrachez vos organes un à un, vous vous relevez et vous battez des ailes. Vous avez gagné. Si vous ne vous tuez pas, vous deviendrez plus fort. 6 : Preuve : plus de chant, des aboiements, ça jappe et ça roquette, sont-ce des cris de victoire ou des métamorphoses sauvages, peut-être êtes-vous devenu la férocité du monde animal. Chamanisme tribal. Mais vous quittez la terre, envol final. Tout ceci n'est qu'un conte de fées pour enfants et assassins. Fatidique terminal. 7 : Non : le chant du refus, de ce qui est et de ce qui n'est pas. Trop de colères accumulées, trop de faussetés agglutinées, la musique court après elle-même pour se rattraper, se dépasser, se fuir. Faire de sa vie une imprécation à l'existence, une salutation au soleil noir de la haine, un hymne à la joie de la destruction. Alors et alors seulement on peut vivre et envoyer l'univers valser dans les gouffres noirs du vide intersidéral. Connaissez-vous plaisir plus profond ? 8 : Sabotage : pandémonium général, une vague monumentale qui vient de nulle part sinon de l'appel du néant, un déluge qui emporte le dépotoir sociétal dans les catacombes des décombres amoncelés. Des coups de guitare comme des couvercles sur les marmites du diable, cuisson rapide, œuvre alchimique au rouge sang, récitation des rituels enragés et inopérants, tout y passe et rien n'en ressort, vendangeurs ivres qui écrasent le vieux monde sous leurs pieds transformés en battoirs. Sabotez la vie, sabotez la mort, sabotez le nihilisme. Plus de respect. Plus d'obéissance. Appel à l'innocence des plus grandes sauvageries. La musique roule et monte comme le crépuscule des dieux. Capharnaüm orgiaque. Amoncellements d'orages terrifiants. Fin des illusions.

A ne pas mettre entre toutes les oreilles. Une œuvre. Vous avez le droit de ne pas aimer. De toutes les manières, une fois que vous l'aurez écoutée, il ne vous restera plus grand-chose d'autre. Sinon de rêver à quelque chose de plus grand que vous.

Damie Chad.

THE PESTICIDES

 

Un groupe de rock ne produit pas uniquement de la musique. Sans doute est-ce-là sa première finalité. Encore faut-il se doter d'une image. Nous entendons dans cette chronique ce vocable selon son acception la plus primaire. Un logo pour employer une expression des plus commerciales. Nous lui préférons de beaucoup le terme de totem, cet insigne opératif des légions romaines. Les Stones nous tirent la langue depuis un demi-siècle, nous ne nous en lassons guère, il est vrai qu'ils l'ont au fil des années déclinée sous de multiples formes. The Pesticides se sont formés en septembre 2019, n'en ont pas moins utilisé en quelques mois, trois différentes moutures de leur signe de ralliement.

Une première constatation. On les reconnaît de loin. Vous les avez vus une fois cela suffit. Question de dramaturgie, un guitariste unique et deux filles. Habillées à l'identique. Ce n'est pas un uniforme qui vise à une lointaine ressemblance, pas de tricherie elles sont jumelles. De visu l'une est l'autre, l'autre est l'une. Vu de l'intérieur ce n'est vraisemblablement pas la même identité, ne serait-ce parce qu'elles occupent des portions différentes de l'espace. A la limite, de tous les combos que nous avons rencontrés, c'est celui-ci qui avait le moins besoin d'un gonfanon. Mais ce sont de fines guêpes. Elles ont compris qu'il fallait piquer les yeux.

Nous nous attarderons d'abord sur le motif qui apparaît en premier lorsque vous vous rendez sur leur facebook. Cette espèce de drapeau pirate qui s'inscrit dans le rond de votre lorgnette lorsque vous naviguez sur le net. Pas besoin d'avoir fait de longues études d'héraldique rock 'n' roll pour avoir une idée du profil de la goélette que vous venez de repérer. Les lettres détachées en un savant désordre, et affranchies des règles typographiques élémentaires , les E tournant carrément le dos à l'ordre naturel de la lecture, et puis ces couleurs, rose-cru et jaune-bollocks-pisseux, la référence sex pistolienne saute aux yeux. Si par hasard le ver rongeur du doute vous habite, vous n'avez qu'à regarder la bannière de titre pour en être convaincu. Deux jeunes filles chaudes comme moiteur d'été à l'assaut du Kraken, car parfois les Andromède n'aiment pas être sauvées par un valeureux défenseur de la dignité outragée.

Faute de concerts dans la période actuelle, The Pesticides ont créé une nouvelle bannière. Le rose érotique a disparu, même si le support présente l'aspect un drap de lit froissé, le jaune est avivé, peut-être pour faire resplendir la noirceur de ces deux grands coups de rouleau de peinture, sur laquelle ont été disposées les lames blanches des lettres d'imprimerie noire, les E toujours récalcitrants, mais le reste de l'alphabet davantage civilisé. L'arboreront-elles en vue de nouvelles conquêtes. L'avenir nous le dira.

En attendant abîmons-nous dans la contemplation de leur toute première bannière qui remonte au mois de septembre. Pour le bas de l'image, pas de surprise, nous retrouvons l'étamine rose langue-de-chatte sur laquelle le nom du groupe est tracé en jaune. Le fond de l'affiche est du même or urinaire. Pour le reste c'est l'horreur absolue. Trois cariatides échappées de l'Erechthéion, trois Vénus de Milo démembrées comme il se doit, trois écorchés vifs. Des suppliciés échappés de la table de dissection. Pourquoi, quand comment, aucune explication n'est fournie. Est-ce l'effet que l'écoute du prochain EP six titres des Pesticides aura sur vous, est-ce une dénonciation écologique des méfaits des pesticides agricoles, ou alors une auto-représentation de soi-même, en pantin désarticulé, un regard au-delà de toute chair, au plus profond de l'être dans le dégoût de la carne, malgré les seins d'albâtre des deux premières statues défigurées, à croire que l'on ait voulu décapsuler la beauté du monde en leur arrachant le visage, ce serait donc les deux représentations des jumelles, le troisième étant l'homme craqué ouvert de partout, qui n'est plus rien que l'horreur des organes mis à jour.

Mais une vision plus attentive aux détails nous enjoint de penser que ces horreurs debout ne sont que des mannequins, trois fois le même, des pantins interchangeables, déshabillés, de leur peau pour voir la vérité plus profond que lorsqu'elle s'exhibe en sa nudité déclamatoire. Faut-il prendre cette carte de visite que nous tendent The Pesticides pour nous enjoindre à les regarder du dedans, au-delà de la barrière de leur apparence physique. Nous enjoignent-ils à une expérience métaphysique plus profonde. Sur scène s'agitent-elles telles des sémaphores pour nous avertir des dangers à les écouter, nous refont-elles le coup du chant des sirènes, où s'amusent-ils tous les trois à singer les marionnettes de Kleist.

Regarder une image est un acte quasi-automatique que l'on opère sans réflexion, mais parfois il est bon de s'interroger sur ce qu'elle signifie. Savoir comment elle s'insère dans le spectacle du monde auquel elle nous invite. Les Pesticides distribuent des cartes méchamment biseautées. Et la partie ne fait que commencer. Nous sommes prévenus, nous avons hâte de miser. Le jeu nous réserve bien des surprises.

En attendant nous serons sages comme des images.

Damie Chad.

P. S. : j'étais content, j'avais terminé ma chronique, j'aurais dû me méfier, en règle générale les filles sont de véritables pestes, mais celles-ci pire encore, des pesticides. J'étais content de mes petites élucubrations sur les images, je n'avais pas posé un point final sur mes divagations imaginales depuis deux heures qu'un post m'a annoncé du nouveau. Changement non pas de direction, mais de dimension. The Pesticides sont passées à vitesse supérieure. Fini les images, c'est bon pour les premières communions, désormais l'on quitte la figuration plate pour le volume. Bye-bye la peinture, bonjour la sculpture. Pas in vivo. In morto. Désormais elles ont une mascotte. Un pantin. ( C'est fou comme j'avais visé juste en évoquant Kleist ).Vous aimeriez le voir, c'est impossible. A peine né, déjà mort. Personne ne l'a tué. Il s'est pendu. Pas au premier lampadaire qui passait dans la rue. A la bannière, la numéro 3, celle qui est évoquée en deuxième dans la chro. Je tente de vous décrire l'objet du délit, ou le sujet du délire, un gros poupon – les garçons auraient fabriqué un camion – tout noir, une couleur qui lui a porté malheur, le torse transpercé d'épingle-doubles – fortes tendances auto-mutilatoires dixit Doctor Freud – vous reconnaissez les teintes fétiches des Pesticides, un tau-rose-potence et une croix-cimetière-jaune pour signifier ses yeux, fermés à jamais, n'a même pas eu le temps de terminer sa première cigarette, l'a utilisé une grosse corde de chanvre pour être sûr de ne pas se rater, l'on se croirait en balade dans un poème de François Villon. Désormais vous ne pourrez plus aller à un concert des Pesticides sans ramener un petit Pesticidor à votre filleule. Elle se sentira obligée de le bercer pour l'endormir lui qui dort pour l'éternité : ''Fais dodo mon p'tit Pesticidor, Fais dodo t'auras de l'exterminator''.

Les âmes tendres vont s'émouvoir : Mais pourquoi l'ont-ils tué ?

  • Parce que les pesticides qui laissent vivre leurs victimes ne valent rien !

  • Je ne savais pas que le rock'n'roll c'était si cruel, si vicieux !

  • Pourtant c'est exactement cela, les anglais disent sid vicious !

  • Mais ce n'est pas un jouet pour les enfants !

  • Pas spécialement peut-être, mais formellement interdit aux adultes comme vous !

Damie Chad.

 

ROLLING STONES

POURQUOI JE LES AIME

 

Une vente aux enchères en province. Rien de grandiose. Bien des cartons auraient pu atterrir chez l'Abbé Pierre, peut-être que le commissaire priseur raclait les fonds de tiroir. Bref une énorme caisse de livres pour quinze euros. L'heureux acquéreur demande à un jeune homme, qui était venu en curieux, accompagné de son épouse et d'une fillette, de l'aider à porter le paquet jusques dans le coffre de sa voiture. Pour le remercier le gars lui refile un livre sur les animaux, grand format : J'ai vu que vous avez une petite fille, tenez pour vous remercier, le jeune homme refuse mais la fifille les a rejoints, Papa, prends-le, c'est un livre sur les tigres, je les adore ! L'histoire pourrait s'arrêter-là.

Mais non. A la maison la petite fille feuillette le bouquin. Une photo s'en échappe, pas très belle, un peu floue, petit format, des musiciens avec des guitares électriques. Ce n'est pas des tigres, je n'en veux pas ! Le papa intervient : Ne la jette pas, on la donnera à ton cousin Paul, il aime ce genre de musique. La semaine suivante la photo est refilée à Paul. 'Wouah, un vieux truc, bien sûr que je connais, c'est les Rolling Stones ! Et Paul retourne chez lui, s'en sert comme marque-page pour un livre qu'il n'achèvera jamais, à tel point que quelques années plus tard, il refile le bouquin à sa copine dont les parents tiennent un stand de brocante. C'est leur passion dominicale.

Le lendemain, la copine lui rend Le dictionnaire des idées reçues, personne n'en a voulu, par contre la photo dedans, il y a un mec qui l'a prise, ma mère lui en demandait deux euros, le gars n'a pas pris la monnaie de son billet de dix que maman lui rendait. L'est parti presque en courant, les gens sont un peu mabouls, dix euros pour une photo format carte postale, ratée par dessus le marché. Profitant de l'aubaine nos jeunes gens partent boire un pot...

Le gars n'était pas fou. Je le connais, nous l'appellerons Théodore. L'a déboulé chez moi, deux jours après, n'a même pas pris la peine de frapper. Regarde ! La photo sous les yeux. Ouais, pas très nette, même aux enchères sur internet tu n'en tireras pas dix euros ! M'a regardé avec commisération. Tu peux sortir tes bouquins et tes DVD's sur les Stones, j'allume ton ordi, dépêche-toi, bougre d'idiot. A quatre heures du matin, l'on y était encore. On n'y croyait pas, tout concordait. Mais si ! Mais non ! Il faudrait un grand écran ! Philippe, il en a un super-géant, ses parents sont absents !

On l'a tiré du lit. Je prendrais bien un jus, pas question, on te met au jus. Dix minutes plus tard l'on avait des yeux comme des soucoupes, c'est au matin, vers 11 heures moins dix que l'on a été sûrs, là, pile, stop, recule, avance ! Pas de doute, ça baigne grave disait Théodore. Il ne croyait pas si bien dire. L'on était comme des rois !

On en a discuté pendant deux jours. Un plan d'enfer. Que faire. On envoie à Rock 'n' Folk ? Non, pas à ces blaireaux ! On se charge du binz, tous les trois. Damie, cette nuit tu écris un texte, rendez-vous demain chez toi à quatorze heures pile. Et à quatorze heures une, on plonge, on bazarde tout sur cent sites rock en même temps, plus les quotidiens. La com du siècle, c'est nous.

A quatorze heures, Théodore n'était pas là. A quinze heures non plus. Pas de nouvelle. Son portable restait muet. A quinze heures trente Philippe a téléphoné chez lui. Sa mère était en pleurs, on vient de le découvrir, après le repas il est sorti pour aller chez des copains, il a dû glisser sur le rebord de la piscine, c'est le chien qui n'en finissait pas d'aboyer dans le jardin, on l'a retrouvé noyé à quatorze heures.

Deux jours après l'enterrement, en pleine nuit l'on est retourné au cimetière pour brûler la photo sur sa tombe. Philippe a sorti son briquet, elle a pris feu instantanément dès que la flamme s'en est approchée, en cinq secondes elle n'était plus que cendres, mais sur la photo, les Rolling Stones sur scène à Altamont, le gars au milieu avec son tambourin, m'a souri, sournoisement d'un air complice, Brian Jones.

Damie Chad.

 

SOUS L'AILE DU CORBEAU

TREVOR FERGUSON

( Le Serpent A Plumes / 2015 )

 

Corbeau et serpent, une belle ménagerie totémique, le volatile cher à Edgar Poe, une maison d'édition de qualité, et en prime sur la quatrième de couverture ce rapide résumé de quatre lignes illisibles, car écrasée par l'amarante agressive de l'arrière-fond, ce lambeau de phrase que mon œil obstiné parvient à prélever par miracle '' chef de la tribu des Corbeaux '', par l'esprit de Wakan Tanka, un roman sur la tribu des Crows sur laquelle je cherche des renseignements depuis des années, je prends. J'ai pris, l'ai posé et n'y ai plus pensé jusqu'à hier soir. J'ai dévoré les trois cents pages sans m'arrêter.

C'était une erreur. Pas le moindre guerrier Crow à l'horizon des Grandes Plaines. Non, l'action se déroule quelque part au Canada, sur une île fictive, à quelque centaines de kilomètres de Vancouver, le genre d'endroit où vous n'auriez jamais envie d'aller, il y pleut sans arrêt. A ce désagrément ajoutons qu'au début vous n'y pigez rien. Mais alors rien du tout. C'est le cas de le dire vous ne reconnaissez personne en Trevor Ferguson. Une grande figure du roman américain me dit wikipedia, Sous l'aile du Corbeau est son premier livre. L'en a écrit d'autres, notamment une série de policiers. All right, mais cela ne nous aide guère.

Au bout de quelques chapitres la chose prend l'aspect d'un western, à pieds, à cheval ou en canoë, tous les protagonistes de l'histoire se dirigent vers un coin sauvage quelque part dans la montagne. Il n'y a en qu'un seul qui possède un fusil, mais il est méchant. Les autres sont ce que l'on appelle des anti-héros, l'un qui a tout raté et l'autre qui n'a rien entrepris. L'un boîte de la jambe et l'autre dans sa tête. Oui il y a un chef indien. C'est le plus équilibré. L'a laissé sa tribu sur son île. C'est qu'il essaie de la préserver, de l'isoler de l'homme blanc, un combat dont il se doute qu'il est perdu d'avance. Faut avancer dans le roman pour comprendre l'enjeu. Ne comptez pas sur moi pour vous le révéler. Faut bien une histoire avec un début, un milieu et une fin pour attirer le lecteur.

Ce n'est pas là le plus important. Dès les premières pages vous sentez l'embrouille, c'est un peu comme dans Faulkner, entre Le bruit et la fureur et Les palmiers sauvages. Certes ce n'est pas un idiot qui parle, mais le Ferguson il a l'art et la manière d'éviter les transitions, tantôt vous êtes dans un récit des plus classiques, tantôt dans le monologue intérieur rapporté à la troisième personne d'un des personnages. A vous de vous comprendre lequel exactement. D'une phrase sur l'autre ça peut changer, sans aller à la ligne évidemment. Ou alors l'un d'entre eux prend la parole en disant je sans avertissement. Un truc d'écrivain qui connaît par cœur les codes de la déconstruction d'un récit à la Joyce, soupirerez-vous, un intello qui fait son malin.

Pas du tout. Cette écriture n'est en rien un exercice de style. Elle colle au sujet, elle est dictée par lui, rien à voir avec la pelote de laine que vous emmêlez à plaisir pour déboussoler le lecteur et faire durer le suspense. Tu veux savoir la fin, coco, lis jusqu'au bout. Artifice commercial et rien de plus. Vous êtes pressé alors je vais vous révéler le sujet du bouquin en quelques phrases. Pas de chance, il y en a deux. Le premier qui a motivé le succès du livre, je vous le décline de deux manières. D'abord la grosse tarte à la crème baveuse, moussante et mousseuse : la préservation de la nature, la critique de notre civilisation, plus écologique que cela tu meurs. Que voulez-vous il faut bien attirer les mouches avec de la confiture à bas prix. Ce qu'il y a de bien, c'est que Ferguson ne s'attarde point à cette œuvre pieuse, c'est surtout le lecteur primaire qui se satisfera de cette lecture de surface. Ensuite l'on passe dans du plus subtil, certes vous pouvez vous glorifier du résultat de la première analyse qui prouve la faible pertinence de votre pensée. Mais les choses sont plus complexes. Votre pensée n'est que le fil d'une trame, constituée de la pensée des autres et aussi de cette présence du monde autour de vous, une espèce d'animisme collectif qui fait que la pensée individuelle n'a que peu de valeur si l'on ne la met pas en relation avec cette sphère spirituelle qui se dégage de la nature et de tous les artefacts humains. Objets inanimés avez-vous donc une âme s'écriait Lamartine, là n'est pas vraiment le problème répond Ferguson , l'important c'est de saisir les corrélations entre vous, les autres et le monde, celles qui se font et celles qui ne se font pas, et malheureusement ces dernières sont les plus fréquentes...

Il y a plus profond. Sous l'aile du Corbeau raconte une terrible histoire. De sang et de sexe. Quand vous arrivez à la fin, si vous êtes un joyeux optimiste vous concluez par un tout est bien qui finit bien, si vous êtes un pessimiste invétéré vous déclarerez tout est mal qui finit mal. Dans les deux cas vous avez tort. Ni mal, ni bien, ne finissent jamais, le sujet de ce livre n'est autre que la persistance des choses mortes, ou détruites ou passées. Quelque chose subsiste toujours. Tout acte survit dans son propre oubli comme dans sa propre survivance. Vous pouvez en être conscient, vous pouvez vous en détourner, vous pouvez en être ignorant, cela n'enlève ou ne retranche rien à la complexité du monde. Peut-être en conclurez-vous à la nécessité de l'équivoque d'une pensée analogique, mais cela ne regarde que vos propres conclusions. Sous l'aile du corbeau est à lire comme un roman de pensée métaphysique, si ces termes vous effraient dites-vous que Trevor Ferguson a tenté de traduire par sa manière d'écrire un essai transcriptif des modalités de ce que les ethnologues de salon désignent sous l'appellation fourre-tout de '' pensée indienne''.

Le titre anglais original est : High Water Chants. Le roman est traversée en effet par une rivière torrentueuse qui descend des montagnes. Je me plais à y voir la chute sans fin et dans le vide des atomes de Démocrite. Etrange, ou hasardeuse corrélation, Ivan Steehout n'a t-il pas traduit un livre de James P Campbell intitulé La poursuite de l'Être.

Damie Chad.

LOVESICK DUO

 

Je ne les cherchais pas. J'ignorais qu'ils existaient. C'est en trifouillant sur le net sur un tout autre sujet, qu'une photo m'a sauté aux yeux. Des horreurs absolues. Des mongolitos arriérés. Le garçon et la fille. J'ai voulu en savoir plus. Un cas d'espèce. J'ai cliqué dessus et je suis tombé sur la légende Lovesick Duo, je savais depuis le Lovesick Blues d'Hank Williams que l'amour rend malade, mais enfin, il y a des limites. De pauvres bêtes bonnes à abattre. Bon mais il y avait le mot duo, alors j'ai cliqué dessus et me suis retrouvé sur leur F. B. Je vous rassure tout de suite, des jeunes gens beaux comme des sous neufs, mais z'aiment bien se prendre en contre-plongée avec une application qui vous grossit la tête.

Sont italiens. Des voisins, des cousins. Suis tombé sur l'épisode vingt-quatre, tiens me suis-je dit, font comme tous les groupes confinés de par chez nous, tous les jours ils enregistrent en direct un titre, un trait-d'union sonore et amical pour resserrer les rangs contre le Corona-virus. Apparemment non parce que '' ognedi lunedie'' en langue de Dante signifie chaque lundi, j'ai imaginé le pire, confinés depuis vingt-cinq semaines, notre avenir à tous. Pas grave, une fois que l'on sera mort, il restera toujours le rock'n'roll. Puis je me suis aperçu qu'ils faisaient cela aussi le friday et le wednesday...

En regardant la photo de tête j'ai immédiatement écarté le pire, le parfait duo de canziones della amore de la ringarda tradiziona italiana, un super indice m'a permis de comprendre que le hasard m'avait en fait emmené du bon côté de la musique que j'aime. M'a suffi de regarder la robe de Francesca Alinovi. Pas la sienne, je ne déshabille pas les filles des yeux, moi je suis bien élevé, celle de sa contrebasse. Ramages country. Pas d'erreur possible, avec son chapeau de cowgirl de bonne famille pionnière et ses cheveux longs qui pendent, elle semble sortir tout droit d'un western. J'ai lancé au hasard une vidéo, elle ne faisait pas grand-chose, tournée de biais, absorbée dans un tripotage de je ne sais quoi, de la sono peut-être. A ses côtés Paolo Roberto Pianezza essayait d'imiter le gars qui se donne une contenance. Mais non, elle ne s'occupait pas de lui. Il a effleuré les cordes de sa guitare, un bling, juste pour dire que la séance avait commencé, que ça allait commencer bientôt, incessamment sous peu, l'aurait pu lui adresser la parole en japonais, elle était manifestement obnubilée par ailleurs, alors faute de mieux il s'est mis au turbin tout seul. L'a caressé le manche de son acoustique et miraculeusement elle s'est mise à miauler like a cat on a tin heat roof, on a tin hit roof, vous a écorché le matou durant cinq minutes, un slide de toute beauté, un bottleneck de première classe, une merveille, du feeling et du toucher.

Après cet instrumental introductif Francesca a consenti à se servir de sa contrebasse. Z'au début, j'ai cru que le son avait baissé d'un cran, mais non la fine mouche touchait les cordes mais ne jouait pas – parfois les filles sont effrontées – le Paolo au boulot todo solo, au bout de trente secondes elle s'est mise à swinguer, pas un truc à la mord-moi le noeud-jazzeux, non, comme il faut, ce bruissement de bourdon dans les bourgeons des rhododendrons, et puis crac ! le Paolo a cassé l'ambiance. Ce n'est pas de sa faute. Ce n'est pas qu'il chante mal, c'est qu'il est italien, et comme tout italien qui se respecte il s'est mis à chanter en... italien, faut deux minutes pour s'habituer, le western swing des Appalaches à la mode ritale, c'est un peu trop al dente, mais on s'y fait et il faut reconnaître qu'ils se débrouillent bien, de toutes les manières pour le troisième morceau ils ont utilisé l'anglais... si vous voulez savoir la suite, allez-y voir par vous-mêmes, sont doués et sympathiques, de ce que j'ai vu ils triturent les racines jusqu'à Chuck Berry.

Damie Chad.

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